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ISBN

: 978-2-200-27561-7
Maquette de couverture : Raphaël Lefeuvre.
Photo de couverture : Basquiat, Julian Schnabel,
1996/Collection Images et Loisirs – Monsieur
Cinéma
© Armand Colin, 2011 pour la présente édition.
© Armand Colin, 2008.
© Nathan, 1994, pour la première édition.
ARMAND COLIN ÉDITEUR • 21, RUE DU MONTPARNASSE •
75006 PARIS
Collection Cinéma/Arts visuels
dirigée par Michel Marie
Dernières parutions
Vincent AMIEL, Esthétique du montage (2e édition).
Jacques AUMONT, L’Image (3e édition).
Jacques AUMONT, Les Théories des cinéastes (2e édition).
Jacques AUMONT, Le Cinéma et la mise en scène (2e édition).
Dominique CHATEAU, Philosophies du cinéma (2e édition).
Michel CHION, Le Son. Traité d’acoulogie (2e édition).
Eric DUFOUR, Le Cinéma de science-fiction.
Jean-Pierre ESQUENAZI, Les Séries télévisées.
Kristian FEIGELSON, La Fabrique filmique.
Guy GAUTHIER, Le Documentaire, un autre cinéma (4e édition).
Jacques GUYOT et Thierry ROLLAND, Les Archives audiovisuelles.
Marie-Thérèse JOURNOT, Films amateurs dans le cinéma de fiction.
Laurent JULLIER, Star Wars. Anatomie d’une saga (2e édition).
Laurent JULLIER et Jean-Marc LEVERATTO, Cinéphiles et cinéphilies.
Laurent JULLIER, L’Analyse de séquences (3e édition).
Luc VANCHERI, Les Pensées figurales de l’image.
Francis VANOYE, L’Adaptation littéraire au cinéma.
Sébastien DENIS, Le Cinéma d’animation (2e édition).
À tous les étudiants pour qui, et avec qui, j’ai fait ce
travail.
Je remercie les amis qui m’ont aidée de leurs
remarques
attentives et de leurs conseils ; parmi eux, plus
particulièrement,
Pierre Fresnault-Deruelle et Francis Vanoye.
Table des matières
Avant-propos : Objectifs et problématique de l’ouvrage
1 L’approche sémiologique
1. Apparition et développement de la sémiologie moderne
1.1. Historique
1.2. Sémiologie/sémantique
1.3. Sémiologie/sémiotique
2. De l’écrit à l’image
2.1. Image/langage
2.2. Limites de la sémiotique
2.3. À propos de l’image
3. L’image pour le sémioticien
3.1. La notion de signe
3.2. Propositions de classification des signes
3.3. L’icône et l’image
3.4. Vers la sémiologie de l’image
4. Conclusion
2 L’image suspectée
1. Le soupçon antique
1.1. L’image « mimesis » : l’image peinte
1.2. L’image « trace » : l’image non faite de la main de l’homme
1.3. L’image interdite : l’idole
1.4. L’icône et l’iconoclasme
1.5. L’imago latine
2. Anciens et modernes
2.1. Religieux et profane
2.2. Image et Islam
2.3. L’image, bonne ou mauvaise
2.4. Le débat contemporain
2.5. Le « paradigme indiciaire » comme processus cognitif
2.6. La photographie comme image spécifique
3. La ressemblance en question
3.1. Entre Narcisse et Pygmalion
3.2. La ressemblance comme conformité aux attentes
3.3. L’iconicité ou la ressemblance
comme effet d’une transformation
3.4. L’iconicité comme « passage » entre indice et symbole
4. Conclusion
3 Image et signification
1. De quelques poncifs
1.1. Polysémique, l’image ?
1.2. Passive, la lecture de l’image ?
1.3. L’influence de l’image
2. Image et sens
2.1. « Comment le sens vient-il à l’image ? »
2.2. Approche iconologique, approche sémiologique
2.3. « La dérive structuraliste »
2.4. Signe, code, message
3. L’image et les signes
3.1 Le signe, à nouveau : les signes visuels
3.2. Le signe iconique
3.3. Le signe plastique
3.4. Signes plastiques et signification
3.5. La relation iconique/plastique
3.6. Le message linguistique
4. Conclusion
4 Image et discours
1. L’interprétation de l’image
1.1. La « tentation iconique »
1.2. La connotation, « discours secret »
1.3. Le refus d’interprétation
2. À propos de la photo de presse
2.1. Photo de presse et mythe
2.2. Le mythe selon Barthes
2.3. Le mythe selon Lévi-Strauss
2.4. Symbole, métaphore, allégorie
3. Pour une rhétorique de la photo de presse
3.1. Informer ou surprendre ?
3.2. Surprendre ou répéter ?
3.3. Informer ou argumenter ?
3.4. Le choix de « la » photo
3.5. Un discours paradoxal
4. Conclusion
Conclusion générale
Bibliographie
Crédits photographiques
Avant-propos
Objectifs et problématique de l’ouvrage
Le type d’approche que l’on fait de l’image dépend du champ même au
sein duquel on décide de son observation et de son étude : scientifique pour
les mathématiciens et les informaticiens, esthétique pour les philosophes ou
les théoriciens de l’art, historique ou sociologique si l’on s’intéresse à son
évolution ou à ses usages, psychologique ou métapsychologique lorsqu’elle
concerne des phénomènes psychiques de représentation ou de réception,
médiologique si l’on examine l’évolution et l’impact de ses différents
supports, et ainsi de suite.
Cet ouvrage se consacre à l’étude des modalités de production de sens par
les signes mis en jeu dans l’image visuelle fixe, à l’exclusion de l’image en
séquence, fixe ou animée, de l’image mentale ou encore de l’image
acoustique ou linguistique, par exemple.
Cependant, même ainsi circonscrite, l’étude de l’image fixe soulève un
certain nombre de problèmes communs aux différents types d’images
visuelles, que celles-ci soient peintes ou photographiques, gravées, dessinées,
filmiques ou encore numériques.
Dans son livre L’Image1, Jacques Aumont étudie cinq d’entre eux : ceux
posés par la vision des images et par le dispositif incluant le « spectateur »,
les problèmes de représentation et de signification par l’image, et enfin les
questions relatives à certaines spécificités de l’image « artistique ». Chacun
de ces problèmes ouvre sur des domaines d’études spécifiques et complexes
tels que la physiologie de la vision et son contexte situationnel, la
métapsychologie du spectateur, la sémiologie ou l’esthétique.
Nous avons nous-même jeté les bases et les justifications d’une
méthodologie de l’analyse de l’image avec l’outil sémiologique2. Néanmoins,
en complément des rappels théoriques nécessaires, une présentation plus
complète et relativisée de l’approche sémiotique de l’image se révélait
indispensable à son tour, de façon à permettre non seulement d’étudier plus en
profondeur la spécificité de la démarche à travers l’histoire de son
développement, mais aussi de mieux cerner les possibilités d’interprétation et
de réflexion, aussi bien rétrospectives que prospectives, qu’elle offre.
Cet ouvrage se propose donc de développer la façon dont la sémiologie de
l’image permet de comprendre la signification ou la production de sens par
l’image visuelle fixe. Après avoir été sur le devant de la scène au moment de
son apparition, la sémiologie de l’image a été ensuite quelque peu oubliée au
profit d’études très abondantes sur la signification du cinéma et ses enjeux.
Or3 les études du cinéma, de la vidéo, de l’image numérique, des images en
séquence sous toutes leurs formes, présupposent une bonne connaissance de
l’image fixe dans la mesure où ces différentes pratiques en constituent le
développement, les passages, la combinaison, les interactions.
Nous avons ainsi une ambition triple :
proposer une présentation synthétique de la sémiologie de l’image
et de son évolution depuis l’élaboration de ses bases jusqu’à nos
jours, pour montrer qu’il s’agit d’une discipline vivante et active
indépendamment des modes ;
démontrer que l’étude de la discipline est utile et permet tout
d’abord de comprendre rétrospectivement certains fondements
du statut de l’image visuelle dans notre société ;
montrer enfin que ces mêmes outils sont aussi des outils
prospectivement efficaces et dynamiques pour l’étude et la
recherche sur le fonctionnement de l’élaboration et de la
compréhension des messages visuels.
Cela fait en effet plus de cinquante ans que la sémiologie de l’image est
apparue dans le champ des sciences humaines et sociales. Domaine exclusif
de recherche dans un premier temps, cette discipline a ensuite
progressivement occupé un pan de l’enseignement, d’abord à titre
expérimental, puis de façon plus systématique. Dans l’enseignement primaire
et secondaire, il s’agissait d’éveiller l’esprit critique du jeune lecteur
(consommateur) d’images en lui donnant conscience que l’image n’est pas
une pure réplique du monde, mais qu’elle se fabrique et se décrypte en
fonction de certaines règles ; dans l’enseignement supérieur, ce type d’éveil
de conscience s’accompagnait d’une réflexion plus théorique sur la spécificité
du langage visuel, prenant en compte l’évolution de la recherche.
Pendant toutes ces années, la discipline a joui d’une vogue assez fluctuante,
tant auprès des « spécialistes » que d’une partie du grand public. Objet de
curiosité, de vénération, de critique, d’exclusive, voire de rejet, la sémiologie
de l’image a été « à la mode », puis « démodée » pour les maîtres à penser du
moment comme pour certains professeurs, certains médias ou certaines
maisons d’édition.
Néanmoins, on a toujours pressenti l’intérêt d’étudier l’image et ses
processus de signification ; les cours ou les livres ont fleuri sur « l’analyse de
l’image », son « esthétique » ou sa « théorie », mais en abandonnant quelque
peu sa sémiologie. Nombre d’ouvrages consacrés à l’interprétation de l’image
et à son analyse se référaient encore à celle-ci, mais implicitement, de façon
détournée.
Cependant la discipline a continué de vivre et d’évoluer. Un grand désir de
la découvrir se manifeste encore chez les étudiants, qu’ils soient plasticiens
ou qu’ils se destinent à la presse écrite ou audiovisuelle, ou encore à la
communication sous ses différentes formes. Les professionnels, quant à eux,
n’ignorent pas que la sémiologie de l’image, théorique et appliquée, est un
outil de travail sérieux et efficace pour l’analyse comme pour la conception
des images ou, plus exactement, des messages visuels4.
C’est de cette demande et de cette curiosité qu’est née l’idée de ce livre. Il
a paru nécessaire d’aborder la sémiologie de l’image en reprenant un certain
nombre de passages obligés et de notions de base tout en tenant compte des
apports de la recherche, pour éviter à celui qui veut s’initier à la question de
se perdre dans les méandres des innombrables publications spécialisées.
D’autre part, du point de vue du pédagogue, un ouvrage didactique,
permettant de faire acquérir commodément un certain nombre de pré-requis
aux étudiants, pourrait le libérer de la redite de bien des points et lui permettre
alors de bâtir des cours sur des questions plus ponctuelles et plus nouvelles.
Toutefois, nous ne prétendons pas faire un état des lieux exhaustif de la
sémiologie de l’image (ni de sa sémiotique, les deux termes seront explicités),
car tel n’est pas le propos de cet ouvrage5. Nous préférons en effet montrer, à
partir de certains points culminants de la théorie, comment l’approche
sémiologique permet non seulement de mieux comprendre la spécificité de la
communication visuelle, mais aussi de réenvisager certains aspects de son
histoire. Sans prétendre que la sémiologie résolve les nombreux problèmes
posés par l’image et ses différents aspects, nous voudrions proposer un
parcours plus sinueux, plus personnel aussi, dont les haltes théoriques,
historiques, esthétiques, littéraires ou encore mythologiques, s’éclairent les
unes les autres pour montrer que l’impulsion sémiologique n’entraîne pas,
comme on l’a souvent dit, à la myopie, mais invite, au contraire, à élargir et
relativiser son champ de vision.
Ce tour d’horizon devrait aussi permettre de faire le point sur un certain
nombre de poncifs aussi flous qu’approximatifs que l’on entend encore
couramment énoncer à propos de l’image, tels que sa prolifération, sa
polysémie, sa lecture globale et universelle, la passivité qu’elle supposerait,
l’influence qu’elle exercerait, son hégémonie, la perte du sens qu’elle
engendrerait, la disparition du langage qu’elle entraînerait et autres lieux
communs qui remplacent bien souvent une véritable réflexion sur l’image et
sa spécificité.
Dans un premier chapitre, nous voudrions définir les termes de sémiologie
et de sémiotique pour en arriver à la définition de l’image comme ensemble
de signes et à la spécificité de l’approche sémiologique. Cette démarche,
historico-critique, devrait nous permettre de mieux comprendre certains
aspects de l’emploi du mot « image » et de l’implicite qui l’accompagne, non
seulement à propos de l’image en tant que telle, mais aussi à propos du
langage auquel on l’oppose volontiers.
Un deuxième chapitre explorera le statut étrange qu’a l’image dans notre
société ainsi que le traitement paradoxal dont elle est l’objet : entre
fascination et mépris. Quelques rappels historiques feront apparaître que
l’image a toujours été au centre de débats axiologiques, de débats de valeurs.
Nous verrons que cette particularité est sans doute plus liée au caractère de
« trace » de l’image qu’à celui de sa ressemblance, critère néanmoins toujours
avancé, non seulement comme sa spécificité, mais aussi comme l’origine de
tout soupçon.
Dans un troisième chapitre nous reviendrons sur un certain nombre de
concepts et d’outils qu’offre la sémiologie pour l’analyse et l’interprétation de
l’image. Nous verrons comment le jeu des paramètres de l’image,
historiquement déterminé, comme celui des contextes de la communication
induisent des significations et des interprétations socio-culturellement codées.
Cette récapitulation théorique et méthodologique se voudra aussi critique.
Nous terminerons avec des propositions méthodologiques d’analyse et nous
verrons, à partir de l’exemple plus particulier de photographies de presse,
comment l’approche sémiologique permet d’aborder la question de leur
rhétorique propre et de son éventuelle spécificité.

Précisons toutefois que, depuis la première édition de ce livre, la


généralisation de la numérisation des images a réactivé autant les
questionnements que les inquiétudes que celles-ci suscitent. De même, la
multiplication exponentielle des messages visuels tout comme la multiplicité
de leurs supports peut sembler remettre en question la méthodologie de leur
analyse. Cependant, cette profusion d’images, souvent considérée comme
dangereuse, interroge plus la question des usages des images que celle de leur
contenu.
En effet, sur les fresques préhistoriques, dans les temples et les riches
maisons de la Grèce ou de la Rome antiques, dans les palais d’Occident ou
d’Orient, dans les lieux de culte au travers des âges, on constate souvent, et
depuis leur origine, une profusion d’images sur des supports diversifiés. Cette
multiplication d’images s’intensifie encore selon différentes étapes comme
celles de l’invention de l’imprimerie et de la gravure puis de la photographie.
Dans la foulée, le cinéma, la vidéo, puis la numérisation des images
existantes, comme la production d’images numériques nouvelles, accélèrent
les pratiques et les usages au rythme de l’accélération des techniques et des
supports (fibre optique, satellites, ordinateurs, téléphones portables, iPhones).
De plus, l’évolution des technologies avec leurs innombrables ressources
graphiques, de couleur, de traitement et d’usages demande à être
constamment reconsidérée dans un grand élan de vitesse et dématérialisation.
Toutes ces pratiques et tous ces usages des images entraînent-ils pour autant
des modifications radicales de leur contenu ? On peut observer quelques
modifications, bien entendu, mais bien moins nombreuses et remarquables
que celles des usages.
Ainsi, en ce qui concerne les critères d’expression, on peut observer d’une
part une sorte de « perfection » technique, dans le piqué (la définition) des
images, la précision des lignes et des couleurs, un soin rarement égalé
auparavant dans le détail, la subtilité des nuances, en bref une lisibilité accrue.
Mais tout ceci advient souvent avec une reprise des critères classiques de
composition, d’utilisation de la couleur, des formes et des motifs, même si les
ressources désormais quasi illimitées permettent de jouer sur la planéité ou la
profondeur, le relief, le morcellement, le collage, le morphing ou autres
innombrables types d’effets spéciaux (trucages), perceptibles ou non.
D’un autre côté on peut aussi assister à l’apparition de plus en plus
fréquente d’images dites « sales », tant dans leur texture que dans leur
contenu. L’imperfection « technique » telle que l’apparition du grain, le flou,
le tramé, loin d’être nouvelle, apparaît alors comme une garantie
d’authenticité, confondue avec une garantie de réalité (amalgamée à celle de
vérité, comme l’on sait) et donc de témoignage, ou de preuve, tels que
peuvent en apporter le téléphone portable ou les images « volées » de
paparazzi. Il y a aussi les vidéos amateurs qui foisonnent désormais sur
internet ou dans les médias et dont les contenus « sales » ne sont pas
nécessairement nouveaux non plus. Ce qui change réellement c’est la
diffusion de ces images, les modalités de cette diffusion, leurs fonctions et
leurs conséquences.
De même, ce sont les usages et les recours à l’image qui ont
considérablement évolué, avec des conséquences que l’on ne peut pas ne pas
prendre en compte. Parmi les conséquences notables de ces phénomènes on
peut noter des interactions nouvelles comme celles qui déplacent, ou
anéantissent, un certain nombre de frontières existant, par exemple, entre le
domaine des amateurs et celui des professionnels, ou encore entre le domaine
« privé » et le domaine « public ».
Pendant la prise de photos, en plus des enjeux classiques, la « posture » a
changé. À la visée par l’œil s’est substitué le bras tendu, plaçant l’appareil
(photo ou téléphone) entre soi et la scène à « capter » et c’est sur cette
nouvelle posture que l’on peut désormais réfléchir.
Quant aux fonctions de la prise de vue, elles évoluent aussi en fonction de
leur auteur. Pour le particulier, la « prise » se fait encore dans la perspective
d’un partage, ou d’une trace de la co-présence avec l’événement
photographié. Pour le professionnel, qu’il s’agisse de la presse, des médias, de
la mode, de la publicité ou des institutionnels, la fonction de l’image obéit
toujours à une logique financière.
Enfin pour certaines institutions telles que les banques, les ministères, les
grands magasins, les écoles, les universités, les gares ou encore les transports
en commun, la prise de vue remplit désormais une fonction de surveillance et
la numérisation est là pour faciliter au maximum les échanges d’informations
et de renseignements entre institutions dans un marquage « binaire » de la
société de surveillance6. Enfin, corollaire des observations précédentes,
l’« être pris » ou spectrum7 a certainement évolué, lui aussi. Dans ce climat
d’enregistrement généralisé de tout et n’importe quoi, on peut être soi-même
photographié n’importe où et n’importe quand. Se développent alors
parallèlement les subtilités juridiques du « droit à l’image » et de la protection
de la vie privée. Nous pouvons en effet être assurés que désormais des images
de nous circulent à notre insu quelque part dans un univers parallèle de
fantômes et d’images qui se concurrencent, se complètent ou s’annulent du
fait même de leur profusion.
Dans le domaine de l’art, souvent avant-gardiste, on constate que le
numérique bouleverse aussi profondément les pratiques de l’image et les
« traverse ». La technologie oblige absolument à penser la transversalité, ce
qui est un changement radical dans la relation artiste-œuvre-spectateur. Plus
que les images, même si elles peuvent être convoquées, c’est l’interactivité
qui change de régime et passe de l’action-réaction à la perception, à la
corporéité, à l’autonomie de l’œuvre, jusqu’à à leur aspect éphémère,
contemporain des techniques. Les images peuvent disparaître avec elles, et ce
d’autant plus rapidement que les techniques évoluent très vite. Ce phénomène
privilégie à nouveau la transgression des frontières, ainsi qu’une nouvelle
temporalité.
Liée à la vitesse de transmission des messages visuels et à la volatilité de
leur contenu, l’émergence d’un temps mondial, par opposition à un temps
local, nous est donnée à voir. Les particularités du temps mondial seraient le
partage instantané, la proximité, une interactivité due au franchissement du
« mur du temps » réel, celui qui régit notre vie quotidienne. Celui-ci, le temps
local, concernerait alors le temps qu’il fait ainsi que l’alternance des jours et
des nuits. Une nouvelle cohérence s’instaure alors, retravaillant l’espace et le
temps, la proximité et l’éloignement, le temps « lumière » du global et le
temps local des saisons et des jours, comme on peut le constater chaque jour
dans les médias contemporains.
Une autre conséquence liée aux nouveaux usages des images numériques
est celle du morcellement et du lien.
L’approche médiatique de l’information et de la culture, extrêmement
morcelée, éclatée, soumise au « zapping », au papillonnement, à la recherche
ininterrompue d’autre chose, se retrouve aussi dans le « surfing » que l’on
opère sur iPhone ou sur ordinateur. La structure en arbre rompant
radicalement avec la structure linéaire du raisonnement cartésien incite à
« explorer » des développements parallèles ou biseautés en nombre quasi
infini. Or cette façon partielle et quasi mosaïque d’aborder tel ou tel sujet et
les images qui l’accompagnent semble antinomique avec le désir de relation
qu’il manifeste par ailleurs dans le terme même de « lien », maître mot des
« sites » web, corrélé qu’il est à l’image même de la « toile » enserrant la
planète et fondant la mondialisation. Ni véritable relation, ni véritable
contemplation.
Enfin, si nous considérons avec un peu plus de lucidité la place de l’image
dans le monde contemporain, nous constatons que, quel que soit le mode
d’accès à l’image, celle-ci n’est pas plus présente à nos yeux que le monde
même, et que la multiplicité des images ne change pas fondamentalement leur
contenu, souvent encore étrangement semblable à celui des images les plus
anciennes. L’omniprésence des images est un fait non négligeable, qui
constitue désormais une sorte de maillage du monde, un maillage de la
planète. Ce maillage fait passer le statut de double que l’on a attribué à
l’image et qui a tant effrayé certains iconoclastes, au statut de duplicata. Ce
fait ôte sans doute ainsi du mystère et de la magie à la représentation visuelle
qui, dans sa profusion même, se banalise, se stocke, se classe et s’oublie, à
l’instar des photocopies que l’on entasse sans toujours les consulter.
On peut alors se demander si cette hypervisibilité du monde ainsi produite
entraîne pour autant une hyperlisibilité du monde ou, au contraire, une opacité
accrue. Permet-elle de lever le voile de la signification ou rajoute-t-elle un
voile supplémentaire sur la réalité du monde ? On sait que visibilité et
lisibilité ne sont pas solidaires, et la multiplication des images complexifie
nécessairement cette relation.
Enfin, l’ultime question que nous nous poserons sera à propos de la
représentation : la multiplicité des représentations visuelles, via le numérique
en particulier, implique-t-elle que celles-ci seraient plus dangereuses et plus
toxiques que le réel même ? Immergés que nous sommes dans le réel, c’est sa
représentation, et elle seule, qui nous permet de le comprendre tant soit peu en
nous aidant à le mettre à distance et à l’analyser. Mais cette mise à distance
doit pour cela passer nécessairement par des mots. C’est pourquoi la
sémiologie demeure, selon nous, un outil d’analyse adapté et efficace, pour
peu que l’on prenne la peine d’arrêter le flot ininterrompu des messages
visuels, le temps de la conception ou de l’observation de certains d’entre eux.
Permettant de verbaliser la perception comme l’émotion, la sémiologie de
l’image peut toujours aider à mieux comprendre les enjeux de la
communication visuelle, de sa production comme de sa réception.
L’objet de ce livre est donc de contribuer à lutter contre l’opacité
croissante, liée à la surabondance des images, pour accompagner nos lecteurs
vers une clairvoyance plus aiguisée.
Des « images » seront là comme exemples, et des références
bibliographiques données en bas de page serviront de repère pour approfondir
tel ou tel point. Une bibliographie plus générale terminera cette présentation
et donnera un aperçu des nombreuses questions liées à la signification et à la
communication par l’image.
1 - Cf. Jacques Aumont, L’Image, Paris, Nathan, 1990, Armand Colin, 2010, 2011.
2 - Cf. Martine Joly, Introduction à l’analyse de l’image, chap. 1, Paris, Nathan, coll. « 128 », 1994,
2e édition, Paris, Armand Colin, 2009.
3 - Comme le rappelle encore Jacques Aumont, op. cit.
4 - Cf. par exemple, les travaux de Jean-Marie Floch et plus particulièrement Sémiotique, marketing
et communication ; sous les signes, les stratégies, PUF, 1990.
5 - On peut trouver un état des lieux exhaustif et volumineux de la question dans le Traité du signe
visuel : pour une rhétorique de l’image, publié par le Groupe μ au Seuil en 1992, ou dans Driss Ablali
et Dominique Ducard (dir.), Vocabulaire des études sémiotiques et sémiologiques, Paris, Honoré
Champion, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2009.
6 - Cf. Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, 1975.
7 - Cf. Roland Barthes, La chambre claire, Notes sur la photographie, Éditions de l’Étoile,
Gallimard, Le Seuil, 1980.
Chapitre 1
L’approche sémiologique
Il semble nécessaire de commencer par une présentation plus précise du
champ scientifique auquel se réfère cette étude ainsi que par une définition
des termes et des concepts que cet ouvrage lui emprunte.
« Sémiotique, sémantique, sémiologie, signe, image, icône… », autant de
termes qui sont souvent utilisés les uns pour les autres sans rigueur véritable,
ce qui nuit à leur compréhension comme à l’efficacité de leur utilisation. Il est
en effet indispensable, lorsqu’on choisit une démarche scientifique, d’en
comprendre les fondements et les orientations pour apprécier la pertinence
comme les limites de ses outils. Des précisions terminologiques sont d’autant
plus nécessaires ici que la sémiologie se caractérise précisément par sa
démarche : « discours sur », métalangage, elle s’interroge sur le comment de
la production de sens avec une méthode et des outils qui lui sont propres et
qu’il est nécessaire de présenter.
C’est pourquoi, avant de parler de l’image, objet de cette étude, nous
voulons préciser comment et dans quelle perspective nous allons l’aborder.
1. Apparition et développement de la sémiologie moderne
1.1. Historique
Le terme de « sémiologie » n’est pas nouveau puisque, dès l’Antiquité, il
désigne un secteur de la médecine. Du grec séméion = signe, et logos
= discours, science, la sémiologie – ou la séméiologie – médicale, discipline
qui existe encore de nos jours, consiste à interpréter les signes que sont les
symptômes ou les syndromes (ensembles de symptômes). Ces signes, dont
parle Hippocrate1 au IVe siècle avant J.-C., sont donc synonymes de
symptômes, mais aussi de « preuve » ou d’« indice ». En cherchant à
interpréter ces signes de la façon la plus rigoureuse possible, la sémiologie
médicale, on le voit, s’intéresse au « quoi » de la signification des
symptômes, plus qu’au « comment », qui, lui, concerne plus particulièrement
la sémiologie en sciences humaines. Elle constitue néanmoins un repère
important dans l’étude du signe non verbal.
En sciences humaines, le terme de sémiologie apparaît plus
particulièrement au début du siècle et manifeste le désir d’élaborer une
« science générale des signes ». Mais la notion de signe, elle, existe déjà2.
Elle ne concerne pas seulement le langage médical mais apparaît aussi dans la
philosophie du langage telle qu’on peut la lire aux Ve et IVe siècles avant J.-C.
à Athènes chez Platon et surtout chez Aristote. Toutefois, si la notion de
« signe » est présente, elle ne désigne pas pour autant le « mot », qui, lui, est
considéré comme un « symbole » constitué par les sons et les lettres, eux-
mêmes posés par convention ; le « signe » se rapproche plus encore de la
preuve ou de l’indice, comme les signes naturels (le halètement pour la fièvre)
dont font partie les symptômes. Umberto Eco a consacré un ouvrage
important à l’étude des relations entre sémiotique et philosophie du langage
de l’Antiquité à nos jours3. Il y montre qu’à partir de cinq concepts clés –
« signe, signifié, métaphore, symbole et code » –, tous les philosophes qui se
sont intéressés au langage (des stoïciens à Wittgenstein) se sont rendu compte
de l’importance capitale du débat sur la langue et les autres systèmes de
signes pour éclaircir nombre d’autres problèmes allant de l’éthique à la
métaphysique. Des constantes apparaissent dans toutes les théories évoquées :
la fonction d’échange du signe et sa matérialité. Des divergences se
manifestent en revanche sur la nature de la relation transactionnelle qu’il
induit.
Quoi qu’il en soit, on considère qu’une approche plus spécifique de la
question s’opère avec l’apparition au début du siècle de la sémiologie
moderne dont on attribue la paternité à un logicien : Peirce4, et à un linguiste,
Saussure5.
Le début du XXe siècle se caractérise, en Europe et dans le monde, par un
bouillonnement particulièrement créatif dans toutes sortes de domaines.
Signalons-en quelques exemples caractéristiques, au risque d’abonder dans
la mythification de cette époque : des mouvements artistiques complètement
nouveaux se manifestent en littérature avec des auteurs comme
Hofmannsthal, Thomas Mann, Zweig, mais surtout Kafka ou Musil ; les
sécessionnistes viennois tels que Klimt, puis Schiele ou Kokoschka, rompent
avec la peinture académique ; le cubisme et les fauves, en France,
l’expressionnisme et l’Art nouveau, en Allemagne, bouleversent la
conception de la peinture et des arts visuels ; Kandinsky, Klee, Malevitch
inaugurent la peinture abstraite ; les formalistes russes, puis les
constructivistes, réenvisagent la conception et la fonction de l’art sous toutes
ses formes ; Otto Wagner, Adolf Loos inventent l’architecture moderne en
Autriche, Le Corbusier en Suisse et en France, Frank Lloyd Wright aux États-
Unis ; Mahler et surtout Schönberg, puis Webern ou Alban Berg, bousculent
la tradition musicale, renouvellent la composition ; le cinéma vient d’être
inventé…
Le domaine de l’art n’est pas le seul concerné par ces bouleversements : on
assiste à la naissance de la psychanalyse avec Freud, de la linguistique
moderne avec Saussure, de la logique moderne avec Frege en mathématiques,
de la théorie de la relativité avec Einstein, en physique, ainsi qu’à la
découverte de la radioactivité avec Marie Curie ; la philosophie voit
apparaître la phénoménologie avec Husserl, des modes de pensée et de
réflexion sur le langage aussi originaux que ceux d’un Russel, d’un
Wittgenstein, plus tard d’un Austin.
De grandes inventions et de grands mouvements de pensée se font aussi
jour aux États-Unis, avec des chercheurs comme Edison, pour la
télécommunication, ou Peirce, pour la sémiotique.
Mais on voit à quel point l’Europe dans son ensemble a été féconde :
l’Angleterre, la France, la Russie, la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche, la
Tchécoslovaquie, etc., et comment, au sein de cette Europe, la « Mittel
Europa » a été le creuset fascinant de ce bouillonnement, avec ses villes
phares telles que Vienne et Prague6. Bref, on n’a pas encore fini de
comprendre ni d’exploiter toute la richesse du bouleversement considérable,
tant intellectuel qu’artistique, du début de ce siècle.
Et même si tous ces chercheurs, ces savants, ces artistes ne se connaissaient
pas nécessairement les uns les autres, même s’ils ignoraient pour la plupart la
prolixité mondiale de leur époque que seul le recul nous permet de saisir avec
stupéfaction, il faut savoir que c’est précisément dans cette mouvance
particulièrement inventive et créative qu’apparaît en Europe avec Saussure,
aux États-Unis avec Peirce, l’idée d’une science générale et globalisante
traitant des différents types de signes avec lesquels nous communiquons : la
sémiologie.
En effet, bien que Umberto Eco nous rappelle7 que seize siècles avant
Saussure, saint Augustin propose dans le De magistro « une soudure
définitive entre théorie des signes et théorie du langage », c’est tout de même
chez Ferdinand de Saussure, considéré, donc, comme le fondateur de la
linguistique moderne, que l’on trouve l’expression la plus claire de cette
ambition sémiologique.
Rompant avec la tradition normative et diachronique de l’étude de la
langue, Saussure propose en effet de la considérer comme un « système de
signes exprimant des idées », et, pour cela, de faire, ici et maintenant, en
synchronie, l’inventaire de ces signes ainsi que celui des règles qui régissent
leur combinatoire. Il oppose la langue, stock socialement limité d’éléments et
de règles, à la parole, mise en œuvre historicisée et illimitée de ces éléments
par chacun d’entre nous, pour produire un nombre infini de messages. Le
fameux Cours de linguistique générale8 s’efforcera de décrire ce que sont une
langue et son fonctionnement.
Ce faisant, Saussure a bien conscience que nous ne communiquons pas
seulement avec la langue mais aussi avec toutes sortes d’autres signes tels que
« les rites symboliques, les formes de politesse, les signaux militaires, etc. ».
« On peut donc concevoir, dit-il, une science qui étudie la vie des signes au
sein de la vie sociale… nous la nommerons sémiologie […]. Elle nous
apprendrait en quoi consistent les signes, quelles lois les régissent. Puisqu’elle
n’existe pas encore, on ne peut dire ce qu’elle sera ; mais elle a droit à
l’existence, sa place est déterminée d’avance. La linguistique n’est qu’une
partie de cette science générale, les lois que découvrira la sémiologie seront
applicables à la linguistique, et celle-ci se trouvera ainsi rattachée à un
domaine bien défini dans l’ensemble des faits humains […]. La tâche du
linguiste est de définir ce qui fait de la langue un système spécial dans
l’ensemble des faits sémiologiques.9 »
De cette déclaration fondatrice, deux points sont à signaler, sur lesquels
nous reviendrons : d’une part qu’il faut prendre soin de distinguer la
sémiologie de la sémantique ; d’autre part que la hiérarchisation posée là
entre linguistique et sémiologie soulève un certain nombre de questions.
Mais Saussure n’est pas le seul, nous l’avons dit, à envisager une science
générale des signes en ce début de siècle. Aux États-Unis, à peu près à la
même époque que lui, Charles Sanders Peirce, un scientifique, imagine lui
aussi une « science générale des signes » qu’il baptise Semiotics, terme qu’il
emprunte à John Locke10. Logicien, astronome, géodésiste, Peirce destine
plus ses réflexions aux mathématiciens qu’aux philosophes. Ainsi, il ne se
contente pas d’envisager une telle science, il commence son élaboration
même en se proposant d’étudier en profondeur tous les types de signes (pas
uniquement le signe linguistique), d’en faire une classification, et d’analyser
leur mode de fonctionnement.
Les travaux de Peirce ne seront connus que tardivement en Europe, à partir
de la parution de 1931 à 1935 des six premiers volumes des Collected Papers,
puis des suivants en 1958. Leur traduction, et leur étude sérieuse, sera encore
plus tardive (dans les années 1970)11. Néanmoins, on y voit que, dès 1867,
Peirce élabore sa sémiotique, ou théorie des signes, et qu’il lui donne une
dimension philosophique. Dans le sillage de ces deux grands précurseurs, la
sémiotique moderne s’est considérablement développée depuis le début du
siècle et demeure un champ de recherche vivant et actif12.
L’école américaine, issue de Peirce, se développe grâce à Charles Morris
dans trois directions principales :
la sémiotique « pure », qui concerne la linguistique et la
philosophie du langage ;
la sémiotique descriptive, d’inspiration behaviouriste, qui étudie les
comportements sociaux non verbaux (gestion socio-culturelle de
l’espace, du temps, de la gestuelle), des langages non verbaux
(image, vêtements…) ;
la sémiotique appliquée, intéressée par la pragmatique, les rapports
entre signe et individu. Elle inclut aussi la zoosémiotique, qui
étudie les signes de la communication animale.
En Europe, les post-saussuriens se distinguent selon leur plus ou moins
grande orthodoxie linguistique :

les plus orthodoxes13 n’étudient que la seule communication


intentionnelle utilisant des codes composés d’un nombre fini
d’éléments tels que les langues, bien sûr, le code morse, le code
de la route, le code des ascenseurs et ainsi de suite. On parle
alors d’une « sémiologie de la communication »14, que l’on a
opposée à :
une « sémiologie de la signification », plus souple, pour laquelle un
code peut être un système ouvert, voire flou, et peut toujours être
considéré comme code ou champ d’observation structuré, dès
lors qu’il produit des significations et qu’on le choisit comme
objet d’étude. Les références scientifiques de ce courant sont
plutôt le cercle linguistique de Prague15, cofondé par le linguiste
Roman Jakobson, et la glossématique danoise fondée, elle, par le
linguiste Hjelmslev16.
Les premiers représentants français de ce courant seront Roland Barthes et
Christian Metz en ce qui concerne l’image et le cinéma, nous y reviendrons,
ainsi que l’« école de Paris » avec Greimas. L’« école de Perpignan »
s’attachera plus particulièrement à faire découvrir et à étudier les travaux de
Peirce.
Les chercheurs italiens comme Emilio Garroni ou Umberto Eco, après
avoir jeté les bases d’une sémiotique scientifique, amorceront parmi les
premiers un déplacement épistémologique17 qui sera repris en France et
alimentera une critique de la « première sémiologie » selon différents angles :
sociologique avec des chercheurs comme Baudrillard ; historique et
philosophique avec des personnalités telles que celles de Michel Foucault,
Jacques Derrida, Gilles Deleuze ; psychanalytique sous le regard de Jacques
Lacan ou de Julia Kristeva.
1.2. Sémiologie/sémantique
Cet historique montre d’une part que la discipline est vivante et ne s’est pas
arrêtée à ses prémices des années 60 comme l’imaginent souvent ceux qui ont
cessé d’étudier depuis ces années-là, et d’autre part, que la sémiologie n’est
pas la sémantique, même si les termes se ressemblent. Sans doute est-il
nécessaire à ce point de préciser ce qui distingue ces deux disciplines.
La sémantique est traditionnellement considérée comme une branche de la
linguistique qui étudie les significations : non pas les systèmes de signes, ni
les processus de signification et d’interprétation (ce que se propose de faire la
sémiologie), mais elle étudie la question du sens même, de son évolution, de
ses changements, de sa structure. Très rapidement dit, la sémantique étudie le
sens susceptible d’être produit par la langue mais non pas la façon dont un
mot signifie quelque chose, ni dont un signifiant18, d’une manière générale,
est relié à un signifié. La sémantique étudie les signifiés, indépendamment de
leurs différentes manifestations possibles, la façon dont ils évoluent (en
diachronie, c’est la tradition « antique ») ou dont ils s’organisent les uns par
rapport aux autres (en synchronie, c’est la démarche « moderne »).
La sémantique structurale a pu ainsi étudier comment les unités de sens,
ou sémèmes, ne fonctionnent pas de manière isolée, mais selon une solidarité
élémentaire décrite par A.-J. Greimas comme un couple « conjonction
+ disjonction »19 : ainsi blanc s’oppose à noir comme bien s’oppose à mal
(disjonction), mais ces unités de significations circulent selon un même axe
sémantique (conjonction), celui de la couleur pour les premières, celui des
valeurs pour les secondes.
On peut encore compliquer les relations entre les différentes significations
en utilisant les outils de la logique et en explorant les significations qui leur
sont associées non seulement par contrariété, comme dans l’exemple
précédent, mais aussi par contradiction ou par complémentarité : c’est ce que
propose Greimas avec le fameux « carré sémiotique ». Il s’agit de « la
représentation logique d’une catégorie sémantique quelconque20 » où quatre
positions vont être définies à partir de trois relations : la relation horizontale
de contrariété que nous avons décrite plus haut : bien vs mal, la relation
oblique de contradiction : mal/pas mal, bien/pas bien, qui correspond à la
négation de la relation verticale de complémentarité : bien/pas mal, mal/pas
bien.

On voit comment un modèle comme celui-ci, à la fois statique et


dynamique, permet de dégager et d’analyser l’interactivité des présupposés
liés à l’expression de tel ou tel concept.
Ainsi, quoique le « sens » soit « un concept indéfinissable21 », on
comprend que la sémantique s’intéresse au produit d’un système sémiotique
tandis que la sémiologie étudiera le système en soi, ses éléments, leur
structure, leurs règles d’organisation, etc. La sémiologie s’intéressera à la
nature de la relation signifiant/signifié, au fonctionnement du signe dans son
ensemble (structural et contextuel), qu’il soit linguistique ou non.
On reconnaît maintenant à la sémantique, longtemps considérée comme la
science qui étudie les significations des seuls signes linguistiques, un aspect
plus généraliste de science qui s’occupe du sens produit par n’importe quel
système sémiotique qu’il soit constitué de signes linguistiques, iconiques,
gestuels, vestimentaires, religieux ou autres… Néanmoins une ambiguïté
demeure qui est que la manifestation du sens, qu’on veuille l’amener à la
conscience ou l’étudier, passe toujours par le verbal, donc par le signe
linguistique. Cette contrainte conduit certains à penser que l’étude du sens, la
sémantique, ne peut donc relever que de la linguistique.
Cette ambiguïté alimente aussi l’autre polémique qui est celle des relations
entre linguistique et sémiologie, de leur hiérarchisation respective ainsi que de
la question des lois communes à la linguistique et aux autres systèmes
sémiotiques. En effet, dans la mesure où la linguistique a précédé
historiquement l’étude des autres systèmes de signes (exception faite des
symptômes médicaux), dès que l’on proposera de reconnaître des lois
linguistiques dans d’autres systèmes on criera à l’« impérialisme » de la
linguistique. On peut, en réalité, se demander si l’on n’est pas là devant une
nouvelle version de « l’œuf et la poule ».
Pour Saussure la sémiologie est la science qui devra étudier tous les
systèmes de signes, la linguistique s’occupant plus particulièrement de la
langue et de sa spécificité. Elle demeure par là, à ses yeux, la plus importante
des sciences sémiologiques, mais reste néanmoins inféodée à la science
générale des signes qu’est la sémiologie. Cette hiérarchisation sera remise en
cause, en particulier par Barthes, pour des raisons qui rejoignent celles que
pose la localisation de la sémantique, dont nous avons parlé plus haut, et sur
lesquelles nous reviendrons lorsque nous examinerons les relations entre
image et langage.
1.3. Sémiologie/sémiotique
Le rappel que nous avons fait plus haut a aussi montré que l’on rencontre
tantôt le terme de « sémiologie » et tantôt celui de « sémiotique ».
On dit souvent que les deux termes sont équivalents et que leur différence
vient simplement de leur origine linguistique : « sémiotique » étant d’origine
anglo-saxonne (Locke, Peirce), « sémiologie » d’origine européenne (en
particulier Saussure). Il y a bien sûr une part de réalité historique dans cette
affirmation mais les choses sont un peu plus compliquées que cela.
L’Association internationale de sémiotique (l’AIS, fondée en 1967 par A.-
J. Greimas) a donné très tôt la préférence au terme de « sémiotique ». Mais il
nous faut bien cependant, et en l’occurrence, appliquer un des principes de la
linguistique en distinguant la règle de l’usage. Les deux termes continuent
d’être employés : « sémiotique » étant plutôt compris comme une extension
générale de la linguistique, comme une philosophie du langage, et
sémiologie » comme l’étude des langages particuliers (image, cinéma,
peinture, littérature, etc.). Cependant, cette distinction peut encore s’affiner.
En effet, Umberto Eco22, reprenant une classification déjà ancienne de
Charles Morris, propose de distinguer trois aspects de la sémiotique : la
sémiotique générale, les sémiotiques spécifiques et la sémiotique appliquée.
La sémiotique générale, de nature philosophique, est chargée de construire
un objet théorique et de proposer un modèle général purement formel ; elle
travaillera par exemple sur la notion même de « signe », sa structure, sa
dynamique, etc.
Les sémiotiques spécifiques sont, elles, d’ordre grammatical au sens large
du terme, c’est-à-dire qu’elles englobent la syntaxe, la sémantique et la
pragmatique ; elles sont chargées d’étudier, d’un point de vue théorique et
conceptuel, des systèmes de signes particuliers tels que ceux de l’image ou du
cinéma : comprennent-ils des signes ? Si oui, quels sont-ils ? Comment
s’agencent-ils ? etc.
La sémiotique appliquée, enfin, a des limites plus imprécises. Son
problème n’est pas la scientificité (proposition de concepts et de modèles)
mais sa force de persuasion rhétorique pour la compréhension d’un texte. Sa
tâche est de rendre intersubjectivement contrôlable, grâce à l’utilisation
d’outils empruntés aux sémiotiques précédentes, un « discours sur », une
interprétation d’un texte donné. La sémiotique appliquée est une méthode
d’analyse dont la rigueur se fonde sur l’utilisation des outils sémiotiques et ce
qu’ils supposent de consensus socio-culturel s’opposant aux interprétations
non justifiées, « impressionnistes », ou trop aléatoires.
Cela dit, on constate, en France, que le terme de « sémiotique » reste bien
le plus souvent employé pour parler de « sémiotique générale », mais que
celui de « sémiologie » amalgame volontiers et les sémiotiques spécifiques (la
sémiologie de l’image comme théorie de la signification par l’image) et la
sémiotique appliquée (la sémiologie de l’image comme analyse de l’image
utilisant des outils sémiotiques).
Cet ouvrage s’emploiera donc à distinguer les deux activités que recouvre
l’usage courant de l’expression « sémiologie de l’image » : d’un côté, donner
des éléments de la théorie de la signification par l’image en tant que
sémiotique spécifique, et de l’autre, donner des exemples méthodologiques
d’analyse de l’image au moyen d’outils sémiotiques ou de sémiotique
appliquée à l’analyse de l’image.
On aura donc bien compris qu’au bout du compte la sémiotique est un
métalangage, un « discours sur » qui se définit par sa démarche plus que par
son objet. La question qu’elle se pose étant le « comment » de la signification
plus que le « quoi », cette démarche élargira progressivement ses outils
d’investigation à des domaines annexes qui déborderont ceux de l’analyse
textuelle des messages (privilégiée dans les années structuralistes, dites de
« la première sémiologie »), pour aller vers ceux de leur production comme
de leur manipulation : « La sémiotique est aujourd’hui une technique de
recherche qui réussit à décrire le fonctionnement de la communication et de la
signification.23 »
2. De l’écrit à l’image
« De toutes parts, nous sommes invités à ne pas céder à l’attrait de l’image,
les pamphlets qui pourraient avoir pour titre “Contre l’image” ne se comptent
plus et on a beau jeu de dénoncer, en accusant l’inflation télévisuelle et
publicitaire, la “civilisation de l’image” qui serait la nôtre.24 »
Ce constat, que l’on peut lire en préambule du numéro d’une revue
consacré aux « Destins de l’image », présente bien l’un des jugements
contemporains les plus courants tenus sur l’image ; jugement qui s’oppose en
même temps, et de façon paradoxale, à l’idée, tout aussi vivace, que l’image
constitue l’un des médias les plus modernes et les plus efficaces de la
communication contemporaine. Le fait est que nous vivons au cœur d’un
débat contradictoire sur « l’image », véhiculé tant par les médias que par les
conversations privées ou l’enseignement. Voyons donc sur quel terrain se
place ce débat, sur quel implicite il se fonde et de quoi il parle.
L’idée que nous sommes dans une « civilisation de l’image » sous-entend
que nous ne sommes plus dans une civilisation de l’écrit. Pour parler à la
manière de McLuhan, la galaxie Marconi aurait remplacé la galaxie
Gutenberg. Cette substitution est considérée soit comme un progrès, l’âge
électronique frappant de caducité l’âge de l’imprimé25, soit au contraire
comme une régression, l’univers factice et superficiel de l’image entraînant,
avec la disparition de l’écrit, celle plus générale du langage et donc de la
pensée.
Quoi qu’il en soit, la communication par l’image est opposée à celle par le
langage : communiquer par l’image, ce serait ne plus communiquer par le
langage, menacer la parole de disparition ; la parole non seulement comme
outil de communication mais aussi comme outil de pensée, de personnalité,
d’identité. Compte tenu de ce discours implicite, on comprend mieux
pourquoi les termes employés à propos de l’image sont le plus souvent des
termes inquiétants, destructeurs, voire mortifères, tels qu’« invasion », ou
« prolifération » de l’image.
On voit donc que le débat d’emblée situé sur un plan moralisateur (l’image
est mauvaise ou bonne) glisse vers celui, plus apocalyptique, non seulement
de la qualité de la vie, mais de la survie même de l’humanité.
2.1. Image/langage
Il nous semble que si la relation entre image et langage est un point majeur
de débat et de controverses, cela découle de deux propositions principales et
contradictoires à la fois :
Proposition 1 : l’image évacue le langage verbal et plus particulièrement
l’écrit, au point de le rendre caduc, voire de l’éliminer définitivement ;
Proposition 2 : le langage verbal, et plus largement la linguistique, domine
tout langage, y compris le langage visuel, car comprendre c’est dire ou
nommer.
En ce qui concerne la première proposition, on peut se demander si une
opposition aussi radicale entre image et langage se justifie. C’est un débat de
fond qui en fait s’est posé dès l’apparition de la sémiologie de l’image. Que
l’image soit un système de signification et de communication différent de
celui du langage parlé et écrit, c’est une évidence. Prétendre en revanche que
la prédominance (à prouver) de l’image supprime le langage est non
seulement une erreur, mais une fausseté.
Très tôt, dès 1964, Barthes a montré26 dans un apport théorique
fondamental que tout système de signes (ou de signification et de
communication) se mêle de langage verbal. Il constate en effet qu’il est très
difficile de trouver des images qui ne s’accompagnent pas de langage verbal
oral ou écrit. Il a montré que dans toute image (cinéma, télévision, publicité,
bandes dessinées, photo de presse, etc.) le langage verbal double la substance
visuelle et entretient alors, dans presque tous les cas, un rapport structural
avec le message visuel. Des contre-exemples viennent à l’esprit devant ce
genre d’affirmation : les peintures pariétales préhistoriques, les photos de
famille ou « d’art », les films « muets », etc. Laissons aux spécialistes
l’éclaircissement de la fonction des premières dont on admet tout de même
assez généralement qu’elles se voulaient « magiques » et servaient de support
à des actes propitiatoires et à des prières.
La photo de famille ou de voyage27, quant à elle, a une fonction
primordiale de cohésion du groupe qui s’opère grâce à la verbalisation
collective que provoquent la photo et le souvenir commun qui lui est lié. Cette
verbalisation orale se retrouve d’ailleurs souvent consignée en partie par écrit
dans l’album de famille ou de vacances.
En ce qui concerne la photo « d’art », elle est le plus souvent, comme la
peinture à laquelle elle se réfère, accompagnée d’un titre ou d’une légende qui
oriente sa lecture et son interprétation. Enfin le cinéma muet est, on le sait,
largement accompagné de légendes verbales, narratives ou dialogiques, et
représente toutes sortes d’échanges verbaux qui, si nous ne les entendons pas,
n’en font pas moins partie intégrante de la représentation et justifient la
proposition de Michel Chion de parler de cinéma « sourd » plutôt que de
cinéma « muet »28.
Quant à la publicité, le verbal y intervient, qu’il soit graphique comme dans
les affiches et les magazines, ou graphique et oral comme à la télévision et au
cinéma.
Les écrans de toutes sortes utilisent eux aussi largement l’écrit. Bref, qu’il
soit oral ou écrit, le langage verbal accompagne le plus souvent l’image,
interagit avec elle pour produire un message global et cela de façon tellement
constante qu’un message visuel sans commentaire verbal se doit souvent de
préciser « sans légende », « sans titre », ou encore « sans paroles », ce qui
n’est pas peu paradoxal.
Pour Barthes, « il n’est pas très juste de parler d’une civilisation de
l’image : nous sommes encore et plus que jamais une civilisation de
l’écriture »29.
Le deuxième point qui concerne les rapports entre le linguistique et le
sémiotique est d’ordre plus théorique et philosophique. Il pose le problème
des relations entre langage et sens, entre langage et pensée, entre langage et
communication.
Pour Roland Barthes encore, « percevoir ce qu’une substance signifie, c’est
fatalement recourir au découpage de la langue : il n’y a de sens que nommé et
le monde des signifiés n’est autre que celui du langage […] ainsi quoique
travaillant au départ sur des substances non linguistiques, le sémiologue […]
est appelé à trouver tôt ou tard le langage (le « vrai ») sur son chemin, non
seulement à titre de modèle, mais aussi à titre de composant, de relais ou de
signifié […] Même s’il s’agit d’un langage qui n’est plus tout à fait celui des
linguistes, avec des unités plus larges […] ce sont des objets fonctionnant
sous le langage mais jamais sans lui.30 »
Pour Christian Metz, la nomination (la possibilité de transcoder en « mots »
une chose perçue) complète la perception elle-même qui, tant qu’elle n’a pas
atteint cette étape, n’est pas socialement achevée31.
Cette position, qui relève de la philosophie du langage, est encore débattue
comme telle, parce que, au-delà du langage, elle soulève le problème de la
relation entre le perçu et le déjà connu. C’est, en tous les cas, à partir de telles
prémisses que Barthes a proposé de renverser le rapport hiérarchique entre
sémiologie et linguistique proposé par Saussure : « La linguistique n’est pas
une partie, même privilégiée, de la science générale des signes, c’est la
sémiologie qui est une partie de la linguistique.32 »
Cette proposition s’inscrit en effet dans un courant de la philosophie du
langage selon lequel langage et pensée sont intimement liés, et qu’il n’existe
pas en réalité de pensée sans langage. « Quand je pense en parlant, je n’ai pas
dans l’esprit des “significations” en plus des expressions dont je me sers ;
mais le langage lui-même est le véhicule de la pensée »33, déclare
Wittgenstein, ou encore : « Penser n’est pas un processus incorporel qui
apporte vie et sens au parler et que l’on puisse détacher de la parole. »
Ce point de vue cautionnerait donc l’idée que nous avons abordée plus haut
que la sémantique est nécessairement une discipline linguistique et que,
comme la sémiotique, elle ne peut qu’être un champ de la linguistique, et non
l’inverse, comme le proposait Saussure.
Mais ce point de vue n’est pas celui de tous. Certains, à l’instar de Rudolph
Arnheim, estiment que la pensée médiatisée par le langage n’est pas le seul
mode de pensée dont nous disposons. Il existerait pour lui une pensée
sensorielle, « s’organisant directement à partir des percepts de nos organes
des sens. Parmi ces actes de pensée, une place privilégiée est accordée à la
pensée visuelle »34, proche, mais distincte, de la pensée verbale.
Il convient, pour Arnheim, de remettre « les mots à leur place ». Les
concepts mêmes « sont des images perceptives et les opérations de la pensée
consistent à traiter ces images » tandis que les mots désigneraient des
percepts. Arnheim ne croit pas que la parole seule rende la réflexion possible
et il distingue deux types de pensée perceptive qu’il dénomme respectivement
« cognition intuitive et cognition intellectuelle ».
La première s’organise en réseaux interactifs tandis que la deuxième
s’organise sous forme de chaîne (comme la chaîne verbale ou un
raisonnement mathématique). « Le langage se révèle être un médium
perceptif de sons ou de signes qui, à lui seul, n’est capable de conférer une
forme qu’à un très petit nombre d’éléments de la pensée […] Il est en
interaction avec les autres médias perceptifs, qui sont les principaux véhicules
de la pensée. » « On ne peut penser sans recourir aux images et les images
contiennent de la pensée. Aussi les arts visuels sont-ils pour la pensée un
terrain d’élection.35 »
Cette thèse d’Arnheim s’inscrit, quant à elle, dans un courant de pensée
plus large qui est le courant gestaltiste selon lequel « la perception du monde
est un processus d’organisation, de mise en ordre des données sensorielles
pour les rendre conformes à un certain nombre de grandes catégories et de
“lois” innées qui sont celles de notre cerveau »36.
D’autres pensent que ces catégories mentales de référence sont
effectivement déterminées par notre culture mais plus particulièrement encore
par notre langage. Le linguiste danois Hjelmslev, en particulier, montre37
comment « chaque langue établit arbitrairement des frontières » dans le
spectre des couleurs ; certaines couleurs, telles que des nuances de blanc
(neuf, dit-on pour les Esquimaux), de gris, de noir ou de brun, sont perçues et
nommées par certains peuples, ignorées, non perçues et innommables pour
d’autres. Il montre aussi qu’il existe des démarcations spécifiques pour les
zones du nombre « selon que les langues ne distinguent qu’un singulier et un
pluriel, ou qu’elles ajoutent un duel (comme le grec ancien ou le lituanien) » ;
il en est de même pour la zone temporelle dont l’analyse est perceptible à
travers l’usage des différents temps de chaque langue (avec ou sans prétérit,
avec ou sans frontière entre le présent et le futur, etc.).
Quoi qu’il en soit, nul ne doute que le langage verbal n’est pas le tout de la
communication, ni même de la compréhension. La communication
prélangagière avec les enfants, par exemple, le prouve. En revanche, on peut
admettre que le langage reste un outil privilégié de l’élaboration
communicable de la pensée et que sa formulation intelligible et verbalement
communicable coïncide avec un certain type d’achèvement.
Quant à l’image, on peut admettre aussi qu’elle mobilise toutes les parties
du cerveau, du plus archaïque au plus évolué, ce qui signifie qu’elle échappe
en partie au langage verbal, chez les jeunes enfants comme chez les adultes38.
2.2. Limites de la sémiotique
De ce débat sur l’opposition entre image et langage découle celui engagé
plus tard autour de la sémiologie de l’image et de la sémiotique en général.
Leur mérite, même si les attaques sont parfois injustes ou injustifiées, est de
mettre en relief les limites de la sémiotique. En effet, lorsque certains partent
en guerre contre ce qu’ils appellent la prédominance, voire la tyrannie, du
linguistique sur le sémiotique (critique volontiers formulée par l’école anglo-
saxonne à l’école française), ils dénoncent le fait que la sémiotique,
métalangage verbal, ne saurait rendre compte de la globalité de la
communication en général et de la communication visuelle en particulier.
L’attaque serait justifiée si l’on admettait que le sémiotique prétend
représenter le tout de l’appréhension et de la compréhension des messages de
quelque ordre qu’ils soient.
C’est là faire un procès d’intention assez sévère : pourquoi les sémiologues,
qui réfléchissent précisément sur les processus de signification, seraient-ils les
derniers à savoir que l’on ne communique pas uniquement avec le langage
verbal, alors que c’est précisément cette constatation qui a présidé à
l’imagination même de la sémiologie ? Les sémiologues ignorent-ils la
communication pré-langagière chez l’enfant et tous les phénomènes de
communication non verbale qui accompagnent tout acte de communication ?
Certainement pas.
La sémiotique a le projet scientifique de se préoccuper d’un point de vue
théorique et analytique des processus de signification (et donc
d’interprétation) non pas de façon globalisante ni généralisante (même si elle
a eu effectivement ce genre d’ambition un moment), mais à un niveau de
rigueur acceptable et fiable destiné à repérer et à justifier collectivement les
mécanismes et les limites de l’interprétation culturelle d’un message.
Personne ne prétend que ce type de préoccupation, pour important qu’il soit et
rigoureux qu’il se veuille, recouvre la totalité de l’expérience de
l’appréhension d’un message et donc de sa compréhension.
En ce qui concerne les messages visuels en particulier, tout le monde admet
que leur appréhension combine quasi simultanément plusieurs niveaux ou
types de réception qui construisent ensemble cette appréhension. Les
différentes théories de la connaissance ont appris à distinguer les différents
niveaux du sensible, du perceptif, de l’affectif, de l’intelligible. Comme
Saussure l’a montré à propos du signe linguistique, ces niveaux ne se
dissocient pas dans l’expérience, mais seulement artificiellement le temps de
l’analyse.
Le sémiotique, quant à lui, s’intéresse à l’interprétable, c’est-à-dire à ce qui
peut se dire ou se penser à partir d’une expérience donnée, dans un contexte
donné. Ce qui peut se dire ou se penser n’est pas le tout de la pensée, ni même
du dire manifesté des sociologues, mais bel et bien un possible raisonnable
compte tenu des codes mis en jeu, des conditions de la communication, de
l’historicité de la lecture, etc. « Le spectateur ou le lecteur le plus obtus peut
ne pas interpréter le message », comme le dit Umberto Eco39 mais le
sémiologue c’est précisément « celui qui voit du sens là où les autres voient
des choses », et qui donc montre, avec un minimum de preuves à l’appui,
quelles significations et quelles interprétations peuvent produire ces choses.
Compte tenu des informations sensibles, puis perceptibles du message, la
sémiotique tente de décrire un noyau minimal et collectif de sens induit. Elle
ne rendra certainement pas compte pour autant de l’émotion esthétique, par
exemple, ni du type de plaisir que celle-ci peut procurer. Elle ne rendra pas
compte non plus d’une interprétation systématique et assurée, mais elle en
indiquera les axes les plus probables à l’aide d’outils les plus rigoureux
possible. Elle ne rendra pas compte de la globalité de l’expérience mais
contribuera à la compréhension de l’un des niveaux qui la constituent, celui
de l’interprétation verbalisée.
Pour ce faire, avoir recours à la linguistique ou aux mécanismes de la
linguistique à titre d’outils, ou à titre de comparaison, est un choix théorique
et méthodologique qui a effectivement dominé les premiers temps de la
sémiologie et qui, comme tel, a été défendu ou combattu.
Mais ce n’est pas la seule incursion que la sémiotique a dû, et devra encore,
faire dans des champs extérieurs au sien pour progresser : en fonction de leurs
objectifs, les chercheurs vont emprunter des outils à la psychanalyse, à
l’esthétique, à la sociologie, à l’histoire, à l’histoire de l’art ou encore à la
philosophie ; et inversement la démarche sémiotique, nous le verrons,
permettra à son tour de comprendre et de relativiser certains aspects de ces
autres champs.
C’est en jouant sur des interactions de ce type que nous nous proposons,
quant à nous, de travailler et de réfléchir sur l’image. Les outils verbaux
aideront à comprendre les processus de significations qui, s’ils ne sont pas
eux-mêmes exclusivement verbaux, se mêlent néanmoins de langage à des
niveaux et à des degrés divers. Ce sont donc certaines modalités de cette
combinatoire que nous examinerons plus loin.
2.3. À propos de l’image
Il serait sans doute temps, à présent, de mieux cerner ce qui s’entend quand
on parle d’image. Nous avons fait pour notre part un inventaire des différents
usages et significations du mot « image » dans le langage courant ; cet
inventaire nous a amené à constater que l’image était d’une manière générale
comprise comme « quelque chose qui ressemble à quelque chose d’autre »40,
et, au bout du compte, comme une représentation analogique principalement
visuelle.
Mais nous voudrions ici comprendre les implications de l’utilisation de
termes comme « invasion » ou « prolifération » de l’image. Nul doute que
l’on fait alors essentiellement allusion à la télévision, à la publicité visuelle et
audiovisuelle, aux ordinateurs, au net et aux écrans de tous ordres. Que les
chaînes se multiplient et par conséquent les programmes, ceci est une réalité
incontestable. Néanmoins, le temps n’étant pas extensible, la multiplication
des programmes à la télévision n’implique pas nécessairement que tout le
monde passe brutalement tout son temps devant la télévision. On entend
souvent dire et répéter qu’avant la démocratisation de la télévision, les soirées
se passaient à lire, à parler, à se raconter des histoires, à faire de la musique,
etc. Sans doute, quelques fois, mais cette sorte de nostalgie d’un âge d’or pré-
télévisuel peut laisser aussi songeur. « Avant » la télévision, aussi, il y avait
de la non-communicabilité, des soirées contraintes et étouffantes ; « après » la
télévision, aussi, il y a du plaisir à regarder quelque chose ensemble, à le
commenter, à partager. Ces simplifications, mille fois entendues, ne sont en
réalité pas très sérieuses.
On a parlé beaucoup, de la même manière, de la désertion des salles de
cinéma due à la télévision. Des enquêtes régulières41 montrent qu’aux États-
Unis, où il y a plus de postes de télévision par habitant qu’en Europe, la
fréquentation des salles de cinéma est cependant plus assidue. On ne peut pas
nier qu’il y a multiplication d’écrans (ordinateurs, jeux vidéo, mobiles) mais
« écran » n’est pas synonyme d’image, même s’il en est le support fréquent.
Les réseaux multimédias manipulent des images, certes, mais aussi des textes
et des sons ; ils facilitent l’accès aux images, que l’on a souvent déjà
consultées ailleurs mais avec plus de difficultés, telles que des peintures, des
photographies, des cartes, etc.
3. L’image pour le sémioticien
Toutefois, les images sont bien multiples et la tâche du théoricien sera
précisément de chercher le modèle qui sous-tend ces diverses manifestations
visuelles que l’on appelle « images », « quelle que soit la forme sociale
qu’elle(s) prenne(ent), et que cette forme soit légitimée ou non (peinture,
cinéma, mais aussi timbre-poste, pièce de monnaie, dessin d’enfant) »42. À
cette liste on peut ajouter l’affiche, la photographie, la gravure, les images
numériques, l’imagerie médicale et scientifique, et ainsi de suite.
À côté d’approches qui peuvent nous aider à comprendre les mécanismes
de perception et de compréhension de l’image ainsi définie (comme
l’approche gestaltiste dont nous avons parlé plus haut), l’approche
sémiologique nous aidera à mieux comprendre la spécificité de la
communication par l’image en nous aidant précisément à cerner « ce qu’il y a
de commun entre un schéma de montage électrique et une photographie, entre
les graffitis de pissotière et l’illustration du style “ligne claire”, entre Piero
Della Francesca et le gribouillis d’enfant, entre les totems indiens de la côte
Ouest et Poussin ou Finlay, le Beniye japonais et la faïence de Rouen »43.
Mais l’image peut aussi être « reflet », « illustration », « ressemblance »,
« projection mathématique », « souvenir », « illusion », « réputation »,
« image mentale », « métaphore » : nous avons montré44 comment l’approche
sémiotique permet d’expliquer le point commun entre ces diverses utilisations
du mot.
La première démarche qui a permis l’éclaircissement de la situation a été
d’envisager l’image comme un signe particulier parmi les différents types de
signes que nous utilisons pour communiquer les uns avec les autres. Revenir
sur la notion même de signe n’est donc pas inutile.
3.1. La notion de signe
Nous avons vu que la notion de signe apparaissait dès l’Antiquité avec des
nuances de signification telles que « symbole » ou « indice ». Dans son livre
intitulé Le Signe, Umberto Eco présente « l’histoire et l’analyse » de ce
concept. Un petit récit ouvre l’ouvrage, mettant en scène un voyageur italien,
baptisé « Monsieur Sigma », qui souffrant de « mal de ventre », à Paris, doit
interpréter toutes sortes de données différentes pour arriver à se faire soigner
et présenter à son tour ses symptômes à l’interprétation du médecin.
De la recherche d’une cabine téléphonique à celle d’un médecin, du taxi
aux signaux routiers, de l’ascenseur à la langue, ce petit récit nous montre que
la situation la plus banale force tout individu à entrer dans un réseau de
systèmes de signes : « Certains sont directement liés à la possibilité
d’accomplir des opérations pratiques, d’autres relevant plus directement
d’attitudes que nous définirons comme “idéologiques”. »
Eco prend soin de signaler que cette « invasion de signes » ne caractérise
pas seulement une civilisation industrialisée et urbaine mais que « même
immergé dans la nature, Sigma vivrait dans un monde de signes : les
phénomènes naturels, en soi, ne communiquent rien. Ils ne “parlent” à Sigma
que dans la mesure où toute une tradition rurale lui a enseigné à les lire.
Sigma vit donc dans un monde de signes non parce qu’il vit dans la nature,
mais parce que, alors même qu’il est seul, il vit en société. »
Pour approcher ensuite de la subtilité du concept selon qu’il est employé
par tout un chacun, le linguiste ou le philosophe, Umberto Eco propose de
partir de l’usage commun et du bon sens. C’est une démarche que nous
adopterons pour notre part, en partant à notre tour d’expressions courantes
utilisant le terme même de « signe » telles que « donner signe de vie »,
« présenter des signes de fatigue », « faire un signe d’amitié », « s’exprimer
par signes », « voir un bon ou un mauvais signe », « la fumée, signe de feu »,
ou encore « les nuages, signe de pluie ». On voit déjà apparaître dans ces
expressions mêmes quelques-unes des caractéristiques ou des distinctions
élémentaires du signe.
On peut tout d’abord distinguer les signes intentionnels (signe de vie, signe
d’amitié) des signes non intentionnels (les nuages pour la pluie, la pâleur pour
la fatigue, le chat noir pour le mauvais sort) ; on peut noter que certains signes
sont perçus comme tels (le langage des sourds-muets, « sign language » en
anglais) tandis que d’autres, tels que ceux du langage parlé, le sont d’autant
moins facilement qu’ils sont plus « transparents ».
Dans chaque expression cependant on voit la mise en place d’une
dialectique de la présence/absence ou du manifeste/latent : quelque chose est
là, in praesentia, que je perçois (un geste, une couleur, un objet), qui me
renseigne sur quelque chose d’absent ou d’imperceptible, d’in absentia. Cette
caractéristique élémentaire du signe d’être à la place de quelque chose
d’autre, d’être un tenant lieu de, on la retrouve dans toutes sortes de signes,
qu’il s’agisse de symboles mathématiques, physiques ou chimiques, de cartes,
de dessins ou de diagrammes, d’emblèmes ou de signaux, de symptômes, etc.
On retrouve cette caractéristique dans une première définition générale du
signe donnée par le dictionnaire philosophique de Lalande pour qui un signe
est « un objet matériel, figure ou son perceptible, tenant lieu d’une chose
absente ou impossible à percevoir, et servant soit à la rappeler à l’esprit, soit à
se combiner avec d’autres signes pour effectuer une opération ».
Quoique cette définition oublie que nous avons cinq sens pour percevoir le
monde et que donc le goût, l’odorat et le toucher peuvent, au même titre que
la vue et l’ouïe, nous servir de médiateurs, elle a le mérite de souligner qu’un
signe existe rarement seul, mais qu’il s’inscrit le plus souvent dans un
système, même ouvert, lui-même intégré dans toutes sortes de réseaux
interactifs.
On note aussi que tous ces signes ne sont signes que parce qu’ils signifient,
c’est-à-dire que leur aspect perceptible met en œuvre un processus de
signification et donc d’interprétation, dépendant de leur nature, du contexte de
leur manifestation, de la culture du récepteur, de ses préoccupations. C’est lui
qui « associera », qui interprétera, qui établira tel ou tel type de rapport entre
la face perceptible du signe et sa signification.
Le signe peut, par exemple, mettre en œuvre des rapports logiques
différents entre ses deux faces : pour reprendre des exemples de Eco45, ces
rapports peuvent être des rapports d’identité tels que x = x ; des rapports
d’équivalence : drapeau rouge + faucille + marteau = communisme ; des
rapports de déduction : il y a de la fumée donc du feu ; ou encore des rapports
d’induction ou d’inférence : il a un fusil, il peut tuer.
C’est pourquoi nous préférons la définition très générale du signe que
propose Peirce : « Un signe est quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de
quelque chose sous quelque rapport ou à quelque titre.46 » Cette définition,
outre le fait d’intégrer toutes sortes de matérialités du signe (« quelque
chose » peut être un objet, un son ou une odeur), inclut la dynamique (« pour
quelqu’un ») et la relativité de l’interprétation (« sous quelque rapport ou à
quelque titre »).
Elle intègre ainsi la mise en œuvre de ce processus que Peirce a appelé la
sémiose, Hjelmslev la semiosis, d’autres la signification, processus actif et
circonstancié : « Un signe est d’abord ce qu’il fait et ce qu’il fait est sa
signification.47 »
On voit qu’une définition opératoire du signe doit nous permettre de
comprendre la nature, puis le fonctionnement de n’importe quel signe, qu’il
soit linguistique, gestuel, iconique ou autre. Si l’on a compris ce qu’est un
signe, ou plutôt ce que peut être un signe (c’est-à-dire « tout », selon Eco48), il
nous faut maintenant essayer de mieux comprendre son fonctionnement.
On se rappelle que Saussure, lorsqu’il avait voulu décrire la « nature » du
signe linguistique49 (l’unité de sens de la langue), avait proposé une structure
à deux termes. Rejetant l’idée selon laquelle la langue était une
« nomenclature, c’est-à-dire une liste de termes correspondant à autant de
choses », il avait établi que le signe linguistique correspondait à une entité
psychique à deux faces indissociables, aussi indissociables que le recto et le
verso d’une feuille de papier (sauf artificiellement le temps de l’analyse),
reliant un signifiant à un signifié. Le signifiant étant la face matérielle et
perçue du signe (son ou trace écrite) que l’on associait de façon culturelle et
« arbitraire », conventionnelle, à un signifié, correspondant quant à lui non
pas aux choses, mais à un concept. Cette structure est bien connue sous la
forme du rapport
Néanmoins le signe peut aussi se référer à un objet du monde ou à un
événement ou à une action dont la représentation manque dans une telle
structure minimale. C’est pourquoi une distinction maintes fois reprise entre
trois éléments, et non plus deux seulement, se retrouve dans un autre
diagramme montrant que tout signe, y compris linguistique, relie au moins
trois termes : un signifiant (perceptible), un référent (réalité physique ou
conceptuelle du monde) et un signifié :

On retrouve cette structure triangulaire chez Peirce, avec cependant une


autre terminologie :
Comme le signalait déjà Eco en 1972 dans La Structure absente, une figure
susceptible de représenter le processus sémiotique devrait, pour intégrer
toutes les incidentes susceptibles de faire varier la signification, beaucoup
plus s’approcher d’un polyèdre complexe que d’un triangle.
Néanmoins cette figure, maintes fois réenvisagée et rebaptisée comme le
démontre encore Eco dans son ouvrage sur Le Signe50, s’avère tout à fait
opératoire pour comprendre d’abord les bases des mécanismes du processus
sémiotique, puis les propositions de classification et de différenciation des
différents types de signes entre eux, dont l’image.
En parcourant ce graphique, on décrit la dynamique contenue dans la
définition proposée par Peirce : un signe c’est « quelque chose (ou
représentant) tenant lieu de quelque chose (un objet) pour quelqu’un sous
quelque rapport ou à quelque titre (un interprétant) ». Dynamique du signe
mettant toujours en place une relation d’inférence dans un système
d’instructions contextuelles. Si la terminologie change comme le fait
remarquer Eco51, le triangle, et le bon sens avec lui, demeurent.
3.2. Propositions de classification des signes
Ainsi, après avoir cherché à définir ce qu’est un signe, quelle est sa
structure élémentaire, la sémiotique générale s’attache à proposer une
classification des signes. Là encore, nous avons affaire à de multiples
propositions qui vont faire varier les critères de classification. Pour notre part,
et puisque nous ne sommes pas dans un ouvrage de sémiotique générale, nous
ne retiendrons que les propositions et les critères qui nous semblent utiles
pour mieux comprendre ce qu’est une image.
Nous retiendrons une proposition bien connue de Peirce52, d’une part, et
une autre de Thomas A. Sebeok53, sémioticien américain connu en particulier
pour ses travaux de zoosémiotique (étude de la communication chez les
animaux).
3.2.1. Propositions de Peirce
Un des critères retenus par Peirce54 (parmi d’autres) est celui de la relation
entre le representamen et l’objet, ou pour parler plus simplement, de la
relation entre le signifiant et le référent. Sous cet angle, trois grands types de
signes sont mis en évidence par Peirce : l’icône55, l’index, le symbole.
Cette typologie offre une première approche théorique de l’icône, puis de
l’image, en tant que signes spécifiques, qui se révèle très utile pour
comprendre en quoi la communication par l’image se distingue des autres
types de communication et pour mieux en maîtriser l’analyse comme la
conception. Nous ajouterons quelques précisions au sujet de cette
classification connue : – Le verbe grec eiko veut dire « être semblable à »,
« ressembler », précise Peirce56. L’icône est donc pour Peirce le signe dont le
signifiant a une relation de similarité avec ce qu’il représente, son référent.
Les propriétés intrinsèques de l’icône correspondent à celles de l’objet
« que cet objet existe réellement ou non […] N’importe quoi, qualité, individu
existant ou loi, est l’icône de quelque chose pourvu qu’il ressemble à cette
chose et soit utilisé comme signe de cette chose. […]57 »
Il convient, là comme ailleurs, de bien distinguer référent et signifié : le
signifié, entité culturelle, se construit avec le référent – ou l’objet –, eux-
mêmes entités culturelles, mais aussi avec le contexte de la communication, la
spécificité des protagonistes, etc.
Ainsi, une carte postale (signifiant) représentant une plage de sable fin
bordée de cocotiers (référent) pourra être considérée comme une icône car
elle « reprend » un certain nombre de qualités de son référent : formes,
proportions, couleurs, motifs, etc. En revanche cette icône aura des signifiés
différents selon qu’elle sera lue par un citadin occidental ou par un pêcheur
caribéen : pour l’un le signifié sera « vacances, évasion, exotisme… », pour
l’autre il pourra être « travail, pêche ».
Cet écart entre référent et signifié est abondamment exploité en publicité :
telle photographie (icône) de cheval galopant dans l’eau (référent) signifiera
« liberté » ou « virilité » (signifiés), selon le contexte.
La distinction entre référent et signifié correspond à une distinction connue
sous les termes de dénotation et connotation, dont nous reparlerons. Insistons
déjà sur le fait que les deux notions recouvrent des « entités culturelles »
perceptives, conceptuelles et contextuelles.
L’index ou indice, signe caractérisé par une relation de contiguïté
physique avec ce qu’il représente, une relation de causalité,
semble concerner avant tout les signes « naturels » tels que la
fumée pour le feu, les nuages pour la pluie. La trace, exemple
type d’indice, peut affecter d’autres types de signes que l’on
classerait spontanément dans une autre catégorie de signes et
leur donner par là une force particulière.
Enfin le symbole entretient avec ce qu’il représente une relation
arbitraire, conventionnelle. Entrent dans cette catégorie les
symboles au sens usuel du terme tels que les anneaux
olympiques, différents drapeaux ou encore des allégories telles
que la femme nue aux yeux bandés pour représenter
conventionnellement la Vérité. Mais on se rappelle que Peirce
fait aussi rentrer dans cette catégorie le langage verbal et donc le
signe linguistique.
Cette tripartition est extrêmement célèbre, quoique pleine d’imperfections
qui ne résistent pas à une analyse rigoureuse58. Elle demeure cependant très
utile pour l’analyse et la meilleure compréhension de l’impact de certaines
images, à condition de n’être pas appliquée aveuglément.
3.2.2. Propositions de Sebeok
Nous aimerions compléter cette classification par celle proposée par
Thomas Sebeok qui, reprenant la classification de Peirce (icône, indice,
symbole), la complète par trois autres types de signes basés sur d’autres
critères de classification que celui de la relation signifiant-référent.
Ce sont le signal, dont le critère est le comportement que le signe induit
chez le destinataire ; le symptôme, dont le critère est l’intention et le degré de
conscience chez l’émetteur ; et le nom, dont le critère reste une pure relation
entre signifiant et référent.
Avant de préciser la définition de ces trois nouvelles catégories de signes,
nous voudrions évoquer ce que Sebeok59 présente en préambule de sa
proposition de classification et qu’il appelle la catégorie des signes zéro, ou
quand l’absence de signe fait signe : « Dans plusieurs systèmes de signes –
notamment dans le langage – lorsque les conditions du contexte sont
favorables, un signifiant peut parfois trouver sa signification dans l’absence
de signe ; c’est la forme “zéro”. » Ainsi l’absence d’un « bonjour », lorsque
deux personnes qui se connaissent se rencontrent pour la première fois le
matin, peut signifier l’hostilité.
Sebeok ajoute que « les signifiants zéro » se retrouvent également dans la
communication animale. Ainsi, précise-t-il, « le cri d’alarme de l’éléphant
africain est le silence ».
Le signal : pour en revenir aux autres catégories de signes, Sebeok nous dit
qu’un signal est un signe dont le signifiant appelle automatiquement ou
conventionnellement une réaction de la part du récepteur ; automatiquement
voulant dire « naturellement » (ainsi un violent coup de tonnerre fera
sursauter celui qui l’entend), tandis que conventionnellement se comprend
comme « artificiellement » et peut correspondre au coup de pistolet qui
commande le départ des coureurs calés sur leur starting-block. Certains
messages visuels, comme les signaux routiers, ou même certaines publicités,
peuvent ainsi comprendre une dimension de signal dans la mesure où ils
cherchent à provoquer des comportements systématiques d’obéissance ou
d’achat.
Le symptôme, lui, est un signe compulsif automatique qui a pour
particularité d’avoir une signification différente pour le destinateur (le patient
qui émet des symptômes « subjectifs ») et pour le destinataire (le médecin qui
observe des symptômes « objectifs »). Parce que les symptômes font partie
des premiers signes identifiés (par la médecine grecque), ils constituent, selon
Sebeok, une catégorie importante pour toute investigation dans la théorie des
signes.
Quant à nous, ils nous intéressent dans la mesure où leur connotation
médicale n’est pas exclusive mais peut s’étendre à d’autres domaines (on peut
parler des « symptômes » du colonialisme ou de la crise) et donc impliquer
une position spécifique de l’observateur d’une part, tout en intégrant la non-
intentionnalité de l’information, d’autre part.
Le nom propre, enfin, est un signe particulier dans la mesure où son
référent est une classe d’extension. « Tous les individus qui portent le même
nom propre, par exemple Véronique, n’ont aucune particularité commune
sauf le fait qu’ils répondent tous au nom de Véronique… Un nom est
simplement une page blanche, à moins qu’une description se référant au
même objet ne soit ajoutée, par exemple “Véronique au mouchoir blanc”,
sainte Véronique, etc. »
Cette catégorie, qui peut sembler loin de nos préoccupations, nous sera
néanmoins utile car nous verrons que certaines figures visuelles, en particulier
en publicité, peuvent fonctionner à leur tour comme des noms propres,
comme des classes d’extension.
Si nous avons retenu cette classification (parmi d’autres), c’est parce
qu’elle complète utilement celle, simplifiée, de Peirce et parce que Sebeok
insiste lui aussi sur le fait qu’il propose plus une répartition des aspects du
signe qu’une classification à proprement parler. Comme Peirce, Sebeok invite
à la prudence en signalant qu’il n’existe pas de signe « pur », mais des signes
« à dominante » iconique, indiciaire ou symbolique.
Ainsi, il entre une grande part de convention (de symbole) dans la
représentation visuelle ; une icône (comme le drapeau américain) sera
symbolique (une étoile = un État) ; certains indices (tels que la trace de pas)
peuvent avoir un aspect iconique, de ressemblance ; le symbole lui-même
peut n’être pas dénué d’aspect iconique (la balance représentant la justice
évoque l’équilibre du jugement) ou indiciaire (le langage lui-même comprend
cette dimension, par exemple dans l’onomatopée ou même dans
l’organisation de la phrase et l’ordre des mots). De même un symbole verbal
comme un impératif (« sortez ! ») est le plus souvent doté d’une valeur de
signal.
Toutes ces nuances dépendent du système socio-culturel de représentation.
On peut ainsi appliquer à n’importe quel type de signe la formule de Charles
Morris à propos de l’icône : « Iconicity is… a matter of degree » (1971).
Ce que nous retiendrons de ces propositions de classification des signes,
c’est que si leur spécificité intervient de façon déterminante dans la
production de signification, il faut néanmoins toujours tenir compte de leurs
différents aspects en fonction du contexte de leur manifestation.
3.3. L’icône et l’image
Parmi toutes ces propositions de classification, l’image n’apparaît pas en
tant que telle. Disons « pas encore » : nous pressentons qu’elle s’apparente à
l’icône (le signe qui ressemble à ce qu’il représente) et néanmoins elle n’a pas
encore de place théorique. C’est qu’en effet Peirce en fait une sous-catégorie
de l’icône. Si, selon lui, l’icône est un type de signe spécifique, dont en
particulier le signifiant a une relation d’analogie avec ce qu’il représente,
alors il convient de distinguer différents types d’analogies et donc différents
types d’icônes.
Peirce en propose trois : l’image, le diagramme et la métaphore60.
L’image, c’est le signe iconique qui met en œuvre une ressemblance
qualitative entre le signifiant et le référent. Elle imite, ou reprend, un certain
nombre des qualités de l’objet : forme, proportions, couleurs, texture, etc. Ces
exemples concernent essentiellement l’image visuelle.
Toutefois, cette nouvelle classification a aussi le mérite de faire apparaître
qu’une image n’est pas nécessairement visuelle. Comme nous le rappelions
déjà plus haut, nous appréhendons le monde avec nos cinq sens et on peut
donc non seulement imiter les qualités visuelles d’un objet, mais aussi ses
qualités sonores, olfactives, tactiles ou encore gustatives. Ainsi les
enregistrements « audio » ou encore les bruitages sont aussi, en théorie, des
« images » sonores, les parfums et les goûts synthétiques que l’on peut
trouver dans tel ou tel aliment, des « images » olfactives et gustatives, les
matériaux qui imitent, au toucher, le bois, le cuir ou la soie, des « images »
tactiles.
On se rappelle alors que si l’usage courant du mot « image » renvoie en
priorité aux images visuelles (télévision, peinture, cinéma, photo, dessin,
images numériques), il sert aussi à parler d’« image de soi », d’« image de
marque » voire d’« images mentales ». La théorie nous permet de comprendre
que ces termes renvoient non pas à une matérialité commune mais bien à un
mode de fonctionnement commun, qui consiste à reprendre ou à fabriquer,
comme si on les reprenait, des qualités de l’objet, ou que l’on veut faire
associer à l’objet comme si elles lui appartenaient.
Quant à nous, nous travaillerons principalement sur les images visuelles,
mais nous verrons aussi qu’elles n’exploitent pas le mécanisme de l’image
sous son seul aspect visuel.
Le diagramme : Peirce distingue, nous l’avons dit, une autre catégorie
d’icône, le diagramme. L’analogie mise en jeu entre le signifiant et son
référent n’est plus qualitative mais relationnelle. C’est-à-dire que ce que le
diagramme reproduit ce sont les relations internes de l’objet et non plus ses
qualités externes. Les plans, les cartes, les circuits, ou encore les
organigrammes sont des diagrammes, au sens peircien du terme.
La métaphore, enfin, serait un troisième type d’icône parce qu’elle mettrait
un troisième type d’analogie en place : le parallélisme qualitatif. L’apparition
de la métaphore comme sous-catégorie d’icône peut sembler curieuse au non-
initié puisque étant une des figures de rhétorique les plus connues, les plus
utilisées, et les plus étudiées61, la métaphore semble concerner avant tout le
langage verbal.
Néanmoins, s’il est vrai que la rhétorique comme « art » (au sens
étymologique de « technique ») du bien parler et comme « art » de convaincre
s’est rapportée dès l’Antiquité aux techniques de manipulation de la langue,
l’hypothèse que les procédés de rhétorique pouvaient concerner d’autres
langages que le langage verbal s’est confirmée dans la deuxième moitié du
XXe siècle où, parallèlement à la sémiologie de l’image, le concept de
rhétorique générale s’est mis en place62.
On se rappelle l’hypothèse célèbre de Barthes63 selon laquelle on devrait
retrouver dans l’image (et dans l’image publicitaire en particulier, d’où il
partait pour des raisons que nous rappellerons plus loin) la plupart des
grandes figures de la rhétorique classique. Des travaux ultérieurs64 ont montré
que l’on ne retrouvait pas seulement quelques-unes des grandes figures
classiques mais toutes et que si l’on était dans les signes, on était aussi, et
nécessairement, dans la rhétorique. Ainsi, cette proposition de classer la
métaphore dans la catégorie des icônes est-elle à la fois extraordinairement
audacieuse de la part de Peirce, tout au début du siècle, et extraordinairement
lucide. En effet, il perçoit la métaphore non pas comme une figure verbale,
mais comme un mécanisme, un procédé de substitution, mettant en relation
une proposition explicite – ou montrée – mise en rapport avec une proposition
implicite – ou non montrée – et entretenant avec celle-ci des relations de
parallélisme qualitatif ou de comparaison implicite ; un procédé travaillant à
nouveau sur l’analogie qualitative (comme l’image) mais cette fois de façon
implicite et comparative.
3.4. Vers la sémiologie de l’image
On voit, à travers toute cette évocation de l’élaboration d’une pensée
sémiotique, d’une considération de l’image comme un signe particulier, un
terrain propice à l’apparition de la sémiologie de l’image. Cependant celle-ci
ne se met pas en place au même moment que la pensée et le début de
constitution d’une sémiotique générale. Lorsque dans les années soixante,
l’« aventure sémiologique » commence en France, les travaux de Peirce sont
inconnus en Europe et si la démarche sémiologique se précise petit à petit
autour de l’analyse sémiologique de l’image, celle-ci n’est curieusement pas
précédée d’une définition théorique générale de l’image.
Les premiers travaux de Barthes, par exemple, s’intéressent aux « messages
photographiques »65 et traitent essentiellement de la « photographie de
presse ». Plus tard, étudiant la « rhétorique de l’image », il analyse une
publicité visuelle66. Mais auparavant, il précise l’étymologie du mot
« image » et se pose la question de savoir si elle comprend ou non des signes
formant système : « Selon une étymologie ancienne, le mot image devrait être
rattaché à la racine de imitari. Nous voici tout de suite au cœur du problème
le plus important qui puisse se poser à la sémiologie des images : la
représentation analogique (la “copie”) peut-elle produire de véritables
systèmes de signes […] ? » Mais on comprend implicitement par la suite
qu’est posée comme « image » la représentation visuelle analogique, c’est-à-
dire ce qu’on appelle couramment « image », mais que la complexité
beaucoup plus générale du concept, déjà formulée par Peirce, n’est pas encore
envisagée.
Cette absence de théorisation s’explique par le fait que la réflexion du
moment est encore trop inféodée à la linguistique structurale et que la
différence principale que l’on relève entre le langage visuel et le langage parlé
est celle de la « continuité » d’un « code » analogique (l’image) opposée à la
discontinuité d’un « code » digital ou discret (la langue).
C’est ce que Eliséo Véron appelle la « dérive structuraliste »67 et qui
empêchera, selon lui, que la « sémiologie de l’image » ne voie vraiment le
jour à cette époque-là. Cependant les travaux ultérieurs, la découverte de
Peirce, permettront, comme le montre Le Traité du signe visuel publié par le
Groupe μ68, d’élaborer les outils d’une sémiotique des messages visuels.
Nous explorerons quelques-unes des étapes clés de cette recherche au
chapitre 3, mais auparavant nous voulons montrer comment la notion même
de signe, et celle de signe visuel en particulier, telles qu’elles ont été
présentées dans ce chapitre, permettent d’envisager et de comprendre certains
aspects du statut de l’image dans quelques moments forts de l’histoire de la
représentation visuelle en Occident.
4. Conclusion
Faisons une pause, et récapitulons donc ce que cette amorce d’approche
sémiotique de l’image nous apporte et ce qu’elle nous aide à mieux
comprendre :
tout d’abord que l’image – au sens commun du terme, comme au
sens théorique – est outil de communication, signe, parmi tant
d’autres, « exprimant des idées » par un processus dynamique
d’induction et d’interprétation ;
qu’elle se caractérise par son mécanisme (l’analogie avec le
représenté et ses différents aspects) plus que par sa matérialité,
ce qui explique à la fois le flou et la justesse de l’emploi multiple
du terme d’« image » ;
que travailler sur l’image visuelle (fixe) est un choix, et non une
nécessité, puisqu’on aurait pu travailler sur l’image sonore, ou
sur l’image verbale, ou encore sur l’image mentale ;
qu’il n’y a pas d’icône ni d’image « pures » et que donc ses
emprunts aux mécanismes d’autres types de signes sont à
prendre en compte pour étudier l’interprétation induite ;
que le simple fait de choisir de s’exprimer par l’image visuelle est
déterminant pour l’interprétation car ce choix même met en jeu
des types d’associations mentales et des champs associatifs bien
spécifiques tels que l’analogique, le qualitatif, le relationnel ou
le comparatif.
Cette première approche s’est voulue synthétique pour situer le champ et
l’objet de notre étude. Il est évident qu’un grand nombre de points demandent
encore à être abordés : la notion d’analogie et de ressemblance qu’elle
implique ; la notion d’indice et avec lui le problème des images indiciaires ; la
distinction entre signe et message visuel ; les paramètres élémentaires de
l’image ; la rhétorique visuelle, etc. Nous aborderons ces points aux troisième
et quatrième chapitres.
Nous aimerions désormais voir comment cette première approche théorique
des signes, de l’icône et de l’image visuelle en particulier, nous permet de
mieux comprendre le statut de l’image dans notre société, le type de regard
que l’on porte sur elle et le type d’attente qu’elle suscite. Parcourir quelques
moments forts de l’histoire de la représentation visuelle à la lumière de ces
données de la théorie sémiotique aidera à mieux cerner la spécificité de la
communication par l’image visuelle ainsi que le poids culturel qui s’attache à
elle.
1 - 460-377 av. J.-C.
2 - Cf. Umberto Eco, Le Signe, trad. fr., Bruxelles, Éd. Labor, coll. « Média », 1988 : réédition et
mise à jour d’un ouvrage plus ancien (1973), ce livre étudie le concept de signe de l’Antiquité à nos
jours et constitue une introduction utile aux problèmes de la sémiotique contemporaine.
3 - Cf. Umberto Eco, Sémiotique et philosophie du langage, trad. fr., PUF, 1988.
4 - 1839-1914.
5 - 1857-1913.
6 - Cf. « Vienne, début d’un siècle », in Critique no 339-340, août-septembre 1975, ou le volumineux
Vienne 1880-1938, l’Apocalypse joyeuse, sous la direction de Jean Clair, Éditions du Centre Pompidou,
1986.
7 - In Sémiotique et philosophie du langage, op. cit.
8 - 1906-1910, dont on peut lire l’édition commentée par Tullio de Mauro in Ferdinand de Saussure,
Cours de linguistique générale, Payot, coll. « Payothèque », 1974.
9 - Ibid., in « Introduction ».
10 - Locke (1632-1704) avait déjà envisagé une sémiotikè comme science des signes et en particulier
des mots, signes des idées.
11 - En France, ce sera l’« école de Perpignan » et son chef de file, Gérard Deledalle, qui lanceront
un courant important d’études peirciennes. De ce dernier, on pourra lire, en particulier, Théorie et
pratique du signe, introduction à la sémiotique de Charles S. Peirce, Payot, 1979.
12 - On trouvera un panorama du développement des différentes tendances de la sémiotique, de ses
précurseurs aux années 80, dans Sémiologie des messages sociaux, de André Helbo, Médiathèque
Edilig, 1983.
13 - Comme Buyssens, Mounin, Martinet, Prieto…
14 - Telle qu’a pu la présenter, par exemple, Pierre Guiraud, in La Sémiologie, PUF, coll. « Que sais-
je ? », 1977.
15 - Pour succéder au cercle linguistique de Moscou (1915-1920) dont Jakobson avait aussi été l’un
des cofondateurs.
16 - Cf. Louis Hjelmslev, Prolégomènes à une théorie du langage, trad. fr., Éd. de Minuit, 1976.
17 - Cf. Emilio Garroni : Progetto di semiotica, Bari, 1972, suivi quelques années plus tard de
Ricognizione della semiotica, Officina edizioni, 1977 ; ou Umberto Eco, 1970, « Sémiologie des
messages visuels », in Communications no 15, Seuil, et surtout : La Structure absente, trad. fr. Mercure
de France, 1972, suivi en 1975 de « Pour une reformulation du concept de signe ico-nique », in
Communications, no 29 ou, en 1976, de La Production des signes, récemment traduit en français (1992)
dans la collection « Essais » du Livre de Poche.
18 - Signifiant, ou « face perceptible d’un signe » (son, graphisme, geste, etc.). Nous reviendrons
abondamment sur cette notion.
19 - Cf. A.-J. Greimas, in Sémantique structurale, Larousse, 1966.
20 - In A.-J. Greimas et J. Courtes, Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie du langage,
Hachette, 1993.
21 - A.-J. Greimas et J. Courtès, ibid.
22 - In Sémiotique et philosophie du langage, op. cit.
23 - Umberto Eco, Le Signe, op. cit.
24 - In « Argument », introduction à « Destins de l’image », in Nouvelle Revue de psychanalyse,
no 44, automne 1991, Gallimard.
25 - C’est le point de vue que défendait McLuhan en 1964, dans Pour comprendre les médias.
26 - « Présentation », in Communications no 4, « Recherches sémiologiques », Seuil, 1964.
27 - Cf. Pierre Bourdieu (sous la dir.), Un art moyen, essai sur les usages sociaux de la photographie,
Éd. de Minuit, 1965.
28 - M. Chion, Le Son au cinéma, Cahiers du cinéma, Éd. de l’étoile, 1985.
29 - R. Barthes, « Rhétorique de l’image », in Communications no 4, Seuil, 1964.
30 - R. Barthes, « Présentation », ibid.
31 - Ch. Metz, « Le perçu et le nommé », in Essais sémiotiques, Klincksieck, 1977.
32 - R. Barthes, « Présentation », ibid.
33 - L. Wittgenstein, Recherches philosophiques, Gallimard, 1961 (trad. fr.).
34 - R. Arnheim, La Pensée visuelle, Flammarion, 1976 (trad. fr.).
35 - R. Arnheim, op. cit.
36 - Cf. Jacques Aumont, L’Image, Nathan, 1990, ainsi que le rappel qu’il fait des travaux de Hugo
Munsterberg à ce sujet.
37 - Louis Hjelmslev, Prolégomènes à une théorie du langage, op. cit.
38 - Cf. à ce sujet, Bertram D. Lewin : « La vie dure de l’image », et Jean-Paul Demoule : « Ces
images sans paroles », in « Destins de l’image », Nouvelle Revue de psychanalyse, numéro cité.
39 - In Sémiotique et philosophie du langage, op. cit.
40 - In Martine Joly, Introduction à l’analyse de l’image, chap. 1, « Qu’est-ce qu’une image ? », op.
cit.
41 - Comme celles du CNC, par exemple.
42 - Groupe μ, Traité du signe visuel, op. cit.
43 - Groupe μ, ibid.
44 - In Martine Joly, Introduction à l’analyse de l’image, op. cit.
45 - In Sémiotique et philosophie du langage, op. cit.
46 - In Écrits sur le signe, Seuil, 1978.
47 - Peirce, ibid.
48 - Le Signe, op. cit.
49 - Cours de linguistique générale, op. cit.
50 - Cf. Le Signe, op. cit., où Umberto Eco répertorie une dizaine de termes pour chaque sommet du
triangle, selon les théoriciens.
51 - Le Signe, op. cit.
52 - In Écrits sur le signe, op. cit.
53 - T. A. Sebeok, « Six espèces de signes : propositions et critiques », in Degrés, revue de synthèse à
orientation sémiologique, no 1, 1974.
54 - Cf. la présentation de cette classification que nous avons faite in Introduction à l’analyse de
l’image, chap. 1, op. cit.
55 - Pour éviter les confusions, nous proposons d’orthographier l’icone, signe spécifique, sans accent
circonflexe, car le terme est emprunté à l’américain (non accentué) de Peirce ; l’icone théorique se
distinguera ainsi plus facilement de l’icône religieuse byzantine.
56 - In Peirce, Écrits sur le signe, op. cit.
57 - Ibid.
58 - Comme le démontre Umberto Eco, in Le Signe, op. cit.
59 - T.A. Sebeok, art. cité.
60 - Nous complétons ici de quelques précisions sur ses implications la présentation de cette sous-
catégorie de l’icone faite dans Introduction à l’analyse de l’image, chap. 1, op. cit.
61 - Umberto Eco, dans Sémiotique et philosophie du langage, op. cit., dénombre plus de trois mille
articles théoriques consacrés à la métaphore.
62 - Cf. le rappel de cette évolution dans Martine Joly, Introduction à l’analyse de l’image, chap. 3,
op. cit.
63 - In « Rhétorique de l’image », art. cité.
64 - Jacques Durand, « Rhétorique et image publicitaire », in Communications no 15, Seuil, 1970 ;
Groupe μ, Rhétorique générale, Larousse, 1970.
65 - In Communications no 1, Seuil, 1961.
66 - In Communications no 4, Seuil, 1964.
67 - In « De l’image sémiologique aux discursivités ; le temps d’une photo », in Hermès no 13, 1994.
68 - Seuil, 1992.
Chapitre 2
L’image suspectée
1. Le soupçon antique
Nous avons vu que l’image était soupçonnée de menacer le langage, au
risque de le supplanter, voire de le faire disparaître ; on accuse en effet
volontiers l’image (et en particulier l’image médiatique) d’être nocive,
envahissante, d’exercer une mauvaise influence – surtout sur la jeunesse ; à
l’inverse, celle-ci peut être aussi considérée comme bénéfique, comme un
outil de connaissance plus riche et plus complet que le langage, comme un
véhicule privilégié de la pensée et de la culture, comme un champ productif
de l’art. Bref, nous assistons régulièrement à un débat soutenu et
contradictoire autour de l’image, mettant en jeu des jugements de valeurs
radicaux, entre fascination et mépris.
L’image est au cœur d’un débat axiologique, plus que tout autre type de
langage : on critiquera la bonne ou la mauvaise utilisation du langage verbal
dans la presse, par exemple, ou dans la littérature contemporaine, mais on ne
jugera pas la « nature » même du langage. On laisse ce genre de
préoccupation à la philosophie du langage. En revanche, chacun a une opinion
sur la « nature » de l’image jugée d’emblée bonne ou mauvaise. Le débat
semble particulièrement aigu et lié à la fameuse « prolifération » ou
« invasion » contemporaines des images.
Une investigation historique, rappelant quelques moments clés du débat
autour de l’image, nous montrera qu’en réalité celui-ci n’est pas neuf mais
qu’il puise au contraire son aspect axiologique dans un passé apparemment
oublié, mais cependant encore bien actif.
Ce détour anthropologique montrera aussi que si le débat tourne autour de
la nature de l’image, la théorie sémiotique permet de cerner la spécificité des
différents aspects de cette nature, selon qu’il s’agit d’une image fabriquée de
la main de l’homme (peinte) ou non fabriquée de la main de l’homme (image
achéropoïète).
On verra comment cette différence permet d’expliquer le procès
d’irréférence fait à l’image tout comme l’annonce de sa mort.
Le débat autour de l’image n’est en effet pas nouveau même s’il est aiguisé
par le phénomène médiatique qui exacerbe sans doute la spécificité du
fonctionnement de l’image, tout comme l’image publicitaire exacerbait, selon
Barthes, celui de la rhétorique de l’image1.
En fait, le débat autour de l’image se manifeste en Occident en même
temps que la réflexion sur le langage, dans le débat philosophique de
l’Antiquité comme dans le débat religieux.
1.1. L’image « mimesis » : l’image peinte
Le point principal des débats autour de l’image peinte semble être en
premier lieu celui de l’imitation et de ses implications. L’imitation qui, pour
Platon, comme pour Aristote, nous le verrons, concerne, bien sûr la peinture,
mais aussi les autres arts tels que la poésie ou la tragédie.
1.1.1. L’image peinte chez Platon
Ainsi, Platon déclare dans le livre X de La République2 à propos de
l’imitation : « Je ne conçois pas bien moi-même quel est son but. » Il
démontre qu’elle n’a d’autre fonction que de séduire la partie la plus vile de
notre âme et de nous détourner de la vérité et de l’essentiel. Pour ce faire il
utilise la « parabole » des trois lits : il existe trois sortes de lits auxquelles
président Dieu, le menuisier et le peintre. Dieu « a fait unique (un) lit qui est
le lit essentiel », l’idée de lit, c’est-à-dire l’essence du lit, le lit réel, la forme
« naturelle » du lit.
Aucun ouvrier humain ne peut produire le lit « naturel », car la vraie nature
pour Platon est le monde des essences intelligibles, le monde des Idées.
L’artisan ne peut donc produire qu’un lit « artificiel ». Le menuisier est
cependant « l’ouvrier du lit » et le producteur de cet objet, ce que n’est
nullement le peintre imitateur : ainsi « tu appelles imitateur l’auteur d’un
produit éloigné de la nature de trois degrés ». En effet pour Platon, l’image du
peintre, comme celle du poète, est l’image d’une image du réel.
Ce que le peintre se propose d’imiter (comme le poète tragique ou le
poète), ce n’est pas cet objet unique même qui est dans la nature, ce sont les
ouvrages des artisans tels qu’ils paraissent à leur tour et non pas tels qu’ils
sont : « Si tu regardes un lit obliquement ou de face ou de toute autre façon, il
n’est pas différent de lui-même, mais il paraît être différent… » Quel but se
propose donc la peinture relativement à chaque objet ? : « Est-ce de
représenter ce qu’il est tel qu’il est, ou ce qui paraît tel qu’il paraît ? Est-ce
l’imitation de l’apparence ou d’une vérité ? De l’apparence.3 » L’art d’imiter
est ainsi bien éloigné du vrai de trois degrés, et, s’il peut tout exécuter c’est
précisément, semble-t-il, parce qu’il ne touche qu’une petite partie de chaque
chose, et que cette partie n’est qu’un « fantôme ». Il y a donc trois arts (au
sens étymologique du terme) qui répondent à chaque objet : l’art qui s’en sert,
l’art qui le fabrique et l’art qui l’imite.
De plus, Platon accuse l’imitateur de ne pas connaître les arts dont il parle :
« Le joueur de flûte renseigne le fabricant sur les flûtes, tandis que l’imitateur
n’aura ni science ni opinion juste touchant la beauté ou les défauts des objets
qu’il peint. L’imitateur n’a qu’une connaissance insignifiante des choses qu’il
imite.4 » L’imitation est un badinage indigne des gens sérieux.
Plus grave, ce badinage s’adresse à la partie de nous-mêmes la moins
raisonnable car nous nous laissons aller à des émotions et à des sentiments
que nous chercherions raisonnablement à maîtriser si nous étions dans une
situation réelle : « Les mêmes objets paraissent brisés ou droits, selon qu’on
les regarde dans l’eau ou hors de l’eau, concaves ou convexes suivant une
autre illusion visuelle produite par les couleurs, et il est évident que tout cela
jette le trouble dans notre âme. C’est à cette infirmité de notre nature que la
peinture ombrée, l’art du charlatan et cent autres inventions du même genre
s’adressent et appliquent tous les prestiges de la magie. »
Le charme naturel du rythme et des couleurs ignore la mesure et la raison :
« La peinture et en général tout art imitatif accomplit son œuvre loin de la
vérité et [que] d’autre part il a commerce, liaison et amitié avec la partie de
nous-mêmes qui répugne à la sagesse et ne vise à rien de sain ni de vrai. »
La conclusion de toute cette démonstration est donc nécessairement sévère
et exclusive : « Ainsi médiocre accouplée à médiocre, l’imitation n’engendre
que du médiocre. »
Une critique plus sévère encore de l’imitation porte sur le pouvoir
d’illusion et sur ses dangers. En effet, le bon peintre fera « illusion aux
enfants et aux ignorants en peignant un charpentier et en le montrant de loin,
parce qu’il lui aura donné l’apparence d’un charpentier véritable.5 »
Mais le danger est plus grand encore comme il est déclaré dans Le
Sophiste : « Fort de sa technique de peintre, [celui-ci] pourra, exhibant de loin
ses dessins aux plus innocents parmi les jeunes garçons, leur donner l’illusion
que, tout ce qu’il veut faire, il est parfaitement à même d’en créer la réalité
vraie. » Le peintre peut donc donner l’illusion, en créant des simulacres
imitant parfaitement la réalité, qu’il peut créer la réalité même, et se donner
ainsi pour l’égal de Dieu.
Nous voyons donc ici que l’image peinte est condamnée à plusieurs titres
en tant qu’imitation : elle est éloignée de la vérité de trois degrés, elle est
ignorante, elle nous touche en dépit de notre raison, elle est trompeuse et,
enfin, elle donne l’illusion de la maîtrise de la réalité même. Elle n’a donc pas
sa place dans la Cité où elle ne pourrait avoir aucune utilité d’aucun ordre.
1.1.2. L’image peinte chez Aristote
Pour Aristote au contraire, l’imitation, et la peinture en particulier, est
bonne parce que utile. Elle participe en effet à l’éducation de l’être humain
tout en lui faisant plaisir.
Dans la Poétique6, à l’instar de Platon, Aristote associe étroitement
l’imitation et les différents arts : « Car de même que certains (les uns grâce à
l’art et les autres grâce à l’habitude) imitent par les couleurs et le dessin des
choses dont ils nous tracent l’image, de même que d’autres imitent par la
voix, ainsi en est-il dans les arts précités : tous réalisent l’imitation par le
rythme, le langage et la mélodie, combinés ou non.7 »
Simplement, « les arts diffèrent selon ce qu’ils imitent (en mieux ou en
moins bien) et comment ils imitent (en racontant ou en présentant les
personnages comme “en acte”, agissant) ».
Cela étant dit, Aristote semble renverser point par point l’argumentation de
Platon à propos de l’imitation et rendre positives toutes les critiques négatives
que Platon a pu en faire : « La poésie semble bien devoir en général son
origine à deux causes, et deux causes naturelles. Imiter est naturel aux
hommes et se manifeste dès leur enfance (l’homme diffère des autres animaux
en ce qu’il est très apte à l’imitation et c’est au moyen de celle-ci qu’il
acquiert ses premières connaissances) et, en second lieu, tous les hommes
prennent plaisir aux imitations.
Un indice [en] est ce qui se passe dans la réalité (par opposition au monde
illusoire créé par la littérature) : des êtres dont l’original fait peine à la vue,
nous aimons à en contempler l’image exécutée avec la plus grande
exactitude ; par exemple les formes des animaux les plus vils et des cadavres.
Une raison en est encore qu’apprendre est très agréable non seulement aux
philosophes mais aussi aux autres hommes ; seulement ceux-ci n’y ont qu’une
faible part. On se plaît à la vue des images parce qu’on apprend en les
regardant et on déduit ce que représente chaque chose, par exemple que cette
figure c’est untel. Si on n’a pas vu auparavant l’objet représenté, ce n’est plus
comme imitation que l’œuvre pourra plaire, mais à raison de l’exécution, de
la couleur ou d’une autre cause de ce genre.8 »
Ainsi, vérité et éducation qui semblent bannies de la fonction de l’image
chez Platon en deviennent la spécificité chez Aristote et le plaisir qu’elle
procure n’est plus suspect ni avilissant mais au contraire le moteur de cet
apprentissage. Imitation et image permettent enfin la reconnaissance : « La
reconnaissance (anagnorisis), comme d’ailleurs le nom l’indique [qui] est un
passage de l’ignorance (agnoias) à la connaissance (gnosis).9 »
Nous voyons donc qu’Aristote a pour juger l’image des critères
axiologiques, comme Platon, mais que ces critères conduisent cette fois-ci à
un rapprochement positif entre imitation, image, plaisir, vérité et
connaissance.
1.1.3. L’image peinte chez Philostrate
Un autre auteur ancien, quoique plus proche de nous, associe peinture et
vérité. Il s’agit de Philostrate10 qui, dans son œuvre intitulée Imagines ou
Eikones, se livre à l’exercice de l’ekphrasis, c’est-à-dire de la description par
les mots d’œuvres d’art évoquant en général des sujets mythologiques. Cette
tradition, qui remonte à Homère avec la description du bouclier d’Achille, et
que l’on retrouve ailleurs11, consiste à tenter de recréer par les mots l’œuvre
absente dans l’esprit des auditeurs et de mettre ainsi en concurrence deux arts.
L’opuscule de Philostrate comprend deux volumes où sont décrits soixante-
cinq tableaux.
Dès la première phrase, Philostrate déclare que ne pas aimer la peinture
c’est ne pas aimer la vérité. La peinture est vérité parce qu’elle imite la
nature : les dieux en effet sont peintres et peignent le monde avec les saisons
et leurs couleurs. La dernière phrase déclare, elle, qu’il faut peindre à la
bonne heure (heure et éclat) car peinture et nature sont identiques. La peinture
est un art de vérité parce qu’il associe l’imitation (mimesis) et l’imagination
(fantasia).
L’objectif de l’œuvre de Philostrate est d’apprendre aux jeunes gens à
interpréter puis à juger. Elle va donc consister à mettre en place une
herméneutique par le truchement de la mise en scène d’une conférence et de
dialogues avec de jeunes enfants devant une galerie de tableaux.
Cette mise en scène triangulaire (Philostrate, l’enfant, l’auditoire) propose
un travail d’interprétation des tableaux : premièrement, reconnaître ce dont il
s’agit (tel sujet d’Homère) et passer d’un texte (la peinture) à un autre texte
(la parole) en cherchant à produire des effets équivalents à ceux de la
peinture ; deuxièmement, dépasser la peinture, c’est-à-dire les perceptions
visuelles, pour en évoquer d’autres : odeurs, bruits, paroles ; troisièmement,
se plonger dans le jeu de l’illusion et s’y perdre par le jeu du logos esthétique
de l’admiration et de la surprise sophistique pour aboutir à un jugement.
Ainsi, il semble bien que pour nos trois auteurs (évocation qui n’est bien
sûr pas exhaustive) l’imitation soit au cœur du problème de l’image peinte, de
sa relation au vrai, et de sa fonction éducative. Tantôt elle détourne de la
vérité, tantôt elle y conduit, tantôt elle se confond avec elle. Qu’on la
condamne ou qu’on la défende, on considère l’image fabriquée par l’être
humain, non pas comme un simple objet du monde, mais on la juge dans sa
relation à la vérité et au savoir. Dans tous les cas, l’image peinte est
considérée comme un signe, c’est-à-dire comme un tenant lieu d’une autre
chose avec laquelle il a des relations mimétiques, analogiques : l’image
peinte, telle qu’elle est présentée dans ces textes, est bien considérée comme
un signe iconique, selon la terminologie peircienne, avec toutes les
implications que cela suppose de crainte du leurre, du simulacre, du
détournement ou de l’illusion.
1.2. L’image « trace » : l’image non faite de la main de l’homme
Cependant le terme d’image (eikonè) ne désigne pas dans l’Antiquité que
les images fabriquées (peinture, mosaïque, sculpture), il désigne aussi des
images « naturelles », faisant partie de la nature même, ou considérées
comme telles. Ces types d’images seront alors non seulement associées à la
vérité, comme les précédentes, mais plus gravement au sacré et à la mort.
Toujours dans La République, Platon distingue en effet dans le monde deux
espèces : le visible et l’intelligible. Le monde visible comprend lui-même
deux sections : une première section, celle des eikones12, et une deuxième
section, celle des êtres vivants, des plantes et des objets fabriqués par
l’homme.
La définition que donne Platon des eikones est la suivante : « J’appelle
images [eikones] d’abord les ombres, ensuite les reflets (ou les « fantômes »
[phantasmata]) représentés dans les eaux et sur la surface des corps opaques,
lisses et brillants, et toutes les autres représentations de ce genre. » C’est-à-
dire que pour lui sont « images » les ombres et les images virtuelles que l’on
peut découvrir dans les miroirs.
Ces images-là ont pour Platon une fonction bien spécifique. Il nous
demande en effet : « d’admettre que le genre visible se divise en vrai et en
faux, et que l’image est au modèle ce que l’objet de l’opinion est à l’objet de
la connaissance.
Le mathématicien raisonne à partir d’hypothèses et de figures visibles
quoique ce ne soit point à elles qu’il pense mais à d’autres auxquelles celles-
ci ressemblent […] Toutes ces figures qu’il modèle ou dessine […] il les
emploie comme si c’étaient aussi des images pour arriver à voir ces objets
supérieurs qu’on n’aperçoit que par la pensée. » S’il y a donc quatre objets de
connaissance (deux pour l’intelligible et deux pour le visible), il y a quatre
opérations de l’esprit :
dans le domaine du visible et pour les images, c’est la simulation,
volontaire ou non ; pour les êtres et les objets, c’est la créance ou
la confiance, état de l’âme qui croit à la réalité extérieure de
l’objet perçu ;
pour l’intelligible, c’est la connaissance discursive (entre l’opinion
et l’intelligence) pour les modèles ; l’intelligence pour les objets
supérieurs.
Ces opérations de l’esprit sont à ranger « par ordre de clarté » : « Plus leurs
objets participent de la vérité plus ils ont de clarté. »
Ces images « naturelles », ombres ou reflets, objets du monde et qui
correspondent tout à fait à la définition moderne de l’indice, ne sont plus
bannies par Platon comme des imitations « médiocres », mais elles
deviennent pour lui, à cause de leur caractère indiciaire, des outils de
connaissance.
Ainsi, l’image verbale de l’image indiciaire (ombre ou reflet : rappelons-
nous le mythe de la caverne) sert à nous convaincre que l’image indiciaire est
un outil philosophique qui mène à la connaissance, à la vérité et au bien.
1.3. L’image interdite : l’idole
Ces images (copies ou reflets) nous les retrouvons aussi en relation directe
avec la religion et le sacré dans l’histoire du monde entier : pensons à
l’Égypte, à l’Inde, au Moyen-Orient, etc13. En ce qui concerne plus
directement notre propos, nous nous attarderons un moment sur la Bible et sur
la tradition byzantine.
Nous pouvons lire dans la Bible les trois premiers commandements du
Décalogue :
« – Tu n’auras pas d’autre dieu devant moi.
Tu ne te feras aucune image sculptée, rien qui ressemble à ce qui
est dans les cieux, là-haut, ou sur la terre, ici-bas, ou dans les
eaux au-dessous de la terre.
Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas
car moi Yahvé, je suis un Dieu jaloux qui punit la faute des pères
sur les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits-
enfants…14 »
On sait que la Bible est le livre inspiré pour les juifs, les chrétiens et les
musulmans, qui en connaissent certains passages par le Coran. Issue de
plusieurs manuscrits hébreux et grecs, la Bible est le livre le plus diffusé au
monde et qui a façonné la culture du monde occidental en particulier.
La traduction littérale du texte grec15 rédige ainsi le deuxième
commandement : « Tu ne fabriqueras aucune idole, ni aucune représentation
de tout ce qui est en haut dans le ciel, en bas sur la terre ou dans les eaux, plus
bas que terre ; tu ne les adoreras pas et tu ne les serviras pas ; car je suis le
seigneur ton Dieu, un Dieu jaloux. »
Ces images sculptées étaient donc les idoles. Le terme grec eidôlon
désignait une représentation quelconque, matérielle ou d’imagination. Puis il
a fini par désigner une image représentant une divinité, confondue avec elle,
et recevant un culte. Une religion monothéiste se devait donc de combattre le
culte des idoles, combattant par là même les autres dieux.
S’il y a une condamnation des images (des idoles) dans la Bible, ce n’est
pas parce qu’on risque de prendre ces images pour des dieux, comme on le
pense souvent, mais parce qu’elles sont des dieux, qu’il faut combattre et non
pas adorer, pour ne garder sa foi qu’à un seul Dieu, Yahvé. C’est ce
qu’explique le psychanalyste Octave Mannoni qui distingue à ce sujet les
notions de foi et de croyance :
« La vraie nature de la foi religieuse nous a sans doute été masquée par des
emprunts faits à l’ontologie grecque. La foi s’est mise à concerner l’existence
de Dieu, du moins en apparence. Il suffit de lire la Bible pour voir que les
juifs croyaient en l’existence de tous les dieux – ils leur faisaient même la
guerre. Mais ils ne gardaient leur foi qu’à un seul. La foi c’était leur
engagement inconditionnel. Le sujet de la présente étude, c’est la croyance :
par exemple celle qui permettait aux juifs de croire à l’existence de Baal en
qui ils n’avaient pas foi. À la limite, là encore une réduction est possible, et la
foi et la croyance sont toutes deux faites de la parole d’autrui. Mais cela
n’autorise pas à les confondre au niveau où je me suis placé.16 »
On considère souvent que l’interdiction biblique de l’image (l’idole) est à
l’origine de l’iconoclasme, interdiction de l’icône. Cependant, l’icône est tout
autre chose que l’idole récusée dans la Bible en tant que dieu à bannir.
1.4. L’icône et l’iconoclasme
Dans la religion chrétienne et plus particulièrement byzantine17, on appelle
« icônes » les images religieuses, indépendamment de leur technique. Images
peintes du Christ, de la Vierge Marie, des anges et des saints, elles font l’objet
d’un culte privé et aussi liturgique dans les Églises orientales. Elles sont
peintes selon des règles très strictes et ne prétendent pas à une quelconque
ressemblance. Ainsi le front, les yeux, dans les portraits saints, auront des
proportions plus importantes, comme sièges de l’Esprit, que le nez ou la
bouche dont l’aspect sensuel sera alors diminué.
Les icônes sont au cœur de ce que l’on a appelé la « Querelle des images »
ou encore la « Guerre des images » et dont la virulence a varié selon les
époques dans l’Empire byzantin qui domina la Méditerranée orientale depuis
330 jusqu’à son renversement par les Turcs en 145318.
L’iconologie chrétienne fut en effet pratiquée et combattue très tôt. Dès le
IVe siècle, la reconnaissance du caractère sacré de l’image de l’empereur la
rapproche d’un portrait de culte – l’icône – du Christ et des saints. Au
e
VII siècle, le portrait du Christ se substitue progressivement à celui de
l’empereur sur les monnaies19. Ces monnaies circulaient aussi à l’intérieur de
l’Empire arabe, voisin.
L’histoire de l’iconoclasme byzantin doit en effet prendre en compte celle
de l’Empire islamique, superposé dans une partie des anciens territoires de
Byzance. En effet, la grande expansion arabe commença quelques années
après la mort de Mahomet, en 632 ; en dix années la Perse se retrouva sous
domination musulmane ainsi que, un peu plus tard, les provinces moyen-
orientales de l’Empire byzantin.
L’iconoclasme fut donc une réaction des monothéistes contre la
matérialisation du sacré et les religions polythéistes. Les rabbis, vers le
IVe siècle, expurgeaient les synagogues des peintures, des mosaïques et des
bas-reliefs. Les musulmans restèrent fidèles aux interdits de la Bible et
suivirent l’exemple de Mahomet, qui, de retour à La Mecque (au VIIe siècle)
débarrassa la Kaaba des idoles, exception faite de deux images : celles de
Jésus et de Marie, troisième femme sainte de l’Islam.
Cependant, les premières oppositions à l’image dans l’Islam sont, peu de
temps après la conquête du Moyen-Orient, des oppositions aux images de
type byzantin, ce qui s’inscrit dans la logique de l’iconoclasme ambiant et non
pas dans celle d’une obéissance au texte du Coran où n’apparaît en réalité
aucun interdit explicite des images. L’interprétation la plus convaincante des
destructions d’images par l’Islam consiste en effet à dire que l’Islam a adopté
les règles de représentation en vigueur à Byzance20 car jamais « le problème
du fonctionnement de l’image dans la société ne s’est posé avec plus d’acuité
que durant la période iconoclaste »21 byzantine. C’est au sein même de
l’Empire byzantin, où l’empereur se considère comme le représentant du
Christ sur terre et où l’iconologie est une affaire d’État, qu’éclate la « Guerre
des images ».
L’apogée de l’iconoclasme – la Guerre des images à proprement parler –
s’étend sur plus d’un siècle à partir de 726, à Constantinople : les images sont
proscrites par édit après que l’empereur byzantin Léon III et quelques évêques
d’Asie Mineure ont amorcé une propagande contre l’icône et plus
particulièrement celle du Christ. On considère que le premier acte qui
déclencha l’iconoclasme à Byzance fut l’ordre de Léon III, en 726, de déposer
l’icône du Christ qui ornait la porte principale du Grand Palais et qui avait,
selon certains, servi de modèle à la figure du Christ (ill. 1, p. 63) apparaissant
sur les monnaies du premier règne de Justinien II.
Léon III mènera une lutte acharnée contre les images en leur reprochant
leur insuffisance et en particulier le fait d’être dépourvues de souffle et de
parole. Plusieurs explications ont été données à cela : la contagion des juifs,
de l’Islam, la peur du fétichisme lié au culte de l’image, mais aussi une
aversion superstitieuse et atavique de Léon III pour le double de la figure
humaine.
Plusieurs légendes sont liées à l’usage des icônes. Suivant l’une des
principales, dont il existe plusieurs versions, le Christ aurait de son vivant fait
parvenir à Abgar22, pour le guérir, son portrait imprimé miraculeusement sur
un linge. Connue dans la tradition iconographique sous le nom de Sainte Face
ou Mandylion (Christ acheiropoietos, non peint de main humaine), cette
image aurait joué le rôle de modèle et de référence dans le culte des icônes et
des reliques qui sont aussi des « images non faites par la main de l’homme ».
En effet, pour les iconodules, l’existence d’images fabriquées par miracle,
et non par de simples artistes, était une preuve que Dieu ne désapprouvait pas
les images figuratives.
Le summum de l’iconoclasme fut atteint avec le fils de Léon III, Constantin
V Copronyme, qui opposa à la tradition de l’incarnation une contre-théologie
déduite des mêmes prémisses : l’image de fabrication humaine dite « sacrée »
est inacceptable, voire idolâtrique. Elle mutile le Christ, isole de la divinité sa
nature humaine, la matière dégrade la condition glorieuse des saints. La seule
icône admissible, d’autorité divine, est le rite eucharistique qui rend
mystiquement présent l’acte de l’incarnation.
La vénération des icônes ne fut érigée en dogme de foi qu’au deuxième
Concile de Nicée, en 787, qui a justifié et formulé la « vénération » des
« saintes images » en précisant que cette « vénération » n’est pas
« adoration » mais son moyen, car l’icône, transparente à son prototype,
permet de connaître Dieu par la Beauté23. L’icône24 est donc vénérée – et non
pas adorée – parce qu’elle conduit à Dieu. La victoire des iconodules sur les
iconoclastes fut jugée par l’Église comme un triomphe de l’orthodoxie.
L’icône exprimerait ainsi une vérité révélée et participerait à la liturgie.
Ce détour par l’histoire de l’icône et de la représentation religieuse fait
clairement apparaître que le procès fait à l’image lui est fait encore une fois à
cause du caractère d’indice, au sens théorique du terme, plus ou moins fort
qu’on lui prête et dont le Mandylion d’Edesse, puis, plus tard, le Saint Suaire
et les reliques sont les modèles. Les iconoclastes, en particulier, étaient
certainement beaucoup plus convaincus de l’aspect indiciaire, « non fabriqué
par l’homme », et donc sacré, de l’icône que les iconolâtres et c’est pourquoi
ils la jugeaient intolérable. Non pas parce qu’ils craignaient qu’elle ne
représente « la mort du référentiel divin »25 mais plutôt parce que,
physiquement reliée à Dieu, elle mêle ce qui doit rester ontologiquement
séparé – le divin et l’humain – et souille l’un par l’autre.
Que l’image soit Dieu – l’idole –, trace de Dieu – le Mandylion – ou son
incarnation – l’icône –, elle ne pose pas le problème de la ressemblance, ni de
l’analogie, ni de l’imitation, mais celui de la contiguïté (voire de l’identité)
entre deux univers constitutivement séparés.
Ce qu’il s’agit donc d’admettre ou de refuser, c’est que l’image soit le lien
physique entre ces deux mondes.
1.5. L’imago latine
Le dernier exemple que nous prendrons pour nous aider à comprendre les
origines du statut de l’image dans notre société est celui de l’imago des
Latins. Quoique l’étymologie de l’imago latine soit imitor, « imiter », on
s’aperçoit, une fois encore, que la signification la plus fréquente du mot est
celle du lien indiciaire avec un autre monde, celui des morts, cette fois-ci.
Bien sûr, l’imago peut être « portrait, statue, copie, reproduction », etc.,
mais « imago vocis » chez Virgile est aussi « écho », c’est-à-dire un indice
sonore ; elle est aussi « fantôme, vision, songe, apparition », chez Horace,
« spectre » chez Pline, Virgile ou Cicéron. Mais par-dessus tout, l’imago,
c’est le portrait de l’ancêtre en cire, le masque mortuaire, placé dans l’atrium
et porté aux funérailles ; donc le lien physique, indiciaire, entre le monde des
morts et celui des vivants. Ce lien n’a même été réservé longtemps qu’à une
certaine classe de la société, celle des nobles ; il existait un « droit aux
images », le jus imaginum, correspondant à la division de la société entre
« nobles » et « ignobles », entre patriciens et plébéiens. L’homo multarum
imaginum d’un Salluste est un homme qui compte de nombreux ancêtres, un
homme de haute noblesse.
On s’aperçoit ainsi que l’image, pour les Latins, n’est pas que visuelle
(l’écho est image) et que là encore son aspect indiciaire domine : l’image est
une trace et le masque mortuaire nous rappelle bien sûr la préhistoire de
l’image et le contour de la main tracé sur la paroi de la grotte d’Altamira en
Espagne. La relation essentielle entre l’image et la mort est donnée par le
masque mortuaire comme par le spectre. De nouveau lien entre deux mondes,
l’image est cette fois le lien physique entre le monde des vivants et le monde
des morts.
Cela nous rappelle bien sûr les rites funéraires très anciens comme ceux des
Égyptiens et des tombeaux où l’image du mort – le mort – reçoit offrandes et
nourriture ; plus près de nous, les tombeaux grecs, ornés de fresques,
représentant le « passage » du mort (ill. 2, p. 64). Mais cela annonce aussi les
propos de Barthes sur la « mort plate »26 ou de Bazin sur le « complexe de la
momie »27, comme conséquence de la spécificité indiciaire de la
photographie.
Pour conclure sur ce développement nécessairement incomplet, nous
insisterons sur le fait que, lorsqu’il y a débat, celui-ci porte sur la nature,
mimétique ou indiciaire, de l’image, et sur ses conséquences. Ce rappel se
voudrait aussi une incitation, pour qui s’intéresse à « l’image », à explorer son
histoire et ses fonctions selon la culture où elle se manifeste parce qu’elle en
détermine le type d’attente.
2. Anciens et modernes
2.1. Religieux et profane
Nous avons donc vu que les problèmes posés par la représentation visuelle,
mimétique ou non, étaient conçus dans l’Antiquité en relation avec Dieu, les
valeurs de vérité et de savoir et la mort. La période iconoclaste, quant à elle, a
concerné la représentation religieuse et la nature de double de l’image sacrée,
plus que sa nature de mimésis. Il faut savoir qu’ensuite, même aboli,
l’iconoclasme byzantin aura une influence certaine sur toute l’histoire de la
peinture occidentale et présidera à la future distinction entre peinture profane
et peinture religieuse.
Ainsi au IXe siècle, Claude, évêque de Turin, ordonne la destruction des
images et aussi des crucifix. Cette attitude était très radicale car, pour les
iconoclastes du VIIIe siècle, la croix était la seule image autorisée. La querelle
reprit au XIIe siècle avec les Cathares qui nièrent jusqu’à l’incarnation du
Christ dans l’hostie.
Les choses changèrent au Moyen Âge où les images ont plusieurs niveaux
de lecture symbolique et allégorique. À la Renaissance, on le sait, la
perspective, le choix des matériaux, la peinture profane rempliront d’autres
fonctions. Cependant la Réforme déchaîne, au XVIe siècle, une nouvelle fureur
iconoclaste. Ainsi la révolte des Gueux à Tournai mit les églises à sac, brisa
les statues, profana les reliques. En réponse, la Contre-Réforme, au concile de
Trente, de 1545-1563, interdit désormais d’intégrer des éléments profanes
dans des peintures à sujet religieux comme cela s’était fait dans la première
moitié du XVIe siècle, à l’apparition de l’art baroque. Un artiste comme
Véronèse, en 1573, fut traduit devant le Saint Office. Le travail de recherche
plastique d’un Caravage sur la lumière ou celui d’un Bernin sur l’expression
de la sensualité furent éliminés dans un retour sévère aux sujets sacrés.
Représentation religieuse et représentation profane sont alors
définitivement séparées et les « genres » picturaux apparaissent.
2.2. Image et Islam
On a vu que la période iconoclaste concernait non seulement les juifs et les
chrétiens d’Orient, mais aussi l’Islam dont la période de conquêtes et
d’expansion correspond à la période aiguë de l’iconoclasme byzantin. L’Islam
a participé à l’iconoclasme pour des raisons à la fois politiques et religieuses :
en politique, les califes arabes du VIIe siècle (la dynastie des Omeyades)
adoptèrent de nombreux traits des anciens dirigeants des régions conquises.
Ainsi, ont-ils d’abord substitué, sur les monnaies, des portraits des califes à
celui du Christ de la période justinienne, puis le sceptre de Mahomet à la
croix byzantine, pour enfin préférer des inscriptions d’inspiration coranique et
bannir, comme les Byzantins, les images figuratives28.
Fig. 1. Christ bénissant. Monastère de
Sainte-Catherine. Sinaï. Fin Xe siècle.

Fig. 2. La tombe du plongeur. Paestum. 480-470


av. J.-C.
D’autre part, pour l’islam naissant, la parole de Dieu a été donnée à
l’humanité et il était normal que, indépendamment des problèmes d’influence
politique, les monnaies et les lieux de culte accordent une place privilégiée à
la parole. Les chrétiens, pour qui Dieu s’est fait homme, se reconnaissaient
dans un art qui montre le Christ sous une apparence humaine. Ceci précisé, il
est important de rappeler que si la doctrine musulmane a été amenée à
proscrire la représentation des êtres animés, humains ou animaux, cela n’a
jamais été en référence à une interdiction du Coran. On met souvent le Livre
Saint en avant sur cette question, celui-ci n’en dit rien, et les casuistes n’ont
jamais songé à invoquer un verset à ce sujet. Même si l’Islam, comme le
judaïsme et le christianisme, entend combattre le polythéisme, il ne le fait pas,
comme le fait la Bible, en formulant une interdiction des images dans le Livre
Saint. Des interdictions furent édictées, dans la mouvance de l’iconoclasme
byzantin, puis plus tard par les docteurs qui, s’appuyant sur des paroles de
Mahomet, promettent les pires châtiments aux peintres qui, par leur art,
essayent d’imiter et d’égaler l’acte créateur de Dieu29.
C’est ainsi que l’art islamique, extrêmement riche et varié, comprend, à
côté de l’art calligraphique et géométrique, des images figuratives
représentant en abondance la nature et des êtres animés, animaux ou
personnages. Il convient pour comprendre leur existence de tenir compte des
traditions culturelles et artistiques des pays où s’est implanté l’Islam et de
distinguer l’art sacré de l’art profane30. Les représentations figuratives
profanes sont extrêmement nombreuses (planche 3, p. 68). Ainsi en Perse,
l’Iran actuel, les miniatures, les fresques, les émaux, les enluminures
abondent, qui décorent les palais ou les objets quotidiens, tels que la vaisselle,
les chandeliers, les vases, etc. En Égypte, en Turquie, en Inde, les
représentations visuelles figuratives les plus raffinées, tapisseries, fresques,
manuscrits, miniatures, sont très nombreuses31. Outre la décoration des lieux
d’habitation ou des objets usuels, on trouve aussi des illustrations figuratives
dans de nombreux manuels tels que des manuels de médecine ou encore
d’équitation. La tradition de représentation visuelle existant dans ces
différents pays, celle-ci n’a pas disparu avec l’apparition de l’Islam.
Cependant la représentation visuelle figurative n’était pas non plus réservée
au profane : il existe aussi des représentations figuratives très fines et
travaillées sur des manuscrits du Coran, ou encore de la Sira (le récit de la vie
du Prophète), où l’on peut voir non seulement des motifs floraux, roses ou
pivoines, mais encore la Kaaba ou le Prophète lui-même32 (ill. 4, p. 69). On
peut ainsi admirer au musée islamique du Caire, par exemple, dans une salle
dite « des manuscrits », des manuscrits du Coran ornés de représentations
visuelles les plus délicates, ainsi que ceux de récits divers, datés du XIe au
XVIIe siècle, exécutés et illustrés par des Moghols indiens, des Mameluks, des
Égyptiens, des Perses, etc. On trouve aussi d’ailleurs des manuscrits illustrés
de la Bible (ill. 5, p. 69) alors que l’image y est explicitement condamnée.
Ainsi, l’existence ou non d’images figuratives dans l’art islamique, profane
ou religieux, dépend essentiellement de la tradition représentative du pays où
il s’est implanté. Il est certain, de la même manière, que dans les pays où la
tradition figurative n’existait pas, ou peu, au moment de l’apparition de
l’Islam (comme dans les pays maghrébins, par exemple), l’Islam n’y a pas
introduit de représentations figuratives, mais a privilégié la calligraphie, les
motifs géométriques, les « arabesques ». Quant à l’omniprésence de l’image
médiatique, comme la télévision, dans certains pays islamiques33 à faible
tradition de représentation figurative, elle soulève un certain nombre de
questions que quiconque, journaliste ou publicitaire, doit prendre en compte
s’il veut toucher un public, dont l’attente n’a rien à voir avec celle d’un public
occidental, par exemple, élevé au milieu des images.
2.3. L’image, bonne ou mauvaise
Dans les exemples que nous avons donnés, nous avons constaté que la
représentation par l’image est suspecte dès l’Antiquité tandis que cette
suspicion ne s’étend pas aussi massivement au langage. Le soupçon majeur
semble bien être celui de la fausseté. Suspectée et condamnée par certains elle
sera donc défendue par d’autres, ce dont n’a pas eu besoin non plus le
langage.
En simplifiant à l’extrême, on considère depuis les temps les plus anciens
l’image comme bonne si elle est juste, si elle conduit à la vérité, si elle est
« vraie » ; l’image est mauvaise au contraire si elle est fausse, si elle trompe,
si elle fait illusion. Au-delà du danger illusionniste, il apparaît que ce soupçon
de fausseté/vérité est lié avant tout au caractère indiciaire de certaines images
fondatrices et que ce caractère constituerait implicitement la spécificité de
toute image et sous-tendrait ainsi la confusion entre réalité et vérité.
Considérée comme un signe-trace du monde, elle n’en est plus alors
envisagée comme une représentation, ni comme un discours sur lui, mais
comme tout ou partie de la chose même, la réalité même ; elle devient alors
un objet du monde qui se doit d’être authentique ; c’est pourquoi l’image
indice peut mener à l’essentiel : Dieu, la connaissance, la mort.
Toutefois, même dénié, son caractère représentatif, imitatif, ressemblant,
pousse à attendre d’elle une adéquation parfaite entre ce qu’elle représente et
ce que l’on dit qu’elle représente, qui se confond avec ce qu’on pense qu’elle
est. C’est alors qu’on lui applique le caractère de vérité ou de fausseté. Nous
verrons que ce caractère ne concerne pas l’image même, mais le rapport entre
elle et ce qu’on en dit. Ce rapport doit, pour être ressenti comme juste et non
comme faux, correspondre non pas à ce qu’est l’image – un objet du monde,
une représentation à la fois aléatoire et codée – mais à ce qu’on attend qu’elle
soit – attente qui varie selon les époques comme l’a bien montré Gombrich34.
2.4. Le débat contemporain
Certains pensent que l’utilisation contemporaine de l’image a totalement
oublié ce lourd héritage et construisent des théories autour d’un bon usage,
ancien, de l’image, opposé à un usage incontrôlé, capricieux, dénué de sens
de l’image contemporaine. Baudrillard35, par exemple, distingue trois grandes
étapes dans l’histoire et la fonction sociale de l’image : celle de l’image
métamorphose des Anciens, où l’image a une fonction sacrée ; celle de
l’image métaphore moderne, dont la fonction serait esthétique ; et enfin celle
de l’image métastase, contemporaine, médiatique, proliférante et auto-
référentielle qui aurait perdu toute signification ; Régis Debray aussi propose
de distinguer trois âges du regard36 : le « régime idole » où « l’image est
voyante », le « régime art » où « l’image est vue », et le « régime visuel » où
« l’image est visionnée ».
Ces distinctions brillantes et argumentées nous semblent cependant plus
nostalgiques que convaincantes. D’abord parce qu’elles assimilent tous les
types d’images, fixes et animées en particulier, dont la distinction est
fondamentale, ne serait-ce que parce que les premières peuvent être
contemplées, tandis que les autres, par nécessité, défilent. On a le temps
d’observer, voire de contempler les premières mais seulement celui de se
souvenir des secondes37. Ensuite parce que ces classifications semblent
oublier toute l’interrogation contemporaine sur l’image, qui touche même le
spectateur non spécialiste, et dont les médias se font abondamment l’écho.
Pourquoi tant d’indignation devant les images des charniers de Timishoara,
de l’« interview » de Castro ? Pourquoi tant d’interrogations sur les « non-
images » de la première guerre du Golfe, ou au contraire sur le trop d’images
des camps bosniaques ou du « lynchage » d’une jeune Somalienne ? Quelle
attente déçue manifeste-t-on avec tant d’insistance ?
Fig. 3a. Plat en céramique.
Égypte. XIe siècle.

Fig. 3b. Coupe. Perse.


Sari. Xe-XIe siècles.
Fig. 3c. Plaque de revêtement en faïence
émaillée.
Pavillon des Quarante Colonnes. Ispahan.
XVIIe siècles.

Fig. 4. Manuscrit oriental. Vision de


Mahomet. 1436.
Fig. 5. Le Pentateuque de Ferrare. Manuscrit
hébreu. XVe siècle. En bas à droite : Moïse.
L’indignation vient du fait que le contrat de confiance a été rompu : tandis
qu’on attend de l’image, plus que tout autre médium, qu’on puisse la croire, la
preuve a été faite que cette crédibilité était aléatoire et non certaine. C’est
cette incertitude qui est insupportable parce qu’elle bouscule l’attente
spécifique de justesse et de vérité. Nous pensons, quant à nous, que ce n’est
pas l’oubli de notre histoire, mais au contraire le fait qu’elle nous constitue
puissamment qui nous pousse à vouloir avec tant de force qu’une image soit
juste et que visible et vérité se confondent.
2.5. Le « paradigme indiciaire » comme processus cognitif
Si nous admettons donc que la force de l’image est liée à son caractère
historique et dominant d’indice, on peut comprendre que l’on attende d’elle la
force et l’authenticité du réel sur lequel elle est prélevée. Cependant ce
caractère de trace de l’indice, pour essentiel qu’il soit, n’est pas le seul à lui
donner force et impact. L’indice conditionne aussi le mode d’accès au savoir
le plus ancien de l’humanité. C’est en effet la thèse que soutient l’historien
italien Carlo Ginsburg38 et que nous voudrions évoquer ici, dans la mesure où
celle-ci permet d’expliquer aussi l’intensité de l’attente liée à l’aspect
indiciaire de l’image. La proposition est convaincante et commence par une
histoire d’image, ce qui n’est pas pour nous déplaire.
Ginsburg rappelle en effet qu’entre 1874 et 1876, sous le pseudonyme
d’Ivan Lermolieff, un historien d’art italien, Giovanni Morelli, lançait une
méthode nouvelle pour distinguer les originaux des copies, et attribuer les
bonnes œuvres aux bons auteurs. La « méthode morellienne » consistait à ne
plus se baser, pour reconnaître l’auteur d’une œuvre, sur ses caractéristiques
les plus évidentes, telles que les yeux au ciel des personnages du Perugino ou
les sourires de ceux de Léonard, mais à examiner les détails apparemment les
plus négligeables, les moins influencés possible par l’École à laquelle le
peintre appartenait, tels que les lobes des oreilles, la forme des ongles, des
doigts de pied ou de main, etc. La méthode, quoique fort critiquée, porta ses
fruits et permit à Morelli d’identifier de nombreux tableaux, en déterminant la
forme des oreilles chez Botticelli, Titien, etc. Puis, jugée grossièrement
mécanique ou positiviste, celle-ci tomba en désuétude.
Cependant, dans cette méthode exhumée par Ginsburg, ce dernier décèle
des implications très intéressantes. Avec d’autres chercheurs, il rapproche la
méthode indiciaire de Morelli de celle inventée par Conan Doyle, et attribuée
à Sherlock Holmes. L’amateur d’art devient alors un détective qui découvre
l’auteur du délit (du tableau) à partir d’indices imperceptibles pour le plus
grand nombre. De même, il rapproche l’intérêt porté à cette façon particulière
de peindre les oreilles ou les mains à l’intérêt porté par Freud à nos petits
gestes inconscients révélateurs de notre caractère profond.
En effet, dans le fameux texte de Freud sur le Moïse de Michel Ange
(1914), celui-ci parle de la méthode de Lermolieff-Morelli et écrit : « Je crois
que sa méthode est étroitement liée à la technique de la psychanalyse
médicale. » Cette découverte faite dans la période « pré-analytique » de Freud
a directement contribué, selon Ginsburg, à la cristallisation de la
psychanalyse, et ne fut pas une rencontre fortuite : Freud y découvre la
proposition d’une méthode interprétative centrée sur des détails, sur des
points marginaux, considérés comme révélateurs. Pour Morelli, ces détails
étaient ceux qui « échappaient au peintre sans qu’il s’en aperçoive », comme
le lapsus pour Freud.
Ginsburg aperçoit donc une analogie entre les méthodes de Morelli, de
Holmes et de Freud, qui, dans les trois cas, partent de traces infinitésimales
pour accéder à une réalité plus profonde, inatteignable autrement. Des traces
qui sont plus précisément des symptômes (pour Freud), des indices (pour
Holmes), des signes picturaux (des images) (pour Morelli).
Comment expliquer cette triple analogie ? La première réponse donnée par
Ginsburg est très simple : Freud, Morelli et Conan Doyle étaient médecins et
ils s’inspirent tous les trois du modèle de la sémiologie médicale qui consiste
à diagnostiquer des maladies inaccessibles à l’observation directe sur la base
de symptômes superficiels, parfois invisibles aux yeux du profane. Mais les
explications biographiques ne suffisent pas : Ginsburg montre qu’à la fin du
XIXe siècle, entre 1870 et 1880, commence à apparaître en sciences humaines
un « paradigme indiciaire » central pour la sémiotique, paradigme indiciaire
dont les racines sont des plus anciennes.
L’homme est chasseur depuis des milliers d’années : Ginsburg suggère que
du « quelqu’un est passé par là » vient peut-être l’idée même de narration. Le
fait que les figures de rhétorique sur lesquelles se fonde encore aujourd’hui le
langage du déchiffrement de la chasse – la partie pour le tout, l’effet pour la
cause – s’assimilent à la métonymie, à l’exclusion absolue de la métaphore,
renforcerait peut-être cette hypothèse indémontrable. Chasseurs et devins
interprétaient déjà, désignaient quelque chose à travers quelque chose d’autre.
On peut alors parler de « paradigme indiciaire » ou « devinatoire », tourné,
comme les formes de savoir, vers le présent, le passé ou le futur. Vers le
futur : c’est la divination au sens propre ; vers le passé, le présent ou le futur :
c’est la sémiotique médicale sous son double aspect de diagnostic et de
prognostic ; vers le passé : c’est la jurisprudence. Derrière ce paradigme
indiciaire ou devinatoire, nous dit Ginsburg, on aperçoit peut-être le geste le
plus ancien de l’histoire intellectuelle du genre humain : celui du chasseur
scrutant dans la boue la trace de la proie.
Selon le médecin Alcmeone, la nature indiciaire de la médecine reposerait
en effet sur l’opposition entre l’immédiateté de la connaissance divine, et la
conjecturalité de la connaissance humaine dont le modèle serait stigmatisé par
le modèle platonicien de la caverne.
Dressant ensuite un tableau de l’évolution des sciences modernes, Ginsburg
montre qu’elles arrivent à l’alternative suivante : soit sacrifier la connaissance
de l’élément individuel à la généralisation (plus ou moins rigoureuse, plus ou
moins formulable en langage mathématique), soit chercher à élaborer, peut-
être à tâtons, un paradigme différent centré sur la connaissance scientifique
(mais d’une scientificité à définir) de l’individuel. La première voie fut tracée
par les sciences naturelles et la seconde, bien plus tard, par les sciences dites
« humaines »… La vue devenait alors l’organe privilégié de ces disciplines, et
refoulait ainsi l’œil suprasensoriel des mathématiques.
Ginsburg montre que dans la littérature aussi, le paradigme indiciaire jouit
d’un renouveau inattendu : au XVIIIe siècle avec le conte emblématique de
Zadig, au XIXe siècle avec l’apparition du roman policier (Poe, Gaboriau,
Conan Doyle) et jusqu’au XXe siècle avec la Recherche. Le nom de Zadig
devient même tellement symbolique que Thomas Huxley, en 1880, dans un
cycle de conférences sur Darwin, définit comme « méthode de Zadig » le
procédé qui rapproche l’histoire, l’archéologie, l’astronomie physique et la
paléontologie : la capacité de faire des prophéties rétrospectives – quand les
causes sont irréproductibles, il ne reste plus qu’à les déduire des effets.
Toute cette démarche de Ginsburg conduit donc à montrer comment s’est
élaboré progressivement le paradigme qu’il appelle, selon ses différents
contextes, le paradigme du chasseur, celui du devin, le paradigme indiciaire
ou encore le paradigme sémiotique. Il démontre que, sans être absolument
synonymes, ces termes renvoient tous à un modèle épistémologique commun
représenté par la triade Morelli-Freud-Doyle, d’où était partie sa
démonstration. Progressivement l’idée se développe d’une connexion
profonde qui expliquerait les phénomènes superficiels au moment même où
l’on affirme que la connaissance directe de telles connexions est impossible :
si la réalité est opaque, il existe des zones privilégiées (des traces, des indices)
qui permettent de la déchiffrer.
Cette idée qui constitue le noyau du paradigme indiciaire ou sémiotique a
fait son chemin dans des domaines cognitifs les plus variés, modelant en
profondeur les sciences humaines. À cause du concept de « science » hérité
de Galilée, les sciences humaines sont, selon Ginsburg, dans un dilemme
cruel : soit avoir un statut « scientifique » faible et avoir des résultats
convaincants, soit avoir un statut « scientifique » élevé et des résultats peu
convaincants. Seule la linguistique a échappé à ce dilemme et apparaît comme
modèle, plus ou moins à juste titre, pour les autres disciplines.
Mais un paradigme indiciaire peut-il être strict ou rigoureux ? Ginsburg
propose alors l’oxymoron de « rigueur élastique » pour définir la démarche
du paradigme indiciaire ; une forme de savoir muette, dont les règles ne
peuvent être ni formulées, ni même seulement prononcées. « Rigueur
élastique » que nous pourrons quant à nous, et grâce aux propositions de
Ginsburg, appliquer à l’analyse et à l’interprétation de l’image.
En définitive, il semble bien que l’on retrouve, renforcé par l’aspect
cognitif de l’indice, le procès antique fait à l’image. Lié à son caractère
ontologiquement indiciaire et spéculaire, il est repris à l’époque moderne :
qu’il s’agisse du procès de la non-figurativité dans la peinture au début du
siècle, ou celui de l’irréférence de l’image médiatique contemporaine, on
dénonce la mort de l’image qui ne remplit plus sa fonction de signification, de
vérité, d’accès au savoir. Procès d’irréférence qui permet de décréter la mort
de la bonne image, tout en dénonçant la prolifération et la dictature de la
mauvaise image.
Attribuer l’intensité de l’attente liée à l’image au caractère indiciaire et
fondateur – puis contagieux – de certaines d’entre elles peut bien évidemment
surprendre. On insiste en effet ordinairement sur son caractère iconique, c’est-
à-dire, plus simplement, de ressemblance. Il est clair que la ressemblance est
un point crucial de la représentation par l’image et nous le développerons un
peu plus loin.
Cependant, pour conclure sur ce point, nous insisterons sur l’importance de
la réflexion sémiologique sur la spécificité de l’image photographique comme
prototype de l’image indiciaire dans notre société contemporaine. Les
caractéristiques de l’image photographique s’étendent en effet au film
pellicule, à la vidéo et à tout type d’images résultant d’un enregistrement
direct de la réalité, quelle que soit la technologie employée, comme aux
images qu’on appelle précisément « analogiques » en informatique, par
opposition aux images dites numériques. En effet, bien qu’il existe
maintenant des enregistrements numériques ainsi que des traitements
numériques d’images analogiques, l’important est de comprendre ce pour
quoi ces images se donnent, au-delà de la technique utilisée.
2.6. La photographie comme image spécifique
L’interrogation sur la spécificité de la représentation photographique est
particulièrement riche d’enseignements non seulement sur la photographie
elle-même mais à nouveau sur toute l’histoire de la représentation visuelle
occidentale. Philippe Dubois rappelle cela de façon fondamentale à travers ce
qu’il appelle une « Petite rétrospective sur la question du réalisme en
photographie »39. Il nous invite à réfléchir sur les différentes manières dont
on a considéré la photographie depuis son apparition et aux implications
théoriques que cela suppose.
Dès le début du XIXe siècle, la photographie est massivement considérée
comme une imitation parfaite de la réalité. Cela tient à sa technique même, à
son procédé mécanique « qui permet de faire apparaître une image de manière
“automatique”, “objective”, presque “naturelle” (selon les seules lois de
l’optique et de la chimie), sans qu’intervienne directement la main de l’artiste.
En cela cette image est une image “achéropoïète” (sine manu facta) comme le
Mandylion, le voile de Véronique40, le Saint Suaire. Elle s’oppose alors à
l’œuvre d’art, produit du travail, du génie et du talent manuel de l’artiste. »
Non seulement la photographie se distingue ontologiquement de l’art parce
qu’elle se fait mécaniquement et automatiquement, mais aussi parce qu’elle
est reproductible et qu’elle perd alors l’unicité constitutive de l’œuvre d’art41.
De plus, elle débarrasse l’art, et la peinture en particulier, de son
« obsession » de la ressemblance comme le décrétera plus tard André Bazin42.
Le discours sur le « naturel » et la ressemblance photographiques est
dominant pendant tout le XIXe siècle et va chevaucher (car il n’a pas tout à fait
disparu) une autre conception de la photo vers le milieu du XXe siècle. On
constate alors que cette première conception de la photographie comme
« mimesis parfaite du réel » la classe comme exemple type du signe iconique
tel qu’avait pu le définir Peirce.
Dans la mouvance sémiotico-structurale des années soixante, on va
dénoncer le caractère illusoire de cette ressemblance, analyser ce qui fonde le
puissant « effet de réel » provoqué par la photographie, démonter
systématiquement son « codage », et démontrer que, comme toute image, la
photographie transforme le réel. Nous reviendrons sur les principales étapes
de cette « déconstruction » car elle a été à la base de l’analyse sémiologique
de l’image, ou de ce que l’on peut considérer comme le soupçon
sémiologique. À ce point, la photographie était plus largement rangée dans la
catégorie peircienne du symbole, rejoignant toutes les représentations
conventionnelles du monde.
Toutefois, ces deux grandes façons de considérer, puis de reconsidérer, la
photographie d’abord comme mimesis parfaite, puis comme représentation
culturellement codée, ne permettent toujours pas d’en repérer la spécificité ;
en effet la peinture elle-même peut être extraordinairement « réaliste » : son
histoire regorge d’exemples, depuis les fameux raisins peints de Zeuxis, qui
trompaient même les oiseaux, jusqu’aux peintures hyperréalistes
contemporaines en passant par les « natures mortes » flamandes, ou encore les
« trompe-l’œil » baroques. Le deuxième argument ne concerne pas non plus
exclusivement la photographie, puisque, nous le verrons plus en détail un peu
plus loin, l’aspect codé de la représentation photographique comme celui du
cinéma, voire de l’image de synthèse, s’inscrit en droite ligne dans l’histoire
et la tradition de la représentation visuelle en Occident et plus
particulièrement de la représentation picturale.
Cependant, on ne peut pas nier qu’une photographie est différente d’une
peinture, que sa facture est différente, que ses fonctions sont différentes, que
son usage est différent. Qu’est-ce qui fonde alors cette différence si ce ne sont
ni son degré de ressemblance ni son degré de conventionnalité ? Roland
Barthes a consacré une grande partie de ses recherches à cette question et bien
entendu son point de vue a évolué depuis son article « Le message
photographique »43 jusqu’à La Chambre claire, ouvrage posthume dans
lequel il reformule, dans la fameuse théorie du ça-a-été, la spécificité
indiciaire de la photographie, déjà pressentie par Peirce puis par Bazin.
Dans une photographie, la lumière émanant de l’objet photographié même
laisse son empreinte sur le nitrate d’argent de la pellicule ou sur le capteur
numérique. C’est cette genèse spécifique qui propose « une double
conjonction de réel et de passé »44. Ce qui est représenté a existé
nécessairement et a laissé sa propre trace lumineuse : « Quelles que soient les
objections de notre esprit critique, nous sommes obligés de croire à
l’existence de l’objet représenté, c’est-à-dire rendu présent dans le temps et
dans l’espace.45 » « La photo n’est pas une copie du réel mais une émanation
du réel passé : une magie et non un art », déclare Barthes46. Le référent
adhère, la photo est une trace, et en conséquence, quoique « ressemblante » et
quoique fabriquée, elle est spécifique parce qu’elle est un indice au sens
peircien du terme.
Peirce avait en effet déjà compris cette spécificité : « la ressemblance »
qu’ont les photographies avec les objets qu’elles représentent « est en réalité
due au fait que ces photographies ont été produites dans des circonstances
telles qu’elles étaient physiquement forcées de correspondre point par point à
la nature, de ce point de vue donc elles appartiennent à notre seconde classe
de signes : les signes par connexion physique (index)47 ». C’est précisément
ce caractère d’indice qui va permettre d’expliquer un certain nombre d’usages
spécifiques que l’on fait de la photo : son utilisation comme preuve (à cause
de son caractère d’attestation, de singularité et de désignation), comme fétiche
ou encore comme idole.
Et cela même si, comme le démontre fort bien Philippe Dubois, une photo
ne peut être qu’« une preuve d’existence » et « non pas une preuve de sens »
qui, lui, est construit par la combinaison de tous les paramètres de l’image,
avant, pendant et après la prise de la photographie. Celle-ci conserve une
force constative liée au temps, non à l’objet, dont le pouvoir d’authentification
prime celui de la représentation.
Comme le développent abondamment Barthes dans La Chambre claire et
aussi Philippe Dubois48 dans L’Acte photographique, les conséquences de
cette spécificité indiciaire sont considérables. C’est elle qui rattache la
photographie à la tradition des images sacrées, à celle des images-vérité, à la
magie, à la folie hallucinatoire, à la mort. C’est elle qui alimente la confusion
entre visible-réel-réalité et vérité. Bien sûr, comme le rappelle Barthes, la
société s’efforce d’« assagir » la photographie et d’en tempérer le pouvoir
potentiel. Deux moyens majeurs existent pour cela, d’après lui : la
prolifération et « l’art ».
La prolifération parce qu’elle banalise et atténue son impact ; « l’art » (et
l’exemple ici est le cinéma) parce que, stimulant la construction d’un monde
imaginaire, l’image indiciaire ainsi utilisée détourne l’attention du caractère
existentiel de sa propre spécificité. Malgré cela, la crédibilité d’un message
photographique, vidéographique ou filmique, reste bien plus grande que celle
d’un message peint, dessiné ou synthétique, même si l’usage du numérique en
a atténué la portée. Arraché à une réalité réduite à ce qui en est visible, celui-
ci est d’emblée confondu avec elle. Ainsi, aucune fiction, réalisée à partir
d’images indiciaires (photo, vidéo, film) ne se départit jamais totalement de
son aspect de trace et donc de document qui lui est lié : la façon de filmer à
l’âge d’or hollywoodien ; le visage de tel acteur, jeune puis moins jeune ; la
mode du moment ; etc.
La puissance des images indiciaires peut aussi se reconnaître à certains
usages qu’on en fait, fétichiste ou idolâtrique. Que l’on pense aux photos des
personnes disparues ou aimées49. On peut aussi reconnaître l’aspect indiciaire
moins évident de certaines images parce qu’elles suscitent des comportements
analogues. Les images médicales, par exemple, qu’elles soient
radiographiques, échographiques, laser, ou encore à résonance magnétique,
qu’elles cumulent les transcodages (l’échographie par exemple qui est une
transcription visuelle d’ondes sonores), qu’elles ne soient interprétables que
par un spécialiste, peuvent être sacralisées à cause de leur caractère indiciaire,
plus « senti » que consciemment reconnu : des échographies de femmes
enceintes inaugurent désormais l’album de famille ou trônent, encadrées, au-
dessus des télévisions, comme « la première photo » de l’enfant50.
On pourrait donner d’autres exemples. Il semble même que l’on accorde à
l’image indiciaire un degré d’authenticité et de fiabilité d’autant plus grand
que celle-ci est plus « scientifique », plus transcodée, moins ressemblante et
plus illisible pour le commun des mortels. Ainsi en est-il des images de
télédétection, les spot-images, qu’elles émanent d’ondes lumineuses, sonores,
infrarouges ou de chaleur. Mais la confiance de tout un chacun n’est pas la
seule engagée dans cette adhésion totale à la scientificité, et donc à la vérité
absolue attribuée à certaines images indiciaires : l’avenir même du monde
leur est confié. La guerre se fait par leur intermédiaire (pensons aux images
de télédétection que nous voyons à la télévision pendant les guerres
contemporaines) ; la médecine, la santé publique, se gèrent par leur
intermédiaire ; le plan de développement agricole de certains pays leur est
confié : c’est à partir de spot-images de certaines régions du monde que l’on
(d’autres régions) décide de la planification de certaines cultures, et donc du
problème de la faim ; de façon beaucoup plus banale, elles décident de bien
des aspects de notre vie quotidienne, liés par exemple à la météo (dont les
images satellites nous sont quotidiennement interprétées par un « spécialiste »
et néanmoins présentées comme « preuves ») et à toute l’idéologie qui lui est
liée…
Ce développement sur la crédibilité et la puissance attachées aux images
indiciaires « scientifiques », comme outils de recherche et de connaissance,
souligne, encore et toujours, que c’est l’indice, plus que la ressemblance, qui
fonde le pouvoir de l’image, par « nature » pour certaines, par « contagion »
pour d’autres. Mais, paradoxalement, que ce soit socialement ou
théoriquement, ce n’est pas d’abord sur l’aspect indiciaire si fort de l’image
que portent son examen, son commentaire ou sa critique. Ils portent sur son
caractère représentatif, imitatif, d’analogie ou de ressemblance. C’est donc
cette particularité que nous allons maintenant aborder.
3. La ressemblance en question
En effet, aussitôt que reconnue, cette particularité qu’a l’image de
ressembler à ce qu’elle représente est mise en question aussi bien dans la
mythologie, que dans la théorie et l’histoire de l’art, ou dans la théorie
sémiotique elle-même. Un exemple de chacune de ces critiques nous montrera
de quelle manière.
3.1. Entre Narcisse et Pygmalion
Nous avons donc vu, sur quelques exemples, que la tradition antique,
qu’elle soit profane ou religieuse, débat de l’aspect axiologique de deux
dimensions spécifiques de la représentation par l’image. Ces deux aspects,
repris par la théorie sémiotique de l’image, sont ceux de l’imitation (l’icône)
et de la trace (l’indice). Un troisième point est encore soulevé, lié à l’imitation
comme à la trace, c’est celui de la ressemblance ou de l’analogie. Les Anciens
associent deux dangers majeurs à la ressemblance de l’image qui sont
représentés par deux légendes célèbres : celles de Narcisse et de Pygmalion.
Le « complexe » de Pygmalion, on le trouve déjà chez Platon, nous l’avons
vu, lorsqu’il dit que l’image imitative peut non seulement abuser le spectateur
en lui faisant prendre l’image pour le modèle, mais aussi en faisant croire que
le peintre peut être maître de la réalité elle-même, créateur de cette réalité,
c’est-à-dire l’égal de Dieu. À ce danger on peut trouver des réponses
différentes : il est raconté, par exemple dans la Sira, qui évoque « Les Dits et
les Faits du Prophète », que Mahomet s’est un jour fâché parce qu’un artisan
avait représenté sur des coussins des images figuratives trop ressemblantes et
qu’il avait menacé que Dieu ne le punisse en donnant une âme à son œuvre.
Nous avons évoqué plus haut cette méfiance (qui n’est pas pour autant
interdiction) de l’imitation picturale dans la tradition islamique.
Ce qui est ici menace de punition peut être récompense ailleurs : ainsi, dans
l’Antiquité gréco-latine, Les Métamorphoses d’Ovide racontent comment
Aphrodite, au contraire, a récompensé Pygmalion pour son travail magnifique
en donnant vie à Galatée la statue qu’il avait créée, et dont il était tombé
amoureux.
Le danger d’une ressemblance trop parfaite, au-delà de celui de provoquer
la confusion entre la représentation et le représenté, c’est donc de défier Dieu
en se croyant son égal devant la création. Dieu seul donc peut craindre ou non
ce danger, punir ou au contraire récompenser l’audacieux. Dans la tradition
judéo-chrétienne aussi, le péché d’orgueil, qui conduit l’homme à vouloir être
l’égal de Dieu par la connaissance, le désir de création absolue ou encore de
vie éternelle, a d’ailleurs donné naissance à d’innombrables récits où
l’homme ou la femme qui commettent ce péché sont durement punis51.
L’autre danger de la ressemblance, c’est la séduction au point d’en mourir,
le risque d’autodestruction. On trouve ce danger illustré dans la légende de
Narcisse, mort d’amour pour sa propre image dans la source. Cependant le
danger de l’image spéculaire peut contaminer la peinture. C’est ce que l’on
trouve dans le texte de Philostrate dont nous avons parlé plus haut et qui serait
le seul, selon Philippe Dubois52, à évoquer le mythe de Narcisse par
l’intermédiaire de la peinture ; on lit dans la vingt-troisième des Eikones :
« Cette source peint les traits de Narcisse comme la peinture peint la source,
Narcisse lui-même et toute son histoire. » Il y a bien là mise en place d’un
parallélisme entre les deux dispositifs : Narcisse face à la source est comme le
spectateur face au tableau. « Je suis comme Narcisse, je crois voir un autre
dans le tableau mais c’est moi : tout regard sur un tableau est narcissique.53 »
Déplacée, dans ce texte, du motif au dispositif, la ressemblance fonderait le
caractère à la fois narcissique et mortifère de toute image. Le modèle en
resterait encore et toujours un indice : ici la source, le miroir (même si l’on
peut discuter de leur nature de « signe » à proprement parler54).
On retrouve encore représenté l’enjeu vital de la peinture, portrait ou
miroir, dans une nouvelle comme celle du Portrait ovale d’Edgar Poe. Au fur
et à mesure que le portrait que le peintre fait de son modèle progresse et
approche d’une évocation presque parfaite de la vie même, celle-ci, transférée
au tableau, quitte le modèle, mis alors en danger de mort55.
Si nous avons évoqué ces légendes, c’est parce que, à propos de la
ressemblance même, les enjeux de la trace et de la mimésis, là encore, se
contaminent pour donner la primauté aux implications de l’image indiciaire :
le reflet, l’image spéculaire. On admet ainsi très volontiers la déclaration du
philosophe Alain, selon qui « le premier peintre fut Narcisse »56.
3.2. La ressemblance comme conformité aux attentes
Dans la théorie et l’histoire de l’art, la question de la ressemblance est aussi
posée et reste un point central de débat, en particulier à propos de la peinture.
Nous évoquerons à ce sujet ce qu’en dit le théoricien de l’art Ernst Gombrich
dans un chapitre célèbre de L’Art et l’Illusion consacré à la ressemblance, et
plus particulièrement à ses « limites »57.
Dans cet ouvrage, Gombrich s’efforce de montrer, avec toutes sortes
d’exemples empruntés à tous les âges de la peinture et de l’art, que ce que
l’on appelle « ressemblance » n’est pas une adéquation entre une
représentation et une réalité quelconque, mais entre des attentes, celle du
peintre et celles des spectateurs, qui changent d’une époque à l’autre et les
unes par rapport aux autres58. À un moment de sa démonstration, Gombrich
cite Zola pour qui « une œuvre d’art est un morceau de nature vu par un
tempérament » (déclaration qui prouve par ailleurs que Zola était bien
conscient de la subjectivité du style, même « naturaliste », conscience qu’on
lui a souvent cependant déniée). Donc, quel que soit le motif qu’un artiste
choisit, celui-ci est d’abord transformé par le tempérament de l’artiste qui
n’en retiendra que tel ou tel aspect ; mais ce n’est certes pas le seul facteur de
transformation de la réalité jusqu’à sa représentation.
Il y a en fait tout ce que l’on désigne par le mot « style » – style d’une
époque, mais aussi style d’un artiste : « Le style domine alors même que
l’artiste voudrait imiter fidèlement la nature »59. Au style il faut encore
ajouter la technique utilisée : « Le crayon à la main devant son motif, l’artiste
recherchera donc les apparences qui peuvent être dessinées par des lignes
[…] : il voit son motif en termes linéaires, tandis que, le pinceau à la main, il
le verra en fonction des masses.60 »
Cela équivaut-il à dire qu’il n’existe pas de « vérité artistique » et qu’une
toile qui ne représente pas le tout d’un paysage est une « toile mensongère »,
demande Gombrich ? Cela est un faux débat, nous répond-il : « D’après les
logiciens les termes de “vrai” et de “faux” ne sont applicables qu’à des
déclarations ou à des propositions […]. Or un tableau ne sera jamais une
déclaration au sens littéral du terme. Il ne saurait donc être vrai ou faux, pas
plus qu’une déclaration ne saurait être bleue ou verte.61 »
La confusion vient donc du fait que l’on prend la légende ou le titre du
tableau (ou de la photo) pour une déclaration (ce qu’elle est) mais que l’on
juge de sa véracité – ou de sa vérité – en la comparant au contenu du tableau.
Or cette adéquation elle-même et le sentiment de vérité qui en découle
dépendent de notre attente et « de ce que nous désirons que le sujet représenté
nous apprenne » : « Lorsque nous lisons “Tivoli”, sous une peinture de
paysage, nous en concluons que le tableau représente la vue du lieu indiqué.
[…] Mais la Tapisserie de Bayeux, par exemple, nous apprend qu’une bataille
a eu lieu à Hastings. Elle ne nous montre pas l’“aspect” que pouvait avoir
Hastings.62 » Et encore moins Bayeux ! Nous avons cependant un sentiment
de vérité. En revanche, nous sommes déroutés lorsque Magritte inscrit sur une
peinture bien connue représentant une pipe : « Ceci n’est pas une pipe »,
déclaration que l’on devrait cependant considérer comme « vraie » en toute
logique.
Gombrich s’attache à nous montrer, avec toutes sortes d’exemples, que
cette attente d’adéquation entre la légende et l’image a varié selon les
époques. Nous en retiendrons deux plus particulièrement, car ils permettent
d’arriver à des conclusions plus générales.
Dans la première période de l’imprimerie, La Chronique dite de
Nuremberg, de Hartmann Shedel, contient des bois gravés de Wolgemut, le
maître de Durer (ill. 6, p. 85). Cet ouvrage, qui est un récit de voyages, devrait
nous donner une idée de l’aspect du monde à l’époque de Christophe Colomb.
Or on y voit revenir régulièrement la même gravure sous les noms de Damas,
Ferrare, Milan ou encore de Mantoue. C’est que l’éditeur pas plus que son
public ne se souciaient de la véracité de la légende au sens où nous
l’entendons actuellement. La gravure avait pour fonction de représenter non
pas telle ou telle ville particulière, mais l’image type d’une cité médiévale, le
concept de cité.
Cet exemple est particulièrement intéressant pour nous car il explique en
partie un autre aspect de l’attente de « vérité » que nous avons des images et
dont nous avons parlé plus haut. Nous avions dit que cette attente était nourrie
par le caractère ontologiquement indiciaire des images de référence. Mais elle
est aussi nourrie par cette attente de conformité entre l’image et le dit sur
l’image.
Or, si cette conformité a varié au cours des siècles, en diachronie, comme
le démontre Gombrich, elle varie aussi, en synchronie, selon les différents
types de messages visuels et le « contrat » de communication qu’ils
impliquent. Nous n’attendons pas le même type de commentaire ni de
légende, selon qu’il s’agit d’images d’« art », de fiction, ou encore
d’« information ». C’est ainsi que le reproche souvent fait aux « images » de
la télévision d’être « fausses » ou trompeuses ne s’adresse pas aux « images »
à proprement parler, qui ne sont que ce qu’elles sont, mais au commentaire
qui en a été fait63. Dans le cas de l’information, quoique l’on critique les
« images », ce sont les commentateurs que l’on accuse ou non de mensonge,
dans la mesure où le contrat moral passé entre le journaliste et son public est
de ne lui fournir que des informations vérifiées et « vraies », que le
spectateur, qui ne peut, lui, tout vérifier, puisse croire.
Un autre exemple de la conventionnalité de la ressemblance donné par
Gombrich est encore celui d’un récit de voyage : « Le voyageur silencieux »
(1936) dans lequel Chiang Yee, écrivain et peintre chinois, illustre ses
voyages (ill. 7, p. 85). Une vue (encre et aquarelle) représentant, dans la
région des lacs, en Angleterre, le lac de Derwentwater donne au spectateur
occidental l’impression de voir un « paysage chinois » : trait noir à la fois
modulé et ferme, contours nets, arbres au tronc contorsionné, surfaces vides,
sobriété dans le détail. Les vaches elles-mêmes, au bord de l’eau, ressemblent
à des buffles, bosse sur le dos. Le même site représenté sur une gravure faite
du même point de vue, extraite d’un catalogue de voyage anglais (ill. 8, p. 85)
de la même époque, nous donne l’impression de regarder un « vrai » paysage
anglais, plus pointilliste, hachuré, ombré, mouillé, dentelé, détaillé. : « Une
certaine rigueur du vocabulaire de la tradition chinoise joue ici le rôle d’écran
sélectif ne laissant passer que les traits caractéristiques qui se retrouvent dans
les schémas de la tradition […] », commente Gombrich. Et de conclure : « La
peinture est un acte et, en conséquence, l’artiste a tendance à voir ce qu’il
peint plutôt qu’à peindre ce qu’il voit.64 »
Ainsi, pour Gombrich, le « vocabulaire de l’art » est tout autre chose
qu’une simple métaphore. Il faut, selon lui, relativiser cette idée que l’image
se sert de « signes naturels » pour « imiter » la nature.
Les dessins d’enfants, ou encore les dessins de l’art primitif, le prouvent
aussi, qui sont des « images conceptuelles » : ainsi les dessins d’une maison
ou d’un arbre (un carré, des fenêtres, une porte, un toit, une cheminée, de la
fumée ; un tronc, des branches, des feuilles, des racines) représentent plus des
« idées » de maison ou d’arbre que telle maison ou tel arbre particulier. Les
psychologues connaissent bien cela, qui examinent ces dessins conceptuels
pour ce qu’ils expriment de nos schémas mentaux. Ces exemples sont pour
Gombrich « très proches de tout le domaine de l’art qui procède de l’esprit de
l’homme et de ses réactions plutôt que de la perception du monde des choses
“visibles” ». C’est précisément, selon lui, parce que l’art est de nature
« conceptuelle » qu’il nous est possible de reconnaître, par-delà leur style,
toutes les formes de représentation.
Si nous avons longuement évoqué l’argumentation et les exemples de
Gombrich, c’est parce qu’ils traitent à leur manière des principaux problèmes
théoriques de la ressemblance et de ses liens avec la perception et la
cognition. Gombrich a en effet été de ceux qui ont démontré de « façon
décisive » la relativité de la vision et de la représentation65.
Le philosophe Nelson Goodman rappelle bien, quant à lui66, qu’« une
image, pour représenter un objet, doit être un symbole, valoir pour lui, y faire
référence ; mais aucun degré de ressemblance n’est d’ailleurs nullement
nécessaire pour la référence ; presque tout peut valoir pour presque n’importe
quoi d’autre. Une image qui représente un objet – ou une page qui le décrit –
y fait référence, ou, plus particulièrement, le dénote. La dénotation est le cœur
de la représentation et elle est indépendante de la ressemblance ». En effet, et
en ce qui concerne la perception comme la représentation visuelles, « la
vision déborde le visible »67.
Ainsi, pour Nelson Goodman, il ne s’agit pas tant de copier que de « faire
comprendre ». « Cela implique que quelque chose comme une traduction
vienne compenser les différences dues aux circonstances. » Ce sont
précisément sur les modalités de cette « traduction » que se sont penchés les
sémioticiens lorsqu’ils ont cherché à définir la nature du « signe iconique ».
C’est pourquoi nous terminerons par l’évocation de l’approche sémiotique
pour qui la ressemblance a servi dans les premiers temps à définir le
mécanisme de l’analogie mis en œuvre dans le signe iconique.
3.3. L’iconicité ou la ressemblance
comme effet d’une transformation
S’il est juste de rappeler que Peirce a dit qu’« un signe est iconique quand il
peut représenter son objet principalement par sa similarité » ; si Charles
Morris a déclaré que le signe iconique a « d’un certain point de vue les
mêmes qualités que le dénoté » ou que d’autres théoriciens tels que Ruesch et
Kees y ont vu « une

Fig. 6. Michel Wolgemut. Damas et Mantoue. Bois gravés. 1479.

Fig. 7. Chiang Yee. Vaches à Derwentwater. 1936.


Fig. 8. Anonyme. Derwentwater vu depuis Borrowdale.
série de symboles qui sont par leurs proportions et leurs relations similaires
à la chose, à l’idée ou à l’événement qu’ils représentent », il est juste aussi de
rappeler que cette notion de similarité n’a pas été énoncée aussi naïvement
que certains ont bien voulu le dire plus tard, mais qu’elle a été relativisée et
ajustée par certains de ses auteurs mêmes.
En effet, la notion de ressemblance a soulevé d’emblée un certain nombre
de questions auprès des théoriciens dont la première est celle de la définition
même de la ressemblance. À propos du signe iconique, on trouve utilisés de
façon à peu près équivalente les termes de « ressemblance » mais aussi de
« similitude » ou « similarité » ainsi que d’« analogie ». Il semble que tous
ces termes sont employés comme des synonymes. Et dans le dictionnaire
(Petit Robert 1) « ressemblance », « similarité » et « analogie » sont
effectivement donnés pour synonymes. Néanmoins, il y a des nuances à
préciser, quand ce ne sont pas des emplois totalement différents du même
terme.
Ainsi pour le terme d’« analogie » : Eco démontre que l’expression « un
signe iconique est analogique » « n’est acceptable que si l’on rétablit
“analogie” dans ses seules acceptions possibles : rapport de similitude,
d’isomorphisme ou de proportionnalité »68. Il faut cependant distinguer cet
emploi de celui des informaticiens qui distinguent image « analogique » et
image « numérique », comme nous l’avons déjà signalé. L’image analogique
étant une image produite par des procédés de langage continu (image
photographique, filmique, vidéographique) par opposition aux images
produites avec des procédés de langage digitalisé ou discret (les images de
synthèse).
Pour le sémiologue, ces deux types d’images sont « analogiques » si elles
sont isomorphes et possèdent la même proportionnalité que leur objet, tandis
que pour l’informaticien même les images « analogiques » sont susceptibles
d’être numérisées et de subir ainsi toutes les transformations possibles et
imaginables. On peut numériser d’anciens films « analogiques », transformer
la blonde Marilyn en brune et modifier le scénario du film à volonté. On
comprend donc que Eco emploie le terme de « similitude » pour définir
l’analogie.
En ce qui concerne la « similitude », Eco part ensuite de la définition de la
similitude géométrique pour montrer que, si la similitude suppose une
correspondance entre certains éléments de l’image et de l’objet, cette
correspondance n’est pas « naturelle », mais le fruit d’une
transformation point par point entre un modèle visuel abstrait et sa
représentation graphique. La similarité est donc « un produit et nécessite un
apprentissage ».
Enfin, quant à la « ressemblance », qui suppose que l’image « possède les
mêmes qualités que l’objet » ou « quelques éléments identiques », nous allons
voir que le « même » ou l’« identique » ne concernent pas la relation
image/objet, comme on l’a longtemps pensé, mais la relation perception de
l’image/perception de l’objet. On trouve déjà ce type de relativisation de la
ressemblance chez Christian Metz69 : « On sait que Peirce avait fait de la
ressemblance (likeness) le caractère définitoire des signes iconiques », écrit-il,
« c’est par ce trait qu’il les distinguait des deux autres catégories typologiques
de signes, les index et les symboles. »
Ressemblance entre quoi et quoi, s’interroge Christian Metz ? Si la réponse
est « entre l’image et l’objet », alors la définition peircienne a besoin
« d’aménagements et de correctifs », selon Metz, car « la notion de similarité
postule l’existence absolue de l’objet. C’est oublier la convention perceptive »
et le fait que nous déchiffrons le monde de façon culturelle tout comme nous
déchiffrons les représentations de façon culturelle : « Dire qu’une image
ressemble à son objet c’est dire que grâce à cette ressemblance même le
déchiffrement de l’image pourra bénéficier des codes qui intervenaient dans
le déchiffrement de l’objet réel. » Autrement dit, Metz montre que s’il y a
ressemblance, c’est entre les mécanismes de perception du monde et les
mécanismes de perception de l’image, tous deux culturellement codés, et non
entre l’image et l’objet considéré comme son modèle, qui eux entretiennent
une relation de similitude (transformation).
On peut alors définir l’icône comme « un signe produit de façon à
engendrer cette apparence que nous appelons “ressemblance” », comme le
rappelle Eco70 : « La dépendance causale entre le signe et son objet n’est pas
un effet quelconque de cet objet mais réside dans la convention qui est à
l’origine du signe (et du même coup de l’objet lui-même en tant qu’il est une
unité culturelle). »
Nous n’entrerons pas ici dans le dédale du débat autour de l’iconisme tel
qu’il a été mené à la fin du siècle dernier. Nous n’en retiendrons que les
conclusions qui nous semblent les plus utiles pour comprendre la spécificité
de la représentation par l’image et éviter un certain nombre des « naïvetés »
dénoncées.
Ainsi, « l’idée d’une “copie du réel” est naïve – comme nous l’avons vu
plus haut et comme le rappelle le Groupe μ71 –, d’abord parce que l’idée
même de “réel” est naïve. » Les études sur la perception du monde visuel
(dont nous avons évoqué certaines plus haut) montrent que les « “objets”
n’existent pas comme réalité empirique mais comme êtres de raison. S’il y a
un référent au signe iconique, ce référent n’est pas un “objet” extrait de la
réalité, mais toujours et d’emblée un objet culturalisé.72 »
Si l’on copie quelque chose, c’est toujours un aspect culturellement
sélectionné de l’objet (lui-même culturellement sélectionné), comme le
démontrait plus haut Gombrich, et auquel on fait subir un certain nombre de
transformations, elles aussi culturellement codées, pour produire l’« effet
d’iconisme » ou de ressemblance. De sorte que si l’on veut garder la notion de
« signe » iconique73, il faut « respecter le principe d’altérité et montrer que le
“signe iconique” possède des caractéristiques qui montrent qu’il n’est pas
“l’objet” et affiche ainsi sa nature sémiotique »74.
À ce sujet Eco nous rappelle qu’« il n’y a qu’une mentalité primitive ou
profondément empreinte de mysticisme pour identifier signes et choses.
Même lorsqu’il utilisait une chose comme signe, le Moyen Âge savait fort
bien établir la différence entre un agneau réel et un agneau pris comme signe
du Christ.75 »
Néanmoins, la littérature sémiotique regorge d’exemples d’ambiguïtés et
d’hésitations : on peut être leurré par un signe qui ne sera plus perçu comme
signe mais comme objet, et inversement. L’interprétation dépendra alors de la
connaissance de l’usage des objets et des règles qui instituent certains de ces
objets en signes. Ainsi, pour reprendre deux exemples bien connus donnés par
Eco, la bouteille vide que je désigne au restaurant pour en réclamer une pleine
ou encore le « verre de bière de l’affiche », qui comporte une série de traits
appartenant à l’objet et peuvent me faire saliver : « Certains stimuli visuels,
des couleurs, des rapports spatiaux, l’incidence de la lumière sur la matière »
photographique, déclenchent une perception à bien des égards « semblable » à
celle qu’on aurait en présence du verre de bière que l’affiche imite ;
cependant d’autres caractères – la bidimensionnalité de l’image, sa taille très
grande, sa texture – m’indiquent que je ne peux pas soumettre ce verre de
bière à l’usage habituel.
Inversement une affiche elle-même, un film, une série télévisée, considérés
généralement comme signes, peuvent à leur tour prendre le statut d’objet ou
de référent dans d’autres représentations comme dans la vie même. Ainsi la
découverte souvent racontée par certains, retour de voyage, d’une Amérique
ou d’une Afrique « comme dans les films ». Ou encore l’influence de
l’organisation du visuel par un peintre dont on verra les œuvres dans une
exposition (Chirico, Magritte, Vallotton…) sur notre perception du monde et
qui nous amènera à redistribuer, un temps, à leur manière, les données
visuelles de l’expérience : telles rues, telle ville, telle maison ressembleront
soudain à « du Chirico », à « du Magritte » ou à « du Vallotton ».
Si l’on admet donc qu’un signe iconique met en œuvre une structure
perceptive « semblable » à celle que déclenche l’objet, il faut admettre à
nouveau que c’est par l’intermédiaire de transformations des stimuli
matériels. Le travail du sémiologue sera alors d’examiner les critères de
pertinence de ces transformations et de repérer encore une fois les
conventions culturelles qui les fondent et qui fondent aussi par là le caractère
« symbolique » de l’image. C’est ce que nous ferons dans le prochain
chapitre.
3.4. L’iconicité comme « passage » entre indice et symbole
Auparavant, nous voudrions montrer comment une approche particulière de
l’iconicité peut l’articuler avec l’indice et faire de cette articulation même la
raison de l’« efficacité iconique ». C’est le point de vue que défend le
chercheur français Daniel Bougnoux en soumettant la classification
peircienne au regard de la psychanalyse76. Pour lui, l’image,
signe analogique, s’oppose à la communication digitale et comprend au
moins deux des catégories de signes telles que Peirce les définit : l’icône et
l’indice.
Les indices se rapprochent, selon lui, des « représentations de choses »
freudiennes : empreintes de pas, cendres de feu, pâleur, poing brandi, etc.,
sont tous des signes qui demeurent en contiguïté physique d’espace et de
temps avec le dénoté. C’est un segment, un échantillon, « ce qu’il manque à
l’indice c’est le re de la représentation ».
La continuité et la contiguïté naturelles des indices les placent alors à la
naissance du processus signifiant ; dans l’aculturation d’un individu, ce sont
les indices qui viennent d’abord, sur le mode de la communauté et du contact
(du phatique). « Les indices sont les signes de l’enfance » et « l’enfance du
signe ». La coupure sémiotique – la différence du signe et de la chose, de la
carte et du territoire – n’y est pas évidente, ou pas encore stabilisée : l’indice
est « a fragment torn away from the object » (Peirce) ; sa référence est donc
« auto », la chose s’envoie et se réfère à elle-même, sur place, circulairement.
D’où l’ambiguïté des indices : chose ou signe, présence brute ou
représentation intentionnelle ?
Dans l’icône, au contraire, le contact est rompu. On n’est ni dans le même
temps ni dans le même espace que la chose même (pas de troisième
dimension). Excepté dans le cas particulier de la photographie et des autres
images indiciaires, nous l’avons vu. La représentation est motivée et
ressemblante, elle fait preuve de continuité, mais elle n’est plus contiguë :
« L’icône s’ajoute au monde, alors que l’indice est prélevé sur lui par un
détachement métonymique. » Cependant, la coupure iconique est combattue
par le peintre car l’œil se souvient de l’indice qui fut « son premier registre ».
Pour Daniel Bougnoux, « toute l’érotique du regard […] s’efforce au toucher
et révèle à quels trésors de contact perdus tend la vue ».
Ce constat reconduit Daniel Bougnoux lui aussi vers la « Querelle des
images » pour proposer que « ce que le grand motif iconoclaste, qui va de pair
avec la haine du théâtre, a toujours combattu, c’était cette érotique :
l’indésirable (le trop désirable) dans l’icône, c’est l’indice ».
Enfin le symbole rompt autant avec la continuité (la ressemblance) qu’avec
la contiguïté (l’indice) et regroupe les signes « arbitraires » proprement dits.
« À la fois discret et continu, sa loi est tout ou rien : entre deux phonèmes que
la langue articule, il n’y a pas de troisième terme. Dans la langue comme dans
les nombres, il n’y a que des différences. » L’ordre symbolique est linéaire et
successif, à la différence du tableau devant lequel il arrive que « l’œil existe à
l’état sauvage », selon l’expression d’André Breton.
Daniel Bougnoux rappelle que cette classification partage des catégories
mentales et non des choses : ainsi la fumée sera perçue comme indice de feu
par certains, ou comme symbole par les Indiens. Partant de ce rappel des
données peirciennes, il postule que toute éducation consiste à progresser du
maniement des indices à celui des icônes, puis des symboles, la progression
culturelle tendant vers la maîtrise du symbole, et la fonction esthétique vers
une régression indiciaire. Quant à l’icône, dans son fonctionnement
sémiotique, elle oscillerait donc entre deux postulations, l’une symbolique et
l’autre indiciaire. La distinction de Peirce offrirait ainsi « un cadre fécond à
l’esthétique, discipline étroitement liée au psychanalytique en général ».
Progressant des indices aux icônes, et des icônes aux symboles, nous
apprenons à défusionner, à articuler de plus en plus finement nos
représentations. Plus on est éduqué, mieux on se passe d’indices et d’images,
plus la communication se digitalise. « L’apprentissage de la culture est ce
chemin du détachement. Nous regrettons sur cette voie les indices qui sont
l’enfance du signe. Nous ne linéarisons pas volontiers ni durablement nos
pensées. Le régime oppositionnel, propre à la langue, s’oppose en nous à la
pente spontanée des associations libres (métonymiques et indicielles). Le
symbolique, et plus encore le numérique, correspondent à la loi du plus grand
effort ; le sommeil et son corrélat le rêve, où la pensée verbale se change en
flot d’images toutes mêlées d’indices, à la moindre de nos dépenses
psychiques. L’art, le rêve et l’imaginaire en général frayent le chemin inverse
à la culture : ils s’efforcent par désymbolisation de nos représentations de
retrouver l’icône en deçà du symbole, et l’indice “sous” l’icône, à la
recherche d’une continuité perdue et d’une présence pleine. »
L’individu, comme la civilisation, a dû s’arracher aux contacts primitifs
pour apprendre l’abstraction, la combinatoire symbolique et les nombres.
Entre les deux, équivoques et à tous égards régulatrices et médiatrices pour
l’équilibre de nos rythmes psychiques : les images. Daniel Bougnoux
s’attache en effet à rapprocher ces types de sémiotiques des processus
psychiques : si l’indice (et les icônes) sont le pôle de l’attachement ; si le
symbole est le pôle du détachement, alors « chaque pôle correspondrait aux
opérations “primaires” et “secondaires” et une bonne part du travail de
l’inconscient serait à rattacher aux communications analogiques ou
préverbales ». On sait que l’inconscient ignore la linéarité, la négation, la
représentation de mots, le temps logique (plus que la durée), le virtuel ou la
hiérarchisation en méta-niveaux. Or tout cela, selon Daniel Bougnoux, peut se
dire de l’icône qui n’admet pas de négation pas plus qu’elle n’enregistre les
flexions temporelles, ni ne connaît les hiérarchies du métalangage, les
relations de subordination, etc. « Nous poserons donc que le processus
secondaire s’oppose au primaire comme le linéaire s’oppose au non-linéaire
(au plastique, au magmatique) ou comme le symbolique à l’iconique et à
l’indiciel. »
Puisque toute l’argumentation de Peirce s’édifie donc à partir du concept de
coupure sémiotique, celle-ci est théoriquement nulle pour les indices, à demi
réalisée pour les icônes (l’image substitutive est encore ressemblante), totale
pour les symboles. L’expérience esthétique ne cesserait alors de combiner ces
trois formes selon des propositions variables, en « jouant sur la coupure
sémiotique sans jamais l’abolir car l’art est signe et le tout de la chose ne peut
passer dans son signe ».
L’icône religieuse serait alors l’exemple prototypique de ce passage,
comme le montre Didi-Huberman77 qui analyse le génie de l’image
caractéristique du christianisme : « Image sujet qui nous regarde et appelle la
prosternation, mystère d’une chair double, d’une Filiation, d’une présence
réelle, théologie de l’Incarnation. »
On voit ainsi, dans cette approche particulière, que le concept même
d’iconicité, recouvrant d’ordinaire analogie et ressemblance comme
spécificités de l’image comme signe, n’échappe pas lui non plus à la force de
l’indice, dont il constituerait une sorte de relais vers le symbole. C’est que la
spécificité de l’analogie ici retenue et avancée pour la démonstration n’est
plus le critère de conformité, mais celui de continuité (par opposition au
discret et au discontinu), comme intermédiaire entre les signes fusionnés et
contigus (les indices) et les signes coupés et séparés (les symboles). La force
de l’iconicité elle-même tient à celle de l’indice.
4. Conclusion
Nous voudrions donc conclure ce chapitre en rappelant tout le poids
culturel attaché à l’image par notre histoire et qui lui a associé de manière très
étroite, sinon confondu, la mort, le sacré, la vérité, la connaissance et
l’éducation. Associations existentielles qui ne peuvent qu’avoir déterminé, au
fil des siècles, une attente spécifique de l’« image », différente de celle du
langage.
Nous constatons que l’image (en particulier l’image médiatique :
télévision, publicité, presse) perpétue ce type d’attentes, ce qui explique
qu’elle déçoit plus qu’elle ne satisfait. L’attente que nous avons de l’image ne
serait pas provoquée par une sorte d’oubli de notre histoire, comme le
soutiennent un certain nombre de prédicateurs contemporains, mais au
contraire par une sorte d’ancrage intériorisé et archaïque de la fonction
philosophique sacrée, cognitive et fusionnelle de l’image. Soulignons que
c’est l’approche sémiotique peircienne qui nous permet de proposer cette
interprétation de la spécificité de l’attente de l’image et ses implications
existentielles, philosophiques, religieuses, cognitives, voire psychanalytiques.
Nous pensons ainsi que l’attente de vérité et de justesse de l’image est plus
liée à son caractère de trace ou d’empreinte (d’indice) qu’à celui de
ressemblance (d’icône) dans lequel on a d’abord reconnu la spécificité de
l’image. Nous pensons en effet que l’attente liée à l’image contemporaine
n’est pas débarrassée de l’attente liée à l’image prototypique et
« achéiropoïète » (non faite de la main de l’homme) de la Sainte Face qui
condense à elle seule les différentes fonctions archaïques de l’image non pas
de tenir lieu de, mais d’être Dieu, Mort et Savoir : non plus un signe, ni même
une chose, mais un Être.
C’est pourquoi nous avons voulu évoquer d’abord la puissance des images
indiciaires, avant d’aborder la spécificité plus reconnue de la
« ressemblance » de l’image. Nous verrons par ailleurs qu’en réalité ces deux
spécificités se renforcent l’une l’autre pour créer cette fameuse « impression
de réalité » qui fait oublier la convention de la représentation pour intensifier
la confusion ou l’amalgame entre visible/réel/réalité et vérité.
Une réflexion de Barthes sur la ressemblance photographique, dans La
Chambre claire, illustre bien aussi la force du lien entre « indice »
(l’empreinte) et « icône » (l’image « ressemblante »). Il nous fait remarquer
que la ressemblance est ressentie comme une conformité mais que selon les
circonstances cette conformité est fluctuante : une photographie peut être
« conforme » à une image mentale, ou à une image sociale ou encore à un
mythe. En fait, Barthes nous invite à observer que la « ressemblance » est un
phénomène plus insidieux et plus pénétrant qu’on ne le pense, et que la photo
considérée d’abord et avant tout comme image « ressemblante » peut aussi
parfois faire surgir quelque chose que l’on n’a même jamais perçu auparavant
d’un visage « réel » : une filiation, un « lignage »… De quelle ressemblance
s’agit-il alors ? Au-delà de la ressemblance, ce que l’on désire retrouver,
selon Barthes, c’est « l’air », « l’animula », « la petite âme individuelle », des
personnes ou des lieux, qui nous permettront de nous écrier, devant l’image
d’un « ça-a-été », le « c’est ça ! » de la reconnaissance. Reconnaissance, qui
correspondra, comme nous l’avons vu avec Gombrich et d’autres, à la
conformité avec une attente culturellement, psychiquement et historiquement
déterminée.
1 - Roland Barthes, « Rhétorique de l’image », in Communications no 4, Seuil, 1964.
2 - Entre 389 et 369 av. J.-C.
3 - Platon, La République, livre X.
4 - Platon, ibid.
5 - Ibid.
6 - Vers 344 av. J.-C.
7 - Ces arts sont « l’épopée et le poème tragique, comme aussi la comédie, le dithyrambe et, pour la
plus grande partie, le jeu de la flûte et le jeu de la cithare », qui « sont tous d’une manière générale des
imitations » (Aristote, la Poétique).
8 - Aristote, ibid.
9 - Ibid.
10 - 165-249 ap. J.-C.
11 - Par exemple dans l’Énéide.
12 - Les « images » dans la traduction d’Émile Chambry, Les Belles Lettres, 1966 ; les « copies »
dans la traduction de Léon Robin, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1950.
13 - On peut consulter à ce sujet Hans Belting, spécialiste de l’art byzantin et auteur du monumental
Bild und Kult (Image et Culte).
14 - Exode, XX, 4, Bible de Jérusalem.
15 - Il y a plusieurs versions de la Bible : la Bible hébraïque, celle des catholiques, celle des
protestants et la Bible grecque des Septante, destinée aux juifs de la diaspora. Cf. le Dictionnaire
culturel de la Bible, Le Cerf, Nathan, 1993.
16 - Octave Mannoni, « Je sais bien mais quand même… », in Clefs pour l’Imaginaire ou l’Autre
Scène, © Éditions du Seuil, coll. « Points Essais », 1985.
17 - Cf. Robin Cormack, Icônes et société à Byzance, Gérard Monfort, 1993.
18 - Sur l’histoire de l’iconoclasme, cf. J. Gouillard, article « Iconoclasme », Encyclopaedia
universalis.
19 - Sous les deux règnes de Justinien II, chassé et mutilé en 695 par les Grecs, mais revenu au
pouvoir dix ans plus tard jusqu’en 711.
20 - Cf. Robin Cormack, op. cit.
21 - Ibid.
22 - Roi d’Edesse, de 4 av. J.-C. à 50 ap. J.-C.
23 - Cf. J. Blankof et O. Clément, article « Icône », Encyclopaedia universalis.
24 - Qui est peinture et non sculpture : il n’y a pas de sculptures dans les églises orthodoxes.
25 - Comme le prétend Baudrillard in « L’irréférence divine des images », Simulacres et Simuladon,
Galilée, 1985.
26 - Cf. Roland Barthes, La Chambre claire, Cahiers du cinéma-Gallimard, 1980.
27 - Cf. André Bazin, « Ontologie de l’image photographique », in Qu’est-ce que le cinéma ?, Le
Cerf, 1981.
28 - Cf. Robin Cormack, op. cit.
29 - Cf. G. Wiet, article « Islam, les Arts », Encyclopaedia universalis.
30 - Cf. Titus Burckhardt, L’Art de l’Islam, langage et signification, Sinbad, 1985, ou encore : Oleg
Grabar, La Formation de l’art islamique, Flammarion, 1973, 1987…
31 - On peut en voir des exemples non seulement dans les pays concernés, mais encore dans les
grands musées des villes comme Bagdad, Boston, Istanbul, Le Caire, Londres, Milan, New York,
Oxford, Paris, Rome, Washington, etc.
32 - Cf., par exemple : « Le Prophète et ses quatre successeurs » (Serat), manuscrit persan du
XVIIe siècle, musée islamique du Caire ; « La Kaaba », céramique murale d’Asie Mineure, XVIIe siècle,
musée islamique du Caire.
33 - Mais aussi en Israël, par exemple, c’est-à-dire dans des cultures où la représentation figurative a
posé problème.
34 - Cf. E.H. Gombrich, L’Art et l’Illusion, trad. fr., Gallimard, 1971.
35 - Jean Baudrillard, Simulacres et Simulation, Galilée, 1985.
36 - Cf. Régis Debray, Vie et mort de l’image ; une histoire du regard en Occident, Gallimard, 1992.
37 - Comme le remarque Louis Marin, en préambule de son dernier ouvrage : Des pouvoirs de
l’image, Gloses, Seuil, 1993.
38 - In « Spie. Radici di un paradigma indizario », in Crisi della ragione ; nuovi modelli nel rapporto
tra sapere e attività umane. À cura di Aldo Gargani, Enaudi, Paperbacks 106.
39 - In Ph. Dubois, L’Acte photographique, Nathan, 1991 (rééd.).
40 - Véronique : (vera = vraie, icona = image) sainte patronne des photographes !
41 - Cf. Walter Benjamin : « L’œuvre d’art à l’heure de sa reproductibilité technique ».
42 - Op. cit.
43 - In Communications no 1, art. cité.
44 - R. Barthes, La Chambre claire, op. cit.
45 - A. Bazin, op. cit.
46 - La Chambre claire, op. cit.
47 - Peirce, Écrits sur le signe, op. cit.
48 - L’Acte photographique, op. cit.
49 - Ph. Dubois, L’Acte photographique, op. cit.
50 - Nous avons déjà évoqué dans notre Introduction à l’analyse de l’image, op. cit., l’exemple
littéraire de Hans Castorp, héros de La Montagne magique de Thomas Mann, qui conserve dans son
portefeuille la radiographie pulmonaire de la femme aimée.
51 - Cf. Adam et Ève, les Chevaliers du Graal, Faust, etc.
52 - Cf. Philippe Dubois, L’Acte photographique, op. cit.
53 - Ibid.
54 - Cf. Umberto Eco, La Production des signes, Livre de Poche, coll. « Essais », 1992 (trad. fr.).
55 - Cette nouvelle a été adaptée au cinéma par Jean Epstein dans le début de La Chute de la maison
Usher, avec une recherche plastique intense autour de la spécificité des différents types d’images :
miroir, peinture, cinéma, ainsi que de leur interaction.
56 - In Propos sur l’Esthétique, PUF, 1975 (5e édition).
57 - Cf. Ernst H. Gombrich, L’Art et l’Illusion, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines »,
1971, trad. fr. (1re éd. 1960).
58 - Sur la notion d’attente et d’« horizon d’attente », cf. H.R. Jauss, Pour une esthétique de la
réception, Gallimard (trad. fr.), 1978, et le rappel que nous avons fait de cette notion in Martine Joly,
Introduction à l’analyse de l’image, op. cit.
59 - L’Art et l’Illusion, op. cit.
60 - Ibid.
61 - Ibid.
62 - Ibid.
63 - Les exemples de Timisoara ou de la « fausse » interview de Castro sont très significatifs à ce
sujet.
64 - L’Art et l’Illusion, op. cit.
65 - Selon l’expression de Nelson Goodman, in Langages de l’art, éd. Jacqueline Chambon, trad. fr.,
1990 (1re éd. 1968) ; sur la question de la relativité de la vision, cf. aussi : R.L. Gregory, Eye and Brain,
Mc Graw-Hill Book, 1966 ; ou M.H. Segall, D. Campbell et M.J. Herskovits, The Influence of Culture
on Visual Perception, The Bobbs-Merrill, 1966.
66 - Cf. Langages de l’art, op. cit.
67 - Cf. « Cassius m’a fait remarquer que le zoulou comporte plus de 300 mots susceptibles de
décrire les différentes couleurs d’une vache », in James McClure, Le Chien qui chante, Série Noire
no 2337, NRF, Gallimard, 1994.
68 - In La Production des signes, op. cit.
69 - Christian Metz, Essais sur la signification au cinéma, t. I et II, Paris, Klincksieck, 1971-1976.
70 - In Le signe, op. cit.
71 - In Traité du signe visuel, op. cit.
72 - Ibid.
73 - Ce que conteste Eco pour préférer celle de « mode de production sémiotique », cf. La Production
des signes, op. cit.
74 - Groupe μ, ibid.
75 - In Le Signe, op. cit.
76 - Cf. Daniel Bougnoux, « L’efficacité iconique », in « Destins de l’image », numéro cité.
77 - Cf. Georges Didi-Huberman, Devant l’image, Éditions de Minuit, 1990.
Chapitre 3
Image et signification
Nous avons vu dans les chapitres précédents comment l’approche de
l’image comme signe visuel permet de mieux cerner sa spécificité en tant
qu’outil de communication, d’expliquer certains types de traitement qu’elle a
eus à quelques moments clés de notre histoire, et d’envisager le type de
relation qu’elle entretient par rapport à ce qu’on a coutume d’appeler « la
réalité ». Nous aimerions à présent passer en revue quelques-uns des outils
offerts par la sémiotique pour l’étude de la signification par l’image fixe. À ce
sujet, il nous semble important de revenir, en préambule, sur quelques poncifs
trop répandus à propos de la lecture de l’image.
1. De quelques poncifs
1.1. Polysémique, l’image ?
L’un des poncifs les plus connus à propos de l’image a été de la déclarer
polysémique. La polysémie de l’image a en effet été très vite considérée
comme la spécificité de la communication par l’image, en particulier dans les
domaines des sciences de l’éducation ou ceux de la publicité.
Dans la pédagogie comme dans la publicité, l’image est utilisée au stade de
la motivation, parce qu’elle apparaît comme plus affective, plus attirante,
mais, en même temps, elle est savamment appauvrie, spécialement fabriquée
et embrigadée, de façon que sa « polysémie » ne fasse pas déraper
l’interprétation de l’enfant ou du consommateur. Tout un travail est entrepris
sur l’image même et son contexte verbal (les commentaires des manuels
scolaires, les messages linguistiques des publicités) ou iconique (l’adjonction
d’autres images), pour « canaliser » une polysémie qui serait intrinsèque à
l’image.
L’idée maîtresse est que puisqu’une image visuelle fournit un grand
nombre (poly) d’informations (sémies) visuelles, elle peut avoir de multiples
significations et se prêter à de multiples interprétations. Ce disant on accrédite
allégrement un certain nombre de présupposés sur lesquels il nous faut
revenir1.
Si la spécificité de l’image est d’être polysémique, c’est que quelque chose
d’autre que l’image ne l’est pas. Ce quelque chose d’autre, sous-entendu dans
les premiers temps de la réflexion sur l’image, c’est le mot. Implicitement on
compare l’image au langage verbal et plus particulièrement au « mot ». Cette
comparaison, qui ne peut tenir bien longtemps, est cependant révélatrice de la
place privilégiée qu’a le langage verbal dans notre système de valeurs où il
sert toujours de référence idéale : « pour la langue, contre l’image », précise
Christian Metz2.
Cependant le mot aussi est « polysémique » : il suffit d’ouvrir le
dictionnaire pour s’en convaincre. Selon le contexte, un même mot peut avoir
plusieurs significations : un « disque » peut avoir six acceptions différentes, le
mot « disposition » huit, le mot « point » une vingtaine, et ainsi de suite. La
polysémie n’est pas la spécificité de l’image, même comparée au mot, mais
seulement un certain degré de polysémie. En réalité, ce qu’on appelle image
(ou même signe iconique) est un texte visuel : « La preuve en est que son
équivalent verbal n’est pas un simple mot mais au minimum une description
(qui peut être infinie) ou un énoncé et parfois même tout un discours.3 »
Or une description, un énoncé ou un discours verbaux sont eux aussi
polysémiques (ils transmettent aussi de nombreuses informations) et ils ont
besoin, tout comme l’image, d’être contextualisés pour être correctement
interprétés. Il suffit de penser aux accusations de détournement de sens que
les hommes politiques portent contre les journalistes, lorsque ces derniers
citent leurs fameuses « petites phrases » hors contexte.
La contextualisation comme la dé-contextualisation contribuent largement
à la production de sens de tous les types d’expression ou de communication.
Pensons, par exemple, au rôle qu’a joué la dé-contextualisation dans
l’artcontemporain avec des artistes comme Duchamp, Man Ray ou Tapiès. On
se rappelle l’effort de libération du bon ou du mauvais goût que fit Duchamp
en inventant le ready-made : « objet usuel promu à la dignité d’objet d’art par
le simple choix de l’artiste »4 : ratelier à bouteilles, urinoirs, cage à oiseaux
remplie de morceaux de marbre ressemblant à des morceaux de sucre, autant
de « gestes » artistiques célèbres jouant sur le déplacement de contexte et
d’attentes et sur ses conséquences5 (ill. 16, p. 129).
Donc, pour en revenir à l’image, elle est nécessairement polysémique dans
la mesure où elle est un énoncé iconique complexe ; mais on ne peut faire de
la polysémie sa spécificité dans la mesure où tout énoncé complexe (verbal ou
non verbal) est polysémique. La polysémie tient à cette complexité qui
réclame alors un contexte pour lever les ambiguïtés qu’elle suscite. C’est cette
complexité même qui a besoin, si l’on veut réduire un trop grand nombre de
significations et d’interprétations induites, d’avoir recours à un contexte et à
un co-texte verbal ou iconique à son tour, ainsi qu’à des moyens de
transmissions particuliers (presse, toiles, murs, écrans, etc.), eux-mêmes
inscrits dans des situations et institutions particulières.
Ainsi, le terme de polysémie sert-il à désigner à tort quelque chose que tout
le monde sent confusément, une particularité propre à l’image que Metz
appelle « l’absence de focalisation assertive : l’image parle peu d’elle-
même ».
La focalisation consiste à mettre en relief (en focus) un élément d’un
énoncé par des moyens propres au code employé. L’utilisation
métalinguistique du langage sert ainsi très facilement à désambiguïser un
énoncé verbal. Les procédés qu’emploie l’image pour mettre en relief tel ou
tel point d’un énoncé visuel sont souvent moins facilement perçus qu’une
focalisation verbale, quoiqu’ils existent cependant (par l’intermédiaire de la
couleur, de la composition, du cadrage, de l’éclairage, du choix des
proportions, etc.). De plus cette focalisation, lorsqu’elle est réalisée avec des
moyens propres à l’image, n’est cependant pas assertive comme dans le
langage verbal : c’est-à-dire que l’image par elle-même, sans recours au
langage verbal, n’affirme ni ne dénie rien. « Une image ne peut pas dire
non », déclarait le théoricien américain Sol Worth. Ni vraie ni fausse, nous
l’avons vu, une image n’est ni une proposition ni une déclaration. C’est ce
manque de capacité assertive qui est ressenti comme polysémique, car
l’attente qu’on en a se modèle, par comparaison « normative », sur celle que
l’on a du langage verbal.
« Ce n’est pas l’image qui est polysémique, mais le spectateur », précise
Christian Metz. C’est donc l’hésitation interprétative provoquée par le
manque d’assertivité de l’image que l’on appelle alors polysémie. On peut
néanmoins et bien entendu relever des effets réels de polysémie accrue dans
certaines images, redoublant celle liée à son caractère d’énoncé. Metz en
relève six cas6 :
ceux provoqués par la détériorisation de la matière signifiante de
l’image : dégradations, superpositions, palimpsestes ;
ceux résultant d’une attente inappropriée : on attend l’équivalent
d’un mot : « visage », on trouve un énoncé : un portrait ;
ceux délibérément construits, comparables aux « jeux de mots » ou
au double sens : c’est le cas des images cachées dans les images,
des anamorphoses7 ;
ceux résultant d’un manque de savoir du spectateur ;
ceux résultant d’une interprétation en profondeur d’une « œuvre »
qui ne sont bien entendu pas réservés au domaine de l’image ;
et enfin le cas de l’image non figurative, cas particulier d’image qui
provoque un effet de polysémie particulièrement intense parce
qu’elle abandonne le recours à des éléments figuratifs pour se
référer à ses propres éléments (couleur, forme, matière)8. Cette
faculté-là est quasiment absente de la langue qui continue même
dans les textes les plus déconstruits à avoir recours au « mot ».
Entre langage et image, le lettrisme est une tentative de non-
figurativité langagière, mais la déconstruction du mot et mieux
encore du morphème (l’unité de sens) reste une barrière presque
insurmontable pour la langue alors que l’image est beaucoup
plus libre.
Un ultime contre-exemple viendra combattre cette idée que l’image est
« particulièrement » polysémique : c’est la formule souvent citée de Napoléon
selon qui « un bon croquis vaut mieux qu’un long discours ». Il faut
cependant reconnaître que cette déclaration ne s’avère juste que parce que
tout schéma, quel qu’il soit, se doit d’être accompagné d’un commentaire
verbal qui en réduit la polysémie.
Enfin nous remarquerons que, dans le cas des images figuratives, il faut
distinguer la polysémie dénotative et la polysémie interprétative. En effet, la
reconnaissance des objets du monde représentés, socio-culturellement codée
(de l’esquisse à l’hyperréalisme), est souvent rapide et sans hésitations. On
peut nommer facilement ce que l’on reconnaît : un arbre, un chien, une
rivière, etc. En revanche, il peut y avoir hésitation quant à l’interprétation de
l’image : cherche-t-elle à produire un concept comme c’est souvent le cas
avec l’image publicitaire (féminité, liberté, bonheur, liberté, etc.) ? Dois-je la
prendre pour une réserve de renseignements visuels sur un événement
quelconque, comme l’induit l’image de reportage ? Dois-je construire un
univers imaginaire comme m’y invite le film de fiction ? etc.
En réalité l’hésitation entre ces différents types d’interprétation est très vite
interrompue par toutes sortes de marques propres à chaque type d’image, à sa
contextualisation ainsi qu’à son inscription institutionnelle. On reconnaît
souvent au premier coup d’œil si l’on a affaire à une « pub », une photo de
presse ou de famille, un tableau de la Renaissance, un film de fiction ou à une
série B, et ainsi de suite. La pratique du « zapping », à la télévision, le prouve
facilement.
C’est donc une fois opérés tous ces filtrages fortement inductifs de
l’interprétation que l’on peut néanmoins encore hésiter entre deux ou trois
interprétations : s’il s’agit d’une publicité l’hésitation est plus rare car la
construction plastique est généralement très contrôlée et déterminante. Une
photo de reportage sans légende peut dérouter : de qui s’agit-il, que fait-il, où
va-t-il ? S’il ne s’agit pas de personnages très connus, un texte doit venir
identifier les personnages et surtout donner des indications de lieu et de temps
nécessaires pour circonstancier un événement.
En conclusion, nous dirons que si cette observation que l’image est
polysémique est juste, il convient d’une part de préciser à quel niveau de
décryptage de l’image on se place (description ou interprétation) et, d’autre
part, de n’en pas faire sa spécificité par rapport à une pseudo-monosémie du
langage.
1.2. Passive, la lecture de l’image ?
Un autre poncif extrêmement répandu à propos de la lecture de l’image est
de la déclarer facile et passive. Celle-ci serait « naturelle » et ne demanderait
aucun effort particulier à nos enfants, par exemple, qui rechigneraient
d’autant plus à lire des livres que notre société les en détournerait par la
profusion des bandes dessinées ou des images télévisuelles mises à leur
disposition.
Toutefois, s’il est juste de dire que la lecture des textes demande un
apprentissage et des opérations intellectuelles très abstraites, réclamant du
lecteur un effort certain, quelle que soit la difficulté du texte déchiffré, il est
cependant faux de dire que la lecture d’une image est « naturelle » et qu’elle
ne demande aucun apprentissage ni aucun effort intellectuel. C’est
précisément ce que tend à montrer et à analyser tout cet ouvrage. Ce chapitre,
consacré à l’analyse de quelques-uns des paramètres de l’image, montrera
qu’ils mobilisent chez le spectateur un ensemble d’activités mentales et de
savoirs intériorisés par une stratégie qui lui demande une participation active.
Cependant, nous voudrions faire une remarque de bon sens : elle consiste à
comparer ce qui est comparable. En effet, lorsqu’on dénonce la « facilité » de
la lecture de l’image, on compare implicitement la lecture d’une « BD », le
spectacle d’une série B à la télévision ou la participation à un jeu vidéo, à la
lecture de Proust ou de Balzac. Ou encore la lecture de son feuilleton favori à
l’étude d’une leçon de mathématiques ou de géographie. Dans ces cas-là, oui,
la lecture de l’image s’avère certainement plus facile que celle du livre. Mais
il arrive aussi que l’on se détourne de certaines images difficiles pour aller lire
un livre ou un journal « faciles » : plutôt un bon roman policier qu’une
émission « culturelle » à la télévision, plutôt la lecture d’un magazine qu’aller
voir un film de recherche, plutôt certaines revues que l’art contemporain ! Il y
a des textes plus ou moins faciles à lire, il y a des images plus ou moins
faciles à regarder. Tout le débat de l’audimat tourne autour de ce phénomène
et les différences d’audience entre TF1 et Arte, par exemple, suffisent à
illustrer cette réalité.
Mais pour dénoncer l’image une fois encore, on compare des choses
incomparables, c’est-à-dire des images faciles à des textes difficiles. S’il est
vrai que, pour des raisons économiques et idéologiques, la télévision dite
« commerciale » propose plus d’images faciles que d’images difficiles, on ne
peut cependant pas en déduire que l’image est « facile » à lire « par nature ».
La seule généralisation que l’on puisse faire raisonnablement, c’est de
reconnaître qu’il existe une loi universelle bien connue, qui préside à toute
évolution, qu’elle soit langagière, technologique ou autre, et qui là encore
exerce son pouvoir absolu, à savoir la « loi du moindre effort ». Nous verrons
cependant que, faciles ou moins faciles, les images sollicitent pour leur
déchiffrement toute une activité mentale non négligeable, et nécessitent un
apprentissage qui, s’il n’est pas fait à temps (à peu près en même temps que
l’apprentissage du langage), bloque la lecture et la compréhension des
images.
Un autre argument en faveur de la facilité de lecture qu’offre l’image est
celui de la passivité physique du spectateur, qui serait liée à la globalité de la
lecture de l’image. Là encore il s’agit d’un lieu commun un peu rapidement
avancé. Tout d’abord l’impression de globalité de l’appréhension visuelle
d’une image dépend de la taille de celle-ci et de la distance à laquelle s’en
tient le spectateur. Telle fresque murale, tel grand tableau ne sera perçu
globalement que si le spectateur en est relativement éloigné ; s’il s’en
rapproche le spectateur aura conscience de parcourir l’image plus
progressivement et selon des trajets plus ou moins déterminés par sa
composition.
Comme le souligne la sémiologue Fernande Saint-Martin9, l’impression de
lecture globale de l’image résulte plus des « habitudes structurantes
antérieures de l’individu, assimilant ce qui est nouveau à un même déjà
identifié à des fins de sécurité émotive », que des « relations sensorielles avec
les stimuli objectifs ». C’est qu’en effet, à cause des caractéristiques
physiologiques de la vision, qui combine la vision centrée, la vision fovéale,
la vision nette et la vision périphérique10, « il est impossible de percevoir, de
façon adéquate, une grande étendue du champ visuel dans une seule
centration du regard »11.
Il faut donc bien distinguer, selon Fernande Saint-Martin, « ce qui relève de
l’observation » de ce qui relève « de l’interprétation ». La tension perceptuelle
organisée par l’œuvre entraînera une « dynamique de chaque centration (du
regard) et les multipliera suffisamment pour pouvoir rendre compte de
l’interaction des diverses parties dans une appréhension unifiée de
l’ensemble. » C’est donc au contraire le trajet, apparemment spontané, mais
en réalité très rapide et actif, de la vision périphérique, guidé plus ou moins
savamment par la composition plastique de l’œuvre, qui permet de construire
son appréhension globale.
Pour en finir, donc, avec la passivité intellectuelle et physique de la lecture
de l’image, nous dirons que ce qui est facile est facile, pour un texte comme
comme pour une image. La perception visuelle d’une image serait plutôt plus
dynamique que celle que sollicite la lecture d’un texte écrit, linéaire et plus
régulière. Ainsi on peut exercer le jeune enfant – et soi-même – à
l’observation sérieuse des images et d’un certain nombre de trajets visuels
qu’elle dynamise (la pause étant toujours illusoire, quoique nécessaire), au
lieu de se contenter d’un survol que l’on confond trop facilement avec sa
« lecture ».
D’autre part, la lecture des images, qu’elles soient fixes ou animées et en
séquence, mobilise les mêmes activités intellectuelles de toute lecture, qui
suppose une interaction entre l’œuvre et le lecteur ou le spectateur : toute une
stratégie discursive est nécessairement à l’œuvre, mettant en jeu
l’intertextualité, les attentes et les opérations mentales d’ajustement du
destinataire, telles que la mémorisation ou l’anticipation12.
Par ailleurs, d’eux-mêmes, les jeunes enfants contemplent bien volontiers
les images, ils les parcourent et les reparcourent selon des trajets modifiés, au
point de se les rappeler presque toute leur vie, comme en témoignent les
nombreux souvenirs d’écrivains sur leurs lectures de jeunesse13 ou nos
propres souvenirs d’enfance et d’images dont nous nous sommes intimement
imprégnés et constitués.
1.3. L’influence de l’image
Le dernier poncif que nous voudrions signaler est celui de l’influence de
l’image. Nous n’en débattrons pas en détail. Nous nous contenterons de
retenir deux choses à son sujet : d’abord que c’est une des grandes peurs que
suscite l’image. Son pouvoir de persuasion serait tel qu’elle pourrait conduire
au pire chacun d’entre nous, plus efficacement que la parole, plus que le livre,
plus que l’exemple, plus que l’éducation, plus que le déterminisme social,
plus que tout. Il faut d’abord noter ce que cette peur révèle de hiérarchisation
implicite des actes de communication : du dire au voir, du voir au faire. Peur
qui, quoique non objectivement fondée, justifie la censure tout comme la
propagande visuelle, politique ou religieuse.
La seconde observation que nous ferons, c’est que cette influence de
l’image, en particulier sur les enfants et les jeunes (et qui conduirait plus au
mal qu’au bien), n’a jamais pu être démontrée formellement. Des études ont
été faites concernant l’influence de la télévision sur le comportement des
jeunes en particulier autour des grandes peurs sociales – la violence et le sexe
– mais elles n’aboutissent pas à des conclusions probantes, pas plus que l’on
est sûr, d’ailleurs, de l’influence de la publicité sur les comportements
d’achats.
On trouve toujours le débat non résolu entre mimesis et catharsis : pour
certains, le spectacle répété de la violence la banalise et pousse à l’imiter ;
pour d’autres le spectacle de la violence « purge » le spectateur de sa propre
violence et lui évite de passer à l’acte14. Ce dont on peut être sûr néanmoins,
c’est que l’on ne doit pas montrer n’importe quoi à n’importe qui et que, en ce
qui concerne l’image mais aussi toute la démarche éducative, il faut opérer
des choix qui relèvent du bon sens et du sens des responsabilités.
En définitive, si influence il y a, elle ne peut se réduire à la seule image,
mais elle peut être la résultante de tout un contexte exemplaire et persuasif
dont l’image fait certes partie, mais qui ne peut se résumer à elle seule.
2. Image et sens
Ces réserves faites, il nous faut maintenant aborder la question de l’image
et du sens, plus précisément les problèmes de la sémiotique spécifique de
l’image. Jusqu’à présent nous avons vu comment des outils empruntés à la
sémiotique générale permettaient de mieux cerner l’aspect iconique
(analogique) de l’image, qui lui est généralement reconnu, mais aussi son
aspect indiciaire, dont on ne fait pas habituellement la caractéristique de
l’image (sauf pour la photographie). Le rappel de quelques points
fondamentaux de la sémiotique spécifique de l’image va permettre d’en
explorer maintenant l’aspect symbolique, au sens peircien du terme, c’est-à-
dire construit par des paramètres socio-culturellement codés et qui président
nécessairement à notre interprétation.
2.1. « Comment le sens vient-il à l’image ? »
« Comment le sens vient-il à l’image ? » C’est avec cette interrogation que
Roland Barthes lançait, à sa manière, la sémiologie de l’image, en France,
dans le fameux article déjà cité de 1964 : « Rhétorique de l’image ». La
question, cependant, si elle concerne en priorité la démarche sémiotique, ne
lui est pas réservée. C’est la réponse à la question qui empruntera, en
sémiotique, une démarche particulière que nous allons évoquer. D’autres
types de réponses se présentent à cette même question, selon qu’elle concerne
les plasticiens, les théoriciens de l’art, les philosophes ou encore les historiens
ou les psychanalystes.
Ainsi, nous avons vu en particulier que le début du siècle manifestait une
créativité et une activité intellectuelles particulièrement riches. La réflexion
sur l’art, et sur la signification dans l’art, n’échappe pas au dynamisme du
moment. On a conscience que l’art, et l’art visuel en particulier, met en
relation le rationnel, l’irrationnel, la compréhension cognitive et l’expérience
intuitive, voire la contemplation mystique. L’ambition de nombreux
théoriciens et aussi d’artistes est de comprendre comment ces différents
niveaux s’articulent ainsi que d’en analyser les fonctionnements les plus
accessibles.
On trouve des exemples de cette interrogation et de certains modes de
réponses chez les formalistes russes, bien entendu, et leurs héritiers les plus
directs tels que Iouri Lotman, pour qui l’art est langage, l’art est un moyen de
communication et, ce faisant, « une somme de procédés »15. Cette
interrogation, portant essentiellement sur la poésie, contamine néanmoins très
tôt une réflexion sur les mécanismes de signification par l’image, en
particulier chez Eisenstein16, dont les réflexions et expérimentations sur le
montage concernent essentiellement les modalités de production de sens du
film.
La psychanalyse s’interroge sur l’art, avec Freud, bien sûr, dont une part
importante des travaux concernent l’art, la création artistique et aussi la
signification de l’œuvre d’art17. Certains de ses héritiers proposent à leur tour
une approche spécifique ; ainsi, l’historien de l’art Kris, dans l’étude qu’il
consacre au sculpteur fou autrichien Messerschmidt et à ses sculptures
physionomiques.
Les artistes pédagogues du Bauhaus, tels que Kandinsky18, Klee ou
Johanes Itten, plus tard, élaboreront des méthodologies d’analyse des
œuvres19. Des historiens de l’art comme Gombrich s’interrogeront sur Ce que
l’image nous dit20 ; des philosophes comme Nelson Goodman sur les
Langages de l’art21, Erwin Panofsky, que l’on considère comme « le
réformateur » de l’histoire de l’art au XXe siècle, en la mettant en relation avec
la critique kantienne de la connaissance, proposera une approche spécifique
d’interprétation des œuvres22 à l’origine de l’iconologie moderne.
2.2. Approche iconologique, approche sémiologique
Traditionnellement l’iconologie était une sorte de « code des artistes en tout
genre » et correspondait à des traités de codification des figures et des
allégories en peinture. Un des traités de référence fut celui de l’Italien C. Ripa
paru à la fin du XVIe siècle qui propose des concepts rangés par ordre
alphabétique suivis de la description verbale de la figure allégorique
proposée23. Avec Panofsky, l’aspect systématique de l’iconologie se nuance
et s’enrichit de toute une culture interprétative historique. On peut décrire
ainsi la méthode d’analyse de l’iconologie proposée par Panofsky, en 1939,
dans les fameux Essais d’iconologie. L’iconologie, qui « vise à déchiffrer les
images que le passé nous a léguées », est une démarche historique qui reste en
effet une référence, même critiquée. Panofsky distingue trois niveaux dans
l’interprétation de l’œuvre d’art :
« 1. La description pré-iconographique qui rend compte des motifs
indépendamment de leur signification, celle que ferait un sauvage ignorant
nos gestes de salutation, en parlant d’un homme qui enlève son chapeau
lorsqu’il croise certaines personnes.
2. L’analyse iconographique qui déchiffre justement de tels gestes et, plus
généralement, rend compte des significations conventionnelles dans un
contexte donné. Dans l’art médiéval, par exemple, un personnage masculin
auréolé et muni d’un couteau sera interprété comme saint Barthélemy.
3. L’interprétation iconologique qui dépasse l’identification des thèmes et
interroge l’œuvre comme symptôme, comme témoin des valeurs symboliques
d’une civilisation.24 »
Ainsi résumée, la méthode montre que l’iconologie, si elle travaille bien sur
les significations, est plus préoccupée par leur évolution historique que par
leur mode de production.
Au fil de ces exemples, qui ne recouvrent pas toute la réflexion sur l’image,
bien entendu, mais néanmoins certaines de ses étapes importantes, nous
constatons donc que ces différentes approches s’intéressent bien sûr à la
signification par l’image, mais essentiellement par l’image artistique. Cette
interrogation sur la signification s’insère dans une réflexion plus large sur
l’art et sur ses fonctions.
Des approches plus contemporaines publiées sous des termes très généraux
comme Devant l’image25, ou encore Métaphores du regard26, concernent à
leur tour la peinture et les relations entre histoire de l’art et psychanalyse dans
un cas, histoire de l’art et philosophie dans l’autre. Ainsi, l’interrogation sur la
signification par l’image, ses enjeux et ses mécanismes, n’est pas neuve mais
s’inscrivait essentiellement, avant la sémiologie, dans une tradition
d’interrogation et de questionnement sur l’art, l’image étant confondue avec
les arts visuels.
On peut donc se demander quelle a été la spécificité de l’approche
sémiologique dans l’étude de la signification par l’image. Selon nous, son
originalité, qui est sa force et sa faiblesse, a été d’aborder le processus de
signification par l’image à partir de la notion de signe, avec un désir de
généralisation qui engloberait et dépasserait le domaine artistique, à l’inverse
des approches précédentes.
2.3. « La dérive structuraliste »
C’est ainsi que Eliséo Véron intitule une rétrospective qu’il fait27 sur les
balbutiements de la « sémiologie de l’image », en France, dans les années
soixante. Il y a eu en effet des erreurs et des errements, pas seulement en
France, mais il y a aussi eu des trouvailles productives pour la suite de la
réflexion. Bien souvent, malheureusement, on se contente d’épingler les
maladresses de ces débuts pour condamner de façon globale et irréversible
l’approche sémiologique et faire ainsi l’économie de l’étudier.
L’image contient-elle des signes ? Si oui, quels sont-ils ? Et comment
s’agencent-ils ? Telles sont les questions que se pose la sémiologie de l’image
et auxquelles Barthes, par exemple, se propose d’appliquer sa réflexion,
prenant pour point d’appui l’image publicitaire. Selon lui, si l’image contient
des signes, on les distinguera plus facilement dans ce type d’image, « parce
qu’en publicité la signification est assurément intentionnelle ». Les signifiés
du message publicitaire « doivent être transmis aussi clairement que possible ;
si l’image contient des signes, on est certain qu’en publicité ces signes sont
pleins, formés en vue de la première lecture : l’image publicitaire est franche
ou du moins emphatique ». « Image franche », c’est-à-dire destinée à être
comprise vite et du plus grand nombre, l’image publicitaire exhibera plus que
toute autre ses propres unités ainsi que leur principe d’organisation. Les
principes de base découverts dans ce type d’image devraient ensuite pouvoir
s’appliquer à des images plus complexes comme l’image artistique, par
exemple.
On se souvient de la fameuse – trop fameuse – analyse de la publicité des
pâtes Panzani (ill. 9, p. 113). Sans la rappeler en détail28, nous en retiendrons
le principe méthodologique et les conséquences théoriques qu’ont pu en tirer
Barthes d’abord, puis d’autres. Partant du principe qu’un signe unit un
signifiant à un signifié, Barthes remonte des signifiés, ou des significations,
produits par le message visuel, pour rechercher les signifiants qui leur sont
reliés. Le premier signifié qu’il détecte est celui – célèbre et plagié
d’innombrables fois – d’italianité. Ce concept d’italianité serait construit
d’abord par la consonance du nom « italien » de la marque Panzani ; puis par
les couleurs de l’annonce – rouge, blanc, vert – qui « signifient Italie » ; enfin
par les objets représentés eux-mêmes : fruits et légumes méridionaux –
tomates, poivrons, oignons –, enfin les paquets de pâtes, le sachet de
parmesan, la boîte de sauce tomate. Tous ces éléments viendraient, chacun à
leur manière, renforcer le concept. Cette démarche, même si elle n’est pas
encore complètement aboutie théoriquement, a le mérite de mettre en
évidence que l’annonce dans son ensemble (« l’image ») est composée de
différents types de signifiants et donc de signes.
Jusque-là les choses sont à peu près claires ; mais elles se compliquent en
effet lorsque, sous l’influence linguistico-structuraliste, on cherche à justifier
la notion de « signe » iconique en lui trouvant une structure analogue à celle
du signe linguistique, puisque à l’époque le modèle linguistique semblait
assez général pour expliquer des champs aussi divers en sciences humaines
que l’ethnologie (Lévi-Strauss), la psychanalyse (Lacan), la littérature
(Barthes) ou encore le cinéma (Metz).
En fait, nul n’était besoin que les signes linguistique, iconique, ou autre,
eussent la même structure pour trouver que certaines règles d’organisation du
langage étaient communes à des langages autres que la langue même, tels que
ceux des mythes, de l’inconscient, de l’image ou du cinéma.
Troublé par ce genre de démarche, Christian Metz a poussé à l’extrême la
« métaphore du cinéma comme langage » pour démontrer qu’il était bien
langage et non pas langue, puisqu’il ne possédait pas la caractéristique
spécifique de toutes les langues, à savoir la double articulation. Or, c’est parce
que Christian Metz a été le seul à démontrer que le cinéma n’était pas une
langue, et donc à aborder avec circonspection et prudence l’idée de règles
communes aux différents types de langage qu’on l’a scandaleusement accusé
d’avoir « appliqué la linguistique au cinéma »29 !
Or il est vrai que les chercheurs qui n’ont pas eu la prudence d’un Metz se
sont quelque peu embourbés dans le marécage linguistique qui a débouché sur
une sorte d’impasse : « Réservoir de modèles associant rigueur et pouvoir
descriptif, la linguistique apparaît ainsi comme la source idéale où puiser la
nouvelle science des signes. Bien entendu, la “deuxième fondation”
chomskyenne de la linguistique était déjà en marche. Elle finira par
bouleverser radicalement la problématique du langage, mais en France, on ne
le comprendra que beaucoup plus tard […]. Quant à la sémiologie
structuraliste, elle s’avérera le plus souvent insensible à la dimension sociale
des objets (photographie de presse, publicité, etc.) pris comme point de départ
de l’analyse », déclare Eliséo Véron30 ; et d’ajouter : « Là où ce que
j’appellerai la dérive structuraliste s’est confirmée, voire accentuée, il n’y
aura jamais de proportion entre la généralité de l’ambition affichée, et les
particularités des objets étudiés : la “sémiologie de l’image” ne verra pas le
jour.31 »
Mais cette conclusion n’est pas généralisable et Eliséo Véron est le premier
à remarquer que cette « dérive n’a pas opéré partout et, par endroits, elle a
même été neutralisée, donnant lieu à des développements touchant à “des
images” : en cinéma avec les nombreux travaux faits à partir de ceux de
Christian Metz ; en peinture avec les travaux de Louis Marin ou d’Hubert
Damish ; en publicité avec les travaux de Georges Péninou, entre autres : « la
sémiologie a pris lorsqu’on s’est donné comme objets de départ des
phénomènes signifiants qui résultent de pratiques sociales institutionnalisées.
Peu importe aujourd’hui si ces chercheurs ont fait, s’ils font encore ou pas de
la sémiologie. L’impulsion du début des années soixante a enrichi par la suite
des champs de recherche sur des secteurs, historiquement constitués de la
discursivité sociale.32 »
Nous pensons avoir donné un exemple de cet enrichissement par l’éclairage
sémiotique du parcours historique et anthropologique du chapitre précédent
de même que nous en montrerons un aspect plus exploratoire dans le chapitre
suivant. Voyons maintenant comment le passage de la notion de signe à celle
de code puis à celle de message a permis d’abandonner une conception du
signe trop étroite et d’en adopter une nouvelle plus générale, dégagée du
modèle linguistique et selon nous indispensable à une approche opératoire et
constructive de la signification par l’image.
2.4. Signe, code, message
Partant du signe iconique comme unité de sens, on considérait en effet
qu’en tant que signe, il devait s’inscrire dans un code, ou dans un système
particulier. Il faut comprendre ici le terme de « code » au sens large du terme,
c’est-à-dire comme un ensemble d’éléments qui font système les uns par
rapport aux autres : dans l’exemple donné plus haut de la publicité Panzani,
les couleurs entre elles, les légumes méditerranéens entre eux, les mots (les
monèmes) entre eux, sont considérés comme les éléments de codes
spécifiques (code des couleurs ; code des objets ; code linguistique), même si
chacun de ces codes n’est pas un système fini, comme la langue.
En effet, il y a eu une bataille du code, pour ainsi dire, qui a débouché sur
des conceptions différentes de la sémiologie auxquelles nous avons fait
allusion plus haut. Pour les partisans de la sémiologie de la signification, dans
les années soixante-dix33, un code peut être un système ouvert, voire flou,
mais doit toujours être considéré comme code, ou comme champ
d’observation structuré, dès lors qu’il produit des significations et qu’on le
choisit comme objet d’étude.
En revanche, pour les partisans de la sémiologie de la communication34,
d’inspiration plus strictement linguistique, ne sont « codes » que les systèmes
finis de signes (les langues, le code de la route, le code morse, le code des
ascenseurs, etc.).
Même si cette opposition entre ces deux courants sémiologiques s’est un
peu estompée au fil des années, il est certain que le mot de « code » est à
employer avec précaution tant il a été galvaudé ces dernières années.
Umberto Eco évoque ironiquement la « fortune du code », l’histoire de ce
« terme fétiche »35. Il montre comment, dès le début des recherches
sémiologiques, on a voulu faire entrer dans la notion de code, celle d’une
série de règles et de normes, une sorte de grammaire des sous-ensembles
(sémantique, syntaxique, voire pragmatique) des langages. Il évoque
comment on a ainsi, à partir des années cinquante, reformulé l’opposition
saussurienne « langue/parole » en « code/message » sous l’influence des
propositions de Shannon et Weaver36, ou encore de Jakobson et Halle37.
Eco rappelle alors que tout était devenu « code » : on parlait de codes
phonologique, linguistique, sémantique, esthétique, artistique, littéraire,
culturel, génétique ; on opposait le discret et le digital au continu et à
l’analogique, lieu du spontané et du naturel ; un code analogique était-il
seulement pensable ? On convoquait alors les codes de la perception
jusqu’aux codes des processus neurophysiologiques, les codes sociaux, de
comportements, interactifs, de classe, ethnolinguistiques, gestuels,
physiognonomiques, culinaires, olfactifs, musicaux, tonétiques,
paralinguistiques, proxémiques, architecturaux… Dans toute l’histoire
culturelle on voit donc apparaître une contamination terminologique dont Eco
rappelle cependant qu’elle provoquera à la fois confusion et cohésion,
fétichisme et développements féconds.
Le bénéfice essentiel de toute cette démarche est cependant, selon Eco,
d’avoir introduit avec la notion de code celle de convention et d’accord social
d’une part, et celle de mécanisme régi par des règles de l’autre. Cette
« philosophie du code », métaphorique ou non, s’inscrit alors dans une
perspective qui reste pour lui essentielle : « Voir la vie de la culture comme
un tissu de codes et comme un rappel incessant de code à code signifiait
chercher des règles pour l’activité de la sémiosis.
Même quand les règles étaient simplifiées, il importait de les chercher. La
bataille pour le code a été une bataille contre l’ineffable. S’il y a règle, il y a
institution et société et donc il y a un mécanisme constructible et
déconstructible. Parler de code voulait dire voir la culture comme le fait d’une
interaction réglée, l’art, la langue, les objets artificiels et même la perception,
comme les phénomènes d’une interaction collective régis par des lois
explicitables.
[…] La vie culturelle est la vie de textes gouvernés par des lois
intertextuelles où tout « déjà-dit » agit comme règle possible […]. Dans cette
optique, l’emphase et la passion (voire la précipitation) avec lesquelles le
post-structuralisme a essayé de faire justice des codes et de leurs systèmes, en
remplaçant la règle par l’abîme, la béance, la différence pure, la dérive, la
possibilité d’une déconstruction soustraite à tout contrôle, ne doivent pas être
saluées avec trop d’enthousiasme. Cela ne constitue pas un pas en avant mais
un retour à l’orgie de l’ineffabilité.38 »
D’ailleurs, un certain nombre de chercheurs, dès les années soixante-dix,
avaient déjà dénoncé, comme Christian Metz en France39, « la quête stérile
d’unités minimales » et énoncé qu’il fallait se débarrasser non seulement de la
notion saussurienne de signe40 mais aussi de celle de code41 pour accéder à
celle de message. Comme le déclare Eliséo Véron : « À partir de là, c’est un
véritable bouleversement de la problématique qui devient possible. Car il
n’est plus question d’affirmer qu’il faut connaître les “codes” pour pouvoir
analyser les images : pour arriver à quelque chose qui est de l’ordre de
l’agencement opératoire, de l’ordre de l’organisation signifiante, il faut partir
des “messages”. C’est l’analyse des “messages” qui devient un préalable au
repérage de règles d’organisation des matières signifiantes, ce sont les
“messages” qui construisent, progressivement, au sein de l’histoire et de la
société, des ensembles de règles de production et de reconnaissance qu’on ne
pourra plus appeler des “codes”. On pouvait, enfin, se mettre au travail.42 »
3. L’image et les signes
3.1 Le signe, à nouveau : les signes visuels
Umberto Eco montre clairement que cette acception du terme de « code »
correspondait en réalité à celle beaucoup plus vaste d’« encyclopédie » qui
évacuait une notion de signe réduite à tort au modèle restreint de
l’équivalence, mais permettait au contraire de prendre en compte le modèle
élargi de l’inférence. La notion de signe comme déplacement, comme
dynamique sémiotique contextualisée, à l’œuvre dans des messages
particuliers, permet alors de réenvisager la spécificité, non plus de l’« image »
mais des « messages visuels », au sein desquels interagissent des signes
iconiques, des signes plastiques et des signes linguistiques.
3.2. Le signe iconique
On arrive en effet à une sorte d’aboutissement de la question constamment
débattue, de la définition du signe iconique comme un type de représentation
qui, moyennant un certain nombre de règles de transformations visuelles,
permet de reconnaître certains « objets du monde ». On abandonne le terme
de copie pour celui, plus juste, de transformation (Eco), ou de reconstruction
(Groupe μ).
Critiqué et remis en cause, le concept de signe iconique s’est d’abord
montré opératoire pour désigner une unité visuelle permettant de reconnaître
un objet parce qu’il avait avec cet objet une « similitude de configuration ».
Toutefois, pour résoudre l’épineux problème de la « similitude » (dont nous
avons parlé plus haut), on ne pouvait conserver la notion de « signe
iconique » qu’en montrant que celui-ci « possède des caractéristiques qui
montrent qu’il n’est pas “l’objet” et affiche ainsi sa nature sémiotique »43,
faute de quoi on aboutit à dissoudre la notion même de signe.
C’est donc sur la notion d’objet représenté, plus que sur celle de la relation
entre le dit objet et le signe, qu’a portée la critique du signe iconique pour
aboutir au concept actuel de transformation iconique. Les sémioticiens de
l’image ont cherché à élaborer un modèle du signe iconique qui rende compte
de sa spécificité par rapport au modèle du signe en général. Le Groupe μ
propose pour ce faire un diagramme qui reprend le triangle sémiotique, avec
cependant des « différences notables » :
Fig. 9. Publicité Panzani.
Fig. 10. Affiche Belga par Stevens. 1920.
Fig. 11. Affiche Primerose par Yann.
1930.

Fig. 12. Pierre Bonnard. Nu dans la baignoire.


1936. Musée d’Art moderne de la ville de Paris.
Fig. 13. Richard Hamilton. Paysage
rose et doux. 1971.

 Fig. 14. Publicité Fendi.


Fig. 15. Mondrian. Composition avec rouge, jaune et
bleu. 1928. Commenté in J. Itten, L’Étude des œuvres
d’art, Dessain et Tolra, 1990.
La composition de Mondrian n’a qu’une
signification. Pour composer ses peintures, il
utilisait le contraste de proportion et le contraste
de couleur en soi. Parmi les trois formes
caractéristiques – carré, cercle, triangle – , il
s’est décidé pour le carré, forme déterminée par
les directions horizontales et verticales. Il a
partagé la surface de son tableau au moyen de
lignes droites. Les proportions des formes de
surfaces ainsi obtenues prennent une vie
étrangement indépendante. De petites formes
peuvent, par leur position sur la surface du
tableau, acquérir une signification importante,
alors que de grandes formes reculent et
apparaissent comme paralysées. Mondrian, dans
ses dernières œuvres, s’est limité aux couleurs
fondamentales jaune, rouge, bleu, blanc et noir.
Chacune de ces couleurs a un caractère unique et
un poids spécial. Le point du tableau où une
couleur est placée et sa disposition horizontale
ou verticale ont une importance décisive. Ainsi
Mondrian, comme dans cette Composition 1928,
réalise avec une petite surface bleue et une
grande surface blanche un équilibre stable et,
avec une étroite surface horizontale au bas du
tableau, il parvient à donner à l’ensemble un
effet plus fort. Mondrian, par son partage de la
surface du tableau au moyen de larges lignes
noires, a obtenu une grande stabilité et une
visibilité sans équivoque. La séparation avec du
noir a isolé chaque couleur et l’a fait apparaître
concrètement. Ses formes et ses couleurs sont
utilisées sans intention d’expression psychique et
de symbolisme spirituel quelconque. Son goût de
réalisation nette l’a conduit à un réalisme des
formes et des couleurs, optiquement sans
équivoque et d’une géométrie élémentaire.
Nous voudrions signaler comment une telle modélisation résout un certain
nombre de difficultés posées par la notion de signe iconique. Par exemple, en
spécifiant que le référent n’est pas un « objet du monde » mais l’actualisation
d’un type, « étant lui-même une représentation mentale intériorisée et
stabilisée, qui, confrontée avec le produit de la perception, est à la base du
processus cognitif »44. Cette formulation un peu compliquée permet
néanmoins de relativiser à la fois l’ancienne notion d’iconicité (ou de
ressemblance) et celle de reconnaissance.
Nous avons là un schéma qui intègre toute une évolution de la réflexion sur
l’analogie perceptive, ainsi synthétisée dans Esthétique du film : « En dehors
de toute schématisation, c’est parce que certains traits sensibles importent
seuls à l’identification que des manifestations visuelles différant par tous les
autres traits peuvent être perçues comme des exemplaires multiples d’un
même objet et non comme des objets distincts […]. La photo d’un chat n’a
pas pour référent le chat particulier qui a été pris en photo, mais bien plutôt
toute la catégorie des chats dont celui-ci constitue un élément. Le spectateur
aura sélectionné d’emblée les traits pertinents de reconnaissance : taille,
pelage, forme des oreilles, etc., et n’aura pas tenu compte de la couleur du
poil. […] L’image (cinématographique ou photographique) n’est lisible que si
on reconnaît des objets et reconnaître, c’est ranger dans une classe, de telle
sorte que le chat comme concept, qui ne figure pas explicitement dans
l’image, s’y trouve réintroduit par le regard du spectateur.45 »
Ce diagramme met ainsi en évidence l’aspect paradoxal de la
représentation iconique : en effet si l’image est particularisante ou singulière,
si elle montre le token (l’exemplaire) et jamais le type (le genre), si l’universel
n’entre pas dans l’image particulière, c’est néanmoins en référence au type et
au concept que s’élaborent l’identification et la reconnaissance et que se
fonde la notion même d’analogie. Nous retrouvons là la notion de
ressemblance comme conformité à des attentes historiquement et socio-
culturellement déterminées et variables dont nous avons parlé plus haut, ainsi
que la notion de ressemblance comme effet d’une transformation socio-
culturellement codée de stimuli sensoriels.
Ces précisions données, voyons à quoi peut nous servir de comprendre que
l’image est en partie constituée de signes iconiques. Le premier intérêt est
d’abord de répondre au problème46 de la segmentation du message visuel :
voilà un langage (un médium qui produit des significations) apparemment
continu (à la différence du langage verbal qui lui est discontinu, « discret »,
ou encore digital) dont il faut essayer d’isoler les éléments constitutifs, non
seulement pour l’analyser et le décrypter plus consciemment, mais aussi pour
en maîtriser plus correctement l’élaboration.
La notion de signe iconique a permis dans un premier temps d’isoler des
unités figuratives qui constituent une grande part de la majorité des messages
visuels, des formes sur des fonds, que nous avons appris à reconnaître en
fonction de nos attentes. On avait relativement vite démontré et admis que les
représentations visuelles constituaient un « langage visuel » dans la mesure où
« par langage nous entendons tout système de communication qui utilise des
signes agencés de façon particulière »47. Mais alors même que l’on isolait les
signes iconiques comme des unités de significations, on recherchait au sein de
ceux-là mêmes un niveau d’unités plus petites, simples, dépourvues de sens,
un niveau de deuxième articulation48. Nous avons vu plus haut l’impasse à
laquelle aboutissait ce type d’interrogation.
D’autres chercheurs ont analysé cette impasse avec d’autres arguments.
Ainsi, Fernande Saint-Martin constate : « Les catégories d’éléments qui
composent le langage visuel sont nombreuses et à l’intérieur de chacune règne
une prolifération qui semble infinie. Si l’on pense à la couleur, par exemple,
l’industrie chimique a déjà isolé plus de 50 000 nuances différentes et ces
nuances varieront selon la quantité, la texture, etc., où elles sont incorporées ;
de même la combinatoire des points, des lignes, des plans peut produire des
quantités infinies de formes, etc.49 »
D’autre part, on peut isoler des unités minimales propres à différents types
d’images telles que le pixel de l’image numérique, les cristaux liquides de
l’image électronique, les molécules de nitrate d’argent de la pellicule
photographique ou encore les pigments des peintures. On le voit, ces unités se
diversifient selon les supports et ne peuvent en aucun cas déboucher sur une
généralisation du concept.
On a donc massivement conclu à l’absence de double articulation dans le
langage visuel, sans lui dénier pour autant sa nature de langage. Cependant,
une des rares propositions d’unité minimale, dépourvue de sens, composante
du langage visuel, est, à notre connaissance, celle de Fernande Saint-Martin50
avançant le concept de colorème « comme élément premier du langage
visuel » : « Le colorème désigne […] une région topologique de la
représentation visuelle, c’est-à-dire qu’il est constitué de deux zones en
interrelation : une couche centrale correspondant à la vision fovéale, plus
précise, dense, compacte, et des couches périphériques, moins denses, moins
claires et plus diffuses, correspondant à la vision maculaire. » Ces colorèmes,
correspondant donc à des régions topologiques, sont « énergitisés et regroupés
par la perception visuelle [et] constituent des unités plastiques capables
d’entrer en interrelation les unes avec les autres selon un ensemble de lois
d’organisation ».
Cette proposition très originale abandonne radicalement, on le voit, la
référence au modèle linguistique d’organisation du langage, pour emprunter
des outils à la topologie d’un mathématicien comme René Thom51. Pour
celui-ci, le principe d’individualisation des formes spatiales se réaliserait non
pas sous forme d’éléments isolés/isolables mais sous forme de « boules
d’éléments », d’agglomérats à structure topologique. Ces « agglomérats de
matière » constitueraient le matériau sémiotique de l’œuvre visuelle dans des
compositions avant tout dynamiques et pleines d’énergie. Cette notion
d’énergie est, quant à elle, empruntée à Bachelard : « C’est l’énergie qui
devient la notion ontologique fondamentale de toute doctrine moderne de la
matière, le principe de l’individualisation des substances matérielles.52 »
Cette proposition complexe a le mérite de permettre d’élaborer une
véritable syntaxe visuelle, c’est-à-dire de proposer des lois d’organisation des
colorèmes entre eux, qui précèdent celles de l’interprétation, telles que la
description des régions d’une représentation visuelle (petites, grandes,
moyennes), la division compositionnelle de la surface (horizontale, de gauche
à droite ; verticale, de haut en bas…), ainsi qu’une description minutieuse des
formes (ouvertes, linéaires, bidirectionnelles, polydirectionnelles, angulaires,
courbes, fermées, simples ou complexes, etc.) (ill. 18, p. 129).
Ces propositions syntaxiques permettent en réalité de généraliser des
propositions plastiques déjà théorisées par Paul Klee, Mondrian ou Wassily
Kandinsky53, par exemple, et de privilégier la dimension plastique de la
représentation visuelle par rapport à sa dimension iconique. Démarche inverse
de celle de ce que l’on a appelé la « première sémiologie ».
3.3. Le signe plastique
La distinction fondamentale entre iconique et plastique a en effet
longtemps été négligée par la théorie sémiotique de l’image qui s’est d’abord
principalement attachée au niveau iconique, engageant la mimésis. Les
caractéristiques « substantielles » ou « matérielles » de l’image ont été
considérées en premier comme des variantes stylistiques, et ont été analysées
comme le plan de l’expression du signe iconique.
La terminologie était empruntée à Hjelmslev54 qui désigne ainsi la face
manifeste (ou signifiante) de tout objet langagier et l’oppose au plan du
contenu (face à manifester ou signifiée). Signalons au passage que cette
opposition expression/contenu ne recouvre en rien l’opposition factice et
inadéquate fond/forme qui ne permet d’analyser ni l’un ni l’autre. Forme ne
s’oppose pas à fond (sauf dans le langage ordinaire) mais à substance ou
matière : les moyens d’expression ont leur propre substance (image, son…) à
laquelle on peut donner différentes formes (cf. tous les choix paramétriques :
angle de prise de vue, montage, éclairage, etc.), de même que tout contenu a
une substance (les sujets : amour, guerre, etc.) à laquelle on donne une forme
(le roman épique, le roman-photo, la comédie musicale, etc.).
C’est le Groupe μ qui, un des premiers, a proposé55 de considérer la
dimension plastique des représentations visuelles comme un système de
signes à part entière, comme des signes pleins et non plus simplement comme
le signifiant des signes iconiques. Jusque-là, en effet, les théoriciens qui
s’occupaient du niveau plastique des images (couleurs, formes, composition,
texture) étaient des théoriciens et des historiens de l’art, des psycho-
sociologues, voire des psychanalystes, mais pas des sémioticiens. Pour le
Groupe μ, une rhétorique de l’image se devait de prendre en considération
« le surplus de substance d’où viendraient (à la peinture, par exemple) son
poids, sa charge, son titre spécifique de peinture » selon l’expression du
théoricien de l’art Hubert Damisch56. La confusion entre signifiant plastique
et signifiant iconique correspondait en réalité à l’idée d’un « signe-image »
unique, exerçant une fonction essentiellement iconique et susceptible de
connaître des variations stylistiques.
S’appuyant sur les travaux d’un certain nombre de théoriciens57, le
Groupe μ parvient à démontrer l’autonomie du signe plastique, qui reste
solidaire du signe iconique, mais qui ne lui est pas subordonné. Le message
visuel met ainsi en œuvre une h non pas entre deux mais entre quatre plans,
selon la terminologie de Hjemslev, ou quatre « isotopies » (de iso = même, et
topos = lieu, place), selon la terminologie de Odin58. Ces plans sont distincts
et solidaires à la fois : ce sont le plan de l’expression et le plan du contenu
plastiques ; le plan de l’expression et le plan du contenu iconiques.
On peut visualiser ainsi l’articulation iconique/plastique au sein d’un
message visuel :

Le plastique, continuum que découpe le signe iconique, s’organise à son


tour selon des axes susceptibles de graduation, articulés autour de quatre
grandes séries :
la couleur, avec l’axe des couleurs proprement dites (les couleurs
du spectre de la lumière) et celui des valeurs, des tonalités ;
la forme, avec l’axe des formes proprement dites (cercles, carrés,
triangles…) et aussi des lignes, des points, des surfaces… ;
la spatialité, qui inclut la composition interne de la représentation,
la dimension relative (grand, petit), la position par rapport au
cadre (haut/bas, droite/gauche), l’orientation (vers le haut, vers
le bas), le loin/le près ;
la texture, avec les oppositions du grain et du lisse, de l’épais et du
mince, du tramé, de la tache, du continu, etc.
Ainsi, « la distinction fondamentale entre signes plastiques et signes
iconiques dans les messages visuels fournit-elle son programme au
rhétoricien »59, même si celui-ci ne peut pas attribuer aux signes plastiques
des valeurs fixes pour toutes les images. Elles valent en fait dans un système
donné, constitué par l’œuvre, comme le jeu des couleurs « pures » qui fait
système dans celle de Mondrian. On a donc des mini-codes qui se dissolvent
hors du message, mais on a tout de même des repères d’usage socialement
codés qui permettent la communication et l’interprétation des outils plastiques
eux-mêmes en interaction ou non avec des signes iconiques.
On pourra lire dans le Traité du signe visuel60 un essai de description du
« fonctionnement de chacune des grandes familles des signes plastiques : les
couleurs, les formes et les textures ». « Dans chaque cas, nous disent les
auteurs, nous tenterons de fournir une grammaire des signifiants, et de
montrer comment ces derniers s’associent à des signifiés. » Il est impossible
de reprendre ici toutes les observations aussi riches que variées proposées
dans cet ouvrage. Nous voudrions cependant montrer, à partir de quelques
exemples, la portée de l’apport théorique de la notion de signe plastique.
3.4. Signes plastiques et signification
Parmi les signes plastiques on peut en distinguer de deux types : ceux qui
renvoient directement à l’expérience perceptive et ne sont pas spécifiques61
aux messages visuels, tels que les couleurs, l’éclairage ou la texture ; ceux qui
sont spécifiques à la représentation visuelle et à son caractère conventionnel,
tels que le cadre, le cadrage ou la pose du modèle.

3.4.1. Les signes plastiques non spécifiques


On sait que la perception même de la couleur est culturelle. L’historien
Michel Pastoureau dans son Dictionnaire des couleurs de notre temps,
Symbolique et société62 donne raison à Goethe contre Newton. Il montre que
la découverte du prisme des couleurs par Newton ne rend pas compte de la
perception des couleurs au travers des siècles et des différents pays. Pour lui,
et il le démontre, « le seul discours possible sur la couleur est
anthropologique63 ».
Ainsi le rouge, qui est « la couleur par excellence, la première de toutes les
couleurs et qui dans plusieurs langues signifie aussi “coloré” » n’a pas été
toujours opposé au vert comme cela nous semble « naturel » de nos jours. Le
plus ancien contraire du rouge était le blanc qui avait deux contraires : le
rouge et le noir. Puis le rouge a été opposé au bleu et au blanc. En effet même
l’organisation de l’ordre des couleurs de l’arc-en-ciel n’était pas, au Moyen
Âge, la même que celle du prisme physique de Newton.
« La première couleur dans le développement historique, nous rappelle le
chef-opérateur Henri Alekan64, est le rouge (grottes en Australie, peintures
rupestres des peuples d’Afrique noire, Altamira, les premiers peintres grecs
selon Pline et jusqu’à nous les peuples primitifs). Étymologiquement “rouge”
signifie “lumière” en sanscrit. »
Quant à Kandinsky, voici ce qu’il dit des couleurs65 : « Le rouge, tel qu’on
se l’imagine, couleur sans limites, essentiellement chaude, agit intérieurement
comme une couleur débordant d’une vie ardente et agitée. Elle n’a cependant
pas le caractère dissipé du jaune, qui se répand et se dépense de tous côtés
[…]. Le rouge témoigne d’une immense et irrésistible puissance […]. Le
rouge moyen (comme le rouge de cinabre) atteint à la permanence de certains
états intenses de l’âme. Le bleu profond attire l’homme vers l’infini, il éveille
en lui le désir de pureté et une soif de surnaturel […], il apaise et calme en
s’approfondissant. En glissant vers le noir, il se colore d’une tristesse qui
dépasse l’humain […]. Lorsqu’il s’éclaircit, le bleu semble lointain et
indifférent, tel le ciel haut et bleu clair. À mesure qu’il s’éclaircit, le bleu perd
de sa sonorité jusqu’à n’être plus qu’un repos silencieux […]. Le vert absolu
est la couleur la plus calme qui soit […], elle ne s’accompagne ni de joie ni de
tristesse ni de passion. Le vert est la couleur dominante de l’été, le temps de
l’année où la nature, ayant triomphé du printemps et de ses tempêtes, baigne
dans un reposant contentement de soi. […] Le blanc est la parure de la joie et
la pureté sans tache, le noir celle du deuil, de l’affliction profonde, de la
mort. »
Cette longue citation prouve, s’il en est encore besoin, à quel point la
perception et l’interprétation de la couleur sont culturelles. Qu’évoque le vert
profond à des personnes élevées dans des pays désertiques ou glaciaires, que
dire du blanc quand on sait que c’est précisément la couleur du deuil et de
l’affliction en Orient et en Extrême-Orient ?
Ce qui est à retenir de la déclaration de Kandinsky, comme des travaux de
Pastoureau, c’est qu’ils nous incitent à l’observation et au bon sens : pas de
grille absolue d’interprétation des couleurs, mais de la sensibilité à son
entourage, à sa propre culture, à sa propre histoire, ainsi qu’à celles des
autres. Pas besoin d’être grand clerc pour savoir que l’on attribue de la
« chaleur » à certaines couleurs (les couleurs « solaires », le rouge, le jaune,
l’ocre), et de la « froideur » aux couleurs célestes ou aquatiques (le bleu, le
vert). On sait aussi que les couleurs sont de l’énergie, que certaines sont plus
apaisantes ou plus excitantes que d’autres et que par conséquent elles peuvent
mettre le spectateur dans des états psycho-physiologiques particuliers,
influant sur l’interprétation.
C’est ce que suggère encore Goethe dans son Traité des couleurs lorsqu’il
écrit : « Le schéma par lequel peut être exprimée la variété des couleurs,
traduit des rapports primordiaux qui existent aussi bien dans la pensée
humaine que dans la nature ; on ne peut par conséquent mettre en doute qu’il
soit possible de se servir de ces relations en quelque sorte comme d’un
langage, lorsqu’on veut exprimer des rapports primordiaux qui ne tombent
pas sous le sens avec autant de force et de variété. » On peut ainsi, en ayant
recours à nos expériences premières (jour/nuit, ciel, frondaisons, soleil, sang,
feu…), et en observant les usages sociaux et symbolisés des couleurs, comme
des autres signes plastiques, dans notre société, déceler avec plus de rigueur
l’induction de tel ou tel type d’interprétation par les signes plastiques d’un
message visuel.
Le même travail d’observation peut se faire en effet à propos des autres
signes plastiques de l’image. Notre intention ici n’est surtout pas de proposer
des pistes interprétatives toutes faites ni de les décliner, puisque les
significations des différents signes plastiques dépendent bien entendu de
chaque type de message, ainsi que du contexte de la communication. Ce sur
quoi nous voulons particulièrement insister et que nous espérons avoir montré
avec l’exemple de la couleur, c’est que la plasticité des messages visuels
constitue un niveau de signification à part entière qui interagit avec les autres
niveaux que sont l’iconique, le linguistique et l’institutionnel pour produire le
message global.
Le traitement de la lumière ou de l’éclairage est très proche de celui de la
couleur. Dans son livre Des lumières et des ombres66, Henri Alekan propose
d’appliquer ce que dit Kandinsky de la couleur à la lumière : la lumière est
perçue optiquement et vécue psychiquement. Ceci d’abord parce que lumière
et couleur sont indissociables (même dans le « noir et blanc » la densité du
noir, la qualité des contrastes, le dégradé des gris, dépendent de la lumière)
mais aussi parce que, comme les couleurs, la lumière détermine un état
« psycho-physiologique » particulier chez le spectateur. État qui, comme pour
la couleur, est lié à notre expérience du monde. Un éclairage oblique ou
zénithal ne renvoie pas à la même expérience selon que l’on a grandi sous des
latitudes tempérées, équatoriales ou polaires.
Mais l’histoire de la lumière renvoie aussi à toute l’histoire de l’humanité.
C’est pourquoi Alekan nous propose d’abord de distinguer les lumières
artificielles des lumières naturelles. Celles-ci, lumières solaires et lunaires,
ont été combattues par l’obscurité, jusqu’à ce que l’homme ait été capable de
la vaincre par la découverte du feu, puis de l’électricité. Du mythe de
Prométhée à la « fée électricité » d’Apollinaire, notre histoire est jalonnée de
légendes, de contes ou de récits divers, consacrés à la conquête de l’homme
sur l’obscurité et le « noir », liés au danger, à la perte des repères, à la mort.
Qu’il s’agisse donc de nous donner à reconnaître des lumières naturelles ou
artificielles n’est déjà pas indifférent pour la signification d’une image.
Une fois cette distinction faite, Alekan propose d’observer deux grands
types d’éclairage : l’éclairage directionnel et l’éclairage diffus. L’étude des
effets liés à ces deux grands choix se fait à travers l’histoire de l’éclairage de
la peinture au cinéma. On ne peut en quelques lignes remplacer la lecture
d’un tel ouvrage ni surtout l’observation des très nombreuses planches qui le
composent. Nous en retiendrons néanmoins quelques pistes d’observation qui
peuvent se révéler extrêmement fructueuses pour la compréhension et
l’interprétation des messages visuels.
L’éclairage directionnel donne l’impression que l’image est éclairée par
une source lumineuse latérale violente, souvent hors champ. Quoique la
source lumineuse soit rarement unique, mais composée la plupart du temps
d’une source principale étayée de sources secondaires, en photographie
comme au cinéma ou en peinture, c’est l’impression d’une source unique qui
demeure, qu’elle se donne comme artificielle (projecteurs, feu, lampes) ou
comme naturelle (soleil, lune). Un certain nombre d’orientations
interprétatives en découlent.
Premièrement, l’éclairage directionnel hiérarchise la vision. Le regard
parcourt d’abord les zones éclairées pour ensuite explorer les zones
intermédiaires de clair-obscur et éventuellement tenter de percer le secret des
zones d’ombre. Toute une dynamique du regard est mise en place, qui
subordonne l’interprétation au parcours du trajet lumineux et à l’impression
laissée d’abord par la zone la plus éclairée, comme une sorte d’indicateur de
lecture.
Ensuite, l’éclairage directionnel accentue le relief et creuse les ombres.
Outre le fait de modeler les objets et d’exhiber les repères spatiaux, ce
procédé se révèle d’une grande richesse expressive pour jouer avec l’ombre.
L’ombre, cette réalité mystérieuse, mobile et aléatoire, volatile mais attachée
aux personnes et aux choses. L’ombre, comme l’obscurité, nourrit les peurs et
les superstitions, remplit nos livres, nos films et nos images : double ou
fantôme, elle peut aussi se perdre ce qui n’est guère moins inquiétant.
Troisième caractéristique de l’éclairage directionnel, il intensifie les
couleurs et les valeurs sur son trajet, tout en accentuant le mystère de ses
alentours.
Quatrièmement, il « sensualise » la représentation dans la mesure où la
lumière réagit aux matériaux qu’elle rencontre : réfléchie par certains,
réfractée par d’autres ou encore absorbée ou rasante, elle fait vibrer les
textures diverses et sollicite volontiers le toucher, au-delà de la vue.
Enfin, si l’on a affaire à une lumière « naturelle », l’éclairage directionnel
« temporalise » la représentation que l’on situera un matin, un soir ou un
après-midi ce qui, là encore, influencera notre lecture et notre interprétation.
On comprend que ce type d’éclairage, insistant sur le relief, les couleurs, le
temps ou les textures, et associé à une représentation figurative, aura tendance
à en accentuer le caractère « réaliste » et à accroître « l’impression de réalité »
qui peut s’en dégager.
On peut observer toutes ces caractéristiques dans le portrait de Sarah
Bernhardt, fait par Nadar, dont peu de photographies sont éclairées de la sorte
(ill. 17, p. 129).
À l’opposé, un éclairage diffus laissera plus libre le regard que guideront
éventuellement la composition ou le jeu des couleurs. Le relief est atténué, les
matériaux plus uniformes, les couleurs plus douces. Une sorte d’intemporalité
lui est attachée, plus propice à l’hésitation ou au rêve. Il y a aussi des
intermédiaires, entre ces deux grands choix, des éclairages plus
« fonctionnels », destinés à rendre tout visible, où les ombres s’annulent, les
valeurs disparaissent, et qui renvoient à des utopies de studios, boîtes noires
quand ils ne servent pas. Néanmoins, quelles que soient les propositions
choisies, une observation sérieuse s’impose pour mieux cerner l’orientation
de nos lectures d’images.
Quant à la texture, qui est une propriété de surface, comme la couleur, elle
peut se décrire à partir de ses qualités « rythmiques » (la répétition de micro-
éléments) ou, plus « sensuelles », de « hérissement », de « moelleux », de
« viscosité », etc. Une opposition bien connue est celle du lisse et du
rugueux : on sait que le lisse, le glacé, le vernis sont ressentis comme des
textures plus « visuelles » que le rugueux ou le grain qui sollicitent aussi le
tactile. Le choix du support et des outils est donc fondamental et les historiens
de l’art ont abondamment décrit les différentes textures picturales du « lissé »
au « hachuré », du « brossé » au lavis, etc., et leurs implications esthétiques,
sinon significatives.
Quant à nous, nous reconnaissons d’emblée, selon le support, les matières
et les manières, des univers de référence orientant l’interprétation : l’image
numérique renvoyant à l’univers technologique, la toile à celui des arts
« légitimes », le papier glacé aux magazines de luxe et ainsi de suite. Il est
évident que la reproduction systématique des œuvres et d’une manière plus
générale des images, ainsi que les transferts de supports divers (de la toile à la
reproduction, de la reproduction aux médias audio-visuels, des médias au
magazine, etc.) brouillent quelque peu les pistes, ce qui ne veut pas dire qu’il
ne faille pas tenir compte de tous ces transcodages institutionnels qui ont
aussi leur part dans la signification globale du message.
La signification des lignes et des formes a, elle aussi, son histoire dans la
représentation visuelle et nous avons appris à les associer à tel ou tel signifié :
les lignes courbes à la douceur ou à la féminité, les lignes droites à la virilité,
les obliques ascendantes vers la droite au dynamisme, les obliques
descendantes vers la gauche à la chute, les formes closes ou ouvertes à des
impressions d’enfermement, de confort ou d’évasion, les lignes brisées et les
angles aigus à l’agressivité, les formes triangulaires ou pyramidales à l’assise
et à l’équilibre, etc.
Dans la communication médiatique, en particulier, nous pouvons être sûrs
que ce sont des associations aussi stéréotypées que celles-là qui vont être
mises en place. Ainsi les formes vont-elles organiser, comme les couleurs, des
structures sémiotiques qui « constituent sans nul doute une projection de nos
structures perceptives, celles-ci étant à leur tour déterminées par nos organes
et par leur exercice (lequel est physiologiquement, mais aussi culturellement
déterminé).
Il en va ainsi de l’organisation de l’espace, perçu en trois dimensions (que
cet espace soit vu comme droit ou courbe). Nous sommes sujets à la gravité ;
de là, la naissance des notions de haut et de bas et celle d’un axe sémiotique
de la verticalité. Nous nous mettons en mouvement (pour chasser, pour fuir,
nous nourrir, entretenir des relations sexuelles) ; de là, la naissance d’un
rapport avant-arrière, entre le sujet et l’objet, et celle d’un axe sémiotique de
frontalité. Nos organes sont symétriques ; de là, la naissance du couple
gauche-droite, et d’un axe de latéralité. » Ces différents paramètres vont créer
des formes qui renverront « à des concepts fonctionnels liés à la perception et
à l’usage social de l’espace.67 »
Travaillant ainsi sur la perception, l’image, et en particulier l’image
publicitaire, pourra créer des phénomènes de synesthésie (du grec sun
= ensemble et aisthésis = sensation), c’est-à-dire de mise en place de
correspondances perceptives qui solliciteront d’autres sens que celui de la
vue : tactiles par le traitement de la texture, auditives par le choix de la
sonorité des mots, voire olfactives ou gustatives par le traitement des couleurs
et de la lumière. Ces correspondances, telles que l’association des tons, des
sonorités, des textures et des lignes, pourront, en jouant sur la synesthésie,
provoquer des significations fortes et orientées avec lesquelles le signe
iconique pourra entretenir tout un jeu de conjonction, d’opposition ou de
décalage. C’est le cas de l’exemple choisi par Barthes lorsqu’il montre que
sonorité linguistique, jeu des couleurs et des signes iconiques (les légumes,
les pâtes…) concourent à l’expression de l’italianité (stéréotypée certes) de
l’annonce Panzani.
Très fréquents en publicité, ces phénomènes de synesthésie sont un aspect
usuel de la relation iconique/plastique au sein du message visuel.
Fig. 16. Marcel Duchamp. Étiquette du parfum « Belle
Haleine ». Eau de Voilette.
Fig. 17. Sarah Bernhardt, vers 1860-
1865. Félix Nadar.
Fig. 18. Fernande Saint-Martin. Sémiologie
du langage visuel. Annexe II :
Caractéristiques des formes, Presses
universitaires de Québec, 1987.
3.4.2. Les signes plastiques spécifiques
Le cadre est un des éléments plastiques de l’image, et il a pour particularité
d’en être un élément spécifique, comme la composition spatiale qui lui est
liée, ce qui n’est pas le cas des couleurs, ni des formes, ni de la texture. Il est
élément spécifique de l’image car c’est lui qui l’isole, qui la circonscrit, qui la
désigne comme image. Le cadre de l’image a en effet longtemps été
considéré, selon la définition célèbre de Meyer Shapiro, comme une « clôture
régulière isolant le champ de la représentation de la surface environnante »68.
Le plus souvent rectangulaire (de la photographie à la page de magazine en
passant par la peinture, l’écran de cinéma, de télévision, d’ordinateur, de
mobile), il est une limite, une frontière physique qui délimite et sépare deux
espaces distincts qui sont l’espace représenté (à l’intérieur du cadre) et
l’espace de l’exposition ou de la monstration (à l’extérieur du cadre, le hors-
cadre).
Le hors-cadre a pour particularité d’être un espace variable, qui change
depuis le moment de l’élaboration de l’image (le hors-cadre est le plateau de
tournage, la nature ou l’atelier du peintre, le lieu de reportage du
photographe…) à celui de sa présentation (le magazine, le journal télévisé, la
salle de cinéma, le musée, la salle de classe, etc.).
L’interaction entre le hors-cadre et le cadre jouera donc sur la signification
et sur l’interprétation du message global. En tant que contexte
institutionnalisé de la communication, le hors-cadre infléchira la lecture de
l’image en déterminant certains types d’attente chez le spectateur69 : on n’est
pas dans le même état d’esprit et on ne cherche pas la même chose si on
compulse la monographie en couleur d’un peintre, si on consulte le catalogue
d’une exposition, si on entre au musée, ou si on voit une de ces toiles chez un
collectionneur privé. Il semble donc toujours important d’analyser la relation
cadre/hors-cadre et d’en déduire ce qu’elle révèle des attentes légitimes du
spectateur et donc de l’orientation de sa lecture.
Le cadre, dont nous avons dit qu’il était le plus souvent rectangulaire, est
un héritage particulier de la Renaissance italienne et de la représentation en
perspective70. Le rectangle servant de repère et de guide pour construire les
lignes de fuite et l’illusion de la troisième dimension, de la profondeur. « À
l’origine de ce renouvellement, on trouve d’abord Brunelleschi et Alberti,
puis Dürer, qui mirent successivement au point des appareils facilitant le tracé
de l’espace perspectif. Le dispositif en fut sans cesse retouché par les artistes :
quatre siècles plus tard, Van Gogh utilisait un modèle de sa fabrication qui lui
permettait “de dessiner aussi vite que l’éclair” (lettre à son frère Théo, août
1882) grâce à des repères géométriques servant à établir les lignes de fuite et
les proportions »71 (planche 19, p. 133).
Jusqu’à cette époque du Quattrocento, le cadre, ou, tout au moins, le
« bord » des images, variait selon l’architecture des supports, façades ou
coupoles d’églises, retables, pinacles, niches, médaillons, etc. Certains
panneaux de bois peint « étaient creusés au centre, laissant en réserve sur le
pourtour une bordure en relief »72. Ces bordures, sculptées et dorées, attiraient
le regard et mettaient en relief l’image. Longtemps ce fut la fonction du cadre,
outre celle de limite, que d’attirer le regard sur l’image. Les éléments
décoratifs varièrent, d’abord empruntés à l’architecture (corniches, pilastres,
etc.), selon le goût et les matériaux des différentes époques avec, aux XVIIe et
e
XVIII siècles, un « âge d’or » du cadre-ornement.

Travaillé par des sculpteurs de renom, adapté au décor des pièces où était
accrochée l’œuvre (le hors-cadre !), il servait à la fois à signaler celle-ci et à
la mettre en valeur. Les moulures en « pâtes économiques », les décors
chargés et répétés sans véritable justification, le décor souvent devenu lourd
et conventionnel de certains cadres, leur valurent le surnom de « cadres-
pâtisserie » et le dédain de nombreux artistes, qui, au XIXe siècle, vont
reprendre, réinterpréter certains motifs canoniques (« feuilles d’achantes,
coquilles, tors de laurier, bandes… »73), et surtout innover et inventer.
En effet, qui dit limite ou frontière, dit aussi contrainte, et les artistes du
XIXe siècle vont chercher à se libérer de la contrainte du cadre en le
réinterprétant. À notre époque de reproduction systématique des œuvres d’art,
en particulier par la photographie, on connaît un aspect des œuvres qui non
seulement perdent leurs proportions, mais aussi leurs cadres et l’on ignore la
plupart du temps tout le travail d’innovation d’artistes comme Degas, Seurat,
Puvis de Chavannes, Monet ou encore Van Gogh. C’est en revisitant le travail
de tels artistes et jusqu’aux artistes les plus contemporains que le Groupe μ a
pu mettre en évidence toute une « Sémiotique et une rhétorique du cadre »74,
avec ses différentes fonctions (significations) d’indicateur, de bornage, de
compartimentage, d’écho, de signature, de débordement ou encore de
suppression pure et simple. Autant de pistes à observer et à interpréter lorsque
nous sommes devant une image (planche 20, p. 134).
Quant à nous, nous voudrions insister sur ce qu’implique la tentation de la
suppression ou du masquage du cadre, avec lesquels nous sommes tout à fait
familiarisés, tant par la publicité que par la presse. La première manière de
faire oublier le cadre rectangulaire, c’est le recadrage au sein même de
l’image : tous les procédés qui nous font voir l’image à travers toutes sortes
de percées ou d’échancrures, telles que la trouée d’un feuillage,
l’entrebâillement d’une fenêtre, le reflet d’un miroir. En bref, toutes les
variantes possibles de la fente ou de la déchirure dont la fonction, outre celle
d’accroître le plaisir du voyeurisme, est de nous faire oublier que nous avons
affaire à une représentation.
C’est vers cet oubli que nous entraîne aussi une autre manière de masquer
le cadre : celle qui consiste à faire se confondre le bord du support et les
limites de l’image. Lorsque la limite d’une photographie publicitaire, par
exemple, se confond avec le bord et le format de la page d’un magazine, on a
l’impression que si la page était plus grande on en verrait plus, c’est-à-dire
que c’est la page elle-même qui devient comme une « fenêtre » qui délimite le
champ de notre vision. Ce procédé très connu joue avec l’effet non moins
connu de hors-champ. C’est-à-dire que c’est la limite du support même qui
pousse à compléter imaginairement le champ représenté par un espace plus
large et non perçu. Ce procédé très fréquent, dans l’image animée75, peut
aussi se trouver activé dans l’image fixe par le travail sur l’estompage du
cadre et construire des images « centrifuges », par opposition aux images
« centripètes » que pourra au contraire construire un travail sur le hors-cadre.
Ce sur quoi nous voudrions insister, c’est sur le fait que cet oubli du cadre,
de quelque manière qu’on l’obtienne, préside à une conception de l’image
culturellement très marquée, qui implique, au-delà des choix esthétiques, une
véritable
Fig. 19a. Albert Dürer. Le Traquardo. 1525.

Fig. 19b. Lettre de Van Gogh à son


frère Théo, illustrée d’un dessin de son
cadre respectif réglable. Août 1882.
Fig. 20a. Salvador Dali. Un
couple aux têtes pleines
de nuage. 1936.
Fig. 20b. René Magritte. L’Évidence
éternelle. 1930.
éthique de l’image. En effet, en masquant le caractère de représentation
(c’est-à-dire de construction) de l’image, on la donne non pas comme un
énoncé visuel, une interprétation, mais une fois encore comme le monde
même. C’est pourquoi il nous semble que l’examen du traitement du cadre
peut d’emblée nous fournir des informations précieuses sur les inductions de
signification et d’interprétation du message visuel. Néanmoins le cadre n’est
pas le cadrage et le choix de celui-ci est tout aussi déterminant pour
l’interprétation de l’image.
Le cadrage correspond à ce qu’on appelle en photographie l’« échelle des
plans ». Cette échelle des plans varie du « gros plan » au « plan de grand
ensemble » en passant par le « plan rapproché », le « plan américain », le
« plan italien », le « plan moyen », le « plan de demi-ensemble » et quelques
autres, tels que le « très gros plan » ou « plan détail » ou encore le « plan
taille ». Ces dénominations indiquent la « taille » du plan qui est déterminée
par la distance d’un corps utopique à l’objectif photographique. Le gros plan
correspond sommairement à la taille d’un visage, le plan rapproché à celle du
buste d’une personne, le plan américain à une personne cadrée à mi-cuisse,
l’italien à une personne cadrée à mi-mollet, un plan moyen à une personne en
pied, un plan de demi-ensemble à une personne dans son environnement
proche, le plan d’ensemble élargit le décor, le grand ensemble encore plus, et
ainsi de suite jusqu’au plan panoramique où l’on imagine un « poor lonesome
cow-boy » perdu dans un immense paysage.
L’« échelle des plans » renvoie en effet plus particulièrement à l’univers
cinématographique, même si elle concerne aussi la photographie. Cette
terminologie est aussi employée pour la télévision quoiqu’elle y soit le plus
souvent inadéquate. Que peut bien vouloir dire en effet un « gros plan » à la
télévision, en regard du gros plan chez Eisenstein ou chez Hitchcock, dans le
grand cinéma hollywoodien, ou dans celui, plus contemporain, d’un Léos
Carax ? C’est qu’en effet notre culture cinématographique, et aussi
télévisuelle, et aussi photographique, nous a appris à associer des
significations à ces différentes tailles de plan, et sans doute adaptons-nous ces
significations au médium qui les utilise.
Repérer les types de significations induites par le choix de la taille du plan
selon chaque médium n’est pas notre propos. Chacun d’entre nous est capable
de faire ce type de déduction pour peu qu’il s’efforce de puiser dans ses
propres souvenirs, dans sa propre culture. En réalité une telle grille serait
impossible à faire tant les significations varient d’un médium à l’autre, d’une
époque à l’autre, sont même fluctuantes au sein d’une même époque, et n’ont
rien de systématique, même si souvent elles sont automatiques et prennent
alors valeur de signal. Les observations de bon sens peuvent nous guider dans
nos interprétations : les plans moyens ou larges insistent sur la relation entre
un individu et son environnement, tandis que plus on se rapproche des
personnes, plus on insiste sur leur personnalité ou leur caractère, etc. Le cas
du gros plan étant un cas à part, précisément, aussi bien au cinéma qu’à la
télévision. Notre propos portant plus particulièrement sur l’image fixe,
l’interprétation est encore différente s’il s’agit de publicité, de peinture, de
photo « d’art » ou de presse, etc. Donc à chacun sa taille de plans, pourrait-on
dire, d’autant plus que faire une grille d’interprétation de ces choix semble, là
encore, la tentation la mieux partagée.
Ce qui nous semble important, c’est d’inciter, du point de vue de la
méthode, à observer bien entendu la taille du cadrage et de faire l’effort
interprétatif suffisant pour ne pas le prendre comme « allant de soi », mais
comme une composante non neutre et déterminante du message global.
3.4.3. Cadrage et perspective : implications
En revanche, nous voudrions nous attarder sur ce qu’implique
idéologiquement la définition même de la taille des plans. Nous avons vu que
celle-ci reposait sur la distance théorique d’un corps utopique à l’objectif. Ce
qui veut dire que la référence absolue, c’est le corps humain et ses
proportions. Voilà qui nous renvoie à l’apparition de la perspective
géométrique en peinture au Quattrocento.
En effet, selon la thèse d’Erwin Panofsky76, l’apparition de la perspective
géométrique en peinture n’est pas tant une découverte permettant de
représenter le monde au plus près de la vision « naturelle », que la
manifestation d’un bouleversement fondamental des valeurs occidentales.
Quoique les thèses de Panofsky ne soient pas partagées par tous et même
critiquées par certains, tels que Gombrich77, nous aimerions en rappeler
quelques aspects qui nous semblent convaincants. Avant le Quattrocento, ce
qui était grand, dans la représentation visuelle, c’était ce qui était sacré, ou ce
qui, dans la hiérarchie sociale, redoublait l’ordre sacré du monde créé par
Dieu. Dans la représentation religieuse, le Christ était plus grand que la
Vierge, qui était elle-même plus grande que les saints (ill. 21, p. 138) ; dans la
représentation profane (par exemple dans la tapisserie de Bayeux) les
seigneurs étaient plus grands que les serfs, et ainsi de suite. Ainsi, la
représentation du monde était soumise à la dimension du sacré. Dans la
représentation en perspective, ce qui est grand c’est ce qui est près de
l’observateur, dont la place est désignée par la composition même du tableau.
Ce qui est petit en est loin. C’est ainsi que certains tableaux contemporains de
la naissance de la perspective ont pu être considérés comme scandaleux, telle
La Flagellation du Christ de Piero Della Francesca (ill. 22, p. 138), où les
personnages les plus grands sont, au premier plan, de simples notables de la
ville d’Urbino, tandis que le Christ torturé apparaît, petit, à l’arrière-plan.
Soumettre la représentation visuelle au regard de l’homme signifie que
l’homme remplace Dieu dont l’organisation du monde ne dépend plus. Ce
renversement de valeurs correspond, on le sait, à un recentrement complet de
la civilisation autour des valeurs humaines, et non plus divines, ainsi qu’à
l’apparition du capitalisme en Occident, c’est-à-dire à l’institutionnalisation
de l’usure, jusqu’alors condamnée comme escroquerie. Qu’on se rappelle la
condamnation de Shylock dans The Merchant of Venice de Shakespeare et, à
l’opposé, l’apparition des banques des grandes familles florentines (Strozzi,
Pitti, Medicis), mécènes, par ailleurs, des artistes mettant en place la
représentation perspectiviste, dont Léonard de Vinci reste précisément le
grand représentant lorsque, d’après Vitruve, il redessine Les Proportions du
corps humain.
C’est pourquoi considérer l’image en perspective comme « naturelle »
relève d’une méconnaissance de l’histoire de la représentation visuelle
occidentale, d’une part, et d’une méconnaissance des lois physiques de la
vision d’autre part78. Cette méconnaissance empêche de comprendre à quel
point nos modes de représentation nous engagent et nous distinguent d’autres
types de cultures et des représentations qui leur sont liées.
C’est ce qu’explique, par exemple, Guy Gauthier79, à propos de la tradition
chinoise qui représente « la montagne et ce qu’il y a au-delà de la
montagne », chose d’incompréhensible pour nous qui nous attendons à ce que
la montagne constitue un masque, un écran visuel pour tout ce qui se trouve
« derrière » elle.
Du point de vue méthodologique, tenir compte du cadrage dans la
signification des images implique que l’on tienne compte de la perspective
albertinienne comme une option représentative parmi d’autres. Quoique
considérablement banalisée dans le monde entier, pas seulement en Occident,
par l’intermédiaire
Fig. 21. Portail central de la nef de La Madeleine,
Vézelay. Vers 1125-1130.

Fig. 22. Piero Della Francesca. La Flagellation du Christ. 1450-


1460.
de la technologie (les objectifs d’appareils photo, de caméscopes ou de
caméra), la perspective photographique a en effet été conçue et construite
dans la droite lignée de la peinture perspectiviste. Nulle obligation, à
l’origine, pour que le cadre de la photographie soit rectangulaire, ni pour que
les objectifs respectent les lois de la perspective géométrique. Les cadres
ovales (qui ont aussi leur histoire), les objectifs tels que les grands angulaires
ou les objectifs à très longue focale (sans profondeur de champ) le prouvent
bien.
Il est donc très important de savoir si on est, ou non, dans une
représentation en perspective, ou de chercher à comprendre, au contraire, ce
que signifie une recherche visuelle qui consiste à « revendiquer » la surface,
comme l’à-plat en peinture, ou, en photographie, le refus de la profondeur de
champ (la netteté du premier plan jusqu’à l’arrière-plan) pour exploiter au
contraire les oppositions flou/net, qui sont des outils plastiques au même titre
que la couleur ou la texture. Là encore les choix esthétiques sont des choix
éthiques, qu’ils soient conscients ou non, et, de même que le travail sur le
cadre, ils peuvent avoir des implications « légitimes » ou détournées.
Une des manières de détourner ou d’échapper à la perspective géométrique,
et donc à l’illusion de la profondeur, consiste, nous l’avons dit, à travailler sur
des représentations délibérément à deux dimensions et non à trois. Mais ce
peut être aussi de jouer avec plusieurs perspectives comme dans le cas des
anamorphoses, ou encore avec la composition interne de l’image et l’angle de
prise de vue (attendus/inattendus).
L’anamorphose est une des façons les plus ostentatoires, et en même temps
les plus ludiques, parce que ironiques, de jouer avec les règles mêmes de la
perspective en montrant que celle-ci n’est jamais qu’une question de point de
vue, au sens perceptif même. L’anamorphose ou l’« analogie en dérision »,
comme l’a appelée Barthes80, consiste à cacher des images dans l’image et à
les faire découvrir en faisant changer le spectateur de place, quitter le point de
vue que lui impose la construction de l’image principale pour un autre qui,
s’il lui fait perdre la vision « correcte » de l’image globale, lui permet d’y
découvrir une autre cachée. Cette « perspective curieuse » s’inscrit dans la
tradition des trompe-l’œil, des Vanités ou encore du Maniérisme d’un
Arcimboldo et de ses portraits-jardins ou paysages. « Mais, d’une manière
générale, le monde de l’anamorphose accompagne le code moral et
philosophique : pour ou contre, c’est toujours un discours secret. Ce qu’on ne
veut pas dire ouvertement, on le dit anamorphotiquement : scènes érotiques,
scatologiques, ésotériques, métaphores philosophiques, paraboles
religieuses…81 »
Un exemple très célèbre en est le tableau d’Holbein (1533) (ill. 23, p. 141)
représentant deux ambassadeurs français au faîte de la puissance et de la
(re)connaissance, mais dont le double portrait est souligné d’une forme
curieuse et comme en suspension, qui se révèle représenter (pour peu que l’on
se déplace sur le côté droit de la toile pour la regarder) une tête de mort. À la
fois présente et masquée, celle-ci vient rappeler que tout homme, aussi
puissant soit-il, est mortel. Ce jeu d’« image duplice », selon l’expression de
Pierre Fresnault Deruelle82, n’est pas le seul auquel se livre l’image, mais en
reste une des ressources des plus créatives.
Jouer avec la perspective, sans la faire disparaître pour autant, ce peut être
aussi le décadrage. Par exemple, déplacer ce que l’on attend au centre du
tableau, proposer des champs vides, ou quasi vides, d’où « s’échappent » des
personnes ou des objets. C’est ce qu’ont fait des artistes comme Degas ou
Vallotton (ill. 24, p. 141), d’une façon à la fois contestataire et lisible. En
effet, la composition interne du message visuel, peinture ou publicité, dépend
étroitement aussi de la représentation en perspective qui nous a habitués à un
certain nombre d’attentes, en particulier celle d’une composition équilibrée,
voire symétrique, par rapport au fameux « point de fuite » parfaitement
centré.
La composition interne du message visuel est, nous l’avons vu, un des axes
plastiques de l’image. Elle est étroitement liée au cadre et au cadrage. La
publicité, par exemple, propose des compositions relativement stéréotypées
qui vont de la composition axiale à la composition focalisée ou séquentielle.
Chacune d’entre elles correspond le plus souvent à des types de messages
particuliers83.
La composition axiale, qui consiste à présenter le produit dans l’axe du
regard, bien au centre du message, correspond la plupart du temps à un
message de lancement, d’apparition du produit sur le marché : un message
« épiphanique » qui combine fréquemment la position axiale avec le
monopole de la couleur ou de la lumière (ill. 25, p. 145). Message plus
constatif, la composition focalisée
Fig. 23. Holbein le Jeune. Les
Ambassadeurs. 1533.

Fig. 24. Félix Vallotton. La Manifestation. 1894.


consiste à faire porter le regard sur le produit décentré, en jouant sur la
surprise du spectateur (ill. 26, p. 145).
Quant à la composition séquentielle, c’est-à-dire qui organise un parcours
du regard sur l’ensemble de l’annonce, elle suit d’une manière générale le
trajet consacré du Z, partant du haut à gauche de l’annonce pour la faire
parcourir ensuite du haut à droite vers le bas à gauche et aboutir, dans un
dernier mouvement de gauche à droite, en bas et à droite de l’annonce, sur
l’image du produit même. Ce type de message métaphorisant, c’est-à-dire
cherchant à faire attribuer au produit les qualités décrites dans l’annonce
(fraîcheur, évasion, etc.), respecte le sens de la lecture occidentale.
C’est une composition qui n’a donc rien d’universel, pas plus d’ailleurs que
les autres compositions qui jouent avec, ou déjouent, des attentes
culturellement déterminées. Si l’on tient compte, donc, du sens de la lecture,
il est évident que l’orientation et la composition du message visuel devront
aller de la droite vers la gauche pour un spectateur arabe, tandis qu’elles
seront verticales en Extrême-Orient, ce que l’on constate facilement dans les
publicités japonaises.
Il en est de même avec l’angle de prise de vue qui peut, tout comme les
autres choix esthétiques, conforter ou surprendre nos attentes. Apparemment
« naturel » de face et à hauteur d’homme, il pourra se spécifier comme regard
en se déplaçant vers l’oblique. Il pourra reprendre les codes stéréotypés de la
plongée « écrasante » ou de la contre-plongée « magnifiante », ou encore les
utiliser à contre-emploi, tant il est vrai que, là comme ailleurs, les règles sont
« floues » et toujours réinterprétables.
On voit donc comment l’organisation systématique de certains des
paramètres plastiques spécifiques de l’image (du cadre et du cadrage à l’angle
de prise de vue, de la perspective ou de la surface à la composition) nous
renseigne sur ses significations induites.
Enfin, le dernier paramètre que nous voudrions examiner est celui de la
pose du modèle. La notion de modèle renvoie au signe iconique, comme nous
l’avons vu. Un certain nombre de règles de transformation des données
visuelles de l’expérience, culturellement codées, vont nous donner à
« reconnaître » des objets, des lieux ou des personnages. Il est certain, alors,
que la signification produite par ces signes iconiques nous renverra à notre
expérience et nous poussera à interpréter ces signes iconiques comme les
signes socio-culturels eux-mêmes : code des objets, code des vêtements, des
lieux, etc.
Le même phénomène se produira avec la signification de ce que l’on
appelle la proxémique (la gestion de l’espace), de la gestuelle ou de la
kinésique (interprétation des mouvements, suggérés dans l’image fixe)84, et
ainsi de suite.
Tout ce travail d’interprétation est en réalité géré par la scénographie de la
représentation au sein de laquelle, s’il y a des personnages, ceux-ci prendront
des poses. Il y en a bien sûr une infinité, cependant deux grands cas de figure
se présentent, autour desquels toutes les autres peuvent s’organiser : soit le
modèle se présente de face, soit il se présente de profil. La pose de face, le
regard tourné vers le spectateur, est la pose la plus implicative pour le
spectateur. En effet celui-ci fixe alors le regard du modèle dans une sorte de
tropisme projectif. Si, dans une image, il y a des personnages, on cherche les
visages ; s’il y a regard, on cherche le regard85. Ce pseudo face-à-face abolit
l’espace de la représentation et établit un semblant de relation
interpersonnelle, de relation duelle. C’est un « je » qui s’adresse à un « vous »
dans une relation de supériorité et d’injonction, souvent utilisée en publicité et
redoublée des formes linguistiques les plus implicatives elles aussi, celles de
l’interrogation ou de l’injonction86 (ill. 27, p. 146). Ce type de posture, face-
à-face, les-yeux-dans-les-yeux, va bien sûr provoquer un type d’adhésion de
la part du spectateur favorisant le processus de projection.
À l’inverse, la pose de profil ou de trois-quarts accentuera plutôt la position
de spectateur, l’impression d’assister à une saynète ou à un spectacle. Le
personnage de profil est une troisième personne, un « il » que nous observons
et auquel nous aurons tendance à nous identifier. La pose de profil peut aussi
favoriser la narrativisation de l’image fixe qui, pleine d’une réserve
temporelle, apparaîtra comme placée entre un « avant » et un « après »
imaginaires, tandis que le face-à-face nous fixe dans le « hic et nunc » de
l’échange visuel.
3.5. La relation iconique/plastique
Il est évident que l’interaction mise en place entre les éléments plastiques et
les éléments iconiques de l’image est déterminante dans la production de la
signification globale du message visuel. Cette interaction est circulaire et
passe du plastique à l’iconique, ou inversement, de manière telle que nos
attentes, elles-mêmes déterminées par le contrat communicationnel (on est
dans la publicité, ou dans « l’art », ou dans « l’information », etc.), sont
confortées ou, au contraire, surprises. Toutes sortes de variations peuvent
intervenir d’un pôle à l’autre, mais c’est au spectateur qu’il revient de
relativiser son interprétation à partir de ces données.
Nous proposons, quant à nous, de distinguer trois grands types de rapports
autour desquels se distribueront toutes les variantes possibles : des rapports de
congruence, d’opposition ou de prédominance.
Lorsque la signification des signes plastiques complète ou s’harmonise
avec celle des signes iconiques, il nous semble plus juste de spécifier qu’ils
sont congruents que redondants, comme on a l’habitude de le dire. Prenons
l’exemple de deux publicités des années vingt pour des cigarettes publiées par
la Seita à l’occasion de l’exposition « L’affiche et le fumeur » qui eut lieu à
Paris en 1979.
La première, qui fait la publicité de cigarettes pour femmes
(Belga), associe des couleurs chaudes (rouge – chapeau et
« Belga » –, jaune, ocre pour le fond), et du noir, à des lignes
courbes qui forment le contour d’un portrait de jeune femme,
menton dans le creux de la main tenant une cigarette, regardant
le spectateur, l’épaule sensuellement ramenée vers le visage
encadré d’un bonnet rouge d’où s’échappent quelques cheveux
courts (ill. 10, p. 114).
On voit que l’association des lignes, des couleurs et du portrait convient,
compte tenu de nos attentes culturelles, à l’évocation de la féminité, tandis
que le noir du vêtement conjugue l’évocation des couleurs du drapeau belge
et celle d’une certaine « modernité » évoquée aussi par les cheveux courts et
le fait que la jeune femme tient une cigarette à la main. Barthes aurait dit que
ces signes sont redondants, considérant la redondance comme un ajout de
significations concourantes. Mais cette idée implique celle que les signes
plastiques aient des significations fixes, ce qui n’est absolument pas le cas :
ainsi la courbe peut évoquer la féminité, mais aussi le vertige.
Il nous semble donc que c’est l’harmonisation des différents signifiés entre
eux (douceur des formes-chaleur des tons-charme du portrait), leur
convenance, en un mot leur congruence, qui en assure la complémentarité.
De la même manière une publicité de cigarettes pour hommes de la
même époque (Primerose) associe des couleurs froides (bleu,
blanc, gris), des lignes droites et des angles aigus, une
orientation oblique ascendante vers la droite et le portrait stylisé
d’un profil d’homme aux yeux fermés, et dont la fumée
rectiligne de la cigarette effleure les narines (ill. 11, p. 114).
Tous ces
Fig. 25. Publicité
Boucheron. 1988.

Fig. 26. Publicité


Guerlain.
« Mitsouko ».
Conception
et création Philippe
Lorin.
Fig. 27. Publicité Morgan.
éléments apparaissent bien comme congruents dans la mesure où
ils s’adaptent les uns aux autres pour signifier la virilité et aussi
le dynamisme et la sportivité, le bonnet gris de l’homme incitant
à donner au bleu du fond de l’annonce une connotation plus
aquatique (bleu-piscine) que céleste (bleu ciel).
Au contraire, on peut trouver des relations d’opposition entre les différents
types de signes, qui pourront faire jouer, à partir d’une certaine surprise du
spectateur, une dilatation ou une prolifération de la signification globale du
message. Telle peinture de Bonnard, par exemple, intitulée Nu dans la
baignoire (ill. 12, p. 114), associe une texture épaisse et grumeleuse, un
camaïeu de tons chauds, ocres et dorés qui contaminent jusqu’aux bleus, des
lignes courbes, une composition horizontale, à la figure d’une femme
allongée dans une baignoire remplie d’eau et disposée sur et contre un
carrelage lumineux. Il se joue là une sorte de contagion plastique qui associe
les contraires et donne à ce que nous reconnaissons comme « l’eau du bain »
un caractère de chaleur, de plénitude, une densité et une épaisseur quasi solide
et terrienne.
À l’inverse, un Paysage rose et doux de Richard Hamilton (ill. 13, p. 115)
propose, dans une composition verticale, la texture liquide d’une aquarelle,
dans des tons violines et laiteux où les lignes droites et verticales représentent,
dans une sorte de clairière, les fûts de troncs d’arbres au pied desquels les
petites silhouettes blanches de deux jeunes femmes rappellent les tons laiteux
des traversées obliques de la lumière. Dans ce cas-là, au contraire, la liquidité
et le côté diaphane des outils plastiques, la composition verticale, donnent à
ce paysage de forêt, qu’on attendrait terreux et dense, une dimension
aérienne, onirique, voire celle d’une sorte d’au-delà désincarné et un peu
morbide.
Le troisième type (simplifié) de rapport entre les deux catégories de signes
peut être un rapport de prédominance du plastique sur l’iconique ou
inversement. Il est très fréquent que l’iconique l’emporte sur le plastique, ou
tout au moins qu’on en ait l’impression. Bien entendu, là encore, tout dépend
du « contrat » implicite de communication87, mais dans la publicité ou la
photo de presse, par exemple, il nous semble que les motifs et les figures
prennent le pas sur la composition ou le jeu des contrastes. Ce que nous
comprenons semble directement provoqué par le sujet représenté :
personnages, paysages, objets, etc. Mais bien souvent, à y regarder de plus
près, on s’aperçoit que certaines données plastiques président à
l’interprétation.
Ainsi, une publicité pour un parfum italien (Fendi) nous « montre » le
visage de profil d’une jeune femme, les yeux clos, appuyé contre le visage
incliné de la statue en marbre d’un jeune homme. Un flacon du parfum, en
bas de l’annonce, souligne, comme en suspension, les deux visages (ill. 14,
p. 115). On peut penser que là encore les signes iconiques dominent la
signification. Or, si on se contente de parcourir du regard assez rapidement
l’annonce, comme on le fait en feuilletant les magazines, on s’aperçoit que la
composition plastique, extrêmement simple, est très fortement inductrice de
sens.
En effet, une composition verticale sépare l’annonce en deux zones : à
gauche, une zone blanche, à droite une zone ocre et rosée. La zone ocre et
rosée empiète légèrement et comme mollement sur la zone blanche, à peu
près vers son milieu, tandis qu’une barre horizontale ocre et noire, au bas et
au milieu de la page, constitue un véritable trait d’union visuel entre les deux
zones. On voit donc comment une sorte de contamination de l’inerte par le
vivant, de l’inanimé par l’animé, par l’intermédiaire du parfum, est déjà
suggérée par la composition, le choix des tons et des formes, et que la
reconnaissance des visages n’en constitue plus, au bout du compte, qu’une
déclinaison possible.
Enfin, nous voudrions noter comment l’acceptation plus ou moins facile
des dominantes plastiques ou iconiques de la communication visuelle dépend,
elle aussi, des contextes et des contrats de communication. Nous avons dit
que la peinture abstraite – ou concrète –, en bref non figurative, avait eu du
mal à être acceptée. On pourrait avoir tendance à déceler dans ces réactions
une certaine hostilité, voire un certain blocage devant l’expression à
dominante plastique. Cela a bien évolué : en effet, le grand public est
désormais très familier avec un certain type d’expression plastique qui
apparaît dans les génériques d’émission, les habillages de magazines ou de
chaînes de télévision, la mode, les publicités bien entendu et surtout dans les
logos. La prolifération des logos, pure expression plastique de l’« identité
visuelle » d’une entreprise, ne déroute personne et ne bloque en rien une
interprétation qui non seulement comprend le logo – comme la publicité il a
été pensé et élaboré pour cela – mais aussi en apprécie les qualités plastiques,
en évalue le plaisir esthétique qu’il est susceptible ou non de provoquer.
Ce sur quoi nous voulons donc insister, c’est sur la puissance significative
des outils plastiques, souvent plus déterminante dans la production du sens
global de l’image que l’iconique sur lequel on a tendance à polariser son
attention. Plastique et iconique entretiennent une relation de circularité dont
l’analyse est indispensable pour comprendre le processus de signification du
message visuel et en décrypter les subtilités. Toutefois, l’iconique et le
plastique n’interagissent pas seulement entre eux, mais aussi avec le
linguistique dont la présence dans les messages visuels est, nous l’avons vu,
quasi permanente. Ce sont les mécanismes de cette interaction que nous
allons à présent évoquer.
3.6. Le message linguistique
Nous avons déjà proposé une étude de la relation entre l’image et les mots
dans notre ouvrage Introduction à l’analyse de l’image88. Nous y rappelons
les principes bien connus d’ancrage et de relais étudiés par Roland Barthes
dans la « Rhétorique de l’image »89. Nous montrons aussi que d’autres types
de relations entre le texte et l’image peuvent apparaître au sein des messages
visuels tels que l’anticipation, la suspension, l’allusion, le contrepoint,
l’intensification, etc. Au-delà de l’ancrage et du relais, on peut trouver une
complexité et une subtilité aussi grandes dans les relations scriptovisuelles
que dans les relations audiovisuelles90.
Nous avons évoqué aussi, comme nous le rappelons à propos de la notion
de ressemblance comme conformité aux attentes91, à quel point l’impression
de vérité ou de fausseté de l’image était plus liée à la relation image/texte ou
image/commentaire qu’au contenu de l’image elle-même.
Enfin, nous avons insisté sur le caractère imaginaire de l’image et sur la
manière dont sa spécificité représentative engendrait et nourrissait de
nombreux textes dans une relation réciproque de créativité. Cependant, les
seules relations ainsi envisagées sont les relations et l’interaction entre
contenu linguistique et contenu iconique.
3.6.1. L’image des mots
C’est en effet oublier le jeu possible (et effectif) entre le contenu plastique
du message visuel d’une part, et celui du message verbal d’autre part.
L’exemple d’une publicité éclaircira les choses. Un gros plan photographique
noir et blanc montre le profil d’une jeune fille à la chevelure sauvageonne,
embrassant un garçon dans un élan orienté de gauche à droite. La
photographie est barrée d’un texte rouge vif, dans une légère oblique
ascendante. Le graphisme imite l’écriture manuelle, et déclare : « J’ai du sang
Manoukian. » On voit que, outre les fonctions de relais (faire parler la fille) et
d’ancrage (souligner l’élan, le tonus de la jeune fille), tout un contrepoint est
mis en place entre les différents niveaux d’expression et de contenu.
Le rouge (montré) du sang (écrit) et de la marque (écrite) pour un
tempérament suggéré plastiquement (par le dynamisme de l’orientation),
icôniquement (par la posture) et linguistiquement (par l’expression verbale).
D’autre part, cette annonce bouscule certaines habitudes d’interprétation
liées à la posture du modèle : en attribuant un « je » à une représentation
mettant en scène traditionnellement un « il » ou un « elle », on nous propose
sur un mode légèrement subversif l’appropriation de certains codes voisins et
d’ordinaire exclus de ce type de publicité. En particulier le thème du sang
appelle, avec l’aspect glouton du baiser, le vampirisme, mais aussi la
revendication fougueuse et féminine du sang des règles. L’interaction
plastique, iconique et linguistique joue ici à plein pour associer l’intime et le
public, l’intérieur et l’extérieur, la vitalité et la mort, tragiquement liée, de nos
jours, à l’amour et au sang.
Sans vouloir trop extrapoler, nous insisterons sur le fait que le rôle de la
plasticité des textes dans l’élaboration de ces rapports est à observer
soigneusement au cas par cas, bien connu et exploité qu’il est par les
graphistes comme par les publicitaires. Mais il est souvent oublié dans
l’analyse de la relation image-texte, au profit de l’observation du seul contenu
linguistique du message verbal. Ainsi, l’observation de quelques anciennes
affiches pour le TNP (planche 28, p. 151), nous fait comprendre la force
persuasive d’un graphisme destiné à être perçu de loin. Le graphisme
cyrillique et art nouveau annonçant la pièce de Tchekov évoque d’emblée
l’univers russe de la fin du XIXe siècle, tandis que celui des Possédées rappelle
un feu dévorant, la géhenne même, et que le T devenu croix dans l’affiche de
Calderon renvoie, lui, à l’univers ténébreux de l’Inquisition.
Autrement dit, il nous faut aussi considérer l’image des mots92, le choix de
la typographie, des couleurs, de la texture et des formes des lettres comme
une dimension significative à part entière, pleine de ressources et de
potentialité expressives. Cette dimension plastique des textes écrits a été
conceptualisée et étudiée sous le terme d’« icôno-textualité » par certains93.
C’est « le secret de l’écriture » et de la typographie dont Raymond Queneau
dit : « Tout cela fonctionne de bien curieuse façon. Reste obscur encore le
prodigieux effort d’abstraction que nous supposons à l’origine de tous les
alphabets. Le nôtre a perdu les valeurs mystagogiques de l’hébreu et du grec
et que l’arabe possède toujours. Il n’est cependant pas interdit de lui trouver
encore des vertus secrètes et des charmes latents.94 »
Fig. 28. Affiches de Claude Jaubert, pour le
Théâtre national de Chaillot.
4. Conclusion
Pour conclure ce chapitre, nous soulignerons comment la démarche
sémiotique, après nous avoir permis de comprendre le statut et l’attente que
nous avons de l’image, comme au chapitre précédent, nous donne aussi les
moyens d’approcher la complexité de ses processus de signification et
d’interprétation. Comme le soulignait déjà Christian Metz dans un texte
célèbre, « Au-delà de l’analogie, l’image »95, la démarche sémiotique permet
de comprendre à quel point la spécificité de ce qu’on appelle « l’image » est
d’être hétérogène, de mêler plusieurs systèmes de signes entre eux, de ne pas
se réduire à la seule analogie, mais au contraire de s’ouvrir à tout un jeu
visuel culturellement codé, dont le décryptage, loin d’être facile, passif et
« naturel », constitue une réponse active et créatrice à une stratégie complexe
de communication.
Nous espérons avoir montré aussi que la notion de signe est capitale pour
comprendre le fonctionnement des messages visuels, pour continuer à
distinguer l’image de la chose, à l’admettre comme une construction socio-
culturellement codée de propositions d’inférence et d’interprétation. Nous
pensons en particulier, en insistant sur ce point, à nos étudiants futurs
journalistes ayant à utiliser de l’image, dans la presse écrite comme à la
télévision, ou à ceux qui l’emploieront dans d’autres métiers de la
communication, avec l’espoir qu’au lieu de regretter qu’une image ne soit
qu’une image, ils la revendiquent au contraire comme telle et la fassent
accepter comme ensemble de signes, comme discours visuel relativisé, avec
tout ce que cela implique de glissements successifs du sens. C’est ce que nous
montrerons encore au chapitre suivant, sur l’exemple de la photo de presse,
précisément, et de la spécificité éventuelle de sa rhétorique.
1 - Cf. à ce sujet « Critique de la polysémie de l’image », Séminaire Ch. Metz, EHESS, Paris 1985-
1986.
2 - Ibid.
3 - Cf. Umberto Eco, La Production des signes, op. cit.
4 - Définition, signée par Marcel Duchamp, de l’article ready made, in Le Dictionnaire abrégé du
surréalisme, cité in Marcel Duchamp, Duchamp Du signe. Écrits, Flammarion, 1976, 1991.
5 - Cf. ce qu’en dit Duchamp lui-même in Duchamp Du signe, op. cit.
6 - Ch. Metz, Séminaire, ibid. ; on peut lire « l’embryon préhistorique » (selon une expression de
Metz lui-même) de cette remise en cause de la notion de polysémie de l’image, in « Cœur et âme de
l’image », in Média, INRP, t. I, no 3, avril 1969.
7 - Une exposition importante, baptisée « l’effet Arcimboldo » a été consacrée, sur ce thème, aux
transformations du visage au xviie et au XXe siècle dans la peinture, la photographie, certains films
surréalistes ou vidéos contemporaines ; cf. L’effetto Arcimboldo, Bompiani, 1987.
8 - Comme le fameux Carré blanc sur fond blanc de Malévitch.
9 - Cf. F. Saint-Martin, Sémiologie du langage visuel, Presses universitaires du Québec, 1987.
10 - Sur la physiologie de la vision, cf. « La part de l’œil » (chap. 1), in Jacques Aumont, L’Image,
op. cit. ; ou « Les conditions d’une vision active », in Bernard Cocula et Claude Peyroutet, Sémantique
de l’image, Delagrave, 1986.
11 - F. Saint-martin, op. cit.
12 - De nombreuses études ont été consacrées aux mécanismes intellectuels de la lecture,
indépendamment du déchiffrement des textes ; Francesco Casetti a, quant à lui, analysé le dispositif
stratégique de lecture mis en place par le film de fiction, in D’un regard l’autre, le film et son
spectateur (trad. fr.), PUL, 1990.
13 - Cf. l’évocation des illustrations des éditions Hetzel dans Les Mots de J.-P. Sartre.
14 - Des enquêtes sérieuses ont encore été demandées à des psychologues sur la vente de DVD
violents ou pornographiques aux mineurs : les conclusions sur l’influence de tels documents sur leurs
comportements n’ont pu être formelles. Cf. l’état des lieux fait sur la recherche sur cette question par
Lorenzo Vilches in La Télévision dans la vie quotidienne. État des savoirs, Apogée, 1995.
15 - Cf. La Structure du texte artistique (trad. fr.), Gallimard, 1975.
16 - Cf. la présentation et l’analyse des principaux textes théoriques d’Eisenstein sur le montage
cinématographique, in Jacques Aumont, Montage Eisenstein, Albatros, 1979.
17 - Cf. les textes sur Léonard de Vinci, Michel-Ange (le Moïse), Dostoïevski, Jensen et d’autres…
18 - Cf. le Cours du Bauhaus, Denoël/Gonthier, 1975.
19 - Cf. Johanes Itten, L’Étude des œuvres d’art, Dessain et Tolra, 1990 (rééd.).
20 - Titre d’un livre d’entretiens avec Didier Eribon « Sur l’art et la science », Adam Biro, 1991.
21 - Éd. Jacqueline Chambon, 1990 (rééd.).
22 - Cf. L’Œuvre d’art et ses significations. Essais sur les « arts visuels », Gallimard, 1980 (rééd.).
23 - Cf. l’introduction par Édouard A. Maser à l’édition Dover intitulée : Cezare Ripa, Baroc and
Rococo Pictorial Imagery, the 1758-1760
Hertel Edition of Ripa’s « Iconologia » with 200Engraved Illustrations, New York, Dover
Publications Inc., S.T.
24 - Rappel fait par Jean Wirth, in L’Image médiévale, naissance et développements (VIe-
XVe siècles), Méridiens Klincksieck, 1989.
25 - Cf. Georges Didi-Huberman, Devant l’image, Éditions de Minuit, 1990 ; ou encore : Ce que
nous voyons, ce qui nous regarde, Éditions de Minuit, 1992.
26 - Cf. Jacques Darriulat, Métaphores du regard, Essai sur la formation des images en Europe
depuis Giotto, Lagune, 1994.
27 - Cf. Eliséo Véron, « De l’image sémiologique aux discursivités, le temps d’une photo », Hermès,
no 13, 1994.
28 - Nous avons déjà fait ce rappel in Introduction à l’analyse de l’image, op. cit, p. 41.
29 - Cf. à ce sujet Roger Odin, Cinéma et production de sens, Armand Colin, 1990.
30 - Eliséo Véron, art. cité.
31 - Ibid.
32 - Ibid.
33 - Représentée par des théoriciens comme Barthes, Eco, Greimas, Metz…
34 - Représentée par Buyssens, Martinet, Mounin, Prieto…
35 - In Sémiotique et philosophie du langage, op. cit.
36 - Cf. The Mathematical Theory of Communication, Urbana (Ill.), University of Illinois Press,
1949.
37 - Cf. Fondamentals of Language, 1956. Trad. fr. in Essai de linguistique générale. Éd. de Minuit,
1970.
38 - Cf. Sémiotique et philosophie du langage, op. cit.
39 - Cf. Christian Metz, Langage et Cinéma, Larousse, 1971.
40 - Cf. par exemple, Eliséo Véron, « Pour une sémiologie des opérations translinguistiques »,
Quaderni di studi sémiotici, Milano, no 4, 1973.
41 - Cf. Eliséo Véron, « Pertinence (idéologique) du code », in Degrés, nos 7/8, 1974.
42 - In « De l’image sémiologique aux discursivités », art. cité.
43 - Groupe μ, op. cit.
44 - Ibid.
45 - Cf. Iouri Lotman, La Structure du texte artistique, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des
sciences humaines », 1975 (trad. fr. de A. Fournier, B. Kreise, E. Malleret et J. Yong).
46 - Posé par la « première sémiologie ».
47 - Cf. Iouri Lotman, La Structure du texte artistique, op. cit.
48 - En référence à la « double articulation du langage » saussurienne.
49 - In Sémiologie du langage visuel, op. cit.
50 - Ibid.
51 - R. Thom, Morphologie du sémiotique, RSSI, vol. 1, no 4, 1981.
52 - In L’Activité rationaliste de la physique contemporaine, PUF, 1951.
53 - Cf. W. Kandinsky, Cours du Bauhaus, op. cit. ; « Point, ligne, plan », in Écrits complets, ibid. ;
Piet Mondrian, De Stijl, Harry N. Abrams, 1967 ; Paul Klee, Théorie de l’art moderne, Paris, trad. fr.
Pierre-Henri Gonthier, 1964.
54 - Op. cit. Sur l’opposition expression/contenu et une critique de l’opposition fond/forme, cf. Ch.
Metz, « Le dire et le dit au cinéma », in Communications no 11 : « Le vraisemblable », Seuil, 1968.
55 - « Iconique et plastique », in Rhétoriques et sémiotiques, Revue d’esthétique, coll. « 10/18 »,
1979.
56 - « Huit thèses pour (contre ?) une sémiologie de la peinture », in Macula, 1977.
57 - Hjelmslev, Vasarely, Meyer Shapiro, Odin.
58 - In « Quelques réflexions sur le fonctionnement des isotopies élémentaires de l’image »,
Linguistique et Sémiologie, no 1, L’Isotopie, Lyon, 1976.
59 - Groupe μ, art. cité.
60 - Groupe μ, op. cit.
61 - Cf. sur cette notion de (non-) spécificité des codes visuels : Ch. Metz, Langage et Cinéma,
Larousse, 1971.
62 - Éd. Bonneton, 1992.
63 - Cf. aussi l’ouvrage de Manlio Brusatin, Histoire des couleurs (préface de Louis Marin),
Flammarion, 1992.
64 - Henri Alekan, Des lumières et des ombres, CNL et Cinémathèque française.
65 - In Du spirituel dans l’art et dans la nature en particulier, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1989.
66 - Op. cit.
67 - Groupe μ, Traité du signe visuel, op. cit.
68 - In Style, artiste et société, Gallimard, 1982, cité par le Groupe μ, in « Rhétorique du cadre »,
Traité du signe visuel, op. cit.
69 - Cf. Roger Odin, « Pour une sémio-pragmatique du cinéma », in Iris, vol. 1, no 1, Analeph, 1983 ;
et aussi Martine Joly, « Consignes de lecture internes et institutionnelles d’un film », in Bulletin du
CERTIEC no 9, Communiquer par l’audiovisuel, Université de Lille-III, 1987.
70 - Même si les Romains peignaient déjà avec un chevalet.
71 - Isabelle Cahn, Le Cadre des peintres, Hermann, 1989.
72 - Ibid.
73 - Ibid.
74 - Op. cit.
75 - Sur le « hors-champ » et le « hors-cadre », cf. Esthétique du film, op. cit.
76 - In La Perspective comme forme symbolique, Éd. de Minuit, 1981.
77 - Cf. Ce que l’image nous dit, op. cit.
78 - Cf. la démonstration de ce phénomène faite par Nelson Goodman, in Langages de l’art, op. cit.
79 - In Vingt Leçons sur l’image et le sens, Médiathèque Edilig, 1982.
80 - Cf. Roland Barthes par Roland Barthes, chap. « Le Démon de l’analogie », Éd. du Seuil, coll.
« Écrivains de toujours », 1975.
81 - Jurgis Baltrusaitis, Anamorphoses ou magie artificielle des effets merveilleux, Olivier Perrin,
1969.
82 - In L’image cachée dans l’image, Degrés, no 69-70, 1992.
83 - Cf. Georges Péninou, Intelligence de la publicité, Laffont, 1972.
84 - Cf. les travaux de E. Hall in La Dimension cachée ou Le Langage silencieux, Seuil, coll.
« Points » (trad. fr.).
85 - Cf. Pierre Fresnault-Deruelle, « La direction du regard », in L’Éloquence des images, PUF,
1993 ; cf. aussi le rappel que nous avons fait sur la signification de ces postures in Introduction à
l’analyse de l’image, op. cit.
86 - Cf. G. Péninou, op. cit.
87 - Cf. A.-J. Greimas et J. Courtès, in Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage,
Hachette, 1979.
88 - Op. cit., chap. 4.
89 - Art. cité.
90 - Cf. M. Chion, L’Audio-vision, Nathan, 1992. D’autre part l’association internationale « Words &
Image » se consacre à l’étude de la relation image/texte.
91 - Cf. infra, chap. 2.
92 - L’Image des mots est le titre d’une exposition présentée à Beaubourg en 1985, dont on peut
consulter le catalogue.
93 - Cf. Signe, texte, image, Césura, Lyon Édition, 1990, ouvrage coordonné par Alain Montandon et
entièrement consacré à l’« iconotextualité ».
94 - Introduction à La Lettre et l’Image, Gallimard, 1993 (1re éd. 1970).
95 - In Communications no 15, L’Analyse des images, Seuil, 1970.
Chapitre 4
Image et discours
1. L’interprétation de l’image
L’analyse sémiologique des messages visuels (ou la sémiotique appliquée à
l’image) consiste donc à repérer les différents types de signes mis en jeu et à
déduire, à partir de leur organisation réciproque, une interprétation globale
acceptable par un groupe d’observateurs donné. En effet, l’analyse
sémiologique ne peut concerner uniquement l’interprétation individuelle,
mais doit prendre en compte la part collectivement acceptable du message
visuel.
Umberto Eco nous rappelle, dans Les Limites de l’interprétation1, que
celle-ci se situe au point de rencontre de trois « intentions » distinctes :
l’intentio auctoris, l’intentio operis et l’intentio lectoris.
Revenant sur la notion d’« œuvre ouverte », Eco montre là que l’interaction
auteur-œuvre-public ne débouche pas sur une interprétation illimitée, sauf à
devenir « paranoïaque ». La démarche sémiotique, en particulier, se donnera
donc pour « garde-fou » une acceptation collective de l’interprétation, comme
la manifestation d’un certain consensus rendant la communication possible.
Le surplus interprétatif individuel, de l’auteur comme du lecteur, n’en existe
pas moins, mais il ne concerne pas la sémiotique appliquée.
Se pose ensuite le problème de la méthode analytique. Il n’y a bien entendu
pas de méthode absolue et l’on adaptera ses choix méthodologiques aux
objectifs de l’analyse, comme nous l’avons montré dans notre ouvrage
consacré à l’analyse de l’image où nous développons différentes méthodes
d’analyse2.
La sémiologie appliquée à l’image se préoccupe donc en priorité des
processus de production de sens, pour ensuite proposer des interprétations
plausibles en fonction des finalités de la recherche mise en œuvre. Elle
pourra, pour ce faire, recourir à certaines connaissances qu’offre l’iconologie,
sur le symbolisme historique des couleurs, des formes ou des motifs, par
exemple, mais elle ne pourra s’arrêter là. Elle devra travailler aussi sur la
combinatoire de tous les différents types de signes entre eux, qu’ils soient
spécifiques ou non à l’image, comme nous l’avons vu au chapitre précédent.
Pour ce faire, une méthode d’analyse possible consiste à passer en revue
chaque catégorie de signes mise en œuvre dans le message considéré, à en
isoler les signes choisis, à les analyser au plan de l’expression et du contenu et
à observer comment ils interagissent les uns avec les autres pour produire le
message global3. Sans être une méthode absolue, celle-ci a le mérite de servir
systématiquement la tâche de l’analyse sémiotique des messages visuels.
Nous avons vu que l’on pouvait ainsi passer en revue les différents types de
signes plastiques (couleurs, formes, texture, spatialité) ainsi que les différents
signes iconiques (les figures et les motifs) et les signes linguistiques sous leur
double aspect linguistique et plastique.
1.1. La « tentation iconique »
Nous avons voulu insister sur l’aspect plastique des messages visuels
comme inducteur de signification et d’interprétation beaucoup plus puissant
que l’on veut bien le reconnaître et que veut bien le faire admettre la tentation
iconique dont nous sommes les victimes consentantes. Nous appelons
« tentation iconique » ce besoin que nous avons, dès que nous sommes devant
un message visuel, de chercher à « reconnaître » des « objets du monde ».
Nous « sautons » immédiatement dans le contenu iconique du message,
oubliant le plan de son expression, ainsi que les dimensions plastiques du
message, pour pouvoir dire « c’est ceci ou c’est cela », et avoir ainsi
l’impression de « comprendre » l’image.
En effet, plus l’image s’éloigne de sa « vocation » iconique ou figurative,
plus elle suscite l’agacement et l’incompréhension. On se rappelle le scandale
que fut, au début du siècle, l’apparition de la peinture abstraite. Une peinture
exhibant ses propres outils plastiques, travaillant précisément sur les couleurs,
leurs agencements possibles, les formes ou encore la texture des matériaux
choisis, déroutait un public habitué à la représentation figurative : ce n’était
plus de l’art ! Nous avons vu que des artistes comme les professeurs du
Bauhaus – Kandinsky, Klee, Itten – ou d’autres, comme Mondrian, suscitaient
l’incompréhension et le rejet. Encore maintenant un Picasso peut être
considéré plus qu’à son tour comme « un charlatan », parce qu’il a déconstruit
la figuration classique en peinture.
Cet agacement, ce refus de l’image non figurative dépendent aussi de la
particularité qu’elle a de mettre en jeu une analogie perceptive. C’est-à-dire
que c’est bien son caractère analogique qui provoque ce genre de réaction,
mais pas l’analogie que l’on croit. Parce que l’image stimule chez le
spectateur une perception proche de celle qu’il a de la réalité, il confond cette
analogie avec une conformité entre l’image et le monde et en attend donc
qu’elle lui propose des figures proches de celles qu’il perçoit dans le monde
même. Et non pas certains de leurs éléments organisés différemment.
Ainsi, devant une peinture de Fernand Léger, baptisée Contrastes de
formes et qui présente des rayures noires parallèles qui s’entremêlent avec des
formes plus ou moins coniques rouges et des traits noirs, on aura la
« tentation » de « reconnaître » des tambours et des baguettes et d’associer
ainsi un rythme visuel plastique à un rythme sonore. Mais il est certain que
lorsque l’image se refuse à toute association de ce genre, comme le fameux
Carré blanc sur fond blanc de Malévitch, alors éclate la colère du public qui
dénonce la supercherie, voire la tromperie.
Et pourtant, on interprète les signes plastiques couramment4, en particulier
dans la communication publicitaire. L’interprétation que donne Barthes des
couleurs rouge, jaune et vert en est un exemple flagrant. Ce qui lui permet de
dire que ces couleurs « signifient Italie », c’est que ces couleurs rappellent
d’une part celle du drapeau italien et d’autre part les couleurs de nombreuses
villes italiennes où les façades rouges et ocre des maisons côtoient le vert
sombre des pins maritimes. On voit dans cet exemple que l’interprétation des
couleurs fait intervenir des usages symboliques de la couleur (le drapeau)
comme des données de l’expérience (le vert des arbres) et des usages sociaux
(les façades rouges et ocre des maisons). On voit bien là un exemple de la
formule de Kandinsky : « La couleur est perçue optiquement et vécue
psychiquement. » C’est le type d’approche que propose aussi Johanes Itten
lorsqu’il analyse par exemple une œuvre de Mondrian (ill. 15, p. 116).
L’approche sémiologique permet ainsi de déduire des interprétations
collectivement partageables, sur lesquelles on peut se mettre d’accord et ainsi
éviter les dérives trop personnelles, visant à prétendre qu’on peut tout dire de
n’importe quoi. Ces pistes d’observation (et non des grilles d’interprétation)
sont toutes, nous l’avons vu, socio-culturellement codées et nous invitent à
regarder, à étudier, mais aussi à avoir recours au bon sens. Ce que nous avons
observé aussi, c’est que tous ces signes (iconiques, plastiques, linguistiques)
sont bien des signes parce qu’ils ne sont pas là pour eux-mêmes, mais pour
produire du sens, mouvant, vivant, toujours déplacé, à côté de ce qu’ils nous
proposent de percevoir d’abord. C’est sur certaines modalités de ces
glissements de sens que nous voudrions nous arrêter un instant.
1.2. La connotation, « discours secret »
Nous avons déjà vu, à propos de l’image anamorphotique, qu’elle
constituait un « discours secret » dans l’image. Si, dans le cas de
l’anamorphose, ce « discours secret » s’expose à la fois d’une manière
ostensible et cryptée, celui-ci ne nous semble pas réservé à l’anamorphose,
mais être au contraire une des constantes de l’image. L’image n’est pas un
signe, nous espérons l’avoir suffisamment rappelé jusqu’ici, mais un texte,
tissu mêlé de différents types de signes, et qui, en effet, nous parle
« secrètement ».
C’est bien la tâche que s’est fixée la sémiologie de l’image que de
comprendre comment s’élabore ce discours secret (sémiotique spécifique)
puis de l’expliciter en le justifiant (sémiotique appliquée). C’est précisément
ce discours secret de l’image qui avait intrigué Barthes lorsqu’il s’était posé la
question de la « rhétorique » de l’image, c’est-à-dire de son mode de
persuasion spécifique. Constatant que le signe iconique suivait un processus
de « surélévation sémiotique », selon la formule de Eco5, c’est-à-dire que
chaque figure renvoyait d’abord à un « objet » du monde (une photo de
tomate, à une tomate, puis, plus largement, à la Méditerranée ou à l’Italie) ou,
plus exactement à une « catégorie d’objets », comme nous l’avons vu plus
haut. Autrement dit, l’image ne se signifie pas elle-même comme objet du
monde mais s’appuie sur un premier niveau de signification que l’on a appelé
dénotatif ou descriptif ou référentiel, pour signifier autre chose à un deuxième
niveau.
Ce discours second, Barthes l’a appelé le discours de la connotation, d’un
terme emprunté à la linguistique et à la logique. Il a rendu ce processus
célèbre par un non moins célèbre diagramme montrant qu’il y avait
connotation lorsqu’un signe plein (St/Sé) devenait le signifiant d’un deuxième
signifié. Ainsi, la photo d’une tomate (signe dénotatif) signifie à son tour
« l’Italie » et se transforme alors en signifiant de connotation.

Roger Odin a clairement rappelé6 que cette analyse devait être révisée et
qu’il y avait au moins deux autres structures de connotation que celle décrite
par Barthes :
une structure 2 :
lorsque le signifiant seul du signe de dénotation produit une connotation –
exemple : la sonorité d’une langue qui évoque le pays où on la parle (la
« sonorité » de Panzani pour l’Italie), la stylistique d’un film qui ancre celui-
ci dans un univers de référence (le genre « reportage » dans un film de fiction
qui renvoie à l’idée de terrain et de réalité, etc.) ;
et une structure 3 :

lorsque seul le signifié du signe dénotateur renvoie à une connotation ;


entrerait dans cette catégorie l’interprétation des couleurs, par exemple, où les
connotations de malheur, souffrance ou deuil sont liées au noir dans notre
culture, ou encore celles de joie et de vitalité liées au jaune, etc.
Mais toujours il s’agira d’« informations subsidiaires » qui s’ajoutent au
« mécanisme référentiel » d’un signe qui devient alors un « connotateur »7, et
qui peut suivre différents axes tels que ceux de la stylistique, de la rhétorique,
de l’axiologie (les valeurs), des codes socio-culturels, etc.
Ce que nous voudrions, quant à nous, souligner, c’est que ce mécanisme de
discours implicite, provoqué par l’aspect référentiel de l’image, reste
effectivement actif et opératoire : tout ce que nous avons dit de la
signification par l’image, de son histoire, de nos attentes le prouve.
Simplement, si l’on veut garder cette opposition dénotation/connotation
comme un couple décrivant avec justesse ce processus, il faut bien considérer
« dénotation » comme synonyme de « référentiel », avec tout ce que ce terme
désigne de construction culturelle, de « sémiotisation du référent », selon la
formule de Eco8, et non comme copie-description du monde.
Cette précaution théorique prise, on ne peut que constater la dimension
connotative de l’image. Exploitée systématiquement en publicité (la
photographie [signifiant] d’un cheval [référent, signifié premier] devient le
signifiant d’un signifié second [liberté, évasion, virilité, etc.]), elle est
toujours à l’œuvre quelle que soit l’image. C’est d’ailleurs ce processus de
connotation qui fondait déjà, sans qu’on le nomme nécessairement,
l’approche iconologique de l’image. L’interprétation consiste précisément à
décrypter, au-delà de son aspect dénotatif, l’aspect connotatif du message
visuel, son « discours secret ».
Pour conclure sur ce point, nous dirons donc que Barthes avait raison de
reconnaître au signe iconique une dimension fortement connotative.
Néanmoins nous avons vu que le signe iconique n’était pas le seul à entrer
dans la composition de l’image, qu’il fallait aussi considérer la force
sémiotique des signes plastiques, ainsi que leur interaction avec les signes
linguistiques et le contexte institutionnel et communicationnel d’apparition du
message visuel. Il nous faut donc élargir la proposition de Barthes et
reconnaître que tout dans l’image, chaque élément du message visuel, peut
être connotatif et que ce processus n’est pas réservé au seul signe iconique.
Nous avons largement vu les connotations qui pouvaient être produites par les
couleurs (« vie », « deuil », « sérénité », etc.) ou les autres outils plastiques.
Que le langage verbal soit lui aussi connotatif n’est plus à prouver, la
notion même vient de la linguistique qui en a largement étudié les
mécanismes9. On sait que la recherche même d’un langage purement
référentiel, volontairement dénué de toute connotation, comme le langage
journalistique ou scientifique, connote sa propre quête et son propre
démarquage par rapport aux autres types de discours.
Ainsi, nous devons donc reconnaître que, si les messages visuels sont
particulièrement connotatifs, c’est parce qu’ils mêlent plusieurs systèmes de
signes et augmentent de la sorte leur potentiel connotatif. Comme pour la
polysémie, on pourrait parler d’un degré de connotation plus élevé dans ce
qu’on appelle « l’image », que dans le cas d’un langage utilisant un seul
système de signes. Au spectateur de suivre, de façon plus ou moins guidée,
les stimulations connotatives d’un texte visuel.
1.3. Le refus d’interprétation
Il est des cas, en effet, où l’on peut ne pas interpréter le message second, et
donc refuser la connotation, de même qu’il est des cas où l’on ne peut pas ne
pas interpréter. Nous verrons plus loin que c’est précisément cette liberté plus
ou moins grande d’interprétation qui permet de distinguer, en rhétorique, des
figures telles que le symbole et la métaphore. Néanmoins, qu’on le veuille ou
non, on est toujours dans l’interprétation, au moins minimale, de la
dénotation. Cependant, il nous faut encore signaler que l’approche
interprétative de l’image, qu’elle utilise l’outil sémiologique, iconologique ou
psychanalytique, est une approche que certains refusent absolument, comme
une approche « contre-nature ».
Une image ne s’interprète pas10, on la vit, on la ressent mais on ne
l’interprète pas. Nous pouvons citer, en exemple de ce type d’attitude, la
graphiste-designer américaine contemporaine April Greiman11 qui
accompagne ses œuvres de l’injonction : « Do not think ; if thinking, think
nothing »12 (ill. 29, p. 161).
Cette artiste s’inscrit ainsi dans la ligne de pensée de la photographe Susan
Sontag qui, elle aussi, se déclare « contre toute interprétation ».
« L’interprétation, écrit Susan Sontag, est la revanche de l’intellect sur le
monde. Interpréter, c’est appauvrir, c’est réduire le monde pour ériger un
monde fantôme de significations.13 » Pour ce genre d’artistes, l’image aurait à
voir avec « l’eau, le mystère, l’émotion, l’irrationnel et l’inexpliqué14 ». On
évoque l’universalité des formes et des symboles, la métaphysique et la
clairvoyance, on oppose l’intuition à la raison : « Le design graphique doit
séduire, donner forme, et peut-être plus fondamentalement évoquer des
réponses d’ordre émotionnel.15 » Nous pensons que ce genre d’attitude
correspond à ce que Eco appelle le retour « à l’orgie de l’ineffable » et qu’on
assiste là non pas à une revanche de l’intellect mais à une intimidation de
l’intelligence qui, au lieu de favoriser l’émotion, ne peut que l’appauvrir.
Interprétation et signification ne sont pas le tout de l’expérience esthétique,
nous avons assez longuement développé ce point de vue avec les thèses de
Rudolph Arnheim et notre exposé sur les limites de la sémiotique.
Néanmoins, refuser d’aiguiser nos capacités d’interprétation, c’est oublier
que, pour paraphraser l’adage de Watzlawick à propos de la
communication16, on ne peut pas ne pas interpréter, au moins au niveau
minimal de la dénotation. Aiguiser le sens de l’observation, la sensibilité aux
outils plastiques et à la dimension des outils iconiques, ne peut qu’aider à
saisir plus intensément la force des messages visuels liée à leur nature de
signes et donc de producteurs de significations, d’inducteurs d’interprétation.
Percevoir une image pleinement, ce n’est pas développer certains niveaux de
perception en essayant d’anihiler les autres, mais au contraire les développer
tous, pour qu’ils s’étayent les uns les autres de leur richesse respective.
Refuser l’interprétation, c’est nier la nature de signe de l’image ; refuser
l’interprétation, c’est confondre le rouge et le sang.
Nous reprenons là, à notre compte, la réplique « Pas du sang, du rouge »17
que fit Jean-Luc Godard aux Cahiers du cinéma qui déclaraient : « On voit
beaucoup

Fig. 29. Affiche de l’exposition « April Greiman ». Arc


en rêve centre d’architecture. Bordeaux. 1994.
de sang dans Pierrot le fou. » Expression que l’on trouve aussi sous la
plume lyrique de Michel Cournot18 : « Cinéma d’amour qui sait respirer,
rêver, qui sait couler si vite et si doucement, comme le sang, pas du sang du
rouge, la robe rouge de Marianne… » Nous n’échappons pas à
l’interprétation, que nous le voulions ou non, et il est faux de dire que
l’interprétation tue l’émotion. Elle peut au contraire l’alimenter puissamment.
C’est pourquoi, pour en finir avec cette « défense et illustration » de
l’approche sémiologique que nous proposons dans ce livre, nous voudrions
montrer, sur l’exemple concret de l’étude de la photo de presse, comment ce
type d’approche peut aussi être un levier qui pousse à utiliser non seulement
ses propres outils mais aussi ceux d’autres champs théoriques.
Nous avons choisi la photo de presse précisément parce que c’est une
image qui, plus que toute autre, se donne pour le sang des hommes, alors
qu’elle discourt sur le sang des hommes. Refuser l’interprétation, c’est refuser
de saisir ce discours et le prendre pour la nature même des choses. Or, nous
verrons plus loin que c’est la définition même que Barthes donne du mythe.
Nous voudrions montrer aussi que cette déambulation à laquelle la démarche
sémiologique invite est d’une grande richesse. Non seulement parce qu’elle
permet de proposer des éléments de réponses circonstanciés à certaines
questions, mais aussi parce qu’elle incite à une liberté extraordinairement
féconde pour le travail intellectuel.
2. À propos de la photo de presse
La réflexion sur l’ambiguïté de la signification des photos de presse, sur
leur faculté de persuasion, a alimenté quelques recherches19 mais finalement
beaucoup moins nombreuses que le débat autour de la photo de presse et du
photojournalisme (alimenté par les médias eux-mêmes) ne pourrait le laisser
supposer20. Nous nous proposons d’examiner le fonctionnement d’une
certaine catégorie de photos : celles de magazines hebdomadaires dits
« d’information », qui sont, pour la plupart d’entre elles, très connues et
constituent une part de la mémoire visuelle de notre époque.
2.1. Photo de presse et mythe
Umberto Eco21 déclare : « Les vicissitudes de notre siècle sont résumées
par peu de photos exemplaires qui ont fait date : […] le milicien tué de Robert
Capa ; les marines qui plantent un drapeau dans un îlot du Pacifique ; le
prisonnier vietnamien exécuté d’un coup de pistolet à la tempe ; Che Guevara
martyrisé, étendu sur le lit de camp d’une caserne. Chacune de ces images est
devenue un mythe et a condensé une série de discours. Elle a dépassé les
circonstances individuelles qui l’ont produite, elle ne parle plus de ce ou de
ces personnages individuels, mais exprime des concepts. Elle est unique, mais
en même temps elle renvoie à d’autres images qui l’ont précédée ou qui l’ont
suivie par imitation. Chacune des photos semble être un film que nous avons
vu et renvoie à d’autres films. Parfois il ne s’agissait pas d’une photo, mais
d’un tableau ou d’une affiche. […] La photo, pour une civilisation déjà
habituée à penser par images, n’était pas la description d’un cas singulier (et
en effet peu importe qui était le personnage, que la photo d’ailleurs ne sert pas
à identifier) : elle était un raisonnement et dans ce sens elle a fonctionné. Il
importe peu de savoir s’il s’agissait d’une pose (et donc d’un faux) ; si au
contraire elle était le témoignage d’une bravade inconsciente ; si elle a été
l’œuvre d’un photographe professionnel qui a calculé le moment, la lumière,
le cadrage ; ou si elle s’est faite presque toute seule, tirée par hasard par des
mains inexpérimentées ou chanceuses. Au moment où elle est apparue, sa
démarche communicative a commencé : encore une fois le politique et le
privé ont été traversés par les trames du symbolique qui, comme c’est
toujours le cas, a prouvé qu’il était producteur de réel. »
Ce texte met bien en place un certain nombre de questions à propos de la
photo de presse et demande qu’on les explore.
Comment expliquer le paradoxe fondamental de ces photos de
presse dont la fonction éphémère devient durable et finit par
constituer une sorte de mémoire collective, néanmoins détachée
de l’actualité qui l’a provoquée ?
Comment expliquer le fonctionnement des citations
iconographiques ?
Le sens durable de ces photos est-il systématiquement un
« mythe » ?
L’utilisation de figures de rhétorique autorise-t-elle à parler de
« rhétorique de la photo de presse » ?
Une première hypothèse, consiste à dire que la photo de presse serait une
« mythographie »22. On peut d’abord comprendre « mythographie » à la
manière de Ducrot et Todorov citant Leroi-Gourand23, c’est-à-dire comme
une « écriture primitive » précédant l’écriture logographique. Serait
« mythographique » tout système sémiotique antérieur à l’écriture comme les
représentations au moyen d’objets ou d’images. Un chercheur comme
I.J. Gelb propose de classer ces systèmes dans les « avant-courriers de
l’écriture » : « Sous ce titre sont rassemblés tous les procédés au moyen
desquels l’homme a cherché au commencement à communiquer ses pensées
et ses sentiments. Le mot que j’ai forgé pour ces différents procédés est
“sémasiographie” du grec semasia, “signification”, et graphe, “écriture” […].
C’est le stade où des images peuvent véhiculer l’essentiel du sens souhaité par
le scripteur. À ce stade, des formes dessinées peuvent – exactement comme
dans le cas de la communication par gestes – exprimer directement, c’est-à-
dire sans recours à des formes linguistiques, une signification.24 » Ainsi, telle
peinture rupestre (ill. 30, p. 168) peut signifier : « Chemin très escarpé, une
chèvre passe, pas un cheval. »
Indépendamment du choix terminologique, nous retiendrons l’idée que,
comme les images qui ont précédé l’écriture, les photos de presse sont
porteuses de significations, indépendantes de leurs légendes. C’est ce dont
nous convainc toute l’approche sémiologique. Cependant, l’utilisation du
terme de « mythographie » comme « production de discours » ne permet pas,
nous semble-t-il, de glisser vers celui de « producteur de mythe » en tant que
tel ; ou plus exactement de franchir le passage du « mythe » considéré comme
écriture archaïque au « mythe » considéré comme parole spécifique. En effet,
pour effectuer ce passage il faut sans doute prendre quelques précautions et
essayer de définir dans quel sens on emploie le mot « mythe » qui « peut
avoir mille sens »25.
2.2. Le mythe selon Barthes
On se rappelle que pour Barthes « le mythe est une parole. […]. Le mythe
ne se définit pas par l’objet de son message mais par la façon dont il le
profère…26 » Le mythe est une parole spécifique dont il s’attache à décrire
« la forme », le système sémiologique, le mode de lecture, de déchiffrement
ainsi que sa fonction27. Il s’agit pour lui d’un « système sémiologique
second », qui « déforme » pour les « naturaliser » des concepts au moyen de
symboles qui peuvent être constamment interprétés et participent de ce fait au
« faire du monde ». « Pour que le symbole […] atteigne à la dimension du
mythe, il faut non seulement qu’il déforme le concept en élaborant un second
système sémiotique, mais en même temps il faut qu’il “naturalise” ce
concept : le mythologue comprend la déformation, le lecteur ordinaire la
prend pour la nature même… » On voit donc que pour que le discours visuel
de la photo de presse devienne « parole mythique » selon Barthes, il faut qu’il
réponde à un nombre de critères bien précis, parmi lesquels nous retiendrons
plus particulièrement celui de la transparence du symbole.
Mais, nous l’avons dit, les critères du mythe sont innombrables et
compliquent par là l’utilisation du terme.
2.3. Le mythe selon Lévi-Strauss
Prenons un autre exemple de définition proposée à peu près à la même
époque que celle de Barthes, à savoir celle de C. Lévi-Strauss28. Pour lui le
mythe, « connu par la parole et relevant du discours, est simultanément dans
le langage et au-delà ». « La substance du mythe ne se trouve ni dans le style,
ni dans le mode de narration, ni dans la syntaxe, mais dans l’histoire qui y est
racontée. » Le mythe est langage, « mais un langage dont les propriétés sont à
chercher au-dessus du niveau habituel de l’expression linguistique », formé
de grosses unités constitutives appelées mythèmes dont chacune a la nature
d’une relation ou plus exactement d’un paquet de relations, comparable en
cela à l’écriture musicale ou encore à la constitution des jeux de cartes.
À la fois langue (les mythèmes) et parole (les variantes), le mythe a ainsi
une structure à la fois diachronique – ou historique – et synchronique – ou
anhistorique – et « se rapporte simultanément au passé, au présent et au
futur ». Enfin, « son objet serait de fournir un modèle logique pour résoudre
une contradiction ».
Quoique rapides, ces rappels théoriques montrent à quel point il est difficile
d’affirmer d’emblée que la photo de presse est mythique, aussi séduisante que
soit la proposition, dès lors qu’elle propose des symboles.
2.4. Symbole, métaphore, allégorie
La notion de symbole, elle aussi, soulève toutes sortes de nuances et de
problèmes. Umberto Eco29 consacre une longue étude à sa complexité :
« Pourquoi appelle-t-on symbolique ce qui est sémiotique [puisque] le
langage est par nature symbolique et producteur de sens seconds et
indirects ? »
Cependant, après une analyse de différents types de symboles, Eco conclut
que ce qui caractérise le symbole, tout certain qu’il soit, c’est que son
interprétation reste incertaine ; le lecteur « le plus obtus » peut toujours le lire
au sens littéral et le texte conservera sa cohérence sémantique. Ou bien encore
il peut hésiter entre plusieurs interprétations, ce qui provoquera « une
sémiosis illimitée » : « Le texte peut être lu selon le mode symbolique…
Toutefois si on refuse de suivre cette voie, le mode symbolique n’abuse pas
de son pouvoir » et laisse le destinataire libre de le comprendre littéralement.
C’est en cela, selon Eco, que le symbole se distingue fondamentalement de
la métaphore : celle-ci n’est jamais acceptable au premier degré : « Une
métaphore ne peut être interprétée littéralement. En termes extensionnels
(même par rapport à un monde possible) elle ne dit jamais la vérité, c’est-à-
dire qu’elle ne dit jamais quelque chose que le destinataire pourrait
tranquillement accepter comme littéralement vrai […]. Le mensonge de la
métaphore est si flagrant (une femme n’est pas un cygne, un guerrier n’est pas
un lion, un paquet de cigarettes recouvert de buée n’est pas une boisson
rafraîchissante) que si la métaphore était prise littéralement, le discours
“s’enrayerait” parce qu’il y aurait un inexplicable “saut d’isotopie”. Il faut
interpréter la métaphore en tant que figure. »
C’est pourquoi nous prétendons que la photo de presse ne peut utiliser la
métaphore : nous montrons par là que certains types de discours visuels sont
contraints, au risque de perdre leur spécificité, de renoncer à certaines figures
de rhétorique et au contraire d’en exploiter d’autres. En effet, dans la mesure
où la photo de presse se donne comme un prélèvement de la réalité même,
elle ne peut proposer le « mensonge visuel » que serait une métaphore, que
l’on trouve fréquemment au contraire en publicité. La photo de presse se doit
de rester lisible et crédible au premier degré, ce que permet le symbole
interprété ou non, mais pas la métaphore.
Par ailleurs, toute signification seconde n’est pas nécessairement
symbolique, elle peut, et c’est très fréquent, être plus largement
« allégorique ». L’allégorie est en effet souvent confondue avec le symbole
même. Comme le symbole, elle laisse le destinataire libre de l’interpréter ou
non en tant que telle mais « à cette différence près que dans le cas du mode
symbolique quelque chose apparaît dans le texte pour n’y durer qu’un temps
très court tandis que l’allégorie est systématique et […] se réalise sur une
vaste portion textuelle. En outre, dans son feu d’artifice elle met en jeu des
images déjà vues ailleurs. Pour l’allégorie […] c’est un rappel immédiat à des
codes déjà connus qui joue. La décision de l’interpréter naît en général du fait
que ces iconogrammes paraissent clairement reliés l’un à l’autre par une
logique avec laquelle nous sommes déjà familiarisés grâce au trésor de
l’intertextualité. L’allégorie renvoie à des scénarios, des frames intertextuels
que nous connaissons déjà. Le mode symbolique en revanche met en jeu
quelque chose qui n’avait pas encore été codé.30 »
Ces précisions permettent d’être mieux à même d’analyser la complexité
des discours seconds proposés par les photos de presse. Certaines photos
peuvent devenir « parole mythique » lorsqu’elles engendrent des symboles
« naturalisés », qui ne sont plus compris comme symbole et donc toujours
interprétés mais comme la réalité même (ill. 31, p. 170). En revanche, s’il
s’agit de photos où le symbole reste ouvert, dynamique et « provoque une
sémiosis en chaîne », on ne pourra pas dire qu’elles sont « mythiques » au
sens de Barthes, mais tout simplement qu’elles sont « symboliques » : c’est le
cas de la photo des soldats français de Beyrouth (ill. 32, p. 170), l’un tenant la
main de l’autre enfoui sous les décombres, prise en octobre 1983 par Yan
Morvan, qui fit la Une de Paris-Match et fut primée par un jury international
d’Amsterdam. On peut dire que ce qui fit la fortune de cette photo (au double
sens du terme : elle fut payée 150 000 F et elle est très connue) fut
précisément la richesse interprétative qu’elle offre à travers le symbole de « la
poignée de main » des deux jeunes gens. De l’interprétation la plus
démagogique ou la plus racoleuse (« la mort lente » de Paris-Match) à la plus
généreuse (entraide, sacrifice), c’est précisément cette possibilité de faire
varier les registres du sens tout en jouant de leur superposition

Fig. 30. Peinture rupestre des Indiens du


Nouveau-Mexique.
et de leur écho qui assure la popularité d’un tel symbole : reconnu comme
tel, il offre cependant la liberté de toute une variété de lectures projectives.
Cependant, il n’est pas si fréquent que la photo de presse propose des
symboles aussi circonscrits et précis. Elle propose beaucoup plus souvent des
allégories avec leur double aspect de « vaste portion textuelle » et de jeu
intertextuel entre « scénarios » ou frames déjà connus. Cette dérive du sens à
travers le jeu des paramètres de la photo reprenant le cadrage des films en
Cinémascope, ou le grain des photos d’amateur, est bien montrée par Frédéric
Lambert31 sur des sujets d’actualité tels que les photos des tentatives
d’assassinat du pape ou de Reagan. L’allégorie, comme le symbole, et de
manière tout à fait étymologique (allos = autre ; agoreuo = je parle), nous
dit : « Quand je parle d’une chose, je parle d’autre chose » mais au moyen
d’une « série d’actes », d’une « conjonction de symboles » et de rappels de
représentations déjà connues.
On rencontre de très nombreux exemples d’allégories parmi les photos de
presse les plus connues. C’est le cas de la photo de l’exécution de rebelles
kurdes et d’officiers de la police du Shah en août 1979 (ill. 33, p. 171), dont la
composition et le cadrage rappellent, de façon inversée, ceux du fameux Tres
de Mayo de Goya (ill. 34, p. 171) et dénoncent, au-delà des faits historiques,
la barbarie des pouvoirs totalitaires. Mais l’allégorie peut jouer sur toutes les
nuances des relations entre ces rappels iconiques : la similarité dans
l’exemple précédent, l’écart et l’ironie dans le cas de la photo de Georges
Marchais entouré des ministres communistes en 1981 (ill. 35, p. 175), et
composée par Dominique Faget comme La Cène de Léonard de Vinci (ill. 36,
p. 175).
Conscientes ou inconscientes, ces citations d’images stimulent
l’interprétation du lecteur par le jeu de l’intertextualité. C’est le cas encore de
la photo de Robert Kennedy assassiné, par terre, les bras en croix, prise par
Bill Eppridge qui, conscient de la sur-signification de la représentation de
l’événement, raconte qu’il s’est déplacé de la tête aux pieds de Robert
Kennedy pour photographier le sacrifice, véritable descente de croix, telle que
notre culture judéo-chrétienne nous en a donné à voir par centaines.
Parfois les références iconiques peuvent se multiplier et complexifier
l’interprétation grâce à des confrontations contradictoires : c’est le cas pour la
célèbre photo du Che (ill. 37, p. 176), citation du non moins célèbre Christ
mort de

Fig. 31. Michael Weiss. Ouganda. 1980.


Fig. 32. Yan Morvan. Beyrouth. 1983.

Fig. 33. Anonyme. Exécution de


rebelles kurdes et d’officiers de la
police du Shah. Iran. 1979.

Fig. 34. Goya. Tres de Mayo. 1814.


Mantegna (ill. 38, p. 176), mais aussi de la Leçon d’anatomie de
Rembrandt (ill. 39, p. 176). Entre sacrifice et dissection, on voit comment
l’interprétation de la mort du Che s’enrichit de l’allégorie photographique…
Enfin, nous pensons que l’on peut trouver parmi les photos de presse
certaines d’entre elles qui atteignent à la dimension du mythe, au sens que lui
attribue Lévi-Strauss, avec sa double dimension diachronique et synchronique
de langue et de parole, enrichi et vivant de ses propres variantes, « se
développant comme une spirale jusqu’à ce que l’impulsion intellectuelle qui
lui a donné naissance soit épuisée ». Le plus souvent il s’agira de mythes
traitant de « contradictions réelles » et donc susceptibles d’engendrer un
nombre « théoriquement infini » de variantes, puisque résoudre la
contradiction devient irréalisable. Chaque variante sera légèrement différente
des précédentes mais fera partie intégrante du mythe : ne retrouve-t-on pas la
contradiction du « plus faible plus fort que le fort » dans la photo (prise par
Gilles Caron en 1968) de Cohn-Bendit défiant de son regard ironique un
gigantesque CRS (ill. 40, p. 181), David et Goliath modernes ? Et la photo de
Challenger explosant en plein ciel n’est-elle pas, dans son aspect tout à fait
étonnant, inimaginable auparavant, une variante du mythe d’Icare, tentant
avec d’autres (comme Phaeton ou Pégase) de résoudre la contradiction de
« l’homme volant », échappant à la pesanteur ?
La sémiologie nous apprend à ne pas succomber à l’« illusion de réalité »
des photos, et des photos de presse en particulier. Nous ne devons pas pour
autant tomber dans l’« illusion du mythe ». Il n’en demeure pas moins que
pour la plupart d’entre elles, ces photos de presse sont tout à fait paradoxales :
ancrées dans le réel, « arrachées au présent », elles touchent d’autant mieux le
public et perdurent d’autant plus longtemps dans la mémoire collective
qu’elles provoquent précisément des interprétations qui débordent largement
l’événement lui-même.
3. Pour une rhétorique de la photo de presse
Nous avons vu que certains « opérateurs » de ce passage du daté au
transhistorique, du spécifique au général, du « réel » au symbolique ou
allégorique (sinon systématiquement au « mythique »), pouvaient être
précisément des figures de rhétorique telles que le symbole ou l’allégorie.
D’autres figures de rhétorique classique peuvent encore se trouver dans ces
grandes photos, dont très fréquemment l’antithèse ou la comparaison (mais
pas la métaphore). Le fait de trouver des figures de rhétorique à l’œuvre dans
des images n’est pas pour nous étonner, puisque nous savons que la
rhétorique n’est pas réservée aux seuls discours verbaux. Peut-on à partir de là
en tirer des conclusions sur « la rhétorique » de la photo de presse au sens
plus général du terme, c’est-à-dire au sens de son mode de persuasion, de son
type d’argumentation ?
3.1. Informer ou surprendre ?
Cela nous semble un peu rapide et nous proposons de suivre auparavant
quelques détours du côté de la fonction de la photographie en général, puis de
la photo de presse en particulier. On se rappelle que Roland Barthes32 avait
reconnu à la photo un certain nombre de fonctions, « autant d’alibis », selon
lui, pour le « Photographe ». Ces fonctions seraient : représenter, surprendre,
faire signifier et donner envie, informer. On peut associer relativement
facilement ces fonctions à certains types de photos : représenter et photos
didactiques (dictionnaires ; encyclopédies ; ouvrages scientifiques, etc.) ;
surprendre et photos d’amateurs (les sauts, les chutes, les voyages, etc.) ;
faire signifier et photos de famille ou photos politiques médiatiques ; donner
envie et photos de publicité ; et enfin informer et photo de presse.
On voit tout de suite que ce classement n’est qu’une proposition en rien
rigide car on peut faire tourner les fonctions à peu près pour toutes les
catégories de photos : on peut trouver des photos pédagogiques surprenantes,
des photos publicitaires signifiantes, des photos d’amateurs informatives et
ainsi de suite… Néanmoins, il est raisonnable d’admettre que les différentes
catégories de photos ont des « dominantes » fonctionnelles et que la photo de
presse a pour fonction principale d’informer. Elle doit, certes, « témoigner,
illustrer, émouvoir, faire vendre », mais, avant tout, elle doit « informer ».
« Informer par l’image, déclare Frédéric Lambert, c’est choisir une
photographie qui résume, selon le photographe, l’événement auquel il a
assisté.33 »
Cependant, il nous faut rappeler à quel point la notion même
d’« information » est complexe. Elle peut tout aussi bien correspondre aux
« nouvelles » données par la presse écrite ou audiovisuelle, qu’aux banques
de données. En réalité, il y a autant de catégories d’« information » que de
domaines de recherche : biologique, psychologique, sociologique,
informatique, etc.
L’héritage du modèle physico-mathématique de la cybernétique34 a amené
à considérer l’information, dans les sciences de l’information et de la
communication, comme ce qui permet de faire décroître le degré
d’incertitude, en réduisant progressivement le nombre de réponses possibles à
une question. L’information correspondrait alors à un phénomène de
néguentropie, c’est-à-dire à une entropie négative qui augmenterait le
potentiel énergétique au contraire de l’entropie qui, elle, produit une
dégradation d’énergie.
Ainsi pour un théoricien comme Garner, une information serait « ce qui
réduit, par un acte de communication, l’ignorance et l’incertitude par rapport
à une situation donnée. Le degré de réduction d’incertitude détermine la
teneur en information » ; pour Ackoff, si une communication modifie les
probabilités de choix, elle « informe », c’est-à-dire qu’elle fait savoir, qu’elle
renseigne. Si elle améliore par l’apprentissage, elle « instruit ». Si elle fait
varier les valeurs, elle « motive ». Dans tous les cas il y a choix et réduction
de l’incertitude. Pour de nombreux chercheurs, il est important de distinguer
information et savoir, pour considérer l’information comme un transfert de
savoir35.
La notion d’« information » dans la presse est elle aussi particulière. Elle
n’a pas nécessairement la même signification pour le professionnel ou pour le
chercheur. Si pour le journaliste, et pour aller vite, « les infos » ce sont « les
nouvelles », au sens traditionnel du terme, un chercheur comme Gérard
Leblanc a pu montrer36 qu’information était le plus souvent synonyme
d’événement, et qu’un événement était ce qui rompait le cours supposé
tranquille de la vie : inondations, guerres, accidents de tous ordres, et donc
que la notion même d’information était, en l’occurrence, très fortement
idéologique.
Compte tenu de ce rappel, revenons à la photo de presse et à sa capacité
d’information. Si l’on admet qu’« informer » revient à donner des
renseignements nouveaux, à augmenter notre savoir en diminuant
l’incertitude, et, pour la presse, à annoncer un événement, la photo de presse,
publiée après l’information verbale, voire télévisuelle, ne donne pas
l’information de l’événement lui-même.

Fig. 35. Dominique Faget. G.


Marchais et les 4 ministres
communistes : M. Rigout, A. Le Pors,
J. Ralite et C. Fiterman. 7 février
1982.

Fig. 36. Léonard de Vinci. La Cène.


1495-1498.

Fig. 37. Freddy Alborta. Le corps


nu du Che présenté à la presse.
Octobre 1967.

Fig. 38. Andrea Mantegna.


Christ mort. 1465-1466.
Fig. 39. Rembrandt. Leçon
d’anatomie du docteur Tulp.
1632.
Elle cherchera plutôt à être d’abord « la » photo de l’événement déjà
connu, celle qui accroche, celle qui surprend, le « scoop ».
Or, nous avons vu que la fonction de surprise était une des fonctions
reconnues par Roland Barthes à la photographie. C’est même une fonction sur
laquelle il s’attarde assez longuement à cause de sa fréquence : « Toutes ces
surprises obéissent à un principe de défi […] : le photographe, tel un acrobate,
doit défier les lois du probable ou même du possible. » Et Barthes de faire la
liste des différents types de surprises que l’on trouve en photographie37 ; nous
devons reconnaître qu’il est relativement facile de trouver des exemples de
ces différents types de surprise parmi les grandes photos de presse (ou
« scoops ») de ces dernières années38 :
la rareté (Françoise Claustre prisonnière [ill. 41, p. 181]), et on
nous précise « avec admiration » toutes les difficultés matérielles
qu’a eues le photographe pour faire cette photo ;
le numen (la divinité, la puissance divine), que l’on trouve aussi en
peinture : le photographe « reproduit un geste saisi au point de sa
course où l’œil normal ne peut l’immobiliser ». Il s’agit de fixer
le presque imperceptible : on trouve dans la presse
d’innombrables sauts en suspens, coups de feu, chutes, etc.
(planche 42, pp. 182-183) ;
la prouesse (la goutte de lait au dix-millième de seconde) ;
la surprise technique : anamorphoses, décadrages, flou, trouble des
perspectives, le grand angle (planche 43, p. 185) ;
enfin la trouvaille (les people ou les friandises des paparazzi).
Il semblerait donc que, plus que le principe d’information, ce soit celui de
surprise et de défi qui préside à la publication de la photo de presse.
Il serait néanmoins faux de dire que la photo de presse « n’informe » pas,
qu’elle ne nous « apprend » rien. Mais ce qu’elle nous apprend avant tout, ce
n’est pas qu’il s’est passé telle ou telle chose mais que telle ou telle chose
s’est réellement passée, a réellement existé, que « ça-a-été », selon la formule
de Barthes : on a marché sur la Lune (ill. 44, p. 186), Aldo Moro est toujours
vivant (ill. 45, p. 186).
C’est-à-dire que la fonction de surprise se double de la fonction de preuve à
cause de l’aspect indiciaire spécifique de la photographie. La photo est bel et
bien une trace du réel, « le référent adhère », ce qui lui permet de jouer ici
encore sur la confusion entre « preuve d’existence » et « preuve de sens ».
C’est ainsi que l’information se déplace de l’annonce de l’événement à un
témoignage sur cet événement, voire à un symbole plus universel.
3.2. Surprendre ou répéter ?
Toutefois, c’est sur la notion de surprise, de défi, que nous voudrions
insister. Si nous admettons que c’est le principe dominant de la photo de
presse – à cause de l’aspect médiatique et commercial de celle-ci –, nous
admettons par conséquent que la photo de presse se doit d’être extraordinaire,
de rompre avec le déjà vu, et de s’opposer ainsi à un autre principe : le
principe de répétition. La répétition, l’habitude émoussent nos perceptions, et
la photo « scoop », la photo surprenante sera celle qui accrochera notre regard
par sa nouveauté, son originalité. Or, si nous feuilletons le catalogue des
photos de presse les plus célèbres et les plus chères depuis la dernière
guerre39, nous nous apercevons que la proportion de photos rares, uniques,
jamais vues (l’explosion de Challenger, un homme sur la Lune) est infime par
rapport à celle des images répétées : un triste exemple est celui des images de
guerre et de massacres (planche 46, p. 187)…
Ainsi, nous débouchons sur un nouveau paradoxe à propos de la photo de
presse qui peut-être nous apportera un début de compréhension de sa
rhétorique particulière : il s’agirait d’« une image rare qui se répète » ou
d’« une répétition unique ». Proposition qui permet en effet de conclure à une
chose : la photo de presse est unique ; et à son contraire : la photo de presse se
répète.
Cela, qui paraît inadmissible, devrait nous permettre de définir la
rhétorique de la photo de presse précisément comme une rhétorique du
paradoxe ; nous avons vu que l’utilisation d’un certain nombre de figures de
rhétorique (symbole, allégorie) fondait le premier aspect paradoxal de
certaines photos de presse, les plus connues, celles qui constituent la mémoire
collective occidentale : photo d’un instant devenant a-temporellement
symbolique ; autrement dit, nous avons vu que certaines figures de rhétorique
pouvaient devenir les opérateurs d’une rhétorique paradoxale de la photo de
presse, alliant éphémère et durée. L’allégorie, en particulier, qui cite et par là
perpétue toute une histoire de la représentation visuelle, inscrit l’événement
ponctuel dans une durée, dans une tradition visuelle, qui déplace
l’information événementielle vers un autre type d’information sur lequel nous
voudrions maintenant nous interroger.
3.3. Informer ou argumenter ?
La question de fond qui se présente à nous est en effet de savoir si
seulement la photo de presse « informe ». Nous avons vu qu’elle ne donne pas
l’information de l’événement lui-même qui est déjà connu des lecteurs,
lorsqu’ils achètent leur quotidien et plus encore leur hebdomadaire. Nous
avons dit qu’elle témoigne de la réalité de l’événement par son aspect de trace
visuelle et lui confère ainsi, par un glissement de sens que nous avons analysé
ailleurs, un caractère de vérité.
Nous pouvons admettre qu’elle nous fournit quelques informations sur
l’aspect visuel des personnes et des lieux, même si l’on sait que le jeu des
paramètres de la photographie peut faire varier presque à l’infini cette
apparence visuelle. Mais est-ce là l’essentiel, ce qui rend la photo de presse
attrayante, même médiocre, ce qui pousse le lecteur à regarder ces photos, à
acheter le journal ou le magazine pour posséder ces photos et les contempler ?
Il semble qu’il y a là un mot clé : celui de contemplation. En effet, la photo
de presse, même si elle est une photo jetable, est d’abord une photo sur
laquelle on peut s’attarder, ce que ne permet ni l’information verbale de la
radio, évidemment, ni l’information télévisuelle parce que trop fugitive. Cet
aspect fugitif des images médiatiques, y compris dans la presse écrite ou dans
la publicité, peut expliquer d’ailleurs une des caractéristiques de l’image
médiatique à savoir son auto-référence. Pour Baudrillard l’auto-référence est
une des raisons de la perte de sens de l’image médiatique40. Nous pensons
plutôt que l’auto-citation lui permet au contraire d’avoir le temps de prendre
du sens en permettant une contemplation, même minimale. Le problème est
de savoir quel sens. Un petit exercice va nous aider à comprendre cela.
3.4. Le choix de « la » photo
Il s’agit d’observer quelle photo est retenue pour la publication parmi celles
des planches contact rapportées par le photojournaliste. Nous savons qu’à ce
choix président des préoccupations de lectorat, de mise en page, de priorité.
Mais nous savons aussi que ce travail de sélection est un des plus longs et des
plus minutieux qui précèdent la publication des photos.
Voyons la photo bien connue de Marc Riboud, le 21 octobre 1967, lors des
manifestations pour la paix au Viêt-nam (ill. 47, p. 189)41. Le 21 octobre
1967, en effet, a lieu à Washington une grande marche pour la paix au Viêt-
nam. C’est l’information principale. Michel Guerrin42 résume ainsi les
événements : « Plusieurs centaines de milliers de personnes investissent le
Pentagone. Le slogan ? “Rendez-nous nos GI’s.” Les affrontements avec les
forces de l’ordre feront une centaine de blessés. Marc Riboud et Dany Lyon,
tous deux de Magnum, sont dans la foule. À la tombée de la nuit, un peu à
l’écart des “points chauds”, Marc Riboud prendra cette image au Leica,
objectif 50 mm, à pleine ouverture. » Image très connue et publiée partout de
« la fille à la fleur ».
Qu’observons-nous sur la planche contact43 (planche 48, p. 190) d’où cette
photo a été choisie ? Sur les trente-six images (dont douze seulement ont été
reproduites ici), vingt-neuf sont des photos de foule : foule des forces de
l’ordre d’abord, foule des manifestants ensuite, puis foule des uns face aux
autres, ou des uns affrontant les autres, avec pour la plupart, en arrière-plan, le
Pentagone. Ces photos traitent toutes du thème principal de l’information (la
manifestation) et témoignent de l’importance et de la dureté des
affrontements.
Le trentième instantané montre au premier plan une jeune fille, tendant une
fleur aux soldats pointant vers elle leurs baïonnettes, tandis que la profondeur
de champ permet encore de distinguer, en arrière-plan, la foule des
manifestants. Les six photos suivantes n’apportent plus d’information
nouvelle mais manifestent une recherche de la « bonne photo » : la jeune fille
est progressivement recadrée, de plus en plus serrée, tandis que le fond
s’estompe pour devenir flou et mettre en évidence le motif principal : la jeune
fille de profil, à la fois douce et déterminée, opposant dans un geste de prière
une fleur aux baïonnettes pointées sur elle.
Fig. 40. Gilles Caron.
Daniel Cohn-Bendit. Mai 1968.

Fig. 41. Raymond


Depardon. Françoise Claustre
prisonnière. 1975.
Fig. 42a. Robert Capa. Front
de Cordone, près de Cerro Muriano.
Guerre d’Espagne.
Vers le 5 septembre 1936.
42b. James Nachtwey.
Entraînement de guérilleros tamouls. Inde.
185.

42c. Francis Apesteguy.


Attentat au Drugstore Publicis.
28 septembre 1972.

42d. Gilles Caron. Mai 68.

42e. Eddie Adams. Exécution


d’un responsable présumé du
Viêt-cong. 1er février 1968.
Ce qui fit évidemment la force et le succès de cette photo, c’est sa forte
charge symbolique, étayée par une antithèse visuelle puissante qui oppose de
part et d’autre du cadre, dans un face-à-face point par point contradictoire, le
profil de la jeune fille et les silhouettes uniformisées des soldats, la fleur et les
fusils, la prière calme et décidée et l’agressivité inutile, le clair et le sombre.
Mais où est passée l’information à proprement parler, celle que nous voyions
apparaître très professionnellement dans les premières photos : le lieu – le
Pentagone –, les protagonistes – les foules massives des forces de l’ordre et
des manifestants –, l’action – leur affrontement ? Ils ont disparu au profit d’un
portrait-symbole (le contraire de la foule) que les commentaires verbaux (la
légende) replaceront dans son contexte événementiel, déjà connu du public.
Ainsi, ce que cette photo nous propose ce n’est plus une information, mais
un discours sur l’information déjà connue. C’est à proprement parler une
argumentation. Ce qui est le propre de la rhétorique. Et ce qu’elle nous dit,
cette photo, c’est que la paix vaut mieux que la guerre, qu’il vaut mieux
défendre la paix que la guerre d’une manière générale, et en l’occurrence qu’il
faut soutenir l’opposition à la guerre du Viêt-nam. Ce qui n’est pas un
discours neutre, s’il en est, et, d’ailleurs, les autorités vietnamiennes ne s’y
sont pas trompées, qui, quelque temps plus tard, ont accordé un visa pour le
Viêt-nam à Marc Riboud, parce qu’il était l’auteur de la photo de « La fille à
la fleur »44.
Toutefois, ce que nous observons encore une fois sur la planche contact,
c’est que l’argument (paix vs guerre) est trouvé par le photographe dès la
trentième prise de vue en même temps que la figure de rhétorique qui va le
servir (l’antithèse décrite plus haut). Il lui faut cependant encore six
instantanés avant d’en arriver à la « bonne photo ». Et c’est une évidence pour
tous que c’est la dernière qui est « la bonne ». Que se passe-t-il donc entre le
trentième et le trente-sixième instantané ?
Il y a une recherche plastique autour d’un paramètre essentiel de l’image :
le cadrage, qui jouera par ricochet, peut-être indirectement à cause de la
rapidité des événements, sur celui de la profondeur de champ, qui servira à
son tour le symbole. Cette recherche du « bon » cadre, ce tâtonnement vers un
équilibre visuel qui, tout à coup, s’impose comme parfaitement juste, qu’est-
ce qui les motive et qu’apportent-ils à l’argumentation ?

Fig. 43a. Raymond Depardon. Place de la Concorde.


6 mai 1988.
Fig. 43b. Raymond Depardon. Combattant à
Beyrouth en 1978.

Fig. 44. Edwin Aldrin photographié sur


la Lune par Neil Armstrong. Août 1969
Fig. 45. Aldo Moro photographié par
ses ravisseurs. 18 mars 1978.
Fig. 46a haut gauche. Arthur
Greenspon. Bataille de Huè. Sud-
Viêt-nam. Avril 1968.

Fig. 46b haut droite. Thierry


Deliveyne. Offensive des
Khmers rouges sur Phnom
Penh. 1974.

Fig. 46c bas. Jean-Claude Francolon.


Expulsion d’étrangers. Nigeria.
Janvier 1983.
Janvier 1983.
Ce qui les motive, ce sont des critères esthétiques d’équilibre dans la
composition, de rapports de masses, de contrastes de lumière comme de
formes, d’orientation des lignes, de direction des regards, etc. Peu importe, en
effet, si cet équilibre est voulu ou non, consciemment élaboré ou le fruit du
hasard, il est néanmoins recherché, désiré. Et lorsqu’il est atteint, on le sait,
tout simplement, sans pouvoir nécessairement l’expliquer. Nous savons en
effet que cet équilibre procure une satisfaction profonde, un plaisir visuel qui
se rapproche ou se confond avec l’expérience esthétique qui, selon Freud45,
est « une des sources de plaisir et de consolation ici-bas » qui, parmi d’autres
et malgré sa fugitivité, est pour l’homme « un procédé » ou « une méthode »
ou encore « une technique de défense contre la souffrance », « une source de
satisfactions substitutives » à la souffrance inévitable que procure la réalité.
Cet exemple, dont le fonctionnement peut se vérifier dans bien d’autres
photos de presse, nous permet de nous rendre compte qu’en effet la photo de
presse argumente plus qu’elle n’informe, et qu’elle a donc peut-être une
rhétorique propre. Il montre aussi que ce qui préside au choix c’est bien la
force de l’argumentation plus que l’information brute. Le photographe
témoigne, non seulement par l’aspect indiciaire de la photo mais aussi au sens
quasi juridique du terme : il argumente autour d’une information déjà connue
pour en éclairer tel ou tel aspect et la rendre plus crédible. On voit comment
cet exemple, pour ponctuel qu’il soit, nous ramène aux premières
interrogations que la théorie sémiotique nous avait permis de nous poser sur
le statut de l’image dans notre société ainsi que sur ses fondements46. Mais les
outils de cette argumentation peuvent être divers : narrativisation,
dramatisation, symbolisation, qui combinent l’exploitation des ressources
plastiques et iconiques.
Observons sur d’autres exemples comment l’argumentation prend le pas
sur l’information et quel type de fil conducteur poursuit cette argumentation.
Dans l’exemple de la manifestation contre la guerre du Viêt-nam, nous avons
vu la mise en place d’une argumentation au service du symbole, étayée par la
solide figure de rhétorique qu’est l’antithèse.
Dans un autre exemple, l’arrestation de Jacques Mesrine47 (planche 49,
p. 192), ou plus exactement son exécution par la police, nous nous apercevons
que le
Fig. 47. Marc Riboud. La Fille à la fleur.
Manifestation contre la guerre du Viêt-nam.
Washington D.C. 21 octobre 1967.

Fig. 48. Marc Riboud. Planche contact


(extrait). Manifestation contre la guerre
du Viêt-nam. 21 ocbotre 1967.
choix des photos retenues répond à deux exigences : la lisibilité et le récit.
Là encore lorsque ces photos paraissent le public connaît les faits qui ont été
déjà abondamment commentés à la radio et à la télévision. Que vont donc
montrer les photos retenues pour la publication ?
Une action en trois temps (structure minimale de la séquence narrative, on
le sait) : Mesrine abattu au volant de sa voiture ; le cadavre transporté sur une
civière ; les responsables de l’opération se félicitant. C’est-à-dire que nous
avons la mise en scène minimale des actants principaux d’un récit selon
Greimas48 : un sujet (le commissaire Broussard et ses acolytes), un objet
(Mesrine), un destinateur (capture, mise à mort), un destinataire (l’ordre
public). Structure du récit occidental que nous avons tous intériorisée au
même titre que les critères esthétiques dont nous parlions plus haut.
Quant à la visibilité, et donc la lisibilité, nous voyons sur les planches
qu’elle est particulièrement recherchée, même de façon morbide. En effet, si
on cherche ce qui distingue les quatre photos de Mesrine à son volant, on
s’aperçoit que, sauf pour la première, ce n’est ni le cadrage ni l’éclairage, qui
sont identiques, mais la posture du mort qui a sans doute été légèrement
redressé pour que l’on voie mieux son visage de profil. Pour ce qui est du
transport du cadavre sur la civière, on constate que le photographe a dû se
percher sur le toit d’une voiture (de la voiture ?) pour photographier la scène
et que la photo choisie est encore celle où on peut apercevoir le visage du
mort. Enfin, en ce qui concerne la congratulation des policiers, l’une des
photos retenue est cadrée un peu plus serrée, et permet de bien voir le pistolet
dans la ceinture d’un des policiers qui s’oppose tragiquement au sourire et au
geste affectueux du bras passé autour du cou du commissaire ; à cette effusion
répond l’ultime photo montrant le commissaire se frottant les mains de
satisfaction (?).
Récit et lisibilité semblent donc être les deux axes principaux poursuivis
par cette argumentation qui intègre en même temps cynisme (du photographe
vis-à-vis de la victime comme des policiers ; des policiers vis-à-vis de la
victime) et morbidité.
Pour dernier exemple, nous prendrons quelques planches contact d’un
reportage plus contemporain, fait à Vukovar, en Bosnie et dont une photo a
été publiée en double page dans Paris-Match de la semaine du 11 juin 9249
(planche 55, p. 202).
Fig. 49. Daniel Simon. Jacques Mesrine abattu par la
police. Novembre 1979.
Certaines photos avaient été retenues par l’agence Gamma parmi la
vingtaine de planches de 36, constituant ce reportage ; une seule a été publiée
par Paris-Match, plus trois autres provenant d’un autre reportage.
Ici, pas de récit mais le désir de témoigner de l’ampleur des dégâts
provoqués par une guerre que tout le monde connaît. De ce point de vue-là,
on peut dire que toutes les photos sont informatives puisqu’elles montrent à
un public qui ne connaît pas le pays des images de rues dévastées, d’églises
détruites, de maisons criblées d’impacts de balles, de chars décapités, de
monuments massacrés, de soldats, de civils fuyant, de maisons détruites, etc.
Dans cette abondante masse de documents, quels vont être les critères de
choix ? Il nous semble que ces critères sont avant tout symbolisme et
esthétique d’une part, dramatisation de l’autre.
De façon évidente, par exemple, le symbole du drapeau yougoslave
encadrant, avec les mêmes angles aigus qu’une vitre brisée, une vue sur la
ville détruite (planche 50, p. 198). D’autres clichés tournant autour de la
même idée prouvent qu’il s’agit même là d’une photo dont la composition est
élaborée et qui prend une dimension allégorique en rappelant un plan célèbre
de Ivan le terrible d’Eisenstein.
Toute la planche suivante cherche à montrer la campagne dévastée et les
chars abandonnés ; l’information est à peu près la même sur chaque cliché.
Celui qui sera retenu est celui qui équilibre le mieux les proportions du canon
menaçant et oblique d’un char au premier plan avec les lignes inclinées des
arbres déchiquetés en arrière-plan et la silhouette d’un autre char qui suggère
synectotiquement leur nombre (planche 50, p. 198).
Dans la troisième planche, qui cherche à montrer en plan relativement large
des maisons ou des monuments détruits, ne seront finalement retenues que
deux photos en plan plus serré : l’une car elle est une sorte de citation visuelle
des photos prises à Beyrouth (planche 51, p. 199), allégorie de massacre
citadin (voiture explosée devant un mur tavelé d’impacts de balles) et l’autre
cadrant une fenêtre dévastée derrière laquelle on distingue à peine des
silhouettes humaines.
La planche suivante présente des personnages, des véhicules et des vues
d’ensemble de la ville. Une cheminée d’usine trouée par un projectile domine
un quartier entièrement dévasté. Le choix du cadre vertical (au lieu de
l’horizontal, voisin) s’avère sans conteste plus efficace : d’une part il permet
de voir, à la base de la cheminée, l’usine détruite, mais surtout il permet tout
un jeu de rimes plastiques entre la trouée sombre du fût de la cheminée et
celles des toits des maisons alentour, qui renforce l’impression de destruction
totale bien mieux que les autres clichés (planche 52, p. 200).
Dans les trois planches suivantes, où de nombreux personnages
apparaissent, on s’aperçoit que le critère de choix tient au facteur de
dramatisation que peut introduire la présence des personnes : les voir ne suffit
pas ; encore faut-il que leur nombre, leur posture, le jeu des regards, le décor
devant lequel elles se trouvent, accentuent l’aspect dramatique de la situation.
Ainsi, on choisira le cliché où deux vieilles personnes plutôt qu’une
regardent des maisons détruites (planche 52, p. 200), celui où la présence et
l’orientation du regard d’un troisième personnage intensifient une scène de
séparation ou de retrouvailles entre un soldat et une vieille personne qui peut
être sa mère (planche 53, p. 201) ; lorsque le personnage est seul, on choisira
le cliché où le décor vide, campagne ou ville, renforce l’impression de
solitude avec celle de destruction totale ou d’exode (planche 53, p. 201). À
leur tour ces photos accéderont au niveau symbolique et joueront plus
intensément des outils plastiques de la composition du cadre ou des
contrastes.
Enfin, si on examine la photo qui a été publiée dans Paris-Match
(planches 54 et 55, p. 202), on s’aperçoit qu’elle réunit tous ces critères de
choix : la présence (dramatisante) des personnages civils fuyant avec le peu
d’affaires qu’ils ont pu emporter chargées sur une brouette insiste sur le
malheur des populations civiles plus que d’autres personnages photographiés
dans la même rue (des soldats par exemple) et renvoie à d’autres images
d’exode malheureusement bien connues.
Le décor de la rue vide et dévastée insiste bien entendu sur le dénuement
total auquel sont conduites ces populations. Cependant, cette argumentation
va se doubler d’un symbolisme puissant tenant en partie à la représentation, en
partie aux choix esthétiques. En effet, sur la partie gauche de la photo, on voit,
sur le même plan que les fuyards, la façade d’une maison béante et criblée
d’impacts de projectiles divers. Un Christ en pierre, criblé lui aussi de balles,
est sculpté sur la façade de la maison. Tous ces détails, nous les voyons sur
plusieurs clichés.
Mais celui qui sera finalement retenu et publié est celui dont la composition
plastique est la plus rigoureuse et oppose à parts égales les deux parties
gauche et droite de la photo, mettant d’une certaine manière au même niveau,
sur le même plan, l’image de ce Christ, comme doublement crucifié, et celle
des personnages, symboles d’une population tout entière sacrifiée. Les pleins
et les vides se répondent parfaitement, la perspective bouchée (derrière le
Christ) et la perspective fuyante (derrière les personnages en fuite) ont une
fonction significative qui dépasse largement le réalisme de la représentation.
On constate encore une fois que cette photo de reportage, au-delà de
l’information pure et simple, vaut par sa force argumentative et persuasive qui
s’offre à l’interprétation, au-delà de la simple reconnaissance.
3.5. Un discours paradoxal
Nous nous garderons bien de donner des réponses définitives aux questions
que pose la photo de presse. Ne serait-ce que parce que nous n’avons donné
pour exemple que certaines d’entres elles. Cependant, lorsque nous nous
demandions si le fait de trouver des figures de rhétorique dans bon nombre de
ces photos nous permettait de conclure à une « rhétorique » de la photo de
presse, nous répondons non car cela n’est pas suffisant pour nous permettre de
dire si la photo de presse a ou non une rhétorique propre.
En revanche, un certain mode de fonctionnement récurrent de la photo de
presse – surprendre plus qu’informer, répéter plus qu’innover – nous
permettait de mettre en évidence une sorte de rhétorique du paradoxe ou de
l’ambivalence que nous avions d’ailleurs déjà pu apercevoir dans ses
dimensions symbolique, allégorique ou mythique opposées à son ancrage
dans l’éphémère de l’actualité.
Abandonner le seul point de vue du consommateur d’images que nous
sommes pour passer, grâce à l’accès à quelques planches contact d’une
grande agence, du côté des professionnels, de ceux qui choisissent les photos
dignes d’être publiées, a été pour nous d’une grande utilité. Nous avons pu
nous rendre compte qu’en effet la photo de presse argumente plus qu’elle
n’informe – qu’elle a donc une rhétorique – et que ce qui préside au choix est
bien la richesse de l’argumentation plus que l’information brute qui est dans à
peu près tous les clichés. On témoigne, non seulement par l’aspect indiciaire
de la photo, mais aussi par sa dimension argumentative.
Les outils de cette argumentation sont divers : narrativisation,
dramatisation, symbolisation, exploitation des ressources des outils plastiques
et esthétiques. Nous avons vu avec Freud que le plaisir esthétique nous
soulage de la souffrance causée par la réalité et nous savons aussi depuis
Aristote50 que « tout homme prend plaisir aux images ». Un plaisir tel, selon
lui, que nous pouvons contempler jusqu’aux images horribles telles que
« celles des cadavres ou des animaux vils » dont nous nous détournerions
dans la vie. Cette exploitation qui nous montre une fois encore que ces outils
sont des signes à part entière au même titre que les signes iconiques.
L’utilisation des signes plastiques non seulement concourt à l’argumentation
même, à sa lisibilité, mais nous procure aussi du plaisir en nous soulageant
des duretés de la réalité, accentuées quant à elles par l’aspect indiciaire de la
photographie.
C’est ainsi que nous débouchons sur l’ultime paradoxe d’une image qui
prétend nous renseigner sur la réalité, et souvent sur ses aspects les plus durs
(alors que nous savons que c’est la chose la plus difficile qui soit de bien
vouloir accepter la réalité avec lucidité), et qui nous fait plaisir. Ce plaisir,
recherché et obtenu, que nous prenons à contempler ces images nous aide-t-il
à intégrer le principe de réalité ou nous en détourne-t-il ? C’est sur cette
dernière question que nous nous arrêterons pour le moment, consciente
qu’elle nous renvoie à nouveau à celle qui avait provoqué ce travail, à savoir
la fonction de la photo de presse. C’est là que nous devons nous souvenir que,
dans certains cas, le plaisir visuel procuré par l’esthétique de l’image peut
aller contre toute éthique, et devenir « abject »51.
4. Conclusion
Pour conclure ce dernier chapitre, nous insisterons dans un premier temps
sur le fait que l’observation systématique des différents paramètres de
l’image, de leurs interactions réciproques, comme celle du contexte
institutionnel de son apparition, sont un moyen efficace pour expliciter la
signification implicite d’un message visuel et ses inductions interprétatives.
On peut ainsi mettre en évidence le caractère discursif du message visuel.
Insister sur l’aspect discursif et argumentatif de l’image, et de la
photographie de presse en particulier, peut sembler contradictoire avec ce que
nous avons avancé plus haut52, en citant Gombrich, à savoir qu’une image
n’est ni vraie ni fausse, dans la mesure où elle n’est pas une proposition au
sens logique du terme. En réalité, l’aspect discursif de l’image ne lui donne
pas pour autant le caractère de proposition, énoncé qui établit une relation
entre deux termes. L’argument visuel, lui, demeure un énoncé simple et
implicite, l’expression d’une opinion, et conserve donc toute sa relativité, non
seulement au niveau de son expression, mais aussi au niveau de son
interprétation qui, nous l’avons vu, est aléatoire quoique guidée. Peut-être
pouvons-nous alors appliquer au processus d’expression comme au processus
d’interprétation cette idée de « rigueur élastique » avancée par Ginsburg à
propos du « paradigme indiciaire ».
Pour finir, nous insisterons sur le fait que l’exemple d’investigation de la
photo de presse, selon une approche sémiologique, montre combien celle-ci
permet à la fois de rigueur et de liberté. Aiguisant le sens de l’observation,
elle offre des outils d’investigation sans pour autant enfermer l’analyse dans
un carcan préétabli. Plus qu’elle ne propose un modèle d’analyse strict, elle
permet à une forme de curiosité de s’exercer.
Fig. 50. Idem.

Fig. 51. Daher. Guerre civile en Yougoslavie.


Vukovar en ruines. Décembre 1991.

Fig. 52. Idem.


Fig. 53. Idem.

Fig. 54. Daher. Guerre civile en


Yougoslavie. Vukovar en ruines.
Décembre 1991.

Fig. 55. Idem.


1 - Grasset, 1992 (trad. fr.).
2 - Cf. Introduction à l’analyse de l’image, op. cit.
3 - Cf. « Exemple d’analyse d’une publicité », in Introduction à l’analyse de l’image, op. cit.
4 - Cf. Jean-Marie Floch, « Sémiotique d’un discours plastique non figuratif », in Communications
o
n 34, Les Ordres de la figuration, Seuil, 1981.
5 - In Sémiotique et philosophie du langage, op. cit.
6 - In Cinéma et production de sens, Armand Colin, 1991.
7 - Catherine Kerbrat-Orechioni, La Connotation, PUL, 1984.
8 - La Structure absente, Mercure de France, 1972.
9 - Cf. Catherine Kerbrat-Orechioni, op. cit.
10 - Et s’analyse encore moins ; cf. « Le refus de l’analyse », in Martine Joly, Introduction à
l’analyse de l’image, op. cit.
11 - Dont les travaux ont été exposés au CAPC de Bordeaux, de mars à mai 1994. Le catalogue de
l’exposition s’intitule : « April Greiman, ce n’est pas ce que vous croyez. »
12 - « Ne pensez pas ; si vous pensez, ne pensez à rien. »
13 - Cf. Susan Sontag, « Against interpretation », in Against Interprétation, New York, Dell
Publishing Co, 1978.
14 - In Valérie Alexander, « An interview with… April Greiman », Kansas City Art Institute
Magazine, été 1982.
15 - April Greiman, Hybrid imagery : The Fusion of Technology and Graphic Design, London,
Architecture, Design and Technology Press, 1990.
16 - « On ne peut pas ne pas communiquer. »
17 - Interview citée in Godard par Jean-Luc Godard, Éd. Cahiers du cinéma, 1985.
18 - In Le Nouvel Observateur, au moment de la sortie du film.
19 - Roland Barthes, Mythologies, Seuil, coll. « Points », 1957.
20 - Frédéric Lambert, Mythographie, la photo de presse et ses légendes, Médiathèque Edilig, 1986.
21 - In La Guerre du faux, section « Lire les choses : une photo », Grasset, 1986 (trad. fr.).
22 - F. Lambert, op. cit.
23 - Oswald Ducrot/Tzvetan Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Seuil,
coll. « Points », 1972.
24 - I.J. Gelb, Pour une théorie de l’écriture, Flammarion, coll. « Idées et recherches », 1973.
25 - R. Barthes, op. cit.
26 - Ibid.
27 - R. Barthes, « Le mythe aujourd’hui », art. cité.
28 - Claude Lévi-Strauss, « La structure des mythes », in Anthropologie structurale, Plon, 1958 et
1974.
29 - In Sémiotique et philosophie du langage, op. cit.
30 - U. Eco, ibid.
31 - Op. cit.
32 - In La Chambre claire, op. cit.
33 - In « Quatre niveaux de lecture d’une image photographique de presse », Le Photojournalisme,
éd. du CFPJ, 1990.
34 - Proposé, dans les années cinquante, par Wiener et Shannon.
35 - Pour plus de précisions sur la notion d’« information » en sciences humaines, cf.
« L’information », chap. 3, in La Communication modélisée, sous la direction de Gilles Willett, Éd. du
Renouveau pédagogique, Ottawa, Canada, 1992.
36 - Cf. Gérard Leblanc, Treize/Vingt heures, le monde en suspens, Hitzeroth, 1987.
37 - La Chambre claire, op. cit.
38 - Cf. Michel Guerrin, Profession photoreporter, Gallimard, 1988.
39 - Ibid.
40 - Jean Baudrillard, « Publicité absolue, publicité zéro », in Simulacres et Simulation, Galilée,
1985.
41 - On trouvera un commentaire de cette planche contact et de cette photo écrit par Marc Riboud lui-
même dans une plaquette intitulée L’Embarras du choix et distribuée par le CNP. On pourra lire
également Marc Riboud, éd. du Centre national de la photographie, coll. « Photo Poche », no 37, 1992.
42 - Profession photoreporter, op. cit.
43 - Publiée in Le Photojournalisme, op. cit.
44 - Cf. Michel Guerrin, op. cit.
45 - Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation, PUF (trad. fr.), 1976.
46 - Cf. chap. 2, « L’image suspectée ».
47 - « Ennemi public no 1 » en France, dans les années 80. Photos Simon, agence Gamma.
48 - Sémantique structurale, Larousse, 1970.
49 - Photos Daher, agence Gamma.
50 - In La Poétique.
51 - C’est l’argument que développe Serge Daney dans l’article « Le travelling de Kapo », in Traffic
no 3.
52 - Chap. 2, in « La ressemblance comme conformité aux attentes ».
Conclusion générale
Au terme de cet ouvrage, nous rappellerons qu’il ne peut en aucun cas
prétendre à une présentation exhaustive de la sémiologie de l’image, qu’elle
soit spécifique ou appliquée. Nous avons néanmoins cherché à ce qu’il
présente les étapes majeures de cette discipline, de ses débuts jusqu’aux
débats plus contemporains. Ceci avec le désir de montrer que la discipline est
bien vivante, qu’elle continue de s’élaborer, avec les questions et les doutes
que toute recherche implique.
C’est ainsi que nous nous sommes permis de proposer une démarche
personnelle, qui, selon nous, illustre la tonicité de la démarche sémiologique,
en alternant des rappels théoriques et des exemples d’application. Dans le
deuxième chapitre, par exemple, nous avons montré comment les prémisses
mêmes de la sémiotique (la notion de signe, les différents types de signes)
permettent de réenvisager quelques-uns des points forts de l’histoire de la
représentation visuelle occidentale. Sous cet éclairage particulier, ce parcours
rétrospectif nous a permis d’émettre l’hypothèse que l’attente de vérité et de
justesse que nous avions de l’image dépendait plus de son aspect indiciaire
que de son aspect iconique ou analogique. Nous proposons ainsi de déplacer
le poids de l’image de l’analogie vers la trace, contrairement à ce qui est
généralement admis et théorisé, mais en convergence avec quelques
approches et une sensibilité plus contemporaines.
Cependant, nous avons insisté sur la circularité qui s’opère entre
ressemblance et trace. Si nous attendons que, dans une certaine mesure, toute
image, par contagion, ait la densité persuasive de la trace, il est néanmoins
clair que son aspect analogique vient redoubler l’effet de réalité et donc de
crédibilité qu’elle peut engendrer.
Enfin, la présentation des différents paramètres de l’image et de la
convention qui les fonde, comme de celle des processus d’interprétation
qu’elle induit, aura aussi montré la dimension socio-culturellement
déterminée de toute conception ou interprétation d’image.
Il nous semble important d’insister à nouveau sur la portée des signes
plastiques, souvent délaissés au profit des seuls signes iconiques, dans
l’approche de l’image. Les prendre en compte en priorité évite l’oubli des
éléments essentiels constitutifs de l’image, comme de leurs implications
anthropologiques. Quant à la prise en compte de l’institutionnel et du contexte
de communication, elle doit servir de cadre à chaque conception comme à
chaque interprétation d’image.
Enfin, remettant en cause un certain nombre de préjugés sur l’indigence ou
au contraire sur le pouvoir prêtés aux images, nous espérons avoir stimulé
l’esprit critique de chacun et le retour à une certaine liberté de jugement. En
particulier, il nous semble à la fois élémentaire et nécessaire, lorsqu’on porte
des jugements sur l’image, de ne pas tout confondre et de distinguer, par
exemple, l’image à la télévison, défilant dans un flux quasi inobservable, de
l’image fixe, même médiatique, qui offre le temps de la lire.
Pour terminer, nous souhaitons que cet ouvrage stimule une étude plus
diversifiée encore de l’image. Comme nous l’avons souvent dit, nous avons
plus cherché à proposer des pistes d’observation et de réflexion que des
grilles ou des modèles. Néanmoins, la présentation d’un certain nombre de
bases devrait permettre de déboucher sur des points d’études plus particuliers
que chacun, étudiants, professeurs ou professionnels de l’image, pourrait
approfondir selon ses intérêts.
Les indications bibliographiques données en notes de bas de page et à la fin
de cet ouvrage devraient ainsi dynamiser une démarche plus circonstanciée et
tonique de recherche, de réflexion et d’échanges.
Bibliographie
Ouvrages permettant d’aborder les questions de sémiotique générale sous
des angles divers : sémiotique et linguistique, mais aussi anthropologique,
sociologique, philosophique ou psychanalytique.

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Sémiotique de l’image, spécifique et appliquée : cette bibliographie


concerne essentiellement la notion d’image et l’étude d’images fixes.
Certaines notes de bas de page ont fait référence à la théorie du cinéma et de
l’audiovisuel seulement lorsqu’elles seules développaient certains points
abordés dans cet ouvrage.

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No 4, « Recherches sémiologiques », 1964.
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No 16, « Recherches rhétoriques », 1970.
No 17, « Les “mythes” de la publicité », 1971.
No 29, « Image(s) et culture(s) », 1979.
No 33, « Apprendre les médias », 1980.
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No 48, « Vidéo », 1988.
Revue d’esthétique, Paris, UGE, 10/18 :
No 1116, « Voir-entendre », 1976.
No 1324, « Rhétoriques-sémiotiques », 1979.

Langages, Paris, Larousse :


« Lettres et icônes », 1985.

Degrés – Revue de synthèse à orientation sémiologique, Bruxelles :


No 15, « Le signe iconique », 1978.
No 28, « Théorie et pratique de la réception », 1981.
No 34, « Lire l’image », 1983.
No 49/50, « Virages de la sémiologie », 1987.
No 58, « Images et médias », 1989.
No 60/61, « L’affiche urbaine », 1990.
No 69/70, « L’image cachée dans l’image », 1992.

Eidos, Bulletin international de sémiotique de l’image, Université


François-Rabelais, Tours.

Nouvelle revue de psychanalyse, Paris, Gallimard :


No 35, « Le champ visuel », 1987.
No 44, « Destins de l’image », 1991.
Collectifs
L’image fixe : espace de l’image et temps du discours, La Documentation
française, 1983.
Le Photo journalisme, Paris, CFPJ, 1990.
Pour la photographie, Paris, GERMS : t. I, 1983, t. II, 1987, t. III, 1990.
Signes/Texte/Image (dir. A. Montandon), Lyon, Césura, 1990.
L’image (études, documents, débats), Musée d’histoire contemporaine-
BDIC, Paris, Éditions La Découverte/SODIS.

En complément de cette bibliographie orientée vers l’analyse de l’image,


les quelques références d’ouvrages ci-dessous pourront aider à l’analyse des
messages linguistiques qui composent ou accompagnent l’image.

BARTHES R., S/Z, Paris, Seuil, 1970.


BARTHES R., Le degré zéro de l’écriture, Paris, Seuil, 1972.
BARTHES R., Le plaisir du texte, Paris, Seuil, 1973.
BOURDIEU P., Ce que parler veut dire, Paris, Fayard, 1982.
FROMILHAGE C. et SANCIER A., Introduction à l’analyse stylistique, Paris,
Bordas, 1991.
DALLENBACH L., Le Récit spéculaire (définition de la notion de la « mise en
abyme »), Paris, Seuil, 1977.
GENETTE G., Figures II et III, Paris, Seuil, 1972.
MAINGUENEAU D., Initiation aux méthodes d’analyse de discours, Paris,
Hachette, 1976.
Pragmatique pour le discours littéraire, Paris, Bordas, 1990.
RASTIER F., Sémantique pour l’analyse. De la linguistique à l’informatique,
Paris, Masson, 1994.
RECANATI F., La Transparence de l’énonciation, pour introduire à la
pragmatique, Paris, Seuil, 1979.
RIFFATERRE M., Essais de stylistique structurale, Paris, Flammarion, 1971.
TODOROV T., Mikhaïl Bakhtine, le Principe dialogique, Paris, Seuil, 1975.
TODOROV T., les Genres du discours, Paris, Seuil, 1978.

Communications, Paris, Seuil :


No 30, « La conversation », 1979.
No 32, « Les actes du discours », 1980.
Collectifs :
Stratégies discursives, Lyon, PUL, 1977.
BARTHES R. et al, Littérature et Réalité, Paris, Points, Seuil, 1982.
Groupes d’Entrevernes, Analyse sémiotique des textes, Lyon, PUL, 1985.
KRISTEVA J. et al, La Traversée des signes, Paris, Seuil, 1975.
Crédits photographiques
63 : D. Genet ; 64 : Dagli Orti ; 68 h : DR, m : RMN, b : RMN ; 69 :
Nathan/BN, 85 h : extrait de la « Chronique de Nuremberg » d’Hartmann
Schedel, m : extrait du « Voyageur silencieux », Chiang Yee, 1936 / DR, b :
extrait de « Ten Lithographie Drawings of Scenery » Londres 1826, Victoria
and Albert Museum ; 113 : DR ; 114 h : Musée de la Seita, b : Musée d’Art
Moderne de la Ville de Paris/Bulloz ; 115 h : Documentation du MNAM.
Centre GP. © B. Hatala, b : Fendi. Photographie Sheila Metzer ; 116 :
Lauros-Giraudon ; 129 h : collection particulière/DR, b : Archives
Photographiques. Paris/SPADEM ; 133 h : collection Viollet, b : Van Gogh
Museum ; 134 h : Descharnes et Descharnes, b : Nathan/Lauros-Giraudon ;
138 : Nathan ; 141 h : Nathan/Anderson-Giraudon, b : Nathan/BN ; 145 h :
Desgrippes, b : Guerlain ; 146 : Agence Kerjo - photo Yannick Morisot ;
151 : Palais de Chaillot/Affiches de C. Jaubert ; 161 : « Arc en rêve », centre
d’architecture de Bordeaux-Design graphique : April Greiman. Photo :
Vincent Monthiers ; 168 : extrait de « Picture and writting of the American
Indians », Garrick Mallery, Washington, 1893 ; 170 h : Cosmos/Mike
Wells/Aspect Picture, b : Sipa-Press/Morvan ; 171 h : DR, b :
Nathan/Giraudon ; 175 h : AFP/Dominique Faget, b : Nathan ; 176 h :
Contact Press Images/Freddy Alborta, m et b : Nathan ; 181 h : Contact Press
Image /G. Caron, b : Magnum/R. Depardon ; 182 h : Magnum/R. Capa, b :
Magnum/James Nachtwey, 183 h : Gamma/F. Apesteguy, m : Contact Press
Images/G. Caron, b : A.P./Eddie Adams ; 185 : Magnum/R. Depardon ; 186
h : Nathan, b : AFP ; 187 hg : A.P./Arthur Greenspon, hd : Sipa-
Press/Deliveyne ; b : Gamma/J.C. Francolon ; 189 : Magnum/M. Riboud ;
190 : Magnum/M. Riboud ; 192 : Gamma/Simon ; 198 à 202 : Gamma/Daher.
Index
Achéiropoïète : 93
Acheiropoietos : 59
Achéropoïète : 50, 74
Adoration : 60
Affiche : 27, 33, 88, 89, 112, 144, 150, 163, 209, 211
Allégorie : 40, 105, 166, 167, 169, 172, 178, 193
Amalgame : 24, 93
Analogie : 42, 43, 44, 46, 60, 71, 78, 84, 86, 92, 117,
139, 152, 155, 202, 210
Anamorphose : 98, 139, 156, 177
Ancrage : 92, 148, 149, 195
Anticipation : 102, 149
A-plat : 139
Apparence : 51, 52, 57, 64, 87, 179
Arabesques : 66
Arbitraire : 37, 40, 90
Argumentation : 53, 84, 91, 173, 184, 188, 191, 194,
195, 196
Art : 5, 11, 17, 27, 32, 44, 47, 51, 52, 54, 62, 64, 67, 70,
74, 76, 77, 78, 80, 91, 93, 96, 100, 104, 105, 106, 111,
121, 127, 131, 136, 144, 150, 152, 155, 202, 204, 206,
208, 209, 210
Art imitatif : 51
Aspect indiciaire : 60, 61, 70, 77, 78, 103, 177, 188,
195, 196, 202
Attente : 47, 62, 66, 67, 70, 73, 81, 82, 92, 93, 98, 130,
152, 202
Byzance : 58, 59, 93, 204
Ça-a-été : 75, 93, 177
Calligraphie : 66
Carte : 33, 35, 39, 43, 90
Catégorie sémantique : 22
Catharsis : 103
Christ : 58, 62, 63, 64, 88, 136, 169, 194
Christianisme : 64, 92
Circularité : 121, 148, 202
Classification : 19, 24, 38, 39, 40, 42, 43, 47, 89, 90
Code : 16, 20, 45, 97, 105, 109, 110, 112, 140, 142, 152
Code analogique : 110
Cognition : 29, 84
Colorème : 119
Communication : 7, 13, 20, 25, 26, 30, 34, 38, 39, 41,
46, 47, 82, 89, 91, 93, 96, 102, 104, 118, 122, 125, 130,
147, 152, 155, 160, 164, 174, 202, 204, 207, 208, 210
Communication visuelle : 8, 30, 148
Composition : 10, 17, 97, 101, 121, 122, 127, 130, 137,
139, 140, 146, 158, 169, 188, 193
Conformité : 80, 82, 92, 93, 117, 149, 155, 202
Congruence : 144
Connotation : 39, 41, 146, 156, 157, 158, 159, 202, 206
Contenu : 9, 81, 120, 149, 150, 152, 154
Contextualisation : 96, 99
Contiguïté : 40, 60, 89
Continuité : 45, 90
Contrat : 70, 82, 144, 147
Contrepoint : 149
Conventionnel : 122, 131
Couleur : 9, 21, 35, 53, 97, 98, 117, 121, 123, 130, 139,
140, 155
Coupure sémiotique : 90
Croyance : 57
Décadrage : 140
Dé-contextualisation : 96
Déduction : 36, 135
Dénotation : 39, 84, 157, 158, 159, 160
Diachronie : 21, 82
Diagramme : 37, 43, 113, 117, 157
Discours sur : 13, 24, 66, 74, 184
Échographie : 77
Éclairage : 97, 109, 120, 122, 125, 191, 202
Écran : 33, 83, 130, 137
Emblèmes : 35
Énergie : 119, 124, 174
Entités culturelles : 39
Équivalence : 36, 112
Esthétique : 5, 6, 7, 31, 54, 67, 91, 93, 110, 117, 148,
152, 160, 188, 193, 195, 196, 206, 207, 209, 211
Expression : 10, 18, 22, 24, 35, 62, 86, 90, 93, 96, 120,
128, 140, 148, 149, 152, 154, 162, 165, 196
Figure de rhétorique : 184, 188
Focalisation : 97
Foi : 57, 60
Fonction esthétique : 90
Forme : 29, 33, 37, 41, 43, 50, 70, 98, 117, 120, 121,
140, 152, 160, 165, 197, 210
Globalité : 30, 32, 101
Gravure : 9, 33, 82
Guerre des images : 58
Histoire de l’art : 32, 78, 80, 105, 106
Historicité : 31
Hors champ : 126
Hors-cadre : 130, 152
Icone : 47
Icône : 13, 39, 40, 42, 43, 46, 47, 57, 58, 78, 87, 89, 90,
93, 207, 208
Iconicité : 84, 89, 92, 117
Iconoclasme : 57, 58, 62, 63, 64, 93, 204
Iconologie : 58, 105, 106, 154
Identité : 26, 36, 60, 148
Identité visuelle : 148
Idole : 56, 57, 60, 67, 76, 208
Illusion : 34, 51, 54, 66, 80, 93, 131, 139, 172, 206
Image : 5, 6, 7, 13, 19, 20, 23, 25, 26, 30, 32, 33, 38,
39, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 50, 51, 52, 54, 55, 56, 57, 58,
61, 62, 63, 65, 66, 67, 70, 73, 74, 76, 78, 79, 82, 86, 89,
91, 92, 93, 98, 99, 100, 102, 103, 104, 106, 107, 109,
112, 113, 117, 120, 124, 130, 136, 137, 140, 143, 148,
149, 150, 152, 154, 156, 158, 159, 160, 173, 178, 179,
180, 184, 188, 194, 196, 202, 204, 206, 207, 208, 209,
210, 211
Image analogique : 86
Image de synthèse : 75
Image indiciaire : 56, 73, 77, 80
Image médiatique : 47, 66, 73, 92, 179
Image numérique : 6, 118, 127
Image publicitaire : 44, 47, 50, 99, 107, 128, 208
Image spéculaire : 79
Imaginaire : 77, 91, 93, 99, 149, 207
Imagination : 30, 54, 57
Imago : 61, 207
Imitation : 50, 51, 52, 54, 60, 74, 78, 79, 163
Impression de réalité : 93, 126
Index : 39, 40, 76, 87
Indice : 16, 34, 40, 46, 53, 56, 60, 61, 66, 70, 73, 76,
78, 80, 89, 93, 209
Induction : 36, 46, 124, 135, 196
Inférence : 36, 38, 112, 152
Information : 12, 41, 82, 144, 162, 173, 177, 179, 180,
188, 193, 195, 202, 204
Intelligible : 30, 31, 55, 56
Interaction : 29, 93, 101, 111, 122, 130, 143, 148, 149,
150, 152, 158
Interprétation : 6, 7, 21, 24, 27, 31, 34, 36, 46, 54, 59,
73, 88, 93, 98, 99, 101, 103, 105, 119, 122, 124, 130,
136, 143, 144, 147, 149, 152, 154, 155, 158, 159, 160,
166, 167, 169, 195, 197, 202, 204, 206
Intertextualité : 102, 167, 169
Islam : 58, 63, 64, 93, 204
Isotopie : 152, 166
Judaïsme : 64
Langage : 7, 16, 23, 25, 26, 30, 32, 35, 40, 41, 44, 45,
47, 52, 66, 71, 86, 92, 93, 96, 98, 99, 101, 104, 108,
118, 120, 124, 152, 159, 165, 166, 202, 206, 207, 210
Langage verbal : 26, 30, 40, 44, 47, 96, 118, 159
Langage visuel : 7, 26, 45, 118, 152, 210
Langue : 16, 21, 23, 28, 34, 44, 45, 90, 96, 98, 108,
109, 110, 157, 165, 172
Lecture globale : 8, 101
Linéarité : 91
Linguistique : 5, 17, 19, 20, 21, 22, 23, 26, 27, 30, 32,
36, 37, 45, 47, 73, 108, 109, 110, 119, 125, 128, 148,
149, 150, 152, 154, 157, 159, 165, 204, 206, 207, 212
Mandylion : 59, 74
Médias : 7, 25, 29, 47, 67, 127, 162, 208, 209, 210, 211
Médium : 29, 70, 118, 135
Mémorisation : 102
Message : 26, 31, 46, 75, 77, 107, 109, 110, 118, 121,
122, 124, 128, 130, 136, 140, 143, 146, 148, 149, 150,
152, 154, 158, 159, 164, 196
Message global : 27, 125, 130, 136, 154
Message verbal : 149, 150
Message visuel : 26, 46, 107, 118, 121, 124, 128, 135,
140, 143, 148, 149, 152, 154, 158, 196
Métalangage : 13, 25, 30, 91
Métamorphose : 67
Métaphore : 16, 34, 43, 47, 67, 71, 83, 108, 159, 166,
173
Métonymie : 71
Mimesis : 50, 54, 75, 103
Miroir : 80, 93, 132, 206
Modèle : 22, 24, 28, 33, 55, 59, 71, 79, 87, 98, 108,
109, 112, 113, 119, 122, 131, 142, 149, 165, 174, 197
Monothéiste : 57
Mythe : 56, 79, 93, 125, 162, 163, 164, 165, 172, 202
Mythographie : 164, 202
Nom : 40, 53, 59, 72, 107, 210
Nomenclature : 36
Non-figurativité : 73, 98
Objet : 7, 13, 20, 24, 35, 37, 38, 39, 41, 43, 46, 50, 53,
55, 56, 58, 66, 76, 84, 86, 97, 110, 112, 117, 120, 128,
156, 164, 165, 191
Œuvre d’art : 74, 81, 93, 104, 105, 152, 210
Ombre : 56, 126, 210
Paradigme indiciaire : 70, 71, 197
Paradigme sémiotique : 72
Parole : 18, 26, 28, 54, 57, 59, 64, 102, 110, 164, 165,
167, 172, 209
Peinture : 17, 23, 27, 33, 43, 50, 51, 52, 54, 55, 62, 73,
74, 79, 80, 93, 105, 106, 109, 121, 125, 130, 136, 139,
146, 152, 154, 164, 177, 209
Pensée sensorielle : 28
Pensée verbale : 29, 91
Pensée visuelle : 29, 47, 204
Perception : 11, 28, 33, 83, 87, 93, 101, 110, 117, 123,
124, 155, 160
Perspective : 10, 13, 62, 111, 131, 136, 137, 142, 152,
194, 204, 210
Philosophie : 16, 19, 23, 28, 32, 47, 106, 111, 152, 202,
204
Philosophie du langage : 16, 19, 23, 28, 47, 152, 202,
204
Photographie : 9, 13, 33, 34, 39, 45, 47, 61, 74, 76, 90,
93, 103, 108, 126, 130, 135, 139, 149, 152, 158, 173,
177, 179, 196, 202, 207, 208, 209, 210, 211
Polysémie : 8, 93, 98, 99, 152, 159
Polythéisme : 64
Principe d’altérité : 88
Processus sémiotique : 37
Production de sens : 5, 13, 96, 104, 152, 154, 202
Produit : 20, 21, 22, 50, 74, 87, 110, 117, 140, 157, 174
Profane : 62, 65, 71, 78, 136
Profondeur de champ : 139, 180, 184
Psychanalyse : 17, 32, 47, 71, 89, 104, 106, 108, 207,
211
Querelle des images : 58, 90
Réalité : 10, 23, 28, 32, 37, 47, 52, 53, 56, 59, 66, 71,
74, 76, 79, 81, 88, 93, 96, 99, 100, 112, 120, 121, 126,
135, 143, 155, 157, 166, 167, 172, 173, 179, 188, 195,
196, 202, 212
Reconnaissance : 53, 58, 93, 99, 112, 117, 148, 195
Reconstruction : 112
Référent : 37, 39, 40, 43, 76, 88, 117, 158, 178
Reflet : 34, 56, 80, 132
Relais : 28, 92, 148, 149
Religieux : 22, 50, 62, 65
Representamen : 38
Représentation : 5, 12, 22, 27, 32, 37, 42, 45, 47, 57,
59, 62, 64, 66, 73, 74, 75, 76, 78, 79, 80, 87, 89, 93,
112, 117, 122, 126, 130, 136, 137, 143, 149, 155, 169,
178, 194, 202
Représentation de mots : 91
Réseau : 34
Réseau de systèmes : 34
Réseaux multimédias : 33
Ressemblance : 9, 34, 42, 43, 46, 58, 60, 73, 74, 76, 78,
79, 80, 84, 86, 90, 93, 117, 149, 202
Rhétorique de l’image : 13, 45, 47, 50, 93, 104, 121,
149, 207, 209
Rigueur élastique : 73, 197
Sacré : 55, 56, 58, 65, 92, 136, 207, 210
Sainte Face : 59, 93
Schéma : 34, 98, 117, 124
Sémantique : 13, 19, 21, 22, 24, 28, 47, 110, 152, 166,
202, 204, 206, 208, 212
Sémasiographie : 164
Sémiologie : 6, 13, 16, 20, 21, 22, 23, 26, 30, 44, 45,
47, 71, 104, 106, 107, 108, 110, 120, 152, 154, 156,
172, 202, 204, 206, 208, 209, 210, 211
Sémiologie appliquée à l’image : 154
Sémiologie de l’image : 6, 24, 26, 30, 44, 45, 104, 106,
107, 109, 156, 202, 208, 209
Sémiologie de la communication : 20, 110
Sémiologie de la signification : 20, 110
Sémiologie structuraliste : 108
Sémiose : 36
Semiosis : 36
Sémiotique : 6, 8, 13, 16, 19, 20, 22, 23, 27, 30, 31, 34,
38, 44, 45, 46, 47, 71, 78, 84, 88, 90, 92, 93, 103, 104,
109, 112, 119, 120, 128, 132, 152, 156, 158, 160, 164,
165, 166, 188, 202, 204, 206, 207, 208, 209, 210, 211,
212
Sémiotique appliquée : 20, 24, 152, 156
Sémiotique de l’image : 6, 46, 78, 120, 207, 211
Sémiotique descriptive : 19
Sémiotique générale : 24, 38, 45, 103, 204
Sémiotique spécifique : 24, 103, 156
Sens induit : 31
Signal : 40, 135
Signe : 8, 13, 16, 20, 22, 24, 31, 34, 35, 37, 38, 39, 40,
42, 43, 44, 45, 46, 47, 55, 75, 80, 84, 86, 89, 90, 93, 96,
106, 107, 109, 111, 112, 117, 120, 121, 122, 128, 142,
152, 156, 157, 158, 160, 202, 204, 206, 207, 208, 209,
211
Signe analogique : 89
Signe iconique : 43, 55, 75, 84, 86, 96, 109, 112, 117,
120, 121, 128, 142, 156, 158, 208, 209, 211
Signe linguistique : 19, 22, 31, 36, 40, 108
Signe plastique : 120, 121, 122, 209
Signifiant : 21, 22, 37, 39, 40, 42, 43, 47, 90, 107, 120,
157, 158
Signification : 5, 7, 13, 16, 21, 24, 26, 30, 34, 36, 37,
41, 61, 67, 73, 93, 104, 105, 106, 107, 109, 122, 125,
130, 137, 142, 143, 144, 146, 152, 154, 156, 158, 160,
162, 164, 167, 174, 196, 207
Signifié : 16, 21, 22, 28, 37, 39, 107, 127, 157, 158
Similarité : 39, 84, 86, 169
Similitude : 86, 112
Simulacre : 55
Simulation : 56, 93, 202, 207
Sociologie : 32
Spatialité : 122, 154
Structuraliste : 45, 106, 108
Substance : 26, 120, 165
Symbole : 16, 34, 39, 40, 42, 75, 84, 89, 90, 159, 165,
166, 167, 172, 178, 184, 188, 193
Symptôme : 40, 106
Synchronie : 18, 21, 82
Synesthésie : 128
Système : 18, 20, 22, 26, 36, 38, 42, 45, 96, 109, 110,
118, 120, 122, 159, 164, 165, 204
Télédétection : 77
Texte : 24, 54, 57, 59, 71, 79, 96, 99, 100, 149, 152,
156, 159, 163, 166, 206, 209, 210, 211
Texture : 10, 43, 89, 118, 121, 122, 127, 130, 139, 146,
150, 154, 155
Théorie des signes : 18, 41
Token : 117
Topologie : 119
Transformation : 81, 84, 87, 112, 113, 117, 142
Type : 5, 7, 30, 31, 36, 40, 42, 43, 47, 59, 62, 74, 75,
82, 87, 92, 93, 99, 107, 112, 117, 124, 135, 142, 147,
150, 155, 159, 162, 173, 179, 188
Typographie : 150
Vénération : 7, 60
Vérité : 10, 40, 50, 51, 53, 54, 55, 56, 60, 62, 66, 70,
73, 77, 81, 92, 93, 149, 166, 179, 202
Visible : 55, 56, 70, 77, 84, 93, 127, 206, 208
Vision : 5, 8, 61, 84, 93, 101, 119, 126, 132, 136, 137,
152
Vocabulaire de l’art : 83
Zéro : 40, 202, 211
Zoosémiotique : 20, 38

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