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et environnement
Par Thierry HARTOG, Maître de Conférences, département de géographie, université
des Antilles et de la Guyane
La Caraïbe évoque
une destination
touristique paradi- Tourisme et Caraïbe forment a priori un couple fort : ce vaste bassin de plus de
siaque, des vacances 4 millions de km² symbolise, en effet, l’image idéelle des « 3 S » (Sea, Sand, Sun). De
au soleil sur fond la Floride au Venezuela et de Cuba à Trinidad-et-Tobago, les 34 États et territoires
de mer turquoise.
sous tutelle qui se partagent cette vue sur le golfe du Mexique et la mer des Antilles
Une image qu’il faut
délimitent ainsi une des grandes aires récréatives mondiales, fréquentée aujourd’hui
nuancer en raison
d’une diversité de par plus de 80 millions de touristes. La croissance continue des flux émetteurs au
situations. cours des deux dernières décennies rend bien compte globalement de la réussite
touristique de cet espace, tant en séjour qu’en croisière, un tiers de ces destinations
accueillant aujourd’hui plus d’un million de visiteurs par an, les deux tiers dépassant
les 500 000 (voir la cartographie du tourisme dans les Caraïbes). Néanmoins, si
aucune d’entre elles n’ignore plus le tourisme, celui-ci ne les fait pas toutes vivre :
la fréquentation des Bahamas est, par exemple, 530 fois plus forte que celle de
Montserrat ! La très vive concurrence entre les destinations alimente en même
temps de rapides changements, particulièrement dans le domaine de la croi-
sière : ainsi, en 1995, la Martinique ou la Guadeloupe voyaient passer trois fois
plus d’excursionnistes que les îles Vierges britanniques ou Sainte-Lucie ; dix ans
plus tard, le rapport s’est totalement inversé au profit de ces dernières. L’éventail
des situations et des évolutions est donc extrême, d’une nature brute à une arti-
ficialisation outrancière, d’une ressource protégée à un environnement menacé,
du presque vide à une pression excessive, vite confrontée à l’exiguïté de certains
TDC n° 920
La Caraïbe territoires insulaires. Si la mise en tourisme des lieux répond à un environnement
15/09/2006 globalement favorable, ce choix peut également se décliner en plusieurs regis-
tres complémentaires.
Un choix politique.
Privilégier le tourisme comme base de développement n’est pas un acte neutre.
Certes, ce secteur est créateur d’emplois (vraisemblablement 2,5 millions) et de
richesse, avec des recettes qui assurent 30 % du PNB régional en moyenne, mais
qui couvrent parfois jusqu’à 90 % du PNB, comme aux îles Vierges britanniques ou
aux îles Turks et Caicos ; il a souvent, de ce fait, été considéré comme seule alter-
native nationale à des économies monoproductives de plantation, condamnées à
terme par la faiblesse de leur marché et la concurrence internationale. L’exemple
cubain en est une parfaite illustration : déclaré secteur prioritaire pour assurer la
survie économique et obtenir des devises face à l’écroulement du grand frère so-
viétique et au manque de résultats agricoles, le tourisme s’est ouvert depuis 1990
au capitalisme international ; il a connu une fulgurante ascension, multipliant par
sept sa fréquentation et dépassant les 2,3 millions de touristes en 2005.
A contrario, le développement d’une destination rime souvent aussi avec la
contrainte d’une subordination : même s’il peut être lié à des profits illicites, le
poids des capitaux étrangers dans les montages financiers des projets d’aména-
gement (à plus de 60 %) dicte la loi d’un profit rapide, souvent sans réinvestis-
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sement sur place, ni prise en compte des acteurs locaux ; le monopole décisionnel des compagnies de
croisière états-uniennes sur le maintien ou la fermeture d’une escale et les formules all inclusive vendues
directement par les pays émetteurs le démontrent aisément. Sur place, toutes les destinations rivalisent
dans une impressionnante surenchère (7 milliards de dollars investis en République dominicaine pour les
trois prochaines années), favorisée par la stabilité politique générale et l’absence de conflits régionaux ;
la construction de marinas, d’hôtels-casinos et de golfs (Sainte-Croix, Sainte-Lucie) ou l’extension de
terminaux de croisière (Saint-Kitts) ne font qu’augmenter le niveau de dépendance et traduire la forte
externalité de ce secteur – donc sa fragilité –, y compris vis-à-vis des circuits d’approvisionnement ali-
mentaire.
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Un foncier disponible.
Prolongeant ces points de passage obligés, les hébergements, par leur qualité et leur diversité (grande
ou petite hôtellerie, villages de vacances, locations, gîtes), constituent souvent une fierté légitime des
acteurs locaux. Leur inscription spatiale dans les îles a historiquement privilégié les côtes sous le vent,
naturellement abritées, relayant ainsi la proximité des portes d’entrée. Aujourd’hui, cette opposition
originelle est moins marquée, car les côtes au vent ont souvent rattrapé leur retard d’équipement (côte
orientale de Saint-Martin), en offrant des hébergements parallèlement au développement d’activités
sportives recherchées par effet de mode (surf, planche à voile). Localement, l’affectation de l’espace aux
infrastructures touristiques est schématiquement confrontée à deux logiques différentes. Soit la vacuité
supposée de l’espace et la disponibilité du trait de côte permettent sa confiscation par les plus riches et
sa privatisation par la construction d’enclaves littorales : marinas, grands complexes intégrés et villages
de vacances les pieds dans l’eau peuvent ainsi se succéder jusqu’à constituer un front continu (Punta
Cana, Varadero, Sint-Maarten) ; une telle saturation accélère les conflits d’usage, prive les sociétés loca-
les de l’accès à la ressource par le jeu de la spéculation foncière et favorise une ségrégation sociospa-
tiale toujours dangereuse. Soit la trame foncière serrée de petits propriétaires urbains ou ruraux, l’exis-
tence de communautés de pêcheurs ou d’un cadre naturel plus banal offrent une plus grande résistance
à l’envahissement touristique ; l’insertion plus discrète se coule alors dans le tissu existant, par mitage,
développement de gîtes ou d’une petite hôtellerie à capacité plus limitée. La vieille architecture colo-
niale constitue aussi un cadre recherché, quand elle est habilement restaurée par réhabilitation et réno-
vation et qu’elle marie le luxe au décor à l’ancienne (La Havane, Barbade).