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Le Banquet (Platon)
dialogue du philosophe grec Platon

Pour les articles homonymes, voir Le


Banquet.

Le Banquet (en grec ancien Συμπόσιον,


Sumpósion) est un texte de Platon écrit
aux environs de 380 av. J.-C. Il est
constitué principalement d’une longue
série de discours portant sur la nature et
les qualités de l’amour. Tò sumpósion en
grec est traduit traditionnellement par Le
Banquet, terme désignant une réception,
une fête mondaine.

Anselm Feuerbach, Le Banquet de Platon, 1869,


Staatliche Kunsthalle Karlsruhe (Allemagne)

Présentation

Le Banquet dans l’œuvre de Platon …


Le Banquet est avec le Phèdre l'un des
deux dialogues de Platon dont le thème
majeur est l’amour. Dans ce texte, Platon
fait entendre des voix différentes pour
parler d’amour et de beauté, qui sont
affaires du Bien[1]. Dans ce dialogue, Éros
est représenté différemment en fonction
des personnages du dialogue. Pour le
personnage de Phèdre, Éros est une
divinité primordiale, « celui qui fait le plus
de bien aux hommes, il inspire de
l'audace », « est le plus ancien, le plus
auguste, et le plus capable de rendre
l’homme vertueux et heureux durant sa
vie et après sa mort ». Pausanias fait la
distinction entre deux amours et
relations sexuelles. Comme il y a deux
Aphrodites, l’Aphrodite céleste[2], plus
âgée, née d'Ouranos, et l’Aphrodite
appelée Aphrodite Populaire, née du
mâle et de la femelle, Zeus et Dioné, plus
jeune ; il y a deux Éros, un Éros populaire,
« c’est l’amour qui règne parmi les gens
du commun. Ils aiment sans choix, non
moins les femmes que les jeunes gens,
plutôt le corps que l’âme, ils n’aspirent
qu’à la jouissance ; pourvu qu’ils y
parviennent, peu leur importe par quels
moyens » et un Éros fidèle, qui « ne
recherche que les jeunes gens », qui
n’aime que le sexe masculin,
« naturellement plus fort et plus
intelligent ». Au chapitre II du Banquet de
Xénophon, Socrate dit que « la nature de
la femme n'est pas inférieure à celle de
l'homme : il ne lui manque qu'un peu plus
d'intelligence et de vigueur »[3],[4]. Suit un
éloge de l’amour vertueux, fidèle, non
attaché au corps. Faisant parler
Éryximaque, Platon approuve la
distinction des deux Éros faite par
Pausanias, et la complète : l’Éros ne
réside pas seulement dans l’âme mais
aussi dans la beauté, « dans les corps de
tous les animaux, dans les productions
de la terre, en un mot, dans tous les
êtres. » L’Éros légitime et céleste est celui
de la muse Uranie : « Mais pour celui de
Polymnie, qui est l’Éros vulgaire, on ne
doit le favoriser qu’avec une grande
réserve, en sorte que l’agrément qu’il
procure ne puisse jamais porter au
dérèglement ». Platon et Xénophon ont
tous deux écrit un Banquet : l’un en
proscrit les joueuses de flûte, l’autre les y
admet ; l’un produit Socrate comme
buvant jusqu’à l’aurore l’autre dissuade
de boire dans de grands vases. Platon
dans son Phédon, citant ceux qui se
trouvaient auprès de Socrate, ne parle
pas de Xénophon. Certains
anachronismes ont été relevés par
Athénée chez Platon : selon Athénée,
Platon a quatorze ans à l’époque où ledit
banquet a dû se dérouler[5].

Postérité …

Cette œuvre tient un rôle de tout premier


plan dans l'histoire de l'étude
philosophique des amours entre
personnes de même sexe[6].

Introduction

Copie manuscrite sur papyrus d'un passage du


Copie manuscrite sur papyrus d un passage du
Banquet.

Dans Le Banquet, Platon ne rapporte pas


la scène en tant que narrateur, et se sert
d'un intermédiaire, Apollodore ; il raconte
comment Apollodore vient à faire le récit
de cette soirée en rapportant toutes les
paroles importantes qui y furent
échangées.

Platon écrit ce dialogue vers -385, mais il


situe le récit d'Apollodore 16 ans
auparavant, vers -404 (la Guerre du
Péloponnèse, qui a opposé Sparte à
Athènes, s'est achevée par la défaite
d'Athènes). Onze années ont passé
depuis la réception de -416. Apollodore
lui-même n'était pas chez l'hôte Agathon ;
il tient son récit d'un autre disciple de
Socrate, Aristodème de Cydathénéon, qui
l'accompagnait.

La multiplication de témoins
intermédiaires a pour but de signaler au
lecteur que le texte n’est pas la
retranscription exacte de la soirée, mais
de l’essentiel de ce qui a été dit. Le
Banquet est une adaptation libre et
dramatiquement très élaborée d'une
soirée mémorable. Une enquête rapide
sur le caractère des personnages que
sont Aristodème et Apollodore en dira un
peu plus sur la manière dont ils
entendent jouer leur rôle d'intermédiaire
entre les auditeurs et cette soirée à
laquelle personne, parmi les auditeurs
présents, n'a assisté. Intermédiaire se dit
en grec Metaxu μεταξὺ ; Apollodore et
Aristodème vont être les intermédiaires
d'un daimon, l'érôs, intermédiaire par
excellence.

Contexte du dialogue …

Circonstances

Le jeune Agathon remporte le concours


des grandes Dionysies (vers
416 av. J.-C.)[7], [8] avec sa première
tragédie, jouée devant plus de trente
mille Grecs. Il organise une grande fête
de sacrifice de victoire avec ses
choreutes, qui se termine en beuverie. Le
lendemain, il donne à nouveau une
réception, plus intime, plus calme, en
invitant des personnalités importantes à
fêter son succès. À l'initiative de Phèdre,
relayé par Eryximaque, chacun est invité
à faire à son tour un éloge de l'amour, ce
qui, selon lui, n'aurait jamais été fait. Le
Banquet est l'histoire de cette longue
nuit, où l'on entend se succéder ces
éloges, ainsi que les discussions et les
multiples incidents qui interrompent le
protocole.
Les 8 personnalités …

Apollodore rapporte le récit d'Aristodème,


mais les personnages principaux du
dialogue sont :

1. Socrate : accompagné de son


disciple Aristodème
2. Agathon : jeune poète couronné,
disciple de Gorgias, et organisateur
de la réception. Il a obtenu le
premier prix au concours des
grandes Dionysies de 416 av. J.-C. ;
il s'agissait de sa toute première
représentation. On ne sait rien de
ses autres représentations, qui
furent peu nombreuses, puisqu'il a
quitté Athènes dès -408/-407 ;
3. Pausanias : amant d'Agathon ; il fait
l'éloge de l'homosexualité et de la
pédérastie[9],[10],[11] ; il suit son
amant lorsque celui-ci quitte
Athènes (-408/-407). Sa sensualité
est proverbiale à Athènes : il a une
réputation de grossier, mais fait
preuve de raffinement dans le
discours.
4. Aristophane : poète comique à
succès
5. Éryximaque : médecin fils
d'Acoumène (médecin comme lui) :
érudit et pédant, organisateur du
tour d'éloges d'Éros ;
6. Aristodème, disciple de Socrate, du
dème de Cydathénéon ;
7. Phèdre : Jeune athénien brillant et
riche, fils de Pythoclès du dème de
Myrrhinonte, il accompagne Socrate
dans le Phèdre, dialogue platonicien
éponyme
8. Alcibiade : Il n'a pas été invité par
Agathon. Vexé, jaloux et inquiet que
l’amphitryon ne séduise Socrate, il
s’enivre et force l'entrée au banquet,
surgissant, exubérant et amoureux,
en retard et ivre. Plutarque dit
Anytos jaloux de l'amour d'Alcibiade
pour Socrate ; il y a là un début de
l'adversité qui mènera à l'accusation
de Socrate.

Plusieurs autres personnes sont


présentes, mais elles n'ont pas de rôle
majeur au cours de la réception. Diotime
n'est pas présente lors du banquet, mais
Socrate rapporte son enseignement lors
de son intervention. Des deux ouvrages
socratiques intitulés Le Banquet,
Antisthène n'est présent que dans celui
de Xénophon.
 

Scène de Banquet. Coupe attique, v. 480 av. J.-C.


(musée du Louvre).

Chronologie …

Seize ans après cette réception,


Apollodore relate en détail, à qui veut
l’entendre, tout ce qui s’est passé et dit
lors de cette réunion, tel qu’il l’a appris
d’Aristodème qui était présent puisqu’il
accompagnait Socrate.
1. Socrate se fait beau, il invite
Aristodème à l’accompagner.
2. Socrate en retard, Aristodème arrive
seul.
3. Début du repas.
4. L’arrivée tardive de Socrate, Agathon
le place à sa droite.
5. À la fin du repas, rejet de l’ivresse
pour une discussion réglée par
Eryximaque : chacun à son tour fera
l’éloge de l’amour, selon l’envie de
Phèdre.
6. Le jeune Phèdre inaugure le premier
éloge de l’amour (I).
7. Plusieurs éloges non rapportés par
Aristodème.
8. L’éloge de l’amour vertueux par
Pausanias (II).
9. Le hoquet d’Aristophane.
10. Eryximaque prend la parole à sa
place, et fait un éloge (III).
11. L’histoire des moitiés coupées
(mythe des androgynes) par
Aristophane (IV).
12. Socrate met la pression sur
Agathon et engage avec lui une
discussion.
13. Phèdre rappelle la règle imposée, de
parler tour à tour.
14. L’éloge de l’amour par Agathon (V).
15. Socrate questionne Agathon sur
son discours.
16. Socrate rapporte l’enseignement de
Diotime (VI).
17. Arrivée impromptue d’Alcibiade ivre.
18. Alcibiade se place entre Agathon et
Socrate, couronne l’un puis l’autre
19. Éloge de Socrate par Alcibiade (VII).
20. Socrate convainc Agathon de se
remettre à côté de lui pour qu’il
fasse son éloge à son tour.
21. Arrivée impromptue d’une bande de
buveurs qui sème le désordre.
22. Tous sont obligés de boire, finissent
par partir ou s’endormir.
23. Au réveil d’Aristodème, le soleil est
déjà levé, seuls Socrate,
Aristophane et Agathon sont encore
éveillés.
24. Socrate termine une discussion sur
l’identité de la comédie et la
tragédie avec Aristophane et
Agathon qui finissent par
s’endormir.
25. Socrate et Aristodème repartent.
26. Socrate ne se couchera que le soir
venu.

Le jeu des places musicales …


Les changements successifs de places
autour d'Agathon :

PHEDRE - - - PAUSANIAS -
ARISTOPHANE - ERYXIMAQUE -
AGATHON
PHEDRE - - - PAUSANIAS -
ARISTOPHANE - ERYXIMAQUE -
AGATHON - SOCRATE
PHEDRE - - - PAUSANIAS -
ARISTOPHANE - ERYXIMAQUE -
AGATHON - ALCIBIADE - SOCRATE
PHEDRE - - - PAUSANIAS -
ARISTOPHANE - ERYXIMAQUE -
ALCIBIADE - SOCRATE - AGATHON
 

Jeune garçon servant du vin lors d'un banquet (kylix


attique, v. 460-450 av. J.-C, Musée du Louvre).

Le médecin Eryximaque organise le tour


des éloges. Le jeune Phèdre en est
l'initiateur. Le tour commence également
par lui. Il est en effet à la première place,
le plus à gauche. Agathon est assis à la
dernière place. Il est le plus à droite, il
parlera en dernier. Aristodème qui
accompagnait Socrate arrive avant lui.
Agathon l’installe à côté d'Eryximaque.
Socrate finit par arriver au milieu du
repas et Agathon l’invite à s’asseoir juste
à côté de lui. C'est désormais Socrate qui
devra parler en dernier. Quand après
Pausanias vient le tour d'Aristophane,
celui-ci est pris d'un hoquet. Il échange
son tour avec Eryximaque, le temps que
son hoquet passe. Après donc
Eryximaque, puis Aristophane, puis
Agathon, Socrate prend la parole pour
dire le dernier éloge. Mais quand il est
sur le point de terminer arrive Alcibiade
ivre. Il s'assoit entre Agathon et Socrate,
et sépare ainsi les deux. Il parle à son
tour, et décide de faire l'éloge de Socrate.
Socrate est à sa droite. Il doit à nouveau
parler. Il invite Agathon à venir à sa droite
pour faire son éloge. Socrate se retrouve
assis entre les deux. Agathon revient à la
place qui lui convient, le plus à droite.
Cette dernière configuration en fait n'a
pas lieu. Une bande de buveurs vient
interrompre le protocole. Au lever du
soleil, les seuls à ne pas encore dormir
sont Agathon, Aristophane, et Socrate qui
entre eux anime la discussion. Il repart
après les avoir endormis, en compagnie
d’Aristodème qui s’est réveillé.

Les 7 discours
 

Éros ailé tenant une lyre. Détail d'une amphore


attique, v. 470 av. J.-C. (musée du Louvre).

Discours de Phèdre …

C'est Phèdre qui prononce le premier


discours[12]

Éros est un dieu important, admirable


surtout par son origine : il est le plus
ancien et n'a ni père ni mère. D'abord, il y
eut le chaos, puis la Terre et Éros. Étant
le plus ancien, il est pour nous la source
des biens les plus grands, car le principe
qui doit inspirer les hommes qui
cherchent à vivre comme il faut, c'est
l'amour. En effet, la honte est liée à
l'action laide, la recherche de l'honneur
est liée à l'action belle : sans cela, il n'y a
ni cité, ni individu pour réaliser des
grandes et belles choses. Or, si on
formait une cité ou une armée avec des
amants et leurs aimés, chacun rejetterait
ce qui est laid, et il y aurait émulation
dans la recherche de l'honneur.
Combattant ensemble, ils vaincraient
l'humanité entière, car toute lâcheté est
impossible quand on est prêt à mourir
par amour. Enfin, celui que les dieux
admirent le plus et honorent, c'est le
sentiment de l'amant pour l'aimé : l'amant
est plus divin, inspiré par les dieux.

D'une manière générale, Phèdre oppose


« la honte liée à l'action laide » à
« l'émulation liée à l'action belle »[13].
Celui même qui accomplit une action
laide aura plus honte d'être vu par son
bien-aimé que par qui que ce soit d'autre,
preuve que l'amour est lié au beau, et
donc l'amant aussi. Le courage est beau,
et Éros l'insuffle aussi à ceux qui aiment,
ce qui rend les amants capables de
mourir pour ceux qu'ils aiment. Non
seulement les amants sont plus
courageux, mais le courage mis au
service de l'amour est d’autant plus
honoré par les dieux (et les hommes) que
le courage seul, qui est déjà une haute
vertu.

Discours de Pausanias …

Après quelques autres discours (non


cités) vient celui de Pausanias[14]. Selon
lui, il y a en réalité plusieurs Éros ; reste à
savoir pour lequel faire un éloge. Il n'y a
pas d'Aphrodite sans Éros ; or il y a deux
Aphrodite, donc deux Éros. La plus
ancienne Aphrodite, fille d'Ouranos, est la
Céleste, dont parlera Lucien de
Samosate[15] ; l'autre est la vulgaire
(Aphrodite « Pandémos », c'est-à-dire
populaire). Or, une action n'est ni belle ni
laide en elle-même, c'est la façon de
l'accomplir qui la rend belle, par exemple
boire en excès nous enlaidit, tandis que
boire raisonnablement nous honore[16].
Donc Éros n'est pas indistinctement
beau, seul est digne d'éloge l'Éros qui
incite à l'amour.

Éros vulgaire …

L'Éros vulgaire aime l'aventure : il aime


les femmes comme les garçons, les
corps. Il recherche des partenaires peu
intelligents, car seul son but lui importe.
Il fait l'amour au hasard[17], sans se
demander si son action est bonne. L'Éros
vulgaire, c'est l'amour physique et
superficiel, en opposition à l'Aphrodite
Céleste, qui est l'amour des âmes,
l'amour pur.

Éros céleste …

L'autre Éros se rattache à l'Aphrodite


céleste. Celle-ci s'adresse aux garçons et
n'est pas insolente. Un tel Éros inspire en
effet l'amour du sexe masculin. Mais il
faudrait des règles de conduite pour
éviter les comportements intempestifs
des amants vulgaires. Chez certains
l'homosexualité n'est pas honteuse, mais
pour d'autres, elle l'est. Pour nous,
prenons en considération les trois points
suivants :

il est plus convenable d'aimer


ouvertement et d'aimer des gens de
meilleure famille, de haut mérite ;
celui qui est amoureux doit recevoir
des encouragements : s'il fait une
conquête, c'est une belle chose, s'il
échoue, c'est honteux ;
on a toute liberté d'entreprendre une
conquête, et l'extravagance n'est pas
dans ce cas blâmée : il est moralement
acceptable une forme d'esclavage
volontaire de l'amant, que l'on tiendrait
pour inacceptable si ce n'était pas fait
par amour[18]. L'amoureux peut même
ne pas tenir ses promesses : un
serment d'amour n'est pas un vrai
serment. Il a donc une totale liberté.

Pourtant, on fait des reproches aux


aimés, on les empêche de parler à leurs
amants. C'est qu'une action est belle si
on se conduit comme il faut, honteuse
autrement ; par exemple, céder à
quelqu'un qui n'en vaut pas la peine, à
l'amant vulgaire qui aime surtout le
corps. Cet amant n'a pas de constance ;
celui qui aime un caractère qui en vaut la
peine reste un amant toute sa vie car il
s'est fondu avec quelque chose de
constant. La règle est donc que l'amant
poursuive et que l'aimé fuie : le temps qui
passe sera en effet un excellent
révélateur. Il n'y aura donc qu'une seule
voie pour l'aimé de céder de belle
manière, par l'esclavage volontaire à la
vertu, car si l'on accepte d'être au service
de quelqu'un pour devenir meilleur, cela
n'est pas honteux[19]. L'amant et l'aimé
ont alors le même but : la justice, devenir
bon, être sage. Cela oblige l'amant et
l'aimé à prendre soin d'eux-mêmes pour
devenir vertueux. Le reste appartient à
l'Aphrodite vulgaire. Après ce discours,
Aristophane passe son tour car il a le
hoquet. Il occupera donc ultérieurement
la place qui ne lui revenait pas à l'origine.

Discours d'Éryximaque …

Éryximaque (médecin dont le nom


signifie : celui qui combat le hoquet) -
reprend la distinction des deux Éros en la
rapportant à son art. Il incarne ici
l'homme de science.

De son point de vue, la distinction des


deux Éros est bonne, mais elle ne
concerne pas seulement les âmes des
êtres humains : cela concerne toute
chose qui recherche autre chose, comme
le montre la médecine. Favoriser ce qu'il
y a de bon et de sain dans chaque corps
est beau, et c'est ce que fait la médecine,
car elle est la science des opérations de
remplissage et d'évacuation du corps
que provoque Éros (remarquons que le
médecin procède avec le corps
exactement à l'inverse du tyran, tel que
décrit dans La République sur la cité qu'il
gouverne ; le tyran renvoie tous les
hommes bons ou compétents pour éviter
d'éventuelles rivalités, et les remplace par
des individus mauvais et/ou incapables
qui le suivront dans ses inclinations[20]).
En conséquence, celui qui distingue le
bon Éros est un médecin accompli. Il doit
savoir en outre faire apparaître l'affection
et l'amour mutuels entre les choses qui
sont en conflit : froid, chaud, sec, humide,
etc. C'est en établissant l'amour et la
concorde entre ces choses qu'Asclépios
a fondé la médecine. La médecine, la
gymnastique, la musique sont
gouvernées par ce dieu. En musique on
réalise un accord par une opposition
entre l'aigu et le grave : la musique crée
l'amour mutuel, dans l'ordre de
l'harmonie et du rythme, c'est une
science des phénomènes de l'amour.

Il faut donc partout sauvegarder l'un et


l'autre amour : l'Éros bien réglé apporte
l'abondance et la santé, et l'Éros de la
démesure provoque de nombreuses
destructions (épidémies, famines dues à
la méconnaissance de l'astronomie qui
est réglée sur l'équilibre). Le déséquilibre
dans les relations frappe les animaux et
les plantes. De même, dans la
communication entre les dieux et les
hommes, il faut établir un lien d'amour
par l'observation des lois divines, ce qui
est la piété. Celui qui fait preuve
d'impiété est celui qui poursuit l'amour
bas, l'Aphrodite populaire, au lieu de
l'Aphrodite céleste. La puissance d'Éros
est universelle, et la modération et la
justice donnent le bonheur et rendent
possible le commerce et l'amitié.
Aristophane, n'ayant plus le hoquet,
commence ensuite son discours.

Discours d'Aristophane …

Dans son discours[21], Aristophane


soutient la thèse suivante : les hommes
ne se rendent pas compte du pouvoir
d'Éros, sans quoi ils lui auraient élevé les
temples les plus imposants ; aucun des
dieux n'est mieux disposé à l'égard des
humains. C'est dans ce discours que l'on
trouve le mythe des humains doubles ou
entiers[22] ainsi que le « troisième
sexe »[23], Phèdre, Eryximaque et
Pausanias ont parlé de l'amour et des
deux Éros, mais ils n'ont pas donné
d'origine à cet amour. Aristophane la
situe dans une épreuve subie par les
humains, celle d'une division en deux par
Zeus à la suite d'un comportement
mauvais.

Notre nature était autrefois différente : il


y avait trois catégories d'êtres humains,
le mâle, la femelle, et l'androgyne. De
plus, chaque être humain était en fait une
sphère avec quatre mains, quatre jambes
et deux visages sur une tête unique,
quatre oreilles, deux sexes, etc. Les
humains se déplaçaient en avant ou en
arrière, et, pour courir, ils faisaient des
révolutions sur leurs huit membres. Le
mâle était un enfant du Soleil, la femelle
de la terre, et l'androgyne de la Lune. Leur
force et leur orgueil étaient immenses.
Désireux de prendre la place des dieux,
ils tentèrent de monter jusqu'au ciel pour
les y combattre. Zeus trouva un moyen
de les affaiblir sans les tuer, ne voulant
pas anéantir la race comme il avait pu le
faire avec les Titans : il les coupa en
deux. Il demanda ensuite à Apollon de
retourner leur visage et de coudre le
ventre et le nombril du côté de la
coupure.
Mais chaque morceau, regrettant sa
moitié, tentait de s'unir à elle : ils
s'enlaçaient en désirant se confondre et
mouraient de faim et d'inaction. Zeus
décida donc de déplacer les organes
sexuels à l'avant du corps. Ainsi, alors
que les humains surgissaient auparavant
de la terre, un engendrement mutuel fut
rendu possible par l'accouplement d'un
homme et d'une femme. Alors, les
hommes qui aimaient les femmes et les
femmes qui aiment les hommes (moitiés
d'androgynes) permettraient la perpétuité
de la race ; et les hommes qui aiment les
hommes (moitiés d'un mâle), plutôt que
d'accoucher de la vie, accoucheraient de
l'esprit. Ces derniers sont selon
Aristophane les êtres les plus accomplis,
étant purement masculins.

L'implantation de l'amour dans l'être


humain est donc ancienne. C'est l'amour
de deux êtres qui tentent de n'en faire
qu'un pour guérir la nature humaine :
nous sommes la moitié d'un être humain,
et nous cherchons sans cesse notre
moitié, de l'autre sexe ou du même sexe
que nous. La rencontre de l'autre moitié
frappe d'un sentiment d'affection et
d'amour, que souhaite l'âme, qu'elle ne
saurait exprimer. Pourtant, elle le devine :
ce qu'elle souhaite, c'est se fondre le plus
possible dans l'autre pour former un
même être. C'est cela que nous
souhaitons tous, nous transformer en un
être unique. Personne ne le refuserait, car
personne ne souhaite autre chose. Le
nom d'« amour » est donc donné à ce
souhait de retrouver notre totalité, et Éros
est notre guide pour découvrir les bien-
aimés qui nous conviennent
véritablement. Le bonheur de l'espèce
humaine, c'est de retourner à son
ancienne nature grâce à l'amour, c'est là
notre état le meilleur. Éros est issu d'une
déchirure, d'une coupure originelle, d'une
séparation radicale de ce qui nous
rendait complets et unis, mais il est en
même temps le remède à cette coupure
en ce qu'il nous pousse à retrouver,
autant qu'il est possible, l'état le plus
proche de la perfection. Il nous sert en
nous menant vers ce qui nous est
apparenté, il soulève en nous l'espoir de
rétablir notre nature (autant que
possible) et de nous donner ainsi, mieux
que toute autre chose, la félicité et le
bonheur[24].

Discours d'Agathon …

Les discours précédents n'ont pas dit,


selon Agathon, ce qu'est le dieu lui-
même. Il faut donc expliquer sa nature
pour en faire l'éloge[25]. Agathon fait un
éloge de la justice, de la tempérance, du
courage et de la sagesse (sagacité) ;
Xénophon observera ces valeurs dans le
même ordre dans son Agésilas.

Avant de parler, Agathon procède à ce


que l'on pourrait appeler un méta-
discours : il fixe le cadre de ce qu'il va
dire, et donne son plan (il procède « en
montrant d'abord sa nature [de l'amour],
et ensuite les dons qu'il nous fait »[26], en
distinguant explicitement cette étape
préliminaire du reste du discours[27].

Éros est le plus heureux des dieux, car il


est le meilleur et le plus beau. Il est
toujours jeune et fuit la vieillesse ; il est le
plus jeune des dieux. Son règne est le
règne de la concorde et de la paix, par
opposition à l'ancienne Nécessité et aux
actes violents qui en découlaient. Il est
délicat et n’aime la compagnie que de ce
qui est tendre dans les âmes. Il fuit donc
les caractères durs. Sa constitution est
ondoyante et harmonieuse, il possède la
grâce par excellence : il vit parmi les
fleurs et les parfums. Par sa nature
même, Éros exclut toute violence. Il ne
commet pas l'injustice, il ne la subit pas.
Au contraire, en toute circonstance,
chacun l'assiste, il crée le consentement 
de ceux qu'il touche. Il est modéré et
tempérant car il domine les désirs (qui
sont en fait les autres désirs que lui-
même). C'est un poète savant, créateur
universel qui transforme en poète celui
qu'il touche. Il a également un savoir
dans la fabrication des êtres vivants,
savoir qui fait naître et grandir tout ce qui
vit. Dans la pratique des arts, c'est par
désir et amour qu'Apollon inventa le tir à
l'arc, la divination, etc. Tous les dieux
sont donc des disciples d'Éros. Ce dieu
nous interdit la croyance que nous
sommes étrangers les uns aux autres :
grâce à lui, nous appartenons à une
même famille. Ce discours est très
applaudi. Socrate prend ensuite la parole.
Discours de Socrate …

Éros. Détail d'une œnochoé attique, v. 430-425 av.


J.-C. (Musée du Louvre).

Non sans ironie, Socrate commence par


dire qu'il ignorait la façon de louer
quelque chose dont les autres convives
ont tiré parti jusqu'à présent. Plusieurs
avant lui, et surtout Agathon qui vient de
parler, ont fait de l'amour un éloge
essentiellement rhétorique. Ils lui
attribuent toutes les choses et les
caractéristiques positives qu'ils peuvent,
afin de le faire paraître « le plus beau et le
meilleur possible », mais un tel éloge ne
peut être que fallacieux :

« Ce n'était point, selon toute


apparence, la bonne méthode
de faire l'éloge de quoi que ce
soit : il faut plutôt attribuer à
l'objet les plus grandes et les
plus belles qualités possibles,
qu'il les ait ou non, et quand
même ce serait faux, cela
n'aurait pas d'importance.
Nous avons en effet admis
d'avance, à ce qu'il paraît, que
chacun de nous aurait l'air de
louer l'Amour, et non pas qu'il
le louerait en réalité[28]. »

À l'éloge fallacieux, Platon oppose au


fond l'éloge véritable ou philosophique,
qui découvre d'abord ce qu'est l'amour et
ce que sont ses qualités, avant d'en tirer
parti pour le louer[29].

Questionnement d'Agathon …
Socrate procède ensuite à sa manière
habituelle, en posant des questions à un
interlocuteur qui, peu à peu, accepte la
thèse de celui qui l'interroge. Il
commence donc par cette question :
« Est-il dans la nature de l'amour d'être
amour de quelque chose, ou de
rien ? »[30] Agathon convient qu'il est
amour de quelque chose. Il convient
également, question après question, que
l'on désire ce que l'on n'a pas, et que l'on
ne désire pas ce que l'on a. L’amour est
donc amour de quelque chose dont on
manque[31]. Platon laisse ici entrevoir une
partie de sa thèse : « il ne peut y avoir
d’amour du laid », le seul amour possible
est « l’amour du beau »[32]. Si ce passage
signifie que l'amour n'aime le beau que
parce qu'il manque lui-même de beauté,
l'amour ne serait pas beau. Ces
difficultés, déduites du discours
d'Agathon et de quelques questions,
montrent que l'on n'a pas suffisamment
cherché ce qu'était l'amour avant de faire
son éloge. Socrate va donc commencer
son discours, où il raconte en fait un
dialogue entre lui et son ancienne
maîtresse de philosophie, Diotime.

Nature d'Éros …

On trouve ici une référence possible au


Ménon. Dans un passage de ce dialogue,
Platon distingue la droite opinion (orthos
logos) de la science ou de la
connaissance (Épistémé)[33],[34]. L'opinion
droite est vraie, car elle est en conformité
par rapport à la vérité ; seulement,
l'opinion n'est pas justifiée, celui qui la
détient ne sait pas pourquoi il a raison ou
tort. C'est pourquoi son opinion peut
changer, et devenir fausse, alors que
celui qui sait pourquoi il a raison voit son
opinion devenir fixe, car liée par un
raisonnement. Ainsi justifiée et fixée
dans l'esprit, elle devient science.
Socrate, par la bouche de Diotime, ajoute
que l'opinion droite correspond à un
milieu entre science et ignorance.
Il en va de même de l'amour : ni bon ni
beau, sans quoi il ne serait pas désir,
mais ce n'est pas pour cela qu'il est
nécessairement l'opposé du bon et du
beau, c'est-à-dire mauvais. Bien plutôt, il
se trouve entre les deux. Il est un « grand
démon » (daimon), « intermédiaire entre
le mortel et l'immortel. »[35]. Éros fait
partie des démons, au sens grec du
terme : il est chargé de faire le lien entre
les dieux et les hommes, faisant
remonter les prières et les sacrifices d'un
côté, descendre les ordres et les
rétributions des sacrifices de l'autre.
Pour donner une origine à l'amour,
Socrate a recours au mythe[36].
Lorsqu'Aphrodite est née, les dieux ont
fait un banquet pour fêter cette
naissance. Parmi eux, il y avait Poros, qui
personnifie le passage (fluvial ou
maritime, jamais terrestre). Après le
dîner, Pénia, personnifiant la pauvreté,
vient mendier. Elle voit s'en aller Poros
qui, repus, va faire une sieste dans le
jardin de Zeus. Pénia a alors l'idée d'avoir
un enfant de Poros, et elle profite de son
sommeil pour s'unir à lui. De cette union
naît Éros, qui tient de ses deux parents :
comme sa mère,
« il est toujours pauvre, et loin
d'être délicat et beau comme le
croient la plupart, il est rude
au contraire, il est dur, il va
pieds nus, il est sans gîte, il
couche toujours par terre, sur
la dure, il dort à la belle étoile
près des portes et sur les
chemins [...] et le besoin
l'accompagne toujours[37]. »

Comme son père, il recherche le beau et


le bon, est viril et sait chasser avec
compétence. Il est à la fois philosophe,
sorcier et sophiste. Par sa double nature,
divine et humaine, l'amour n'est ni sage ni
ignorant et cherche la connaissance, car
il sait qu'elle lui manque (le sage n'a pas
besoin de chercher la connaissance,
tandis que l'ignorant, inconscient de sa
propre ignorance, ne la cherche pas non
plus).

L'amour, production dans la beauté …

L'amour n'étant pas parfait comme le


sont les dieux, cherche la beauté, la
connaissance, en un mot une certaine
perfection. Il n'est pas cette perfection
qu'il cherche. Les hommes veulent être
heureux, et quand ils possèdent
effectivement le bonheur, ils ne
cherchent rien de plus ; c'est là le but (en
grec ancien Τέλος) ou le Bien suprême,
au-delà duquel on n'en trouve pas d'autre
qui soit encore supérieur[38]. Si le fait de
posséder certaines choses rend heureux,
il suffit de ne plus les posséder pour que
le bonheur disparaisse : l'amour n'est
donc pas seulement le désir de posséder
ce qui est bon, mais le désir de le
posséder toujours[39].

L'être humain est mortel et imparfait.

Le seul moyen pour dépasser ce triste


constat, et accéder à une relative
immortalité, c'est de procréer : « Chez le
vivant mortel c'est cela même qui est
immortel : la fécondité et la
procréation »[40]. L'immortalité est
d'essence divine, et le laid est en
discordance avec le divin alors que le
beau s'accorde avec lui. Celui qui est
fécond s'approche donc de la beauté
pour enfanter[41] : l'amour est « le désir
de posséder et de garder ce qui est ou
semble bon »[39]. L'on peut y voir ici un
aspect qui sera repris par Plotin : l'être
fécond s'approchant de ce qui est au-
dessus de lui dans la hiérarchie des êtres
(en l'occurrence le beau) va surabonder,
et créer quelque chose qui sera en
dessous de lui dans la même hiérarchie.
Diotime – soit Socrate en son nom–
développe ensuite des stratégies pour se
rendre immortel. Il y en a deux : d'une
part la fécondité et le fait d'avoir des
enfants ; d'autre part l'ambition, qui
permet de se ménager « une gloire
immortelle »[42], à l'instar d'Achille, qui a
préféré une vie courte mais éternelle à
une vie longue mais vouée à disparaître.

La dernière étape du discours de Socrate


est la distinction entre trois types de
fécondité, qui correspondent à trois
niveaux de contemplation et d'amour du
beau :
La fécondité biologique, le fait d'avoir
des enfants,
La fécondité de l'âme, par la pensée et
la réalisation d'actes excellents,
L'ordonnance de la cité[43].

Quant à l'individu qui contemple et qui


cherche le beau, il traversera trois
étapes :

Il aime la beauté d'un corps. Cette


beauté est sensible et particulière. Elle
est donc la plus impure et la plus
basse de toutes. Puis, se rendant
compte que la beauté d'un corps est
en fait la beauté de sa forme et qu'on
trouve aussi une telle beauté dans
d'autres corps, il méprisera celui qu'il
aura aimé.
« Il estimera la beauté des âmes plus
précieuse que celle des corps, en sorte
qu'une personne dont l'âme a sa
beauté sans que son charme physique
ait rien d'éclatant, va suffire à son
amour et à ses soins »[44]. Se
concentrant sur l'âme plutôt que sur le
corps, il la cherchera dans les actions
humaines, où il verra que la beauté est
toujours semblable à elle-même.
Les actions humaines le conduiront
aux sciences, où il contemplera
directement le beau. Ce qui lui
permettra d'être animé par l'amour du
savoir. Toutes ces sciences le
laisseront voir la beauté en soi, « une
beauté qui tout d'abord est éternelle,
qui ne connaît ni la naissance ni la
mort, ni la croissance ni le déclin [...]
elle lui apparaîtra en elle-même et par
elle-même, éternellement jointe à elle-
même par l'unicité de sa forme, et
toutes les autres choses qui sont
belles participent de cette beauté. »[45].

L'amour doit donc être honoré en tant


qu'il est un auxiliaire de la poursuite et de
la possession du beau, « simple, pur,
sans mélange, étranger à l'infection des
chairs humaines [...] et en mesure de
contempler la beauté divine en elle-
même, dans l'unicité de la forme »[46].

Arrivée et discours d'Alcibiade …

Buste d'Alcibiade idéalisé (copie romaine d'un


original grec, musée du Capitole, Rome).

Soudain, les convives entendent un grand


bruit à la porte extérieure. On y frappe à
coups redoublés, la voix de jeunes gens
avinés et d'une joueuse de flûte se fit
entendre. C'est Alcibiade qui survient,
ivre mort. Agathon l'invite à s'asseoir
entre lui et Socrate, ignorant la présence
de Socrate, bien qu'assis juste à ses
côtés. Quand, soudain, au détour d'une
remarque, il s'exclame :

« — Par Héraclès ! Qu'est ceci ? Quoi,


Socrate, te voilà encore ici à l'affût pour
me surprendre en réapparaissant au
moment où je m'y attends le moins ! »

(Socrate, inquiet, répond) « — Au secours,


Agathon ! s'écria Socrate. L'amour de cet
homme n'est pas pour moi un médiocre
embarras, je t'assure. Depuis l'époque où
j'ai commencé à l'aimer, je ne puis plus
me permettre de regarder un beau
garçon ni de causer avec lui sans que,
dans sa fureur jalouse, il ne vienne me
faire mille scènes extravagantes,
m'injuriant, et s'abstenant à peine de
porter les mains sur moi. Ainsi, prends
garde qu'ici même il ne se laisse aller à
quelque excès de ce genre, et tâche de
nous raccommoder ensemble, ou bien
protège-moi s'il veut se porter à quelque
violence ; car il m'épouvante en vérité
avec sa folie et ses emportements
d'amour. »
Alcibiade, ivre, redemande à boire, non
dans des verres, mais dans un vase[47].
Les convives insistent pour qu'il fasse à
son tour son éloge de l'Amour. Il argue
qu'en présence de Socrate, il ne peut
faire l'éloge de quiconque, dieu ou
homme, sans risque : Socrate « voudra
me battre » déclara-t-il. Ainsi, plutôt que
de faire l'éloge de l'Amour, il fait accepter
l'idée qu'il puisse faire l'éloge de Socrate.

Son discours est contradictoire : Socrate,


pour lui, « ressemble particulièrement au
satyre Marsyas », « est un effronté
railleur », mais simultanément, « — je
vous attesterais avec serment l'effet
extraordinaire que ses discours m'ont fait
et me font encore. En l'écoutant, je sens
palpiter mon cœur plus fortement que si
j'étais agité de la folie dansante des
corybantes, ses paroles font couler mes
larmes, et j'en vois un grand nombre
d'autres ressentir les mêmes émotions. »
Alcibiade admet se sentir en position de
faiblesse vis-à-vis de Socrate : « — Pour
lui seul dans le monde, j'ai éprouvé ce
dont on ne me croirait guère capable, de
la honte en présence d'un autre homme :
or il est en effet le seul devant qui je
rougisse. J'ai la conscience de ne
pouvoir rien opposer à ses conseils, et
pourtant de n'avoir pas la force, quand je
l'ai quitté, de résister à l'entraînement de
la popularité ; je le fuis donc ; mais quand
je le revois, j'ai honte d'avoir si mal tenu
ma promesse, et souvent j'aimerais
mieux, je crois, qu'il ne fut pas au monde,
et cependant si cela arrivait, je suis bien
convaincu que j'en serais plus
malheureux encore ; de sorte que je ne
sais comment faire avec cet homme-là. »

Alcibiade déclare avoir vainement tenté


de le séduire, par le passé, mais Socrate
s'y était toujours refusé, ce qui était
outrageant à ses yeux, puis consent à
faire l'éloge de Socrate. Alcibiade est
dans un état intermédiaire, à la fois
admiratif de Socrate, et en proie à un
grand ressentiment à son égard. Il est
dans la position de celui qui éprouve le
malheur de l'amour déçu, mais conserve
l'espoir d'arriver à ses fins ; il souffre, fait
des reproches, mais y croit toujours.
« Alcibiade ayant cessé de parler, on se
mit à rire de sa franchise, et de ce qu'il
paraissait encore épris de Socrate »[48].

Son éloge du philosophe n'a pour but


que de tenter de séduire Socrate

Socrate réagit : « Je soupçonne,


Alcibiade, que tu as été sobre
aujourd'hui ; sans quoi tu n'aurais jamais
si habilement tourné autour de ton sujet
en t'efforçant de nous donner le change
sur le vrai motif qui t'a fait dire toutes ces
belles choses, et que tu n'as touché
qu'incidemment la fin de ton discours :
comme si l'unique dessein qui t'a fait
parler n'était pas de nous brouiller,
Agathon et moi, en prétendant, comme tu
le fais, que je dois t'aimer et n'en point
aimer d'autre, et qu'Agathon ne doit pas
avoir d'autre amant que toi. Mais l'artifice
ne t'a point réussi; et on voit ce que
signifiaient ton drame satirique et tes
silènes. Ainsi, mon cher Agathon,
tâchons qu'il ne gagne rien à toutes ces
manœuvres, et fais en sorte que
personne ne nous puisse détacher l'un de
l'autre. »

Tout comme dans le Banquet de


Xénophon et le Théétète de Platon, où
Socrate, qui a de nombreux traits de
ressemblance physique avec Théétète,
lui dit même qu'il le trouve beau, le
personnage qu’est le silène, demi-dieu
caricatural du moche, contient toute une
sagesse : la comparaison avec Socrate
en est un rappel dans ce dialogue ; la
comparaison des laideurs sert en même
temps à Socrate à évoquer une sagesse,
beauté – en l'occurrence – tout
intérieure.
La feinte est éventée. Socrate sous-
entend qu'Alcibiade est fort coutumier de
la boisson, ce qui le rend fréquemment
malhabile. « — En vérité, dit Agathon, je
crois que tu as raison, Socrate ; et
justement il est venu se placer entre toi
et moi pour nous séparer, j'en suis sûr.
Mais il n'y gagnera rien, car je vais à
l'instant me placer à côté de toi. » Mais
Alcibiade de continuer ses manœuvres
pour parvenir à ses fins. Et Socrate et
Agathon de s'en défendre... Ce petit jeu
est interrompu par l'arrivée chez Agathon
d'une foule joyeuse. C'est la fin du
banquet : le prétexte de beuverie. Au
matin, Agathon, Aristophane et Socrate
discutent de l'art de la tragédie. Agathon
et Aristophane finissent par s'endormir.
Socrate s'en va, passe tranquillement sa
journée et rentre chez lui le soir se
reposer.

Éditions et traductions
Marsile Ficin grâce à sa traduction en
latin fait connaître l'œuvre qui est
diffusée dans toute l'Europe au
e
 siècle.

Platon, Le Banquet, bilingue grec-


français, notice de Léon Robin, trad.
Paul Vicaire, Les Belles Lettres,
« Collection des universités de
France », 1989
Platon, Le Banquet, introduction,
traduction et notes de Philippe
Jaccottet avec la collaboration de
Monique Trédé-Boulmer, Le livre de
Poche, 1979.
Platon, Le Banquet, présentation,
traduction et notes de Luc Brisson, GF,
1998

Références
1. en grec ancien : ἀγαθοῦ
2. 180a et passim
3. Ollier et Xénophon, p. 43
4. Chambry et Xénophon, p. 263
5. Athénée, Deipnosophistes [détail des
éditions] (lire en ligne ), Livre V (215-
217)
6. Le Banquet est ainsi cité dès
l'introduction de l'article
« Homosexualité » de la Stanford
Encyclopedia of Philosophy (« The
term ‘homosexuality’ was coined in
the late 19th century by a German
psychologist, Karoly Maria Benkert.
Although the term is new,
discussions about sexuality in
general, and same-sex attraction in
particular, have occasioned
philosophical discussion ranging
from Plato's Symposium to
contemporary queer theory. »), Le
Banquet étant en tout cité pas moins
de cinq fois dans l'article et faisant
partie de la bibliographie établie à la
fin de l'article. Cf. (en) Pickett, Brent,
"Homosexuality", The Stanford
Encyclopedia of Philosophy (Fall
2015 Edition), Edward N. Zalta (ed.)
(lire en ligne )
7. La Pléiade no 58, « Œuvres
complètes de Platon t.1 », N.R.F.
(1950), p. 698.
8. Émile Chambry, « Notice sur le
Banquet », dans Platon, Le Banquet
– Phèdre, Paris, Flammarion,
coll. « GF », 1992
(ISBN 2-08-070004-9), p. 13.
9. Le Banquet (VIII, 32)
10. Ollier et Xénophon, p. 76
11. Chambry et Xénophon, p. 291
12. 178a-180b
13. 178d
14. 180d-185c
15. Lucien de Samosate 2015, p. 1182.
16. « Le Banquet de Platon : le
résumé » , sur www.les-
philosophes.fr (consulté le
6 octobre 2018)
17. « Mythe et Science autour du genre
et de la sexualité » , sur Cairn.info,
2004
18. « Dans les entreprises de conquête
la règle accorde des éloges à l'amant
pour des extravagances qui
exposeraient aux blâmes les plus
sévères quiconque oserait se
conduire de la sorte en poursuivant
et en cherchant à réaliser toute autre
fin. Supposons en effet qu'il veuille
obtenir de l'argent de quelqu'un, qu'il
veuille exercer une magistrature, ou
quelque fonction importante : s'il
acceptait de faire ce que font les
amants pour leurs bien-aimés, c'est-
à-dire d'appuyer sa demande par des
prières et des supplications, de
prononcer des serments, d'aller
coucher aux portes, de s'abaisser
volontairement à une forme
d'esclavage dont aucun esclave ne
voudrait, il serait empêché de se
conduire ainsi à la fois par ses amis
et par ses ennemis : les uns lui
reprocheraient ses flatteries et ses
bassesses, les autres le
raisonneraient et rougiraient pour lui.
Or c'est une grâce de plus, pour
l'amoureux, que de faire tout cela, et
notre règle exempte ces pratiques de
toute reproche, comme s'il réalisait
là quelque chose de purement
admirable. » 182e-183b, trad. Paul
Vicaire, Gallimard TEL, 1989.
19. 184c.
20. Platon, La République [détail des
éditions] [lire en ligne ] (567c)
21. 189a-193e
22. La narration du mythe commence en
189d et finit avec le discours
d'Aristophane (193e)
23. συμβολων désigne un objet coupé
en deux, pour raison personnelle,
politique ou commerciale, dont la
réunion peut constituer un signe de
reconnaissance pour les détenteurs.
Le mot grec renvoie par extension à
tout accord qui divise, implique deux
partis. Le concept se retrouve en
191a-b
24. « Notre espèce peut être heureuse si
nous menons l'amour à son terme et
si chacun de nous rencontre le bien-
aimé qui est le sien, retrouvant ainsi
sa nature première. Si tel est l'état le
plus parfait, il s'ensuit forcément
que, dans le présent, ce qui s'en
rapproche le plus est aussi la chose
la plus parfaite, et c'est la rencontre
d'un bien-aimé selon notre âme. »
193c.
25. 194e-197e
26. 195a
27. « Je veux dire, d'abord, comment je
dois régler mon dire – et dire ensuite
seulement. » (194e)
28. 198d-e
29. Henri Joly 1974, p. 22
30. 199d
31. 200b-e
32. 201a
33. Ménon (96c-98d)
34. Brisson 2008, p. 1084-1086
35. 202d-e
36. 203c-e.
37. 203c-d
38. 205a
39. 206a
40. 206c
41. 206e
42. 208c
43. 208e-209b
44. 210b-c
45. 211a-b
46. 211e
47. Platon (trad. Victor Cousin), Le
Banquet, 213 e
48. Platon (trad. Victor Cousin), Le
Banquet, 222c

Bibliographie
(grc + fr) Xénophon (trad. François Ollier),
Le Banquet. Apologie de Socrate., Les
Belles Lettres, 2014 (1re éd. 1961)
(ISBN 9782251003344).  
Pierre Chambry (dir.), Xénophon.
Œuvres complètes : Les Helléniques.
L'Apologie de Socrate. Les Mémorables,
t. III, Garnier-Flammarion, 1967 (1re éd.
1967)
Lucien de Samosate, Œuvres
complètes (trad. Émile Chambry,
Émeline Marquis, Alain Billault,
Dominique Goust), Éditions Robert
Laffont, coll. « Bouquins », 2015,
1248 p. (ISBN 9782221109021).  
Traductions …

Luc Brisson (dir.), « Le Banquet », dans


Platon, Œuvres complètes, Flammarion,
2008 (ISBN 978-2-0812-1810-9).   *
Platon, Plato's Symposium. Chicago,
University of Chicago Press, 2001.
Édition par Seth Benardete du texte du
Banquet de Platon (en anglais). Cette
édition comporte le texte de Bloom
L'Échelle de l'Amour (paru
originellement dans Love & Friendship)
et un texte de S. Benardete publié
antérieurement en allemand par le Carl
Friedrich von Siemens Stiftung de
Munich.
Stanley Rosen. Plato's Symposium.
Yale University Press, 1968. Réédition
par Saint Augustine's Books, South
Bend, Indiana (États-Unis), 1999.
XXXVII-362 pages.
(ISBN 1-890318-64-7) (En anglais)
Philippe Jaccottet, traducteur de: Le
Banquet de Platon, préface de Michel
Onfray, éditions de L'Aire (2017), Vevey.

Commentaires …

Allan Bloom. L'Amour et l'Amitié.


Traduction française par Pierre Manent
de Love and Friendship. Paris, Éditions
de Fallois, 1996. Édition en poche
Paris, Hachette, collection Biblio-
Essais, 2003. 821 pages. Le chapitre
qui forme le commentaire du Banquet
de Platon occupe les pages 641-814.
Roland Brunet, « Vin et Philosophie : le
Banquet de Platon. Esquisse d'une
sympotique platonicienne », Le Vin des
historiens , 1990, p. 21-48
Marsile Ficin, Commentarium in
convivium Platonis, de amore. Paris,
Les Belles Lettres, 2002. Édition
bilingue français-latin. Commentaire
de chaque discours du Banquet, vu
sous un angle néo-platonicien. C'est un
classique chez les commentateurs de
Platon.
Henry Joly, Le renversement
platonicien, Paris, Librairie
philosophique J. Vrin, 1974.   *
Jacques Lacan, « Le ressort de
l’amour. Un commentaire du Banquet
de Platon » in Le Séminaire VIII : Le
transfert (1960-61), Paris, Le Seuil,
1991.
Karl Reinhardt, Platons Mythen,
Göttigen, 1989. Tr. fr. Les mythes de
Platon, Paris, Gallimard, 2007. Pour Le
Banquet : p. 63-85.
Léon Robin, La théorie platonicienne de
l'amour. Paris, PUF, 1933. Réédition
1964. 189 pages. Analyse du Lysis, du
Banquet et du Phèdre.
George Steiner, « La Nuit du Banquet »,
entretien avec François L'Yvonnet,
préface à l'édition bilingue du Banquet,
Paris, Les Belles-Lettres, collection
« Classiques en poche », no 100, 2010.
Dominique Sels, Les Mots de l'amour
arrivent d'Athènes, vocabulaire de
l'amour dans Le Banquet de Platon,
suivi du Portrait de Socrate, étude pour
le plaisir, éditions de la Chambre au
Loup, 2008 (ISBN 978-2-9528451-2-0)-
Texte en français. Lexicologie. Le
vocabulaire de l’amour dans le
Banquet de Platon est classé en neuf
thèmes ; chaque mot est replacé par
une triple citation dans la scène
vivante de l’œuvre (citations en grec
ancien suivies de la translittération et
de la traduction en français). Précédé
d'une préface, suivi d'un portrait de
Socrate au Banquet de Platon et d'une
postface. Index.
Leo Strauss, On Plato's Symposium.
Chicago, Chicago University Press,
2003. 320 pages. (ISBN 0226776867).
Il s'agit de la transcription du cours que
Strauss fit en 1959 à Chicago sur le
Banquet de Platon. Ce volume a été
traduit en français et publié par O.
Sedeyn aux Éditions de l'Éclat, 2006.
334 pages. (ISBN 2-84162-105-7).

Livres-audio
Le Banquet, lu par Michael Lonsdale,
Éditions Thélème, Paris, 2002.

Articles connexes
Le Banquet : téléfilm de Marco Ferreri
adapté du Banquet
Pagination de Stephanus

Lien externe
Court-métrage d'animation d'après le
Discours d'Aristophane (lu par Jean-
François Balmer dans la traduction de
Luc Brisson).
Le Banquet en version bilingue
Français/grec
Voir aussi
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œuvre  

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