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a mêlée platonicienne du philosophe et du sophiste

Franck Richez, Docteur en philosophie à l'université Paris-X

La génération de l'identité philosophique dans l'oeuvre de Platon demeure


inachevée. Or cette étude entend mettre en valeur pourquoi dans les termes où
Platon la pose afin de la construire, elle a partie liée avec son avortement. Un
examen du Protagoras et du Sophiste porte à considérer que cette édification se
fonde sur un matériau sophistique qu'elle ne saurait assumer et que le philosophe
emploie tout son art à dissimuler. C'est pourquoi nous explorons ici les arcanes de
cette dissimulation qui procède tout d'abord d'une insistante mise en abîme de la
parole du philosophe dont le Banquet illustre le caractère vertigineux. Par ailleurs,
nous présentons comme le corollaire de ce cryptage du lieu de l'énonciation, cet
enkystement du dire prétendant donner le fin mot de l'identité philosophique, dans la
mesure où son culmen ne saurait endiguer l'ambivalence qui le tisse.

Le siècle qui vient de s'écouler nous a (ré) appris à entendre la dimension signifiante
du langage. Par là, notre champ d'investigation a pu s'élargir suivant deux axes :
d'une part en révélant des possibilités nouvelles pour la recherche présente et à
venir, d'autre part en nous invitant à relire les textes anciens d'un autre oeil afin d'en
améliorer notre connaissance. L'affinité de ces deux démarches ne fait du reste
aucun doute. Il s'agit cependant d'user justement et avec parcimonie des outils
récemment mis à notre disposition dans la tâche exégétique. Car si une sollicitation
inopportune de ceux-ci peut nous éloigner irrémédiablement de la lettre des oeuvres,
une autre est en revanche susceptible de s'imposer sous un jour pertinent. Ainsi, à
titre d'illustration, peut-on produire ce phénomène singulier qui fait d'un dialogue tel
que l'Euthydème un sujet récent d'engouement, l'extrayant de la malédiction qui
longtemps a plané sur lui, sous la forme de ces jugements compulsifs qui l'affublaient
d'un caractère adventice.

La question du langage traverse de part en part les dialogues de Platon, des


protagonistes aux idiomes différents venant débattre sur des thèmes qui, en dépit de
leur hétérogénéité, engagent toujours implicitement son statut. Au commencement,
semble-t-il, est le différend, symptôme de la délimitation apparemment tranchée des
identités du philosophe et du sophiste résultant de leur rapport respectif (et a
priori incommensurable) au langage : "Une réflexion sur le langage s'élabore dans
deux grandes directions : d'une part, sur le logos, comme instrument des rapports
sociaux ; d'autre part, sur le logos, comme moyen de connaissance du réel1." Le
langage n'intéresse le philosophe que pour autant qu'il est susceptible d'intégrer une
téléologie gnoséologique, tandis que le sophiste est séduit par l'ambition
psychagogique que ses vertus persuasives (lesquelles sont intrinsèques) lui
inspirent. Peu à peu, Platon réussit ce coup de maître qui consiste à renverser les
rapports de forces et le cours de résolution du différend tel qu'ils pouvaient émerger
naturellement dans la mesure où, lui imposant son propre terrain (le langage), le
sophiste prend d'emblée l'avantage sur son adversaire.
Dans un article éclairant, Antonia Soulez met à jour "la pragmatique platonicienne du
discours", laquelle, selon elle, "tient en deux traits : 1° l'élimination du sujet parlant
réel ; 2° la crédibilité totale qui dispense de questionner la sincérité de x ou y" 2. Il
s'agit pour Platon d'évacuer l'ambiguïté consubstantielle à la notion de pseudos3 ; le
sophiste est ainsi sommé de mettre son dire au diapason d'un vouloir dire,
d'une dianoia, de sorte qu'il ne peut plus tromper sans pour autant se tromper. Or
toute cette instauration ne va pas sans modifier son identité de sophiste ; faut-il alors
s'étonner qu'il nous apparaisse, aux abords de certaines répliques, tel un philosophe
en devenir ? Quant à Socrate, l'heureux activateur de ce processus de subversion,
de nombreux passages ne nous font-ils pas percevoir en lui une figure au visage
souvent trouble ? Nous proposons ici d'analyser comment l'oscillation du différend
conduit à l'interaction des (id) entités en présence, immergées dans la dimension
signifiante du langage. Notre étude s'efforcera pour cela de prendre en compte le
versant sophistique du logos platonicien dans la mesure où il est lui aussi producteur
d'effets ad hominem4. Il s'agira d'éclairer la généalogie de l'identité philosophique au
regard de ses rapports conflictuels à la sophistique. Subséquemment, nous
marquerons en quoi cette élucidation est susceptible de lever certaines difficultés
inhérentes à cette oeuvre.

Des mots dans l'abîme

À la source de l'altérité

Avant de voir comment Platon parvient à faire différer la parole sophistique (d'avec
elle-même), penchons-nous sur celle de Socrate, laquelle est tout autant susceptible
de subir des contorsions multiples au sein des dialogues. Nous partirons, pour en
interroger la consistance, d'un passage crucial du Banquet, où s'insinue une
coïncidence qui, comme le remarque Jean-Marie Benoist, n'est pas moins curieuse
que suspecte : "Dans ses propres paroles, au lieu le plus haut de son propre logos,
Socrate accueille en abîme la voix de l'étrangère de Mantinée. L'Autre parle par la
voix de Socrate5." Le moment, ainsi que les circonstances où intervient le discours de
Diotime, nous renseignent considérablement sur Socrate ; en effet, celui-ci n'en
appelle à la science de l'étrangère qu'une fois après avoir délivré Agathon d'un
prétendu savoir et que ce dernier ait en outre confirmé le succès de la réfutation
cathartique : "Je ne saurais te résister, Socrate [...] Il faut que je cède à tes raisons 6."
Agathon est alors prêt à recevoir un enseignement substantiel, puisque, à la phase
de la réfutation, doit succéder celle de l'initiation, la première n'en étant qu'une
propédeutique (même si elle n'en demeure pas moins indispensable) 7.

Néanmoins, bien qu'il ait été l'instigateur de ce processus, Socrate paraît embarrassé
pour le poursuivre. Dès sa réplique à Agathon on le sent se dérober : "C'est à la
vérité, cher Agathon, dit Socrate, que tu ne peux résister, car à Socrate, ce n'est pas
bien difficile8." Socrate s'efface ainsi derrière un mot, comme pour reconnaître qu'il
n'est déjà plus le véritable sujet de sa parole, avant de prendre tout bonnement
congé : "Mais, je te laisse, toi, pour vous réciter le discours sur l'amour que j'ai
entendu jadis de la bouche d'une femme de Mantinée, Diotime, laquelle était savante
en ces matières et en bien d'autres9." Platon vient alors au secours d'un Socrate
incapable de tirer profit de son travail sur Agathon et d'infléchir la direction de
l'entretien (afin de délivrer lui-même l'initiation convoitée par ce dernier) en conférant
à sa parole les insoupçonnées ressources nécessaires à son dépassement. Toute la
question est de savoir si l'altérité convoquée à son endroit est intrinsèque à la
personne de Socrate ou si elle y est importée tel un corps étranger (si tel est le cas,
on saisit bien qu'elle s'avère problématique tant qu'on n'en a pas élucidé la
provenance). Cette expression de corps étranger nous met d'ailleurs sur une piste
intéressante dans la mesure où, pour parler de l'amour, Socrate accueille en lui la
femme. Ainsi le discours sur l'amour vient-il d'un corps pluriel, à la fois masculin
(celui de Socrate) et féminin (celui de Diotime), singulier entrelacs qui pourrait nous
signifier allégoriquement que la parole dispensée sur Éros doit savoir s'affranchir du
caractère unilatéral résultant de l'identité (sexuelle) de l'individu 10.

À lire ce discours, on se rend vite compte que le ton employé n'est pas celui du
Socrate habituel. En outre, Diotime amorce son propos en apportant des solutions
décisives à ce qui, pour le praticien de la maïeutique, se révélait aporétique dans
d'autres dialogues. Or, si son discours est heuristique, c'est précisément parce que,
à l'inverse de celui de Socrate, il ménage la possibilité d'inclure le tiers. En effet, à
l'alternative draconienne que lui tend Socrate : "l'amour est-il beau ou laid ?" Diotime
répond par l'entre-deux. Le paradoxe de l'apprentissage11 reçoit une solution
similaire ; de même, Diotime réhabilite l'opinion droite   que le philosophe
n'est pas toujours en mesure de cautionner12. Pour éprouver, réfuter ceux qu'il
rencontre, Socrate sollicite (souvent implicitement) le principe du tiers exclu 13. Or,
dans la leçon proférée à son attention, Diotime lui livre une critique péremptoire du
postulat qu'il utilise : "Ne conclus pas forcément que ce qui n'est pas beau est laid,
que ce qui n'est pas bon est mauvais ; ainsi en est-il de l'amour : ne crois pas, parce
que tu reconnais toi-même qu'il n'est ni bon ni beau, qu'il soit nécessairement laid et
mauvais, mais il est quelque chose entre les deux ()14."

Diotime nous dévoile la stérilité du discours socratique, dont le corollaire est cette
ignorance atypique15. À s'exiler de l'énonciation, Socrate entérine ses dires,
d'invoquer la citation de celle-ci au moment même où sa parole touche aux limites
qu'elle a pointées16. Diotime et Socrate ne sont pourtant pas dénués de points
communs, en effet tous deux sont investis d'un pouvoir cathartique 17. Toutefois, si
le Sophiste nous sert dans notre lecture du Banquet, disons que Socrate réfute ses
concitoyens en vue de les délivrer de l'agnoia, tandis que Diotime s'efforce de le
sortir de l'amathia. Bien qu'il puisse encore s'agir, à ce niveau, de purification, il n'est
pas question de simple réfutation mais d'initiation.

D'en appeler à Diotime, Socrate creuse une brèche au coeur de son propre discours
et en fait ainsi le foyer de son inéluctable déconstruction. L'évocation est d'autant
plus vertigineuse que le philosophe prête sa voix à une altérité radicale : celle de la
troisième voie. Métaphore séduisante du tiers exclu (à la fois femme et étrangère à la
cité athénienne), Diotime est en effet la médiation indispensable pour que le discours
de Socrate réintègre ce que sa logique intrinsèque ne saurait cautionner. Au fil de
ses propos, elle le fait émerger dans les franges de ses dires, excédant par là
l'hospitalité socratique. Si les présupposés du philosophe entravaient ses chances
d'appréhender l'amour selon sa nature ambivalente18, greffée au coeur de ce
discours, Diotime permet à Éros d'y poindre paré de ses multiples visages : "Il est
brave, résolu, ardent, excellent chasseur, artisan de ruses toujours nouvelles,
amateur de science, plein de ressources, passant sa vie à philosopher, habile
sorcier, magicien et sophiste19." Si l'amour est amateur de philosophie, il n'en est pas
moins sophiste. Dans le champ discursif inauguré par Diotime, l'opposition entre
philosophie et sophistique s'estompe, la reconnaissance de l'idiome de l'autre est de
mise. Tout se passe comme si le sophiste avait profité de la distension que Diotime
fait subir à la parole de Socrate (afin d'y laisser apparaître la nature de l'amour) pour
émerger dans ses plis.

Cette intimité entre le discours sophistique et l'amour n'est pas sans évoquer leur
mise en parallèle dans l'Éloge d'Hélène20 ; car le discours dont nous parle Gorgias
revêt bien la forme sophistique en tant qu'il est orienté vers la recherche de l'effet
(ravir Hélène). L'amour est dieu et le discours souverain, aussi le discours (sur
l'amour) de l'étrangère est-il doublement séduisant, bien que propre à ébranler
l'édifice platonicien. Car il se pourrait bien que, de submerger le logos socratique, il
subvertisse le reste du corpus de son disciple. Si, pour saisir ce qu'est l'amour, il est
indispensable d'en apprécier les effets21, alors, il convient de mettre entre
parenthèses tout procès d'intention ou de moralité, lequel s'exercerait en prétendant
imposer une réduction à un signifié univoque et exclusif de son contraire (beau ou
laid). Mais, surdéterminée, la parole de Socrate ne peut ignorer les pouvoirs du
langage sophistique qui se déploient également dans ce champ. Gorgias n'a pu laver
Hélène des accusations qui pesaient sur elle, qu'à insister sur la trame effective qui
l'a poussée à agir. Dans tous les cas rapportés, Hélène a été agie par plus fort
qu'elle et son intention (quelle qu'elle ait pu être) ne pouvait suffire à la dérober à son
destin souverainement et effectivement scellé. Aussi revenons à la tirade de Diotime
pour y remarquer, avec Socrate, que l'étrangère ne parle pas seulement du sophiste
mais finit par parler en sophiste : "Elle alors, pareille aux
sophistes"  ,    22. Le discours socratique, revisité par
Diotime, n'est plus en mesure de conjurer le sophiste ou plus exactement de priver le
langage de son écho polysémique. Ainsi, aussi bien dans les énoncés qu'il rapporte
que dans l'énonciation qu'il supporte, Socrate est mis hors de lui. Soulignons avec
Brice Parain que, "dans le Banquet, chaque degré de l'initiation dialectique produit
non pas des connaissances mais des formules (logoi) de plus en plus belles 23".

La voie introuvable

On peut, dans la suite du discours de Diotime, où diverses formes d'enfantement


sont évoquées, voir un développement qui fait valoir ce que le langage socratique
s'avère incapable d'engendrer. Elle insiste en outre sur le fait qu'il s'agit d'un
enseignement graduel. Or, parmi les trois degrés à l'issue desquels une intuition
contemplative de l'amour doit devenir possible, seul le premier stade (celui de
l'amathia, auquel introduit la réfutation cathartique) semble acquis à Socrate. Mais,
de même que dans le Sophiste, la réfutation est conçue comme une propédeutique,
une phase d'initiation devant lui succéder (à laquelle Diotime "se flatte" d'avoir "peut-
être pu mener Socrate24"). Enfin, seulement, la "contemplation" des "mystères de
l'amour est possible", et ici, Diotime émet des réserves quant à la capacité de
Socrate à gravir cette dernière marche... L'important est de percevoir toute la
complexité de l'enseignement prodigué par la mantinéenne. Nous avons vu que,
pour passer du premier stade au second, Socrate devait nécessairement accepter de
modifier la structure de son idiome. Comment, dès lors, interpréter le fait que celui-ci
en appelle à ce moment-là à la citation de l'entretien qu'il a eu avec Diotime ? Ne
peut-on pas conclure, à bon droit, qu'il est incapable de rectifier par lui-même
l'économie de son discours (c'est-à-dire de dépasser le premier stade) ? En faisant
valoir les paroles de l'étrangère de Mantinée par le biais de la citation, Socrate
montre qu'il ne les a pas assimilées et qu'il ne peut ouvrir son discours, le conformer
aux exigences requises, sans le recours au dire rapporté. Socrate occupe une
position singulière dans le processus mis en place par Diotime. Praticien de la
réfutation cathartique, il s'apparente à un passeur. Son sort coïncide en effet avec
celui d'Anubis, de Moïse, et de tous ceux qui, d'avoir été choisis par quelque divinité
afin d'amener les mortels au seuil de leur royaume, s'en voient à jamais écartés 25.
Accoucheur sur lequel les dieux ont fait choir la stérilité, Socrate, tel Charon ayant
déposé son passager sur l'autre rive du Styx, à la lisière de la grâce des dieux, puis
remué sa barque à contre-courant, laisse Agathon aux portes de l'étape suivante.

Mais, avisons-nous que ce sort incombe également au langage chez Platon. Car si
c'est par une ressource intrinsèque au langage que Platon, via Diotime, nous permet
de prendre congé de Socrate en mobilisant tout son art poétique, il n'en demeure pas
moins que le langage bute au seuil de la contemplation de l'Idée. La Lettre
VII expose clairement ce point. Comme dans le Banquet, il est question d'une
ascension graduelle dans la connaissance, dont aucune étape ne peut être éludée.
Citons-en un passage significatif : "Il y a pour chacun des êtres trois choses
indispensables à qui veut en acquérir la connaissance. La science en est une
quatrième, et il faut reconnaître comme cinquième ce qui est ensemble et existe
véritablement. La première est le nom, la deuxième la définition, la troisième l'image
et la quatrième la science26." Platon pourvoit le langage d'un certain rôle dans le
crescendo gnoséologique, toutefois, celui-ci vise à en révéler les limites et requiert
son dépassement pour aboutir. On notera du reste dans ce passage que l'ultime
étape de la connaissance est désignée par une périphrase : "ce qui est ensemble et
existe véritablement" ; en outre, lorsque Platon nomme chacun des moments de la
connaissance, il saute celui-ci. Socrate, comme le langage, s'il est fidèle à la tâche
qui lui est dévolue, doit nous donner les moyens de le laisser à sa stérilité après nous
avoir rendus féconds.

Loin de nous éloigner du Banquet, le thème du passage, ainsi envisagé, nous


ramène au coeur du discours de Diotime, à savoir au moment où Socrate la
questionne sur la nature d'Éros : "Qu'est-ce qu'il serait alors, Diotime ? - Un grand
démon, Socrate, et en effet tout ce qui est démoniaque est intermédiaire entre le
dieu et le mortel. - Quelle en est, demandai-je, sa puissance ?[...] - puisqu'il est à mi-
distance des uns et des autres, de combler le vide, de sorte qu'il unit  le
tout même à lui-même27." D'être mi-dieu, mi-homme, Éros est ambivalent. De n'être
ni dieu, ni homme, il n'appartient à aucun des deux mondes et manque toujours à sa
place, oscillant entre le mortel et l'immortel ; telle la figure d'Anubis, il n'est chez lui
qu'entre les deux rives que seul son mouvement incessant permet de conjoindre.
Affinité, à ce niveau encore, entre Éros et logos ; bien que le langage nous mette sur
la piste eidétique, il se tarit de nous en dévoiler l'accès. Le langage et Éros, de par le
mouvement, l'élan qui les anime, nous guident vers ce qui les excède ; rapportons à
ce propos l'analyse de Raoul Mortley : "L'objet de l'amour est double : en poursuivant
son bien-aimé, on croit l'avoir comme but unique, mais en l'atteignant, on s'aperçoit
d'un but ultérieur, celui de la production réciproque d'un tiers [...] L'amour est une
motion "vers" (épi), mais en arrivant l'amant ne s'arrête pas ; il traverse en quelque
sorte l'objet de son désir, et avec l'objet de son désir se dirige vers la production de
quelque chose28." Ce qui s'amorce à deux introduit un au-delà de la relation duelle.
Éros, comme le discours (sur Éros) de Diotime, se porte vers le tiers. Éros est tout
entier compris dans cet élan, dans ce mouvement transitoire, il n'est donc pas
isolable et ne saurait s'envisager si on lui ôte sa dynamique propre (ni à partir d'une
logique en tiers exclu). Éros manque à sa place, on échoue toujours à le localiser, de
sorte qu'on peut le dire atopique29 (nous retrouvons à ce niveau son caractère
métonymique). Or, nous allons observer qu'à ce phénomène répond l'impossibilité
d'assigner une identité fixe au sujet du discours dans le Banquet, et plus largement
chez Platon.

La parole sans voix

L'étrangère de Mantinée pose, au coeur de l'édifice platonicien, l'existence d'un beau


en soi susceptible d'alimenter la beauté des choses sensibles sans qu'aucune n'en
épuise jamais l'essence30. Or, ce moment correspond au plus haut degré d'aliénation
de la parole philosophique. L'enjeu qui point est celui de l'autosuffisance et de
l'autonomie de la théorie eidétique. Il faut questionner la provenance de cette parole
pour prendre la mesure du flottement inscrit à l'endroit de la délimitation de l'idiome
philosophique, car la pierre de touche sollicitée afin de clore le système a une origine
douteuse. Comme on a déjà pu l'entrevoir, bien que la parole de Diotime emprunte la
voix de Socrate pour se frayer un passage, elle vient bel et bien d'ailleurs ; d'un
ailleurs qui excède l'épure qu'elle trace. Socrate transmet la parole de Diotime,
Apollodore, qui tient le récit d'Aristodème, est produit par la plume de Platon pour
relater la scène. Bref, la parole de l'étrangère est à jamais perdue dans sa pureté
originelle, grignotée par les filtres subjectifs qui en assurent la (re) transmission 31. Le
processus qui permet que cette parole nous parvienne est le même qui en produit
l'altération. De là, se demande-t-on exactement ce qui nous en est restitué ? À ce
titre, et conformément à l'équivoque promue par Jacques Derrida, disons que la
parole mise en jeu dans le Banquet est par excellence "parole soufflée32". De
l'arracher à son ésotérisme, on la dénature. Tout se passe comme si l'enseignement
dispensé par l'étrangère n'avait de vérité qu'à être proféré dans le secret (voire dans
le dialogue silencieux de la pensée). La leçon prodiguée par la mantinéenne n'est en
fait pas disposée à être prononcée. Le langage la soustrait à elle-même.

À mesure que l'égérie socratique dévoile les arcanes initiatiques, elle itère sa crainte
de ne point être entendue par le praticien de la maïeutique 33. Ainsi envisagée, la mise
en scène du Banquet ne fait qu'accentuer ce qui est le propre de sa parole. Perdue,
d'être dite, elle échappe à la fois au destinataire et au destinateur. Elle est sans
cesse à redire parce qu'elle a toujours déjà été dite une fois de trop. Même si l'on
remonte la chaîne, on s'aperçoit que cette parole n'est localisable que dans son
itération, sa retransmission. Socrate rapporte la parole de Diotime, tel le passeur qu'il
est, mais Diotime elle-même transmet une parole, en sa qualité de "prêtresse
d'Apollon34". Tout comme Socrate et le langage, elle endosse ce rôle de passeur. Ce
qu'il importe de remarquer, c'est que cette parole met toujours en jeu un tiers (B
transmet à C la parole reçue de A). Cette série se retrouve à tous les niveaux du
dialogue. Une telle conjoncture, qui laisse présager une source originaire à ce qui se
fraye un chemin par l'intermédiaire des mortels, nous évoque cette pierre
magnétique investie du pouvoir divin, dont parle Socrate pour expliquer la force des
vers de certains poètes à Ion35. Mais ce n'est pas tout ; en effet, pour peu qu'on
considère l'autre bout de la chaîne, on repère une structure tout aussi singulière. Car,
au fait que la place du destinateur se fende pour accueillir un tiers, répond le
phénomène suivant lequel celle du destinataire elle-même se fissure pour faire
apparaître un autre. Ainsi, Apollodore, alors qu'il est seul avec Glaucon, s'exprime en
ces termes : "Je vous dois à vous aussi, faire ce récit, alors ne tardons pas ! 36" La
parole dispensée sur Éros sature de part en part l'échange entre le destinateur et le
destinataire, ouvrant leur identité respective vers ce qui ne se laisse pas résorber
dans la relation duelle. Marqués de l'obel de la diffraction, les propos du Banquet ne
sont pas assignables. Bien heureux qui saurait en pister la trace jusqu'à l'origine,
bien présomptueux qui prétendrait savoir à qui ils s'adressent.

Il faut lire cette mise en scène, qui fait coïncider la promotion du beau en soi et cette
impossibilité de réduire la parole à la communication, comme voulue par Platon. La
structure du dialogue nous paraît en effet illustrer un processus plus complexe,
dirimant à l'archéologie du vouloir dire. Toutes ces diffractions représentent autant de
strates qui soulignent l'impossible adéquation du langage et de la dianoia qu'il est
censé véhiculer. L'anagogie est, dans cette optique, irréalisable. À tous les niveaux,
la parole que Platon nous donne à lire apparaît comme un mixte corrompu, appauvri,
auquel un vouloir dire n'est pas assignable. Or, qu'est-ce à dire sinon que, libéré de
sa corrélation avec la matérialité signifiante, le signifié s'autonomise, de prendre une
valeur par lui-même. Il n'y a alors aucun paradoxe à observer que c'est au moment
où l'aliénation de la parole est à son paroxysme que le beau en soi est établi par
Platon, pour autant que, au vouloir dire inaccessible, répond cette Idée hypostasiée
qui subsiste par elle-même et se dérobe à toute inquisition. On retrouve, dans cette
veine, l'analyse perspicace de Jean-Marie Benoist : "L'accès du lecteur "à la pensée
propre" de Socrate est un retour vers une origine à jamais ensevelie dans un temps
caché, et son mouvement est comparable à celui d'une nekuia, cette évocation des
morts, dont l'objet serait à jamais décalé d'avec lui-même37." À remonter la chaîne de
ceux qui ont transmis la parole, on remonte également le temps, tout en changeant
incessamment de lieu : Apollodore précise, avant qu'il ne commence son récit, que
bien du temps s'est écoulé depuis ce fameux banquet auquel il n'a pas assisté en
personne, et pour cause, il était alors un enfant38. Ainsi le décalage de la parole avec
elle-même, de s'y répercuter, s'inscrit sur l'axe chronologique. Les mots renvoient à
une parole précédente, le temps du récit à celui du récit antérieur. L'instant du récit
est toujours vécu comme hanté par un autre (temps). Le récit n'est pas sans être
répétition. Ce temps caché est l'instant mythique où le récit, de n'avoir pas encore
été phrasé, serait pure dianoia. Mais celui-ci ne prend consistance que
rétroactivement, par un effet impensable si le langage est mis hors jeu. Le langage
nous met sur la piste de ce qui conteste l'autosuffisance du système ; la parole
n'appartient à aucun topos.

Accentué dans le Banquet, ce phénomène se laisse apprécier en d'autres dialogues ;


dans le Phèdre une mise en scène de cet ordre transparaît clairement, comme nous
l'indiquent du reste certaines lectures : "L'emboîtement des scènes est abyssal. La
pharmacie n'a pas de fond39." On ne sait, dans le Banquet, d'où proviennent les
propos de Diotime, on ne discerne, dans le Phèdre, d'où procède cette écriture qui
rédige sa propre condamnation. Or, si ces affinités peuvent être tirées des dialogues
de Platon, c'est parce qu'elles sont induites par l'écriture même du philosophe. Tout
s'agence pour que le vouloir dire ne puisse guère être assigné, pour que le sujet de
la parole ne soit jamais localisable ; la réalité de Socrate s'inscrit comme un point de
fuite dans le corpus, toujours prêt à nous dérober la pensée propre de Platon. En
effet, nous n'avons aucun moyen de déterminer quand Platon dispense son
enseignement et quand il nous rapporte les dires ou la vie de son maître. Si bien qu'il
n'y a pas un sujet de la parole chez Platon, mais plusieurs. L'oeuvre de Platon nous
plonge dans un embarras proche de celui qu'éprouve Gilles Deleuze en un moment
de sa Logique du sens : "À la question qui parle ?, nous répondons par l'individu,
tantôt par la personne, tantôt par le fond qui dissout l'un comme l'autre40."

À travers l'écriture, se laisse appréhender l'essence de ce qui constitue les filtres


subjectifs dans le Banquet. L'écriture est en effet, à la fois, le réquisit de la
transmission de l'enseignement de Platon ainsi que, et l'auteur d'y insister de façon
récurrente, le facteur majeur qui corrompt cet enseignement. Si bien que
le Banquet illustre d'une autre façon ce qui est accentué dans la Lettre VII et dans
le Phèdre et qu'il convient de garder à l'esprit quand nous ouvrons les oeuvres de
Platon : nous ne sommes pas mis en rapport direct avec la pensée de l'auteur, en
outre, il est impossible, à partir de ce qui nous est livré, de procéder à l'archéologie
du vouloir dire, d'appréhender l'Idée. Comme Socrate face à Agathon, Platon prend
congé du lecteur, parlant depuis la mort (de Socrate, de la sienne et de celle de sa
pensée) : "Celui qui disposera de la tekhnê de l'écriture se reposera sur elle. Il saura
qu'il peut s'absenter sans que ces tupoi cessent d'être là [...] Ils porteront sa parole
même s'il n'est plus là pour les animer41." La promotion platonicienne de l'Idée doit
être pensée d'après le modèle du beau en soi, telle qu'on l'observe dans le Banquet.
En cela, l'Idée, pour autant qu'elle est hypostasiée, peut être qualifiée de "signifié
transcendantal", dans le sens où l'entend J. Derrida : lequel "ne renverrait en lui-
même, dans son essence, à aucun signifiant, excéderait la chaîne des signes, et ne
fonctionnerait plus lui-même, à un certain moment, comme signifiant42". À nous
rapporter sa pensée au moyen du langage, de l'écriture, Platon lui prête une
consistance, mais nous la rend par là inaccessible. La pensée de Platon nous est
présentée après qu'elle a traversé des prismes (Socrate, le langage, l'écriture). Elle
manifeste l'au-delà de sa présence, rétroactivement, comme ce qui a été soufflé. De
là, on peut ici reproduire l'illustration qui nous a servi dans notre analyse précédente
pour mettre en valeur qu'une source extérieure au langage est postulée : (B transmet
à C ce qu'il tient de A) ; ainsi, Platon (par l'intermédiaire de Socrate, de l'écriture, du
langage) transmet au lecteur ce qui provient de l'ordre noétique, lequel est toujours
en retrait. Cet éclairage nous permet de saisir en quoi est significative l'identification
(à Socrate) mise en place au moment de la transcription scripturale (de son
enseignement) par Platon43. Comme dans le Banquet qui met en scène des filtres
subjectifs, de sorte que l'énoncé y soit exténué par les énonciations successives, on
observe le redoublement de ce qui s'apparente à des figures de travestissement de
la pensée propre (Socrate, le langage, l'écrit).

Tromper le sophiste pour qu'il se trompe

L'identité de Socrate joue un rôle déterminant au sein de l'économie scripturale de


son disciple. Son personnage se présente comme dirimant à l'archéologie du vouloir
dire platonicien. La présence (du nom) de Socrate mobilise les moyens d'une
transcendance de la pensée propre par rapport à l'écriture. L'ironie marque de façon
nette cette fuite hors du langage, vers une connivence ésotérique. On y déchiffre le
codage de l'écriture platonicienne, lequel permet de passer au travers de l'exigence
pragmatique formulée à l'endroit du sophiste44. C'est la figure du passeur qui se
laisse ici redécouvrir. Socrate, le langage, nous mènent au seuil de cet au-delà
d'eux-mêmes : à Platon, à la dianoia de l'auteur. Mais, le lecteur n'est pas épargné
par cette malédiction qui est la leur : il ne peut guère y accéder. Le langage est ce
qui souffle la pensée, de nous mettre en rapport avec elle, il manifeste que ce
rapport n'est toujours qu'un semblant. Par conséquent le langage est dévalorisé, ne
nous montrant l'Idée qu'à la condition de nous la rendre inaccessible. Et pourtant
l'Idée ne peut être indiquée, la dianoia manifestée, que par son recours45.

Mais Socrate est aussi passeur à un autre titre ; en effet d'assumer un rôle
stratégique il assure l'intégration de la parole du sophiste au sein de l'épure
philosophique. Sans doute aperçoit-on là le versant positif de la labilité propre à
l'identité socratique ; il est celui qui rend le dialogue possible, qui permet de
surmonter le différend, apportant la traduction de l'idiome sophistique sur la scène
philosophique. Socrate convertit ce que dit le sophiste afin de l'évaluer du point de
vue de l'intention. Nous sommes face à un singulier phénomène dans la mesure où
nous reconnaissons que c'est une certaine indétermination de l'identité socratique
qui réunit de quoi modifier celle du sophiste en agençant les conditions d'altération
de son idiome. Monique Canto met l'accent sur l'instauration d'un véritable processus
de corruption de la parole sophistique : "Socrate implique, au sens le plus strict, ou
enveloppe son opposant dans son argument et il l'oblige à répondre en fonction
d'une idée de vérité qu'il ne peut manquer de ce fait d'imposer au sophiste 46." Pour
illustrer ce point, penchons-nous sur un texte paradigmatique qui se trouve dans
le Théétète ; l'interlocuteur éponyme du dialogue, chargé de représenter Protagoras,
prend acte d'un moment décisif où il a le choix entre poursuivre sur la pente
sophistique ou se laisser convertir par Socrate : "Si je réponds, Socrate, ce qui paraît
juste par rapport à la question présente je répondrai que ce n'est pas possible ; mais
si c'est par rapport à la question précédente, prenant garde à ne pas me contredire,
je répondrai que c'est possible47." Théététe explicite le différend, mais Socrate
s'empresse de le traduire dans son idiome, lui rétorquant que s'il agit comme un
sophiste décidé à ne pas se faire prendre : "Il aura - selon le mot d'Euripide - la
langue glwtta à l'abri de la réfutation, mais [que] le coeur (la pensée) frhn n'en sera
point à l'abri48." Théétète a la lucidité de différer sa réponse et de phraser. Mais, pour
n'être pas sophiste et donc ne revendiquer ce parti que par procuration, Théétète
n'assume cette thèse que pour permettre à l'entretien de progresser sous la
gouverne de Socrate. Il est néanmoins clair que le sophiste qui accepterait de voir
ses propos reformulés dans une telle perspective serait perdu.

Aussi la systématique itération à laquelle Socrate soumet les thèses de ses


adversaires, afin de les évaluer à l'aune de ses propres critères, suscite-t-elle de
virulentes réactions. Ainsi Calliclès, dans le Gorgias, refusera d'assumer ses propos
après que Socrate les ait fait ainsi résonner, et les désavouera de son silence. De
même, Thrasymaque s'insurgera devant cette traduction opérée par le philosophe :
"Socrate, fit-il, tu es ignoble ! Ma définition, tu la prends en dessous, de la façon où tu
pourras le plus traîtreusement la discréditer49 !" Jean-François Lyotard nous permet
précisément de pointer ce qui se joue dans cette itération, et en quoi elle signifie au
sophiste sa perte : "Un cas de différend a lieu quand le règlement du conflit qui
oppose les deux parties se fait dans l'idiome de l'une d'elles alors que le tort dont
l'autre souffre ne signifie pas dans cet idiome50." Bien souvent, le début des
dialogues platoniciens laisse apprécier toute la distance qui sépare le sophiste de
Socrate. Or la pragmatique platonicienne vise à importer cette dichotomie au sein du
sophiste lui-même. En effet, pour autant que (le sujet de) l'énonciation est oblitérée
au profit de l'énoncé, il n'a plus de sophiste que le nom, et il joue sur une scène où il
est privé de son identité (sophistique). Antonia Soulez prend acte de cette schize qui
frappe le sophiste : "La conception platonicienne du rapport du dire et du penser
projette et dédouble la dianoia sophistique en faisant de la pensée autre chose que
l'intention manifestée hic et nunc par l'acte énonciatif51." Ce qu'il faut accentuer, à ce
niveau, est que l'altération que Socrate impose aux propos du sophiste prend effet à
l'endroit de l'identité de son adversaire en l'aliénant. Ce n'est donc qu'à la faveur de
sa diffraction au travers de la pragmatique platonicienne que le sophiste peut
apparaître comme un prétendant (à la philosophie), mais, et c'est là le coeur de
l'affaire, cela ne fait plus de lui, à proprement parler, un sophiste.

Socrate feint de s'approprier les paroles de ses adversaires pour les mettre au
diapason philosophique, oblitérant le sujet de l'énonciation au profit du seul énoncé,
de sorte qu'il en désamorce l'effectivité. Dans un premier temps son contradicteur ne
s'alerte pas que ces paroles sont les siennes et les éprouve comme étrangères,
corrompues, comme celles de Socrate ; néanmoins, si Socrate parvient à poursuivre
l'entretien et à maintenir son interlocuteur dans cette position 52 où il peut continuer à
le travailler, alors celui-ci finira par reconnaître ces paroles qu'il croyait être de
Socrate, comme les siennes propres. Socrate se fait ainsi le médiateur entre la
parole de son interlocuteur et l'intention sous jacente à cette parole, la lui renvoyant.
Il reprend les mots de son adversaire (déconnectant de la sorte l'énoncé de
l'énonciation), afin que son interlocuteur reconnaisse sa propre thèse dans cette
répétition particulière. Le tour est assez singulier pour que son alter ego n'identifie
pas nécessairement sa parole en celle de Socrate, alors, ce dernier de l'aiguiller vers
sa perte, vers la perte de sa parole intime : "Lorsqu'il y a échange de questions, quel
est celui qui dit les choses, celui qui questionne ou celui qui répond ? [...] Ce que tu
devras comprendre c'est que c'est de ta propre bouche, non de la mienne que tu
pourras bien avoir entendu ces paroles53." Il y a, à ce niveau, une véritable
dialectique des identités dans la mesure où Socrate mise incontestablement sur un
effet ad hominem de sa parole, si bien que, considéré sous cet angle, il s'apparente
à un sophiste. Mais inversement, le sophiste, pour autant qu'il finit par régler son dire
sur les intentions qui lui en reviennent, prend l'apparence du philosophe ; en outre, il
est considéré comme un prétendant à ce rang, que Platon promeut de l'en évincer,
de sorte qu'il en permet, indirectement certes, mais non moins indéniablement, la
constitution.

L'agonistique comme enjeu de l'identité philosophique

Socrate parle pour Protagoras, mais Protagoras parle pour Socrate

Pour poursuivre cette étude, nous allons nous pencher sur le Protagoras, car ce
dialogue révèle que ce phénomène n'est pas que d'apparence. À questionner
précisément l'interaction des identités de Socrate et du sophiste, on ne saurait faire
abstraction de cette oeuvre singulière. Car pour peu qu'on l'envisage sous cet angle,
la progression du texte s'avère étonnante. Nous considérons, pour en relater le
caractère cocasse, précisément le point de départ du dialogue au regard de son
aboutissement atypique. L'entretien de Socrate et de Protagoras s'amorce
conformément aux règles dialectiques, chacun des deux interlocuteurs revendique
un membre de la même contradiction : Socrate conteste que la vertu politique puisse
faire l'objet d'un enseignement, tandis que Protagoras, en sa qualité de sophiste, lui
confère un caractère didascalique54. Face à cette conformité stricte aux réquisits
dialectiques, que le début du dialogue nous laisse apprécier, contraste son
aboutissement imprévisible. Théoriquement, l'issue de l'affrontement devrait
permettre de consacrer un vainqueur, nous invitant ainsi à reconnaître la suprématie
de la thèse qu'il s'est évertué à défendre. Or, à examiner la fin du dialogue, on
accorde certes que Socrate a triomphé du sophiste, néanmoins, c'est pour
s'apercevoir que la thèse qui a prévalu n'est pas celle dont il s'est fait l'avocat au
début de l'entretien. La situation est assez incongrue pour que Socrate, de s'en
aviser, la fasse partager à l'auditoire : "Il me semble que la conclusion à laquelle
vient d'aboutir notre conversation nous accuse et se moque de nous, tout comme un
homme et qu'elle nous dirait, si elle pouvait prendre la parole : "Comme vous êtes
étranges Socrate et Protagoras ! Toi qui disais tout à l'heure que la vertu ne peut pas
s'enseigner, maintenant, tu consacres tous tes efforts à te contredire toi-même : tu
essaies de démontrer que toutes choses - justice, sagesse, courage - sont science,
et c'est la meilleure manière pour faire apparaître que la vertu peut s'enseigner ; car
si la vertu était autre chose que science, comme Protagoras essayait de le dire, il est
clair qu'elle ne pourrait s'enseigner55." Ainsi, loin de s'être contredits mutuellement, il
semble que les deux interlocuteurs se soient contredits eux-mêmes chacun leur tour.

Il faut toutefois se demander sérieusement ce que vaut ce constat formulé par le


praticien de la maïeutique, pour autant que le sophiste ne revendique pas la thèse
qu'il lui assigne. Il est pourtant patent qu'il aurait du mal à contester qu'elle s'impose
à lui à l'issue de la discussion qui vient d'avoir lieu ; mais, il est remarquable que la
tournure prise par celle-ci a réduit sa marge de manoeuvre, tant et si bien qu'il a
manifesté son désaccord au sujet de sa forme56, en outre elle a failli s'interrompre par
deux fois. Questionnée, mise à l'épreuve, depuis le point de vue adopté par Socrate,
la conception de la vertu (politique) protagoréenne s'avère inapte à son
enseignement. L'inversion des thèses est subséquente à tout ce mouvement du
dialogue, scandé par les différentes apories que la poursuite de la réfutation a fait
émerger de la thèse revendiquée par le sophiste. Ce phénomène ne peut masquer
son étroite corrélation avec l'imposition à Protagoras d'un régime discursif qui n'est
pas le sien, dans lequel il est soumis de force à la pragmatique platonicienne57.
L'étrange dénouement propre à ce dialogue nous pousse à nous enquérir
précisément sur ce qui a effectivement circulé par l'intermédiaire des mots, Socrate
et Protagoras ayant troqué leurs positions respectives relativement à l'objet de
l'affrontement dialectique. En effet, tout se passe comme si leur interaction durant
l'entretien les avait conduits à échanger respectivement leur identité, si bien que
Socrate en arrive à revendiquer la thèse initialement sophistique, tandis que
Protagoras apporte des arguments à la discrimination des prétendants à
l'enseignement de la vertu, laquelle a partie liée avec la tâche philosophique.

Dans son précieux article, Monique Canto articule l'altération qui frappe les identités
des protagonistes en présence au travail de la réfutation : "Le cours de la réfutation
ne cesse de modifier la pertinence des questions d'identité [...] Socrate n'est pas
épargné par cette dépossession de soi-même qui est l'effet réel de la réfutation58." Il
nous faut interroger avec minutie la tournure finale prise par le Protagoras afin
d'apprécier précisément ce que traduit cette inversion remarquable des thèses. Pour
mener à bien cette recherche nous pouvons invoquer ce que nous a permis de
mettre à jour, notre étude du Banquet. Car pour peu qu'on envisage le Protagoras à
la lumière de celui-ci, la situation se clarifie considérablement. Nous avons observé
que la réfutation se présente comme une propédeutique à l'acquisition des
connaissances. Cette épreuve cathartique constitue la première étape que nous
désigne Diotime. Or Socrate a réfuté Protagoras, comme il l'a fait pour Agathon, et
l'a, de ce fait, débarrassé de ce qui entravait son ascension sur le chemin de la
connaissance (l'agnoia). En outre, Socrate échoue, comme dans le Banquet, au seuil
d'une connaissance possible, c'est pourquoi il pressent, à la fin du dialogue, que la
vertu peut faire l'objet d'un enseignement. Toutefois, cette connaissance n'est pas
pour lui, aussi n'en discerne-t-il que les prodromes. Sa persévérance dans l'idiome
de la réfutation ne lui permet pas de s'ouvrir à une initiation devenue envisageable.
Tandis que, d'avoir subi la réfutation cathartique, Protagoras se trouve précisément
dans la position qu'occupait Socrate au tout début du dialogue (l'amathia). Il lui
faudrait encore persévérer dans cette voie pour qu'il lui soit possible de distinguer ce
que Socrate aperçoit à la toute fin du dialogue.

Le gain de cette lecture conjointe du Banquet et du Protagoras est qu'elle nous


permet de dénoncer ce qui n'est qu'une fausse symétrie. L'erreur consiste à croire
que, durant le Protagoras, Socrate et le sophiste ont simplement échangé leur
position, voire leur identité respective, ce que pourrait laisser penser la seule lecture
du Protagoras. Si tel était le cas, en plus d'être aporétique, le dialogue serait
circulaire, de sorte que la poursuite de la discussion nous ramènerait
immanquablement au point de départ59. Certes, le dialogue appartient bien à ce
qu'on a pris l'habitude d'appeler la période aporétique chez Platon, toutefois ce que
pointe Socrate à son terme, ainsi que la progression de Protagoras nous invitent à
nuancer ce constat, et plus fermement à contester une quelconque circularité de
cette oeuvre. Il est toutefois vrai que cette connaissance n'est entraperçue que pour
autant qu'elle n'est pas atteinte, mais ne nous est-il pas apparu que ce phénomène
découle davantage de l'écriture de Platon qu'il n'est propre à un genre particulier de
dialogue ? Quoi qu'il en soit, le Protagoras n'est en aucun cas statique, pas plus que
circulaire et il pose les prémisses d'un cheminement visant à dépasser l'aporie. Il
reflète, à ce titre, une progression vers la connaissance propre au platonisme. Ainsi,
s'il est juste de souligner que la position occupée par Protagoras à la fin du dialogue
correspond à celle qui, initialement, revenait à Socrate, il est crucial de marquer
nettement la différence qui existe entre celle défendue par Protagoras au début du
dialogue et ce que Socrate subodore à la fin. De pointer furtivement l'accent
burlesque de la situation, Socrate, comme il aime à le faire avec les sophistes, nous
lance sur une fausse piste...

Ce rapprochement du Protagoras et du Banquet soulève cependant une difficulté. En


effet, bien que le parcours de Protagoras s'en trouve clarifié, le revirement de
Socrate ne cesse de nous étonner. Socrate a agi avec Protagoras comme il l'a fait
avec Agathon, le débarrassant de l'agnoia au profit de l'amathia ; néanmoins,
Socrate, comme dans le Banquet, paraît trouver les ressources, de pressentir les
prémisses de l'enseignement de la vertu, pour surmonter l'amathia. Or,
le Banquet nous a bien montré que c'est à la présence de Diotime (en place
d'initiatrice) qu'est entièrement suspendu ce phénomène. On peut difficilement
concevoir que Protagoras ait assumé ce rôle, car comment aurait-il pu initier Socrate
à une sagesse dont il était si loin ? Mais alors, rien ne semble pouvoir être produit,
qui aurait induit l'initiation de Socrate. Faut-il, faute de mieux, accepter l'idée que
Socrate soit son propre initiateur ?

Agonir ou agoniser

Ce n'est donc pas sans nous plonger dans un nouvel embarras que notre lecture
du Protagoras à partir du Banquet nous permet de lever quelques difficultés
intrinsèques à ce dialogue. Cependant, loin d'être dirimant à la poursuite de notre
investigation, le problème suscité appelle, à notre sens, des prémices de résolution
que nous croyons propices à nous mener au coeur du thème qui nous occupe. C'est
encore dans le Sophiste que nous irons puiser ce qui est susceptible de rendre
raison de l'intempestive métamorphose de Socrate, métamorphose que
l'intertextualité permet d'éclairer de plusieurs façons. Sans prétendre à l'exhaustivité,
nous tendrons ici deux fils à partir desquels une tresse peut être tissée.

On peut tout d'abord présenter l'affleurement de ce que discerne Socrate comme


consécutif à la discussion qui vient d'avoir lieu. Le langage serait, dans cette
perspective, pourvu de vertus diacritiques ; par là nous retrouvons ce singulier
mouvement par lequel il nous donne les moyens d'aller au-delà de lui-même. Un
passage de la Lettre VII fait mention de ce phénomène : "C'est lorsqu'on a frotté les
uns contre les autres noms, définitions, visions, sensations, qu'on a discuté dans des
discussions à l'amiable, où l'envie ne dicte ni les questions ni les réponses, qu'éclate,
et encore à grand'peine, la lumière de la sagesse et de l'intelligence, tendue autant
que peut être l'intelligence humaine60." Certes, la discussion mise en scène dans
le Protagoras n'était pas des plus amicales, néanmoins, la notion de vertu a été
considérablement approfondie. En effet, il appert qu'on ne parle pas de la même
vertu au début et à la fin du dialogue, si bien que Socrate ne fournit pas d'argument
pour affirmer que la vertu (politique) protagoréenne est enseignable, mais il vise une
autre vertu que le dialogue permet de pointer.

L'autre élément de réponse, qui est d'ailleurs loin de rendre caduc le premier,
s'inspire davantage de ce qui ressort du Sophiste et qui n'est pas sans poindre dans
le Banquet. On arguerait, à le suivre, que le pressentiment qu'éprouve le philosophe
à la fin du dialogue se balise de la capture du sophiste. De sorte qu'on n'entreverrait
le philosophe et la connaissance qui doit lui revenir que lorsqu'on aurait démasqué le
sophiste, évincé ce mauvais prétendant à la sagesse, en dévoilant le semblant de
savoir dont il fait étalage. On pourrait ainsi saisir pourquoi, après le Sophiste, Platon
n'a pas écrit de Philosophe, pour autant qu'il en est l'envers ; d'ailleurs, alors que
l'enjeu du Sophiste est de démarquer, de distinguer le philosophe du sophiste (car
pour beaucoup dans la cité ils se confondent61) c'est à pister ce dernier que l'étranger
d'Élée met inopinément le doigt sur le philosophe alors que la traque se resserre.
Le Sophiste, vu sous cet angle, ressemble à une véritable bande de Moebius. Si bien
qu'on ne saurait, à suivre l'étranger, ignorer que la prestation déployée pour
confondre le sophiste prend forme à pousser à son culmen le risque de le confondre
avec le philosophe.

Le point important est que le repérage du philosophe ne dépend pas tant de la


capture du sophiste que de sa traque, c'est à pister l'un qu'on tombe sur l'autre. Mais
la prise d'une décision s'impose alors, dans la mesure où il faut choisir entre se saisir
du philosophe, auquel cas on laisse filer le sophiste au risque de le laisser rôder
dans les parages philosophiques, ou poursuivre la chasse, sans jamais être assuré
de recroiser le philosophe. Dans le Protagoras et dans le Sophiste, alors qu'il est au
plus proche de discerner le savoir philosophique ou le philosophe, Platon remet à
plus tard, voire à jamais, cette découverte. Ainsi, tandis qu'il semble sur le point de
percer les arcanes de l'habileté et du savoir en quoi consiste la pratique de la
mesure, Socrate s'en détourne par ces mots : "De quel art et de quelle science il
s'agit, c'est ce que nous verrons une autre fois62." De même, alors que le praticien de
la dialectique (lequel est apte à "diviser par genres et ne point croire que la même
forme est une autre, ou une autre la même63") est à portée de main, l'étranger ne fait
qu'indiquer furtivement son domaine pour ne pas perdre la trace du sophiste sur
laquelle il se relance aussitôt : "C'est précisément en cet endroit que, si nous le
cherchons, nous trouverons le philosophe - aussi bien maintenant que par la suite -
même s'il est difficile à discerner avec clarté, mais la difficulté propre au sophiste est
cependant d'un ordre différent64." Ainsi, la chasse au sophiste, laquelle vise à
éliminer ce prétendant usurpateur, bien qu'elle soit engagée pour permettre de
dégager le philosophe, d'être menée à son terme, semble nous le faire perdre
irrémédiablement. Bref, il faut certes chercher le sophiste pour trouver le philosophe,
cependant, si l'on parvient à débusquer le sophiste, on manque le philosophe.
Socrate ou l'étranger aurait certes pu saisir le philosophe, ou sa tekhnê, mais non
sans laisser filer le sophiste, et on peut gager qu'alors ce dernier aurait continué à
hanter son domaine et à subvertir l'écho de sa voix.

L'enjeu de l'inclusion du tiers

Dans la mesure où l'émergence du philosophe a partie liée avec la chasse au


sophiste et cela d'une manière singulière, il nous faut reprendre la notion
d'ambivalence que nous avons rencontrée lors de notre analyse du Banquet. À ce
propos, reportons-nous à l'article de Samuel Weber : "Ce que cette notion nous
donne à penser, c'est plutôt la constitution de l'objet et du sujet, c'est-à-dire la
constitution de l'identité. Dans la perspective ouverte par l'ambivalence, l'identité ne
se pose plus comme principe, elle s'impose en déposant les autres déjà en place65."
Le Banquet met en scène la coexistence du philosophe et du sophiste. C'est à
dépasser le principe de contradiction, car Éros est fils de Poros et Pénia, qu'est
convié Socrate pour trouver en lui l'élan de la transcendance. Diotime entremêle en
sa voix les logoi philosophiques et sophistiques... D'être, à un moment, mis en
demeure de choisir entre appréhender le philosophe ou se saisir du sophiste, il
semble que Socrate et l'étranger d'Élée n'aient plus les moyens de discerner ce qui
fait le coeur de l'affaire. S'il est vrai que le philosophe n'existe que de se différencier
du sophiste, il est indispensable que ne se dissipe pas totalement la confusion qui
les frappe, pour autant que son être ne se soutient que de l'impossibilité d'en finir
avec cette discrimination. De là, le Protagoras comme le Sophiste s'éclairent-ils dans
la mesure où c'est lorsqu'on n'a pas encore épinglé le sophiste, de le tirer en pleine
lumière, qu'on entrevoit le philosophe. Autrement dit, la réussite de la traque, laquelle
est pourtant sollicitée par le philosophe (en vue de la constitution de l'(id) entité
philosophique) le fait s'évaporer. Le Sophiste portera au niveau ontologique cet
étrange phénomène, aussi, afin que le philosophe soit (philosophe), il devra
cependant ne pas être (sophiste)66.

Tout se passe comme si l'identité du philosophe s'énonçait toujours depuis son autre,
ou au regard de celui-ci. C'est pourquoi le rapport du philosophe et du sophiste est
ambivalent et à ce titre ne cesse de nous dévoyer. En effet on ne trouve jamais celui
qu'on est venu chercher. À examiner le genre de l'autre, tel qu'il intervient dans
le Sophiste, on apprend que l'(id) entité sophistique est constitutive de l'(id) entité
philosophique. De ce fait, il nous semble que la sélection des prétendants a comme
fin réelle de produire, d'engendrer le seul postulant valable, si bien que l'enjeu de la
chasse au sophiste n'est pas autre chose que la génération de l'(id) entité
philosophique. Dans un texte remarquable, Monique Dixsaut établit la limite du genre
de l'autre, pour autant qu'il ne peut pas strictement être assimilé à un genre absolu,
car "il est impossible de faire la différence d'avec rien 67". Or, c'est bien parce que le
philosophe est l'autre du sophiste, c'est-à-dire n'est pas le sophiste, qu'il ne saurait
être appréhendé pour lui-même, dans la mesure où il se définit à la faveur de la
différence (voire de la différance) de sa parole. L'être du philosophe s'énonce donc
négativement : il n'est pas sophiste. Comment ne pas concéder alors que l'identité
philosophique est relative, et qu'à cet égard elle s'avère réactive ? Or si tel est le cas,
nous ne pouvons pas occulter que le sophiste joue un rôle indéniable dans la
constitution de l'identité philosophique68. À l'issue d'une analyse minutieuse,
Francesco Fronterotta affirme que "dans les conditions du Sophiste, la catégorie
ontologique de la différence n'échappe pas à ses contradictions 69". Or il semble que
l'(id) entité philosophique souffre du même problème, pour autant que le philosophe
vise à écarter ce qui lui permet de s'affirmer. L'opération dans laquelle consiste la
liquidation du sophiste a quelque chose d'apotropaïque, dans la mesure où, à venir à
bout du sophiste, le philosophe en finit avec lui-même. Dans son article sur
l'ambivalence, Samuel Weber met précisément le doigt sur ce type de problème :
"[...] En se démarquant de l'autre, le même se démarque : pour devenir lui-même, il
efface la marque qu'il doit à l'autre ; mais en effaçant cette trace, il se nie en tant que
rapport à l'autre70."

Il n'est pas inintéressant de remarquer que le Banquet et le Sophiste font tous deux
appel à la figure de l'étranger. Étrangers, peut-être, le protagoniste venu d'Élée et
Diotime ne le sont-ils pas qu'à la cité mais également à la philosophie comme à la
sophistique (envisagées comme disciplines exclusives l'une de l'autre). Ces
personnages, à l'identité voilée, capables de se démarquer de Socrate comme du
sophiste introduisent, chacun à leur manière, la voie du tiers. Nous avons vu que
c'est explicitement que Diotime exhorte Socrate à adopter un mode de pensée en
tiers inclus ; quant à l'étranger d'Élée, son caractère de xenos est bien ce qui lui
permet de ne pas être happé par la dialectique des identités que suscite la chasse
au sophiste, dans laquelle le sophiste comme son autre sont victimes d'une violente
dépossession d'eux-mêmes. L'étranger en est préservé pour autant qu'il n'a aucune
identité à mettre en jeu. Ici encore vient s'inscrire une troisième voie qui, de
rencontrer celles empruntées par le praticien de la maïeutique et le sophiste, ne se
confond pas avec elles, bien qu'elle ne soit pas sans rapport. L'identité de l'étranger
est une identité en tiers, elle est décalée d'un degré par rapport à celle du sophiste et
de Socrate, c'est pourquoi il les localise de son oeil expert. Elle prend place au
niveau où leur contradiction peut être dépassée. Aussi la figure de l'étranger porte-t-
elle au coeur de sa propre identité l'ambivalence : "[...] L'étranger, conformément
d'ailleurs aux idéologies archaïques de provenance homérique, fait l'objet, tout à fait
ambivalent, d'une double série de mesures : il est à surveiller, mais aussi à protéger,
à insérer, mais néanmoins à exclure71."

D'un point de vue, il offre au philosophe les moyens d'intégrer la tekhnê du sophiste,
laquelle l'intéresse pour autant qu'elle est efficace (comme le suggère Platon dans
le Phèdre) ; d'un autre point de vue, il parachève la sophistique en y entant un souci
de connaissance et d'intention qu'il importe depuis son autre. C'est parce que
l'identité de l'étranger est en tiers qu'elle est entière. Et, si l'identité philosophique est
celle de l'étranger, elle est bien la vérité de la confrontation du sophiste et du
philosophe, de leur échange dialectique72. On voit pourquoi, comme le sophiste,
Socrate n'est pas véritablement philosophe pour autant qu'il est pris dans la lutte
avec ce dernier. La figure de l'étranger est extérieure à cette lutte, et il faut
remarquer ici que bien que Platon n'ait jamais lésiné pour importer des sophistes
dans ses dialogues, en cette oeuvre éponyme, nul sophiste n'est présent sur la
scène (en confrontation directe avec l'étranger). On retrouve indéniablement les
vertus synthétiques que le Banquet, d'approfondir la notion d'Éros, mettait à jour73.
Ce phénomène pourrait nous rappeler que le philosophe et le sophiste ne
s'envisagent, ni l'un ni l'autre pour eux-mêmes pour la simple raison qu'ils ne
s'affirment comme tels uniquement dans la dimension dialogique, interlocutive. Or
c'est bien à l'aune de leurs logoi (et de ce qui en revient) que s'établit leur identité
respective.

La figure de l'étranger représente la voie du tiers qui permet de dépasser


l'affrontement direct du praticien de la maïeutique et du sophiste. L'étranger est au-
delà de l'agôn, en un lieu où la sophistique, se réglant sur la connaissance et sur une
pragmatique de l'intention, confine à la philosophie. À ce titre il porte en lui
l'ambivalence, laquelle ne nous permet pas de l'identifier de façon univoque. Nestor-
Luis Cordéro, dans sa traduction du Sophiste, a noté une incertitude quant à la façon
suivant laquelle Théodore présente l'étranger74. À la suite de J. Burnet75, de façon
quasi unanime, les éditeurs modernes introduisent l'étranger comme un
"compagnon  de Parménide et de
Zénon"        ; J. Burnet avait en effet
proposé de supprimer un second  (génitif pluriel), lequel, selon lui chargeait
le texte d'une redondance, à faire de l'étranger un "compagnon des compagnons de
Parménide et Zénon"    . Mais N.-L.
Cordéro nous aiguille vers une troisième solution qui permet d'éviter la répétition tout
en conférant un sens fidèle à la lettre du dialogue, celle-ci s'autorise en outre d'un
des quatre manuscrits principaux, le Codex Y (Vindobonenensis 21) ; l'étranger est
alors présenté comme "différent, autre  des compagnons  de
Parménide et de Zénon" . Il appert
que cette incertitude philologique se traduit violemment au niveau de ce qu'on peut
conjecturer de l'identité du fameux étranger. En effet s'il faut retenir la leçon du
dialogue, à savoir que le sophiste est à chercher du côté de l'ontologie éléatique,
force est de reconnaître qu'il se présente comme un compagnon de Parménide,
aussi, si l'on soutient que l'étranger est lui-même un compagnon de Parménide, nous
l'apparentons étroitement au gibier dont il se met en chasse. Néanmoins, si nous le
disons différent, autre des compagnons de Parménide, alors, il n'est rien de moins
que philosophe ; en outre, rien n'exclut alors que dans une certaine mesure il partage
le pain avec les compagnons de Parménide. Il nous paraît significatif que
l'ambivalence se soit ainsi inscrite du fond du texte jusque dans sa forme. Tout nous
invite donc à biffer d'un doute une quelconque tentative discriminante (philosophe ou
sophiste). Ce qui s'élève ici contre la disjonction nous semble être que l'identité
philosophique, de s'opposer à la sophistique, ne l'exclut pas, pour autant qu'elle se
constitue par différence. Bref, de même que le non-être n'est pas le contraire de
l'être76, le sophiste n'est pas le contraire du philosophe.

Conclusion

Les rapports des sophistes et de la figure que Platon produit pour y faire face sont
complexes. Nous dirions volontiers que le corpus platonicien met en scène
l'"accrochage" du philosophe et du sophiste. Il ne s'agit pas uniquement de faire
prévaloir le philosophe sur le sophiste, mais plutôt de constituer l'identité
philosophique. Ainsi, le philosophe n'est pas envisageable indépendamment de ses
"démêlés" avec le sophiste ; autrement dit, la figure du philosophe ne précède pas sa
mise en opposition à la sophistique. L'antériorité dont il est question n'est pas
seulement chronologique, de sorte que le sophiste est convoqué afin de prendre part
à la génération de l'identité philosophique. L'ambivalence que Platon lui porte traduit
ce mouvement contradictoire qui exige à la fois son expiation et requiert sa présence.
Le philosophe décline son identité sous l'égide de la dénégation, du "voilà ce que je
ne suis pas77". Son identité s'affirme ainsi dans l'instant de ce déni, à ce titre, elle est
évanescente et requiert sa réitération perpétuelle pour se maintenir. Le philosophe
n'en a jamais fini de se démarquer du sophiste. Le processus qui vise à entériner la
philosophie la suspend irrémédiablement à la sophistique ; or la posture
philosophique se veut exclusive de son autre, mais cette tentative de liquider la
sophistique la rattrape à son propre endroit. L'identité philosophique, pour se
constituer, déploie un processus apotropaïque.

Le fait que l'identité philosophique ne se soutienne que dans l'instant où elle affirme
sa différence par rapport à la sophistique, d'évincer cette dernière, la fait osciller
entre deux positions desquelles elle ne parvient pas à s'extraire : ou bien elle ne s'en
différencie pas et se confond avec elle, ou bien elle n'a plus de quoi se différencier
et, par là, se dissipe. Toute la dialectique des identités met en valeur que, par le
mouvement qui lui permet de s'affirmer, elle se compromet. Le philosophe est ou
bien annexé à son autre, ou bien dépourvu d'image spéculaire. De sorte que derrière
la propension socratique à "en découdre" avec le sophiste, affleure la criante
nécessité platonicienne de "s'en découdre". Le Banquet et le Sophiste sont, d'après
nous, des dialogues qui, par l'intervention de la figure de l'étranger, visent à extraire
le philosophe de cet "accrochage" afin d'en réaffirmer l'identité en tiers, c'est-à-dire
de le doter d'une identité entière.

Platon a, lui aussi, été pris dans cette dialectique des identités, si bien que ce geste
par lequel il a brûlé ses oeuvres théâtrales traduit cette compulsion à expier le
sophiste en lui. Or, sur ce point, la fin du Banquet nous semble instructive ; en effet,
Apollodore nous rapporte qu'Aristodème, après s'être assoupi, surprit, à son réveil,
quelques mots de Socrate. Bien qu'il ne saisisse pas le fil de la discussion que celui-
ci, Agathon et Aristophane poursuivaient au petit matin, il comprit cependant que
"Socrate les avait amenés à reconnaître qu'il appartient au même homme de savoir
traiter de la comédie et de la tragédie, et que, quand on est poète tragique par art, on
est aussi poète comique78". Cet épilogue s'inscrit dans le ton du dialogue où le
philosophe et le sophiste conjuguent leurs talents dans cette voix qui, pour évoquer
Éros, ne vient de nulle part. À ce titre le Banquet nous paraît crucial pour saisir
l'évolution de Platon, qui y trouve les moyens d'affirmer l'identité philosophique par-
delà son opposition à la sophistique et à l'art littéraire (ce qui, à en croire la légende,
fût pour lui un douloureux problème).

Le philosophe est le résultat de l'affrontement entre le sophiste et le praticien de la


maïeutique. Dans le Sophiste, l'étranger coiffe cette lutte et en récolte les fruits
ambivalents. L'identité de l'étranger est synthétique, sa provenance est laissée dans
l'ombre, pour autant qu'elle concède l'affinité de la sophistique et de la philosophie.
Le dernier porte-parole de Platon inscrit, en lieu et place de son nom, l'ambivalence,
à savoir, ce qui fait que Platon, lorsqu'il prodigue son enseignement, a besoin d'un
masque pour ne pas que le lecteur mette à jour sa propre généalogie, généalogie
dont son visage porte les stigmates.

(1) Détienne M., Les Maîtres de vérité dans la Grèce archaïque, Paris, La
Découverte, 1990, p. 103.

(2) Soulez A., "Le dire comme acte du sophiste ou invention et répudiation par Platon
de la pragmatique sophistique", in Position de la sophistique, textes réunis par
Barbara Cassin, Paris, Vrin, 1986, p. 59.

(3) Cassin B., "Les muses et la philosophie ; éléments pour une histoire
du pseudos ", in Aubenque P. (dir.), Études sur le Sophiste de Platon, textes réunis
par Michel Narcy, Naples, éd. Bibliopolis, 1991, p. 293 : "[...] pseudos nomme dès
l'origine et indissolublement le "faux" et le "mensonge" : la "fausseté" de celui qui
trompe et/ou se trompe ; c'est le concept éthico-logique par excellence."

(4) L'efficacité de la parole peut s'orienter dans deux directions : sur le réel ou/et sur
autrui. Voir M. Détienne, op. cit., p. 79 ; voir aussi Barbara Cassin, "Du faux du
mensonge à la fiction", in Le Plaisir de parler, colloque de Cerisy, textes réunis par le
même auteur, Paris, Minuit, 1986, p. 24 et 29.

(5) Benoist J.-M., Tyrannie du logos, Paris, PUF, 1993, coll. "Quadrige", p. 31.

(6) Platon, Banquet, 210 c. Sauf indication contraire, nous citons cette oeuvre dans
la traduction d'Émile Chambry, Paris, Garnier-Flammarion, 1992.

(7) Platon, Sophiste, 230 d-e. Pour ce dialogue, nous suivons la traduction de
Nestor-Luis Cordéro, Paris, Garnier-Flammarion, 1993 : "[...] elle (l'âme) ne pourra
profiter des connaissances reçues jusqu'à ce qu'on l'ait soumise à la réfutation, et
que, grâce à cette réfutation on lui fasse honte d'elle-même et on la débarrasse ainsi
des opinions qui empêcheraient la connaissance." Cet ouvrage confère à la
réfutation une place majeure au sein de la paideia (229 c-231 b), dans la mesure où
elle permet (grâce à ses pouvoirs entréptiques) de venir à bout de la plus redoutable
forme d'ignorance. À partir du Sophiste, on a les moyens de distinguer deux formes
d'ignorance : 1° Ne pas savoir et croire que l'on sait. 2° Savoir qu'on ne sait pas. Il
est vrai que nombre de dialogues antérieurs donnent à lire cette démarcation, même
si Platon ne l'a pas encore précisément thématisée. On se reportera à un
remarquable article : "Politique de la réfutation : entre chien et loup, le philosophe et
le sophiste", in Position de la sophistique, op. cit., p. 36, dans lequel Monique Canto
propose de traduire sur le plan terminologique cette différence en dénommant le
premier type d'ignorance (que le philosophe dévoile chez ses adversaires) agnoia,
afin de réserver le mot amathia pour caractériser l'ignorance socratique (telle que
Platon la met en valeur en Apologie de Socrate, 21d). Nous faisons nôtre cette
précieuse initiative et poussons la gageure jusqu'à soutenir que des dialogues
antérieurs au Sophiste doivent être décryptés à la lumière de ce qu'apporte ce
dernier.

(8) Platon, Banquet, 210 c.

(9) Ibid., 210 c-d.

(10) Nous verrons au cours de cette étude que, bien souvent, la forme du discours
nous en manifeste le fond. Dans le Banquet, Éros est de façon récurrente présenté
comme une puissance de synthèse. À ce sujet, on consultera Léon Robin, La
Théorie platonicienne de l'amour (Paris, PUF, 1964, p. 127 et suiv.).

(11) Platon, Lysis (218 a-b), Euthydème (275 d-277 d), Ménon (80d), Théétète (198
e).

(12) Platon, Euthydème (281 d), Ménon (97a), Théétète (201c). Bien que Victor
Goldschmidt rapproche Éros de l'opinion droite dans la mesure où ils appartiennent
au genre des intermédiaires (voir Le Paradigme dans la dialectique
platonicienne, Paris, Vrin, 1985, p. 22), l'approfondissement de cette question nous
conduit à les distinguer ; ainsi : "[...] tandis que l'opinion est en quelque sorte un
intermédiaire fixe, emprisonné dans les extrêmes de l'ignorance, qu'elle dépasse
nécessairement, et de la science qu'elle n'atteint jamais [...] l'Amour, au contraire, est
de telle nature qu'il tend véritablement à unir les extrêmes, à les concilier l'un avec
l'autre..." Voir Robin, op. cit., p. 170. Le parti que nous avons pris permet de poser
l'amathia comme un intermédiaire satisfaisant entre science (epistêmê) et ignorance
(agnoia). En outre, on pressent qu'une analogie entre Socrate et Éros peut être
ébauchée en filigrane.

(13) Platon, Banquet, 201 e-202 a ; ou, notamment, Gorgias, 495 d-496 a.

(14) Platon, Banquet, 202 b. Ce passage nous invite à rapprocher les deux
caractéristiques d'Éros, qui est à la fois un intermédiaire et un agent d'unification. Car
l'intermédiaire est le lieu de la conjonction des opposés. À ce propos, on se reportera
à Robin, op. cit., p. 168-170.

(15) Socrate ne méconnaît d'ailleurs pas la précarité de sa condition, ainsi,


en Théétète, 150 c, avoue-t-il à ce dernier : "Procéder aux accouchements le dieu
m'y force mais il me retient d'engendrer." Nous suivrons pour cette oeuvre la
traduction de Michel Narcy (Paris, Garnier-Flammarion, 1995).

(16) Ce qui n'échappe pas à Lacan : "[...] s'il passe la parole à Diotime, pourquoi ne
serait-ce pas parce que, concernant l'amour, les choses ne sauraient aller plus loin
avec la méthode de discours proprement socratique ? Tout le démontre et le
discours de Diotime lui-même." Voir Le Séminaire, livre VIII : Le transfert, Paris,
Seuil, 2001, p. 144.

(17) Godel R., Socrate et Diotime, Paris, Belles lettres, 1955, p. 31 : "S'il est vrai que
Diotime ait été officiellement investie par Athènes de la haute fonction de
purificatrice, nous pouvons déduire avec vraisemblance qu'elle occupait un rang très
estimable dans la hiérarchie des prêtresses d'Apollon purificateur."

(18) Inversement, on peut dire que c'est la notion d'ambivalence qui nous met sur la
trace de ce qui rend caduque la démarche habituelle de Socrate. Elle manifeste le
caractère métonymique du désir au sein de la chaîne signifiante, lequel fait échouer
son repérage, d'être ce qui lie (donc d'être entre) deux signifiants de la chaîne : "[...]
pour se parer du signifiant sous lequel il succombe, le sujet attaque la chaîne [...]
L'intervalle qui se répète est le lieu que hante la métonymie, véhicule, du moins
l'enseignons-nous, du désir." Voir Lacan, Écrits, Paris, Seuil, 1966, "Position de
l'inconscient", p. 843. À la page 158 du Séminaire, livre VIII, op. cit., Lacan articule
explicitement "la dialectique de l'amour telle qu'elle est développée par Diotime" et
"la fonction métonymique dans le désir" (voir aussi ibid., p. 119). Par ailleurs, il n'est
pas inintéressant de noter que Freud, dans Le Mot d'esprit et sa relation à
l'inconscient (Paris, Gallimard, 1988) a pu, à un certain moment et plus sensiblement
lorsqu'il s'est penché sur les witze sophistiques, être (comme Socrate dans
le Banquet) pour un temps dérouté dans son entreprise. Samuel Weber met
précisément en valeur l'embarras dans lequel Freud fût plongé par le mot d'esprit
sophistique de "la tarte et [de] la liqueur" (p. 128-130 du texte en question) : "[...] ce
n'est qu'après avoir commenté cette blague que Freud a trouvé "le moment venu"
pour avouer qu'il lui manquait tout critère, tout repère pour savoir en quoi consiste
un witz. Car dans les mots d'esprit sophistiques, il s'agit précisément de déjouer
toute loi de repérage en montrant son rapport au désir. Ce rapport ne peut être
qu'ambivalent." Voir Samuel Weber, "Sophistique et ambivalence analytique", in Le
Plaisir de parler, op. cit., p. 204.

(19) Platon, Banquet, 203 d. Notons au passage que Platon n'a pas précisé
gratuitement que Poros était fils de Métis "pensée première" mais aussi, et
incontestablement, "Ruse". La filiation divine d'Éros transparaît donc ici clairement
comme le souligne Marie-Claire Galpérine : Une lecture du Banquet, Paris, Verdier,
1996, p. 9-10 et p. 20-21.

(20) Comme Diotime, évoquant l'amour, Gorgias parle à propos du discours "de
sorcellerie et de magie" gohteãa kai mageãa. Voir B. Cassin, L'Effet sophistique,
Paris, Gallimard, 1995, Éloge d'Hélène (traduction de Gorgias), (10 ), p. 145.

(21) Ce dont, du reste, Platon a conscience comme en témoigne la ligne de


recherche adoptée dans le Phèdre (l'affinité existant entre le Banquet et ce dialogue
est souvent patente) et précisée en 237 d : "Établissons d'un commun accord quelle
sorte de chose est l'amour et quels sont ses effets." Bien sûr, le discours de Diotime
s'inscrit dans la même veine ; Agathon avait lui aussi pressenti la pertinence de cette
perspective, qu'il mentionnait en 195 a.

(22) Platon, Banquet, 208 c. On notera avec attention que Robin (Platon, OEuvres
complètes, Gallimard, 1950, coll. "Bibliothèque de la Pléiade", tome I) prend le parti
de traduire, contre la lettre du texte grec, "Elle alors, pareille aux princes de la
science..." gommant de la sorte le terme "sophistes" présent dans le manuscrit,
comme il l'indique du reste lui-même (voir la note 3, p. 743 et p. 1363). Cette option
nous paraît d'autant plus injustifiée qu'elle nous éloigne de ce qui fait le singulier
intérêt de ce texte, dont toute la trame est hantée (voire entée) par la figure du
sophiste. Je ne suis pas non plus É. Chambry qui ne restitue pas le pluriel.

(23) Parain B., Essai sur le logos platonicien, Paris, Gallimard, 1942, p. 90. Le fond
du discours de Diotime contamine sa forme, pour autant qu'il en est solidaire.
En Ménon, 81a (traduction Robin, op. cit.), Socrate évoque une telle affinité : "-
Socrate : J'ai entendu des hommes, aussi bien que des femmes, qui étaient savants
dans les choses divines. - Ménon : Quel langage tenaient-ils ? - Socrate : Un langage
vrai si je m'en crois et beau aussi [...] ceux qui le tenaient étaient les prêtres ou les
prêtresses..." (Nous soulignons.) Ainsi, le langage vrai est beau par surcroît,
cependant l'inverse n'est pas nécessairement le cas (et on sait que Platon y a
insisté). La réaction de Socrate au discours d'Agathon est assez explicite à cet égard
(Banquet, 198 a-201 d).

(24) Platon, Banquet, 210 a.

(25) Nous savons que Platon a été influencé par la culture égyptienne, l'auteur fait
d'ailleurs parfois explicitement mention de cette source ; à ce propos, on peut
consulter Henri Joly, Platon égyptologue in La Question des étrangers. Études
platoniciennes, Paris, Vrin, 1992, p. 97-107. Pour ce qui est précisément du Banquet,
c'est chez Plutarque que l'on trouvera d'intéressantes indications ; dans son Traité
sur Isis et Osiris (Paris, Sand, 1995, p. 58-59), l'auteur établit un parallèle entre la
naissance d'Éros telle qu'elle est rapportée par Diotime et celle d'Horus. Car Horus,
fils d'Osiris ("le premier principe") et d'Isis (laquelle représente "la substance qui en
reçoit les influences"), est considéré comme "l'effet qui résulte de l'opération de l'un
et de l'autre".

(26) Platon, OEuvres complètes, trad. Émile Chambry, Paris, Garnier frères, 1955,
tome VIII, Lettre VII, 342 a-b.

(27) Platon, Banquet, 202 e. Ce passage paradigmatique met à la fois en valeur la


nature d'intermédiaire d'Éros et ses vertus synthétiques.

(28) Mortley R., Désir et différence dans la philosophie de Platon, Paris, Vrin, 1988,
"Éros comme intermédiaire chez Platon", p. 29.

(29) Lacan consacre une séance à "L'atopie d'Éros" (chap. VII) dans le Séminaire,
livre VIII, op. cit. (surtout p. 129).

(30) Platon, Banquet, 210 d-e.

(31) Il ne nous semble pas inutile de rappeler ici la mise en garde formulée par
Apollodore, avant qu'il ne rapporte ce récit à Glaucon : "Ni tout ce qui fut dit par
chacun n'était resté dans la mémoire d'Aristodème, ni, à mon tour, je ne me rappelle,
moi, tout ce qu'il me disait." Voir Banquet, 178 a.
(32) Derrida J., L'Écriture et la Différence, Paris, Seuil, 1967, p. 262-263. Selon cette
grille de lecture, la parole est "inspirée depuis une autre voix", mais cette dernière est
toujours prête à "dérober cela même avec quoi elle met en rapport".

(33) Platon, Banquet, 210 a.

(34) Godel R., op. cit., p. 31. Dans La Théorie platonicienne de l'amour, op. cit., p.
109, Robin place Diotime, Socrate et Éros sur le même plan pour autant qu'il y voit
des êtres démoniaques. L'auteur ajoute, visant Socrate, qu'"il ressemble moins à un
homme qu'à un de ces intermédiaires".

(35) "Cette pierre en fait ne se borne pas à attirer les anneaux lorsqu'ils sont en fer,
mais encore elle fait passer dans ces anneaux une puissance qui les rend capables
de produire ce même effet que produit la pierre et d'attirer d'autres anneaux ; si bien
que parfois il se forme une file, tout à fait longue d'anneaux suspendus les uns aux
autres, alors que c'est de la pierre en question que dépend la puissance qui réside
en tous ceux-ci. Or c'est ainsi, également, que la muse, par elle-même, fait qu'en
certains hommes est la divinité, et que par l'intermédiaire de ces êtres en qui réside
un dieu, est suspendue à elle une file d'autres gens qu'habite alors la divinité." Puis,
Socrate conclut, à l'attention de son interlocuteur : "C'est la divinité elle-même qui
parle, qui par leur entremise nous fait entendre sa voix !" Platon, Ion, trad. Robin, op.
cit., 533 d-e et 534 d. Entendons (au-delà de l'allusion à L'Odyssée, XIV, 632) ce que
disait Socrate après le discours d'Agathon : "[...] j'avais peur qu'Agathon ne finît dans
son discours, par lancer, sur mon discours à moi, la tête de Gorgias à la terrible
éloquence, et ne finît en me privant de la voix, par me changer en pierre." (Nous
donnons ici la traduction de Robin, op. cit., plus proche du grec.)

(36) Platon, Banquet, 173 c. Robin rapporte, dans une note adjointe à sa traduction,
le caractère inhabituel de la situation : "Glaucon [...], seul interlocuteur, n'est pas le
seul auditeur", op. cit., note 6, p. 695. Soulignons que Diotime ne parle pas que pour
Socrate, ni celui-ci pour les seuls participants du banquet, de même Aristodème ne
parle pas uniquement pour Apollodore (il y a aussi, par exemple, Phénix). Ainsi
Apollodore ne fait-il que répéter ce phénomène. À mesure que la parole est
transmise, elle crée son propre point de fuite dérogeant aux lois de la communication
au sein de l'échange qui en fournit l'occasion.

(37) Benoist J.-M., op. cit., p 32. Il nous paraît intéressant de reprendre dans cette
ligne une des deux comparaisons auxquelles Alcibiade recourt pour évoquer
Socrate : celle du silène (Banquet, 275 b). Lorsqu'on l'ouvre par le milieu, le silène
laisse découvrir ces figurines des dieux qui sont aussi des objets de culte (Marie-
Claire Galpérine insiste sur ces deux aspects de l'agalma qu'il est essentiel de
restituer dans la traduction, op. cit., p. 43); par là Alcibiade entend illustrer le
contraste notoire entre la laideur des traits de Socrate et la beauté de son âme. Mais
le Banquet ne nous indique-t-il pas que l'agalma qu'est l'âme de Socrate s'ouvre à
son tour pour dévoiler une représentation encore plus proche des dieux ? Et il
semble que le processus ne s'arrête pas là, de sorte qu'il pourrait bien mener au dieu
lui-même. Mais Alcibiade arrive trop tard pour gravir cette marche, c'est-à-dire après
que Socrate s'est tu (au moment de son enseignement, il était occupé à s'enivrer).
Son retard au banquet est en cela symbolique dans la mesure où, pour Alcibiade, il
est trop tard...

(38) Platon, Banquet, 173 a.

(39) Derrida J., La Pharmacie de Platon, p. 359 du Phèdre de Platon, traduit par Luc
Brisson (Paris, Garnier-Flammarion, 1995) qui en reproduit le texte en annexe. Ou
encore Henri Joly qui stipule, à propos de certains dialogues dont notamment
le Phèdre, que "Les Idées font l'objet d'un double logos. Posées en théorie dans le
ciel intelligible, elles sont réexposées par le récit, qui semble les faire surgir du fond
de l'espace et du temps, et l'auteur d'ajouter que, l'Égypte est le lieu privilégié de ce
redoublement..." Voir Platon égyptologue, op. cit., p. 108. (Nous soulignons.)

(40) Deleuze G., Logique du sens, Paris, Minuit, 1969, p. 166.

(41) Derrida J., La Pharmacie de Platon, op. cit., p. 306 et 270 : "Par l'écriture [...] se
signifient la rupture généalogique et l'éloignement de l'origine."

(42) Derrida J., Positions, Paris, Minuit, 1972, p. 30.

(43) La révélation que Socrate fait à Phèdre est, à l'envisager ici, pour le moins
curieuse puisqu'elle semble indiquer la place de cet Autre (en l'occurrence Platon)
qui lui souffle ces savantes paroles : "[...] je sais bien qu'aucune de ces idées ne
vient de moi, car j'ai conscience de mon ignorance." Platon, Phèdre, 235 c.

(44) La singulière trame des dialogues platoniciens cautionne la possibilité


du pseudos comme un mensonge, fondé de façon abyssale sur une parole de vérité,
dans la mesure où il s'énonce depuis l'au-delà de la scène ; ainsi, comme le note
judicieusement Lacan, "Platon est un témoin très particulier. On peut dire qu'il ment,
et d'autre part qu'il est véridique même s'il ment, car à interroger Socrate, c'est sa
question à lui qui se fraye un chemin." Voir Le Séminaire, livre VIII, op. cit., p. 106.

(45) Avant de s'engager pleinement dans le commentaire du Banquet, Lacan formule


cette mise en garde : "Platon nous cache ce qu'il pense tout autant qu'il nous le
révèle. C'est à la mesure de la capacité de chacun, c'est-à-dire jusqu'à une certaine
limite qui n'est certainement pas dépassable, que nous pouvons l'entrevoir. Il ne
faudra pas m'en vouloir si je ne vous donne donc pas le dernier mot de Platon, parce
que Platon est bien décidé, ce dernier mot, à ne pas nous le dire." Voir ibid., p. 79.

(46) "Politique de la réfutation : entre chien et loup, le philosophe et le sophiste",


in Position de la sophistique, op. cit., p. 40, où Monique Canto analyse un passage
du Gorgias (475 e-476 a).

(47) Platon, Théétète, 154 c-d. (Nous soulignons.)

(48) Ibid., 154d. Le vers d'Euripide (Hippolyte, 612) qui traduit cette opposition de la
langue et de la pensée est également repris en Banquet, 199a.
(49) Platon, République I, 338 d, trad. Robin, op. cit.

(50) Lyotard J.-F., Le Différend, Paris, Minuit, 1983, § 12. Pointer l'iniquité de la
parole sophistique, c'est en oblitérer la vraie nature qui se décline par rapport à l'effet
qu'elle induit. À la page 16 de L'Effet sophistique, Barbara Cassin illustre le différend
entre philosophie et sophistique : "La philosophie ne cesse de démasquer la
sophistique en misant sur le concept d'intention, la sophistique ne cesse de se
démarquer de la philosophie en faisant le constat des effets." Mais le plus
remarquable est que Socrate lui-même, alors qu'il prête sa voix à Protagoras
en Théétète, 167c-d, semble en prendre acte lorsqu'il démêle deux perspectives que
peuvent induire deux recours hétérogènes au langage : "établir la vérité ou la
fausseté d'une opinion" et "faire passer d'un état moins bon à un état meilleur".

(51) Soulez A., "Le dire comme acte du sophiste ou invention et répudiation par
Platon de la pragmatique sophistique", in Position de la sophistique, op. cit., p. 64.

(52) Cette position coïncide bien souvent avec celle de répondant, pour autant que
Socrate déploie tout son art afin d'y enfermer son adversaire. Dans Le Philosophe et
son double (Paris, Vrin, 1989, p. 50 et suiv.), Michel Narcy fournit de précieux
éléments en vue de (re) définir l'ironie socratique (eirôneia) corrélativement au
contrôle de la place de questionneur exercé par Socrate.

(53) Platon, Alcibiade majeur, 113 a-c, trad. Robin, op. cit.

(54) Platon, Protagoras, 319 d, trad. Frédérique Ildefonse, Paris, Garnier-


Flammarion, 1997.

(55) Ibid., 361 a-b.

(56) Ibid., 338 d. Comme le remarque L. Bodin : "Un tel renversement de position,
Socrate conduisant le discours, n'est pas fortuit." Voir Lire le Protagoras, Paris,
Belles lettres, 1975, p. 104.

(57) Comme nous avons déjà pu le voir, la reformulation des propos du sophiste par
Socrate n'est pas sans effets. À ce propos, L. Bodin note justement que "Socrate
n'emploie jamais l'expression [protagoréenne] areth politikh", op. cit., p. 13.

(58) Canto M., "Politique de la réfutation : entre chien et loup, le philosophe et le


sophiste", in Position de la sophistique, op. cit., p. 42.

(59) Comme le note V. Goldschmidt : "Souvent la fin d'une enquête rejoint le point de
départ et on retombe dans une difficulté déjà rencontrée." L'auteur parle d'une
"dialectique circulaire" qui ferme certains dialogues (Lysis, Hippias
majeur, Charmide, Eutyphron). Voir Les Dialogues de Platon, Paris, PUF, 1988, p.
75. L'enjeu est de démarquer le Protagoras de ce type de dialogues.

(60) Platon, Lettre VII, 344 b.


(61) Platon, Sophiste, 216 c-d.

(62) Platon, Protagoras, 357 b.

(63) Platon, Sophiste, 253 d.

(64) Ibid., 253 e - 254 a.

(65) Weber S., "Sophistique et ambivalence analytique", in Le Plaisir de parler, op.


cit., p. 204.

(66) L'autre est deux fois le sujet du dialogue. Il est à la fois le thème ainsi que le lieu
d'où se décline le thème. Soulignons avec Henri Joly que "Platon réunit la figure de
l'étranger et le genre de l'autre dans une sorte de co-présence dialogique,
ontologique et épistémologique". Voir La Question des étrangers. Études
platoniciennes, op. cit., p. 90.

(67) Dixsaut M., "La négation et l'autre dans le Sophiste", in Études sur
le Sophiste de Platon, op. cit., p. 213 ; p. 212, l'auteur caractérise l'autre comme une
"puissance de faire différer".

(68) On peut, ici encore, se référer à ce qui affleure dans le Banquet (207d-e).
Diotime y évoque les vertus synthétiques d'Éros, pour autant qu'il n'est pas que le
principe d'unification d'entités préexistantes mais qu'il s'identifie plus
fondamentalement à un facteur de constitution (organique) de l'individu : "De son
enfance jusqu'à sa vieillesse, on dit qu'on est le même individu ; oui, en vérité, cet
être, qui en lui-même n'a pas les mêmes choses, on l'appelle néanmoins le même,
alors qu'au contraire perpétuellement, mais non sans certaines pertes, on se
renouvelle dans ses cheveux, dans sa chair." La notion d'ambivalence explicite ce
qui se présente comme paradoxal, à savoir que c'est grâce à ce qui n'est pas (ou ce
que n'est pas) le philosophe que celui-ci parachève son identité. Le corpus
platonicien donne à lire, à travers ce cheminement sans pareil qui doit permettre de
produire l'(id) entité philosophique, le parcours singulier qu'emprunte chaque être
humain. Freud établira ce fait, a priori surprenant, qui veut que l'identification soit une
condition de (la constitution de) l'identité propre.

(69) Fronterrota F., "L'être et la participation de l'autre dans le Sophiste. Une


nouvelle ontologie", Revue philosophique de Louvain, juillet-septembre 1985, p. 350.
Le problème pointé dans cet article rejoint l'analyse de Monique Dixsaut, sur laquelle
nous nous sommes appuyés. Il s'agit pour les deux commentateurs de mettre en
valeur que la génération de l'autre est toujours relative, parce qu'il ne se structure
qu'à la faveur d'une opposition à un autre genre ; or Platon confère à l'autre un
caractère autonome (en Sophiste, 256 d, l'étranger parle de la nature de l'autre),
lequel paraît proprement incompatible avec son mode de constitution singulier.

(70) Weber S., "Sophistique et ambivalence analytique", in Le Plaisir de parler,


op. cit., p. 205.
(71) Joly H., op. cit., p. 95.

(72) Ibid., p. 13 : "Tout se passerait alors comme si la rencontre de l'étrangeté, et


même de "l'étrangèreté" du personnage central, avec l'altérité comme catégorie
générique à toute pensée et à tout discours vrai ou faux, inaugurait à la fois une
philosophie venue d'ailleurs, un mode de philosopher autrement et une manière
inédite de montrer qu'il n'est pas possible de penser le même sans l'autre."
Souvenons-nous par ailleurs que Socrate, d'opposer le philosophe à l'homme
politique (celui qui habite la cité), le présentait à Théodore comme un étranger ; voir
Platon, Théétète, 173 c-e.

(73) Peut-être pouvons-nous envisager l'apparition du jeune Socrate dans les


dialogues où Socrate n'a plus la mainmise sur la parole comme une certaine
renaissance, soit comme une déclinaison du thème de l'enfantement si présent dans
le Banquet. Socrate, à ne plus parler seul (face au sophiste), aurait les moyens
d'expérimenter une autre écoute (de ce qui se dit de part et d'autre, et donc de ce
qu'il ne (se) savait pas dire). Peut-être, l'injonction non moins fameuse
qu'énigmatique de l'étranger : "- Eh bien ! Socrate, entends-tu ce que dit Socrate ?"
(Platon, OEuvres complètes, trad. Robin, Paris, Gallimard, 1950, coll. "Bibliothèque
de la Pléiade", Politique, 258 a), est-elle à éclaircir par cette clé d'une autre écoute,
d'une entente du signifiant ?

(74) Platon, Sophiste, 216 a ; voir la note 5 du traducteur, p. 212, et surtout son
Annexe I, p. 281-284. Nous nous inspirons de ses précieuses remarques.

(75) Platonis Opera, Oxford, éd. J. Burnet, 1905, vol. I.

(76) Platon, Sophiste, 257 b : "Lorsque nous parlons de non-être nous ne parlons
pas, semble-t-il, de quelque contraire de l'être, mais seulement d'une autre chose."
Puis, en 258c : "En ce qui nous concerne, il y a déjà longtemps que nous avons
envoyé promener, n'importe quel contraire de l'être [...]"

(77) L'expérience analytique nous enseigne, comme le stipule Lacan après Freud,
que la verneinung "démontre en elle l'aveu du signifiant même qu'elle annule". Voir
Lacan, Écrits, op. cit., "Du traitement possible de la psychose", p. 558.

(78) Platon, Banquet, 223 d. Robin précise, s'il en est besoin, que cet homme est le
philosophe. Voir Platon, Paris, PUF, 1968, p. 15. De même, D. Arnoux conclut de la
révélation apportée par Socrate qu'"incontestablement, ce poète, c'est Platon". Voir
Arnoux D., "L'amour entre savoir et ignorance", Littoral, mars 1985, n° 15-16, p. 47.
Pour décliner ce qui affleurait dans notre note 23, disons que lorsqu'on est
philosophe, on est poète par surcroît, sans toutefois perdre de vue que du poète au
philosophe, l'inférence n'est pas nécessaire.

CAHIERS PHILOSOPHIQUES, n°102, page 83 (06/2005)

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