Sunteți pe pagina 1din 4

Apprendre, c'est ressentir le plaisir d'être

Bernard Charlot

Professeur émérite à l’Université Paris 8


Chercheur Invité du CNPq (Université fédérale du Mato Grosso, Brésil).

Apprendre est un droit, donc l’école est un droit, donc l’école publique (gratuite et garante
de la liberté de penser) est un droit. Il apparaît d’autant plus nécessaire de rappeler ces
principes que le mouvement actuel de globalisation néo-libérale encourage les processus de
marchandisation du savoir et de privatisation de l’école. Toutefois, ce qui est clair au niveau
des principes apparaît plus complexe à l’analyse.

Notons d’abord que l’école gratuite est un droit mais qu’elle est obligatoire. Certes, le droit
de l’un crée l’obligation de l’autre, le droit de l’enfant crée une obligation pour le père. Mais
ce n’est pas seulement de cela qu’il s’agit: c’est l’enfant lui-même que l’on oblige à aller à
l’école et à apprendre. Les jeunes des banlieues parisiennes auprès desquels j’ai réalisé mes
recherches sur le rapport à l’école et au savoir, n’adhèrent pas spontanément à l’idée que
aller à l’école et y apprendre ce qu’on y enseigne est un droit. Pour beaucoup d’entre eux, il
s’agit d’une obligation, parfois insupportable. On peut reconstituer ainsi leur logique: pour
avoir une «vie normale» (autre que illégale), il faut un emploi; pour avoir un emploi, il faut
un diplôme; pour avoir un diplôme, il faut aller à l’école et être un élève au moins moyen;
donc l’école est une obligation que les adultes imposent aux jeunes pour leur reconnaître le
droit de vivre; malheur à celui qui échoue à l’école, il lui est interdit d’avoir une vie normale.
Dans cette optique, l’école n’est pas un droit, elle est un devoir ennuyeux pour celui qui y
réussit, et une malédiction pour celui qui y échoue.

D’un point de vue historique, l’école n’apparaît pas non plus comme cette conquête du
peuple que l’on a glorifiée sous le nom «d’école libératrice». En France, au 19e siècle, la
bourgeoisie moderniste française (représentée par Guizot ou Ferry) entreprend de
«moraliser le peuple par l’éducation», selon ses propres termes. Les socialistes
proudhoniens résisteront à l’idée même d’école primaire étatique («triste capucinade»,
«insigne jonglerie», selon Proudhon, qui défend l’éducation à l’atelier) et Marx affirmera que
c’est au peuple d’éduquer l’Etat et non à l’Etat d’éduquer le peuple. L’école primaire
apparaît alors comme imposée au peuple. Toutefois, une alliance sera passée entre la
bourgeoisie moderniste et le mouvement populaire organisé (partis et syndicats socialistes
et communistes) qui, d’une certaine façon, a lui aussi besoin de former et de discipliner le
peuple: ce sera la grande époque de l’école «libératrice», entre les deux guerres. Dans les
années 60 s’opère un nouveau basculement. D’une part, l’école est critiquée comme
«capitaliste» (oppression et non plus droit). D’autre part, un lien de plus en plus serré se
noue entre le niveau scolaire de l’individu et son niveau d’insertion sur le marché de
l’emploi, il devient nécessaire d’avoir un «bon» diplôme pour avoir un «bon métier» puis,
tout simplement, pour trouver un emploi: l’école devient une obligation, voire une
malédiction pour les plus faibles.
Confusion entre droit à l’école et droit au savoir

Cette question de l’école comme droit et comme devoir est d’autant plus complexe que l’on
a longtemps confondu le droit à l’école et le droit au savoir. Certes, l’école reste le plus sûr
chemin d’accès au savoir et l’école publique sa plus sûre garantie. Mais l’accès à l’école ne
garantit pas l’accès au savoir. Dans les pays industrialisés, environ 10% de chaque génération
quitte l’école sans avoir atteint le niveau considéré comme minimal pour une insertion
professionnelle; un pays «émergent» comme le Brésil scolarise aujourd’hui 97% des jeunes
de 7 à 14 ans mais plus de 40% d’entre eux ne maîtrisent pas la lecture et l’écriture en 4e
année de scolarité. Ce qui est un droit, c’est le droit au savoir, au sens, aux repères dans la
vie, et l’école n’est qu’un moyen (certes aujourd’hui irremplaçable) pour assurer ce droit.

La question centrale est donc celle de l’apprendre, plus encore que celle de l’école. Nous
naissons inachevés et nous ne devenons humains que parce que nous apprenons.
L’humanité n’est pas en nous, comme une nature, elle est hors de nous: elle est ce que
l’espèce humaine a créé, peu à peu, au cours d’une longue histoire. Nous devenons
humains, ainsi que, indissociablement, sujets absolument originaux et membres d’une
société, en nous appropriant une partie de ce que l’espèce humaine a créé au cours de son
histoire. Apprendre, c’est le processus même par lequel un être humain advient, se fait
advenir lui-même grâce à ce qu’il reçoit des autres humains. C’est évidemment un droit,
c’est évidemment un devoir. Est-ce un bonheur? Je ne suis pas sûr que le terme soit
pertinent car est heureux celui qui n’est pas divisé, or la conscience divise, le savoir
interpelle, l’école fait changer. Je dirais plutôt que apprendre, c’est ressentir le plaisir d’être.

Là est sans doute l’essentiel. Et là est l’énigme. Car comment peut-on ressentir du plaisir en
apprenant, comment peut-on aimer les mathématiques, la chimie, l’histoire, etc.?

La question ici posée n’est pas celle que posent souvent les enseignants: «Comment faire
pour que l’élève aime les mathématiques, etc.?». A cette dernière question, on répond
souvent par un mélange de manipulations et de mensonges: apprends à compter pour
savoir faire la recette du gâteau (ridicule), apprends parce que les mathématiques sont utiles
(mauvaise foi pédagogique), apprends parce que le prof est gentil (manipulation affective).
Et quand cela ne marche pas vient la menace: si tu n’apprends pas, tu ne passeras pas dans
la classe suivante.

La question ici posée est en fait plus radicale. «Aimer», trouver «intéressant», c’est ressentir
du désir. Le désir vise la jouissance. Comment peut-on espérer une jouissance de l’étude des
mathématiques (ou autre matière)? Comment un objet intellectuel peut-il produire du
plaisir, une jouissance affective, émotionnelle? Faute de place, je m’en tiendrai ici à
quelques indications.

Apprendre, c’est être, c’est se faire être, c’est se faire être en s’appropriant de l’humain.
C’est quelque chose qui relève du plaisir, de l’excitation, plutôt que du bonheur. Tout
rapport au savoir est aussi rapport à soi, rapport à l’autre, rapport au monde. Etre «fort en
maths», c’est jouir de soi comme fort en maths, jouir de partager avec certains autres un
monde qui n’est pas donné à tous. Le plaisir d’apprendre est, fondamentalement, un plaisir
de soi. Celui qui a un rapport fort, parfois passionné, à un univers de savoir vit un tel plaisir.
Mais il en existe des formes plus douces et plus indirectes, liées à un projet de vie, à un
projet de soi: le plaisir d’avoir une bonne note, le plaisir de faire plaisir à ses parents, le
plaisir de se sentir intelligent, le plaisir de pouvoir espérer faire plus tard le métier qu’on a
envie de faire, le plaisir de mieux comprendre la vie, les gens, le sens des choses, tout cela se
combine dans une sorte de plaisir de se sentir vivre, aimé, doté d’un avenir. Mes
recherches1 m’ont montré que les jeunes en échec, avec un rapport négatif à l’école,
entrent à nouveau dans un processus d’apprentissage lorsqu’ils pensent que celui-ci leur
offre une vraie possibilité de «devenir quelqu’un», selon leur expression. Ces jeunes ont
compris quelque chose de fondamental: apprendre c’est devenir quelqu’un, quelqu’un qui
vaille la peine.

Notes

1 Cf. notamment B. Charlot, Le Rapport au savoir en milieu populaire, Anthropos, 2001.

Le rapport au savoir en citations

Apprendre, un droit

Apprendre, c’est un droit. L’un des plus précieux. Les Français en défendent non seulement
le principe, mais l’extension: tout allongement de la scolarité est salué comme un progrès
démocratique. C’est fort bien vu tant que l’on ne confond pas le droit d’étudier et le droit au
diplôme.
François de Closets. Le bonheur d’apprendre ou comment on l’assassine. Paris: Seuil, 1996.

Apprendre, un devoir

Apprendre, c’est un devoir. Les parents ont l’obligation de donner une instruction à des
enfants qui ont l’obligation de la recevoir. Que cela plaise ou non. Dans le monde scolaire,
l’objection de conscience n’a pas de place.
François de Closets. Le bonheur d’apprendre ou comment on l’assassine. Paris: Seuil, 1996.

Apprendre, un effort

Apprendre, c’est un effort. Aucune machine, aucune recette, aucune pilule ne peut le faire à
notre place. Au jeu de l’apprentissage, il faut toujours payer de sa personne. Ce qui est
donné instantanément, qui ne requiert aucun entraînement, aucune recherche, aucune
étude, n’apporte rien. Des maîtres peuvent nous guider, des méthodes nous aider, des
machines nous assister, des professeurs nous instruire, mais il nous faudra toujours
parcourir le chemin si nous voulons arriver au but.
François de Closets. Le bonheur d’apprendre ou comment on l’assassine. Paris: Seuil, 1996.
Apprendre, un plaisir

Apprendre, c’est un plaisir. Dans nos souvenirs scolaires, le bonheur est associé à la réussite,
pas au travail. […] A ce jeu, nous avons oublié que le plaisir de découvrir existe en soi et pour
soi, qu’il ne dépend pas de sa rémunération. Certes, l’apprentissage comporte des étapes
fastidieuses, répétitives, harassantes. […] Mais quel bonheur à chaque progrès! Un bonheur
ignoré de ceux qui, rebutés par les premières difficultés, ont préféré le plaisir clé en main
des services gadgétisés.

François de Closets. Le bonheur d’apprendre ou comment on l’assassine. Paris: Seuil, 1996.

S-ar putea să vă placă și