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Revue de Métaphysique et de Morale
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Unité de « A la recherche
du Temps perdu » *
1. Cet article expose les thèmes d'un livre à paraître. Les citations sont faites d'après
l'édition N. R. F. en 15 volumes. La pagination de la Pléiade est indiquée entre paren-
thèses.
2. P2, p. 216 (III, 375) : « les sensations vagues données par Vinteuil, venant non
d'un souvenir, mais d'une impression (comme celle des clochers de Martinville), il
aurait fallu trouver, de la fragance de géranium de sa musique, non une explication
matérielle, mais l'équivalent profond, la fête inconnue et colorée... ».
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G. Ddeuze
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A la recherche du temps perdu
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G. Deleuze
L'amoureux souhaite que Taimé lui dédie ses préférences, lui consacre
ses gestes et ses caresses. Mais les gestes de l'aimé, au moment même
où ils s'adressent à nous, expriment encore ce monde inconnu tel qu'il
est enveloppé dans Taimé, monde qui nous exclut nécessairement puis-
qu'il se forma jadis, ailleurs, avec d'autres personnes. Telle est la souf-
france de Swann : chaque caresse d'Odette dessine l'image du monde
possible où d'autres seraient, sont ou ont été préférés *. Il y a donc une
contradiction de l'amour : les moyens sur lesquels nous comptons pour
nous préserver de la jalousie sont les moyens mêmes qui développent
cette jalousie, lui donnant une espèce d'autonomie, d'indépendance à
l'égard de notre amour. D'où cette première loi proustienne : subjec-
tivement, la jalousie est plus profonde que l'amour, parce qu'elle est plus
apte à surprendre et à déchiffrer les signes. Les signes amoureux ne sont
pas des signes vides, mais des signes mensongers. Ils sont mensongers,
non pas en vertu d'une mauvaise volonté particulière de l'aimé, mais
en raison d'une contradiction plus profonde : adressés à nous, appliqués
à nous, dédiés à nous, les gestes de Taimé expriment pourtant des mondes
qui nous repoussent, cachant leur origine et leur destination.
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A la recherche du temps perdu
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G. Deleuze
leur loi dans une généralité. (Proust proclame souvent son goût de la
généralité : le télescope, non pas le microscope K) Mais si, dans les deux
cas, l'effort de l'intelligence est très différent, c'est parce que la généralité
n'est pas du même type. Les signes mondains renvoyaient à des lois de
groupes, les signes de l'amour renvoient à des lois de séries. Chaque amour
forme lui-même une série, où les visages successifs de l'aimé s'organisent
d'après des rapports d'alternance et de contraste subtils : ainsi les visages
d'Albertine a. Mais nos amours successives forment une série plus vaste,
dont les termes se répètent à travers les contrastes et les petites diffé-
rences. « Ainsi mon amour pour Albertine, et tel qu'il en différa, était
déjà inscrit dans mon amour pour Gilberte f. » Bien plus : la série des
amours est comme transpersonnelle, les amours du héros s'enchaînent
avec celui de Swann, dans une continuité phylogénétique. Et, sous toute
série, les deux séries divergentes de Sodome et de Gomorrhe.
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A la recherche du temps perdu
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G. Deleuze
Les signes mondains sont formellement parfaits, mais vides ; ils pro-
voquent en nous une exaltation factice ; ils mettent en mouvement
l'intelligence, comme la seule faculté capable de les interpréter ; ils
trouvent leur sens dans des lois générales de groupe. Les signes amoureux
sont plus profonds parce qu'ils ont un contenu, mais par nature ils sont
mensongers ; ils mettent en nous la souffrance ; ils mobilisent encore
l'intelligence ; ils trouvent leur sens dans des lois de série. Encore plus
profonds, les signes sensibles : ils ont un contenu plus adéquat, mais ce
contenu reste matériel ; ils nous inspirent une joie extraordinaire, mais
cette joie reste fragile ; ils provoquent en nous la mémoire ou l'imagi-
nation, mais l'effort involontaire de ces facultés reste encore soumis à
des conditions extrinsèques ; ils trouvent leur sens dans une essence,
mais cette essence a encore un minimum de généralité, généralité d'une
coïncidence entre deux moments ou deux lieux matériellement distincts *.
Nous pouvons pressentir que les signes ultimes sont ceux de l'art, et que
toute la Recherche s'organise en fonction de cette découverte. Et que
l'art nous donne une révélation qui rejaillit sur tous les autres mondes.
Mais déjà, l'organisation de la Recherche en fonction des types de signes
nous permet de dégager certaines conséquences.
Quand nous disons « tout est signe », nous affirmons que la recherche
de la vérité ne trouve son modèle ni dans les sciences, ni dans la philo-
sophie. C'est que la science a besoin de croire aux faits, à l'existence
d'une matière soumise aux conditions du réel, à l'action de lois qui
1. TR2, p. 8 (III, 867).
2. Dans les signes sensibles eux-mêmes, l'essence est encore dite « générale » : TR2,
p. 71 (III, 918).
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A la recherche du temps perdu
s'établissent entre les choses. Mais la philosophie, de son côté, croit aux
significations explicites, aux communications volontaires entre les
esprits. Pour le héros de la Recherche, il n'y a ni faits objectifs, ni signi-
fications explicites. Tout est signe. C'est-à-dire : tout sens est impliqué,
enveloppé dans son signe. Tout existe dans ces zones obscures où nous
pénétrons comme dans des cryptes pour y déchiffrer des hiéroglyphes
et des langages secrets. Il est bien connu que, dans « philosophe », il y a
« ami ». Or Proust adresse le même reproche à la philosophie et à l'ami-
tié 1. Les amis sont des esprits de bonne volonté qui s'accordent l'un
avec l'autre et se communiquent des significations : aussi l'amitié se
nourrit-elle de conversations. Mais la philosophie est comme l'expression
d'un Esprit universel qui s'accorde avec soi pour déterminer des signi-
fications explicites et communicables. C'est pourquoi la philosophie
suppose si volontiers que l'esprit, par lui-même et naturellement, cherche,
désire ou veut le vrai : elle invoque une bonne volonté du penseur comme
une bonne nature de la pensée. Proust ne cesse d'englober dans la même
critique tout ce qui lui paraît impliquer une telle conception de la pensée :
non seulement l'amitié et la philosophie, mais la conversation, l'obser-
vation, le travail bénévole ou volontaire. Seul le conventionnel est expli-
cite, c'est-à-dire observable, formulable et communicable. Dans un même
mouvement, la perception a le goût de l'objet, et l'intelligence, le goût
de l'objectivité. Mais quelle sorte de vérités atteignons-nous ainsi ?
Rien que des vérités contingentes, auxquelles manque la griffe de la
nécessité. « Les idées formées par l'intelligence pure n'ont qu'une vérité
logique, une vérité possible, leur élection est arbitraire •.... »
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G. Deleuze
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A la recherche du temps perdu
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Rbvue de Méta. - N° 4, 1903. 29
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G. Deleuze
« Que Madame de Guermantes fût pareille aux autres, c'avait été pour
moi une déception, c'était presque, par réaction, et tant de bons vins
aidant, un émerveillement. 1 » De même, les amours se construisent par
portions d'associations d'idées. Et dans les signes sensibles, la joie
éprouvée ne se sépare pas de mécanismes associatifs à travers lesquels
un morceau du passé s'incarne. Même l'art : la musique de Vinteuil ne
serait-elle pas belle, parce qu'elle évoquerait pour nous une promenade
au bois de Boulogne * ?
Pourtant, plus nous montons dans l'échelle des signes, mieux nous
voyons que le moment subjectif est aussi insuffisant que le moment de
l'objet. Un exemple est particulièrement analysé, celui de l'apprentissage
du théâtre, en écoutant la Berma. La première fois, le héros se dit : c'est
la Berma, j'entends enfìn la Berma 1 Frappé par une intonation parti-
culièrement juste, il se dit : c'est Phèdre, c'est Phèdre en personne.
Mais rien ne peut empêcher la déception. Car cette intonation n'a de
valeur qu'intelligible ; elle a un sens explicite parfaitement défini, elle
est seulement le fruit de l'intelligence et du travail volontaires 8 -
Peut-être fallait-il entendre autrement la Berma. Tel geste de la Berma
serait beau, parce qu'il évoquerait celui d'une statuette archaïque, que
l'actrice ne connaît pas, et à laquelle Racine non plus n'a, certes, pas
pensé 4. Mais cette compensation subjective, nous en voyons vite le
danger. Si nous nous livrons au jeu des associations, qu'est-ce qui nous
empêchera de faire de l'œuvre d'art un simple maillon dans la chaîne
et, comme Swann, d'expliquer la beauté de Vinteuil par le plaisir d'une
promenade, ou la splendeur de Botticelli, par l'émotion d'en retrouver
le style sur le visage d'une femme aimée ?
L'apprentissage est tendu vers une révélation dernière : le signe ne
se confond pas avec l'objet qui le porte ou qui l'émet, mais pas davantage
le sens du signe ne se confond avec le sujet qui l'interprète ou le découvre,
ni avec les mécanismes d'association dont le sujet se sert pour le décou-
vrir. Le héros de la Recherche comprendra finalement que ni la Berma
ni Phèdre ne sont des personnes désignables, mais qu'elles ne sont pas
davantage des éléments d'association. Phèdre est un rôle, et la Berma
ne fait qu'un avec ce rôle. Or le rôle n'est pas un objet, ce n'est pas non
plus quelque chose de subjectif. C'est un monde, un milieu spirituel
peuplé par des Essences ou des Idées. La Berma, porteuse de signes,
rend ceux-ci tellement immatériels qu'ils s'ouvrent entièrement sur ces
essences, et s'en remplissent. Au point que, même à travers un rôle
médiocre, les gestes de la Berma nous ouvrent encore un monde d'es-
sences possibles 6. Il est vrai que le théâtre n'est pas le meilleur lieu
1. CG3, p. 173 (IL 524).
2. JF1. d. 132 (I. 533).
3. JF1. d. 174 (I. 567).
4. JF1. p. 165 (I, 560).
5. CGI, p. 56-62 (II, 47-51).
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A la recherche du temps perdu
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G. Ddeuze
Quelle est la supériorité des signes de Vart sur tous les autres ? D'une
part, ils sont immatériels, et par là dépassent même les signes sensibles.
La Berma, dans sa voix, ne laisse pas subsister « un seul déchet de matière
inerte et réfractaire à l'esprit * ». Dans la phrase de Vinteuil, le piano
n'est que l'image spatiale d'un clavier d'une autre nature : l'impression
de la petite phrase est « sine materia » '. D'autre part, les signes de
l'art ont un sens tout spirituel : ils sont tendus vers une Essence, que
Vinteuil lui-même a moins créée que dévoilée ». Unité d'un signe imma-
tériel et d'un sens spirituel, tel est l'art. L'essence est cette unité même.
Dès lors, là question la plus importante est : qu'est-ce que Proust appelle
une essence, une Idée ?
Certains textes de Proust ont une résonance platonicienne, d'autres,
une résonance leibnizienne. Et sans doute Proust connaissait-il assez
ces auteurs pour en être conscient. Mais il savait aussi sa propre origi-
nalité. L'art lui parait essentiellement révéler une diversité que nous
cherchons en vain dans la vie : différence interne^ qui fait qu'il existe
autant de mondes qu'il y a d'artistes originaux, différence qualitative
qui, « s'il n'y avait pas l'art, resterait le secret éternel de chacune » 4.
L'essence est donc un « point de vue » : point de vue radicalement nou-
veau à partir duquel on exprime un monde. Mais on aurait tort de conclure
que l'essence est subjective : le point de vue reste transcendant par
rapport au sujet, il ne se confond pas avec celui qui s'y place. Ce n'est
pas le sujet qui explique l'essence, c'est plutôt l'essence qui s'implique,
s'enveloppe, s'enroule dans un sujet. C'est elle qui constitue la subjec-
tivité, c'est elle qui l'individualise. Aussi est-elle comme une « captive
divine », comme la « patrie inconnue » qui ne se confond pas avec nous,
parce qu'elle est d'un autre ordre que nous, plus profonde que nous-
mêmes. Des points de vue transcendants, qui nous individualisent, et
nous immortalisent, plutôt que nous ne les constituons : telles sont les
essences. Et dans l'art, elles ont le pouvoir de déterminer elles-mêmes
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A la recherche du temps perdu
les matières où elles s'incarnent, les milieux dans lesquels elles se réfractent,
ainsi le petit pan de mur jaune, le rougeoyant septuor ou la blanche
sonate. L'essence artiste est individuelle, individualisante et déterminante.
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G. Ddeuzt
Gilles Deleuze.
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