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LA BIOÉTHIQUE EN DÉBAT

Louis Dubouis

John Libbey Eurotext | « L'information psychiatrique »

2011/7 Volume 87 | pages 551 à 555


ISSN 0020-0204
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2011-7-page-551.htm
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L’Information psychiatrique 2011 ; 87 : 551–5

BIOÉTHIQUE, ÉTHIQUE ET PSYCHIATRIE

La bioéthique en débat

Louis Dubouis

RÉSUMÉ
Parce qu’elle est avant toute interrogation sur la conception que nous nous faisons de la personne humaine, la bioéthique
est en perpétuel débat. Si la fonction de protection de la personne n’est pas contestée, on continuera de s’interroger sur sa
signification, sur la dignité humaine qui en constitue le fondement, sur le mode de protection que l’on peut attendre de la
règle de droit qui vise à imposer le respect des principes de bioéthique reconnus dans nos sociétés.
Mots clés : définition, bioéthique, recherche biomédicale, éthique, morale, droit, dignité humaine

ABSTRACT
The bioethics debate. Human bioethics is in perpetual debate because, above all we constantly question its basic concept.
If the protective function of the individual is not challenged, we at least continue to question the meaning of human dignity,
which is its foundation, as well as the type of protection that can be expected from the rule of law designed to insist on
compliance with recognized principles of bioethics in our societies.
Key words: definition, bioethics, biomedical research, ethics, morality, law, human dignity

RESUMEN
La bioética a debate. Porque es ante todo interrogación sobre la concepción que tenemos de la persona humana la bioética
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está a debate continuo. Si no se cuestiona la función de proteger a la persona, seguirá la interrogación sobre su significado,
sobre la dignidad humana que constituye su fundamento, sobre la manera de proteger que puede esperarse de la regla
jurídica que apunta a imponer el respeto a los principios de la bioética reconocidos en nuestras sociedades.
Palabras claves : definición, bioética, investigación biomédica, ética, moral, derecho, dignidad humana

En France, comme dans beaucoup d’autres pays, le débat interrogations nouvelles que les progrès de la science bio-
sur la bioéthique ne connaît guère de pause. La révision médicale ne cessent de faire surgir garantissent qu’il ne
des lois de bioéthique, en cours d’examen par l’Assemblée s’agit pas d’un simple effet de mode. Et sans doute le débat
nationale et le Sénat, n’en constitue pas la seule manifesta- est-il de l’essence même de la bioéthique. Ainsi, selon le
tion. Le début de l’année 2011 a vu renaître les controverses traité de bioéthique qui vient de paraître sous la direction
sur l’euthanasie et le « bébé médicament » ou « bébé du d’Emmanuel Hirsch, « tout doit être mis en œuvre pour sus-
double espoir ». Et tout porte à croire que le temps du citer un débat loyal et argumenté. . . également pour créer
débat n’est pas prêt de s’achever. La permanence des ques- les conditions de sa pérennité » [5].
tions que se posent les équipes de soins tout comme les Sans omettre de signaler les points sur lesquels un large
accord s’est réalisé, c’est cette permanence du débat sur
la bioéthique que nous voudrions rappeler en évoquant
trois questions majeures à partir desquelles se développe
doi:10.1684/ipe.2011.0827

Professeur émérite de l’université Paul-Cézanne – Aix-Marseille,


Marseille, France la réflexion : qu’est-ce que la bioéthique ? Quelle est sa
<louis.dubouis@gmail.com> fonction ? Quelle règle de droit pour la bioéthique ?

Tirés à part : L. Dubouis

L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 87, N◦ 7 - SEPTEMBRE 2011 551

Pour citer cet article : Dubouis L. La bioéthique en débat. L’Information psychiatrique 2011 ; 87 : 551-5 doi:10.1684/ipe.2011.0827
L. Dubouis

Qu’est-ce que la bioéthique ? ciant de la morale et a supplanté celle-ci. En témoigne la


nouvelle rédaction de la mission impartie au Comité consul-
Le terme bioéthique est la traduction de bioethics. Le tatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la
biologiste et oncologue américain Van Reusselaer Potter fût santé (CCNE). À la création du comité en 1983, elle était
le premier à l’employer dans un article intitulé Bioethics, de « donner un avis sur les problèmes moraux qui sont sou-
the science of survival publié en 1970 dans la revue Pers- levés par la recherche dans les domaines de la biologie, de
pectives in biology and medecine puis, l’année suivante, la médecine et de la santé, que ces problèmes concernent
dans son ouvrage Bioethics, bridge to the future. Mais les l’homme, des groupes sociaux ou la société toute entière ».
mots eux aussi échappent à leur créateur. Dans la conception En 1994, elle deviendra celle de « donner des avis sur les
de Potter, la bioéthique, qui combine connaissances biolo- problèmes éthiques et les questions de société qui sont sou-
giques (le bio) et valeurs humaines (l’éthique), est l’éthique levés par les progrès de la connaissance dans les domaines
de tout le vivant, animaux et végétaux compris. Or, sous de la biologie, de la médecine et de la santé ». Quant à la
l’impulsion des travaux menés au sein du Joseph and Rose détermination de ce qui différencie l’éthique de la morale,
Kennedy Institute for the Study of Human Reproduction elle demeure matière à large débat duquel semblent émer-
and Bioethics, de Georgetown, une conception plus étroite ger quelques dominantes. L’éthique n’est plus perçue, ainsi
s’imposera en Amérique du Nord et en Europe. Quelques que le proposait Paul Valadier [14], comme un ensemble de
résistances mises à part – dont, en France, celle de Pierre- règles de comportement consacrées dans une société alors
André Taguieff [13] – la bioéthique telle qu’elle est conçue que la morale serait interrogation sur le bien fondé et sur les
aujourd’hui ne concerne que l’homme. Elle est l’éthique limites de l’obligation de les respecter face à une situation
appliquée dans le domaine biomédical, que l’on qualifie déterminée. Ce serait plutôt l’inverse. La morale constitue-
souvent de bioéthique médicale. Éthique, biomédecine, ces rait un corps de règles absolues, rigides, dont l’observance
deux termes posent problème, le premier surtout. s’imposerait, le cas échéant sous peine de sanction, de façon
Alain Badiou [1] range le mot éthique au nombre de ces stricte dans toutes les situations. Pour cette raison, elle
« mots savants, longtemps confinés dans les dictionnaires et s’avère impuissante à guider le médecin ou le chercheur
la prose académique, (qui) ont la chance, ou la malchance dans les situations caractérisées par des conflits de valeur
– un peu comme une vieille fille résignée qui devient, sans et plus encore à répondre aux questions si complexes aux-
comprendre pourquoi, la coqueluche d’un salon – de sortir quelles le progrès des techniques biomédicales ne cesse
soudain dans le plein air du temps ». De fait, il n’est pro- de nous confronter. L’ancien ministre de la Santé, Jean
fession ou responsable – politique, économique, financier, François Mattei, a fort bien analysé cette situation. « Devant
sportif – qui ne s’en réclame. À raison même de cette vogue, de nouvelles connaissances, l’homme doit faire des choix
inédits. Il doit en fait se déterminer et adopter un comporte-
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la notion d’éthique ne saurait se prévaloir de parrainages
aussi célèbres que l’Éthique à Nicomaque et l’Éthique à ment pour répondre aux nouvelles conditions scientifiques,
Eudème, d’Aristote ou l’Éthique de Spinoza pour se sous- techniques ou sociales et aux progrès que lui confèrent des
traire aux controverses. pouvoirs dépourvus de précédents (en matière de procréa-
Cela vaut tout particulièrement s’agissant de la bio- tion, de greffes d’organes, de génie génétique). Ce choix
éthique dont le développement a suscité un renouvellement éthique ne peut résulter que d’un questionnement par réfé-
du débat qui porte sur la relation entre éthique et morale. rence à des valeurs morales, philosophiques ou religieuses.
Jusqu’alors les deux notions étaient majoritairement assi- L’éthique désigne alors la morale en application, face à de
milées l’une à l’autre. On qualifie encore usuellement nouvelles situations » [9].
d’éthique ce qui concerne la morale, l’éthique étant défi- Ainsi l’éthique est-elle entendue comme étant d’abord
nie comme la science de la morale (Robert). En bioéthique, un questionnement. Pour Jean Bernard, qui fût le premier
un fort courant perpétue cette conception qui se fonde sur président du CCNE, « l’éthique implique une réflexion
l’étymologie, éthique et morale étant les traductions termes critique sur les comportements. . . et ce mot savant, par
grec et latin qui ont un sens équivalent. L’éthique ne serait- opposition avec son parallèle latin « morale » suppose que
elle qu’« une morale qui en perd son latin » (France Quéré) l’on s’interroge sur les principes et qu’on en discute » [2].
[10] ? Cela conduit Axel Kahn à oser « parler, presque indif- Ses successeurs ne la conçoivent guère différemment. Pour
féremment, de morale ou d’éthique » [8] ; Alexandre Jaunait Didier Sicard « il n’y a pas de bonne réponse « éthique »
également, au motif qu’il n’existe pas « une essence de de la bioéthique. Il n’y a que des questions ». Il va même
l’éthique et/ou une essence de la morale dont les définitions jusqu’à déclarer que « l’éthique n’existe pas en tant que
par nature stables seraient à découvrir ou déjà découvertes telle. C’est la réflexion qui, par son existence même, met-
par certains » [7]. Mais le même auteur observe qu’« il tant en tension des finalités contradictoires, peut se revêtir
existe aujourd’hui un champ de l’éthique qui a su inventer de l’éthique » [12]. Alain Grimfeld [4] estime que le « débat
très efficacement ses propres principes de définition ». éthique doit se nourrir d’échanges, pas de dogme ». Il n’en
Effectivement, dans le champ de la réflexion bioéthique demeurerait pas moins erroné d’en déduire que le question-
l’éthique se trouve très souvent perçue comme se différen- nement exclut les normes du domaine de la bioéthique.

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La bioéthique en débat

L’étendue de ce domaine est également définie par le date le rôle que, sous le nom de morale médicale, elle jouait
terme biomédecine. Cette addition de la biologie et de dans la relation entre le médecin et son patient, limitant le
la médecine ne semble pas avoir suscité de débats. Les « pouvoir médical » en lui imposant des obligations telles
définitions que l’on en propose alternent, cependant, entre que l’évaluation des bénéfices et des risques attendus, le res-
application de la biologie à la médecine, application de la pect de la volonté du malade, le secret médical. Le progrès
médecine à la biologie, qui concerne la biologie et la méde- des sciences biomédicales ayant, à côté des bienfaits qu’il
cine. Mais l’on peut penser que la Convention d’Oviedo, apporte, porté au paroxysme cette puissance, a suscité la
du 4 février 1997 élaborée par le Conseil de l’Europe, réaction bioéthique. Celle-ci se propose d’encadrer l’action
consacre une conception qui réunit un très large consensus du « Prométhée déchaîné » (Hans Jonas) qui s’est donné
lorsqu’elle présente la biomédecine comme l’ensemble des jusqu’à la capacité de modifier les caractères de l’espèce
applications de la biologie et de la médecine. Elle s’intitule : humaine. Outre les dérives scientifiques, elle doit également
« Convention pour la protection des droits de l’homme et prévenir les dérives financières que fait redouter le dévelop-
de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de pement de marchés tels que celui des organes humains ou
la biologie et de la médecine : Convention sur les droits de celui de la procréation.
l’homme et la biomédecine ». On donne généralement pour fondement à cette limi-
Pose tout de même problème le fait que la réflexion sur tation de la puissance de la biomédecine par l’éthique la
la bioéthique se soit très largement focalisée sur le progrès nécessité de respecter la dignité de la personne humaine.
de la science biomédicale et ses applications (recherches C’est le principe sur lequel se fondent les textes interna-
sur l’embryon, diagnostic anténatal, assistance médicale à tionaux relatifs à la bioéthique. S’il n’est qu’en filigrane
la procréation, thérapie génique. . .), délaissant quelque peu dans les plus anciens, le Code de Nuremberg (1947) et
les questions que soulève l’exercice de la médecine au quo- la Déclaration d’Helsinki de l’Association médicale mon-
tidien (à l’exception de la souffrance en fin de vie). Ce n’est diale (1964) relatifs à la recherche biomédicale, le principe
pas sans raison qu’Emmanuel Hirsch [6] appelle à témoi- figure en tête de la Convention d’Oviedo du Conseil de
gner une même attention aux questions bioéthiques « d’en l’Europe en date du 4 avril 1997 et des Déclarations uni-
bas » que pose l’acte de soins qu’à celles « d’en haut », qui verselles de l’Unesco sur le génome humain et les droits
touchent aux mutations biomédicales. de l’homme du 11 novembre 1997, sur la bioéthique et les
Il convient d’ajouter que la réflexion bioéthique ne droits de l’homme du 19 octobre 2005, ainsi que d’autres
saurait faire l’impasse sur les problèmes éthiques que, textes encore. Pour autant, le débat n’est pas clos sur tous
notamment à raison du coût croissant des soins, soulève les points.
l’accès de tous aux soins. Le CCNE y a, du reste, été Certains, s’appuyant sur la proximité génétique existant
confronté à plusieurs reprises à propos des choix de poli- entre l’homme et les animaux, contestent que l’être humain
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tique de santé publique. Dans l’avis n◦ 48 du 7 mars 1996, puisse prétendre à un traitement plus favorable que celui
Recommandation sur la mise à disposition d’un traitement qu’il réserve aux animaux, tout particulièrement à ceux
antiviral dans le sida, il soulève la question que poserait qui disposent d’une sensibilité, voire, pour certains tels
une augmentation considérable du coût des traitements : les grands singes, d’une aptitude au langage et à résoudre
« Si le développement de traitements efficaces est porteur des problèmes ainsi que d’une conscience de soi dont sont
d’un très sérieux espoir, comment la société pourra-t-elle dénués certains handicapés mentaux ou les bébés humains
en gérer le coût sans qu’en pâtissent les efforts consentis âgés de moins d’un mois. Sans doute est-ce avant tout
pour d’autres maladies et d’autres affections ? » Dans l’avis dans le but de demander la reconnaissance de droits fon-
n◦ 106 du 5 février 2009, Questions éthiques soulevées par damentaux pour ces animaux, revendication formulée, par
une possible pandémie grippale, il s’interroge longuement exemple, dans le projet Grands singes de Paola Cavalieri
sur les critères éthiques qui permettraient de définir des et Peter Singer (1994) [3]. Mais c’est au risque d’affaiblir
priorités pour l’accès à la vaccination ou à d’autres moyens la protection des personnes en contribuant à alimenter le
de prévention. Et l’on sait que la détermination des prio- débat sur la détermination de ses bénéficiaires. Cette pro-
rités se pose également au quotidien au sein de services tection doit-elle s’étendre à l’embryon et au cadavre ? Oui,
hospitaliers. du moins selon le droit français qui considère l’embryon
comme une personne humaine potentielle et subordonne
en principe le prélèvement opéré après la mort au consente-
Quelle est la fonction ment de l’intéressé et le règlemente strictement. Cependant,
de la bioéthique ? ces règles sont contestées et, au demeurant, n’assurent pas
une protection aussi complète que celle dont bénéficie la
Sur ce point au moins il semble y avoir consensus. Dans personne née et vivante.
le domaine biomédical, l’éthique a pour fonction de limiter Demeure, en outre, la difficulté que l’on éprouve à défi-
la puissance susceptible de s’exercer sur des personnes que nir la portée du respect de la dignité humaine, même si
la maladie ou le handicap rend vulnérable. C’est de longue l’on tient pour irrécusable l’impératif kantien selon lequel

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L. Dubouis

toute personne doit être traitée « toujours comme une fin et Quelle règle de droit
jamais simplement comme un moyen ». Faut-il en déduire pour la bioéthique ?
qu’il revient à chaque personne de déterminer souveraine-
ment ce qu’elle considère comme conforme, ou non, à sa Aucune, telle était la réponse largement répandue en
dignité ? Ou, au contraire, que la dignité humaine consti- France, il y a une trentaine d’années. Qu’une norme éthique
tue un attribut de la personne dont la détermination doit être puisse être consacrée par la règle juridique dans le domaine
objective et dont le respect s’impose y compris à l’intéressé, de la bioéthique soulevait un flot d’objections dirigées tout
le cas échéant, contre sa propre volonté ? Selon la première particulièrement contre l’intervention du législateur dénon-
conception, le malade en fin de vie peut, au nom du droit de cée comme un acharnement législatif. La rigueur et la
mourir dans la dignité, revendiquer le droit à l’euthanasie ; rigidité de la règle de droit paraissaient incompatible avec la
selon la seconde, ce droit sera récusé car il porte atteinte liberté de la recherche, la liberté d’apprécier en conscience
au respect dû à la vie humaine. Au nom de la première que l’on doit reconnaître au médecin, le pouvoir de libre
conception, la gestation pour autrui sera admise dès lors détermination dont on ne saurait priver le patient. À cela
que toutes les personnes concernées ont donné librement s’ajoute que ni la volonté d’une majorité de citoyens ou de
leur consentement ; au nom de la seconde, on la proscrira parlementaires, ni, même, le consensus ne saurait garantir
car « elle représente une instrumentalisation du corps des la conformité de la norme juridique à l’impératif éthique.
femmes et aboutit à considérer l’enfant comme une mar- Ces arguments ne manquent pas de valeur et le législa-
chandise » (CCNE avis n◦ 110, 1er avril 2010, Problèmes teur se doit de les prendre en considération. Ils ne sont pas
éthiques soulevés par la gestation pour autrui). cependant de nature à enrayer l’inévitable consécration de
La réponse qui s’est imposée en pratique réside en une la norme éthique par le droit. Aussi bien, celle-ci a-t-elle
combinaison de ces deux approches. Si une part est lais- débuté bien avant les lois bioéthique de 1994. Par exemple,
sée au jugement des personnes concernées – chercheurs, le Code de déontologie médicale de 1947, pris par décret,
médecins, patients – il s’agit d’une liberté strictement enca- édicte comme ses successeurs, plusieurs principes éthiques.
drée par l’obligation de respecter les normes éthiques en Les progrès de la biomédecine rendront encore plus évident
vigueur dans la société considérée. La dynamique de la que norme juridique et norme éthique reposent sur le même
bioéthique comprend en effet deux temps. Le premier est postulat, la dignité humaine, et visent à assurer la protec-
celui de l’interrogation sur les valeurs qui sont en jeu tion de la personne humaine face aux menaces qui pèsent
dans une situation donnée, par exemple la recherche sur sur elle. Dans ce combat, la norme juridique renforce cette
l’embryon humain ou le diagnostic anténatal : il aboutit à protection en précisant les modalités d’application du prin-
la formulation de principes normatifs. Le second est celui cipe d’éthique et en s’efforçant de prévenir sa violation par
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de l’application de ces normes face à une situation déter- l’institution de sanctions disciplinaires, civiles ou pénales.
minée : il pose le problème de la marge de liberté dont Elle apporte, en outre, une certaine sécurité au chercheur et
disposent le médecin et les patients impliqués dans cette au médecin auxquels elle indique ce qu’ils sont en droit de
situation. Cette marge varie selon que la norme est plus ou faire sans que leur responsabilité soit engagée.
moins précise, plus ou moins contraignante. Mais si elle veut être un bon serviteur de l’éthique dans
Très logiquement les comités d’éthique reflètent cette le domaine biomédical, la règle de droit doit présenter des
dualité. Une première catégorie de comités siège dans les caractéristiques spécifiques.
hôpitaux ou les instituts de recherche. Ce sont des ins- Cette spécificité se manifeste d’abord au stade de
tances de terrain qui ont pour mission essentielle d’aider l’élaboration de la norme qui doit permettre, autant que faire
les médecins ou les chercheurs à décider quelle conduite se peut, la réalisation d’une synthèse des intérêts et points
adopter dans des cas concrets. Une seconde catégorie est de vue en présence. Sans doute en démocratie l’institution
constituée par les comités qui siègent au niveau national qui représente les citoyens, le Parlement, a-t-elle vocation a
ou international et dont la mission première est de réflé- être l’instance majeure de décision. C’est la solution retenue
chir à l’élaboration des normes éthiques, normes qui seront en France comme dans la plupart des États démocratiques
consacrées par le législateur national ou international. Tel même si une place non négligeable revient à la jurispru-
est le cas du CCNE pour la France, du Comité international dence élaborée par les juridictions. Elle a généré un flux de
de bioéthique (CIB) pour l’Unesco, du Comité directeur lois, après les lois de portée limitée comme la loi Caillavet
pour la bioéthique (CDBI) pour le Conseil de l’Europe, du de 1976 relative au don d’organes, la loi Huriet-Sérusclat
Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles du 20 décembre1988 relative à la protection des personnes
technologies (GIE) pour l’Union européenne. Comités qui se prêtent à des recherches médicales, les deux lois
nationaux et internationaux illustrent par ailleurs une des bioéthique du 29 juillet 1994 relatives, l’une au respect du
fonctions les plus importantes qu’assure la réflexion bioé- corps humain, l’autre au don et à l’utilisation des éléments
thique, celle de préparer la mutation des normes éthiques et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la
en normes juridiques. procréation et au diagnostic prénatal, modifiées en 2004 et

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La bioéthique en débat

en cours de révision. Conférer le pouvoir de décision aux permis d’accomplir des progrès dont témoignent au niveau
citoyens serait, dans le principe, encore plus démocratique. mondial les Déclarations de l’Unesco sur le génome humain
Mais au risque de s’exposer à l’aléa des emballements de et sur la bioéthique, en Europe, la Convention d’Oviedo et
l’opinion publique qu’accentue le fait que des questions un certain nombre de textes de l’Union européenne, una-
dénuées de rapport avec la question à trancher parasitent nimes à condamner le clonage humain reproductif, à exiger
les campagnes référendaires. Plus prudente semble la for- le consentement libre et éclairé de la personne concernée
mule, retenue en 2009, d’États généraux de la bioéthique préalablement à toute intervention, à souligner le carac-
qui permettent d’informer et consulter les citoyens, en par- tère indispensable des comités d’éthique. Mais combien de
ticulier les membres des jurys citoyens qui ont bénéficié questions, particulièrement celles relatives au début et à la
d’une formation préalable. De plus, la grande complexité fin de vie, demeurent sujets de désaccords !
des problèmes et la diversité des points de vue rendent indis- Ainsi, parce qu’est en jeu la conception que nous nous
pensable la consultation d’organismes tels que l’Académie faisons de la personne humaine, la bioéthique semble appe-
de médecine, l’Agence de la biomédecine et le CCNE au lée à demeurer longtemps matière à débats tant il semble
sein desquels la réflexion éthique bénéficie d’un dialogue que « s’entendre sur la personne reste une tâche inachevée
permanent entre représentants de compétences et de sensi- et d’ailleurs inachevable » (Lucien Sève) [11].
bilités philosophiques, religieuses, culturelles variées.
Encore faut-il que le législateur fasse preuve d’une cer- Conflits d’intérêts : aucun.
taine réserve. Il ne serait guère indiqué que la loi multiple
les prescriptions de détail au point d’ôter au médecin (ou Références
au chercheur) toute faculté d’appréciation des situations
concrètes. Mieux vaut qu’elle se limite à énoncer les inter- 1. Badiou A. L’éthique. Essai sur la conscience du mal.
dits absolus, par exemple, l’interdiction de l’euthanasie, Paris : Hatier, 1993, 79 p., p.4.
du clonage humain reproductif, du prélèvement d’organe 2. Bernard J. De la biologie à l’éthique. Paris : Buchet/Chastel,
sur un majeur vivant sans le consentement de l’intéressé 1990, 310 p., p.31.
et institue des sanctions dissuasives au cas où ils seraient 3. Cavalieri P, Singer P. The great ape project equality beyond
violés. Et, bien qu’elle semble en passe d’être abandonnée, humanity. New York : Saint Martin’s Press, 1994.
peut-être présente quelque avantage la règle prévoyant une 4. Grimfeld A. « Le débat éthique doit se nourrir d’échanges,
révision périodique – en l’occurrence tous les cinq ans – pas de dogme ». Le Monde, 2008.
des lois bioéthique. En ce domaine moins qu’en tout autre, 5. Hirsch E. (dir.) Traité de bioéthique, 3 tomes. Toulouse :
le législateur ne saurait statuer pour l’éternité ! Éditions Érès, 2010 (I. couverture p. 4).
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Aussi bien la fragilité de la norme juridique est-elle attes- 6. Hirsch E. Concilier morale et progrès biomédica, Bulletin
tée par la divergence entre les législations et jurisprudences d’information de l’ordre national des médecins. Paris : n◦ spé-
d’États, particulièrement d’États voisins. Sans doute n’y-a- cial 2010 : p. 30.
t-il là que le reflet des fractures éthiques entre les sociétés. 7. Jaunait A. « Éthique, morale et déontologie ». In : Hirsch E
Mais si la gestation pour autrui, interdite en France, est licite (dir.). Traité de bioéthique, tome I. Toulouse : Éditions Érès,
sitôt franchie la frontière, la loi française non seulement 2010 : 767 p., p. 108.
perd en efficacité mais, de surcroît, voit sa légitimité affai- 8. Kahn A. Et l’homme dans tout cas ? Paris : Nil éditions, 2000,
blie. Dans les débats sur la GPA, l’euthanasie, la recherche 372 p., p. 88.
sur l’embryon, l’assaut contre la loi et l’éthique natio- 9. Mattei JF. La vie en questions : pour une éthique biomédi-
nales est largement mené à partir du droit des pays tiers. cale. Rapport au Premier ministre. Paris : la documentation
Et comment demeurer totalement insensible au risque que française, 1994, 230 p, p. 20.
certains interdits engendrent pour la recherche médicale 10. Quéré F. L’Éthique et la vie. Paris : Éditions Odile Jacob,
française ? 1991, 341 p., p.9.
À ce problème, il n’est pas de solution dans une société 11. Sève L. « S’entendre sur la personne ». In : Sicard D (coord.).
internationale au sein de laquelle chaque État campe sur sa Travaux du Comité consultatif nationale d’éthique, 20e anni-
souveraineté. « La France est un pays souverain qui ne doit, versaire. Paris : PUF, 2008 : 1028 p., p. 42.
en aucun cas, se soumettre à la pression internationale en 12. Sicard D. La Médecine sans le corps. Une nouvelle réflexion
matière d’éthique », a déclaré le jury citoyen de Rennes dans éthique. Paris : Plon, 2002 : 280 p., p. 14 et p. 258.
son avis sur l’assistance médicale à la procréation. Mais tout 13. Taguieff PA. La Bioéthique ou le juste milieu. Paris : Fayard,
aussi souverains et maîtres de leur législation sont les autres 2007, 363 p.
États. La seule voie possible pour atténuer les divergences 14. Valadier P. Inévitable morale. Paris : Éditions du Seuil, 1990,
demeure donc celle de la négociation internationale. Elle a 221 p.

L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 87, N◦ 7 - SEPTEMBRE 2011 555

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