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République V 479 d
Nous avons donc trouvé, ce semble, que les multiples formules de la multitude concernant le
beau et les autres choses semblables, roulent, en quelque sorte, entre le néant et l'existence
absolue.
Oui.
Mais nous sommes convenus d'avance que si pareille chose était découverte, il faudrait dire
qu'elle est l'objet de l'opinion et non l'objet de la connaissance, ce qui erre ainsi dans un
espace intermédiaire étant appréhendé par une puissance intermédiaire.
Oui.
Ainsi ceux qui promènent leurs regards sur la multitude des belles choses, mais
n'aperçoivent pas le beau lui-même et ne peuvent suivre celui qui les voudrait conduire à
cette contemplation, qui voient la multitude des choses justes sans voir la justice même, et
ainsi du reste, ceux-là, dirons-nous, opinent sur tout mais ne connaissent rien des choses sur
lesquelles ils opinent.
Nécessairement.
Mais que dirons-nous de ceux qui contemplent les choses en elles-mêmes, dans leur essence
immuable? Qu'ils ont des connaissances et non des opinions, n'est-ce pas?
Cela est également nécessaire.
Ne dirons-nous pas aussi qu'ils ont de l'attachement et de l'amour pour les choses qui sont
l'objet de la science, tandis que les autres n'en ont que pour celles qui sont l'objet de
l'opinion? Ne te souviens-tu pas que nous disions de ces derniers qu'ils aiment et admirent
les belles voix, les belles couleurs et les autres choses semblables, mais n'admettent pas que le
beau lui même soit une réalité?
Je m'en souviens.
Dès lors, leur ferons-nous tort en les appelant philodoxes plutôt que philosophes?
S'emporteront-ils beaucoup contre nous si nous les traitons de la sorte?
Non, s'ils veulent m'en croire, dit-il ; car il n'est pas permis de s'emporter contre la vérité. Il
faudra donc appeler philosophes, et non philodoxes, ceux qui en tout s'attachent à la réalité?
Sans aucun doute.
République VI 478b-d
Adimante prit alors la parole : Socrate, dit-il, personne ne saurait rien opposer à tes
raisonnements. Mais voici ce qu'on éprouve toutes les fois qu'on t'entend discourir comme tu
viens de faire : on s'imagine que par inexpérience dans l'art d'interroger et de répondre on
s'est laissé fourvoyer un peu à chaque question, et ces petits écarts s'accumulant,
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apparaissent, à la fn de l'entretien, sous la forme d'une grosse erreur, toute contraire à ce
qu'on avait accordé au début; et de même qu'au trictrac les joueurs inhabiles fnissent par
être bloqués par les habiles au point de ne savoir quelle pièce avancer, de même ton
interlocuteur est bloqué et ne sait que dire, en cette sorte de trictrac où l'on joue, non avec des
pions, mais avec des arguments ; et cependant il n'incline pas plus à penser que la vérité soit
dans tes discours. Je parle ainsi eu égard à la discussion présente : car maintenant on pourrait
te dire qu'on n'a rien à opposer en paroles à chacune de tes questions, mais qu'en fait on voit
bien que ceux qui s'appliquent à la philosophie, et qui, après l'avoir étudiée dans la jeunesse
pour leur instruction, ne l'abandonnent pas mais y restent attachés, deviennent la plupart des
personnages tout à fait bizarres, pour ne pas dire tout à fait pervers, tandis que ceux qui
semblent les meilleurs, gâtés néanmoins par cette étude que tu vantes, sont inutiles aux cités.