I

Drfns t.rf lrtl,tt,tt (.Ot.t.tir:Ltott Mrtsptttto

. 51. Ci.lcstirr I'rcincr, Potrr ltlcolc d.t peuple
Pedte collection maspero
52, 53, 54. Gian Mario Bravo, Ler socialiltes
| îaant Marx
I 55, 56. Paul Nizan, inrellectuel conzrnunifie
57. Renate Zahar, I.'æztare d.e Frantz Fanon
58, t9. Constantin Sinelnikofi,
L'æuare d.e VilLelm Reiclt t_Èr tr. ' 'r ti
60. Nathan Veinstock, *.!4 . o'1'*.
Le ntouaernent réaolutiotznai.re arabe
61. Constantin Tsoucalas, La Grèce,
de l'ind,épend,ance aux colonelt
62. Michael Lowy, La pensée d.e Che Guerara
63. Yictor Serge, Ce qae tou, réaolut,ionteaire doit
saaoir de la répre.rûon
64, 65. Alfred Rosmer, Moscou sous Lénine
66,67, 68, 69. Daniel Gtrérin, Ni d.ieu, ni nzaître
70, 7I. Louise Michel, La Commune. Hùtoire et
souuenirs
72, 73. Charles Bettelheim, L'écononzie
d.e l'Allemagne nazie
74. Piene Jalée, Le tien nzond.e en cltiffres
75, 76. Robert L. Allen, Hisroire d.u moruaenzent
noir aux Eratr-{Jnir
77, 78. Nicos Poulantzas, poaaoir politique
e' clastes sociales
79. Charles Bettelheim, L,Ind,e ind.épend.anîe
80. Récits de la résittance aiehz'rmienne
8I, 82. Maurice Godelier,
Rationalité et inationalité en écononzie
83, 84. Marcel Cohen.
Matériaux pi,r-à, rcciologie du langage
85 l? petit liure rouge d,es lycéens
(interd.it à la aente par le goaaelnen en,
français)
U(r, 87. f.-P. Vernanr, ùI1the et pensée
cbez let Grect
88, 99, 90. Victor serge,
L'an I d.e la Réo,obttion russe
91. Partisans, Pédagogie : éd,ucation
oil. tzi[e en cond,ition ?
 3 7\
Paulo Freire f Rl=

Pédagogie des opprimés

suiai fu

Consciendsation et Révolution

Tradrit &t bfisilien

FRANçOIS MASPERO
1, place Paul-Painlevé
,l PARIS V"
1974

I
 A toas les oqql]imés du monde
èt à ceur dit, Paretsolidarité'
iôuflrent aue'c etiæ surtout
Iuttent aDec euæ.

@ Librairio François Maspero, Paris, 1974.

c.53v3 frr
Présentation

Moi, ie fais de lalphabétisation d'e conscientisation"'

- Pourtant, Paulo Freire a dit que...,
- le les atihabéttse tout en respectant leur conscience"'
-TeIIes sont' quelques-unes des multiples rêlêrences - à
fàio nràr" ,f à * méthode, faircs en Francealors dans les
que
discussions entre moniteurs d.'alphabétisation,
îitii- itiitte se développe de manière importante dans
iàs entreprises, avec fàpplication aux travailleurs immi-
d.e tà tot de l97I sur I'Education permanente'
"erés
Àinsi, bien malgré lui et bien qu,'on ne Ie connaisse
encore que par ses premiers écritil, le nom de Paulo
iustifier (àt souvent de manîère < définiti-ve
> !)
-ai' trrt à
Fr"iri
ii^tr"ites adîons dalphabétisatîon, fort diverses
d'ailleurs.

Qui est Paulo Freire ? Queile a été sa ilémarche ?

Né en 1921 dans le Nordeste (Brésîï), Paulo FreÎre
à travaîller sa méthode d alphabétisation (dite
a conscientisation >) dès 1947, pour arrtver à une
"oÀ^ri""
di
en lorme en 1961-
' Eii; -\utmise
oremière
alors àxpérimentée et appliquée à -partir -d'e
Dài, àans Ia région la plus pauvre du Brésil, Ie Nor-
àeste, qui comptàit alors- 15 millions tanalphabètes sur
25 rnillions thabitants.
Les premiers résultats encourageants- amenèrent le gou-'
urrii"ii"t iipulxte de lodo Goulart à rendre Ia méthode
olicîelle (tsàS-d\. Paulo Fteire tut donc chargé- d-e
f'àtplr"taiàotion pâ, le ministère de lEducation et d'e Ia
Ciiture du Brésil ; par ailleurs, îl anima des cours de
lormation de coordînateurs d'alphabéttsûion, touî en
i'rrtort professeur d'histoire et de philosophie de l'édu'
cation à Recife.
Drr* millà < Cercles de culture > furent ainsi créés,
'analphibètes.de d'eux
auxquels participèrent près millions d'hommes
iï i" trà^es Soulignons que ce travail
-1. n'oau"atton : pratique de Io llbetté, Editions du Cerf ; Cons-
cientisatton, I. N. O: D. F- P.
7
linscrivait dans un mouvement de mobilisation plus large :
le < Mouvement d'éducation de base >, soutenu par
lépiscopat brésilien.
Le coup d'Etat de 1964 obligea Paulo Freire à s'exiler
au Chili, où iI fut assistant d.e lacques Chonchol, alors
directeur de llnstitut de développement de l'élevage et
l'agrtculture. II y perfectionna sa méthode de conscien-
tisation, qui devint la méthode officielle du gouvernement
démocrate chrétien d.'Eduardo Frei. Elle avait pour but
tamener les petits paysans chiliens à participer plus acti-
vetnent à la vie nationale por une insertion plus grande
dans les Etructules mises en place par la Réforme agraire
du gouvernement.
En 1967, Paulo Freire publie UBducation : pratique
de la liberté2. Quant à I'ouvrage présenté ici, Pédagogie
des opprimés, écrit en 1969, iI se situe au terrne de cette
expérience avec les paysans chiliens.
En 1968, P. Freire devient conseiller à l'U.N.E.S.C.O.,
sans pour autant paûager les conceptions de I < alpha-
bétisation fonctionnelle > de cet organisme3. En 1969,
il donne en outre dix moîs d'enseignement à I'Université
de Harvard (U- A.).
S.
Actuellement, Paulo Freire est conseiller du < secteur
Education > du C.O.E. (Conseil æcuménique des Egli-
ses), et le principal animateur de I'I.D.A.C. (Institut
d'action culturelle), dont le but est < I'application de Ia
< conscientisation > cornme instrument libérateur dans le
processus téducation et de transformation sociale >.
Le texte publié ici en deuxième partie : Conscientisa-
tion et Révolution, constitue le premier document publié
par I'1. D.A.C. (en 1973).
Notons enfin que Paulo Freire anime plusieurs fois
par an des séminaires d.e < conscientisation > à I'INODEP
(Institut æcuménique de développement des peuples) à
Paris.
La méthode de conscientisation
Une brève description de la méthode de conscientisa-
tion est utile à notre sens, pour une meilleure compré-
P. F*rrr*", L'Education : ptatique d.e ra libeilé, 160 p.,
Editions du Cerf, 17,50 F'.
J. consulter à ce su-iet : A. o.l Srr,vl', L'Ecole horc de I'êcole,
l'éducation des masses,-Editions du Cerf, 111 p.,72,50 F ; A. Mms-
-2. Alphabétisation et Déueloppement, 274 p,, Anthropos' 25 F
xna,
8 9
hension des textes qui suivent (on peut se référer, pour
une présentation complète de celle-ci, ô L'Education :
pratique de la liberté el â Conscientisation, ouvrages déià
cités).
Partant de la < conscience dominée > des mîlieux
ruraux brésiliens, Paulo Freire veut atteindre la < cons-
cience libérée >. A I' < éducation-domination >, il oppose
l' < éducation-libération >. Il s'agit de < promouvoir chez
le peuple touché par une action éducative une conscience
claire d.e sa situation objective >.
La conscience dominée dont parle Frefue, est fexpres-
sion de < la domination qu'un petit nombre de gens
exerce dans chaque société sur la grande masse du peu-
ple >.
Par conséquent, Freire conçoit l'éducation cornrne pra-
tique de la liberté, qui est un < acte d.e connaissance,
une approche crtfique de Ia réalité >.
< Le but de l'éducateur n'est plus seulement d'appren-
dre quelque chose à son interlocuteur, mais de recher-
cher avec lui, les moyens de translormer le monde dans
lequel ils vivent. >
a. Pour que l'alphabétisation des adultes ne soit pas
une pure mécanique et un simple recours à la mémoire,
il laut leur d.onner les moyens de se conscientiser pour
s'alphabétiser 1...f, car, au fur et à mesure qu'une méthode
active aide l'homme à prendre conscience de sa pro-
blématique, de sa condition de personne, donc de sujet,
il acquerra les instruments qui lui perrnettront des
choix 1...1. Alors, il se politisera lui-même. >
Sur le plan technique, on peut dire que I'application
de la mêthode se déroule en plusieurs étapes :
l. Un relevé par enquête de l' < univers-vocabulaire >
des travailleurs auxquels les éducateurs veulent s'adresser,
dans le cadre du Cercle de culture.
2. Un choix des mots clés par les éducateurs selon:
I'intérêt, du point de yue d.e l'apprentissage sylla-
-
bique.
les dillicultés phonétiques
- la richesse sémantiquea. croissantes.
- La création d.e situations existentîelles
3. typiques du
4. Semontique .' étude du sens ou contenu des mots. La richesse
rémantique implique une < pluralité d'engagements des mots
dms une réalité donnée, sociale, culturelle,-politique... r.
groupe avec lequel on travaille, par la prêsentation et la
discussion d.es mots clés.
Par exemple, le mot lavela (bidonville) :
Ia situation est visualisée sur l'écran (d.iapositives),
- décrtte et analysée,' favela peut Poser les problèmes
puis
du logernent, de I'alimentatîon, de I'habillement, de la
santé, etc.;
on passe à la visualisation du mot lui-même, en
-
indiquant son contenu sémantique ;
le mot lavela est ensuite montré, découpé en syl'
- puis en familles phonétiques : fa - ve - la :
labes,
fufefifufu
va ve vi vo vu
la le li lo lu
le groupe essaie de composer dautres rnots qvec
Ies- combinaisons de syllabes dont il dispose...
La méthode d'acquisition suppose donc la petception
globale d.u mot ; sa décomposition syllabique I son inser'
tion dans une grille phonétique ; enfin, dans un dernier
temps, la recomposition par les travailleurs de nouveaux
mots. L'introduction de l'écrtture se lait immédiatement
sur la base des mots déià étud.iés en langage et lecture.
Ilemploi et I'analyse da mots clês permettent ninsi une
acquisition de vocabulaire, une discussion et une prise
de conscience à propos de la réalité suggérée par chacun
de ces rnots.
Après cette brève biographie et la trop rapide présen'
tation de la méthode de < conscientisation >, nous cornpre'
nons mieux que la démarche pédagogique et polilique de
Paulo Freire he peut être comprise sans être reliée fonda-
mentalement au contexte historique brésilien et latino-
américain. Lui-même se définit d'ailleurs comme < exilé >.
Ainsi en est-il de Pédagogie des opprimés, écrtt, rappe-
lons-le, en 1969, à partir texpériences d'alphabétisation
au Chili en milieu pcrysan. Bien que de portée directe
pour nous (nous y reviendrons plus loin) ce livre ne
peut être bien compris sans référence à la longue et
dure histoire du peuple chilien, et plus particulièremenl
à celle des petits paysans, bénéficiaires présumés tune
réforme agrabe conçue sous le gouvernenlent dêmocrate
chrétien de Frei, reprise coû7me on le sait sous le gouver-
nement d'(Jnion populaire d' Allende.
10
D'autre part, iI est important de comprendre que Pauio
Freire est un homme en constante évolution : la lecture
successive des deux textes ici présentés, le rnontre bien, le
premier datant de 1969, le deuxième d.e 1973. Ses idées
doivent donc être perçues dans leur ensemble et reliées
à lévolution d'un homme qui n'a jamais considéré sa
démarche comme délinitive.
Enfin, nous nous permettons tindiquer ici que les expé-
riences et I'approche de Paulo Freire ont eu en France
une influence importante en particulier pour le collectif
d'alphabétisations, bien que celui-ci se démarque nette-
ment parfois de Paulo Freire sur certains points, notam-
ment au niveau idéologique.
Ainsi, il y a quelques années, le collectif d'al-phabé-
tisation proposait une < nouvelle pédagogie > en modi-
liant seulement le contenu des textes étudiés en alphabétï
sation Qtar exemple, en rernplaçant < I'histoire est faite par
lcs roîs > par : < l'histoire e$ faite par les peuples >)
cela, sans remise en cause des rapports enseignants-
-enseignés, moniteurs français (travailleurs ou étudiants) -
ouvriers immigrés, et sans réflexion sur Ie rôle de l'alpha-
hétisation en France. Et Cest grâce à l'approche globale
cle Paulo Freire, reliêe aux contradictions ressenties dans
notre travail, que nous avons remis en cause notre pratique.
Cette remise en question nous a permis de progresser dans
notre action d'alphabétisation menée coniointement avec
lcs luttes de travailleurs français et immigrés.
L'action et la d.émarche de Paulo Freire représentent
donc une étape importante vets falphabétisation, conçue
comrne < une lecture politique de la réalité >.
II nous reste maintenant, à la lecture de ce livre, à
confronter I'approche de Paulo Freire avec nos propres
actions...
étisatiut
Le C ollectif d' alphab
mars 1974
5. Collectif d'alphabétisatiou, Alphabéttsation, Pédagogie et
Lultes, Maspero, Faris, 1973.-
11
Avant-ptoPos

Les pages qui suivent e! que nous. proposons en intro-

ductiod i t-o- nédogogie des- opprimés sont le résultat de
nos réflexions duràni cinq années d'exil. Ces réflexions
rejoignent celles que nous avions faites auparavant -au
Biési, dans les divèrs secteurs où nous avons eu Ïoccasion
d'exercer des activites éducatives.
Noo, urro^ été impressionné, au cours des sessions de
formation d animateurs où nous analysions le rôle de la
conscientisation, et lorsque nous avons commencé à exer-
cer une éducation réellement libératrice, par la << peur de
la liberté >, dont nous parlons au premier chapitre de
cet essai.
Il n'est pas rare que ceux qui particrpent-à ces sessions,
laissant vdir leur (< peur de la liberté >, fassent allusion
à ce qu'ils appellent-le << danger .de la conscientisation >>'
'consciênce critique, disent-ils, est anarchique' - )) A
<< La
quoi d'autres ajoutent J <, Est-ce qu9 11 conjcience critique
ne risque pas de mener au désordre ? >> D'autres cepen-
dant disenf aussi : << Pourquoi le nier? J'avais peur de la
liberté, mais déjà je n en ai plus peur. )>
Un jour, aani fun de ces cours auquel participait un
hommé qui avait été longtemps ouvrier, -s'était amorcée
une discuision où l'on parlait du << danger de la conscience
critique >. Au milieu du débat, cet homme déclara : << Je
^sans
suis doute le seul parmi vous qui soit d'origine
ouvrière. Je ne perx pas dire que j'ai compris tout ce qui
a été dit ici, mlais je peux affrmer ceci .: qPand je sut
venu à ce cours, i'avais une conscrence prtmaire, et qu?ng
je me suis découvert comme primaire,,j'ai commencé à
âcquérir une conscience critiquè. Cette découverte ne m'a
poirtant pas rendu fanatique, e! ne ql'a pas non plus
àonné le s-entiment de désintégration. >> La discussion por-
tait ce jour-là sur le point de savot si h prise de conscience
d'une situation existentielle, concrète, d'injustice ne pour-
rait pas conduire les hommes à un << fanatisme destruc-
teur > ou à un sentiment de désintégration totale du
monde où ils vivent.
13

I,e doute a.ilsi exprimé contient une présupposition pas
toujours explicite chez celui qui a pew àe h-liberté : <i Il
est préférable que la situation concrète d'injustice ne soit
pas. clairement perçue par la conscience de ceux qui la
subissent. >>
Ce-pendqt, ce n'est pas la conscience qui peut mener le
peuple à des << fanatismes destructeurs >. Au contraire, la
conscientisation, qui lui permet de s'insérer dans le pro-
cessus historique, en tant que sujet, lui évite les fanatijrnes
et le met en marche vers son accomplissement.
- < Si la- prise de conscience ouvre la voie à I'expression
des insatisfactions sociales, c'est parce que celleslci sont
des composantes réelles d'une situàtion d;oppression r. >>
-
La, peur de la liberté, qui n'est pas nécessairement
consciente chez celui qu'elle habite, lui cache la réalité.
$u !on{, celui qui redoute la liberté se réfugie dans
la-_ sécurité vitale, comme dirait Hegel s, en
fréférant
celle-ci à une liberté risquée.
Mais rare est celui qui manifeste explicitement cette
crainte de la liberté. On cherche ptutôt à la déguiser, dans
un jeu habile, bien que parfois inconscient. Jéu artificiel
de paroles où I'homme apparaît ou cherche à apparaître
comme un défenseur de la liberté et non comme quetqu'un
qui 9n I peur. A ses doutes et ses inquiétudes,- il prête
un aq de profond sérieux. Le sérieux dè celui qui duvre
pour la liberté, mais une liberté qui se confond avec la
conservation dt statu quo. Pourr lui, quand la conscien-
tisation vient remettre en cause le stati quo, elle menace
la liberté.
- Ce-que lorlt avançons dans cet essai n,est pas le fruit
0: leue intellectuels, et ne provient pas nôn plus de
simples- lectures, même si celles-ii nous oit beaucorip servi.
Nos afrrmations sont toujours ancrées, coûrme nous-l'avons
annoncé au début de cæs pages, sur des situations concrètes.
Elles expriment des râctions de prolétaires, ruranu( ou
la classe moyenne que nous avons
o_tboiog, et _de gens de
observés, directement ou indirectemènt, au -cours de notre
. 1._-Fr"ryisco WEF.oRT, préface à L,Education :pratique
Paulo Fi-rr-Rz, Editions au Cerr, parfi,--iô7i. --
de
la^libe\té,_de
. 2- c*And i!. l.s_ so_lety_ by risking nre ttat rrèéaàm iÉ obtatned
_1...J. rne ur(uvtdual wno.ha_s not staked his life may, no doubt,
be recogni-26{ as a person, but he has not -attainea iÉe trutn
oi
ll.s recognition.as an- self-eonsciousness. > Ilncnl,
tne Phenomenotogq of i4depeqdant
Mtnd, Harper and Row, 1962, p. 2BB.
14
r
travail éducatif. Notre intention est de poursuivre cette
observation pour rectiûer ou confirmer dans de nouveaux
travaux ce que nous avons écrit ici.
Le présent essai provoquera sans doute des réactions
sectairès. Parmi les lecteurs, certains, peut-être, niront
pas au-delà des premières pages. Les uns .parce qu'rls
èonsidéreront notre attitude en face du problème de la
libération des hommes colnme une attitude trop idéaliste'
ô" Àà*" un bla-bla-bla réactionnaire. Le bla-bla-bla de
celui qui se << perd > en parlant de vocation. ontologique'
d'amorlr, de dialogue, d'èspérance, d'humanité' de syrn-
pathie. Les autres parce qu'ils ne voudront pas ou ne
pooooot pas acceptèr les critiquas et la dénonciation que
irous faisôns de 1â situation d'oppression, et des oppres-
seurs qui se << gloriûent >> de leur fausse générosité'
C"rf po*qooli cet essai, avec toutes les déficiences d'un
travail àe recherche, est un ouvrage pour des hommes
ràdi"n r". Des chrétiens ou des marxistes, même en désac-
cord partiel ou total avec nos opinions, iront certainement
jusquàu bout de ces pages. Au contraire' dans la mesure
ôr:, A" façon sectaiie,- certains adoptent des attitudes
fermées, irrationnelles >, ils rejetteront le dialogue que
<<
nous cherchons à créer par ce livre.
Car la sectarisation esi toujours mutilante, par le fana-
tisme qui la nourrit. En revanche, la radicalisation est
toujours créatrice, par le sens critique qui I'alimente' Alors
q,r" tu sectarisatio-n est mythique, 9.! -don9 aliénante, la
àdicalisation est critique, èt Aônc libératrice. Elle libère
I
parce que, en impliquant I'enracinement des hommes dans
ier options qu'ilJ ont prises, elle les engage de plus . en
plus àans un ïffort de tiansformation de la réalité concrète,
objective.
i-a sectarisation, parce qu elle est mythique et irration-
nelle, fait de la réaiité une fausse réalité qui, dès lors, ne
peut plus être modifiée.
' Què[e que soit son origine, la sectarisation est un
obsiacle à'l'émancipation dès hommes' Cest pourquoi. il
est douloureux de tonstater que le sectarisme de droite
ne s'accompagne pas toujours ôe son contraire : la radica-
lisation du révolutionnaire.
Il n'est pas rare que des révolutionn- aires deviennent
réactionnairàs parce qu'ils se laissent aller au sectarisme,
en écho au sectarisme de droite.
Nous ne pensons pourtant pas et nous favons bien
-
15
 précisé. dans
lotre précédent essai a - que le radical maintien du présent comme une sorte de retour au passé,
authentique puisse devenir un objet docile àe h domina- et le second attendant que le futur, déjà <( connu >>'
!io1 En effet, en tant que radiial dans le proceszus de s'installe.
- -Âu
libération, il ne peut reJter passif face à la- violence de en s'enfermant dans un << cercle de sécu-
l'oppresseur. rité > "ô"tr"ire,
Cont ils ne peuvent sortir, tous deux échafaudent
^
Par ailleur-s,. jamais
le radical ne sera un subjectiviste. leur vérité. Et ce n est pas celle des hommes qui lutte,lt
C.."1, p9*lui, l'aspect subjectif prend place dans une unité pour contt*ire l'avenir èn courant les risques d'une telle
èntreprise. Ce n'est pas celle des hommes qui luttent en
rrralectrque avec la dimension objective de
sa propre pen-
sée, c'est-à-dire avec les données concrètes Aè Ë reàfité aoorônant les uns avec les autres à édiûer ce futur qui
sur Jlquelle s'exerce son acte de connaissance. Subjectivité ott'rt p"t encore défini, qui n'est pas un destin imposé
et objectivité, ainsi, se rencontrent dans cette unité dialeÆ- aux hômmes, mais qui doit être créé par erx'
tique d'où résulte un connaître solidaire de lagir et vice les deux cas,-la sectarisation est réactionnaire parce
versa. C'est précisément cette unité dialectique qù engendre que
-fù
Dans
et I'autre, en s'appropriant le temps - dont ils
yn leir et un penser ancrés sur ta rlafit| polo iu droient détenir la connaissanCe, finissent par se séparer du
transformer. peuple, ce qui est une façon d'être contre lui'
Le. sec!3irg, porrr sa quelle que soit l,option d,où ^ anois que le sectaire de droite, s'enfermanJ dans << sa >>

provient l'<< irrationalitâ.part,

> qui-l'aveugi", n" perçôit pu., oo vérité, se^sentent menacés dans leur sécurité si quelqu'un
ne peut percevoir, la dynamique de la rêalitê;- ou -bien il l'homioe de gauche qui se sectarise, et également s'enferme,
pergoit de façon éciuivoqrie. Même loisqu'il
{dialectiqge, se cioit --iàrenie lui-même. I'attitude qui lui est naturelle, le second
se
il en reste à une dialectique àômestiquéè >.
<< pt"*i"t, dans
C'est la raison, par exemple, pour laqirelle le sectaire de
,crolte, dans ia contiadiction, tous deux évoluant dans << leur >>

que nous avons appelé << sectaire de naissance >>
dans notre essai précédenit, cherche à freinèr l'évolution,
a << - clomestrquer > le temps, et aussi les hommes. C'est
aussi la raison pour laquelè l,homme de gauche, en deve_
vérité se sentent menacés dans leur sécurité si quelqu'un
f" Ait""t". C'est ainsi quil leur est nécessaire devérité'
considérer
<< Ils
comme mensonge touf ce qui n est pas leur a'
souffrent tous làs deux d'un manque de doute >>

nant sectaire, se fourvoie complètement dans son inter_ Le radical, engagé pour la libération des hommes, ne se
pretation
-<<
dialectique > de la realttl, de I'histoire, èn se Uisse fas eoferÀei dàns un cercle de sécurité, et il n'em-
Iaissant aller à des attitudes essentiellement fataliites. ptirooi"-p"t la réalité. I1 est d'autant plus radical qu'il
Les deux sont difiérents, dans la mesure où le premier
prétend << domestiquer > le présent pour que le futù, dans
;ùr;tit dàvantage dans cette réalité pour pouvot, en la
-ft
connaissant mieux, la transformer mieux'
P nqellletl:re des hypothèses, reproduise le présent << domes_ il ne craint-pas d'entendre'
nÀ craint pas daffronter,
uque )>,- alors- que le second transforme le futur en quelque il ne craint pai fécroulement du monde' Il ne craint pas
chose.de_préétabli, une espèce de fatalité, ou de-destin laiencontre^avec le peuple. Il ne craint pas le dialogue
irrémédiable. Pgqr te premiler, le présent est lié au passé, avec lui d'où naîtra pour chacun des deux un savo[
c'est un donné immuable; pour le second, te futrir esi éf"tgi;. Il ne se croit ias maîqe du temps, ni maître des
préétabli, préfixé inexorablemènt. Les deux deviennent réac_ nônimes, ni libérateur des opprimés. Avec eux il s'engage'
ligSnaires parce que, à partir de leur fausse vision de pour lutter avec eux.
l.histoire, ils développent I'un et l,autre des formes d,ac_ ' Si tt sectarisation, colnme nous I'avons dit, est le propre
tron qui nient la liberté. Le fait que I'un conçoive le
présent comme devant être << bien ôrdonné > ei l,autre ex-député, dans une corersation avec
-4.-ltr"""io Moreira alves,
I,e futur cornme prédéterminé ne signifie pas qu,ils restent l'auteur.
des spectateurs aux bras croisés, le premier espérant le 5. < Tant lâ
du
par
3, L'Education : piatique de Ia lîbefié, op. cit. 1964, p. 1

16 T7
 du. r6uctionnaire, la radicalisation est le propre du révo-
Iutionnaire. C'est pourquoi la pédagogie dès-ôpprimés, qui 1. Justification de la " Pédagogie
supposc un engagement radical, et même la
pages qui suivent
lecture des des opprimés u
à cette peaagogie _ ;à
- introduction
peuvent être entreprises par des esprits seciaires.
expr.irner ici nos',"*Ài"i"r""nts à Elza,
^..1{9u:-9érkons
qul a etê notre première lectrice, pour sa compréhension
et les encouragements constants I tlegard ae notre
travait,
qui est aussi le sien. Nous remercions- égal"À"ot torr,
qui..ont lu les originaux de--cet ""rr* D'emblée nous reconnaissons I'ampleur de la matière que
qu'ils ont faites, sans que celles-ci-e.sui,"fà"r-f", "iitià"", nous nous proposons d étudier dans cet essai où nous
o,"ntj""ot ou ne dimi_ voulons appiofôndir certains thèmes présentés dans notre
nuent notre responsabilité sur ce qui est écrit dans
ce tiviÀ. précédentïïvrage : L'Education : pratique de Ia libertét
qo" noot considérons cofitme une sim,ple introduction, une
approche du zujet auquel nous attachons une importance
capitale.
tJne fois encore, les hommes, mis au défi par le carac-
tère tragique de l'époque actuelle, se prennent eux-mêmes
.ô**" iûet d'étudle. Ïs découvrent qu'ils savent peu de
-eux-mêmes,
chose sur sur leur << place dans le cosmos >,
ei ls aÀirent en savoir davantage. D'ailleurs, le fait même
de reconnaître leur ignorance sur leur propre compte est
llune des raisons de éette recherche' Ayant fait la décou-
verte presque tragique de leur ignorancen ils deviennent
à résoudre. Ils posent des.questions'
Ils reponderit, et leurs réponses les conduisent à de nou-
",r*-*ê*"t^problèmé
velles interrogations.
Le problèrie de l'épanouissement de I'homme, de son
humanlsation, qui d'aiileurs a toujours ét9, d'un point de
vue philosophilue, un sujet de recher*e, est devenu
aujoùd'hui une préoccupation lancinante2.. -.
bonstater cetti préoccupation implique indiscutablement
que l'on considèie la déshumanisation non seulement
1. Editions du Cerf, Paris, 1971.
â: #"'-^;'.î;";"-":tï'al-iîitô.fation, surtout ceux. des- jeunes à
ï,1,#f,{:F:rr*r"{.tÉ:n":'Jf î'?î';à""JIÉ3&""T1"*f i#ri:::
Ë$ù ^ËËtË-i"t"""os"tion le
sur l'Éomme et surmonde'
et avec le
les hommes'
sur ce
;";#' eii*"ï- âans monde
en quéstion de
âtîË'".;;Ê? àôilË""t iri ii"frù. --à"é"
"i""oT
'ài"iËËàtl"ï--a"
À"u"-terg
-i""imis-e.
iJ ô".oilàïiiiil, dénonciation . .dcs
irîr"''#"'itÏi'iittt îsu-ite, a-'"rô pâit' ta disparition de la- rigidité
ËË' iàiitÏàrË î.rï.iËti-ete"à' -1".i"à'àritre part^, des uni-
.
proposifion'de -l'insertion
trânsformation de
tË-""ità" âà"i I^e réel, -
i""' !àtittË-Jri"-îeËil "ou" q"" le 3 uiivers-ité s .puissent se
-r^âi"î-a"i "n" rénover'
àî.Ë-iô - rôii 'airciettes et des iïstitgtions établies'
â;-" ri enort- pour que iés Îo-tnes deviennent des êtres de
décision. tous ces mouvemiots de contestâtion reflètent I'orien-
i":tÏTti"Ëi"" âitÈrôpo-Wque qrf anthropocentrique de notre époque'
l8 19
 :or-n1n: une possibilité ontologique, mais comme une réa_
lité histolque. C'est aussi, ei ieut_être surtout, a partir lemoins.êtremènetôtoutardlesopprimés.àluttercontre
de cette douloureuse constatatioï que les-hommes s,inter_ f"t a d.iminués. Et cette lutte n'a de sens que
leur
"-"f"i-oîi
;iG ô;;ilés, dans leur désir de récupérer huma-
loggnt yr une autre possibilité, cellè de leur humanisation. oit3,-"à-à"i eri ,rtte manière de la créer' nedes se sentent
.(rette alternatrve apparaît au moment où, percevant leur fait oppresseurs oppres-
rncompletude, les hommes sont entraînés dans un mouve_ i'*'"ilJâ""iennent pas en de I'humàrrité dans les deux
I"ù.. m"it restauratéurs
ffi;lt ^îîla-Ë-lâ"oe tâche humaniste
ment pemanent de recherche. L'humanisation et la déshu-
manisation, au sein de I'histoire, dans un contexte réel,
et historique des
àrorlàet : se lib-érer erx-mêmes et libérer leurs oppres-
concret, objectif, sont des possibilités qui se présenteni exercent la vio-
aux hommes en tant qu,êtrè inachevés'et conicients dé ;"1#î'ë; q"i-.ppii-"nt, exploitent.et pouvoir
leur inachèvement. lence ne peuvent trouver âans I'exercice de leur
Mais si ces deux voies sont possibles, seule la première i. î"t* aË libérer les opprimés et de se libérer eux-mêmes'
nous paraît être ce que nouJ appelons la vocition de S;ii;p;;;it h
q"i o"it'ae faiblesse des-opprimés sera
I'homme. Vocation niéè, mais égalèment afàrrnee du fait ,.rmtâài"""t fort pour libérer les deux' C'est pour cela
pêq . d". cette négation. Vocat'ion niée dans l,injustice, .""1" oo*oir des^oppresseurs, quand il cherche à s'adou-
presque tou-
Iexploitation, l'oppression, la violence aès oppresseurs. Ëi-a"ririr" Taiblessê des opprimés, s'exprime
Mars afiirmée dans la soif de liberté, de justice, dans la i"-r-.- tu"sse générosité, Ë iamais ne dépasse ce stade'
lutte-des opprimés pour la récupératiôn Oeleur humanité '"î"t "îôp-totà*i faussement généreux. sont obligés de per.-
spoliée. *"ttt" i'inlustice po* à"è lerirsocial< ggnfrosité > continue à
À"oitêtt"t. Ùordre injuste est la source
La déshumanisation qui se constate, non seulement chez il;;t- tË
cette < générosité^> qui se nourit de mort'
ceux qui sont dépouillés de leur humanité, mais aussi,
-
;;;;;;4" de et de misère 3'
quorque de façon difiérente, chez ceux q"i Ë" privent les àe découragement
--D;t h ;oicre ae cette << générosité > devant tout ce
^au
autres, est une déviation de la vocation -u.
<< p"r_Ctr"
Cette déviation est une possibilité historiqué, màis ce n,est oui menace un tant soit peu l;ordre injuste- qui I'engendre'
pas une vocation historique. En réalité, sf nous admettions ïîi d;;tiur"-q"L "àtt.i < générosité > puisse comprendre
que la déshumanisation èst h vocation des hommes, ;;;il-;il; ecnèrositc à lutter pour que dispa-
nous
n'aurions pfys qu'à adopter une attitude cynique ou à nous H'i'.Ëi, i"î;;;;-e; r.-*i "oot=itte
fatsifié, de la rausse charité

|iyrer_ ag désespoir. La lutte pour I'nunianiiatio; ;;-i; ;ï"i"î ;;Ë1; À"i" a" << laissé-pour--cgqlpte > craintif
vaincu' . Mains tendues et
liberté du travail, par la désaliènation,
lài ltmnnation de â^.;;; pÀiè"tiot, meurtriduetmonde' des << damnés de la
l-nomme comme personne, conrme < être en soi >, n,aurait ii"àur"oï"t o"* *itctuui"t
qqs. de signitcation. La lutte est possible parce que la Ë;; i; "iui" ge"c-sité consiste à lutter pour que de
ou de
déshumanisation, bien qu'elle se ,oit proCoii" aans f,nis- ;;;t ;;"ins lei mains' un geste ded'hommes
qu'elles soient
de
toire, n'est.pas une lataïtté, mais le resuttai â"" u ordre > ;;;;ît.-; se tenceni--àans
-a"t-tt"*tles supplication'.
devânt les puissants' Alors
rnJuste
_qur engendre la violence des oppresseurs d,où
ïJ-Sriiiruïti."
résulte le moins-être. llJir""a" oiù,:"" pr*îàâuteuses les mains humaines qui
;;;11Èàii? monde' cet enseignement
iiàittormeront le

Ll coNrnetrcrroN oppRnsseuns/oppnuvrÉs. SoN oÉpes_

--g. . Pu,,t-etre donnel

SEMENT
tq"hs{#îË*q'.:,:*-i**'.+i,i:rtl
La violence des oppresseurs qui les rend eux aussi r";*:lx":uJ:le*iaæ3iFJr*ï*ïÏ*:".""'f .:ï:îB#àqt-"':l
--
morns humalns, ne cré9 pas une autre vocation, celle
du
n"l%""f,ui"-"n,#,",ii"$;ffi
moins-être. Comme dévia-tion de ta vocation
au plus_être, Ë.îi','"ël;*3,"i"i3t"nir: "l1i{""j,:,,#"î,;*iffirî*+
20 2l
 et cet apprentissage dolvent prendre naissance, cependant, iours dans les premiers moments de cette découverte' les
chez les < damnés de la terie
rables du monde et ceux qui sont", r"r-àppri*ér, i;. -*iJj dans la lutte
1'"'îii-â*";-h-i A; chercher la libérationoppresseurs
à ou
"ruimèni
pour le rétabtissement
solidaires avec ;-Tar elle, tendent devenA eux-mêmes
se trouve condi-
15;^El_,lTlranr
qu'us
dÀ teur humanité,
sorent hommes ou peuples, ils s'emploieront à res-
;"fip;;;J;.-l; structure mentale
dans la situation
taurer la véritable générosité.- ii"t"éË-p* la contradictiona vécue
dans laquelle ils.ont été << formés >'
Qui, mieux que les opprimés, se trouvera preparé à L-Ji-iàtJ est vraimànt d'êtrelades
"îil"tèi",-oistentielle, hoqmgs' mais cela
signification terible d,une sociéié .in"n"-oo* eux, à cause de contradiction quils ont
::TBr"igj" -la
srveT eur ressentira ôp;""
mieux qu'eux les effets de'i,op_ ne leur apparai!
;;iî;;.';;;;-Licont le dépassement
p.ressign ? Qui, mieux qu'eux, pào.ru
sité d'une libération f a cettË mei"ti"",-ï,
"o*pr*ar"
h nécJs- lii""iité*""r, âtt" opptesteirt' c'est cela leur seul
n,aboutiront iooOete d'humanité.
Cela vient, colnme nous fanalyserols €n détail
?a.s
p_ar hasard, mais par la praxis de
léur enort; ;;-i; plus
fait de savoir et Ce èompreiOre quI est nécessaire de roÀ, â" l"ii'qu'à un certain moment de leur expérience
lutter pour elle. Cette lutfe, par ta^ finalité que lui attri àdopteot une attitude que nous lPPelons
i"*-'"oprimet
buent les opprimés, sera_un àcrc d'amour q,ii ,,opporài"
au non-amour contenu dans la violence dei oppresseurs, Ï'". "JffiË;;"-r-â-ltpp.esseur' Dans considérer
ces .conditions' ils
objecti-
iàitî"i-pG a te olitingugr, à .!e
celle-ci preno raplrarèncê-â"-r" rJ"ï" à ie découvrir en dehors d'eux-memes'
T9ry,1ylod
rosrte dont nous avons déjà parlé. ïerè: 'lrt;--;fft*;nt cela, ooo. o" voulons pas dae qu9 19s
vement,
Notre but, dans cet ouvrage, est seulement de présenter -èoÀprendre qu'ili sont opprimés'
quelques.aspects de ce. que nous appelon, ooorimés ne peuvent
lu p?à;;;;i; ii;-;;;;;saice d'eux-mêires comme opprimés se trouve
: celle qui <ioir êrre Ctiiiræ-"ve i", à!pîi_ ."-r*Ou"t paralysée d; fait de leur << immersion > dans
l"^r^rlptï9-r
mes et non pour eux, qu'il s,agisse d,hommes à ce niveau'
i""âïé ;;p;&i;". se << pas encore>'lutter
-
- où de reconnaître
peuples, dans leur lutte cbntinu"i" po"i i"couvrer leur des autres ne signite pour le
différents
humanité. Pédagogie qui fair ae f,oipi"rriàn et de
ses a""t.*"."""t de la contra&ction' Il en résulte cette aber-
causes un objet de réflexion des oppiirnes d,où
résdtÀia ;;Ë;,; JÀ-por"t de la contradiction recherche non
necessafement leur engagement dans une lutte pour
leur i.'"îuét"tl*, muit Ïiâentification avec le pôte opposé'
libération, à travers laquéfle cette pédagogie s,exercera 1'<< homme nouveau
Dans ce cas' pour les opprimés,
)>
et
se renouvellera.
I'homme qui naft-du dépassement de la contra-
grande - -de I'ancienne situation
I.a
qui .question est de savoir comment les opprimés, "'"Jpo"
âi"liol, Ou"t la trànsformation
<< accueillent > en à une situation
eux . f'oppr"rrî*,* êtres doubles, ;;;;H" aoppièt.io" lui cede la.place nouveau' cest
TSllh:qtiqy"s, pourront gqttcipi:i a-iaàdotion de la il;"ï; JqÏbération' ïoot eux, fËomme
peo€gogle de lew propre libération. â;;;'ilt d";Édt.tt-à se faisant les oppresseur-s-9es
C'est seulement dans la mesure où ils découvrent quîs I'homme nouveau est une v$ron
ont << accueilli > en eux I'oppresseur qu,il, pàurront ;tt*.'ieur vision de -"dnétioo
à l'oppresseur ne leur
contri_ inOiviOuaUste; leur
9g"I à la naissance de reùi trop; ï.Are'.!i" ïbératrice. îonn; p^- t possiuilite de prendre conscience d'eux-
Mais^ cela est impossible tant'qu;ils u'i"eoi d'une classe
a'"ns la pensée
que être, c'est ressembler à I'oùre.r.u..-i"-ffi"g"gT"îË, mêmes comme p"rrooo"t ni cornme membres
opprimés, e{ ne peur être eÈ'torCe onl11ff";u"rament-ils pour
est un des instruments d'une f"r-ï"i oppr"rr"*r,
-critiï*, -;A; la réforme agraire,. non .s€
aecoui.erte libérer, mais pour pot*CO"t la terrJ et devenir prgprf-
des opprimés.- qui doivent comprendr" patrons de nouveaux employés'
oppr€sseurs, ils sont eux aussi â*l comme les âieJ.il; ;ht'ptc"ite*é"i'
proiè i tu aerno-
manisation. "n
.Il.J ? gependant dans_ cette découverte un élément qui -4Jnnot"rr" emploie dans ce li'ne le terme- ( contradictlon
-dÀÀ '
est lié à la pédagogie libératrice. CtJ q"",-presque ooî""Ëe-ri-À""--ti"" "-it"qti"t laquerte des forces sociales
tou_ Ëo"f uo o"pPosition. (N. d. T')
23
 Il
n'est pas rare de.voir des paysans qui, lorsqu,ils
sont laissé par cette expulsion, avec un autre << contenu >>, celui
<<promus >> chefs d'équipe, deviénnent'"o"or" de leur autonomie. Celui de leur responsabilité sans laquelle
envers leurs anciens
plus durs
ils ne seraient pas libres. Car la liberté est une conquête,
e, pà*i"ii ffi;J"ïi3fiiT: q;: i:"ll,5i,lii
situation d'oppression 0"", fâqujË*itï-iTvaient ïfrî non une donation, et elle exige un effort permanent. Et
cet effort permanent ne se réalise que dans l'acte respon-
été transformée. Alors t" oô,iu"uu JËet"a,equipen,a -pâ;
pas
sable posé par celui qui I'entreprend. Personne n'a la liberté
assurer sa place, doit-faire.preuv-e
de pio, o"-a,i.Ée-à* d'être libre; on lutte au contraire parce qu'on ne la possède
111 moltlair le patron. Une tetie coiri"t"tioo confirme pas. La liberté n'est pas non plus un objet idéal, extérieur
notre opinion,
à savoil.que, dans d;-;;ï; à I'homme, ni une source d'aliénation. Ce n'est pas une
les opprimés n,onr queroi,p;d;; "i."ooitu-o."r, idée qui se fait mythe. C'est une condition indispensable
manité >>. "i'màiîooere d,<< hu_ de la lutte dans laquelle se trouvent entraînés les hommes
Même les révolutions qui remplacent une en tant qu'êtres inachevés.
concrète d'oppression situation
par une autre dans laquelle s,amorce Ainsi s'impose la nécessité de dépasser la situation d'op-
un processus de libération doivent affrontéicette pression. Cela implique une compréhension critique de la
tation de la conscience opprimée. Norntr" manifes_
directemenr ou indirecremàt, ont a,opprimés qui, situation pour que, par une action transformatrice exercée
infl-uencés ;;i;;Ë i ta révolution, sur elle, puisse s'instaurer une nouvelle situation qui per-
.pul l"t myth_es anciens a" î itru"tu.e anté-
neure, veulent mette cette conquête du plus-être.
faire de la _révolution leur ieuof"tio"Ëi_ Or, dès que commence la vraie lutte pour instaurer la
sonnelle. Il reste en eux, O'"o"
de llancien oppresseur .ioi l,ombre situation nouvelle qui doit naître du dépassement de
""rtuio"îuoièr",
â- âË leur modèle l'ancienne, on est déjà en train de lutter pour un plus-
d'<< humanité->. "o"tio"" être. Si la situation d'oppression engendre un univers
La < peur de la liberté r qui s.empare des inhumain et déshumanisant qui atteint à la fois ceux qui
cette peur de opprimés,
la liberté qui.,r tanidi;;iï;; conduire à se oppriment et ceux qui sont opprimés, nous avons déjà
oppresseuis, tantôt
I"*_",_"t"gT"nt f"ut f"r"*uintenir rivés
u statut > db_pprimés, est unïutre
vu que ce n'est pas aux premiers, devenus inhumains par
?_r^lyr
egalement notre réflexon.
aspect qui mérite le seul fait d'opprimer, mais aux seconds, à partir de
Un des éléments essentiels dans la relation leur moins-être, qu'il reviendra d'entamer la quête d'un
oppresseurs/ plus-être pour tous.
est ta prescriptio". i;i; plîrËiôtio"
:Jt:g:r
Imposrtron à une conscience du choix esr une Mais les opprimés, accommodés et adaptés, << immer-
conscience. D,où
fait iu, ,ro" uotr" gés >> dans la logique spécifique de la structure dominante,
la s;gnificatiôn ;È;;.æ"*à-ooî
d"es ordres qui craignent la liberté tant qu'ils ne se sentent pas capables
transforment la conscienc"- ,e.lpt
i"", de courir le risque de I'assumer. Ils la craignent aussi dans
dit qu'elle << accueille en.etle , Ë--;;;r"iJ;; oous uuoo,
Aussi,.le comporrement des dp;ir,É;"Ëi;:i"i,o opprimante. la mesure où lutter pour elle signifle une menace, non
ment imposé : il suit O.* -qoi seulement à l'égard de ceux qui s'en servent pour oppri-
celles des oppresseurs. "or*-",
Ë;ont étrangères,
"ornport"_ mer comme s'ils étaient << propriétaires >> exclusifs de la
qui projertent en eux l, << ombre >> des liberté, mais même à l'égard des compagnons opprimés
^J::^ 9!ntt*és, qui redoutent une aggravation de la répression.
oppresseurs et suivent, leurs normes, craignent la liberté
dans la mesure où celle_cr, supposant Quand ils découvrent en eux le désir de se libérer, ils
l,expulsion de cette
ombre, exigerair d'eux qu'is il-r"iri,ii*àiiiT'r" perçoivent que ce désir ne peut devenir réalité que s'il
u vide >> est partagé avec d'autres.
Tant qu'ils sont paralysés par la peur de la liberté, ils
tfi"*oTl9 peut aussi se rencontrer chez refusent d'appeler les autres à I'aide et d'écouter l'appel
les qu'on leur adresse ou qu'ils se sont adressé à eux-mêmes,
"uî'r-"r:t"ti"g".]f,"f":
préférant la grégarisation à la solidarité authentique; pré-
fiEi3g:Tlli":::t's"ir"iTiii:ri"iiîIsiËr,i.l:tit"rï férant l'adaptation à laquelle leur non-liberté les réduit,
24 25
plutôt que la communion créatrice qu'apporte ta liberté,
même quand on est à sa recherche.
Ils souffrent d'une dualité qui s'installe dans l'<< inté-
riorité > de leur être. Ils découvrent que, n'étant pas
libres, ils ne peuvent pas être d'une manière authentique.
Ils veulent être, mais ils ont peur d'être. Ils sont eux-
mêmes et en même temps ils sont I'autre, projeté en erD(
comme conscience opprimante. Leur lutte devient un
dilemme entre être eux-mêmes ou être divisés; entre expul-
ser ou accueillir I'oppresseur à l'<< intérieur >> d'eux-mêmes;
entre se désaliéner ou rester aliénés; entre suivre les ordres
ou faire des choix; entre être spectateurs ou acteurs;
entre agir ou avoir I'illusion d'agir dans le contexte d'op-
pression; entre parler ou se taire, castrés dans leur pouvoir
de créer et de re-créer, dans leur pouvoir de transformer
le monde.
VoiIà le tragique dilemme des opprimés. Une pédagogie
qui s'adresse à eux doit I'affronter. C'est pour cela que la
libération est un enfantement, un enfantement douloureux.
L'homme qui en est le fruit est un homme nouveau qui
ne peut vivre que dans et par le dépassement de la contra-
diction oppresseurs/opprimés, dans l'humanisation de cha-
cun d'eux. Le dépassement de la contradiction est un
enfantement qui donne au monde cet homme nouveau,
libéré de I'oppresseur.
Mais ce dépassement ne peut se faire uniquement sur le
plan abstrait. Il est certes indispensable que les opprimés,
dans leur lutte de libération, ne considèrent plus la situa-
tion d'oppression comme une espèce de << monde fermé >
celui où est née leur peur de la liberté dont ils ne
-peuvent sortir, mais cornme une situation qui- ne fait que
les limiter et qu'ils peuvent transformer. Mais il est essen-
tiel qu'en comprenant la limitation que I'oppression leur
impose ils fassent de cette compréhension le moteur de
leur action libératrice.
CeIa veut dire que se reconnaître limités par la situation
concrète d'oppression dont le faux sujet, le faux << être en
soi >, est I'oppresseur ne signifie pas encore être libérés.
Au contraire de I'oppresseur qui trouve en eux sa vérité,
cornme le dit Hegel 6, les opprimés ne dépassent la contra-
diction dans laquelle ils se trouvent que lorsque la
6. < The truth of the lndependant consclougness ls (accordln-
gly) the consciousness of the bondsman. n
26
conscience de leur état les engage dans la lutte pour se
libérer.
Il ne suffit pas qu'ils se sachent en relation dialectique
avec I'oppresseur leur antagoniste en découvrant
par exemple que-sans eux I'oppresseur -, n'existerait pas
(Hegel), pour être de ce fait libérés. Il est nécessaire,
répétons-le, qu'ils se lancent dans la praxis libératrice.
On peut dire la même. chose de I'oppresseur pris indivi-
duellement, comme personne. Se reconnaître en position
d'oppresseur, même si I'on souffre de cette situation, n'est
pas se solidariser avec les opprimés. Etre solidaire, ce n'est
pas seulement prêter assistance à trente ou à cent d'entre
eux, tout en les maintenant rivés à la situation de dépen-
dance. Etre solidaire, ce n'est pas prendre conscience que
I'on exploite et analyser sa faute d'une manière paterna-
liste. La solidarité, exigeant que I'on << assume > la situa-
tion de ceux avec lesquels on se solidarise, est une attitude
radicale.
Si ce qui caractérise I'opprimé comme << conscience
esclave )> par rapport à la conscience du seigneur est de
devenir une << quasi-chose > et de se transformer, comme
l'ajoute Hegel 7, en << conscience pour un autre >, la véri-
table solidarité consisteà lutter avec les opprimés pour
la transformation de la rênlitê objective qui fait d'eux des
< êtres vivant pour un autre >.
L'oppresseur ne devient solidaire des opprimés que
lorsque son attitude cesse d'être sentimentale et mièvre,
de caractère individuel, et se transforne en un acte
d'amour envers eux. Quand les opprimés ne sont plus
pour lui une entité abstraite, mais deviennent des hommes
réels, spoliés et privés de justice. Lésés dans leurs moyens
d'expression et donc dans le travail qu'oo leur achète, et
par lequel leur personne se trouve vendue. C'est seulement
dans la plénitude d'un acte aimant, dans son insertion
existentielle, dans sa praxis, que s'établit la véritable soli-
darité. Dire que les hommes sont des personnes et comme
telles sont libres, mais ne rien faire concrètement pour
que cette affirmation devienne une réalité objective, c'est
une plaisanterie.
7. A propos de la conscience du seigneur et d.e celle de I'es-
clave, fiegel note ceci : < L'une est indépendante et sa nature
profoîde "est d'exister Dorir elle-même ; l-'autre est dépendante
èt, par essence, elle edt Vie ou existence pour un autre. La
pieôière est ceile du maltre, du seigueur; la seconde est celle
de l'esclave. r
27
 De même que la contradiction oppresseurs/opprimés
apparaît dans une situation concrète, celle de I'oppression,
de même le dépassement de cette contradiction doit néces-
sairement se réaliser d'une manière objective.
C'est pourquoi une exigence radicale s'impose autant à
I'oppresseur qui se découvre oppresseur qu'aux opprimés
qui, percevant la contradiction qu'ils constituent, découvrent
le monde de I'oppression et les mythes qui le nourrissent :
exigence radicale de transformer la situation concrète qui
engendre l'oppression.
Il est bien entendu que lorsque nous parlons, non seu-
lement ici, mais tout au long de ces pages, de cette exi-
gence radicale celle de la transformation objective de
-
la situation d'oppression lorsque nous dénonçons un
-,
immobilisme subjectif qui transforme la prise de conscience
de l'oppression en une espèce d'attente patiente qu'un jour
I'oppression disparaisse d'elle-même, nous ne nions pas
pour autant le rôle de la subjectivité dans la lutte pour
la modification des structures.
On ne peut penser objectivité sans subjectivité. L'une
n'existe pas sans l'autre, elles ne peuvent pas être séparées.
L'objectivité séparée de la subjectivité, la négation de
celle-ci dans fanalyse de la réalité ou dans I'action sw
la réahtê est objectivisme- De la même manière, la nêga-
tion de l'objectivité dans I'analyse comme dans I'action
conduit au subjectivisme qui se prolonge en attitudes solip-
sistes, niant I'action elle-même en niant 7a rêalité objective,
faisant de celle-ci une création de la conscience. L'objec-
tivisme et le subjectivisme, ou psychologisme, doivent
laisser la place à la subjectivité et à I'objectivité en rela-
tion dialectique permanente.
Confondre subjectivité avec subjectivisme ou psycholo-
gisme, et nier I'importance que la première doit avot dans
le processus de transformation du monde et de I'histoire,
c'est tomber dans un simpûsme ingénu. C'est admettre
I'impossible, un monde sans hommes, et cela équivaut à
I'autre naïveté, celle du subjectivisme pour lequel il existe
des hommes sans monde. Les deux pôles ne s'excluent
pas mutuellement, mais ils coexistent dans une permanente
intégration.
Ni chez Marx ni chez aucun penseur critique réaliste,
jamais on ne rencontre cette dichotomie. Ce que Marx
a critiqué et scientiûquement détruit n est pas la subjec-
tivité, mais le subjectivisme, le psychologisme.
28
La situation sociale objective, qui n'existe pas par hasard,
mais comme produit de I'action des hommes, ne se trans-
forme pas nôn plus par hasard' Si les hommes sont à
I'originé de cette réalité et si celle-ci, dans une << inversion
de lâ praxis >, se retourne contre eux et les asservit,
transformer la réalité est une tâche historique, c'est la
tâche des hommes.
En devenant oppressive, la rêalitê implique I'existence de
ceux qui opprimènt et de ceux qui sont opprimés. Ceux-ci,
à qui-il révient réellement de lutter pour lgur libération
en union avec celx qui sont vraiment solidaires avec eux,
ont besoin d'acquérif une conscience critique de I'oppres-
sion, dans la praxis de cette lutte.
C;est un dés problèmes les plus graves qui affectent
l'ceuvre de libératlon. En effet, la rêalitê oppressive, consti-
tuant pour ainsi dire un mécanisme d'absorption de cerx
qui la-subissent, fonctionne comme unç force d'immersion
des consciences 8.
Dans ce sens, cette réalité exerce une fonction de domes-
tication. Se libérer de son pouvoir exige, sans nul doute,
que l'on en sorte, que I'on se retourne sur elle. C'est donc
sèrilement à traveri une praxis authentique, sans << bla-
bla-bla >, sans activisme, mais dans l'action et la réflexion
qu'on
- peut y parvenir.
L'op-pressi-on s'aggrave encore quand on lui ajoute la
conscidnce de I'oppiession, comme le dit Marx e, et cela
correspond à la ieiation dialectique subjectivité-obj-ectivitq.
C'est s-eulement dans la combinaison de ces deux éléments,
lorsque le subjectif constitue avec I'objectif une unité dia-
lectique, que la praxis authentique devient possible.
LJ praxis cependant est réflexion et action des hommes
sur le monde pôur le transformer. Sans elle, le dépassement
de la contradiètion oppresseurs/opprimés est impossible. Et
ce dépassement exige I'insertion critique des opprimés dans
la situation d'oppression atn que, en objectivant cette situa-
8. ( L'actioD libératrice suppose un moment prolongatioT.
ûécessairement
et
iï-iotot-taiie, et sè iiesente comme--la.
I'insertion Aonti.nue de ce moment pas cette
"oii"i"oî dans ù'histotre. ù'actron
dimension avec
â"-iiàiiice.- âu contraire, ne suppose
ii -eÀô-ïê"ôJ"ité puisqrie Ie piôpre f-onctionnement Técanique
-autoconservateur et donq per-
èT i"ào"i"ièil de sâ stritcture êst
nètue Ia domination. r (José Luis Fiori.)
'"à]'rvrii"-àt n"Ceii, r,a'sagrada Familia' g otros Escritos, Gri-
faldo Fditor S.4., Mexico, 19ô2, P. 6.
29
tion, ils agissent en même temps sur elle. Ici, I'insertion
critique et faction se rejoignent.
C'est pourquoi la simple compréhension d'une situation
qui ne conduit pas à cette insertion critique déjà
action - de la
ne peut aboutir à aucune transformation
réalité -objective, parce qu'il ne s'agit pas d'une véritable
compréhension.
C'est le cas d'une compréhension > de caractère pure-
<<
ment subjectif lorsque, fuyant la rêalitê objective, on crée
une réalité fausse. On transforme une réalité concrète en
une réalité imaginaire.
Cest ce qui arrive également quand la modification de
la rêalitê objective blesse les intérêts individuels ou de
classe de celui qui prend conscience.
Dans le premier cas, il n'y a pas d'insertion critique
dans la réalité parce que celle-ci a été faussée; dans le
second, pas davantage parce que l'insertion viendrait à
l'encontre des intérêts de celui qui prend conscience.
La tendance de celui-ci est alors de se comporter en
<< névrosé >. Le fait concret existe, mais, soit de lui-même,
soit par ses conséquences, il peut être néfaste. Aussi est-il
nécessaire, par un véritable processus de << rationalisation >,
non pas de le nier à proprement parler, mais de le voir
dbne manière différente. La < rationalisation >, comme
mécanisme de défense, finit toujours par s'identifier avec
le subjectivisme. En ne niant pas le fait, mais en gau-
chissant sa vérité, la << rationalisation > lui enlève ses
bases objectives. Le fait perd son existence concrète et
devient un mythe créé pour la défense de la classe de celui
qui prend conscience. Sa découverte devient alors illusion.
De cette manière, répétons-le, l' << insertion critique > est
impossible, elle qui ne peut exister que dans le jeu dialec-
tique objectivité-subjectivité.
Voilà une des raisons des barrières et des difficultés
comme nous le verrons dans le dernier chapitre de cet
-essai que rencontrent les masses populaires pour
-
< s'insérer > de manière critique dans la Éalité. Car
l'oppresseur sait très bien que cette << insertion critique >>
des masses opprimées dans la situation d'oppression ne
peut en rien l'intéresser. Ce qui I'intéresse au contraire
est leur maintien dans l'état d' << immersion >> où gênêra-
lement elles se trouvent, sans force devant la rênfitê oppres-
sive, < situation limite > qui leur parait impossible à
changer.
30
Il est intéressant de noter le conseil que donne Lukacs
au parti révolutionnaire 10 : << [...] il doit, pour employer
les mots de Marx, expliquer aux masses leur propre action
non seulement afin d'assurer la continuité des expériences
révolutionnaires du prolétariat, mais aussi pour activer
consciemment le développement ultérieur de ces expé'
riences >>.
En affirmant cette nécessité, Lukacs soulève sans conteste
le problème de l' << insertion critique > auquel nous faisions
allusion.
<< Expliquer aux masses leur propre action >, c'est éclai-
rer et préciser I'action, d'une part, dans sa relation avec
les données objectives qui lui donnent naissance et, d'autre
part, en ce qui concerne les finalités de cette action.
Plus les masses populaires découvrent la réalité objec-
tive, qui les met au défi et sur laquelle doit s'exercer
leur action transformatrice, plus elles << s'insèrent >> en elle
d'une manière critique. Alors, elles contribuent à accé-
lérer < consciemment le développement ultérieur de ces
expériences >>.
En effet, il
n'y aurait pas d'action humaine possible sans
une réalité objective, un monde qui soit un non-moi de
I'homme, capable de le mettre au défi; il n'y aurait pas
non plus d'action humaine si I'homme n'était pas un < pro-
jet >, un au-delà de lui-même, capable d'appréhender sa
situation, de la connaître pour la transformer.
D'un point de vue dialectique, action et monde, monde
et action, sont intimement solidaires. Mais l'action n'est
humaine que lorsque, plus qu'un simple faire, elle est une
tâche, c'est-à-dire lorsqu'elle ne se sépare plus de la
réflexion. Cette réflexion, nécessaire à I'action, est impli-
cite lorsque Lukacs déclare qu'il faut expliquer aux masses
leur propre actioq elle est également implicite dans la
ûnalité qu'il donne à cette réflexion : accélérer < le déve-
loppement ultérieur de ces expériences >.
Pour nous, cependant, le problème n'est pas à propre-
ment parler d'expliquer aux masses, mais d'entrer en
dialogue avec elles au zujet de leur action. De toute
manière, le devoir qu'impose Lukacs au parti révolution-
naire d'<< expliquer aux masses leur action > coincide avec
la nécessité que nous soulignons de I'insertion critique des
10. G, LuxÂcs, Lénine, Eltudes et documentatlon internatio-
nales, Paris, 1965, p. 62.
3l
 être changée lorsque I'on détient le pouvoir, et les travaurc
masses dans la rêalitê, grâce à la praxis, car aucune réalité êducatifs, qui doivent être élaborés avec les opprimés.
11.
ne peut se transformer elle-même
Là pédagogie des opprimés, qui au fond est la péda- La pédagogie des opprimés, comme pédagogie huma-
gogie àes hommes engagés dans la lutte pour leur libéra- niste et libératrice, comprendra deux moments bien dis-
tincts. Le premier quand les opprimés découvrent le monde
tion, trouve ici ses racines, Et il est normal qu'elle recrute
de I'oppression et qu'ils s'engagent dans la praxis pour sa
ses adeptes chez les opprimés eux-mêmes qui se savent ou
transformation; le second quand, la rêalité oppressive étant
commencent de façon critique à se savoir opprimés'
transformée, cette pédagogie n'est plus celle des opprimés,
Aucune pédagogie vraiment libératrice ne peut rester à
distance des opprimés, c'est-à-dire les considérer comme des
mais celle des hommes en marche permanente vers la
libération.
malheureux, passibles d'un << traitement > humanitaire, et
proposer, à partir d'exemples choisis chez les oppresseurs'
Au cours de ces deux phases, la pédagogie sera toujours
des modèles pour leur << promotion >. Les opprimés doivent
une action en profondeur, qui s'opposera culturellement
être leur propre modèle dans la lutte pour leur rédemption.
à la culture de domination 12. Au début, grâce au chan-
gement de la perception du monde oppresseur par les
La pédàgogie de I'opprimé qui cherche à restaurer I'inter-
opprimés; ensuite, par le rejet des mythes créés et déve-
subjeCtivité se présente comme une pédagogie de l'homme'
loppés dans la structure oppressive et qui se perpétuent
Elle seule, animée d'une générosité authentique, humaniste comme des spectres mythiques dans la nouvelle structure
et non << humanitaire >), peut atteindre cet objectif. Au
lapédagogie qui part des intérêts égoÏstes des surgie de la transformation révolutionnaire.
contraire,
oppresseurs' égoisme déeuisé en fausse générosité, et fait Dans le premier moment, celui qui fait l'obiet de ce
premier chapitre, nous sommes en face du problème de
déi opprimés I'objet de son humanitarisme, maintient et la conscience opprimée et de la conscience opprimante,
incarne I'oppression proprement dite' C'est un instrument
des hommes oppresseurs et des hommes opprimés, dans
de déshumanisation. une situation concrète d'oppression. En face du problème
C'est la raison pour laquelle, répétons-le, cette pédagogie
des opprimés ne peut être élaborée ni mise en pratique par
de leur comportement, de leur vision du monde, de leur
éthique. En face de la dualité des opprimés. Car nous
les oppresseurs. Il serait impensable que d99 oppresseurs devons les considérer comme des êtres doubles, contra'
encouràgent et, a fortiori, pratiquent une éducation libé-
ratrice. dictoires, divisés. La situation d'oppression dans laquelle
Mais si I'exercice d'une telle éducation suppose un pou-
ils se << forment >>, dans laquelle ils << réalisent > leur
existence, les installe dans cette dualité qui les empêche
voir politique, et si les opprimés n'en disposent pas' com- d'accéder au << plus-être >>. Et il suffit qu'on interdise aut(
ment alorJ réaliser la pédagogie des opprimés avant la
hommes I'accès au plus-être pour que la situation objective
révolution ? C'est 1à, sans aucun doute, une question de la
plus grande importance, dont on trouvera un essai de dans laquelle une telle interdiction s'applique soit en fait
réponse dans le dernier chapitre de cet ouvrage.
une situation de violence. Violence incontestable (peu
importe que bien souvent elle soit adoucie par la fausse
Sans vouloir anticiper, nous pouvons cependant a.ffirmer générosité à laquelle nous avons déjà fait allusion), parce
qu'un premier élément de réponse se trouve dans la dis- qu'elle blesse la vocation ontologique et historique des
tinctioÀ entre l'éducation systématique, qui peut seulement
hommes au plus-être. C'est pourquoi, lorsque la situation
d'oppression s'établit, la violence s'instaure et jamais jus-
qu'à présent dans l'histoire elle n'a été déchaînée par les
11. n La théorie matérialiste selon laquelle les hommes sont opprimés.
le nroduif des circonstances et de l'é-ducation, et donc des
tr"minàJ différents sont lesproduits de circonstances distinctes
difrérente, oublie que les circonstanc9s peu-
et d'une éducation précisémeirt
tàri ét.e chanqées par les hommes, et que l'éduca-
'a
tmr lui-même besioin d'être éiluqué. o (Menx, Tloisième Thèse 72. Cela nous paralt être I'aspect fond.amental de la ( révo-
sur Feuerbach,' MaRx-EYGÊrs, Cguures cftoisfes, Edition Pro- lution culturelle D.
gresso, Moscou, 1966, tome II, p. 404.)
33
32
 Comment les opprimés pourraient-ils déclencher
lence s'ils sont eux-mêmes le résultat d'une violence
Comment pourraient-ils être les promoteurs d'une violence
qui, au moment où elle s'instaure objectivement,
engendre eux-mêmes ? Il n'y aurait pas d'opprimés
n'existait pas une relation de violence qui les place comme
victimes dans une situation concrète d'oppression.
La violence provient de ceux qui oppriment, de ceux
qui exploitent, de ceux qui ne reconnaissent pas les autres;
ette né provient pas des opprimés, des exploités, de ceux
qui
- ne sont paspas
reconnus comme l'autre.
Ce ne sont les mal-aimés qui apportent le
amour, mais ceux qui n'aiment pas parce qu'ils ne font que
s'aimer eux-mêmes.
Ce ne sont pas les faibles qui apportent le malheur
auquel ils sont soumis, mais les violents qui, à cause de
leur pouvoir, créent la situation concrète qui engendre
les << vaincus de la vie >>, les << misérables >> du monde.
Ce ne sont pas les tyrannisés qui apportent la tyrannie,
mais les tyrans.
Ce ne sont pas ceux qui sont détestés qui apportent la
haine, mais celui qui les a haïs le premier.
Ce ne sont pas ceux dont I'humanitê a ê:té: refusée qui
apportent le refus de I'homme, mais ceux qui leur ont
réfusé cette humanité en refusant la leur en même temps.
Ce ne sont pas ceux qui sont devenus faibles qui ins-
taurent la force, mais les forts qui les ont affaiblis.
Pour les oppresseurs cependant, dans l'hlryocrisie de leur
<< générosité >, ce sont toujours les opprimés' que jamais
ils n'appelent ouvertement opprimés, mais qu'ils traitent,
selon le cas, de << ces gens-là >, de << masse ignorante et
envieuse >>, de << sauvages primitifs >, de << sub-
>>, de <<
versifs >>, ce sont toujours les opprimés qui ne veulent pas
aimer. Ils sont toujours désignés cornme << violents >>,
< barbares >>, << maudits >, ou << féroces >, quand ils
réagissent devant la violence des oppresseurs.
À la vérité cependant, aussi paradoxal que cela puisse
paraître, c'est dans la réponse des opprimés à la violence
des oppresseurs que nous allons rencontrer un acte d'amour.
Consôiemment ou inconsciemment, la rébellion des oppri-
més, qui est toujours aussi ou presque aussi forte que la
violenèe qui en est l'origine, peut apporter f'amour.
Tandis que la violencè des oppresseurs fait des oppri-
més des hômmes sans la possibilité d'être, la réponse de
34
la vio- ces derniers à cette violence se trouve enracinée dans le
? désir de conquérir le droit à être.
Les oppresseurs, qui par leur violence empêchent les
les autres d'être, ne peuvent pas non plus être. Les oppri-
s'il més, en luttant pour être, leur retirent le pouvoir d'oppri-
mer et d'écraser, et leur redonnent Ïhumanité qu'ils avaient
perdue en exerçant l'oppression.
C'est pour cette raison que seuls les opprimés, en se
libérant, peuvent libérer leurs oppresseurs. Ceux-ci, en tant
que classe qui opprime, ne peuvent ni se libérer ni libérer
autrui.
non- Il est donc important que la lutte des opprimés s'engage
pour dépasser la contradiction dans laquelle ils se trouvent,
et que ce dépassement fasse surgir I'homme nouveau, ni
oppresseur ni opprimé, mais I'homme en voie de libération.
Car si leur lutte est menée dans le but de devenir des
hommes, parce qu'ils sont dans I'impossibilité d'être, ils
n'y parviendront pas en inversant seulement les termes de
la contradiction. Cest-à-dire s'ils ne font que prendre la
place de l'autre pôle de la contradiction.
Cette affrmation peut paraître simpliste. En réalité, elle
ne l'est pas. Le dépassement de la contradiction oppres-
seurs/opprimés, qui ne peut être tenté et réalisé que par
ces derniers, suppose implicitement la disparition des pre-
miers en tant que classe opprimante. Les limitations que
les anciens opprimés doivent imposer aux anciens oppres-
seurs afin qu'ils cessent d'opprimer ne sont pourtant pas
une oppression en sens inverse, puisque I'oppression n'existe
que lorsqu'on empêche les hommes d'accéder au plus-être.
Pour cette raison, ces limitations, qui sont nécessaires, no
signifient pas par elles-mêmes que les opprimés d'hier
soient devenus les oppresseurs d'aujourd'hui.
Les opprimés d'hier qui arrêtent les anciens oppresseurs
dans leur désir d'opprimer, sont en train, ce faisant,
d'apporter la liberté dans la mesure où ils font obstacle
au retour du régime oppresseur. L'acte qui empêche le
retour de ce régime ne peut être comparé à celui qui le
crée et le maintient ; il ne peut être comparé au fait de
quelques hommes qui nient aux minorités le droit à l'être.
Au moment, cependant, où le nouveau pouvoir se durcit
en devenant une << bureaucratie 13 > dominatrice, la dimen-
13. Ce durcissement ne doit pas être confondu avec les limita-
tions dont nous parlions auparavant et qui doivent être impo-
35
,_)
sion humaniste de la lutte se perd, et on ne peut même
plus parler de libération.
' Noirs I'avons dit précédemment, le dépassement authen-
tique de la contradiction oppresseurs-opprimés ne réside
pis seulement dans un simple déplacement, dans le pas-
iage d'un pôle à I'autre. Plus encore, il ne peut consister
ei que les opprimés d'aujourd'hui, au nom de leur
"e
libération, se retrouvent soumis à de nouveaux oppresseurs'
Ll srruerroll coNcnÈre D'oPPREssIoN ET r-Es oPPREssBrlRS
Quand le dépassement de la contradiction se fait de
façàn authentique, avec finauguration d'une nouvelle situa-
tion de fait, d'une nouvelle situation crêêe pat les oppri-
més qui se libèrent, les oppresseurs d'hier parfois ne com-
prennènt pas qu'ils sont èux-mêmes en voie de libération'
Àu contrâire, ils vont avoir I'impression d'être réellement
opprimés. C'est que, pour eux, << formés > dans le milieu
ainbiant de I'oppiessi6n, tout ce qui est une atteinte à leur
ancien droit d;opprimer est une oppression. Ils vont, dans
cette situation nouvelle, se sentir opprimés parce qu'aupa-
ravant ils pouvaient se nourrir, se vêtir, se chausser, étu-
dier, se prbmener, écouter du Beethoven, tandis que -d9s
millions à'hommes ne pouvaient ni se nourrir, ni se vêtir,
ni se chausser, ni étudier, ni se promener' encore moins
écouter du Beethoven. Toute restriction, au nom du droit
de tous, paraît aux oppresseurs de naguère une grave
violence à^ leur droit personnel. Droit personnel qui, da-ns
la situation antérieure, ne tenait aucun compte des mil-
lions de personnes qui souffraient et mouraient de faim,
de douleur, de tristesse, de désespoir.
De leur point de vue, eux seuls sont des personnes
humaines. Lès autres, ce sont des << choses >>. Eux seuls
ont le droit de vivre en paix, qui prime sur celui de sur'
vivre que peut-être ils ne reconnaissent même pas, mars
qu'ils t-olèrènt chez les opprimés. Et cela parce qu'en fin
sées aux anciens oppresseurs pour qu'ils ne rétablissent pas
i"oïa""--à"-i""t"rlr.-'r1 est cuie autie nature. rl- 3e pr-oduit
hi,i:lf i"-*i*Jt:t"""ï'J'î""*":,i""""eJiË,"J""."îô13"'ii"âi"li',iT
;ùï*"""âii at--etro-r-aaicilemett suppr^imé, corôme l'a tant de
f'ois souligné Marx.
36
de compte I'existence des opprimés est nécessaire pour que
les oppresseurs puissent exister et se montrer << généreux >...
Cetæ manièrè d'agir, de comprendre le monde et les
hommes (qui entraîne nécessairement leur opposition à
I'installation d'un nouveau pouvoir) s'explique, comme
nous I'avons dit, par leur expérience de classe dominatrice.
Une fois instaurée, la situation de violence, d'oppres-
sion, engendre toute une manière d'être et de se comporter
chez ceux qui s'y trouvent impliqués. Chez les oppresseurs
et chez les opprimés. Ctrez les uns et chez les autres parce
qu'ils baigneÀt concrètement dans cette situation et reflètent
I'oppression qui les marque.
Ànalysant Îa situation d'oppression concrète, existentielle,
nous ne pouvons pas nous étonner de voir qu'elle prend
naissance dans la violence qui, nous le répétons, est engen-
drée par ceux qui tiennent le pouvoir.
Ceite violence, selon un processus continu, passe de
génération en génération chez les oppresseurs qui s'en font
les héritiers et se forment dans son ambiance' Ce climat
crée chez les oppresseurs une conscience fortement pas-
sive, à l'égard du monde et à fégard des hommes. En
dehors de la possession directe, concrète, matérielle, du
monde et des hommes, les oppresseurs ne peuvent se
concevoir eux-mêmes; ils ne peuvent être. En tant que
consciences nécrophiles, s'ils étaient privés de cette posses-
sion, dit Fromm,< ils perdraient tout contact avec le
monde 1a. D'où leur tendance à transformer tout ce qui
les entoure en objets de domination. La tetre, les biens,
la production, l'éducation des hommes, les hommes eux-
mêmes, le temps dans lequel ils vivent, tout se réduit
à n'être qu'objets soumis à leur domination.
Dans cètte soif effrénée de possession, ils entretiennent
en eux-mêmes la conviction qu'il leur est possible de tout
transformer par leur pouvoir d'achat. Il en résulte une
conception strictement matérialiste de I'existence. L'argenl
est la mesure de toutes choses. Et le profit est lew objectif
principal. Pour les oppresselrrs il importe tavoir plus et
ioujours davantage, au prix d'un moins avoir ou d'un ne
rieÀ avoir des opprimés. Etre, pour eux, c'est avoir et latre
partie d'une classe qui possède.
- Ils ne
peuvent comprendre, dans la situation d oppres-
14. Erish FRoIrrM. El Corazon det Eombre, Breviarios, Fondo
de Cultura Econoniica, Mexico, 7967, p. 47.
37
 I
I
sion dont ils sont les usufruitiers, que si avoir est la condi
tion pour être, €est là une condition valable pour tous les
hommes. Ils ne peuvent comprendre que dans la recherche
égoiste de favoir ils sont aspnyxies par la- possession et
aéa rc ne sont plus. Déià ils ne peuvent plus être'
Alors leur génêrosité, eomme nous I'avons dit, est fausse'
Tout ce qui constitue fhumanité se réduit à une
<< chose > qu ils détiennent cornme un droit exclusif,
colnme
un héritage. L'humanisation leur est réservée. Celle des
autres, dJleurs opposants, se présente comme une subver-
sion. ilumaniser,^âux yeux dès oppresseurs, Cest naturel-
lement faire de la subversion et non pas rechercher le
plus-être.
Avoir ptus, en exclusivité, ce n'est pas un privilège
inhumain et usu4ré, à la fois pour les autr€s et pour erD(-
mêmes, mais un droit intouchable. Droit << qu'ils ont
conquis par I'effort, par le courage d'affronter le risque>>"'
Si les autres, < ces envieux >>, n'ont rien, c'est-parce -que
< ce sont deé incapables et des paresseux qui d'ailleurs font
preuve dune injristifiable ingratitude à-l'égard de leurs
!e$es généreux >. << Ingrats et jaloux >,.les opprimés sont
ioujour:s considérés comme des ennemis potentiels qu'il
faut surveiller.
Il ne peut en être autrement. Si I'humanisation des o-ppri-
més est subversion, leur libération I'est également' I1 est
donc nécessaire d'exercer sur eux un contrôle constant' Et
plus ils contrôlent les opprimés, plus ils les transforment
en << choses > sans âme.
Cette tendance des oppresseurs à supprimer lâme en
tout et en tous, que I'on observe dans leur soif de poss!9-
sion, est sans conteste une tendance sadique. << Le plaisir
de ia domination complète sur une autre personne (ou
sur une autre créature vivante), dit Fromm, est fessence
même de I'impulsion sadique. En d'autres termes, on Peut
dire que le but du sadisme est de changer l'homrne en
chose) l'être animé en être inanimé, et que sous I'effet
du contrôle complet et absolu fêtre vivant perd une qualité
essentielle de la vie : la liberté 16. >>
Ainsi le sadisme apparaît colnme une des caractéristiques
de la conscience opirimante, dans sa vision nécrophile du
monde. Cest la raison pour laquelle son amour est un
amour à fenvers, un arnour de la mort et non de la vie'
15. Erich FRoMM, El Corazon del Eombre, op. ett.
38
Dans la mesure où, pour dominer, les oppresseurs s'ingé-
nient à éteindre la soif de recherche, l'inquiétude, le pou-
voir de créer, caractéristiques de la vie, en tout cela ils
détruisent la vie.
Ils s'approprient ainsi, toujours davantage, la science
comme instrument au service de leurs objectifs, et la
technologie cornme force incontestable de maintien de
<< I'ordre oppresseur grâce auquel ils manipulent et
>
écrasent les hommes 16. Les opprimés devenus des objets,
des choses, n'ont plus de finalités propres' Ils doivent
accepter celles que leur prescrivent les oppresseurs.
A ce stade se présente à nous un autre problème d'impor-
tance indéniable : le problème de I'adhésion et du pas-
sage de certains représentants du pôle des oppresseurs
au pôle des opprimés, le problème de leur adhésion à la
luttè des opprimés pour leur liberté. Et I'histoire de cette
lutte a montré le rôle fondamental qui leur revient.
Cependant, il arrive souvent qu'en passant de l'état
d'exploiteurs, ou de spectateurs indifférents, ou d'héritiers
de lexploitation (c'est-à-dire en connivence avec elle)' à
celui d'exploités, ils gardent, conditionnés par la << culture
du silencé >>, la marque de leur origine. Leurs idées pré-
conçues, leur jugement faussé et en particulier un manque
de confiance à l'égard du peuple. Le doute que le peuple
être capable de réfléchir, de vouloir, de savoir.
- En pareil
puisse
càs, ils courent toujours le risque de tomber
dans une sorte de générosité aussi désastreuse que celle que
nous critiquions chez les dominateurs.
Si cette générosité ne se nourrit pas, colnme dans le cas
des oppresseurs, de I'ordre injuste qui a besoin d'être
maintenu pour la justifier, s'ils déstent réellement le trans-
former, ils croient cependant, dans leur optique déformée'
qu'ils doivent être les artisans de la transformation.
Ils se comportent comme des gens qui n'ont pas
Et la foi dans
confiance dans le peuple, quoi qu'ils disent.
le peuple est h Condition préalable, indispensable, de la
transformation révolutionnaire. Un révolutionnaire se
reconnaît plus à cette foi dans le peuple qu'à mille actions
sans elle.
Ceux qui s'engagent authentiquement avec le peuple
16. À oronos des < formes dominantes du contrôle social >,
voir Heibeit Max.cusE, L'homme unÎd.imensionnel et Etos et
Ctvilisation, Editions de Minuit, 1968 et 1961.
39
doivent nécessairement faire un retour constant sur etrx-
mêmes. Car cette adhésion est tellement radicale qu'elle
ne pernet pas de comportements ambigus.
Dbnner sôn adhésion tout en se considérant propriétaire
du savoir révolutionnaire et en voulant le donner ou
I'imposer au peuple, c'est rester attaché à ses anciens
errements. Se dire engagé dans la libération et n'être pas
capable de communier avec le peuple, en continuant à
penser qu'il est complètement ignorant, c'est entretenir
une douioureuse équivoque. Se rapprocher des autres mais
réagir à chacun dè leurs pas, à chacune de leurs hésita-
tions, à chacune de leurs attitudes, avec une sorte de
recul, et prétendre imposer son << modèle >>, c'est regretter
avec nostalgie la situation que I'on vivait auparavant-
Il s'ensuii que I'adhésion au peuple doit avoir la signi-
fication profonde d'une re-naissance. Ceux qui s'y engagent
doivent àssumer une nouvelle manière d'être; ils ne peuvent
plus agir comme ils agissaient; ils ne peuvent plus vivre
comme ils vivaient.
Le srrulrloN coNcRÈTE o'oppnssstox ET LES oppnnrÉs
C'est en vivant avec les opprimés, en se sachant un des
leurs (mais à un niveau différent de perception de la
réatité), que I'on peut comprendre les différentes manières
d'être et de se comporter des opprimés qui reflètent bien
souvent la structure de domination.
L'une d'elles, dont nous avons déjà parlé brièvement,
est la dualité existentielle des opprimés qui << accueillent >
I'oppresseur dont ils << projettent >> en deux l' << ombre >;
ils- iont à la fois eux-mêmes et l'autre. Aussi, presque
toujours, tant qu'ils ne parviennent pas à localiser concrè-
tement I'oppreiseur et tant qu'ils n'acquièrent pas leur
propre << conscience >>, ils adoptent des attitudes fatalistes
àevànt la situation concrète d'oppression dans laquelle ils
sont plongés 17.
- ...19. -brantz
Paifois ce fatalisme donne l'impression, en première
gui est un être "dépendant"' comûence
L7.
" Le Dâysan!
-no'ur
à avoir du d.épasser son état tle dépendance quand
iI consclenôe. Àvani cela il ne fait que suivre le patron
en prend "àuiaEe
en répétant : " ou'est-c€ crue ie peu faire si je ne suis qu'un
paysan ?" , (Tômoignage'recrieilii au Chili pr I'auteur.)
40
analyse, que la docilité est un trait naturel de leur carac-
tère, ce qui est une erreur. Le fatalisme, qui se traduit par
la docilité, est le fruit d'une situation historique et soCio-
logique et non une caractéristique essentielle du peupie.
Presque toujours, il est lié soit au pouvoir du destin ou- de
la fatalité, forces insurmontables, soit à une conception
déformée de Dieu. A l'intérieur du monde magiquè ou
mythique dans lequel elle se trouve, la conscienèe oppri-
mée, en particulier dans les campagnes où elle est comme
immergée au sein de la nature 18, trbuve dans la souffrance
conséquence de I'exploitation de la
-- - l,expression
volonté de Dieu comme s'il était I'artisan dè ce << désordre
organisé >>.
Dans cette << immersion >, les opprimés ne peuvent pas
clairement discerner 1' << ordre > au iervice des oppresseurs
puisqu'ils vivent pour ainsi dire à I'intérieur d'eiù-mêmes
cet << ordre >> qui les frustre de leur existence et souvent les
entraîne à exercer un type de violence horizontale vis-à-vis
de leur. s .propres camarades le. Il est possible qu'en agis-
nant ainsi ils expriment une fois de pius leur dualité. En
&ttaquant leurs compagnons d'infortune ils attaquent < à
travers eux >>, indirectement, I'oppresseur << installé > chez
cux et chez les autres. Et en atiaquant I'oppresseur chez
les_-opprimés, ils deviennent eux-mêmes oppt"rre.rrr.
^de
Il V ? p* ailleurs, à un certain momeni I'expérience
oxistentielle des opprimés, une irrésistible aftirànce à
l'égard de I'oppresseur, de son genre de vie. Accéder à ce
genre de vie constitue une puissante aspiration. Dans leur
oliénation les opprimés vedént à tout pïx être semblables
À I'oppresseur, I'imiter, le suivre, Celra s,observe surtout
chez- les opprimés de la
<< classe moyenne >>, dont le désir
ost de s'égaler aux << Messieurs >> ds la classe d.ite supé-
rieure >>.
<<
Il est intéressant de voir comment Memmi 20, dans une
]u. Cf. no C""qido.-A. i!ft,rvpr.s, Memento dos vioos
(iatôlica Brasil, Ed. Teirpo erâsileiio. r-9-06. - A Esquerilo
FaNoN, Zes Daitné_s d.e Ig .'terre, Maspero, paris,
lll08 : (_ L'opprimé n-e cesse ae Ce nneiài-éntrJ ^neut'
rtu soir et six heures du matin. Cette agressivité accumuléeneuïed danl
ros..muscles-, ïopprimé la manifestera a,àloia ôntiè tes -Jiens_-;
z{.t. .l'lbe+ ME_{yI, Cotonizer ottd the Colonized, Béàcon
.,
l,ress, -uoston, 19tt7, p. -
pourrart-il "àq10, préface : < CommeDt le colonisateur
s'occuper de ses ouvriers quand périodiquement il
nrltraille la foute-des colonisés f Commeïi iJ c6t;;iJéï;ur;;it_ii
to renier si cruellement et en même temps fair- d; .dema;A;i
ll excessives ? Comment poumait-il naii tes ;oio;iùteur;-;i -moi-âussl,
oôpendant les admirer avec-tant de passion ?
ressenti malgré moi cette admiratioi, dit Memmi). " <l;ài,
41
 la conscience colonisée p?-rle : << Ils disaient
de I'expérience chilienne de réforme agraire
remarquable analyse de <<
'' mêlée de nous que nous ne produisions pas parce que nous
Ë^î=;ô"lti"" â" colonisé pour le >colonisateur' sommes des << ivrognes )) paresseux. Ce sont des men-
O'"ne attirance << paisionnée à son
-îu"iJepté"i"tio" égard'
songes. Maintenant que nous sommes respectés comme des
""pJ"Ai"i est uoe autre caractéristique . des hommes, nous allons montrer que nous n'avons jamais été
juge-
oipti*Cï-ËUâiésulte de I'introjection q-u'ils font du ni ivrognes, ni paresserx; nous étions exploités, voilà la
niËnt porté sur eux par les oppresseurs.r' vérité >>, ajoutait-il, emphatique.
lfr à"t tellement éntendu iépéter qu'ils sont incapables' Tant que leur ambiguité subsiste, les opprimés luttent
oo;ils ot savent rien, qu'ils nê peuvênt rien comprendre' rarement et n'ont même pas confiance en eux-mêmes. Ils
du'ils sont malades, indolents et que pour toutes ces rar- croient de façon diffuse, magique, à I'invulnérabilité de
il; ilr; il;d"it;t rien, quils finissent par se convaincre
cerD(
I'oppresseur 24, à son pouvoir dont il fait sans cesse étalage.
de-leur incâpacité. Ils se désignent eux-mêmes-comme
Dans les carnpagnes, surtout, on peut observer cette force
ilffi sâvdnt rien et ils pailent du doutor-22 comme de magique du << seigneur 26 >. Il faut que les opprimés voient
ô"Jqù'"" qui sait et qu'ils doivent écouter' Les critères du des cas de vulnérabilité de I'oppresseur poui qu'ils com-
-J"tàii q"i ieur sont imposés sont conv-entionnels' mencent à changer d'opinion. Tant que cela ne se produira
Cânei*ement, dans lès relations qu'ils établissent avec pas, ils resteront abattus, peureux, écrasés 26.
f" *o"àâ J avec les autres hommes, ils se croient inca- Tant que les opprimés ne prennent pas conscience des
;"bËe; ôomprendre. D'ailleurs leur compréhension en
causes de leur état d'oppression, ils << acceptent > avec
ieste au
--p""t niveau de la pure << doxa >>'
f.atahtê leur exploitation. Plus encore, il faut s'attendre à
lis conditions^ concrètes où ils font I'expérience ce qu'ils adoptent des attitudes passives, aliénées, devant la
dela àualité, il est normal qu'ils n'aient pas conûance en nécessité de leur propre lutte pour la conquête de la tiberté
eux-mêmes 23. et de leur affirmation dans le monde. Là réside leur << con-
Nombreux sont les paysans que nous avons connus au nivence > avec le régime oppresseur. C'est seulement peu
b;t aÈ-ilte expérieïcê éducative qur, aprgs les
quelques
à peu que cornmenceront à être prises des attitudes de
;;;""tt âà ait"otiioo autour d'un thème Qu intéresse
révolte.
p-"t-"t"fué*ent, soudain s'arrêtent et disent à l'éducateur: Dans une æuvre de libération, on ne doit pas perdre de
i, Purdonoe"-nous, nous devrions nousvous taire pour vous vue cette mentalité des opprimés, ni ignorer cette phase
laisrer p.rler, nous ne savons rien, Cest qui-savez' >
d'éveil.
--SL""Ë"t, iis déclarent qu'il n existe aucune différence
A I'intérieur de cette fausse vision de soi et du monde,
et I'animal, et sIs en admettent une, Cest tou- les opprimés se sentent comme s'ils étaient presque des
"oit" e-ftnantage 6is 1'nnimal. << Il est plus libre que
io*t "o* << choses >> possédées par I'oppresseur. Si, pour I'oppres-
-î# >, disent-ils.
nous
impiès.io"n"nt cependant de voir comment' dès les
seur, dans son désir de posséder, être c'est avoir à tout
prix, presque toujours au détriment de ceux qui n'ont rien,
pr"*i"r, cLangements suivenant dans une situation d'op- au contraire, selon I'expérience existentielle des opprimés,
^pression,
fon note une transformation de cette autosous-
èstimation. Nous avons entendu un leader paysan Af" "l
;ilJ;;a;s une des unités de production (asentamiento)' (
,^24. Le. payl?n apaysan une peur pre_s-que instinctive du patron. >
(CoDversation d'un avec l,âuteur.)
parce que ce zS. Un
-"I:ni sociolo-guie nous a raconté 'que récemment, dâns
" L" paysan se sent inférieur -au patron -le mérite de saroir un pa-ys.^latino-e-élicâin,_un groupe de paSisans armés s'émparà
ae"njer -de qgi a
frii 'adparait co-il.ne celui- d'un latifundium. Pour des motils tactique, on pensa
*et d.e diriger. o iconveis?-ioL l'aûteur âvec un paysan') garder le propriétaire comme otage.d'ordrè
Aucun pavSari ceoeird.ant
zâl ùâT-tî' t- titiî dô"iié- au Brésil à-.toute Dersorrne avant
-Ies ingénieurs' lle ppt m-on:tgr Ia garde. -Sa seule-présence lês -impresdionnait,
un
-zL diplôme d'études t"ËÊit"i""Ë"-l'il-paiticutier Il est proballe aussi que le fait de lutter contre le ^Dâtron leur
les et les avocats à- i;eâricat"o' ')' . donnait un sentiment - de culpabilité. Le patron, à' la vérité,
î"îài-':q"oÏ tàii "ï -i6iir n'expliquez-vous
(N.-d..:!
'"ie. nôédecins oo,r3"iiffi était ( à l'intérieur r d'eux-ûêmes
a;.it-ËJ""te' de ôurtrire). _ 29. Dan! ce sens, voir Régis DEBRÀv, Réootution dans la tévo-
tCIk .nous- donnerait""âTi;
J moins
"ii'iit-
tableaux que Yous ooos*-toit"J' Iution ?, Maspero, Paris, 1969.
de mâl et'nous nous casserions molns la lete' D

43
42

)
!

doit sauver d'un incendie. C'est les faire tomber dans le

être ce n'est même plas ressembler à I'oppresseur' ma$ piège de la démagogie et les transformer en masse de
îii"-à"aittous de lii. C'est être dépendants' Aussi peut-
manæuvre.
;;-dd q"" f"t opprimés sont des dépendants émotion- Les opprimés, aux différents stades de leur libération,
nels 27. ont besoià de se sentir hommes avec leur vocation ontolo-
gique et historique au plus-être. La réflexion et I'action
i'imposent si I'on ne veut pas provoquer une dichotomie
PnnsoNNB NB rrnÈnB ÀurRUI, PERSoNNE ue sn l-InÈnB sEul-, dans le comportement historique de I'homme-
LES HoMMEs se rrsÈRBNr ENSEMBLE Quand nous insistons sur la nécessité d'un effort per-
manent de réflexion des opprimés sur leurs conditions
d'existence, nous ne pensons pas à un jeu divertissant,
C'est ce caractère de dépendance totale et émotionnelle purement intellectuel. Nous sommes convaincu au con-
des àpprimés qui peut leJ conduire à des attitudes que iraire que la réflexion, si elle est vraiment une réflexion,
ri""iii æp"tte^<< nécrophiles >> : destruction de la vie' de conduit à la pratique.
f" ri"""" ïu de celle de I'autre, opprimé comme lui' Par ailleurs, lorsque l'action est engagée, elle deviendra
Mais quand les opprimés découvrent clairement ce une authentique pràxis si le savoir qu'elle apporte fait
qu'est I'oipresseur et qu ils s'engagent dans la lutte orga- I'objet d'une réflexion critique. Dans ce sens, c'est la praxis
oi.C" porif se fibérer, ils commencent à croire en eux- qui constitue le nouveau savoir de la conscience opprimée,
-é*"t, dèpassant ainsi leur << connivence > avec le régime et la révolution, qui marque le moment historique de cette
oppté*r""t. Si cette découverte ne Pegt être faite à un découverte, n'est pas viable si elle ne tient pas compte des
p**ent intellectuel mais doit être liée à faction' niveaux de la conscience opprimée.
"i"-*
il ooo*'paraît fondamental que celle-ci ne devienne pas S'il n'en est pas ainsi, I'action devient pur activisme.
p* l"tiii.*è, mais soit assoèiée à un sérieux travail de Il faut éviter de tomber soit dans l'action pour I'action,
jeu intellec-
iéflexion. Cest seulement ainsi qu'elle constituera une soit dans un dilettantisme de paroles vides
- ne conduit
praxis. tuel qui, n'étant pas une réflexion véritable,
'-i" Oi"togoe critique et libérateur, gui. slappltie sur pas à - I'action. Les deux pôles, action et réflexion, doivent
l'action, doit être avec les opprimés à n importe Îormer un ensemble dont il ne faut pas séparer les élé-
"ùugé pour la libération 28'
quel môment de leur-lutte ments.
=
ô; q"i peut et doit varier, en fonction des conditions Encore faut-il pour cela que nous ayons confiance dans
nistoriôues, en fonction du niveau de perception - de..la les hommes opprimés. Que nous les croyions aussi capables
tê"fiié q"t"t atteint les opprimés, Cest le contenu du dia- de porter des jugements valables. Si cette croyance nous
logue. Le substituer par par les slogals' qar fait-défaut, nous abandonnons toute idée de dialogue, de
-part'àntidialogue' prétendre
ià"t"tutio" verticale, les communiq-ués,.c'est réflexion, de communication, et nous tombons dans les
iiué*t rà. opprimés âvec des instruments de << domestica- << slogans >, dans les communiqués, dans les < dépôts >,
sur leur
iil t;. Frétà-dre les libérer sans les faire réfléchir que dans ie dirigisme. C'est ce qui menace les fausses adhésions
piopi" libération, Cest les transformer en objets fon à la cause de la libération des hommes.
L'action politique à l'égard des opprimés doit être' au
,-^ L" Dâysân est en état {e djpendance. Il ge peut expri- fond, une <i action culturelle )> pour la liberté et donc une
"Ë'"{iÏ'î*iié. il
-Ë-i' È" eoani ae détouvrir sa .dépendance'
oir il crie mntre action avec eux. Leur dépendance émotionnelle, fruit de
Sï.'n";: rr'Ëii,"iilË-ti ;-';Ëi;e; a t-"-'àiso"
li sa femme' rl la situation de domination dans laquelle ils se trouvent, et
ili'*àiï"ït"-'--ru" bat et Ë'-ia"rt". invectiv.e
pâ3 sa (^P9in9' devant sotr
Èi'à'"i'iiTi'a''iËaiii- fï'eipiimé coùme un êtie srroérieur' Dans qui leur donne aussi une vision fausse du monde, ne peut
;."tî;; Ë;cJ quiii---ie-consiaire
.Ie nombreux ," ptvi'ii*Ëi"p"iil-"à .péi"e I ^en buvant' I intéresser que l'oppresseur. C'est lui qui se sert de cette
lConversation """,
avèc Isauteur.) dépendance pour créer plus de dépendance'
*ll*glt'*",,I"uâ:"ï"Tà"$"à"3'i;in#3: L'action libératrice, au contraire, sachant que cette
"",iË';l:Ël';;iË'"lJÈ"f
45
;-
dépendance des opprimés est un point vulnérable, doit
esJayer, à travers la réflexion et I'action, de la transformer
en indépendance. Celle-ci, cependant, n'est pas une dona-
tion què des leaders, si bien intentionnés soient-ils, puissent
accorder. Nous ne pouvons oublier que la libération des
opprimés est une libération d'hommes et non de << choses >'
Ce ne peut être ni une autolibération personne ne se
libère tout seul ni une libération de- certains hommes
-
réalisée par d'autres.
Elle ne peut se réaliser << à moitié ze ;, et si nous le ten-
tons, nous déformons les hommes. Avec les opprimés qui
sont déjà des êtres déformés, I'action de libération ne doit
pas utiliser le même procédé employé pour leur défor'
mation.
Aussi la voie à suivre pour ce travail libérateur qui doit
être réalisé par les leaders révolutionnaires n'est pas la
<< propagande libératrice >>. Ce n'est pas non plus le simple
fait de << déposer > la croyance en la liberté chez les oppri-
més en pensant gagner leur conûance, mais c'est dialoguer
avec eux.
Nous devons être persuadés que la conviction des oppri-
més qui doivent lutter pour leur libération ne peut pas être
une donation que leur feraient les leaders révolutionnaires,
mais doit être le résultat de leur prise de conscience.
Il est nécessaire que les leaders révolutionnaires
découvrent cette vérité : que leur conviction de la néces-
sité de la lutte, qui constitue une dimension indispensable
du savoir révolutionnaire, ne leur a été inculquée par per-
sonne. Ils l'ont acquise par un mouvement global de
réflexion et d'action. C'est une insertion lucide dans la
réalitê, dans le contexte historique, qui les a amenés à la
critique de cette situation elle-même et au désir de la trans-
former.
De même, il est nécessaire que les opprimés parviennent
comme sujets et non comme objets à cette conviction, car
ils ne s'engageront pas dans la lutte sans être convaincus
et, s'ils ne s'engagent pas, la lutte ne pourra se développer.
Il est nécessaire qu'ils s'insèrent d'une manière critique
dans la situation dans laquelle ils se trouvent et qui les a
?9. Nous faisons allusion à la réduction des opprimés à la
condition de purs objets de I'action libératrice qui ainsi sc
développe ca-dessus dtux et pour eux, et non auec eux comme
cela devrait être.
46
marqués. Cela, la propagande ne le fait pas. Si cette con-
viction, sans laquelle, nous le répétons, la lutte n est pas
possible, est indispensable pour les leaders révolutionnaires
qui s'appuient sur elle, elle I'est également pour les oppri-
més. A moins que I'on ne prétende faire la transformation
pour evx et non avec etJx, comme il le faudrait pour
qu'elle soit authentique.
Nous faisons ces considérations avant tout pour souli-
gner le caractère essentiellement pédagogique de la révo-
lution.
Si les leaders révolutionnaires de tous les temps affirment
qu'il faut que les masses opprimées soient convaincues
pour accepter de lutter pour leur libération qui, du
reste, est évident - ce
ils reconnaissent implicitement le
- de cette lutte. Beaucoup, cependant,
caractère pédagogique
à et explicables contre
cause d'idées préconçues naturelles
la pédagogie, finissent par utiliser, dans leur action, des
méthodes qui sont employées dans l' << éducation > dont se
sert I'oppresseur. Ils réclament une action pédagogique
dans le processus de libération, mais commencent par
employer la propagande.
Dès le commencement de la lutte pour l'humanisation,
pour le dépassement de la contradiction oppresseur/oppri-
més, il est nécessaire qu'ils sachent que cette lutte exige
d'eux, à partir du moment où ils s'y engagent, une res-
ponsabilité totale. Car la justification de cette lutte n est
pas la conquête de la liberté de manger à sa faim, mais
d'une << liberté pour créer et construire, pour découvrir et
aller à I'aventure. Une telle liberté requiert que I'individu
soit actif et responsable, ni un esclave ni une pièce bien
huilée de la machine. Il ne suffit pas que les hommes ne
soient pas des esclaves : si les conditions sociales
engendrent des automates, elles ne favorisent pas I'amour
de la vie mais I'amour de la mort B0 >.
Les opprimés qui << se forment > dans l'amour de la
mort qui caractérise le climat d'oppression doivent trouver,
dans leur lutte, le chemin de I'amour de la vie qui ne
consiste pas simplement à manger à sa faim, bien que
cela en fasse partie et que I'on ne puisse s'en passer.
C'est en tant qu'hommes que les opprimés doivent lutter
et non comme << choses >>. Précisément parce qu'ils sont
30. Erich Fnourrr, El Corozon del Hombre, op. cit., p. 54-55.
47
presque réduits à des << choses >>, dans la relation d'oppres- tés ensemble vers la rê,alitê, se rencontrent dans une tâche
sion qui s'impose à eux, ils se trouvent détruits. Pour se dans laquelle les deux sont zujets, agissant non seulement
reconstruire, il est important qu'ils rejettent leur état de pour déchiffrer cette réalité et donc la connaître avec un
<< quasi-choses >. Ils ne peuvent entrer dans la lutte cornme esprit critique, mais aussi pour la re-créer.
<< choses )> pour devenir ensuite des hommes. Cette exi- En atteignant dans une réflexion et une action com'
gence est radicale. Le dépassement de l'état dans lequel munes cette connaissance de la réalité, ils se découvrent
ils se détruisent par celui dans lequel ils se reconstruisent coûrme des re-créateurs permanents.
ne doit pas être a posteriori. La lutte pour cette recons- Alors, la présence des opprimés dans la lutte pour leur
truction commence par I'autoconscience des hommes libération, plus qu'une pseudo-participation, devient ce
détruits. qu'elle doit être : un engagement.
La propagande, le dirigisme et la manipulation, afines
de la domination, ne peuvent être des instruments pour
cette reconstructionsl.
Il ny a pas d'autre voie que la pratique d'une pédagogie
d'humanisation dans laquelle les leaders révolutionnaires,
au lieu de se superposer aux opprimés et de continuer à
les maintenir dans l'état de << quasi-choses )), établissent
avec eux une relation de dialogue permanent.
Dans cette pratique pédagogique la méthode n'est plus,
cornme nous I'avons souligné dans un travail antérieur 32,
I'instrument de l'éducateur (dans ce cas le leader révolu-
tionnaire) qui sert à manipuler ceux qu'on éduque (dans
ce cas les opprimés) parce que c'est déjà leur propre
conscience qui est I'instrument de leur éducation.
<< La méthode est en réalité, dit le professeur Alvaro
Vieira Pinto, la forme extérieure et matérialisée en actes
qui traduit la propriété fondamentale de la conscience :
son intentionnalité. Le propre de la conscience est d'être
associée au monde et cette caractéristique est permanente
et inévitable. Par suite, la conscience est, dans son essence,
un << chemin vers >> un quelque chose qui n'est pas elle,
qui est extérieur à elle, qui l'entoure et qu'elle appréhende
par sa capacité idéative. Par déûnition la conscience est
donc une méthode, au sens le plus général du terme 33. >>

Dans ces conditions, l'éducation qui doit être mise en

ceuvre par les leaders révolutionnaires, devient co-inten-
tionnalité. Educateur et éduqués (leaders et masses), orien-

31. Nous reviendrons en détail sur ce thème au châpitre rv.

32. L'Education : pratique de Ia liberté, op. cit.
33. Alvaro VrBnru, Prxro, d'après un travâil sur la philosophie
de la science. Nous remercions ici I'éminent professeur brésilien
pour nous avoir permis de le citer. Nous considérons ce passage
de la plus grande importance pour la compréhension d'une
pédagogie de la conscientisation que nous étudierons au cha-
pitre suivant.

48 49

2. La conception u bancaire,
de l'éducation comme instrument
d'oppression.
Ses présuppositions, sa critique.
Plus nous analysons les relations éducateur,/élève, à tous
les niveaux, dans l'école ou en dehors d'elle, plus il nous
semble clair qu'elles présentent un caractère spécial et sail-
lant : ce sont essentiellement des relations de narration, de
dissertatiott La narration et la dissertation supposent un
sujet : le narrateur, et des objets passifs, des auditeurs :
les élèves.
Il y a comme une maladie de la narration. C'est bien
celle qui affecte au premier chef l'éducation : discourir,
toujours discourir. La narration tend à pétrifier son con-
tenu, à en faire quelque chose de mort, qu'il s'agisse de
notions abstraites ou d'éléments de la réalité concrète.
Parler de la réalité cornme d'une chose arrêtée, statique,
compartimentée et prévisible, ou encore parler et disser-
ter sur ce qui est complètement en dehors de I'expérience
existentielle des élèves, est devenu, assurément, le suprême
souci de féducation, son désir incessant. Chez elle, l'édu-
cateur apparaît comme un agent indiscutable, auquel est
impartie la tâche d' < emplir > les élèves avec le contenu
de sa narration. Ce contenu est fait de morceaux de la
réalité détachés du tout dont ils proviennent et dont la
vision leur rendrait une signification. La parole, dans ces
dissertations, se vide de la dimension concrète qu'elle
devrait avoir ou se transforme en phrases creuses, en ver-
biage aliéné et aliénant. Elle devient plus un bruit qu'une
signification et, dès lors, il vaudrait mieux ne plus la pro-
noncer,
C'est pour cela qu'une des caractéristiques de cette édu-
cation discoureuse est la << sonorité > de la phrase et non
sa force transformatrice. Quatre fois quatre : seize. Etat du
Para, capitale : Belem. Voilà ce que l'élève fixe, mémorise,
répète, sans percevoir ce que signifie réellement quatre
fois quatre, ni quel est le sens véritable du mot capitale,
50
ni ce que représente Belem pour TEtat du Para, et le Para
pour le Brésil 1.
- Le discours que développe le narrateur conduit les
élèves à enregistrer mécaniquement le contenu raconté'
Plus encore, la narration les transforme en < bouteilles
vides >>, en récipients que l'éducateur doit << remplir >.
Plus celui-ci remplit les récipients avec ses << dépôts >>, meil-
leur éducateur il est. Plus ils se laissent docilement << rem-
plir >>, meilleurs élèves ils sont.
De cette façon, l'éducation devient un acte de dépôt où
les élèves sont les dépositaires et l'éducateur le déposant.
Au lieu de communiquer, l'éducateur fait des <( commu-
niqués > et des << dépôts >> que les élèves, simples acces-
soires, reçoivent patiemment, mémorisent et répètent' C'est
la conception << bancaire > de l'éducation, selon laquelle
la seule marge de manæuvre qui s'offre aux élèves est celle
de recevoir les dépôts, de les garder et de les archiver.
Liberté d'être des collectionneurs ou des archivistes. Dans
le fond, cependant, ce sont les hommes eux-mêmes qui
sont mis en- archives, dans cette conception pour le moins
ambiguë de l'éducation << bancaire >. Mis en archives
parce que, rejetés en dehors de la recherche, en dehors de
lâ praxis, ,les hommes ne peuvent être. L'éducateur et les
élèves se mettent en archives dans la mesure où, dans cette
vision déformée de l'éducation, il n'y a ni créativité, ni
transformation, ni savoir... Le savoir ne s'acquiert que
dans I'invention, la réinvention, dans la recherche tendue,
impatiente, permanente que les hommes font dans le
monde, avec le monde et avec les autres hommes.
Recherche chargée aussi d'espérance.
Dans la vision << bancaire >> de l'éducation, le << savoir >>
est une donation de ceux qui jugent qu'ils savent, à ceux
qu'ils jugent ignorants. Donation qui se fonde sur un des
principes d'action de t'idéologie d'oppression : I'absoluti-
iation de I'ignorance qui devient ce que nous appelons la
projection de I'ignorance, selon laquelle celle-ci se ren'
contre toujours chez I'autre.
L'éducateur qui projette I'ignorance sur ses élèves reste
sur des positions fixes, invariables. Il sera toujours celui
qui sait,-alors que les élèves seront toujours ceux qui ne
1. On dira que d.es exemples collrme ceux-ci- ne se pr.odui-
sent Dlus dans les écoles bïésiliennes. Même si c'est vraiment
ià àa5, te genie de discours que nous critiquons ici reste fré-
quent.
51
savent pas. La rigidité de ces attitudes nie l'éducation et l'éducateur, finalement, est le sujet agissant du pro-
la connaissance en tant que processus de recherche. -
cessus; les élèves en sont de simples objets.'--
L'éducateur s'érige, face aux élèves, comme leur antino- Si l;éducateur est celui qui sait, si les élèves sont ceux
mie nécessaire. Il trouve dans l'absolutisation de l'igno- o"i-"" savent rien, il reviènt au premier de donner' de
rance de ses élèves la raison de son existence. Ceux-ci, iiri"r, O;"pport"r, âe transmettre sôn savoir aux vécue
seconds'
aliénés, à la manière de I'esclave dans la dialectique hégé-
lienne, perçoivent à leur tour leur ignorance comme la
il-;; ;";;it n'eit plus celui de l' < expérience >>'

raison de l'existence de l'éducateur, mais ne parviennent

.-îi celui de l'expérience racontée ou transmise'
Àais
< ban-
même pas, cornme le faisait I'esclave chez Hegel, à se
o';i pas étoinant, alors, que dans cette vision
âe Téducation, les hommes soient considérés
considérer comme éducateurs de leur professeur. ""it"-, des êtres d'adaptation,
;;*; d'ajustement' Plus les élèves
Nous le verrons plus loin, la raison d'être de l'éducation -t*îiôi""i à archiver -les << dépôis
-la > qui leur sont remis'qui
libératrice est son élan initial d'unification. IJne telle forme *ôiit if* développent en eux conscience critique
d'éducation implique le dépassement de la contradiction pèt-éttt"it leur iniertion dans le monde colnme agents de
êducateur/élèves, de telle façon que chacun d'eux devienne iransformation, comme sujets'
simultanément éducateur et élève. Plus on leur impose la passivité, plus, de fagon pnmare'
Dans la conception << bancaire > que nous critiquons ici, au liàu de transfdrmer le monde, ils tendent à s'adapter à
selon laquelle l'éducation est l'acte de déposer, de trans- la rêalltê parcellaire contenue dans les << dépôts > reçus'
férer, de transmettre des valeurs et des connaissances, on - D;À la' mesure où cette vision << bancaire > annule le
ne constate pas et on ne peut constater ce dépassement. oouvoir créateur des élèves ou le réduit au minimum, en
Au contraire, reflet de la société d'oppression, devenue i"*ti*ti leur côté primaire au lieu de développer: pour leur
dimension de la << culture du silence >, l' << éducation sens critique, elle sert les intérêts des oppresseurs
bancaire > entretient et favorise la contradiction. i'èsséntiel n'est pas la découverte du- monde, ni sa
C'est pourquoi chez elle : """*-"i,
transformation. Leur humanitarisme >' qui n'est pas Yl
<<

l'éducateur est celui qui éduque; les élèves, ceux ;;-d;;ffie >, consiste à préserver la situation dont ils
- sont
qui éduqués; root t"t bénéficiaires et quf leur permet de perpétuer. la
l'éducateur est celuiqui sait; les élèves, ceux qui i""*"-gé"é-site Oont oou. unons- déjà parlé au chapitre
ne- savent pas; précédùt. Aussi réagissent-ils, instinctivement, contre toute
l'éducateur est celui qui pense; les élèves, cetu( qui ientative d'éducation qui voudrait stimuler le penser
- pensés;
sont authentique, qui ne se laisserait pas leurrer par des aspects
;;.ti;i; ô; i^ie^ttte, cherchant tôujours les liens qui relient
l'éducateur est celui qui prononce la parole; les
- ceux
élèves, qui l'écoutent docilement; un point à un autre, un problème à
--Ct- q"" veutent l oppresseurs c'est
autre'
-un transformer < la
l'éducateur est celui qui discipline; les élèves, ceux -
qui- sont disciplinés; **t.fité2 a"* opprimés et non la situation gui à
les
opprime >, poù- que ceux-ci, mieux adaptés cette
l'éducateur est celui qui choisit et impose ses choix;
les- élèves, ceux qui obéissent aux prescriptions; :situation, soient mieux dominés.
l'éducateur est celui qui agit; les élèves, ceux qui
ô"". ô" but, les oppresseurs utilisent la conception et la
- I'illusion pt"tiq* de l'éducatiôi << bancaire >, à laquelle ils ajoutent
ont d'agir, à travers I'action de l'éducateur; [o"i"'""" action sociale de caractère paternaliste, où les
l'éducateur choisit le contenu du programme; les
- jamais consultés sur ce choix, s'en accommodent; àppti*Ct reçoivent le nom sympathique d' << assistés >'
élèves, dJto"t-o"t'cas individuels, ôe lrurs < marginaux >'-qui
l'éducateur identifie I'autorité du savoir avec son générale de la société'
i*ti;;;"ti"o o"ot la phvsionomie.juste'
-
autorité fonctionnelle qu'il oppose de façon antagonique à << ôele-ci est bonne, oiganisée et Les opprimés' en
la liberté des élèves; ceux-ci doivent s'adapter aux détenni-
nations de l'éducateur; z.-si-oou de Br,ruvorn, La Pensée potitique de ta iltoite'
52 53
 tant que cas individuels, constituent la pathologie de la
leur parle comme d'une chose statique, peuvent les éveiller
-q{ne qui doit, par conséquent, lei adaptér à elle,
société
en modifiant leur mentalté d'hommes ineptei et pares- par 1à contradiction qu'elles constituent à leur égard et à
seu)r. i'égard de la réalité. Â leur égard, lorsqu'ils se découvrent,
)>

Pour ces marginaux, << en dehors >, ou <( en marge >>, la
solution. gelalt qulils soient << réintégrés >, < incorpîrès u,
à la société dont ils se sont un jour-< écartés >, trânsfuges
renonçant à une vie heureuse... Leur salut serait de rejeier
leur condition d' << êtres en dehors > pour assumer celle
d'êtres << au-dedans >.
Pourtant,_ ceux queI'on appelle les marginaux,
.les opprimés, nlont jamais qui sont
ê{ê en dehors.lt oni foujours
êtê au-dedans. Au-dedans de la structure qui les transforme
en êtres pour un autre >. Leur salut n-'est donc pu, d"
-<<
< s'intégrer >, de << slncorporer > à cette structure qui les
opprime, mais de la transfôrmer pour qu,ils puissent^d.eve-
nir des << êtres pour eux-mêmes i.
Cela,ne peut, bien entendu, être I'objectif des oppres_
seurs. Aussi l'éducation << bancaire > qui est à leur sèivice
ne pourra-t-elle jamais s,orienter danJ le sens de la cons-
cientisation des élèves.
Dans l'éducation des adultes, par exemple, les tenants
de cette conception < bancaire > n'ont p"j intérêt a pio-
poser aux élèves la découverte du monde-. Au contraire, ils
préféreront leur demander si l,on doit dire : << pierre vj au
boglanger ll, pour leur déclarer ensuite triomphalement
qu'il faut dire au contraire : << pierre va chez fe boulan_
ger. >>
Cela signifie qu9 penser de façon authentique est dan_
gerenx. L'êûalge humanisme de cette conception << ban_
caire > se réduit à vouloir transformer les^ nommes en
automates, ce qui est la négation de leur vocation onto-
poi l"nt expérience existentielle, dans un mode de vie
incompatible avec leur vocation à s'humaniser' A l'égard
de la réalité, lorsqu'ils s'aperçoivent, dans leurs relations
avec elle, qu'elle est en devenir constant.
Le coNcEprroN < CIoNscIENTISANTE > ET LIBÉRÀTRICB DE'
rÉpucerroN. SEs pRÉsuPPosITroNS
Si les hommes sont des êtres de recherche et si leur
vocation ontologique est de s'humaniser, ils peuvent,.tôt
ou tard, découviir la contradiction dans laquelle f < édu-
cation Éancaire > prétend les enfermer, et s'engager dans
la lutte pour leur libération.
Un éàucateur humaniste, révolutionnaire, ne doit pas
se borner à attendre cette éventualité 3. Son action, en
s'identifiant d'emblée avec celle des élèves, doit s'orienter
dans le sens de leur humanisation commune. Dans le sens
du penser authentique et non de la donation, de la trans-
misiion du savoir. Son action doit être imprégnée d'une
profonde confiance envers les hommes, d'une croyance
en leur pouvoir créateur.
Tout èeh exige de lui qu'il soit un compagnon des
élèves, dans ses relations avec eux.
L'éâucation < bancaire >, dont I'action dissocie la ren-
contre éducateur/élèves, élimine ce compagnonnagg' Et
Cest logique. Dès I'instant où léducateur << bancaire >>

logique au plus-être. vivrait lé àépassement de la contradiction, il ne serait déjà

Ceux .lui exercent l'éducation << bancaire >, délibérément plus < bancàire >. I1 ne ferait plus. de < dépôts o:
ou- noî (car il y a d'innombrables éducateurs de bonne "'^Il
èhercherait plus à domestiquer. Il n'imposerait plus' Savoir
y"l9_"t9 qui ne savent même pas qu'ils sont au service de avec les élèves en même témps que ceux-ci sauraient avec
la déshumanisation en_pratiquant le < O"nc"rirmÀ >J, né -mais Il ne-serait plus au service
lui serait son objectif. de la
s'aperçoivent pas que tes < àepats > en eux_mêmes'ren_ déshumanisation, au service de la libération'
terment des contradictions, recouvertes par une enveloppe
extéjjeyre qui les masque. Et que, iôt ou tard, 'lis
pas cela à la légère. Déjà nous avons afffrmé
-< dgpQts > eux-mêmes peuvent entrer en conflit avec
3. Nous ne disons
-reneie'
lùâiràii*- la itructure" du poiuvoir' d'oir la difû-
la rêahtê en devenir et soulever les élèves jusqu'alors pas- "rrî
Ërrte',ii" .i"ônt-re un lduôateur qui veut prâtiquer le gialo^gue
sifs, contre leur << domestication >. ;;; Ë;" - d" -iâôôn-conerente, dâns une -structure gu.i- refuse
rârt
îe dialo"sue. Ouel<iue chose de fondamental peut
-aiatos,rJ-à -ce être cepen-
Leur < domestication > et celle de la réalité dont on à"rri'î"-elôfi-iin propos de même refus du
dialogue.
54 55

Le coNcrprtoN << BANcÂIRE > ET LA
cerrun,/ÉrÈvn
Dès lors, comme les hommes, en recevant le monde qui
covrRADrgrrox Éou_
entre en eux, sont déjà des êtres passifs, il appartient à
l'éducation de les rendre encore plus passifs et de les
adapter au monde. Plus ils sont adaptés, du point de vue
<< bancaire >>, plus ils sont << éduqués >, parce qu'ils sont

La colception << bancaire > implique, outre ce dont nous
avons déjà parlé, d'autres aspecis liés à sa fausse vision
des homm^es, aspects parfois expticites dans sa mise en
fra_
tique, parfois sous-jacents.
Elle suggère une prétendue dichotomie hommes/monde.
^Des hommes qui seraient simplement dans le monde
au
lieu d'être avec le monde et avec les autres. Des hommes
qui seraient des spectateurs au lieu d,être des re-créateurs
du monde. Elle conçoit leur conscience comme localisée
quelque part en erx, au lieu de les considérer comme des
< co{ps conscients >. Elle envisage la conscience comme
si c'était une certaine zone << à liintérieur > des hommÀs,
compartimentée de façon mécaniste, ouverte passivemeni
au monde qui va la << remplir > avec le réel. C'est une
conscience vouée à recevoir èn permanence les dépôts que
le monde lui apporte, et qui ddviennent son contenu.
Selon cette fausse vision des hommes, au moment,même
où j'écris, se trouveraient << au-dedans > de moi, comme des
parcelle-s du monde qui m,entoure, la table où j'écris, les
livres, la tasse de café, tous les objets qui sont pras ae
moi, exactement de la même façon que je-suis à I'i-ntérieur
de ma chambre.
SoT à .n'y aurait plus de distinction entre ce qui se
présente it la conscience et ce qui entre dans la
Mais fa table sur laquelle j'éôris, les livres, la"onsclence.
tasse de
café, les objets qui m'entourent sont simplement présents
à ma conscience et non à I'intérieur d'elle-. J,ai coâscience
d'eux, mais ils ne sont pas au-dedans de moi.
Si, selon la conception << bancaire >, la conscience est,
en sa relation avec le monde, cette << chose > passivemeni
-ouvefte à lui, attendant qu,il entre en elle, on en conclura
tgeigqgmenl que l'éducateur n,a pas d'autre ,ôi" q"; d"
discipliner I'entrée du monde cheZ les élèves. Son travail
consistera aussi à imiter le monde, à ordonner ce qui se
fait déjà spontanément, à emplir les élèves avec des'idées
toutes faites, à faire des << dépôts > de << communiqués >>,
faux savoir considéré comme-le vrai savoir i.
4. La conception du savoir, de.ce point de vue n bancaire D,
est au fond ce que sanré' &,Eimfe-"t*irjïlo"""f
"pb;,rfrè
56
ajustés au monde.
C'est là une conception et, par voie de conséquence,
une pratique qui ne peut intéresser que des oppresseurs,
lesquels seront d'autant plus tranquilles que les hommes
seront plus ajustés au monde. Et d'autant plus préoccupés
que les hommes remettront davantage le monde en
question.
Plus les grandes majorités s'adaptent aux finalités qui
leur sont imposées par les minorités dominatrices, perdant
ainsi le droit d'avoir leurs finalités propres, plus ces mino-
rités exerceront leur domination.
La conception et la pratique de cette éducation que nous
critiquons ici sont des moyens emcaces pour parvenir à
cette ûn. C'est pourquoi un des objectifs fondamentaux de
ces éducateurs, même si nombre d'entre eux exercent une
telle éducation sans être conscients de cet objectif, est de
faire obstacle, autant que possible, à la pensée authen-
tique. Dans les classes verbalistes, dans les méthodes d'éva-
luation des << connaissances >>, dans ce qu'on appelle le
<< contrôle de lecture >, dans la distance entre l'éducateur
et les élèves, dans les critères de passage aux classes supé-
rieures, dans les indications bibliographiques 5, en tout, on
retrouve la connotation << digestive > et I'interdiction qui
frappe la pensée authentique.
Devant I'alternative de durer en disparaissant, dans une
sorte de course à la vie, ou de disparaître par et dans
I'imposition de sa présence, l'éducateur << bancaire > choisit
la deuxième hypothèse. Il ne peut comprendre que durer
c'est chercher ù être, avec les autres. C'est vivre ensemble,
sympathiser. En aucun cas se superposer, ni même se
juxtaposer aux élèves, ni cesser de sympathiser. Il ne peut
y avoir de permanence dans I'hypertrophie.
Mais l'éducateur << bancaire > ne peut croire à rien de
la conception ( digestive > ou ( âlimentâire > du savoir.
Celui-ci apparait comme l' ( aliment , que l'éducateur intro-
duit dans les élèves, dans une sorte de processus d'engraisse-
ment.
5. Certains professeurs, en indiquant une référence biblio-
graphique,_ conseil_Ient la lecture d'un livre de la pâge 10 à
Ia page 15, et cela, pour aid.er les élèves...
57
tout cela. Vivre ensemble, sympathiser, suppose la com-
munication que et ses actes redoutent et refusent.
ses idées
Il ne peut percevoir que la vie humaine n'a de sens que
dans la communication, que la pensée de l'éducateur ne
prend une valeur d'authenticité que dans I'authenticité de
la pensée des élèves, par f intermédiaire du réel, dans une
intercommunication. Mais la pensée de l'éducateur ne doit
pas être une pensée élaborée pour eux et qui leur soit
imposée. C'est pourquoi elle ne doit pas être une pensée
élaborée dans I'isolement d'une tour d'ivoire, mais dans et
par la communication, à propos, répétons-le, d'une réalité
concrète.
Et si la pensée n'a de sens que de cette manière, si elle
a sa source vive dans une action sur le monde, lequel joue
un rôle d'intermédiaire entre les consciences en communi-
cation, alors la superposition des hommes sur les hommes
est impossible.
Cette superposition, qui est un des traits essentiels de la
conception << éducative > que nous critiquons, la caractérise
comme une pratique de domination. Sachant qu'elle part
d'une fausse compréhension des hommes, réduits à de
simples choses, on ne peut espérer qu'elle favorise ce type
de développement que Fromm appelle la biophilie, mais
bien son contraire, la nécrophilie.
<< Alors que la vie, dit Fromm, se caractérise par la
croissance structurée, fonctionnelle, I'individu nécrophile
aime tout ce qui n'est pas en croissance, tout ce qui est
mécanique. La personne nécrophile est mue par un désir
de changer I'organique en inorganique, de considérer la vie
mécaniquement, comme si tous les êtres vivants étaient
des choses. Tous les processus, les sentiments et les pensées
de la vie se transforment en choses... La mémoire remplace
I'expérience. L'avoir est ce qui compte, au lieu de l'être.
L'individu nécrophile ne peut entrer en contact avec un
objet, une fleur ou une personne, que s'il le possède; en
conséquence, une menace envers sa possession est une
menace envers lui-même; s'il perd la possession, il perd
le contact avec le monde [...]. < n aime contrôler, et, dans
l'acte du contrôle, il tue la vie 6.>>
L'oppression, qui est un contrôle écrasant, est nécro-
phile. Elle se nourrit de I'amour de la mort et non de
I'amour de la vie.
ô. Erich FRoMM, El corazon del Eombre, op. cit., p. 28-29.
58
L'éducation < bancaire )>, qui en est la servante, est
aussi nécrophile. Du fait qu'elle se fonde sur une vision
mécaniste, statique, localisée, de la conscience et qu'elle
transforme parelle-même les élèves en récipients, en
<< quasi-choses elle ne peut cacher son caractère nécro-
>>,
phile. Elle n'est pas mue par le désir de libérer la pensée
par l'action des hommes, les uns avec les autres, dans la
tâche commune de refaire le monde et de le rendre de
plus en plus humain.
Son désir est précisément à l'opposé : contrôler la pensée
et I'action, en poussant les hommes à s'ajuster au monde.
Inhiber le pouvoir créateur et le pouvoir d'agir. Mais, en
visant cela, en faisant obstacle à l'action des hommes,
comme sujets, comme êtres capables de choisir, elle les
frustre.
Quand, cependant, pour une raison quelconque, les
hommes se sentent empêchés d'agir, quand ils se découvrent
incapables d'utiliser leurs facultés, ils souffrent.
Cette souffrance provient du fait que << l'équilibre
humain a été perturbé > (Fromm). Mais I'impossibilité
d'agir, qui crée la souffrance, provoque aussi chez les
hommes le sentiment de refus de I'impuissance. Ils
s'eftorcent alors de << recouvrer leur capacité d'agir >>
(Fromm).
< Mais le peuvent-ils ? Et de quelle façon ? > demande
Fromm. << IJn moyen, repond-il, est la soumission à une
personne ou à un groupe qui détient le pouvoir, et fiden-
tifiça1ioo à cette personne ou à ce groupe. Par cette par-
ticipation syrnbolique à la vie d'une autre personne,
l'homme a I'illusion qu'il agit, alors que, en réalité, il ne
fait rien de plus que de se soumettre à ceux qui agissent,
en devenant leur chose 7. >>
Peut-être pourrions-nous trouver dans les manifestations
populistes ce type de réaction des opprimés 8. Leur façon
de s'identifier à des leaders charismàt1ques, à travers ies-
quels ils puissent se sentir agissants et donc puissants, de
1gQme que leur révolte au moment de leur émèrgence dans
l'histoire, résultent de l'élan qui les pousse à vouloir exer-
cer leur puissance.
Pour les élites dominatricesn cette révolte qui est une
7. Ibid.
_.-4_propos :du
- L'Educo.tion p_opulisme,- voir Francisco Werronr, préface
pratique de la libefté, op. cit.
à
59
menace se combat par une domination accrue, par la
répression faite au nom même de la liberté, et par l'éta-
blissement de I'ordre et de la paix sociale, d'une paix
sociale qui, au fond, n'est rien d'autre qu'une paix réservée
aux dominateurs. Cest pour cela qu'elles peuvent consi-
dérer, logiquement de leur point de vue, comme une absur-
dité < la violence d'une grève ouvrière et qu'elles peuvent
appeler à leur aide I'Etat pour employer la violence en
brisant la grèvee >.
L'éducation, vue comme une pratique de domination,
qui est ici l'objet de notre critique, en perpétuant le niveau
primaire des élèves, prétend, selon son idéologie typique
(pas toujours perçue par nombre de ceux qui fexercent),
les endoctriner dans le sens d'une accommodation au
monde de l'oppression.
Malgré notre dénonciation, nous n'espérons pas que les
élites dominatrices renoncent à leur manière d'agir. Ce
serait trop naif de I'espérer.
Notre objectif est d'appeler fattention des véritables
humanistes sur le fait qu'ils ne peuvent pas, dans leur
quête de libêration, utiliser la conception << bancaire >>,
sous peine de se contredire. tr ne faut pas faire de cette
conception le legs de la société opprimante à la société
révolutionnaire.
Une société révolutionnaire qui maintiendrait la pra-
tique de l'éducation << bancaire >, ou bien se fourvoierait,
ou bien se laisserait entamer par la méfiance et la défiance
envers les hommes. En toute hypothèse, elle serait menacée
par le spectre de la réaction.
Malheureusement, il semble que cerD( qui ont le souci de
la cause de la liberté ne sont pas toujours convaincus de ce
qui précède. Et que, enveloppés par le climat qui engendre
la conception << bancaire >, et subissant son influence, ils
ne parviennent pas à percevot sa signiflcation et sa force
déshumanisante. Paradoxalement, ils emploient alors le
même instrument aliénant dans un effort qu'ils prétendent
libérateur. Et certains de ceux qui emploient cet instrument
d'aliénation traitent ceux qui le refusent de naifs ou de
rêveurs, sinon de réactionnaires.
Ce qui nous paraît indiscutable, Cest que, si nous vou-
lons la libération des hommes, nous ne pouvons commen-
9. Reinhold NTEBUER, Moral Man and. Immoral Socîetg, Charles
Scribnet's Sons, N. Y., 1960, p. 130.
60
cer par les aliéner ou les maintenir dans l'aliénation. La
libération authentique, qui est I'humanisation en marche,
n'est pas une chose qu'on puisse déposer dans les hommes.
Ce n'est pas une parole de plus, vide, mythifiante. C'est une
praxis qui suppose l'action et la réflexion des hommes sur
le monde, pour le transformer.
Précisément parce que nous ne pouvons accepter la
conception mécaniste de la conscience, qui fait d'elle
quelque chose de vide qu'il faut remplt (c'est là un des
fondements implicites de la vision << bancaire > en ques-
tion), nous ne pouvons pas davantage accepter que I'aCtion
libératrice se serye des mêmes armes de domination, c'est-
à-dire de la propagande, des << slogans >, des << dépôts >.
L'éducation, qui s'impose à ceux qui, véritablement, s'en-
gagent pour la libération, ne peut se fonder sur une
conception des hommes courme des êtres << vides >> que
le monde emplit de connaissances. Elle ne peut s'appuyer
sur une conscience localisée dans I'espace, compartimentée
de façon mécaniste, mais sur des hommes vus cornme
<< colps conscients > et sur la conscience vue cotnme cons-
cience orientée vers le monde. Elle ne peut être une édu-
cation de < dépôts >, mais celle de la conscientisation des
hommes dans leurs relations avec le monde.
A I'opposé de l'éducation < bancaire >, l'éducation cons-
cientisante, répondant à l'essence de la conscience qui est
son intentionnalité, refuse les communiqués et donne vie
à la communication. Elle s'identifie avec le propre de la
conscience qui est toujours d'être conscience de quelque
chose, non seulement quand elle s'applique à des objets,
mais même quand elle revient sur elle-même, dans ce que
Jaspers r0 appellela << scission >. Scission où la conscience
est devenue conscience de la conscience.
Dans ce sens, l'éducation libératrice, conscientisante, ne
peut plus être l'acte de déposer, ou de raconter, ou de
transférer, ou de transmettre des << connaissances >> et des
valeurs chez les élèves, simples patients, à la manière de
l'éducation < bancaire >, mais un acte cognitif. C'est un
lieu de cognition où I'objet connaissable, au lieu d'être le
10. Karl Jlsnnns, Philosophlt, vol. 1, 1'he University of Chi-
cago Press, 1969, p. 30 : q La rétexion de la consôience sur
elle-même est aussi évidente et merveilleuse gue son intention-
nâlité. Je me tourne vers moi-même ; Je suis à la fois u[ et
double. Je n'existe pas oomme existeht- les choses, mais, dans
une scission intérieure, oornme mon propre objet, et dons en
mouvement intérieur incessant. D
61

but de I'acte cognitif d'un sujet, sert d'intermédiaire entre
plusieurs sujets connaissants, l'éducateur d'un côté, les
élèves de l'autre. L'éducation conscientisante pose d'emblée
I'exigence d'un dépassement de la contradiction éducateur/
élèves. Et seul ce dépassement rend possible la relation de
dialogue indispensable à féveil des zujets connaissants,
autour du même objet connaissable.
L'antagonisme entre les deux conceptions, I'une < ban-
caire > q:ui est au service de la domiriation, l'autre, coris-
cientisante qui est au service de la libération, prend corps
précisément ici. Alors que la première, nécessairement,
perpétue la contradiction éducateur/élèves, la seconde réa'
lise son dépassement.
Pour maintenir la contradiction, l'éducation << bancaire >
nie le dialogue comme essence de l'éducation et se fait
antidialogique. Au contraire, pour réaliser le dépassement,
l'éducation conscientisante, lieu de cognition, affrme la
nécessité du dialogue et se fait dialogique.
hnsorws rt'Épueue ÀurRur, pBRSoNNB Ne s'ÉDUQUE sBUr"
LES I{OMMES S'É,pUQUrnr ENSBMBTS, pen r-rvreRMÉ.DrÀrRB
DU MONDE
En vérité, il
ne serait pas possible que féducation cons'
cientisante, qui rompt avec les schémas verticaux caractê-
ristiques de l'éducation bancaire >, se réalise comme une
<<
pratique de la liberté sans dépasser la contradiction qui
existe entre l'éducateur et les élèves. De même cela lui
serait impossible sans le dialogue.
C'est à travers le dialogue que s'opère le dépassement
d'où résulte un élément nouveau : il n y a plus d'éduca-
teur de l'élève ni d'élève de féducateur, mais un << éduca-
teur-élève > avec un << élève-éducateur >.
Alors, féducateur n'est plus celui qui simplement éduque,
mais celui qui, en même temps qu'il éduque, est éduqué
dans le dialogue avec l'élève. Ce dernier, en même temps
qu'il est éduqué, est aussi éducateur. Tous deux ainsi
deviennent sujets dans le processus où ils progressent
ensemble, où les << arguments d'autorité > ne sont plus
valables, et où, pour pouvoir représenter fonctionnellement
I'autorité, il laut être du côté des libertés et non pa,s contre
elles.
62
Alors, personne n'est plus l'éducateur de quiconque, de
même que personne ne s'éduque lui-même; les hommes
s'éduquent ensemble, par I'intermédiaire du monde. Grâce
à la médiation des objets connaissables qui, dans la pra-
tique << bancaire >, sont la propriété de l'éducateur qui les
décrit ou les dépose chez les élèves passifs.
Cette pratique << bancaire >, qui soumet tout à la dicho-
tomie, distingue deux moments dans I'action de l'éducateur.
Le premier où, dans sa bibliotheque ou son laboratoire, il
exerce un acte cognitif en face de I'objet connaissable,
alors qu'il se prépare pour ses classes; le second où, devant
les élèves, il raconte ou disserte à propos de I'objet sur
lequel il a exercé son acte cognitif.
Le rôle qui revient aux élèves, comme nous I'avons sou-
ligné dans les pages qui précèdent, est simplement d'archi-
ver le discours ou les << dépôts >> que leur confie l'éduca-
teur. Dans ce système établi au nom de la << préservation
de la culture et de la connaissance >>, il n'y a en réalité ni
vraie connaissance ni culture véritable.
Il ne peut y avoir de connaissance, car les élèves ne
sont pas appelés à connaltre mais à mettre en mémoire ce
que raconte l'éducateur. Ils ne réalisent aucun acte cognitif,
puisque I'objet qui devrait en être l'occasion appartient à
l'éducateur et n'est pas le médiateur de la réflexion critique
des deux.
Au contraire, l'éducation conscientisante ne distingue pas
ces deux moments dans I'action de l'éducateur-é1ève. Celui-
ci n'est pas d'abord un sujet connaissant, puis un sujet qui
raconte ce qu'il sait. il est toujours un sujet connaissant,
à la fois quand il prépare ses cours et quand il rencontre
ses élèves dans le dialogue.
L'objet connaissable cesse d'être propriété et devient une
occasion de réflexion pour lui et pour ses élèves. L'éduca-
teur conscientisant re-fait constamment son acte cognitif,
à travers la capacité de connaissance des élèves. Ceux-ci,
au lieu d'être de simples réceptacles de << dépôts >, sont
maintenant des chercheurs critiques, en dialogu.e avec l'édu-
cateur, lui-même chercheur critique.
A mesure que l'éducateur présente aux élèves, cornme
objet de considération, les éléments, quels qu'ils soient, de
l'étude à faire, il re-considère ses propres considérations
antérieures en entendant celles que font les élèves.
Du fait même que cette pratique éducative crée un
lieu de cognition, le rôle de l'éducateur conscientisant est
63
de créer, avec les élèves, les conditions dans lesquelles la
connaissance au niveau de la doxa pourra être remplacée
par une connaissance véritable au niveau du logos.
Ainsi, alors que la pratique << bancaire )>, comme nous
I'avons noté, conduit à une sorte d'anesthésie, inhibant le
pouvoir créateur des élèves, l'éducation conscientisante, de
caractère authentiquement réflexif, conduit à une décou-
verte permanente de la réalité. La première prétend main-
tenir fétat d'immersion; la seconde, au contraire, recherche
l'émergence des consciences, d'où résulte leur insertîon
critique dans la rêalité.
Plus les élèves prennent conscience du fait qu'ils sont
des êtres situés dans le monde et avec le monde, plus ils
se sentiront mis au défi et plus ils seront obligés de
donner une réponse. Défiés, ils comprennent Ie défi dans
leur propre démarche pour I'affronter. Mais précisément
parce qu'ils affrontent le défi coûlme un problème lié à
d'autres problèmes, dans une optique globale, et non comme
quelque chose de pétrifié, la compréhension qui en résulte
tend à devenir progressivement critique, et donc de plus
en plus désaliénée. Celle-ci facilite la compréhension de
nouveaux défis qui apparaissent au fur et à mesure des
réponses, et grâce à elle ils se découvrent de plus en plus
engagés. C'est ainsi que peu à peu la compréhension
engage.
L'éducation vue comme pratique de la liberté, par oppo-
sition à celle qui est une pratique de la domination, sup-
pose le refus de I'homme abstrait, isolé, détaché, coupé du
monde, ainsi que le refus du monde en tant que réalité
sans liens avec les hommes. La réflexion authentique
qu'elle propose ne porte pas sur cet homme abstrait ni zur
ce monde sans I'homme, mais sur les hommes dans leurs
relations avec le monde. Relations où la conscience et le
monde entrent en jeu simultanément. La conscience ne
précède pas le monde, et, inversement, le monde ne pré-
cède pas la conscience. < La conscience et le monde, dit
Sartre, sont donnés d'un même coup : extérieur par essence
à la conscience, le monde est par essence relatif à ellell. >
Voilà pourquoi, un jour, dans un des << cercles de cul-
ture > du Chili, un paysan que la conception << bancaire >
classerait comme << ignorant absolu >, déclara, dans une
discussion sur le concept anthropologique de culture :
11. Jeân-Paul Senrnr, L'Eomme et les Choses, op. cit.
64
<< Je découvre maintenant qu'il n'y a pas de monde sans
l'homme. >> Et lorsque l'éducateur lui dit : < Admettons
dans I'absurde que tous les hommes soient morts, mais que
la terre subsiste, avec les arbres, les animaux, les rivières,
la mer, les étoiles, est-ce que ce ne serait pas encore le
répondit-il avec conviction, il man-
- < Non,
monde? >
guerait quelqu'un pour dire : voici le monde. >
Ce paysan voulait dire précisément qu'il manquerait une
conscience du monde, ce qui, nécessairement, suppose le
monde de la conscience.
En vérité, il n'y a pas de moi qui puisse se constituer
sans un non-moi. Pour sa part, le non-moi qui fonde le
moî se constifue en même temps que le moî. Ainsi le
monde constituant de la conscience devient Ie monde de
la conscience, son objectif visible, vers lequel elle s'oriente.
D'où I'affirmation de Sartre citée plus hâut : < La cons-
cience et le monde sont donnés d'un même coup. >
A mesure que les hommes, réfléchissant en môme temps
sur eux-mêmes et sur le monde, augmentent le champ de
leur perception, ils dirigent leur regard sur des < aperçus >
qui, iusqu'alors, bien oue présentés dans ce gue Husserl
appelle des < visions de fond )>, ne se détachaient pas,
<<n'étaient pas mis en relief 12 >.
Alors, dans leurs < visions de fond >>, ils commencent à
<< détacher des aperçus > et ils portent sur eux leur
réflexion. Ce qui auparavant avait déjà une existence objec-
tive, mais n'était pas appréhendé dans ses implications pro-
fondes et parfois n'était même pas perçu, se << détache > et
prend I'aspect d'un problème et donc d'un défi. Dès lors,
<< I'aperçu détaché > devient objet de la considération des
hommes, et, comme tel, objet de leur action et de leur
connaissance.
Alors que dans la conception << bancaire > qu'on
permette d'insister l'éducateur emplit les- élèves nous
d'un
- imposées, dans l'éducation cons-
faux savoir de notions
cientisante les élèves développent leur pouvoir de capter
et de comprendre le monde qui leur apparait, dans leurs
relations avec lui, non plus comme une réalité statique,
mais comme une réalité en transformation, en évolution.
La tendance de l'éducateur-élève, cornme celle des élèves-
éducateurs, est d'adopter une façon authentique de penser
12. Edmund Hu6sERL, Genetd.I Inttoductton to Pur.c phenome-
nalaou, Collier Bools, London, qhtrd printing, 1969, p. 105-10û.
65
et d agir. De réfléchir sur eux-mêmes et sur le monde,
simultànément, sans couper cette pensée de I'action.
L'éducation conscientisante devient ainsi un effort per'
manent par lequel les hommes se mettent à découvrir, de
façon ciitique, comment ils vivent dans le monde cvec
Iequel et dans lequel ils sont.
isi, de fait, iL n'est pas possible de comprendre les
hommes en dehors de leurs relations dialectique5 avec le
monde, et si d'autre part celles-ci existent, quils en soient
conscients ou non et indépendamment de la façon dont
ils les perçoivent, il est vrai aussi que leur façon d'agir,
quelle qu'é[e soit, est en grande partie fonction de la
manière dont ils voient leur place dans le monde.
Encore une fois, les deux conceptions et les deux pra-
tiques que nous étudions s'opposent. La < bancaire >' pour
des raiions évidentes, persiste à maintenir cachées cer-
taines explications sur la façon dont les hommes vivent
dans le monde, et par là elle mythifie la réalité. La < cons-
cientisante >, vouéè à la libération, s'attache à démythifrer.
Ainsi, la première refuse-t-elle le dialogue, alors que la
deuxième le tient pour une condition indispensable de
I'acte de connaissance qui dévoile la réalité.
La première << assistàntialise >, la seconde engendre le
sens clitique. La première, au service de la domination,
inhibe la créativité et, bien qu'elle ne puisse tuer l'inten'
tionnalité de la conscience en la détachant du monde, elle
la < domestique >. Ce faisant, elle nie I'homme dans sa
vocation ontologique et historique à l'humanisation. Dans
la mesure où, au service de la libération, la seconde se
fonde sur la créativité et où elle stimule la réflexion
authentique et I'action véritable des hommes sur la réalité,
elle répond à leur vocation, celle des êtres qui ne peuvent
recouvrer leur authenticité sans un effort de recherche et
de transformation créatrice.
L'ttol,nm' Êrns It.tecrnvÉ, coNscIENT DB soN IMPERFECTToN,
DANs IrN EFFoRT PERMANENT EN vtB p'uN ptus-ÊTnB
La conception et la pratique de l'éducation < bancaire >,
-finissent par méconnaître les
immobilistei, < fixistes >,
hommes en tant qu'êtres historiques, alors que l'éducation
conscientisante part précisément du caractère historique
66
des hommes et les reconnalt comme des êtres en dcvcnlr,
comme des êtres inachevés, non accomplis, dans ct tvac
une réalité qui, étant également historique, est égalcmont
inachevée. En vérité, à la différence des autres êtres anl'
més qui sont simplement inachevés, mais non historiquor,
les hommes, eux, se savent inachevés. Ils ont conscienco do
leur imperfection. Ici se trouvent les racines mêmes do
l'éducatibn, comme manifestation exclusivement humainc'
à savoir 6oas fimFerfection des hommes et dans la
conscience qu'ils en ont. C'est pourquoi l'éducation est
une tâche permanente, parce qu'elle se fonde sur la perfec'
tibilité des hommes.
Ainsi féducation se refait-elle constamment dans la
praxis. Pour être, i4. faut être en devenir.
La < duree au sens bergsonien du terme
- de
ce
' - du jeu des contraires : permanence/
processus dépend
changement. Alors que la conception < bancaire > met
I'accent sur la pefinanençe, la conception < conscienti-
sante > insiste sur le changement.
La pratique < bancaire >, impliquant I'immobilisme,
comme nous l'avons dit, devient réactionnate, alors que
l'éducation conscientisante, n'acceptant ni un présent < bien
organisé > ni un futur prédéterminé, s'enracine dans un
present dynamique et devient révolutionnaire.
L'éducation conscientisante n est Pas un fixisme réac-
tionnaire, Cest un futurisme révolutionnaire. C'est pour-
quoi elle est prophétique, et donc chargée d'espérance 13.
C'est pourquoi elle correspond à la condition des hommes
en tant qutêtres historiques. C'est pourquoi elle s'identifie
à eux en tant qu'êtres au-delà d'eux-mêmes, gornme ( pro-
jets >, comme des êtres qui cheminent vers I'avant, qui
regardent en avant; conrme des êtres que l'immobilisme
menace de mort; des êtres pour qui regarder en arrière
ne doit pas être uD retour nostalgique au passé, mais
un moyen de mieux comprendre ce qui se Passe' Pour
13. Dans un autre essai, uous analysons plus largement co
sens DroDhétique et chargé d'espérance de l'éducatlon (ou actioD
culturîeuôl coiscientisantè. Ce -prophétisme et cette espéranc€
résultent'du caractère utopique d'unt telle forme d'action' enten-
dant Dar utoDie I'unité- indivisible entre la contestatlon et
I'annoice. Contlestation d'une réalité déshumanisante et aonotce
d'une réalité avec Iaquelle Ies homqes puissent êtte -plus.
Annollce et contestatlot' ne 6ont pas des mots vides' Eais uD
èncaÀement historiaue. (Cf. Paulo- Fnernr, Cultutal Action lot
Frieâom, Center foi the'Study of Development and Social C,han-
geE, C";hridge, Massachussets, U. S. À)
67
mieux construire le futur. C'est pourquoi cette éducation
s'identifie au mouvement permanent dans lequel sont ins-
crits les hommes, cotnme des êtres qui se savent inachevés.
Ce mouvement est historique et ii a un point d,:
départ, un sujet et un but.
Son point de départ se situe dans les hornmes eux-
mêmes. Mais comme il n'y a point d'hommes saqs monde,
sans réalité concrète, le mouvement part des relations
hommes/monde. Aussi ce point de départ est-il toujours
situé chez les hommes, dans leur ici et leur maintenant,
qui constituent la situation où ils se trouvent, parfois
immergés, parfois émergents, parfois mal définis. C'est seu-
lement à partir de cette situation, et de la perception
qu'ils en ont, qu'ils peuvent se mettre en mouvement.
Mais pour que cela soit possible, authentiquement, il
est nécessaire aussi que la situation dans laquelle ils se
trouvent ne leur apparaisse pas comme quelque chose
de fatal et d'insurrrontable, mais comme une situation de
défi qui ne fait que les limiter.
Alors que la pratique << bancaire >>, d'après tout c€ que
nous avons dit, accentue directement ou indirectement la
perception fataliste que peuvent avoir les hommes de
leur situation, la pratique conscientisante, au contraire,
propose aux hommes d'envisager leur situation comme
un problème à résoudre. Elle les incite à faire de leur
situation le support de leur acte cognitif, qui leur per-
mettra de dépasser leur niveau de perception magique ou
primaire. Cette perception magique ou primaire de la réa-
lité, qui conduisait à une attitude fataliste, cède la place
à une perception qui est capable de s'appréhender elle-
même. Et parce qu elle est capable de ce retour sur elle-
même en même temps qu'elle saisit la réalité qui lui
paraissait inexorable, elle est capable d'objectiver cette
Éalrté-
Alors, approfondissant leur prise de conscience de la
situation, les hornmes se l' << approprient > coûrme
réalité historique qu'ils peuvent transformer. Le fatalisme
est remplacé par un élan de transformation et de recherche
dont les hommes se sentent les sujets.
Ce serait et c'est en fait une véritable violence que les
hommes, êtres historiques et nécessairement inscrits dans
un mouvernent de recherche avec les autres hommes, ne
puissent pas être les sujets de leur propre recherche. Aussi,
chaque fois que quelques hommes empêchent d'autres
68
hommes d'être sujets dans leur recherche, il se crée une
situation de violence. Peu importent les moyens de
contrainte employés pour limiter les hommes à devenir
des objets, dès lors qu'on les prive du pouvoir de déci-
sion, transféré à un autre ou à d'autres.
La quête des hommes ne prend son sens que dans la
mesure où elle s'oriente vers le plus-être, vers l'humani-
sation des hommes. C'est cela, comme nous I'affirmions au
premier chapitre, leur vocation historique contredite par la
déshumanisation qui n'est pas une vocation, mais une éven-
tualité historique. Et puisque c'est une possibilité, elle doit
apparaître aux hommes comme un dét et non cornme un
frein dans leur élan de recherche.
Cette quête du plus-être, cependant, ne peut se réaliser
dans l'isolement, dans I'individualisme, mais dans la commu-
nion, la solidarité des existences, et, par suite, elle ne peut
être menée dans un contexte de relations antagoniques
entre oppresseurs et opprimés.
Personne ne peut honnêtement empêcher que les autres
n'accèdent à l'être. C'est une exigence radicale. Le plus-
être que I'on recherche dans l'individualisme conduit à
un plus-avoir égoiste qui est une façon de moins-être, de
déshumanisation. Non pas qu'il soit secondaire, répétons-le,
d'avoir pour être. C'est au contraire essentiel : l'at,oir de
quelques-uns ne doit pas se transformer en obstacle à
l'avoir des autres, les premiers s"appuyant sur la faiblesse
des seconds pour les écraser.
Pour l'éducation << bancaire >>, I'essentiel est, au mieux,
d'adouct cette situation, mais en maintenant les consciences
immergées en elle. Pour l'éducation conscientisante, tâche
humaniste et libératrice, I'important est que les hommes
soumis à la domination luttent pour leur émancipation.
Une telle éducation, où éducateurs et élèves deviennent
les sujets de leur propre éducation, dépasse I'intellectua-
lisme aliénant, dépasse I'autoritarisme de l'éducateur << ban-
caire >>, et dépasse aussi la fausse vision du monde. Celui-ci
n est plus alors quelque chose dont on parle avec des
mots frelatés, mais le médiateur des sujets de l'éducation,
I'occasion de I'action transformatrice des hommes d'où
résulte leur humanisation.
Voilà pourquoi la conception conscientisante de l'édu-
cation ne peut être au service de I'oppresseur. Aucun
< ordre > oppressif ne supporterait que tous les opprimés
se mettent à dire' << pourquoi ? >>.
69
 Mais si une telle éducation peut seulement être realisée 3. Le dialogue, essence de l'éducation
de façon systématique par une société qui a fait sa révo-
lution, cela ne signifie pas que les leaders révolutionnaires vue comme Pratique de la liberté
doivent attendre d'arriver au pouvoir pour la mettre en
pratique. Dans le processus révolutionnaire, le leader ne
peut être < bancaire > dans un premier temps et ne plus Le prerocrtg, ESSENcE DB L'ÉDUcATIoN vuB coMME PR.a-
l'être ensuite 1a.
TIQITB DE r-e USpnTÉ

En commençant ce chapitre sur la nécessité du dia-

logue dans l'éducation, qui vient prolonger nos réflexions
sur l'éducation conscientisante, il nous paraît indispensable
de faire quelques remarques sur la notion de dialogue. Ces
remarques nous permettront d'approfondir ce sujet que
nous avons déjà étudié dans notre ouvrage : L'Education :
Wotique de Ia libertéL.
Quand nous essayons d'analyser le dialogue comme
phénomène humain, nous rencontrons quelque chose qui
èst I'essence même de ce dialogue : la parole. Mais, com-
prenant que la parole n'est pas seulement un instrument
nécessaire, nous sommes amenés à en étudier la nature
profonde.
Nous découvrons dans la parole deux dimensions : I'ac-
tion et la réflexion, solidaires de telle manière, dans une
interaction si absolue, qu'en supprimant l'une d'elles, ne
serait-ce qu'en partie, I'autre en souffre immédiatement.
Il n'y a pàs de parole véritable qui ne soit praxis 2. Aussi,
prononcer une parole authentique, c'est transformer le
monde.
{u contraire, la parole faussée, qui ne peut transformer
la réalité concrète, résulte de la dichotomie qui s'établit
ontre ses constituants. Si la parole est privée de sa dimen-
sion action, la réflexion se transforme automatiquement
cn bavardage, verbalisme, bla-bla-bla. Elle devient aliénée
ot aliénante. C'est une parole insignifiante, dont on ne
peut espérer qu'elle dénonce le monde, car il n'y a pas
de dénonciation véritable sans engagement de transfor-
mation, et cela n'est pas possible sans action.

7. Op. ctt. Certalnes des réflexions qui suivent sont inspirées

' 2. nôs
Dar conversations avec le orofesséur Ernani Maria Fiori.
Parole avec action * réflexfon : praxis.
14. Àu chapltre rv, nous analyserons plus lonEuement cet Parole sans action : bavardage, verballsme.
parlerons Parole saJrs réflexion = activisme.
-éducatlve. dès théorles antidfalogique ct
asp_ect, lorsque_.Dous
dialogigue de I'action
7t
I't
70
I
 Si, à I'inverse, I'action est privilégiée au point d'exclure
la réîexion,- la parole devient activîsme. Cetle action pour
I'a,cliqq, qui supprime la réflexion, rejette également la
véritable praxis et empêche te dialogue.
Ifimporte laquelle de ces deux exclusions, en faussant
les comportements, engendre des idees fausses qui vienaent
renforcer la dichotomie.
L'existence humaine ne pelrt être muette, silencieuse, ni
se nourrir longtemps de fausses paroles, il lui faut ces
paroles authentiques avec lesquellès I'homme transforme
le monde. Exister humainement, c,est dire le monde, c,est
le modifier. Le monde exprimé devient à son tour un pro-
b.lème à résoudre pour les sujets qui l,expriment, et il exige
d'eux une expression nouvelle.
__
C-e n'est pas dans le silence s que les hommes se réa_
liseat, mais dans la parole, dans le travail, dans I'action-
réflexion.
Mais si la- parole authentique qui est travail, qui est
praxis, transforme le monde. elle n'est pas réservée à
quelques hommes, mais constitue un droit pour tous. C'est
pourquoi personne ne peut prononcer une parole véritable
tout seul, et personne ne doit imposer arx autres sa
-
parole en refusant la leur.
L9 dialogue est cette rencontre des hommes, par l,inter-
médiaire du monde, pour I'exprimer, et il nd se fimite
d.onc pas à une relation je-tu. Le dialogue n,est pas pos-
sible entre ceux qui veuient << dire >> l-e monde'et ôeux
qui s'y refusent. Entre ceux qui dénient aux autres le
droit de prononcer une parole ét ceux qui sont privés de
ce droit. Il faut d'abord que ceux qui sont privés du
droit primordial à la parole reconquièrènt ce drôit et que
cesse cette agression déshumanisante.
Si, en parlant, en exprimant le monde, les hommes le
transforment, alors le dialogue s'impose comme le chemin
par.' lequel les hommes trouvent leùr signification en tani
qu'hommes.
Le dialogue est une exigence existentielle. Et s'il est la
I derniers ?
I._fglrs ue voulons pas parler, bien entendu, du silence
I médi-tati on s ^tesquétte -
I
p rof ondes tian
s J tàs--nÀà-Àés îe sortent
iô.".""rr*Ëi.oïLtTlTï.0'3ii'l"lHË:uu';*""ff"..f; ,""ï"1ïï"*g;i
ti,iffTi."'"î"T"
ï:ËliT:'ç:',,,fl"'"":lo.l1""lgifT'".nil',.i,T", *Siâ::
Ils lrouvent là une Aânière de le fuir, danS Une sorte
n schizophrénie historiquq r.
ar'l
r
rencontre de la réflexion et de I'action de ceux qui le
pratiquent, tournés vers le monde à transformer et à huma-
niser, il ne peut se réduAe au < dépôt > des idées d'un
individu dans un autre ni à un simple échange d'idées.
Ce ne doit pas être non plus une discussion agressive,
polémique, e,ntre des individus qui ne voudraient pas s'en-
gager en exprimant le monde et en cherchant la vérité,
mais qui voudraient imposer leur vérité.
Parce que c'est la rencontre d'hornmes qui expriment Le
monde, il ne s'agit pas d'une donation des uns aux autres :
c'est un acte de création. Ce ne doit pas être non plus un
moyen astucieux utjlisé par un individu pour la conquête
d'un autre : la conquête implicite dans le dialogue, c'est
celle du monde par les sujets dialoguants, non celle d'un
individu par un autre. C'est la conquête du monde pour
la libération des hommes.
Epuce,rroN DrArrocreue ET DrÀr.ocun
Il n'y a pas de dialogue, cependant, sans un arnour
profond.pour le moude et pour les hommes. Il nest pas
possible de dire le monde, réalisant ainsi un acte de créa-
tion et de re-création, sans se fonder sur l'emour +.
Fondement du dialogue, l'amour est aussi dialogue. C'est
essentiellement une tâche de sujets, qui ne peut se réaliser
dans la relation de domination. Celle-ci ne renferme que
la pathologie de l'amour : sadisme chez celui qui domine,
.- 4. Nous clolors, de plus en plus, que les véritables révolu-
lronnaires découvrent dans la revolution, âcte créateur et libé-
rateur,.ce-qu'est l'âmour. Pour nous, la révolution, qui implique
une théorie et donc ue science de la révolutron, ir,e-st cepénctânt
pâs ilconciliable avec I'anour. ,q.u contraure, ta revolutlj.on est
raite pour les hommes, au nom de leur hummisation.
Qu'est-ce qui condùit les révo.lutionnaires à s'unir aux oppri-
més,. sinon la condition inhumaine dans laque[e vivenf -ces
- Ce n'est pas à cause de la dépréciation du mot amour d.ans
Ie nonde capitaliste que la révotution va cesser d,être ai@ant{),
d.es
ni que les révolutionnaires vont abândoD.ner leur attitude bio,-
d.û
phile. Guevara, !ou! eq soulig[ant le risque de paraitre rj.d.icule,
ue craint pas de l'aftrmer -: < Je dor-s te dîre, conflait-il d
Lulos QuiJano, au risque de paraltre ridicule, gue Le veritabl€
revoluUomaire est animé pax un -révolutionnaire
profond sentlment d'amour.
d,e Il est .imFossible d'imlegi-ner un authentique
saus cette qualité. ) Ernesto GùEVÀRÀ, Obra Reuolucionarta,
lldiciones Era S.4., Mexico, 1967, p. 637-638 : (EuuEes rèvo-
lutionna.ires, Maspero, 1968,)
73

masochisme chez les opprimés. En aucun cas l'amour.
Exigeant le courage, I'amour est un engagement envers
les hommes. Là où se trouvent des opprimés,l'acte d'amour
consiste à se compromettre pour leur cause, la cause de
leur libération. Et cet engagement, parce qu'il est aimant,
est en même temps dialogique.
Il ne s'agit pas de sentimentalité, mais d'un acte de
courage. Il ne s'agit pas d'un prétexte pour la manipu-
lation, mais d un acte de liberté, source d'autres actes
Iibres. Sinon, ce n'est pas de I'amour.
Cest seulement avec la suppression de la situation d'op-
pression qu'il est possible de retrouver I'amour jusqu alors
interdit.
Si je n aime pas le monde, si je n'aime pas la vie, si
je n'aime pas les hommes, je ne peux pas dialoguer.
Par ailleurs, il n'y a pas de dialogue sans humilité.
L'expression du monde, grâce à laquelle les hommes le
re-créent d'une manière permanente, ne peut pas être un
acte d'orgueil. Le dialogue, rencontre des hommes pour
apprendre ensemble à agir, se rompt lorsque ses pôles,
ou I'un d'entre eux, oublient fhumilité.
Comment puis-je dialoguer si je projette sur l'autre
fignorance, c'est-à-dire si je la vois toujours chez I'autre
et jamais chez moi ?
Comment puis-je dialoguer si je me considère cornme un
homme différent, plein de qualités dès la naissance, si je
considère les autres cornme de simples < ça > au lieu
de voir en eux d'autres << moi > ?
Comment puis-je dialoguer si je fais partie d'un << ghet-
to > de purs, maîtres de la vérité et du savoir, pour qui
tous ceux qui sont en dehors sont < ces gens-là > ou des
<< inférieurs de naissance >> ?
Comment puis-je dialoguer si je pars du principe que
dire le monde est une tâche réservée à des hommes choi-
sis, et que la présence des masses dans l'histoire est le
signe d'une détérioration que je dois éviter ?
Comment puis-je dialoguer si je refuse la contribution
des autres, si je ne la reconnais jamais et si je la trouve
même offensante ?
I Comment puis-je dialoguer si je crains le dépassement et
rl si le simple fait d y penser me fait souffrir et me déprime ?
L'autosuffisance est incompatible avec le dialogue. Les
il
hommes qui ne sont pas humbles, ou qui ne le sont Plus,
I 75
74
ne peuvent s'approcher du peuple. Ils ne peuvent être ses
compagnons pour dire le monde. Si quelqu'un n'est pas
capJble de cômprendre qu'il est le même homme que l9s
aritres, il a beiucoup à-faire pour arriver au point de
rencontre avec etu(. À ce point de rencontre, il n'y a ni
ignorants ni savants absolus : il y a des hommes qui,
ensemble, essaient de savoir davantage.
Le dialogue exige une grande confiance dans les hommes.
Une foi dans leur pouvoir de construire et de recons-
truire, de créer et de re-créer. Une foi dans leur vocation
au plus-être, qui n'est pas le privilège de quelques élus,
mais le droit de tous les hommes.
La confiance dans I'homme est une condition a priori
du dialogue. Elle doit exister avant même qu'il ne se
concrétise. L'homme de dialogue a confiance dans les
hommes avant de se trouver face à face avec eux. Ce
n'est pas cependant une foi naïve. L'homme de dialogue'
qui eit un homme critique, sait bien que le pouvoir de
faire, de créer, de transformer, appartient aux hommes,
mais il sait aussi qu'ils peuvent être, dans la pratique,
aliénés et privés de ce pouvoir. Cette possibilité, toutefois,
ne tue pas chez I'homme de dialogue la foi dans I'homme,
-apparaît
elle lui au contraire comme un défi auquel il doit
répondre. Il est convaincu que ce pouvoir de construire
et de transformer, même s'il est pratiquement supprimé,
a tendance à renaitre. Il peut renaître. Il peut se recons-
tituer. Non sans effort, mais dans et par la lutte pour la
libération, avec la suppression du travail esclave et son
remplacement par le tiavail libre qui donne la joie de
vivre.
Sans cette foi dans les hommes, le dialogue est une
comédie. Il se transforme, dans la meilleure des hypothèses,
en une doucereuse manipulation paternaliste.
En se fondant sur l'amour, I'humilité et la foi dans les
bommes, le dialogue devient une relation horizontale où
la confiance d'un pôle à l'égard de I'autre s'établit naturel'
lement. Ce serait une contradiction si, aimant, humble et
plein de foi, le dialogue ne pouvait provoquer ce climat
de confiance entre ceux qui le pratiquent. A l'inverse, cette
confiance n'existe pas dans f < antidialogue > de la concep-
tion c bancaire r de l'éducation.
Si la foi dans les hommes est un préalable au dialogue,
 la confiance s'instaure avec lui. La conûance rend les êtres
dialogiques de plus en plus solidaires poar dire le monde.
Si cette confiance est absente, c'est que manquent les
conditions énoncées plus haut. Un faux ^amour, uàe fausse
num[tlé, un manque de foi dans les hommes ne peuvent
engendrer la confance. La confiance se crée dans le témoi
gnage qu'un homme donne aux autres de ses intentions
concrètes et réelles. Elle ne peut exister si la parole, déna-
tur.ée, ne correspond pas aui actes. Dire und chose et en
tarre une autre, en ne prenant pas la parole au sérieux,
c'est décourager la confiance. parler,'par exemple, dé
démocratie et réduire le peuple au silenie est une trom-
perie. Parler d'hurnanisrne ef récuser les hommes est un
mensonge.
Il n'y a pas non plus de dialogue sans espérance. L'espé_
rance est au cæur même de I'incomplétuàe des hommes
qui les pousse à une perpétuelle iecherche. Une telle
recherche, nous l'avons aeja vu, ne se fait pas dans l,iso_
lement, mais dans la communion des uns ït a", o,
qui est-impraticable dans une situation d'oppression."ut
. Le désesqot est une sorte de silence, Oe rèius du monde,
-{" f,qt". Pourtant, la déshumanisation qui résulte
l'<< ordre injuste ne devrait pas être oo" ,âiroo de perdre
>>
l'espoir,-mais, au contraire, une raison d,espérer davàntage
et de chercher sans trêve à restaurer I'hrimanité écrasée
par l'injlstice. L'espérance n'incite pas à se croiser les
bras et à attendre. L'espérance me pousse à lutter, et si
ie lrltje, c'e-st parce que je suis dans l"espérance.
Si le-dialogue est la rencontre des hornmes en vue d,un
<< plus-être il ne peut s'établir dans le désespoir. a"*d
>>,
Tux-.qp se parlent n'ont pas d'espérance, il ne peut y-avoir
de dialogue. Leur rencontre est vide ét stérie. Élle
bureaucratique et sans intérêt.
Finalement, il n'y a pas de véritable dialogue si
q,ur repratrqueot ne pensent pas d'une manière authentique,
cl'une marrière critique. Une telle pensée, en refusant- la
<ucnotonile hommes/monde, fait découvrir entre ces deux
termes une indéfectible solidarité.
Cest là une pensée qui envisage la réalité des choses
comme un processus évolutif, qui la perçoit en devenir
76
constant et non colnme quelque chose de statique. Elle
ne se sépare pas elle-même de l'action. Elle << baigne >>
tl'une manière pennanente dans la temporalité dont elle ne
craint pas les iisques. C'est le contraire d'une pensée pri'
maire qui considèie << le temps historique comme un poids,
comme une accumulation des acquis et des expériences
du passé 5 >> et qui voit par conséquent le présent comme
queique chose de stabilisé et de bien ordonné- Selon ce
rirodé ae pensée primaire, l'important est I'accommodation
À cet aujourd'hui stabilisé.
En revanche, ce qui compte pour la pensée critique,
c'est la transformation permanente de la réalité en vue
d'une permanente humanisation des hommes. Pour la pen-
sée critique, dit Pierre Furter, << l'objectif ne sera plus
d'éliminei les risques de la temporalité, en restant agrippé
À un espace garànti, mais de temporaliser 1'espace-.[...].
L,'trniveri ne sè révèle pas à moi colnme un espace déûni,
clit encore Furter, en m'imposant une présence compacte
ù laquelle je peux seulement m'adapter, mais plutôt comme
un champ-d'àction, un domaine qui prend forme au fur et
à mesure que j'agis 6 >>.
Pour la peniee primaire, I'objectif est de rester agripqé
à cet espaôe garanti, de s'y ajuster. Or, en refusant la
de temporalité, elle se récuse elle-même.
Sèut te dialogue, qui implique une pensée critique, est
capable aussi dè créèr. C'est lui qui établit la communi-
cation et, avec elle, la véritable éducation. Celle qui'
dépassant la contradiction éducateur/élève, se présente
comme un lieu de cognition dans lequel les sujets exercent
leur acte cognitif sur l'objet connaissable qui leur sert
d'intermédiaire.
est LB orelocue coMMElicB pÈs t ÉLe,soRÀTIoN DU PRocRAMME
É,oucarrr
ceux Dans cette conception, qui est une pratique de la liberté'
la possibilité de dialogue apparaît non pas quand l'éduca-
teur-élève rencontre les élèves-éducateurs dans un contexte
5. Passa(e d'une lettre d'un ami à I'auteur.
6. Pierre" FuRrER, Educa.çao e Yida, Editora Yozes de Petro-
polis, Rio, 1966, p. 26-27.
77
pédagogique, mais auparavant, lorsque le premier
demande sur quel thème il va dialoguer avec ceux-ci.
Cette question du contenu du dialogue est aussi celle du
programme éducatif.
Pour l' < éducateur bancaire >, dans son refus du dia-
logue, le problème n'est pas, bien str, le contenu du
dialogue, qui pour lui n'existe pas, mais le programme
qu'il développera devant ses élèves. Et il résoudra ce pro-
blème par lui-même, en organisant soz programme.
Pour l'éducateur-élève, dialogique, conscientisant, le
contenu du programme éducatif n'est pas un don, une
contrainte à imposer ou un ensemble d'informations à
déposer chez les élèves, mais une présentation organisée,
systématique et développée de ce qu'ils aspirent à mieux
connaître ?.
L'éducation authentigue, répétons-Ie, ne se fait pas de
A vers B, ni de A sur B, mais par A avec B, par I'inter-
médiaire du monde. C'est le monde gui impressionne et
met au défi les uns et les autres et qui inspire des per-
-Ces
ceptions et des points de vue différents à son sujet.
perceDtions sont imprégnées des désirs, des doutes, des
espoirs et des désespoirs qui sont latents dans les thèmes
caractéristiques sur lesquels aura êtê bâti le programme
éduc,?tif. IJne des équivoques de la conception primaire
de I'humanisme réside dans le fait qu'en voulant donner
corps à un modèle idéal de l' < honnête homme >, on
oublie précisément la situation présente, concrète, existen-
tielle des hommes eux-mêmes. << L'humanisme consiste, dit
Furter, à permettre une prise de conscience de notre
humanité totale comme condition et obligation, comme
situation et comme projet 8. >
Nous ne devons pas nous adresser aux ouvriers, aux
citadins, aux paysans, qui sont immergés dans un contexte
d'oppression, reliés pour ainsi dire par un cordon ombi-
lical au monde de la nature dont ïs font partie plutôt
qu'ils ne le transformentr pour leur appôrter,
d'une
_,J.-Danq une longue cnnversation avec Ând.ré Malraux. llao
se-Toung déclara : r vous savez oe que le proclame deouis
_r
rongtemps : nous devons enselgner aux ma-ssed avec précibion
oe que.noug avoxs--reçu d'elles avec confuslon. r (André M^LRAUX,
Antlmëmobes, Galllmard, parls, 1962. p. S31.) Cettc afûrmatiori
lmpllgue toute une théorle dialocique - d'élalorafion d'un oro-
gramme éducatif qul ne solt pas *co'nstruit à Dartir aes hnafttés
d_e I'éducateur, avec ce gu'il Juge être le mellleur pour ses
élèves.
E. Plerre Funrrn, op. clt.
78
se manière ( bançaire >, des < connaissances >, ou pour leur
imposer un modèle d'honnête homme contenu dans le
prôgramme
- que nous établissons nous-mêmes.
Nous pourrions citer maints exemples de- plans Sli 9nt
échoué, ioit dans le
domaine politique, soit tout simple-
ment dans I'enseignement, parce que leurs promoteurs sont
partis personnelle de yolr la réalité' Parce
-qu'ils de leur manière
n ont pas tenu compte un seul instant de ce que
les hommes au(quels s'adresse leur programme ne sont pas
de simples accessoires de leur action. Pour l'éducateur
humaniite contme pour le révolutionnate authentique,
factiôn Cest la réalité qui doit être trans-
I'accessoire de
formée avec les autres hommes, et non les hommes eux-
mêmes.
Ceux qui agissent sur les hommes pour les endoctriner,
les adaptêr toujours davantage à la situation qui doit rester
inchangée, ce sont les dominateurs.
MalÈeureusement cependant, dans ce < piège > de, la
programmation verticale, ce < piège > de -la conception
? Uâncaire >, tombent souvent les leaders révolutionnaires
lorsqu'ils veulent obtenir I'adhesion des masses à l'action
révolutionnaire. Ils s'apProchent du peuple des campagnes
et des villes en pensânt quil peut accepter leur vision
du monde alors qu'elle n'est pas nécessairement la sienne
e.
Ils oublient què leur objectif fondamental est de lutter
avec le peuple pour la récupération d'une humanité spo'
liée et nôn de cônquérir le peuple. Ce verbe ne devrait pas
faire partie de leur vocabulaire, car il app-artient à celui
du do-minateur. Le révolutionnaire doit libérer le peuple
et se libérer avec lui au lieu de le conquérir.
Les élites dominatrices, dans leur action politique, sont
9. a Pour établir un contact avec les masses, nous devons
noris côntorméi à leurs désirs. Dans tout travail pour les
masses. nous devons partir de leurs besoins, et non de nos
orôpre.i Aésirs. si louables soient-ils. Il arrive souvent quê les
haô eJ aiènf-besoin de telles ou telles transformâtions,- mais
-laeltes ne solent pas conscientes de ce besoin,
"*-iutiecEvemènt.
Ër'Ztt"" T'aient nl volonté ni le- désir de les réaliser. Dans
A Aa.- oouJ devoos attendre avec patience. C'est seulement lors-
àue.-Ï Ë-iuiti
- de notre travail, -les masses seront, dans leur
ilai"rite- cônsèientes
-iurÀnt de la nééessité de ces transformations'
roi3au;êti"" ra volonté et le désir de les faire aboutir,
;ï';ir__ ;;r;.;-lèJ reitiser. Sinon, on risque de se couper des
ùasses'l...]. Deux éIéments doivent nous guide-r: p-rem-ièremenl
Les besoins réels des masses et non les Desolns Ires (le norre
librement expriEé par Ies
: deuxièmement. le désir prises
tunacination 'résolutions
masies, les qulellgs ont- e-Iles-mêmes et noa
celles 'crue nous prenong- à leur pla-ce. I (Mao Tsé-toung' Le
b'ront ini dans Iè- ttauail culturel, 7544.)
79
 efficaces en appfiquant la conception < bancaire > (qui
l" conquêre
lltt:mesure
Ia :o-Tmg instiument), parce que, dan
où celle-ci développe un espiit Oe passiviié, ette
correspond à l'êtat d' << iulmersion -> de là conscience
opprimee. Profltant de cette < irnmersion >, ces élites
transforment la conscience opprimée en ., récipient >
don! nous avons,parlé,.
_et
y veisent des < ""
slogans >> qui la
rendent encore plus méûanle envers la liberté.
Un travail vraiment libérateur est incoÀpatible avec
cette. manrère d'agir. Ii doit s'attacher à piésenter aux
< slogans >. des. oppresr"*, des pro_
:p^p.Té^r_lo
olemes en provoq-uant ainsi leur expulsion"oi*"
du < for inté_
neu.r > des opprimés.
Finalement, le dessein des humanistes ne doit pas consis-
ter-.à opposer leurs slogans à ceux des oppresseurs, en
utilig.ant les
-opprimés comme des internédiaïes qui < ac_
quet{ent > -les slogans des uns et Oes autrÀ. Le dessein
des humanistes, au contraire, doit être â" iuir" pr""G
conscience aux opprimés- de ce que, par le faii mênie qu,ils
< accueillent >) en eux tes oppressùs, ils deviennent Oes
êtres,doubles et ils ne peuv€it- être.
Cefa implique par conséquent que I'approche des masses
gop*To ne vise pas à -Ieur âpportèi un message de
< salut > sous la forme d'un << dépôt >, mais à coniaître,
p11 lg dialogue avec elles, non - seulémenl la
situation
objective où elles se trouvent, mais encore la conscience
qu'elles.ont de cette situation, leurs Oinéi""t, niveaux de
perception d'elles-mêmes et du monde Oans
Gquet et avec
lequel elles vivent.
. .Nous.ng deyons pas espérer naTvement obtenir des
tats positifs d'un prograrnme, progranrme éducatif résul_
dans le
sens.le plus technique du tenrre, ou programme
d,action
Porttque, si, négligeant la vision particutiere du monde
qu-a ou.que commence à avoir le p-euple,
nous pratiquons
une véritable < invasion culturelle^>, pé"t+t e faite
avec
la mfilleure des intentions, mais invasiôn éutiureUe matgré
tout 10.
analyserons plus longuement ce point au
.o1$#î"r chapttre
80
IÆ RETATIoNs uotuuns/uotor, l:s < rHÈl,cs-crl.rÉR^-
TETJRS > ET LE coNTENU DBs pRoGRAMMES p'uNg trt,I,e
EDUCATIONT
Nous croyons que c'est à partir de la situation présente,
existentielle, concrète, reflétant I'ensemble des aspirations
du peuple que nous pourrons organiser un programme
d'éducation ou d'action politique.
Ce que nous devons laire, a la vérité, c'est proposer au
peuple, par le biais de certaines contradictions essentielles,
sa situation présente comme un problème qui le met au
déû et donc exige de lui une réponse non seulement au
niveau intellectuel, mais à celui de l'action 11.
Nous ne devons jamais disserter sur la situation ni
déposer en lui ce qui n'a rien à voir avec ses désirs, ses
doutes, ses espérances, ses craintes. De tels < dépôts >,
souvent, augmentent en fait ses craintes qui sont des
craintes de conscience opprimée.
Notre rôle n'est pas de parler au peuple de notre vision
du monde ou d'essayer de la lui imposer, mais de dialo-
guer avec lui sur la sienne et sur la nôtre. Nous devons
être convaincus que sa vision du monde, qui se manifeste
dans ses divers comportements, reflète sa situation dans
le monde. L'action éducative et politique ne peut la^isser de
côté la connaissance critique de cette situation sous peine
de devenir < bancaire > ou de prêcher dans Ie désert.
C'est ainsi que souvent les éducateurs parlent sans être
compris. Leur langage n est pas adapté à la situation
concrète des hommes auxquels ils parlent. Et leur parole
est un discours de plus, aliéné et aliénant.
Car le langage de l'éducateur ou de Ïhomme politique
(et nous croyons de plus en plus que ce dernier doit
devenir également éducateur, dans le sens le plus large du
terme), comme celui du peuple, ne peuvent exister sans
une pensée, et les deux, langage et pensée, sans une réalité
a laquelle ils se trouvent affrontés. Aussi, pour qu'il
y ait communication efficace, faut-il que féducateur et
i'homme politique soient capables de comprendre les condi-
lt. D""" oe sens, lI serait aussl contradistolre de volr d.es
hommes véritablement humanistes utiliser lr méthode o ban-
câire ) que de voir des hommes de droite s'e{forcer de mettre
sur pied u:.e éducatioD. critique. Ces derniers sont d,allleuri
plus -colérents : jamais ils -n,acceptent une peaagogii delà
consclentisaùon. -
81
 tlom structurelles dans lesquelles la pensée et le langage
du pouple prennent forme dialectiqueinent.
. C'est pourquoi également leur programme d'action ne
doit pas- rlsulter d'un choix fait -exclusivement par eux,
mais doit être élaboré à. la fois par eru( et par le- p"rpt".
C'est
.dans la réalité prise comme interrnédiaire, d"oïlâ
corrscrcnce que nous en avons, éducateurs et peuple, que
nous irons chercher le prograrnme de l'éducatibn.'
Le moment important de cette recherche est celui où
:gmTen1q le dialogue éducatif comme une pratique de la
rloene. U'est Ie moment où se réalise I'investigation de
qy" rous avons
"e de I'ensemble de ,appelé l'univers thématique du peupler2,
ou ses thèmes-générateuis.
Cette investigation implique néiessairement une méthode
gyi ne .doit pas faire obstàde au dialogue de l'éducation
libératrice,.et qui doit donc être dialogiqîe. Àors elle sera
aussl consctentlsante et permettra à la fois la reconnaissance
-thèmes-générateurs > et la prise de conscience des
des. <
individus à propos de ces thèmei
la finalité libératrice de l,éducation
..Compte tenu de
$alogique, il ne serait pas cohérent de fairÀ-des hommes
les. objets de I'investigàtion dont le chercÀeur serait le
sujet. L'objet de la recherche,. en réalité, ce ne sont pas
les hommes que l'on étudierait comme âes pièces anjto_
prgues, mais leur pensée-langage en liaison aiec la réalité,
leurs-niveaux de perception de cette rêalité, leur vision du
monde où se trouvent insérés leurs < thèmes-générateurs >.
Avant de nous demander ce qu,est un <' thème-géné_
rateur >, pour découvrir quel esC l'< univers tnémaiique
minimum >, il nous sernble ind.ispensable de p;ùË
quelques réfledons.
Réellement, le- concept de < thème-générateur > n'est pas
une création arbitraire
ry yo" hypoihèse de travail qu,il
faudrait vériter. Si c'était-
le cas,'l'investigation porteiait
en premier lieu non sur le < thème génàrateur -)>, mais
sur _la qrrestion même de son existencé. Alors, avant de
vouloir fap.préhender en sa richesse, en sa signiâcation, in
sa pluralité, en son devenir, en sa formatiËn nistôriirue,
nous aurions à constater tout d'abord sa réalité objective.
Ce n'est- qu'ensuite que nous pourrions tènter de le
comprendre.
12. Dans le même sensî rlous utilisons aussi I'expresslon tàé_
matique signtficatiue.
82
Bien que cette attitude de doute critique soit légitime'
il nous semble que nous parvenons à la constatation de
la réalité concrète du < thème-générateur >, non seulement
par notre propre expérience existentielle, mais aussi par une
iéflexion critique sur les relations hommes/monde qui,
implicitement, mènent aux relations hommes/hommes'
Arrêtons-nous sur ce point. Au risque d'énoncer un
lieu commun, on ne redira jamais assez que les hommes
sont, parmi les êtres < inachevés >, les seuls qui soient
capablès de considérer non seulement leur propre activité,
màis leur personne elle-même cotnme un objet sur lequel
s'exerce leur conscience, et que cela les distingue de l'ani-
mal, incapable de s'abstraire de son activité.
Dans cette distinction, apparemment superficielle, nous
trouvons la ligne de clivage entre l'homme et I'animal, du
point de vue de l'action qu'ils mènent dans I'espace où ils
se trouvent.
Ne pouvant s'abstraire de son activité zur laquelle il
est incapable d'exercer une réflexion, I'animal ne parvient
pas à attribuer à la transformation qu'il réalise dans le
monde une signification qui le dépasse. Dans la mesure
où son activité reste liée à lui, les résultats de la transfor-
mation qu'elle opère restent à son nivean' Ils ne se
< séparent > pas de lui, pas plus que son activité. Et ce
n'est pas lui qui choisit les finalités de son action. D'une
part, I'animal ne se sépare pas de son activité à laquelle
il reste lié, de I'autre, le centre de décision de cette activité
se trouve en dehors de lui, dans I'espèce à laquelle il
appartient. Du fait que son activité se confond avec lui
et qu'il est tout entier dans sa propre activité, sans pou-
voir s'en détacher, alors que son centre de décision se
trouve dans son espèce et non en lui-même, l'animal
constitue fondamentalement un << être fermé sur lui-
même >.
lfayant pas en lui son centre de décision, ne pouvant
objectiver ni son propre être ni son activité, dépounnr
de finalités pour luimême et pour autrui, vivant < im-
mergé > dans le monde auquel il ne peut donner un sens,
n'ayant ni lendemain ni présent et vivant dans un contexte
qui l'écrase, Ianimal n'a pas d'histoire. Sa vie non histo'
rique ne se déroule pas dàns le monde pris au sens strict,
car le monde n'apparaît pas pour lui comme un non-moi
qui lui permette de se situer comme un moi.
Le monde humain, qui est historique, devient pour
83
 l' < être fermé sur lui-même >> un simple environnement.
Scs éléments ne sont pas pour lui dô probtèrnes, Àiis
des irnpulsions. La vie d,un iel être ne consiste pas
à-couri.
des puisqu'il ne sait pas qu'il les court. Le monde
-risques,
ne
.lui présente pas des défiJ offerts à sa réflexio", -ui;
seulement des faits manifestés par les signes qui les accom-
pagnenJ, sans exiger de lui. des réponses impliquant
des
actes de décision. par conséquent, i'animal le peut s,en-
gager. Sa condition d'être non_historique ne fui permeifas
d'assumer Ia vie et, parce qu'il ne l,aisume pas,'it ne pàui
pas la construire. Ne construisant pas, il' ne peut pas
transformer son environneTen! oe perrt pu, ,i.**tâgè
-se
savoir privé de vie, puisqu'il,Iln'arrive pis à traauiiè
I'environnement dans lequèl il^se meut en ui-monde sisni_
|c.atif _:t .-symbolique, le monde de la culture et de l,his_
toire. Voilà pourquoi l,animal ne peut << animaliser > son
envforulement pour < s'animaliser >, et ne peut pas non
plus se < désanimaliser >. Dans la forêt j"rain
zoologique, il reste un << être "orrr?n" "i,
fermé sur lui_méme >, autant
animal ici que là.
Les hommes au contraire, ayant conscience de leur
vité et du monde dans le4uel- it, ,e trou"ent, agissentacti_
èn
fonction des finalités qu'iis
_proposent ou-lu,itî ,"-pr*
posent, et situent le centre dè dècision de làrlr recheiche
en eux-mêmes et dans leurs relations avec le monde ei
au!res..{s imprègnent le monde ae feui preràncË
11'.":-1"r
creatnce grâce à Ia transformation qu'ils y réaliseit. Dans
fs-enmgyp où lls peuvent < se ,Cpaiei u'Ju monde sans
etorgner, Ies hommes, à I'opposé de I'animal, non
seulement vivent, mais existent, e^t'leur exisience est his-
torique.
Si la vie de I'animal se déroule dans un environnement
intemporel, plan, sans relief, I'exist"o."- 0., hommes sé
déroule dans un monde qu'ils re-créent ei transforment
sans cesse. Alors que, dans la vie de I'animal, le rct
n,Ài
plus qu'un << habitat > auquel il est attaché, dans
Lt"o. 9"
I'exrstence des hommes le lci n'est pas seulement un espace
physique, mais aussi un espace his'torique. ----
P,g* I'animal, il. n,y a- vraiment ni ici, ni maintenant,
ru, la,. Iu^avemr, ni passé, parce qu'il n'a pas conscience
ae lul-pême_-et_que sa manière de vivre est totalement
rt n'est pas possible à I'animal de dépasser les
ffl?.1ntlè".
rrmrtes rmposées par un ici, un aujourd,hui ou un-/à_bay.
Les hommes, au contraire, parce qu,ils ànt conscience
84
d'eux-mêmes et en même temps conscience du monde,
parce qu'ils sont des << corps conscients >>, vivent une
relation dialectique entre leur liberté et les contraintes qui
les limitent.
En se séparant du monde qu'ils objectivent, en séparant
d'erx-mêmes leur activité, en plaçant le centre de décision
de leurs actes en etx-mêmes et dans leurs relations aYec
le monde et avec les autres, les hommes dépassent les
< situations limites > qu'ils ne considèrent plus cornme
des barrières infranchissables, au-delà desquelles rien
n'existerait 13. Au moment même où les hommes les
découvrent cornme des freins, où elles apparaissent colnme
des obstacles à leur libération, elles se transforment en
< aperçus distincts > dans leur << vision de fond >>. Les
hommes découvrent alors ce qu'elles sont réellement : les
dimensions concrètes et historiques d'une réalité donaée.
Dimensions qui défient les hommes. Ceux-ci agissent sur
clles par des actes que Vieira Pinto appelle des < actes
limites >, ceux qui visent au dépassement et au refus
du donné, à la suppression de son acceptation docile et
passive.
C'est la raison pour laquelle ce ne sont pas les << situa-
tions limites >> en elles-mêmes qui engendrent un climat
de désespoir, mais la perception que les hommes en ont,
à un moment historique donné, comme un frein, comme
quelque chose qu'ils ne peuvent dépasser. Au moment où
la perception critique apparaît, au coeur de I'action, se déve-
loppe un clirnat d'espérance et de confiance qui incite
les hommes à s'employer au dépassernent des << situations
limites >.
Mais ce dépassement, impossible en dehors des relations
hommes/monde, ne peut s'opérer que dans I'action des
hommes sur I'environnement concret où se sont créées les
< situations limites >.
Lorsque celles-ci auront été dépassées, avec la transfor-
mation de la réalité vont surgir de nouvelles << situations
1:J. Le professeur brt3silien Àlvaro Vieira Pinto analys-e avce
-
beaucouD de clarté le nroblème des < situations limites
(lo:rt ii'utilise le concepti mais etr iui ôtant la dinlension pcssi-
n)is{e gu'il contenait ôrifinellement chez Jaspets. Pour Vicira
I)into, Iès . situations limites u ne sont pas le corrtour irfran-
chissâble où s'achèvent les possibilités, mâis Ia lisière ou com-
mencent toutes les possibilités. Elles ne sont pas la frontière
entre l'ètre et le néant, mais la frontière entre l'être et le
nJ.us-être. (Alvaro Yrrrne PrNTo, Con.tciéntia e Iiealidade \ario-
iral, I. S. e. e., nio de Janeiro,' r'ol. 2, 1960, p. 284.)
85
 llmitæ > qui inciteront les hommes à d,autres <
et les hommes ql1 aP trarers de leur
actes
limites >. téresse que luL-monOe
Ai_nsi,.le propr-e de I'homme, en tant que conscience
de ffiiî ;'* ie créent le âomaine de la culture
sot et du monde, est d,être en relation d,affrontement ci-à" f'ùttoire, est que seuls les seconds sont des êtres
avec Ia réalité où historiquement apparaissent tes
< siùa- ;;;;Ë-Ë;t""t" t'ô"t pra"ris' Et cglle-cj, étant réflexion
tions li*ilsr >. Un tel affiontemeniâvèc-ia'reafité ; ;"tù véiitabtement tiansformatrice de. Ia réalité' est
_d-u.
dépassement des obstacles p""t ,'ôpéi". "o-r.o"
,eutemeniaans i"*Ë-a1 "ôoooitt*"" et de création Ainsi' alors que
l'histoire, de même que c'est^danr-if,irtlirË que i'b"ti"fté;ti-"le réalisée sans la praxis ne suscite pas ung
naissent par les
Ies < situations limitÀ >. ;;#il, eo re.,ancne, h transfo-rmation exercée
Dans le < monde > de I'animal, qui n,est pas propre-
à hommes imPlique une création.
ment parler un monde, mais un enviionneÀ""1,
if o,y-"î", Etres de trinsformation et de création, - les hommes'
Oans ieurs relations perrranentes avec la réalité'
pr.9$uisgnt
de < situations limites
2.a11 taii d ;";;tè;;îon historique choses- sensibles' les
de I'animal qui s'étend à t'environnem"ni]^i'""i-"r
n,étant i* .àJ"-*t les biens matériels, les
pas un < être pour soi >,.il.lui-manque
ta capacité ae joser ;;ËË;;;-â"tti ro institutions sociales' les idées' les
des < actes timites > qui impliq;;ï;;;
#;e adopte une i"ii*pri;; t5. Au travers de leur action les
permanente de
hommes créent
attitude de décision à l'é!arà d; ;;;;", qu,il s,en iiu-"ti-otÀution de la réalité
-ti-"ttanément, objective,
-
qu'en I'objectiiant iniri"it" deviennent des êtres historico-
l^.té^o_"y3:."! il-ie tï"-oïio.rn" par son
acuon._Rrvé organiquement à son environnement,
i,animal sociaux. "t,
ne se distingue pas ïe lui. Par oppositioo
- ; -oi*"*ions
l'lnimal, les hommes Peuvent mesurer
_.
Ainsi, c9 ge ,s9n! pas des < situations limites > histo_ r"^Ë*i.' * ttoit @assé'présent'futur) qui'
nques qui Ie limitent, mais c'est I'environnement lui_ clpeoààot, ne sont pas séparées- par aes cloisons étanches'
mêm9, globalement. Or, le propre A" lanim"f
est de ne àf it* histoire, mùquée- par leurs propres-. créations'des se
pas être en relatîon avec son ènvironnement,
mais d,être ââ*r,opp" dans un avènir fermanent ôù se, distingucnt
adapté à lui. << Etre fermé ."r f"i_*ê-" ,,'ô""o0
il cons_ e".à"Jrl Celes-ci, de même que le passé, le prépenJ et
truit son r1id, sa. ruc]re, sa tanière, ii ;; ;.4 [as réeilement ià;ffi,'nË-se-oêiourent pas co-mme stil s'agissait de frac-
soient te résultat d' << actes limites >, de ;ioni-d" t"-ps étanches-, séparées les unes des autres'
:i^llg9ritr.quitransforment.
reponses o?ttne"t. et àans lesqueûes ies hommes seraient empri'
.qui Son activité productrice' eii
soumise à la satisfaction d'une oe""rriié iÀysique, O,im_ il;A- S'il "n ètait ainsi, une caractéristique fondarnen-
pulsions rudimentaires qui ne ..rrtit"à"t'pàs ;rf" A; Inistoire disparaîtrait, à savoir s-a continuité' Les
rlair que ce que produit l,animai faitdesp;i;
défis.
;;d;. âr., iont én relation les unes avec les
rntegrante de son corps physique, tandis que ;
*U::^::,^-il "oottuiti"'
u[itêi-i""t-rt Jyoâioiq"" de la conrinuité historique 16'.
demeure libre par rappbrt'a cË;;tt
---"J"iii*- I'hômme
uvru'e
-U;;t;q"" 'aonncè se caractérise par un ensemble
.
>r
_
u-est seulement dans Ia mesure où lés produits
de l,acti d'idée;, o!-ô"""ptions, d'espérances, de doutes' de valeurs'
vité d'un être << ne font pas partie de ,o"ïorp, physique
>, à"-aeït-i"i teident â se- révéler, dans une interaction
.r.ç.o^'"".']t 19; gÀpdift", qJiËt"ort surgir la
9*^_:y-!rsrgnificative dialectique avec tout ce qui leur est contraire' La reprê-
crnenslon de l,environnemènt qui ainsi dévient ilt tÉî concrète de la plûpart de ces idécs, de ces valeurs'
monde. Un tel être a nécesr"ir"-"ni- de lui_ AË a"^ ces espérances, ainsi que.lep
mÇme, et, devenu un << être p;* ;;i ;;î-;" "âil"i"o""peur prus ""t "o""eptions "t des homnies, tout' cela constitue
;ttt"l;;--pius-être
gxister sans être inséré dans te'monae ori'itvii. oe même, l'ensemble de{ thèmes de cette époque'
le monde n'existerait pas sans lui. Non seulement ces thèmes supp-osent I'existence d'autres
La différence entre I'animal, dont I'activité ne donne tnèmes qui leur sont contraires, diparfois antagonistes'
mais
pas lieu à des < actes limites >, dont la pioâuctioo-Ji"-
15. À * suJet, il faut avofr lu Karet KosrB' 14 Dtaiectlque clt'
14. Karl M.rnx, jf,anuscits ltaipirô, Paris, 1970'
économico-phttosophtques. "oiLiàî,
ii,fl *;:,iËj;"*".ïil'#ti""â':'îïnËiîi""î'"""1'ffi."Fnevrn'
86
87
 ils orientent également les tâches à entreprendre et que de s'adapter. Alors les hommes n'arrivent pas à dépas-
mcner à bien. De cette marrière if a à ser les << situations limites >> ni à découvrir ou distinguer
V une refadon d^ialec-
tique entre ces thèmes et leurs *iuuirË-rt au-delà d'elles et en relation avec elles l' << inédit possible >.
sible qu'apparaissent inop-d;;i-J;;h;", il est impos- En bref, les << situations limites >> supposent l'existence
isotés, déconnectés. figés, historiques de ceux à qui elles servent directement ou indirectement,
^
,éité; il-;#;, on ne peur mais aussi de ceux qu'elles contraignent.
les rencontrer ailleurs que dans t", iet"tion,
monde. L'ensemble des. thèmes hommes/ Au mornent où ces derniers les comprennent non plus
*r";;;;;n permanente
constitue l' << univers.thématique""u ;;iép;q"e. comme << une frontière entre l'être et le néant, mais comme
à cet << univers > oe tnoÀeï- q"i î"i#;q"emenr Affrontés une frontière entre l'être et le p1us.être >, leur perception et
posent, les hommes prennent à", poriiioos s,op- I'action qui en découle deviennent plus critiques. Ils
coniradicroires, les uns ceuvrant en également découwent I'inédit possible comme quelque chose de défini
tâveur dc la conser_ vers quoi se dirigera leur action.
vation des srructures, les autres d f;;1"
changement. A I'opposé, les premiers ont tendance à entrevoir, dans
mesure que s,approfonOit i,antagonime
., :q,
thèmes qui sont I'exp-rèssion d" 1;;ïrté'apparaîr
enre les ce qui n'est encore q'u'an inédit possible, une << situation
tendance à la myrhificàtion de la rhé;atiâ;;er une limite > menaçante qu'il faut donc empêcher de se concré-
ce q,ii g6o6ruremenr instaur"
-.il"fi_"t
de la réalité tiser. Ils agissent alors de façon à maintenir la << situation
_",1:-T:_r"",
fronâtrsme d, << irra_ limite > qui leur est favorable 1e.
> et de sectarisme, Ce-d;Ëclimat _"oua" de vider
les thèmes de leur signitcation Il est indispensable que I'action libératrice, qui est histo-
lritooo" en t",
privant de la connotatiôn de dynarnirfo-"i;ii* rique dans un contexte égalernent historique, soit en
caractérise. correspondance non seulement avec les << thèmes-généra-
.. Lorsqu'une société vir.dans GË-t"uîeËËôs t,irrariona_ teurs >, mais avec la perception que les hommes com-
Ir*9 u mytbitcateur > devient lui_même un-de ces tàèmes
fondamenraux qui vient,s,onno.* ;-ilôuverte critique mencent à en avoir. Cette exigence se prolonge nécessai-
et dyaamique du réeI.. Il uËirt e-je"n".î]"r""ption rement dans une autre : celle de la recherche de la théma-
du tique significative.
39nae et dg !a myth;ficarion er f;ire obstadle à t,accom_
pl$sement de l'æuvre humaine,
permanente du monde pour la
a ,uulir Ëîansfonnation Les << thèmes-générateurs >> peuvent être repérés dans
tiUeration-OËs hornrnes. des cercles concentriques qui vont du général au parti-
.à !g dermère analyse, tes tnemes ii-," tlo":u"ot
l'inJérieur et auiour des <<-situatiJir*ùiit", à Ia fois culier.
que les tôches qu'ils imptiquent, ), ranrris Ce sont d'abord des thèmes de caractère universel,
q;;;d
plres, consrituenr les << actes-limiier:r;;;;;s roo, accom_ contenus dans I'unité historique la plus large qui regroupe
"ËJ avons déjà toute une gamme de sous-unités, continentales, régionales,
parlé.
nationales, diversifiées entre elles. Comme thème fonda-
...Tgo.t que les thèmes.ne soÀt.pas perçus comme tels, à mental de cette unité plus large que nous pourrions appeler
l'intérieur des << situarions limites ,i
tlËps < notre époque >) nous proposons celui de la libération,
"fË-*C*e
autour d'elles, Ies tâches correspondant"i q* sont l.es associé à son contraire, Ie thème de la domination. C'est
réponses des hommes à travers Ë* u"îro" hùstorque, ce thème angoissant qui donne à notre époque le carac-
peuvent pas être accomplies de manière authenti{ue ne
ou tère anthropologique dont nous avons parlé plus haut.
lTrit"l.P^li:-"'e' lÀ thèmes ," t àou""t cachés par Pour, atteindre l'objectif de I'humanisation qui ne peut
res "T, > qui se présentent
< $tuatrons limitss aux homàes
comme si elles étaient des iontraiites historiques, se réaliser sans la disparition de I'oppression déshumani-
sives, en face desquelles il n'y u
oppres_ sante, il faut absolument dépasser les << situations limites >
dil;e possibilité
t;, -f Alil-p"o"essus d'humanisation ou de libération met au
.^R gt*t::.
lnrelle qén. les opprlmés et les oppresseurs, dans une opposltlon dia-
sort la manière dont.( ils
.tlèm-
sont
par.qe que, -querro que
compris et l-,actioa^ qu.us
^e:;gé_nérateurs,, provo- lectlque. Eti effet, tandis qirè pour lês Dremiers if ^constitue un
quent, ils contiennent ." eu*-mèmeË-i. pà.^.ô-iriiË de se d.édou_ " inédit possible , qu'il -s'agit de contrétiser. il est Dour tes
bler en d'autres thèmes qur, a leur tour, suscitent d,autres seconds une < situatiôn lipit-e , qu,iI leur fâut combàttre.
tâches à accomplir.

88 89
drnr læquelles les hommes se trouvent réduits à l'état
c quasi-choses >.
Dans des cereles moins amples, nous rencontrons des
thèmes et des < situations limites > caractéristiques des
sociétés d'un même continent ou de continents distincts
dans lesquels ces thèmes et ces < situations limites > pré-
sentent des similitudes historiques.
La < situation limite > du sous-développement auquel
est lié le problème de la dépendance est là-caractéristique
fondamentale du << tiers monde >. La tâche de dépàs-
ser
-un€ telle sifuation, considérée globalement, pour en
atteindre une autre, celle du développement, est I'iinpératif
essentiel du tiers monde.
Si nous considérons maintenant une société déterminée,
à une époque donnée, nous allons voir que, au-delà de
cette thématique universelle, continentale ou étendue à un
ensemble de sociétés aux caractères historiques colnmuns,
e.lle_yit ses thèmes propres, ses < situations-limites > par-
ticulières.
Dans un cercle plus restreint, nous observons une diver-
sification des thèmes, à I'intérieur d'une même société, dans
ses secteurs et sous-secteurs, mais toujours en relation au
tout dont ils font partie. Ce sont des secteurs et des sous-
secteurs qui constituent des sous-époques. Même dans le
cas d'une nation déterminée, nous trouvons la contradic-
tion de la < contemporanéité du non-simultané >.
Dans ces sous-unités, les thèmes de caractère national
seront recensés plus ou moins aisément. parfois, on peut
seulement les pressentir, ou même ne pas les voir du fout.
Mais I'absence totale de thèmes dans ces sous-époques
est impossible. Le fait que des individus d'un êndroit
déterminé ne puissent capter un < thème-générateur >
latent, ou le fait de le capter d'une manière déformée
peut révéler déjà I'existence d'une < situation limite >
d'oppression dans laquelle les hommes se trouvent plus ou
moins immergés.
Le nncræncrre pes < TTSMEs-cÉrvÉRÀTEURs )> ET sÀ Ir,Érnopr,
Généralement, la conscience, populaire ou autre, qui n,a
pas encore capté la < situation limite > en sa totalité, ne
perçoit que ses manifestations périphériques auxquelles elle
90
de
attribue les forces contraignantes qui appartiennent en réa-
lité à la < situation limite 1e >.
La difficulté essentiele dans ce cas provient du fait
que les hommes manquent de compréhension critique en
face de la < totalité > dans laquelle ils se trouvenÇ ils
la perçoivent par petits morcsaux sans y voir les inter-
actions qui déterminent la totalité, et, en définitive, celle-ci
leur échappe. En effet, pour la comprendre il serait néces-
saire de partir d'un point de vue inverse. Il faudrait avoir
en premier lieu une vue de I'ensemble pour ensuite séparer
et isoler les éléments ou les parties du contexte, et c'est
grâce à cette séparation qu'il serait possible de revenir
avec plus de clarté à l'ensemble qu'on veut étudier.
C'est là un effort qu il faut réaliser non seulement dans
la recherche thématique que nous proposons, mais encore
dans l'éducation conscientisante que nous défendons. Il
s'agit de présenter aux individus les dimensions significa-
tives de leur situation de façon quils puissent, Par une
analyse critique, découvrt les interactions entre les élé-
ments de cette situaton. Et les rlimensions signifiça1iv".
qui sont elles-mêmes constituées d éléments en interaction
doivcnt être perçues, quand elles sont analysées par les
individus, comme des dimensions d'un ensemble. L'analyse
critique d'une dimension signifiçafive-existentielle conduit
les individus à une attitude nouvelle, également critique,
en face des < situations limites >. La perception et la
compréhension de la réalité
se renouvellent, en se situant
À un niveau qu'elles navaient pas encore atteint. Les
hommes commencent à s'apercevoir que leur compré-
hension et leur interprétation dela réalité ne doivent pas
être recherchées en dehors d'elle, et que celle-ci, à son
tour, n'est pas séparée d'eux comme si c'était un monde
à part, mystérieux et étrange, en train de les écraser.
C'est dans ce serxr que la recherche du < thème-géné-
19, Cette atutude se rencontre souYent chez les hommes ds la
clasie moyenne avec des Duances différentes ch?r 1u"-pa;{94trs'
iî-nèur ile la liberté les Dousse à recourir à des mécanismes
ae ôe-feose, et, par des raisÎonnements, ils se cachent l'essentiel'
,tr""iisient-t'aôcidentel et uient la réalité concrète. En facegltua-
d'un
Ërobteme dont I'analvse tnit -par mettre en lumière la r
fiào limite > qu'ils- ont de la Deine à étudier d'une façor
;itiouè: ik ont'tendanc€ à restei à la périphérie en évltant
tout èssâi de pénétration au cceur de la question. Ils en viennent
même à s'irriter quand on attlre leua attention sur quelque
chose d'essentiel oiri erDlique les Dhénomènes accldentels ou
-attâchent
seoondaires auxquels lls uie signtûcation primordlalo.
9t
 rateur >) contenu dans l' << univers thématique minimum >> la pensée revient à lui en considérant les éléments qui
(ensemble des << thèmes-générateurs >> en inieractionj, iàis_ résultent de la scission.
qu'elle est- entreprise par une méthode conscieniisante, Mais comme le tableau codé est la représentation d'une
outre qu'elle nous permet de découvrt ce thème, condùi situation existentielle, les individus ont tendance à passer
ou commence à conduire les hommes vers une réflexion de la situation représentée à la situation concrète elle-
critique sur le monde où ils vivent. mêrne où ils se trouvent.
Mais lorsque les hornmes, en captant ce qui s,offre à
.leur Théoriquement, il est permis d'espérer que les individus
compréhension, découvrent le âonde conime quelque en viennent à se comporter de la même manière en face
chose de brumeux qui les enveloppe et qu;ils n,arrivènt de leur situation objective, de telle sorte qu'elle cesse d'être
pa-s- à discerner, il leur devient inaispensaËte une impasse pour devenir ce qu'elle est vraiment : un défi
de recourir
à I'abstraction. Il ne s'agit pas O,une ieduction du concret auquel les hommes doivent répondre.
à I'abstrait, qui serait une iaéconnaissance àu fien q"i io Pendant toutes les étapes du décodage, les hommes exté-
unit, mais de la prise en compte de ces deux fermes riorisent leur conception du monde, leur manière de I'envi-
opposes que I'acte de la pensée met en relation dialectique. sager, leur perception fataliste des << situations limites >,
Dans l'analyse d'uns situation existentielle leur vision dynamique ou statique de la réalité. Et dans
zo >, on observe précisément ce
fla codés "o""itiiè,
mouvement
pensée. Le << decodagd > de la situatiàn provoque
de cette expression de leur vision du monde, fataliste, dyna-
rnique ou statique, dans la façon dont ils considèrent leur
l'attitude _norrnale qui cônsiste à allei âe-'faU,^strait ïu affrontement avec le monde, entrent en jeu leurs < thèmes-
concret, des parties au tout, et à revenir du tout aux générateurs >>.
qui.syppplg la découverre du sujet Oans ioUlei Même quand un groupe d'individus ne parvient pas à
l{ii,-:"
(ra srtuatron exrstentielle concrète), et celle de fobjet comàe exprimer concrètement une thématique génératrice, ce qui
situation dans laquelle se trouve ie sujetzr. - pourrait sembler une absence de thèmes suggère au
ue mouvement d'allée et venue, de I'abstrait au concret, contraire l'existence d'un thème dramatique : le thème du
qui s9 groduit au cours de I'analyse d'une siiuatio" silence. On y trouve une structure de mutisme en face du
gy,Tq t: décodage.est bien mené, conduit au dépassemeni "oOe*, poids écrasant de << situations limites > qui conduisent
de I'abstraction et à la critique du dncret qui naturellement à I'adaptation.
n'e$ $pja plus une redite -petception
opaque et ind.isciinaUte.
-situatio" IL faut souligner à nouveau que le < thème-générateur >
. Réellement, en face d"rge ôAèà-lt"Ufeau des_ ne se trouve pas chez les hommes isolément du réel, ni
sine gr ,photographie qui renvoi", pàr- uUrLacdon, au dans un réel séparé des hommes. On ne peut le découvrir
concret de la réalité existentielle), lej individus ont ten- que dans les relations hommes/monde. Rechercher le
dance à réaliser une sorte de < scission ;A;;" qu,on leur < thème-générateur >>, c'est étudier, répétons-le, la pensée
présente. Cette << scission ), dans fope"atiàn des hommes en rapport avec le réel, c'est étudier leur
â" àe".Ou!e
::11::!9fd à fétape que nous appeions < description îË action sur le réel, leur praxis.
ra slruatlon >. La scission permet de découvrir I'interaction La méthode que nous préconisons exige donc que, dans
entre.les parties de l,ensemble scindé. Cet ensemble que cette démarche de recherche, tous soient des sujets, aussi
constitue la situation codée décrite, et qui auparavant bien les chercheurs que les hommes du peuple qui, appa-
avait été.perçu d'une manière diffuse,'co-ÀnËce remment, seraient les objets de la recherche. Plus les
t'prendre
une signification à mesure qu'il subit la u ,"irrion , hommes adoptent une attitude active dans la recherche
- 20. ;;-^ codage > _ dhne sitsstign existentielle est ure repré-
"tÇè de leur thématique, plus ils approfondissent leur prise de
sentaûon ûguratile de cette_ siiualion-çii-fôï-îoi, certains de conscience de la réalité et, en explicitant leur thématique
Les élémentd constitutifs et.-te"r-iiriàr1cùôir.^Ë,Jïe*j,Gc"-; signifiç61iY", ils la dominent.
l'an^_alysecritique de la situationôà;;:--' "*t
, z1..Le.-sujet se découvre danq la représentation ( cod.ée, d.e On pourrait penser que si les hommes du peuple sont,
la situation existentielle. tùâeJ-àu;iiâ;couvie en elË] autant que les chercheurs, des sujets dans la recherche
cette fols objet de_ "r.mème
sa rêflexion, son en-viro'nnemôni' contraignant,
dans et ayec tequel il vit, en éompagn-e ïàutreJîuiitl:-----= de leur thématique significative, l'objectivité de l'étude
92 93
 iGr&-Ëacrifiée. Que ce que I'on trouvera ne sera pas < pur ),
du fait de I'interférence de ceux qui, en dernière analyse,
ront ou devraient être les plus intéressés à leur prôre
éducation.
Un tel raisonnement révèle une conception primaire de
cette phase d'investigation, selon laquelleles thèmes existe.
raient dans une pureté objective et originelle, en dehors
des hommes, colnme si c'étaient des càoses.
_ Les thèmes, en réalité, sont ancrés sur les hornmes, dans
leurs relations avec le monde, reliés à des faits concrets.
Un même fait objectif peut provoquer dans une certaine
époque un ensemble de < thèmes-générateurs >, et dans
une deuxième, un autre ensemblè, pas nécessairement
-Il yque
identique.
la perception
donc une relation entre le fait objectif,
" les hommes
en ont et les < thêmes-
générateurs >.
C'est au travers des hommes que s'exprime la théma-
tique
-significative, et quand elle esl expririée, à un instant
9o1né, elle peut n'être déjà plus efactement ce qu'elle
était auparavant, dès lors que-la perception des données
objectives auxquelles les thèmes soit tiéj s,est modifiée.
Du point de vue du chercheur, il importe, par I'analyse
qu'il effectue au cours de sa recherche, de détecter le point
d9 !épart des hommes dans leur façon de considérir la
rêaJttê, et de vérifier si, pendant le piocessus, a été obser-
vée..ou non une quelconque transfôrmation de leur per-
ception du réel.
La-rêùitê objective reste la même. Si le regard porté
sur glle a changé au cours de I'investigation, càla n,âltère
en rien la validité de cette dernière. L; thématique signi-
ficative ?pparaît, de toute façon, avec son cortège-de
doutes, de désirs, d'espérances.
Nous devons être certains que les aspirations, les moti-
vations, les tnalités qui se trouvent laterites dans la théma-
tique significative sont des aspirations, des tnalités, des
motivations humaines. Et elles àe sont pas dans un espace
donné comme des choses pétrifiées, Àais elles sonf en
devenir. Elles sont aussi historiques que les hommes eux-
mêmes. Répétons-le, on ne peut les saisir en dehors des
hommes.
Découvrir ces finalités et les comprendre, c'est com-
prendre le.s ho_mmesqui les incarnent ei la réalité à laquelle
il9 liés. Mais, précisément parce qu'il n'est pas pos-
-sogt
sible de les comprendre en dehori des hômmss, il iaut que
94
ceux-ci aussi les comprennent. La recherche des thèmes
devient ainsi un eftort commun de prise de conscience et
d'autoconscience de la réalité, qui fait de celle-ci le point
de départ du processus éducatif ou de I'action culturelle
de caractère libérateur.
I-r. srcr.nrrcerroN coNScrBNTrsÀNrB DE LA RECTTERCHE DEs
< rnÈuBs-cÉuÉnerEltRs >. Les plvens MoMENTS DE LA
RECHERCHB
Selon nous, le risque de la recherche n'est pas que
les objets de l'étude se découvrent chercheurs et viennent
ainsi << fausser > les résultats de I'analyse. Le risque est
exactement à I'opposé, dans un déplacement du centre de
Ia recherche, à savoir l'analyse de la thématique signifi-
cative, sur les hommes eux-mêmes, comme s'ils étaient des
choses, des objets d'étude. Si I'on veut que le programme
éducatif amène les éducateurs-élèves et les élèves-éduca-
teurs à conjuguer leur acte de connaissance sur le même
objet connaissable, il faudra de même fonder I'investi'
gation des thèmes sur la réciprocité.
La recherche des thèmes, qui s'opère dans le domaine
de l'humain et non dans celui des choses, ne doit pas
se réduire à un acte mécanique. Etant donné qu'il s'agit
d'un processus de recherche, de découverte et donc de
création, elle exige de ses auteurs qu'ils découvrent, dans
I'enchaînement des thèmes significatifs, I'interpénétration
des problèmes. L'investigation sera d'autant plus pédago-
gique qu'elle sera plus critique, et d'autant plus critique
qu'elle cessera de se perdre dans les schèmes étroits des
visions partielles, < parcellaires >, de la réalité pour se
concentrer sur la compréhension de la totalité.
Ainsi, dans le processus de recherche de la thématique
significative, doit déjà être présent le souci de la prise
de conscience des problèmes que posent ces mêmes thèmes,
des liens qui existent entre les uns et les autres, de leurs
rapports avec l'environnement historico-culturel.
De même qu'il est impensable, comme nous I'avons
noté au début de ce chapitre, d'élaborer un programme
pour l'imposer au peuple, de même est-il impensable de
définir des méthodes de recherche de I'univers thématique
à partir de points de vue fixés à I'avance par des cher-
95
cheurs qui se poseraient eux-mêmes en acteurs exclusifs
de cette recherche.
Tout autant que l'éducation, I'investigation qui est à son
service doit être une opération syrnoathique, au sens étyrno-
logique du terme. Cest-à-dire qu'elle doit s'effectuer dans
la communication, dans la perception en commun d,une
réalité qui ne doit pas être considérée cornrne comparti-
mentée de façon mécaniste, ni comme bien << ordonnée >>,
mais appréhendée dans la complexité de son devenir
permanent.
I.es _chercheurs professionnels et le peuple, dans cette
opération << sympathique que doit êtré l,investigation du
)>
thème-générateur, sont ensemble les sujets du processus.
Celui q_ui la << thématique significative >> et qui,
au nom de -explore
I'objectivité scientifique, transforme I'organique
en inorganique, ce qui est en traîn de se faire en-ce qui
est, ce qui est vivant en ce qui est mort, redoute le chan-
gement. Il craint la transformation. Il voit en elle. qu'il
ne nie pas mais qu'il refuse, non un signe de vie mais
un signe de mort, de dégradation. Il étudiè le changement,
non pour le stimuler, pour l'approfondir, mais pour le
freiner.
Or, el çraignant le changement, en s'eftorçant d'empri-
sonner Ia vie, en la réduisant à des schèmes rigides,- en
faisant dg peuple I'objet passif de son étude, en voyant
dans le changement un signe de mort, il tue la vie ei ne
peut cacher son attitude nécrophile.
- L'investigation des thèmes, répétons-le, implique une
investigation de la pensée du peuple. Cette peniée n'existe
pas en dehors des hommes. ni dans un seul homme, ni
dans le vide, mais dans les hommes et entre eux, toujows
en relation avec le réel.
Je ne peux pas étudier la pensée des autres, liée au
monde, je ne pense pas moi-même. Mais je ne pense
-si
pas de façon authentique si les autres ne pensent pàs en
même temps que moi. Tout simplement, ie ne peux penser
par les autres, ni pour les autres, ri sans les auties. Liétude
de la pensée du peuple ne doit pas être faite sans le
peuple, mais. avec lui, en tant que créateur de sa propre
pensée. Et sj, sa pensée est de type magique ou p.irnaire,
ce sera en réfléchissant sur elle, dans I'action, que ie peuple
lui-mêrne se dépassera. Le dépassement ne s'opère pas -en
consommant des idees, mais en les produisant et -en les
transformant dans I'action et la communication.
e6
Les hommes, étant des êtres en situation, se trouvent
onracinés dans un contexte spatio-temporel qui les marque
ot qui est aussi marqué par eux. Ils ont tendance à réflé-
chir sur leur propre ercistence en situation, dans la mesure
où, déffés par elle, ils agissent sur elle. Cette réfledon
lmplique donc quelque chose de plus que de vivre en situa-
iloi. Les hommes existent parce qu'ils vivent en situation.
Et ils existent d'autant plus qu'ils ne réfléchissent pas
roulement de manière critique à leur existence, mais qu'ils
lgissent sur elle consciemment.
Cette réflexion sur leur situation est une réflexion sur
lcur propre existence, une réflexion critique par laquelle
lcs hommes se découvrent en situatîon. C'est seulement
dans la mesure où celle-ci cesse de leur apparaître comme
une réalité opaque qui les enveloppe, une sorte de brume
dans laquelle et sous laquelle ils se trouvent, une impasse
clui les remplit d'angoisse, et c'est quand ils commencent
I la considérer comme une situation objectivo-probléma-
lique dans laquelle ils vivent, que peut s'opérer I'enga-
lcment. De l'état d'imntersion où ils étaient, ils émergent,
tlevenant capables de s'insérer dans la réalité qui se dévoile.
L'insertion marque un pas de plus que l'émergence et
résulte de la prise de conscience de la situation' C'est la
véritable conscience historique.
Voilà pourquoi la conscientisation et I'approfondissement
dc la prise de conscience sont les caractéristiques de toute
phase d'émergence.
C'est dans ce sens que toute investigation thématique
conscientisante devient pédagogique, et que toute éduca-
tion authentique se transforme en une étude de la pensée.
Plus j'étudie la pensée du peuple, avec lui, plus nous nous
éduquons ensemble. Et plus nous nous éduquons, plus
nous sommes en recherche. Education et investigation des
thèmes, dans la conception de l'éducation conscientisante,
det'rennent des moments d'un rnême processus.
Dans la pratique << bancaire >> de l'éducation, antidialo-
gique par essence, et donc dépourvue de communication,
l'éducatew élabore lui-même le programme éducatif et en
dépose le contenu chez l'élève. Au contraire, dans la pra-
tique conscientisante, dialogique par excellence, le pro-
gramme, au lieu d'être << déposé >>, s'organise à partir de
la vision du monde qu'ont les élèves et de leurs < thèmes-
générateurs >. Par suite, un tel programme doit toujours
être en train de se rénover ct de se développer.
97
 La tâche de l'éducateur dialogique, travaillant en équipe
pluridiqgiplinaire sur cet univers -thématique recueilli âu
cours de la recherche, consiste à le redonner, sous forme
de problème et non de discours, aux hommes dont il
I'a reçu.
Selon une perspective libératrice, et non plus < bancaire >
-
de l'éducation, le programme ne renferme-pas des finalités
qu'on impose au peuple, mais au contràire, partant et
naissant du peuple en dialogue avec les éduèateurs,
reflète ses désirs et ses espérances. C,est ce qui fait de la
recherche des thèmes le point de départ du processus
gdugatif-, le point de départ de son dialôgue. Et cela exige
impérativement que la méthode de cette recherche solit
conscientisante.
Comment s'y prendre, par exemple, quand on a la
responsabilité de coordonner un plan d'éducation d,adultes
dans une zone rurale où règne un pourcentage élevé d,anal-
phabétisme ? Le plan comprendra une phaie d'alphabéti-
sation une phase de post-alphabétisation. pour-la pre-
-et
mière, l'éducation de conscientiiation et de communicaiion
cherchera et étudiera le < mot-générateur >, pour
seconde, elle cherchera et étudiera le < thème-généiateur >.
Il faudra donc réaliser à la fois I'investigation des << mots-
générateurs >, et celle des << thèmes-généiateurs >, qui per-
mettront d'élaborer le programme de chacune deJ étâpes
du plan.
Nous limiterons toutefois ci-après notre analyse à I'inves-
tieation des << thèmes-générateuis >> ou de Ia < thématique
signiûcative 22 p.
Ayant délimitê la zone de travail, connue par des infor-
mations préliminaires, les chercheurs entament la première
étape d'investigation. Celte-ci, comme tout commencement
de n'importe quelle activité dans le domaine de I'humain,
peut présenter des difrcultés et des risques. Ceux-ci sont
nonnaux, jusqu'à un certain point, bien qu'ils n'existent
pas toujours, dans la première approche àes chercheurs
auprès des individus de la zone. - -
Tout d'abord, les chercheurs ont besoin d'obtenir qu,un
nombre suffisant de personnes acceptent une simple coiver-
sation avec eux, au cours de laquèle ils leurs farlent des
-22. A propos de I'lnvestigatlon et du traitement d.es < mots-
générateurs ', volr Paulo Fnntnn. L,Education : prattque de ia
libeûé, op. cil.
98
objectifs de leur présence dans cette zone.Ils leur expli-
queront le pourquoi, lc comment et le vers quoi de la
recherche qu'ils veulent réaliser, et ils leur diront quils ne
peuvent la mener sans que se soit établie une relation de
rympathie et de conûance mutuelle.
3i ces personnes açceptent la réunion et, à cette occasion,
tpprouvent Don seulement I'investigation, mais aussi Ie pro-
cessus qui en découle23, les chercheurs doivent stimuler
il ceux qui sont présents pour que, parmi eux, se révèlent
ceux qui veulent participer directement à I'investigation,
ù titre d auxiliates. Ainsi, la recherche cofirmence par un
dialogue ouvert.
Une série d'informations sur la vie dans la zone, indis-
pensables pour la comprendre, sera recueillie paf, ces volon-
taires. Mais leur participation active à la phase d'investi'
gation est encore plus importante que la collecte de ces
données.
Parallèlement à ce travail de I'equipe locale, les cher-
çheurs çornûrençent leurs visites dans la zone, sans idées
précongues, sans jamais s'imposer, en observaterus sympa-
la thiques, et donc avec des attitudes compréhensives à l'égard
de ce qu'ils observent. S'il est normal que les chercheurs
abordent la zone à étudier avec leur système de valeurs qui
influencera leur perception des faits, cela ne doit pas les
conduire, çependant, à transformer la recherche des thèmes
etr un moyen d'imposer leur système.
La seule dimension que les chercheurs doivent retenir
de leur système de valeurs, et qu'il faut tenter de faire
partager aux hommes dont on étudie les thèmes, est celle
de la perception critique de leur réalité, qui suppose une
méthode adéquate d'approche du concret pour le dévoiler.
Mais cela ne doit pas être imposé.
C'est ainsi que, dès le début, I'investigation des thèmes
prend la forme d'une tâche éducative, d'une action
culturelle.
Pendant leurs visites, les chercheurs ûxeront leur regard
critique sur la zone étudiée courme si elle était pour erDt
une sorte de < situation codée >, ensemble sui generis qui
23. Câr la recherche des thèmes, dit la sociologue Maria Edy
l.erreira, se justilie seulement si elle rend au Peuple -ce qui lgi
appartient; ii eue est uon pas la découverte du peuple, mals la
déôouverte avec lui de la réalité qu'il affronte'
99
les défie. Et, considérant la zone dans sa totalité, ils tente-
ront, visite après visite, d'en réaliser une << scissiotr ), pil
I'analyse des dimensions partielles qu'ils vont y découvrir.
Grâce à ce travail de << scission > qui leur permettra
ensuite de pénétrer <lans la totalité, ils développeront leur
compréhension de I'ensemble, dans I'interaction de ses
éléments partiels.
Pendant cette étape de << décodage >, également szi
generis, les chercheurs feront porter leur regard observa-
teur et critique sur certains mornents de la vie de la zone,
soit directement, soit par le truchement de dialogues
simples avec ses habitants.
A mesure qu'ils réalisent le << décodage >> de cette situa-
tion chiffrée vivante, soit par l'observation des faits, soit
par la conversation directe avec les habitants de la zone,
ils notent sur leur carnet, à la manière de Wright Mills 2a,
jusqu'aux choses apparemment les plus insignifiantes : la
façon de parler des gens, leur manière d'être, leur compor-
tement pendant le culte religieux, leur façon de travailler.
Ils enregistrent les expressions du peuple, son langage, ses
mots, sa syntaxe, toutes choses qui ne sont pas seulement
des signes de son élocution défectueuse, mais qui montrent
comment s'élabore sa pensée 25.
Ce décodage sur le vif suppose que les chercheurs
observent la zone à divers moments. Il faut qu'ils la
visitent aux heures de travaux des champs, qu'ils assistent
à des réunions d'associations populaires, étudiant le com-
portement des participants, le langage employé, les rela-
tions entre la tête et les membres du groupe, le rôle que
jouent les femmes et les jeunes. Il est indispensable qu'ils
la visitent pendant les heures de loisirs, qu'ils participent
aux activités sportives de ses habitants, qu'ils parlent avec
les gens dans les maisons, enregistrant toutes indications
concernant les relations maris/femmes, parents/enfants,
enfin qu'aucun domaine ne soit oublié pendant cette pre-
mière approche de la zone.
- Z+. Cl_W"iSutMrrrs, L'Imagination sociologlque, Maspero, Paris,
1967.
25. Â ce sujet, Guimaraes Rosa nous parait donner un exemple
de la façon dont un écrivain peut
- un ûdèlement
génial exemple
capter - l'élocution ou la prose msladroites,
non pas
màis la syntaxe du peuple d'une réglon (Minas Gerals), et la
structure de sa pensée. L'éducateur brésilien Paulo de Tarso a
écrit un essâi dont nous signalons la valeur et l'intéret, sur
I'ceuvre de Guimaraes Rosa, orl il analyse le rôle de cet auteur
comEe découvreur des thèmes fondamentaur de l'homme du
sertdo brésilien.
100
Après chacune de ces visites d'observation, les cher-
cheurs doivent rédiger un bref compte rendu dont le
contenu est discuté en séminaire par l'équipe, pour appré-
cier les éléments raqsesrblés soit par les chercheurs profes-
sionnols, soit par leo représentants du peuple. tr est souhai-
table que ce séminaire d'appréciation se fasse dans la zone
même de travail atn que ces derniers puissent y participer.
On constate que les points relevés par les divers cher-
cheurs et portés à la connaissance de tous au cours du
séminaire d'appréciation sont généralement convergents,
exception faite de tel ou tel aspect qui a impressionné
I'un ou l'autre des chercheurs isolément.
Ces réunions d'appréciation constituent vraiment une
seconde phase du < décodage >> sur le vif que les cher-
cheurs effectuent à partir de la réalité qui leur ost pré-
sentée comme une << situation codée >.
En effel à mesure qu'ils exposent, chacun à leur tour,
comment ils ont découvert ou senti telle attitude qui les
a impressionnés particulièrement, dans leur tentative de
décodage, chaque intervention d'un membre du groupe
les défie tous en leur présentant, de nouveau, cette réalité
que leur conscience venait de découvrir. A ce moment,
ils < re-découvrent > leur découverte antérieure à travers
le récit de la decouverte des autres.
De cette manière, la < scission > que chacun avait opérée
sur la réalité, dans son processus particulier de décodage,
renvoie les participants, grâce au dialogue, à I'ensemble
< scindé > qui redevient un tout et s'offre aux chercheurs
pour une nouvelle analyse. Celle-ci fera I'objet d'un nou-
veau séminaire d'appréciation critique auquel participeront
comme membres de l'équipe de recherche les représen-
tants du peuple.
Plus ils scindent le tout et le reconstituent dans une
re-découverte qu'ils font de leur découverte, plus ils se
rapprochent du noyau central des contradictions princi-
pales et secondaires dans lesquelles vivent les gens de la
zone étudiée.
On pourrait imaginer que dès cette première étape
d'investigation, lorsqu'ils ont saisi, grâce à leurs observa-
tions, le noyau central des contradictions, les chercheurs
sont déjà en mesure d'organiser le programme de l'action
éducative. Et réellement si ce programme reflète les contra-
dictions, il contiendra sans aucun doute la thématique
significative de la zone étudiée. D'ailleurs, nous ne craignons
101
 pu$ d'affirmer que la probabilité de réussite d'une action
qui se développerait à partir de ces données serait bien
oupérieure à celle d'un programme imposé verticalement.
Il ne faut pas cependant que les chercheurs se laissent
prendre à cette tentation. En râlité, l,important, à partir
de la perception initiale de ce noyau de contradiôtions
et en particulier de la contradiction majeure de la société
considérée cornme un tout dans une large période histo-
rique, c'est de rechercher à quel niveau de ]erception se
situent les individus de la zone étudiée par ralport à
ces contradictions.
Au fond, ces contradictions constituent des < situations
limifss > qui contiennent les thèmes et indiquent les tâches
à remplir. Mais si les individus adhèrent à èes < situations
limites > et se trouvent dans I'incapacité de se < séparer >
d'elles, le thème correspondant seri nécessairement ie
fata-
lisme, et à ce thème n'est associée pratiquement aucune
tâche à remplir.
Ainsi, il ne sufrt pas d'étudier les < situations limites
goryn9 réalités objectives et les besoins qu'elles créent chez
les individus, mais il faut rechercher aveô ceux-ci comment
ils_conçoivent ces situations. Une < situation limite >, réa-
lité concrète, peut susciter chez les iqdividus de zooes diffé-
rentes, et même de sous-zones à I'intérieur d'une même
zone, des thèmes et des tâches divergents qui exigent donc,
pour être compris, des programmes .tifiérènciés.-
L'attention des chercheurs doit se concentrer sur l'éva-
luation de ce que Golrtmann appelle la < conscience
l:lli1.? (effective), et la < consiiênce manimum poren-
tielle 26 >.
<< La conscience réelle est le résultat d'obstacles
multiples
et de déviations que les différents facteurs de la réilité
concrète_ mettent en opposition et soumettent à la saisie de
Ia consctence potentieUe. > Aussi, au niveau de la < cons-
cience réelle >, les hornmes peuvent rrifficilement percevoir,
au-delà des << situations limites ), ce que nous- appelons
l' << inédit possible >.
, Selon nous, l' < inédit possible > (qui ne peut être appré-
hendé au niveau de la < ôonscience iêelle >-ou efiectivô se
concrétise dans une < action |. rlatisss > dont la viabilité
n'était pas apparue auparavant. Il y a un rapport entre
Lucien Gor.oue.nx, The^Eumdn.sclences and. philosophg, Tlue
-_26.
Chaucer Press, Londoi, fSOS, p. itS. ------ *-- - "
LOz
l'< inédit possible > et la < conscience potentielle >, d'une
part, et entre l' < action à réaliser > et la < conscience
potentielle maximum >>, d'autre part.
La < conscience potentielle > (Goldmann) paraft pou-
voir être reliée à ce que Nicolai 2? appelle les < solutions
pratiques inconnues > (notre < inédit possible >), par oppo-
rition aux < solutions pratiques connues > qui corres-
pondent à la < conscience réelle > ou effective de Gold-
mann.
Le fait que les chercheurs, dans la première étape de la
rccherche, soient parvenus à une appréhension plus ou
moins approchée de I'ensemble des contradictions ne les
autorise pas à élaborer la structure du programme éducatif.
Iusque-là, cette découverte est la teur et non celle des
lndividus sur la réalité qui les entoure.
La seconde phase de la recherche commence précisé-
> ment quand les chercheurs, munis des données recueillies,
parviennent à saisir cet ensemble de contradictions. A
partir de ce moment, touiours en éouipe, ils choisiront
cuelques-unes de ces contradictions avec lesquelles seront
élaborés les tableaux codés qui vont servir à la recherche
des thèmes.
Dans la mesure où les tableaux codés (peintures ou
photos, et parfois les photos sont préférables 28) servent
d'obiets intermédiaires aux suiets qui opèrent le décodage,
on s'offrant à leur analyse critique, il faut que leur prépa-
ration obéisse à certains principes qui ne sont pas seule-
ment ceux qui orientent la confection de simples supports
visuels.
I-a première condition à respecter est qu'ils doivent
nécessairement représenter des situations connues par les
individus dont on recherche les thèmes, et donc reconnais-
rables par eux, ce qui leur permet de se situer eux-mêmes
dans les tableaux présentés.
Au cours de cette phase de la recherche et également
dans les premiers temps de l'étape suivante, celle de la res-
titution du thème significatif dans un programme éducatif,
27.André Nlcolal. Comportement économique et Structure
toelale, P. U. F.. Parts. 1960.
Les tableâux oodés peuvent également être oraux. Ils
28.
conslstent alors dans la présentatlon succlncte, par les cher-
cheurs, d'un problème exlstentlel, suivle par la phase de déco-
dage. L'équipe de I'Instituto de Desarrollo Agropecuario, au Chill,
utiltse av-ec-succèg cette méthode pour ses recherches de thèmes.
103

il faudrait éviter de proposer des représentations de la
rfulité étrangères aux individus. En effet, une telle méthode,
qui aurait un caractère dialectique étant donné que les
individus analysant une réalité étrangère la compareraient
avec leur propre situation et comprendraient les limitations
que comporte celleci, ne peut être employée qu'après une
autre méthode exigée par l'état d'immersion des individus :
celle qui consiste à leur faire analyser leur propre réalité,
découvrir les déformations de leur optique antérieure et
parvenir à une perception nouvelle de la réalité.
Il est également essentiel, pour la préparation des
tableaux de situations codées, qu'ils ne contiennent pas le
thème central sous une forrre soit trop explicite, soit exa-
gérément énigmatique. Dans le premier cas, ils courent le
risque de se transformer en tableaux de propagande devant
lesquels les individus n'ont plus d'autre décodage à faire
que de repérer docilement les éléments qu'on leur pré-
sente. Dans le second, ils risquent de devenir des jeux de
devinette ou des charades.
Dans la mesure où ils représentent les situations existen-
tielles, les tableaux codés doivent être sobres, mais com-
plexes, et offrir diverses possibilités d'analyses par le déco-
dage, afin d'éviter le dirigisme d'un codage de propagande.
Les tableaux codés ne sont pas des slogans, mais des objets
de connaissance, des défis sur lesquels doit se porter la
réflexion critique des acteurs du décodagezs.
Pour offrir cette pluralité de possibilités d'analyse, les
tableaux codés, par I'organisation de leurs éléments consti-
tutifs, doivent être une sorte d' << éventail thématique >. A
mesure que les acteurs du décodage dirigent sur eux leur
réflexion critique, ils < s'ouwiront > à d'autres thèmes. Cette
ouverture, qui ne pourrait se produire dans le cas d'un
thème exagérément explicite ou exagérément énigmatique,
est indispensable pour la perception des relations dialec-
tiques qui existent entre ce que les tableaux représentent et
les situations contraires.
Pour satisfaire cette exigence fondamentale, il est néces-
29. Iæs tableaur oodée sont d'uue part l'intermédiaire ontre
le n conterto concret ou réel , dans lequel surYiennent Les faits'
et le n oontexte théorique , dans lequèl on a:ralyse, et d'autre
Dârt lôs oblets connalssàbles sur losquels I'éducateur-élève ot los
êlèvcs-éducaieurs, corrmô sujets conù.aissants, font porter leur
réflexion crittque. (Cf. Panlo Fnzlne, I"Education : pratique de
la ltbeûë, op. cil.)
to4
saire que le tableau codê, refi.étaût une situation existéû-
tielle, constitue objectivement un tout. Et, dans sa com-
position, il faut que les éléments constitutifs du tout se
trouvent en i-nteraction.
Au cours du décodâge, les individus, en extériorisant
leurs thèmes, révèlent leur << conscience réelle > en face de
la réalité objective.
Dans la mesure où, ce faisant, ils comprennent comment
ils agissent en vivant la situation analysée, ils en arrivent
eu point que nous avons appelé la perception de la percep-
tion antérieure. En découvrant la manière dont auparavant
ils percevaient la réalité, ils I'appréhendent d'une façon
différente et, en élargissant I'horizon de leur perception, ils
captent plus facilement dans leur < vision de fond > les
relations dialectiques entre l'une et I'autre dimensions de
la réalité. Dimensions liées au noyau central de la situation
codée sur laquelle ils effectuent I'opération de décodage.
Comme le décodage est au fond un acte de connaissance
qu'effectuent ses acteurs, et comme il réagit sur la représen-
tation de la situation concrète, il atteint égalemeni I'acte
an!érieur par lequel les mêmes individus avaient pergu la
même réalité représentée maintenant sous une forme codée.
F,n incitant à une perception de la perception antérieure
ot à une connaissance de la connaissancé antérieure, le
décodage provoque ainsi le jaillissement d'une perception
nouvelle et le développement d'une connaissance nouvelle.
La perception nouvelle et la connaissance nouvelle, qui
se forment déjà dans cette étape de recherche, se pro-
longent de fagon systématique dans la mise en place du
plan éducatif, transformant l' < inédit possible > en une
< action à réaliser > avec le dépassement de la < conscience
réeile > par la < conscience potentielle ma:rimum >.
. C'est pourquoi une contrainte supplémentaire s'impose
dans la préparation des tableaux codés, à savoir que les
contradictions qu'ils représentent doivent, autant que pos-
cible, < contenir > d'autres contradictions, cornme le signale
José Luis Fiori. Il faut que les éléments codés < con-
tiennent > un maximum d'autres éléments faisant partie
du système des contradictions de la zone étudiée.- plus
encore, quand on a élaboré une telle situation codée,
( contenant > susceptible de s'ouvrir conrme un < éventail
thématique > au cours du décodage, il faut que I'on pré-
pare les autres situations codées < conteDues > en elle àvec
leurs dimensions dialectisées. Le décodage de la première
r05
recevra un êclairage explicatif et dialectique par le déco-
dage des secondes.
A ce sujet, un jeune Chilien, Gabriel Bodeao, qui a
travaillé avec cette méthode dans l'étape de post-alpha-
bétisation, a apporté une contribution de la plus haute
importance.
Durant son expérience, il a observé que les paysans ne
s'intéressaient à la discussion que lorsque la situation codée
était reliée directement aux aspects concrets des besoins
qu'ils ressentaient. Toute déviation dans la situation codée,
cornme toute tentative de l'éducateur pour orienter le dia-
logue au cours du décodage sur d'autres voies que celles
des besoins ressentis, provoquaient leur silence et leur indif-
férence.
Par ailleurs, il observait que, même si la situation codée
était centrée sur les besoins ressentis, mais qu'elle n'était
pas un << contenant >, au sens donné par José Luis Fiori,
les paysans ne parvenaient pas, au cours de leur analyse, à
se fixer dans la discussion, << se perdant > souvent, sans
parvenir à une synthèse. Ils ne comprenaient pas non plus,
ou rarement, les rapports entre les aspirations qu'ils res-
sentaient et les causes objectives, plus ou moins dtectes,
de ces aspirations.
Il leur manquait, dirons-nous, la perception de I < inédit
possible >>, bien au-delà des < situations limites > qui engen-
draient leurs besoins. Il ne leur était pas possible de dépas-
ser leur expérience existentielle limitative pour prendre
conscience de fensemble.
Aussi Gabriel Bode résolut-il d'essayer la projection
simultanée de plusieurs situations, et la manière dont il
développa son expérience constitue indiscutablement sa
contribution la plus intéressante.
Il projette d'abord le tableau codé (très simple dans la
composition de ses éléments) d'une situation existentielle. Il
appelle ce tableau < essentiel >, parce qu'il représente le
noyau central qui, en s'ouvrant comme un < éventail
thématique >, s'élargira jusqu'à d'autres tableaux qu'il
appelle << tableaux auxiliaires >.
Lorsque le tableau < essentiel > a êtê decodé, il le laisse
de I'une des plus sérieuses insti-
30. Fonctionnaire spécialisé
futions gouvernementales chlliennes, l'Instituto de Desarrollrr
Agropecuario (I. N. D. À. P.), dirigé à cette époque par un éco-
nomiste de formatlon authentiquement humaniste, Jacques Chon-
chol.
106
projeté sur l'écran comme un point de référence auquel les
consciences pourront se rapporter, et il va successivement
proieter côté de celui-ci les tableaux < auxiliaires >'
à
Orâce à ces derniers qui restent en relation directe avec le
lableau < essentiel >, il réussit à maintenir éveillé I'intérêt
dos individus qui, au lieu de se perdre dans les débak,
psrviennent à en faire la synthèse.
Au fond, la grande trouvaille de Gabriel Bode est d'être
parvenu à proposer à la connaissance des individus, grâce
I la dialectique entre le tableau < essentiel > et les tableaux
r auxiliaires >, le sens de la totalîté. Les individus, plongés
dans la réalité avec la simple sensation de leurs besoins,
commencent à en émerger et panriennent ainsi à découvrir
les raïsons de ces besoins.
De cette manière, très rapidement, ils pourront dépasser
lo niveau de la << conscience réelle > et atteindre celui de
h < conscience potentielle >.
Si c'est là I'objectif de l'éducation conscientisante gue
nous défendons, la recherche des thèmes, gui en est plus
qu'un instrument car elle en est une étape, doit poursuivre
le même but.
Lorsque les tableaux de situations codées sont prêts et
que l'équipe interdisciplinaire a examiné tous les aspects
thématiques qu'ils peuvent contenir, les chercheurs abordent
la troisième phase de I'investigation.
Ils reviennent alors dans la zone étudiée pour amorcer
les dialogues de décodage dans des << cercles de recherche
thématique el >. Dans un < cercle de recherche > donné, il
doit y avoir au maximum vingt personnes, et il faut créer
un nombre suffisant de cercles pour atteindre toute la
population de la zone étudiée.
Pendant que les cercles opèrent le décodage du matériel
élaboré au cours de l'étape précédente, on enregistre les
discussions qui seront ensuite analysées par l'équipe inter-
disciplinaire. Dans les réunions où sont étudiés ces etue-
gistrements doivent être présents les représentants du
peuple qui ont aidé à la recherche et quelques-uns des par-
31. José Luls Fiori, dans sgn arttcle déJà cité' a. prop-osé cette
aDDellation. qui corrêsDond bien à ces groupes orl s'effectue la
rôcÏerche âes thèmes signtflcattfs, à la place de celle que nous
ieur avions donnée, moiis bien approprlée : n cercles de cul-
oouvaii en efiet confoidre-ces cercles avec ceux qui
iG; ;. on jeu
entrent en à l'étape sulvante, après la phase de recherche
des thèmes.
to7
ticipants des << cercles de recherche >>. Cette participation
est d'abord un droit pour eux, mais elle est aussi indis-
pensable pour le travail des specialistes. Car en intervenant
avec les specialistes pour le traiternent de ces données, les
représentants du peuple pourront ainsi regtifier et ratifier
l'interprétation que les specialistes font des résultats de
I'investigation.
Du point de vue méthodologique, la recherche qui, dès le
départ, se fonde sur la relation de sympathie dont nous
avons parlé bénéficie d'un élément supplémentaire essentiel
pour éviter les erreurs : la présence critique des représen-
tants du peuple depuis le commencement jusqu'à la phase
finale, celle de I'analyse du thème, prolongée par l'élabo-
ration du prograûrme d'action éducative qui devient une
action culturelle libératrice.
A ces réunions de décodage dans les < cercles de
recherche thématique >, le chercheur qui jouera le rôle de
coordinateur sera secondé par deux spécialistes un psycho-
logue et rrn sociologue, dont la tâché est d'enregistrér les
réactions significatives, plus ou moins apparentes, des
auteurs du décodage.
Au cours du décodage, il appartient au coordinateur,
non seulement d'écouter les individus, mais de leur pro-
poser des déûs en transformant en problème, d'une part,
la situation codée et, d'autre part, les réponses qui iont
fa.ites pendant la discussion.
Sous I'effet de la méthode, les participants du << cercle
de recherche thématique > vont extérioriser un ensemble
de sentiments, d'opinions, sur eux, sur le monde et sur les
autres, que sans doute ils n'auraient pas exprimés
d'autres circonstances.
Au cotus de l'une des recherches effectuées à Santiago
du Chili (malheureusement restée inachevée), un groupe
d'habitants d'un immeuble collectif pauvre (conventillo)
discutait à propos d'une scène où l'on voyait un homme
ivre marchant dans la rue, et un peu plus loin trois jeunes
gens en train de bavarder. Les participants du << cercle de
recherche >> déclarèrent que < seul est productif et utile
à la nation l' " ivrogne " qui revient chez lui après son
travail, mal payé, préoccupé à cause de sa famille dont il
ne peut satisfaire les bosoins. Lui seul est un travaillew.
C'est un travailleur honnête cornme nous, qui sornmes
aussi des ivrognes >>.
L'intention du chercheur (le psychiatre Patricio Lopes
108
dont nous avons déjà parlé dans nos travaux antérieurs)
était d'étudier certains aspects de I'alcoolisrne. Il n'aurait
probablement pas obtenu ces réponses s'il s'était adressé
À ces individus avec un questionnaire établi par lui. Peut-
ôtre, interrogés directement, auraient-ils même nié que,
de temps à autre, ils buvaient leur petit verre. En revanche,
devant une situation codée qu'ils pouvaient reconnaître et
dans laquelle ils se retrouvaient eux-mêmes, à la faveur
du dialogue entre eux et le chercheur, ils avaient dit ce
qu'ils pensaient réellement.
Il y a deux aspects importants dans les déclarations de
ces hommes. D'un côté la relation exprimée entre gagner
peu, se sentt exploités avec un salaire qui ne suffit jamais,
et s'enivrer. Ils s'enivrent dans une sorte de fuite devant
la réalité, dans une tentative pour dépasser la frustration
de leur impuissance; solution en définitive autodestructrice,
nécropbile. D'un autre côté, la nécessité de valoriser celui
qui boit. Lui seul était << utile au pays parce qu'il travail-
lait alors que les autres ne savaient faire qu'une chose :
dire du mal d'autrui >. Et, après avoir valorisé celui qui
boit, ils s'identifient à lui car eux aussi sont des travail-
leurs qui boivent. Et ils sont des travailleurs honnêtes.
Imaginons maintenant l'échec d'un éducateur du type
que Niebuhr 32 appelle << moraliste >>, qui leur aurait fait
un serrnon contre I'alcoolisme, leur présentant comme
exemple de vertu ce qui pour eux n'est pas une manifes-
tation de vertu.
L'unique chemin à suivre, dans ce cas comme dans les
autres, c'est une prise de conscience de la situation qui
en doit être tentée dès l'êtape de la recherche thématique.
Cette conscientisation, bien entendu, ne doit pas s'arrêter
stoïquement à une simple compréhension subjective de la
situation, mais au contraire, elle doit préparer les hommes,
au plan de I'action, pow la lutte contre les obstacles à
leur humanisation.
Au cours d'une autre expérience à laquelle nous avons
participé avec des paysans, nous avons observé que, durant
la discussion sur un tableau qui représentait une scène de
travaux des champs, la dominante du débat était la reven-
dication salariale et la nécessité de s'unir, de créer leur
propre syndicat, exçlusivement pour obtenir de meilleurs
salairee.
32. Relnhold NrEBûER, Moral Man anil Immotal Societg, Charles
Scrlbner's Son, New York, 1960.
109
 T-
I
' .1" la réalité ces thèmes, par le < traiternent > qu'on leur
Trois situations codées furent discutées pendant cette
session, et la dominante fut toujours la même : revendi-
cation salariale et syndicat pour faire aboutir cette reven-
dication.
Imaginons maintenant un éducateur qui aurait organisé
son prograrnme éducatif pour ces hommes-là et qui, au
lieu de discuter de leurs thèmes, leur proposerait la lecture
de textes considérés comme < sains >, qui ne disent que
des banalités telles que < I'oiseau est fait pour voler... >.
C'est pourtant ce qui se fait très généralement, en éduca-
tion comme en politique, parce que I'on n'admet pas que
le dialogue éducatif doive commencer par la recherche des
thèmes.
La dernière étape débute lorsque les cercles ont terminé
les décodages et que les chercheurs attaquent l'étude
systématique et interdisciplinaire des résultats.
Dans un premier temps, en écoutant un à un les enre-
gistrements qui ont été faits à l'occasion des décodages
et en étudiant les annotations du psychologue et du socio-
logue, observateurs de la phase de décodage, on dresse
l'inventaire des thèmes explicitement ou implicitement
contenus dans les opinions exprimées au sein des < cercles
de recherche >.
Ces thèmes doivent être classés dans le cadre général
des disciplines scientifiques. Cela ne signifie pas qu'ils
doivent être considérés, au moment de l'élaboration des
progranrmes, comme faisant partie de compartiments
étanches, mais simplement qu'un thème donné correspond
de manière plus spécifique, plus centrale, à I'un quelconque
des domaines scientifiques spécialisés.
Le thème du développement, par exemple, se situe dans
le domaine de l'économie, mais pas de façon exclusive. Il
doit aussi recevoir l'éclairage de la sociologie, de I'anthro-
pologie, de la psychologie sociale qui, concernées par les
questions d'échange culturel, de changement des cômpor-
tements, de valeurs, s'intéressent aussi à une philo-
sophie du développement. n doit aussi être abordé
sous I'angle de la science politique, qui envisage l€i déci-
sions à prendre, de même que sous I'angle de l'éducation...
Ainsi, les thèmes qui ont été captés à l'intérieur d'un
tout ne devront jamais être traités schématiquement. Il
serait regrettable qu'après avoir été découverts dans la
richesse de leur interpénétration avec les autres aspects
110
applique, perdent cette richesse et se vident de leur force
dans l'étroitesse des spécialisations.
La délimitation des thèmes étant faite, il appartiendra
à chaque specialiste, dans son domaine, de presenter à
l'équipé interaisciptinaire son projet dc << réduction > du
thème. Dans cette opération de < réduction >, le spécialiste
recherche les éléments essentiels du thème qui, organisés
cn unites d'apprentissage selon une liaison séquentielle'
donnent une vision générale du thème << réduit >.
Pendant la discussion de chaque projet spécifique' on
ennote les suggestions des divers spécialistes. Celles-ci
seront incorporées à la < réduction > en cours d'élabo-
ration et/ou seront rassemblées dans des textes qui trai-
teront brièvement du thème < réduit >. Ces textçs,
auxquels on joindra des références bibliographiques'
deviendront des instruments précieux pour la formation
des éducateurs-élèves qui travailleront dans les << cercles
de culture >.
Au cours de ce travail de << réduction des thèmes signi'
ûcatifs >, l'équipe découvrira la nécessité d'introduire cer'
tains thèmes fondamentaux qui, pourtant, n'avaient pas
été suggérés par le peuple au moment de la recherche
antérieure. L'introduction de cas thèmes, reconnue conrme
iqrtispensable, correspond d'ailleurs au caractère dialo-
gique de I'éducation dont nous avons tant parlé. Si le pro-
gramme éducatif est dialogique, les éducateurs-élèves ont
également le droit d'y participer en apportant des thèmes
qui n'ont pas été proposés pendant la phase de recherche.
Etant donné le rôle que vont jouer ces thèmes, nous
les appelons < thèmes-charnières >. Ils servent soit à faire
comprendre le lien entre deux thèmes dans I'ensemble du
programmg en remplissant un vide éventuel, soit à faire
apparaître les relations qui existent entre le contenu géné-
ral du prograrnme et la vision du monde qu'a le peuple.
Le concept anthropologique de culture est un de ces
< thèmes-charnières > qui relient la conception générale
du monde, que le peuple peut avoir, au reste du pro'
granrme. Sa compréhension éclaire le rôle des hommes
dans le monde et avec le monde, conrme êtres de transfor-
mation et non d'adaPtatioa 43.
Au suiet de l'imoortance de I'analyse du concept anthropo-
33-
Paulo Fnsrnr' L'Education :
ptatique
3f'ff"rrî"'ritïàT."?u."ôt"
111
 Après la phase de << réduction >> des thèmes côrnmen-
cera l'étape suivante 3a, celle de la preparation du pro-
gramme éducatif. On procédera à un < codage > des
thèmes en choisissant le meilleur canal de æmmunication
pour la représentation de chacun d'eux. IJn (< codage >
peut être simple ou composé. Dans le premier cas, on peut
utiliser un canal visuel, pictural ou graphique, tactile ou
auditif. Dans le second cas, on recourt à plusieurs canaux
simultanément 35.
Le choix d'un canal visuel, dessin ou texte, dépendra
non seulement de la matière à coder, mais aussi des
individus auxquels elle s'adresse, selon qu'ils ont ou non
I'expérience de la lecture.
Lorsque le programme a êtê élaboré, à partir de la
thématique réduite et codée, on confectionne le matériel
didactique : photographies, vues fixes, affches, textes
écrits...
Pour compléter ce matériel, une équipe peut choisir
quelques-uns des thèmes ou certains de leurs aspects et,
quand cela est possible, les proposer à des spécialistes
comme zujet d'interview qui sera enregistrée au magné-
tophone par un des membres de l'équipe.
Prenons, par exemple, le thème du développement.
L'équipe cherchera au moins deux spécialistes (écono-
34. Si nous envisageons le programme dans son ensemlle,
nous observons que c'est une totalité caractérisée par l'interac-
tion entre ses éléments qui sont de's sous-ensembles. Ainsi les
thèmes, qui sont en eux-mêmes des ensembles en interaction,
constituenl les éléments de l'ensemble du programe.
Dans la n réduction ) thématique qui est I'opération de c scis-
slon r des thèmes en tant que totalités, on recherche leurs
uoyaux essentiels qui sont leurs éléments constitutifs. De cette
manière, n réduire D un thème, c'est le scinder en ses diverg
éléments pour mieux le comprendre dans sa totalité.
Dans le < codage >, on cherche à recomposer à nouveau le
thème scindé dans des tableaux de situations existentielles.
Dâns le n décodage >, les individus, en scindant le tableau
qui leur est présenté comme un tout, découvrent le ou les
thèmes qu'il contient implicitement ou qui se rapportent à lui.
Ce processus de ( décodage > ne se limite pag d cette scission,
mais il se complète paf une nouvelle recompôsition de la totalité
scindée, grâce à quoi non seulement on la- conprend. plus clal-
rement, mais également on comprend mieux ses relations avec
les autres situations codées qui sont toutes des représentatlons
de situations existentielles,
35. Codages :
a) simple : ; canal visuel I dessln
! ) texte écrit
) canal tactilc
I canal audiflf
b, composé ,' I plusieurs canaux slmultenéE
tt2
rnistes) d'êcoles différenteset leui parlera de son travail,
les invitant ày contribuer en acceptant une interview,
en langage accessible, sur tel ou tel poina. Si les spégia-
[stes Jcceptent, I'entretien aura lieu pendant dix à quinze
minutes. Ôn pourra également prendre une photographie
du spécialiste pendant qu'il parle. En proposant au peuplg
d'écôuter l'enrêgistrement de l'entretien, onlui dira d'abord
qui est ce spécialiste, ce qu'il a fait, ce qu'il fait actuel-
lèment, ce qu'it a êcrit, et on projettera en même temps
sa photo en diapositive. S'il s'agit d'un professeur d uni-
veriité, par exemple, on porura déjà, après avoir parlé de
lui, discuter avec les gens sur ce qu'ils pensent des univer-
sités de leur pays; cornment ils les voient; ce qu'ils
ettendent d'elles.
On annoncera au groupe qu'après avoir écouté I'enregis-
trement de fentretien on discutera sur le sujet de cet
entretien. L'enregistrement fonctionnera ainsi comme un
tableau codé sonore.
Léquipe fera ensuite un compte rendu du débat au
spéciaûste pour qu il sache comment les gens ont réagi
à ce qu'il -avait dit. De cette manière, des intellectuels,
généralement de bonne volonté, mais souvent étrangers
À la réalité populaire, seront remis en contact avec cette
réalité. Et iL sêra donné au peuple de connaître et criti-
quer la pensée de l'intellectuel.
Certains thèmes ou quelques-uns de leurs éléments
essentiels peuvent encore être représentés sous forme de
saynètes qui ne contiennent pas de réponse mais le thème
lui-même,- sans plus. Ce genre de montage joue le rôle
d'une situation ôdee, proposant un problème à résoudre
qui sera ensuite discuté par le groupe.
Un autre moyen didactique, dans une optique conscien-
tisante et non << bancaire > de l'éducation, consiste dans
la lecture et la discussion d'articles de revues, de journaux'
de chapitres de livres, en cornmençant par des morceaux
choisis. Ici encore, cornme dans les entretiens enregistrés,
avant de commencer la lecture on parlera de l'auteur.
Ensuite, la discussion s'engagera sur le texte lu.
Dans ce domaine, il nous paraît indispensable d'analyser
le contenu 4ss difiérents éditoriaux de la presse à propos
d'un événement donné. Pour quelles raisons les journaux
s'expriment de manière tant divergente au sujet d'un même
fait? tr faut que le peuple développe son esprit critique
pour que, lisant les journaux ou écoutant les nouvelles
IL3
à la radio, il se comporte non comme un simple patient,
conrme un récepteur de < communiqués > imposés, mais
coulme uue conscience qui cherche à se libéçer.
Tout ce matériel étant préparé, auquel on pourra joindre
de brefs manuels introductifs sur les différents thèmes,
I'equipe des éducateurs sera en mesure de revenir pré-
senter au peuple sa thématique, systématisée et développée.
Les thèmes qui proviennent de lui reviennentà lui sous
la forme de problèmes à résoudre, et non comme des
solutions toutes faites.
Le premier travail des éducateurs de base sera la présen-
tation du progrÉunme général de la campagne qui va com-
mencer. Le peuple reconnaîtra ce programme et ne s'en
jugera pas étranger puisqu'il émane de lui. S'appuyant sur
le caractère dialogique de l'éducation, les éducâteurs expli-
queront la présence, dans le prograûtme, des < thèmes-
charnières > et leur signification.
Comment faire, cependant, dans le cas où I'on ne peut
disposer de moyens suffisants pour effectuer la recheiche
thématique préalable telle que nous I'avons décrite ? Avec
un minimum de connaissance de la rêabtê, les éducateurs
peuvent choisir quelques thèmes de base qui fonctionne-
ront comme < tableaux codés de recherche >. On lancera
ainsi le travail sur des thèmes introductifs en même temps
que I'on commencera I'investigation de la thématique qui
permettra d'élargir le programme.
L'un de ces thèmes introductifs, que nous avons déjà
signalé cornme un thème central, essentiel, est le concept
anthropologique de culture. Qu'il s'agisse de paysans ou
de citadins, en matière d'alphabétisation ou de post-alpha-
bétisation, I'amorce de tout effort en vue d'une connais-
sance plus grande doit être un débat sur ce concept.
A mesure qu'ils discutent du monde de la culture, ils
explicitent la conscience qu'ils ont de la réalité et les
thèmes qu'elle contient implicitement. Progressivement, ils
abordent d'autres aspects de cette réalité qui commence à
être découverte d'une façon de plus en plus critique. Ces
différents aspects conduisent eux-mêmes à bien d'autres
thèmes.
Avec l'expérience que nous avons aujourd'hui, nous
pouvons dire qu'un débat sur le concept de culture peut
nous fournir de nombreux éléments pour un prograûrme
éducatif. Mais en plus de cette saisie, que noui pourrions
tt4
appeler indirecte, de la thématique, les éducateurs peuvent
aussi, après quelques jours de relations horizontales avec
les participants du < cercle de culture >, leur demander
directement : < Sur quels autres thèmes ou zujets pour-
rions-nous discuter? >
Au fur et à mesure qu'ils répondent, on note leur
réponse et on la propose aussitôt au groupe colnme un
nouveau problème à résoudre.
Supposons qu'un des membres du groupe dise : << J'ai'
merais parler du nationalisme. > < Très bien >, dirait
- suggestion,
l'éducateur, et, après avoir noté la il poursui
vrait : < Que signifie le nationalisme? En quoi une dis-
cussion sur le nationalisme peut-elle nous intéresser ? >
Il est probable qu'avec la transformation en problème
de la suggestion, des thèmes nouveaux surgiront au sein
du groupe. Au fur et à mesure que chacun se manifestera,
l'éducateur transformera en problème, une à une, les sug-
gestions qui naîtront du groupe.
Par exemple, dans une zone donnée où fonctionnent
plusieurs dizaines de < cercles de culture >, si dans la
même soirée tous les coordinateurs (éducateurs) agissent
ainsi, l'équipe centrale aura à sa disposition un riche
matériel qu'elle pourra étudier dans le cadre de la méthode
décrite ci-dessus pour I'investigation des thèmes significatifs.
L'essentiel, du point de vue d'une éducation libératrice
et non < bancaire > est que, en tout état de cause, les
hommes se sentent les sujets de leur propre pensée et
puissent mettre en question leur pensée et leur vision du
monde, exprimées implicitement ou explicitement dans
leurs suggestions et dans celles de leurs compagnons.
En effet, cette conception de l'éducation s'appuie sur la
conviction qu'il ne s'agit pas d'offrir un programme pré-
établi, mais qu'il faut en chercher les éléments au travers
du dialogue avec le peuple lui-même. Aussi apparaît-elle
cornme une introduction à une pédagogie des opprimés
qu'il faudra construire avec eux.
115
 4. La théorie de I'action anridialogique
Da-ns ce chapitre où nous voulons analyser les modes
d'action culturelle inspirés- par les théories antididolique
et-dialogique, nous reviendrôns souvent à des amrmâiiôns
faites précédemment. Ce seront des répétitions ou des
r€to-urs à des points déjà soulevés, parfoiè avec I'intention
de les approfondir, parfois purc" ql'ils sont les prémisses
nécessaires pour éclairer de-nouvelies affûrmations.
Nous commencerons donc par réaffirmer que les hommes
tgpt 9.T- êtres d'une praxis, des êtres d,unË tâche a rem-
prr, par là même des animaux qui sont des êtres
-cffilérents
simplement capables d'exécuter des actes. Les animaux ne
voient >
pas le monde. Ils sont immergés t à traveri l'âction des leaders, restent manipulés, et ils le
"n i
<<
Les. hommes, au contraire, êtres d'une tâchJ à remplir,
< émergent > hors de lui, I'objectivent, peuvent le com_
prendre et le transformer par leur travail.
Les. animaux, qui ne tiavaillent pas, vivent dans leur
<<. milieu >> particulier sans pouvoir
le transcender. C,est
ainsi que chaque espèce animale vit dans le << milieu >
qul_Iur correspond, et que ces < milieux > sont incommuni-
ca|l-es. enlrg eux, bien qu'ils soient accessibles aux hommes.
Mars sr tes hommes sont des êtres d'une tâche à rem_
plir', c'est précisément parce que leur agir est à la fois
action et réflexion, c'eit une praxis. C'àst une transfor_
mation du monde. Et dans la mesr:re même où teur tâctre
9sl lge praxis, toute leur action doit nécessairement être
êclairêe par une théorie. La tâche de I'homme est à la
fois théorie et pratique. Réflexion et action. Elle ne doit
pT !e réduire, comme nous I'avons souligné au chapitre
prped9qt, à propos de la parole, ni aù verbalismè ni
à I'activisme-
1 des leaders et Ceile des masses opprimées, lorsque la
_
L'expression bien connue de Lénine : <<
révolutionnaire il ne peut y avoir de mouvement
>, signifie précisément que Ia révolution ne peut
lt:o:15"
se rea[ser dans le
verbalisme, ni dans l,activisme, inais
_ 1. !É_NrI€,.1- On potitics an , Revolution
Selected \Tritings,Pegâsus, New york, b, What-BJ-.
tSdS,
is to be done ?
;.
116
dans la praxis, c'est-à-dire dans la réflexion el l'action
portant sur les structures à transforrner.
Cet effort révolutionnaire de transformation radicale
des structuræ ne peut mobiliser à la fois des leaders,
hommes investis d'une tâche à rernplt, et des opprimés,
hommes réduits à de simPles acles.
C'est un point qui devrait exiger de tous ceux qui slen-
gagent réelèment àvec les opprimés, pour la cause de leur
libération, une réflexion permanente et courageuse.
Si I'engagement véritable, en vue de la transformation
de la situation d'oppression, suppose une théorie de I'ac-
tion transformatrice, celle-ci ne peut manquer de recon-
naitre aux opprimés un rôle essentiel dans le processus
de transformation.
Il ne faut pas que les leaders prennent les opprimés
pour de simpies eiécutants de leurs décisions, po,ur .de
iimpte,t autoàates auxquels serait refusée--une réflexion
rori"* propre action. Les opprirnés, ayant.fillusion d'agir
sont précisém€nt par ceux qui, par définition, ne devraient
pas agr arnsr.
' Dans la mesure où les leaders refusent la véritable
praxis aux opprimés, ils se dépouillent--de,la leur' Ils
iendent alors à-imposer leur parole, et celle-ci devient une
parole fausse, de caractère dominateur.
Dans ce processus apparaît une contradiction entre leur
façon d'agir et les objectifs qu'ils poursuivent, car ils ne
comprennent pas que, sans dialogue avgc les opprimés'
la piaxis authèntique n'est pas possible, ni pour les oppri-
més ni pour eux-mêrnes.
Si leur engagement est au service de la libération, leur
tâehe, action st réflexion, ne pourra être remplie qu'avec
I'action et la réflexion des autres.
La praxis révolutionnaire s'oppose naturellement à la
praxis des élites dominatrices. Chez elle, on ne devrait pas
iencontrer la coupure absurde qui se crée entre la praxis
Sans théorie seconde consiste seulement à suivre les déterminations
révolu_ des leaders. Une telle dichotomie existe nécessairement
dans toute situation de domination où l'élite dominatrice
ordonne et où ceux qui sont dominés suivent les ordres'
Dans la praxis révolutionnaire, les leaders ne peuvent
faire des masses opprimées I'objet de leur possession sans
perdre une part de leur rôle de coordination et parfois
717
 de direction. La manipulation, I'usage des slogans, les en étant à la fois elles-mêmes et fopPresseur installé chez
< dépôts >, la direction imposée, leJ ordres ne peuvent iif"r, si elles parviennent au pouvoir en .vivant cette
être des constituants de la praxis révolutionnair". fort"_ "t o"e la'situation d'oppression leur impose' elles
ment parce qu'ils relèvent de la domination. "-Ui*ité
n'aur6nt, à^ notre avis, que fimpression d'être parvenues
. Poul dominer, le dominateur n'a pas d'autre voie que au pouvoir.
de refuser aux masses populaires la' véritabie praxis, 'de Lêur duatité existentielle peut également provoquer ou
leur refuser le droit de pàrîer et de pensei juste.^En pareil f";*ir* iË;*itioo dun cijmat Gctaire, ce sr1 conduit
cas, les masses populaires ne peuvént plui véritablément i"pià"À"ot ï h constitution de < bureaucraties > pas qui
<< voir > Ie monde, le dénoncei, le mettre diisolvent la révolution. Si les masses ne prennent
en question, le
transformer en I'humanisant : il leur faut ,,"aupt". a t" côÀ"ien"e de leur ambiguité, elles peuvent accepter de
rêalitê qui est au service du dominateur. -La -tâche de < participer > au Processùs révolutionnaire dans un esprit
celui-ci ne peut donc plus être dialogique. Ce n'esi ptus oti, reuâo"n-4a iue révolutionnaire. Elles peuvent aspi'
-
une tâche qui conscientise les hommes- dâns leurs relations ï"i-a- i" ievolution colnme un moyen de dominer à leur
avec le monde et avec les autres hommes. Si le domina_ tour et non conrme un chemin de libération' Blles peuvent
teur devenait dialogique, conscientisant, ou bien il serait la révolution comme leur révolution privée,
du côté des dominés, et ce ne serait déjà plus un domi_ ".^iàe*i
;i.ti d;s le disions au premier chapitre de cet essai'
nateur, ou bien il se tromperait. Et si, en se trompant, il -Si îuefàr leaders révolutionniires, en mettant en pratique
voulait remplir une telle tâche, il paieiait cher son erreur. leurs vues humanistes d'un humanisme concret et non
De même, les leaders révolutionnair". qoi ne seraient àbstrait peuvent -
rencontrer des difficultés et des pro-
pas dialogiques à l'égard des masses, ou 'bien conserve- Uteoto, -ils èn rencontreront bien davantage en voulant'
rarent < à I'intériew > d,eux_mêmes l, < ombre > du domi_ même de bonne foi, faire ta révolution pour les masses
nateur, et ils ne seraient pas révolutionnaires, ou bien àppii"té"t. C'est-à-dire faire une révolution où le avec les
se .tromperaient lourdement, et, prisonniers d'une tË".t"t est remplaé par le scrcs elles, et où les masses
^dans
sectari_
sation .indiscutablement morbide,'ik ;; ;;"i"nt pas non to"ii"ttui"ees ie processus de changement par |es
plus révolutionnaires. Il se pouriait qu;ifr-p"rviennent -e-"t méthodes et ma-nceuvres qui ont servi pour les
au
pouvoir, mais nous nous dernandons quel opprimer.
--fu-o"i-'"t"vons
lutrpn pourrait résulter de leur lenre de révo- fermement que le di4ogue avec les
logique. -oàî-à'i"ii"n antidia-
*urr", poprriair"t est une edgence radicale.de toute révo-
Le dialogue, au contraire, s,impose entre les leaders ili"" â"in"otiq"". C'est lJ dialogue T'i- distingue la
iéuÀr"tio" du coup d'Etat militaire. Il serait ingénu d'es9é-
.
révolutionnaires et les. masses opprimées qrr", toot
3u lgns- d9 leul quête de libératioii "Ào dans
;;r æ les coupi dEtat établissent un dialogue avec- les
Ia revolution Ie chemin du véritable "àtt"r-.iliou"ent
dépassement de la -"ttèt oppriméês. Tout ce que I'on. peut attendre d'eux
contradiction où elles vivent, au sein'aè--U situation ru to.è" répressive ou lâ flatterie pour obtenir leur
c,o-_ncrète d'oppr-ession. Ce qui veut
dire lu,elles doivent
"ti
légitimation.
-tôt
:,:1C1C_ï
dans. Ie. processus avec
Ia conscience de plus en oo tard, la véritable révolution devra entamer un
plus cr_rtlquede leur rôle de sujets de la transformation. dialogue courageux avec les masses' Sa légitimité repose
Si elles accompagnent ce pro"êssus a"Juôoo ambiguë i, sur té diatoguJavec elles' non sul la flatterie ou le men-
;"g" -. EllJ ne àoit pas craindre les masses, leur capacité
,2.-Raison de plus pogr _queles leaders révolufionnaires ne 3. I,tà-" s'il y a, et c'est- compréheDsjble' dimension
-une oui ont
reperent pas le-s errements de l'élite domlnante. Les oDoresseurs- r"'toti. ièiàrulio"ïaire-.de.s ôpprimés
j,_e_l.I-l?r] D. chez,res opprimés, .< s'lnstallent u chej 'eux ; leé +^r,i^rrr< éré snrtmis a .ii iicËî-âïi-p-àtiatton"çeta
""iàiËilîâ"-ââtJ ne îigniûe
revorurronnarres,_dans leur- _praris à l,égard des opprfmej, nè a6i"è-ïi reaui"d à cette dimension'
p-euvgnt tenter de < s'instailgr , -eux. Àu ;T"'""iË iT
chez
cherchant avec eux à u .rejeter , teJ-oppiïsserTrs, cônt"airèl
-iiJ-a.ivent
àn "&;ËiÏ";
viser_ à,être avec les opprimés pour vivre'àveè-èùï'ef-iron--pbïî lk"iift=klL"""lit*"tï*a:n"il'"J.i$:"*"tïffhs'ufl
ËË"4""-cù"";;-- iaÀai's-16- màisonge,-la peur do la vérité'
vrvre cnez eux.
119
118
 d'expression, Ieur participation effective au pouvoir. Elle
ne dort pas les rejeter. Elle ne peut s'abstènir de leur
.rendre compte, de leur parler de ses réussites, de
ses
errertrs, de ses méprises, de ses diftcultés.
Notre conviction est que, plus tôt commence le d.ialogue,
plus tôt se réalise ta revolution
radicale de la révolution, répond
^ 9:^d-i1l9g"",.exigence
a une autre exrgence radicale : celle des hommes qui par
nature,-.ne peuvent rester en dehors de la commuol""tibo,
puisqu'ils sont communication. Faire obstaci" a
U il ne peut plus y avoir intercommunication.
nication, c'est les transformer en << quasi_cÀàr", ,r,"o.rr*ù_
et cela
est. le travail et I'objectif des oppreiseurs, non
des révo-
lutionnaires.
Prgci19ns. que lorsque nous défendons la praxis,
la théo_
-, ce l'agrr, nous ne sornmes pas en
ne train de proposer
une dichotomie selon laquelle cei agir se diviseraii
étape de réflexion et gne autre, plus lointaine, db"ti"n"
"n'une
$ctio.n et réfledon, réflexion et-aition Ooivent entrer en
jeu simultanément.
.1.!Il.q9"l arriver, lorsqu,on fait
rêalitê, de ses contradictions,
une analyse critique
-à'e"o"ur"
que I'o"
forme déterminée d'action est' piovisàir"à"nt i-pô.siUtÀ
ou inopportune. Dès l,instant ôpendant -àJ fu réflexion
dé_montre la non-viabilité ou l,inopport""ite de telle
ou
telle forme d'action, qu'il faut retaràei à"-iempta"", p",
une autre, oq ne peut nier que ceux qui font cettè réflexion
sont en train d'agir. Cette réflexibn s'inscrit dans la
qemarche même de I'action, elle
est aussi action.
De .même que dans l'éducation *"
lieu de
::"e-ljig" "o*-"
I'acte..cognitif du sujer éducateur tqui
^o" e.st en
meme temps élève) sur I'objet de son étude
_"rrrt
ne trouve. pas sa.fin dans cet objet parce qu,il
?i: -.Ï par. le dialogue à d,autres sujeti cônnaissants,
I:TiS
9e r9q9 sorte que I'objet étudié devient pour eux et lui
le médiateur de leur connaissance, Oq merie en est_il dans
la. théorie de I'action révolutionnair".-Èî-"f"t, le leader
fait.de l'opprimé un sujer de I'actioî fiUér"ii"" er fait de
F situation concrère la médiatrice de lt;ion qui teriians-
forme tous deux. Dans cette théorie, pièUrË*"ot p*Ë
qu'elle est révolutionnaire, iI n'est ptu,
iorsiUt" d; parl,*
l_1,^,"9y-nti":te avec Ia complicité
.quelque ,fausse ilht_siol,
3ï3,ffi :n-f#iT,uj'T'-"tl'9t9.,"4*ne*î,t"*îî"llliïiË;'.;--,"m
t20
d'acteur, au singulier, ni même d'acJeurs, au pluriel, mais
d'acteurs en intersubjectivité, en intercommunication.
Ce qui pouvait sembler signiâer division, dichotomie'
coupurè dans les forces révolutionnaires, signifie justement
lc contraire. C'est en dehors d'une telle communion que
ces forcæs entrent en dichotomie : les leaders d'un côté,
lcs masses populaires de I'autre, ce qui vient reproduire le
gchéma de la relation d'oppression. Alors, nécessairement,
Refuser pareille intercommunication dans le processus
révolutionnaire, en évitant le dialogue avec le peuple sous
prétexte de 1'< organiser >>, de renforcer le pouvoir révo-
lutionnaire, d'assurer la cohésion du front, c'est au fond
craindre la liberté. C'est craindre le peuple lui-même ou
ne pas avoir foi en lui. Mais, en ne croyant pas au peuple,
en le craignant, la révolution perd sa raison d'être. Car
elle ne peut être faite par les leaders pour le peuple, ni
lui poui eux, mais par les deux, dans une solidarité
indéfectible. Et cette solidarité naît seulement dans lc
de
témoignage que les leaders donnent au peuple, dans la
qu,une
rencontre humble, aimante et courageuse avec lul
Mais nous n'avons pas tous le courage de cette démarche.
et nous nous endurcissons dans la division par laquelle
nous transformons les autres en simples objets. En agissant
ainsi, nous ne sommes plus biophiles, mais nécrophiles.
Nous ne recherchons plus ia vie, nous la fuyons. Nous
n'encourageons plus la vie, nous la tuons.
Tuer la vie, la paralyser, en réduisant les hommes à de
simples choses, les aliéner, les mystifier, les violenter,
voilà le propre des oppresseurs.
Peut-être pensera-t-on que lorsque nous plaidons, en
faveur de cette rencontre des hommes dans le monde à
transformer, c'est-à-dire en faveur du dialogue 6, nous
tombons dans une attitude ingénue, dans un idéalisme
subjectiviste. Il n'y a pourtant rien de plus concret et réel
que les hommes dans le monde et avec le monde. Les
hommes avec les hommes, et aussi certains hommes contre
d'autres hommes lorsque certaines classes oppriment et
que d'autres sont opprimées.
-
La révolution authentique veut transformer la rêalitê
qui déshumanise les hommes. Nous affirmons que cette
avec
5. Soulidnong ellcore urle fois que cette rencoDtre dialogiqtre ne
peut avoii lieu entte des antagonistes.
l2l
transfo-rmatiol ne peut être entreprise par ceux qui pro_
fitent d'une telle situation, mais pàr ceux qui sont'écrâsés,
en union avec des leaders lucides. Mais pour que cette
affirmation soit vérifiée il faut que se réalise une commu-
nion des leaders avec le peuple. Dans cette communion,
ils progresseront ensemble et les leaders, au lieu de sirri
plement s'aulolégitimer, seront authentifiés par la mise en
cornmun praxis avec le peuple, jamais par l,isole_
ment ou -de -{eyr-
le dirigisme.
Nombreux sont ceux qui, accrochés à une vision méca-
niste, ne comprennent pàs que la situation concrète dans
laquelle se trouvent les hommes conditionne leur conscience
du monde et que celle-ci conditionne leurs attitudes et
leur. capacité d'affrontement. Ils pensent que la transfor_
yalion de la réalité.peut s'opérei automatiquemento par
I'action révolutionnaire, c,est-à-dire sans avôir besoin'de
remettre en question la conscience faussée des opprimés,
ou sans,approfondir leur conscience quand celle_ci'est déjà
en éveil.
-
n l]V a pas de réalitg historique qui ne soit humaine,
c'est 1à encore une évidence.n nV â pas d,histolre,irs
-pas
les hommes, de même qu'il n'y a à'histoire pour les
hommes, mais une histôire dês hbmmes qui, flite par
eux, en même temps les fait, comme disait Marx.
Et précisément quand on refuse aux grandes majo_
. -c'esl
lg droit-de participer en tant que zujeti agissants de
{tgs
l'histoire, qu'elles se trouvent aliénées ei doùinées. Le
dépassement de l'état
.d'objets pour celui a" ,"jétr, q"i
est l'objectif de la véritable révblution, ne peut i'obtenir
sans I'action des masses, qui s,exerce sur Ia rèdité à trans-
former, ni sans leur réflexion.
Nous serions idéalistes si, en coupant I'action de la
réflexion, nous pensions ou nous disions qu'une ,i*pl;
réflexion sur Ia situation d,oppression qui ôonduirait les
hommes à la découverte de ieur état d;objets signineraii
déjà qu'ils sont devenus zujets. Il n'est pas âouteux, pour_
6: n. lgs égoques pendant lesquelles les classes dominantes
sonr sraDres,-époques où-le mouvement ouvrier doit se défendre
@nrre. un adversaire puissant qul, par moments, Ie menace et
9Ïl."sj,-S11,*, tous.les cas. .solld.ement- instailé au pouvoir, proàui_
senr narureltement une litté-rature sociallste qui met
-àuiiâ^ctô eri relief
l'élément . matértel r de la réaliié,- iôs à Aap;;;;;,
et la falble efflcacité de Ia prtJe aè' càïsciôriàË'îumaine' et dé
I'action. r (Lucien Gorouêxr,^ TÀ e Hnàan- S;i;;ceT and phi[atâ-
pày, Jonqthân Capo Ltd, r.onao;,-ts6q-1. dt[_Ci"i""
tzz
bnt, que, si cette découverte ne signifie pas- qu'ils .soient
tlovénris sujets, en fait elle signifis, disait un de nos élèves,
r qu'ils sont sujets en espérzrûce ? >. Et cette espérance les
mèire à la recherche de leur propre accomplissement.
De même, nous serionri faussement réalistes si nous
oroyions que I'activisme, qui n'est Pas une véritable action,
ut le cbemin qui mène à la révolution.
En revanche, nous serons vraiment des esprits critiques
ri nous vivons Ia plénitude de la praxis, c'est-à'dire si
notre action fait Àaitre une réflexion critique qui, en
orSanisant sans cesse la pensée, nous conduira à dépasser
uni conscience strictement primaire de Ia réalité. Cette
conscience doit atteindre un niveau supérieur pour que les
hornmes parviennent à la compréhension de la réalité.
Mais cela exige une réflexion constante qui ne doit pas
ttre refusée aux masses populaires, si on veut leur
libération.
Si les Ieaders révolutionnaires leur refusent cette réflexion,
ils seront, eux aussi, empêchés de penser, tout au moins
dc penser juste. Car les Ieaders ne peuvent réfléchir sans
les masses, ni pour elles, mais 4vec elles.
Ce sont les- élites dominauices qui réfléchissent r4ru
lcs masses, et s'ofirent le luxe de penser à leur suiet, Lors-
qu'elles cherchent à mieux les connaître pour mieux les
dominer. C'est pourquoi ce qui pouvait Paraître un dia'
logue des élites avec Ies masses, une commuoication avec
elles, n"est qu'un ensemble de simples < communiqués >,
cle < dépôts > qui asservissent. Leur théorie antidiarogique
se contredirait elle-même si, au lieu d'imposer leurs vues,
les él-ites s'adonnaient à la communication et au dialogue.
Pourquoi les éIites dominatrices ne s'affaiblissent-çlles
pas du lait qu'elles ne pensent pas tvec les masses ? Préci-
lément parce que ces dernières sont leur conÛate absolu,
leur < raison >, comme dit Hegel, déjà cité. Penser avec les
masses serait dépasser la contradiction. Penser Lvec elles
signiterait déjà la disparition 4s 1a demination. C'est
pôur cela que la seule fagon de penser iuste, du poin!
-d9
vue du dominateur, est de ne pas laisser les masses réflé'
chir, c'est-à-dire ne pas Penser avec elles.
De tout temps les dominateurs ont toujours agi ainsi :
jamais ils n ont permis arD( masses de penser.
7. Fernand.o GÂrcia, orlginaire du Hooduras, qui était notre
âôi-ôuÀ Ëour Latino-rméricaiirs -à Sarttago dlr
élè;t A;;un
Chili, en 1969.
t23
 ( [...] Un ccrrain Ir{r. _Giddy, dir Niebhur, qui fur par
lu suitc président de la Société royale, fit des'objectiôns
(il. s'agit du projet de loi qui fut prééenté au pùement
britannique en 1807, pour la créâtion d'écoles subven-
tionnées) qui auraient pu êlre préoentées en n'importe
qu.el .aut_re pays : << Tout bénéfique que puisse êtrê, ;;
théorie, le projet de donner une éâucation âux ftavailleurs
des- clas-ses pauvres, il serait préjudiciable pour leur moral
et leur bonheur. Il leur apprèndrait à méiriser leur tâche
dans la société, au lieu de taire d'eux de bons serviteurs
pour l'agriculture et d'autres emplois. Il les rendrait
rebelles et réfractaires, au lieu de lôur enseigner la subor-
dination, comme cela s,est vu dans les comiés
Il les rnettrait en mesure de lire des ouvragesindustriels.
séditieux,
des livres pervers et des publications contre ia chrétienté.
Il les rendrait insolents envers leurs supérieurs et, en peu
d'années, le législateur serait contraint àe lever sur eux le
bras fort du pouvoir 8 >.
_.Au fond, ce que voulait. ce Mr. Giddy dont parle
Niebhur, tout comme ses émules d'aujourâ,hui q"i L I'autre, tandis que dans le second on ne peut déjà plus
parlent pourtant pas si ouvertement et cyniquement contre
l'éducation populaire, c'est que les massés ne pensent pas.
Mais les Giddy de toutes les époques, membres dd b
classe o.pprimante, incapables de -p"nrer avec les masses
opprimées-,. ne peuvent empêcher celles-ci de penser.
.
Ainsi, dialectiquement, sÈxpïque comment, -en ne réflé_
_chrssaDt pas avec les masses, mais seulement à leur sujet,
les_élites opprimantes se perpétuent.
^
Il n'en va pas de même pôur les leaders révolutionnaires.
Ceux-ci, s'ils ne réfléchissènt pas avec les masses, dispa-
raissent. Les masses sont le crèuset où s,alimente leur vie,
et non pas un accessoire passif pour leur réflexion. Bien
qu'il leyr faille également réfléc-hir au suiet des massis
pour mieux ies comprendre, cette réflexion 'se
distingue du
mode de pensée décrit plus haut. Elle en diffère parce que
ce n'est pas une penséô pour dominer, muis poùr fibér;,
el quel en pensant au sujet des masses, les lèaders parti-
cipent à la réflexion des masses elles-mêmes.
_
Ce n'est plus une réflexion de seigneur, c'est une réflexion
de compagnon. Et il ne peut en ê1re autrement. En effet,
la domination, par sa nature même, implique un pôle domi_
8, Reiuhold Nrnnrun. Moral Man ond lmmoral Society, op, cit,,
p.118-119.
124
n&teur et un pôle dominé, qui s'opposent dans la contra-
tliction, alors que la libération révolutionnaire, qui cherche
à dépasser cette contradiction, suppose non seulement
I'cxistence de ces pôles, mais encore celle de leaders qui
ômergent dans ce climat de recherche. Ces nouveaux leaders,
ou bien s'identifient aux masses populaires, se considérant
également opprimés, ou bien ne sont pas révolutionnaires.
Le leader perd sa qualité de révolutionnaire quand il ne
pcnse pas avec les masses et que, imitant les dominateurs,
il se contente de penser à leur sujet, sans participer à leur
réflexion.
Alors que dans le processus d'oppression les élites
vivent de la < mort vivante > des opprimés et qu'elles
ne se justifient que dans la relation verticale qui s'établit
cntre elles et eux, au contraire, dans le processus révolu-
tionnaire, il n y a qu'un chemin qui authentifie le leader
qui émerge : << mourir > pour revivre par l'intermédiaire
cles opprimés st avec eux.
Dans le premier cas, on peut affirmer que I'un opprime
dire que quelqu'un libère autrui ou que quelqu'un se
libère par lui-même, mais que les hommes se libèrent
ensemble. Nous ne voulons pas pour autant minimiser le
rôle des leaders révolutionnaires. Au contraire, nous met-
tons l'accent sur cette importance. Y a-t-il rien de plus
important que de participer à la vie des opprimés, des
méprisés du monde, des << damnés de la terre ? >>
Dans cette participation, les leaders révolutionnaires
doivent trouver non seulement leur raison d'être, mais
aussi la source d'une profonde joie. Car ils peuvent réaliser
ce que I'on interdit à I'opprimé de réaliser authentiquement
par lui-même.
Toute approche que les oppresseurs font en direction
des opprimés, en tant que classe, se situe inéluctablement
dans le cadre de la fausse générosité dont nous parlions
au premier chapitre. La fausse générosité, pas plus que le
dirigisme, ne peut engendrer les leaders révolutionnaires.
Car les élites opprimantes se reproduisent, de façon nécro-
phile, dans l'écrasement des opprimés, tandis que les leaders
révolutionnaires ne peuvent naître que de la communion
avec les opprimés. C'est pourquoi la tâche de I'oppresseur
ne peut être humaniste, alors que la tâche du révolution-
naire I'est nécessairement.
Tout autant que l'antihumanisme des oppresseurs, I'hu-
1.25
manisme révolutionnaire suppose la science. Dans le pre-
mier cas, celle-ci est mise au service de la < réitcatioi >,
dans le second, au service dc l,humanisation. Lorsque la
science et la tephnologie sont utilisées poru ( réiûer >,
les opprimés ne sont qu'un accessoire dô I'action. Il n'en
est pas.de même lorsque la science et la technologie sont
employées pour I'humanisation. Dans ce cas les opprimés
ou bien deviennent égalernent des sujets agissants ài, pro-
cessus, ou bieu restent réifies.
Or le monde n'est pas un laboratoire d'anatomie et les
!o.gme.s ne_ sont pas des cadavres soumis passivement
à l'étude. L'humanisme scientitque révolutionnâire ne peut
pas, au nom de la révolution, voir dans les oppriTés des
objets passifs, condamnés à suivre les presciiptions qui
résultent de son analyse.
Ce serait en effet souscrire à I'un des mythes de I'idéo-
logie opprimante, celui de l'absolutisation de I'ignorance.
L'hornme qui. $écràe que les autres sont absolum-ent igno_
rants se considère, lui et la classe à laquelle il appartient,
coûrme quelqu'un qui sait et qui est né pour savorr. En se
rygeauq ainsi, il juge les autres comme des ignorants. Er
ils deviennent pour lui des étrangers. La < vàe > parole
est Ia sreruter qù impose ou cherche à imposer aux autres.
Et. ceux-cr sont touJours des opprmés, ôeux à qut on a
volé la parole.
Il se oéveloppe chez celui qui vole la parole des autres
une protonde métance envers ceux qu'il èonsidère comme
incapables. Plus il parle, sans laisser-parler ceux qui n'en
ont pas le droit, prus il exerce le powoir et pre;d goût
à. commander, à diriger, à ordonnêr. Bientôt, -i1 ne
plus vivre saûs avou quelqu,un à qui actresser son leut
mot
d'ordre.
Alors le dialogue est impossible. Le propre des élites
opprimantes est que, parmi leurs mythes, elles s'attachent
à accentuer celû-ci, grâce auquel 'elles renforcent leur
domination.
Le leader révolutionnaire, au contraire, scientifique-
humaniste, ne peut absolutiser I'ignorance âes masses. Il
ne peut croire. à ce mythe. II n,a même pas le droit de
douter un seul-instant que ce soit un mythe, Comme leader,
il ne peut . admettre que lui seul saèhe et que lui seui
puisse savoir,
Sui serait douter des masses- populaires.
Même quand -ct il constate que son niveau de salvo-ir révo-
lutionnaire, vu à la lumière de sa propre
conscience
t26
t6volutionnaire, est difiérent du niveau de connaissance
primaire des masses, il ne doit pas en tirer une supériorité
pllr rapport à elles. Il ne doit pas mener les masses par
du slogans, mais dialoguer avec elles pour que leur
crrnnaissance expérimentale de la rêalité,, fécondée par sa
propre connaissance critique, se transforme peu à peu, en
lonction de la situation concrète.
Alors qu'il serait vain d'attendre de la part des élites
opprimantes qu'elles dénoncent le mythe de I'absolutisa-
llon de I'ignorance des masses, il serait anormal que les
londers révolutionnaires ne le fassent pas, et encore plus
rnorrnal qu'ils agissent en s'appuyant sur ce mythe.
Le devoir du leader révolutionnaire est de faire prendre
conscience par les opprimés non seulement de ce mythe,
nlais de tous les mythes dont se seryent les élites oppri-
mantes pour asservir. S'il n'agit pas ainsi, persistant à
lmiter les oppresseurs dans leurs méthodes de domination,
lcs masses populaires pourront lui offrir deux types de
réactions. Dans certaines circonstances historiques, elles se
lnisseront << domestiquer > par les nouvelles idées déposées
cn elles. Dans d'autres, elles s'effraieront devant une
< parole > qui menace I'oppresseur qui << habite > en
e. En aucun cas elles ne deviennent révolutionnaires.
clles
Dans la première situation, la révolution est un leurre;
dans la deuxième, une impossibilité.
Certains pensent parfois, en toute bonne foi, que, le
processus dialogique étant lent ro (ce qui n'est pas exact),
Pârfois cette parole n'est même.pas p-rononcée.
9.-màtm'un La présence
,r" (nas'nécessalrement un-membre de groupe révolu-
tt"nriaird suscebtible de menacer I'oppresseur qui a habite I
;iÀ;" teJ màisei surfit pour que celle:i-ci, effravéés. âdoptent desa
nttttudes de refus. Un de nos élèves sud-amérlcains nous
i;iàï"te
-aue, d.ans une communauté tndigène de son payg, il a
riiin cu;un orêtre fanatigue dénonce -la présence de deux
.-comràunisteË " au sein dô la communâuté' ( mettânt en dan-
dar le fol catholique '. Dour que, la nutt suivante, les paysans
iinanimes brrilent vifs les-deux simples professeurs prlmaires qui
nxercaient leur travail d'éducateurS. Peut-être ce prêtre avait-il
vri àà"s Ia demeure de ces malheureux maeslros rzrales guel-
ques livres dont la couverture montrait le visage d'un homme
barbu...
i0. Nous soulignons, une fols encore, que nous -refusons d'ad-
mettre une dichbtomi-e entre le dialogue et l'âctlon révolution-
nalre. comme s'II v âvait un temDs Dour le dlalogue et un autre'
-
dtffér'ent. oour Ia- révolutiou. Nôus afûrmons au contraire que
ta dtaloâuè est l' < essence D de l'action révolutionnalre. C'est
nourcuoi. dans la théorie de I'action révolutionnaire, les acteurs
iont bortcr. de facon intetsubiectiûe, leur action sur l'obJef' la
sttuatÏon ôncrète' qul leur Jert d'lntermédiaire, avec comme
àblectif, par-detfl la'transformetlon de cette sltuation, I'humani-
127
 il faut faire la révolution sans communication, par des
<< communiqués >, et, lorsqu'elle aura été réalisée, on
pourra développer un large effort éducatif. < Car, disent-
ils, il n'est pas possible de pratiquer une éducation libé-
ratrice avant de parvenir au pouvoir. >
.
Analysons les principaux arguments de ceux qui pensent
alnsr.
Ils croient pas tous cependant à la nécessité du
dialogue avec- les masses, mais ils -ne croient pas que
celui-ci soit possible avant I'arrivée des leaders au pouvôir.
Lorsqu'ils disent qu'un comportement éducatif-critique
n'est pas possible avant I'accession au pouvoir, ils niènt
le caractère pédagogique de la révolutiorren tant qu,action
culturelle 11 orientée vers la révolution culturei-le. par
ailleurs, ils confondent la signification pédagogique de la
révolution-action culturelle avec celle dè h nouvelle édu-
cation- qui devra être mise en æuvre après la prise du
pouvoir.
Notre opinion, déjà exprimée tout au long de cet essai,
est qu'il serait vraiment naif d'espérer de la part des élites
d'oppression une éducation de éaractère fibèrateur. ]lais
la révolution a un caractère pédagogique évident, sous
peine de ne plus être une révolution, -et I'accession au
pouvoir n'en est qu'une étape, si décisive soit-elle.
En tant que processus culturel, la phase initiale de la
_ llonnaires que celles-ci
révolution fait partie de la société d'oppression et ne peut
etre perçue que par la conscience révolutionnaire. La
révolution prend sa source dans cette société d'oppression
et donc, pour qu'elle devienne action culturelle, il iui faut
correspondre aux potentialités de cette société. Car tout
être se développe
- ou
lui-même, dans le jeu
se transforme
- àLes
de ses contradictions.
I'intérieur de
condition-
nements externes, bien que nécessaires, sont efficaces seule-
ment s'ils coïncident avec les potentialités internes 12.
La nouveauté de la révolution naît de l,ancienne société,
oppressive, qui a été dépassée. Et I'accession au pouvoir,
sation des bommes. Il n'en est pas cle même daDs l:r théorie de
Ijiction .gppl'essive, _q.ui est r ôssentiellement , antidialogique.
Chez celle-ci,_ le schéma se simplifle, Les oclears ont, c6nime
obJets pour leur aclion, la réalité et les opprrmés, si'multané-
ment,. et, _c.amnle objecttfs, le maintien de itoppression par le
malntleD de la situation oppressir-e.
11. Dms l'essai déJà cltê:Z'Edd.catfon : pratioue de la lihefié.
nous_ rlalyson8 plus en détail Ies rapports'entre- action culturelle
et révolution gulturelle.
12. Cf. Mao 'lsÉ-TonN(i, De In tonlraditlion,
128
{il1 continue le processus, n'en est, comme nous I'avons
rllt plor haut, qu'un moment décisif. Dans une vision
rlynnmique et non plus statique de la révolution, celle-ci
nl comprend pas un avant eT w après, entre lesquels se
rllucrait I'arrivée au pouvoir.
Naissant dans une situation objective d'oppression, ce
rlilo recherche la révolution est le dépassement de cette
rhrrntion et I'avènement d'une société d'hommes engagés
rlnns un processus continu de libération.
t,n quàfité pédagogique, dialogique, de la révolution,
rlui en fait une << révolution culturelle >, doit être présente
rlnns toutes ses phases successives. Cette qualité est I'un des
ltoyens efficaces pour éviter que le pouvoir révolutionnaire
r'lnstitutionnalise, se stratifiant en < bureaucratie > contre-
rdvolutionnaire, car la contre-révolution peut aussi être
lo fait de révolutionnaires qui sont devenus réactionnaires'
llt si le dialogue avec les masses n'est pas possible avant
l'nccession au pouvoir, parce qu'il leur manque I'expé-
rlcnce du dialogue, alors elles ne peuvent pas non plus
rccéder au pouvoir, car il leur manque également I'expé-
rlence du pouvoir. Précisément, lorsque nous insistons sur
ln dynamique continue du processus révolutionnaire, nous
ontcndons que c'est à la faveur de cette dynamique, dans
ln praxis des masses en union avec les leaders révolu-
et leurs leaders les plus repré-
rontatifs apprendront aussi bien le dialogue que le pouvoir.
(lcla nous semble aussi évident que de dire qu'un homme
n'opprend pas à nager dans les livres, mais dans l'eau.
Lé 0iatogue avec les masses n'est ni une concession, ni
rrn cadeau, ni même une tactique à employer comme
I'usage des slogans quand il s'agit de dominer. Le dia-
logue, rencontre des hommes pour << dire >> le monde, est
rune condition essentielle pour leur humanisation véritable.
Si une << action n'est libre que dans la mesure où
l'homme transforme le monde qui I'entoure et se trans-
forme lui-même, si une condition essentielle de la liberté
cst l'éveil des possibilités créatrices de I'homme, si la lutte
pour une société libre ne peut s'exercer que lorsqu'elle
crée un degré toujours plus grand de liberté indivi-
ttuelle le >>,alors il faut reconnaître au processus révolu-
13, a Une actlon llbre, dlt GaJo Petrovlc, nq peu! être gu'une
rcilon oar lacuelle uu liomme chafige le monde qui I'entoure et
.i "harïse lullmême >... Et plus loin : n Une conditionIaessen-
tt"ttà ae'la llberté est la connaissance des contraintes, cons-
129
tionnaire son caractère éminemment pédagogique. D'uno
pédagogie conscientisante et non d'unè << pédagogie > do
g dépôts >>, < bancaire >. C'est pour cela que le chemin
de la révolution est celui de I'ouverture aux masses popu.
lates, et non celui d'une fermeture à leur égard. -iest
celui de la vie en commun avec elles, non Celui de la
méfiance à leur endroit. Et si d'un côté la révolution
requiert une théorie, comme le souligne Lénine, de I'autre
elle exige que les leaders soient unis avec les masses pour
pouvoir s'opposer aux oppresseurs.
Le rrrÉonre DB L'ÀcrIoN ANTTDTAT-ocrerrE ET sEs canecrÉ-
RlsrreuEs : re coNqrrÊTE, LA DfvISroN, LA MANIrULÀTIoN,
L,NwAsIoN CULTURELLE
Après ces considérations générales, analysons maintenant
plus- 9n profondeur la théorie de I'action antidialogique et
la théorie de I'action dialogique. La première oppiimante,
la seconde révolutionnaire-libératrice.
La conquête
Le premier trait caractéristique de I'action antidialo-
la nécessité d'une conquête. L'homme antidia-
gique est
logique, dominateur, cherche, dans ses relations avec
fautre, à le conquérir toujours davantage et de mille
façons, des-plus dures aux plus subtiles, âes plus répres-
sives aux plus adoucies, telles que le paternalisme.
Tout acte de conquête suppose un sujet qui conquiert et
un objet conquis. Le sujet conquérant impbse ses vues à
I'objet conquis qui devient par là une chosê dans les mains
du conquérant. Celui-ci imprime sa marque sur l'être qu,il
domaine et en fait un être ambigu, un êtie qui < hébergi >
I'autre en lui.
L'action de conquête, parce qu'elle < réifie > les hommes,
est nécrophile.
d* possibllités créatrices de l,homme r.., Et il ajoute :
( La lutte.pour une société-libre
"i.n"" ne peut s,exercer que loriqu'ello
cree- un degré toujours plus grand- de liberté in-dividueile.
(GaJo P_ErRovrc, Man and Freedom, In an international SvmDo_"
sium, Sociallsm--Humanism, .édité par Erlch Fromm, Cncfior
B-ooks, New,YorÉ.,--r966, .p. 2z+, z;ô,_zza--ou mèàe Âuteùr, ii
Î'aut avolr Iu I Marc tn the Mld-Twentleth Cenfury, Andhor
Books, New York, 1967).
130
lltant donné que l'action antidialogique, dont I'acte de
rronquête est un élément essentiel, s'accorde avec la situa-
lkrn réelle, concrète, d'oppression, une action dialogique
crt indispensable pour le dépassement révolutionnaire de
sotto situation concrète d'oppression.
On n'est pas antidialogique ou dialogique < dans les
nutges >, mais dans le monde. On n'est pas d'abord
rntidialogique et ensuite oppresseur, mais simultanément.
l,'ontidialogue s'impose à l'oppresseur, dans la situation
nbjcctive d'oppression, pour opprimer davantage, par une
lonquête non seulement économique, mais culturelle, qui
rl6pouille I'opprimé de sa parole, de ses moyens d'expres-
rlon, de sa culture,
Quand une situation d'oppression, antidialogique par
nnture, a été implantée, alors I'antidialogue devient indis-
ponsable pour la perpétuer.
l,a conquête progressive de l'opprimé par I'oppresseur
npparaît donc comme un trait marquant de I'action anti-
rllnlogique. Le désir de conquête et, peut-être plus que le
rl6rir, la nécessité de la conquête accompagnent l'action
rntidialogique à tout moment. A I'opposé, l'action libéra-
lrlce étant dialogique par elle-même, le dialogue ne doit
pnr luiêtre postérieur, mais concomitant. Et comme les
Iurmmes seront toujours en train de se libérer, le dialogue
rlcvicnt un trait permanent de I'action libératrice ia.
Poursuivant les fins implicites de l'oppression, les oppres-
tours s'efforcent, par I'antidialogue, de détruire chez les
Itommes leur capacité de << voir >> le monde. Comme ils ne
pouvent y parvenir totalement, il leur faut alors mythifier
lo monde.
De là vient que les oppresseurs mettent au point une
rôrie de moyens par lesquels ils proposent à < I'attention >
rlos masses conquises un monde faux. Un monde d'illu-
rlons qui, en les aliénant encore davantage, les maintient
pnssives devant eux. C'est ainsi que I'action de conquête
no présente pas le monde comme un problème à résoudre,
ntris au contraire comme un donné, comme quelque chose
à quoi les hommes doivent s'ajuster.
rlo statique
Ce détournement de I'attention des masses les empêche
14, Cela ne signiûe aucunement, nous le disions au chapltro
lrrrtcédent, qu'une fois instauré le pouvoir populaire révolution-
irrlre, la révolution doive perdre son carsctère dialogique, même
.l Io nouveau pouvolr a également le devoir moral de réprimer
louto tentativo de re6tauration de l'anclen pouvolr opprosseur.
131
 de parvenir à une véritable praxis, car les oppresseuru
cherchent à les cantonner dans une attitude de pure expec.
tative. Masses conquises, masses stagnantes, passives, dévo.
nues grégaires et, en conséquence, masses aliénées.
Il faut cependant aller jusqu'à elles pour les conquérir
et les maintenir aliénées. Mais cette démarche de conquêto
ne devient jamais une présence à leurs côtés, Cette i ap-
proche > ne se fait jamais par la communication, mals
< communiqués >, par le < dépôt > des mythes
par. les
_
indispensables pour le maintien du stàtu quo.
Le mythe par exemple selon lequel I'ordre oppresseur
est un ordre de liberté, où chacun est libre de choisir son
lieu de travail et où, si le patron déplaît, on peut le quitter
et chercher un autre emploi. Le mythe selon lequèl cet
<< ordre > respecte les droits de la personne humàine et
mérite donc toute approbation. Le-mythe selon lequel
tous, pourvu qu'ils ne soient pas paresseux, peuvent deve-
nir chefs d'entreprise. Mieux éncoie, le mythè selon lequel
le vendeur des rues qui crie : < pâte de banane et- de
goyave >, est un entrepreneur aussi bien que le patron
d'une grande usine. Le mythe du droit de tôus à ltduca-
tion, alors que au Brésil par exemple, le nombre d,enfants
qui parviennent à entrer dans les écoles primaires ou qui
réussissent à y rester est honteusement déiisoire. Le mythe
de l'égalité entre tous, alors qu'on entend encore souvent
la question : < Sais-tu à qui-tu parles ? > Le mythe de
I'héroisme des classes opprimantes-, gardiennes de- I'ordre
qui incarne la << civilisation occidentale et chrétienne >.
qu'eiles défendent contre la < barbarie matérialiste >.
Le mythe de leur charité, de leur générosité, alors que ce
qu'elles font, en tant que classe, est de I'assistantiùsme,
mythe qui fait écho sur le plan international à celui de la
prétendue aide, stigmatisée par Jean XXIII 16. Le mythe
selon lequel les élites dominantes < reconnaissent lêurs
devoirs >, prennent le peuple sous leur protection, à
charge-pour celui-ci d'acceptèr avec gratitudè leur parole
et de s'y soumettre. Le mythe selon lequel la rébeliôn du
peuple est un péché contre Dieu. Le mythe de la propriété
privée comme fondement du développement dj lj per-
sonne humaine, étant entendu que leJpersonnes humajnes
en question sont seulement les oppresseurs. Le mythe de
I'ardeur au travail des oppresseuÀ- et de la paressè et de
75. Mat* et Mdgtstrd, paragraphes 771 et 172.
132
lr
lr malhonnêteté des opprimés. Le mythe de I'infériorité
I ontologique > de ceux-ci et de la supériorité de ceux-là 10.
Tous ces mythes et d'autres encore auxquels le lecteur
Poura songer, dont I'assimilation par les masses populaires
ort essentielle pour la conquête, leur sont apportés par utre
propagande bien organisée, par des ( slogans >, dont les
véhicutes sont toujours les fameux < moyens de communi-
cstion de masse 1? >. Comme si le dépôt en elles de ce
contenu aliénant était réellement une communication.
En définitive, il n'y a pas d'oppression qui ne soit néces-
rsirement antidialogique, de même qu'il n y a pas d'anti-
tlialogue sans que le pôle des oppresseurs ne s'acharne'
lnfatigablement, à la conquête incessante des opprimés.
Déjà les élites dominatrices de la Rome ancienne par-
loient de la nécessité de donner < du pain et des jeux >
tu( masses pour les conquérir et les calmer afln de s'assu-
rcr la tranquillité. Les élites dominatrices d'aujourd'hui,
comme celles de toutes les époques, ont encore besoin de
la conquête, comme une sorte de < péché originel >, avec
ou sans < le pain et les jeux )). Le contenu et les méthodes
de conquête varient au cours de I'histoire, mais ce qui ne
change pas, tant qu'il existe une élite dqmin4filçs, ç'es1
ce besoin nécrophile d'opprimer.
La division
Il s'agit ici d'une autre dimension fondamentale de la
théorie de I'action oppressive, aussi ancienne que I'oppres-
eion elle-même.
Lorsque les minorités, soumettant les majorités à leur
cmpire, les oppriment, il leur faut, pour conserver leur
pouvoir, diviser les masses et les maintenir divisées. Ces
minorités ne peuvent pas se donner le luxe de consentt à
I'unification des masses populaires, qui signifierait, indis-
cutablement, une sérieuse menace pour leur hégémonie.
C'est pourquoi toute action susceptible de favoriser si
peu que ce soit l'éveil et I'union des classes opprimées est
immédiatement combattue par les oppresseurs, par tous
les moyens et même par la violence physique.
16 Memml. Darlant du profll gue le colonisateur attribue au
coto"iié, aeôta'1s 3 o Par- son Jûgement, Ie colonisateur décide
cuC te Cotonisé est urr paresseux-efque Ia paresse est un éIément
--it. N;us de
rbnstitutif sa naturè. r (Op. cil- p. 81.)
no crltiguons pai'ces molens en eux-mêmes, mei6
I'usago qu'on er falt.
133
 Des concepts tels que l'union, l'organisation, la lutte,
sont alors qualifiés de dangereux. Et réellement ils le sont
pour les oppresseurs. Car leur mise en apptcation est lo
propre de I'action fibératrice.
Ce que veut le pouvoir opprimant, c'est affaiblir tou-
jours davantage les opprimés, en les isolant, en créant et
err aggravant les dissensions internes, par une gamme variée
de méthodes et de moyens. Depuis lei méthodes répressives
de la bureaucratie étatique qui est à la dispositi,on, jus-
qu'aux diverses forrnes d'action culturelle par lesquellei il
slrnipule les masses populaires en leur donaant I'impres-
sion de les aider.
Une des caractéristiques de ces méthodes, très rarement
décelée par les professionnels de l'éducation, sérieux, mais
ingénus et influençables, est qu'elles s'appuient sur une
vision parcellaire des problèmes. Plus on- pulvérise I'en-
semble d'une région ou d'une zone en < communautés
locales >, dans des opérations de < développement commu-
nautaire >, sans que ces groupes soient éfudiés dans leur
ensemble, conrme fraction d'un autre ensemble (zone,
-vaste
1égio1, etc.) lui-même partie d'un ensemble plus
(continent), plus on accentue l'aliénation. Et plus les com-
munautés sont a1iénées, plus il est facile de les diviser et
de les maintenir divisées.
Ces fractionnements, qui aggravent le genre d'existence
parcellaire des masses opprimées, surtoul dans les carn-
pagnes, font obstacle à leur perception critique de la réalité
et les maintiennent étrangères aux problème} des opprimés
d'autres, zones qui ressortissent à là même dialectiqùe que
la leur 18.
C'est aussi ce que l'on observe dans les cours de < for-
mation de responsables > qui, en réalité, favorisent I'aliéna-
tion, bien que ce ne soit pas le but recherché par ceux qui
les organisent.
II *t ilutile de dire gue cette critique ne vise pas les
-18. qui, dans une perspéctive dialectiq-ue. s'orientei.t vers
efforts
une actioD. fondée sur la comprébension - dé la communauté
locale envisagée comme totalité ?n soi et Dartie d'une totalité
plus large. Elle vise ceux qui ne Densent pâs sue le déveionoe-
ment de la com-munauté Ioiale le- peut aioir lieu que dani^ ls
cjnterte d'ensemlle dont elle fait-parfle, en interàcflon avec
d'âutres contextes partiels, ce qui sùpposê la consciencè claiie
cle l'unité dans la diversité, de la nééesstté d'une organisâtion
pour
^canalieer l€s forces épàrses, et aussl de la nécesiité d'uns
transformation de la réalitë. Tout cela eûraie,-tout
bien entenOu, tes
oppresseurs., C'est pou_r-quol _ils e-rcouragent
gui, eu _plus d'gne ltmitation dee poispecuvee, type a'aétion
iiopose aux
hommes I'c assistantialisme r.
134
La prémisse fondamentale de cette formation est déjà
Gn elle-même naive.Il s'agit de < promouvoir > la com'
munauté par la formation de leaders, comme si les parties
pouvaient promouvoir le tout, au lieu que ce soit le tout
qui, une fois promu, promeuve les parties.
Les individus sont jugés capables d'être des leaders
et expriment les
dans les communautés lorsqu'ils reflètent
rspirations des individus de leur communauté. Ils doivent
0tre en correspondance avec la manière de vivre et de
penser de leurs compagnons, même s'ils font preuve de
capacités spéciales qui leur confèrent le < statut > de
lcaders.
Lorsque, après avoir été séparés de Ia communauté, ils
reviennent à elle avec des moyens qu'ils ne possédaient
pas jusque-là, ils s'en servent pour mieux diriger les cons-
ciences dominées et aveuglées, ou bien ils deviennent
étrangers à la communauté, mettant alors en péril leur
position de leaders. En réalité ils ont tendance, pour ne
pas perdre leur position, à continuer, cette fois avec plus
à manipuler la communauté.
d'efficience,
Cela ne se produit pas quand I'action culturelle, vue
comme processus global et totalisant, concerne la com-
munauté entière et non pas seulement ses leaders. Quand
elle s'exerce par les individus devenus sujets agissants du
processus. Avec ce type d'action, le phénomène s'inverse.
Les anciens leaders progressent au même rythme que I'en-
semble, ou bien ils sont remplacés par de nouveaux leaders
qui émergent, à la faveur de la nouvelle perception sociale
qui s'élabore.
C'est pourquoi les oppresseurs n'aiment pas ce genre
d'action, mais lui préfèrent celle qui, en perpétuant I'alié-
nation, contrecarre l'éveil des consciences et leur insertion
critique dans la rêalitê apprêhendée cornme un ensemble,
et ainsi s'oppose à I'unité de la classe des opprimés.
Une telle unité est un concept qui gêne les oppresseuts,
même s'ils se considèrent eux-mêmes comme une classe,
non opprimante, bien entendu. Ne pouvant nier malgré
tout I'existence des classes sociales, en relation dialectique
de conflit les unes avec les autres, ils parlent de la com-
préhension, de I'harmonie qui doit régner entre ceux qui
sont obligés de vendre leur travail et ceux gui I'achètent 1e.
19, a Sl les ouvrlers, de quelquo Eanlère' no parvlennent pas
À être proprlétalres (dlt l'évêque Franlc Spllt),
toutes fes-réformes de leur travall
de structures seront lnefflcaces. I)'allleurs,
135
 Cette harmonie, au fond, est impossible, étant donné l,an-
tagonisme irréductible qui séparJ une clâsse de I'autre 2ô. non ceux de leurs sompagnons; la << promotion > d'indi-
vidus qui, faisant preuve d'une certaine capacité de leaders,
. Ils
prêchent I'harmoniè entre les classes comme si celles- pouvaient signifiei une menace et qui, une fois < promus >,
ci étaient des groupes occasionnels d'individus du genre doviennent < souples >; la distribution de subsides pour
oe.9.eul qui regardent en curieux les vitrines par une
après- los uns, et la dureté pour les autres, toutes façons de
midi de dimanche. diviser pour maintenir l' < ordre > à tout prix.
Une harmonie viable et eftective peut exister entre les Ces méthodes prennent appui, directement ou indirec-
oppresseurs eux-mêmes. Ils s'unissent immédiatement toment, sur un des points faibles des opprimés ; I'insé-
devant toute menace contre leur classà, même s,ils sont curité de leur vie, qui elle-même est déjà le fruit de la
{'opiSio.ng divergentes et, en _-certain, ào f"ti" p""ï dtuation d'oppression dans laquelle ils vivent. Ils nont
des
.intérêts.de ""r,
groupes. A I'autre pôle,'tn"r-onie est &ucune sécurité dans leur dualité d'êtres qui << accueillent >
possrole aussl entre des hommes en quête
de leur libération. Gn eux I'oppresseur, qui cherchent à le repousser et en
Exceptionnellement, I'harmonie p"oi réaliser et même temps sont attirés par lui. A un moment quelconque
même devenir nécessaire entre àes "n.o."-se ofposées, mais de la confrontation qui les oppose, il est facile pour les
dès que cesse la situation d'urgence"tur.".i", ; unies, elles
retournent à la contradiction qui les di
oppresseurs de réussir leur tactique de division. Car les
iépare et qui n,avaii opprimés savent, par expérience, ce qu'il en coûte de refu-
pas vraiment disparu dans cettè union
irovisoire.
.-
rer l' << invitation > qui leur est faite d'éviter de s'unir
, La nécessité de diviser pour por.ruoir màintenir l,état rvec eruL La perte de leur emploi et leur inscription sur
d'oppression se manifeste dàns tous t", la classé une << liste noire > qui signifie que les portes se ferment
""i"s'a"en faveur
dominante. Les interférences dans fe,,y"ài"utr, devant eux quand ils recherchent du travail, c'est la
de,certains.< représentants >> de ta ctasse aominée qui, moindre des choses qui puisse leur arriver. L'insécurité
en
realrte, sont des représentants de la classe dominatiicé de leur vie est ainsi liée directement à l'aliénation de leur
et
travail qui implique, en réalité, l'esclavage de leur per-
80nne, cornme le notait Mgr split, cité plus haut.
9i l9s - ourriers
e-reve qans
reçoivent de temps en temps un salaire Dlus
un systeme économique donné, lls-ne se satisfont'Dâs Les hommes ne s'accomplissent que dans la mesure où
(re -ces aug4entations. Ils être propriétalres et ion ils créent leur monde, un monde humain, et où ils le
vendeurs de leur trâvail [...].-veulent
ActuellementiléË-iravaitteurs Jôni
ilue re trav-ii- ôoiîiii- une pàrf -de créent par leur travail de transformation. Dans ces condi-
* -pl"^"^_=^ ql31 991sci9nt!
O5 la pqrsonne humaine ne peut -est tions, si leur vie dans le monde du travail est une vie en
nl se vendre. l'out_ achât ou vente de tralvail pïJ une
:1_q_"."^"oll"_!u!119":
venoue etià
esp_èce d'esclavage. . C'est_ dans certe aiièi1ion irïe ra locieié dépendance totale, dans I'insécurité, sous une menace per-
l**aT9_év_olue, mêTre dans ce systèTe _dont ori arnrmJ-quii manente puisque leur travail ne leur appartient pas, ils ne
l:9t.^.!1" ,aussi sensi.ble que nous à la dignité de la perso.nne
numarne, â savoir le narxisme. " (ti Bispos Lablan en'prol del peuvent se réaliser. Le travail sans liberté cesse d'être une
Ter_cer c. I. D. o. c. rnformà,.ue.iïô ïôoi, o b.t--oszkl
-trrundo, iâche dans laquelle leur personne puisse s'accomplir et
p. Iàil.)
t"ôJ,li""%rl""1,""&,"ïË"Jt",ï,ï: devient le moyen effectif de leur < réif,cation >.
l'11f*=_tBi"""Ë"$"""""",1î'"ï',"û."f Toute union des opprimés entre eux est déjà une action
.r._ tnventeur ! de cette ru_t1e. il ]a"i ii"à-i àJ sniéi-ia- riii*à
qui annonce d'autres actions et tôt ou tard leur fait per-
frii Xell#,f
classes
i?,*" ïïtl:ffi à,{;.i"#:X** ",*ji-",**i;::i
dans là société modernJôt-i; iùiË;ïtlies se livrent. cevoir leur état de dépersonnalisation et découvrir que,
Bien avant moi, ajoutait
- . Mâii-, p-tusierii"'" frï"ioïi'""" bourEeois divisés, ils seront toujours des proies faciles du dirigisme
avaient déjà. au aeverôp-peÉàni^ïi;t."itni;"à;" et de la domination 21. En revanche, unifiés et organisés,
des ctâsses et plusieurs économistes loursèolJàvâient dtiË'
nqire. IiTiË
fait l,ana_
tomie d.es class-es sociales J...1. ltâ-coit"iiirlià"-î'àte de
trer : 1) que démon-
rexistence dis.- ctaisei- éii- rieï"â ieijàrnei -p-frâiËs
21. Il est donc lndlspensable de maintenlr les paysans séparés
des travailleurs urbaifs et les étudiants doivent rester à l'écart
Aà'i';ilT,:tii"âf,ï'îoTïïîl,.ti;:ÀiFlijfJi'j{,#i'tr"",l{'illlÈ
Fême_ dtctature n'est en soi qu'une t""{J,iii;;^;;é;éd;"Ëi:d;ii: de ces deux groupes. Les étudiants, qui ne constituent-pas socio-
logiguement -une classe, deviennent -cependant, en adhérant au
-
tton de toutes les crasses. en vft ghn;;;ièÈ':aiï;Ëie; j...i;. peirp-le, un danger, car ils donnent l'exemple de la révolte.
(MARX-ENcELs, obras Esîogidat. Èdtï;âi-ï,;rilei"r;, ' Il^ fâut donc iaiie comprendre aux classôs populaires que lgs
volume, 1966, p. Moscou, rI.
4516.)
étudiants sont des lrresponsables et des -pèrturbateurs ds
136
137
ils feront de leur faiblesse une force de transformation,
avec laquelle ils pourront transforrner le monde et le rendro
plus humain.
Mais le monde plus humain auquel ils aspirent est con-
tradictoire avec le < monde humain > des ôppresseurs, ce
monde qu'ils possèdent en exclusivité et dàns lequel ils
veulent réaliser I'impossible harmooie entre eux, qui trans-
forment les hommes en choses, et les opprimés, -qui sont
<< réifiés >. Puisqu'ils sont antagonistes, èe qui es1 favo-
rable aux uns est nécessairement préjudiciable pour les
autres.
Diviser pour maintenir le statu quo devient donc I'objec-
tif impérieux et fondamental de la théorie de I'action domi
natrice, antidialogique.
Accessoirement, nous trouvons dans cette action de divi-
sion une certaine connotation messianique, selon laquelle
les dominateurs veulent apparaître comme sauveurs des
hommes qu'ils déshumanisent. Mais, en rêalrtê, le mes-
sianisme qui colore leur action ne peut cacher leurs inten-
tions : ce qu'ils veulent, c'est leur propre salut. Ils veulent
sauver leur richesse, leur style de vie, leur pouvoir avec
lequel ils écrasent les autres.
Leur erreur vient de ce que personne ne peut se sauver
seul (à quelque plan que I'on considère le sa[ut), ni comme
membre d'une classe qui opprime, m{ts avec les autres. Or,
dans la mesure où ils oppriment, ils ne peuvent être avec
les opprimés, puisque le propre de I'oppression est d'être
contre evx.
Dans une psychanalyse de l'action oppressive, on décou-
vrirait peul-être, dans ce que nous avonJ appelé au premier
chapitre la fausse générosité de l'opprèiseur, une des
dimensions de son sentiment de culpâbilité. Avec cette
fausse générosité, outre qu'il cherche { prolonger un ordre
inju_ste et nécrophile, il s'efforce d' << âchetei > sa paix.
Mais la paix ne s'achète pas, elle se vit dans un acte iéel-
lement solidaire, aimant, qui ne peut être assumé, incarné,
dans I'oppression.
Ainsi, le messianisme contenu dans I'action antidialo-
gique vient renforcer la signification première de cette
action : la conquête.
l'<-ordre_1, que leur exenple est sans valeur, pulsque, étant
étudiants, ils devraient étudier, do la même fâcon- crue les
ouvriers des usines et les paysans doivent travaiiler four le
( progrès de la nation r,
138
Dans la mesure où la division des masses opprimées est
au maintien du statu quo, et donc à la préser-
nécessaire
vation du pouvoir des dominateurs, il importe que les
opprimés ne puissent percevoir clairement ce jeu. Dans ce
icns, répétons-le, la conquête est indispensable pour quo
lcs opprimés soient convaincus qu'on les défend, qu'on les
protègè contre I'action démoniaque d' < agitateurs margi-
naux )>, d' << ennemis de Dieu >>, car c'est ainsi que I'on
nppelle les hommes qui vivent, dans le risque, la valeu-
reuse quête de I'humanisation des hommes.
Pour diviser, les nécrophiles se désignent eux-mêmes
comme biophiles, et ils appellent nécrophiles ceux qui sont
tcs vrais biophiles. Mais I'histoire se charge toujours de
rcctifier ces << désignations )).
Bien que l'histoire du Brésil continue à appeler Tira-
dentes du nom d' << Infidèle >, et le mouvement de libé-
ration qu'il incarnait d' << Infidélité >, le héros n'est plus
celui qui l'avait jugé comme bandit et I'avait fait qendre
et écarteler, ordonnant d'éparpiller, à titre d'exemple, les
restes de son corps ensanglanté à travers les bourgs effrayés.
Le héros nationàI, c'est Tiradentes lui-même. L'histoire a
cffacé le << nom > qu'on lui avait donné et a reconnu la
valeur de son geste.
Les héros sont précisément ceux qui, autrefois, ont
recherché I'union pour la libération et non pas ceux qui,
avec leur pouvoir, ont prétendu diviser pour régner.
La manipulation
IJne autre caractéristique de la théorie de I'action anti-
<tialogique est la manipulation des masses opprimées.
Comme la division, la manipulation est un instrument de
cette conquête, qui résume toutes les dimensions de
I'action antidialogique.
Par la manipulation, les élites dominatrices cherchent à
conformer les masses populaires à leurs objectifs. Et plus
celles-ci sont frustes, politiquement, qu'elles soient rurales
ou urbaines, plus eilès se laissent facilement manipuler
par les élites dominatrices qui ne peuvent accepter que leur
pouvoir disparaisse.
La manipulation s'exerce au moyen des différents mythes
dont nous àvons déjà parlé. On peut encore citer celui'ci :
I'image de la bourgeoisie qui est offerte aux masses comme
modèle de leur éventuelle ascension sociale. Encore faut'
139
il, pour que ces mythes soient efficaces, que les masses
acceptent ce qu'on leur dit.
Parfois, dans certaines conditions historiques, cette mani-
pulation s'opère par des pactes entre les classes domina-
trices et les masses dominées. Ces pactes pourraient donner
I'impression, à première vue, d'un dialoguè entre les classes.
En réalité, ils ne constituent pas un dialogue parce qu'ils
sont orientés selon les intérêts évidents de l'élite dômi-
natrice. En définitive, ce sont des moyens dont les domi-
nateurs se servent pour parvenir à leurs fins 22.
L'appui des masses populaires à ce qu'on appelle la
<< bourgeoisie nationale >> pour défendre le prétendu capital
national est un de ces pactes d'où résulie toujours, tôt
ou tard, l'écrasement des masses.
Et les pactes surviennent quand les masses, encore
informes, cornmencent à émerger dans le processus his-
torique et quand leur émergence menace lei élites domi
natrices. Dès que les masses cessent d'être de simples spec-
tatrices et donnent des signes d'agressivité, les éliies dômi-
natrices, effrayées, redoublent leurs manceuvres. La mani-
pulation s'impose alors comme principal instrument du
maintien de la domination.
Avant que les masses n'émergent, il n'y a pas de mani-
pulation à proprement parler, mais un écrasement total de
ceux qui sont dominés. Dans leur état d'immersion quasi
absolue, la manipulation n'est pas nécessaire.
La manipulation est, selon la théorie antidialogique, une
_
réponse que I'oppresseur apporte pour faire fàcè a un
chang_ement historique de la iituatiôn concrète. Elle appa-
raît alors comme une nécessité impérieuse pour les éiites
dominatrices qui visent, par son moyen, à une prétendue
< organisation >, afin d'éviter que ne surgisse le iontraire,
à gavg! la véritalle organisation des masses populaires en
voie d'émergence a.
Celles-ci, inquiètes en cette phase d'émergence, sont
- 22, Les pactes n'ont d'intérêt_ pour les classes populalres
dans c€ cas ce ne sont déjà plus des pactes
et
- les
lorsquo
--que
flnalités de I'a.ctlon prér'ue-ou-en cours-peuvent Ctie ctotsfeJ pài
elles.
l' ( organ-lsltlon , qul est le frult de le manipula-
..23. Dans
tlon-, les masses-populalres, s-lmples objets manæuvrés, s'acicom-
modent aux flnalités des manipu)ateurs,- alors que, dani la vérl-
ts.ble organisation, où les individus soît des iujôts aut s'auio
grganiselt, les _fnalitéq ne sont pas imposées par-une êlite. Dans
I€_pr-emrer cas l'( organlsatlon D est Un instrument de u maS-
siflcatlon ', dans Ie second, un instrument de libération.
140
dcvant I'alternative suivante : ou bien elles sont mani-
nrrlées oar les élites qui veulent maintenir la domination,
llu bien elles s'organisent véritablement pour se libérer' Il
ost évident, par ônséquent, que la véritable -organisation
ne peut être- stimulée par les dominateurs; c'est la tâche
tles leaders révolutionnaires.
Il arrive, cependant que de grandes fractions de ces
masses populaires, qui constituent déjà un prolétariat
urbain (iuitout dans les centres les plus industrialisés du
navs). ànimées d'une certaine agitation agressive, mais
lfeôo"*o" d'une conscience révolutionnaire, se considèrent
ellès-mêmes comme privilégiées. La manipulation, avec
toute sa série d'illusions et de promesses, trouve souvent
ici un terrain d'élection.
L'antidote de cette manipulation est l'organisation dictée
par la conscience critique, qui trouve son origine non pas
bans le < dépôt , d;un endoctrinement révolutionnaire
octroyé aux rnasses, mais dans une tnîse en question de
leur iituation dans l'histoire. Dans la prise de conscîence
de la réalité nationale et de la manipulation elle-même.
Weffort a tout à fait raison quand il déclare : << Toute
politique de gauche s'appuie sur les masses populaires et
hepenà de leur niveau de conscience. Si on obscurcit cette
conscience, la gauche perdra ses racines, elle flottera dans
I'air en attendànt h chute inévitable, même si elle garde,
comme dans le cas brésilien, I'illusion de faire la révolution
quand elle ne fait que tourner autour du pouvoir 24. >
En effet, dans lé processus de manipulation, les for-
mations de gauche sont généralement tentées de << tourner
autour du pôuvoir >, et, perdant le contact avec les masses
qu'elles devraient organiser, elles s'égarent dans un < dia-
làgue > impossible- avec les élites dominatrices. Elles
finissent par être elles-mêmes manipulées par ces élites et
verser d;ns un jeu, réservé à leurs dirigeants, qu'elles
appellent
^
réalisme...
La manipulation, dans la théorie de l'action antidialo-
gique, de même que la conquête dont elle -est I'auxiliaire'
iervent à anesthésier les masses pour qu'elles ne pensent
pas.
'
Si les masses associent à leur émergence, à leur entrée
dans le processus historique, une réflexion critique sur ce
24. Franclsco Werront, c Politica de Mâssas ", tn Polltica e
n"-*ir"iô--3îîat ii wâstt, Editlons Civilizaçao Brasilelra' Rio'
1965, p. 167.
T4L
 même- processus, sur leur situation concrète, alors leur On se rappelle le ton dramatique du discours fameux
agressivité prend la forme d'une révolution. Cette réflexion uu"-t" preiiaent Vargas26 adreisa aux travailleurs' le
I'union :
authentique s'appelle la << conscience révolutionnaire > Àu i;-*a
- Oï son dernier irandat, pour les appeler à
encore la << conscience de classe >. Elle est indispensablâ o-j" lr"* vous dire, cependant, que I'ceuvre gigantesque
po-ur que la révolution soit possible. dc rénovation que mon gbuvernement entreprend ne peut
Les élites dominatrices savent tellement bien cela que, Oùe, m"oee à boï terme sâns I'appui des travailleurs
et leur
instinctivement, elles recourent à tous les màyens, y com_ ;;"pé;;ti;;-q-""iidi"no" et décidée. >> Après avoir parlé
pris la violence physique, pour empêchei les masses de ,far'taoit pt"*i"rt mois de son gouvernement, dans ce
penser. Elles ont une profonde intuition de la force qo;if < un bilan des difficultés et des obstacles qui'
dialogue pour éveiller- -le sens critique.-Aiàrs que, pour
du
certains leaders révolutionnaires,
ii, se dressent contre I'action gouv.ernementale >>' il
Ëi et"pp"fâit jl
lê aiatoeue avec les n"i ; p""pr", dans son langage très direct,lacombien
cherté
masses donne I'impression d'être une occupition < bour- iËrt""t"it < aà"t l'âme, l'abanAon, ta misère, de
geoise et réactionnaire ), pow les bourgeoii, au
contraire,
Ie dialogue entre les massès et les leadis iZvolutionnaires
i; ;i;, l.et -tôtt trop faibles [...] le désespoir
-à" salaires
de la
des défa-
majorité du
est une réelle menace qu'il faut combattre.
;tft; et leô revendications
jours >'
peuple qui vit dans I'espérance de- .meilleurs
- En accentuant la mànipulation, les éliies dominatrices "-P,:is appel se faisait plus dramatique et objectif :
Ë;;
inculquent chez les individus fappeiit---tourgeois de ia < je viens uo* dir" que' en ce moment, le gouvernement
réussite individuelle. se-trouve désarmé, sins lois ni moyens concrets d'action
.Cette_.manipulation se fait soit directement par les élites, iÀÀcoiui" pôur tâ défense de l'économie populaire' Il
il11_t*i1","-r.ment,
par
I'intermédiaire âLs-iê"a"rr- fffi faut donc que le peuple s'organise, non seulement pour
ustes. (-es leaders, comme le souligne Weffort, interviennent aéienare t"t proprèt intérêts, mais aussi p,our donner au
au centre des relations entre les ?lites oligaichid; ;ii;; *ÀouË*L-"ot'le^point d'appui indispensable pour.la réa-
masses populaires. iisation des objectifs t.'.1. J'ai besoin de votre union' ïaL
-Car le-style d'action- politique appelé populisme appa_ besoin que vous voui organisiez solidairement en syndi-
raît précisément quand pioérrrn d,émer- cats; j'ai besoin que vous lormiez un bloc fort et uni aox
quand"ommence'i"
elles se mettént à revendiquer côtés du gouvernêment poru que celui-ci puisse disposer de
,C:T"_-1",r_,-asses,
reur partrcrpation, même de façon encore fruste. Le "force qui lui est nécessaire pour. résoudre vos
leader io"té fu
glg;1lirllqui baigne.dans ce processus, est un êtrt;mbisu. propres problèmès. J'ai besoin de votre union pour pou-
Justement, parce qu'il se situe entre les masses 'voif ruttèr contre les saboteurs, pour ne pas être prison-
et les ùi-
garchies domi-natrices, il est comme
iti". Il vit sur ni"i à"t intérêts des spéculateari et de ceux qui veulent
terre et dans I'eau. Sa position entre "-pt
les'oligarchies et lés r;L-i"nit au détrimeni du peuple. >> Et, avec la même
masses lui laisse la marque des deux camps. "Co--" poprr- emphase Aussi I'heure est-elle venue où le gouverne-
: <<
Iiste, cependant, dans tâ mesurè .lt li î" f"it que
inËni_ *.ttt en appelle aux travailleurs et leur déclare : etregrou-
puler, au lieu de lutter pour une véritable pez-vous tôùs dans vos syndicats, en forces libres orga-
organisation
populaire, ce tvpe de leadèr n,aide
en ,ie" ou preique rien nisées. A I'heure actuelle, aucun gouvernement ne pouta
la révolution. - ^ tittititu ou disposer de force sufftsante. pour ses réalisa-
, C'e.st seulement quand iI dépasse sa propre ambiguité et ltoÀ sociales t'il n" prut' conlpter sur I'appui des organi'
Ia nature dualiste de son action, et qu'il opte aetibàremeni sations ouvrières 26. >>

p,our
les. masses, qu'il cesse d,être'populiste. rl renonce En appelant avec véhémence les masses à s'organiser' à
alors à--ta manipulation et se livre au travail révolution_
nair.e d'organisation. Mais d'ordinaire, au ïeu d,être le - ziJ-"".ia"tt de la républtgue du Brésil de 1934 à 1945' et de
médiateur entre les masses et les élites, it àLvi"nt, pour ces ^"iË- à
1950 tï"iâii,'pit"oo"s
1954 (N. d. T.).
da Gama'
t"iitli. Prononcé--a!- stade vasco
dernières, une contradiction, et dé;'ù,;tË lé'p"d;; -
rc-i;'"iii'is'57, i;' ô Eà"ii"|o- ir"a athistg no -B rasfl' qui
Livraria
iirË offËbi6--ri.iitiii''-nt'-p. âz[ u' n+' (c'est I'auteur sou-
-

elles regroupent leurs forces pow paralyser son action.

rigrle.)

142 143
 r
s'unir-.pour_rev_endiquer leurs droits, et en leur parlant,
avec I'autorité d'un chef d'Etat, des obstacles, dej freins,
des difficultés innombrables pour gouverner avec elles, ii
elgagg.qt .son gouvernement sur un chemin de plus en
pts. difficile qui allait aboutir au dénouement tragique de
1954.
Si Vargas n'avait pas révélé, dans la dernière étape de
son mandat, une inclination si marquée pour I'organiiation
rles. masses populaires, qui se traduisit d'aillesls par
une
série de mesures prises pour la défense des intérêti natio-
naux, les élites réactionnaires n'auraient probablement pas
adopté des attitudes extrêmes comme ce iut le cas.
Cela arrive à tout leader populiste quand il se rapproche,
même .liscrètement, des massès popu[aires, au lieu àe r"s-
ter simplement I'intermédiaire dès-oligarchies.
Tant que I'action du leader se maintient dans le cadre
des- forces paternalistes et de leur prolongement assistan-
tialiste, il peut se produire des divérgencei occasionnelles
entre lui et les groupes oligarchiquei atteints dans leurs
intérêts, mais ce seront raremenf des divergences pro-
fondes. En effet, ces forces d'action assistanti-alister, ins-
truments de manipulation, sont au service de la conquête.
Elles fonctionnent comme anesthésique. Elles cachenf aux
masses populaires les véritables causes de leurs problèmes,
et leurs solutions concrètes. Elles fractionnent îes m"srei
populaires en groupes d'individus dont chacun espère rece-
voir davantage que les autres.
Il existe pourtant, dans tout cet assistantialisme de mani-
pulation, un moment positif. Il consiste en ce que les
groupes assistés veulent toujours davantage et que lés indi
vidus non assistés, .voyant I'exemple de ieux qui le sont,
commencent à s'agiter pour être assistés aussi.-Et coûlme
les élites dominatrices ne peuvent << assistantialiser > tout
le monde, cela finit par augmenter I'insatisfaction des
masses.
Dans leur tâche d'organisation, les leaders révolu-
tio:rnaires devraient profiter de cette contradiction pour
aider les masses populaires à prendre conscience dè h
manipulation.
L'invasion culturelle
Finalement, nous découvrons dans la théorie de l,action
antidialogique une autre caractéristique fondamentale
: d.es sciences sociaies et do la technologie, et même des sciences
144
I'invasion culturelle qui, autant que les deux précédentes,
est au service de la conquête.
Méprisant les potentialités de l'être qu'elle conditionne,
I'invasion culturelle est la pénétration des envahisseurs
dans le contexte culturel des envahis, les premiers impo-
sant arD( seconds leur vision du monde, et en même temps
paralysant eux la créativité.
- Dans ce chez
sens, I'invasion culturelle, indiscutablement alié-
nante, même si elle est pratiquée en douceur est toujours
une violence exercée sur celui dont la culture est envahie,
qui perd son originalité ou se voit menaé de la perdre.
Dans I'invasion culturelle, conrme du reste en toutes
les modalités de I'action antidialogique, les envahisseurs
sont les auteurs et les acteurs du processus, les sujets. Les
envahis en sont les objets. Les envahisseurs modèlent, les
autres sont modelés. Les envahisseurs choisissent, les autres
suivent leurs options. Tout au slsins, c'est ce que cherchent
les envahisseurs, ils agissent alors que les autres ont fillu-
sion d agir par l'intermédiaire des envahisseurs.
L'invasion ctrlturelle a un double visage : d un côté
c'est déjà une domination, de l'autre, c'est une tactique
de domination. Car toute domination suppose une invasion,
non seulement physique, visible, mais parfois camouflée,
où l'envahisseur se présente comme l'ami qui aide. Au
fond, I'invasion est une façon de dominer économiquement
et culturellement l'être envahi, que ce soit l'invasion réa'
Iisee par une société mère métropolitaine dans une société
filiale, ou I'invasion implicite dans la domination d'une
classe sur une autre, au sein d'une même société.
Manifestation de la conquête, I'invasion culturelle con-
duit les êtres envahis à la perte de leur authenticité. Son
progrmrme correspond aux ambitions de ses acteurs, à
ieurs normes, à leurs finalités. Etant donné son principe
antidialogique, elle ne peut tenir compte de la prise de
conscience de ceux qui sont envahis, ni du contenu de leurs
progranrmes culturels. Eléments passifs, < assistantialisés >,
ici ceux qui souffrent I'invasion sont voués à être < emplis >
de connaiJsances qui, en général, n'ont rien à voir avec leur
vision du monde. Les envahisseurs, dans leur désir de
dominer, de modeler les autres selon leurs normes, leur
mode de vie, ne cherchent à savoir comment les envahis
27.
pensent leur propre monde que Pour mieux les dominer
27. Dans ce but, les envahisseurs se servent, de plgs en-plus,
t45
 I-l importe, dans I'invasion culturelle, que les envahis d'action culturelle de caractère dominateur n'est pas tou-
voient leur situation avec les yeux des envâhisseurs et non jours exercé délibérément. En réalité, ses agents sont
avec les leurs. Plus ils adoptent les wes des envahisseurs, iouvent aussi des hommes dominés, < surdéterminés > par
plus ceux-ci sont renforcés-dans leur stabilité. la propre culture d'oppressionss'
Une condition essentielle pour le succès de I'invasion ôar, aunt la mesurè où une structure sociale apparait
culturelle est que les envahii soient convaincus de leur rigide, de type dominateur, les institutions pédagogiques
infériorité intrinsèque. Et comme rien n'existe sans son q,ii en font partie seront nécessairement marquées par son
contrate, à mesure que les envahis se considèrent << infé_ climat, véhiiulant ses mythes, et orientant leur action en
rieurs >, ils admettent nécessairement la < supériorité > accord avec la structure en question.
des envahisseurs. Les valeurs de ceux-ci deviènnent les Les foyers familiaux, les écbles primairgs et secondaires,
règles des envahis. Plus s'accentue I'invasion, aliénant à les univeisités, qui n'existent pas dans fabsolu, mais dans
la fois la culture et les êtres, plus ces derniers voudront le temps et dàns I'espace, ne peurent échapper aux
ressembler aux envahisseurs : àdopter leur démarche, se influencis des conditioni objectives de la structure envi-
vêtir de la même façon, parler comme eux. ronnante. Ils fonctionnent généralement, dans les struc-
Le moi social des envahis qui, comme tout moi social, tures dominatrices, comme des agences de formation de
se.construit-à partir des relations socio-culturelles qui se futurs < envahisseurs >.
créent au sein de la structure sociale est marqué de dualité Les relations parents-enfants, dans les foyers, reflètent
autant que la culture envahie elle-même. C'est cette dualité, habituellement lei conditions culturelles objectives de I'en-
dont. nous avons déjà souvent parlé, qui explique q"" fé, semble dont elles font partie. Et si ce sont des conditions
envahis et les dominés deviennent, à un moment ^donné autoritaires, rigides, dominatrices, elles pénètrent dans les
de leur expérience existentielle, cornme un moi << adhé- foyers qui viennent alors renforcer le climat d'oppression2e'
rent > au toi oppresseur. Plus se- développent ces relations d'autorité entre parents
Il faut que le moi opprlmê brise cette sorte d' < adhé- et enfants, pluJ ies enfants, dans leur jeunesse, intériorisent
Lelge ? au toi oppresseur, en s'éloignant de lui, pour l'autorité paternelle.
I'objectiver. Cette << distanciation >> né sera possibie'que Discutait avec sa clarté coutumière le problème de la
lorsqu'il se verra, dans une perception critique, en contra- nécrophilie et de la biophilie, Fromm a analysé les condi'
diction avec lui. tions àbjectives qui engéndrent l'une et I'autre attitude, que
Ce changement qualitatif de perception du monde, qui ce soit àans les loyerÀ, dans les relations parents/enfants,
ne se. réalise pas en dehors de-la piaxis, ne sera jamàis dans le contexte iocio-culturet de haine et d'oppression
suscité par les oppresseurs, car il và à I'encontre Oê teur ou, au contraire, d'amour et de liberté.
théorie. Au contraire, c'est le maintien du staîu qao qui les
intéresse, alors que le changement dans la perôeptiôn du
monde, qui suppose une insertion critique dàns Ë réalité, 28. Cf. L. ÀLrsussBn, Pour Mam, {qspelo' P-aris, 1967-'..oh
il-Ëô""sà"""'toîi-un-châpitre à la c dialeètique de la surdéter-
est pour eux une menace. Voilà pourqubi I'invasion cultu- *dôl'Lîutoritarisme
minâtion D.
relle est un élément caractéristfoue de l,action antidia_ des parents et des r-naîtres aqqarqt! $9
plus en plus aux jeunes comme un obstâcle- â leurâux llDerre' ue
logique. plus en plus, par consequent'
-cui-'rêauisent la--j-eunesse--s'oppose formes
Cependant, dans notre analyse de I'action antidialogique, â;à'.ir"i - ieJ Éossilitites d'exprêssion -et empe-
-est-une des
ËrrËiï'io"'âin"àJià". cétte âfflrmation, qui mânl-
un aspect nous paraît important à souligner. Ce type ËlËâirà"" po"iii""J a" notià temps, n'esi fas le fruit du hasartl'
dont nous
bËi:'ï foïd,-itï ivmrrtome dd ci-clima't his-tortsue
thapitre qu'il caractérisait-notre époque
it".,î! ait-âï'piJ-ièr
*'tit"-?p'5ôue-à"tttioiologiq'ue.
c'est porrrquoi la réaction
nafurelles. Car I'invasion, dans la mesure orl elle
i.,iàfi" péut
crrlturelle essentiellement 'imposée, ne peut sè-pàisè"est action iî"iT" rËirî""ê-'ne êfre iroè, sauf de- façôn tendancleuse,
ae t;aiàé
-âèi ;;-;i"'i;';-fipiê- ifiatce du confiit des génér:itions
-iI- v gul a -tou-
des sciences et de la techïologie qtfi raciiitôni I'action iàr*fi"îlie .--"t'eiisfJ èncore. Réellement, -a quelquedénonce
.
chose
:1",+t_r:9y."tj Pour eux,,.il est indispen'sabte dJiànnatt"d lé-paiiô àËïruî--i"it-ia.--nans sa révolte, ce que la j-e.unesse
l,e- p""-fTJ des eDvahis, Ji moaele h1uSte dd la socidté dominatrice'
9t^ .afi_q _dg p_ouvoir déflnir les possiliilités
(le leur lutur et ainsi les lnfléchir
intérêts.
dans le sens. de leuis propres "'.îd"6-"â-ôtit-Ë
ë"ttï-"?""tïà] avec soir caractère particulier, est très
"ep"taatt,subsiste.
réceute. LiaritoriÎarlsme
't
46 l4'l
 Les enfants sont déformés et frustrés dans leur puis-
sance créatrice lorsque I'ambiance est faite de hainè et
d'oppression, comme le dit Fromm. S'ils ne parviennent
pas dans leur jeunesse à se situer dans la ligne d'une
révolte authentique, ou bien ils s'accommodent dans une
démission totale de leur volonté, atiénés par I'autorité et
par les mythes dont cette autorité se sert pour les < for-
mer )>, ou bien ils en viennent à adoptér des compor-
tements destructeurs.
Cette influence du foyer se prolonge dans I'expérience
de l'école. Les élèves découvrent vite que, comme dans
leur_Toyer, pour réussir il leur faut s,aàapter aux règles
établies verticalement. Et I'une de ces règles est de-ne
pas penser.
Intériorisant I'autorité parentale vue à travers un type
rigide de relations que l'école accentue encore, ils "oït
ensuite te_ndance, lorsqu'ils commencent leur carrière pro-
fessionnelle, à suivre les cadres rigides dans lesquels ils
ont été << déformés >, et à laisser s'installer en eux la
peur de la liberté.
Cette tendance, associée à une attitude de classe, explique
sans doute I'adhésion d'un grand nombre de professiônnels
de l'éducation à une action antidialogique sô. euelle que
soit leur spécialité, lorsqu'ils entrent in relation avec le
peuple, ils sont fermement convaincus qu'il leur appartient
de << transférer >, d' << apporter >> ou de << livier > au
peuple leurs connaissances, leurs techniques. Ils se consi-
dèrent eux-mêmes comme les promoteurj du peuple. Leurs
programmes d'action, inspirés par la théorie dè I'action
pppressive, rassemblent leurs finalités, leurs aspirations,
leurs convictions.
Rien ne sert d'écouter le peuple puisque, < incapable
-par ^eux
et inculte, il a besoin d'être éduqué pour iortir
de I'indolence..qui engendre le soui-développemènt > (sîc).
Pour eux, < l'inculture du peuple est telle qï'it teur pàrait
absnrde-d'évoquer ta nécesiité-de respecter la ,, visiôn du
monde " qu'il pourrait avoir. Seuls 1es professionnels de
la culhrre ont une vision du monde >. De même, ils
trouvent absurde que I'on prétende indispensable d'entendre
30. Cela explique peut-être ausst I'attitude anildialoglque de
ceux- qui, pourtant convalncus dans leur opuon révolut"lohnalre,
99l,ttnJent, cependant,à ne pas_ f-aire conldnce au peupte, ef- !i
cratndre la commuDlon cuec lul. Sans le savoir.-ils- abritent
9!9ore. en eux l'oppresseur..F ils craignént la liberté,
dans Ia mesure oir ils accueillent_réaltté,
en eux le o mialtre ,.
148
le peuple pour organiser des programmes -d'action éduca-
tivË. E,ï efet, pour eux, < l'ignorance absolue > du peuple
ne lui permét rien de plus que de recevoir leurs
enseignements,
Màis tes êtres envahis, à un moment donné de leur
expérience existentielle, commencent, d'une façon ou d9
I'autre, à récuser I'invasion à laquelle ils avaient pu-anté-
rieurement s'adapter. Alors les envahisseurs, pour expliquer
leur échec, parlènt de l' << infériorité > des envahis, ces
<< paresseux >, ces << malades >, ces < ingrats > et aussi
parfois ces << métis >.
' Les bien intentionnés, c'est-à-dire ceux qui << utilisent >>
I'invasion, non par idéologie, mais à cause des déforma-
tions dont nous avons parlé dans les pages qui précèdent'
finissent par découvrir, au cours de leurs expériences, que
certains èchecs de leur action ne proviennent pas d'une
infériorité ontologique des hommes simples du peuple'
mais de la violence de leur action d'envahisseurs'
C'est là généralement une étape difficile pour ceux qui
font ce gerie de découverte. Ils ressentent la nécessité de
r.oon""i à l'invasion, mais les norrnes de la domination
sont tellement ancrées à I'intérieur d'eux-mêmes que ce
renoncement est pour eux presque une mort' Renoncer à
l'acte envahisseui signifie, èn quelque sorte, dépasser la
dualité dans laquellells vivent, à la fois dominés et domi-
nateurs. Cela signifie renoncer à tous les mythes dont se
nourrit I'invasion et susciter une action dialogique' Cela
signifie donc cesser d'être << au-dessus > ou < à I'intérieur >'
des étrangers, pour être < avec >, comme des
"à--"
compagnons.
I.â à peur de la liberté > s'installe alors chez eux' Et
pendant tout ce processus traumatisant, ils ont naturel-
i;;;t tendance à iustifier leur peur avec toute une série
de bonnes raisons.
Cette < peur de la liberté >>, chez les - techniciens de
t'"Ao""tion iui n'ont pas encore pris conscience d'être des
envahisseurs,^ est encùe plus forte quand on leur montre
la portée déshumanisante de leur action.
Il n'est pas rare que,'décodage
dans les cours de- formation, sur-
tout au màment du < > des tableaux de situa-
tions concrètes, les participants, irrités, demandent au
ôôrdinateur d; débaf : < En définitive, où donc voulez'
vous nous mener ? > En réalité, le coordinateur ne cherche
pas à les diriger. Simplement, prenant conscience des pro-
149
 qqe po.se une situation concrète, ils commencent
?l1ry: ni les participants de la discussion dans ce quartier pauvre
l,_?"t9,"u:tr
qu'en approfondissant I'analyse de cette situa.
tlon, il leur faudra soit renoncer à leurs mythes, soit a; N& York ne parlent et n agissent par eux-mêmes, en
iol ;ilt au pio"Àùt d'évolution historique'--Ni les uns ni
renforcer. ou de la
Ë-;t* t'" sont des théoriciens des idéologues
-le Se dépouiller de leurs mythes et y renoncer,
moment, une < violence
c,est, sur A;rtd;ti"". Au contraire, ils en sont des effets, et ils en
> contrà t"oàeL"r,
par eux-mêmes. Les renforcer, c'est se àe.ouurii.
pratiquéo deviennent
--C;Ltt aussi des causes.
iu ;;i; fa des sérieux problèmes que la révolution doit
i-s;ue, qui est aussi un mécaniém" j"-àéf;; "" l'étape où èlle parvient au pouvoir'
est de trans_ lfironter dans
férer sur le coordinateur ce q"i pratique -ô"fi; etupe qui exige deJ leaders un maximum de
rante : dirtger, conquérir, cou.
"ri-i.,ir"
toutes manifestations rug"r." polit^ique, de décision et de courage, requiert par
de la théorie antidiàlogique."nuoirir3l, .ôireq"Ëot un équilibre suffisant pour qu'ils ne se laissent
_ Cette même fuite se_prôauit, à une moindre éche'le, chez o", uli"r
-ll à des ittitudes irrationnelles et sectaires'
-J certain
9. hgp-:.r du peuplè_, a"n.' i"--"r*"-îù r" siruation
d'o.ppression les écrase et où li -<< assistantia-
que les professionnels de l'éducation' de
::ïIèt", formation univeriitaire ou non, de toutes spécialités, sont
usme )> les domestique. à"r n6*"t qui ont subi la < surdétermination > d'une
Une des éducatriées dg Fult Circle de New york, par la dualité'
;lt*; dt d.mination et qui sont marquéspopulaires,
qui
réalise un travail éducatif d"- gr;d" iË-ooutiai""t même être iisus des classes leur
oo,r, a rap-
po:té Ie fait suivant. Elle fa-isaii ";L;i,
;" î;;; analyser un défôrmation serait la même, sinon pire' Pourtant, ces
tableau de situation ; ;;;0" d,habitants oiôiàttioo""fs sont nécessaires pour ti réorganisation de
" t;; On
<< codée
des zones pauvres de New Voit.
i ,.y"ir, au coin
d'une rue, celle-là mcry9 où- sË àlr.i"r"ii
i" r*ieie. Ùn grand nombre d'êntre eux' inhibésuneparaction
leur
Ia réunion, u p"* Oà U iiU-erte >, hésitant à s'engager dans
un_grand tas d'ordures. Un des particip-anis-ait aussitOi-l hrimanisante, sont en réalité plus aveuglés qu'autre chose
< Je vois une rue d,Afrique ou ?;À-iriqoË t"tin". àJ il sémble que non sddement ils pourraient, mais
Et pourquoi pas dè New yorÈï-âemanoa l,éou_ "à"t être récupérés pour la révolution'
ils devraient
^l
Catrlce- Aussi faut-il que la révolution, une fois--paryenue.au
que, répondit-il, nous sornmes aux Etats_Unis po"t.a, prolongè ce qui était auparavant l'action cultu'
^.1-ll.r""
et_qq-rg1 on ne voit pas ça. )> i.rià aiiôgiq"e-en inst^aurant la < révolutiot culturelle >'
Indubitablement, cei homme et plusieurs
de ses compa- À*.-î" iôiruoir révolutionnaire, conscientisé et artisan
gnons qui étaient d'accord ave" lui, e" -pfeine àe ta con'scientisation, n'est plus un pouvoir quelconque'
éveil de la consci.o"" ,r, -t"v"i"ot'înl réalité
d' ptrire
<<
qui lo"uotr nouveau; un pouvoirqui n'est pas szule-
les_gênait et dont la découverte't;;;;;d;' ^uit ""
-ént oott"in nécessaire pour ceux qui veulent continuer
- S-oumise au conditionnement d'une r." du succès et à nier les hommes, mais encore we invitatiozr courageuse
de Ia réussite oersonnelle,.""; ",rtt penserait adressée à tous ceux qui veulent participer à la recons-
d^étruire .#il;ï.,iiïr"
gf ifopre.cap".iic à" ";;;i";JË'ïiene"r""onnair_ truction
- pâ"t cede la société.
satr en sttuation objective défavorable. sens, la < révolution culturelle > est la conti-
--.I)ans ce c:N, comme dans le cas des professionnels de nuation nécessaire de I'action culturelle dialogique qui
l'éducation, on voit clairement la force < doit être menée dans la phase antérieure à l'accession au
zurdéterminante >
de Ia culture dans lacuelle..é àe""i"ppànt*iËJ pouvoir.
'flir," rnvtt", q,r"
les
-hommes intériorisènt. a Ia culture La << révolution culturelle > prend la société en recons-
de Ia ctasse dominante qui fait "t ;Ë;l;.i;;
"q"e ";Àt
hommes comme êtres de décision. -
liaËrmation des t*"tio" auot sa totalité, et en fait le champ dequisonneaction
formatrice. La reconstruction de la société,
peut
Au fond, ni les professionnels dont nous avons parlé âd;tt"ptG de façon mécanique,-trouve son instrument
dans la culture
o q"i t" tË-"têe gràce à cette révolution,
t"lti#; Iridjirfilrffe .Ertenston
communicaclon ?, r'c.r.R.1.,
essentiel.
150 151
 P"-lg façon dont nous I'entendons, la << révolution
culturelle > est le degré maximum posiibte de conscien-
ti;atipn qui. doit Ctré mipe ?"-*"-uË- pL le pouvoir
rév_olutionnair-e. gt gul doit atteindre toris tes
quele que soit la tâche qu'ils doivent accomplir.
hà-m;
, 9'"rl pour.cela que cetté enfteprise ne peut se contenter
oe ra tormatroa 1sçhnique des techniciens ni de la forma.
tion. scientifque des hommes de science dont la nouue[e
société a besoin. Celle-ci ne peut différei de l,ancienni
société d'une façon seulement- partielle, it ; p;"i
pas.non ph's apparaître d'un setrl coup,'comme
"tt"le
rngenument les mécanistes.
, I.a société révolutionnaire ne peut attribuer
logie 1st mêmes finatirés qu'eie
à la techno-
uu;it-J;; h
antérieure. F,n conséquence, lâ formation des hommes devra
aussi être ditrérente.
Dans ce sens, la formation technico_scientifique n,est
pas en opposition avec la formation human]ste des
hommes, puisque la science et h téchnologie, Aans -ia
,
socrete revoluttonnaire, doivent être au service de leur
libération pennanente, de leur numanisalion
. Ptalt.donng qu'aucun homme ne peut vivre sans être
pægre dans le temps et dans l,espace, la formation des
nommes, pour quelque tâche que ce soit, exige que
l,on
considère :
I' - ladeculture
molns
comme une superstructure, capable néan_
conseryer des << suriivuo"", ,-'drl ^passé dans
I'infrastructure en cours ae t u"rtà.*"tiJi révolution_
naire 32;
- mais aussidelalatâche
transformation
à remplir çomme un moyen de
culture.
,-_f_
*".yT" que la conscientisation, dans et par la < révo_
,^: t^o:,_:r1j*,"ile >:. qagne en profondeur, dàns la praxis
crearrce de la société nouvelle, les hommes découvreït
les
laisons des << survivances > mythiqu", q"i ,oot, en réalité,
des thèmes forgés au temps de tiancie'nne société. Alors
ï_fTy_",it se libérer plus rapidement de ces specrres qui
sont touJours un sérieux_problème pour toute iévolution,
car ils font obstacle à l'éàiûcation àe la nouveUe société.
A. travers ces < survivances >, fà so"ietC d,oppression
cgntfnu3 à <- envahir >, et cette fôis elle
revolutlonnaire elle-même. C,est une invasion
Ë société
"ou"nit
terrible parce
32. Cf. Louis Âr-raussER, pour Mort, op, cit.
t52
qu'elle n'est pas faite par l'ancienne élite dominatrice qui
se serait réorganisée à cette fin, mais par les hommes qui
ont eux-mêmes pris part à la révolution. Ayant << accueilli >
en eux I'oppresseur, ils résistent, cornme s'ils étaient à sa
place, aux mesures essentielles qui doivent être prises par
le pouvoir révolutionnaire. Dans leur dualité, ils acceptent
aussi, encore en fonction des << survivances >, le pouvoir
qui se bweaucratise et les réprime avec violence.
Quant à ce pouvoir bureaucratique, violemment répres-
sif, il s'explique par ce que Althusser appelle la < réacti-
cro'ient vation d'éléments anciens 33 >, que l,on observe chaque
fois que les circonstances particulières de la nouvelle
société le permettent.
société Nous pensons donc que le processus révolutionnaire doit
être une action culturelle dialogique qui se prolonge en
< révolution culturelle > après l'accession au pouvoir. Et
nous jugeons indispensable, tout au long du processus,
un eftort sérieux et profond de conscientisation. par
lequel les hommes, dans une praxis véritable, dépassent
l'êtat d'objets, d'êtres dominés, et deviennent des suiets
de I'histoire.
Dans la révolution culturelle, finalement, la révolution,
en développant la pratique du dialogue permanent entre
les leaders et le peuple, consolide la participation de ce
dernier au pouvoir.
Au fur et à mesure que, ensemble, les leaders et le
peuple deviennent critiques, la révolution se défend plus
facilement contre le risque des bureaucratismes qui
conduisent à de nouvelles formes d'oppression et d' < inva-
sion >>. Et c'est toujours la même invasion qui tend à
réapparaître, que I'envahisseur soit un agronome, un socio-
logue, un économiste, un médecin, un religierx, un édu-
cateur populaire, une assistante sociale ou un révolution-
naire en train de se contredire.
L'invasion culturelle, au service de la conquête et du
maintien de l'oppression, suppose toujours une vue parcel-
laire de la rêalilê, considérée comme statique, dans la
superposition d'une vision du monde sur une autre. Dans
la < supériorité de l'envahisseur et < I'infériorité > de
>>
celui qui est envahi. Dans I'imposition des critères. Dans
3ll. Selon Althusser, ( cetto réactlvatlon seralt prôprement
lnconceva-ble dans uno dlalectlque dépourvue de surdétermina-
llon ". (Op. cit., p. 116.)
153
la mainmise sur l'être envahi. Dans la peur de le
s'échapper.
L'invasion culturelle implique également que le centre
de décision de ceux qui sont envahis se situe en dehors
d'eux, chez les dominateurs envahisseurs. Et tant que la
décision n'appartient pas à celui qui doit décider, qu'elle
lui est extérieure, il a seulement l'illusion de décider.
Voilà pourquoi il ne peut y avoir de développement
socio-économique en aucune société dualiste, < réflexe 3a >,
envahie. Pour qu'il y ait développement, il faut :
qu'il se produise un mouvement de recherche, de
-
créativité, qui ait son centre de décision chez l'être même
qui s'y engage;
- et maiscedans
que mouvement s'opère non seulement dans
I'espace, le temps où se situe cet être, et que
celui-ci en soit conscient.
C'est pourquoi si tout développement est une transfor-
mation, toute transformation n'est pas forcément un déve-
loppement. La transformation d'une graine qui, dans des
conditions favorables, germe et naît, n'est pas un dévelop-
pement. De même la transformation d'un animal n'est
pas un développement. Tous deux sont déterminés par
l'espèce à laquelleils appartiennent, dans un temps qui ne
leur appartient pas, car c'est le temps des hommes.
Ceux-ci, parmi tous les êtres inachevés, sont les seuls
qui se développent. Etres historiques, < autonomes >>, auto-
biographiques, leur transformation se produit dans un
temps qui est le leur, jamais en dehors de ce temps.
Voilà la raison pour laquelle, lorsqu'ils sont soumis
à des conditions concrètes d'oppression qui les aliènent,
transformés en êtres < dépendants d'un autre >, les
hommes ne peuvent plus se développer de façon authen-
tique. En effet, ils sont alors privés de leur pouvoir de
décision qui est reporté chez le dominateur, et- ils suivent
ses prescriptions. Les opprimés ne commencent à se déve-
lopper que lorsque dépassant la contradiction dans laquelle
ils se trouvent, ils deviennent des êtres << autonomes >.
Si maintenant nous considérons la société comme un
être vivant, nous pouvons en déduire qu'elle ne pourra
se développer que si c'est une société < autonome >. Le
développement de sociétés dualistes, réflexes, envahies,
dépendantes de la société métropolitaine, n'est pas pos-
34. Cf. L'Edacation : pratlque de la ltbefié, op. cit., p.
154
voir sible parce que ce sont des sociétés aliénées, dont le centre
de décision politique, économique et culturel se trouve
en dehors d'elles, dans la société métropolitaine. C'est
celle-ci qui décide en dernier ressort du destin des sociétés
dépendantes qui ne font plus que subir des transformations.
Ce sont des < êtres dépendants > et leur transformation
s'effectue au profit de la métropole.
C'est ainsi qu'il ne faut pas confondre développement
et modernisation. Cette dernière, toujours réalisée de façon
imposée, peut atteindre certaines couches de population
de la société satellite, mais sert avant tout les intérêts de
la société métropolitaine. Une société simplement moder-
nisée, mais non développée, continue à êue dépendante
du centre externe, même si elle dispose, par simple délé-
gation, d'un minimum de pouvoir de décision. C'est ce
qui arrive et arrivera à toute société dépendante, tant
qu'elle reste dépendante.
Nous avons la conviction que, pour vériter si une
société se développe ou non, nous devons aller au-delà
des critères d'analyse tels que I'indice du revenu per capita,
ou I'indice de progression du produit national brut, qui,
une fois devenus des < statistiques >, n'ont plus aucune
signifiça1is1 véritable. Il nous semble que le critère de
base, primordial, est de savoir si la société est ou n'est
pas ( autonome >. Si ce n'est pas le cas, tous les indices
refléteront son degré de modernisation, mais pas son degré
de développement.
La principale contradiction des sociétés dualistes se situe
réellement là, au niveau des relations qui s'établissent
entre elles et les sociétés métropolitaines. Tant que subsiste
cette contradiction, elles ne sont pas ( autonomes >, et,
par suite, elles ne se développent pas. Mais une fois dépas-
sée la contradiction, ce qui était jusque-là une transfor-
mation < assistantielle > et profitait surtout à la société
mère devient un développement véritable au bénétce de
< l'être autonome >.
Les solutions purement réformistes qu'essayent ces socié-
tés surprennent et parfois effraient les fractions les plus
réactionnaires de leurs élites, mais ne parviennent pas à
résoudre les contradictions. Presque toujours, sinon tou-
jours, ces solutions réformistes sont suscitées par la métro-
pole elle-même, en réponse aux nouvelles contraintes de
l'évolution historique, a^tn de maintenir son hégémonie.
45. Tout se passe comme si la métropole disait : < Faisons les
155

réformes, avant que la société dépendante ne fasse la
révolution. > Et, pour y parvenir, la société métropoli
taine ne connaît pas d'autre chemin que celui de la
conquête, de la manipulation, de Ïinvasion culturelle et
économique (et parfois militate) de la société dépen.
dante. Dans cette invasion économique et culturelle, læ
élites dirigeantes de la société dominée sont, pour une
grande part, de simples mandataires des élites dirigeantes
de la société métropolitaine.
A l'issue de ces réflexions sur la théorie de I'action
antidialogique, qui ne sont qu'une première approche
du sujet, nous redisons ce que nous avons soutenu tout
au long de cet essai : I'impossibilité pour les leaders
révolutionnaires d'utiliser les mêmes méthodes antidialo-
giques dont les oppresseurs se servent pour opprimer. Au
contraire, ces leaders doivent suivre un chemin dialogique,
celui de la communication, que norxi allons maintenant
étudier.
Mais auparavant, nous voulons aborder un point qui
nous paraît important pour mieux éclairer nos vues.
Il s'agit de l'étape de la formation des leaders révolu-
tionnaires, et de ses conséquences essentielles, historiques
et sociologiques, sur le développement de la révolution.
Tout d'abord, ces leaders sont généralement des hommes
qui, d'une façon ou d'une autre, ont fait partie de la
couche sociale des dominateurs. A un moment donné de
leur expérience existentielle, dans certaines conditions his-
toriques, ils renoncent, par un acte de véritable solidarité
(tout au moins faut-il I'espérer), à la classe à laquelle ils
appartiennent, et se rangent du côté des opprimés. Que
cette adhésion soit le résultat d'une analyse scientifique
de la réalité ou non, elle suppose, si elle est authentique,
un acte d'amour, d'engagement réel 35. Elle nécessite une
démarche auprès des opprimés, une commrrnication avec
elu(.
Les masses populaires ont besoin de se découvrir à ciense de classe ) en est une autre. A propos de lâ conscience
35. Au ctapitre précédent, nous avons clté à ce propos l'opi-
niou de Che Guevara. Citons encore Germano Guzman qui disâit
de Canilo Torres : a Il s'est livré tout entier parce qu'il a
tl a gardé à l'égard
tout donné. A chaque lnstant,'commë du peuple eon
-commo
attitude d'engagemient vltal, prêtre, ôhreiien et
comme révolutionnalre. , Germano Guz.uen, CatnIIo, el Cura
Guenlllero, Servicios Especlales de Prensa, Bogota, 1967, p, 5.)
i56
I
travers les leaders qui ont émergé, et ceux-ci ont besoin
de se découvrir à travers elles.
Au moment où les leaders émergent, ils deviennent
nécessairement une contradiction pour les élites domina-
trices. Les masses opprimées sont également une contra-
diction objective pour les élites, et elles (< communiquent >
cette contradiction aux leaders qui ont émergé.
Il n'est pas nécessaire pour autant que les masses aient
déjà atteint un tel degré de perception de leur état d'op-
pression qu'elles soient en mesure de comprendre de façon
critique leur antagonisme vis-à-vis des élites 36. Elles peuvent
être encore dans cette attitude déjà décrite d < adhé-
rence > à I'oppresseur.
Mais il arrive aussi que, dans certaines conditions histo-
riques objectives, elles soient déjà parvenues, sinon à une
vue nette de leur oppression, du moins à une sorte d'éclai-
rage de cette situation.
Si, dans le premier cas, leur << adhérence > à I'oppres-
seur ne leur permet pas de le situer << à I'extérieur >
d'elles-mêmes 37, dans le second, en le repérant, elles
découvrent, par un jugement critique, I'antagonisme qui
les sépare de lui.
Dans le premier cas, avec I'oppresseur << hébergé > chez
elles, elles vivent dans une ambiguité qui accentue leur
peur de la liberté. Elles se tournent vers les explications
magiques ou vers une fausse vision de Dieu (entretenue
par les oppresseurs), sur lequel elles transfèrent avec rési-
gnation la responsabilité de leur état d'opprimés 38. Ayant
perdu la foi en elles-mêmes, désemparées, désespérées, ces
masses ne cherchent pas à se libérer, et elles voient même
dans la révolte une rupture et une désobéissance à la
volonté de Dieu, une sorte d'afirontement anormal avec
le destin. D'où la nécessité, sur laquelle nous insistons
36. Les < nécessités de classe ) sont une chose ; la ( cons-
de classe, voir : Georg Luucs, IIistoi|e et Conscience de
ctdsse, Editions de Minuii, Paris, 1960,
37. Cf. Frantz FAxoN, op. cit.
38. Un prêtre chilien,' de grande autorité lntellectuelle et
morale, quli etait venu à Recifè en 1966, nous disait que lors-
qu'il avait visité avec un collègue de Peruambouc les families
Éabitant Les mocar,bos (bidonvilles) dans des conditlons de
misère absolue, et qu'll leur avait demandé comment elles eup-
portaient de vlvre âinsi, ll avait entendu toujours la même
iéponse : c Qu'y pouvons-nous ? C'ost la volonté de Dieu, ll
faut nous y faire, D
157
tellement, de les rendre conscientes des mythes dont
l'oppression les nourrit.
Dans le second cas, c'est-à-dire quand elles ont acquis
une vue claire ou demi-claire de I'oppression, et qu'elles
parviennent à situer I'oppresseur au-dèhors d'elles-mêmes,
elles acceptent la lutte pour la contradiction dans
dépasser
laquelle elles vivent. Alors, elles abolissent
la distance qui
sépare les < nécessités de classe > de la << conscience àe
classe >.
Dans la première hypothèse, les leaders révolutionnaires
deviennent également, douloureusement et sans I'avoir
voulu, une contradiction pour les masses.
Dans la seconde, lorsque les leaders émergent, ils
reçoivent I'adhésion presque instantanée et la sympathie
des masses, qui s'accentue à mesure que se développe le
processus révolutionnaire. Le chemin que parcourent alors
les leaders jusqu'à elles est spontanément dialogique. Il se
crée une affinité quasi immédiate entre les masses et les
leaders révolutionnaires. L'engagement mutuel se scelle
presque sur-le-champ. Ensemble ils con-fraternisent dans
la même reconnaissance de I'autre, et ils comprennent qu'ils
sont une contradiction pour les élites dominatrices. Dès
lors, le dialogue s'établit entre eux et le peuple et il est
difficile de le rompre. Il se poursuit au moment de I'acces-
sion au pouvoir, lorsque les masses comprennent réellement
qu'elles y participent.
Cela ne diminue en rien la valeur de I'esprit de lutte,
du courage, de la capacité d'aimer des leaders révo-
lutionnaires.
Le < leadership > de Fidel Castro et de ses compa-
gnons, qu'on appelait à l'époque des < aventuriers irres-
ponsables >, a été une expérience hautement dialogique;
ils se sont identités aux masses soumises à une violence
brutale, celle de la dictature de Batista.
Nous ne voulons pas dire pourtant que cette adhésion
s'est opérée facilement. Elle a exigé d'eux le témoignage
courageux, I'audace d'aimer le peuple et de se sacrifier
pour lui. Elle a exigé d'eux I'espérance tenace pour recom-
mencer après chaque défaite, tendus vers une victoire
qu'il leur fallait forger avec le peuple, et qui ne serait pas
seulement la leur, mais en même temps celle du peuple,
ou la leur en tant que membres du peuple.
Fidel a polarisé peu à peu l'adhésion dès masses qui,
dépassant la situation objective d'oppression où elles se
158
trouvaient, avaient déjà commencé, grllco À lotrr oxpé-
rience historique, à briser leur < adhércnco > À l'oppros-
seur. La distance qu'elles avaient prise ù l'égnrtl rlo l'op'
presseur les avait amenées à I'objectiver ct t\ sc tlér'trttvttt
èomme une contradiction pour lui. C'est potrrtltlri lrltlal
n'est jamais devenu une contradiction pour ellcs' 'l'ollo orr
telle désertion, telle ou telle trahison enregistrécs prtr
Guevara dans ses souvenirs de la guerre révoluliowulrc tto
était inévitable, mais il y eut aussi de nombreuses adhésions.
Ainsi, le cheminement des leaders révolutionnaires vcrs
les masses, selon les conditions historiques, se réalise ou
bien horizontalement, lorsque les deux pôles s'unissent en
un seul foyer de contradiction pour I'oppresseur, ou bien
de façon triangulaire, lorsque les leaders révolutionnaires
en viennent à < occuper > le sommet d'un triangle, en
contradiction à la fois avec les masses populaires et avec
les oppresseurs.
Ceitè situation, nous I'avons vu, se produit dans le cas
où les masses populaires ne sont pas encore parvenues
à la consciencé Critique ou semi-critique de la rêalitê
opprimante.
-
Rarement, cependant, les leaders révolutionnaires per-
çoivent qu'ils deviennent une contradiction pour les masses.
Car réellement une telle découverte est douloureuse, et,
par une sorte de mécanisme de défense, ils refusent de
i'en rendre compte. Il est en effet diffcile pour un leader
qui émerge dans un élan d'adhésion aux masses opprimées
d'admettre qu'il soit devenu une contradiction pour ceux
auxquels préiisément il a voulu apporter son adhésion.
Cèla nous paraît important pour analyser certains com-
portements dès leaders révolutionnaires qui, sans I'avoir
voulu, deviennent une contradiction pour les masses popu-
laires, même s'il ne s'agit pas d'un réel antagonisme.
Les leaders révolutionnaires ont besoin, indubitablement,
de I'adhésion des masses populaires à la révolution' S'ils
représentent une contradiction pour les masses, lgrsqu'il,s
reôherchent cette adhésion ils rencontrent un certain recul,
une certaine méfiance, et ils peuvent prendre ce recul et
cette méfiance colnme les indices d'une incapacité natu'
relle des masses. Ils réduisent alors ce qui est un moment
historique de l'éveil de la conscience populaire en une
prétendue défiance naturelle de la part des masses. Et
39. Maspero, 1968.
159
 .-
coûrme ils ont besoin de leur adhésion à la lutte pour
susciter la révolution, mais qu'ils se méfient des masses
méfiantes, ils se laissent tenter par les mêmes méthodes
que l'élite dominatrice emploie pour opprimer.
Pour justifier leur méfiance, les leaders parlent de fim-
possibilité du dialogue avec les masses populaires avant
I'accession au pouvoir, et ils se rangent ainsi du côté de
la théorie de I'action antidialogique. Dès lors, bien souvent,
à l'instar de l'élite dominatrice, ils essaient de faire la
conquête des masses, ils se font messîaniques et pratiquent
l'invasion culturelle. Et sur ces chemins de I'oppression,
ou bien ils ne font pas la révolution, ou bien, s'ils la
font, elle n'est pas authentique.
Les leaders révolutionnaires ont le devoir, en toutes
circonstances, et surtout dans ce cas, d'étudier sérieuse-
ment, au cours de leur action, les raisons de telle ou telle
attitude de défiance des masses et de chercher comment
ils pourront parvenir à la véritable communion avec elles.
Communion qui consiste à les aider à percevoir par elles-
mêmes, de façon critique, la rêalitê opprimante qui fait
d'elles des masses opprimées.
La conscience dominée est dualiste, ambiguë, remplie de
craintes et de méfiances 40. Dans son journal sur la lutte
en Bolivie, Guevara parle à plusieurs reprises du manque
de participation des paysans, et il dit textuellement : << La
mobilisation des paysans est inexistante, sauf pour les
tâches d'information qui nous préoccupent. IIs ne sont ni
très rapides ni très efficaces; nous pourrions nous passer
d'eux [...]. Il y a un manque total d'intégration des
paysans, bien qu'ils commencent à cesser d'avoir peur
de nous, et que nous gagnions leur admiration. C'est un
travail qui demande du temps et de la patience 41. >
Si I'on cherche à expliquer cette peur et cette faible
efficacité des paysans, on trouve chez eux, dans leurs
consciences dominées, I'introjection de l'oppresseur.
Les comportements des opprimés, leur manière de vivre,
qui résultent de I'oppression et qui incitent I'oppresseur,
pour opprimer davantage, à pratiquer le genre d'action
410. Il faut avolr lu à ce sujet : Erlch Fnoux, c The Appll-
cation of Ilumanist Psychoanalysls to Marxist Theory ', ln Socfc-
Itst Hamontsm, Anchor Books, 1966; et Osborn REUBEN, Martlsm
and Psgchoonalysls, London, 1965.
11. Ei DIailo -de Che en Boliota, qiglo XXI, l\[exlco, p. 13r à
752; Iournal de Bolivîe, Maspero, 1968.
160
culturelle que nous avons décrite, exigent du révolution-
naire une autre théorie de l'action. Car ce qui distingue
les leaders révolutionnaires de l'élite dominatrice, ce ne
sont pas leurs objectifs, mais leur façon d'agir : s'ils
agissent de la même manière, leurs objectifs se confondent.
Comme nous I'avons dit plus haut, il est certes impen-
sable que l'élite dominatrice conscientise les opprimés dans
leurs relations hommes/monde, mais il est tout autant
impensable que les leaders révolutionnaires ne le fassent
pas.
Nous allons maintenant aborder fanalyse de la théorie
de laction culturelle dialogique, en cherchant, comme dans
le cas préédent, à appréhender ses éléments constitutifs.
Ll rrrÉonre DE L'ÀcrroN DrAIJocreuB ET sEs cARÀcrÉRIS-
TreuEs : LA coopÉRATIo\ L'umoN, r'onceNrsATloN, LÀ
SYNTHESB CT'LTURELLE
La coopératîon
Alors que la première caractéristique de la théorie de
laction antidialogique, la conquête, suppose un sujet qui
fait la conquête de l'autre et le transforme en < chose >,
dans la théorie de I'action dialogique les sujets se ren-
contrent pour transformer le monde dans une co-opération.
Le moi antidialogique, dominateur, transforme le toi
dominé, conquis, en un simple < ça 42 >. I*, moi dialogique,
au contraire, sait que c'est précisément le toi qui le cons-
titue. Il sait aussi que ce toi, ce non-moi, se constitue à son
tour comme un moi en trouvant en lui un roi. Ainsi le moi
et le toi deviennent, dans la dialectique de ces relations
constituantes, deux loi qui se transforment en deux moi.
La théorie de l'action dialogique n'admet pas un sujet
qui domine et un objet dominé, mais seulement des zujets
qui se rencontrent pow déchiffrer le monde, pour le trans-
former. Si les masses populaires dominées, pour toutes les
raisons déjà évoquées, se trouvent incapables, à un certain
moment historique, de répondre à leur vocation de zujets,
ce sera par la prise de conscience de leur oppression (et
faction qui en est le résultat) qu'elles pourront y parvenir.
Cela ne signifie pas que, dans I'ceuvre dialogique, il
4rlt"ir Martin BusR, Je et Tu, Aubier-Montaigne.
161
 Y
ny ait pas de place pour les leaders révolutionnaires.
Cela veut dire simplement que les leaders ne sont pas
propriétaires des masses populaires, si important, fonda-
mental et indispensable que soit leur rôle. L'importance
de ce rôle ne leur donne pas le droit de commander les
masses populaires, aveuglément, en vue de leur libération.
S'il en était ainsi, ces leaders reproduiraient le messianisme
sauveur des élites dominatrices, même si, dans leur cas,
c'est le < salut > des masses populaires qui est visé. Quand
la libération ou le < salut >> des masses populaires devient
un cadeau, une donation qu'on leur octroie, le lien dialo-
gique entre les leaders et elles se brise, et elles ne sont
plus co-auteurs dans I'action libératrice, mais simples auxi-
liaires de cette action.
La coopération, caractéristique de l'action dialogique,
suppose une communication qui ne peut exister qu'entre
deux êtres zujets, même s'ils sont à des niveaux différents
de fonctions et donc de responsabilités. Le dialogue, qui
est toujours une communication, fonde la coopération.
Dans la théorie de I'action dialogique, il n'est pas question
de la conquête des masses, mais de leur adhésion aux
idéaux révolutionnaires. Le dialogue n'impose pas, ne mani-
pule pas, ne domestique pas, n'utilise pas de slogans. Mais
cela ne veut pas dire que la théorie de I'action dialogique
ne conduise à rien, ni que I'homme dialogique cesse d'avoir
une conscience claire de ce qu'il veut, des objectifs aux-
quels il s'est voué.
L'engagement des leaders révolutionnaires envers les
m:rsses opprimées est un engagement en vue de leur libé-
ration. Aussi ne doivent-ils pas chercher à conquérir les
masses mais obtenir leur adhésion à l'æuvre de libé-
à cependant, ne doit pas être une confiance naive. Les
ration. Une adhésion conquise n'est pas une adhésion,
parce qu'elle est une < adhérence >> de l'être conquis au
conquérant, à travers f imposition des options du second
au premier.
L'adhésion véritable est la libre convergence des options.
Elle ne peut se produire que dans I'intercommunication
entre les hommes, par fintermédiaire de la rêalitê concrète.
Contrairement à ce qui se passe dans la théorie antidia-
logique, où la réalité est mythiûée pourperpétuer la
domination, dans le cas de la coopération requise par la
theorie diatogique, les zujets se tournent vers la réalité
comme vers un intermédiaire qui les défie. La réponse
aux défis de la réalité devenue problème est déjà l'action
162
que les zujets dialogiques exercent sur elle, pour la trans-
former. La conscientisation ne s'obtient pas par I'emploi
de slogans, mais par l'exercice d'une analyse critique sur
la réalité problème.
Alors que dans la théorie antidialogique les masses sont
des objets sur lesquels s'applique I'action de conquête,
dans la théorie dialogique elles sont aussi des zujets aux-
quels il appartient de conquérir le monde. Si, dans le
premier cas, elles s'aliènent de plus en plus, dans le second
elles transforment le monde pour la libération des hommes.
Alors que dans la théorie de I'action antidialogique
l'élite dominatrice mythifie le monde pour mieux le dorni-
ner, la théorie dialogique exige le << déchiffrement >> du
monde. La mythitcation du monde et des hommes sup-
pose un sujet qui mythifie et des objets qui sont mythifiés,
mais ceci disparaît avec le déchiffrement du monde, qui
est une démythiûcation. A vrai dire, personne ne déchiffre
le monde pour l'autre, et même quand un zujet prend
I'initiative de déchiftrer le monde pour les autres, il est
indispensable que ceux-ci deviennent également zujets dans
cette opération. Le déchiffrement du monde et d'elles'
mêmes, dans la praxis authentique, permet I'adhésion des
masses.
Cette adhésion coîncide avec la confiance que les masses
populaires commencent à avoir en ell€s-mêmes' et aussi
à l'égard des leaders révolutionnaires, quand elles per-
çoivent leur dévouement, leur authenticité dans la lutte
- la libération des hommes.
pour
La confiance des masses à l'égard des leaders implique
la confiance de ceux-ci envers les masses. Cette dernière,
leâders doivent faire confiance aux potentialités des masses
qu'ils ne peuvent traiter comme des objets. Ils doivent
penser qu'elles sont capables d'entreprendre leur-propre
iibération, mais il leur faut se défier, toujours se défier, de
fambieuité des hommes opprimés. Se défier des opprimés
n'est pas exactement se défier d'eux en tant qu'hommes,
mais se défier de l'oppresseur qui < habite >> en eux' Par
exemple, lorsque Guevara attire I'attention du révolution-
naire sur << la nécessité de se méfier sans cesse du paysan
qui adhère, du guide qui montre le chemin, se méfier
même de son ombre as >, il n'est pas en contradiction avec
43. Che Gunvenr, Souuenirs 'd.e Ia guerre réuolutionnaire' I\[âs-
pero, 1968.
163
 T
l
fattitude fondamentale de I'action dialogique, il est sim-
plement réaliste.
Car la confiance, même si elle est essentielle pour le
dialogue, n'en est pas un a priori, mais elle doit être une
résultante de la rencontre pax laquelle les hommes
deviennent les sujets d'une mise en question du monde, en
we de sa transformation.
Or, tant que les opprimés sont davantage l'oppresseur
qui est à l'intérieur d'eux, plutôt qu'eux-mêmes, leur peur
naturelle de la liberté peut les conduire à mettre en
cause non pas leur situation d'oppression, mais les leaders
révolutionnates eux-mêmes.
Ceux-ci ne doivent donc pas être naifs, il leur faut
rester vigilants devant une telle éventualité.
I-es Souvenirs de Guevara de sa lutte dans la Sierra
Maestra, déjà cités, montrent ce genre de risque en citant
des cas non seulement de désertion, mais même de tra-
hison à la cause. Parfois, admettant la nécessité de punir
celui qui a déserté pour maintenir la cohésion et la disci-
pline du groupe, Guevara admet en même temps certaines
justifications à la désertion. L'une d'elles, à notre avis la
plus importante, est I'ambiguïté essentielle du désertew.
A ce sujet, dans un autre passage de ce texte, Guevara
parle de sa présence dans une communauté paysanne de
la Sierra Maestra, non seulement cofirme guerillero, mais
aussi comme médecin : < C'est là, dit-il, que commença
à s'incarner en nous la conscience de la nécessité d'un chan-
gement radical dans la vie du peuple. L'idée de la réforme
agraire s'est précisée etla communion avec le peuple a cessé
d'être une théorie pour devenir définitivement une partie
de nous-même,s [...]. La guérilla et la paysannerie se sont
fondues eD. une seule rnasse, sans que personne ne puisse
dire à quel moment ce que l'on proclamait est devenu
authentique, ni à quel moment nous sornmes devenus des
membres de la paysannerie [...]. Je sais seulement, en ce
qui me concerne, que ces entretiens avec les paysans de
la Sierra ont transformê l'éIan spontanê et quelque peu
lyrique en une force plus sereine et plus profonde 1...'1.
Jamais ces habitants malheureux et loyaux de la Sierra
Maestra n'ont soupçonné le rôle qu ils ont joué conrme
afiisans de notre idéologie révolutionnaire aa. >
Comme on le voit, Guevara insiste sur la communion
44. lbid. (c'est l'auteur qui souligne).
t64
avec le peuple, moment décisif pour la transformation de
ce qui était << un élan spontané et quelque peu lyrique
en une force plus sereine et plus profonde >. Et il précise
que, grâce à cette communion, les paysans, même s'ils
n'en ont pas été conscients, sont devenus les << artisans >
de son << idéologie révolutionnaire >. C'est dans son dia-
logue avec les masses paysannes que sa praxis révolu-
tionnaire acquit une signification définitive. Mais ce que
ne dit pas Guevara, peut-être par humilité, c'est que ce
sont précisément son humilité et sa capacité d'amour qui
ont rendu possible sa << communion > avec le peuple. Et
cette communion, incontestablement dialogique, est deve-
nue une coopération.
On voit aussi comment un leader tel que Guevara, qui
n'a pas gravi la Sierra avec Fidel et ses compagnons à la
façon d'un jeune frustré en quête d'aventures, découvre
que sa < communion avec le peuple a cessé d'être une
théorie pour devenir définitivement une partie de [ui-
mêmel >.
Jusque dans sa manière incomparable de raconter les
étapes de son expérience et de celle de ses compagnons,
de parler de ses rencontres avec les paysans << loyaux et
humbles >, dans un langage parfois quasi évangélique, cet
homme exceptionnel révélait une profonde capacité d'amour
et de communication. D'où la force de son témoignage,
aussi ardent que celui de cet autre passionné, le << prêtre
guerillero >, Camilo Torres.
Sans cette communion, qui engendre la véritable coopé-
ration, le peuple aurait été un objet pour I'action révolu-
tionnaire des hommes de la Sierra. Et, avec cet objet,
I'adhésion dont parle Guevara n'aurait pas pu se produire.
Au mieux, il y aurait eu << adhérence )>, et avec celle-ci
on ne réalise pas une révolution, mais une domination.
Selon la théorie de I'action dialogique, à aucun moment
de I'action révolutionnaire il n'est possible de se passer de
cetle communion avec les masses populaires. La commu-
nion entraîne la coopération qui conduit les leaders et les
masses à cette << fusion > dont parle le grand leader dis-
paru. Et la fusion ne se produit que si I'action révolu-
tionnaire est réellement humaine, et donc sympathique,
aimante, communiquante, humble et orientée vers la
libération.
La révolution est biophile, elle est créatrice de vie,
même si, pour créer, elle est obligée de détruire des vies
165

qui font obstacle à la vie. Il ne peut y avoir de vie
sans mort, comme il n'y a pas de mort sans vie, mais il
existe également une << mort vivante >. La << mort vivante
est la vie que l'on empêche de s'accomplir 45. Nous pen-
sons qu'il n'est même pas nécessaire de recourir aux
statistiques pour montrer combien de gens, au Brésil et
plus généralement en Amérique latine, sont des << morts
vivants aG >>, des << ombres >, hommes, femmes et enfants,
désespérés et soumis à une << guerre invisible > perma-
nente dans laquelle le peu de vie qui leur reste est dévoré
par la tuberculose, par la diarrhée infantile, par mille
maladies de la misère que bien souvent I'aliénation qua-
lite de << maladies tropicales >...
Devant de pareilles situations, dit le père Chenu, << beau-
coup craignent, autant chez les pères conciliaires que chez
les laics bien informés, qu'en considérant les besoins et
les misères du monde, nous en restions à une exhortation
émouvante pour pallier la misère et l'injustice dans leurs
manifestations et leurs symptômes, sans aller jusqu'à I'ana-
lyse des causes, jusqu'à la dénonciation du régime qui
sécrète cette injustice et engendre cette misère a7 >.
L'union
Alors que, selon la théorie antidialogique, la division
des opprimés s'impose nécessairement aux dominateurs
pour pôuvoir plus facilement maintenir l'oppression, selon
la théorie dialogique au contraire, les leaders doivent
infatigablement rechercher l'union des opprimés entre eux
45- A DroDos de la défense de I'homme face à < sa mort I'
aoiài-ia'" inort de Dieu ), dans la pensée actuelle' voir Mikael
ô'umxe. l'homme, Editions du Seuil, Paris' 1968.
- 46. . La Pour
majorité d'entre eux, djt Gerassi en qa-rlant des
Dâvsms. se verid ou vend les membres de sa famille come
ôsitàves, atn d'écbapper à la mort. U-n ^j-o-urnal-.de BeIo
zoÀte â découvert-fas moirs de 50000 victimes (vendues
-étet le reporter,
1 000 francs), poq! lg prouver' a acheté lui-même
un homme sa femlne pôur 30 dollars' "J'en âvais Yu beâu-
ôôuo mourir de fâim, expliqua I'esclave, aussi ça ne ne faisait
iieË a'etre vendu." Qîanâ un tra.fiquant d'hommes fut arrêté à
Sao Paulo en 1959, il avoua sa collusion avec des gtands prg-
oriétaires ruraux âe I'Etât de Sao Paulo, des propriétaires
àlmtations de café et des promoteurs immobiliers' intéressés
'ôar sa marchandise, excepté ôependant par les adolescentes qui
ètâient vendues à des bordels. > (John GExÂs$' A inuasao do
im.erica Latina, CiYilizaçao Brasileira' Rio' 1965, -p.. 120.)
47. O, P. CEDxu, Témoignage chrétien, avril 1964, cité par
torial Arandu, Buenos Aires, 1965, p' 167'
166
-
et leur propre union avec les opprimés, en vue de la
libération.
Le problème central, ici comme dans tous les.aspects de
>>
I'action dialogique, est que rien ne peut se faire sans la
praxis. Pour l'élite dominatrice la praxis d'oppression,est
Îacile ou à tout le moins assez facile, mais pour les leaders
révolutionnaires la praxis libératrice rencontre des diffi-
cultés. Alors que le premier groupe dispose des instruments
du pouvoir, lè second se trouve soumis à la force de ce
pouvoir. Le premier groupe s'organise litrement lui-même,
èt, même s'il connait des divisions accidentelles et momen-
tanées, il s'unit rapidement en face de toute menace à
l'égard de ses intérêts essentiels. Le second n'existe pas
sans les masses populaires, et cette condition est le pre-
mier obstacle à sa propre organisation.
I1 serait inconséquent, de la part de l'élite dominatrice,
de consentir à l'organisation des masses populaires oppri-
mées,'itpuisque celle-ci suppose l'union de ces masses entre
elles avèc les leaders. L'unité interne de l'élite domi-
natrice, par laquelle elle renforce et organise son pouvoir,
implique la division des masses populaires, alors que flunlon
dei leaders révolutionnaires ne se réalise que par I'union
des masses entre elles et avec eux. L'élite existe dans la
mesure de son antagonisme à l'égard des masses; les
leaders existent dans la mesure de leur communion avec
elles qui doivent pour cela être unies et non divisées.
La iituation concrète d'oppression elle-même, en intro-
duisant la dualité dans le moi de l'opprimé, en faisant de
lui un être ambigu, émotif, instable, craignant la liberté,
facilite I'action de division du dominateur, tout autant
qu'elle contrecarre I'action unificatrice indispensable à la
pratique libératrice.
- Plus encore,
la situation objective de domination est,
en elle-même, une situation qui divise. Elle commence
par diviser le moi opprimé en le maintenant dans une
Hori-
àttitude d' << adhérence > à une réalité qui lui apparaît
toute-puissante, écrasante, et elle I'aliène en attribuant les
contraintes qu'il subit à des forces extérieures. Une ga{
du moi opprimé est située à I'intérieur de la réalité à
de laquelle il-<l adhère >>, I'autre part est au-dehors, liée à
un ensemble de forces extérieures. A celles-ci il attribue
la toute-puissance de cette réalité objective contre laquelle
il ne peut rien faire. Le moi est divisé entre, d'une part,
le pasié et le présent qui sont identiques, et, d'autre part,
t67
 Y
le futur sans espoir qui, au fond, n'existe pus. Le moi
ne se voit pas < en devenir >> parce qu'il ne peut trouver,
dans ce qui s'annonce, I'avenir qu'il devrait construire en
union avec les autres.
Mais lorsqu'il devient capable de briser l' < adhérence >>,
en objectivant la rê,alitê, en émergeant, il trouve I'unité de
son moi, sujet en face de l'objet. En effet, à cet instant,
il brise également la fausse unité de son être divisé et il
devient véritablement une personne.
Si donc, pour diviser, il est nécessaire de maintenir le
moi divisé, << adhéré > à la réalité opprimante qu'il mythifie,
au
-contraire, pour unir, le premier pas est la démythifi-
cation de la rêafitê.
Si, pour maintenir divisés les opprimés, une idéologie
d'oppression est indispensable, en revanche, pour les unir,
9n ng peut se passer d'une action culturelle grâce à
laquelle ils puissent connaître le pourquoi et le cômment
de leur << adhérence >> qui fausse leur connaissance de la
réalité. Il faut dés-idéologiser.
Ainsi, I'effort en vue de I'union des opprimés ne doit
pas consister à traduire une idéologie en slogans. Car le
slogan, en faussant la relation entre l'individu et la réalité
objective, dissocie artificiellement en lui la capacité de
connaître, la capacité d'aimer et la capacité d'âgir.
L'essentiel, dans I'action dialogique-libératrice, est de ne
pas << détacher >> les opprimés d'une réalité mythique
dans laquelle ils se trouvent divisés pour les << attàchei
>>
à une. autre. L'objectif de I'action dialogique est, au
contraire, de donner aux opprimés le moyel de poser
un acte d'adhésion à la praxis véritable de transformàtion
de la réalité injuste, en découvrant le pourquoi et le com-
ment de leur << adhérence >.
Etant donné que I'union des opprimés signifie une rela-
tion de solidarité entre eux, quel que soit le niveau où se
situent ces opprimés, cette union imptique sans conteste
une conscience de classe. Mais l' << adhérence > à la situa-
tion dans laquelle se trouvent les opprimés, et en parti-
culier ceux qui constituent les grandes masses rurales
dâmérique latine, exige que la conscience de classe oppri-
mée soit pr,êcêdêe ou du moins accompagnée par
-
une prise de conscience -^
des opprimés comme individus.
Proposer à un paysan européen de considérer sa condi-
tion humaine comme un problèrne lui paraîtra sans doute
quelque peu étrange. rl n'en est pas de même avec les
168
paysans latino-américains dont le monde, généralement, se
<<termine > aux frontières du latifundium, dont les gestes
copient d'une certaine façon les attitudes des animaux
et des arbres, et qui se considèrent souvent comme égaux
à ceux-ci.
Des hommes aussi << adhérents > à la nature et à l'image
de l'oppresseur doivent devenir capables de se percevoir
comme des hommes que l'on empêche d'être. tr leur faut
comprendre que la << culturé du silence 48 )>, qui naît au
sein de la structure d'oppression, les transforme fatalement
en < quasi-choses >, et que c'est en elle et sous sa force
contraignante qu'ils vivent.
Lorsqu'ils font la découverte de leur propre personne,
grâce à un type d'action culturelle dialogique qui leur
fait prendre conscience d'eux-mêmes et de leur affron-
tement avec le monde, cela signifie, dans un premier
temps, qu'ils se désignent comme Pedro, Antonio oa
Iosepha, avec tout ce que représente cette découverte. En
fait, cela suppose une percepton de plus en plus nette de
la valeur des signes. Le monde, les hommes, la culture,
I'arbre, le travail, l'animal acquièrent une signiûcation
qu'ils ne possédaient pas jusque-là.
Les hommes comprennent alors qu'ils sont des êtres
capables de transformer cette réalité qu'ils jugeaient aupa-
ravant comme une chose mystérieuse. Ils découvrent que,
étant hommes, ils ne peuvent plus continuer à être des
<< quasi-choses >>, à être dominés, et, partant de leur
conscience d'individus opprimés, ils en viennent à une
conscience de classe opprimée.
Quand la tentative d'union des paysans se fait à I'aide
de pratiques activistes qui reposent sur des << slogans >
et n'entrent pas dans ces aspects essentiels, on peut cons-
tater qu'il se produit une juxtaposition des individus,
qui donne à leur action un caractère purement mécaniste.
L'union des opprimés est une æuvre qui se réalise au
niveau de I'homme et non au niveau des choses. Elle
s'inscrit dans une situation concrète qui ne peut être
authentiquement comprise que lorsqu'elle est appréhendee
dans le rapport dialectique qui relie I'infrastructure et la
superstructure.
Pour que les opprimés s'unissent entre eux, il faut qu'ils
coupent le cordon ombilical, de caractère magique et
48. À propos de la culture du silence, voir Paulo Fanrne,
L'Educatîon pratiqùe de Ia liberté, op. cit.
169

mythique, par lequel ils sont attachés au monde de l'op-
pression. Leur union doit être d'une autre nature que
celle de leurs relations avec ce monde-là. Pour que se
réalise I'indispensable union des opprimés, le processus
révolutionnaire doit, dès le début, être une < action cultu-
relle. >> Et la pratique de cette action culturelle devra
être adaptée à l'expérience historique et existentielle que
les opprimés ont acquise au sein de leur structure sociale.
Les paysans se trouvent dans une réalité < fermée >,
dont le centre de décision oppresseur est < singulier >>
et compact. Les opprimés urbains se trouvent dans un
contexte << en voie d'ouverture >>, où le centre de com-
mande oppresseur est plural et complexe. Les paysans
sont sous la dépendance d'un dominateur qui incarne en
sa personne le système oppresseur lui-même. Dans les
villes, les opprimés sont soumis à une sorte d' << imperson-
nalité opprimante >. Dans les deux cas, le pouvoir oppri-
mant est, d'une certaine manière, << invisible )). Dans le
premier, du fait de sa proximité par rapport aux oppri-
més; dans le second, du fait de sa dispersion.
Les formes d'action culfurelle, dans des situations aussi
diverses que celles-là, ont pourtant le même objectif :
dévoiler aux opprimés la situation objective dans laquelle
ils se trouvent, qui les relie aux oppresseurs, visibles
ou non.
Seules des formes d'action qui rejettent d'une part les
discours verbeux et les bla-bla-bla inopérants, et de I'autre
I'activisme mécaniste peuvent s'opposer à I'action divisante
des élites dominatrices et faire progresser I'union des
opprimés.
L'organisation
Alors que, dans la théorie de l'action antidialogique, la
manipulation qui est au seryice de la conquête s'impose
comme un élément indispensable de I'acte dominateur,
dans la théorie dialogique nous allons rencontrer I'opposé :
I'organisation des masses populaires.
L'organisation n'est pas seulement directement liée à
leur union, mais elle en est un prolongement naturel. En
même temps qu'ils s'efforcent d'obtenir I'union des masses
populaires, les leaders cherchent également à réaliser leur
organisation, ce qui exige que la libération soit proposée
conrme une tâche colnmune pour elles et pour eux. Le
L70
témoignage constant, humble et courageux de I'cxercico
d'une-tâche colnmune, celle de la libération des hommoc,
évite le risque des dirigismes antidialogiques. -
ôe qui f,eut varier,-en fonction des conditions ltisto'
riques d'une société donnée, est la façon de témoigncr'
Le témoignage en soi, cependant, reste une constanto
de I'action révolutionnaire.
Pour déterminer le quoi et le comment du témoignage'
ilest indispensable d'acquérir une compréhension de plus
àn plus criùque du momènt historique da,ns lequel se déve-
lopie l'action, et de la vision du monde qu'ont ou que
co-rimencent à avoir les masses populaires. Il est indispen-
.utf" *tti d'arriver à la perceptlon claire de la nature de
ia-contradiction essentielle et dè ses signes dans la société'
Le quoi et le comment du témoignage doivent être insérés
dutrr l'hittoite, et l'être dialogique, qui est aussi dialectique,
ne peut simplement les emprunter à d'autres contextes
r"or-oo" uouiyt" préalable dê son propre gilieu' Sinon, il
absolutise ce ôui êst relatif, et, en le mythifrant, il ne peut
échapper à faliénation.
^témoignage,
I-e dans la théorie de l'action dialogique'
des"coànôtations essentielles du caractère culturel
"stoo"
et pédagogique de la révolution.
É"r*i" iêt- élé*"ott constitutifs du témoignage ,qui ne
cn"ngé"t pas au long de I'histoire flgurent .la cohêrence
à"iËt" pârole et les âctes de celui qui témoigne; Yaudace
du témoignage qui conduit à affronter I'existence comme
un risquJ pelminent; la radicalisation dans I'option prise
q"i, ti coàtraire de la sectarisation, entraîne de plus en
Ëil t llaction non seulement celui qui témoigne mais
àussi celui auquel est proposé ce témoignagei le courage
â;ài*ii i"i' tôloo no"i, ie signifis pas. raccommodation
r" *o"Aè injuste, mais la trinsformation delace monde
pô* fibération croissante des hommes; loi dans
""" populaires, car c'est ,a ellgs que s'adresse ce
i", *ntt"t
léàoïgo"g",'niême si celui-ci, dans la << totalité > où
elles ie trouvent, en relation dialectique avec les élites
dominatrices, a.ffecte également ces élites et le fait réagir
r"ù" ttot fâçon habituelle qui consiste à conserver leurs
positions.
Tout témoignage authentique, et donc critique' s-uppose
te -tUiË"itde-coririr des risques, en particulier celui de ne
p"t"Àurag" d'emblée l'adhésion espéfe de la part des
ilutt"t populaires. Un témoignage qui, à un certain moment
17l
et dans certaines conditions n'a pas porté de fruits, peut
encore, demain, être fécond. Car dans la mesure où le
témoignage n'est pas un geste en l'air, mais une action,
un affrontement vis-à-vis du monde et des hommes, il
n'est pas statique. C'est quelque chose de dynamique, qui
fait partie du contexte global de la société dans laquelle
il se produit. Et dès lors il ne cesse plus d'agi1 +e.
Alors que dans I'action antidialogique la manipulation
anesthésie les masses et favorise leur conquête, dans l'ac-
tion dialogique la conquête cède la place à la véritable
organisation. Dans la première la manipulation est au
seryice de la conquête, dans I'autre le témoignage, coura-
geux et aimant, est au service de I'organisation. Celle-ci,
à son tour, n'est pas seulement liée à I'union des masses
populaires, mais elle est un prolongement naturel de
cette union.
Ainsi, nous affirmons qu'en s'efforçant de réaliser l'union,
les leaders sont également sur la voie de l'organisation
des masses populaires.
Mais il faut souligner que, selon la théorie de I'action
dialogique, I'organisation ne pourra jamais se réduire à
une juxtaposition d'individus qui, devenus grégaires, n'au-
raient que des rapports mécanistes. Il y a là un risque
dont I'homme vraiment dialogique doit rester conscient.
Pour l'élite dominatrice, I'organisation s'applique à elle-
même. En revanche, pour les leaders révolutionnaires,
I'organisation s'applique à evx avec les masses populaires.
Dans le premier cas, en s'organisant, l'élite dominatrice
structure de plus en plus son pouvoir pour mieux dominer
et << réifier >>; dans le second, I'organisation ne corres-
pond à sa nature et à son objectif que si elle est, en soi,
une pratique de la liberté. C'est dans ce sens qu'il ne
faut pas confondre la discipline indispensable à l'organi-
sation avec une << enrégimentation >> des masses. Il est
vrai que, sans leaders, sans discipline, sans ordre, sans
décisions, sans objectifs, sans tâches à accomplir ni comptes
à rendre, il n'y a pas d'organisation, et en I'absence de
celle-ci I'action révolutionnaire se dilue. Mais cela ne jus-
tifie pas pour autant la manipulation des masses popu-
laires, leur << réification >.
-19. Fll"rros évolutif, le témoiglage véritable qui n'a pâs
donné de fruits à l'origine ne trouie pas dans ce noment néga-
tif un échec absolu. Et si les bourreâux de Tiradentes ont pu
écarteler son corps, ils n'ont pas réussi à étouffer son témoi-
gnâge,
772
L'objectif de I'organisation, qui est la libération, est
oblitéré par la << réification > des masses populaires,
quand les leaders révolutionnaires les manipulent. << Réi-
fiées >, elles sont déjà soumises à I'oppression. Ce n'est
pas en tant que choses, nous lavons déjà dit et il est bon
de le répéter, que les opprimés se libèrent, mais en tant
qu'hommes.
L'organisation des masses populaires en un peuple est
le processus par lequel les leaders révolutionnaires, à qui
I'on interdit aussi de << parler 50 >, commencent à ensei-
gner à << dire >> le monde. Apprentissage authentique et
dialogique. Mais les leaders ne peuvent parler seuls, ils
doivent parler avec le peuple. Ceux qui ne procèdent pas
ainsi, qui persistent à imposer leurs décisions, n'organisent
pas le peuple, ils le manipulent. Ils ne libèrent ni les
autres ni eux-mêmes, ils oppriment.
Au cours du processus d'organisation, les leaders n'ont
pas le droit d'imposer arbitrairement leur parole, mais
cela ne signifie pas pour autant qu'ils doivent assumer
rrne position libérale qui mènerait à I'anarchie les masses
lrabituéesà I'oppression.
La théorie de I'action dialogique refuse I'autoritarisme
comme elle refuse l'anarchie. Et en même temps elle
lfllrme le primat de I'autorité et de la liberté. Elle sait
rlue si la liberté n'existe pas sans I'autorité, il ne doit
l)rs non plus y avoir d'autorité sans liberté.
La soulce de I'autorité authentique est la liberté qui,
À un certain moment, devient autorité. Toute liberté ren-
lcrme en elle-même la possibilité de devenir, dans des
t'irconstances particulières, et à des niveaux existentiels
rlivers, une autorité.
Nous ne devons pas envisager ces deux termes sépa-
r('mcnt, mais dans leurs relations, qui ne sont pas néces-
vrirement antagonistes er. La véritable autorité ne s'affirme
5ll. Un iour. dans une conversation avec I'auteur, un médecin,
,rri.r1r,io" â" tâ iàJ"tte de médecine d'une université cubaine, lui
ievotution suppose trois ( p ' : ptole,-peupte et
'i;;i;,;;-: "-r-À
,,',iiJi"- r,'exotosion de la p-o-udre, ajouta:t-il' éclaire la percep-
ll'ril iluc le ôeuole a de sa situation concrète. dans sa quête de
ltlrrrlrrilon. ,^ 1fi. Orlando Aguirro Ortiz.) Nous avons observe
u,,.,ilirt.iiêt, iendant cette cànversation, que ce que médecin révo-
lrllonutrlre insistait sur la pdrole, dans le sens nous -prc-
i;;;;" ,\";; màÏ-aàts ce livie, c'est-à-dire la parôle considérée
rr,rrrrrrr: nction et réflexion, considérée comme praxis.
-dans Ia situation
l,l. t.'nnta(onisme entre les deux apparalt
,rlrJrr'llvr: d'ôppression ou dans le cas de I'anarchie.
t73
pas conrme telle, dans un pur transfert, mais dans la lvser les caractéristiques, ne doit pas chercher
-âiJ""tique à éliminor
iË-là" pèrmanence/clangement (ce qui serait
déIégation ou dans l'adhêsion par sympathie. Si elle naît
d'un acte de transfert ou par une imposition << anti- imJàssiUle p"têe q^o oo" telle élimination entraînerait la
pathique > sur les majorités, elle dégénère en autoritarisme déôagrégatioï de fa structure sociale elle-même et' P1r
qui écrase les libertés. Toute hypertrophie de I'une pro- r"i""a"" conséquence, celle des hommes), mais elle doit
voque I'atrophie de l'auue. De même qu'il n'y a pas ; aépassèmenr des contradictions pour aboutir à la
autorité sans liberté, ni liberté sans autorité, de même "i;
*D;
libération des hommes.
il n'y a pas autoritarisme sans négation des libertés, ni il côié, I'action culturelle antidialogique cherche à
anarchie sans négation de I'autorité. *ythifi;i ces éontradictions pour. p-ouvoir ainsi éviter ou
Dans la théorie de I'action dialogique, par conséquent, faire obstacle autant que posiible à la transformation radi-
I'organisation suppose une autorité, mais elle ne doit lî" a" i" ie"nté. Bn iait, l'intention explicite ou implicite
pas être autoritaire; elle suppose la liberté, mais elle ne àË-f""tiô" antidialogique est de faire -durer, dans ses la
doit pas être anarchique. Au contraire, Cest un moment .i- .t*"t*" > socialé, les situations qui favorisent
hautement pédagogique où les leaders et le peuple font adeotes. Ceux'ci. n'acceptant jamais la transformation de
ensemble I'apprentissage de l'autorité et de la liberté véri- io it*"t*" pour éliminer les contradictions, admettent
tables qu'ils cherchent, ensemble, à instaurer au moyen rËuf"m""t les iéformes qui ne touchent pas à leur pouvoir
d'une transformation de la réalité. J"-àË"itio", à leur pouvoir d'imposer leurs finalités aux
leur genre d'ac-
;"rJ A;inées. Ceit pour ce rnotif quepopulaires'
lio" .uo"tit à la conquete des masses à leur
La synthèse culturelle âi"iti",-i levnnanipulation et à l'.iivasion culturelle'
Aussi est-elle toujours une action qui impose' sans liunars
Dans les pages qui précèdent, il est dit, explicitement perdre ce caractère fondamental.
ou implicitement, que toute action culturelle est toujours ' En revanche, ce qui caractérise essentiellement l'action
une forme d'action systématique et délibérée qui s'exerce Ai"to'giqo", dans son ensemble, est l'absence de
sur la structure sociale, soit pour la maintenir comme elle "Jt*"ff"
toute espèce d'imPosition.
est, ou presque comme elle est, soit pour la transformer. -
Considérée comme forme d'action délibérée et systéma-
i,oUjË"tit dornlnateur de l,action culturelle antidialo-
tique, toute action culturelle, nous l'avons vu, relève d'une
giq""-iù*pe"n" A" perdre son caractère impératif' tandis
ËJ" i,oUi*tif fibératéur âe liacrion culrurelle dialogique lui
théorie qui, en déterminant ses buts, définit ses méthodes. dépasser l'autoritarisme.
L'action culturelle est au service de la domination, que '-Àorc âe
Ëermet
qo" àuo. finvasion culturelle, cofilme nous lavons
ses agents en soient conscients ou non, ou bien elle est au
service de la libération des hommes. Dans les deux cas, aéle souûené' les acteurs empruntent à leur échelle de
dialectiquement contraires, elle s'applique dans et sur la ;;*;;; t leur idéologie 1ê thème de leurdans action et
structure sociale qui se constitue dans la relation dialec- t* G* ioilt"tt
iËiîJ"pp"i contraire, dans là synthèse culturelle'celui
pour pénétrer
les
tique permanence lchangement. En effet, la structure àes envanis, au
sociale doit évoluer pour pouvoir subsister, ou, en d'autres acteurs, au moment où ils atteignent l'univers Populaile'
;;;;ttt;"i;t fiot "o-*" deJ envahisseurs' Bien qu'ils
termes, l'évolution est pour la structure sociale le moyen ils viennent pour découvrir
de < durer >, dans I'acception bergsonienne du terme s2. arrivent de 1' << autre bôrd >,
i" *ooa" avec le peuple et non pour <peuple' enseigner ))' trans-
L'action culturelle dialogique, dont nous venons d'ana-
mettre ou donner quoi que ce sort au
^--Èu"t
n""u.io" iott*Ëtt", les acteurs, qui d'ailleurs n'ont
512. Eu réalité, ce qui fait gue la structure est une structure put uËtù" caller personneilement jusqu'àu monde envahi'
sociale et donc historico-culturtlle n'est ni la Dermanence ni le
changement pris en valeur-absolue, mais le jeu--dialectique entrc
'"* f"* action s'ef,ectue de plus en-plus par I'intermédiaire
qur
ces deux termes. En demière analyse, ce qui demeure-dans Ia d instruments technologiques, sont toujours des acteurs
structure sociale n'est ni la permairence nl-le dhangement, mais se superposent orr* tpË"iut"ots, leurs objets' En revanche'
la durée.
r75
L74
 dans la syrrthèse culturelle, les acteurs s,associent avec les n'y a pas de créativité authentique. C'est pourquoi ceux
hommes du peuple, eux aussi acteurs, dans I'intervention qui sont envahis, quel que soit leur niveau, s'écartent
qu'ensemble ils opèrent sur le monde. rarement des modèles qui leur sont imposés par les
Dans l'invasion culturelle, les spectateurs et la situation envahisseurs.
qui doit être maintenue en l'état iont I'objet de fintervèn_ Au contraire, dans la synthèse culturelle, comme il n'y
tion des acteurs. Dans la synthèse cutturËlle,
"t qu'il;,t;
plus de spectateurs, c'est seulement la situation,
il a ni envahisseurs ni modèles imposés, les acteurs, en fai-
faut sant de la réalité I'objet de leur analyse critique, jamais
t{aryIormer pour la libération des hommes, q,ri i"bj;; isolée de l'action, s'insèrent dans le processus historique en
de I'intervention des acteurs. "ii tant que sujets. Au lieu d'employer des schémas imposés,
Cela sig+ifie que la synthèse culturelle est le type d'action les leaders et le peuple, unis, créent ensemble leur pro-
avec laquelle, culturellement, on affrontera la -force de la grarnme d'action. Ensemble, ils renaissent en quelque sorte
culture elle-même, pour autant qu,elle cherche à maintenir dans un nouveau savoir et une nouvelle action qui ne sont
Ies structures qui I'ont formée. Ainsi ce mode d'action cul- pas seulement le savoir et I'action des leaders, mais aussi
turelle, action.historie-ue,_ se présente comme te moyèn Oe ceux du peuple. C'est la connaissance de la culture aliénée
dépasser Ia culture aliénée et aliénante. qui entraîne I'action transformatrice et donne naissance à
C'est dans ce sens que toute révolution, si elle est une culture désaliénée. Le savoir plus évolué des leaders se
authentique, doit être auisi une révolution cutturett". rénove dans la connaissance empirique du peuple, tandis
. L'investigation des << thèmes-générateurs > ou de la que celle-ci s'élargit grâce au savoir des leaders.
spécifique peuple, àue"
l:Tllin""
mrer le recensement de -du objectii pre_
"o-*" Oont Tout cela signifie que, dans la synthèse culturelle, et en
naissance.est indispensable
ses thèmes essentiels, h ôon- elle seulement, se résout la contradiction entre la vision du
-pour.
organisei lui un piô- monde des leaders et celle du peuple, dans un enrichisse-
grarnme d'action, doit être lè "uL"
point de départ de I'actioi de ment mutuel. La synthèse culturelle ne méconnaît pas les
synthèse culturelle. C'est poirrquoi il à'est pas possible différences entre ces deux points de vue, au contraire elle
d'isoler les deux moments dè ce irocessus : cetùi de-l,inves- s'appuie sur ces différences. Ce qu'elle refuse, c'est I'inva-
tigation des thèmes et celui de l,action a, ,yiitài" sion de l'un par l'autre. Ce qu'elle met en relief, c'est
culturelle. I'apport indiscutable de I'une à I'autre.
Une telle dichotomie que, dans un premier Les leaders révolutionnaires ne peuvent pas délibéré-
te.mps, -impliquerait
le peuple serait étudié,-analysél examiné ment se placer en dehors du peuple, car cela les conduirait
objet passif. ga5 l9s chercheurs, cé qui ési- i" "oô-"
propr" ""ae inéluctablement à finvasion culturelle. Même lorsque les
I'action antidialogique. Alors cette iéparation ^artificielle leaders, dans I'hypothèse dont nous avons parlé au début
slgnfierait que l'action de synthèse culturelle partirait d,une de ce chapitre, deviennent, du fait de certaines conditions
action d'invasion. historiques, une contradiction pour le peuple, leur rôle est
Selon la théorie dialogique, précisément, cette division de résoudre cette contradiction accidentelle. Jamais ils ne
ne peut exister, et la recheréhe dès thèmes eit effectuée non pourront y parvenir par l' << invasion > qui accroîtrait la
seulement par les chercheurs.professionnels, p* contradiction. Il n'y a pas d'autre voie que la synthèse
du.peuplleux-mêmes qui ;itlo;*t -"i,teur,"rri
proiie
l.t:,PTT.:
umvers- thématique. Dans ce premier moment de liaction
culturelle.
Les leaders s'exposent à bien des erreurs et à bien des
de synthèse cglurelle qu'est l,investigation se forme un cli_
équivoques s'ils ne tiennent pas compte de cette réalité
T"t, j". créativité eli n9 disparaîtra plus, et qui tendra à
se_developper dans les étapes suivantes de l,aciion.
qu'est la vision du monde que le peuple a ou est en train
d'acquérir. Dans cette vision du monde, on peut trouver,
Un tel climat est absent dans t,invasion èulturelle qui, implicites ou explicites, ses désirs, ses doutes, ses espé-
alié.nante, étouffe l'élan créatif des êtres-envahis, et, tànt
rances, sa façon de considérer les leaders, sa perception de
gfilt,l: se révoltent-pas_ contre elle, les laisse désespérés. lui-même et de l'oppresseur, ses croyances religieuses
lls hésitent à courir le risque de I'inconnu, sans lequel il presque toujours syncrétiques, son fatalisme, sa réaction
176 777

de révolte. Et tout cela, nous favons vu' ne peut être pris
en compte séparément, car il s'agit d'éléments qui r9a-
gissent làs unstsur les autres, en composant une << totalité >>'
La connaissance de cette totalité n'intéresse I'oppresseur
qu'à titre d'instrument pour son- action d'inrrasion, pour
dô-io"t ou maintenir sJdomination. Au contraire, elle est
indispensable aux leaders révolutionnaires pour leur action
- synthèse culturelle.
de
du fait qu'il
S;i; b théorie de faction dialogique,
.'"!ii C,rn" synthèse, il ne faudrait pas- que les objectifs
àe"i;action révolutionnaire restent limités aux aspirations
q""-i" p*pte retire de sa vision du monde' S'il en était
ii*i, .i, nom du respect envers le peuple,- resp^ect bien
à.t"iA" nécessaire, lei leaders révolutionnaires finiraient
pui r"""pt"t passivement cette vision du monde' Or, s'il
iuot i"t*"t l'^invasion des leaders dans funivers populaire'
it fuot aussi refuser I'adaptation des leaders aux aspira-
tions, souvent frustes, du PeuPle.
---piËnons
un exemple. Si, â un moment historique donné'
faspfation essentielle du peuple se limite à une revendi-
cation salariale, les leaders peuvent, selon nous, commettre
OÀuxlrreurs : restreindre leur action à un simple soutien
de cette revendication, ou déborder cette aspiration en pro'
por""t quelque chose qui soit au-delà. Quelque chose qui
n'ait pas encore été << aperçu > par le peuple'
Dans le premier cas, les leaders révolutionnaires tom-
beraient dans ce que nous appelons ladaptation ou la sou'
mission aux aspiràtions populaires. Dans - le second, sans
respecter les aspirations du peuple, ils en viendraient à pra-
tiquer une invasion culturelle.
la synthèse' D'une qart
La solution se trouve dans
s'incorporer au peuple dans son aspiration-revendicative'
O'u"ltà part, lui fairi prendre consciènce de-la signification
de sa prôpre revendication. De cette façoq' -l-e peuple pren-
dra co-nscience de sa situation historique réelle, comme une
totalité dont la revendication salariale ne concerne qu'un
urpèèt. Alors il sera clair que. la revendication salariale'
,"irl", o" représente pas la solution définitive. Il apparaîtra'
;;fu le disait Nagi SpUt dans le document déjà cité des
évêques du tiers inonàe, que << si les tr. availleurs ne
deviànnent pas, d'une certaine façon, propriétaires de leur
travail, toutês les réformes de structure seront inefficaces >"'
< i;essentiel, insistait févêque, est qu'ils doivent parvenir
à être propriétaire et non vendeurs de leur travail > parce
778
-l
que << tout achat ou vente de travail est une sorte
d'esclavage >.
Avoir conscience qu'ils doivent devenir propriétaires de
leur travail et que << la personne humaine ne peut être ven-
due ni se vendre >>, c'est faire un pas au-delà des solutions
palliatives et trompeuses. C'est s'inscrire dans une action de
véritable transformation de la réalité pour la rendre plus
humaine et humaniser les hommes,
En définitive, l'invasion culturelle dans la théorie anti-
dialogique est au service de la manipulation. Celle-ci, à
son tour, est au service de la conquête qui favorise la
domination, alors que la synthèse culturelle est au service
de lorganisation qui favorise la libération.
Tout notre effort, au long de cet essai, visait à insister
sur cette évidence : de même que l'oppresseur, pour oppri-
mer, a besoin d'une philqsephie de I'action opprimante, de
même les opprimés, pour se libérer, ont aussi besoin d'une
philosophie de leur action. L'oppresseur élabore la philo-
sophie de son action sans le peuple puisque celle-ci est diri-
gée contre lui. Le peuple, pour sa part, tant qu'il est écrasé
et opprimé, et qu il intériorise I'oppresseur, ne peut bâtir
seul la théorie de son action libératrice. C'est seulement
dans sa rencontre avec le leader révolutionnaire, dans la
communion, dans la praxis solidaire, que cette théorie peut
s'élaborer.
La formulation du problème de la pédagogie des oppri-
més que nous avons tentée, d'une manière approchée et
comme introductive, nous a amenés à analyser, dans leurs
grandes lignes, la théorie de I'action antidialogique, au
service de I'oppression, et la théorie de I'action dialogique,
au seryice de la libération.
Nous serions heureux si des lecteurs éventuels de cet
ouvrage émettaient des critiques visant à rectifier des
erreurs ou des imprécisions, à approfondir les idées expri-
mées et à signaler ce qui nous a échappé. Il est possible
que certaines critiques seront faites en voulant nous enlever
le droit de parler d'un zujet (le thème de ce chapitre) dont
nous n'avons pas une expérience vécue. Il nous semble
cependant que le fait de ne pas avoir d'expérience en
matière de révolution ne nous enlève pas la possibilité
de réfléchir sur ce thème. En effet, dans I'expérience limi-
tée que nous avons eue avec les masses populaires, colnme
éducateur d'une éducation dialogique et conscientisante,
r79
nous avons accumulé des matériaux assez riches qui nous
ont poussé à courir le risque d'écrire cet ouvrage.
Si rien ne devait rester de ces pages, nous espérons qu'au
moins zubsistera notre contance dans le peuple. Notre foi
dans les hommes et dans la création d'un monde où il
soit moins diffcile d'aimer.

Conscientisation
et révolution

180
 -
Conscientisation et révolution
Eclaircissements nécessaires
IJne conversation avec Paulo Frcire

On accepte de plus en plus ta pensée aux Etals'

- en Europe et ei Amérique latine. Pourtant d'Amé'
(Jnis,
iiqii,é tottr", iustement, qui a -été ton point de dép.art
ti1ortqr" ei pratique, ii"Àn"nt les critiques les plus sévè-
res à-ton égard. Elles se fondent sur deux points : pre'
mièrement,bn te reproche dlavoir perdu le contact avec
la réalité latino-américaine ; d.euxièmement, on t'accuse
d'idéalisme er de réformisme. Qu'en dis-tu?
Tout d'abord, je voudrais souligner que, d'habitude'
j" -pt."àt u" sèrierix les critiques- sPt Pe sont adressées ;
celui qui se sent
;?;;; à'"il"r, je ne prends pas I'a1r dequelques-unes
attaqué ou offensé- Tôutefois, il y en a qul'
A" âit de leur mànque de consistance, ne méritent guère
à;atiàntion. Je ne vôis pas, Par exemple, pourquoi me
oréoccuoer de I'accusation d'avoir brisé mon engagement
èou.rr î'A-érique latine en acceptant d'être profes.seur
i"riæ a i""iu"ttité de Harvard... Én revanche, je m'inté-
resse vivement aux critiques de fond adressées au contenu
même de ma pensée pédagogique et politique qui ge
-réformiste.
air*t iaeunste,^ subjecîivisté, Il me semble
néanmoins que'ceur qui me classent de cette façon,- en
qu'on peut relever dans
certàins de mes travaux
-- naïfs
s;appuyant siu d.s pasiages
et qui sont aujourd'hui objet
de ma propre critique devraient essayer- de suiwe les
ètup"t à" inon évoÎution. - Dans mes premières études, à
côtè de naïvetés, il y a aussi des positions critiq,ues,.et
d'ailleurs, je ne nourris pas l'illusion peu modeste d'attein-
dre un esfrit critique absolu. Il me semble que..1'essen-
tiel, c'est âe voir lequel des deux aspets le naif ou le
critique est en train de s'imposer_au -fur et à mesure
-
que Èe développe ma praxis et ma réflexion.
*. Cet entretien de Paulo Freire avec un groupe de militants
de I'Institut d'action 19rculturelle
*.
a été publié dans f. D' A. c.,
document 1, Genève,

183
 Il nous semble quand même que I'accusation d'idéa-
- repose sur une base réelle, si I'on pense à l'expé-
Iisme
rience historique du mouvement de conscientisation de
rnasse qui a eu lieu au Brésil dans les années 62 à 64. A
ce moment-là, la politisation extrêmement rapide de
larges couches populaires, obtenue grâce au programme
d'alphabétisation, n'a pas suffi à opposer une résistance
valable au coup d'Etat militaire qui a balayé les espoirs
éveillés chez les paysans et les sous-prolétaires urbains par
cette prise de conscience. Si nous sommes diaccord que
la prise de conscience d.'une situation d'oppression ne suf-
fit pas pour changer cette réalité, il aurait fallu, dans
I'expértence brésilienne, développer dès Ie début toute une
politique d'organisation des masses populaires, avec une
stratégie propre à orienter leur action de translorrnation
sociale et politique.
En effet, un des points les plus faibles de mon tra-
- sur lequel je fais mon autocritique, se réfère à ce
vail,
qu'est le processus de conscientisation. Dans la mesuf,e
où, surtout dans mes premiers travaux théoriques, je n'ai
fait aucune référence, ou presque, au caractère politique
de l'éducation et où j'ai négligé le problème des classes
sociales et de leur lutte, j'ai ouvert le chemin à toutes
sortes d'interprétations et de pratiques réactionnaires qui
constituent autant de distorsions de ce que la conscienti-
sation doit vraiment être. Cependant, j'ai été maintes fois
critiqué non sur le manque de clarté dans l'analyse et les
bases théoriques de la conscientisation. Bien au contraire,
beaucoup de ces critiques révèlent la position objectiviste
mécaniciste, par la même antidialectique, de ceux qui les
formulent. Mécanicistes, niant la réalité même de la
conscience, ils refusent par voie de conséquence la cons-
cientisation. Je veux donc redire que, tout en cherchant à
dépasser mes constantcs faiblesses, je ne vois aucune rai-
son pour refuser le rôle de la conscientisation dans Ie
processus révolutionnaire.
Nous sommes d'accord avec toi : souvent ces crî-
- ont été inspirées par ce que tu appelles des posi-
tiques
tions mécanicistes et objectivistes. Pourtant, Marx a bien
souligné que la situation révolutionnaire implique non
lr seulement des facteurs obiectifs (I'existence d'une réalité
d'oppression imposée à des classes ou groupes socîaux qui
I
deviennent la < négation vivante > de ce système exploi-
teur), mais aussi des lacteurs subjectifs (la conscîence de
r84
cette réalité d'oppression de la part des classes exploitées
et leur d.isposition dagir pour renverset cet otdre établi).
Or, les d.ernières années ont été rnarquées ou pttr une
sorte d'éclipse du pôIe subjectif d.e cette relation dialec-
tique (avec la croyance que I'action révolutionnaire ne
deviendrait possible qu'après l'avènement intégral de cer-
taines conditions infrastructurelles : par exemple, Ie plein
dé-veloppement du capitalisme dans-les pays-dé la'péri-
phérie comme condition préalable à la irinsition vers le
socialisme), ou par une sorte de perversion de l,élément
subjectif, soit par le volontarisme stalinien, soit par une
surestimation de Ia capacité Xaction de petits
-gtoupes
d'avant-garde- goupés des masses dans le i yogrir^"' ,,.
\outefois, l'échec historique de I'objectivismè ât d.e ces
d-e-ux déuiations subiectivlstes
ont rLposé, au centre du
débat politique contemporain, la probîémaîique du lacteir
subiectif comme ogrnt de iraniformatio,i'à" h'réalité.
Comment, à ton avis, se pose ce problème ?
Cette question nous place au cæur même d'un des
-
problèmes fondamentaux qu1 a toujours préoccupé la philo-
lophie, en particulier moderne. Je- me rGfère àia quèstion
des relations entre slrjet et objet ; conscience et iéalité;
pensée e-t être; théorie et pratique. Tout essai pour
comprendre ces relations qui se bàsent sur le duaûsme
sujet-_objet, e! niant lew inité dialectique, est incapable
d'expliquer, de façon satisfaisante, ces relations. En bri-
sant-.|'unité dialectique sujet-objet, la vision dualiste
implique la négation soit de 1'obje-ctivité, en la soumettant
aux pouvoirs d'une conscience qui la créerait selon son
bon plaisir, soit de la Éalité. de la conscience, transfor-
mée alors en une simple copie de I'objectivité. Dans ta
première
lypothèse, nous torichons à I'eireur subjectiùste
ou,psychologiste, expression d,un idéalisme antidiâlectique
préhégélien; dans la deuxième, nous avons affaire^ à
I'objectivisme mécaniciste, également antidialectique.
yrai dire, la conscience n'est pas que la copie de la
_ {,
ï,éal!té, et celle-ci n'est pas que la ionstruction capricieuse
de la conscience. Ce n'est que par la compréheision de
l'unité dialectique dans laquèlle le trouvent^solidairement
-subjectivité -et objectivité que nous pouvons échapper à
I'erreur subjectiviste, aussi bien qu'à-l,erreur mécaniciste
et, alors, nous rendre compte du iôte de la conscience ou
de l' < être conscient > dans la transformation de la réalité.
Comment expliquer, par exemple, en termes subjecti-
185
vistes,la position des êtres humains, en tant qu'indivijlus'
sénérâtion ou classe sociale, face à des situations histo-
ïiq-".s Oo""Ces, dans lesquelles ils, <- entrenf > -indépen-
darnment de léur conscience ou de leur volonté ? Com-
ment expliquer, d'autre part, le Tême problème d'un point
de vue iréianiôiste ? Si la conscience créait arbitrairement
la rê:alitê, une génération ou une classe sociale pourrait,
en refusint teilé situation qu'elle commence à viwe, la
transformer par un simple geste significatif.- Par contre'
.i-i"-"à"ii.irce n'était qu'ui simpÉ reflet de la réalitê,
la situation donnée resterâit éternellement la situation don-
née, < sujet > déterminant de soi-même, dont les êtres
n.rÉui"t ne seraient que des objets dociles' En d'autres
t"Ë;t; la situation donnée se changerait en soi' Cela
ertité mythi-
i-pfiqir"i"it d'admettre I'histoire comme une
àîË--Ë*téti.*e et supérieure aux êtres humains, capable
dÀ i.r .o-*ander capricieusement du dehors et d'en haut'
Ie rappelle maintenant ce qu'a dit Marx dans la Sainte
Famille :
< L'Histoire ne fait rien, ne possède point d'immense
richessi ne libère aucune classe- de ces luttes. Celui^ qui
iuiito"i cela, qui possède et lutte, c'est llhomme lui-même,
^vivànt ce n'est pas l'Histoire qui utilise
f no--" réei, ; transformation des consciences, laissant toutefois intactes
l'homme comme un moyen pour atteindre ses buts'
s'il s'agissait d'un êtrè à part car I'Histoire
--ô*t"" -,
n'est que I'activité-de I'homme qui pôursuit ses objectifs- >
En effet, quand nous sommes confrontés à lne'situation
tlonnée dans laquelle nous < entrons > indépendamment
àè conscieiCe, nous y trouvons la corldition concrète
oui"ott"
nous Dose un défi. La situation donnée, en tant ,que
;itr"ti,"" p-rôttématique, implique ce que j'ai-nommé dans
à"t"i.t livre : Pédagoiie âet opprimés, l'inédit viable,
"ro"
;tJ-t-dit" le futur à ionstruire' L'accomplissement de
ftiàait-uioUtr, qui demande le dépassement de la situation
à;-bi;""t; I constituée !'ar la-condition- concrète cons-dans
laquelle ious vivons indépendamment de notre
.iàT". no se vérifie, toutèfois, que dans la praxis' Cela
- il faut le souligner, què les êtres humains ne
uè"t ait",
défassent pas la situation conèrète, la condition dans
la<iuelle ils ie trouvent, uniquement par leur conscience ou
iËJit Lt*tiôrrs, bon^nes soient-elles. La possibilité
"utti
oue i'ai eue de iranscender les étroites limites d'une cellule
,i" f ,ZO mètre de long sur 60 centimètrer de large, dans
Uquéil" je fus enferrÀé après le coup d'Etat brésilien du
186
L* avril 1964, n'était pas sufûsante Pour changer ma
condition de prisonnier. J'étais toujours dans la cellule,
privé de liberté, même si je pouvais imaginer le monde
du dehors. Mais, d'autre part, la praxis n'est pas I'action
aveugle, dépourvue d'intention ou de tnalité. C'est action
et réflexion.
Les hommes et les femmes sont des êtres humains
parce qu'ils se sont constitués historiquement comme des
êtres dé la praxis et, dans ce processus, ils sont devenus
capables de transformer le monde, en -lui donnant une
signification. C'est seulement en tant qu'êtres de la praxis,
en assumant la situation concrète où nous nous trouvons,
coûrme condition qui pose un défi, que nous sommes
capables de changer sa signiûcation par notre action. C'est
pour cela qu'une praxis véritable est impossible dans le
vide antidialectique auquel conduit toute dichotomie sujet-
objet. Voilà la raison pour laquelle subjectivisme et objec-
tivisme mécaniciste sont toujours des obstacles à un pro-
cessus révolutionnaire authentique, et peu importe les
formes concrètes qu'ils revêtent dans la praxis. Dans ce
sens, le subjectivisme qui, en s'épuisant dans la simple
dénonciation verbale des injustices sociales, prêche la
les structures de la société, est aussi négatif que le méca-
nicisme volontariste qui, méprisant la rigoureuse et perma-
nente analyse scientitque de la réalité objective, se fait
également subjectiviste dans la mesure où il < agit > sur
une réalité inventée.
C'est précispment cet objectivisme mécaniciste qui
découwe l' < idéalisme ) ou le < réformisme > dans toute
référence au rôle de la subjectivité dans le processus
révolutionnaire. Au fond, ces expressions, quoique diffé-
rentes, relèvent d'une même < source > idéologique la
petite-bourgeoisie. -
L'objectivisme mécaniciste est une distorsion grossière
de la position marxiste, en ce qui concerne la question
fondamentale des rapports sujet-objet. Pour Marx, ces
relations sont contradictoires et dynamiques. Sujet et
objet ne se trouvent pas en dichotomie, et ils ne consti-
tuent pas non plus une identité, mais une unité dialec-
tique. La même dialectique où se trouvent théorie et
pratique.
Crois-tu que Ia prise de conscience d'une situation
-
d'exploitation puisse se faire dans ce que tu appelles Ie
187

< contexte théorique >, comrne les < cercles de culture >
de I'expérience brésilienne, où un groupe d'e paysans anal-
phabètes, en rnême temps qu'il apprenait à lire un code
linguistique, procédait à un d.échiffrement de Ia réalité
socîo-historique, en se rendant compte que son analpha'
bétisme n'était qu'un aspect de tout un processus texploi'
tation éconotnique et socîal auquel il était soumis ? Ou
bien, crois-tu que cette prtse de conscience, cet tppren-
tissage à lire et à écrire sa propre réalité n'est possîble que
dans et par la pratique transformatrice de cette réalitê
d'oppression ?
La réponse à cette question requiert quelques consi-
-
dérations préliminaires. Essayons d'abord de voir en quoi
consiste le < contexte théorique >. Notre point de départ
est la constatation que ni le subjectivisme, d'un côté, ni
I'objectivisme mécaniciste, de l'autre, ne sont capables
d'expliquer correctement ce problème qui, ari fond,. est
semblable à celui auquel nous venons de nous référer.
Et ils n'en sont pas capables parce que, dissociant et
opposant le sujet de l'objet, ils dissocient et opposent
automatiquement la pratique et la théorie, brisant ainsi
I'unité dialectique déjà mentionnée. Coupée de la pratique,
la théorie deviènt simple verbalisme ; séparée de la théo-
rie, la pratique n'est qu'activisme aveugle. C'est pour cela
qu'il n'y a pas de praxis authentique en dehors de I'unité
dialectique action-réflexion, pratique-théorie. De même, il
n'y a pas de < contexte théorique > véritable si ce n'est en
unité dialectique avec le contexte concret. Dans ce
contexte où les faits se produisent, nous nous trouvons
enveloppés, < trempés > par le réel, mais sans nécessaire-
ment nous rendre compte de la raison d'être des faits,
eux-mêmes, de façon ciitique. Dans le < contexte théo-
rique >, en prenant de la distance à l'égard du concret,
norrs cherêhons la raison d'être des faits.
Dans le contexte concret, nous sommes sujets et objets
en relation dialectique avec l'objet; dans le contexte théo'
rique nous jouons le rôle de sujets de la relation sujet-
objet qui a lieu dans le contexte concret pour, en reve-
nant à celui-ci, agir mieux, comme sujets par rapport à
un objet.
non la séparation
Ces moments constituent I'unité
entre la pratique et la théorie; - entre I'action et -la
réflexion. loutêfois, ces moments ne pouvant vraiment
exister qu'en tant qu'unité et en tant que processus, celui
188
-l
qui, à un moment donné, est le point de départ, non
seulement exige I'autre, mais le contient déjà. Pour cette
raison, la réflexion n'est légitime que lorsqu'elle nous
renvoie, -co-mme le souligne Sartre, au concret, qu'elle
cherche à éclairer, rendant ainsi plus efficace notre àction
sur eux. En mettant la lumière sur une action accomplie
ou en train d'être accomplie, la réflexion authentique
clarifie, en même temps, I'action à venir qui constitue sbn
test et gd, à son tour, doit s'ouwir à une nouvelle
réflexion. Il n'y a pas d'autre attitude pour ceux qui par-
d'un contexte théorique, en tant que sujetl cher-
ti_cipenl
chant à dépasser les différents niveaux d'opinion ôonstitués
dans les rapports noués dans le contexte concret. Peu
importe que, à I'un des pôles de la relatioa de connais-
sance, se trouvent des ouwiers de la campagne ou de la
ville ou des étudiants : I'effort de démystifiiation de la
réalité doit être le même.
En face de toutes ces considérations, il me semble
clair que les paysans analphabètes n'ont pas besoin du
contexte théorique dsns notre cas, au Brésil, les
< cercles de culture -> pour prendre conscience de leur
-
situation objective d'oBprimés. Cette prise de conscience
s'effectue dans le contexte concret. C'est à travers leur
expérience quotidienne, véritablement dramatique, qu'ils
prennent conscience de leur condition. Mais ce que leur
prise de conscience, faite dans le bain quotidien ne leur
donne pas, c'est la raison d'être de leur proprq condition
d'exploités. C'est là une des tâches centrales que nous
devons accomplir dans le contexte théorique. En revan-
che, précisément parce que la conscience nè se transforme
que dans la praxis, le contexte théorique ne peut pas se
rÉduire à un centre d'études < non engâgé u. ie cercle de
culture doit trouver les voies, que chaque réalité locale
indiquera, à travers lesquelles il se prôlongera en tant
que centre d'action politique. Si une transformation radi-
cale des structures de la société, qui expliquent la situation
objective dans laquelle se trouvent les pâysans, n'est pas
9pérée, ils resterônt les mêmes, exploités de' la même
façon, et peu importe que certains d'éntre eux aient réussi
à connaître la raison d'être de leur propre réalité. A vrai
dire, dévoiler la rêalité, sans orientation vers une action
politique claire et nette n'a tout simplement, pas de
sens.
Certes, cette connaissance, force de transformation,
189
n'est pas Possible dans le cadre du quotidien' C'est uni-
de la théÔrie, de
;".*ilt àans I'unité de la praxis elpouvons
dépasser le
i;;ti;; et de la réflexion, que nous qu'expressio-n
aliénant du quotidien, en tant de
"ur*tÙtt
uotie tuçoo spontanée de nous mouvoir dans le monde ou
comme iet,tttàt d'une action rendue mécanique ou bureau-
;;;tiq"". ô;ot "tt deux expressions de la-quotidienneté,
;;;'; térrtiitroot pas à aôquérir une cotnàissance irré-
ductible des faits, dont nous nous rendons à peine compte'
D'où la nécessité, d'une part, de dépasser la simplg per-
ceotion des faits. en cherchant non seulement à saisir leur
interdépendance, mais aussi ce qui constitue la totalité de
ino"r*^; d'auffé part, la néceslité d'établir un contrôle
permanent de notre activité pensante.
Voilà, en dernière analyse, le mouvement dialectique,
incompiéhensible du point de vue du subjectivisme aussi
bien {ue de la perspèctive de l'objectivisme mécaniciste,
qui sipose comàe iréalable fondamental à tout effort de
cbnnaisiance des faits. Ce mouvement implique en Pre-
mier lieu que le sujet agissant possède les instruments
théoriques riécessaires pouf entreprendre la reconnaissance
de la réatité, puis qull saisisse la nécessité de réadapter
en permanence ces rnstruments en fonction des résultats
obtênus. Je veux dire par là que les résultats de I'acte de
connaissance du sujet- doiveni constituer les normes de
jugement de son propre comportement cognitif.
Si nous comprenons bien, I'engagernent politique du
- est pàur toî une condition essentielle de la
scientilique
< scientificité > de son savoir. De même, une science apo-
Iitique ne serait qu'un < faux savoir > ?
Tout chercheur véritable sait que la prétendue neu-
- de la science, d'où découlent la non moins fameuse
tralité
iÀpartiatité du scientifique et sa criminell-e indiftérence à
I'utilisation de ses décôuvertes, n'est qu'un des mythes
nécessaires aux classes dominantes. Vigilant et critique,
il ne doit pas confondre le souci de vérité, qui carac-
térise tout iffort scientifque sérieux' avec ce mytle de
neutralité. Par contre, en èherchant à connaître la rêalitê,
le chercheur ne peut prétendre la < domestiquer >. Ce
qu'il veut, c'est Îa véiité Oe la têalité, non la soumis-
sion de celle-ci à sa vérité à lui. Nous ne pouvons pas
réoondre au mythe de la neutralité de la science et de
i'ii"oartiafite du scientifique avec la mystification de la
loérité, mais avec le respect de cette vérité. En effet, dans
190
le moment même où on se laisse séduire par cette falsi-
fication de la réalité, on cesse d'être critique et l'action qui
résulte d'une telle connaissance < fausse > n'aura pas de
succès. Critique et engagê, le chercheur doit être rigou-
reux, cs qui ne veut pas dire que son analyse doit tendre
à dessiner un profil achevé ou définitif de la réalité socia-
le : celle-ci est, par nature, en devenir.
Cette attitude vigilante caractérise le chercheur criti-
que, celui qui ne se satisfait pas d'apparences. Il sait bien
que la connaissance n'est pas quelque chose de donné,
de fini : c'est un processus social, qui exige I'action trans-
formatrice des êtres humains sur le monde. A cause de
cela, il ne peut accepter que la quête de connaissance
s'épuise dans la simple narration de la réalité, moins
encore, ce qui serait pire, qu'elle soit proclamation que
ce qui existe doit être ce qui doit exister. Bien au
contraire, il veut transformer la rêalitê, afin que ce qui
est en train d'avoir lieu d'une certaine façon commence
à se passer d'une façon différente.
- Si I'on
contexte
consîdère, les masses au seul niveau de leur
concret, sans leur donner la possibilité taccéder
à une vision critïque de ce contexte, ces tmsses seront-
elles nécessairement condamnées à une option réformiste ?
Dans la mesure où I'on ne se rend pas compte de
- dialeçfique subjectivité-objectivité, on ne peut
l'unité
comprendre ce fait tellement évident : la façon d'être
des classes dominées ne peut pas être comprise en elle-
même, elle doit être envisagée dans leur rapport dialec-
tique avec les classes dominantes. En procédant de cette
façon, on attribue la tendance des classes dominées à
opter pour des solutions réformistes à une sorte d'incapa-
cité naturelle.
En effet, les classes dominées deviennent réformistes
du fait de la situation concrète où elles se trouvent. Plon-
gées dans I'aliénation du quotidien, elles ne parviennent
pas à atteindre spontanément Ia conscience de soi, en
tant que < classe pour soi >,
Ne peut-on pas penser que cette tâche incombe pré-
-
cisément au parti révolutionnaire ?
En dernière analyse, une des tâches fondamentales
du- parti révolutionnaire est bien en effet de s'engager
dans la recherche de l'organisation consciente des classes
opprimées pour que, dépassant le stade de < classe en
soi > elles deviennent < classes pour soi >. Un des aspects
t9l
fondamentaux de cette tâche consiste dans le fait que les
rapports entre le parti révolutionnaire et les classes oppri-
mées ne sont pas la relation entre un pôle porteur d'une
conscience historique et un autre, vide de conscience ou
porteur d'une < conscience vide >. S'il en était ainsi, le
rôle du parti révolutionnaire se réduirait à transmettre une
conscience aux classes dominées, ce qui signifierait emplir
leur conscience de la conscience qu'elles ont de classe.
En effet, les classes sociales dominées ne sont pas vides
de conscience, pas plus que leur consciençe n'est un dépôt
vide. Manipulées par les classes dominantes avec les-
quelles elles sont en rapport, les imitant et intériorisant
leurs mythes, les classes dominées reflètent une conscience
qui ne leur est pas propre. D'où leur tendance réformiste.
Transpercées par l'idéologie des classes dominantes, leurs
aspirations, poru une large part, ne correspondent pas à
leur être authentique. Elles sont surimposées à travers
les moyens les plus diversifiés de manipulation sosiale.
Tout cela constitue un défi lancé au parti révolutionnaire
qui doit jouer un rôle pédagogique indiscutable.
Il faut toutefois être conscient que I'attribution qu
- révolutionnaire
parti de ce rôle pédagogique comporte
implicitement un certain risque de manipulation des mas-
seJ.
Ce risque existe. Mais il faut nous rappeler que la
-
pédagogie d'un parti révolutionnaire ne Peut jan?ais être
[a mêmè que celle des partis réactionnaires, de même que
ses méthodes d'action doivent forcément être différentes.
Les partis réactionnaires doivent, nécessairement, éviter
par tbus les moyens la constitution d'une conscience de
èlasse chez les opprimés. Pour le révolutionnaire' au
contraire, c'est I'une des tâches les plus importantes.
Finalement, il me semble nécessaire de préciser qug
tout en analysant le rôle que peut jouer le contexte théo-
rique dans la radicalisation critique de la prise de cons-
ciônce qui se vérifie dans le contexte concret, je le co,nsi-
dère pai que le parti révolutionnaire doive créer, dans
n'impôrte {ueile situation historique, de-s contextes théo-
riqués, comme si autant d' < écoles révolutionnaires >,
pour ensuite faire la révolution. Je.n'ai jamais rien dit de
iel. Ce que j'ai dit, et je le répète, c'est que le parti
révolutionnaire qui refuse d'apprendre avec les masses
populaires brise I'unité dialectique enseigner et apprendra
-n'est il est devenu élitiste' Il
ll plus révolutionnaire;
192
oublie un avertissement fondamental de Marx, dans sa
troisième thèse sur Feuerbach : < ... L'éducateur a lui-
même besoin d'être éduqué. >
paTllns un instant, si tu veux, de ce mot que tu as
- : coNscrENTIsarIoN : il est devenu lobiet de toutes
créé
sortes d'interprétations ambiguës ou de distorsions. Cer-
tains se demandent si les classes dominantes ne peuvent
pas, elles-mêmes, < conscientiser le peuple >. D'autres, qui
développent des actions dites révolutionnaires, revendi-
quent aussi ce terrne. Finalement, nombreux sont ceux
qui envisagent la conscientisation comrne une baguette
magique, capable de < guérir > I'iniustice sociale en chan-
geant seulement la conscience d.es hommes. Pourrais-tu,
encore une fois, éclairer ces problèmes et restituer le vrai
contenu de la conscientisation.
Je tiens d'abord à dire qu'il est absurde de considé-
rer- la conscièntisation comme une sorte de < hobby ,>
intellectuel, comme si elle constituait un ensemble ration-
nel égaré du concret. L'effort de conscientisation, qui
s'identifie avec l'action culturelle pour la libération des
opprimés, est un processus par lequel, dans la relation
sufet-objet, maintes fois mentionnée déjà, le sujet devient
capable de saisir, en termes critiques, l'unité dialectique
entre soi et I'objeÇ Voilà pourquoi nous réaffirmons qu'il
n'y a pas de consbientisation en dehors de la praxis, en
dehors de l'unité théorie-pratique, réflexion-action.
En revanche, en tant qu'engagement démystfficateur,
la conscientisation ne peut pas être entreprise par les
classes sociales dominantes : leur nature même les en
empêche. L'action culturelle que ces classes peuvent déve-
lopler est nécessairement mystificatiot de la réalité de
la- èonscience, mystification de la concience de la réalité.
Il serait naïf d'attendre que les classes dominantes met-
tent en pratique ou même stimulent une forme d'action
qui aide les classes dominées. Il faut dire de nouveau que
celui-ci est un < que faire ? > propre à I'avant-garde
révolutionnaire, pourrnr qu'on ne tombe pas. dans la ten-
tation petite-bouigeoise de l'objectivisme mécaniciste. En
effet, pôur les mécanicistes, les classes dominées sont pro-
pres, èn tant qu'objets, à être libérées par eux, en tant qu9
Sujeis de I'action iévolutionnaire. Le processus de libéra-
tion est, pour eux, quelque chose de mécanique. D'où
leur volontarisme. D'où leur confiance magique dans
I'action élitaire séparée de I'action politique. Voilà pour-
193
quoi il est plus facile pour eux. de réaliser des centaines
d'actions dangereuses, même dépourvues de signifisafiolr
politique, plutôt que de dialoguer avec un groupe de
paysans pendant dix minutes...
Mais il faut aussi souligner que la conscientisation ne
peut pas échapper, aventureusement, aux limites que la
réalité historique lui impose. L'effort de conscientisation
n'est pas possible dans le mépris du < viable historique >.
En effet, parfois I'action qui découle du dévoilement des
structures oppressives d'une société concrète donnée, mais
partielle, n'est pas I'expression politique du < viable his-
torique >. En d'autres termps, il peut arriver que les
masses populaires se rendent compte des raisons les plus
immédiates qui expliquent un fait particulier, mais
qu'elles ne saisissent pas en même temps, les liens entre
ce particulier et la totalité dont il participe, où se trouve
le < viable historique >. Dans ce cas, quoique adaptée au
fait < B >, l'action < A > peut ne pas être adéquate, du
point de vue de la totalité. Il en irait ainsi, par exemple,
d'une action qui, politiquement valable en un lieu donné,
ne le serait pas par rapport aux exigences de l'ensemble
du pays.
Cette observation sur la d.illiculté de saisir la totalité
qui- contient Ie < viable historique > et d'organiser les
divers éIéments qui la constituent, nous paraît fondamen-
tale. En effet, pour a$urel leur domination, les classes
dominantes ont besoin d.e diviser les opprintés, elles les
dressent les uns contre les autres. Ainsi, aux Etats-Unis,
au début du mouvement de libération du peuple noir,
I'ennemi principal étaît simplement le blanc; en revanche,
Ies ouvriers blancs constituaient une des couches les plus
racistes d.e la société américaine. Le même phénomène se
reproduit, avec des données différentes, dans le choc qu'on
observe en Amérique latine entre les intêrêts immédiats
du prolétariat urbain industriel et les revendications de
la paysannerte, quand évidemment leur intérêt profond
permet I'identification de l'ennemi principal commun.
Nous croyons que ce dêpassement des visions partielles,
fragmentaires implique précisément I'apprentissage par
les masses opprtmées de la < conscience de classe >.
Comment vois-tu ce processus ?
Je répéterai d'abord que, du fait même qu'il ne peut
- être un < que faire ? > atomisé, spontanéiste ou pater-
pas
naliste, le travail de conscientisation exige de ceux qui s'y
1,94
consacrent une perception claire des rapports entre totalité
et partialité; tactique et stratégie; pratique et théorie. Ce
travail demande encore une non moins claire vision que
l'avant-garde révolutionnaire doit avoir de son propre
rôle, de ses rapports avec les masses populaires : elle doit
veiller à ne pas tomber, soit dans le libéralisme ou le
manque d'organisation, soit dans l'autoritarisme bureau-
cratique. Dans le premier cas, elle ne serait pas capable
de conduire le processus révolutionnaire, qui s'émiette-
rait en actions dispersées; dans le second, en étouffant la
capacité d'action consciente des masses, elle les trans-
formerait en simples objets de sa manipulation. Dans les
deux cas, il n'y aurait point de conscientisation.
Analysons, maintenant, comment peut se faire ce dépas-
sement par les masses populaires dlu stade de < conscience
des nécessités de classe >, où spontanément elles se trou-
vent, pour atteindre le stade de la < conscience de classe >.
Le < décalage dialectique > entre ces deux stades est
indiscutablement un défi lancé à I'avant-garde révolu-
tionnaire. Ce < décalage dialectique , est l' < espace >
idéologique où se trouvent les classes dominées, dans leur
expérience historique, entre le moment où, en tant que
a classe en soi > elles n'agissent pas en accord avec leur
être et celui où en s'pssumant en tant que < classe pour
soi >, elles prennent conscience de la mission historique
qui leur est propre. C'est à ce moment-là seulement que
leurs nécessités se définissent comme des intérêts de classe.
Nous voilà en face d'un problème difficile : d'une part,
la conscience de classe ne s'engendre pas spontanément,
à l'écart de la praxis révolutionnaire ; mais, d'autre part,
cette praxis implique une conscience nette du rôle histo-
rique de la classe dominée. Marx souligne, dans La Saînte
Famille, l'action consciente du prolétariat, dans sa propre
abolition en tant que classe, par l'abolition des conditions
objectives qui le constituent. En effet, la conscience de
classe exige une pratique de classe qui, à son tour, engen-
dre une connaissance au service des intérêts de classe.
Tandis que la classe dominante, en tant que telle, cons-
titue et renforce la conscience de soi dans l'exercice du
pouvoir économique, poli.tique et socio-culturel, avec
lequel elle s'impose à la classe dominée et l'aligne sur ces
positions, celle-ci ne peut atteindre la conscience de soi
qu'à travers la praxis révolutionnaire. Dans ce processus,
la classe dominée devient < classe pour soi > et, agissant
r95

alors d'accord avec son Êtne, non seulement elle com-
mence à connaître d'une façon difiérente ce qu'elle
connaissait auparavant, mais aussi à connaître ce qu'aupa-
ravant elle no connaissait pas. Voilà pourquoi, n'étant pas
un pur état psychologique, ni la simple sensibilité qu'ont
les classes pour détecter ce qui s'oppose à leurs besoins
et intérêts, la conscience de classe implique toujours une
connaissance de classe. Mais cette connaissance ne se
transmet pas : elle se crée dans et par I'action sur la réa-
lité. Le dépassement de ce décalage dialectique, exigeant
une pédagogie révolutionnaire, exige aussi que les rapports
entre le parti révolutionnaire et la classe dominée se véri-
ûent de telle sorte que, le parti étant la < conscience
critique > des masses populaires, il ne pose pas d'obsta-
cles au processus de critique de la classe.
Nous pourrtons conclure cette conversation en reve-
- au problème de lorganisation du parti révolution-
nant
naire. Pourrais-tu systématiser ta crttique envers les for-
mes taction politique qui se font au mépris tune
participation consciente et créatrice des rnasses populaires
et qui relèvent, comme tu I'as dit, d'une conception petite-
bourgeoise du rapport entre avant-garde et masses ?
Je crois que I'un des problèmes le plus difficile
-
qu'affronte un parti révolutionnaire dans la préparation
de ses cadres est de combler l'écart qui existe entre
I'option révolutionnaire formulê par les militants et leur
pratque qui n'est pas toujours waiment révolutionnaire,
qui ainsi contredit son expression verbale. C'est dans ce
sens-là que les erreurs méthodologiques sont toujours
I'expression profonde d'une certaine conception idéologi-
que. Dans la mesure, par exemple, où ils gardent au fond
d'eux-mêmes le mythe de l' < incapacité naturelle > des
masses populaires, les militants ont tendance à les mépri-
ser, à refuser le dialogue avec elles et à avoir le senti-
ment d'être leurs seuls éducateurs. Agissant ainsi, ils ne
font que reproduire la dichotomie, typique d'une société
de classes, entre enseigner et apprendre, dans laquelle la
classe dominante < enseigne > et la classe dominée
< apprend >. Ils se refusent donc, à apprendre avec, le
peuple, et commencent à donner des avis, à déposer dans
les masses le savoir révolutionnaire.
A cause de tout cela, je suis convaincu que l'eftort de
clarification de ce qu'est le processus d'idéologisation
constitue un des.préliminaires indispensables à tout sémi-
t96
naire de préparation de militants, simultanément avec
l'exercice de l'analyse dialectique de la réalité. Si I'on
procède ainsi, le séminaire devient une occasion pour les
participants, invités à dépasser.leur vision naiïe et par-
tielle de la rêalitê et la remplaçant par une vision critique
d'ensemble, de s'engager dans un processus de clarifica-
tion idéologique. Ils se rendent compte que le dialogue
avec le peuple, dans I'action culturelle pour la libération,
n'est pas une formalité, mais une condition indispensable
pour savoir si notre option est authentiquement révolu-
tionnaire. Ils prennent conscience qu'est impossible la
dichotomie entre I'intention du militant, qui est politique,
et les méthodes, les techniques et les procédés par lesquels
cette intention se traduit dans la pratique. En effet, I'option
politique du militant détermine le cheminement de son
expression. Il y aura toujours des différences radicales
entre un militant de gauche et un militant de droite, dans
l'utilisation que chacun peut faire d'un même projecteur
de diapositives. Une grande partie des obstacles qui se
dressent sur le chemin d'une action politico-révolution-
naire correcte découle de la contradiction entre I'option
révolutionnaire et l'utilisation de méthodes d'action qui
correspondent à une pratique de domination.
Si mon option est révolutionnaire, il m'est impossible
de considérer le peuple coûlme objet de mon acte libéra-
teur. Si, par contre, mon bption est réactionnaire, le peu-
ple ne sera pour moi qu'un sipple instrument de mon
action pour la préservation du statu quo, où je veux seu-
lement apporter quelques réformes. L'action politico-révo-
lutiomraire ne peut pas imiter I'action politico-domina-
trice. Antagonistes dans leurs buts, elles s'opposent et se
différencient non seulement par les conséquences pratiques
des méthodes choisies, mais aussi par I'utilisation qui est
faite des aides et alliances dont elles bénéficient.
197
Bibliographiel sur les ouvrages
d'alphabétisation en français

A. Ouvrages généraux
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Manuel, 214 P., 1969' 8,00 F. -
- Matériei cofleêtif (liwe du moniteur, affichettes, lettres
- mobiles, étiquettes), 1969' 5,00 F. ^-
Méth;à; iudiojvisuellé, 16 dialogues, tlms, bandes magné-
tiques et 16 planches de figurines, tableau feutre'
c. L. À. P.
Guîde du monîteur *, 6'00 F'

1. Les ouvrages avec astérisque ûous semblent particulière-

ment imPortants.
199
 -t

Langage oral et préparation à Ia lecture-écriture, 5,00 F.

Pourquoi et comment corriger Ia prononciation, 2,00 F. Table
Introduction à Ia phonétique corrective.
Application des princîpes de phonétique corrective.
Application des principes de phonétique corrective aux
cours d'adultes analphabètes *.
Inventaire syntdgmatique du français fondamental.
HOMMES ET MIGRATIONS Présentation 7
Le français par l'amitié, 5,00 F.
Livre du stagiaire, 5,00 F.
- Livre du moniteur, 5,00 F.
-
Initiation à la vie moderne (exercices écrits), 30,00 F. PEDAGOGIE DES OPPRIMES
coLLEcrrF o'elpgesÉtIsltloN
Alphabétisation, pédagogie et luttes, 287 p., Maspero, AveNr-Pnopos 13
- 1973, 26,00 F.
Fascicule pour le travailleur, Maspero, 1973, 10,00 F. 1. Jusrrrrc.nrroN DE LA < pÉDAcocrE DEs oppruMÉs > 19
- Initiation à I'approche logique et au calcul, 124 p., Mas-
- pero,1973,13,00 F. La contradiction oppresseurs/opprimés. Son
dépassement 20
ACCUEIL ET PROMOTION La situaton concrète d'oppression et les oppres-
4 recueils Qtrésentation, 2 pour débutants, 1 pour niveau seurs 36
avancé) *, 20,00 F, .
La situation concrète d'oppression et les oppri-
B. E. L. C. mes 40
Exercices systématiques de prononciation française (2 fasci- Personne ne libère autrui, personne ne se libère
cules), 8,00 F. seul, les hommes sp libèrent ensemble 44
A. sÀuvAccor, Analyse du français parlé, l9O p., Hachette,
10,00 F. 2. Le coNceprroN < BANCAIRE > DE L'ÉDUcATroN
coMME INsTRIIMENT p'oppttsstoN. Sns pnÉoccu-
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Le Français fondamental, 1"' degré, S. E. V. P. E. N.
Le Français fondamental, 2 degrê, S. E. V. P. E. N. 3. Le prerocuE, EssENcE DE L'ÉDUcATIoN vuE coMME
PRATIQI]E DE LA LIBERTÉ 7I
Education dialogique et dialogue 73
Le dialogue commence dès l'élaboration du pro-
gramme éducatif 77
Les relations hommes-monde, les thèmes géné-
rateurs et le contenu des programmes d'une telle
200 éducation 80
 La recherche des < thèmes-générateurs > et sa DeNs r-e Psrrre Corr,BcrroN Mespeno
méthode 90
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des <-thèmes-générateurs >. Les divers moments Mao TsÉ-rouuc, Ecrits chotsis en 3 uolames - l.
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202 203
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56 Parrl NrzaN, intellectuel commanÎstq lI. tion aufentée).
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Côntenu et signiûcation des reveDdications.

204
20s
ACHE\rÉ D,IIUPRIÀ{ER EN
avRrl 1974 sun rBs
PREssEs De L'nrapnnrap-
nrs conntÈRp ET JUcAIN
a ÀLENçoN (onNr)
oÉpôr rÉcm, :
2" rnmnsrne 1974
N' o'ÉÉÏrBun : 687
PREMIER TIRAGE :
10 000 EXEMPLAIRES

w
 92,93. Jean Daubièt, Hitîoirc dc lt li' r"t
cuhu,relle prolétarienne en C lti nt
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ind.épend.ante
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('
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.
classe
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tal IV >>

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