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MYSTÈRE
Les
«paroles cachées»
de Jésus
© www.arttoday.com
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ALLEZ SAVOIR ! / N°16 FÉVRIER 2000 21
Les «paroles cachées» de Jésus
MYSTÈRE
© N. Chuard
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Jean-Daniel Kaestli,
professeur de théologie à l’Université
de Lausanne et spécialiste
de «L’Evangile de Thomas»
DR
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22 ALLEZ SAVOIR ! / N°16 FÉVRIER 2000
LA DÉCOUVERTE DE NAG HAMMADI
Les papyrus découverts en 1946 à Nag Hammadi en Haute Egypte constituent
l’une des plus sensationnelles découvertes archéologiques du siècle. C’est par
hasard que des paysans ont déterré une jarre contenant une cinquantaine de textes
(1200 pages) rédigés en langue copte, et datant du milieu du IV e siècle. Certains
de ces écrits sont en réalité des traductions d’originaux grecs remontant au IIe
siècle de notre ère. Ils donnent un aperçu de la diversité et du foisonnement de
la réflexion théologique chrétienne ancienne. Sur ces 1200 pages, qui sont tou-
jours en cours d’étude, quatre écrits sont à peu près complets, dont l’Evangile de
Thomas. Ce dernier, constitué exclusivement de paroles de Jésus, fit sensation,
puisque l’enseignement du Christ a une importance décisive pour la foi.
Dès le IV e siècle, l’Evangile de Thomas figure cependant sur des listes de textes
à rejeter, sans doute parce qu’il était lu dans des communautés qui se situaient
en marge de l’Eglise officielle.
JOP
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commencement : il connaîtra
la fin, et il ne goûtera point à
la mort!» (Evangile apocryphe
de Thomas, ludion 19)
DR
→ veau Testament. Ils affirmaient qu’il
était antérieur aux quatre évangiles
tion des évangiles de Matthieu et de
Luc, et leur servant de référence. Avec
canoniques et leur avait servi de source. l’Evangile de Thomas, l’hypothèse est
En défendant cette thèse, un auteur devenue quasi-certitude. Cette «source
français a même défrayé la chronique Q» irrigue les évangiles de Matthieu,
dans «Paris-Match» en 1975. Luc et Thomas, ainsi que d’autres tex-
Il est vrai que de l’avis général des Une mosaïque représentant Thomas tes anciens : «Quand on tombe sur des
scientifiques, l’Evangile de Thomas se citations de paroles de Jésus dans des
rattache à des traditions fort ▲ textes du II e siècle, par exemple chez
anciennes, et que certaines paroles ont Justin, on s’aperçoit que certaines
de bonnes chances d’avoir été pro- paroles ne correspondent pas à la forme
noncées par Jésus. Mais la démons- canonique du Nouveau Testament. En
tration de l’antériorité de l’Evangile fait, ces textes ne citent pas les évan-
de l’inclure aujourd’hui dans le Nou- giles, mais des sources parallèles com-
de Thomas sur ceux de Matthieu,
veau Testament alors que nous me «la source Q» ou la tradition orale»,
Marc, Luc et Jean, n’a jamais pu être
n’avons aucune trace de sa réception précise Jean-Daniel Kaestli.
faite. Et d’ailleurs, l’eût-elle été que
dans l’histoire.»
cela ne suffirait pas à le propulser dans
Du côté catholique, les savants ont
le Nouveau Testament. Car la ques- Bon pour l’historien
pu étudier librement l’Evangile de Tho-
tion relève de l’autorité de l’Eglise qui Pour porter un jugement global sur
mas, de même que l’ensemble des textes
n’a pas les mêmes critères que les l’Evangile de Thomas, Jean-Daniel
de Nag Hammadi : «L’Eglise ne s’est
scientifiques : «L’Eglise ne se fonde Kaestli appelle à une distinction entre
pas sentie menacée par cette décou-
pas sur l’authenticité historique mais le théologique et l’historique. Sur le
verte, commente Jean-Daniel Kaestli.
sur la vérité du témoignage, signale plan théologique, il donne raison aux
De nos jours, elle admet la démarche
Jean-Daniel Kaestli. A cette aune, elle Pères de l’Eglise qui ont écarté l’Evan-
critique de la recherche académique,
a jugé que l’Evangile de Thomas rele- gile de Thomas. Sur le plan historique,
même si cela remet en cause des véri-
vait d’une pensée sensiblement diffé- il en recommande la lecture pour mieux
tés de foi. Cela dit, je pense que l’Eglise
rente des autres Evangiles, et parfois saisir le christianisme des origines dans
ne reconnaîtra jamais un cinquième
en rupture avec eux.» sa diversité : «On s’aperçoit que le
évangile, même si l’on découvrait un
jour un texte aussi ancien et vénérable christianisme des premiers temps était
L’Eglise a-t-elle menti? que les évangiles canoniques.» plus varié qu’on ne le pensait. Il y a eu
en son sein des courants très différents,
On ne s’est pas privé d’accuser
Preuve scientifique notamment des courants spiritualistes
l’Eglise d’avoir volontairement tenu
ou gnostiques. Ces derniers sont le
ce texte secret afin de pouvoir pré- L’Evangile de Thomas a été d’une
reflet d’un sentiment de peur et d’alié-
server sa doctrine et son pouvoir. grande utilité pour les sciences bibli-
nation, très répandu dans les premiers
Pour Jean-Daniel Kaestli, l’accusa- ques. Il a prouvé une hypothèse écha-
siècles, face à la société de l’Antiquité
tion ne tient pas. «On y cherchera en faudée par les savants afin de rendre
tardive. L’Evangile de Thomas nous
vain des passages scandaleux ou compte des nombreuses similitudes
permet de remonter aux racines de
révolutionnaires. Par ailleurs, la entre les évangiles canoniques, ceci
cette angoisse, et peut-être aussi de
question de savoir quels évangiles bien qu’ils aient été rédigés à des
mieux comprendre celle de notre
doivent figurer dans le Nouveau Tes- époques et en des lieux différents. Les
époque.»
tament est close depuis le II e siècle savants postulaient l’existence d’une
(voir encadré page 26), et l’Evangile source commune – «la source Q» – sous Jacques-Olivier Pidoux
de Thomas n’a pas été utilisé depuis la forme d’un recueil de paroles de
lors. Cela n’aurait donc aucun sens Jésus circulant à l’époque de la rédac-