Documente Academic
Documente Profesional
Documente Cultură
Philippe Amez-Droz*
La Suisse, pays de la diversité médiatique
1
Georgios Terzis, European Journalism Education, coll., Intellect (UK), 2009.
1
Les Cahiers du Journalisme – Article Philippe Amez-Droz : « La formation des journalistes en Suisse »
Zurich, soulignent les caractéristiques du marché suisse des médias (plus de 100
quotidiens et plus de 200 périodiques paraissant au moins 1 fois par semaine, plus
de 1'000 magazines spécialisés dans le secteur de la presse imprimée, un service
public de radio télévision offrant 23 programmes en 4 langues qui cohabite avec une
cinquantaine de radios privées locales ou régionales, le tout pour une population de
moins de 8 millions d’habitants).
2
Roger Blum, Die Schweiz als diversifizierter Spätzunder, Westdeutscher Verlag, pp.49-57, 2002.
3
Marek Szer, Journalismus Schweiz. Strategiekonzept zur Vereinheitlichung der Berufsbildung, Impressum,
Fribourg, 2007.
4
T. Hanitzsch and A. Müller, European Journalism Education, op. cit., p. 209.
2
Les Cahiers du Journalisme – Article Philippe Amez-Droz : « La formation des journalistes en Suisse »
Nouvelles filières académiques
Les universités ont, par étape et non sans une certaine réticence, pris pied dans la
formation en journalisme. L’Université de Fribourg proposa, de 1966 à 1998, un
diplôme en journalisme et communication. En 2008, l’Université de Neuchâtel, en
partenariat avec le CRFJ, a élaboré un programme de formation de niveau Master5 .
Le titre obtenu après deux années de formation est un Master of Arts (maîtrise
universitaire) en journalisme. L’Université de Genève propose depuis 2008
également une filière en journalisme dans le Master en information, communication
et médias créé en 1999 (cf. l’interview du Professeur Uli Windisch). Le titre obtenu
après deux ans de formation est un Master of Arts (maîtrise universitaire) en
sciences de la communication et des médias, avec une mention spécifique pour la
filière en journalisme.
L’association faîtière des éditeurs suisses, Presse Suisse, définit quant à elle ainsi le
droit d’accès à « sa » carte de presse : « Toute personne qui travaille à titre principal
5
Académie du journalisme et des médias (AJM), site : www2.unine.ch/ajm
6
Source : Impressum, lien : http://www.impressum.ch/impressum/fr/ethique.html
3
Les Cahiers du Journalisme – Article Philippe Amez-Droz : « La formation des journalistes en Suisse »
dans le domaine rédactionnel et qui bénéficie d’un rapport de collaboration
permanent avec un membre de l’Association Presse Suisse peut demander la carte
de presse. Le droit à la carte doit être confirmé par la rédaction en chef sur le
formulaire de demande. »7
La carte de presse attribuée par Presse Suisse, loin de faire l’unanimité, serait plutôt
au cœur d’une polémique. Proposée dès 2006, elle venait concurrencer la carte de
presse « historique » remise par l’organisation faîtière de journalistes, Impressum8,
alliée au syndicat suisse des médias Comedia9. Le journaliste Christian Campiche
relevait dans le quotidien La Liberté du 21 février 2006 les dimensions économique
et politique de cette « guerre des cartes »:
« La carte de Presse Suisse coûte 80 francs par année et accorde à ses
bénéficiaires des réductions de prix auprès de trois entreprises (…).. En
comparaison, la carte de presse d’Impressum coûte en moyenne 350 francs.
Garante d’une formation ou d’une expérience professionnelle correspondant aux
critères définis par la Déclaration des devoirs et des droits du journaliste, elle est aux
gens de la profession ce que le triple A est aux employés de banque. Mais les
avantages que les entreprises accordent aux titulaires de la carte se sont réduits au
fil du temps, même si les associations ont trouvé de nouvelles prestations pour leurs
membres. Quant à celle distribuée par Comedia, elle vaut encore plus cher : 650
francs. Le résultat est patent : outre-Sarine, 500 journalistes, soit près de 10% de
l’effectif d’Impressum, sont déjà détenteurs de la carte de Presse Suisse. »
7
Source : Presse Suisse, lien : http://www.pressesuisse.ch/article/Carte-de-presse.html
8
Impressum, les journalistes suisses. Site : http://www.impressum.ch/impressum/fr.html
9
Comedia, le syndicat suisse des médias. Site : http://www.comedia.ch/fr.html
4
Les Cahiers du Journalisme – Article Philippe Amez-Droz : « La formation des journalistes en Suisse »
Pierre-Henri Badel, secrétaire central auprès de l’Association suisse des journalistes
spécialisés (AJS)10, qui compte plus de 1'000 membres, rappelle l’existence d’une
carte de presse spécifique à l’AJS. « Si l’on regroupe les cartes d’Impressum, du
Syndicat suisse des mass media11 et de Comedia en un même groupe de carte de
presse qui répond aux critères d’application d’une convention collective de travail, la
fameuse CCT, celle de notre association, l’AJS, celle de CH-Media 12, association
issue d’une scission d’avec Impressum, et enfin la carte de Presse Suisse, cela fait
plus de 4 cartes de presse rien que pour la Suisse ! »
10
Association suisse des journalistes spécialisés, AJS. Site : http://www.sfj-ajs.ch/
11
Syndicat suisse des mass media, SSM. Site : http://www.ssm-site.ch/fr/
12
CH-Media, Association indépendante des journalistes suisses. Site : http://www.ch-media.ch/
13
Source : Centre Romand de Formation des Journalistes, CRFJ, http://www.crfj.ch/public/imp_page1.php
5
Les Cahiers du Journalisme – Article Philippe Amez-Droz : « La formation des journalistes en Suisse »
En analysant les données recueillies auprès de l’Office fédéral de la statistique, à
l’occasion des recensements fédéraux de la population effectués tous les dix ans, et
lors du recensement des entreprises en 2008, la recherche du nombre de
journalistes actifs le plus proche possible de la réalité, journalistes inscrits ou non au
registre professionnel, un « paysage journalistique suisse » se dessine à l’aide de
plusieurs sources de données.
Le recensement fédéral des entreprises 200815 permet de recouper ces chiffres par
un autre biais : le nombre d’emplois recensés par unités institutionnelles (ou
entreprises) à travers quatre catégories: Edition de journaux (174 unités, 8'694
emplois) ; édition de revues et périodiques (339 unités, 3'572 emplois) ; édition et
diffusion de programmes radio (39 unités, 1'033 emplois) ; programmation de
télévision et télédiffusion (41 unités, 5'947 emplois). Soit un total de 19'246 emplois
dans le segment des médias dont 50% (9'623) au moins, selon une déclaration
recueillie auprès d’un responsable de l’Office fédéral de la statistique, ne sont pas
des journalistes.
14
Source 1, Office fédéral de la statistique, lien :
http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/de/index/themen/16/04/key/approche_globale.Document.79107.xls
15
Source 2, Office fédéral de la statistique, lien :
http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/dienstleistungen/geostenat/datenbeschreibung/eidgenoessische
_betriebszaehlung2.Document.126411.xls
6
Les Cahiers du Journalisme – Article Philippe Amez-Droz : « La formation des journalistes en Suisse »
Le nombre de journalistes actifs en Suisse oscille donc probablement entre 7'521
(nombre de titulaires en 2010 de l’une des 4 cartes de presse existantes) et 10'597
(nombre de « journalistes, rédacteurs » recensés en 2000). Le chiffre « moyen » de
8 à 9'000 journalistes actifs peut être considéré comme vraisemblable même si la
recherche souligne d’une part que les milieux associatifs et professionnels suisses
sont en désaccord sur les conditions d’attribution de la carte de presse, et donc de la
définition stricte de la profession de journaliste, et d’autre part que l’Office fédéral de
la statistique ne définit pas non plus strictement la profession de journaliste.
Le rapport d’activité 2009 du CRFJ fait apparaître une chute brutale du nombre de
journalistes stagiaires (59 en 2009 contre 85 en 2008), liée en particulier à la baisse
du nombre de stagiaires issus de la presse écrite (34 contre 56 pour la période
précédente). Les indicateurs statistiques du CRFJ, pour une période allant de 1995 à
2009, montrent que le nombre de certificats de fin de stage et inscriptions au registre
professionnel (après deux années de formation) fluctue sensiblement : de 51 en
1995 à 81 en 2009, en passant par un pic de 118 en 2002. Le chiffre médian de
certificats de fin de stage sur une période d’observation de quinze années est de 78.
L’âge moyen des stagiaires était de 29 ans en 2009 et la répartition hommes/femmes
était de 44/55%.
7
Les Cahiers du Journalisme – Article Philippe Amez-Droz : « La formation des journalistes en Suisse »
79%, étaient porteurs d’un titre de niveau Bachelor ou Master. A titre comparatif,
cette proportion d’universitaires gradués s’élevait à 58% en 1989 et à 67% en 1999.
La création d’un Master en journalisme répond ainsi tout à la fois à une évolution
sociologique et à une attente des milieux professionnels : l’acquisition de
compétences tant théoriques que pratiques, notamment en matière de nouvelles
technologies de la communication et de l’information, s’effectue depuis 2008 dans un
cadre académique avec la participation d’enseignants « praticiens », issus de la
profession. L’obtention de la carte de presse d’Impressum est raccourcie d’une
année pour les diplômés de l’Académie du journalisme de l’Université de Neuchâtel,
qui ont effectué 16 semaines de stage en entreprise (source : article 5 de la
convention-cadre AJM-CRFJ) et dès lors qu’ils peuvent légitimer d’une activité
professionnelle dans un média reconnu durant au moins une année (source :
Impressum).
8
Les Cahiers du Journalisme – Article Philippe Amez-Droz : « La formation des journalistes en Suisse »
De nouveaux acteurs économiques, en particulier les titres gratuits et les
fournisseurs de contenus informatifs plurimedia, comme Largeur.com16, magazine
diffusé exclusivement sur Internet fondé en 1999, ont créé des places de travail pour
des journalistes ou des rédacteurs.
16
Largeur.com. Lien : http://largeur.com/?page_id=2876
17
Annales 2010, « Qualité des médias – Schweiz Suisse Svizzera ». Lien : www.qualitaet-der-medien.ch
18
REMP Recherches et études des médias publicitaires. Lien statistiques Mach Basic 2010-2 :
http://www.wemf.ch/fr/mitteilungen/news/mach_publikation.php
9
Les Cahiers du Journalisme – Article Philippe Amez-Droz : « La formation des journalistes en Suisse »
concept ouvert aux interprétations idéologiques, en particulier si elles s’inspirent
essentiellement de l’Aufklärung cher à Habermas.
Les moyens mis à disposition de cette formation, durant les décennies écoulées, ont
toujours été modestes, voire négligeables en rapport aux dépenses consenties pour
l’évolution des supports ou le développement marketing. Le groupe de presse
Ringier, à Zurich, a fait preuve d’une vision remarquable en créant, en 1974, la
Ringier Journalism School, instrument « maison » de formation favorisant un certain
esprit d’entreprise et offrant de multiples cours pratiques et théoriques dont l’histoire
des médias ou le droit des médias.
10
Les Cahiers du Journalisme – Article Philippe Amez-Droz : « La formation des journalistes en Suisse »
secrétaire central d’Impressum, avait formulé en 2007 une réforme radicale du
système de formation du journalisme en Suisse (...) dans le but d’une
reconnaissance formelle et officielle de la profession selon des critères de qualité et
de contrôle. »19 En 2010, Szer ne travaille plus chez Impressum et, comme le
relèvent Hanitzsch et Müller, ses propositions n’avaient pas fait l’unanimité, loin s’en
faut, en particulier auprès des éditeurs et des écoles de journalisme existantes (MAZ
et CRFJ) qui les avaient perçues comme une remise en question de leur position
dominante. Qu’il s’agisse de « qualité des médias » ou de « qualité de la formation
en journalisme », le parcours est semé d’embûches multiples et variées.
Encadré 1
Sylvia Egli von Matt : « Je vois trois aspects principaux. Tout d'abord, toutes les
institutions de formation intègrent le multimédia dans leur cursus. Tous les diplômés
doivent avoir une compréhension de l’ensemble des médias et pouvoir au moins
exercer professionnellement dans deux médias.
19
T. Hanitzsch et A. Müller, The Swiss Journalism Education Landscape, in European Journalism Education,
op.cit., pp. 214-215.
11
Les Cahiers du Journalisme – Article Philippe Amez-Droz : « La formation des journalistes en Suisse »
Pour cette raison, l’écart entre la transmission des bases du journalisme - recherche,
analyse, compétences linguistiques et d’expression, droit et éthique - et exercice des
nouveaux médias et formats médiatiques tend à se creuser. Il y a plus à enseigner et
à apprendre aujourd'hui qu'autrefois, sans que la durée de formation ne puisse être
allongée. Au contraire, il y a une pression perceptible dans le sens d’un
raccourcissement de celle-ci.
Sylvia Egli von Matt : « Nous avons tout d’abord conçu notre formation de diplôme
en deux ans, en cours d’emploi. Elle est associée à un stage, totalement orienté
multimédia. Le travail de diplôme doit être « bi-media ».
12
Les Cahiers du Journalisme – Article Philippe Amez-Droz : « La formation des journalistes en Suisse »
Le master en cours d’emploi New Media Journalism , offert conjointement par le MAZ
à Lucerne, l'Université de Leipzig, la MediaSchool de Hambourg et le Conseil
autrichien de formation des journalistes, s'adresse quant à lui à des professionnels
expérimentés des médias.
Sylvia Egli von Matt : « En Suisse allemande, les différentes offres de formation
fonctionnent ensemble, de manière complémentaire. Chacune d’entre elles a un
profil clair et distinct. Le MAZ est toujours considéré comme la principale institution
de formation en journalisme. Elle est clairement orientée sur le journalisme.
D’ailleurs, depuis 2003 le MAZ est appelé MAZ – Die Schweizer Journalistenschule
(L’Ecole suisse de journalisme).
13
Les Cahiers du Journalisme – Article Philippe Amez-Droz : « La formation des journalistes en Suisse »
Site Internet : www.maz.ch (en allemand). Présentation de synthèse en anglais:
http://www.maz.ch/service/maz_english.pdf)
Encadré 2 :
Professeur Uli Windisch : « Paradoxalement, nous avions relevé dans les années
90 un sous-développement des sciences humaines et sociales en Suisse et leur
arrivée tardive dans les universités, par comparaison avec leur développement aux
Etats-Unis et en Europe. Il y avait aussi un retard encore plus marqué dans les
sciences de la communication et des médias, à fortiori en journalisme. Il n’existait
pas d’ailleurs de formation complète universitaire, au niveau du Bachelor, du Master,
et encore moins au niveau doctoral dans ces domaines. C’est ce sous-
développement qui est à la base de la création du Master (à l’époque : DEA) en
sciences de la communication et des médias en 1999. Le succès a été immédiat et
très important. La contrepartie du sous-développement de l’époque est que les
étudiants qui sortent de notre filière de formation trouvent aisément du travail. Nous
avons opté volontairement et stratégiquement pour le degré Master et pas celui du
Bachelor, ce qui a contribué à permettre à des étudiants de filières multiples
14
Les Cahiers du Journalisme – Article Philippe Amez-Droz : « La formation des journalistes en Suisse »
d’accéder à une offre de formation caractérisée elle-même par son aspect
multidisciplinaire mais aussi pratique. Cette « marque de fabrique », que nous avons
également appliquée à la filière en journalisme, est de réunir praticiens issus du
monde professionnel et professeurs invités pour tisser un réseau tout à la fois
national et international, académique et professionnalisant. En 2008, le besoin d’une
formation universitaire spécifique au journalisme s’est imposé pour répondre à
l’évolution des nouvelles technologies de l’information, faisant appel à de nouveaux
savoirs et à de nouvelles compétences. La formation professionnelle traditionnelle,
soit neuf semaines réparties sur les deux ans de stage en entreprise pour obtenir le
certificat de capacité, ne suffisait plus. Des conditions favorables ont été réunies à
l’Université de Genève pour proposer, en collaboration avec des universités et
écoles de journalisme à l’étranger et avec des entreprises de médias établies en
Suisse, un programme de formation ad hoc, couvrant les disciplines, connaissances
et techniques spécifiques à l’exercice du métier de journaliste. »
Professeur Uli Windisch : « Non. Il s’avère après deux années complètes de notre
filière en journalisme que des étudiants bien formés pendant deux ans et disposant
d’un Master de 120 crédits issus de travaux tant académiques que pratiques,
incluant un ou deux stages en entreprise, trouvent aisément du travail et qu’ils sont
même recherchés. Nombre de celle et ceux qui ont effectué un stage en entreprise
se sont vus proposer un premier emploi, en particulier si l’employeur a pu apprécier
leur polyvalence et capacité d’adaptation. Une solide formation académique
complétée d’une initiation pratique et professionnelle en cours d’étude constitue, à
mes yeux, l’une de nos réussites les plus gratifiantes. La morale de l’histoire : pour
des étudiants bien formés et déterminés, il y a de la place dans le monde du
journalisme et de la communication en général, indépendamment de la conjoncture
et encore plus lorsque les anciennes structures sont en pleine mutation ! »
15
Les Cahiers du Journalisme – Article Philippe Amez-Droz : « La formation des journalistes en Suisse »
Professeur Uli Windisch : « C’est une crainte sans fondement. Nous avons relevé
le défi, au sein de la Faculté des sciences économiques et sociales de l’Université de
Genève, de conjuguer une formation académique interdisciplinaire approfondie et
une formation dispensée par un grand nombre de praticiens, parmi lesquels
beaucoup de personnalités de référence. Cette conjugaison constitue bien un atout
indéniable pour les étudiants issus de notre filière. Elle dément aussi l’image d’une
formation universitaire qui ne serait que théorique, sociologique, ou coupée des
réalités du monde du travail. Nous avons déjà pris un rythme de croisière avec une
équipe forte et prometteuse. »
32'000 caractères
16
Les Cahiers du Journalisme – Article Philippe Amez-Droz : « La formation des journalistes en Suisse »