Documente Academic
Documente Profesional
Documente Cultură
Résumé:
La candidature et l’inscription de repas gastronomique français sur la Liste représentative du
Patrimoine Culturel Immatérielde l’Humanité de l’UNESCO a suscité un vif intérêt et un
débat parfois polémique dans la presse française et internationale. Notre intérêt de recherche
s’articule dans un premier temps autour de la construction du sens de cet événement à travers
les discours des divers acteurs sociaux dans les médias. Quelles sont donc les voix mises en
visibilité (élites décisionnels, politiques, experts, anonymes) ? De quelle manière les médias
construisent cette décision d’inscription de la gastronomie francaise à l’UNESCO en tant que
problème publique, voir, en tant qu'espace citoyen? L’étude empirique prend appui sur une
analyse sémio-discursive des éditions en ligne des plus importants newsmagazines français
(Le Monde, Le Point, Le Parisien, Paris Match, Le Post, Le Figaro) en termes d'analyse (1)
de la couverture médiatique et (2) des réactions des publics actifs de ces journaux. Partant de
l’observation que l’internet est un média qui encourage la participation « citoyenne »
(Boltanski, 1993, p. 215-219 ; Thompson, 2000, p. 20), ayant un rôle de démocratisation, la
recherche se focalise ensuite sur la construction de l'intersection entre parole citoyenne et
objet symbolique (« le repas gastronomique des Français »). Comment les lecteurs se
positionnent en tant que public actif mobilisé par les médias ? Considérant que l’espace
participatif que les journaux en ligne offrent représente un microcosme d’expression (Hébert,
2007) nous avons analysé le positionnement parfois antagoniste par rapport aux discours des
médias et les émotions / passions que les lecteurs font voir (enthousiasme, indignation,
admiration, colère, etc.).
Introduction
Dans cette analyse il s’agit de l’intersection entre parole citoyenne et objet symbolique:
l’interprétation de la parole citoyenne à propos d’un objet très marqué symboliquement, qui
est la gastronomie française. Le 16 novembre 2010, à Nairobi, Kenya, l’UNESCO a voté en
faveur de l’inscription du « repas gastronomique des Français » sur la Liste représentative du
Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité. Les documents accompagnant cette action
étatique insistent sur la « valorisation » d'un modèle alimentaire français concernant
l’ensemble de la nation française1. Cet événement a suscité un vif intérêt et un discours
polémique dans la presse française et internationale2. Entre nationalisme entrepreneurial
(pourquoi etre dans le patrimoine) et accusations d’agencement politique, cette polémique
relève d’une inscription controversée. Les controverses (disputing process) peuvent être
1
J. R. PITTE, Gastronomie Française. Histoire et géographie d’une passion, Fayard, 1991 ; J. COBBI, J.-L.
FLANDRIN (éd.), Tables d’hier, Tables d’ailleurs, Odile Jacob, 1999 ; J.L. FLANDRIN, L’Ordre des mets,
Odile Jacob, 2002, C. FISCHLER, E. MASSON, (ed.), Manger. Français, Européens et Américains face à
l’alimentation, Odile Jacob, 2008.
2
Voir, par exemple, O. ASSOULY, "Le « repas gastronomique des Français » met la cuisine hors jeu", Rue 89,
17/11/2010, en ligne : http://www.rue89.com/2010/11/17/le-repas-gastronomique-des-francais-met-la-cuisine-
hors-jeu-176375.
1
envisagées comme un moyen d’accès à une réalité socio-historique et comme révélateur de
rapports de force, de positions institutionnelles ou de réseaux sociaux3. Au-delà de la
considération des logiques possibles (économique, politiques, sociales, scientifiques) qui ont
portées à l’inscription du « repas gastronomique des Français » au P.C.I. de l’UNESCO, notre
intérêt de recherche, dans la perspective des sciences de la communication, s’articule autour
de la construction du sens de cet événement dans l’espace public, à travers les discours4 des
divers acteurs sociaux dans les médias5.
L’espace public est un espace symbolique du dialogue6, un lieu ou les citoyens sont à la
fois destinataires et auteurs (l’agir communicationnel de Habermas) : « l’universalité de la
communication implique que l’idéal normatif de la communication est partout present.
L’intersubjectivité ne connait pas de frontières ; elle rejoint l’humanite toute entière par sa
capacité et sa nécessité de communiquer sans limites ni contraintes »7. Agissant dans cet
espace de visibilité, de reconnaissance et de représentations, « les médias nous permettent de
donner un sens à notre culture et à notre mémoire : de les penser comme des formes
sémiotiques et comme des médiations symboliques de la sociabilité »8.
J’ai mené d’une part une analyse de la couverture médiatique de cet événement dans les
éditions en ligne des plus importants newsmagazines français (9 articles dans Le Figaro, Le
Post, Le Monde, L’Express, Le Point, Paris Match, La Dépeche, Le Télégramme, Libération)
et de l’autre part une analyse sémio-discursive des réactions des publics actifs de ces journaux
(le corpus final est constitué de 232 réactions qui relèvent des contradictions regardant la
compréhension de cette candidature). Je suis partie de l’observation que l’internet est un
média qui encourage la participation citoyenne9, ayant un rôle de démocratisation10 ; dans ce
contexte, les lecteurs ne sont pas vus seulement comme récepteurs, mais comme acteurs qui
se construisent dans un espace et qui construisent eux-mêmes l’événement11.
2
nouveau concept, en 2003, le Patrimoine Culturel Immatériel (P.C.I.), qui concerne les
traditions et les expressions orales, les pratiques sociales, les rituels et les événements festifs,
les savoirs-faire liés à l’artisanat traditionnel, étant défini comme traditionnel, contemporain,
vivant, inclusif, fondé sur les communautés13. Le patrimoine est à comprendre comme un
dispositif au sens d’ensemble d’agents permettant une action dynamique, par une mise en
rapport du patrimoine avec différentes notions dynamiques, comme le passé, la transmission,
la protection, la collectivité ou l’émotion14.
À la base de cette inscription on retrouve la thèse de la déstructuration du repas15, qui
apparaît dans les années 1980, surtout dans le contexte des évolutions contemporaines dans le
secteur culinaire, l’industrialisation et la mondialisation. Le repas des Français devient, dans
ce cadre, porteur de tradition et de lien social. Si le repas peut être pensé comme une
institution sociale fondamentale16, le modèle contemporain de repas au niveau européen est,
comme l’a montré Norbert Elias, le fruit d’un long « processus de civilisation »17. Le modèle
culinaire français peut être observé et défini dans le cadre historique de la modernité18, étant
« l’aboutissement d’un processus historique qui finit pour combiner des usages et des
conceptions du temps émanant de classes et des cultures occupant des positions différentes et
souvent opposées dans la structure sociale »19. Ce sont les manières de « traiter la nourriture,
de la servir, de la présenter » qui déterminent le modèle français (l’observation des règles de
convivialité et de commensalité)20. La définition adopté pour le dossier de candidature a
l’UNESCO se retrouve dans les résultats d’une analyse du modèle alimentaire français que
CREDOC a réalisé en France en 2005, mettant en évidence les trois critères sur lesquels il
repose : le primât du goût, des pratiques sociales de convivialité et des règles conditionnant la
prise alimentaire21.
Cette inscription est interprétée par Alain Drouard comme la manifestation de l’adhésion
collective au « mythe gastronomique français » entendu comme l’ensemble de croyances et de
représentations collectives sur la cuisine française, son excellence et sa prééminence séculaire
par rapport aux autres cuisines nationales22. Dans une perspective critique, Vincent Martigny
avait écrit un article à propos de cette initiative, ou il explique que la gastronomie reste
attachée non à la culture populaire, mais à une culture élitiste, en relation avec le politique :
« Au carrefour de l'Etat et de la société civile, de l'intime et de la sphère publique, du national
et du local, la gastronomie est l'un des aspects incontournables de l'identité culturelle
française. Valorisée pour son aspect consensuel, elle est une tentative ordinaire, banale, de
novembre 2010, Dossier de candidature n° 00437 pour l’inscription sur la Liste représentative du Patrimoine
Culturel Immatériel en 2010 », en ligne:
http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00011&RL=00437, consulté le 27 janvier 2011.
13
Id.
14
M. A. FOURCADE, Patrimoine en patrimonialisation. Entre le matériel et l’immatériel, Les Presses de
l’Université Laval, 2007.
15
N. HERPIN, « Comportements alimentaires et contraintes sur les emplois du temps », Revue française de
sociologie, vol. XXI, 1980, p. 599-628; F. REGNIER et al., Sociologie de l’alimentation, La Découverte, 2006.
16
G. SIMMEL, Sociologie, Etudes sur les formes de socialisation, PUF, 1999 (1908).
17
N. ELIAS, The Civilizing Process, Vol.I. The History of Manners, Oxford, Blackwell, 1939, 1969; The
Civilizing Process, Vol.II. State Formation and Civilization, Oxford, Blackwell, 1982.
18
F. QUELLIER, La Table des Français. Une histoire culturelle (XVe-début XIXe siècle), Presses Universitaires
de Rennes, 2013, p. 13.
19
C. GRIGNON C., F. SABBAN (dir.), Le Temps de manger, Editions de la MSH, Institut National de la
recherche agronomique, 1993, pp. 197-226.
20
T. MATHE et al., « La gastronomie s’inscrit dans la continuité du modèle alimentaire français », Cahier de
recherche No 267, décembre 2009, disponible en ligne à adresse www.credoc.fr, consulté le 15 mars 2011, p.
12 .
21
Ibid, p. 10.
22
A, DROUARD, Le mythe gastronomique français, CNRS Editions, 2010, p. 160.
3
présenter la communauté nationale comme idéale et sans conflit. Vis-à-vis de l'étranger, elle
nourrit un patriotisme bénin sur les vertus du savoir-vivre français dans la mondialisation. Par
ailleurs, à l'instar de la nation qui se définit aussi par ses exclus et par ses adversaires, la
gastronomie n'est en réalité pas exempte de conflits. La question des interdits alimentaires
touchant les minorités religieuses ou certaines populations d'origine immigrée, notamment
autour de l'alcool et du porc, démontrent qu'en tant qu'élément identitaire, elle peut aussi
diviser les membres de la communauté nationale et conduire à la discrimination. Cet exemple,
auquel il serait nécessaire d'ajouter les inégalités socio-économiques liées aux façons de
s'alimenter, tend à démontrer qu'au-delà de sa dimension idéelle, la cuisine est aussi l'un des
symptômes du décalage entre l'imaginaire national et la réalité sociale »23.
23
V. MARTIGNY, « Le goût des nôtres : gastronomie et sentiment national en France », Raisons politiques,
2010/1, n° 37, Paris, Presses des Sciences Po, p. 39-52, en ligne :
http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=RAI_037_0039, consulté le 25 mai 2011.
24
Z. PAPACHARISSI, “The virtual sphere. The internet as a public sphere”, New media & Society, Vol 4(1): 9–
27, 2002, SAGE Publications, London, Thousand Oaks, CA and New Delhi, en ligne:
http://tigger.uic.edu/~zizi/Site/Research_files/VirtualSphere.pdf.
25
Id.
26
S. G. JONES, ‘The Internet and its Social Landscape’, in S.G. Jones (ed.) Virtual Culture: Identity and
Communication in Cybersociety, pp. 7–35. Thousand Oaks, CA, Sage, 1997, p. 22.
27
P. PAPERMAN, « Les emotions et l’espace public », Quaderni, nr 18, Les espaces publics, 1992, pp. 93-107.
28
Id.
29
Z. PAPACHARISSI, op. cit.
30
Id.
4
Le corpus analytique
Les médias (presse, radio, télévision, blogs, forums et sites d’internet) sont nombreux à
traiter le thème de l’inscription du repas gastronomique français à l’UNESCO. Dans la vision
de Bernard Lamizet, en faisant notre histoire au présent, les médias construisent une relation
symbolique et politique du temps : « Leur représentation de l’événement institue notre
approche collective – sociale, politique et culturelle – de la temporalité, en même temps que
leur interprétation et leur analyse de ce qui se produit dans le monde nous donnent de quoi
fonder notre engagement politique et notre regard propre, sur les institutions31. J’ai cherché
les articles de la presse online (newsmagazines) qui annonçaient l’inscription du repas
gastronomique au PCI de l’UNESCO. Je justifie ce choix de recherche par la facilité d’accès à
ces articles et par le fait que les éditions en ligne permettent de voir les réactions des lecteurs
aux articles publiés. La période concernée a été 16.11.2010-18.11.2010. Comme méthode
d’identification des articles, j’ai utilisé le moteur de recherche Google en utilisant la séquence
des mots //gastronomie UNESCO// (pour avoir le plus grands nombre des possibilités). Les
résultats retournés : environ 265 000 résultats, en 0,14 secondes, desquels j’ai seulement
investigué les premières sept pages. Ainsi, j’ai constitué deux corpus d’analyse :
1/ Un corpus d'articles de la presse en-ligne parus après l'officialisation de cette
candidature - 9 articles dans les plus importants journaux français, les versions en ligne : Le
Figaro, Le Post, Le Monde, L’Express, Le Point, Paris Match, La Dépeche, Le Télégramme,
Libération.
2/ J’ai donné place dans ma recherche aux « voix » qui composent les micro-publics des
journaux en-ligne, qui, paradoxalement, relèvent des contradictions (dysphorie) regardant la
compréhension et la justification de cette candidature et j'ai analysé 232 réactions.
31
B. LAMIZET, op. cit., p. 17.
5
9. Libération.fr Le repas gastronomique 16/11/2010 - -
des Français inscrit au
patrimoine de
l'humanité
TOTAL = 9 articles / 232 reactions des lecteurs
Figure 1 : Les journaux en ligne, le titre de l’article, la date de parution, la rubrique, le numéro des
réactions, la source d’information.
Le corpus choisi m’a permis de mettre face en face deux type de contructions discursives
dans l’espace médiatique : le discours des médias de masse et le discours des citoyens.
Figure 2 : Les instances enonciatives, les voix dans le discours des articles d’information sur la
patrimonialisation du « repas gastronomique francais ».
32
E. VERON, op. cit.
33
« Les individus sont impliques dans un processus d’interpretation a travers lequel ils conferent du sens a l
evenement, supposant une activite interpretative, offrant un sens au contenu symbolique propose », J. B.
THOMPSON, Media si modernitatea. O teorie sociala a mass-media, Antet Press, [1998, Polity Press, 1995], p.
44.
6
social plus large34. Ce processus peut assurer un cadre narratif dans lequel les individus
raccontent leurs pensées35. Cette forme de « participation » peut etre définie comme
« quasiparticipation », car ni le producteurs, ni les destinataires n’ont pas l’obligation
réciproque de prendre en considération les reponses des autres36.
L’espace de participation « citoyenne »37 que les journaux en ligne offrent représente
un microcosme d’expression38, les acteurs peuvent faire voire les émotions/passions qu’ils
éprouvent (enthousiasme, indignation, admiration, colère)…Quand je suis partie dans cette
analyse, je m’attendais aux réactions de type « nostalgie du temps passé » ou, pourquoi pas, à
l’enthousiasme, cette passion de la passion39…. Ainsi, l’analyse part de la prémisse, propre à
une sémiotique des passions, que le sujet producteur de discours, de culture et de société est
« un être de passions »40.
Les thematiques qui s’en dégagent dans les séquences (dialogiques ou pas) sont :
« chaque pays à sa cuisine », « la faim dans le monde », « la situation économique du pays »,
« la mal-bouffe », « l’élitisme de la gastronomie française ». Les figures de langage les plus
utilisés, l’ironie, la métonymie et la synecdoque, démontrent en général une dysphorie
regardant l’objet (la cuisine française, l’inscription au P.C.I., etc.). Les « avatars » qui ont des
voix dans le discours qui s’instaure dans cet espace représentent des instances énonciatives,
parmi lesquels nous avons identifié, dans une échelle des passions rapportée à l’enthousiasme,
six types principales de figures : l’indigné, l’ironique, le pragmatique, l’intellectuel-gourmet,
l’enthousiaste.
34
H.-G. GADAMER, Truth and method, London, Sheed and Ward, 1975, p. 235.
35
J. B. THOMPSON , 1998, op. cit, p. 46.
36
Ibid., p. 96.
37
L. BOLTANSKI, La souffrance à distance. Morale humanitaire, médias et politique, Paris, Métailié, 1993, pp.
215-219; J. B. THOMPSON, Political Scandal. Power and Visibility in the Media Age, Cambridge, Polity Press,
2000, p. 20.
38
L. HEBERT, Dispositifs pour l’Analyse des Textes et des Images. Introduction à la sémiotique appliquée,
Presses Universitaires de Limoges, 2007, p. 153.
39
Id. p. 120.
40
D. LE BRETON , Les Passions ordinaires. Anthropologie des émotions, Paris, Armand Colin/Masson, 1998,
p. 98; HENAULT A., Le pouvoir comme passion. Avec le débat d’A.J. Greimas et Paul Ricœur sur la sémiotique
des passions, Presses Universitaires de France, 1994, p. 7.
7
monde sommes réputés pour notre cuisine ! ! ! » [GW1366, LePost] ; « Le concept de
"Haute cuisine" est typiquement Français. Depuis sa codification par Escoffier,
il est la référence dans n'importe quelle grande cuisine du monde entier. Ceci
dit, il ne concurrence en rien, par exemple, la simplicité d'une cuisine Italienne
ou la complexité gustative des plats asiatiques. Ce ne sont pas des choses
comparables. Notre patrimoine génétique et culturel repose en partie sur l'amour
de la bonne bouffe, et se doit d'être reconnu. » [Zorglub, LeMonde]
Chaque pays à sa cuisine « Complètement RIDICULE » [Cocorico, LeMonde] ; « à mon avis, c’st un
nonsens » [Pibe, LePoint] ; « Une vraie et vaste escroquerie, chaque pays a sa
gastronomie alors faites rentrer le repas de tous les pays du monde » [Ondoulou,
LePoint] ; « n'est ce pas tomber dans le ridicule » [Patanoq, LePoint] ; « Il n'y a
pas une cuisine française, mais des cuisines de tous pays aussi attrayantes que
celle de l'hexagone » [Observer, Le Point] ; « Il y a une multitude de cuisines
remarquables dans le monde et la cuisine française n'est que l'une d'entre elles »
[Ltalisman, LePoint] ; « Ouais bon, ça je l'ai vu à peu près partout dans le
monde » [Bob Denardle, Le Post]
Elitisme de la gastronomie, « Bravo…mais elle reste toujours hors de prix pour la grande majorité des
écarts économiques français.| [Frenchy, LePoint] ; « Qui peut s'offrir un vrai repas gastronomique
dans un grand restaurant? C'est un luxe! » [Danielle Bizian, LeMonde] ; « pour
certains c’est gastro, pour les autres la mal bouffe » [Fufu, Le Point] ; « La
cuisine française Fouquets pour quelques un, restaurant du cœur pour des
millions. » [Pave, LePoint] ; « il était le temps ! car au quotidien on n'a déjà plus
grand chose dans nos assiettes » [DorianN, LePoint] ; « Trésor à sec et le
ventre plein » [Ruper, LePoint] ; « Elle date de Louis XIV et ne concerne
qu'assez peu la cuisine quotidienne du justiciable français » [Raoul,
LePoint] ; « Pour ses inégalités sociales. » [Phil, LePoint] ; « Et creuser encore
un peu plus des différences qui ne s'effaceront pas comme ça !!.. La
gastronomie.. Le chainon manquant entre religion et politique !!. » [Smilodon,
LePoint] ; « il logique que la gastronomie française condamnée a disparaitre
étant discriminatoire soit classée à l'unesco » [Sheelouf13, LePoint] ; « c'est à
dire une cuisine qu'une majorité des français ne goutera jamais » [Lejardinier,
LePoint]
La faim au monde « Ça dépasse l'entendement ! Comment osez - vous gaspiller du temps, de
l'argent qui aurait pu être employé pour nourrir des enfants qui meurent de faim
? C'est le comble du matérialisme et de l'indifférence aux valeurs de la société
humaine » [Caudron75, LePoint] ; « Stupide et prétentieux ! Je ne suis pas
d'accord » [André, LePoint] ; « Ridicule » [Zarns, LePost] ; « Obséquieux !
C'est sûr qu'aller défendre un dossier sur la "bonne bouffe" à 2 pas de l'Ethiopie,
il fallait oser... » [brezeler, Le Télégramme] ; « avec cet argent aurait ou assasier
des enfants qui meurent de faim » [Katspey, LePoint] ; « c'est un peu indécent
de se la voir attribuer au coeur de l'Afrique (même si le Kenya n'est pas le pays
le plus pauvre) et pour tout dire, ça en relativise la portée » [Christian,
LePoint] ; « mettre en avant la gastronomie d'un pays où il y a de plus en plus de
gens qui crèvent de faim, c'est cocasse » [Porteplainte, LePoint] ; « Je suis sur
que ceux qui meurent de faim et qui ne savent pas de quoi sera composée leur
assiette ce soir, seront ravis d'apprendre cette nouvelle.. » [Planetepsp, LePost] ;
« Avec 8 millions de personnes sous le seuil de pauvreté et 2 millions d'enfants
pauvres dans notre pays, je pense que ça leur apportera un bonheur simple et
diététique » [Charlotte33, LePost]
Mondialisation, « pizza, couscous, ravioli, hamburger…c’est la cuisine française » [Ada,
industrialisation, OGM, LePoint] ; « Félicitons-nous de cette reconnaissance, à l'heure des Kebab, Fast-
mabouffe, produits étrangers food (halals) et autres cartons de nouilles omniprésents ! » [Maité, LePoint] ;
« L'inscription du repas astronomique des Français au patrimoine culturel
immatériel de l'humanité va-t-il permettre de bannir les OGM de notre
nourriture ? » [Ingénu, LeMonde] ; « La cuisine française au patrimoine de
l'humanité. Il ferait mieux de défendre nos pêcheurs et nos agriculteurs qui sont
tous en train de mourrir, notre agriculture et notre pêche en voie d'extinction :
poissons intoxiqués, viandes gorgées d'antibiotiques, terres et eaux polluées.
Dans ce contexte, comment défendre la cuisine française sans défendre d'abord
et surtout ceux qui en sont à l'origine. Aucune décence. » [Bellaciao, LePoint] ;
8
« Normal, avec le codex alimentarius en place, il faut bien protéger notre
bouffe! Et c'est un réel patrimoine! Ces nazis de l'OMS veulent nous rendre
malade pour nous vendre leurs médicaments! Entre 1950 et 2008, le nombre de
cancer à augmenté de 300%, et toujours entre ces dates, la majorité de nos
aliments ont perdu près de 50% de leurs nutriments! Il faut savoir pourquoi des
gens comme José Bové se battent! C'est bien beau d'aller dans la rue pour des
retraites mais faut il y arriver! ;) » [Pyramidas, LePost]
Corruption, implication du « Le goulasch fera, je l'espère, partie de ce repas gastronomique ne serait-ce que
politique pour faire honneur à Nicolas » [Claudia, LeMonde] ; « Ce comité se devra de
goûter toute la haute cuisine française tous les ans et dans les meilleurs
restaurants et ce gratuitement, non ? Pas belle la vie ! » [PasNaif, LePoint]
Les émotions sont considerees des émanations sociales rattachées à des circonstances
morales, et à la sensibilité particulière de l’individu, elles ne sont pas spontanées, mais
rituellement organisées, reconnues en soi et signifiées vers l’autre, elles mobilisent un
vocabulaire, des discours et relèvent de la communication sociale41. L’univers évaluatif
comprend plusieurs niveaux, dont un espace critique (le bien/le bon) et un espace pathique (le
devoir/le désir)42. La modalisation thymique a pour fonction le « manque » (dont résulte la
frustration) et le « plaisir » (dont découle la satisfaction)43. La structure modale est
surdéterminée et encadrée par deux éléments qui sont seuls susceptibles de l’instituer comme
définitoire d’une « passion » dans un univers culturel : la sensibilisation et la moralisation44.
L’axiologie repose sur ce qu’on appelle la catégorie thymique, notamment l’opposition
euphorie/dysphorie45.
C’est à partir de cette grille de lecture théorique que nous pouvons interpréter les
énonciations-énoncés des lecteurs, en réactions aux articles que nous avons choisis.
Les thèmes de 1 à 3 relèvent plutôt de /satisfaction/ comme émotion pris comme point
central de l’analyse (phorique ou sympathie), à travers des passions telles le plaisir,
l’enthousiasme, la fierté, l’acceptation. Les thèmes de 4 à 8 présentent des items qui relèvent
du mécontentement (catégorie axiologique de la dysphorie) à propos de l’objet de passion : 1/
colère, 2/ indignation, 3/ déplaisir, 4/ contrariété.
41
D. LE BRETON, op. cit., p. 99.
42
A.-J. GREIMAS, COURTES, J., Sémiotique. Dictionnaire raisonnée de la théorie du langage, Tome 2,
Hachette, 1986, p. 243.
43
Ibid., p. 100.
44
BERTRAND, Denis, « Sens, sensibilité et communication », Le français dans le monde. Recherches et
applications, Numéro spécial, Méthodes et méthodologies, Janvier 1995, Hachette EDICEF, pp. 131-135.
45
COURTES, Analyse sémiotique du discours. De l’énoncé à l’énonciation, Hachette, 1991, p. 160, apud
HEBERT, op. cit., p. 153).
9
4. Chaque pays à sa cuisine Prééminence de la Mécontentement Contrariété Dysphorie
gastronomie sur les
autres cuisines
nationales.
5. Les écarts économiques, élitisme de la Mécontentement Colère Dysphorie
sociales que la gastronomie
gastronomie produit
6. Situation économique La gastronomie est un Mécontentement Colère Dysphorie
difficile produit de luxe.
7. OGM, industrialisation et La futilité de la Mécontentement Colère Dysphorie
la malbouffe gastronomie ? (on a des
problèmes plus
graves ?)
8. Ironies à l’adresse des Liaison entre Mécontentement Contrariété Dysphorie
implications du politique gastronomie et
politique
9. La faim au monde L’abondance dont Mécontentement Indignation Dysphorie
relève la gastronomie
10. Autres : le conflit avec le Les plats à base de Mécontentement Déplaisir Dysphorie
végétarianisme viande ?
11. Les plats étrangers Nationalisme lié à la Mécontentement Déplaisir Dysphorie
gastronnomie
Figure 3 : Les thèmes généraux, les signes indiciels que relèvent les thèmes regardant l’imaginaire social
de la gastronomie, la modalité thymique prise comme point de départ (émotion), les passions, niveau
axiologique, exemples dans le texte.
Conclusion
A travers cette analyse deux types de communication ont été mises en mirroir: celui des
medias de masse, qui construit ses messages en employant des voix et des formulations assez
stereotypes, et celui des lecteurs des journaux en ligne, qui peuvent faire voir leur emotions a
travers le nouvel espace d’expression qu’est l’Internet. Les utilisateurs « vivent » cet
événement et font preuve d’une attitude, de l’agrément ou du désagrément, de la sympathie ou
de l’antipathie, etc. Le pathique dont relèvent les commentaires des utilisateurs qui assument
des « voix » dans l’espace public se met en opposition avec le discours des textes « officiels ».
Bibliographie
ASSOULY, Olivier, „Le « repas gastronomique des Français » met la cuisine hors jeu”,
Rue 89, 17/11/2010, en ligne : http://www.rue89.com/2010/11/17/le-repas-gastronomique-
des-francais-met-la-cuisine-hors-jeu-176375.
BELL, Daniel, “The Social Framework of the Information Society”, dans T. Forester (ed.)
The Microelectronics Revolution, pp. 500–49, Cambridge, MA: MIT Press, 1981.
BLIC, Damien (de), et LEMIEUX, Cyril, « Le scandale comme épreuve », Éléments de
sociologie pragmatique, Politix, 3, n° 71, p. 8-9, 2005, en ligne : http://www.cairn.info/revue-
politix-2005-3-page-9.htm.
BERTRAND, Denis, « Sens, sensibilité et communication », Le français dans le monde.
Recherches et applications, Numéro spécial, Méthodes et méthodologies, Janvier 1995,
Hachette EDICEF, pp. 131-135.
BOLTANSKI Luc, La souffrance à distance. Morale humanitaire, médias et politique,
Paris, Métailié, 1993.
BROWNING Graeme, Electronic Democracy: Using the Internet to Influence American
Politics, Wilton, CT, Pemberton Press, 1996.
COBBI, Jane, FLANDRIN, Jean-Louis (éd.), Tables d’hier, Tables d’ailleurs, Odile
Jacob, 1999.
10
COURTES, Joseph, Analyse sémiotique du discours. De l’énoncé à l’énonciation, Paris,
Hachette, 1991.
DAHLGREN, Peter, „L’espace public et l’internet. Structure, espace et communication”,
in Réseaux, vol. 18, no 100, 2000, pp. 157-186,.
DOSSE, François, « L’événementialisation contemporaine du sens », Cahiers de
recherche sociologique, no 44, 2007, pp. 15-33, en-ligne :
http://id.erudit.org/iderudit/1002487ar, consulté le 27.05.2011.
DROUARD, Alain, Le mythe gastronomique français, CNRS Editions, 2010.
ELIAS, Norbert, The Civilizing Process, Vol.I. The History of Manners, Oxford,
Blackwell, 1939, 1969, and The Civilizing Process, Vol.II. State Formation and Civilization,
Oxford, Blackwell, 1982.
FOURCADE, Marie Anne, Patrimoine en patrimonialisation. Entre le matériel et
l’immatériel, Les Presses de l’Université Laval, 2007.
GADAMER, Hans-Georg, Truth and method, London, Sheed and Ward, 1975.
GRIGNON Claude, SABBAN Françoise (dir.), Le Temps de manger, Editions de la MSH,
Institut National de la recherche agronomique, 1993.
FISCHLER, Claude, MASSON, Estelle, (ed.), Manger. Français, Européens et
Américains face à l’alimentation, Odile Jacob, 2008.
FLANDRIN, Jean-Louis, L’Ordre des mets, Odile Jacob, 2002.
GREIMAS, Algirdas Julien, COURTES, Joseph, Sémiotique. Dictionnaire raisonnée de
la théorie du langage, Tome 2, Hachette, 1986.
HABERMAS, Jürgen, The Structural Transformation of the Public Sphere: An Inquiry
into a category of Bourgeois Society, Polity, Cambridge, 1962, 1989.
HEBERT, Louis, Dispositifs pour l’Analyse des Textes et des Images. Introduction à la
sémiotique appliquée, Presses Universitaires de Limoges, 2007.
HENAULT, Anne, Le pouvoir comme passion. Avec le débat d’A.J. Greimas et Paul
Ricœur sur la sémiotique des passions, Paris, Presses Universitaires de France, 1994.
HERPIN, N., « Comportements alimentaires et contraintes sur les emplois du temps »,
Revue française de sociologie, vol. XXI, 1980, p. 599-628.
HILL, Kevin A. and HUGHES, John E., Cyberpolitics: Citizen Activism in the Age of the
Internet, New York, Rowman & Littlefield, 1998.
JONES, Steven G., ‘The Internet and its Social Landscape’, in Steven G. JONES (ed.)
Virtual Culture: Identity and Communication in Cybersociety, pp. 7–35, Thousand Oaks, CA,
Sage, 1997.
LAMIZET, Bernard, Sémiotique de l’événement, Lavoisier, 2006.
LEMIEUX Cyril, « À quoi sert l'analyse des controverses ? », Mil neuf cent. Revue
d'histoire intellectuelle, 1, n° 25, pp. 191-212, 2007.
LE BRETON, David, Les Passions ordinaires. Anthropologie des émotions, Paris,
Armand Colin/Masson, 1998.
MARTIGNY, Vincent, « Le goût des nôtres : gastronomie et sentiment national en
France », Raisons politiques, 2010/1, n° 37, Presses des Sciences Po, pp. 39-52, en ligne :
http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=RAI_037_0039, consulté le 25 mai 2011.
MATHE Thierry, TAVOULARIS Gabriel, PILORIN Thomas, « La gastronomie s’inscrit
dans la continuité du modèle alimentaire français », Cahier de recherche No 267, décembre
2009, disponible en ligne à adresse www.credoc.fr, consulté le 15 mars 2011.
PAPACHARISSI, Zizi, “The virtual sphere. The internet as a public sphere”, New media
& Society, Vol 4(1), pp. 9–27, 2002, SAGE Publications, London, Thousand Oaks, CA and
New Delhi, en ligne: http://tigger.uic.edu/~zizi/Site/Research_files/VirtualSphere.pdf.
PAPERMAN, Patrizia, « Les emotions et l’espace public », Quaderni, nr 18, Les espaces
publics, 1992, pp. 93-107.
11
PITTE, Jean-Robert, Gastronomie Française. Histoire et géographie d’une passion,
Fayard, 1991.
QUELLIER, Florent, 2013, La Table des Français. Une histoire culturelle (XVe-début
XIXe siècle), Presses Universitaires de Rennes.
REGNIER, Faustine, LHUISSIER, Anne, GOJARD, Séverine, Sociologie de
l’alimentation, Editions La Découverte, Paris, 2006.
SIMMEL, Georg, Sociologie, Etudes sur les formes de socialisation, PUF, 1999 (1908).
THOMPSON, John B., Media si modernitatea. O teorie sociala a mass-media, Antet
Press, 1998 [Polity Press, 1995].
THOMPSON, John B., (2000), Political Scandal. Power and Visibility in the Media Age,
Cambridge, Polity Press.
VERON, Eliseo, Quand dire c’est faire : l’énonciation de la presse écrite, in Sémiotique
II, Paris, IREP, 1984.
12