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Topoi

J. Scheid & J. Svenbro, Le métier de Zeus : mythe du tissage et du


tissu dans le monde gréco-romain, 1994
Pierre Sauzeau

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Sauzeau Pierre. J. Scheid & J. Svenbro, Le métier de Zeus : mythe du tissage et du tissu dans le monde gréco-romain, 1994.
In: Topoi, volume 5/2, 1995. pp. 639-643;

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Compte rendu

J. SCHEID- J. SVENBRO, Le métier de Zeus : mythe du tissage et du tissu dans


le monde gréco-romain, Editions de la Découverte, Paris (1994), 177 p. + index.

L'ouvrage paraît dans une collection française qui a joué un rôle important
pour la diffusion d'idées nouvelles dans le domaine de l'Antiquité ; il s'affirme
comme le résultat d'un « pari » (p. 7) qui serait triple :
- 1) étudier « la métaphore du tissage » successivement dans le domaine
politique, dans le domaine conjugal, dans le domaine poétique.
- 2) faire de cette métaphore une étude comparative dans le domaine des cultures
grecque et romaine, dans une perspective essentiellement contrastive.
- 3) considérer une « métaphore partagée » comme un mythe, concept lui-même
défini comme une « concaténation de catégories ». La terminologie souffre peut-
être ici d'un certain flou, sans doute inévitable dans le domaine des sciences
humaines ; de toute manière l'ouvrage ne se veut pas essentiellement théorique.
Le plan de l'ouvrage s'organise selon les trois domaines cités ci-dessus : le
mot Péplos sert de titre à la partie politique, le mot Khlaîna (désignant la
couverture nuptiale) à la partie « conjugale », le mot Te χ tus à la partie
« poétique ». Chaque partie se divise grosso modo en deux chapitres : le
premier, concernant la Grèce, est rédigé par J. Svenbro, le second, concernant
Rome, est rédigé par J. Scheid. Il s'agit en réalité, pour reprendre l'expression de
J. Taillardat, de considérer le fonctionnement, au sein des deux cultures, d'une
importante « matrice métaphorique », celle que fournit le tissage. Le tissu est
obtenu par l'entrecroisement (sumplokè) d'un fil vertical (chaîne en français,
stèmon ou mitos en grec, stamen en latin), senti comme mâle, et d'un fil tendu à
l'horizontale (la trame, krokè en grec, subtemen en latin), senti comme féminin.
On aurait souhaité, peut-être, un exposé succinct, précis et concret des
techniques antiques du tissage et de sa dimension anthropologique. Les
possibilités virtuelles de cette métaphore du tissage sont évidentes, en particulier
les significations sexuelle et politique. Les auteurs examinent, pour établir avec
précision l'étendue et la profondeur de ce qu'ils considèrent comme un mythe,
une série de textes littéraires, de rites, plus rarement de représentations figurées.
Le péplos tissé par les seize Femmes d'Olympie pour Héra représente la
réconciliation et l'union des seize poleis d'Elide. Cette union politique est à
l'image de l'union conjugale. L'autre référence est littéraire : c'est la khlaîna
imaginée par la Lysistrata d'Aristophane {Lysistrata, 51A - 586) : « Le tissage du
vêtement politique ou fédéral symbolise la fin d'une période embrouillée... ».
Cet exemple, d'autre part si convaincant, ne fait-il cependant pas peser un doute
sur la légitimité des titres choisis pour les deux premières parties et sur celle du

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plan lui-même ? C'est que le politique et le conjugal sont en vérité tissés à


l'image l'un de l'autre. L'importance de la déesse Héra (et de Junon) pour
l'ensemble du propos mériterait d'être soulignée et précisée.
A Rome, c'est le lusus Troiae qui constitue le modèle du tissage politique.
Les figurants circulent en tissant leur parcours pour tisser la paix civile et
l'union sociale. En fait, le lusus Troiae, c'est le jeu de la trame, qui a été
« resémantisé » selon la légende troyenne. Reconnaissons-le pour notre part sans
détour : la thèse vigoureusement proposée par J. Scheid emporte la conviction.
La seconde partie tourne d'abord autour d'un problème de vocabulaire
grec : le sens des composés en -thronos, comme poikilothronos , khrusothronos,
etc., qu'on traduit généralement « au trône étincelant », « au trône d'or » ... ;
J. Svenbro a le mérite de reprendre à son compte l'interprétation, d'ailleurs bien
connue des philologues, « à la couverture bariolée » ou « d'or », à partir du mot
throna (Iliade, XXII, 441) qui signifie selon les lexicographes dessins tissés,
broderies fleuries. Pour l'auteur, ces composés évoquent presque toujours des
couvertures nuptiales et non des « trônes ». Qu'on nous permette de reporter à la
fin de notre recension quelques remarques précises sur cette question.
Chez les Etrusques comme chez les Romains, le conubium, « c'est le
passage des conjoints sous la même toile tissée » (p. 99) : la métaphore du
tissage nous paraît ici moins évidente, et le rôle de la couverture comme
protection magique devrait sans doute être envisagée plus sérieusement.
Tanaquil fournit le modèle mythique de la « flaminique » et de chaque épouse
romaine. « Le tissage politique "descend" du tissage matrimonial » (p. 101). Une
analyse du Carmen 64 de Catulle permet d'opposer l'épouse « couverte » et
l'épouse abandonnée qui se laisse aller à la nudité.
La troisième partie concerne la métaphore du tissage dans son rapport à la
poésie. Si les héros épiques « tissent » leurs paroles ou leurs conseils, l'aède ne
le fait pas, car son chant « présuppose au contraire une identification entre
destinateur et destinataires qui rend la [...] métaphore inadéquate... » (p. 123). En
revanche, pour les poètes lyriques, le poème devient un tissu (p. 125) : « le
poème apparaît effectivement comme le résultat d'une opération manuelle visant
à unir l'habileté du poète et la matière imposée par le commanditaire » (p. 128).
Pour Platon, la métaphore devient proprement linguistique (p. 131). A propos du
Phèdre, l'auteur souligne la curieuse homologie entre lecture et acte sexuel
(p. 134) et analyse avec finesse et pénétration la charmante épigramme de la
cigale et de l'araignée (Anth. Pal., IX, 372).
Dans le domaine romain (mais où finit le domaine grec ?), la métaphore du
« tissu poétique » reprend les données grecques (cf. le poème pseudo-virgilien
de la Ciris) et s'appuie sur l'usage du verbe texere (« tisser, composer un
ouvrage »). « L'écrit est donc une chaîne dans laquelle les lecteurs successifs du
poème [...] introduisent chacun leur trame... » (p. 159). Plus hardie sans doute,
l'idée que le λ; au centre du mot textus évoque « l'entrecroisement de fils
opposés » (p. 161).
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Deux appendices complètent l'étude de l'usage métaphorique du


vocabulaire du tissu : le premier montre l'origine du concept de « tissu
biologique », le second concerne le « tissage » cosmique chez Lucrèce et
explique la fonction de Vénus dans son poème.
L'ensemble constitue donc une œuvre stimulante, souvent convaincante,
capable de nous révéler la richesse symbolique d'une métaphore partagée par
les Anciens, mais dont le lecteur moderne avait perdu la cohérence. Nous tenons
cependant à revenir sur deux points qui nous paraissent litigieux : le cas des
composés en -thronos, et le problème plus général du comparatisme.
H. Frisk et P. Chantraine opinaient déjà pour la solution proposée ici
(comme on le rappelle p. 62) 1 . Il est clair que la démonstration de J. Svenbro
vaut pour un certain nombre d'exemples (dont le passage de Sapphô, I, 1, 1 d'où
il est parti, et où il traduit poikilothronos par « à la robe aux fleurs
chatoyantes ») ; que dans d'autres cas le doute est permis ; qu'enfin le sens de
siège ou de trône s'impose parfois (comme l'auteur l'admet in extremis p. 90).
Le « thronos » existe dès l'époque mycénienne, sous la forme to-ro-no ou to-no
(= thornos) ; une tablette de Pylos (Ta 708) porte to-no ku-ru-sa-pi (« un siège
avec des ornements d'or » )2 ; c'est chez Homère le siège des rois ou des dieux.
Le composé chrusothronos semble appartenir d'abord à Héra (trois emplois sur
quatre dans Y Iliade) ; d'autre part, en Iliade, XIV 238- 239, Héra offre à Hypnos
« un beau siège... en or ». Les représentations figurées font d'Héra une déesse
assise, et cela continue une tradition très ancienne ; bien souvent le couple Héra-
Zeus trône ensemble et justifie ainsi l'épithète homothronos. Pausanias (II, 17,
4) décrit ainsi la statue de Polyclète à l'Héraion d'Argos : « La statue d'Héra est
assise sur un trône ; d'une grande dimension, faite d'or et d'ivoire.... ». Chez les
Argiens, comme d'ailleurs probablement à Olympie (Paus., V, 17, 1), Héra,
incarnation à la fois du mariage légitime et de la Souveraineté, est bien « la
déesse au trône d'or ». Il faut ici renvoyer à la fameuse légende du trône d'or
muni de liens invisibles qu'Héphaïstos offre à Héra pour se venger de son
exclusion (Pausanias, I, 20, 3), légende non attestée chez Homère mais
certainement ancienne et fréquemment représentée. D'autre part, un mot comme
dithronos (Eschyle, Agamemnon, 109) ne peut évoquer qu'un double trône, une
double souveraineté.
Le témoignage du mycénien exige de la prudence. La lecture en grec
alphabétique « ihronohelktéria » (p. 90, note 45) est par exemple loin d'être la

1 . Il manque une référence à E. Risch, « θρόνος, θρόνα und die Komposita vom typus
χρυσόθρονος », St Cl, 14 (1972), p. 17-25. De même, aucune allusion, dans la
dernière partie, aux recherches de Mme F. Bader sur l'étymologie des noms Homère
et Hésiode : « Liage, peausserie et poètes-chanteurs », in F. Létoublon éd., La langue
et les textes en grec ancien, Amsterdam, 1992, p. 105-119 ; cf. aussi BSL 85 (1990),
p. 1-59. On pourrait reprendre, dans la perspective des auteurs, la question de
l'étymologie et de la sémantique de hymen.
2. Voir aussi Ta 714.
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seule possible et pose au moins un problème non signalé (il faut supposer
*thorna). P. 88, J. Svenbro pose le problème d'hupsithronos, qu'il reconnaît
gênant ; il s'appuie sur une glose d'Hésychius qui explique hypsistoloi « ceux
qui portent un vêtement relevé vers le haut », mais refuse cette interprétation
(« bien qu'on puisse avoir du mal à traduire... »). En fait, le contexte de Pindare
(Ném., IV, 65) invite à comprendre hupsithronos : « au trône élevé ». Pour
conclure sur ce point, nous admettrons que les composés en -thronos peuvent
morphologiquement recouvrir aussi bien thronos que throna ; qu'on ne peut pas
toujours exclure l'interprétation par thronos ; que celle-ci s'impose même
souvent ; que peut-être les poètes ont joué sur le double sens possible. De plus,
selon une suggestion que nous devons à M. Casevitz, throna pourrait avoir
signifié « couverture (ou "garniture") de siège, de trône ».
Une dernière remarque sur le comparatisme. Les abus d'une méthode
simpliste ont été dénoncés depuis longtemps, par M. Détienne notamment, et
cela a même pu conduire à traiter injustement, nous semble-t-il, la mémoire de
J.G. Frazer. Un rappel des règles à respecter (p. 9) s'appuie sur l'autorité de
G. Dumézil. On s'étonne donc de ce passage (p. 129) où l'approche
comparatiste indo-européenne est globalement critiquée et condamnée pour
« son côté réducteur, qui tend à effacer les traits spécifiques d'une culture ou
d'une histoire culturelle au profit d'une synthèse abstraite dans le beau ciel
indoeuropéen, où tout se ressemble parce que tout doit se ressembler ». Si certains
comparatistes raisonnent ainsi, qui peut accuser G. Dumézil ou E. Benveniste
(qui paraissent forcément visés par une attaque aussi générale) d'avoir jamais
commis cette faute ? Il faut avouer que le comparatisme manié par deux
spécialistes travaillant de concert, comme les auteurs, donne des garanties
particulières ; mais qu'entend-on par comparatisme ?
La culture romaine est si intimement, si anciennement pénétrée
d'hellénisme qu'on peut la considérer, en suivant P. Veyne, comme une variante
de la culture hellénistique : les auteurs en sont d'ailleurs parfaitement conscients
(p. 151). Certains développements « romains » de l'ouvrage paraissent ainsi
ambigus, puisqu'on pourrait aussi bien considérer les textes en question comme
l'adaptation d'une conception grecque (cf. p. 98, à propos d'un passage de
Sénèque emprunté à Poséidonios). Plus que de comparatisme, il s'agit ici de
l'analyse d'un phénomène d'acculturation (p. 151). Rien de comparable, à notre
avis, avec le comparatisme indo-européen proprement dit, qui consiste, à partir
de textes à première vue indépendants, relevant de cultures très éloignées dans
l'espace et le temps, à découvrir un héritage commun et à révéler ce que G.
Dumézil a appelé une « méta-histoire » ou bien une « ultra-histoire ».
Ces réserves, ou plutôt ces nuances, n'enlèvent rien, bien entendu, à
l'intérêt d'un livre passionnant. On saura gré aux auteurs d'avoir brillamment
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retissé un faisceau de relations qui a occupé certainement une place centrale


dans l'imaginaire des Anciens 3.
P. SAUZEAU
Université de Montpellier

Nous remercions pour leurs utiles remarques les étudiants du Séminaire d'Etudes
Homériques de Lyon II dirigé par M. Casevitz.

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