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22, n° 1, 200 0
Johanne HAMEL2
Institut de formation professionnelle en psychothérapie par l'art
Résumé
Cet article propose la psychothérapie par l'art comme une importante voie d'accès à
l'imaginaire et développe une approche de l'imaginaire conçu comme un médiateur important
du changement psychothérapeutique. L'article aborde les sujets suivants : les axiomes qui
sous-tendent l'approche, le langage d'images comme langage du changement, la
confrontation de l'imaginaire personnel, l'imaginaire et le corps; l'auteur apporte des
exemples d'intervention en psychothérapie par l'art et en conclusion, l'article aborde l'apport
particulier des thérapies par les arts créatifs à la psychothérapie.
INTRODUCTION
1. Le présent article est basé sur une conférence présentée au Congrès international sur
le plancher pelvien et les abus sexuels, qui a eu lieu à Montréal, en septembre 1998.
2. Johanne Hamel, M.Ps, A.T.R., ATPQ, Institut de formation professionnelle en
psychothérapie par l'art, 1412, rue Simard, Sherbrooke (Québec), J1J 3K4. Téléphone
et télécopieur : (819) 822-1217. Courriel : johamel@caramail.com
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l'imaginaire et que le psychothérapeute qui utilise sciemment ce fait
augmente la portée de son action.
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L'imaginaire et la psyché
Avens (1980) se réfère à Jung, pour qui l'imaginaire sous-tend tous les
processus perceptifs et cognitifs : les images sont la seule réalité que nous
puissions appréhender directement. Donc, tout ce que nous savons est
transmis à travers des images et rien ne peut être connu à moins que ce
ne soit apparu d'abord comme une image. Le monde n'a d'existence qu'à
travers une image psychique.
Avens va même plus loin. Pour lui, le lieu de la psyché est identique au
lieu de l'imaginaire :
Le constructivisme
La réalité n'est pas une réalité — vérité. Elle est réalité « perçue —
analysée » quotidiennement par un groupe d'acteurs. (Muchielli,
1993, p. 80)
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Watzlawick (1980), pour élaborer sa théorie sur un langage du
changement qui soit cliniquement efficace, met ensemble deux concepts
centraux : le concept de l'image du monde et le concept de l'asymétrie
hémisphérique.
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« Au lieu de faire appel au langage purement intellectuel pour
suggérer, par exemple, à un patient obèse qu'il perdra de l'appétit
dans quelques jours, on obtient de bien meilleurs résultats si l'on
demande au sujet d'élaborer une image mentale aussi précise et
vivante que possible de sa graisse, sans se préoccuper le moins
du monde de sa valeur scientifique. L'essentiel est qu'il s'agisse de
son image et de sa visualisation. » (Watzlawick, 1980, p. 67)
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« Nous disposons d'un langage particulièrement condensé et
chargé de signification : le langage des rêves, des contes de fée,
des mythes, de l'hypnose, des hallucinations et autres
manifestations analogues; c'est le langage de l'hémisphère droit
qui se présente par conséquent comme la clé naturelle qui nous
ouvre ces domaines de l'esprit où seuls peuvent se produire les
changements thérapeutiques. » (Watzlawick, 1980, p. 58)
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donc non menaçant. Le client est libre d'expérimenter et de ressentir
l'impact du nouveau comportement avant de le transférer à sa vie réelle.
Par exemple, dessiner un autoportrait peut facilement aider un client à
prendre conscience du peu de valeur qu'il s'accorde. Convenir verbalement
du fait que cette image de soi est totalement irrationnelle aura beaucoup
moins d'impact que de tenter de dessiner une image de soi « comme si » il
s'accordait beaucoup de valeur. Le seul fait de concevoir concrètement sur
le papier une image d'un concept de soi différent commence à altérer
l'image négative de soi, parce que le client utilise le langage de
l'hémisphère droit, que le cerveau droit comprend ce langage et qu'il
commence à agir en fonction de cette nouvelle image. Rappelons-nous
que l'image est aussi réelle pour le cerveau que la réalité elle-même.
En Amérique, l'art-thérapie n'inclut pas les thérapies par les autres arts
créatifs : les thérapies par la danse, par le mouvement, par le théâtre, par
la musique sont toutes des disciplines distinctes. Bien que le son, le
mouvement, la sensation kinesthésique et proprioceptive font, à mon sens,
partie de l'imaginaire, il n'en demeure pas moins que la psychothérapie par
l'art réfère seulement à l'utilisation psychothérapeutique de l'image ou de la
pré-image (lignes, formes, couleurs), en deux dimensions (dessin,
peinture, collage) ou en trois dimensions (sculpture, assemblage d'objets
divers), dans un but de mieux-être psychologique de la personne. Parmi
les outils essentiels et spécifiques à l'art-thérapie, se trouve l'utilisation de
l'impact psychologique des médias artistiques : par exemple, les crayons
feutres ont un impact psychique différent des pastels à l'huile, des pastels
secs, de la gouache ou de l'argile. L'art-thérapeute connaît et utilise
l'impact spécifique de chaque médium. La couleur constitue également un
outil spécifique à l'art-thérapie. La couleur a des effets physiologiques et
psychiques importants; l'art-thérapie peut utiliser la perception subjective
de la couleur, mais aussi l'effet physiologique réel de la couleur. En effet, il
a été démontré que la couleur agit sur le corps indépendamment de sa
perception par l'œil : les aveugles, les animaux y réagissent.
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Soulignons également que l’art-thérapie se déroule dans le cadre d’une
relation thérapeutique où la création artistique supporte et actualise le
travail thérapeutique (Association des art-thérapeutes du Québec, 1996).
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« Si je peux me plonger dans la nature de la ligne, elle révélera des
merveilles. » (McNiff, 1992, p. 113)
L'IMAGINAIRE ET LE CORPS
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comment la personne ressentira ce choc! Donc, autant dire que cela
dépend de la façon subjective dont le patient vit l'événement, de l'image du
monde qu'il s'en fera consciemment ou non.
HISTOIRES DE CAS
Exemple 1
Le groupe est convié à faire un exercice que j'ai créé, inspiré de Shaun
McNiff, qui suppose une démarche en quatre dessins dont le but est de
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travailler sur le mieux-être physique en tentant d'identifier les images du
monde sous-jacentes à une douleur physique, pour mieux les transformer.
Ce processus participe souvent à la guérison physique en diminuant la
douleur et parfois même en l'éliminant.
er
1 dessin (figure 1) : La consigne consiste à dessiner une douleur
physique actuelle ou souvent présente, en se centrant spécifiquement sur
la sensation douloureuse. Ma cliente choisit de travailler sa douleur dans
l'abdomen. On voit sur la figure 1 une main noire qui adhère fortement à un
utérus rose, bleu et blanc entouré de barbelés. L'image rend bien l'idée et
la sensation « d'adhérences » à l'utérus. La cliente ressent cette douleur au
moment même où elle la fait, celle-ci étant particulièrement activée
puisqu'elle est dans sa période de menstruations.
e
2 dessin (figure 2) : La consigne ici est de remonter dans le temps
jusqu'à la toute première fois où une sensation semblable a été ressentie.
Ma cliente associe cette douleur à un cauchemar récent sans savoir
pourquoi ce rêve s'impose à son esprit. Elle représente son rêve par une
énorme tache noire à droite, puis une forme bleue au centre qui rappelle
une forme phallique. Tout à coup, surgit chez elle un souvenir : à 7-8 ans,
elle s'est « empalée » en tombant de haut sur une vieille clôture de bois; un
morceau de bois a pénétré de l'aine jusqu'à l'os du bassin, à quelques
pouces de la vulve. Ma cliente est extrêmement émue de retrouver ce
souvenir et de comprendre qu'il a un lien avec ses douleurs actuelles.
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e
3 dessin (Figure 3) : Il s'agit cette fois de dessiner comment se sentirait
cette partie du corps si elle était complètement guérie. Elle dessine un
utérus tout rosé, qui lui rappelle des perles, de la douceur, des fleurs. Ce
dessin suscite beaucoup de tristesse, car elle croit impossible de parvenir à
se sentir aussi bien un jour.
e
4 dessin (Figure 4) : La consigne de ce dernier dessin est de
représenter la transition entre le premier dessin (la douleur) et le troisième
(la guérison) en empruntant des caractéristiques visuelles de l'image du
premier dessin comme du troisième. La cliente redessine l'utérus rose. Il
est ici supporté par une main ouverte, dessinée spontanément en bleu
pâle, alors qu'elle était toute noire dans le premier dessin.
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L'apparition du bleu pour représenter la main exprime la transformation
spontanée d'une image subjective, reflétant le changement cognitif qui
s'est opéré chez ma cliente. En effet, celle-ci réalise à travers cette
démarche que les adhérences ne sont pas un ennemi intérieur à
combattre, un dysfonctionnement d'une partie de son corps cherchant à en
détruire une autre, mais une réaction extrême de protection que le corps a
adoptée spontanément à la suite du « choc » créé par l'accident avec la
clôture, ce qui opère un renversement complet de sa perception subjective
de ces adhérences. Questionnée sur le sujet, elle dira qu’à la suite de cette
prise de conscience, il lui apparaît déjà un peu plus possible de parvenir à
se sentir complètement bien un jour. Le lendemain, ses douleurs
menstruelles ont diminué considérablement; elle les décrit comme moins
fortes qu'elle ne les a ressenties depuis bien des années. Cinq semaines
après l'exercice, elle dit : « Après la fin de semaine d'art-thérapie, j'ai été
menstruée à nouveau. Mis à part quelques douleurs durant la première
demi-journée, cela s'est super bien passé. Depuis ma dernière grossesse,
je n'avais plus eu de menstruations normales. Les écoulements étaient
brunâtres et sous forme de caillots. Cette fois, c'est redevenu un flot
régulier et de couleur rouge. Je mentionne également que mes maux de
ventre ont diminué en fréquence et en intensité. J'ai encore des crampes et
des épisodes de constipation, mais ça ne se présente pas sur une base
permanente et constante. J'en suis fort aise!!! »
Exemple 2
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Il s'agit d'un homme de 31 ans; appelons-le « Jean ». Ce client que j'ai
vu pendant 3 ans s'est présenté avec un symptôme de dyspareunie
acquise généralisée et due à des facteurs psychologiques. Des examens
médicaux n'avaient trouvé aucune affection médicale et aucune substance
n'a joué un rôle dans l'étiologie de la douleur.
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4) et surtout, et en dernier ressort finalement, une image du masculin où
les émotions sont réprimées et où le seul lieu affectif devient la
sexualité. Toute émotion difficile était ressentie dans l'appareil génital
et créait une douleur. Son ressentiment vis-à-vis de sa mère autant
que sa culpabilité ou sa peur de donner vie se manifestaient par cette
douleur. Au cours de la démarche thérapeutique, nous avons vu le
« lieu » de la douleur psychique et physique se transférer : une fois
qu'elle se fut déplacée des testicules, nous l'avons vu se manifester
sous la forme d'un malaise ressenti au niveau de la poitrine, puis
ressenti de plus en plus haut jusqu'à être perçu au niveau de la gorge.
Un peu comme si les émotions, devenant de plus en plus conscientes,
se faisaient sentir corporellement de plus en plus haut, donnant lieu à
des images dessinées ou fabriquées de plus en plus faciles à décoder.
C'est ainsi que mon client a constaté sa très grande peur de l'abandon
ainsi qu'une dépendance affective à sa nouvelle conjointe. Exprimant et
prenant conscience beaucoup plus rapidement de ses émotions et de ses
besoins affectifs, ces processus ne semblaient plus avoir besoin de se
manifester par des symptômes physiques pénibles. Mon client, maintenant,
a plutôt le sentiment que son corps lui parle, pour peu qu'il sache l'écouter,
c’est-à-dire qu'il a développé une sensibilité très grande à ses processus
proprioceptifs; il dira savoir immédiatement si quelque chose dans une
situation lui crée une tension émotive, en restant attentif à ses sensations
internes.
CONCLUSION
Abstract
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This article proposes art psychotherapy as an important access to imagination and
develops a conception of imagination as an important ingredient of psychotherapeutic
change. The article presents the following contents : the approach's axioms; images as the
language of therapeutic change; the confrontation of personal imagination; imagination and
body; the writer gives examples of art psychotherapy interventions, and as a conclusion, the
article elaborates on the specific contribution of creative arts therapies to psychotherapy.
Références
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