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SOUS LE BANDEAU Ulrich Xavier Ovono Ondoua

Ulrich Xavier Ovono Ondoua


DE THÉMIS, LES LARMES Licence accordée à ELIOT EVANS MOUELLE SOPPO semouelle@hotmail.com - ip:41.202.207.13

Panser et repenser la justice camerounaise


La justice va-t-elle bien au Cameroun ? La réponse est mitigée. Il faut
crever l’abcès en pointant du doigt l’origine du malaise. La corruption
n’est pas la cause, elle est la face visible de l’iceberg, la conséquence SOUS LE BANDEAU
d’un système, sans doute justifié par les éléments de contexte d’antan,
mais qui a perdu toute crédibilité au fil de l’évolution et des
réalités socio-structurelles.
DE THÉMIS, LES LARMES
Ce système s’étiole graduellement et mérite d’être repensé. Il ne sert Panser et repenser la justice camerounaise
à rien de le maintenir en état, simplement par habitude. Il n’y a aucun
mal à questionner la pertinence des modèles en vigueur. Dans certains
pays, il est de coutume d’envisager une révision générale des politiques

SOUS LE BANDEAU DE THÉMIS, LES LARMES


publiques, non pas pour démontrer l’échec des dirigeants, mais pour
effectuer une évaluation critique, destinée à insuffler une nouvelle
dynamique.

L’auteur, jeune magistrat du premier grade, analyse la perception


négative de la justice camerounaise. Son regard de l’intérieur lui
permet de relayer les récriminations sourdes, enfouies par crainte
de représailles des hautes autorités judiciaires. Il met également en
évidence les griefs imputés aux acteurs de la justice. Il propose enfin
des solutions pour redonner à la justice sa grandeur. Pour lui, il faut que
le pouvoir judiciaire soit pleinement indépendant. Cela passerait par
l’amenuisement de la présence et des influences du pouvoir exécutif
dans la vie judiciaire.

Ulrich Xavier Ovono Ondoua, est magistrat du 1er grade.


Major de la promotion « Justice et intégration régionale » de
l’ENAM au Cameroun, il est diplômé en Management et
Administration Publique de l’ENA de France, Promotion Louis
Pasteur. Il est également titulaire d’un Master en administration
publique spécialisée, option finances publiques, obtenu
à l’Université de Strasbourg, où il poursuit des études de
doctorat en droit public.

Illustration de couverture : vecteezy.com


POINTS DE VUE
ISBN : 978-2-343-18673-3
17,50 e
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SOUS LE BANDEAU DE
THEMIS, LES LARMES
Panser et repenser la justice
camerounaise
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Points de vue
dirigée par Denis Pryen

Déjà parus

André Mbeng, Tribalisme, idéologie et jeu politique au


Cameroun de 1951 à 2018, septembre 2019
Jean-Claude Shanda Tonme, Journal d'un citoyen
ordinaire dans une république extraordinaire, Mémoire
du temps présent, septembre 2019.
Raoul Nkuitchou Nkouatchet, Le Cameroun contre sa
diaspora, août 2019.
Ngagne Fall, Sénégal la presse sous Macky Sall,
démocratie en péril, juillet 2019.
Stéphane Engueleguele, Gouverner l'urgence politique
camerounaise, juin 2019.
Rameau d'Olivier Kodio, Dire le Tchad, Réflexion sur un
pays embourbé, juin 2019.
Clotaire Saulet Surungba, République centrafricaine : la
parenthèse Séléka, Chronique d'une coalition d'obédience
musulmane au pouvoir, mai 2019
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Ulrich Xavier OVONO ONDOUA

SOUS LE BANDEAU DE
THEMIS, LES LARMES
Panser et repenser la justice
camerounaise
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© L’Harmattan, 2019
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com

ISBN: 978-2-343-18673-3
EAN: 9782343186733
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« Le rassurant de l’équilibre, c’est que rien ne bouge. Le vrai


de l’équilibre c’est qu’il suffit d’un souffle Pour tout faire
bouger »
Julien Graacq, Le rivage des Syrtes

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Dédicace

A mon père, humilié un jour par un


magistrat…
A ma mère partie trop tôt
A Monseigneur Benoit Bala, d’heureuse
mémoire

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Remerciements

Je tiens à remercier Dieu tout puissant qui soutient la


fragilité de mes pas et maintient son regard de miséricorde
sur mon âme en quête de sens.
Je remercie également mon épouse Marie Claude, ma
muse, mon étincelle, mon éternel soleil, qui supporte l’être
que je suis, accompagne et encourage chacun de mes petits
pas, au nom des valeurs auxquelles nous croyons.
Je remercie mes enfants, Maud Anaëlle et Ethan Joseph,
qui liront un jour ces quelques lignes, pour leur sourire et
leur affection candides, qui me donnent des ailes, du zèle
et du courage pour tout affronter, dans le but de leur léguer
un nom, dont ils pourront éternellement être fiers.
Je remercie mon compagnon de toujours, mon illustre,
distingué et très estimé collègue, frère et ami, TENGUENE
Charles, qui a illuminé ce livre de son regard d’expert,
corrigeant dans le moindre détail, les virgules et
espacements que ma myopie littéraire, prendra du temps à
percevoir.
Dans la même veine, je remercie tous les collègues qui
se reconnaitront, ainsi que tous les amis, qui ont lu cet
ouvrage et m’ont encouragé à le publier.

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Avant-propos

En 1997, j’avais 11 ans, lorsque j’accompagnais mon


père à une audience au Tribunal d’instance d’Ebolowa,
couvrant alors le département de la vallée du Ntem, d’où
je suis administrativement originaire1. Mon père y avait
introduit une action en exhumation de la dépouille de son
épouse légitime, ma mère, enlevée par mes oncles, et
inhumée contre son gré, au village de mon grand-père
maternel. Il faut préciser au passage que cet enlèvement a
été suivi de vifs affrontements qui ont laissé en nous, ses
enfants, spectateurs désœuvrés, des séquelles éternelles.
Rendus au cabinet du magistrat chargé d’instruire
l’affaire consécutivement au dépôt de la plainte, mon père,
compte tenu de l’exiguïté du bureau, m’a demandé
d’attendre à l’extérieur. Il est entré et y a été rejoint
quelques instants après par mes oncles maternels. Moins
de trente minutes après son entrée, mon père est ressorti
du bureau furieux et pleurant abondamment. Il m’a fait
signe de le suivre. Nous avons marché jusqu’à la gare

1 J’emploie la formulation « administrativement originaire »


pour la simple raison qu’à la réalité, mon grand - père paternel,
est de coutume sawa. N’ayant pas reconnu mon père, ce dernier
a vécu avec ses oncles maternels, de coutume Fong, originaires
de Zoétélé, qui se sont établis dans la vallée du Ntem, pour
commercer aisément en Guinée Equatoriale. Mon rattachement
au département de la vallée du Ntem est donc la conséquence de
cette présence physique, dans une circonscription administrative
qui n’est point celle de mes ancêtres dans la ligne patriarcale. Du
reste, ma mère est bien originaire du département de la Vallée
du Ntem.

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routière où nous nous sommes assis en silence, attendant


le chargement du bus qui nous ramenait à Yaoundé.
J’étais paniqué et terrifié. Je n’avais jamais vu mon père
pleurer. Même devant la dépouille de ma mère, il était resté
digne. Que s’était-il passé dans le bureau de ce magistrat ?
J’avais hâte de le savoir. Mais, je n’osais poser la question
à mon père, encore sous le choc.
Une fois dans le bus, j’ai pris mon courage et lui ai posé
la question de savoir ce qui le mettait dans cet état. Il a
balbutié quelques mots puis, s’est décidé à se confier. J’ai
alors appris que le magistrat en question, après avoir
récupéré les pièces en original (témoignages écrits) que
mon père avait collectées, les a détruites et a ajouté, que
mon père pouvait aller se plaindre où il voulait. Et toutes
ces remontrances, avaient été faites par ce magistrat,
visiblement sensibilisé ou intéressé, en présence des mis en
cause, qui se gargarisaient et narguaient mon pauvre père,
veuf depuis quelques semaines, et humilié par les autorités
de l’Etat, censées lui donner le sentiment que sa peine était
comprise. C’était insoutenable de voir mon père sangloter.
Il est décédé trois années plus tard à la suite d’une grande
détresse émotionnelle. Le peu de temps qu’il vécut, il
n’avait qu’un souci : nous couper définitivement de notre
famille maternelle. Il avait agi sans doute par orgueil, mais
c’était son droit le plus absolu. Je le pense encore
aujourd’hui. Nous avons donc grandi, privés de notre
famille maternelle, ce qui nous a causé un réel déséquilibre
affectif…
Ce magistrat était – il informé des dégâts de son acte ?
Je me le demande encore aujourd’hui.
Dix-sept ans après ces évènements douloureux
d’Ebolowa, je suis devenu magistrat, avec le secours de la
grâce et selon le vœu de mon père. Le contact avec cette
profession m’a permis de me rendre compte que la mission

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confiée par mon père n’était pas de tout repos. Il faut


exister dans un monde où mes souvenirs personnels se
confrontent très souvent à un environnement hostile à
toute volonté d’entreprendre autrement. La logique est
donc simple, soit on se laisse modeler, soit on résiste en
attendant d’être broyé. Il y a des risques que je me fasse
broyer dès la parution de ce livre.
Néanmoins, j’ai décidé d’écrire. Non pour affirmer ma
pureté ou pour montrer patte blanche, mais simplement
pour restituer à la conscience collective le feu qui brûle au-
dedans de moi.
Je suis magistrat du premier grade au moment où j’écris
ce livre. Je suis donc « une tête d’ananas », dans la vaste
plantation judiciaire. Ici, la règle est connue. Les têtes
d’ananas ne pensent pas. Elles exécutent. Lorsqu’elles
pensent, ainsi que le soulignait un illustre ainé décédé,
« leur avenir est prometteur. Elles iront loin, très loin, jusqu’à
Mora, Tignère, Bengbis, Djoum ».
J’ai donc une vue approximative de ce que pourrait
devenir ma carrière dès la publication de ce livre. Mais,
comme Olivier SABY, Magistrat de l’ordre administratif,
de nationalité française, qui osa écrire « Promotion Ubu
Roi », je pense qu’il y a des choses qu’on ne doit plus passer
sous silence, surtout lorsqu’il s’agit d’un secret de
polichinelle. Peut – être tout ne va pas si bien parce qu’on
a perdu une certaine culture des martyrs, des hérauts qui
meurent pour annoncer le printemps, au lendemain
d’hivers rudes. En ai-je la trempe ? Je n’en sais rien. Mais je
suis convaincu qu’il n’existe aucun rivage que la volonté
d’entreprendre ne peut atteindre.
La justice va – t – elle bien dans mon pays ? La réponse
est mitigée. Pour ma part, loin des sémantiques sur les
questions de perception, il faut crever l’abcès en pointant
du doigt l’origine du malaise. Je le dis tout de suite, la

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corruption n’est pas la cause, elle est la face visible de


l’iceberg, la conséquence d’un système, sans doute justifié
par les éléments de contexte d’antan, mais dont la
pertinence s’érode au fil de l’évolution et des réalités socio
- structurelles. Ce système qui s’étiole graduellement
mérite d’être repensé. Il ne sert à rien de le maintenir en
l’état, simplement parce « qu’on a toujours fait comme ça ». Il
n’y a aucun mal à s’arrêter pour questionner l’efficacité du
modèle en vigueur. Dans certains pays, il est de coutume
d’envisager une révision générale des politiques
publiques, non pas pour démontrer l’échec des dirigeants,
mais pour effectuer une évaluation critique, destinée à
insuffler une nouvelle dynamique.
Le fait de maintenir le système en l’état, avec cette
discipline martiale, ne semble pas favoriser l’éclosion d’un
système socio – professionnel agréable. Je souligne au
passage que la discipline ne doit pas s’apparenter à
l’intimidation. La discipline, pour être efficace, doit être
acceptée, assimilée positivement. Elle ne doit pas être
subie. L’hypocrisie endémique qui pousse jusqu’à la
couardise, amène les responsables de l’encadrement
dirigeant, généralement au contact des responsables
intermédiaires pas toujours très sincères, à vivre
déconnectés de la réalité du terrain.
Pour preuve, alors que la grogne monte des juridictions
sur le plafonnement des émoluments et primes de
rendement des magistrats, greffiers et contractuels de la
justice, on ne manque pas de dérouler le tapis rouge à
chaque visite d’un haut responsable du ministère de la
justice dans une juridiction : bien évidemment, il faut lui
épargner de subir la contemplation de la réalité plus que
spartiate du terrain. Et la voilà, notre hiérarchie, qui ignore,
je me veux aimable en le disant, que ce buffet offert, est le
fruit d’une ablation financière, forcée, opérée derechef sur
le compte presque toujours en débet, des personnels de

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justice auprès du greffier en chef. Plus surprenant est


cependant le bonheur affiché des collègues qui, assis non
loin de la table du haut magistrat, grommellent, proférant
sournoisement des jurons de tout genre contre leur visiteur
si hypocritement courtisé.
Mais le tableau le plus hilarant reste celui de
l’installation des chefs de juridiction nouvellement
nommés. Pour l’organisation de cette cérémonie, l’on fixe
unilatéralement un montant à collecter auprès des
magistrats et greffiers pour couvrir les dépenses qui
comprennent impérativement, outre le cocktail, la prise en
charge des chefs de cours d’appel en mission officielle, et
surtout leur enveloppe retour et leur « malle arrière ». Les
fonds collectés étant généralement insuffisants, des
commissions relations publiques sont créées pour aller à la
rencontre des opérateurs économiques et élites locales, afin
de susciter leur générosité en les invitant à contribuer pour
le succès de l’organisation de cette audience solennelle.
Voilà les magistrats transformés en agents de marketing et
l’on voudrait une totale impartialité lorsque ces élites sont
impliquées dans des procédures judiciaires.
Dans tous les cas, le greffier en chef, lui n’a d’autre choix
que de mettre les fonds à disposition pour l’accueil, la
restauration et l’installation du haut magistrat pourtant en
mission officielle, mais dont les frais d’hôtel seront
supportés par la manne retenue sans le consentement des
collègues.
Les sommes ainsi collectées étant avancées, le compte
greffe de la juridiction présente donc un écart d’écritures
qui peut exposer le greffier en chef à des poursuites. Dans
ces cas, le greffier en chef trinque seul. Ironie de l’histoire,
le procureur de la République, débiteur de cette caisse, doit
diligenter l’enquête. Drôle de justice dirait – on.

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En faisant le parcours de mon vécu de magistrat depuis


ma prise de service au parquet du tribunal de grande
instance du Moungo, je partage dans les lignes qui suivent,
mon regard sur la justice telle que je la vis.
Je vois déjà poindre la critique !
J’assume ma jeunesse dans le corps et confesse que
l’épaisseur de mon observation n’a pas la taille critique
pour faire autorité. Conscient de ce handicap, j’ai enrichi
mon regard, de discussions, d’échanges et d’entretiens
avec des magistrats, avocats, officiers ministériels et
universitaires de différents grades, occupant pour certains
des responsabilités significatives. Je ne révèlerai pas leurs
noms dans cet ouvrage. Mais je sais que nombre de
collègues, assis dans le silence de leurs bureaux, se
retrouveront dans les lignes qui suivent.
Le style est assez simpliste, et peut – être pas du goût
des puristes, mais je parle des faits, sans préjudice du
devoir de réserve.
Les articles 40 et 41 du Statut général de la fonction
publique posent le cadre de l’obligation de réserve et de
discrétion professionnelle du fonctionnaire. Ils énoncent
d’une part, que l’obligation de réserve consiste à ne point
exprimer publiquement ses opinions, politiques,
religieuses, philosophiques ou syndicales, et à s’abstenir de
servir en fonction de celles - ci. Il s’agit en réalité d’une
exigence de neutralité. D’autre part, traitant de la
discrétion professionnelle, il est fait défense au
fonctionnaire de divulguer les informations dont il a eu
connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de ses
fonctions.
Ce livre se veut être une analyse critique du système
judiciaire tel qu’il ressort des textes en vigueur et du vécu
en juridiction. Au demeurant, l’ambition étant d’alerter à
des fins préventives, pour éviter une implosion nationale,

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il semble que l’urgence soit du côté de la refondation de la


maison justice.
La ballade se déroule dans les murs de justice, dans les
unités de police judiciaire, les pénitenciers, dans les
cabinets d’officiers ministériels et d’avocats.
C’est donc comme qui dirait, une ballade de justice.

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Introduction

Lors des festivités marquant le cinquantenaire de


l’ENAM2, le Chef de l’Etat rappelait la mission de la justice
en ces termes : « la justice est la plus haute instance de
régulation sociale et la poutre maîtresse de la démocratie dans un
Etat de droit. Rendre justice est une noble mission, mais aussi
une lourde responsabilité. Ici c’est l’éthique et la déontologie qui
doivent servir de guides. Et la République, qui confie au
magistrat le soin de veiller au respect de la loi, ne saurait tolérer
des défaillances ».
Voilà posée, en des termes apparemment simples,
l’étendue de la mission du magistrat qui oscille, « entre le
divin et l’ordinaire », pour reprendre cette belle expression
du Docteur NYOBE NLEND Christophe, Chef de Division
de la Magistrature et des Greffes de l’ENAM.
La justice est donc une affaire sérieuse. C’est la raison
pour laquelle notre loi fondamentale en fait un pouvoir. On
parle du pouvoir judiciaire3. Les mots ont leur sens et leur
importance.
En France par exemple, l’on ne parle que de pouvoir
législatif et de pouvoir exécutif. S’agissant de la justice, on
parle d’autorité judiciaire. Le Cameroun est allé plus loin,
il parle de pouvoir judiciaire, indépendant et distinct des
pouvoirs exécutif et législatif. Ce pouvoir judiciaire est
incarné par la cour suprême, les cours d’appel et les
tribunaux. Au regard de cette consécration
constitutionnelle du pouvoir judiciaire, la tentation est

2 Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature


3 Article 37 et suivants de la Constitution du Cameroun.

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grande de conclure, que la question de l’indépendance de


la justice est réglée.
Il faut se garder des conclusions hâtives car, le Statut de
la magistrature recèle des scories dont l’énigme du passage
en grade n’est que l’écho le plus perceptible. Il en est de
même du régime disciplinaire du magistrat, dont
l’évanescent caractère pédagogique, fait craindre des
relents d’intimidation. Je choisis volontairement de ne
parler ici que du Statut de la magistrature car celle – ci étant
la tête de la justice, son fonctionnement conditionne celui
de l’institution toute entière.
Le peuple souverain a donné à la justice, au travers de
la loi fondamentale, les moyens de son indépendance. Le
système l’a enfermée dans un décret, acte de volonté du
pouvoir exécutif. Grande question tout de même, et la cour
suprême dans tout ça ? C’est bien elle le siège du pouvoir
judiciaire? Ne s’agit – il que d’une juridiction ? On est en
plein dans les contradictions de la justice. Mais elles ne
s’arrêtent pas là.
Lorsqu’on parle de pouvoir, on fait allusion à
l’indépendance, qualité essentielle sans laquelle l’exercice
du pouvoir devient un vœu pieu. La Constitution, tout
comme le Statut de la magistrature, rappelle que seuls « les
magistrats du siège ne relèvent dans leurs fonctions
juridictionnelles, que de la loi et de leur conscience ». Cette
formulation de la loi fondamentale et du décret portant
Statut de la magistrature appelle quelques observations.
Tout d’abord, elle exclut l’idée d’une indépendance des
magistrats du parquet qui sont régis par la subordination
hiérarchique. Pour ma part, il existe à côté de la
subordination hiérarchique, une indépendance du
magistrat du parquet. Elle s’exprime différemment, mais
elle existe. L’adage « la plume est serve et la parole est libre »,
est bien là pour le rappeler. La subordination hiérarchique,

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qui suppose l’obligation de rendre compte et l’exécution


des instructions reçues connait trois tempéraments.
Le premier est l’obligation de légalité des instructions
données par la hiérarchie. La jurisprudence « des
baïonnettes intelligentes », pose le principe selon lequel, le
respect d’un ordre manifestement illégal ne saurait
constituer pour son exécutant, une cause exonératoire de
responsabilité. Bien plus, l’article 39 alinéa 2 du Statut
général de la fonction publique dispose de façon
sentencieuse, que le fonctionnaire, sauf réquisition de
l’autorité compétente établie dans les formes et procédures
légales, « a le devoir de refuser d’exécuter un ordre
manifestement illégal et de nature à compromettre gravement
l’intérêt public ». C’est donc un devoir de refuser de se
rendre complice d’actes d’illégalité.
Tout le débat résidera dans l’appréciation de l’ordre
« manifestement » illégal car, entre l’ordre illégal et l’ordre
manifestement illégal, la frontière est ténue et donc sujette
à interprétation.
Le magistrat du parquet est donc libre, de refuser
d’exécuter une instruction manifestement illégale, quelle
que soit la qualité de l’autorité qui en a l’initiative, lorsque
celle – ci n’est pas écrite. Il sollicitera alors son
dessaisissement dans l’instruction du dossier concerné. Il
peut le faire en se fondant sur son serment, qui l’oblige à
rendre justice avec impartialité en appliquant les lois et
règlements du peuple de la République du Cameroun, car,
et il est important de le souligner, il n’existe pas un serment
de magistrat du parquet, différent de celui du magistrat du
siège. Tous ont le même serment.
Le deuxième tempérament, attaché à la liberté
d’opinion, consiste à présenter son point de vue à sa
hiérarchie dans le cadre de l’instruction d’un dossier ou
d’une affaire. Le magistrat du parquet doit donner à sa

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hiérarchie, la bonne information. Il ne doit pas tronquer les


faits pour favoriser une partie au détriment d’une autre,
même dans l’hypothèse où sa hiérarchie serait intéressée.
Il a le droit d’avoir une opinion individuelle, dès lors qu’à
l’analyse des faits et du droit, la solution proposée n’est
justifiable ni professionnellement, ni déontologiquement.
Le troisième tempérament est intimement lié à la liberté
de parole. C’est la possibilité offerte à un magistrat du
parquet, de se dissocier, par des réquisitions orales, des
instructions reçues de sa hiérarchie. Les seules obligations
qui lui incombent en pareille circonstance, sont de requérir
par écrit conformément aux instructions reçues et d’aviser
sa hiérarchie de ce qu’il entend se démarquer de celles – ci,
lors de son exposé oral.
Poursuivant l’analyse de cette disposition de la
Constitution reprise dans le Statut de la magistrature,
l’indépendance du magistrat du siège ne s’exerce que dans
la fonction de juger. Elle ne s’exerce donc que dans la
conduite d’un dossier de procédure. Ce qui suppose que le
magistrat du siège ne doit recevoir aucune instruction dans
son office de juge. La réalité sur le terrain est toute autre.
Pour ma part, l’indépendance est un état d’esprit. Mieux
encore, c’est un état d’esprit qu’il faut promouvoir chez les
magistrats dès la formation initiale et tout au long de la
carrière.
Lorsqu’on parle de justice, la tentation est grande de
parler du magistrat. Exactement comme avec la santé et le
médecin. Mais il n’y a pas que le magistrat. Il y a tous les
intervenants de la chaine de justice : officiers de police
judiciaire, personnels de l’administration pénitentiaire,
huissiers de justice, notaires, agents d’affaire, avocats,
contractuels, greffiers. Chaque maillon de cette chaine
subit la justice et en retour, comme dans une vendetta
mafia, l’assomme.

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Les multiples classements sur la perception de la justice


pêchent en ce qu’ils ne s’intéressent qu’à l’opinion des
justiciables. Il ne serait pas inintéressant de conduire des
enquêtes sur la satisfaction des acteurs de la chaine
judiciaire. J’en suis sûr, il y aura d’énormes surprises. La
première surprise sera le mutisme des personnels de
justice. Ce qui révèlera la frilosité ambiante et la peur d’un
retour hypothétique de la hiérarchie, informée
ultérieurement de la distanciation de son propos, avec les
habitudes de la maison. La seconde surprise, dans une
hypothèse beaucoup plus heureuse, permettra de souffrir
avec les gens de justice, du mal que leur cause leur séjour
dans les palais. Ils ont une opinion plus acerbe que les
justiciables interrogés.
C’est pourquoi j’ai choisi une démarche différente. J’ai
voulu dans un premier temps, relayer les murmures
d’intérieur, portés par les femmes et les hommes de justice.
Ensuite, je prends le parti de synthétiser, les principaux
griefs relevés contre la justice en les replaçant dans le
contexte actuel. Enfin, je propose des axes d’amélioration
possible pour refonder la justice et partant, restaurer la
confiance de nos concitoyens en leur justice.
En fait, le mal vient en grande partie, de la prégnance
du pouvoir exécutif sur la vie judiciaire. La phrase
assassine est lâchée, non pas à l’heure de Judas, mais les
lignes qui suivent vont expliciter mon propos qui se veut
illustratif.

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Première partie :

Mots à maux

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Chapitre 1

Murmures d’intérieur

 C’est ça ton bureau ?


Très élégant, le costume bien coupé, la barbe soignée,
une toilette rafraichissante, le sourire à la fois ravageur et
charmeur, le substitut du procureur X… descend de son
véhicule, l’allure seigneuriale. Il arpente le couloir qui le
conduit à son « cabinet ». A sa vue, des justiciables, le pas
alerte, lui cèdent le passage en prononçant, presqu’en
tremblotant, la phrase rituelle « mes respects monsieur le
procureur ». Se raclant la gorge pour se donner de la
contenance, il répond à cette salutation fort respectueuse,
en ajoutant avec sa grandiloquence habituelle, son célèbre
« vous allez bien ?», suivi immédiatement par une cohorte
de « ça va bien monsieur le procureur ».
Pour la circonstance, il est accompagné d’un camarade
de lycée, employé de banque, visiblement impressionné
par la majesté et le pouvoir de son camarade d’enfance,
devenu magistrat. En le regardant tourner, avec une pointe
de vantardise, la clé dans la serrure de cette porte faite avec
un bois douteux, il regrette presque le choix de sa
profession. Se tournant vers ces autres justiciables, il se sent
privilégié et jette avec dédain, un regard vers ces citoyens
en quête de justice. La magie se poursuit jusqu’à ce que
s’ouvre la porte de ce siège du pouvoir, le cabinet de son
ami, monsieur le procureur.
S’étalant sur à peine une dizaine de mètres carrés, le
cabinet du très rutilant substitut du procureur, rouleur de
mécanique à l’allure seigneuriale, comporte trois tables. En

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fait de cabinet, chaque table représente un cabinet. Sur


chacune des tables, se trouvent, dans un désordre
visiblement ordonné, des piles de dossiers. Sur un des
cabinets se trouve un ordinateur, sans doute la première
version test du fabricant. L’éclairage est caverneux et les
robes de magistrats sont exposées comme dans un
déballage dans un marché de week – end. Le mur fait des
boursouflures qui laissent entrevoir, une explosion
d’humidité qui amène immédiatement le visiteur à
éternuer. Son ami, le procureur, plutôt habitué, s’installe
sans « baisser la garde », demeurant sur un piédestal. A
croire que les facteurs d’ambiance sont psychologiques.
N’en pouvant plus de ce contraste, le pauvre camarade,
employé de banque s’écrie alors, à la fois amusé et dégoûté
« c’est ça ton bureau » ? Cette question décompose la mine
du procureur qui se sent obligé de sortir la phrase rituelle
« on les prend tel qu’on nous les donne ».
Les conditions d’installation des magistrats et greffiers
sont déplorables. La vétusté des bâtiments à laquelle vient
se greffer, dans certains cas, la promiscuité obligeant à
partager un espace de travail, constituent des facteurs de
démotivation important.
Dans une juridiction dont il semble indiqué de taire le
nom, tous les substituts du procureur de la République se
trouvent dans une pièce commune. Au-dessus de chacun
d’eux, figure une affichette indiquant leur ordre de
préséance. On imagine l’ambiance de travail, la réception
des usagers, les coups de fil personnels. Belle ambiance en
perspective et surtout la concentration lors de la rédaction
des dossiers. Et dire que le magistrat n’a pas le droit à
l’erreur.
Quel crédit accorderont les justiciables à cette
configuration unique et spéciale d’un parquet populeux ?
C’est sans doute un sujet d’hilarité. Malheureusement, la

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confiance des magistrats y prend un coup. La motivation


aussi.
Comme le dirait cet illustre ainé, on « est passé de la
justice de proximité à la justice de promiscuité ».

 Allô, j’ai besoin d’une voiture pour ramener les


détenus
Dans les parquets situés au chef-lieu d’une région, s’est
installée une pratique qui mérite un détour. Les
procédures des personnes déférées à la suite d’une enquête
de flagrance, sont présentées au procureur général près la
cour d’appel de céans. Sans doute, la criminalité urbaine
révèle des spécificités qui ne peuvent être réglées qu’à la
lumière d’un regard plus expérimenté que celui des
magistrats d’instance. Lorsque l’on sait que l’essentiel des
infractions repose sur le défaut de carte nationale
d’identité et la consommation de cannabis, on a la faiblesse
de penser qu’un procureur général est quelqu’un de
tellement occupé qu’il peut se passer de cet ennui. Au fait,
quelle différence y – a t – il entre le cannabis de Yaoundé et
celui de Djoum ? Ah oui, l’un est citadin et l’autre
villageois !
Ce détour par le parquet général a une conséquence
importante sur l’activité des agents de la police judiciaire
et ceux de l’administration pénitentiaire. Les dossiers
accompagnés des suspects sont transmis en général au plus
tard à 13 heures. Ils sont traités jusqu’à 15 heures, heure à
laquelle débute la conférence des déférés qui met en
moyenne 1 heure 30 minutes. Rendu à 16 h 30 minutes, le
secrétariat du procureur de la République finalise les actes
et transmet le document de travail qui fera l’objet de
discussion entre le procureur général et « son substitut
local », selon l’expression consacrée. Cette séance de travail
dure en moyenne une heure de temps. Il est donc 17 heures

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30 au mieux, souvent plus, lorsque les personnes déférées


au parquet sont notifiées des solutions retenues
relativement à leur affaire.
Pour mémoire, les procédures peuvent faire l’objet de
classement sans suite et les personnes immédiatement
libérées. Elles peuvent donner lieu à l’ouverture des
poursuites en procédure de flagrance, ou par la voie de
l’information judiciaire. Un complément d’enquête peut
également être ordonné. Dans ce cas, les mis en cause
retournent à l’unité enquêtrice pour l’accomplissement des
diligences prescrites. La décision retenue est généralement
notifiée à la tombée de la nuit. Il se pose donc la question
de leur conduite à la destination retenue. Le magistrat du
parquet se livre donc à un jeu de supplication assez
hilarant. Lui, le chef des officiers de police judiciaire et des
agents de l’administration pénitentiaire, engage la ronde
des auxiliaires disponibles et compréhensifs.
- Allô commissa4
- Mes respects PR5
- La situation est comment là-bas ?
- PR c’est calme
- Ah okay… Commissa notre moyen là est disponible ?
- PR c’est un peu dur, le carburant veut nous tuer
- Commissa c’est dur partout. L’aiguille est déjà trop en
bas ?
- Ça peut arriver au parquet mais vraiment ça ne peut
pas revenir.

4 Diminutif de commissaire de police


5 Diminutif de procureur de la République.

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- Bon envoie notre élément là, je vais lui donner 5.000 F


CFA pour trois jours
- Trois jours PR ? non ça ne peut pas donner.
- La voiture là consomme beaucoup comme ça ?
- Je vous jure PR. Mettez même 10.000 F CFA
- Envoie notre élément, on va se battre.
J’ai toujours adoré ces moments de négociation, ils
montrent en réalité qui est le vrai patron. Que ferait le
procureur avec les personnes mises en cause dans la
chambre de sûreté du parquet, si le « commissa » refusait de
lui envoyer son véhicule ? De quel recours effectif dispose
– t – il …
Plus intéressant encore, dans une ville dont je tais le
nom, la prison est située à quelques encablures du palais
de justice. Le soir, après les formalités relatives à la mise en
détention provisoire des personnes inculpées, le
fonctionnaire de police assurant la garde rapprochée du
procureur de la République, aligne, colonne par un,
comme on dit dans l’armée, les personnes à déposer au
pénitencier. Il appelle alors le régisseur de la prison, qui lui
envoie deux collaborateurs. Débute alors un spectacle fort
émouvant.
Le fonctionnaire de police, arme au poing, se tient à
l’avant, tandis que chacun des gardiens de prison, se tient
respectivement à l’arrière et sur le côté de la file. Direction
la prison. Je passe les détails sur la dignité des personnes
et la présomption d’innocence. Le plus saisissant reste les
familles qui se sentent entrainées par cette file qu’elles
suivent jusqu’au terme de ce curieux cortège. A coup de
paroles réconfortantes, de pleurs pour les femmes et
enfants voyant leur vie s’effondrer, bref, une séquence bien
gênante. Mais que faire ?

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Le pénitencier n’a qu’un camion dont l’entretien


défaillant conduit généralement à des pannes mécaniques.
Il faut trouver des moyens de substitution. Le procureur ne
peut pas détenir des citoyens ad vitam aeternam. S’il avait
au moins un moyen de locomotion, respectueux des droits
de l’homme, dédié à un tel transport …
 As-tu de l’encre pour imprimer ?
La porte entrouverte laisse découvrir une robe d’avocat
posée sur les épaules de maître un tel, réputé pour suivre
des dossiers toujours urgents.
- Madame la présidente, bonjour
- Bonjour maître !
- Je reviens devant vous au sujet du dossier de mon
client un tel dont la cause a été vidée à votre dernière
audience. Nous entendons relever appel de cette décision
et l’on nous a laissé entendre que la décision n’était pas
encore rédigée.
- Comment ça la décision n’est pas rédigée ? je l’ai
rédigée avant de vider le délibéré.
- Ce n’est pas ce qu’on nous a dit…
- Je vous arrête maître, appelez-moi le greffier, maître
un tel…
Quelques minutes plus tard, l’avocat et le greffier se
présentent devant la magistrate en question.
- Maître … où est le factum de la décision que je vous ai
remis aux fins de saisie depuis plus d’une semaine ?
- Madame la présidente, je n’ai pas dit à maître que vous
n’avez pas encore rédigé….
- Répondez à la question. Où est le factum ?
- J’ai déjà saisi, mais il n’y a pas d’encre pour imprimer.

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Ce sont des réalités qui doivent être dites. Parce que très
souvent, le procès est fait aux personnels de justice, de ne
pas assez travailler. Or, très peu d’administrations
publiques, travaillent avec autant d’acharnement que la
justice. Les palais de justice sont les seuls bâtiments publics
qui restent ouverts jusque tard dans la nuit. Les audiences
parfois s’achèvent à une heure du matin. Il n’est pas rare
d’y passer la nuit. Mais comment expliquer que cet
acharnement au travail, donne en bout de chaine, si peu de
résultats visibles ? Les problèmes de logistique
l’expliquent en partie. Pour le justiciable qui attend sa
décision, ce temps long ne peut s’expliquer que par une
attente du juge. Il se prépare donc à aller à sa rencontre. Ce
qui doit arriver, arrive. Le fonctionnaire de justice,
suffisamment sensibilisé par la dame aux tresses sur ce
billet de banque violet, va faire imprimer la décision dans
un secrétariat informatique privé.
Je m’interdis de relever la question des ordinateurs.
Chacun se débrouille comme il peut, avec sa machine
personnelle, souvent utilisée par ses enfants à la maison.
Quid donc de la confidentialité des dossiers. Bienvenue
dans le monde des fuites d’informations à l’heure des
réseaux sociaux. Comment remonter la chaine de la
diffusion sans ordinateur professionnel ?
 Je viens de rater mon grade
Le graal, j’ai bien dit le graal. Non je voulais parler du
grade. Encore que la frontière entre les deux est ténue.
A Monsieur le Ministre d’Etat, Ministre de la justice garde
des sceaux
Objet : Ma situation professionnelle
Monsieur le Ministre d’Etat,
Je viens de rater pour la quatrième fois l’accès au
troisième grade. Que je sache, je n’ai jamais fait l’objet d’une

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demande d’explications, d’un blâme ou d’une mesure


disciplinaire. N’ayant jamais été notifiée d’une quelconque
procédure disciplinaire, mais soupçonnant, au regard de la
récurrence de l’oubli de mon nom lors des promotions au grade,
qu’un dossier aurait été ficelé contre moi, je voudrais vous rendre
compte de ma disponibilité à me défendre des accusations
éventuelles, si elles existaient, qui pèseraient contre moi. J’en
appelle d’ailleurs à ma traduction devant le Conseil Supérieur de
la Magistrature pour en être au minimum informée, après quoi
je me défendrai…
Il faut du courage et un cran inouï pour envoyer cette
correspondance. A la réalité, il ne faut pas du courage, il
faut simplement être désespéré. C’est le cas de nombreux
magistrats, désespérés de ne pouvoir comprendre les
raisons qui justifient l’oubli de leur nom lors de la
promotion au grade.
Il me semble important de signaler à l’attention des
lecteurs, non magistrats, que le nombre de postes ouverts
pour un grade change chaque année en fonction des
« contraintes budgétaires ». C’est le ministre de la justice qui
en détermine le nombre par arrêté. Voilà sacrifiée, à l’autel
de la quête du grade, l’indépendance du magistrat.
Je m’interroge quand même à haute voix, les forces de
défense et de sécurité dont les changements de grade sont
connus à l’avance ne sont – elles pas soumises aux mêmes
contraintes budgétaires ? Je suis tenté de dire oui, mais ça
doit être plus compliqué que ça. Je suis encore jeune après
tout. Peut – être qu’un jour je comprendrai. Mais en l’état
je ne comprends rien, surtout quand on sait que le budget
n’est qu’affaire de prévision. Donc il suffit d’inscrire,
comme le font les forces de défense, le nombre de
personnes remplissant les conditions d’accès au grade
supérieur.

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S’agissant par exemple des fonctionnaires de police,


l’article 70 du décret n°2012/539 du 19 novembre 2012
portant Statut spécial du corps des fonctionnaires de la
Sûreté Nationale dispose que :
(1) Le fonctionnaire de la Sûreté Nationale peut bénéficier
d’un avancement d’échelon ou de grade en fonction de
l’ancienneté et de la notation.
(2) Il peut avancer d’échelon ou de grade à la suite d’une
récompense ou de l’obtention d’un Diplôme Technique de police.
(3) Pour bénéficier d’un avancement le fonctionnaire doit
justifier en plus des autres conditions statutaires, d’une note
professionnelle au moins égale à 13/20.
Dans la même veine, les Statuts de la magistrature du
Tchad et du Sénégal se rapprochent de ce mécanisme de
notation aux fins d’avancement du magistrat. Ils
systématisent tous les deux, le passage en grade des
magistrats ayant obtenu la note indiquée dans le Statut. Le
Tchad va plus loin en prévoyant, au-delà des conditions
d’ancienneté, la possibilité de surclasser un magistrat
ayant obtenu une note chiffrée supérieure à 17 / 20. La note
moyenne pour avancer en grade étant de 14 / 20.
Ce système plus transparent que celui de la
magistrature camerounaise, permet d’emblée de se fixer
sur son éligibilité au grade. Or, dans la justice l’arrêté
portant ouverture des grades pour une année, ne précise
d’aucune façon sur quelle base seront retenus les
candidats. Les notations des magistrats ainsi que nous le
verrons plus loin, n’étant pas chiffrées, il se trouve que le
choix des candidats se fera sur la base des jugements de
valeur, pas nécessairement de mauvaise foi, mais
manifestement intéressés pour une raison ou pour une
autre.

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Il convient de signaler que l’auditeur de justice diplômé


de l’ENAM est intégré dans le corps de la magistrature au
1er grade. Est éligible à passer d’un grade à l’autre, le
magistrat totalisant six années d’ancienneté au grade
précédent. Mais les cas des collègues totalisant 10 années
voire plus, au même grade, ont été recensés et ce, sans
qu’ils ne fassent l’objet de procédures disciplinaires. Ce qui
a souvent conduit à retrouver un ancien stagiaire,
supérieur hiérarchique de son maître de stage. Il faut en
plus aller chaque matin lui présenter les civilités : « mes
respects votre horreur, pardon votre honneur ».
Le conseil donné pour ne pas rater le grade, souvent
balancé à l’emporte-pièce comme le ferait une grand-mère
à sa petite fille allant en mariage, est de « se faire connaître
auprès de la hiérarchie ». Me faire connaître, mais comment ?
Je suis déjà connu, puisque je suis affecté dans une
juridiction à tel poste. Je suis évalué annuellement sur mes
performances professionnelles. Mes notices de notation
qui me sont retournées après approbation de la hiérarchie
sont plutôt satisfaisantes, parfois excellentes. Comment
dois-je encore me faire connaître ? Ah oui, j’avais
oublié…les civilités…aux chefs…

 Mes respects votre honneur


- Mes profonds respects votre honneur
- Jeune collègue, vous allez bien ?
- Je vais bien votre honneur
- On ne vous voit pas beaucoup par ici, c’est encore
quelle juridiction ?
- Je suis M/Mme … en service comme … au Tribunal de

- Ah collègue, ça se passe bien là-bas ?

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- Ça se passe bien votre honneur. Je passais présenter les


civilités votre honneur. En voyageant sur le trajet, j’ai vu
une vipère qui venait d’être tuée. Ce sont les mets des sages
et vous en êtes un. Je l’ai faite déposer à votre domicile
votre honneur.
- Olalalalalalala collègue ? il ne fallait pas. C’est très
gentil à vous.
- Non, votre honneur c’est plutôt un agréable devoir de
me rendre utile pour un parent tel que vous.
- Ah c’est gentil. Vous m’avez dit que vous vous
appelez encore comment ? Le grade c’est encore pour
quelle année ?
Loin de moi l’envie de rejeter l’idée qu’il faille aux ainés,
présenter des civilités d’usage. Cela participe de la
courtoisie et du réchauffement des rapports au sein de la
famille judiciaire. Mais, une fois encore, cela doit s’inscrire
dans une démarche volontaire, dépouillée de tout esprit
d’attente ou d’espérance. Encore que pour se faire
connaître de tous « les chefs » siégeant dans les instances de
délibération pour l’attribution du grade, avec à chaque fois
des présents, il faut disposer d’un budget conséquent. Où
trouver les moyens pour le faire ? Vous avez dit corruption
… Allons aux causes … ne traitons pas des conséquences.

 Il faut que j’aille à Yaoundé


Le balai observé à l’annonce de la tenue des sessions du
Conseil Supérieur de la Magistrature, sur les axes routiers
reliant les régions à la capitale Yaoundé est très révélateur
du malaise ambiant dans la justice.
En moyenne, le Chef de l’Etat préside une session du
Conseil Supérieur de la Magistrature tous les 2 ans. C’est
la grand-messe de la justice au cours de laquelle,

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nomination, affectation, intégration et promotion sont


décrétées. C’est donc à chaque fois, le moment où jamais,
toutes les cartes doivent être abattues pour une meilleure
situation. Il faut donc aller à Yaoundé, rencontrer ceux qui
décident.
Il parait que le choix se fait par vote à la Commission de
Classement des magistrats du parquet. Y prennent part,
outre les procureurs généraux, les directeurs en service à la
chancellerie. Chaque membre de la commission a ses
candidats dont il entend défendre l’attribution du grade.
Au Conseil Supérieur de la Magistrature on délibère. Sur
quelle base ? Bref, dans l’un et l’autre cas, il faut être connu
et soutenu.
Plus grave est l’attitude que je me garde de qualifier, de
certains collègues désireux soit de conserver un poste de
responsabilité, soit d’accéder à un poste valorisant. On a
quand même vu des magistrats d’un grade élevé
transporter des chaises lors de cérémonies privées, chez les
proches des décideurs de l’encadrement dirigeant. Et tout
cela, en interdisant aux magistrats du premier grade et aux
auditeurs de justice, de loin plus jeunes, de s’impliquer
dans ledit protocole.
Mais non distingué collègue ainé, cela ne se fait pas ! Ce
n’est pas un bon exemple pour les jeunes collègues !
Je pense que le magistrat ne doit être le valet de
personne. Le respect oui, mais pas l’obséquiosité.

 Vous avez convoqué le frère germain du Ministre


un tel ?

- Allô collègue, bonjour


- Bonjour M/Mme

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- Mais collègue vous ne connaissez pas le/la Directeur


/ Directrice … ?
- Ah désolé votre honneur, je n’avais pas reconnu votre
voix
- Ah okay, je m’interrogeais déjà
- Non votre honneur, je suis même gêné et pourtant
j’aurai dû deviner à votre voix que je n’ai jamais ouï, qu’il
s’agissait de vous, tant votre timbre est si particulier.
- Non ça va collègue, ça peut arriver à tout le monde.
- Merci votre honneur.
- Je vous appelle collègue parce que je me demande où
vous avez appris votre droit ? Comment osez – vous
convoquer un tel, frère germain du ministre un tel,
actuellement très en colère de cette convocation, pour des
affaires de succession ? le parquet a quoi à voir dans une
affaire de succession ?
- Votre honneur, il est convoqué en tant que plaignant
pour conforter ses déclarations.
- Ah okay, c’est lui le plaignant ?
- Tout à fait votre honneur.
- Veillez vraiment à ce que cette affaire soit tirée au clair.
Pas besoin de vous rappeler l’ordre public successoral qu’il
appartient au parquet de réguler.
- Je vous rendrai compte votre honneur.
Toujours un plaisir de voir comment changent les
postures en fonction de la qualité des parties. Qu’aurait fait
le collègue appelé, si le fameux frère était convoqué comme
mis en cause, aurait – il rappelé sa convocation ou outragé
le (la) collègue aîné (e) ?

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Oups je présente mes regrets, un cadet ne dit pas


collègue aîné, il donne son titre exact.
Comment dans ces conditions résister à la sollicitation
de ce (cette) Directeur/Directrice, surtout quand on sait
que cette personne fait partie du collège qui vote à la
commission d’attribution du grade ? Vous avez dit
indépendance ?

 GC, je veux un « avancement d’hoiries »


Je soussigné, M/Mme … magistrat (e) en service au Tribunal
de … reconnais avoir perçu la somme de … des mains du greffier
en chef. Je l’autorise en conséquence à procéder au recouvrement
de cette dette par déduction de mes émoluments à venir, jusqu’à
complet apurement.
C’est le rituel des magistrats. Le balai des
endettements chez le greffier en chef. Il faut que cela soit
su. Les magistrats camerounais ne sont pas bien
rémunérés.
Sorti de l’ENAM, je percevais la somme de 252.000 F
CFA après impôts. J’étais affecté au tribunal de grande
instance du Moungo où j’ai pris une maison de quatre
chambres, susceptible d’accueillir mon épouse, ma fille,
mes frères et sœurs restés comme moi, orphelins très
jeunes. Je passe le balai des dépenses ordinaires. En termes
de prime de rendement, vulgairement affublés du vocable
émoluments, je percevais 160.000 F CFA par trimestre ce
qui revenait à 40.000 F CFA par mois. Soit une moyenne de
292.000 F CFA mensuel. Comment gère t – on cette
somme ?
Il y a les dépenses incompressibles de loyer et des
charges y afférentes. Il faut s’alimenter, se soigner, se vêtir,
et envisager si possible, un weekend en famille. A quoi
s’ajoutent les sollicitations familiales nombreuses.

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Convaincus qu’ils sont, que les magistrats sont plein aux


as, les membres de la famille, à coup d’insistance, espèrent
des subsides en souvenir des bons soins à nous prodigués,
durant la période douloureuse de notre orphelinat. Il faut
dans certains cas réagir pour ne pas être taxés d’ingrats.
Nous connaissons tous ces difficultés. Il n’y a donc pas de
place pour l’épargne. En cas de maladie chronique, il faut
recourir à l’endettement. C’est le début d’un cycle
vertigineux et interminable. On s’endette pour rembourser
une dette.
La situation est devenue tendue, lorsqu’à la faveur
d’une décision du Procureur Général près la cour d’appel
du Littoral, prise en application de l’article 68 du Statut de
la magistrature, je dois rejoindre la ville de Douala pour
renforcer numériquement, les effectifs du parquet
d’instance de Bonanjo.
C’est alors que le problème de la rémunération des
magistrats s’est réellement fait ressentir. Dans un contexte
immobilier tendu, j’ai dû me délester de mes jeunes frères
en contractant un crédit. J’ai pu leur trouver des chambres
en campus universitaire. Mon épouse et moi avions pris à
bail une maison de deux chambres qui coûtait trois fois le
coût de mon loyer de Nkongsamba. Je vivais à une heure
de route de mon lieu de travail. Il fallait donc ajouter à cela
les dépenses de carburant. Ma rémunération n’a pas évolué
d’un iota. Etant déployé numériquement par le Procureur
Général, après accord de la haute hiérarchie, j’espérais
comme mes autres collègues détachés, que la prime
spéciale de logement allouée aux magistrats en service à
Douala, nous serait versée ou à tout le moins, une
indemnité forfaitaire ainsi que l’indique l’article 69 du
Statut de la magistrature. Nous n’avons rien perçu depuis
3 ans de déploiement à Douala. J’espère qu’un jour, une
bonne conscience, rappellera cette somme qui nous est
due. Saisir la chancellerie par voie hiérarchique ? J’y ai

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pensé, mais les « sages conseils » de mes collègues ainés


m’ont dissuadé de le faire. Il faut pourtant vivre.
Conséquence, le niveau d’endettement explose, surtout
dans mon cas où, au lendemain de mon agression
physique au sortir d’une audience à Nkongsamba, j’ai dû
recourir à un crédit automobile auprès de la Société
Camerounaise d’Equipement.
Dans ce contexte, j’ai dû libérer le local loué et ai rejoint
la Procure générale des missions de la congrégation des
pères du Saint Esprit où j’ai des amis prêtres, plutôt
heureux de partager leur repas avec moi. Ma famille a dû
rejoindre Yaoundé où nous avons grandi. Moins reluisante
était la situation de mon collègue de bureau qui s’est
retrouvé à vivre dans le domicile de personnes inconnues,
recommandées par une de ses connaissances. Il me confiait
la honte et la gêne qu’il avait même à déguster le repas que
lui apprêtait cette famille sous le regard des enfants, plutôt
furieux de ce « tonton », qui les avait congédiés de leur
chambre. Je revois sa peine lorsqu’il parlait de ses enfants
restés dans sa ville d’affectation et qu’il voyait peu, parce
que dans l’attente d’un local permettant de les accueillir.
Le plus dur pour nous est surement de vivre ces moments
alors que nous sommes magistrats. C’est une véritable
humiliation !
Et pourtant il faut tenir. On se lance dans la
dispensation des enseignements modestement rémunérés,
juste pour pouvoir tenter de joindre les deux bouts.
Je voudrais remercier mon épouse qui, grâce à son
emploi et sa rémunération, a pris, sans rechigner, le relais
dans la gestion de notre quotidien. Sans quoi nous
n’aurions pas tenu jusqu’à ce jour. Combien de magistrats
ont la chance d’avoir une épouse ayant un emploi ? Pour
beaucoup ils sont l’alpha et l’omega dans le couple voire

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dans leur famille. Et on leur impose la dignité. Mais la


dignité a un prix.
Pendant ce temps, on clame à cor et à cri,
l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il est donc un
pouvoir, exactement comme le pouvoir exécutif et le
pouvoir législatif. Soit, quelle est la rémunération
mensuelle des parlementaires qui siègent à l’hémicycle 100
jours sur 365 ? Voilà un vrai sujet de comparaison.
Oups, je viens de commettre l’impair. Certains
parlementaires siègent au Conseil Supérieur de la
Magistrature. Qu’est – ce qu’ils y font au fait ? On a bien
dit justice indépendante des pouvoirs exécutif et législatif ?
J’ai failli dire mon œil. Je me garde de tenir ce type de
langage. Mais au diable pardi. Il faut panser les maux de la
justice. Et la rémunération des personnels de la justice est
le sujet le plus préoccupant. Je reconnais au passage que
cette question de la rémunération appelle également un
minimum d’équité sur la répartition du disponible.
Le décret fixant la répartition des émoluments et primes
de rendement doit être revu. Pendant qu’en juridiction la
moyenne tendancielle des émoluments de magistrats est
approximativement de 130.000 F CFA par trimestre
(lorsqu’ils sont payés), le minimum perçu par les
magistrats en service à la chancellerie, au premier
ministère et à la Présidence de la République est de
1.200.000 F CFA par trimestre, soit trois fois, la moyenne
des émoluments perçus par les hauts magistrats de la cour
suprême, incarnation du pouvoir judiciaire.
Je fais au plus simple. Les ressources sont générées par
les magistrats en service en juridiction. La rémunération la
plus importante revient à ceux en fonction dans les services
centraux, appartenant à l’exécutif. J’avais oublié. Je suis
encore jeune. Un jour je comprendrai. Mais une fois de plus
je ne demande qu’à comprendre. Mais au fait, rien de

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nouveau, les saintes écritures l’avaient prédit « à ceux qui


ont déjà, on ajoutera et à ceux qui n’ont rien on retranchera
même le peu qu’ils avaient ». Amen !

 Et pourtant il sort de l’ENAM…


Il s’agissait de sa première audience. Il était paniqué. Le
collègue ainé se glosant, rigolait de le voir ainsi. Il prit la
parole lors du premier dossier, une affaire simple, une
affaire en matière criminelle. Il prit ses réquisitions
intermédiaires, après la phase de l’accusation. Il s’assit,
l’âme paisible, mais perturbée par le regard étonné du juge,
qui semblait lui indiquer, qu’il venait de commettre une
bourde. Il scruta dans sa tête, rien. Mais le juge semblait
déçu et lui, interloqué, n’avait qu’une envie, que se termine
cette audience.
Des semaines plus tard, ayant sympathisé avec un
greffier, il lui apprend que les collègues disent qu’il est sans
niveau, parce qu’à sa première audience, après la phase de
l’accusation, il avait omis de remettre le procès – verbal
d’enquête préliminaire, pour qu’il soit admis comme pièce
à conviction.
Il se tut. S’étant confié à moi à ce sujet, je lisais dans ses
yeux embués de larmes, la douleur qui le transperçait et
dont je ne pouvais déterminer l’origine. Est-ce l’erreur
commise ? La fourberie du collègue ainé qui, plutôt que
d’en débattre avec lui, avait choisi la lâcheté d’aller le
rabaisser auprès des autres collègues ? Je l’ai observé
durant son explication et, à ce moment précis, je me suis
rendu compte du malaise profond.
Dans les causes criminelles, le dossier de procédure,
comprenant le procès – verbal d’enquête préliminaire et les
éléments de l’information judiciaire, obligatoire en cette
matière sauf disposition contraire de la loi, est acquis au

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dossier, relié en un seul exemplaire, en raison de la saisine


de la juridiction, par l’ordonnance de renvoi du juge
d’instruction. Les parties en prennent connaissance au
greffe. C’est dire que le procureur de la République, s’il n’a
pas d’éléments nouveaux, n’a rien à produire, tout étant
déjà dans le dossier de procédure. Qui était donc à
plaindre ? Le collègue aîné ou le jeune substitut ? La
réponse semble aller de soi. Mais, il fallait écouter les
détails rapportés par le collaborateur greffier. Des
collègues allant jusqu’à insinuer les raisons véritables de
son admission à l’ENAM, qui seraient à rechercher du côté
de la proximité de son village avec celui du Directeur
Général.
Cette situation met en évidence deux éléments. Le
commérage des magistrats et la nécessité de bien les former
et surtout de les recycler.
Relativement à la formation et au recyclage des
magistrats, il faut d’une part accompagner les magistrats
d’une certaine époque, à épouser les évolutions du droit
dans la société contemporaine. Les réflexes de l’ère du
Code d’instruction criminelle ou encore les habitudes du
président chargé de l’action publique, doivent cesser. La
justice s’est ouverte à la modernité et surtout à la prise en
compte des droits humains garantis par les procédures. Il
faut les former à cela tout comme il faut poursuivre l’offre
de formation des jeunes collègues, pas seulement à la
cybercriminalité, mais aussi aux innovations qui
bousculent la vie du quotidien. Je pense à des disciplines
telles, le développement personnel, la communication, le
management, la légistique, l’élaboration des politiques
publiques. C’est le défi de l’avenir. La formation est le
meilleur atout pour bâtir une justice solide, apte à relever
les défis du développement.

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 Je suis auditeur de justice … c’est-à-dire quoi ?


L’auditeur de justice, communément appelé élève
magistrat, est un fonctionnaire stagiaire ayant satisfait aux
épreuves d’admission à l’une des sections de la
magistrature, ouvertes au sein de l’ENAM. Son statut
juridique est assez flou et l’on se demande en fait de quelle
administration il dépend dès lors qu’il acquiert la qualité
d’auditeur de justice. Dépend t – il du ministère de la
justice à la disposition de qui il sera à la fin de sa formation
ou alors du ministère de la fonction publique et de la
réforme administrative, tutelle de l’ENAM ?
La question de son appartenance administrative se
complique lorsque ce dernier, achève sa formation et
obtient le diplôme de l’ENAM. L’article 12 du Statut de la
magistrature dit que les auditeurs de justice sont intégrés
pour compter de la date d’obtention du diplôme de
l’ENAM, par décret du Président de la République, après
avis du Conseil Supérieur de la Magistrature. Leur
intégration est donc conditionnée par la tenue d’une
session du Conseil du Supérieur de la Magistrature. En
l’absence d’une telle assise, ils sont de véritables chauve –
souris institutionnels.
Pour mettre les pieds dans le plat, l’on se souvient du
décès des suites d’accident de circulation d’un auditeur de
justice ayant achevé sa formation à l’ENAM. Le ministère
de la justice saisi pour l’organisation des obsèques a
opposé une fin de non-recevoir arguant de ce que les
auditeurs de justice ne relèvent pas du Statut de la
magistrature et sont sous la responsabilité du ministère de
la fonction publique via l’ENAM. L’ENAM à son tour a
décliné sa responsabilité estimant que ce dernier ayant
achevé sa formation, il ne relevait plus de son autorité.
Pendant que les institutions se renvoient ainsi la balle,
la famille assiste désœuvrée au déni de responsabilité

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administrative et développe pour le corps de la


magistrature, la plus grande commisération à défaut de la
haïr.
Dans ce cas malheureusement, les jeunes auditeurs de
justice de la promotion, ont été obligés de prendre dans
leurs bourses mensuelles de 117.500 F CFA, la somme de
25.000 F CFA chacun, pour contribuer aux obsèques de leur
camarade. Heureusement que ce sont les plus jeunes qui
donnent parfois des leçons de responsabilité aux ainés.
Cette situation est aberrante en ce que le Statut de la
magistrature du Cameroun en son article 1er dispose que
font partie du corps de la magistrature, les attachés de
justice, c’est-à-dire, les auditeurs de justice qui n’ont pas pu
obtenir la moyenne requise pour être titulaire du diplôme
de l’ENAM. Le plus grave réside dans le traitement
princier des attachés de justice qui, au regard de l’article 13
du Statut de la magistrature, sont mis à la disposition du
Procureur Général, par simple arrêté du Ministre de la
justice et utilisés comme les magistrats en service au
parquet général. Pis, ils prêtent le serment de magistrat
prévu à l’article 23 du Statut de la magistrature en veillant
simplement à remplacer le mot magistrat par ceux
d’attaché de justice. Plus intéressant, après un an de service
au sein du parquet général, l’attaché de justice peut être
intégré dans la magistrature.
Une fois encore, je résume la situation. L’on est diplômé
de l’une des sections de magistrature de l’ENAM, l’on ne
fait pas partie du corps de la magistrature en l’absence de
tenue d’une session du Conseil Supérieur de la
Magistrature. Le camarade qui n’a pas pu réussir aux
examens de sortie fait partie intégrante du corps de la
magistrature, avec en prime un traitement de magistrat. Et,
il y a des chances qu’il soit intégré (compte tenu des
échéances de convocation du Conseil Supérieur de la

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Magistrature), par le même décret que ses camarades qui


ont commis la « maladresse » de réussir à leurs examens de
sortie. Je suis vraiment très jeune, je comprendrai sans
doute mieux avec l’âge.
Non loin de nous, le Congo – Brazzaville intègre comme
membre du corps de la magistrature, les auditeurs de
justice, dès leur admission à l’école de magistrature. C’est
un exemple à copier pour donner à nos auditeurs de
justice, la pleine confiance de membre à part entière du
corps de la magistrature, surtout qu’au Cameroun, les
auditeurs de justice, avant leur départ en stage dans les
juridictions, prêtent serment devant la Cour d’Appel du
Centre. L’on serait tenté de se demander en quelle qualité
prêtent – ils ce serment préparatoire à celui de magistrat ?

 Monsieur le magistrat ne me parlez plus jamais


sur ce ton !
Certains magistrats ont pour coutume de s’adresser
avec discourtoisie aux justiciables et surtout à leurs
collaborateurs greffiers. « Maître depuis que je vous attends
vous êtes où ? ». « Maître, faites vite je n’ai pas que ça à faire ».
« Maître, portez-moi le plumitif et les dossiers et déposez-les en
salle ». « Maître, allez me faire le transfert de crédit ». « Maître,
venez passer un coup de balai dans mon bureau ». « Pour le
service à table, les magistrats se serviront en premier, ensuite le
greffier en chef, les chauffeurs et gardes du corps des chefs de
cours et de juridictions, enfin suivront les greffiers et
contractuels ».
J’en ai entendu de ma petite vie de magistrat. Le plus
pathétique restant toujours cette attitude servile du greffier
qui, affichant cette mine de pétochard, subit dans sa chair,
ces incivilités répétées. Heureusement que tous les
greffiers ne sont pas faits du même bois. J’en ai connu un,
greffier principal, de loin plus élégant que les magistrats,

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fier de lui et de ce qu’il était, avec le bagage intellectuel plus


que suffisant. Il assumait pleinement ses fonctions, sans
complexe, avec courtoisie et déférence, sans obséquiosité.
Un magistrat eut le malheur de l’interpeller vulgairement
dans les couloirs du palais de justice, il eut ce jour pour son
grade. La réponse fut cinglante. Elle forçait au respect.
« Monsieur le magistrat, ne me parlez plus jamais sur ce ton ».
Ses collègues greffiers, vivant la scène à distance
jubilaient intérieurement de ce collègue courageux.
D’autres disaient qu’il avait des appuis solides à Yaoundé.
Ce qui était faux. C’était simplement un homme, un vrai. Il
avait un master en droit privé et projetait de s’inscrire en
thèse de doctorat. Il était ambitieux et il avait raison.
La bonne collaboration commande des rapports
harmonieux empreints de bonne humeur et de courtoisie
commune. Je me souviens qu’on me fit le reproche une fois,
d’être très proche des collaborateurs. Je me suis demandé
intérieurement, si celui qui me faisait ce reproche avait un
« proximètre ». Qu’y a t – il de mal à prendre 15 minutes
dans une semaine pour discuter avec des collaborateurs de
tout et de rien ? Quel mal y a t – il à prendre avec eux, un
déjeuner ou même un dîner.
Sur ce dernier point et s’agissant des collaboratrices
greffières, j’ai appris, à mon corps défendant, qu’il valait
mieux se renseigner sur la personne à inviter pour un
déjeuner ou un dîner. Les conférences de Berlin sur le
« partage » des collaboratrices, peuvent lorsqu’elles sont
méconnues, donner lieu à des remontrances inexpliquées.
Bien plus, les greffiers sont comprimés par les
magistrats. L’on peut objecter qu’ils doivent faire preuve
de confiance en eux, mais je dis également que lorsque
cette tendance se généralise, c’est qu’elle est devenue
systémique. Il faut que nous magistrats, y prêtions une
grande attention. Cela participe du bon fonctionnement

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des services judiciaires et partant, de la bonne


administration de la justice.
Il faut aussi noter que les greffiers et contractuels des
services publics de justice, sont généralement peu
ambitieux. A l’aise avec l’établissement des mandements
de citation et autres actes routiniers, ils se complaisent dans
une corruption minable à des taux insignifiants, dépassant
difficilement la somme de 10.000 F CFA. Il n’est pas rare
d’avoir un greffier oublié, pendant 20 ans au même poste.
Le plus drôle étant l’attachement de celui – ci à cette
position de travail d’où il tire le plus grand avantage en
termes de pots de vin.
Mais au-delà, l’on ne peut pas confiner un personnel
durant 10 ans, au même poste de travail. Il faut une
mobilité et un programme de formations destinées à leur
donner une montée en compétence sur des emplois en lien
avec les besoins de justice. L’on pourrait penser à des
formations sur l’assistance de direction, sur la tenue des
archives, sur la gestion des bibliothèques ainsi de suite.
Etablir des mandements de citation durant 10 ans peut
devenir abrutissant.

 Vous avez dit chambre de sûreté ?


- Où sont les frais de cellule
- Je n’ai pas
- Alors tu ne t’adosses pas au mur et tu ne fais pas pipi
dans le seau
- Pourquoi ? C’est ta maison ici ?
Suivent des cris et des bruits de coups en provenance de
la chambre de sûreté. Voilà le rituel des unités de police
judiciaire. Les violences exercées par les personnes gardées

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à vue, sur leurs compagnons d’infortune. Outre cette


violence, les conditions de détention sont insatisfaisantes.
Je rappelle au passage que la garde à vue est une mesure
légale. La décision de garde à vue ne constitue donc pas
nécessairement un acte de torture. Sachant cela, il convient
de doter les unités de police judiciaire de bâtiments
prenant en compte la spécificité des personnes susceptibles
de se trouver en garde à vue.
Comment peut – on envisager une chambre de sûreté
sans éclairage ? Comment peut – on la construire sans
envisager les commodités devant accueillir les rejets du
corps humain, intensifiés en période de stress, sans bien
sûr que ces commodités ne soient nécessairement dans la
même pièce que celles devant accueillir les personnes en
garde à vue ? Est-il proscrit de construire des chambres de
sûreté pouvant permettre à leurs pensionnaires de
recouvrer un sommeil paisible, sur des lits même
superposés ? Autant de questions troublantes au regard de
la réalité du terrain.
Communément appelées « cellules », les chambres de
sûreté constituent sans doute la plus grande curiosité de la
procédure pénale. Quelles que soient les régions du
Cameroun, un trait commun les caractérise : l’odeur.
C’est une exhalaison agressive et nauséabonde qui vous
accueille à l’entrée des cellules. Un peu comme si le
créateur avait autorisé le conditionnement d’un parfum
pour putois. Mais, à mesure que l’on y séjourne, l’odeur se
fait familière, elle crée même une connivence entre les
personnes gardées à vue, qui s’apprécient par la finesse
dévastatrice de cette puanteur générée d’une part, par la
sueur humaine drainant son lot d’incertitudes sur
l’hygiène des occupants de l’espace, et d’autre part, les
déjections du corps humain si habilement déposés dans un
récipient indivis de fortune.

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Les unités de police judiciaire les plus heureuses sont


pourvues d’une pièce dédiée à l’accueil des personnes en
garde à vue. Il y en a d’autres qui n’ont même pas de
chambre de sûreté et se trouvent contraintes, de placer les
personnes en garde à vue, dans une autre unité de police
judiciaire. Les plus humains des chefs d’unité disposant de
chambres de sûreté, tentent de séparer les hommes, les
femmes et les mineurs. Ils sont rares ces chefs d’unité. Ou
simplement, l’exiguïté des locaux ne permet pas une telle
séparation. Et ils sont tous gardés à vue au même endroit.
Les assassins, les escrocs, les consommateurs de cannabis,
ceux qui ont exercé des violences sur leurs conjoints ou
ascendants. Quel cocktail !
Comment dans ces conditions combattre la corruption ?
Le chef d’unité, que les gardés à vue taxeront de « très
gentil », usera de sa grande humanité pour solliciter la
modeste somme de 50.000 F CFA, c’est-à-dire plus du
SMIG6 pour permettre à la personne gardée à vue, de
rentrer se coucher à son domicile à charge de revenir le
matin. Elle prendra simplement le soin de laisser soit son
véhicule en gage, soit un objet d’importance dont
l’appréciation est abandonnée à la délicatesse de l’officier
de police judiciaire.
Plus grave, comment l’officier de police judiciaire, bien
informé de la simple torture morale que constitue le séjour
en garde à vue, résistera – t – il à la tentation de transformer
une affaire civile en affaire pénale, dans le seul but de
contraindre un débiteur à désintéresser la victime ?
Signalons au passage que son pourcentage dans ce
désintéressement est négocié à l’avance. Avec de
meilleures chambres de sûreté, je reste convaincu que les
citoyens en garde à vue, n’auront aucune gêne à attendre
leur présentation au procureur de la République. Ils

6 Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti

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corrompent parce qu’ils ne veulent pas séjourner en


cellule.

 Les portes du pénitencier, bientôt vont se fermer et


c’est là que je finirai ma vie…
Les paroles sont de Johnny Hallyday mais elles collent
bien à la réalité des prisons camerounaises. Lorsque se
ferment les portes de la prison sur vous, s’ouvre une
nouvelle vie qui achève la vie hors ces murs. Bâtis pour
accueillir une population déterminée, les pénitenciers sont
tous surpeuplés. Ce qui ne va pas sans conséquence. Les
quartiers destinés à accueillir les mineurs ou les femmes,
sont finalement sollicités pour accueillir d’autres types de
délinquants. Le développement de la population a eu pour
conséquence l’excroissance de la délinquance, surtout en
zone urbaine. L’absence d’expertise psychiatrique voire de
structures psychiatriques dans certaines villes, conduit des
grands malades, ayant commis des infractions
abominables, à partager l’univers carcéral de personnes
reconnues coupables d’infractions d’astuce.
Que dire du quotidien en prison ?
Les repas prévus par le budget sont assurés mais ne
suffisent pas pour la population détenue. Ce qui génère des
rixes journalières pour la survie. Les adeptes de la grande
délinquance, véritables recteurs de l’environnement
pénitencier, modèlent et forment les petits délinquants à la
grande criminalité. Ces derniers, une fois leur peine
purgée, sont commandités par ces grands délinquants,
pour prendre attache avec leurs complices restés hors des
murs.
J’ai encore en mémoire le cas de ce jeune de 17 ans, reçu
au parquet pour consommation de cannabis. Il avait été
présenté au Juge d’instruction puis, renvoyé devant la

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juridiction de jugement qui l’avait condamné à 1 mois de


prison. Six jours après l’expiration de sa peine, il avait été
à nouveau déféré, cette fois au tribunal de grande instance
pour vol aggravé. Il avait poignardé un honorable citoyen,
pour lui extorquer son portefeuille. La prison favorise la
culture des criminels.
Et que dire des fonctionnaires de l’administration
pénitentiaire ?
Quand ils ne sont pas complices, ils sont simplement
débordés. Débordés par le nombre exponentiel de
personnes détenues. A la prison centrale de Douala, l’on
compte un gardien de prison pour environ onze détenus.
C’est irréaliste. Débordés, ils le sont aussi par le niveau de
violence auquel ils sont exposés.
Je revois l’arcade sourcilière de ce jeune gardien de
prison, ouverte avec les débris d’un verre, par un détenu
revendiquant son repas. Le jeune gardien de prison qui
croyait béatement que son uniforme suffirait à dissuader
ce détenu, s’est littéralement vidé de son sang et est arrivé
inconscient aux urgences.
Appelé, j’ai pu toucher du doigt l’exposition de ces
braves serviteurs de l’Etat à l’occasion de leurs fonctions.
Ils ont à peine le matériel nécessaire pour neutraliser les
détenus violents. Ils tiennent leurs armes à feu dont ils ne
peuvent se servir dans le cadre du maintien de l’ordre en
prison. Ils ne disposent ni d’armes neutralisantes, ni de la
force du nombre pour résister à la pression des détenus.
Mais il faut pourtant, dans cette jungle, remettre de l’ordre.
Mais comment ?
J’en vois certains venir récupérer des détenus au
tribunal militaire. Les mains nues, avec à peine une
matraque. Ils doivent escorter des mastodontes, sans
défense, juste avec l’autorité de la République, le vert –

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rouge et jaune qui, heureusement réussit encore à


dissuader certaines personnes.
Complices, ils le sont aussi de ces détenus dont ils
facilitent les sorties à des fins non autorisées par le parquet.
Il y en a même, qui, bien que condamnés, passent des nuits
à leurs domiciles contre paiement d’une prime au silence.
Le voisinage de ces délinquants, dépassé, ne sait à qui se
confier. Et même lorsqu’il se confie, il y a peu d’éléments
de preuve pour poursuivre.

 Je suis clerc depuis 1900 et quelque


Le délai moyen d’attente pour qu’un clerc d’officier
ministériel assume sa propre charge est de 10 ans. Pendant
ce temps, il demeure un personnage d’ombre, aigri et
désinvolte sauf dans les dossiers qui appellent
particulièrement son intérêt. On se plaindra sans doute de
la corruption entretenue dans ces officines du droit, mais
je pense qu’il faut aller aux causes, en toute objectivité.
Les charges d’huissier sont créées par décret du Chef de
l’Etat. C’est donc dire qu’on peut en créer autant que
nécessaire, selon les besoins du développement de la
population. La vraie question reste quand même de
connaître quelles sont les raisons qui justifient un tel
espacement dans la nomination aux charges d’huissier ou
aux fonctions de notaire.
Les mauvaises langues (sont – elles vraiment mauvaises
en l’espèce ?) disent que ce temps, finalement long, qui
s’installe entre l’admission comme clerc et la nomination à
une charge, est entretenu par les huissiers et notaires déjà
en fonction, qui redoutent la concurrence. Cette assertion
semble vraisemblable.
Si l’on observe les derniers mouvements dans le corps
des notaires et des huissiers, il s’agissait à grands traits,

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pour le premier corps, de mise à la retraite de certains


notaires et pour les huissiers de justice, de nomination aux
charges des huissiers titulaires décédés. Cela laisse croire
que si ceux – ci n’avaient pas été frappés par la mort et par
la limite d’âge, l’attente aurait été encore très longue, pour
ces vieux – jeunes clercs.
Et durant cette attente, comment vit – on ? Bienvenue
dans le règne des expulsions clandestines, des exploits
blâmables, des actes de constat fictifs. Et le juge doit
décider au vu de ces pièces, dont certaines, celles des
notaires, sont parées du sceau de l’authenticité.
Il faut revoir cet état de choses surtout quand on sait que
l’essentiel des notaires et huissiers se trouvent à Yaoundé
et Douala. Il y a lieu de revoir le maillage territorial de ces
officiers ministériels qui émargent au Trésor public.
L’intérêt général commande qu’ils soient disséminés sur
l’ensemble du territoire national. Il y a donc un grand
besoin de recrutement, et, de nombreux clercs sont las
d’attendre. Responsabilisons-les !

 Et les Avocats alors ?


- Salut le Ja !
- Salut type. On dit quoi ?
- C’est chaud à Bagdad. On a lancé l’examen du barreau.
Il me faut 700.000 F CFA pour acheter la lettre de
parrainage
- Mince, j’ai 100.000 F CFA
- C’est déjà un coup de main
Cette phrase, je l’ai entendue plus d’une fois. C’est à
croire qu’il s’agit d’une pratique répandue. Il est même des
cabinets d’avocats dont la lettre garantit d’office, la réussite

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à l’examen. Mais, il faut écouter les avocats gloser sur le


concours de l’ENAM et les tripatouillages autour, comme
si l’examen du barreau pouvait faire office d’exemple. J’ai
bien dit examen et non concours. Car, ici, une fois que le
candidat a la note requise, il est supposé être retenu.
Pourquoi donc restreindre l’accès avec une lettre de
parrainage ? Il s’agit en fait d’un concours déguisé.
La lettre de parrainage, sésame obligatoire dans la
composition du dossier de candidature du postulant à la
profession d’avocat, est devenue le champ bloquant par
excellence, des nombreux étudiants en droit, rêvant
d’embrasser la profession. Questionnant sa pertinence, on
en arrive à y voir une forme de discrimination. En somme,
on ne peut devenir avocat que si on est connu d’un avocat
qui a bien voulu nous délivrer gratuitement ou contre
rémunération, une lettre de parrainage.
Quid des nombreux jeunes juristes, brillantissimes, nés
estampillés du sceau de l’anonymat, mais qui ne
connaissent pas d’avocats ou encore, ne sont pas nantis
pour s’offrir une lettre de parrainage. On est de plus en
plus avocat de père en fils. Et on se plaint de la
reproduction sociale. Il faut supprimer cette lettre de
parrainage. Il s’agit d’une discrimination
institutionnalisée.
Je reste volontairement silencieux sur l’organisation des
examens finaux des avocats stagiaires qui défrayent
presque toujours la chronique. Les revendications des
avocats stagiaires recalés qui crient souvent tantôt à la
corruption, au favoritisme, voire au tribalisme ne finissent
pas de surprendre à l’intérieur de cette maison qui prétend
souvent être un contre-pouvoir aux pouvoirs publics, et
donc un exemple.
Que dire encore de cette idée d’avoir un seul barreau
sur l’ensemble du territoire national dans un système

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juridique bi – jural d’une part et, d’autre part, dans une


configuration spatiale confinant l’essentiel des avocats à
Yaoundé et à Douala. La seule ville de Douala compte plus
de 1400 avocats alors que juste à côté à Nkongsamba, l’on
n’en dénombre même pas 20. Comme quoi, les justiciables
de Douala seraient des super camerounais. Il est temps
d’éclater le barreau en autant de régions que compte le
Cameroun. Cela disséminera sur l’ensemble du territoire,
une culture judiciaire des citoyens, des garanties fortes
pour la défense des droits et libertés fondamentaux de nos
concitoyens, ainsi qu’une maitrise humaniste du coût de la
justice.
Mais là n’est pas le plus inquiétant. Dans les juridictions
se développent principalement deux maux générés par le
racket des avocats. Le premier consiste à solliciter des
sommes d’argent pour aller corrompre l’autorité judiciaire
et susciter une décision favorable à leurs clients. Dans
certains cas, l’argent est bien acheminé à destination et le
magistrat est irrégulièrement « constitué ». Dans d’autres
cas, et ce sont les plus récurrents, l’argent n’arrive jamais à
destination et le magistrat est étiqueté d’être un corrompu
surtout que l’avocat, prendra le soin d’aller rendre une
visite au magistrat qui, par courtoisie, le raccompagnera
jusqu’à la sortie. Et le justiciable, voyant l’harmonie entre
les deux individus, tire des conclusions. Comme quoi, l’on
dénombre d’illustres scénaristes chez les avocats.
Le deuxième mal est la sollicitation des frais de justice
exorbitants au justiciable au motif de payer les frais de
greffe. Je me souviens de cette veuve qui s’est rendue à
mon cabinet au parquet du tribunal de grande instance du
Moungo. Elle était abattue. Sa belle – famille était sur le
point de mettre la main sur les avoirs bancaires de son
époux défunt en pleine rentrée scolaire. Elle avait approché
un avocat pour s’enquérir de la procédure légale qu’elle
aurait pu entreprendre pour ramener sa belle – famille à la

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raison, sans pour autant que cela prenne une allure


contentieuse. L’avocat consulté avait exigé d’elle la somme
de 400.000 francs CFA pour les frais de greffe et avait fixé
ses honoraires à 300.000 F CFA en exigeant préalablement
le dépôt d’une somme de 50.000 F CFA pour l’ouverture de
son dossier. Et cet avocat avait ajouté qu’il sollicitait cette
somme symbolique parce qu’elle était veuve.
Or, la procédure idoine au regard de la requête de cette
dame, semblait être la conciliation prévue au tribunal de
première instance qui dispose d’une chambre de
conciliation. Et celle – ci, tous frais confondus, n’excède pas
la somme de 50.000 F CFA.
Et dire que les avocats sont astreints à une obligation
d’humanité …
 Pauvres agents d’affaire
Lorsque l’on a passé son temps en cabinet d’avocats
sans avoir jamais pu jouir des faveurs de son maître,
lorsqu’on est un juriste n’ayant pas pu satisfaire aux
examens du barreau ou, lorsqu’on est frappé par la limite
d’âge pour se porter candidat aux concours officiels, on
devient agent d’affaire.
Pour faire simple, l’agent d’affaire est un avocat sans
robe. Il postule exactement comme un avocat devant les
tribunaux dont les ressorts ne sont pas pourvus d’au moins
4 cabinets d’avocats. Ce sont donc les « avocats de brousse ».
Alors que ces braves camerounais constituent le dernier
rempart de promotion et de défense des droits de nos
citoyens dans les territoires reculés, les instances de
Yaoundé et le barreau leur servent mépris,
condescendance et commisération.
J’ai encore en mémoire cette cérémonie de prestation de
serment qu’ils avaient voulu organiser, (j’avoue qu’ils s’y
étaient mal pris) je me remémore la charge importante

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alimentée par le barreau, contre cette initiative. Quoi de


plus normal qu’un agent d’affaires prêtât serment ! Il
s’introduit dans la vie privée des concitoyens, « plaide » et
conclut devant les prétoires. Au minimum, il faut qu’il soit
lié par les obligations déontologiques attachées à son
office.
Peuvent – ils également prétendre aux commissions
d’office ? La corde devient sensible. La logique
commanderait qu’ils puissent être désignés. Faudrait au
minimum organiser leur ordre et leur reconnaître des
droits déjà consacrés par leur service sur les territoires. Les
agents d’affaire ne sont pas des moins que rien. Au
contraire, ils sont la voix de l’absence, sur les territoires
reculés.
Les lignes qui précèdent présentent à grands traits, le
ressenti au sein de la maison justice. On y lit une forme
d’amertume, de regret, voire de désenchantement. Ces
sentiments sont palpables et minent profondément le
rendu de la justice. Ils constituent de mon modeste point
de vue, un échantillon des causes du malaise sourd au sein
de la maison justice. Lorsque l’on ne prend plus plaisir à
faire son métier, on le fait sans conviction ou sur la base
d’une autre conviction, l’argent par exemple. Ces causes
que je qualifie de profondes, peuvent de mon point de vue
se résumer dans l’absence de considération des hommes de
justice tant par eux-mêmes que par les pouvoirs publics.

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Chapitre 2

Caméra cachée

Les rapports sur l’état des droits de l’homme au


Cameroun rendus publics par le ministère de la justice et
le barreau du Cameroun, le rapport doing business sur le
climat des affaires ainsi que les divers classements
d’Amnesty international et de la CONAC7, pointent la
justice comme l’un des grands corps malades de l’Etat.
Cette perception s’adosse sur de nombreux indicateurs qui
tournent presque tous autour de la corruption.
Fléau réel contre lequel sont déployés d’importants
moyens en vue de son éradication, la corruption n’est
malheureusement pas, la seule cause de la perception
regrettable de la justice. Outre les frustrations ci – dessus
relayées, la prégnance hiérarchique ainsi que le
développement d’une culture « ponce pilatiste », abiment,
entre autres, la considération des concitoyens sur
l’institution judiciaire.

 Les affaires signalées


« Dans l’intérêt d’une meilleure coordination de l’action
publique et pour me mettre à même de vous donner toutes
instructions quant aux réquisitions qu’il me paraîtra opportun
de vous voir développer, je vous serai obligé, de bien vouloir me
rendre compte à l’avenir, de toute affaire qui vous paraîtrait
présenter quelque importance. Il s’agit notamment des affaires :

7 Commission Nationale Anti-Corruption

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- Relatives à la sûreté de l’Etat et à la répression des activités


subversives qui mettent en cause :
 Les parlementaires, les anciens parlementaires, les
maires, les chefs coutumiers, les expatriés ;
 Les gouverneurs, les préfets, les sous – préfets et d’une
façon générale, les hauts fonctionnaires ;
 Les magistrats et les auxiliaires de justice ;
- Qui, tout en ressortissant du droit commun, présentent un
caractère d’extrême gravité (bagarres entre groupes de races
différentes ou tribus).
Les compte – rendus me seront adressés par les procureurs
généraux soit par télégramme selon l’urgence et même
verbalement ou téléphoniquement. Par la suite, ils me feront
tenir, même sans instructions spéciales, des rapports périodiques
et circonstanciés sur le déroulement de chaque affaire signalée
par eux-mêmes ou par le ministère. Les procureurs de la
République et les présidents – délégués dans ces fonctions
devront eux-mêmes renseigner selon les modalités ci-dessus.
En cas de très exceptionnelle urgence et gravité, les
magistrats d’instance sont autorisés à en référer directement au
ministère sous la condition d’avertir en même temps leur parquet
général.
J’attacherai du prix au respect le plus rigoureux des
prescriptions de la présente circulaire dont vous voudrez bien
accuser réception ».
Tels sont les termes de la circulaire du 11 juin 1962
relative à l’obligation de rendre compte, encore en vigueur.
Il est vrai qu’elle a été complétée par diverses autres
circulaires prescrivant des mesures spécifiques8.

8Sur le sujet, lire Le Ministère Public ou parquet, Tome 1,


Emmanuel NDJERE, P.47 et suivants.

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Mais de toutes ces circulaires, c’est celle reprise ci –


haut, qui est la plus connue. Il convient donc de la
décrypter, de la replacer dans son contexte et d’en étudier
la pertinence à l’époque contemporaine.
Prise par NJOYA AROUNA, Garde des sceaux au
lendemain de l’indépendance du Cameroun, ce texte
intervient dans un contexte de grande répression, sous le
sceau de l’infraction de subversion9. Pour mémoire, était
constitutif d’acte de subversion le fait :
Article 1er : d'avoir par quelque moyen que ce soit, incité à
résister à l'application des lois, décrets, règlements ou ordres de
l'autorité publique ;
Article 2 : d'avoir porté atteinte au respect dû aux autorités
publiques ou incité à la haine contre le Gouvernement de la
République, ou de participer à une entreprise de subversion
dirigée contre les autorités et les lois de ladite République, ou
d'encourager cette subversion ;
Article 3 : d'avoir émis ou propagé des bruits, nouvelles ou
rumeurs mensongers, soit assorti de commentaires tendancieux
des nouvelles exactes, lorsque ces bruits, nouvelles et
commentaires sont susceptibles de nuire aux autorités publiques.
L’intervention de cette circulaire, dans ce contexte, peut
se justifier par la volonté, de tenir la haute administration
dont on veut s’assurer la loyauté et la fidélité à la politique
définie par le Chef de l’Etat. La sévérité des réquisitions qui
seraient développées à l’occasion des affaires impliquant
de tels responsables, était le gage même de leur soumission
à l’égard du Chef de l’Etat d’alors. Tel est le contexte qui a
présidé à la prise de cette circulaire.
Il est donc fait obligation de rendre compte de ces
affaires par voie hiérarchique, et selon l’urgence, par voie

9Ordonnance n°62/OF/18 du 12 mars 1962, portant répression


de la subversion

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de télégramme, de fax ou même téléphoniquement, au


ministre de la justice.
Cette circulaire, toujours en vigueur, a perdu de sa
pertinence au regard de l’envol démocratique de notre
pays. Elle appelle du reste un certain nombre
d’observations.
Tout d’abord, elle s’adresse aux magistrats du
ministère public. Le ministère public est en effet régi par le
principe de la subordination hiérarchique. Cette
subordination hiérarchique suppose deux obligations :
celle de rendre compte à la hiérarchie et celle de se
conformer aux instructions reçues. La seule réserve prévue
par le statut de la magistrature est la possibilité offerte à un
magistrat du parquet, de se démarquer des conclusions
écrites, en prenant des réquisitions orales différentes. A
condition bien entendu d’en informer préalablement sa
hiérarchie. C’est donc à cet appendice des politiques
publiques de la justice qu’est le parquet, qu’il revient
l’obligation de rendre compte des situations décrites dans
la circulaire visée. A aucun moment, cette ordonnance ne
s’adresse au juge, magistrat du siège, exclusivement
soumis à la loi et à sa conscience ainsi que l’indiquent la
Constitution et le Statut de la magistrature. Parlant de la
nature de cette conscience, monsieur ZIBI NSOE
Toussaint, Conseiller émérite à la Cour Suprême, pense
qu’il s’agit, non pas d’une conscience personnelle née de la
connaissance qu’il aurait du dossier, mais d’une conscience
fonctionnelle qui se construit au cours des débats dans une
cause déterminée. C’est ce que l’on nomme l’intime
conviction. Cette conviction est tellement intime,
personnelle, qu’elle ne devrait point être imposée. Allant
plus en avant, le magistrat NYOBE NLEND Christophe,
évoqué plus haut, parle d’une conscience fusionnelle, qui
lie l’homme à l’esprit qui anime l’œuvre de justice. Cette
conscience n’est pas seulement endormie au fond de nos

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êtres, elle est aussi agissante lorsqu’elle se laisse éclairer


par la recherche de la vérité.
Partant de ce considérant, cette circulaire pose
fondamentalement deux postures. D’une part, elle interdit
à la chancellerie, ou à la hiérarchie tout court, de donner
des instructions à un juge. D’autre part, il est fait défense
au juge, de se conformer aux « instructions » ou plus
exactement aux sollicitations reçues de la hiérarchie même
s’il s’agit de son supérieur hiérarchique utilisateur.
Mais comment cela est – il possible dans le contexte
qui est le nôtre ? Cela semble être un vœu pieu. Lorsqu’un
juge se montre inflexible on le blâme de vouloir « affirmer
son indépendance ». Et puisque l’inamovibilité du juge
n’existe pas au Cameroun, rien n’empêche que le juge
d’hier, se retrouve au détour d’une session du Conseil
Supérieur de la Magistrature, substitut du procureur de la
République. Bien plus, comment vouloir des juges
pleinement indépendants, au-delà de la simple lettre du
texte, lorsque le passage en grade, les nominations et les
promotions sont gérés par la chancellerie ? C’est la raison
pour laquelle, l’indépendance du magistrat est un état
d’esprit individuel. Et bien malheureusement, lorsqu’on
est indépendant, le corps vous traite comme un rebelle.
Affirmer une personnalité et un caractère bien trempés,
augure de sombres lendemains.
Ensuite, cette circulaire, opère une catégorisation
des justiciables. Il y a d’un côté, l’encadrement dirigeant et
de l’autre, les classes populaires. Le constat sur le terrain
donne l’impression que le signalement d’une affaire, a
migré de sa volonté initiale de tenir l’encadrement
dirigeant, à l’institution d’un privilège de la personnalité
poursuivie. Pendant que le plaignant attend l’instruction
de son affaire, le ministère public, une fois qu’il a rendu
compte, attend les instructions pour avancer. Il en est ainsi

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des audiences de citation directe des particuliers, contre


des personnalités, qui connaissent de sempiternels renvois,
pour l’identification de la personne poursuivie, bien
connue de la vie publique nationale.
Ce temps presque toujours long, finit par décourager le
plaignant ce d’autant plus qu’en matière pénale, le juge ne
peut rendre sa décision sans les réquisitions du ministère
public. Cette situation tellement gênante, amène à
s’interroger sur la sincérité de la communication de
certains dossiers à la hiérarchie pour approuver les
propositions faites ou pour recueillir les instructions. De
quel recours dispose le plaignant en cas de non-retour des
instructions de la hiérarchie dans un temps raisonnable ?
Aucun. Il doit attendre. Mais, a contrario, lorsqu’une
« personne signalée » se plaint, le parquet accélère
l’instruction de l’affaire et dans certains cas, lorsqu’il juge
utile de communiquer le dossier à la hiérarchie, il le fait à
titre de compte rendu, sans attendre des instructions.
Cette justice à géométrie variable abime le lien entre
les citoyens et leur justice. Il faut y prêter une attention
soutenue car, la braise sociale s’entretient à partir des
détresses et déceptions qui peuvent être généralisables.
Cette impression d’impunité donne du zèle aux autorités
qui se croient au-dessus de la loi.
Enfin, cette circulaire est prise en matière pénale.
Dans le contexte de son édiction, l’effet intimidant qui lui
était attaché, commandait en effet que ce soit cette matière
spécifique qui soit visée. Quid donc de la communication
des causes opposant les personnalités, aux particuliers,
dans leurs rapports privés, c’est-à-dire, en matière civile.
Il est su de tout temps que le procès – civil est
l’affaire des parties et que le ministère public, en a
rarement l’initiative. La communication du dossier au
ministère public prévue à l’article 36 du Code de procédure

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civile et commerciale, ne vise pas spécifiquement la qualité


des litigants. Or, dans la pratique, le signalement des
affaires a débordé le champ pénal pour se retrouver dans
le champ du procès – civil. Ainsi, le ministère public, selon
la qualité des parties ou la nature des enjeux, reçoit de plus
en plus, communication des procédures civiles et soumet,
préalablement à leur transmission au siège, le projet de
réquisitions à la hiérarchie. Deux hypothèses sont
observées à ce niveau.
La première hypothèse épouse les contours de l’article
36 du Code de procédure civile et commerciale qui
énumère, les cas de communication obligatoire, des
dossiers au ministère public. La seconde, est celle d’une
communication soit sur réquisition expresse du ministère
public, soit à l’initiative du juge qui, suspectant la
sensibilité d’une affaire, ou la proximité d’une partie avec
un haut responsable de l’administration d’Etat, décide d’en
rendre compte à la hiérarchie, pour ouvrir le parapluie et
se prémunir contre d’éventuelles représailles.
Mais le plus criard dans cette posture est, au-delà
du temps anormalement long de l’instruction d’une affaire,
la nature parfois urgente, des affaires dont la
communication est sollicitée. Il est arrivé et il arrive
malheureusement trop souvent, que les affaires enrôlées à
l’audience des référés d’heure à heure, soient
communiquées au ministère public qui, soumet son projet
de conclusions écrites à sa hiérarchie, préalablement au
rétablissement du dossier de procédure au siège de la
juridiction. Quelle est la base légale d’une telle
transmission ? C’est la circulaire de 1962 reprise supra qui
est généralement évoquée. Or, cette circulaire ne concerne
que les affaires pénales. Et le juge, dont le dossier de
procédure se trouve au parquet, ne peut se prononcer en
l’absence des conclusions du ministère public. Résultat des
courses, les affaires en référé d’heure à heure, c’est-à-dire

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des affaires extrêmement urgentes, engorgent les rôles des


audiences durant des années, attendant les conclusions du
ministère public, dans des litiges opposant des particuliers,
dont l’un est une « personne signalée ».
Au-delà du caractère indigeste de cette pratique, il
y a surtout un risque d’illégalité d’une telle transmission.
Dans de nombreuses espèces, le juge de la CCJA10, cour de
cassation des Etats parties à l’OHADA, a stigmatisé
l’intrusion du parquet par exemple dans les procédures
des voies d’exécution. Elle a par exemple décidé qu’ « il
ressort de l'analyse des dispositions combinées des articles 28,
336 et 337 de l'Acte uniforme portant organisation des
procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution,
que celui-ci contient aussi bien des dispositions de fond que de
procédure, qui ont seules, vocation à s'appliquer aux procédures
de recouvrement engagées après son entrée en vigueur ; dans la
mise en œuvre de celles-ci, ledit Acte uniforme n'ayant pas prévu
de procédure de communication de la cause au Ministère Public
telle que fixée à l'article 106 du Code ivoirien de Procédure
Civile, Commerciale et Administrative précité, il s'ensuit que
cette disposition de droit interne contraire à la lettre et à l'esprit
des dispositions de l'Acte uniforme susvisé, est inapplicable au
litige ayant donné lieu à la décision attaquée ; il suit que cette
première branche du premier moyen n'est pas fondée et doit être
rejetée »11.
S’agissant spécifiquement du Cameroun, la CCJA a
clairement indiqué dans une espèce que « dans une saisie
immobilière, les réquisitions du Ministère Public ne sauraient
tenir lieu de dires et observations, l'acte uniforme portant
organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des

10Cour Commune de Justice et d’Arbitrage


11Arrêt n° 023/2009, audience publique du 16 avril 2009, pourvoi
n° 044/2007/pc du 30 mai 2007, affaire : Etat de Côte d'ivoire,
recueil de jurisprudence n° 13, janvier-juin 2009, p. 77

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voies d'exécution ne prévoyant pas dans une telle saisie, la


communication de la cause au Ministère Public »12.
Cette notion d’affaires signalées et cette centralisation
de la gestion de la carrière du magistrat au niveau de la
chancellerie, fragilise durablement le rendu de la justice et
fait en réalité de cette institution politique, la véritable
incarnation du pouvoir judiciaire.
Cette fragilisation a pour première incidence, la
couardise des magistrats, adeptes du ponce pilatisme qui,
dans une logique carriériste, développent une auto censure
visant en bout de chaine, prioritairement, à ne pas
courroucer la hiérarchie au détriment de l’application du
droit.

 Ce n’est pas la plantation de ton père !


« Ah ! sire, si ceux qui dirigent vos conseils ne souhaitent que
le bien de votre majesté, ils lui diraient que jamais l’échafaud ne
fit d’amis (…) Non, sire, s’il ne m’est pas permis de sauver mon
pays ni ma propre existence, je sauverai du moins l’honneur(…)
et si en descendant dans la tombe, je puis avec un de vos aïeux
m’écrier : tout est perdu hormis l’honneur, alors je mourrai
content »13. Ces paroles du Juge Moncey, adressées au Roi
Louis XVIII, semblent sortir d’un conte de fées, tant il est
devenu rare, de voir des magistrats ou des juges
courageux, capables de faire prévaloir le droit et seulement

12 CCJA, Arrêt n°057 du 22 décembre 2005, affaire Société


Générale de Banques au Cameroun c/ ESSOH Grégoire
(ESGREG Voyages), Juridis périodique n°69/2007, p.51.
13 Lettre de récusation du Juge MONCEY, autrefois Duc de

Conegliano, adressée au Roi Louis XVIII à l’occasion du procès


du Maréchal Ney.

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le droit, dans la conduite des affaires sensibles qui leur sont


confiées.
Relayant cette culture ponce pilatiste, Maurice Garçon,
avocat français écrivait :
« La décoration ou l’avancement des magistrats en font des
valets. Ils sont lâches, trembleurs et pusillanimes. Ils ont peur de
leur ombre dès que se manifeste une intervention un peu
puissante. Toutes les palinodies leur sont bonnes lorsqu’il s’agit
de flatter le pouvoir. Leur prétendue indépendance dont ils
parlent est une plaisanterie. Plus ils gravissent les échelons des
honneurs, plus ils sont serviles.
On en trouve de relativement honnêtes et à peu près
indépendants dans les petites villes lorsqu’ils ont vieilli sur place
et ne nourrissent pas d’ambition. Mais pour faire la grande
carrière, il faut avoir accumulé tant de platitude qu’on peut dire
que leur bassesse est proportionnelle à leur élévation. Voilà
pourquoi Paris est pire que tout. Pour arriver là, il faut avoir tant
de fois courbé l’échine et servi des maîtres divers que toute
moralité est absente (…) Longtemps j’ai cru à leur sympathie et
je me suis efforcé de leur éviter des erreurs. Cet état d’esprit m’est
passé. Je les ai vus trop indifférents aux malheurs injustifiés de
quelques-uns pour avoir pitié d’eux si leur destinée devient
mauvaise. Tant pis pour eux, ils ont de trop vilains
caractères 14».
L’on est tenté de conclure qu’ici comme ailleurs, les
problèmes sont les mêmes. Sauf qu’en France, des efforts
supplémentaires ont été faits pour une indépendance de
l’autorité judiciaire. Ce pays, par une loi du 25 juillet 2013,
a officialisé l’interdiction pour le garde des sceaux, d’avoir
à donner des instructions individuelles aux magistrats du
parquet. Il ne peut donner que des instructions d’ordre
général, en début d’année judiciaire.

14 Journal de Maurice Garçon, édition du 17 mars 1939.

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La culture ponce pilatiste, le carriérisme minent la


justice camerounaise. Des juges se laissent donner des
instructions par leurs chefs hiérarchiques, les hommes
politiques et même les amis et membres de la famille des
personnes influentes. Les magistrats du parquet se
prennent pour des militants et aiment à raconter qu’ils sont
une institution politique.
Voulez– vous qu’un magistrat perde le sommeil, faites-
le appeler par un parlementaire, un ministre, un directeur
général, un président de section d’un parti politique ou
toute autre personne parenté à un haut responsable de
l’Etat. Chacun travaille au minimum. Il faut préserver sa
carrière. Dans le même temps, si la personnalité est la
partie plaignante, l’excès de zèle que l’on reprochait au
collègue qui se battait hier contre l’injustice criarde,
devient une attitude dynamique et proactive hautement
saluée. C’est une honte !
Le carriérisme a pris le pas sur le serment. Il n’est pas
rare de voir des juges venir s’enquérir de la position du
ministère public avant de rendre une décision. On ne veut
pas fâcher la chancellerie, mot creux qui veut dire tout et
n’importe quoi. Et comme aime à le demander un illustre
aîné, « de quelle chancellerie parle t – on ? La vraie chancellerie
ou l’autre ? ».
La chancellerie officielle s’exprime par voie de
dépêches, pourquoi « celle-là » se réfugie derrière son
téléphone pour donner des instructions ? Si elle n’a pas le
courage d’instruire officiellement, pourquoi s’entêter à
vouloir lui faire plaisir ? Et encore, peut – elle instruire un
juge ?
Toujours le service minimum, pour éviter de déplaire.
Le magistrat n’est pas là pour plaire ou déplaire, il fait son
travail. Il faut le dire avec force, et les Saintes Ecritures
nous donnent des éléments pour le soutenir. Le centurion

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ayant exécuté le Christ, le même qui avait donné des


instructions pour qu’il soit flagellé, à la vue de sa mort
glorieuse, s’écrie, vraiment cet homme était fils de Dieu. Il
me semble qu’une telle confession est tardive.
En supposant qu’il ne s’agissait pas du Christ et donc
d’un individu dont on venait d’ôter la vie parce que cela a
été exigé par un tel, réputé très influent, comment répare t
– on cela ? Qui vivra avec le poids de ce sang qui crie
vengeance dans les prairies durant des décennies ?
L’auteur du coup de fil ou le titulaire de la compétence ?
Tous ceux qui exécutent des instructions iniques sont
coupables des conséquences et en répondront, si ce n’est
devant les hommes, devant Dieu. Ponce Pilate avait de
l’eau pour se laver les mains, il faut éviter de n’avoir que
du sang et des larmes des demandeurs de justice, comme
liquide préposé à la salissure des mains. Il faut en prendre
conscience !
Les Saintes Ecritures, encore elles, interpellent le
magistrat en général en ces termes : « Prenez garde à ce que
vous ferez car ce n’est pas pour les hommes que vous prononcerez
des jugements, c’est pour l’éternel qui sera près de vous quand
vous les prononcerez15 ».
L’article 23 du Statut de la magistrature qui contient la
formule du serment du magistrat se lit ainsi qu’il suit :
« Moi … je jure devant Dieu et devant les hommes, de servir
honnêtement le peuple de la République du Cameroun en ma
qualité de magistrat. De rendre justice avec impartialité à toute
personne, conformément aux lois, règlements et coutumes du
peuple camerounais, sans crainte, ni faveur, ni rancune, de
garder le secret des délibérations et, de me conduire en tout,
partout et toujours, en digne et loyal magistrat ».

15Livre 2 des Chroniques chapitre 19, 6 – 7.

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Le Cameroun, pays laïc, est l’un des rares à avoir


maintenu l’évocation de la divinité, dans son serment de
magistrat. Ce n’est pas un choix anodin. Le Premier
Président de la cour suprême DIPANDA MOUELLE
Alexis, qui a un sens remarquable de la formule, disait qu’à
travers le serment, le magistrat donne sa vie, son corps et
sa profession en otage à la divinité. Dieu, devient ainsi
guide et juge du magistrat. Monsieur NYOBE NLEND
Christophe, insistait dans son cours d’éthique et de
déontologie à l’attention des auditeurs de justice de
l’ENAM, que l’œuvre de justice ne peut être accomplie
sans éclairage divin, il faut toujours, concluait – il, « appeler,
chacun selon sa foi, la lumière ».
La mission du magistrat n’est donc pas seulement de
dire le droit mais surtout de rendre justice. Pour y parvenir,
il faut se dépouiller de toutes les contraintes, il faut s’en
aller vers les nimbes, rechercher au-delà de la
concupiscence ambiante, la pureté de la règle de droit, celle
qui concourt à rétablir au sein de la société, l’ordre et
l’harmonie.
« Dat ordinem lucendo » disent les latinistes. Mettre de
l’ordre grâce à la lumière. Telle est la mission du juge. Mais
comment mettre de l’ordre dans un environnement
aléatoire où le profil de carrière n’est pas connu et où, la
promotion prend toujours les allures de connivence ou
d’appartenance à un cercle de relations ? Voilà le nœud de
la question qui porte en elle-même, les germes de la
démotivation des personnels de justice.
Ces questionnements concupiscents, ne concernent
malheureusement pas le justiciable qui doit trinquer à la
soupe de la désinvolture et de la démotivation, des
hommes de justice.

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 Les délais de justice


De tous les points de vigilance qu’il convient
d’examiner, les délais de justice méritent une attention
particulière. Voici quelques morceaux choisis des motifs de
renvoi les plus usités.
« Ultime dernier renvoi ferme bis, à la demande du ministère
public pour le retour de la citation à parquet de la victime» ;
« Renvoi à deux mois, soit à la date du … à la demande du conseil
de la partie civile, pour prendre connaissance du dossier en raison
de sa récente constitution au soutien de la défense des intérêts de
cette dernière » ; « Délibéré prorogé pour la sixième fois» ;
« Délibéré rabattu pour la 3ème fois, à la demande de la victime,
pour nouveaux débats en présence de son conseil récemment
constitué après la déconstitution de maître tel »
Il s’agit là d’une brochette des motifs de renvoi qu’il
convient d’examiner tour à tour.
Relativement aux multiples renvois concédés pour le
retour des citations à parquet, dans la pratique, les citations
à parquet sont autorisées lorsque les personnes
régulièrement citées, n’ont pu être ni personnellement
touchées par l’exploit d’huissier, ni trouvées à l’adresse
indiquée dans la procédure. Le tribunal ordonne leur
citation au parquet de céans. Il s’agit en réalité d’une
procédure visant à informer, par voie d’affichage, le grand
public sur l’existence d’une procédure concernant la
personne dont la dénomination figure sur l’exploit. Cette
formalité accomplie, le tribunal peut passer outre la
présence de la personne requise, statuer et rendre sa
décision par défaut, si la personne n’a jamais été informée
de l’existence de cette procédure. Comment donc
comprendre, que pour l’accomplissement de cette
formalité essentiellement administrative, l’on en arrive à
cumuler des renvois, pour le retour de la citation au
parquet.

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Le schéma de délivrance d’un exploit d’huissier à la


demande du ministère public, se décline ainsi qu’il suit. Le
greffier affecté au suivi des audiences d’un substitut du
procureur de la République, apprête, au vu du motif de
renvoi porté sur le dossier administratif, un mandement de
citation. Le mandement de citation est l’ordre donné à
l’huissier de prendre des exploits aux fins de notifier ou de
citer les parties. Ce mandement de citation est présenté au
substitut du procureur de la République qui le signe. Une
fois revêtu de sa signature, le mandement, accompagné du
dossier administratif, est transmis au bureau des affaires
répressives (BAR), où le chef BAR, prend l’attache d’un
huissier, et lui remet contre décharge, le mandement de
citation, sous le contrôle du chef service des affaires
judiciaires (SAJ), tous deux greffiers. La date de remise de
la cause figure sur ledit mandement. Il appartient donc à
l’huissier l’ayant reçu, de dresser son exploit à l’attention
du procureur de la République et de le retourner aux fins
d’affichage avant la prochaine date d’audience. Il faut
rappeler qu’en matière pénale, les affaires sont en
moyenne renvoyées à 30 jours. Elles peuvent dans certains
cas, lors des audiences de session, être renvoyées à des
délais plus brefs.
Comment donc comprendre que pour citer une
personne à parquet, l’on en arrive à attendre 3 mois, pour
avoir le retour de l’exploit établi par l’huissier de justice.
Les explications ci – après peuvent être avancées :
1- Le substitut du procureur de la République ne suit
pas toujours l’exécution des motifs de report. Les raisons
alléguées sont la surcharge de travail et l’oubli ;
2- Le greffier, ne se presse pas d’établir le mandement,
il se pourrait que la partie qui a intérêt pourrait l’intéresser
pour l’établissement urgent de cette pièce ;

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3- Les huissiers choisis sont ceux qui rendent visite


régulièrement au parquet et, dans un retour d’ascenseur, il
convient de leur envoyer, un volume significatif d’actes,
pour permettre d’avoir un état d’émoluments consistant à
déposer au trésor public ;
4- Si l’huissier saisi ne fait pas partie des « chouchous »
du parquet, il ne va pas s’empresser d’établir les actes, vu
que ses états d’émoluments ont l’habitude de trainer avant
d’être signés par les chefs de juridiction.
Et pendant ce temps, les justiciables attendent, les délais
de justice se rallongent. Et comme qui dirait « justice delayed
is justice denied ».
Relativement au rallongement des délais de justice à
l’initiative des avocats, l’on peut citer, les renvois pour
prendre connaissance du dossier et les demandes de
rabattement de délibéré fantaisistes.
Sur le premier point relatif à la prise de connaissance
d’un dossier, hormis l’hypothèse d’une constitution
spontanée de l’avocat à l’audience, il convient d’indiquer
qu’en toutes les matières, les avocats justifiant d’une
constitution régulière par leur client, sont autorisés à
prendre connaissance du dossier au greffe de la juridiction.
Mais force est de constater que la constitution d’un avocat,
est devenue un moyen dilatoire, destiné à paralyser
l’instruction d’une affaire. Il arrive quelques fois qu’une
partie au procès, ayant déjà constitué un avocat, en
constitue encore plusieurs autres qui viendront, à chaque
fois, solliciter pour la même affaire, la remise de cause,
pour leur permettre d’en prendre connaissance. C’est le
règne de la mauvaise foi judiciaire. Et lorsque le juge, le
pauvre juge, décide de passer outre cette demande et
retient l’affaire, il est affublé de toutes insinuations
injurieuses et diffamatoires, dans une missive envoyée à sa
hiérarchie avec demande de récusation.

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Mieux encore, les avocats dont les honoraires n’ont pas


encore été versés, usent des demandes de renvoi comme
un moyen de pression pour amener leurs clients à
s’acquitter du paiement de leurs honoraires. Et dire qu’ils
ont, selon la formule de leur serment, une obligation
d’humanité.
Relativement aux demandes de rabattement de
délibéré, il est admis que cette possibilité est offerte aux
parties. Cela participe de l’égalité des armes qui veut qu’à
l’occasion d’un procès, chaque partie puisse faire entendre
tous ses moyens de défense. En matière civile, cela va sans
grande conséquence en ce que, le procès étant l’affaire des
parties, la procédure est assez souple. En matière pénale en
revanche, la procédure est assez hermétique. Lorsque les
débats sont déclarés clos par le juge et la cause mise en
délibéré, le rabattement de délibéré, induit une reprise des
débats. Aucune pièce ne peut être admise à cette phase
sans qu’il ne soit respecté le formalisme imposé par la
procédure. Car, chaque pièce doit faire l’objet d’un examen
en la forme, et d’un débat contradictoire entre les parties.
En multipliant à dessein les demandes de rabattement de
délibéré, les avocats savent bien que l’enjeu est la reprise
du procès et donc, le rallongement des délais de procédure.
Il y a lieu, dans la réforme envisagée du Code de procédure
pénale, de prévoir entre autres, un encadrement de la
procédure de réouverture des débats, à la suite d’une
précédente mise en délibéré.
Enfin, s’agissant des prorogations de délibéré à
l’initiative du juge, il s’agit là d’une belle curiosité que je
relevais déjà dans mon mémoire de fin de stage
juridictionnel. En m’offusquant de cette pratique
consistant à proroger indéfiniment les délibérés dans les
procédures, je ne suis pas ignorant de la surcharge de
travail à laquelle font face les magistrats. Mais, je décrie
l’indifférence dont font preuve certains.

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Ayant été en service dans un tribunal de grande


instance couvrant une dizaine d’arrondissements, j’ai pu
mesurer les distances parcourues par les justiciables pour
venir écouter le verdict de leurs affaires.
Toujours la même espérance lors de l’appel de leur
affaire. Toujours le même empressement à rejoindre la
barre, avec sans doute en toile de fond, la sensation que
cette fois enfin, la justice sera rétablie. Mais, dès le
prononcé des mots « délibéré prorogé », l’espoir fait place au
désespoir, la mine se grise, le visage se défait, les pas
deviennent lourds, les pensées s’envolent, l’indignation
s’installe, la suspicion arrive et la confiance en la justice
s’effondre.
Les saintes écritures et toutes les religions révélées ont
résumé la vie en cette maxime « fais à autrui, ce que tu
voudrais qu’il te fasse ». Comment ne pas se mettre à la place
de ces justiciables qui ont accouru à la justice pour qu’elle
leur redonne la dignité bafouée et souvent perdue ?
Comment rester insensible devant ces attentes trop
nombreuses ?
La surcharge de travail n’excuse pas tout, il y a aussi
parfois hélas, la désinvolture, la paresse. C’est le lieu
d’établir, une corrélation entre le développement de la
justice privée, qui consiste pour certains à se faire justice
par tous les moyens y compris le recours au fétichisme, et
l’indifférence des juges. L’œuvre de justice est un
sacerdoce, et comme le rappelait monsieur le Premier
Président de la Cour Suprême, Daniel MEKOBE SONE, le
30 janvier 2015, lors de la prestation de serment de certains
magistrats, le magistrat doit se souvenir de ce dyptique
« grandeur de la profession, servitude de l’âme ».
Malheureusement, cet allongement des délais, donne
l’impression au justiciable (et dans certains cas cette
impression n’est pas fausse), que le magistrat est dans une

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position d’attente. Monsieur Laurent ESSO, Ministre


d’Etat, Ministre de la justice, Garde des sceaux, s’offusquait
de ces délais d’attente et avait choisi, lors de l’audience
d’installation des magistrats du tribunal criminel spécial,
cette formule lapidaire, « il attend même quoi ce magistrat-
là?16».

 Les « avantages de service »


« J’ai prévu ta part dans ça » ; « on ne vient pas à la chefferie
les mains vides » ; « je mange ton pardon ? ».
Ces assertions résument les scénarii de corruption les
plus en vue. Le premier est relatif au phénomène des
« rabatteurs ». Le deuxième que je qualifie de syndrome du
justiciable, résulte de la perte de confiance en la justice. Le
troisième met en relief l’incitation à la corruption, à
l’initiative de l’autorité judiciaire.
Relativement au premier scénario, il se développe de
plus en plus, un système de médiation entre les justiciables
et les autorités judiciaires. Le médiateur, communément
appelé « rabatteur », s’informe des procédures pour
lesquelles, les parties pourraient débourser des sommes à
l’effet d’influencer la décision à intervenir. Le « rabatteur »
va ensuite à la rencontre des parties, collecte les sommes et
les remet à l’autorité concernée qui rémunère son
intermédiation. Dans la plupart des cas, l’affaire se conclut
bien, mais pas discrètement. Les parties invitées à ne point
divulguer l’accord, sont les premières à relayer les termes
du deal. Elles le font toujours, soit auprès des personnes

16 Allocution de Monsieur le Ministred’Etat, ministre de la justice


garde des sceaux, audience inaugurale du Tribunal criminel
spécial, Yaoundé le 15 octobre 2012.

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vers lesquelles elles vont s’endetter, soit auprès de leurs


proches ayant un lien avec les personnels de justice.
S’agissant du deuxième scénario, lié au syndrome du
justiciable, il est communément admis, et les bars et
chaumières le relayent à suffisance, qu’on ne peut rien
obtenir de la justice sans « mouiller la barbe » de l’autorité
judiciaire17. Pour preuve, lorsqu’un citoyen est interpellé
dans une unité de police judiciaire, la règle cardinale est
celle de préparer une enveloppe. Dans les juridictions,
l’intérêt notable des magistrats et greffiers dans le
traitement des affaires des personnes déférées au parquet,
des reconstitutions d’acte de naissance et du traitement des
requêtes, ne permet pas de se faire une opinion différente
de cette perception. L’impression finale étant que l’on peut
tout acheter en justice.
Raison pour laquelle, sous le couvert de cette formule
chère aux peuples originaires de l’Ouest du Cameroun,
selon laquelle « on ne va pas à la chefferie les mains vides », les
justiciables arpentent les couloirs des institutions
judiciaires, les poches pleines. L’ironie de l’histoire se
révèle lorsqu’une autorité judiciaire, refuse l’enveloppe
proposée. Le justiciable confondu, se répand auprès de ses
proches en disant que cette autorité « veut seulement
compliquer pour qu’on ajoute. C’est sûr que c’était petit ». A
aucun moment, il ne lui est venu à l’esprit, que c’est cela la
norme. Effectivement, les collègues se distinguant par leur
probité sont présentés comme exceptionnels, alors qu’en
réalité la norme, c’est la probité. Ce que les justiciables
semblent oublier, c’est que pour corrompre, il faut être
deux. La lutte contre la corruption commence donc par le
corrupteur.

17Entendre par cette formulation, tous les acteurs de la chaine de


justice

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La question se corse lorsque les deux parties, au cours


de la même affaire, n’arrivent pas à « la chefferie les mains
vides ». Sans doute, « le bon joueur choisira son camp à la fin
du match ». Mais, il arrive souvent que les deux colis soient
reçus par l’autorité judiciaire qui, obligée de contenter
toutes les parties, se lance dans une gymnastique judiciaire
capable de donner le torticolis à n’importe quel être
normalement constitué.
Le dernier scénario, est celui consistant pour l’autorité
judiciaire à exiger des sommes pour l’accomplissement de
sa tâche. Il s’agit souvent du gardien de prison qui exige
préalablement à la levée d’écrou d’une personne ayant
purgé sa peine, le paiement d’une somme d’argent. Il peut
également s’agir de l’officier de police judiciaire qui, ayant
exigé des sommes non reversées, tronque les faits dans son
procès – verbal, faisant ainsi passer une affaire délictuelle
en affaire criminelle. Il peut enfin s’agir du magistrat qui,
attendant les sommes sollicitées, reçoit plutôt le coup de fil
d’un collègue intervenant pour une bienveillante
application de la loi. Sa décision, presque toujours
critiquable dans ce cas, est en réalité justifiée par la
suspicion l’amenant à croire que « son argent », a été perçu
par ce collègue.
Dans tous ces cas malheureusement, la dignité de la
justice est abimée et THEMIS, sous son bandeau, dissimule
à peine ses larmes. Il faut donc panser les maux de la
justice.

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Deuxième partie :

Des pansements aux pensées

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Chapitre 1

Panser les maux à la racine

 Pour une loi portant statut de la magistrature


La justice nous l’avons dit plus haut, est un pouvoir.
Cette assertion découle de la rédaction de l’article 37 de la
Constitution du Cameroun qui en confie l’exercice à la cour
suprême, aux cours et tribunaux. L’exercice du pouvoir
judiciaire n’est donc confié ni à la présidence de la
République, ni au ministère de la justice.
Monsieur Laurent ESSO, Ministre d’Etat, Ministre de la
justice, Garde des sceaux, le soulignait fort opportunément
lors de son allocution évoquée plus haut. Il déclarait en
substance « c’est d’ailleurs l’occasion pour rappeler à nouveau
que, le ministère de la justice n’est pas une juridiction, il n’y a
pas de greffe. Le ministère de la justice appartient à l’exécutif et
non au pouvoir judiciaire ! On ne plaide pas à la chancellerie ».
C’est donc important de signaler que le fait que le
ministère de la justice soit dirigé et géré par les magistrats
n’enlève pas à ce département ministériel son
appartenance à l’exécutif. Car, ainsi que nous l’avons
démontré plus haut, l’exécutif a envahi le pouvoir
judiciaire et dicte sa loi. Pour preuve, alors que le Conseil
Supérieur de la Magistrature est présidé par le Chef de
l’Etat, c’est le Ministre de la justice qui en est le Vice –
président. On se serait attendu tout de même à ce que ce
soit le Premier Président de la cour suprême qui occupât ce
poste. Mais non, c’est le Ministre de la justice, membre du
pouvoir exécutif. Cette situation relance le débat sur la

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question de savoir si le parquet fait partie du pouvoir


judiciaire.
En lisant entre les lignes, on se rend à l’évidence que
le parquet est un Janus biface. Il est en même temps,
appendice de l’exécutif et membre du tribunal18. Ce
mélange de genre est extrêmement problématique et
compromet la pleine indépendance de la justice. Mais il
faut aller encore plus loin, et se rendre compte par exemple
que le texte fixant l’organisation et le fonctionnement du
Conseil Supérieur de la Magistrature est une loi19, alors que
le Statut de la magistrature est régi par un décret20. Bien
plus, l’organisation et le fonctionnement des avocats est
également prévu par une loi21. L’on peut être tenté de
banaliser cette distinction mais, il faut se remémorer le
processus d’édiction des normes, pour en comprendre la
profondeur.
Le décret est préparé par l’exécutif et promulgué par le
Chef de l’Etat sans aucun débat de la représentation
nationale. Or, la justice est rendue, par les magistrats, au
nom du peuple camerounais. Les modifications du Statut
de la magistrature doivent être débattues à la
représentation nationale.
Bien que je connaisse les affres du fait majoritaire au
parlement, je requiers en faveur de l’intervention d’une loi
portant Statut de la magistrature et de la modification de
la loi actuelle fixant l’organisation et le fonctionnement du
Conseil Supérieur de la Magistrature.

18 Article 14 et suivants loi n°2006/015 du 29 décembre 2006,


modifiée.
19 Loi n° 82 / 14 du 26 novembre 1982
20 Décret n°95/048 du 8 mars 1995 portant Statut de la

magistrature, plusieurs fois modifié.


21 Loi n°90/059 du 19 décembre 1990 portant organisation de la

profession d’avocat.

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Le Statut de la magistrature devra incorporer les


auditeurs de justice, dès leur entrée à l’ENAM, dans le
corps judiciaire. Il devrait par ailleurs veiller à améliorer le
régime disciplinaire du magistrat. L’écriture du texte
actuel donne trop de place à une interprétation
discrétionnaire.
En effet, la lecture du Statut de la magistrature nous
laisse penser que la politique envisagée pour la gestion
disciplinaire du magistrat est essentiellement répressive.
Le seul texte qui fixe en filigranes la déontologie du
magistrat est l’article 23 du Statut de la magistrature repris
plus haut. Si l’on peut se réjouir du caractère solennel et
englobant de cette formule, l’on s’inquiète tout au moins
de l’imprécision des notions y contenues. Ce d’autant plus
que l’article 46 dudit statut dispose que « constitue une faute
disciplinaire imputable à un magistrat : tout acte contraire au
serment du magistrat, tout manquement à l’honneur, à la dignité
et aux bonne mœurs, tout manquement résultant de
l’insuffisance professionnelle ». L’on s’interroge en effet sur le
contenu du manquement aux devoirs de son état.
Comme l’on peut le constater, les motifs de sanction
sont vagues et sujets à interprétation permanente. Ce qui
n’est pas de nature à rassurer le magistrat dans l’exercice
de ses fonctions. Bien plus grave, l’article 47 du même
statut, se borne à lister les sanctions applicables aux
magistrats, sans attacher chacune d’elles à une
« incrimination » spécifique. Il s’ensuit que toutes les fautes,
les plus minimes comme les plus graves, peuvent en
fonction de l’interprétation et de la coloration qui aura été
donnée aux faits, être punies de n’importe laquelle de ces
sanctions. Cela est contraire au principe de la légalité des
délits et des peines qu’il est fait obligation au magistrat
d’observer dans l’exercice de sa mission, mais dont il ne
saurait bénéficier en retour.

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Le plus grave est que les décisions rendues par le


Président de la République après avis du Conseil
Supérieur de la Magistrature, donnent l’impression en
pratique, d’être non susceptibles de voie de recours. Or, il
s’agit d’actes administratifs qui peuvent être déférés
devant le juge administratif exactement comme le sont de
plus en plus, les actes de révocation de certains
fonctionnaires de police22. Et le juge saisi est bien fondé,
comme en ce qui concerne les actes pris à l’encontre des
fonctionnaires de police, à les annuler s’ils ne respectent
pas les conditions de forme et de fond prévues par la loi.
Tout l’enjeu résidera précisément à savoir quelles sont
les règles de fond lorsque les qualifications sont presque
toujours adossées sur des jugements de valeur, notamment
en ce qui concerne la qualification de manquement aux
devoirs de son état dont le contenu est extrêmement
variable.
L’absence d’un Code de déontologie du magistrat
devrait être gommée, par des dispositions clarifiées du
Statut de la magistrature sur le contenu des obligations
déontologiques attachées tant à la profession, qu’à la
personne du magistrat. Il lui revient donc de graduer les
sanctions en fonction des manquements observés, sans
préjudice du droit à l’erreur dont devrait bénéficier tout
individu.

22Jugement n°69/2016 / TA – YDE du 8 mars 2016, affaire


EMBOLO Jean Roland c/ Etat du Cameroun (Présidence de la
République du Cameroun) ;
Jugement n°210/2015/TA/YDE du 8 décembre 2015, affaire
AYAFOR Bernard TANGYE c/ Etat du Cameroun (DGSN)

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 Revoir l’organisation et le fonctionnement du


Conseil Supérieur de la Magistrature
La première modification à apporter, de mon point de
vue, est la composition du Conseil Supérieur de la
Magistrature. Les parlementaires, devraient être exclus de
ce Conseil. La séparation des pouvoirs l’exige.
Dans une dynamique prospective, le Chef de l’Etat
devrait cesser d’être Président du Conseil Supérieur de la
Magistrature au profit du Premier Président de la Cour
Suprême. Dans l’hypothèse de la création d’une Cour
administrative Supérieure et d’une Cour des comptes, les
Présidents respectifs de ces juridictions, devront occuper
chacun les fonctions de Vice – président.
L’argument avancé par les défenseurs de la Présidence
du Conseil Supérieur de la Magistrature par le Chef de
l’Etat, est l’évitement d’un gouvernement des juges. Cet
argument audible se heurte quand même à la
contemplation des autres systèmes institutionnels où, bien
que le Chef de l’Etat ne préside point le Conseil, l’on n’a
jamais assisté à un gouvernement des juges. En France par
exemple, depuis la réforme constitutionnelle de 2008, le
Président de la République ne préside plus le Conseil
Supérieur de la Magistrature. L’on n’y a pas vu s’installer
un gouvernement des juges.
Il faut rappeler à cet égard que l’amalgame est entretenu
en ce que l’on confond présidence du Conseil et pouvoir de
décision du Chef de l’Etat. Le contentieux disciplinaire des
magistrats doit se faire à l’intérieur du Conseil hors la
présence du Chef de l’Etat qui pourrait prendre
ultérieurement, les actes de sanction retenus par ledit
organe.
La composition du Conseil Supérieur de la Magistrature
devrait par ailleurs refléter la diversité des positions de
travail des magistrats et le nécessaire besoin d’y faire

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participer directement, le peuple à travers des personnes


qualifiées, n’étant point des élus, mais proposées par les
deux chambres du parlement, après un vote en
commission. Dans la perspective de la poursuite de
l’intégrité de cette institution, et en prenant appui de
l’évocation de la divinité dans le serment du magistrat
camerounais, deux personnalités religieuses, élues par
leurs pairs de toutes les confessions, peuvent être admises
à faire partie du Conseil. Dans l’hypothèse où le syndicat
de la magistrature venait à être créé, le président du
syndicat devrait en être membre.
Les présidents de Cour d’appel devraient être membres
de droit du Conseil Supérieur de la Magistrature et les
procureurs généraux, membres de droit de la Commission
de discipline des magistrats du parquet.
Le Ministre de la justice, devrait être le représentant du
Chef de l’Etat au Conseil Supérieur de la Magistrature en
ce que c’est lui qui concourt, avec les autres acteurs à la
régulation des politiques publiques dans le domaine de la
justice. Le Garde des sceaux devrait en rester le Vice –
président ou l’un des vice – présidents en cas de pluralité
des Présidents de cours supérieures. Chaque catégorie
devrait y être représentée, des magistrats du premier grade
aux magistrats hors hiérarchie. Cela permettrait d’avoir
une approche réaliste des problématiques vécues au
quotidien. Le mandat des membres du Conseil, le
Secrétaire permanent inclus, pourrait être de 6 ans non
renouvelable. Cela permettra une rotation et un
renouvellement des approches dans la gestion de cette
institution.
Outre les questions disciplinaires, le Conseil Supérieur
de la Magistrature se doit d’être une institution autonome
chargée de réfléchir aux politiques publiques dans le
domaine de la justice et spécifiquement d’assurer, comme

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le Conseil Canadien de la Magistrature, la promotion de


l’éthique et de l’indépendance des magistrats. Il doit
rendre des avis et formuler des propositions sur le
fonctionnement de la justice. Pour plus d’efficacité, il ne
devra plus être l’instance chargée de préparer les
affectations, mutations et autres promotions des
magistrats. Les actes liés à la mobilité des magistrats
devront être préparés, pour les magistrats du parquet, par
le ministère de la justice et pour les magistrats du siège, par
la commission à créer au sein de la cour suprême. Cette
déconcentration des tâches de mobilité, renforce
l’indépendance du juge dont l’inamovibilité devra être
restaurée dans la loi envisagée, portant Statut de la
magistrature.
Le Conseil Supérieur de la Magistrature devra
également procéder à l’évaluation de l’action de la justice
et soumettre son rapport au Chef de l’Etat pour les mesures
de correction ou de modernisation à envisager. Il s’agit en
réalité d’une institution ayant deux fonctions. Une fonction
consultative et une fonction contentieuse, ayant en son sein
un double degré de juridiction, destiné à connaître des
procédures disciplinaires contre les magistrats.
Cette institution devrait donc avoir un siège, un
personnel et un budget autonome. En lui enlevant les
fonctions liées à la gestion des ressources humaines, elle
sera plus opérationnelle.

 Pour une gestion performante des ressources


humaines
Je me limite volontairement à parler du profilage des
magistrats sans aborder celui des greffiers simplement
parce que s’agissant de ces derniers, leur texte relativement

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récent23, n’a pas encore une épaisseur temporelle suffisante


pour en dénombrer les scories.
Une fois le magistrat intégré, sa mobilité et son profil de
carrière doivent être clairement définis. Rien n’interdit
d’affecter un magistrat dès la sortie de l’école au siège.
Cette systématisation de l’intégration au parquet pose en
pratique d’énormes problèmes. De nombreux collègues,
ayant l’âme des juges, c’est-à-dire imbibés
d’indépendance, sont affectés au parquet où il leur faut
développer platitude et conformité béate aux instructions.
Leur résistance à certaines instructions impacte
durablement leurs carrières car, mal notés par leur
hiérarchie. L’esprit du parquet est totalement différent de
celui du siège. L’argumentaire consistant à dire qu’il faut
d’abord se roder au parquet avant d’aller au siège est
critiquable en ce que le travail de chacune de ces instances
judiciaires n’est pas le même d’une part et, d’autre part, si
l’on redoute l’inexpérience du jeune magistrat à occuper
les fonctions de juge, on remet en cause sa formation à
l’ENAM. Et encore, l’on se comporte comme si le juge
d’instance rend des décisions en premier et dernier ressort.
L’exercice des voies de recours est garanti par la loi dans
notre pays.
Les allers et retours entre le parquet et le siège sont
contre-productifs. Il faut plus de souplesse et de
responsabilisation des magistrats. L’éternelle
infantilisation n’a aucune vertu pédagogique. L’histoire
révèle que les plus grands magistrats de ce pays, ont
occupé, sans décevoir, très jeunes, parfois dès la sortie de
l’école, des responsabilités sensibles de juge et même de
procureur général par intérim. Sauf à croire que
l’intelligence et l’art de juger se soient arrêtés avec leur

23Décret n°2011/020 du 4 février 2011, portant Statut spécial des


fonctionnaires des greffes.

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génération, il faut revenir à une véritable


responsabilisation du magistrat, le plus tôt, pour lui
permettre d’acquérir très vite, l’expérience souhaitée.
Les passages du ministère public vers le siège, devraient
faire l’objet d’une demande expresse. Pour éviter une
disproportion entre les effectifs du siège et du parquet,
l’intégration devrait se faire de moitié au siège et au
parquet, au vu des recommandations faites par la division
de la magistrature et des greffes de l’ENAM. Une fois le
magistrat intégré au parquet ou au siège, son changement
de ligne devra se faire sur demande motivée, confortée par
l’avis de son supérieur utilisateur.
S’agissant de l’affectation à la chancellerie, elle doit être
laissée à l’appréciation de cette dernière, en fonction des
compétences requises. Il semble également important
d’évoquer la question du détachement des magistrats. Le
magistrat qui désire aller en détachement et qui a obtenu
un accord de l’entreprise ou de l’administration qui le
sollicite, doit être autorisé à y aller. La posture consistant à
freiner les demandes de détachement des magistrats est
contre-productive. De ma petite expérience, le magistrat
qui sollicite le détachement est démotivé et ne veut plus
rester en juridiction. Le maintenir accroit sa démotivation
et peut le pousser à s’adonner aux pratiques décriées plus
haut. Quel que soit son grade, il doit être libéré dès lors
qu’il totalise 5 ans d’ancienneté comme l’exige l’article 74
du Statut général de la fonction publique d’une part, et
d’autre part, si l’administration qui l’accueille certifie qu’il
a les aptitudes requises pour le poste disponible24.
Il en est de même de l’encouragement à la poursuite des
études, spécifiquement dans le domaine de la recherche
universitaire. Notre corps gagnerait à s’enrichir de
collègues imbibés d’un esprit de recherche pour être de

24 Article 4 alinéa 2 Statut Général de la fonction publique

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véritables aides à la prise de décision des pouvoirs publics.


Les collègues qui ont soif de connaissance et disons-le de
reconnaissance scientifique, sont un atout pour la maison
justice, en termes de prospective des politiques publiques
intéressant la justice. On fait des études pour soi et non
pour prendre la place de quelqu’un, si tant il est vrai qu’il
soit possible d’envisager des postes nominativement
réservés.
Relativement au changement de grade, il doit être
automatique pour le magistrat non définitivement
sanctionné, et qui remplit les conditions d’ancienneté
requises. Dans l’immédiat, en attendant les modifications
proposées, rien n’empêche le ministère de la justice
d’ouvrir, pour chaque grade, le nombre de postes
correspondant au nombre de postulants. Plus précisément,
si 40 personnes sont inscrites pour un avancement au 4ème
grade, il conviendrait d’inscrire 40 places pour ce grade.
Au plan budgétaire, l’incidence n’est pas si grande en ce
que le budget étant une prévision, la loi des finances de
l’Etat, devrait, par souci d’équité, en tenir compte, comme
elle le fait pour les personnels des forces de défense et de
sécurité.
Il faut le dire, le grade appartient à l’individu et la
fonction à l’Etat. L’on peut ne pas promouvoir un
fonctionnaire, mais lui dénier un changement légitime de
son grade est injuste, discriminatoire et frustratoire, ce
d’autant plus que son augmentation salariale y est adossée.
En tout état de cause, l’article 30 du Statut de la
magistrature, ne prévoit pas la possibilité d’un
plafonnement du nombre de grades ouverts pour une
année budgétaire. C’est la pratique qui semble avoir
théorisé cet état de fait.
Sur la question spécifique de l’évaluation des
magistrats, il semble plus qu’important d’avoir une

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évaluation objectivable. Les fiches individuelles de


notation acheminées auprès des juridictions, laissent une
grande place à la discrétion du chef utilisateur. Il faut y
insérer une bonne dose de quantitativisme.
Les rubriques ci – après constituent la grille
d’évaluation du magistrat :
- Tenue et présentation ;
- Etat physique – santé ;
- Bon sens et jugement ;
- Sens de la synthèse ;
- Culture générale et curiosité intellectuelle ;
- Connaissances linguistiques ;
- Autorité et force de caractère ;
- Pondération – sens de la mesure ;
- Goût des responsabilités ;
- Puissance de travail ;
- Méthode et sens de l’organisation ;
- Maitrise du droit romano – germanique ;
- Maitrise de la common law ;
- Connaissances juridiques ;
- Sens de l’application du droit ;
- Qualités de rédaction judiciaire ;
- Qualités de rédaction administrative ;
- Aptitude à la présidence des audiences ;
- Aptitude à la parole ;
- Relation avec les supérieurs ;

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- Relations avec les égaux ;


- Relations avec les subordonnés ;
- Relations avec les autorités ;
- Relations avec les auxiliaires de justice ;
- Aptitude à la gestion ;
- Sens de l’initiative ;
- Intégrité morale ;
- Entretien, maintenance et propreté des locaux ;
- Environnement de travail.
On le voit bien, à l’exception de la puissance de travail
qui est objectivable, toutes les autres rubriques sont
subjectives. Prenant l’hypothèse d’un substitut du
procureur de la République qui refuse de se conformer aux
instructions non légales de sa hiérarchie, quel jugement
portera sur lui cette dernière dans la rubrique relation avec
la hiérarchie ?
Il faut rendre la notation objective en la chiffrant. Il sera
bien entendu difficile de fournir les éléments attestant de
l’aspect physique d’un magistrat, mais, il peut être tout à
fait démontré sa puissance de travail et l’efficacité des
décisions prises. Dans cette perspective, les fiches
individuelles de notation, pourraient être accompagnées,
en fin d’année judiciaire, d’un tableau récapitulant, le
nombre de dossiers cotés au magistrat, le nombre d’affaires
effectivement traitées, celles ayant fait l’objet de voies de
recours, le nombre de dossiers inscrits au rôle de ses
audiences, le nombre de jugements rendus ainsi qu’une
moyenne tendancielle de la durée du traitement de ses
dossiers. L’on pourra y adjoindre comme élément objectif
de la probité, le nombre de demandes de récusation et
celles ayant effectivement prospéré et, s’agissant du

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magistrat du parquet, le nombre et la nature des


dénonciations faites à son encontre. Ces éléments objectifs,
permettent de mesurer le niveau de travail des magistrats
et partant, créent une saine émulation amenant les
magistrats à travailler avec plus de sérieux.
C’est sur la base de ces évaluations du rendement faites
idéalement par trimestre, avec un récapitulatif annuel, que
devraient s’adosser les promotions et autres
reconnaissances car, il n’y a rien de plus frustrant, que de
se tuer au travail et de voir les collègues désinvoltes, faire
l’objet de promotion et de reconnaissance. La justice doit
montrer patte blanche et faire preuve d’équité et
d’objectivité.
Dans son avis n°01 rendu en 2001, le Conseil Consultatif
de Juges Européens (CCJE) affirme que l’indépendance des
juges « n’est pas une prérogative ou un privilège octroyé dans
leur propre intérêt, mais elle leur est garantie dans l’intérêt de la
prééminence du droit et de ceux qui recherchent et demandent
justice (…) toute décision liée à la nomination ou à la carrière
d’un juge doit être fondée sur des critères objectifs et être prise
par une autorité indépendante, ou être assortie de garanties pour
qu’elle ne soit pas prise sur une autre base que ces critères25».
C’est dire que pour le CCJE l’objectivité des évaluations et
la promotion des magistrats, renforcent leur
indépendance.
Le Premier Président de la Cour Suprême tout comme
le Procureur Général près ladite Cour, devront être
désignés par un processus démocratique transparent.
Tout d’abord, ils doivent être choisis par un vote des
magistrats en service à la cour suprême ainsi que les chefs
des dix cours d’appel de la République. Ensuite, ils seront
nommés par le Président de la République après avis

25 Avis n°01 (2001) du CCJE, paragraphe 37.

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favorable du Conseil Supérieur de la Magistrature. Il en


sera de même en cas d’ouverture de la Cour
Administrative Supérieure et de la Cour des comptes.
Cette démarche vise à donner une légitimité forte à la
justice.
S’agissant de la mobilité et de la nomination aux
emplois, la logique binaire, siège / parquet devrait être
respectée. La cour suprême se chargera de la mobilité des
magistrats relevant du siège, tandis que la chancellerie, se
chargera des magistrats du parquet. La mobilité sera
organisée chaque année, en début d’exercice judiciaire. Les
juges devront jouir de l’inamovibilité, ce qui peut se
traduire par la nomination d’un juge à un emploi pour un
nombre d’années déterminées. Cette mobilité sera
approuvée par décret du Président de la République. Ne
seront soumis à l’avis préalable du Conseil Supérieur de la
Magistrature que la nomination aux emplois
d’encadrement, c’est-à-dire, les nominations aux fonctions
de procureur de la République, de président du tribunal,
de procureur général, de président de cour d’appel, de
membre de la cour suprême, de directeur, de conseiller
technique et de sous-directeur au ministère de la justice.
L’attente de la tenue des conseils supérieurs de la
magistrature handicape grandement le fonctionnement de
la justice. Il faut donner la possibilité aux opérationnels
d’utiliser le personnel efficacement sans attendre la
convocation d’une session du Conseil Supérieur de la
Magistrature.
De ce point de vue, l’intégration des magistrats dans le
corps peut se faire dès la sortie de l’école, sans tenue d’une
session du Conseil Supérieur de la Magistrature. Le projet
de décret, pris dès la publication des résultats de fin de
formation à l’ENAM, peut être transmis au Chef de l’Etat
pour sa signature. A ce décret sont annexés deux projets de

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décret portant nomination de ces magistrats, au parquet et


au siège. Ils pourraient être initiés respectivement par le
ministère de la justice et la cour suprême. Cela peut se faire
en l’absence de toute session du Conseil Supérieur de la
Magistrature car, ces jeunes magistrats, pas encore
intégrés, ne peuvent pas être sous le coup de poursuites
disciplinaires en qualité de magistrat. La tenue du Conseil
ne constitue donc pour eux, qu’un goulot d’étranglement.
Et cela se vit, puisqu’il arrive régulièrement que des
promotions, sorties de l’ENAM, attendent 2 ans avant
d’être intégrées dans le corps de la magistrature, la raison
étant qu’il faut attendre la convocation, par le Chef de
l’Etat, d’une session du Conseil Supérieur de la
Magistrature. Pendant ce temps, les aspirants à la
profession, sont exposés à toute forme de railleries dans
leurs familles et lieux de résidence.

 Pour une meilleure rémunération


La question de la rémunération des magistrats se heurte
en pratique à une difficulté à laquelle doit faire face l’Etat,
celle de la gestion des tensions sociales des différents corps
(médecins, enseignants et autres) qui, revendiqueront
immédiatement l’augmentation de leurs revenus. Il faut
donc manœuvrer étroitement. Pour ma part, bien que
reconnaissant la fragilité de la situation sociale, il faut
augmenter le salaire de base des magistrats et greffiers. Il
s’agit de la concrétisation de la volonté du peuple qui, en
décidant de créer un pouvoir judiciaire indépendant, a
entendu le mettre au-dessus de toute séduction, de toute
tentation.
Comment comprendre en effet que les commissaires de
police et officiers de gendarmerie, tous auxiliaires du
procureur de la République, soient mieux rémunérés que
leur hiérarchie judiciaire ? Quel respect espère t – on dans

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un tel contexte, de la part des officiers de police judiciaire ?


Il y a urgence à relever le salaire des membres du pouvoir
judiciaire !
D’autre part, il semble extrêmement plus simple,
compte tenu de la disparité de traitement des émoluments
et primes de rendement, de faire masse de ces sommes, et
de les intégrer, par cotation, directement dans le salaire des
personnels de justice. Pour y parvenir, il convient
d’envisager la modification de l’article 2 du décret n°
97/078 du 25 avril 1997 fixant les modalités de répartition
des émoluments des greffes des Cours et Tribunaux, et de
la prime de rendement.
La répartition suivante pourrait être envisagée:
a) 10 % de la masse versée au Trésor Public ;
b) 15% pour le fonds complémentaire d’équipement
des services judiciaires ;
c) 40% pour le personnel non magistrat à l’exception
de celui en détachement ne concourant pas au
fonctionnement de la justice ;
d) 35% pour le personnel magistrat à l’exception de
celui en détachement ne concourant pas au
fonctionnement de la justice ;
Une fois la masse dégagée, elle est répartie selon une
cotation interne, équitable et objective, tenant à
l’ancienneté dans le corps et non à la fonction, ni au grade.
Cette masse dont l’évaluation annuelle est connue, peut
être intégrée dans le salaire du personnel comme élément
de rémunération. Cela limitera l’arbitraire observé
actuellement dans la gestion des primes de rendement et
émoluments des magistrats, greffiers et contractuels. Au
demeurant, cela limitera la tension avec les autres corps de
l’Etat qui comprendront aisément que c’est une
incorporation des primes dans la rémunération.

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L’on pourrait objecter en disant que cette mesure


manque de pertinence en ce que ces sommes sont déjà
perçues par les personnels. La réplique, reposerait alors sur
deux éléments. Le premier tient à l’irrégularité du
versement de ces primes. Leur incorporation dans le
salaire, disponible à des fréquences régulières, permet
d’avoir une planification des revenus. Le second élément
tiendrait à l’objectivité dans l’allocation des ressources aux
personnels. A chaque paiement d’état d’émoluments et
primes, c’est la grogne dans les palais de justice. La côte
d’amour dans l’affectation de la note déterminant le
montant à recevoir, prend toujours le dessus sur
l’effectivité du rendement fourni. En procédant par une
cotation tenant à l’ancienneté, l’objectivité est de mise et les
montants alloués acceptés.
Au demeurant, cela réduirait tous les frais indus perçus
par les fonctionnaires du trésor qui, sur fond de chantage,
imposent le prélèvement d’un pourcentage, pour le
paiement de ces primes.
L’autre avantage de cette mesure réside dans la prise en
compte de la rémunération à indexer au moment de la
retraite du personnel. Tant que les primes sont reversées
en espèces, elles ne pourront jamais être intégrées dans le
calcul au moment de la retraite. Et, l’augmentation des
salaires bien que souhaitée, n’étant pas pour demain la
veille, il conviendrait de s’accommoder de ces petits
arrangements qui offrent l’avantage de régler plus d’une
situation.

 Pour une école nationale de magistrature et des


greffes
Le mélange de genre observé à l’ENAM entre les
administrateurs civils et les magistrats, compromet
durablement la neutralité des magistrats à juger à l’avenir,

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leur camarade d’antan. Les fonctions de justice, dans le


prolongement de l’indépendance du pouvoir judiciaire,
doivent faire l’objet d’un encadrement et d’une formation
distincte des fonctions d’administrateurs civils.
L’argument de comparaison souvent avancé est qu’en
France, les conseillers des tribunaux administratifs sont
diplômés de l’Ecole Nationale d’Administration. Mais, il
faut noter qu’il s’agit d’une modalité particulière car, à la
création de l’ENA, Michel DEBRE avait pensé, que pour
juger l’administration, il faut la connaître. Au demeurant,
ce qui est valable en France, ne l’est pas nécessairement au
Cameroun. Le contexte camerounais commande une
séparation nette, dès la formation, entre les personnels de
justice et les administrateurs. Raison pour laquelle, je
requiers en faveur de la création d’une école nationale de
magistrature.
Cette école de magistrature qui accueillera également
les fonctionnaires du greffe, devra conclure des
conventions avec le barreau et les ordres professionnels
d’huissier et de notaire, pour la formation des clercs et des
avocats stagiaires.
La formation initiale des magistrats devrait se dérouler
sur 30 mois comprenant, 6 mois de formation théorique, 22
mois de stage pratique et 2 mois de rédaction du mémoire
de recherche. S’agissant de la formation continue, l’école
devra offrir un catalogue annuel de formations spécifiques,
adaptées aux besoins de la justice, à l’attention, outre des
magistrats, des différents membres de la chaine judiciaire.
L’un des enjeux de la formation est de faire monter en
compétence les magistrats sur divers sujets, de manière à
leur donner des rudiments nécessaires à
l’accomplissement de leurs missions. C’est également le
gage de la sécurité juridique et judiciaire au cœur du vœu
de prévisibilité de la justice.

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 Une Direction de la police judiciaire à la


chancellerie
Les rapports entre la police judiciaire et les magistrats
sont extrêmement complexes. Le procureur de la
République, patron de la police judiciaire se discute dans
la pratique, l’autorité sur les officiers de police judiciaire
avec leurs chefs de corps et les autorités administratives.
L’expérience démontre que les officiers de police judiciaire
obéissent plus facilement à leurs chefs de corps et aux
autorités administratives. La raison en est simple, ceux – ci
ont sur eux à la fois, un pouvoir de notation et de sanction.
Toute chose échappant aux procureurs de la République.
Car, la notation des officiers de police judiciaire par les
procureurs généraux, prévue dans le Code de procédure
pénale est inopérante. Dans la pratique, les chefs de corps
ne la sollicitent pas tout comme les magistrats du parquet,
se refusent de procéder annuellement au contrôle de leurs
auxiliaires et à l’évaluation de leur action. Il convient de
revoir cet aspect qui plombe la bonne distribution de la
justice en matière pénale.
Le rétroviseur de l’histoire permet de se rendre compte
de ce qu’avant le rattachement de l’administration
pénitentiaire au ministère de la justice, les personnels de ce
corps développaient eux aussi, une réelle défiance à l’égard
des autorités judiciaires. Mais, depuis leur rattachement au
ministère de la justice, la donne est toute autre. La docilité
des agents de l’administration pénitentiaire est
particulièrement saluée.
Compte tenu de la particularité de la police judiciaire,
préposée également aux opérations de maintien de l’ordre,
il convient de procéder différemment. L’exemple du corps
spécialisé des officiers de police judiciaire placé pour
emploi, au parquet général près le Tribunal Criminel
Spécial, bien qu’illustratif de ce désir de tenir les officiers

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de police judiciaire, ne peut malheureusement se


généraliser. Il semble donc urgent, de créer, au sein du
ministère de la justice, une direction de la police judiciaire.
La création de cette direction poursuit trois buts.
Tout d’abord, il est question de centraliser la formation
des officiers de police judiciaire et donc de superviser les
opérations relatives à l’admission au stage d’officier de
police judiciaire. En l’état actuel, l’examen d’officier de
police judiciaire, échappe totalement au ministère de la
justice qui doit pourtant utiliser les personnels formés. Le
parquet étant le patron de la police judiciaire, il convient
de lui donner la maitrise absolue de la formation de ses
auxiliaires.
Ensuite, cette direction assurera le suivi et la notation,
en ce qui concerne la police judiciaire, des personnels de
défense et de sécurité placés sous l’autorité du ministère
public. Cette évaluation, faite par les procureurs
compétents, devrait faire ressortir, outre le nombre de
procédures transmises au parquet, le nombre de plaintes et
dénonciations contre les unités de police judiciaire, le taux
d’exécution des instructions reçues, le nombre de
procédures retournées pour complément d’enquête ainsi
que le nombre de dessaisissement d’une unité au profit
d’une autre. Sur la base de ces éléments, la direction
envisagée, attribuera annuellement une note aux officiers
de police judiciaire prenant en compte leur performance et
leur aptitude à la collaboration.
Enfin, cette direction devra émettre un avis motivé, sur
les nominations de responsables dans certaines unités de
police judiciaire. Lequel avis prendra en compte les
évaluations ci – dessus mentionnées.
Au demeurant, les procureurs généraux devront créer
une instance disciplinaire régionale au sein de laquelle, les
officiers de police judiciaire seraient appelés à répondre de

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leurs manquements commis dans l’exercice de leurs


fonctions de police judiciaire. Car, le pouvoir de notation
serait veule s’il ne s’accompagnait pas d’un pouvoir de
sanction. Les chefs de corps régionaux des officiers de
police judiciaire prendraient part à cette commission
disciplinaire qui n’a aucune incidence sur les instances
disciplinaires instituées dans leurs administrations
d’origine.
Cette gestion duale des unités de police judiciaire,
limitera le zèle observé chez certains officiers de police
judiciaire et restaurera le ministère public comme seul
patron de la police judiciaire. Vue sous cet angle, cette
direction n’empiètera ni sur les attributions de la
Délégation Générale à la Sureté Nationale, ni sur celle du
Secrétariat d’État à la Défense.
Cette Direction de la police judiciaire veillera également
à la formation et à la discipline de la pluralité des officiers
de police judiciaire à compétence spéciale (inspecteurs des
impôts, des forêts, des douanes, des transports, des mines
etc.).

 Pour une régularité du recrutement des auxiliaires


de justice
Le besoin de justice, quelles que soient les époques n’a
jamais connu de mutation. Il s’est d’ailleurs accentué en
raison du boom démographique. La population du
Cameroun évaluée en 1999 à 14,89 millions d’habitants, est
passée en 2019, soit 20 ans plus tard, à plus de 25 millions
d’habitants. Cette augmentation de la population accroît
également le besoin de justice. Le recrutement des
personnels de justice devrait suivre cette évolution de la
société. La stagnation observée dans le recrutement des
auxiliaires de justice compromet une distribution équitable
de l’offre de justice sur l’ensemble du territoire.

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Or, l’émergence du droit communautaire et son emprise


significative sur les contentieux affectant le quotidien, tels
que les procédures civiles d’exécution, fait des huissiers et
notaires, les acteurs incontournables des procès judiciaires.
Leur nombre insuffisant, qui se traduit souvent par une
absence sur les territoires reculés, plombe le coût de la
justice qui doit nécessairement inclure les frais de distance
pour l’établissement des actes de saisine des juridictions,
par l’huissier territorialement compétent.
Plus grave, la loi foncière ayant fait du notaire la vigie
de l’authenticité des actes de vente en matière immobilière,
il convient de recruter en nombre suffisant, ces officiers
ministériels pour couvrir l’ensemble du triangle national
car, de tout temps, les révolutions sociétales, ont toujours
eu pour point de départ, les litiges fonciers. En laissant les
populations poursuivre ces ventes immobilières nulles ab
initio, le risque est grand que les décisions de justice qui
viendraient à rappeler la règle de droit, ne créent plutôt des
troubles sociaux à l’avenir. Il faut densifier l’offre de
recrutement des notaires. Il faut surtout inscrire ces
recrutements dans la durée et non procéder à des
recrutements sporadiques.

 Vers la fin du régime des privilèges


La circulaire de 1962 reprise plus haut devrait être
rapportée au profit d’une circulaire donnant plus de
responsabilités aux magistrats du parquet. Il faut arrêter de
créer une disparité entre les concitoyens. L’égalité de tous
devant la loi suppose la disponibilité des recours des
citoyens devant les juridictions. La loi encadre la protection
des personnes jugées éligibles à bénéficier d’immunités et
de privilèges de juridiction. Les juridictions n’ont pas le
droit de créer des immunités factuelles à certaines
personnes et personnalités.

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Comment comprendre que des avocats, huissiers et


notaires, ne puissent facilement être inquiétés en raison des
actes qu’ils ont commis ? Quel texte commande qu’en cas
de plainte contre eux, il faille d’abord en rendre compte
voire, tenter une médiation avec les responsables de leurs
ordres professionnels ?
Il en est de même des ministres, directeurs généraux,
hauts responsables de l’administration, hauts gradés de
l’armée, autorités municipales et traditionnelles qui
doivent, lorsque les juridictions sont saisies, être jugés
conformément aux lois de la République. Il faut en finir
avec cette justice de privilèges qui s’abat lourdement sur le
pauvre et s’aplatit devant le riche et le fort. La justice
camerounaise, la nôtre, est rendue en présence de Dieu et
devant les hommes, au nom du peuple camerounais. Il est
temps de prendre la mesure de cette interpellation. Le
suggérer n’est pas faire montre d’un esprit révolutionnaire
au contraire, c’est sauver l’Etat de droit qui maintient
encore, la paix et la stabilité de notre pays.
Les magistrats en service dans les parquets sont formés
à l’ENAM, ils ont donc la connaissance technique
suffisante pour diligenter les causes dont ils sont saisis. Ce
« biberonnage » judiciaire consistant à rechercher une
protection parentale de la chancellerie donne l’impression
d’une formation au rabais des magistrats.
Je ne suis pas opposé au compte rendu à faire à la
hiérarchie. Je m’offusque de l’attente des instructions de
confort alors même que juridiquement, l’analyse du
dossier est déjà faite dans le rapport envoyé à la
chancellerie. Ultimement, il n’est pas inutile de souligner
qu’il n’existe pas une école autonome de formation des
magistrats appelés à servir à la chancellerie. Les magistrats
sont tous diplômés de l’ENAM et ont servi en juridiction.
Sauf à croire que leur expertise s’est affinée dès la lecture

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du décret les nommant au ministère de la justice. La


transmission des dossiers à la chancellerie pour solliciter
des instructions donne l’impression d’une politisation des
dossiers judiciaires. Il faut donc sortir de cette perception
de politisation de l’administration judiciaire par
l’administration de la politique judiciaire.
Les solutions ainsi proposées visent en réalité à motiver
les personnels de justice et ambitionnent de régler à la
racine, les problèmes qui plombent le fonctionnement de
l’institution judiciaire. Ce sont des mesures dont la mise en
place ne requiert pas de grands moyens. Elles constituent
le point de départ de la lutte contre la corruption et le
rallongement des délais de procédure. Je le dis parce que je
sais la résilience des hommes de justice qui, malgré des
bureaux très peu reluisants, s’adonnent et s’adonneront
toujours, à l’œuvre de justice dès lors que ces mesures
minimales viendraient à être prises. Mais ces mesures ne
sont pas une panacée, elles ne sont que curatives pour
permettre de dégripper la machine judiciaire. Il y a donc
urgence à repenser la justice dans sa globalité.

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Chapitre 2

Repenser la justice camerounaise

 Officialiser une politique de gestion axée sur les


résultats
A l’occasion de chaque rentrée solennelle de la cour
suprême, messieurs les Premier Président et Procureur
Général, proposent à la réflexion des membres de la famille
judiciaire, ainsi qu’à l’opinion publique nationale et
internationale, deux thématiques excellemment traitées.
Cet important moment de la vie judiciaire nationale,
mériterait de poser plus largement, la question des
objectifs et résultats annuels de la justice.
Chaque année judiciaire débute, de façon mécanique et
s’achève comme elle a débuté. Cela donne l’impression
d’une navigation à vue. Les statistiques judiciaires,
produites chaque année par les juridictions, devraient faire
l’objet, en fin d’année judiciaire, d’un rapport et d’une
projection quant à l’année qui s’ouvre.
De façon plus précise, chaque juridiction, en fonction de
la nature de son contentieux et des difficultés spécifiques
auxquelles elle fait face, devrait pouvoir déployer un plan
d’actions annuel, destiné à réduire des comportements
observés dans sa zone de compétence. Au-delà de la simple
tenue des audiences et du service administratif assuré par
le parquet, l’Assemblée Générale de la juridiction, pourrait
par exemple, mettre un point d’honneur, à réduire le
phénomène de corruption à travers un ensemble d’actions
qu’elle entend mener. Il peut également s’agir de la lutte

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contre le trafic et la consommation des stupéfiants. Ces


mesures sont arrêtées au niveau de la juridiction.
Mais il faut aller plus loin, et envisager une cérémonie
de présentation du programme annuel dans le domaine de
la justice au cours de laquelle, les responsables de
l’encadrement dirigeant, déclineront les objectifs à
atteindre ainsi que les indicateurs de performance retenus.
Le document acheminé auprès des différentes juridictions,
constituera le guide annuel, le baromètre de l’action
judiciaire pour l’année concernée. L’on pourrait envisager
comme c’est désormais le cas en France, l’interdiction pour
la chancellerie, de donner des instructions dans la conduite
de dossiers spécifiques.
Les chefs de cour d’appel, devront établir à leur tour,
des contrats de performance avec leurs collaborateurs, sur
les résultats à atteindre durant une année. C’est sur la base
de ces indicateurs de performance que l’inspection
générale de la chancellerie pourra effectuer des missions
de suivi et d’évaluation. L’inspection générale devrait
avoir pour mission première, l’évaluation de l’action de la
justice. Les procédures disciplinaires devraient surtout être
l’apanage des instances dédiées que sont, le Conseil
Supérieur de la Magistrature et la commission de
discipline concernant les magistrats du parquet.
La situation actuelle, commande un meilleur ciblage, en
vue d’une évaluation plus fine de l’action de la justice. Il
faut donc se mettre en mode GAR26 en rendant effective
dans la maison justice, la chaine PPBS27.

26 Gestion axée sur les résultats.


27 Planification, Programmation, Budgétisation et Suivi

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 Une politique infrastructurelle ambitieuse


La question infrastructurelle ou comme je la nommais
déjà dans mon mémoire de fin de stage juridictionnel, la
honte de la justice, doit faire l’objet d’une réflexion
approfondie et sérieuse, qui ne doit pas être le seul apanage
du ministère de la justice.
En effet, à côté de la question des lieux de service, existe
celle du logement des personnels de justice.
Sur le premier point, il faut noter que des efforts
considérables sont faits pour la construction et la
rénovation des palais de justice. Le projet déjà démarré, de
la construction d’une tour abritant les services judiciaires
dans la ville de Douala témoigne en effet de cette volonté
de doter l’institution judiciaire, d’ouvrages d’envergure
significative. Mais, il faut aller encore plus loin et amener
les pouvoirs publics à intégrer la nécessité de construire
des tribunaux, comme étant un des objectifs pour atteindre
l’émergence. L’offre infrastructurelle actuelle, ne permet
pas de faire travailler les magistrats et greffiers de façon
décente.
Il serait judicieux de réaliser une enquête sur l’état de
santé des personnels travaillant dans le domaine judiciaire.
Je suis convaincu qu’à côté des troubles de la vue et de
l’ouïe qui remporteront la palme d’or, se trouveront toutes
les maladies en lien avec les organes de l’ORL28 et la
déformation de la colonne vertébrale. Les salles d’audience
ne sont pas sonorisées. Elles sont en plus mal aérées et mal
ventilées. Et le magistrat doit se faire entendre. Les parties
aussi. Lorsqu’un représentant du ministère public a de la
peine à se faire ouïr au cours d’une audience, il est qualifié
de mou, parce qu’un parquetier « ça tonne », ainsi qu’on a

28Oto rhino laryngologie

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coutume de le dire. Oui, il tonne, mais au prix de son


larynx qu’il aura grande peine à faire soigner.
A côté de la question des services publics, se pose le
problème du logement des personnels de justice et
spécifiquement des magistrats. On ne le dira jamais assez,
le magistrat accomplit un travail délicat qui devrait le
mettre à l’abri de toute pression d’une part et, d’autre part,
qui devrait lui garantir un minimum de sécurité. Les
magistrats cohabitent au vu et au su de tout le monde, sans
sécurité particulière, dans les quartiers populaires, faute de
logements dédiés. Il faut mettre un terme à ces pratiques.
De nombreux collègues ont perdu la vie, assassinés, en
raison de leur travail effectué au nom de la République.
Sauf à croire que le nombre de décès enregistrés n’est pas
important, il faut repenser la politique infrastructurelle du
ministère de la justice. Il est important de noter que
l’absence de sécurité d’un magistrat est un facteur
déterminant, sur sa posture à l’occasion d’un procès. S’il se
sent en sécurité, il fera preuve de courage alors que s’il sait
sa vie et celle de ses proches en danger, il sera mièvre. Il est
donc plus qu’urgent de repenser la politique
infrastructurelle en ce qui concerne le logement des
personnels de justice et a minima, celui des magistrats.
L’une des pistes envisageables est la construction des
cités de la justice dans les zones pourvues de tribunaux.
Dans une ville comme Douala, où les constructions
coloniales, se faisaient sur 500 à 700 mètres carrés, il
conviendrait de détruire ces maisons et de privilégier les
constructions en hauteur, plutôt qu’en largeur ou en
longueur. Cela permettrait de gagner de l’espace et de
rapprocher les magistrats de leurs lieux de travail, en
créant par ailleurs plus de solidarité entre eux. Il
conviendrait donc de solliciter, du ministère en charge des
affaires foncières, la mise à disposition des espaces pour
permettre de telles constructions. Il va sans dire que ces

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cités de la justice, feront l’objet d’une sécurisation adéquate


par les agents de l’administration pénitentiaire et les
officiers de police judiciaire.

 La création d’un syndicat et d’une mutuelle de la


magistrature
A chaque fois que l’on évoque la création d’un syndicat
de la magistrature, on prend le risque d’être taxé de
révolutionnaire, voire de Che Guevara. Un corps comme la
magistrature ne peut exister sans un syndicat
régulièrement constitué, chargé d’assurer la défense des
intérêts des magistrats.
La loi n°68/LF/19 du 18 novembre 1968 relative aux
associations ou syndicats professionnels non régis par le
Code du travail, prévoyait déjà la possibilité pour des
fonctionnaires, de créer des syndicats pour la défense des
intérêts de leurs corps de métier. Cette loi posait
simplement comme préalable, l’agrément du ministre de
l’administration territoriale. C’est dire que la frilosité a pris
le pas sur la légalité voire la nécessité alors même que
l’article 21 (2) du Statut général de la fonction publique
rappelle ce droit du fonctionnaire à appartenir à un
syndicat.
Il n’existe en l’état, entre l’encadrement dirigeant et les
juridictions, aucune instance de concertation. La réunion
des chefs de cours se situent à un niveau tellement élevé
que les préoccupations de la petite gent, peuvent
difficilement y être relayées. Or, cette concertation est plus
que nécessaire. C’est la raison d’être du syndicat de la
magistrature dont la création devrait être encouragée par
la chancellerie et la cour suprême. L’intérêt d’un syndicat
de la magistrature réside effectivement dans la nécessité de
faciliter le dialogue entre les différentes strates à l’intérieur
de la maison justice. Trop souvent, les dirigeants sont hors

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sol et ont une connaissance peu suffisante des difficultés


auxquelles il faut faire face au quotidien. Cette instance
collaborative peut permettre d’envisager les évolutions
souhaitables, adaptées au contexte.
Il ne serait pas mauvais de changer de culture
administrative. La logique de la pensée unique, de
l’infaillibilité idéologique de la hiérarchie, doit
progressivement laisser place à plus de concertation, de
conseil et d’assistance à la prise de décision. Plutôt que de
combattre la création d’un syndicat de la magistrature, il
faut l’encourager. Car, sans remontée d’informations des
magistrats de terrain, il est difficile de mettre en place des
politiques publiques pertinentes et adaptées à la réalité des
territoires.
Le syndicat de la magistrature peut servir de levier pour
cette remontée d’informations. Il ne faut pas simplement y
voir un potentiel organe de blocage ou de chantage. Le
blocage et le chantage arrivent lorsque la surdité et la
brimade deviennent les modes de gestion privilégiés.
A côté du syndicat de la magistrature qui ferait office
d’organe politique au sein de la magistrature, il convient
de créer également une mutuelle des magistrats. Les
expériences de collègues décédés faute de moyens
suffisants pour couvrir les frais de santé, tout comme les
endettements massifs des collègues pour faire face aux
soins de santé, amènent à interroger la sécurité financière
offerte aux magistrats. Faute pour l’Etat d’organiser ces
prises en charge, il y a lieu d’envisager, à un niveau
suffisamment important, un schéma de solidarité à
l’intérieur de la magistrature. L’exemple de la mutuelle des
personnels du ministère des finances peut servir de base
de comparaison. Globalement, l’objectif est de garantir, au
minimum, contre paiement d’un ticket modérateur, une
prise en charge des magistrats en cas de maladie ou de

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décès. Les mêmes organes pourraient être reproduits dans


le corps des greffes. Cette mutuelle pourrait aisément être
portée par une compagnie d’assurance qui en assurerait la
gestion administrative. Le but étant de garantir la prise en
charge, a minima, des risques du quotidien pour lesquels,
jusqu’à présent, les magistrats harcèlent entre autres, le
greffier en chef.
Le fonctionnement de ces organes ne compromet en rien
les attributions du Ministre de la justice ou du Premier
Président de la cour suprême. Il n’amenuise pas le respect
dû aux ainés. Il faut donc encourager leur création, car, il
s’agit d’outils vecteurs de motivation au sein de la justice.
Compte tenu du climat de peur systémique dans la maison
justice, il serait de bon aloi que l’initiative de la création de
ces organes soit accompagnée et soutenue par
l’encadrement dirigeant, notamment le Ministre de la
justice et le Premier Président de la cour suprême.

 Recentrer le magistrat sur des sujets significatifs


Deux cas permettent d’illustrer notre point de vue.
Dans une espèce, un homme avait été poursuivi pour
avoir dégusté un plat de bifteck délicatement apprêté par
la plaignante. En substance, cette dernière qui faisait à
manger pour accueillir ses collègues de la tontine, s’est
éclipsée un moment, le temps de se détendre devant une
série brésilienne. Sa cuisine étant externe, le mis en cause,
passant par là, s’est laissé convaincre par le suave fumet
qui s’élevait de la marmite entrouverte. Il apprécia
tellement le plat qu’il ne remarqua pas la présence de la
plaignante dans son dos. Notre homme a été déféré au
parquet, puis traduit à l’audience des flagrants délits.
L’affaire donna lieu à une telle hilarité qu’on avait peine à
croire qu’il s’agissait encore d’un palais de justice. Le pic
de cette hilarité fut atteint lorsqu’interrogée, la plaignante

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a déclaré ce qui suit : « ce qui m’énerve le plus, c’est qu’il


y’avait le riz à côté, au lieu de se servir le riz avec la viande, il a
seulement mangé toute la viande ». Hormis le côté
divertissant, quel est l’intérêt de mobiliser l’attention d’un
juge pour ce type d’affaire qui peut donner lieu à
médiation ?
Dans une autre espèce, un monsieur avait donné
citation directe à un jeune homme pour les faits d’injures.
Il lui reprochait de l’avoir taxé de vieux. Il faut le dire de
suite, le plaignant était âgé de 78 ans. A la question du
ministère public de savoir s’il était vieux, le plaignant
répondit par l’affirmative mais, s’indigna de la manière
avec laquelle il avait été qualifié de vieux. Quels outils
permettent de déterminer voire de criminaliser la
« manière » de soutenir une vérité absolue ?
Ces deux cas démontrent à suffire que la surcharge de
travail des magistrats s’explique aussi par l’absence de
filtre pertinent quant aux affaires à déférer devant lui. Il
faut observer les audiences de simple police pour s’en
convaincre, le juge assisté du greffier et en présence du
procureur de la République, occupent seuls l’immense
salle d’audience où ils procèdent au jugement des
contraventions routières, hors la présence des parties
qu’on aura du reste, peine à retrouver. Au passage, l’Etat
perd de l’argent dans les exploits dressés par les huissiers
de justice qui reviennent presque toujours infructueux. En
moyenne, les dépens de la procédure, hors amende
forfaitaire, s’élèvent à 25.000 F CFA. Une étude spécifique
devrait être commandée sur la vitalité de ces audiences. Je
suis convaincu qu’entre le montant des frais exposés et le
recouvrement effectif des condamnations pécuniaires, le
déficit est immense. Il y a donc urgence à repenser ces
poursuites. Il en est de même des affaires transmises en

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renseignements judiciaires29 et renvoyées à l’audience de


citation directe du parquet. Les statistiques révèleront
également que près de la moitié de ces affaires, sont mises
en délibéré sans que jamais les parties ne comparaissent à
l’audience. Cela s’explique par le fait que l’essentiel de ces
affaires porte sur des infractions d’atteinte à la fortune
d’autrui, telles que l’abus de confiance, l’escroquerie, les
filouteries, le vol, la rétention sans droit de la chose
d’autrui et l’émission de chèque sans provision. L’objectif
poursuivi par les plaignants à l’occasion de ces procédures
est le paiement des sommes qui leur sont dues. Ne peut –
on pas généraliser, pour ces infractions également, la
restitution du corps du délit comme mode d’extinction de
la poursuite sous les conditions qu’il conviendra de
spécifier ?
De mon point de vue, il convient de créer et de former
divers médiateurs chargés d’instruire, dans certains cas
déterminés, les affaires déférées devant elles. L’on pourrait
ainsi envisager des médiateurs aux infractions de la
circulation, aux infractions touchant à la famille, telles que
l’abandon de foyer, la non scolarisation et autres. En
matière civile par exemple, les actes de notoriété tels les
délégations d’autorité parentale, les adoptions simples
peuvent être dressés par le notaire sans intervention du
juge.
Ces médiations préalables obligatoires qui ne vident pas
le juge de son office contentieux, devront faire l’objet d’un
encadrement juridique spécifique. Tout échoue sur la table
du magistrat, ce qui amenuise sa concentration et favorise
malheureusement la discrimination des causes devant
retenir son attention. C’est aussi là, un des moyens de lutte
contre la corruption. Les médiateurs à qui l’on assignera
des indicateurs de performance clairs, seront évalués en

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outre sur le taux de succès de leur office et dans certains


contentieux spécifiques, sur le taux de recouvrement des
amendes.
Le recours à la médiation préalable participe également
du désengorgement des prisons car, la surpopulation
carcérale tant décriée, est accentuée par la présence de ces
prisonniers qui auraient pu transiger avec leurs litigants. A
titre de comparaison, outre la mauvaise foi des
employeurs, le passage obligé devant l’inspecteur du
travail, réduit le volume de contentieux en matière sociale.
C’est un exemple qui peut servir de base de réflexion.
Du reste, dans les régions du Nord – ouest et du Sud –
ouest, bien que la base légale ne soit pas identifiable, les
magistrats opèrent en pratique des médiations en matière
pénale sur des infractions qui constituent en réalité les
incivilités du quotidien. Les résultats de ces médiations
sont plutôt satisfaisants et les populations y sont plus
sensibles qu’à de longues procédures judiciaires
finalement onéreuses. Il serait peut-être utile, sur la base
d’une étude d’impact préalable, d’envisager une loi
portant médiation.
Il convient donc de recentrer le magistrat sur des sujets
significatifs pour lui permettre de faire efficacement son
travail.

 Ouvrir des postes de juriste assistant dans les


palais de justice
Le constat effectué dans les juridictions où j’ai été en
service, et les échanges eus avec de nombreux collègues en
service dans d’autres régions, révèlent que les personnels
des greffes sont outillés juridiquement pour monter en
compétence sur les travaux judiciaires. Pour preuve, ils ont
fait les mêmes études universitaires, ils ont souvent été

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camarades des magistrats, ils ont présenté les mêmes


concours, mais la grâce les a différemment répartis. A côté
de cela, il convient de noter qu’il existe des personnels du
greffe et même des contractuels qui font preuve de
curiosité et s’intéressent au fonctionnement de la justice et
à la rédaction des actes. Plutôt que de les cantonner à des
tâches ingrates et routinières, il conviendrait d’organiser,
en interne, des recrutements aux postes de juristes
assistants.
Ce recrutement poursuivrait deux buts. Il stimule d’une
part, la montée en compétence des personnels du greffe en
leur proposant une reconnaissance intellectuelle qui
galvanise leur motivation. C’est un secret de polichinelle
que de révéler que de nombreuses décisions de justice sont
rédigées, y compris les motifs et le dispositif, par des
greffiers qui font simplement apposer la signature des
magistrats à la fin de leur besogne. Ils le font pour certains,
contre rémunération symbolique et pour d’autres, pour se
perfectionner dans la perspective de présenter le concours
de magistrature.
D’autre part, cette mise à disposition de juristes
assistants permettra au magistrat de confronter son point
de vue et ses connaissances à un autre regard. Je me
rappelle encore de cet auditeur de justice à qui j’avais
confié un dossier pour traitement qui avait évoqué dans sa
motivation, un texte de loi dont j’étais totalement ignorant.
Le juriste assistant aura également pour mission
d’effectuer des recherches tant doctrinales que
jurisprudentielles. Les décisions de justice souffrent de ce
manque de références. L’on se limite presque toujours à
l’interprétation de la règle de droit alors même qu’elle ne
suffit pas souvent à régler le litige déféré devant la
juridiction.

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Cette assistance du magistrat contribuera enfin, à régler


la question de la célérité dans le traitement des procédures,
et jugulera la corruption. Les juristes assistants pourront
être placés pour emploi, à la diligence de la chancellerie,
dans les tribunaux présentant un volume de contentieux
significatif.
Pour leur intéressement, ils pourront après 10 années de
service en qualité de juriste assistant, être intégrés dans le
corps de la magistrature à l’issue d’un concours interne. La
loi portant Statut de la magistrature espérée, se chargerait
d’en régler les modalités.
Il convient de signaler que cette proposition se situe en
droite ligne des dispositions du décret n°2012/189 du 12
avril 2012 modifiant le tableau A (classification et
répartition des emplois judiciaires par grade) annexé au
Statut de la magistrature. Ce décret prévoit l’ouverture de
postes de chargés d’étude à la Cour Suprême, dans les
cours d’appel, dans les tribunaux administratifs et dans les
tribunaux régionaux des comptes. S’il est vrai que ce décret
prévoit que ces postes soient occupés par des magistrats, il
reste que le nombre de magistrats, déjà insuffisant pour
couvrir la demande nationale, ne permet pas de mettre en
œuvre cette réforme pourtant d’importance significative.
Afin donc de la mettre efficacement en œuvre et assurer la
célérité dans le traitement des dossiers de procédure, il
convient d’ouvrir ces postes aux greffiers, déjà assermentés
et sensibilisés sur les enjeux de discrétion, de justice et de
service public.

 Poursuivre l’informatisation de la justice


Le projet Justicam du ministère de la justice fait partie
des projets les plus ambitieux visant à interconnecter les
juridictions et la chancellerie. Ce projet qui a connu un
démarrage fulgurant a été ralenti par des contraintes et

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pesanteurs tant financières qu’administratives. Il se


poursuit et sa reprise augure de lendemains meilleurs en
termes de transparence et de traçabilité de l’action de la
justice. Mais, il faut aller encore plus loin, sans pour autant
s’acheminer vers le tout numérique, et la dématérialisation
du regard du juge, portée par ce qu’il convient d’appeler,
la justice prédictive.
Il faut intégrer à cette dématérialisation, l’archivage
numérique des procédures et l’accessibilité, par l’ensemble
des juridictions, au casier judiciaire. Jusqu’à ce jour, le
casier judiciaire est établi au parquet du lieu de naissance
de l’individu. Ce qui constitue une réelle hypocrisie
administrative dans la mesure où en pratique, les décisions
de condamnation d’une juridiction ne sont pas toujours
acheminées à celle du lieu de naissance du condamné. Or,
l’interconnexion des juridictions permettra aux citoyens,
en quelque endroit où ils se trouveraient, de solliciter et
d’obtenir la délivrance de leur extrait de casier judiciaire.
Le seul bémol de la numérisation reste bien entendu la
question de la sécurité informatique et la protection des
données personnelles. L’accent doit être mis sur la
préservation de ces éléments qui bien que découlant de
décisions rendues publiquement, relèvent de la vie privée
des individus, surtout au regard de la spécificité du
mineur, dont les décisions de condamnation doivent être
« anonymisées ».
Mais cette numérisation impose une vraie conduite du
changement dans les services judiciaires. Il convient de
disséminer une culture « open gov », de transparence chez
les acteurs de la chaine judiciaire. Cela ne peut se faire
automatiquement. Il faut accompagner ce changement de
culture administrative à travers divers séminaires, des
formations ainsi que des séjours d’immersion dans les pays
faisant office de pionnier dans cette culture de

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transparence administrative. Des partenariats d’assistance


et d’accompagnement peuvent dans cette perspective se
nouer avec des pays d’Europe du nord, tel que la Finlande,
la Suède, souvent cités en exemple. Notre justice y a intérêt
car, l’opacité informationnelle rebute le citoyen qui ne se
sent pas rassuré par l’institution judiciaire.

 L’épineuse question de la communication


La justice a ravi à l’armée, la place de « grande muette ».
Institution aux rites et pratiques mystérieuses, la justice
apparaît pour de nombreux concitoyens comme un
monstre froid. Pour preuve, lorsqu’un individu est
convoqué par un magistrat, même en qualité de plaignant,
il prend la précaution de saisir préalablement à son
déplacement, une de ses connaissances apparentée à la
justice, pour s’enquérir des risques, s’ils existent, de cette
convocation. Cette crainte généralisée de la justice qui
donne à rebours, un sentiment de puissance aux
magistrats, ne se justifie que par l’ignorance de nos
concitoyens, du rôle et des missions de la justice.
La justice est rendue au nom du peuple camerounais. Il
convient donc de faciliter l’appropriation de l’office
judiciaire par chaque couche de la société. Il y a quelques
années, la cour suprême a organisé des journées portes
ouvertes. Véritable régal pour les amateurs de justice qui
la découvraient sous un autre jour. Elle se présentait à eux
comme l’incarnation ultime du pouvoir judiciaire, le
dépositaire final de la balance et du glaive qui font rétablir
dans la société, l’ordre et l’harmonie. De telles initiatives
doivent se poursuivre et se généraliser.
Il faut communiquer pour expliquer quelle est la
mission du magistrat. La suffisance de certains collègues
qui soutiennent que les magistrats communiquent à
travers leurs décisions de justice, doit progressivement

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disparaitre. Au-delà du style judiciaire qu’il conviendrait


de simplifier, il faut dire que les décisions de justice se
rapportent toujours aux faits déférés devant le juge. Il ne
saurait donc s’agir d’une communication. Communiquer
revient à présenter l’offre de justice, les recours
disponibles, les compétences existantes et les attributions
des différentes autorités judiciaires.
Communiquer c’est aussi informer lors des affaires
appelant l’attention de la communauté nationale et
internationale. Trop souvent, ce sont les médias, à la
neutralité douteuse, qui se chargent de relayer les
informations à l’occasion de certaines affaires, dont le cas
du décès de l’Évêque de Bafia, Monseigneur Benoit BALA,
n’est qu’un écho perceptible. Il faut communiquer à temps
et non à contretemps. Il faut communiquer pour donner la
bonne information. L’absence de communication donne
l’impression qu’on a des choses à cacher. Or, la justice est
un service public comme les autres. La loi a donné la
possibilité au juge d’instruction et au procureur de la
République, de prendre des communiqués lorsque les
circonstances l’exigent. Mais le formalisme exigé pour une
telle entreprise décourage toute initiative. Résultat des
courses, plus de dix ans après l’entrée en vigueur du Code
de procédure pénale, le nombre de communiqués rendus
publics à l’occasion d’affaires importantes est insignifiant.
Que dire des prises de parole spontanées des magistrats
du parquet lors des descentes sur le terrain à l’occasion de
découvertes macabres ou lors d’incidents sociaux. Les
suicidaires disent une prière avant de répondre aux
questions, tandis que les « vrais » magistrats démarrent en
trombe à la vue des journalistes avec cette phrase
habituelle, « ne m’apporte pas la malchance au corps ».
Derrière cette assertion, se cache en réalité la crainte, pour
le magistrat concerné, d’avoir communiqué, sans
autorisation de la hiérarchie. C’est regrettable d’arriver à

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un tel niveau d’aplatissement. Mais c’est l’effet système. Il


faut donc gommer ces effets pervers et favoriser la
capacitation et la responsabilisation des magistrats.
Pour aller plus en avant, la vraie question est celle de la
formation des magistrats à la communication publique. On
confond la prise de parole au cours des audiences, à la
communication institutionnelle. Le cours de
communication dispensé à l’ENAM, très intéressant, pêche
par une absence de pratique et de mise en situation. De la
sorte, le micro reste encore, pour de nombreux magistrats,
une véritable bête noire, pourtant, il faut communiquer.
Ainsi que le souligne François HOLLANDE dans son
ouvrage « les leçons du pouvoir », l’opinion publique ne peut
plus se satisfaire d’une diète d’informations. Elle a besoin
de savoir et il faut lui donner la bonne information. Faute
de quoi, elle s’abreuvera des « fake news » et la perception
de la justice sera toujours aussi négative.
A l’heure de la société digitale, il faut étendre la
communication sur les supports numériques et les réseaux
sociaux d’influence. Il faut sortir de notre zone de confort
et des médias traditionnels, pour présenter aux citoyens les
actions qui sont réalisées par l’institution judiciaire. Les
sites internet créés doivent pouvoir renseigner utilement
sur les services usuels sollicités et sur les informations en
lien avec le fonctionnement de la justice. Il n’y a rien de
tabou à avoir une page officiel facebook ou twitter du
Ministre de la justice, du Premier Président de la cour
suprême. Le Chef de l’Etat en a bien une ! Bien souvent,
c’est par ces canaux que les citoyens qui n’ont pas la
possibilité de rencontrer les dirigeants, expriment leur
désœuvrement. C’est une porte ouverte à l’échange et à la
collecte d’informations.
C’est aussi cela la communication !

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 Pour une véritable prise en compte des droits de la


personne humaine
Au-delà des déclarations de bonnes intentions, il faut
matérialiser au quotidien, l’option de prise en compte des
droits humains dans la distribution de la justice. Le cas
pathétique des chambres de sûreté qui s’éloignent des
standards prescrits par le comité des droits de l’homme, au
lendemain de l’affaire WOMAH MUKONG, vient se
greffer à la justice des mineurs. Le pauvre mineur, qui
mériterait une loi spécifique pour l’enfance !
Comment comprendre que le législateur ait pensé qu’il
faille, pour le mineur, imposer systématiquement une
information judiciaire ? En quoi cette mesure est – elle
bénéfique pour le mineur ? Comment comprendre que
pour une personne mineure, il lui faut subir le supplice
d’un rallongement de la procédure d’information
judiciaire pour qu’à la clé, il soit admonesté ? Pis, quelle
juridiction est compétente pour connaître de son
contentieux en cas de commission des infractions
terroristes ? Autant de questions qui mettent en relief
l’urgence qu’il y a à revoir la prise en charge judiciaire du
mineur, dont la resocialisation est compromise par la
surpopulation carcérale. Il faut une loi pour l’enfance dans
notre pays !
Bien plus, comment penser que les actes de torture
cesseront dans les unités de police judiciaire en l’absence
d’une véritable police scientifique et partant d’un véritable
système de biométrie ? Comment rendre effectif le
caractère exceptionnel des mesures de détention, sans une
politique d’habitat et d’adressage rénovée, destinée à
s’assurer du domicile connu des personnes poursuivies ?
Ce sont là quelques questions de politiques publiques
transversales qu’il convient de poser sur la table des
discussions.

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Mais, au demeurant, les magistrats et les acteurs de la


justice doivent continuellement être sensibilisés sur les
questions touchant aux droits humains. Des règles
minimales doivent être observées dans les parquets et
autres unités de police judiciaire.
Par exemple, les visages des personnes déférées au
parquet ne devraient plus être dévoilés comme c’est le cas
en ce moment. Il convient de cesser cette pratique
consistant à les transporter sur des pick – up découverts.
La Délégation Générale à la Sûreté Nationale et le
Secrétariat d’Etat à la Défense, devraient se doter de
véhicules de transport couverts, soucieux de la protection
du droit à la présomption d’innocence. Le spectacle de ces
chefs de famille, dont le torse est dénudé, assis à l’arrière
d’un pick – up, dans les rues de la capitale, en direction du
parquet, est écœurant, humiliant et dégradant surtout
lorsqu’en bout de chaîne, la procédure les concernant,
vient à connaître un classement sans suite. Il en est de
même, des chambres de sûreté qui devraient être
aménagées en ayant à cœur, la dignité des personnes
humaines. Il faudrait a minima, y prévoir des commodités
pour le sommeil ainsi que pour la toilette et la réception
des rejets du corps humain. Il ne serait pas inutile,
d’envisager la séparation des genres et des délinquants
dans la construction de ces chambres de sûreté. En garde à
vue, l’on peut souhaiter lire pour se donner du réconfort.
Il faut donc un éclairage des chambres de sûreté et au
minimum, des lits, même superposés. Le gardé à vue, tout
comme le détenu, ne sont pas des moins que rien, la
preuve, ils viennent pour la plupart de nos familles.
Les parquets quant à eux doivent veiller à ce que les
personnes déférées, ne se transforment pas en agent
d’entretien. Il semble que le parquet rémunère les
personnels pour assurer l’entretien des locaux. Il en est de
même des personnes en détention à la prison qui doivent

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être rémunérées, pour les corvées effectuées dans les


domiciles des magistrats, des autorités administratives et
des bâtiments publics. C’est la raison pour laquelle, le
pécule a été prévu dans le Code pénal camerounais, bien
que je reconnaisse que le décret d’application afférent à la
mise en œuvre de ce dispositif pourrait n’avoir jamais été
promulgué. Ce pécule est le point de départ de leur
resocialisation. Il faut en être conscient. La détention n’a
pas pour synonyme exclusion sociale ou chosification.
En toute chose, il convient de respecter cette règle
humaniste qui incite à faire à autrui ce que l’on souhaiterait
recevoir de lui dans la même situation. C’est la base de la
philosophie des droits de la personne humaine.

 Aller jusqu’au bout de la logique de spécialisation


La réforme des enseignements à la division de la
magistrature et des greffes de 2013 a cristallisé le principe
de spécialisation des ordres de juridiction. Cette réforme a
clairement posé le cadre de trois ordres de juridiction au
Cameroun : l’ordre judiciaire, l’ordre administratif et
l’ordre des comptes. En l’état, bien que cette spécialisation
soit déjà à l’œuvre, elle pèche encore par une unicité au
sommet de la pyramide, la cour suprême.
Or, il faut aller jusqu’au bout de la logique en éclatant la
cour suprême. Il semble aujourd’hui plus logique d’avoir à
côté de la cour suprême qui resterait le sommet de l’ordre
judiciaire, une cour administrative supérieure et une cour
des comptes. Un tel éclatement poursuit trois principaux
objectifs.
Tout d’abord, il permettrait une spécialisation effective
des magistrats. Les attachés chargés du contentieux
administratif, récemment formés et affectés dans les
parquets généraux pour y prendre des conclusions en

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matière de contentieux administratif, sont, dans la


pratique, utilisés sur des audiences correctionnelles et
criminelles. C’est un mélange de genre qui ne garantit pas
la spécialisation envisagée. Il faut cloisonner les différents
ordres judiciaires. Les tribunaux administratifs doivent
avoir leur parquet, différent du parquet général de l’ordre
judiciaire.
Ensuite, cet éclatement aura pour effet une baisse
raisonnable de l’activité de certains magistrats,
actuellement en situation de burn out. Le procureur général
d’une cour d’appel, qui connait en même temps du
contentieux de droit commun et du contentieux
administratif est en situation de surcharge intellectuelle
mettant en danger sa santé. Il en est de même du Premier
Président de la cour suprême qui, au-delà de l’activité
judiciaire qui est la sienne, doit encore s’assurer du
management des différentes chambres administrative et
des comptes placées sous son autorité. L’éclatement
envisagé aura pour effet de responsabiliser, y compris en
ce qui concerne le management, les différents chefs
hiérarchiques des ordres de juridiction sollicités.
Enfin, cet éclatement aura l’avantage de créer de
nouveaux postes de responsabilité dans les différentes
juridictions. Les batailles qui plombent le climat socio –
professionnel dans la magistrature, sont également
alimentées par l’envie de monter en responsabilité sur des
fonctions d’encadrement dirigeant. En éclatant ainsi les
ordres de juridictions, c’est une cinquantaine de postes
d’encadrement qui se créent au sein de la maison justice.
Au demeurant, la spécialisation des ordres de
juridiction, garantit une expertise et donc, un traitement
approprié et approfondi (différent du traitement
générique), des causes déférées devant les juridictions
concernées. Cette spécialisation par branche, doit

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également se poursuivre à l’intérieur des ordres de


juridiction. Ainsi, l’on devrait avoir par exemple, des
magistrats spécialisés dans les affaires familiales, des
mineurs etc.
La spécialisation à l’intérieur des divers ordres est le
gage de l’efficacité de la justice. Si l’art de juger est
commun à tous les magistrats, les contentieux spécifiques,
supposent aussi des habiletés particulières. La formation
générique donne simplement aux magistrats un aperçu
général sur la posture à adopter dans la conduite des
dossiers et des procédures. Or, la conduite du procès d’un
mineur par exemple, ne peut être similaire à celle d’un
procès ordinaire.
Les articles 700 et suivants du Code de procédure
pénale, fixent la procédure applicable au mineur, qui est
une procédure dérogatoire. Pour preuve, le mineur ne sera
jamais interrogé sur le fait de savoir s’il plaide coupable ou
non coupable. Il lui sera simplement demandé s’il est
l’auteur de l’infraction ou s’il y a participé. La démarche
est différente en ce qu’elle prend en compte la candeur de
la personne poursuivie. Il ne sera également jamais soumis
à un interrogatoire musclé du procureur de la République.
Les questions doivent lui être posées dans un style simple.
Bref, il faut une posture différente qui rassure le mineur.
Cela nécessite, au-delà d’une disposition naturelle, une
formation spécifique. C’est bien là un des enjeux de la
spécialisation.

 Associer le peuple à l’œuvre de justice


La démocratie participative doit pénétrer tous les
segments des politiques publiques de l’Etat. La justice,
pourtant rendue au nom du peuple camerounais, demeure
un véritable mystère pour ses concitoyens. Or, il semble
que le juge ne donne aux faits qu’un habillage juridique.

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Pour preuve, lorsqu’une rixe éclate dans une chaumière,


les spectateurs de celle – ci sont capables, au regard des
faits, d’en déterminer le fautif, sans pour autant qu’ils
soient magistrats. Il en est de même des chefs traditionnels
qui rendent des jugements souvent plus justes et équitables
que ceux rendus dans les cours et tribunaux. Et il semble
bien souvent, que cette justice soit plus facilement acceptée
que celle rendue par les juridictions.
Les assesseurs prévus dans certaines matières
spécifiques sont plus des figurants qu’autre chose. Leur
présence étant requise par la loi, le juge s’en accommode
malgré lui, car, habitué à décider seul. Il faut donc aller
plus en avant et légiférer en faveur de la création des jurys
dans les affaires criminelles d’une gravité particulière.
Il est parfois incompréhensible pour des populations,
ayant retrouvé au petit matin, la dépouille mortelle d’une
dame, dont l’époux a exercé nuitamment des violences sur
elle, de voir acquitter ce dernier au bénéfice du doute, car
aucun élément du dossier ne permettait de façon
sentencieuse, de conclure à sa culpabilité. Dans ces cas, les
populations concluent facilement à une corruption à ciel
ouvert.
Or, la mécanique juridique révèle quelques fois des
complexités auxquelles il faudrait associer le peuple. La
justice gagnerait en crédibilité et le peuple serait rassuré
par la qualité des décisions rendues avec sa participation.
De nombreux pays ayant un niveau de développement
comparable au notre, ont intégré ces jurys populaires dans
certains contentieux spécifiques. La Côte d’ivoire par
exemple dispose des Cours d’assises dans son organisation
judiciaire. Celles – ci, prévues en matière pénale, sont
constituées des magistrats et des jurés choisis au sein de la
population suivant des critères bien définis.

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Notre justice y gagnera car, dans bien des cas, la seule


règle de droit ne suffit pas à appréhender l’impact social
d’un jugement et, très souvent, les magistrats vivent
déconnectés des réalités du terrain. Le peuple quant à lui,
a une sensibilité particulière. Il est le baromètre de nos
agirs et comme le disait le philosophe, « il assure que le juge
en jugeant, lui-même est jugé ». Afin de sortir de ce procès
systématique du juge, il convient d’associer le peuple à la
prise de décision, dans certaines affaires pénales
d’importance significative.

 Développer une culture de l’éducation et de


l’accès aux droits des citoyens
A côté de la Commission Nationale des Droits de
l’Homme et des Libertés chargée de la promotion et de la
protection des droits humains, le ministère de la justice
doit jouer un rôle important dans l’éducation aux droits et
surtout dans la facilitation de l’accès aux droits des
citoyens.
A l’orée de cet ouvrage j’ai évoqué la nécessité d’éclater
le barreau et de réguler convenablement l’activité des
agents d’affaires. L’éducation et l’accès aux droits peuvent
se déployer dans ce cadre.
Qu’entend-on par éducation et accès aux droits ?
L’éducation aux droits consiste en la sensibilisation des
citoyens sur l’existence de droits protégés et dont ils sont
les titulaires dans les limites prévues par la loi. Mon bref
séjour sur les territoires, m’a permis de me rendre compte
que de nombreux citoyens sont ignorants de leurs droits.
C’est le cas des femmes qui, magnétisées par les errements
de certaines coutumes, ignorent totalement qu’elles ont
droit à la liquidation de la communauté des biens, au
lendemain du décès de leur conjoint. Elles n’ont jamais

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entendu parler de l’hypothèque légale de la femme mariée


relativement à l’aliénation d’un immeuble de la
communauté. C’est le cas des personnes poursuivies qui ne
sont pas toujours informées de leur droit de garder le
silence, ou de leur droit à ne point s’accuser ou à être
soumis à la torture. De nombreux parents conduisent
encore leurs enfants têtus, dans les unités de police
judiciaire pour qu’ils y soient fouettés, sans mesurer les
conséquences de tels agissements.
Plus drôle, le dialogue suivant au cours d’une audience
au cours de laquelle j’occupais le banc du ministère public,
est suffisamment révélateur de la nécessité d’éduquer les
citoyens à leurs droits et devoirs :
- Monsieur … plaidez – vous coupable ou non coupable
- Est-ce que je suis venu ici pour m’amuser ?
- Répondez à la question posée !
- Je dis que je suis coupable ééééé est ce que j’ai peur ?
- Etes – vous sûr de votre choix de défense ?
- Wêêêêêê la femme ci, je dis que je suis coupable éééééé
- Racontez-nous les faits sommairement s’il vous plaît
- Le jour-là, je n’étais même pas à la maison. Comme
depuis il me fait la jalousie parce que j’ai tôlé ma maison, il
vient ici dire que j’ai dit qu’il est laid avec sa femme …
Il plaidait en fait non coupable mais n’était pas familier
de ces terminologies savantes.
L’éducation aux droits réside spécifiquement dans cette
pédagogie consistant à disséminer, sur l’ensemble du
territoire, cette culture d’appropriation des droits
humains, destinée à renforcer la démocratie et l’Etat de
droit. Cette éducation aux droits ne peut se réaliser sans un
dispositif national d’accès aux droits.

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L’accès aux droits est le complément nécessaire de


l’éducation aux droits. C’est la possibilité offerte au
citoyen, généralement peu nanti, d’être informé et assisté,
dans des cliniques juridiques constituées et animées par
des avocats, des agents d’affaires, des auditeurs de justice
et autres volontaires, des procédures à entreprendre pour
la sauvegarde d’un droit. Ces cliniques juridiques peuvent
être instituées dans les pénitenciers, les unités de police
judiciaire, les mairies, les préfectures. Elles sont tenues par
des professionnels selon un agenda arrêté. Elles permettent
ainsi aux citoyens, de soumettre gratuitement leurs
difficultés d’ordre juridique à des professionnels. De se
faire accompagner gratuitement dans le montage de leurs
procédures. Les professionnels ainsi mobilisés, sont
défrayés par l’Etat selon un taux convenu.
Ce dispositif favorise une culture contentieuse sur les
territoires et, réduit le coût d’accès à la justice. Pour
certaines matières en effet, notamment les voies
d’exécution, il faut dépenser, juste pour la saisine de la
juridiction, hormis les frais d’avocat, près de 36.000 F CFA,
soit le SMIG, avec le risque d’introduire une action
inappropriée. Le ministère de la justice devrait prendre la
responsabilité de ces cliniques juridiques et assurer leur
permanence sur l’ensemble du territoire en prenant
comme unité territoriale de base, les départements, les
arrondissements pourvus de juridictions, ainsi que les
maisons d’arrêt. Ce dispositif permet de rétablir le lien de
confiance entre les citoyens et leur justice et réduit
considérablement le développement de la justice privée,
qui tend à se normaliser.
Une convention cadre entre le barreau, l’ordre des
agents d’affaires, la Commission Nationale des Droits de
l’Homme et des Libertés, les collectivités territoriales et le
ministère de la justice devrait régler, le déploiement et les
sommes à allouer au soutien d’une telle présence sur les

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territoires. L’éclatement du barreau pourrait en effet


constituer un accélérateur de ce processus en ce que
l’examen d’entrée au barreau se régionalisant, non pas du
point de vue identitaire, mais du point de vue du lieu
d’établissement professionnel, il y a fort à penser que les
cabinets d’avocats créés, essaimeront l’ensemble des
territoires couvrant les tribunaux des régions concernées.
Les agents d’affaire déjà présents sur les territoires
n’auront aucune gêne à poursuivre, avec une
rémunération symbolique, le travail déjà entrepris.
Ce déploiement impose donc la création de nouvelles
charges d’huissier et de notaire car, il s’agit des officiers
ministériels préposés à l’accompagnement du rendu de la
justice.

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Troisième partie

Quelques pistes de financement des


mesures proposées

Le nerf de la guerre reste bien entendu la question du


financement. Mais, il faut dire d’emblée que les difficultés
de financement existent et existeront toujours dès lors
qu’elles seront mises en avant. Il convient de souligner
qu’il n’existe aucun rivage que la volonté d’entreprendre
ne peut atteindre. Le succès de toute entreprise humaine
repose préalablement sur la volonté. En l’absence de toute
volonté, rien ne peut changer. Il faut avant toute chose
construire la volonté.
Cette construction passe par la réalisation de l’urgence
et de l’étendue du malaise. C’est la raison pour laquelle,
des études et enquêtes spécifiques, de préférence
quantitativistes, doivent être menées. Car, si l’on reste sur
des enquêtes de satisfaction, en bout de processus, les
données montreront plutôt que tout va bien. Aucun
magistrat ne voulant apparaître comme celui qui critique,
on aura des résultats hypocrites, complètement éloignés de
la réalité du terrain.
Des enquêtes peuvent être effectuées sur la durée
moyenne de traitement d’un dossier, sur le nombre
d’ordinateurs mis à la disposition des magistrats, sur le
nombre de magistrats titulaires de véhicules, sur le coût
moyen des dépenses de carburant des personnels de
justice, sur la distance moyenne séparant un magistrat de

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son lieu de service, sur le coût moyen du loyer des


magistrats. D’autres enquêtes plus budgétaires pourront
être menées sur le nombre de magistrats ayant bénéficié de
leurs indemnités de congés, de leurs allocations familiales
etc. Les enquêtes à l’intention des justiciables peuvent être
menées sur le coût moyen de dépense en justice, sur la
connaissance des procédures existantes. Bref, pour créer
une volonté politique il faut démarrer sur un constat.
J’ai posé mon diagnostic dans ce livre, il est le fruit de
mon regard et de ma perception des choses. Il y a sans
doute beaucoup d’erreurs ou d’opinions à confronter avec
les efforts déployés au niveau des instances dirigeantes,
mais c’est mon constat de terrain. Il n’est donc pas hors sol.
Mais il faut des diagnostics plus fins, arrimés à une
méthode, une approche chiffrée, de façon à quantifier
l’ampleur de la situation. C’est ce constat préalable, plaqué
à la face des pouvoirs publics, qui va créer une volonté
politique.
En pratique, le problème des enquêtes est qu’elles
produisent des résultats politiquement corrects. Les
responsables des départements ministériels et de projets,
voient dans la gravité des constatations, un aveu d’échec
de leur management. Il faut absolument sortir de ces
nombrilismes. La revue générale des politiques publiques,
permet justement de mettre en place des mesures
chirurgicales destinées à régler les problèmes existants. Les
enquêtes menées avec des biais politiques, ne constituent
ni plus ni moins que des dépenses inutiles dès lors que
l’objet est dévoyé. Il faut que les enquêtes soient réalisées
avec sincérité et que les véritables résultats soient retenus
dans les rapports finaux.
Ces études ont un coût j’en conviens, mais ce ne sont pas
les ressources pour les financer qui manqueront. J’estime à
250.000.000 F CFA les études à réaliser par l’inspection

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générale du ministère de la justice. C’est un coût dérisoire


qui peut aisément être budgétisé et pris en compte dans le
budget du ministère. Si la loi des finances ne le prend pas
en compte, la coopération peut se mettre en place pour
rechercher auprès de différents partenaires, cette manne.
Parce que la volonté politique doit naître de l’ensemble
des parties prenantes en quête d’une justice plus
équilibrée, il est souhaitable que ces études impliquent les
partenaires au développement. Trop souvent, sous le
qualificatif d’administration support, sous-entendu
administration de consommation, ces bailleurs de fonds
privilégient des subventions dans les domaines de
l’économie et du social, oubliant au passage que la justice
est le confluent où se déversent l’ensemble des politiques
publiques. C’est la mission de régulation qui lui est confiée.
Or, l’œuvre de régulation ne peut fonctionner dans un
environnement dérégulé, il faut avoir une lecture et un
ciblage pertinent, dans l’allocation des enveloppes
consacrées tant à l’aide publique au développement, qu’au
désendettement dans le cadre du C2D.
S’agissant du C2D par exemple, qui lie la France et le
Cameroun, la justice doit cesser d’y être exclue. La matrice
de cet important dispositif de financement révèle que de
2006 à 2017, 655 milliards de francs CFA ont été injectés,
dans le cadre de la lutte contre la pauvreté, entre autres,
pour la formation, la construction des salles de classes,
l’insertion des jeunes par l’activité économique,
l’aménagement du territoire, la fourniture en eau et en
électricité et l’exploitation agricole. Pour la période 2017 –
2025, 401 milliards de francs CFA30 sont prévus pour le
développement équilibré des territoires à travers la
décentralisation, le soutien aux populations exposées au

30 Source site ambassade de France au Cameroun

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terrorisme et à la crise du NOSO31, ainsi que le


développement agricole.
Parlant par exemple de la décentralisation, celle-ci ne
peut prospérer sans la mise en place effective des
tribunaux régionaux des comptes chargés de veiller à la
régularité des dépenses locales. Ce simple exemple
démontre bien que la justice ne devrait pas être exclue des
financements du C2D. Il faut le faire valoir et prendre une
part active dans la redistribution des enveloppes qui
peuvent permettre de régler en partie les problèmes
soulevés dans cet ouvrage. C’est un exemple qui démontre
simplement qu’il faut sortir des carcans, faire preuve
d’ingéniosité et aller à la recherche des financements. Des
niches existent, il faut simplement les explorer. Le taux
d’endettement du Cameroun se situe autour de 33% du
PIB. Ce taux n’est pas critique au regard du plafond fixé à
60% du PIB, dans les pays de l’Union Européenne. Des
marges de manœuvre existent à condition que
l’endettement soit qualitatif.
Le coût le plus important dans les propositions faites est
celui en lien avec la politique immobilière. Il se décompose
en deux lots. Le premier est celui de l’aménagement des
lieux de service et palais de justice et le second lot est relatif
aux cités de la justice dont le déploiement devra se faire de
façon graduée en prenant prioritairement, les ressorts où
l’offre locative est tendue.
S’agissant du premier lot, en s’inspirant de la technique
usitée par l’emprunt obligataire et en visant la
compétitivité du savoir-faire local, il convient d’organiser
une plateforme avec les entrepreneurs de BTP
camerounais et le ministère des finances, pour les
impliquer dans la construction des ouvrages publics,
notamment les lieux de service et les palais de justice, dans

31 Nord – ouest, Sud – ouest

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des délais raisonnables, contre rémunération graduée et


échelonnée dans le temps. En compensation, des
allègements de charges peuvent être consentis et une
réserve raisonnable sur la commande publique pourra être
garantie selon les modalités convenues d’accord parties.
L’endettement, tant qu’il est national, n’est pas soumis aux
mêmes contraintes que celles des bailleurs de fonds
internationaux. Le cas japonais, avec un endettement
record de près de 220% du PIB, est à cet égard illustratif.
L’avantage d’une telle démarche est de permettre en un
temps record, la résorption du déficit en termes de bureaux
et de rénovation des palais de justice, en sus, cette
démarche permet de créer de l’activité économique à
l’intérieur du territoire national à travers la valorisation du
savoir-faire camerounais.
Relativement au second lot, les cités de la justice en
zones tendues telles que Yaoundé, Douala, Bafoussam,
Garoua, Buéa et Bamenda, devront être envisagées dans
une approche BOT32. Il existe de par le monde de
nombreux consortium désireux de nouer des partenariats
immobiliers avec les Etats. Ils exigent généralement la
délivrance d’une garantie souveraine de l’Etat qui pourrait
être signée sans difficulté, sur très hautes instructions du
Chef de l’Etat, une fois la sensibilisation effectuée au
travers du résultat des enquêtes menées.
L’avantage de la justice c’est qu’elle dispose d’une
réserve immobilière dans les livres du cadastre
camerounais. En privilégiant la hauteur, de vraies tours
peuvent voir le jour dans l’optique d’y abriter les
personnels cadres, voir des personnels non cadres de la
justice. Les postes donnant lieu à résidence de fonction
seront réservés, tandis que les autres, seront mis en
location dans des espaces conviviaux, à des prix

32Build operate transfer

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extrêmement raisonnables. Cela aura le double avantage


de garantir le logement aux magistrats dès leur affectation
et, le coût réduit, permettra de faire des économies pour
des acquisitions immobilières personnelles.
L’amortissement de l’investissement pourra s’étaler sur
une quarantaine d’années, le temps pour le partenaire,
dans une clé de répartition convenue, de rentabiliser son
investissement. A l’issue de la période indiquée, l’ouvrage
reviendrait définitivement à l’Etat du Cameroun, via le
ministère de la justice. Les loyers collectés abonderont le
trésor public. C’est une piste à explorer. Si elle se réalise, le
ministère n’aura pas dépensé, le moindre franc, mais aura
soulagé un besoin criard des personnels de justice. Il
faudra simplement, dans les termes de référence, bien
évaluer les coûts de construction et les coûts de sortie.
S’agissant de la systématisation du passage en grade
des magistrats, par mesure d’équité et de justice, il devrait
simplement faire l’objet d’une prévision et d’une insertion
budgétaire exactement comme cela se fait pour les forces
de défense et de sécurité. Les magistrats, tout comme ces
personnels de défense et de sécurité, servent l’Etat du
Cameroun. Il n’y en a pas qui le servent plus que d’autres.
Le budget doit pouvoir intégrer cela, encore et surtout que
l’espacement entre les grades et le volume de recrutement
dans la justice, permettent de dire qu’il s’agit d’une
dépense soutenable.
S’agissant de la création de l’Ecole Nationale de
Magistrature et des Greffes, son financement ne coûtera
pas plus cher que les nombreuses écoles et centres de
formation étatiques créés ça et là. De nombreuses
résidences, somptueuses pour beaucoup, ont été
confisquées dans le cadre de l’opération épervier, l’une
d’elles peut être rénovée pour abriter le siège de l’Ecole
Nationale de Magistrature et des Greffes. Le budget de
cette école sera autonome. Il sera financé par les

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subventions étatiques, les fruits de la coopération et les


formations dispensées. La part du budget de l’actuelle
ENAM revenant à la formation des auditeurs de justice et
greffiers, sera simplement reversée au fonctionnement de
l’ENMG
S’agissant de l’informatisation et de la conduite du
changement, il semble que le budget de la justice prévoit
déjà le déploiement du projet Justicam. Il pourra donc
continuer à supporter cette dépense. A défaut, une
approche PPP33, pourrait être envisagée, en lien avec le
CARPA34.
Sur le financement de l’éducation et de l’accès aux
droits, il faut convenir que ce dispositif peut rencontrer des
résistances de nos jours. Son financement n’est pas si
important. Il s’agit surtout de convaincre de son utilité.
Une fois la conviction de son utilité établie, le financement
suivra. En évaluant à 100 cliniques juridiques le nombre
retenu sur l’ensemble du territoire, et en allouant une
indemnité hebdomadaire de 100.000 F CFA par clinique
juridique, l’on arrive à un montant de 10.000.000 F CFA par
semaine sur l’ensemble du territoire. Soit le montant
annuel de 540.000.000 F CFA. En divisant ce montant par
les 25.000.000 de camerounais, l’on arrive à un résultat
annuel arrondi, de 22 francs F CFA par camerounais. C’est
un coût extrêmement faible. Or, le besoin de justice existe
et est criard. Au plan budgétaire, cette somme peut
sembler à la fois importante et insignifiante. Importante
quant à la masse à rendre disponible, mais insignifiante
quant à la finalité poursuivie et surtout aux résultats
escomptés.
A titre de comparaison, l’Etat verse comme subvention
annuelle aux clubs de football professionnels (propriété

33 Partenariat public privé


34Conseil d’Appui à la Réalisation des Contrats de Partenariats

143
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des particuliers), comme contribution aux salaires des


joueurs et encadreurs, la somme de 560.000.000 F CFA.
C’est dire que 500.000.000 F CFA n’est pas énorme, pour
assister juridiquement, l’ensemble des camerounais.
Au-delà, un schéma de financement peut être mis en
place entre les différentes parties prenantes de la chaine de
justice, à laquelle il faut adjoindre les collectivités
territoriales décentralisées. Une bonne collecte des
amendes forfaitaires d’une part, l’abandon de certaines
dépenses, telles les audiences de simple police, d’autre
part, pourraient permettre d’amorcer l’équilibre de cette
dépense.
Il ne s’agit là que de quelques pistes de financement. On
le voit bien, la volonté préside à leur succès dont
l’application peut s’avérer difficultueuse. La principale
difficulté étant celle de la résistance au changement.

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EPILOGUE

L’indispensable ingrédient : le respect de


l’éthique et de la déontologie

Le magistrat, ce simple mortel entre les frêles mains


duquel a été déposée la mission divine de rendre justice,
bénéficie du seul fait de l’accès à cette fonction, d’une
certaine crédibilité. Il est perçu un peu moins qu’un dieu,
mais assurément supérieur à un homme ordinaire. C’est
donc un « demi dieu » qui mérite un traitement différencié.
Il s’agit d’un modèle mieux, d’un parangon dans la société,
qui devrait par ailleurs, par son attitude, susciter des
vocations.
Il urge donc de mettre en place un Code déontologie du
magistrat camerounais qui viendrait lui rappeler les
qualités et attitudes que la République espère le voir
développer dans l’exercice de ses fonctions.
La tâche du magistrat est périlleuse et stressante. Il
convient de l’outiller en lui donnant les matériaux
nécessaires à l’accomplissement de sa mission. C’est tout le
sens de l’élaboration d’un Code de déontologie qui
définira de manière précise, les obligations qui s’attachent
à la fonction de juger et leur étendue. A travers la sérénité
apportée par ce Code dépouillé de la vertu intimidante du
Code disciplinaire, l’on peut sans risque aucun, affirmer
que c’est le rendu de la justice qui se trouvera grandi.
André GIDE, dans la préface de l’ouvrage «Vol de nuit »,
d’Antoine de Saint EXUPERY, affirmait que le « bonheur ne
réside pas dans la liberté, mais dans l’acceptation d’un devoir ».

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Cette assertion intéressante appelle quelques


développements.
Tout d’abord, elle exclut toute idée de liberté voire de
libertinage. L’homme n’est pas maître absolu de son
existence. Il doit se conformer à la justice naturelle qui est
inscrite au fond de tout un chacun et qui constitue pour lui,
le véritable code moral. Cette justice naturelle détermine,
le bien du mal, le bon du mauvais et le beau du laid. Toute
chose ayant amené PROTAGORAS à affirmer que
« l’homme est la mesure de toute chose »
Ensuite, elle introduit subrepticement une obligation,
un devoir à la charge de l’homme. Le terme « devoir » ici
s’entend d’une charge attachée à l’existence humaine.
Enfin, et c’est le plus important à notre sens, ce devoir
n’est pas imposé à l’homme mais au contraire, c’est lui qui
l’accepte, librement, sans contrainte pour son plus grand
épanouissement.
Le magistrat ne doit donc pas subir la discipline qui lui
est imposée mais au contraire, il doit l’accepter, la vouloir
pour son plus grand épanouissement dans l’exercice de ses
fonctions. Mais il ne peut aimer ce qu’on lui impose. Raison
pour laquelle, en incitant sa faculté discursive, le Code de
déontologie l’amènera à aimer son travail.
Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, la petite sainte, traitant
de la question de l’amour en distingue trois modalités :
« Aimer, être aimé et faire aimer l’amour ».
Aimer pour le magistrat, c’est saisir les implications de
la mission qui est la sienne et la délicatesse de la mission
de juger qui lui est confiée. Aussi comprend-il que ce n’est
pas pour lui qu’il juge ses semblables, mais pour Dieu
présent à ses côtés lorsqu’il juge.
Etre aimé, serait le fait de se sentir en sécurité dans
l’exercice de sa mission. Il doit être dépouillé de toutes les

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contraintes et de toutes les craintes dans sa tâche. Il doit se


sentir à l’abri de l’arbitraire pour aller à la rencontre des
valeurs sempiternelles inhérentes à la fonction de juger.
Celle de l’humanisme, de la vérité, de l’équité, de la charité
et de l’amour.
Enfin, faire aimer l’amour, c’est rendre une justice
acceptée par tous comme étant juste. La perception de la
justice doit refléter la prise en compte non seulement de
l’intérêt supérieur de la société qui, omnisciente, a part au
théâtre des prétoires, mais aussi et surtout, l’attente de ce
demandeur de justice que la société quelques fois n’a pas
su encadrer et qui espère néanmoins, que la miséricorde
viendra d’un homme, le magistrat. Car, derrière la
paperasse d’un dossier, se jouent des préoccupations
humaines indicibles.
Mais comment juger l’homme si on ne se connait pas
soi-même ? Socrate, théorisant sur cette question,
conditionnait la connaissance absolue, à son propre
examen de conscience. Il déclarait alors, « connais-toi toi-
même et tu connaitras l’univers et les dieux ». Se connaitre
dans ses forces et ses faiblesses, amène le magistrat à
arpenter le chemin de l’humilité. Humilité, qui vient du
latin « humus », signifie une terre fertile, propice à la paix
et à la vie. Le magistrat, pour être cette terre fertile, doit
devenir un homme de rectitude. Il doit s’approprier les
obligations déontologiques qui sont attachées à sa
profession et à sa personne.
La situation actuelle de navigation à vue, qui laisse
croire au magistrat que tout peut donner lieu à
interprétation en raison de l’imprécision du contenu des
obligations déontologiques, est préjudiciable à l’érection
d’une justice de qualité. L’arrogance et l’orgueil de certains
magistrats, commandent qu’ils soient ramenés sur terre à
travers un apprentissage permanent, aux principes

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déontologiques. Autant l’on est enclin à organiser des


séminaires sur le droit OHADA, autant il faut songer à
tenir des formations continues, sur l’éthique et la
déontologie. L’habitude qui consiste à croire que l’on n’a
pas besoin de formation sur l’éthique et la déontologie en
raison de leur apparent caractère abstrait, est un orgueil
mal placé qu’il convient de gommer.
En tout état de cause, ainsi que le révélait Saint Grégoire
de Nysse, « tandis que l’orgueil est une montée vers le bas,
l’humilité est une descente vers le haut ». Regardons la
perception de notre justice et situons le curseur de notre
posture.
N’arrêtons pas d’apprendre ou de nous cultiver sur les
attendus et les implications des principes déontologiques
qui régulent l’office de magistrat. Il ne s’agit pas de
principes statiques, mais de notions dynamiques.
In fine, nos concitoyens attendent de nous que nous
soyons compétents, mais surtout que nous soyons intègres.
Le Code de déontologie est le premier outil qui garantit
cette intégrité.
La compétence sans intégrité, est une lente agonie vers
le cimetière de l’iniquité.

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Conclusion

Jean de LAFONTAINE dans sa fable « conseil tenu par les


rats », a bien planté le décor du climat actuel dans la
magistrature camerounaise. La finale de cette fable se lit
ainsi qu’il suit :
« Ne faut – il que délibérer, la cour en conseillers foisonne ;
est – il besoin d’exécuter, l’on ne rencontre plus personne ».
Pour s’en convaincre, il suffit de trouver les magistrats
dans leurs bureaux. Ils se plaignent, grognent,
grommellent, s’offusquent de tout et contre tout. Mais une
fois en présence de la hiérarchie, supposée résoudre les
problèmes décriés, ils se découvrent obséquieusement
admirateurs, laudateurs des efforts entrepris et poussent le
ridicule, jusqu’à bénir le ciel pour tel ou tel manager, contre
lequel ils ont proféré la veille, les insanités les plus
immondes. C’est d’un ridicule pathétique !
Emboitant des siècles plus tard, le pas à
LAFONTAINE, Pierre RAHBI, à la suite de Julien
GRAACQ, démontre que les plus grandes actions sont
accomplies par de petites gens, et invite, chaque maillon de
la chaine, à accomplir sa tâche pour aboutir à un
changement au sein de la société.
« Un jour, dit la légende, il y’eût un immense incendie de
forêt. De tous les animaux terrifiés, seul le petit colibri s’active,
et crache sur le feu. Agacé, le tatou lui dit, colibri cela ne sert à
rien ! Je sais, (répond le colibri), mais je fais ma part ». Cette
citation est tirée de l’ouvrage de Pierre RAHBI intitulé, « la
part du colibri ».

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Le présent livre est un coup d’aiguille dans l’océan, je


ne le sais que trop. Mais c’est ma contribution de colibri.
Aussi lacunaire soit elle. J’espère que la critique l’enrichira
de ses avis. Je le souhaite vivement.
Les lignes qui précèdent peuvent donner l’impression
d’un ouvrage au vitriol qui peint en noir la maison justice.
L’ambition est d’alerter, de mettre le doigt sur les irritants
que j’identifie comme étant les causes profondes du
malaise sourd que connait la justice. Mais parler des freins
ne veut pas dire que rien ne marche. Tout comme critiquer
n’a pas nécessairement pour synonyme condamner. Bien
qu’il en soit très peu fait mention, ce livre n’est pas
nihiliste. Il n’a pas vocation à soutenir que rien n’est fait
pour une institution judiciaire de qualité dans notre pays.
Il soutient simplement que les efforts déployés ne prennent
pas toujours en compte le ressenti des opérationnels de
terrain. Raison pour laquelle, en accomplissant « ma part »,
je relaye ce qui de mon point de vue, que je confesse
perfectible, plombe la motivation des magistrats et autres
personnels de la justice. Je ne m’attaque pas à des
individus. Je ne cherche pas des responsables. J’analyse le
système et les causes de la situation actuelle.
Cette analyse, je l’ai entamée dans mon mémoire de fin
de stage juridictionnel au cours duquel, j’avais bien
identifié le climat socio – professionnel comme l’un des
freins pour un service public judiciaire de qualité. Mon
séjour juridictionnel a conforté cette perception. L’on ne
peut pas toujours se taire en espérant que le changement
tombera du ciel. Le changement, pour être pacifique, doit
être débattu et anticipé. Lorsqu’il ne se construit pas, il
s’expose à une résistance qui elle-même,
malheureusement, ne produit que des fruits acides. Il faut
donc anticiper et débattre.

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Je soupçonne les brimades à venir, ressassant sans


doute mon impertinence à produire une telle réflexion.
D’autres ne manqueront pas d’évoquer l’obligation de
réserve que j’aurais violée en signant cet ouvrage. Je sais
également qu’on y verra une critique des dirigeants en
poste. Mais ce n’est point-là mon intention. Je mets en
lumière les incohérences entre la société qui a vu naître ce
système et les aspirations de notre époque. C’est un regard
qui peut prendre les allures de conflit générationnel, mais
il ne faut pas se limiter à regarder le doigt qui montre la
lune. Je critique et je propose des solutions. Je ne reste donc
pas sur ce qui ne va pas, mais je m’appesantis sur ce qu’il
faut faire pour améliorer les choses.
On ne peut pas proclamer l’indépendance d’une main
et la retenir de l’autre. L’exécutif a pris trop de place dans
la vie judiciaire. Le fait que les magistrats soient
majoritairement représentés au ministère de la justice,
n’enlève pas à ce ministère son appartenance à l’exécutif. Il
faut se méfier des amalgames. Au ministère de la justice on
applique la politique du gouvernement, tandis que dans
les tribunaux, l’on rend justice.
Je propose une gestion des compétences et des emplois
fondée sur les résultats, le mérite et non sur la connivence
et l’appartenance à des cercles (clan, religion, tribu,
association et clubs service). Pas qu’en l’état, certaines
personnes ne soient pas récompensées en fonction de leurs
mérites, loin de moi cette idée. Mais je requiers en faveur
d’un nouvel état d’esprit qui conduirait les collègues, à
privilégier la qualité de leur travail aux présents à offrir à
la hiérarchie.
Plus grave, la parole est muselée. On surveille ce que
l’on dit. On se surveille mutuellement. On rend compte
discrètement à la hiérarchie. On se plaint en secret, on
sourit en public. Je propose donc de libérer la parole. Je

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propose la création d’un syndicat, défenseur des droits des


magistrats. Au passage, je suggère la création d’une
mutuelle, pour alléger le coût des soins sanitaires,
funéraires ainsi que les nécessités contraintes du quotidien.
Notre solidarité nous y oblige.
Je requiers en faveur d’une plus grande
responsabilisation des magistrats, des greffiers. Je requiers
en faveur d’une collaboration avec les avocats et les agents
d’affaires. Je requiers en faveur d’une école autonome de
la magistrature et des greffes. Je requiers pour une
régularité et une plus grande équité dans l’accès aux
professions judiciaires.
In fine, je requiers pour une prise en compte
suffisamment forte de l’intérêt du citoyen, véritable
baromètre et juge de paix de l’action de la justice. La justice
ne doit jamais se départir de son visage humain et
humanisé. Le citoyen, tel le client dans une boutique, est le
roi pour lequel et au nom duquel nous œuvrons. Ce
citoyen est pluriel certes, mais il a les mêmes droits, que la
balance de la justice doit préserver en équilibre, dans le
respect de la règlementation.
On me reprochera sans doute ma jeunesse. Je l’assume
et je n’y vois aucune injure. Je note simplement que les plus
âgés, se terrent, sans doute par « sagesse », dans les
bureaux, pour se plaindre. Je ne peux me complaire d’une
telle hypocrisie, d’une telle couardise. Et je reste convaincu
que le plus grand danger ne réside pas dans une action
impulsive, mais plutôt dans l’inaction. Dans ce contexte,
comment continuer à se taire lorsqu’au fond de soi l’on ne
se reconnait plus dans le choix effectué de devenir
magistrat ? Comment se taire lorsque la pratique judiciaire
tente de modeler en nous, un homme qui n’a jamais existé ?
En plongeant les pieds dans le ruisseau de mon enfance,
le flux de mes souvenirs révèle ma plume comme le

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rempart absolu. Elle a accompagné mes détresses de fils de


pauvre, elle a essuyé mes larmes d’orphelin, elle a soutenu
la douleur de mes amours manqués, elle a apaisé mes
humiliations nombreuses, elle a affiné ma liberté. Et
comme le disait Peter HANDKE, « j’écris pour ouvrir le
regard ».
Pour moi, le magistrat doit être un homme libre. Libre
de ses idées. Libre d’avoir une opinion individuelle sur les
sujets. Libre de dire non, lorsque c’est la seule option légale
qui s’offre. Le magistrat est à la fois porté par les ailes de
PEGASE en raison de ses fonctions et contraint, comme
ICARE, à ne pas trop s’éloigner du sol. Dans cette aventure
qui oscille entre les astres et la poussière, le magistrat ne
peut se laisser lier ou dicter sa vision du monde et des
choses. Il est donc cette hirondelle éprise de liberté qui se
laisse guider par le vent de la vérité. Il ne rend pas la justice
car, cela reviendrait à prédéfinir la justice qu’il
appliquerait, comme une formule mathématique.
Le magistrat rend justice. C’est-à-dire qu’il se fait
amoureux de la vérité et compagnon du droit, pour rendre,
dans une démarche contradictoire, éclairée par le maître de
la vie, devant qui il a prêté serment, une décision qui reflète
la vérité véridique. Une vérité au-delà de tout soupçon, de
tout doute. Pour y parvenir, il doit connaître l’homme.
Mais comment connaître l’homme s’il ne se connaît pas lui-
même ? La problématique est grande, titanesque mais pas
insurmontable.
J’identifie l’éthique et la déontologie comme un outil
permettant la connaissance de soi et de l’autre. L’on ne
peut donc juger sans ouvrir les yeux, c’est pourquoi
THEMIS, dans l’aventure qui s’annonce, en cette heure du
monde numérique, fait de certitudes incertaines et de
vérités à vérifier, doit ôter son bandeau et se laisser guider
par la lumière, source de toute liberté.

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C’est cette liberté qui s’exprime dans cet ouvrage. La


liberté de ne pas avoir peur d’éventuelles représailles. La
liberté d’annoncer le printemps au lendemain d’un hiver
rude. La liberté de regarder le rétroviseur de l’histoire avec
la satisfaction d’avoir légué à la postérité, un héritage dont
elle pourra faire un usage amélioré. Je suis et resterai un
homme libre, dans le respect du serment que j’ai prêté, le
30 janvier 2015, au lendemain de la date anniversaire du
décès de mon père qui, le 29 janvier 2000, m’a demandé,
sur son lit de mort, de devenir magistrat.
Ma liberté, c’est mon devoir de mémoire.

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Table de matières

Dédicace ....................................................................................9

Remerciements .......................................................................11

Avant-propos .........................................................................13

Introduction ............................................................................21

Première partie

Mots à maux

Chapitre 1
Murmures d’intérieur ...........................................................29

Chapitre 2
Caméra cachée........................................................................63

Deuxième partie

Des pansements aux pensées

Chapitre 1
Panser les maux à la racine...................................................87

Chapitre 2
Repenser la justice camerounaise ......................................111

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Troisième partie

Quelques pistes de financement des mesures proposées

Epilogue
L’indispensable ingrédient : le respect de l’éthique et de la
déontologie ...........................................................................145

Conclusion ............................................................................149

156
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N° d’Imprimeur : 161445 - Octobre 2019 - Imprimé en France
SOUS LE BANDEAU Ulrich Xavier Ovono Ondoua

Ulrich Xavier Ovono Ondoua


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DE THÉMIS, LES LARMES


Panser et repenser la justice camerounaise
La justice va-t-elle bien au Cameroun ? La réponse est mitigée. Il faut
crever l’abcès en pointant du doigt l’origine du malaise. La corruption
n’est pas la cause, elle est la face visible de l’iceberg, la conséquence SOUS LE BANDEAU
d’un système, sans doute justifié par les éléments de contexte d’antan,
mais qui a perdu toute crédibilité au fil de l’évolution et des
réalités socio-structurelles.
DE THÉMIS, LES LARMES
Ce système s’étiole graduellement et mérite d’être repensé. Il ne sert Panser et repenser la justice camerounaise
à rien de le maintenir en état, simplement par habitude. Il n’y a aucun
mal à questionner la pertinence des modèles en vigueur. Dans certains
pays, il est de coutume d’envisager une révision générale des politiques

SOUS LE BANDEAU DE THÉMIS, LES LARMES


publiques, non pas pour démontrer l’échec des dirigeants, mais pour
effectuer une évaluation critique, destinée à insuffler une nouvelle
dynamique.

L’auteur, jeune magistrat du premier grade, analyse la perception


négative de la justice camerounaise. Son regard de l’intérieur lui
permet de relayer les récriminations sourdes, enfouies par crainte
de représailles des hautes autorités judiciaires. Il met également en
évidence les griefs imputés aux acteurs de la justice. Il propose enfin
des solutions pour redonner à la justice sa grandeur. Pour lui, il faut que
le pouvoir judiciaire soit pleinement indépendant. Cela passerait par
l’amenuisement de la présence et des influences du pouvoir exécutif
dans la vie judiciaire.

Ulrich Xavier Ovono Ondoua, est magistrat du 1er grade.


Major de la promotion « Justice et intégration régionale » de
l’ENAM au Cameroun, il est diplômé en Management et
Administration Publique de l’ENA de France, Promotion Louis
Pasteur. Il est également titulaire d’un Master en administration
publique spécialisée, option finances publiques, obtenu
à l’Université de Strasbourg, où il poursuit des études de
doctorat en droit public.

Illustration de couverture : vecteezy.com


POINTS DE VUE
ISBN : 978-2-343-18673-3
17,50 e

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