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BIOÉTHIQUE ET POST-HUMANITÉ

F. Fukuyama : La fin de l'homme. Les conséquences de la révolution biotechnique /


J. Habermas : L'Avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral /
D. Lecourt : Humain, post-humain

Cyrille Bégorre-Bret

Presses Universitaires de France | « Les Études philosophiques »


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2004/2 n° 69 | pages 253 à 264
ISSN 0014-2166
ISBN 9782130544555
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2004-2-page-253.htm
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ÉTUDE CRITIQUE

BIOÉTHIQUE ET POST-HUMANITÉ
F. FUKUYAMA : LA FIN DE L’HOMME.
LES CONSÉQUENCES
DE LA RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE
J. HABERMAS : L’AVENIR DE LA NATURE HUMAINE.
VERS UN EUGÉNISME LIBÉRAL
D. LECOURT : HUMAIN, POST-HUMAIN 1
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La post-humanité, question ultime de la bioéthique ?

À mesure que les savoirs et les techniques du vivant se développent, les


débats sur les conséquences éthiques et politiques de leur expansion se mul-
tiplient, jusqu’à envahir l’espace du débat public.
En dépit de leur extrême diversité et de leur grande technicité, les diffi-
cultés soulevées par les progrès des biotechnologies semblent aujourd’hui
se réduire à une seule question, aussi simple que massive : l’humanité est-
elle une espèce en voie de disparition, va-t-elle bientôt céder la place à une
nouvelle espèce biologique : la post-humanité ? Une certaine unanimité,
assez inattendue en ces matières disputées, se dégage pour considérer la
question de la post-humanité comme le problème architectonique des
controverses bioéthiques contemporaines. Scientifiques professionnels et
moralistes d’occasion, religieux horrifiés et scientistes enthousiastes, tous
prophétisent à l’unisson la fin prochaine de l’humanité. Les uns s’en
réjouissent et combattent les « obscurantistes » qui voudraient entraver
l’essor de la science. Les autres le déplorent et tentent d’éviter le prochain
« suicide de l’humanité ».
Dans ce débat, trois voix originales se sont fait entendre, celles de Francis
Fukuyama, celles de Jürgen Habermas et celles de Dominique Lecourt. Beau-
coup de différences séparent leurs trois ouvrages. Les questions auxquelles
chacun entreprend de répondre sont nettement distinctes et, surtout, leurs
thèses respectives sont radicalement divergentes. Mais tous ont en commun
le projet de reprendre à nouveaux frais ces débats trop vite simplifiés.

1. Francis Fukuyama, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, Paris, La


Table ronde, 2002, 366 p. ; Jürgen Habermas, L’avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme
libéral ?, Paris, Gallimard, novembre 2002, 180 p. ; Dominique Lecourt, Humain, post-humain,
Paris, PUF, coll. « Science, histoire et société », avril 2003, 146 p.
Les Études philosophiques, no 2/2004

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254 Cyrille Bégorre-Bret

Trois approches divergentes de l’éthique de la vie

La création et la diffusion de nouvelles biotechnologies ne suscitent pas,


loin s’en faut, les mêmes interrogations chez les trois philosophes.
Pour Fukuyama, le problème est avant tout historique et politique. Le
volcan de l’histoire, assoupi, après la chute du Mur de Berlin, est sur le point
d’entrer dans une nouvelle éruption aux conséquences catastrophiques. Les
valeurs démocratiques, autour desquelles tous les hommes et tous les pays
étaient, selon La fin de l’histoire, censés s’unir progressivement après la fin des
totalitarismes, sont aujourd’hui en péril : la génétique, la pharmacologie, la
robotique et l’informatique sont désormais susceptibles de modifier le corps
et l’esprit humains de façon irréversible : elles sont capables de créer une nou-
velle espèce biologique. Or, selon Fukuyama, les régimes démocratiques
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reposent sur une certaine conception de la nature humaine et de ses caracté-
ristiques biologiques fondamentales. Le problème est donc simple à formuler
selon lui : est-il souhaitable de modifier l’état biologique actuel de l’homme au
risque d’entrer dans l’ère de la post-humanité et de la post-démocratie ?
Fukuyama décline cette question liminaire en plusieurs interrogations. Il
demande pour quelle raison il serait meilleur de maintenir l’humanité dans
son état actuel plutôt que de se servir des progrès des biotechnologies pour
débarrasser la condition humaine de certains de ses attributs les plus amers,
comme les maladies héréditaires ou la dépression chronique. L’homme
n’est-il pas cet animal capable de se perfectionner constamment lui-même ?
Fukuyama met même en question le caractère souhaitable de l’allonge-
ment indéfini de l’existence humaine. Dans l’examen de ces problèmes,
Fukuyama n’accorde pas d’emblée à l’humanité actuelle une valeur intan-
gible. Il donne au contraire leur chance aux thèses eugénistes et estime qu’il
lui incombe de montrer que la « nature humaine » doit être préservée dans la
forme que l’évolution lui a aujourd’hui donnée, et que la charge de la preuve
repose sur ceux qui veulent limiter le développement des biotechnologies.
En somme, Fukuyama pose avec netteté et sans a priori moral ou reli-
gieux des questions qui, pour n’être pas radicalement nouvelles dans le
débat bioéthique, n’en sont pas moins fondamentales.
Pour Lecourt, en revanche, ce qui pose problème, dans les débats bio-
éthiques contemporains, c’est surtout le statut des discours qui s’y affrontent.
Certes, Humain, post-humain aborde aussi la question de la nature humaine,
mais sa première préoccupation est de montrer que les controverses actuelles
mettent aux prises deux types de discours dont l’antagonisme marque
l’apparition d’un malaise et d’un schisme dans la civilisation occidentale : d’un
côté, ceux que Dominique Lecourt baptise les « bio-prophètes » ; de l’autre,
ceux qu’il nomme les « bio-catastrophistes ». Pour les premiers, la révolution
biotechnologique est un progrès et marque une nouvelle étape dans l’affran-
chissement des hommes à l’égard de la nécessité naturelle. Pour les seconds, en
revanche, l’essor des biotechnologies conduit l’humanité au suicide.

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Bioéthique et post-humanité 255

Pour le bioéthicien contemporain tout le problème, contrairement à ce


que croit Fukuyama, n’est pas de choisir son camp mais de chercher d’où
vient cette gigantomachie et le malaise qui en résulte afin de les dépasser.
Pour dissiper le brouillard néfaste d’irrationalité qui nimbe ces controverses,
il faut mettre au jour la généalogie religieuse de chacun de ces credo. Il faut les
déconstruire patiemment afin de montrer que cet affrontement est en fait
d’une antinomie de la déraison religieuse et de restaurer la raison dans ses
droits en matière de bioéthique.
Pour Habermas aussi, une approche métaphysique des débats bioéthi-
ques doit être évitée car elle risque de ranimer de vieux démons dogmati-
ques. Longtemps, la philosophie s’est crue capable de trancher des ques-
tions que pose aujourd’hui la bioéthique, par exemple de distinguer la « vie
la meilleure » des formes d’existence dévoyées ou diminuées. Mais cette pré-
somptueuse posture lui a passé : la raison philosophique a reconnu ses limi-
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tes, a adopté une prudente réserve en éthique et en politique et ne défend
plus de normes substantielles et positives. Elle se contente aujourd’hui
d’élaborer des procédures susceptibles de déterminer des normes dans le
respect du pluralisme.
Pourtant, selon Habermas, la circonspection et le procéduralisme éthi-
que ne sont plus de mise, au moment où les biotechnologies modifient l’idée
même que les hommes se font de leur propre nature. L’éthicien doit
répondre aux questions précises et pressantes que suscitent ces techniques :
pourquoi ne pas autoriser le Diagnostic pré-implantatoire (DPI), c’est-à-dire
le dépistage des pathologies génétiques dont pourraient être victimes les
embryons conçus in vitro, avant leur insémination ? Pourquoi ne pas per-
mettre aux généticiens d’utiliser les embryons surnuméraires issus des pro-
grammes de lutte contre la stérilité afin de créer de nouvelles thérapies géni-
ques ? Pourquoi même ne pas confier aux parents le soin de développer chez
leurs enfants des capacités et des aptitudes dont le support génétique est
avéré et dont les bénéfices individuels et collectifs ne sont pas négligeables ?
Pourquoi ne pas autoriser (ne pas favoriser même) l’auto-optimisation
de l’humanité ? En un mot : pourquoi pas l’eugénisme libéral ?
Toute la nouveauté et toute la difficulté du débat contemporain sur
l’eugénisme tiennent au fait que ce dernier n’est plus défendu par des idéo-
logies totalitaires ou racistes et qu’il n’est plus conçu comme un programme
étatique et centralisé de création d’un homme nouveau. L’eugénisme est
aujourd’hui ardemment défendu par des libéraux qui souhaitent que
l’innovation scientifique ne soit pas entravée et qui soutiennent que la
liberté des individus doit être étendue aux caractéristiques physiques et psy-
chiques de leur progéniture.
C’est aux avocats de ce nouvel eugénisme que L’avenir de la nature humaine
veut répondre en abandonnant la réflexion sur les bonnes procédures, en
laissant de côté les considérations générales sur la nature humaine et en
cherchant un régime de discours non métaphysique capable de défendre des
valeurs positives.

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Défendre la démocratie, combattre l’irrationalité, garantir l’autonomie des personnes :


trois objectifs hétérogènes ?

Les trois ouvrages sont séparés non seulement par les questions qu’ils
posent et par les méthodes qu’ils adoptent pour y répondre mais aussi et
surtout par les thèses qu’ils défendent et par les argumentations qu’ils déve-
loppent pour les soutenir.
Lorsque Lecourt présente Fukuyama comme le porte-étendard des
« bio-catastrophistes » chrétiens horrifiés par le sacrilège que constitue la
modification d’une nature humaine créée à l’image de Dieu, il entend indi-
quer, à juste titre, que Fukuyama milite pour la limitation de l’expansion des
biotechnologies. Il ne lui rend pourtant pas justice. Le réquisitoire de
Fukuyama n’est en effet pas inspiré par des motifs religieux : si Fukuyama
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veut brider les biotechnologies, c’est en raison de leurs potentialités antidé-
mocratiques, pas en raison de leur caractère sacrilège.
Fidèle à son approche globale, Fukuyama balaie tous les champs d’inno-
vation biologiques (les neurosciences cognitives, la biologie moléculaire, la
génétique des populations, la génétique comportementale et la biologie évo-
lutive) afin de prévoir leur impact sur la condition humaine. Dans ce péril-
leux exercice de pronostic, il n’adopte pas un ton apocalyptique. Il essaie au
contraire de réaliser une étude informée et raisonnée des possibles. Il
montre même les avantages que l’individualisme démocratique peut tirer
des nouvelles biotechnologies.
Il ne congédie par exemple pas a priori toutes les techniques habituelle-
ment qualifiées d’eugénistes. Au contraire, il distingue soigneusement eugé-
nisme de l’homme nouveau et eugénisme du « bébé sur mesure ». Ce dernier
doit être interdit non pas parce que chaque enfant est un don de Dieu (motif
religieux) mais parce qu’il détruit l’égalité naturelle sur laquelle est fondé le
principe démocratique d’égalité des droits (raison démocratique). L’amélio-
ration des capacités psychiques et physiques de certains individus risque de
créer entre les hommes des inégalités si importantes que l’unité de l’espèce
humaine deviendrait illusoire.
Le bilan de cette étude à grand trait des multiples révolutions scienti-
fiques et technologiques n’est ni béatement scientiste ni irréductiblement
« scientophobe ». Les nouveaux pouvoirs conférés à l’homme par les bio-
techniques sont porteurs d’espoirs, mais aussi facteurs de risques qui mena-
cent l’égalité des individus.
Selon Fukuyama le passage à la « post-humanité post-démocratique »
n’est pas inéluctable. Les démocraties disposent en effet de marges d’action
importantes face à ces risques. Elles sont en mesure de légiférer pour proté-
ger le substrat biologique de leurs principes car elles disposent d’un critère
pour distinguer entre les inventions néfastes et les innovations bénéfiques.
Ce critère, c’est la définition « statistique » de l’homme que propose
Fukuyama : la plupart du temps, l’homme est capable de calcul, doué

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Bioéthique et post-humanité 257

d’émotions et de langage, et a une existence sociale. Il se distingue des autres


êtres vivants non parce qu’il a le monopole de chacune de ces caractéristi-
ques, mais parce qu’il est le seul à les posséder toutes ensemble. Et c’est la
possession de ces caractéristiques, empiriquement constatée, qui garantit les
idées de liberté, d’égalité et de responsabilité. Les solutions institutionnelles
et réglementaires concrètes découlent de ce critère : tout ce qui menace
l’égalité ou la liberté doit être banni.
S’il convient de fortement nuancer la présentation que Lecourt fait de
certaines positions de Fukuyama, il ne faut pas, loin de là, négliger les
apports de son approche généalogique et résolument rationaliste.
Selon Lecourt, la principale source du « malaise bioéthique » est que les
biotechnologies mettent en cause des croyances aussi tenaces qu’infondées.
Il faut lutter contre ceux qui entretiennent à dessein ce malaise : les « bio-
catastrophistes » comme Jonas, Fukuyama et Habermas. Pour récuser leur
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catastrophisme de principe, il faut montrer qu’il n’y a rien de fatalement
néfaste dans les biotechnologies et dénoncer le fétichisme dont ils entourent
la nature humaine. Pour brider leur passion législative, il faut rappeler que le
principe de responsabilité, lorsqu’il dilate aux dimensions d’un principe
métaphysique et sentimental de solidarité avec les générations futures, perd
tout contenu et toute efficacité juridiques. L’argument porte contre Jonas,
certes, mais pas contre Fukuyama.
Celui qui, comme Lecourt, veut raison garder en bioéthique doit mon-
trer les résultats réels des biotechnologies : lutter contre la faim grâce à
l’augmentation des rendements agricoles et combattre la malnutrition en
produisant des aliments qui compensent les carences vitaminiques à l’ori-
gine de multiples maladies, voilà les apports positifs des biotechnologies à
l’agriculture. Prévoir plus précisément les réactions des organismes aux nou-
veaux médicaments grâce à la protéomique (l’étude des protéines) et assurer
des greffes sans rejet grâce au clonage thérapeutique, voilà ce qui est désor-
mais au pouvoir de la médecine. L’Europe n’accueille pourtant pas ces
résultats avec enthousiasme et cède à un catastrophisme prétendument
éclairé mais profondément irrationnel comme le méritent l’horreur sacrée
suscitée par les OGM et la mystique qui entoure le principe de précaution.
Le clonage humain et l’eugénisme sont tout particulièrement les cibles
des « bio-catastrophistes ». Les griefs qui leur sont adressés sont, pour
Lecourt, infondés et résultent d’une conception fantasmée des techniques de
clonage. Le clonage humain est par exemple considéré comme un crime
contre l’humanité ou contre l’espèce humaine. Mais cette assimilation résulte
d’une surenchère rhétorique technophobe et d’une ignorance grossière du
droit et du clonage : pour Lecourt, le clonage est précisément le contraire
d’un crime contre l’humanité puisqu’il crée la vie au lieu de la détruire. Le DPI
est accusé de précipiter l’humanité vers l’abîme de l’eugénisme totalitaire.
Mais cette accusation repose sur la confusion, volontairement entretenue,
entre, d’une part, l’eugénisme étatique raciste et génocidaire, et, d’autre part,
l’eugénisme libéral qui n’a pas pour but la supériorité d’une race mais

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l’amélioration des conditions de vie biologique des individus. On notera que


cette critique ne peut pas porter contre Fukuyama et contre Habermas.
Pour irrationnels qu’ils soient, les argumentaires « bio-catastrophistes »
ont valeur de symptômes aux yeux de Lecourt. Leur virulence atteste que les
révolutions biotechnologiques renversent deux dogmes fondamentaux de la
modernité occidentale : le culte illusoire de la techno-science et le fétichisme
dérisoire de la nature humaine.
Le premier impensé mis en cause par les biotechnologies est la thèse
positiviste selon laquelle la technique est une application de la science et est, à
ce titre, un instrument destiné à améliorer l’humanité. La première de ces
idées est historiquement infondée : la science n’est pas nécessairement liée à
des réalisations techniques : le développement des savoirs scientifiques peut
être très poussé, comme dans la Grèce classique, sans qu’on en tire des pro-
cédés techniques. La technique est enracinée non pas dans la connaissance
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vraie de la nature mais dans les besoins et les actions des hommes. Elle est, à
ce titre, autonome. Et la deuxième des fictions dissipées par les biotechnolo-
gies est la croyance que l’homme, grâce à la technique, est capable de revenir
à son état prélapsaire, et de conjurer les malédictions qui pèsent sur lui depuis
l’exil d’Adam et d’Ève hors du jardin d’Éden. C’est cet idéal qui inspire les
thuriféraires des techno-sciences. L’ambition des idéologues de l’intelligence
artificielle est par exemple de libérer l’intelligence des contraintes du corps.
Leurs buts sont éminemment religieux et puritains : il s’agit de séparer corps
et pensée, animalité et esprit, de sauvegarder la pensée des atteintes du temps
et de garantir l’immortalité des esprits. Les « bio-prophètes » ne défendent
pas seulement une religion de la technologie, mais une « théo-technologie ».
Les débats bioéthiques menacent également un second article de foi de
l’Occident : la croyance en une nature humaine fixe. Or, selon Dominique
Lecourt, les découvertes de la génétique relèguent la notion de nature
humaine au rang de fiction et il est parfaitement vain de défendre la démo-
cratie en s’arc-boutant sur une notion périmée, comme le fait Fukuyama.
Lecourt tient la balance égale entre les contempteurs des biotechnolo-
gies et leurs laudateurs : les uns comme les autres défendent une conception
religieuse de la technique et de l’existence humaine. L’enthousiasme messia-
nique des uns n’est pas plus rationnel et pas moins millénariste que le pessi-
misme apocalyptique des autres. Mais Lecourt ne se contente pas de ren-
voyer dos à dos les deux positions qu’il critique. Il pose également de
nouveaux jalons pour orienter le débat bioéthique contemporain.
La première de ces pierres d’attente est une redéfinition de la technique :
elle n’est ni une application de la science, ni un moyen de rédemption, ni un
instrument de damnation. Les techniques et leur figure rationalisée, les tech-
nologies, sont des expressions de l’activité vitale de l’homme. Elles sont les
instruments grâce auxquels l’homme, au lieu de s’adapter à son milieu,
adapte son milieu à lui-même et invente constamment de nouveaux régimes
de vie. Les techniques sont les moyens dont use l’homme pour tisser cons-
tamment de nouvelles relations avec ses semblables et pour redéfinir perpé-

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Bioéthique et post-humanité 259

tuellement son identité. Elles sont ce que l’homme veut qu’elles soient et ce
que l’homme veut être lui-même. Les techniques sont l’homme. C’est pour
cette raison que le clonage n’est pas funeste : face aux produits du clonage,
l’homme, comme toujours, redéfinira son identité spécifique et personnelle
et trouvera de nouveaux modes de coopération sociale.
Le grand apport des sciences de l’homme et des nouvelles sciences du
vivant (neurosciences, génétique) est de montrer le caractère illusoire de
l’idée d’une nature humaine singulière et éternelle. C’est le deuxième jalon
que dispose Lecourt. La nature humaine varie au gré des innovations techni-
ques dont elle est elle-même la matrice. C’est pour cette raison que le DPI n’a
rien de néfaste. Il s’inscrit dans le droit fil des efforts de l’homme pour
accroître sa maîtrise sur sa propre existence, pour continuer le processus
d’appropriation de soi-même qui constitue l’humanité. C’est aussi pour cette
raison que l’interdiction du clonage humain est illégitime. Ceux qui le com-
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battent sont inspirés par un attachement superstitieux à des modes, tradi-
tionnels mais transitoires, de définition de l’identité personnelle. Pour eux,
l’identité d’une personne humaine résulte nécessairement de son inscription
dans un couple constitué de deux êtres de sexe différent et de son inscrip-
tion dans d’une identité sexuelle déterminée. En somme, les adversaires du
clonage réduisent l’identité personnelle humaine à des éléments sexués.
Réduire la place des déterminants sexuels dans l’identité personnelle, voilà
ce que permettront le clonage et l’eugénisme libéral.
Pour répondre adéquatement aux exigences créées par « l’état d’urgence
éthique », Habermas souligne lui aussi qu’il est désormais illégitime
d’adosser le discours bioéthique à des normes métaphysiques transcendan-
tes. Habermas et Lecourt récusent donc ensemble l’idée de Fukuyama selon
laquelle il est possible de fonder les édifices normatifs sur la vieille notion de
nature humaine. Mais, alors que Lecourt combat cette idée pour des motifs
tirés des sciences, Habermas invoque, lui, un principe éthique. Aux faits,
Habermas n’oppose pas des faits mais l’idée que le pluralisme démocratique
ne peut pas prendre pour fondement une conception unitaire de l’essence
de l’homme car il doit faire droit à de multiples conceptions de l’homme.
Tout le problème est de savoir si Habermas se tient à ce programme. Pour
Lecourt, la réponse est négative car, selon lui, tous les arguments de Haber-
mas contre l’eugénisme libéral sont irrecevables car profondément religieux.
Selon Lecourt, L’avenir de la nature humaine accuse la version contempo-
raine de l’eugénisme de faire disparaître la distinction entre homme et chose,
de nier la singularité des individus, d’instaurer des inégalités considérables
entre les générations et, enfin, de violer la notion d’ « éthique de l’espèce
humaine ». Et, pour Lecourt toujours, ces accusations sont irrecevables car
non scientifiques. La première d’entre elles s’enracine dans la conviction
chrétienne, démentie par la génétique, que l’homme est un être à part, exté-
rieur au reste de la création. La deuxième critique résulte du dogme chrétien
de la singularité et de l’immortalité de l’âme humaine. La troisième critique
repose, quant à elle, sur la thèse psychanalytique selon laquelle l’adolescent

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260 Cyrille Bégorre-Bret

accède à la conscience de soi grâce à la guerre d’indépendance qu’il livre à


ses parents et à l’idée qu’il acquiert progressivement de son identité corpo-
relle. Enfin, reprocher à l’eugénisme libéral de violer l’ « éthique de l’espèce
humaine », c’est invoquer une nature humaine une et éternelle, c’est céder au
naturalisme métaphysique naïf que Habermas s’était promis d’écarter.
Aussi fines et percutantes soient-elles, les objections formulées par
Lecourt contre le livre de Habermas ne sont pas dirimantes car Habermas
tranche des questions bioéthiques sans recourir, de façon subreptice, à
l’humanisme métaphysique.
Habermas évalue en effet l’eugénisme libéral à l’aune de trois critères :
son impact sur la conscience humaine, ses conséquences sur la façon dont
les hommes se conçoivent eux-mêmes comme êtres génériques et ses con-
trecoups sur les principes des démocraties constitutionnelles.
Selon Habermas, des êtres génétiquement programmés par leurs parents
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éprouveraient de grandes difficultés à se considérer eux-mêmes comme des
sujets auteurs de leur propre biographie : ils seraient en proie à un puissant
sentiment d’hétéronomie. Le principe de responsabilité personnelle serait,
en conséquence, profondément mis à mal. Contrairement à ce que prétend
Lecourt, cet argument ne convoque pas de thèse qui soit proprement psy-
chanalytique et ne baigne pas dans un halo de sentimentalité floue. Certes,
l’argument n’est pas scientifique, mais il n’en est pas moins rationnel et à ce
titre recevable dans une discussion bioéthique. L’argument repose en effet
sur une anticipation de la conscience de l’être génétiquement modifié par
ses parents. L’argument est rationnel au sens où toute conscience ration-
nelle peut effectivement anticiper chez un être humain issu d’une program-
mation génétique de la part de ses parents un état de conscience marqué par
une impression d’hétéronomie.
Le deuxième faisceau d’arguments mis en œuvre par Habermas pour
critiquer l’eugénisme libéral invoque bel et bien une « éthique de la nature
humaine » mais il ne se fonde pas sur une conception fixiste de l’homme.
La marche de la réflexion de Habermas est la suivante : si chaque commu-
nauté familiale, ethnique, religieuse ou nationale transformait ses membres
en fonction de ses propres valeurs ou de ses modes, l’unité biologique de
l’espèce humaine pourrait être mise en péril. L’existence d’une espèce,
c’est-à-dire d’un ensemble de congénères interféconds, serait menacée. On
pourrait assister à l’éclatement de l’espèce humaine actuelle et à l’apparition
de lignées issues d’une même souche mais désormais génétiquement trop
différentes pour former une espèce au sens biologique du terme. Par con-
trecoup, cet éclatement affecterait la conception que les membres de ces
nouvelles espèces se feraient de leurs relations avec leurs cousins éloignés.
À la conscience, souvent vacillante, encore aujourd’hui, d’une communauté
biologique succéderait la certitude d’une barrière spécifique. La conscience
que les hommes ont de leur identité générique serait modifiée de sorte que
toute idée de communauté et de fraternité, même minimales, serait
anéantie.

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Bioéthique et post-humanité 261

On ne voit pas ici trace d’une quelconque idée religieuse de la nature


humaine. La seule prémisse sur les hommes qui est convoquée ici est aisée à
accepter et n’énonce même pas un propre de l’homme : les hommes consti-
tuent une espèce au sens biologique du terme. La pointe de l’argument de
Habermas est en effet que, laissés à la discrétion des particuliers, les instru-
ments eugénistes actuels peuvent conduire à une scission de l’ensemble de
congénères interféconds que forment aujourd’hui les hommes.
Le troisième et dernier critère d’appréciation de l’eugénisme libéral est
son impact sur les relations entre générations. Habermas n’invoque plus un
sentiment d’hétéronomie mais prévoit une dépendance et une aliénation
avérées. Si les biotechnologies vantées par l’eugénisme libéral étaient autori-
sées, elles instaureraient une profonde asymétrie entre les générations et une
inégalité radicale entre parents et enfants. En effet, certains hommes
auraient le droit de déterminer un large partie de l’existence de leurs descen-
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dants sans le consentement de ces derniers. Tant que le génome était hors
de portée de l’action humaine, l’égalité entre géniteur et rejetons était
garantie par l’impuissance et l’ignorance humaines. Mais, comme les bio-
technologies sont désormais en mesure de ruiner cette garantie, il faut donc
la préserver grâce à des prohibitions juridiques.
On peut en conséquence soutenir que les trois arguments développés
par Habermas échappent aux reproches d’irrationalité et de naturalisme
métaphysique que leur adresse Lecourt. On peut certes à bon droit s’inter-
roger sur la source d’inspiration des arguments de Habermas. On peut
dresser leur généalogie et la critiquer. Mais cela ne suffit pas à réfuter leur
contenu.
La thèse principale de L’avenir de la nature humaine est que, loin de favori-
ser la liberté, l’eugénisme libéral combat en fait les principes de responsabi-
lité personnelle, d’égalité et d’autonomie. La position des eugénistes libéraux
est donc contradictoire. Mais Habermas va plus loin : il soutient que les
positions de l’eugénisme libéral sont néfastes car responsabilité, égalité et
autonomie sont non pas des caractéristiques naturelles de l’homme mais les
fondements de la coexistence démocratique des membres de l’espèce
humaine. La principale conséquence juridique que Habermas tire de cette
thèse est qu’il faut proclamer un nouveau droit : le droit à posséder un patri-
moine génétique n’ayant pas été soumis à une modification artificielle.
Habermas ne se contente pas d’énoncer une position de principe. Dans
de véritables « réponses aux objections », il répond pied à pied aux avocats
de l’eugénisme libéral.
Il écarte la thèse selon laquelle l’eugénisme ne serait pas plus aliénant
que l’éducation traditionnelle. Sa réponse est simple : l’irréversibilité des
caractéristiques imposées par les parents à leur progéniture, l’absence de
consentement de la part de l’enfant, la mise à mal, chez lui, de la conscience
d’être une personne libre et égale à ses géniteurs (ou à ceux qui l’éduquent),
toutes ces caractéristiques sont absentes du processus d’éducation mais sont
omniprésentes dans les programmes eugénistes de « bébé sur mesure ».

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262 Cyrille Bégorre-Bret

Habermas prend également parti contre la « consommation » d’em-


bryons par la recherche, c’est-à-dire contre l’utilisation, à des fins thérapeu-
tiques, des embryons surnuméraires. Mais sa position n’est pas dictée par
l’idée que les embryons sont des enfants de Dieu ou même seulement des
sujets de droit. Les embryons ne sont pas pris dans un réseau d’échanges lin-
guistiques et sociaux et ne sont donc pas titulaires de droist. Pour autant,
leur utilisation, même à des fins thérapeutiques, battrait en brèche la diffé-
rence, capitale selon lui pour les États de droit démocratiques, entre choses
et personnes (même si elles sont à venir). Ce qui doit être protégé dans
l’embryon, c’est une liberté potentielle, une autonomie en puissance. Mais il
faut noter que Habermas accorde en fait mais indirectement, le statut de
personne à l’embryon humain.
Ce principe dicte également la position de Habermas sur le DPI : le DPI
donne à l’embryon le statut d’un bien dont l’existence fait l’objet d’un bilan
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coûts/avantages. L’embryon est alors considéré comme un bien dont
l’existence et la disparition sont susceptibles d’évaluation. Le DPI doit donc
être interdit.
Enfin, Habermas récuse l’idée qu’il est aisé de distinguer entre eugé-
nisme thérapeutique et eugénisme d’amélioration, entre eugénisme négatif
et eugénisme positif. Cette frontière, même si elle est légitime, est selon lui
trop mobile pour servir de critère de distinction entre le licite et l’illicite.
Pour lui, la pierre de touche de toute législation bioéthique, c’est le consen-
tement des personnes génétiquement modifiées. Dans le cas des êtres
encore à naître, ce consentement est par définition impossible à recueillir. Il
est néanmoins possible de le prévoir dans le cadre d’une délibération démo-
cratique, grâce à des extrapolations et à des anticipations à partir des cons-
ciences autonomes déjà existantes : toutes les transformations qui, aux yeux
des consciences délibérantes, pourraient ne pas recueillir à coup sûr le
consentement de la future personne doivent être interdites. Toutes les
modifications qui ne passeraient pas, de façon assurée, l’examen d’une con-
frontation entre deux « tu » éthiques, le thérapeute et son patient, doivent
être bannies. Ce critère de jugement repose sur l’intersubjectivité et la déli-
bération compréhensive. Il n’en est pas moins efficace et protecteur. C’est
grâce à lui que l’on peut refonder la différence entre eugénisme positif et
eugénisme négatif : est thérapeutique l’eugénisme guidé par le principe de
liberté du sujet et d’amélioration celui qui en fait fi.

Trois bilans contrastés et un débat toujours ouvert


La rigueur argumentative du livre de Fukuyama n’est pas toujours à la
hauteur de son ambition et de sa richesse documentaire. Fukuyama défend
en effet souvent bien mal sa thèse principale. Pour bâtir sa « définition sta-
tistique » de l’homme, il recourt plus à un problématique « sens commun »
qu’à une argumentation détaillée alors même que les nouveaux savoirs pro-
duits par les neurosciences, l’éthologie ou la linguistique auraient pu lui être

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Bioéthique et post-humanité 263

d’un grand secours. De plus, en guise de réplique à tous ceux (nietzschéens,


foucaldiens) qui soulignent la plasticité et la variabilité extrême des caracté-
ristiques biologiques de l’homme, Fukuyama oppose deux réponses bien
faibles. D’une part, il répète, sans prendre soin de le prouver, que la nature
humaine n’est pas indéfiniment plastique et qu’elle ne peut varier qu’entre
certaines limites alors que c’est précisément ce point qui doit être discuté.
D’autre part, Fukuyama soutient que la nature humaine doit être considérée
comme fixe même si elle ne l’est pas car la conséquence d’une malléabilité
extrême de l’humanité serait la disparition des valeurs démocratiques. Ce
dernier argument présente deux faiblesses, du point de vue de Fukuyama
lui-même : d’une part, la conséquence n’est pas nécessaire car la démocratie
peut elle aussi muter ; d’autre part, Fukuyama réduit la notion de nature
humaine à une « fiction utile » à la vie des démocraties.
On ne peut qu’être ébloui par la verve puissante et l’érudition lumineuse
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que Lecourt déploie dans Humain, post-humain. On ne peut également
qu’admirer ses efforts pour lutter contre la technolâtrie et la superstition
ainsi que pour rendre la parole à la raison dans la cacophonie millénariste
qui enveloppe les questions de bioéthique. L’analyse de la « folie Perruche »
ou des guerres de religion autour des OGM emporte aisément la conviction
par une lucidité grave.
On ne peut toutefois pas s’empêcher de formuler également deux
regrets. D’une part, l’exposé de Lecourt ne rend pas justice aux arguments de
ses adversaires et ne leur accorde pas la discussion serrée qu’ils méritent car
ils ne sont pas la protestation sentimentale et religieuse que Lecourt y voit.
D’autre part et plus généralement, on a le sentiment, en lisant Humain,
post-humain, que mettre en évidence la filiation religieuse ou la généalogie
kantienne d’une position suffit à les disqualifier aux yeux de Lecourt. Si bien
que l’enquête généalogique tient souvent lieu de réfutation pour combattre
les thèses en présence dans les débats bioéthiques. Il est certes difficile de
répondre à l’irrationnel par la raison. Mais il est possible de mettre mieux en
évidence les positions rationnelles, qui sont peut-être trop rares ou trop fai-
bles, mais qui sont néanmoins présentes dans les débats sur la bioéthique et
notamment chez Fukuyama et Habermas.
Pour tous ceux qui, suivant l’exemple de Dominique Lecourt, souhai-
tent que les controverses bioéthiques reviennent à la raison, le livre de
Habermas représente autant un modèle qu’un défi.
Un modèle, ce livre l’est pour de multiples raisons. Habermas n’y cède
pas à la facilité : il se refuse constamment à réduire les théories eugénistes
contemporaines aux programmes centralisés d’États totalitaires. Il souligne
même combien il serait dangereux de lutter contre des projets heureuse-
ment disparus et de ne pas affronter les dangers bien réels, spécifiques et
très actuels de l’eugénisme libéral. L’avenir de la nature humaine fait aussi com-
prendre, sans céder à un pathos plein de solennité fort en vogue en bio-
éthique, que ce qui est en jeu, c’est l’idée que l’on peut se faire de l’humanité
dans un univers philosophique post-métaphysique. Il fait sentir l’urgence

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264 Cyrille Bégorre-Bret

sans susciter l’angoisse. C’est pour cela que Habermas préconise en bio-
éthique une méthode fort féconde : il faut discuter des questions précises et
évaluer des techniques déterminées.
Mais le propos de Habermas représente également un défi éthique et
politique. Habermas soutient en effet des positions conservatrices à
l’extrême, et même réactionnaires si on les considère à l’aune de certaines
législations occidentales contemporaines notamment françaises, belges et
britanniques. Pour les défendre, il use principalement de ce que l’on peut
appeler l’argument de l’hétéronomie : tout ce qui, dans les biotechnologies,
peut restreindre l’autonomie doit être banni. Pour critiquer directement les
thèses de Habermas, il faut donc soit contester la valeur même du critère de
jugement, le respect de l’autonomie, soit montrer que certains des juge-
ments portés par Habermas dans L’avenir de la nature humaine n’usent pas cor-
rectement de ce critère et mènent en fait à d’autres conclusions.
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Ces trois ouvrages contribuent, chacun à sa manière, à présenter très
nettement les enjeux des débats normatifs (éthiques et législatifs) contem-
porains. Leur lecture parallèle et croisée fait apparaître très clairement les
grandes lignes de fracture qui clivent les débats bioéthiques actuels et qui
constituent autant de points d’une discussion toujours en cours.
Cyrille BÉGORRE-BRET.
(Université Paris X Nanterre ?)

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