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: 978-2-200-27561-7
Maquette de couverture : Raphaël Lefeuvre.
Photo de couverture : Basquiat, Julian Schnabel,
1996/Collection Images et Loisirs – Monsieur
Cinéma
© Armand Colin, 2011 pour la présente édition.
© Armand Colin, 2008.
© Nathan, 1994, pour la première édition.
ARMAND COLIN ÉDITEUR • 21, RUE DU MONTPARNASSE •
75006 PARIS
Collection Cinéma/Arts visuels
dirigée par Michel Marie
Dernières parutions
Vincent AMIEL, Esthétique du montage (2e édition).
Jacques AUMONT, L’Image (3e édition).
Jacques AUMONT, Les Théories des cinéastes (2e édition).
Jacques AUMONT, Le Cinéma et la mise en scène (2e édition).
Dominique CHATEAU, Philosophies du cinéma (2e édition).
Michel CHION, Le Son. Traité d’acoulogie (2e édition).
Eric DUFOUR, Le Cinéma de science-fiction.
Jean-Pierre ESQUENAZI, Les Séries télévisées.
Kristian FEIGELSON, La Fabrique filmique.
Guy GAUTHIER, Le Documentaire, un autre cinéma (4e édition).
Jacques GUYOT et Thierry ROLLAND, Les Archives audiovisuelles.
Marie-Thérèse JOURNOT, Films amateurs dans le cinéma de fiction.
Laurent JULLIER, Star Wars. Anatomie d’une saga (2e édition).
Laurent JULLIER et Jean-Marc LEVERATTO, Cinéphiles et cinéphilies.
Laurent JULLIER, L’Analyse de séquences (3e édition).
Luc VANCHERI, Les Pensées figurales de l’image.
Francis VANOYE, L’Adaptation littéraire au cinéma.
Sébastien DENIS, Le Cinéma d’animation (2e édition).
À tous les étudiants pour qui, et avec qui, j’ai fait ce
travail.
Je remercie les amis qui m’ont aidée de leurs
remarques
attentives et de leurs conseils ; parmi eux, plus
particulièrement,
Pierre Fresnault-Deruelle et Francis Vanoye.
Table des matières
Avant-propos : Objectifs et problématique de l’ouvrage
1 L’approche sémiologique
1. Apparition et développement de la sémiologie moderne
1.1. Historique
1.2. Sémiologie/sémantique
1.3. Sémiologie/sémiotique
2. De l’écrit à l’image
2.1. Image/langage
2.2. Limites de la sémiotique
2.3. À propos de l’image
3. L’image pour le sémioticien
3.1. La notion de signe
3.2. Propositions de classification des signes
3.3. L’icône et l’image
3.4. Vers la sémiologie de l’image
4. Conclusion
2 L’image suspectée
1. Le soupçon antique
1.1. L’image « mimesis » : l’image peinte
1.2. L’image « trace » : l’image non faite de la main de l’homme
1.3. L’image interdite : l’idole
1.4. L’icône et l’iconoclasme
1.5. L’imago latine
2. Anciens et modernes
2.1. Religieux et profane
2.2. Image et Islam
2.3. L’image, bonne ou mauvaise
2.4. Le débat contemporain
2.5. Le « paradigme indiciaire » comme processus cognitif
2.6. La photographie comme image spécifique
3. La ressemblance en question
3.1. Entre Narcisse et Pygmalion
3.2. La ressemblance comme conformité aux attentes
3.3. L’iconicité ou la ressemblance
comme effet d’une transformation
3.4. L’iconicité comme « passage » entre indice et symbole
4. Conclusion
3 Image et signification
1. De quelques poncifs
1.1. Polysémique, l’image ?
1.2. Passive, la lecture de l’image ?
1.3. L’influence de l’image
2. Image et sens
2.1. « Comment le sens vient-il à l’image ? »
2.2. Approche iconologique, approche sémiologique
2.3. « La dérive structuraliste »
2.4. Signe, code, message
3. L’image et les signes
3.1 Le signe, à nouveau : les signes visuels
3.2. Le signe iconique
3.3. Le signe plastique
3.4. Signes plastiques et signification
3.5. La relation iconique/plastique
3.6. Le message linguistique
4. Conclusion
4 Image et discours
1. L’interprétation de l’image
1.1. La « tentation iconique »
1.2. La connotation, « discours secret »
1.3. Le refus d’interprétation
2. À propos de la photo de presse
2.1. Photo de presse et mythe
2.2. Le mythe selon Barthes
2.3. Le mythe selon Lévi-Strauss
2.4. Symbole, métaphore, allégorie
3. Pour une rhétorique de la photo de presse
3.1. Informer ou surprendre ?
3.2. Surprendre ou répéter ?
3.3. Informer ou argumenter ?
3.4. Le choix de « la » photo
3.5. Un discours paradoxal
4. Conclusion
Conclusion générale
Bibliographie
Crédits photographiques
Avant-propos
Objectifs et problématique de l’ouvrage
Le type d’approche que l’on fait de l’image dépend du champ même au
sein duquel on décide de son observation et de son étude : scientifique pour
les mathématiciens et les informaticiens, esthétique pour les philosophes ou
les théoriciens de l’art, historique ou sociologique si l’on s’intéresse à son
évolution ou à ses usages, psychologique ou métapsychologique lorsqu’elle
concerne des phénomènes psychiques de représentation ou de réception,
médiologique si l’on examine l’évolution et l’impact de ses différents
supports, et ainsi de suite.
Cet ouvrage se consacre à l’étude des modalités de production de sens par
les signes mis en jeu dans l’image visuelle fixe, à l’exclusion de l’image en
séquence, fixe ou animée, de l’image mentale ou encore de l’image
acoustique ou linguistique, par exemple.
Cependant, même ainsi circonscrite, l’étude de l’image fixe soulève un
certain nombre de problèmes communs aux différents types d’images
visuelles, que celles-ci soient peintes ou photographiques, gravées, dessinées,
filmiques ou encore numériques.
Dans son livre L’Image1, Jacques Aumont étudie cinq d’entre eux : ceux
posés par la vision des images et par le dispositif incluant le « spectateur »,
les problèmes de représentation et de signification par l’image, et enfin les
questions relatives à certaines spécificités de l’image « artistique ». Chacun
de ces problèmes ouvre sur des domaines d’études spécifiques et complexes
tels que la physiologie de la vision et son contexte situationnel, la
métapsychologie du spectateur, la sémiologie ou l’esthétique.
Nous avons nous-même jeté les bases et les justifications d’une
méthodologie de l’analyse de l’image avec l’outil sémiologique2. Néanmoins,
en complément des rappels théoriques nécessaires, une présentation plus
complète et relativisée de l’approche sémiotique de l’image se révélait
indispensable à son tour, de façon à permettre non seulement d’étudier plus en
profondeur la spécificité de la démarche à travers l’histoire de son
développement, mais aussi de mieux cerner les possibilités d’interprétation et
de réflexion, aussi bien rétrospectives que prospectives, qu’elle offre.
Cet ouvrage se propose donc de développer la façon dont la sémiologie de
l’image permet de comprendre la signification ou la production de sens par
l’image visuelle fixe. Après avoir été sur le devant de la scène au moment de
son apparition, la sémiologie de l’image a été ensuite quelque peu oubliée au
profit d’études très abondantes sur la signification du cinéma et ses enjeux.
Or3 les études du cinéma, de la vidéo, de l’image numérique, des images en
séquence sous toutes leurs formes, présupposent une bonne connaissance de
l’image fixe dans la mesure où ces différentes pratiques en constituent le
développement, les passages, la combinaison, les interactions.
Nous avons ainsi une ambition triple :
proposer une présentation synthétique de la sémiologie de l’image
et de son évolution depuis l’élaboration de ses bases jusqu’à nos
jours, pour montrer qu’il s’agit d’une discipline vivante et active
indépendamment des modes ;
démontrer que l’étude de la discipline est utile et permet tout
d’abord de comprendre rétrospectivement certains fondements
du statut de l’image visuelle dans notre société ;
montrer enfin que ces mêmes outils sont aussi des outils
prospectivement efficaces et dynamiques pour l’étude et la
recherche sur le fonctionnement de l’élaboration et de la
compréhension des messages visuels.
Cela fait en effet plus de cinquante ans que la sémiologie de l’image est
apparue dans le champ des sciences humaines et sociales. Domaine exclusif
de recherche dans un premier temps, cette discipline a ensuite
progressivement occupé un pan de l’enseignement, d’abord à titre
expérimental, puis de façon plus systématique. Dans l’enseignement primaire
et secondaire, il s’agissait d’éveiller l’esprit critique du jeune lecteur
(consommateur) d’images en lui donnant conscience que l’image n’est pas
une pure réplique du monde, mais qu’elle se fabrique et se décrypte en
fonction de certaines règles ; dans l’enseignement supérieur, ce type d’éveil
de conscience s’accompagnait d’une réflexion plus théorique sur la spécificité
du langage visuel, prenant en compte l’évolution de la recherche.
Pendant toutes ces années, la discipline a joui d’une vogue assez fluctuante,
tant auprès des « spécialistes » que d’une partie du grand public. Objet de
curiosité, de vénération, de critique, d’exclusive, voire de rejet, la sémiologie
de l’image a été « à la mode », puis « démodée » pour les maîtres à penser du
moment comme pour certains professeurs, certains médias ou certaines
maisons d’édition.
Néanmoins, on a toujours pressenti l’intérêt d’étudier l’image et ses
processus de signification ; les cours ou les livres ont fleuri sur « l’analyse de
l’image », son « esthétique » ou sa « théorie », mais en abandonnant quelque
peu sa sémiologie. Nombre d’ouvrages consacrés à l’interprétation de l’image
et à son analyse se référaient encore à celle-ci, mais implicitement, de façon
détournée.
Cependant la discipline a continué de vivre et d’évoluer. Un grand désir de
la découvrir se manifeste encore chez les étudiants, qu’ils soient plasticiens
ou qu’ils se destinent à la presse écrite ou audiovisuelle, ou encore à la
communication sous ses différentes formes. Les professionnels, quant à eux,
n’ignorent pas que la sémiologie de l’image, théorique et appliquée, est un
outil de travail sérieux et efficace pour l’analyse comme pour la conception
des images ou, plus exactement, des messages visuels4.
C’est de cette demande et de cette curiosité qu’est née l’idée de ce livre. Il
a paru nécessaire d’aborder la sémiologie de l’image en reprenant un certain
nombre de passages obligés et de notions de base tout en tenant compte des
apports de la recherche, pour éviter à celui qui veut s’initier à la question de
se perdre dans les méandres des innombrables publications spécialisées.
D’autre part, du point de vue du pédagogue, un ouvrage didactique,
permettant de faire acquérir commodément un certain nombre de pré-requis
aux étudiants, pourrait le libérer de la redite de bien des points et lui permettre
alors de bâtir des cours sur des questions plus ponctuelles et plus nouvelles.
Toutefois, nous ne prétendons pas faire un état des lieux exhaustif de la
sémiologie de l’image (ni de sa sémiotique, les deux termes seront explicités),
car tel n’est pas le propos de cet ouvrage5. Nous préférons en effet montrer, à
partir de certains points culminants de la théorie, comment l’approche
sémiologique permet non seulement de mieux comprendre la spécificité de la
communication visuelle, mais aussi de réenvisager certains aspects de son
histoire. Sans prétendre que la sémiologie résolve les nombreux problèmes
posés par l’image et ses différents aspects, nous voudrions proposer un
parcours plus sinueux, plus personnel aussi, dont les haltes théoriques,
historiques, esthétiques, littéraires ou encore mythologiques, s’éclairent les
unes les autres pour montrer que l’impulsion sémiologique n’entraîne pas,
comme on l’a souvent dit, à la myopie, mais invite, au contraire, à élargir et
relativiser son champ de vision.
Ce tour d’horizon devrait aussi permettre de faire le point sur un certain
nombre de poncifs aussi flous qu’approximatifs que l’on entend encore
couramment énoncer à propos de l’image, tels que sa prolifération, sa
polysémie, sa lecture globale et universelle, la passivité qu’elle supposerait,
l’influence qu’elle exercerait, son hégémonie, la perte du sens qu’elle
engendrerait, la disparition du langage qu’elle entraînerait et autres lieux
communs qui remplacent bien souvent une véritable réflexion sur l’image et
sa spécificité.
Dans un premier chapitre, nous voudrions définir les termes de sémiologie
et de sémiotique pour en arriver à la définition de l’image comme ensemble
de signes et à la spécificité de l’approche sémiologique. Cette démarche,
historico-critique, devrait nous permettre de mieux comprendre certains
aspects de l’emploi du mot « image » et de l’implicite qui l’accompagne, non
seulement à propos de l’image en tant que telle, mais aussi à propos du
langage auquel on l’oppose volontiers.
Un deuxième chapitre explorera le statut étrange qu’a l’image dans notre
société ainsi que le traitement paradoxal dont elle est l’objet : entre
fascination et mépris. Quelques rappels historiques feront apparaître que
l’image a toujours été au centre de débats axiologiques, de débats de valeurs.
Nous verrons que cette particularité est sans doute plus liée au caractère de
« trace » de l’image qu’à celui de sa ressemblance, critère néanmoins toujours
avancé, non seulement comme sa spécificité, mais aussi comme l’origine de
tout soupçon.
Dans un troisième chapitre nous reviendrons sur un certain nombre de
concepts et d’outils qu’offre la sémiologie pour l’analyse et l’interprétation de
l’image. Nous verrons comment le jeu des paramètres de l’image,
historiquement déterminé, comme celui des contextes de la communication
induisent des significations et des interprétations socio-culturellement codées.
Cette récapitulation théorique et méthodologique se voudra aussi critique.
Nous terminerons avec des propositions méthodologiques d’analyse et nous
verrons, à partir de l’exemple plus particulier de photographies de presse,
comment l’approche sémiologique permet d’aborder la question de leur
rhétorique propre et de son éventuelle spécificité.
Travaillé par des sculpteurs de renom, adapté au décor des pièces où était
accrochée l’œuvre (le hors-cadre !), il servait à la fois à signaler celle-ci et à
la mettre en valeur. Les moulures en « pâtes économiques », les décors
chargés et répétés sans véritable justification, le décor souvent devenu lourd
et conventionnel de certains cadres, leur valurent le surnom de « cadres-
pâtisserie » et le dédain de nombreux artistes, qui, au XIXe siècle, vont
reprendre, réinterpréter certains motifs canoniques (« feuilles d’achantes,
coquilles, tors de laurier, bandes… »73), et surtout innover et inventer.
En effet, qui dit limite ou frontière, dit aussi contrainte, et les artistes du
XIXe siècle vont chercher à se libérer de la contrainte du cadre en le
réinterprétant. À notre époque de reproduction systématique des œuvres d’art,
en particulier par la photographie, on connaît un aspect des œuvres qui non
seulement perdent leurs proportions, mais aussi leurs cadres et l’on ignore la
plupart du temps tout le travail d’innovation d’artistes comme Degas, Seurat,
Puvis de Chavannes, Monet ou encore Van Gogh. C’est en revisitant le travail
de tels artistes et jusqu’aux artistes les plus contemporains que le Groupe μ a
pu mettre en évidence toute une « Sémiotique et une rhétorique du cadre »74,
avec ses différentes fonctions (significations) d’indicateur, de bornage, de
compartimentage, d’écho, de signature, de débordement ou encore de
suppression pure et simple. Autant de pistes à observer et à interpréter lorsque
nous sommes devant une image (planche 20, p. 134).
Quant à nous, nous voudrions insister sur ce qu’implique la tentation de la
suppression ou du masquage du cadre, avec lesquels nous sommes tout à fait
familiarisés, tant par la publicité que par la presse. La première manière de
faire oublier le cadre rectangulaire, c’est le recadrage au sein même de
l’image : tous les procédés qui nous font voir l’image à travers toutes sortes
de percées ou d’échancrures, telles que la trouée d’un feuillage,
l’entrebâillement d’une fenêtre, le reflet d’un miroir. En bref, toutes les
variantes possibles de la fente ou de la déchirure dont la fonction, outre celle
d’accroître le plaisir du voyeurisme, est de nous faire oublier que nous avons
affaire à une représentation.
C’est vers cet oubli que nous entraîne aussi une autre manière de masquer
le cadre : celle qui consiste à faire se confondre le bord du support et les
limites de l’image. Lorsque la limite d’une photographie publicitaire, par
exemple, se confond avec le bord et le format de la page d’un magazine, on a
l’impression que si la page était plus grande on en verrait plus, c’est-à-dire
que c’est la page elle-même qui devient comme une « fenêtre » qui délimite le
champ de notre vision. Ce procédé très connu joue avec l’effet non moins
connu de hors-champ. C’est-à-dire que c’est la limite du support même qui
pousse à compléter imaginairement le champ représenté par un espace plus
large et non perçu. Ce procédé très fréquent, dans l’image animée75, peut
aussi se trouver activé dans l’image fixe par le travail sur l’estompage du
cadre et construire des images « centrifuges », par opposition aux images
« centripètes » que pourra au contraire construire un travail sur le hors-cadre.
Ce sur quoi nous voudrions insister, c’est sur le fait que cet oubli du cadre,
de quelque manière qu’on l’obtienne, préside à une conception de l’image
culturellement très marquée, qui implique, au-delà des choix esthétiques, une
véritable
Fig. 19a. Albert Dürer. Le Traquardo. 1525.
Roger Odin a clairement rappelé6 que cette analyse devait être révisée et
qu’il y avait au moins deux autres structures de connotation que celle décrite
par Barthes :
une structure 2 :
lorsque le signifiant seul du signe de dénotation produit une connotation –
exemple : la sonorité d’une langue qui évoque le pays où on la parle (la
« sonorité » de Panzani pour l’Italie), la stylistique d’un film qui ancre celui-
ci dans un univers de référence (le genre « reportage » dans un film de fiction
qui renvoie à l’idée de terrain et de réalité, etc.) ;
et une structure 3 :