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HEINRICH EHRLER À JAMAIS LES PREMIERS !

Le bouc émissaire aux 208 victoires Premier raid aérien sur le Reich

WINGS OF GOLD
L’aviation de l’US Marine Corps

LES AILES DU PUTUMAYO


La guerre péruano-colombienne

Aérojournal n°75 - Février / Mars 2020


France : 7,50 € - Belgique : 8,20 €
Espagne, Italie, Grèce, Portugal Cont., Lux. : 8,50 €
Suisse : 13,50 CHF - Canada : 14,50 $CAD

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FÉVRIER
carapresse &tère carapresse &tère MARS
éditions
2020éditions
ACTUELLEMENT EN KIOSQUE
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Aérojournal n° 75 Batailles & Blindés n° 95
presse & éditions
Ligne de Front n° 83

Les Waffen-SS étrangers dans Berlin


DEVENIR PANZERMANN ?
HEINRICH EHRLER À JAMAIS LES PREMIERS !
STOPPER LES PANZER !

Le bouc émissaire aux 208 victoires Premier raid aérien sur le Reich OPÉRATION « QUEEN » schwere Panzer-Abteilungen

Recrutement et formation
Foncer vers la Ruhr ! et régiments de chars lourds de la Garde
WINGS OF GOLD

cara publishing
tère
Lang Vei 1968
L’aviation de l’US Marine Corps
Special Forces contre PT-76
LES AILES DU PUTUMAYO La Bataille d'Ordjonikidzé
La guerre péruano-colombienne

LE DERNIER CARRÉ
Et pour quelques barils de plus...
DOSSIER : MAI 1940

Un magazine des éditions


Aérojournal n°75 - Février / Mars 2020
France : 7,50 € - Belgique : 8,20 €
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Batailles & Blindés n°95
L 18250 - 75 - F: 7,50 € - RD L 18284 - 95 - F: 7,50 € - RD Février / Mars 2020
L 18257 - 83 - F: 6,90 € - RD Belgique, Luxembourg, Grèce,
Italie, Portugal cont. : 7,90 €
France : 7,50 € - Belgique : 8,20 € Autriche : 8,20 €
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LOS! n° 48 Trucks & Tanks n° 77 AJ Hors-Série n° 34


ACTU : KILO RUSSE, ARMES HYPERSONIQUES, ETC. // SUBORAMA : LA ROUMANIE

Me-262
Duels dans les plaines européennes
GRAF ZEPPELIN Quel porte-
avions pour la Kriegsmarine ?

U-667
UN U-BOOT NOMMÉ GLÜCKAUF
AMX 30 VERSUS T-62

MESSERSCHMITT

UN NAIN ENTRE DEUX GÉANTS


LES GUERRES DE LA MARINE FINLANDAISE
LE RAZ-DE-MARÉE AMÉRICAIN
LA BATAILLE AÉRONAVALE
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DE LA MER DES PHILIPPINES Belgique, Espagne, Italie, Portugal Cont., Lux. : 7,90 €
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LE NAUFRAGE DU K-278 KOMSOMOLETS L 12420 - 48 - F: 6,90 € - RD L 18299 - 77 - F: 6,90 € - RD


INÉVITABLE CATASTROPHE

LDF Hors-Série n° 38 Los! Hors-Série n° 22 BB Hors-Série n° 41


COMBATTRE DANS UN STUG

PANZERWAFFE VS ARMÉE ROUGE


Témoignages et mémoires

Série les grandes Marine :


LA KRIEGSMARINE

andser décorations (comme Michael Wittmann qui


diale. participe à l’invasion de l’URSS sur StuG. III)
ante- et d’autres qui vont exprimer tout leur poten-
m) et tiel guerrier à bord de ces machines. Alfred
anon Regeniter en Prusse à la fin du conflit, Bodo
alent Spranz, Joseph Brandner et bien d’autres té-
long. moignages seront au centre de ce numéro,
Le choc des titans

équi- qui décrira aussi la façon dont on combat


uesses dans un StuG… De l’invasion de l’URSS
des as. aux derniers combats dans Berlin, c’est une
moi- fresque de l’emploi du canon automoteur le
mes, plus connu du second conflit mondial qui
autes vous sera proposée.

Ligne de Front Hors-série n°38


RD
France, Belgique : 11,50 €
Espagne / Italie / Port. Cont. /
Luxembourg / Grèce : 12.50 €
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Renseignements : Éditions Caraktère - Résidence Maunier - 3 120, route d’Avignon - 13 090 Aix-en-Provence - France
Tél : +33 (0)4 42 21 06 76 - www.caraktere.com
L'ACTUALITÉ DE L'AÉRONAUTIQUE p. 04
Drones chinois, Rafale en Finlande,...

À JAMAIS LES PREMIERS ! p. 12

NOTAM
N° Le tout premier raid aérien sur le Reich
75
[NOTICE TO AIR MEN] WINGS OF GOLD p. 18
L’aviation de l’US Marine Corps / 1912-1945
AVIS AUX LECTEURS
DOSSIER : MAI 1940
Oui, c’est exact, les rumeurs disaient vrai, la réa- p. 32
lité s’est imposée : le prix de votre magazine favori STOPPER LES PANZER !
a augmenté, passant de 6,90 € à 7,50 € (pour la
France métropolitaine). Première augmentation
depuis quasiment la naissance du titre en 2003,
soit en presque 17 ans (que le temps file vite !).
On ne pourra pas dire que nous ne faisons pas
dans la stabilité ! Précision : pour l’instant, les
prix des abonnements demeurent les mêmes :
peut-être est-ce le moment de sauter le pas ?
Ainsi, j’ai tourné et retourné le problème dans tous
les sens, mais je n’ai pas eu le choix, et, autant OBJECTIF MEUSE p. 34
le dire tout de suite, le prix des autres magazines
du groupe sera aussi augmenté. Il faut dire qu’en
Le sacrifice des bombardiers alliés
plus de quinze ans tout a explosé à la hausse dans
HÉROÏQUES TRAPANELLES p. 56
le métier : l’imprimerie, la Poste, les charges et
surtout le coût de la distribution des magazines Les Amiot 143 à Sedan
par les messageries (dont je causerai un jour, ici,
car il est traditionnel chez Caraktère d’évoquer
des sujets généraux dans les colonnes du grand HEINRICH EHRLER p. 68
ancêtre qu’est Aérojournal). L’argent, c’est le nerf Le bouc émissaire aux 208 victoires
de la guerre, et il en faut pour s’assurer d’être
encore là dans 15 ans supplémentaires !
D’autant que nous avons pris la décision d’étof- LES AILES DU PUTUMAYO p. 72
fer considérablement notre gamme de livres sur La guerre péruano-colombienne
l’aviation, avec pas moins de trois ouvrages à
venir d’ici la rentrée de septembre : Chris Goss,
David Zambon et Luc Vangansbeke sont respec-
tivement sur le coup pour des sujets allemand,
italien et français. Un quatrième est en projet
AU SOMMAIRE

très, très, très avancé. Tout ceci a un coût, bien


DU N°76

sûr mais le jeu en vaut vraiment la chandelle.


Il est grand-temps de vous souhaiter une bonne
année, et une bonne lecture, notamment de ce
dossier sur les tentatives désespérées de l’aviation
alliée de freiner l’avance des Panzer-Divisionen
sur la Meuse en mai 1940.
AVENGER : LE VENGEUR DU PACIFIQUE
Yannis Kadari
Aérojournal n°75 Service Commercial : Imprimé en Espagne par :
3 120, route d'Avignon Rivadeneyra, Madrid
Bimestriel // Février/Mars 2020 13 090 Aix-en-Provence - France -O
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ISSN : 1962-2430 Téléphone : 04 42 21 06 76 Allemagne
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3 120, route d'Avignon Rédacteur en chef / Group Captain : Y. Kadari  ervice des ventes et réassort :
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partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans la présente
Notre couverture : 14 mai 1940. Cinq Fairey Battle du No 12 Squadron attaquent une colonne blindée allemande
publication, faite sans l’autorisation de l’éditeur est illicite et constitue une sur la route de Givonne, près de Sedan. Confrontés à de violents tirs de la Flak, les assaillants parviennent à placer
contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions strictement plusieurs bombes sur la route, mais seul le Battle codé L5538 (au premier plan) se sort de ce raid.
réservées à l’usage du copiste et non destinées à une utilisation collective
et, d’autre part, les analyses et courtes citations justifiées par le caractère
© Piotr Forkasiewicz – Aérojournal 2020
spécifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées. Loi
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l'Actualité
de l'Aéronautique

Chine / Drones / Défilé

LES CHINOIS PRÉSENTENT LEURS


NOUVEAUX DRONES
Par Laurent Tirone

LE
1er octobre 2019, l’Armée populaire de Chine a
organisé, sur l’emblématique place Tian’anmen de
Běijīng (Pékin), un (très) imposant défilé militaire
à l’occasion du 70e anniversaire de la naissance
de la République populaire de Chine. Outre des
matériels terrestres, les forces chinoises ont exhibé le fleuron de
leur aéronautique avec 160 avions et hélicoptères. Et était aussi
présentée la dernière génération de drones de combat élaborée
par l’industrie de défense chinoise.

LE GJ-11
Si les avions de chasse furtifs de 5e génération J-20 ont effec-
tué un vol de démonstration, le drone de combat GJ-11 a été
présenté de manière « statique », transporté sur un camion.
Cet appareil est issu du programme AVIC 601-S lancé dans
les années 2000 afin de combler l’avance technologique prise  Drone hypersonique Wuzhen 8 (WZ-8). APL
par les États-Unis et l’Europe dans le domaine des Unmanned
Aerial Vehicle (UAV, véhicule aérien sans pilote). Il regroupe  En tête, un drone d’attaque Wing Loong II (GJ-2) suivit d’un drone furtif GJ-11. APL
de nombreuses entreprises de pointes, dont la firme Hongdu à
l’origine du GJ-11. Si les premières images d’un drone furtif, le
Li-Jian (épée tranchante), ont « fuité » en 2013, le modèle qui a
effectué le défilé semble bien être la version définitive, désignée
GJ-11, dont la fonction principale sera le bombardement de
cibles hautement protégées par un réseau antiaérien constitué
de missiles. Propulsé par un réacteur à double flux WS-13, mais
sans postcombustion, il a pour rôle de passer les défenses et
d’effectuer des frappes chirurgicales avec des armes dissimulées
dans sa soute dont la capacité est estimée à 1,8 tonne. Le GJ-11
reprend l’architecture des ailes volantes et s’inspirent largement
du démonstrateur américain Northrop Grumman X-47B, de l’Un-
manned Combat Air Vehicle (UCAV) Dassault Neuron français
ou encore du Taranis britannique.
Certaines sources avancent une autonomie de 4 000 km et une
capacité à être déployé d’un porte-avions Type 001A (navire qui
ne dispose toutefois pas de catapultes) afin de servir à la recon-
naissance et ainsi permettre des frappes de missiles mer-mer à
400 km de distance.
LE WUZHEN 8
Pour ce défilé, les Chinois ont révélé le Wuzhen 8 (WZ-8), un drone hyper-

WING LOONG II (GJ-2) sonique qui serait capable d’atteindre les 4 000 km/h. Reprenant le concept
du D-21B « Tagboard », un drone de reconnaissance développé par les
Reprenant le dessin d’un drone occidental, en l’occurrence le États-Unis dans les années 1960 et abandonné en 1971 pour espionner
General Atomics MQ-1 Predator américain, le Gongji-2 (GJ-2, le programme nucléaire chinois…, cet UAV a pour mission de repérer les
attaque 2), est à classer comme Medium-Altitude Long-Endurance groupes aéronavals américains afin de diriger vers eux les nouveaux mis-
UAV (MALE UAV). Il est susceptible d’effectuer des attaques au siles hypersoniques antinavires DF-100, qui seraient capables de couler
sol grâce à une vaste panoplie d’armement : missiles air-sol BA-7, des porte-avions.
bombes guidées YZ-212, bombes antipersonnelles YZ-102A… Si les officiers chinois affirment que toutes les armes présentées lors de
Entré officiellement en service en novembre 2018, il affiche une ce défilé sont en service, leur potentiel réel reste encore à confirmer sur
capacité d’emport de 12 missiles air-sol. le terrain.

4
Bulgarie / Musée / Aéronautique

MUSÉE DE L'AÉRONAUTIQUE
Par Laurent Tirone
DE PLOVDIV
F
ondé en 1991, le musée de l’aéronautique de
Plovdiv, qui est une branche du musée militaire
et d’histoire nationale, présente l’évolution de
l’aviation bulgare ainsi que quelques-unes de ses
réalisations. Les pièces exposées proviennent
évidemment, pour l’essentiel, de la période communiste
durant la Guerre Froide. À noter une salle du musée
consacrée à la conquête de l’espace.

PERLES RARES
Le musée de l’aéronautique de Plovdiv présente quelques
avions exceptionnels comme un hydravion de reconnais-
sance Arado Ar 196-3. Assemblé en Allemagne en 1938,
cet appareil unique au monde a été livré à la Bulgarie
en 1943.  Chasseur MIG-21. Toutes photos collection Vislupus
Une salle du musée est donc consacrée à la conquête de
l’espace. Si la Bulgarie n’a évidemment pas d’industrie  Hydravion de reconnaissance Arado Ar 196-3.
spatiale au sens strict du terme, elle a toutefois participé
à cette aventure avec le cosmonaute Georgi Ivanov,
membre de l’équipe du vaisseau spatial Soyouz 33 mis
en orbite le 10 avril 1979. Des « reliques » de son voyage
sont mises en valeur comme sa combinaison ou encore
son module de descente. La présentation continue avec
des aliments du cru (à l’exemple de la bob chorba « style
monastère », une soupe traditionnelle aux haricots par-
fumée à la menthe verte) conditionnés pour être utilisés
dans le vide spatial.

EXPOSITION
« GUERRE FROIDE »
Les pièces exposées en plein air, certaines présentant
hélas une usure importante, font donc la part belle aux
appareils fournis par l’Union soviétique, adhésion au Pacte
de Varsovie oblige. Ainsi, il est possible d’admirer des
avions à réaction Mikoyan-Gourevitch (MiG) 15, 17, 19
(ce dernier est resté 20 ans en service dans l’Armée de
l’air bulgare), 21 ou encore 23 dans de nombreuses ver-
sions (entraînement, chasseur, attaque au sol…) ou des
chasseurs-bombardiers Souchon Su-17, des hélicoptères
(Mi-1, Mi-2, Mi-4, Mi-8, Mi-14 et Mi-24), des bombardiers
comme le Iliouchine Il-28R (Code OTAN : Beagle) ou
plus rare un Lissounov Li-2 (Code OTAN : Cab), copie
russe de l’avion de transport bimoteur à hélices américain
Douglas DC-3. Aux côtés de ces matériels classiques sont
aussi présentés des machines plus exotiques comme le
Yakovlev Yak-23 (Code OTAN : Flora). À la fin des années
1940, la Bulgarie reçoit une douzaine d’exemplaires de
cet avion considéré comme l’un des meilleurs chasseurs  Module de descente du vaisseau spatial Soyouz 33 et combinaisons
à réaction à aile droite du monde. de vol du cosmonaute bulgare Georgi Ivanov.
Une collection qui est certes, et logiquement, centrée
sur des matériels soviétiques des années 50 à 80, mais compte de la présence de nombreux appareils à hélice (Antonov An-2M (Code OTAN :
qui s’avère malgré tout assez riche, surtout si l’on tient Colt) ou Let L-200 Morava, un des seuls avions d’origine bulgare).

5
l'Actualité
de l'Aéronautique
Finlande/Avion de chasse/Rafale

LE RAFALE EN FINLANDE
REMPLACER LES F/A-18 HORNET
Par Laurent Lagneau

P
our remplacer ses F/A-18 Hornet actuellement en service au sein de ses forces aériennes, de l’appel d’offres auront à affronter des
la Finlande a lancé un appel d’offres visant à acquérir 64 nouveaux avions de combat F/A-18 ainsi que des avions d’entraînement
pour un montant compris entre 7 et 10 milliards d’euros. Parmi les critères qui seront Hawk. « Nous testerons les capacités des
déterminants, Helsinki a avancé les capacités de combat, la facilité d’utilisation « en candidats à appuyer les forces terrestres et
temps de paix comme en temps de guerre », l’interopérabilité avec ses partenaires la marine », a précisé le colonel Keränen, qui
et des coûts d’exploitation et de maintenance pouvant être supportés par son budget de la a également indiqué que les performances
Défense, sans avoir recours à un « financement séparé ». des concurrents en matière de combat
aérien, de frappe à longue distance et de
CINQ CONCURRENTS dans les réponses faites par les industriels
en lice sont conformes à l’environnement
missions ISR [renseignement, surveillance,
reconnaissance], allaient être regardées de
Cinq industriels sont en lice pour tenter de opérationnel finlandais ». très près.
remporter ce marché qui, fait valoir le gouver-
nement finlandais, constituera une « décision
importante en termes de politique de sécurité, CONDITIONS EXTRÊMES LE RAFALE
de politique de défense et d’économie natio- « Cela garantit une évaluation juste et équili- QUI VIENT AU FROID
nale. » Ainsi, les Lockheed-Martin [F-35A], brée pour les cinq candidats. Les conditions
Boeing [F/A-18 Super Hornet], le consortium hivernales finlandaises peuvent avoir des Le premier à ouvrir le bal sera l’Eurofighter
Eurofighter [Typhoon], Saab [Gripen E/F] et effets sur les performances des capteurs Typhoon. Il sera ensuite suivi, entre les 20 et
Dassault Aviation [Rafale] ont répondu aux électro-optiques. De plus, d’autres systèmes 28 janvier, par le Rafale. Puis viendra le tour
sollicitations d’Helsinki en remettant un devis. de capteurs, actifs et passifs, peuvent être du Gripen E/F, du F-35 et du F/A-18 Super
aussi affectés. Les chasseurs multirôles Hornet. Cela étant, Dassault Aviation doit
UN CHALLENGE modernes peuvent gérer les basses tempé-
ratures et le froid glacial. Cependant, lorsque
déjà avoir une idée précise du comportement
du Rafale dans l’environnement finlandais.
PRÉLIMINAIRE la température est d’environ zéro degré, les En janvier dernier, l’industriel avait réalisé
Dans le même temps, la force aérienne fin- conditions deviennent souvent plus difficiles une campagne d’essais en Laponie, sur la
landaise va organiser, à partir du 9 janvier, avec la pluie, la bruine verglaçante, le grésil base de Rovaniemi. La force aérienne fin-
le « HX Challenge », dont l’objectif, a expli- ou la neige », a expliqué l’officier. landaise avait bien pris soin de préciser, à
qué le colonel Juha-Pekka Keränen, n’est Ces évaluations se dérouleront depuis la l’époque, que ne jouait aucun rôle dans ces
pas de « classer » les concurrents, mais de base aérienne de Pirkkala, située dans le tests, lesquels ne pouvaient pas être liés au
« s’assurer que les performances indiquées sud-ouest du pays. Les différents candidats programme HX.

6
États-Unis/Exercice/F-35

EXERCICE « ELEPHANT WALK »


PLUS 50 F-35A EN ACTION !
Par Laurent Lagneau

P
our l’US Air Force, un exercice de type « Elephant Walk » a au moins deux objectifs :
 Des chasseurs furtifs F-35A américains lors
tester l’état de préparation au combat des unités impliquées et faire une démonstration
de l'exercice « Elephant Walk », manoeuvre qui
consiste à faire rouler ensemble un grand nombre de puissance en faisant rouler un grand nombre d’avions de combat, juste avant leur
d’avions de combat, juste avant leur décollage. décollage, dans un intervalle de 20 à 40 secondes.
DoD
 Le Rafale B lors d'essais en conditions hivernales de force aurait coûté 4,5 millions de dollars. tremplin clé pour atteindre la pleine capacité de
sur la base aérienne de Rovaniemi en Finlande. Pour rappel, les premiers F-35A arrivèrent à combat », a expliqué le colonel Steven Behmer,
© Dassault Aviation - V. Almansa
Hill AFB en septembre 2015. Puis, un peu le commandant du 388th Fighter Wing. Dans
moins d’un an après, l’US Air Force déclara le détail, les 4e, 34e et 421e escadrons du
UNE SORTE DE RECORD que cette version « classique » de l’avion 388th Fighter Wing disposent chacun de
développé par Lockheed-Martin avait atteint 24 F-35A, avec six autres avions de secours.
En novembre 2019, les 388 e et 419 e sa capacité opérationnelle initiale (IOC), Quant au 469e escadron du 419th Fighter
escadres de chasse (Fighter Wings) basées c’est-à-dire qu’elle était apte à effectuer Wing, il s’agit d’une unité de réserve.
à Hill Air Force Base (Utah) avaient réalisé des missions basiques d’appui aérien, de Par ailleurs, en 2019, Lockheed-Martin a été
un tel exercice en rassemblant 35 F-35A. Le suppression de défenses adverses et d’in- en mesure de livrer 134 F-35 [A/B/C] à ses
6 janvier, elles ont récidivé avec, cette fois, terdiction aérienne. clients, soit 47% de plus par rapport à l’année
52 appareils [sur 78 en dotation au sein de précédente (et 200% de plus par rapport à
ces deux formations, le dernier ayant été livré 2016). Cette année, l’industriel espère pouvoir
en décembre]. L’enjeu de cet exercice était PAS TOTALEMENT assurer 141 livraisons.
de démontrer que les 388th et 419th Fighter OPÉRATIONNEL
Wings avaient atteint leur « pleine capacité
de combat ». Selon l’US Air Force, la pleine capacité PRIX EN BAISSE
opérationnelle du F-35A, qui suit un proces- Le prix du F-35A est tombé à 77,9 millions de

COÛTS ÉLEVÉS sus distinct, ne sera prononcée que quand


« plusieurs autres exigences auront été satis-
dollars et, selon le dernier contrat attribué par
le Pentagone, son coût devrait encore baisser
Comme le souligne le magazine Popular faites ». En un peu plus de quatre ans, les de 12,7% d’ici 2022. Enfin, selon Lockheed-
Mechanics, sachant qu’une heure de vol F-35A mis en service à Hill AFB ont réalisé plus Martin, le taux moyen de disponibilité de la
avec un F-35A coûte 44 000 dollars, si de 17 500 sorties et environ 33 000 heures flotte en service a atteint les 65% tandis que
chaque avion impliqué dans l’exercice a volé de vol. « Les exercices et les déploiements le coût du maintien en condition opérationnelle
pendant deux heures, cette démonstration que nous avons effectués ont chacun été un (MCO) a chuté de 35% en quatre ans.

7
l'Actualité
de l'Aéronautique
Chine/Aéronavale/J-15

L’AÉRONAVALE CHINOISE
EN MANQUE DE PILOTE
Par Laurent Lagneau

 Premier porte-avions chinois, le Liaoning est un navire de classe Amiral


Kouznetsov (ex-Varyag) racheté par la Chine à l'Ukraine pour être transformé en
casino flottant ! Dans le domaine très complexe des porte-avions, la Chine part
d'une feuille blanche et doit encore passer nombres d'écueils avant de pouvoir

A
disposer d'une force aéronavale réellement opérationnelle. Coll. Baycrest
vec la mise en service d’un nouveau porte-avions, le
CNS Shandong, la marine chinoise est confrontée à
un problème paradoxal compte tenu de sa population
DES POSTES ÉLITISTES
dépassant le milliard d’individus. : un manque d’effectif Opérer depuis un porte-avions n’est pas un sport de masse… Avant
aussi bien qualitatif que quantitatif. de déployer le CNS Liaoning, la marine chinoise avait entraîné ses
pilotes à apponter avec une maquette du pont d’envol à l’échelle 1:1,
ACCROISSEMENT DU TONNAGE construite sur la terre ferme. Or, cela n’a rien à voir avec les condi-
tions rencontrées en mer, où il faut prendre en compte les conditions
En décembre 2019, la marine chinoise a officiellement mis en ser- météorologiques [vent, pluie] et, évidemment, les mouvements du
vice le CNS Shandong, son deuxième porte-avions qui, contrairement navire (tangage, roulis et pilonnement, c’est à dire le mouvement
au premier, le CNS Liaoning (ex-Varyag, acquis auprès de l’Ukraine de haut en bas de la coque). En outre, les choses se compliqueront
en 1998), a été construit localement. Ces deux navires sont en confi- pour la chasse embarquée chinoise quand il lui faudra opérer depuis
guration STOBAR (Short Take-Off But Arrested Recovery), c’est à un porte-avions en configuration CATOBAR… Et elle ne pourra pas
dire que leurs avions de combat embarqués J-15 Shenyang (requin compter sur des formations cousues main auprès de ses homologues
volant) décollent grâce à un tremplin. Les porte-avions qui suivront française et américaine.
seront en configuration CATOBAR (Catapult Assisted Take-Off But
Arrested Recovery), c’est à dire qu’ils disposeront de catapultes pour
faire décoller leurs chasseurs embarqués, comme ceux de la Marine UN PROBLÈME ACCENTUÉ
nationale française et de l’US Navy. DANS LE FUTUR
UNE LONGUE MARCHE… Qui plus est, la construction de trois ou quatre autres porte-avions ne
fera qu’accroître le besoin de pilotes confirmés : il devrait en falloir
Au total, la Chine entend disposer de cinq ou six porte-avions à l’ave- 210 à 280 de plus environ. Même chose pour le personnel de pont,
nir. Mais construire un navire est une chose. Faire en sorte qu’il soit qui règle les opérations aériennes avec la précision d’un chronographe
pleinement opérationnel en est une autre… Or, en matière d’aviation suisse. Aussi, la marine chinoise doit relever deux défis : recruter et
embarquée, la marine chinoise a encore presque tout à apprendre… former suffisamment de pilotes et de spécialistes pour atteindre les
Ainsi, quand le CNS Liaoning fut mis en service, en septembre 2012, il objectifs qui lui ont été donnés. Or, selon le South China Morning
n’avait pas encore connu son premier appontage (ce qui sera toutefois Post, la marine chinoise connaît déjà une « pénurie de pilotes », ce qui
le cas deux mois plus tard). Et il aura fallu attendre quatre ans de plus « freine les ambitions de Pékin visant à développer une flotte vraiment
pour voir un J-15 apponter de nuit. prête au combat ».

8
« Les implications de l’aviation embarquée sont encore
relativement peu connues de l’APL (Armée populaire de
libération, ndlr), en particulier quand il s’agit d’augmenter
le rythme de la formation et du recrutement », a expli-
qué Collin Koh, chercheur à la S. Rajaratnam School of
International Studies de l’Université technologique de
Nanyang à Singapour, au South China Morning Post.
Qui plus est, la formation des pilotes embarqués chinois
est régulièrement affectée par des accidents mortels.
Ce qui est généralement mit sous le boisseau par l’APL,
selon Collin Koh, afin de ne pas dissuader les recrues
potentielles.

UN MANQUE D’APPAREILS
Au manque de pilotes vient s’ajouter celui du J-15,
qui, construit seulement à une vingtaine d’exemplaires,
connaît des « problèmes de conception », avec déjà
quatre accidents survenus entre 2016 et 2018. « Le
nombre insuffisant d’avions de combat embarqués et la
formation nécessaire pour un pilote naval qualifié sont les
deux principales raisons pour lesquelles la Chine manque
de pilotes maintenant », a admis Li Jie, un expert militaire
basé à Pékin, dans les colonnes du journal South China
Morning Post (SCMP). Pour autant, il n’est pas inquiet
pour l’avenir. « Mais comme la Chine met de plus en
plus l’accent la formation des pilotes, le problème sera
progressivement résolu », a-t-il assuré.
Effectivement, l’Académie de l’aviation navale chinoise a
noué des partenariats avec les trois principales universités
du pays pour identifier et recruter de futurs pilotes. Et
des « classes expérimentales d’aviation navale » ont été
mises en place dans les écoles secondaires. « Chaque
classe recrute 50 étudiants, qui bénéficient d’une bourse
et seront inscrits sur une liste prioritaire pour être admis
comme pilote naval », explique le SCMP. Reste à voir si
cela sera suffisant…

Ces 3 photos : Avions de combat embarqués J-15 Shenyang (requin volant). Ce monoplace de 27 tonnes est capable théoriquement de
franchir une distance de 3 500 km et peut atteindre la vitesse maximale de 2 100 km/h. Les sources manquent de clarté sur le nombre réel
d’appareils assemblés (de 20 à 24), mais les Chinois se heurtent de toute façon à une crise des effectifs qui ne leur permet pas de disposer
actuellement d’une flotte réellement opérationnelle… qui mettra encore beaucoup de temps à rattraper l’US Navy. Droits réservés

9
l'Actualité
de l'Aéronautique
Allemagne/Hélicoptères/Tigre

LES HÉLICOPTÈRES ALLEMANDS


UNE (TRÈS) FAIBLE DISPONIBILITÉ
Par Laurent Lagneau

 Unterstützungshubschrauber Tiger (UHT) lors d'un vol d'entraînement


près de l’école du Luc. Ce cliché permet d’observer le viseur Osiris. Ce

S
système gyrostabilisé, réalisé par la société Sagem, est monté sur un mât
elon les derniers chiffres présentés, la disponibilité des et permet la mise en oeuvre des missiles antichars HOT et AC3G-LP.
hélicoptères allemands atteint un seuil alarmant au point © Eurocopter / photo Rémy Michelin
d’affecter l’entraînement et la préparation opérationnelle
des pilotes de la Bundeswehr. au niveau du rotor de queue. Évidemment, de telles mesures n’ont pu
qu’avoir des incidences sur la disponibilité de ces appareils.
LA SITUATION FRANÇAISE
D’après les chiffres présentés par le député Thomas Gassilloud dans son UNE SITUATION SUR LE POINT
dernier rapport pour avis sur les crédits destinés aux forces terrestres
en 2020, les taux de disponibilité des appareils de l’Aviation légère
DE S’ARRANGER ?
de l’armée de Terre [ALAT] par rapport aux exigences des contrats Reste que, selon Bild, le problème vient aussi du fait qu’Airbus
opérationnels, s’ils sont toujours considérés comme insuffisants, se Helicopters Germany retarderait régulièrement les contrôles périodiques
sont élevés, en 2019 et en moyenne à 47% pour les hélicoptères de de ces hélicoptères, ce qui aurait contraint la Bundeswehr à réduire de
manœuvre et à 59% pour les hélicoptères d’attaque. Les prévisions plus 20% le nombre d’heures de vol par appareil en 2019. Quoi qu’il
pour cette année tablent sur des taux de disponibilité de respective- en soit, cette faible disponibilité des Tigre UHT et des NH-90 TTH ne
ment 63% et de 72%. peut qu’affecter l’entraînement et la préparation opérationnelle des
pilotes de la Bundeswehr… Cela étant, la situation va sans doute

LA SITUATION ALLEMANDE s’améliorer après que l’Organisme conjoint de coopération en matière


d’armement (OCCAR) a attribué à Airbus Helicopters, en décembre
Or, outre-Rhin, la Bundeswehr est très loin d’atteindre de tels chiffres dernier, un contrat de soutien global trilatéral « visant à accroître le
pour ses hélicoptères. Selon le quotidien Bild, qui a eu accès à des taux de disponibilité des hélicoptères Tigre exploités par les forces
documents internes au ministère allemand de la Défense, 8 hélicop- armées françaises, allemandes et espagnoles. »
tères d’attaque Tigre (sur un total de 53) étaient en état de voler en « Cet accord de soutien à long terme garantit la disponibilité et la faci-
novembre dernier. Et seulement 12 hélicoptères de transport NH-90 lité de maintenance du Tigre au-delà des dix prochaines années. […]
TTH (sur 99) étaient opérationnels. Selon Bild, la Bundeswehr estime Il couvre des éléments critiques tels que l’amélioration continue et le
que cette situation est le fait de l’industriel chargé du Maintien en condi- traitement des obsolescences, ainsi que les réparations et la livraison
tion opérationnelle (MCO) de ces appareils, à savoir Airbus Helicopters des pièces de rechange garanties par tous les fournisseurs concernés.
Germany. L’entreprise « ne respecterait que partiellement ses obliga- Il répond par ailleurs aux besoins individuels de chaque client, en fonc-
tions contractuelles », affirme le journal. Ce qui est « particulièrement tion de ses scénarios opérationnels et de déploiement », avait expliqué
problématique, car les deux systèmes d’armes sont très sensibles aux Airbus Helicopters, à l’époque.
pannes et nécessitent beaucoup de maintenance », poursuit-il. Par exemple, s’agissant de la France, la disponibilité des pièces de
Cependant, l’an passé, la Bundeswehr avait dû clouer au sol ses Tigre rechange destinées aux Tigre de l’ALAT sera désormais garantie jusqu’à
UHT (UnterstützungsHubschrauber Tiger) ainsi qu’une partie de ses 98% et l’approvisionnement en pièces neuves et autres consommables
NH-90 TTH après la découverte de boulons potentiellement défectueux sera directement assuré par Airbus Helicopters.

10
Recensions

ACTUALITÉ DU LIVRE
Par Xavier Tracol, Loïc Becker et Yann Mahé

Des héros ordinaires


Maurin Picard
Ce journaliste du Figaro rassemble ici onze his- Cole, combattre avec Max Duncan, officier à bord
toires souvent sensationnelles de vétérans de la de l’USS Barb, un submersible américain classe
Seconde Guerre mondiale. Tirés d’entretiens et Gato... Mention spéciale pour le témoignage du
d’interviews qu’il a lui-même réalisés, ces portraits pilote Jorg Czypiocka qui va voler à bord d’un
mènent le lecteur aux quatre coins du monde et Messerschmitt Me 262 Schwalbe (Hirondelle).
dans les situations les plus périlleuses qui soient :
il pourra ainsi participer aux raids des comman-
dos des Forces navales françaises libres (FNFL) Perrin, novembre 2019
avec Léon Gautier, couler le cuirassé Bismarck 400 pages, 10 €
avec Terry Goddard, bombarder Tokyo avec Dick ISBN : 978-2-262-08331-1

Iron Cross :
German Military History 1914-45
Le monde de l’Histoire militaire anglo-saxonne E-I, W.nr 4034), un autre sur le canon d’assaut
est relativement mal connu en France, à part les Sturmgeschütz III, sur les vedettes lance-tor-
grands ouvrages généraux et une ou deux mai- pilles S-Boote dans la Manche… et bien d’autres
sons d’édition. Voilà cependant qu’au courant articles. Admirablement illustrés par des cartes
de l’été un nouveau magazine s’est lancé dans et des photographies, ces textes contribuent à
la langue de Shakespeare outre-Manche : Iron faire d’Iron Cross un magazine à suivre pour tout
Cross. Dédié exclusivement à l’étude de l’Histoire passionné d’Histoire militaire allemande. Le tout
militaire allemande de 1914 à 1945, ce nouveau est rédigé dans un niveau d’anglais correct, c’est-
magazine trimestriel (le numéro 3 est disponible à-dire compréhensible facilement pour qui en a
depuis décembre 2019) donne la parole à de nom- quelques notions.
breux experts reconnus pour traiter de sujets à
la fois généralistes et précis. Dans ce numéro
3 se côtoient ainsi le journal de guerre d’Adolf Warners Group, décembre 2019
Galland lors de la bataille d’Angleterre, un article 132 pages, £8,99
sur la restauration du Messerschmitt 109-E (le ISBN : 9772632472005

Guadalcanal 1942-1943
Mark Stille
Tournant de la guerre du Pacifique avec Midway, la constituent la seconde moitié du livre illustré par
bataille de Guadalcanal (îles Salomon) est souvent des photos nombreuses et de qualité. Mention
abordée sous l’angle des opérations terrestres ou particulière aux très intéressants schémas 3D
navales, et rarement sur le plan de la troisième détaillant les tactiques de bombardement (sur
dimension. Le contrôle de l’aérodrome stratégique cible terrestre et navire) utilisées par les avions
d’Henderson est pourtant l’un des enjeux majeurs de chaque camp. Évidemment, comme de juste
de cette campagne dans laquelle l’aviation a joué chez Osprey, les cartes abondent et trois belles
un rôle primordial. Mark Stille s’est donc penché actions de combats aériens signées Jim Laurier
sur le volet aérien de la célèbre bataille en éva- viennent garnir cet ouvrage.
luant les capacités opérationnelles des assaillants
(les Japonais) et des défenseurs (les Américains), Osprey Publishing, 2019
puis en détaillant les objectifs de chacun. Le récit 96 pages, 17,50 €
de la campagne et une analyse de ses résultats ISBN : 978-1-4728-3551-2

11
BATAILLE

1939

les premiers
à jamais
LE TOUT PREMIER RAID AÉRIEN SUR LE REICH
Profils couleurs : Jean-Marie Guillou
!
Par Przemysław Skulski

D
urant les combats aériens de la campagne de septembre 1939, l’aviation polonaise accomplit
plusieurs sorties au-dessus du territoire du III. Reich. La grande majorité consiste en des vols
de reconnaissance ou des poursuites d’avions de la Luftwaffe. Toutefois, il y a aussi quelques
incursions réalisées par des équipages de bombardiers pour frapper des objectifs situés à l’in-
térieur de l’Allemagne. Ces missions isolées ne peuvent évidemment retourner le cours des événements
fatals à la Pologne, mais elles ont un impact psychologique important sur les pilotes polonais. Plusieurs
éléments indiquent ainsi que le tout premier raid aérien sur l’Allemagne, durant la Seconde Guerre mon-
diale, serait l’œuvre de l’équipage d’un PZL.23B Karaś de la 21 Eskadra Bombowa.

12
À jamais
les premiers!

LA 21E ESCADRILLE la Brygada Bombowa (brigade de bombardiers).


Aux côtés de la 22 Eskadra Bombowa, elle y forme
DE BOMBARDIERS la II. Dywizjon Bombowy Lekki (II. division de bombar-
Cette unité est née le 2 novembre 1918 en tant t Un bombardier léger diers légers). L’escadrille aligne alors 10 PZL.23B Karaś,
qu’Eskadra Lwowska (escadrille de Lviv), avant d’avoir de construction nationale un avion de transport Fokker F.VIIB/3m et un appareil
PZL.23A Karaś I, premier
été rebaptisée peu après II. Eskadra Bojowa (II. esca- modèle 100% polonais pris
de liaison RWD-8.
drille d’assaut), puis 6 Eskadra Lotnicza-Wywiadowcza en compte par le parc aérien
(6e escadrille aérienne de reconnaissance) en décembre de la 21 Eskadra Bombowa.
1918. En 1925, elle a été remaniée et son nom trans- NAC
MISSION
formé en 21 Eskadra Lotnicza (21e escadrille aérienne).
Quatre ans plus tard, à la suite d’une autre réorganisation
AU-DESSUS DU III. REICH
au sein de la force aérienne polonaise, la formation est Alors que la guerre débute le 1er septembre 1939, les
devenue la 21 Eskadra Liniowa (21e escadrille de ligne). équipages de la 21 Eskadra Bombowa patientent, parés
Initialement, elle volait sur des Ansaldo 300 peu appréciés au combat, mais aucun ordre ne leur parvient. C’est
qui ont ensuite été remplacés par des Potez XV français. d’autant plus étonnant que la Brygada Bombowa dont elle
À la fin des années 1920, elle a reçu des Potez 27, dépend relève directement de l’état-major suprême de l’ar-
bientôt suivis par des Breguet 19. En 1936-1937, ces mée polonaise. Le seul événement véritablement notable
derniers ont fait place à des bombardiers légers de concep- de la journée est – encore une fois ! – le changement de
tion nationale, les PZL.23A Karaś [1] (désignés Karaś I nom de la formation qui devient 1 Eskadra Bombowa,
après l’introduction de la version B), eux-mêmes à leur même si la désignation 21 Eskadra Bombowa continue
tour rapidement remplacés par une version moderni- à être employée, y compris dans les documents officiels.
[1] Karaś : carpe dorée.
sée, le PZL.23B Karaś II qui devient l’appareil standard Le 2 septembre, l’escadrille effectue enfin sa première mis-
de l’escadrille. sion de guerre. Avant l’aube, elle a reçu l’ordre d’effectuer
À la mi-septembre 1938, l’unité retourne à Cracovie un vol de reconnaissance dans le secteur Częstochowa
pour de grandes manœuvres en Volhynie et en Podolie, - Lubliniec – Oppeln (aujourd’hui Opole) - Gross Strehlitz
intégrant à cette occasion le Samodzielna Grupa (actuelle Strzelce Opolskie), afin de surveiller les mou-
Operacyjna « Śląsk » (groupe opérationnel indépendant vements des troupes allemandes et dénicher des cibles
« Silésie »). À cette époque, le commandant de l’unité à bombarder. Deux équipages sont désignés. Le briefing
est le Kapitan Jan Buczma. Du 24 au 26 août 1939, terminé, les pilotes se dirigent vers leurs appareils. Chaque
une mobilisation d’urgence de la 21 Eskadra Liniowa est Karaś est armé de huit bombes, soit un total de 400 kg
décrétée. Les avions sont déployés sur la partie Nord de de charge offensive. Cette configuration est habituelle
l’aérodrome de Cracovie-Rakowiec sous la protection  Ce PZL.23B Karaś II pour pouvoir attaquer d’éventuelles cibles d’opportunité
appartient à la 21 Eskadra
de batteries antiaériennes. Le 26 août, sous les ordres Bombowa. Il est photographié
rencontrées lors du vol de reconnaissance.
du Podporucznik (sous-lieutenant) Jan Rothe-Rotowski, sur l'aérodrome de Cracovie- Vers 4h00, les deux avions roulent vers l’extrémité
les personnels au sol de l’escadrille embarquent dans un Rakowiec début septembre de la piste. Le premier PZL.23B, piloté le Porucznik
train qui les emmène à Radom. Le lendemain à 17h30, 1939. Son camouflage (lieutenant) Tomasz Kasprzyk décolle sans problème.
en bordure du terrain est
tous les avions s’envolent pour le terrain de Sadków (près sommaire, mais il semble, Le second équipage se compose du Kapral (capo-
de Radom). L’après-midi du 30, l’escadrille est transfé- au tas de branches visible ral) Teofil Gara (mitrailleur), du Podporucznik Witalis
rée sur l’aérodrome de Wsoła par crainte d’une attaque sur la gauche, que les Brama (observateur, chef de bord) et du Kapral
de la Luftwaffe. mécaniciens en ait retiré une Stanisław Obiorek (pilote). Ce dernier prend la direc-
partie pour procéder à la
Le 31 août, l’unité est rebaptisée 21 Eskadra Bombowa maintenance de l'appareil. tion du sud-ouest, qui lui garantit la course au décollage
(21e escadrille de bombardiers) et subordonnée à Coll. auteur la plus longue.

13
PZL.23B Karaś II
21 Eskadra Bombowa
II. Dywizjon Bombowy Lekki
Cracovie-Rakowiec, Pologne, septembre 1939

 Wacław Buczyłko,
Malheureusement, au bout de 150 mètres de piste effa-
pilote du petit bombardier
PZL.23B Karaś II ayant cée, l’avion commence à se déporter vers la gauche et
attaqué le complexe d'Ohlau, s’enfonce dans le sol meuble. La jambe droite du train
à l'intérieur du III. Reich, d’atterrissage se brise et celle de gauche est endom-
le 2 septembre 1939.
Coll. auteur magée. Heureusement, l’équipage s’en sort sans une
égratignure et rentre au PC en voiture.
Un quart d’heure plus tard, un autre appareil a été pré-
paré pour la mission et s’élance à son tour. Au bout de
150-200 mètres, le Karaś II commence à quitter le sol,
mais au bout d’un moment, il décroche et s’écrase dans
un champ de pommes de terre. Par chance, encore une
fois, l’équipage s’en tire indemne. La cause de cet atter-
rissage forcé est le patin de queue dont l’amortisseur
n’a pas résisté aux « nids de poule » et qui a sauté
dans la gouverne de profondeur, la coinçant alors qu’elle
était relevée. C’est là un des défauts majeurs du Karaś,
la fragilité structurelle de son train d’atterrissage qui rompt
souvent, en particulier lors des opérations depuis des
terrains de campagne.
 Les bâtiments et Cette perte n’entrave en rien la détermination
cheminées de l'usine
allemande d'Ohlau. Cette
du Podchorąży (aspirant) Stefan Gębicki qui se préci-
photo date probablement de pite vers un quatrième Karaś paré au départ et réunit
l'immédiat après-guerre, au précipitamment un nouvel équipage se composant du
plus tard du début des années Plutonowy (caporal-chef) Wacław Buczyłko (pilote), du
1950, mais rien n'a changé
par rapport à septembre 1939.
Kapral Teofila Gara (mitrailleur) et de Gębicki (observateur
ZM Silesia et chef de bord). D’après les souvenirs de l’équipage, le
retard cumulé sur l’horaire est alors d’environ 30 minutes,
mais il semble en réalité plus long. Cette fois, le décollage
de ce PZL.23B se déroule sans problème. Buczyłko évolue
tout d’abord à 1 100 mètres d’altitude en direction de
Radomsko et Częstochowa. Au cours du vol, le Karaś
est par erreur pris à partie par l’artillerie antiaérienne
polonaise, puis, à l’approche de la frontière allemande, par
la Flak. Dans les deux cas, les tirs sont imprécis, même
si Buczyłko est contraint à de violentes embardées pour
éviter d’être touché.
Parvenu au-dessus du territoire du Reich, le bombardier
léger descend à une altitude de 100-200 mètres. Cette
initiative a l’inconvénient de limiter le champ de vision
de l’équipage, moins à même d’estimer la situation au
sol et de repérer des cibles à attaquer. Par conséquent,
Gębicki ordonne de grimper à 3 000 mètres d’altitude.
Les membres d’équipage scrutent soigneusement le ter-
rain, tout en surveillant le ciel à la recherche d’éventuels
chasseurs de la Luftwaffe qui seraient une menace mor-
telle pour le PZL.

14
À jamais
les premiers!

D’après les mémoires de Teofila Gara, l’équipage


finit par s’égarer un petit moment, ne sachant plus
 L'épave du PZL.23B
Karaś II piloté par Waclaw
LE DERNIER VOL
Buczyłko et abattu le 3
où il est. Mais bientôt, le Kapral Gara remarque septembre 1939 par le
Le lendemain 3 septembre, les Karaś de la 21 Eskadra
une ville qu’il identifie correctement comme Ohlau Messerschmitt Bf 109 D de Bombowa sont impliqués dans de violents combats.
(aujourd’hui Oława). Le pilote vire sur la gauche et l'Oberleutnant Josef Kellner- En ce qui le concerne, le Plutonowy Buczyłko décolle
plonge. La machine vole droit vers les cheminées Steinmetz, de la 3./ZG 2. avec un autre équipage (Podchorąży Mieczysław Mazur,
Coll. auteur
fumantes d’une usine. Selon les dires de l’équipage, mitrailleur, et Kapitan Stefan Alberti, chef de bord) pour
les bombes sont larguées avec précision sur cet objec- aller bombarder des colonnes allemandes sur la route
tif. Il est difficile de déterminer avec certitude quel Radomsko-Pławnod. Il s’envole aux commandes du Karaś
est le bâtiment visé par les Polonais, mais il s’agit du commandant de la II. Dywizjon Bombowy, le Major
probablement des usines faisant partie du complexe Jan Biały. En plus de l’insigne de la 21 Eskadra Bombowa
industriel Zinkweissfabrik Marthahütte C.T. Löbbecke (le lion rugissant) peint sur le fuselage, l’avion arbore
GmbH, situées au sud de la ville. Il est également  Autre vue du même le code D1 sur la dérive.
appareil, identifiable à son
difficile d’évaluer les effets du raid, mais huit bombes code D1 sur la dérive,
Malheureusement, sur le trajet, le monomoteur polonais
de 50 kg ne peuvent y avoir causé de gros dégâts, inspecté par des soldats est intercepté par des Messerschmitt Bf 109 D du I./ZG 2
même larguées avec précision. allemands. Le mitrailleur, le venant du terrain de Gross Stein qui se ruent sur lui.
L’équipage du Karaś a eu beaucoup de chance, car, Podchorąży Mazur, a été tué Le Karaś de Wacław Buczyłko est rapidement abattu
par une rafale du chasseur
à quelques kilomètres à l’ouest d’Ohlau se trouve l’aé- allemand, alors que le chef
par le Staffelkapitän de la 3./ZG 2, l’Oberleutnant Josef
rodrome de Stanowitz (Stanowice), où sont basés les de bord, le Kapitan Alberti, a Kellner-Steinmetz, dont c’est la toute première victoire.
Messerschmitt Bf 110 de la ZG 76 ! Heureusement, réussi à sauter en parachute. Malgré les tirs de riposte du mitrailleur, le Podchorąży
durant le raid de l’intrus, les Allemands sont en action Quant à Buczyłko, il s'est tiré Mazur, le chasseur allemand parvient à lâcher ses rafales
de son atterrissage forcé avec
en territoire polonais. Les adversaires se sont simplement seulement quelques brûlures ! à très courte distance, environ 30-50 mètres, manquant
croisés à distance dans le ciel sans se voir. C’est ainsi Coll. auteur de peu de percuter le PZL.
que le PZL.23B de Gębicki rentre sain et sauf chez lui.
Il n’est pas aisé de savoir à quelle heure les bombes
du Karaś sont tombées sur l’usine d’Ohlau : proba-
blement vers 6h00-6h20. L’horaire est d’importance
car, ce jour-là, d’autres cibles en territoire allemand
sont attaquées par des bimoteurs PZL.37B Łoś de la
Brygada Bombowa. Le premier de ces raids de Łoś est
accompli par un équipage de la 11 Eskadra Bombowa
(10 Dywizjon), commandé par le Porucznik Henryk
Sawlewicz. L’objectif est de reconnaître le secteur
Radomsko - Częstochowa - Kreuzburg - Gross Strehlitz.
Durant cette mission, l’appareil largue ses bombes sur le
carrefour ferroviaire de Kreuzburg. D’autres équipages de
Łoś exécutent trois sorties similaires et bombardent des
cibles en Allemagne, notamment la jonction ferroviaire
de Voßwalde (actuelle Fosowskie, à l’est d’Oppeln). Il
semble que ces attaques aient toutefois été accomplies
quelques heures après le raid solitaire du Karaś de Gębicki,
qui peut ainsi être crédité de la première mission de bom-
bardement effectuée sur le territoire du III. Reich durant
la Seconde Guerre mondiale !

15
PZL.23B Karaś II
21 Eskadra Bombowa
II. Dywizjon Bombowy Lekki
Cracovie-Rakowiec, Pologne, septembre 1939

« Aux premières loges », le pauvre Mazur capture. Il est hospitalisé et rejoint son unité retourne en Pologne et s’installe à Zakopane,
est tué sur le coup. Le chef de bord, le quelques temps plus tard. Avec cette der- où il s’éteint en 1988. Ses deux camarades
Kapitan Alberti parvient à sauter en para- nière, il parvient à s’échapper en Roumanie ayant participé au raid d’Ohlau survivent
chute. Toutefois, bien que son avion à la fin de la campagne de Pologne puis à également au conflit. Stefan Gębicki a
soit endommagé et en feu, le Plutonowy passer en Angleterre. lui aussi réussi à fuir en Grande-Bretagne
Buczyłko plonge vers le sol et parvient à Après une formation préalable dans la Royal et a successivement servi avec le No 23
se poser en catastrophe dans les champs Air Force, Wacław Buczyłko intègre une Squadron RAF et le No 307 Polish Night
situés entre les villages d’Olszynki et de escadrille polonaise, le No 304 Squadron. Fighter Squadron. Il a volé sur Boston et
Katarzyna (secteur de Piotrków). Buczyłko Aux commandes d’un bombardier Mosquito en tant qu’observateur. Son sort
est indemne, hormis quelques brûlures Wellington, il attaque un U-Boot dans la d’après-guerre est inconnu. Quant à Teofil
superficielles. Posé du côté polonais du Manche le 28 janvier 1944 et parvient à l’en- Gara, il a survécu à l’occupation allemande
front, le pilote en détresse échappe à la dommager sérieusement. Après la guerre, il et est décédé en 1982 à Poznań. 

z La carcasse d'un bombardier léger polonais PZL.23B Karaś II


retrouvée telle quelle par les Allemands sur le terrain de Wsoła
en septembre 1939. Remarquez l'insigne de la 21 Eskadra
Bombowa sur le fuselage : un lion rugissant. Coll. auteur

16
UNITÉ

1912
x Une formation de SBD-5 Dauntless du
VMS-3 durant un vol d’entraînement dans

1945 les îles Vierges, à un stade déjà avancé de


la guerre du Pacifique. Bien qu’à l’US Navy,
la plupart des unités de bombardement
en piqué soient reconverties sur SB2C
Helldiver, le vainqueur de Midway reste
très présent dans les unités d’aviation de
l’USMC jusqu’à la fin de la guerre. US Navy

WINGS
OF GOLD
L’AVIATION DE L’US MARINE CORPS / 1912-1945
Profils couleur : Jean-Marie Guillou Par Luc Vangansbeke

L
es pilotes de l’US Marine Corps (USMC) arborent sur la poitrine un insigne fait de deux ailes d’or.
Bien que leurs débuts soient antérieurs à la Première Guerre mondiale, ce n’est qu’au début de la
Seconde que les « Flying Leathernecks » prennent réellement leur essor, mais leur contribution
sera déterminante dans plus d’un épisode de la campagne du Pacifique.

C
ontrairement à l’US Air Force, l’aviation des Marines accentuer leur réputation de troupe d’élite, ils portent autour du cou
n’est pas une force indépendante et, durant le second une pièce de cuir destinée à leur faire tenir la tête bien droite durant les
conflit mondial, ses unités sont subordonnées à plusieurs parades, ce qui leur vaut le surnom de « Leathernecks », ou « nuques
grands commandements américains dans le Pacifique. de cuir ». Pendant la guerre de Sécession, le Sud se dote d’un modeste
Difficile alors d’en étudier le développement sans nous Confederate States Marine Corps. La fin du conflit est suivie d’un déclin
pencher d’abord sur l’évolution du Corps. jusqu’à la fin du siècle, mais cela n’empêche pas le Corps d’engager
L’USMC trouve ses racines dans une résolution du Second Continental des détachements dans 28 interventions armées.
Congress, datée du 10 novembre 1775 et ordonnant la formation de
deux bataillons de Continental Marines, destinés à soutenir les opéra-
tions de la jeune Continental Navy. Les deux institutions sont dissoutes UNE FORCE AMPHIBIE PROJETABLE
en 1783, à la fin de la guerre d’Indépendance mais, le 27 mars 1794,
le Naval Act jette les fondements d’une US Navy permanente. Un La guerre contre l’Espagne, en 1898, fait comprendre au comman-
nouvel acte du Congrès américain officialise la naissance de l’USMC dement américain qu’il est temps d’adopter une structure permettant
le 11 juillet 1798. la projection rapide d’une fraction importante du Corps en n’importe
Durant six décennies, les Marines sont de tous les combats hors des quel point du globe. Dès 1899, l’effectif autorisé passe de 2 600 à
frontières du territoire américain et participent à certaines opérations de 6 062 hommes, mais il faut attendre 1913 pour voir la création de
« pacification » contre les indiens à l’intérieur de celles-ci. Pour encore l’Advanced Base Force, englobant les 1st et 2nd Regiments.

18
Wings of Gold

La nouvelle organisation joue un rôle important dans p Premier hydravion General Holcomb, Commandant du 1er décembre 1936
la formation des deux Marine Brigades mises à la dis- de l’US Navy, le Curtiss au 31 décembre 1943.
Hydroaeroplane sert aussi à
position de l’American Expeditonary Force envoyée en Installé à Quantico, en Virginie, l’état-major de la FMF
la formation des pionniers de
France durant la Grande Guerre [1]. Pendant celle-ci, l’arme aérienne de l’USMC, rédige un manuel des opérations amphibies, intitulé
l’effectif du Corps passe de 511 officiers et 13 214 comme les First Lieutenants Tentative Manual For Landing Operations et souvent
sous-officiers et militaires du rang à respectivement plus Alfred A. Cunningham et Roy décrit comme l’évolution la plus significative de toute
S. Geiger. SDASM Archives
de 2 400 et 70 000. Le conflit accélère aussi l’intro- l’histoire des Marines. Le premier Fleet Landing Exercise
duction ou la généralisation d’armements modernes tels (FLEx-1) se déroule du 15 janvier au 15 mars 1935 sur
que les chars, les mitrailleuses et, bien entendu, l’avia- les îles portoricaines de Culebra et de Vieques. Quelques
tion. Après l’armistice, l’effectif de l’USMC retombe à semaines plus tard, l’état-major de la FMF déménage
moins de 15 000 hommes, mais cela ne ralentit pas les [1] 4th et 5th Marine vers San Diego, en Californie. La force se restructure en
déploiements : plusieurs détachements participent à des Brigades. Seule la 4thBri- deux brigades, stationnées à Quantico et à San Diego.
gade sera engagée au
opérations de contre-insurrection en Amérique latine et combat. Composée pour
Chacune d’elles est articulée autour d’un régiment d’in-
une Marine Brigade temporaire est envoyée en Chine l’essentiel des 5th et 6th fanterie, renforcé de détachements provenant des autres
pour y assurer la sécurité des ressortissants américains Regiments of Marines, armes et services.
à Shanghai, à Pékin et à Tientsin. elle sera intégrée à la 2nd
Infantry Division de l’US
Bien qu’en 1921, l’Advanced Base Force soit rebaptisée Army. La 5th Brigade sera
Marine Corps Expeditionary Force (MCEF), la mission ne dissoute et son personnel
change pas. La même année, le Major General John A. affecté à divers services
Lejeune devient le nouveau Commandant et fait accélérer au sein de l’American
Expeditionary Force.
la transformation du Corps en une force amphibie capable
d’opérer aux côtés de la Navy et de l’Army. L’une de ses [2] Malgré de brillants
premières actions en ce sens est d’approuver une étude états de service, Ellis est
un alcoolique notoire et
rédigée par le Major Earl H. Ellis, intitulée 712H Operation
succombe probablement
Plan –Advanced Base Operations in Micronesia et de à une cirrhose du foie le
la faire adopter comme principal plan d’action pour le 12 mai 1923. Comme il est
Corps. Dans cet ouvrage, Ellis affirme que la prochaine alors en mission secrète de
reconnaissance dans les
guerre importante à laquelle participeront les Marines sera archipels du Pacifique sous
contre le Japon et propose des plans en vue de débarque- contrôle des Japonais,
ments sur les îles Marshall, Palau et Carolines. La mort une rumeur court que
prématurée d’Ellis [2] l’empêche d’assister à la concrétisa- ceux-ci l’ont empoisonné
après l’avoir démasqué.
tion de ses idées, mais son travail sera déterminant pour
l’avenir de l’USMC. Malgré les restrictions budgétaires,
plusieurs exercices importants, qui se déroulent généra-
lement dans les Caraïbes, permettent d’expérimenter et
de valider les points les plus importants de la doctrine u Roy S. Geiger en tenue
en cours de développement. de colonel à Quantico en
La Fleet Marine Force (FMF) succède à la MCEF 1937. En 1918, il commande
le 7 décembre 1933. Le souhait du Major General John un des Squadrons de la
First Marine Aviation Force
H. Russell, qui devient Commandant le 1er mars suivant, basée dans le nord de la
est de mettre à la disposition de la flotte une force de France. Durant la guerre
débarquement permanente et bien entraînée, soutenue du Pacifique, il alterne
par des blindés, de l’artillerie légère et de l’aviation. les commandements
d’aviation et de troupes
Son effectif de départ est de 3 000 hommes mais terrestres de la Fleet Marine
il se multipliera considérablement sous le Lieutenant Force. SDASM Archives

19
t Un hydravion américain Curtiss R-6, tels que ceux
utilisés par la 1st Marine Aviation Company dans la
reconnaissance maritime contre les U-Boote durant
la Première Guerre mondiale. SDASM Archives

q Bombardier léger de Havilland DH-4


américain au décollage en France. Équipée
d’appareils de ce type en 1918, la First Marine
Aviation Force attaque des objectifs en territoire
belge, y compris des bases de sous-marins
allemands le long de la côte. SDASM Archives

bombardiers de Havilland DH-4. Ce n’est tou-


tefois que le 30 juillet 1918 que l’état-major
et les trois premiers Squadrons débarquent à
Brest sous le commandement de Cunningham,
à présent Major, pour s’installer près de Calais,
Dunkerque et la Fresne. Une erreur dans les
accords passés avec Londres retardant la
livraison des avions, c’est à bord de machines
des No 217 et No 218 Squadrons de la RAF
que les Marines effectuent leurs premières
missions au profit des armées belge et bri-
tannique au-dessus des Flandres. Le quatrième
Squadron rejoint le 5 octobre et, une semaine
plus tard, la Force peut enfin opérer à bord de
ses propres appareils en attaquant les ateliers
L’ENFANCE D’UNE ARME devant être intégrée à l’Advanced Base Force
à Philadelphie. Il faut toutefois attendre le
ferroviaires de Tielt, en territoire belge.
Le 11 novembre, à l’heure de l’armistice, les
Et les aviateurs dans tout cela ? Revenons 17 février 1917 pour que l’unité soit activée. Marine Aviators ont abattu plusieurs avions
deux bonnes décennies en arrière, plus pré- L’entrée des États-Unis dans la guerre mon- ennemis et largué 14 tonnes de bombes.
cisément à la date du 22 mai 1912, lorsque diale, moins de deux mois plus tard, donne Leur service compte 282 officiers et 2 180
le First Lieutenant Alfred A. Cunningham se un coup de fouet à l’expansion de la compa- sous-officiers et militaires du rang, ainsi qu’un
présente au Naval Aviation Camp d’Annapolis, gnie qui, le 14 octobre suivant totalise déjà premier récipiendaire de la Medal of Honor
au Maryland, pour « tout service en rapport 261 hommes, dont 24 officiers, avec l’inten- avec le Second Lieutenant Ralph Talbot. Ce
avec l’aviation ». Il effectue son premier vol tion claire de participer aux combats contre personnel constitue huit Squadrons, mais la fin
solo le 20 août suivant. Seuls quatre autres l’Allemagne de Guillaume II et ses alliés. Le 9 des hostilités annonce une sérieuse réduction
officiers le suivent jusqu’au 31 mars 1916, le janvier, la 1st Marine Aviation Company du des effectifs.
dernier étant le First Lieutenant Roy S. Geiger, Captain Francis T. Evans embarque à desti- Malgré celle-ci, la survie de la Marine Corps
appelé à devenir l’un des grands noms de nation des Açores, avec 145 hommes, dont Aviation est assurée, le Congrès ayant
l’arme aérienne des Marines et du Corps en 12 officiers. approuvé son maintien avec un effectif
général. Sa mission est de participer à la lutte contre maximal de 1 020 hommes, ainsi que l’établis-
Malgré ce départ plutôt modeste, dès 1915, les U-Boote dans l’Atlantique en effectuant sement d’aérodromes permanents à Quantico,
le Major General George Barnett, alors des vols de reconnaissance à bord d’hydra- Parris Island et San Diego. Le 30 octobre
Commandant, autorise la formation d’une vions Curtiss R-6, N-9 et HS-2L depuis Punta 1920, le Major General Lejeune approuve
Marine Corps Aviation Company comptant Delgada, sur l’île de San Miguel. une table d’organisation à quatre Squadrons,
10 officiers et 40 sous-officiers et militaires du Les aviateurs du Corps n’en restent pas là : la stationnés en République Dominicaine pour
rang. Le caractère expéditionnaire de la nouvelle First Marine Aviation Force doit se déployer le 1st, à Quantico pour les 2nd et 3rd, et à
arme s’affirme immédiatement, la compagnie en France avec quatre Squadrons équipés de Port-au-Prince, en Haïti, pour le 4th. Un Flight

20
Wings of Gold

indépendant doit aussi être envoyé à Guam. En


1924, les avions et le personnel stationnés en
République Dominicaine sont redéployés sur la
côte occidentale des États-Unis.

DES PROGRÈS
SACCADÉS
Les années 1920 se passent à populariser l’image
de la Marine Aviation auprès du public, et à défi-
nir les manières de remplir sa mission, tournée
vers l’appui des autres unités du Corps. C’est
dans ce contexte que de nouveaux matériels sont
évalués, que l’organigramme est régulièrement
adapté et que le personnel se familiarise avec
des innovations techniques, comme l’appon-
tage sur un porte-avions, ou tactiques, comme
le bombardement en piqué. L’année 1927 voit
le déploiement de deux Squadrons en Chine et p Bombardier en piqué Great Lakes BG-1 de l’USMC. Les inscriptions sur le
fuselage laissent supposer que cet avion appartient à l’état-major d’Aircraft One,
de deux autres au Nicaragua, où ils restent res-
Fleet Marine Force, à Quantico au milieu des années 1930. SDASM Archives
pectivement jusqu’à la fin de 1928 et 1932.
Le krach boursier de 1929 et la grande dépres-
sion économique qui en résulte ne sont pas sans
conséquence sur l’USMC et son arme aérienne.
Les unités déployées à Guam et à Haïti passent
à la trappe et le nombre de celles stationnées en
métropole est réduit. La création de la FMF et
la publication du Tentative Manual for Landing
Operations réinsufflent un peu de vie dans ce qui
reste, les unités de Quantico se regroupant en
une structure appelée Aircraft One et celles de
San Diego sous le contrôle d’Aircraft Two. En
1935, l’aviation devient une branche indépen-
dante du Corps, relevant directement de l’autorité
du Commandant. Le 1er avril 1936, le Colonel
Ross E. Rowell est nommé au nouveau poste de
Director of Marine Aviation.
En tant que tel, ses responsabilités restent
proches de celles des précédents patrons de
l’arme aérienne de l’USMC, en conseillant le
Commandant en matière d’aviation, ainsi qu’en
assurant la liaison entre le Corps et le Navy
Bureau of Aeronautics.
{ Ci-dessus : Un Vought
VE-7 dont l’appartenance
est parfaitement mise en
évidence par l’insigne peint
sur le fuselage ! Utilisé
comme chasseur par l’US
Army, cet avion sert surtout
à l’entraînement chez les
Marines jusqu’en 1928. La
machine représentée ici est
l’unique exemplaire envoyé
en République Dominicaine,
où il est rattaché au 1st Air
Squadron. SDASM Archives

u Un Vought O2U-2 Corsair


du VS-14M se prépare à
apponter sur l’USS Saratoga
(CV-3) en 1930. Nettement
moins impressionnant que
son homonyme de la guerre
du Pacifique, ce biplan
est néanmoins apprécié
en son temps comme
appareil d’observation
et de reconnaissance
et, à l’occasion, il sert
même à l’appui de
troupes au sol. NHHC

21
t Curtiss SBC-4 Helldiver
du VMO-151, peu avant
l’entrée en guerre des États-
Unis. Basée à Quantico,
cette unité appartient alors
au 1st Marine Air Wing,
commandé par le Brigadier-
General Geiger. NHHC

[3] Commission composée


d’amiraux parmi les plus
anciens de l’US Navy,
formée en 1900 et dissoute
en 1951. Son rôle était de
déterminer l’organisation
future de la Navy, les
caractéristiques de ses
futurs navires et autres
systèmes d’armes, ainsi
que leur doctrine d’emploi.

[4] s.n., United States


Marine Corps Aviation,
https://en.wikipedia.org/
wiki/United_States_
Marine_Corps_Aviation

Les effectifs restent limités : il y a 129 pilotes en 1931 des deux nouvelles formations, qui ne totalisent encore
et leur nombre n’augmente que de 9 au cours des quatre que 60% du personnel et 40% des équipements prévus.
années suivantes, pour atteindre 145 en 1936 et 245 au De nouveaux régiments et bataillons sont formés en sépa-
milieu de 1940. Le rappel de réservistes permet cepen- rant les unités existantes en deux nouvelles, dont les
dant d’atteindre un total de 425 pour la fin de l’année. effectifs sont ensuite complétés par de jeunes soldats
Peu après le début de la Seconde Guerre mondiale en et gradés issus des centres de formation.
Europe, le General Board of the United States Navy [3]
redéfinit le rôle de l’arme aérienne du Corps : « L’aviation
des Marines doit être équipée, organisée et entraînée en LA ROUTE
vue de l’appui de la Fleet Marine Force durant des opé-
rations de débarquement et des troupes en campagne.
DE PEARL HARBOR
x Chasseur Grumman
Une mission supplémentaire est de remplacer des unités Les dernières semaines précédant l’entrée en guerre des F3F-1 du Marine Fighter
d’aviation navale à bord des porte-avions. » [4] États-Unis sont marquées par la mise sur pied des 1st Squadron 2 en novembre
1937. Bien que l’unité
Pour effectuer leur mission primaire, les unités d’aviation et 2nd Joint Training Forces (JTF), en fait deux corps soit alors basée à San
des Marines doivent opérer depuis des bases relativement amphibies provisoires comprenant des unités de l’USMC Diego, selon la légende
proches de l’objectif, l’alternative étant de les baser à autant que de l’US Army, respectivement basées sur les qui l’accompagne, la photo
bord de porte-avions. Dans les années 1930, les pilotes côtes Est et Ouest. Leur principale responsabilité consiste aurait été prise à Oakland.
En juillet 1941, l’unité
continuent à accumuler de l’expérience en la matière à à conduire des exercices amphibies en coopération avec changera de nom pour
bord des USS Lexington (CV-2) et Saratoga (CV-3), mais l’US Navy et à superviser l’entraînement de leurs unités devenir le VMF-111. NHHC
le manque de porte-avions les empêchera d’opérer de la
sorte avant les derniers mois de la guerre du Pacifique
et les confinera sur des bases terrestres.
Le début de la Seconde Guerre mondiale en Europe
accélère le développement du Corps, tant par un accrois-
sement des effectifs que par l’adoption de nouveaux
équipements, matériels et armements. Bien que les États-
Unis restent provisoirement neutres, la situation politique
et stratégique pousse l’état-major du Corps à préparer de
nouvelles interventions et à exécuter certaines d’entre-
elles. C’est dans ce contexte que la 1st Marine Brigade
(Provisional), formée à partir du 6th Marines, se déploie
en Islande en juillet 1941.
Le 1er février 1941, les deux brigades permanentes
de la FMF deviennent les 1st et 2nd Marine Divisions.
Chacune d’elles doit comprendre trois régiments d’in-
fanterie, un régiment d’artillerie, des éléments du génie,
un bataillon de chars et tous les services nécessaires
à leur soutien. Tout reste à faire pour remplir les rangs

22
Wings of Gold

subordonnées. Le 2 mars 1942, la 1st JTF est redési- p Jolie vue en vol d’un North American SNJ-3 Texan (version navale de l’AT-6) et
gnée Amphibious Corps, Atlantic Fleet et comprend la d’un Curtiss SBC-4 Helldiver du 1st Marine Air Wing à l’exercice, au début de 1942.
Ses Squadrons ne tarderont pas à être déployés dans le Pacifique. NHHC
1st Marine Division et la 1st Infantry Division de l’Army,
remplacée plus tard par la 9th Infantry Division. Adoptant q Le pilote d’un Vought SB2U-3 Vindicator du Marine Scouting Squadron 2
la nouvelle dénomination d’Amphibious Corps, Pacific s’entraîne aux appontages sur un bout de piste à Ewa, en juin 1941. Quelques
jours plus tard, l’unité sera rebaptisée VMSB-231. Le Landing Signal Officer (avec
Fleet le mois suivant, la 2nd JTF rassemble la 2nd Marine
les raquettes) est le First Lieutenant Robert E. Galer, du Marine Fighting Squadron
Division et la 3rd Infantry Division, qui cède la place à la 4 (futur VMF-211) qui gagnera la Medal Of Honor à Guadalcanal. NHHC
7th Infantry Division au bout de quelque temps.
Les relations entre les membres des trois forces armées ne
sont pas toujours harmonieuses, mais l’association permet
d’acquérir une expérience précieuse dans le domaine des
opérations amphibies.
La branche aérienne de l’USMC suit le mouvement et,
lorsqu’en juin 1940, le Congrès approuve un programme
d’expansion de la Navy portant sur l’acquisition de 10 000
avions, 1 167 de ceux-ci doivent aller à la Marine Corps
Aviation. Conséquence de ce projet, les 1st et 2nd Marine
Aircraft Wings (MAW) sont activés respectivement à
Quantico et à San Diego. Sur le papier, chacun d’eux
doit compter quatre Marine Aircraft Groups (MAG) et
16 Squadrons, mais il n’y a alors en tout et pour tout
que 13 Squadrons équipés de 204 avions et hydravions.
Une semaine avant l’attaque sur Pearl Harbor, l’Admiral
Harold R. Stark, Chief of Naval Operations, définit une
fois de plus les missions du Marine Corps :
de petites expéditions visant à s’emparer d’une île, d’un
atoll ou d’un archipel de faible taille et à bonne distance
de toute terre importante, comme les Açores ;
des expéditions plus importantes en vue de l’occupation
de plusieurs îles dispersées sur une grande surface en vue
d’y installer une base avancée pour la flotte ;
des expéditions importantes sur d’autres continents ou de
grandes îles, en vue d’y établir des bases utilisées comme
têtes de pont pour une campagne terrestre de grand
format. L’amiral ne plaide pas en faveur d’une expansion
trop importante de l’USMC, qui finirait par faire double
usage avec l’Army ou pourrait pousser celle-ci à prendre le
contrôle des divisions de Marines, privant du coup la Navy
de sa possibilité de conduire des opérations amphibies.

23
de transports Lockheed JO-2 [6] et Douglas R3D [7].
Si l’état-major du 2nd MAW du Brigadier General Rowell
est toujours à San Diego, sa seule grande unité, le MAG-
21, est à Ewa, dans l’archipel de Hawaï. De ses deux
Squadrons de chasse, une partie du VMF-211 vient
d’être envoyée sur l’île de Wake avec 12 F4F et le res-
tant demeure à Ewa. Le second, le VMF-221, équipé de
Brewster F2A Buffalo est à bord du Saratoga. Des deux
Squadrons de bombardiers en piqué, le VSMB-231 est en
partie à bord du Lexington avec 18 SB2U, tandis que le
restant est à Ewa avec 7 SB2U supplémentaires. Les SBD
du VMSB-232, ainsi que le VMO-251 d’observation et
le VMJ-252 de servitude, sont également à Ewa. Enfin,
l’Air Detachment 3 est aux îles Vierges avec le VMS-3
doté de J2F.
La qualité du matériel varie d’un Squadron à l’autre. Si le
chasseur F4F peut faire bonne figure devant le Mitsubishi
A6M2 Zéro de la Marine impériale japonaise, les chances
du F2A sont inexistantes. Quant aux bombardiers en
piqué, le SBD est un excellent appareil qui ne tardera
pas à démontrer sa valeur, mais le SB2U est obsolète.

En revanche, alors que le General Board estime que p Un autre Curtiss SBC-4
la gamme de moyens disponibles au sein des Marine des Marines au début de
1942. Bien que les unités AMPHIBIOUS CORPS
Aircraft Wings doit se limiter à des chasseurs et des avions de bombardiers en piqué
pouvant servir à la fois à la reconnaissance et au bom- de première ligne utilisent La guerre du Pacifique commence mal pour le MAG-21.
bardement en piqué, soutenus par quelques appareils de alors des SB2U et des SBD, Des 48 avions présents à Ewa, tous sont détruits ou
ces biplans sont toujours
transport et de servitude, il préconise de les doter aussi gravement endommagés durant l’attaque du 7 décembre
utilisés pour l’entraînement
d’avions torpilleurs et de bombardiers moyens, afin de et les missions de servitude. 1941, à l’exception d’un R3D en réparation à Ford Island.
leur donner une allonge suffisante pour s’attaquer aux US Navy National Museum Ceux de Wake subissent le même sort dans les jours qui
of Naval Aviation
navires acheminant des renforts ennemis et aux bases précèdent l’invasion de l’île, qui tombe le 23 décembre,
depuis lesquelles ils opèrent. et le VMF-221 sera décimé durant la bataille de Midway,
La veille de l’entrée en guerre des États-Unis, le 1st MAW q Un Vought SB2U-3
en juin 1942.
du Brigadier General Geiger est installé à Quantico avec Vindicator à Ewa, sur l’île Entre-temps, l’Amphibious Corps, Atlantic Fleet prend
le MAG-11. Il dispose de deux Squadrons de chasseurs d’Oahu, Hawaï. L’appareil à sa charge les premiers préparatifs du débarquement
équipés de Grumman F4F Wildcat [5], de deux Squadrons portant toujours les marques allié en Afrique du Nord mais, après la mutation de
du Marine Scouting
de reconnaissance et de bombardement en piqué équi- Squadron 2, la photo est
la 1st Marine Division vers le Pacifique, il est dissous le
pés l’un de Douglas SBD Dauntless, l’autre de Vought antérieure au 1er juillet 24 août et les Marines de son état-major sont réaffectés
SB2U Vindicator, d’un Squadron d’observation doté de 1941, date à laquelle l’unité à l’Amphibious Training Staff, FMF sous les ordres du
Curtiss SBC-4 et d’un Squadron de servitude équipé devient la VMSB-231. Major General Holland M. Smith. Le 1er octobre, le Major
US Navy National Museum
d’un mélange d’hydravions Grumman J2F Duck et of Naval Aviation General Clayton B. Vogel, commandant l’Amphibious

24
Wings of Gold

Corps, Pacific Fleet et son état-major prennent la tête du


nouveau I Marine Amphibious Corps (I MAC), tandis que
Smith et le sien les remplacent dans leurs précédentes
fonctions et continuent à diriger l’entraînement des unités
du Corps et de l’Army aux opérations amphibies.
Deux mois après Midway, l’appui aérien initial de la 1st
Marine Division à Guadalcanal est assuré par le MAG-23,
dont la formation ne remonte qu’au 1er mars précé-
dent. Celui-ci arrive avec un Squadron déjà ancien, le
VMSB-232 et un nouveau, le VMF-223, renforcés du
67th Pursuit Squadron de l’Army Air Force (AAF), ainsi
que par des détachements occasionnels provenant de
six Squadrons d’aviation navale. L’opposition aérienne et
navale japonaise restant forte, le groupe est régulièrement
engagé dans des opérations de chasse pure ou contre
la flotte ennemie, mais progressivement, les missions
de Close Air Support (CAS) prennent une importance
croissante, alors que le matériel est encore peu adapté à
celles-ci. Conçu comme un chasseur pur, le F4F ne peut
emporter que des bombes de petit calibre, alors que,
malgré ses qualités de bombardier en piqué, le SBD n’est
armé que de deux mitrailleuses M2 de calibre .50 dans le
nez et de deux mitrailleuses de calibre .30, pratiquement
inutiles en CAS, à l’arrière de l’habitacle.
Alors que les missions d’appui au profit des forces ter- dans les îles Russell ainsi qu’en Nouvelle-Géorgie et p Un des sept SB2U du
restres ne sont guère populaires parmi les aviateurs de déménage vers Vella Lavella en août 1943. En octobre, VMSB-231 présents à
Ewa le 7 décembre 1941.
l’AAF et de la Navy, ceux des Marines y semblent plus un nouveau déménagement l’amène à Guadalcanal, Tous sont détruits durant
ouverts. L’instruction de fantassin, dispensée à tout où Roy Geiger, à présent Major General, en prend le l’attaque japonaise sur Pearl
Leatherneck avant qu’il n’entame sa formation spécialisée commandement le 10 novembre, mais une base arrière Harbor. Embarquées avec
leurs équipages sur l’USS
dans le domaine choisi, quel qu’il soit, y est certainement est maintenue en Nouvelle-Calédonie. Avec dans ses
Lexington, les 18 machines
pour beaucoup et rend les Marine Aviators plus aptes à rangs la 37th Infantry Division et l’Americal Division, le restantes de l’unité sont
comprendre les besoins et les demandes de leurs cama- I MAC est une formation interarmées et même interna- en route pour Midway où
rades au sol. tionale avec l’affectation temporaire de la 3rd Infantry elles constitueront le noyau
du VMSB-241 avec du
L’état-major du I MAC arrive en Nouvelle-Calédonie en Division néo-zélandaise. En avril 1944, le I MAC est personnel du VMS-231
décembre 1942 et prend le contrôle de toutes les unités rebaptisé III Amphibious Corps (III AC) et rattaché à la laissé sur place. US Nara
de l’USMC dans le Pacifique, à l’exception de celles Third Amphibious Force de la Navy.
déployées dans les îles Samoa, et des détachements De son côté, l’Amphibious Corps, Pacific Fleet abandonne
à bord des navires majeurs de la flotte. Il supervise ses activités d’entraînement et d’expérimentation pour [5] L’USMC utilise le
même système d’appella-
les dernières opérations sur Guadalcanal, puis celles devenir le V Amphibious Corps (V AC) le 25 août 1943. tion pour ses avions que la
Navy, avec la lettre F pour
les chasseurs, SB pour les
avions de reconnaissance
et de bombardement, J
pour les avions de servi-
tude, O pour les appareils
d’observation et R pour les
transports. Une seconde
lettre précise le construc-
teur, A pour Brewster,
B pour Boeing, C pour
Curtiss, D pour Douglas

[6] Appellation navale


du Lockheed L-12
Electra Junior.

[7] Appellation navale


du Douglas DC-5.

t Bien qu’inférieur au Zéro


japonais, le Grumman F4F
Wildcat permet à l’US Navy et
à l’USMC d’absorber le choc
durant les premiers mois de
la guerre du Pacifique. Ses
mitrailleuses de 12,7 mm sont
de bonnes armes pour les
missions d’appui au sol, mais
l’avion manque de capacité
d’emport pour ce qui est des
bombes. Ce F4F-3 est celui
piloté à Midway par le Captain
Marion E. Carl, qui deviendra
l’un des plus grands as de
l’USMC durant la guerre avec
18,5 victoires. US Navy National
Museum of Naval Aviation

25
u Deux Grumman F4F-4
du VMF-121 au décollage
à Henderson Field. Cette
unité participe aux combats
sur l’île de Guadalcanal
d’octobre à décembre 1942.
Remarquons, à l’arrière-
plan, des Lockheed P-38F
Lightning, qui commencent
alors à faire leur apparition
dans le Pacifique.
US Navy National Museum
of Naval Aviation

y Un SBD-4 Dauntless du
VMSB-233 à Henderson
Field en 1943. Formé le 1er
mai 1942, ce Squadron est
envoyé à Guadalcanal en
janvier 1943. Reconvertie
sur Grumman TBF et
rebaptisée VMTB-233, l’unité
opère depuis l’USS Block
Island (CVE-106) à la fin de
la campagne d’Okinawa.
US Navy National Museum
of Naval Aviation

Transféré à Hawaï un mois plus tard, il est rat- Divisions, numérotées de 3 à 6, voient le approuve la mise sur pied d’un état-major des
taché à la Fifth Amphibious Force de la Navy, jour respectivement le 16 décembre 1942, Marine Aicraft Wings, Pacific aux ordres de
au sein de laquelle il conduit des opérations à le 14 août 1943, le 11 novembre 1943 et Rowell, à présent Major General. Celui-ci pren-
partir de janvier 1944. L’entraînement devient le 7 septembre 1944. dra sous son aile le 1st MAW, transféré depuis
une responsabilité de la Troop Training Unit, la côte Est des États-Unis, le 2nd MAW et le 4th
Amphibious Training Command, Pacific Fleet, Marine Base Defense Aircraft Wing, constitué le
activée à Camp Elliott, en Californie, en août PEAU NEUVE 24 août à Guadalcanal. Répondant directement
1943. Mise sur pied le 12 juin 1944 sous le à l’amiral Nimitz, son aire de responsabilité
commandement du Lieutenant General Holland Simultanément, il apparaît qu’il faut une couvre l’ensemble du Pacifique. Composé de
Smith, la Fleet Marine Force, Pacific (FMF nouvelle structure de commandement pour 34 hommes, dont 10 officiers, le Headquarters
Pac) englobe les deux Amphibious Corps et contrôler le nombre croissant d’unités de Marine Squadron, Marine Aircraft Wings, Pacific est
les unités chargées de leur appui, y compris Aviation se déployant dans le Pacifique. À cet activé à San Diego le 15 août, suivi cinq jours
celles d’aviation. Quatre nouvelles Marine effet, dès le 10 août 1942, le général Holcomb plus tard du Service Group.

26
Wings of Gold

Douglas SBD-1 Dauntless


VMB-2
Marine Air Group 11
Ewa, Hawaï, fin 1940

Curtiss SBC-4 Helldiver


1st Marine Air Wing
Quantico, États-Unis, été 1941

Vought SB2U-3 Vindicator


VMSB-231
Ewa, Hawaï, décembre 1941

Vought F4U-1D Corsair


VMF-351
USS Cape Gloucester (CVE-109)
Août 1945

27
North American PBJ-1 Mitchell
VMB-413
Espiritu Santo, Nouvelles-Hébrides, février 1944

L’une des premières décisions de Rowell dans ses nou- [8] À noter aussi le TBM, VMF-124 et, malgré un début peu convaincant contre des
velles fonctions est d’envoyer Geiger avec son état-major, qui est un Avenger Zéros japonais le surlendemain, il ne tarde pas à s’imposer
le HQ Squadron, 1st MAW et le MAG-12 vers le Pacifique construit dans les comme chasseur, comme l’explique le Second Lieutenant
Sud, où ils doivent encadrer, renforcer ou relever les unités usines Glenn Martin. Kenneth A. Walsh, premier as sur ce type d’appareil [11].
combattant à Guadalcanal. Le 5 septembre, pour faciliter [9] VMSB : V pour plus « J’ai vite appris que l’altitude était un facteur essen-
les relations de commandement, Nimitz demande à Rowell lourd que l’air, M pour tiel. Quiconque ayant l’avantage de l’altitude dictait les
de le rejoindre à Hawaï. Celui-ci quitte San Diego le 16 Marines, SB pour Strike termes du combat, et les pilotes de Zéro ne pouvaient
septembre, suivi de son Headquarters Squadron moins de Bomber mais, tenant rien changer à cela. Le F4U surclassait le Zéro dans
compte de la spécificité
deux semaines plus tard. Début octobre, tout le monde de leurs avions, les tous les domaines, sauf dans la maniabilité à vitesse
est installé à Ewa. unités équipées d’Aven- réduite et en vitesse ascensionnelle. Pour cette raison,
Le 19 août, le MAG-23 regagne les États-Unis, où une ger sont rapidement vous évitiez d’engager un Zéro à faible vitesse. Cela a
bonne partie de son personnel est désigné pour l’encadre- rebaptisées VMTB, pour pris du temps, mais nous avons fini par développer des
Torpedo Bomber.
ment des nouveaux MAG-41, 42, 43 et 44, ou affecté tactiques que nous avons utilisées avec grande efficacité.
aux centres d’instruction d’El Centro, Santa Barbara et [10] D’autres firmes ont J’ai parfois croisé le fer avec un Zéro à basse vitesse, en
Mojave. Sur la côte Est, la formation et l’entraînement construit le Corsair, comme combat singulier. J’estime que j’ai eu beaucoup de chance
Brewster, chez qui il porte
de personnels d’aviation supplémentaires se déroule sous d’en sortir vivant. » Le Corsair révèle d’autres as, dont
le nom de F3A et General-
le contrôle du 3rd MAW activé à Cherry Point le 10 Motors, qui lui donne Gregory « Pappy » Boyington, qui remporte 22 victoires
novembre 1942. Les nouveaux Squadrons arrivant dans l’appellation de FG-1. à ses commandes.
le Pacifique sont dotés d’avions plus modernes, qui com- Il fait aussi rapidement ses preuves comme chas-
[11] Current (Colonel
mencent également à équiper les unités existantes. John D.), American
seur-bombardier, emportant sans peine deux bombes de
Le Grumman TBF Avenger [8] participe aux combats de Warplanes of WW II, 1 000 livres, et Charles Lindbergh, qui vole régulièrement
Guadalcanal dans les rangs du VMSB-131 [9]. Celui-ci s.l., s.n., s.d., p. 477. avec les Marines dans le Pacifique comme conseiller
remporte son premier succès à la mi-novembre 1942, technique civil, effectue même plusieurs décollages
lorsqu’en coopération avec les VT-8 et VT-10 de la Navy, avec une bombe de 2 000 livres sous le ventre et une
il envoie par le fond le cuirassé Hiei. L’Avenger poursuit de 1 000 livres sous chaque aile. À la fin de la guerre,
aussi sa carrière dans le Corps comme appareil de lutte le Corsair emporte aussi différents types de roquettes
contre les sous-marins et même comme avion d’attaque et des bidons de napalm.
au sol, avec des bombes et des roquettes. En mars 1943, le VMB-413 reçoit ses premiers North
Principal cheval de bataille de la Marine Corps Aviation American PBJ-1 Mitchell, version navale du B-25 de
et véritable incarnation de celle-ci durant la guerre du l’AAF, mais ce n’est qu’un an plus tard que les Marines
Pacifique, le Vought F4U Corsair [10] fait son appari- l’engagent au-dessus de Kavieng, en Nouvelle-Irlande,
tion à Guadalcanal le 12 février 1943, avec l’arrivée du et au-dessus de Rabaul, en Nouvelle-Bretagne. Sept
Squadrons de Marine Corps Aviation utilisent le PBJ
contre la navigation ennemie et des objectifs terrestres
dans pratiquement tout le Pacifique, tant de jour que
de nuit.
Bien que le Corps reprenne à l’Air Force 410
Curtiss A-25A Shrike, remis aux normes du SB2C-1
Helldiver de la Navy, aucun de ceux-ci n’est engagé au
combat et le SBD reste en service jusqu’à la fin de la
guerre dans les unités de bombardement en piqué de
la Marine Aviation. Celle-ci jouant aussi un rôle dans
le soutien logistique au profit de la FMF Pac, le parc
d’avions de servitude et de transport s’élargit consi-
dérablement, essentiellement avec le Douglas R4D,
version navale du C-47 Skytrain, qui fait ses débuts
opérationnels au VMR-253 en septembre 1942.

EXPANSION
Le développement de plus en plus rapide de la Marine
Aviation dans le Pacifique exerce une forte pression sur
le Service Group, toujours sur la côte occidentale des
États-Unis et chargé de la fourniture de personnels et

28
Wings of Gold

u Vought F4U-1 Corsair


du VMF-124 photographiés
entre deux missions à
Guadalcanal en avril 1943.
Remarquons la verrière
à armatures de type
« Birdcage » des premières
versions. Le VMF-124 est
la toute première unité des
Marines à opérer sur Corsair.
US Navy National Museum
of Naval Aviation

x Ce Grumman F4F
Wildcat, probablement
de la VMF-223 ou 224,
atterrit après une mission à de matériels aux Wings. En conséquence, le 3 décembre de Marine Aircraft, South Pacific le 21 avril. Principale
Henderson Field, durant les
combats de Guadalcanal. 1942, le général Rowell ordonne son élargissement en subordonnée directe de Marine Aircraft Wings, Pacific,
US Navy National Museum un nouvel organisme appelé Marine Fleet Air, West la nouvelle structure contrôle les opérations des 1st
of Naval Aviation
Coast et activé le 22 janvier 1943. L’un des premiers et 2nd MAW. Des ajustements sont aussi nécessaires
y Un Grumman TBF-1 problèmes qui lui est soumis est l’envoi de personnels pour coordonner les activités des services de l’arrière,
Avenger du VMSB-131 de remplacement. Le 1st MAW estimant qu’un rempla- ce qui mène à l’activation, le 1er septembre, de Marine
à Guadalcanal fin 1942. cement de 5% du personnel au sol non-officier, 25% Aircraft, Hawaiian Area. Cet organisme est dissous au
Premier Squadron de
l’USMC à voler sur ce type
des pilotes et 20% des autres fonctions navigantes sera printemps 1944 et ses responsabilités sont reprises
d’appareil, il regagne les nécessaire mensuellement dans le Pacifique Sud, le 2nd par le 3rd MAW, qui déménage de Cherry Point vers
États-Unis en juin 1943 MAW est envoyé sur place pour assurer la relève à la fin Ewa à la fin d’avril et au début de mai. Aux États-Unis,
et, tandis qu’il séjourne à du mois de février 1943. le contrôle de l’instruction et de l’entraînement du
El Toro, en Californie, il
est rebaptisé VMTB-131.
Le 21 avril, précédemment Director of Aviation, le Major personnel sur la côte Est est désormais assuré parle
US Nara General Ralph J. Mitchell prend le commandement 9th MAW, activé le 1er avril.

29
L’activation du HQ FMF Pac, durant l’été 1944 soulève
une nouvelle question : de qui dépendront dorénavant les
unités d’aviation des Marines ? En août, le Commandant
se prononce en faveur du HQ FMF Pac, mais l’amiral
Nimitz n’est pas d’accord et la question reste en sus-
pens pendant un mois. L’incertitude est levée le 11
octobre 1944 par le Major General Francis P. Mulcahy,
qui vient de succéder à Rowell. Marine Aircraft Wings,
Pacific cède la place à Aircraft, FMF Pac, qui est l’un
des commandements majeurs de la FMF Pac, mais le
contrôle opérationnel de ses unités tactiques relève
du commandement des forces aériennes de la flotte
du Pacifique, sauf mention contraire.
Deux nouvelles structures voient encore le jour le 21
octobre 1944. Activé à Ewa, le Provisional Air Support
Command assure dorénavant la liaison entre les forces
terrestres et l’aviation lors de toute opération amphibie.
Mis sur pied à Santa Barbara, en Californie, Marine
Carrier Groups, Aircraft, FMF Pac atteint un vieil objec-
tif hors de portée jusque-là : l’engagement de Marine
Squadrons à partir de porte-avions.
À la mi-1944, alors que la Navy a constamment manqué
de porte-avions pour ses propres opérations jusque-là,
la situation évolue. En juillet, rentrant d’une tournée d’ins-
pection dans le Pacifique, le général Vandegrift a un (CVE-111) rejoignent la flotte avant la fin des hostilités, mais trop
entretien à Pearl Harbor avec Nimitz et plusieurs autres généraux et tard pour prendre part à une opération. La capitulation japonaise
amiraux de l’aviation navale ou des Marines. La conférence se termine interrompt la réalisation du programme.
par un accord portant sur la formation de six Marine Air Support Groups,
constitués autour d’un porte-avions d’escorte de classe Commencement
Bay. Chacun de ceux-ci doit embarquer un Marine Carrier Air Group UNE ARME À MATURITÉ
(MCVG), composé d’un VMF équipé de 18 Corsair et d’un VMTB doté
de 12 Avenger, chargés de missions CAS au profit des forces terrestres. Début 1945, Aircraft, FMF Pac contrôle les 1st, 2nd, 3rd et
Ce n’est toutefois que le 10 mai 1945 que le premier de ces 4th MAW  [12], ainsi que Marine Fleet Air, West Coast et le Provisional
bâtiments, l’USS Block Island (CVE-106) arrive devant Okinawa. Air Support Command. Les quatre Wings sont largement dispersés
Il est suivi de l’USS Gilbert Islands (CVE-107) le 1er juin. Leurs à travers le Pacifique et coordonnent les activités de 70 Squadrons,
groupes embarqués participent aux derniers combats pour l’île, dont 28 de chasse de jour, 5 de chasse de nuit, 14 de bombardiers
puis prennent part au débarquement de Balikpapan, sur Bornéo. en piqué/reconnaissance, 7 de bombardiers moyens, 7 de transport,
Deux autres, les USS Cape Gloucester (CVE-109) et Vella Gulf 5 d’observation et 3 d’avions torpilleurs.
z North American PBJ-1 du
VMB-413 au départ d’une
mission dans le Pacifique.
Ces bombardiers moyens
sont appréciés pour leur
rayon d’action et leur
capacité d’emport supérieurs
à ceux des monomoteurs
du Corps, ainsi que leur
batterie souvent imposante
de mitrailleuses de
12,7 mm montées dans
le nez de l’avion ou sur
les flancs du fuselage.
Marine Corps Museum

[12] Le 4th Marine Base


Defense Aircraft Group
a été rebaptisé 4th
Marine Aircraft Group
durant l’automne 1944.

[13] General of the Army


Douglas McArthur.

t Un Grumman F6F-5N
du VMF(N)-511 se prépare
à prendre l’air depuis le
porte-avions USS Block
Island durant la campagne
d’Okinawa. L’USMC
utilise ce type d’appareil
essentiellement comme
chasseur de nuit, comme en
atteste le pod radar monté
sur l’aile droite. US Navy

30
Wings of Gold

t Quatre Vought FG-


1D Corsair (construits
sous licence par la firme
Goodyear) du VMF-323
durant un vol d’entraînement
le 31 décembre 1944.
Acheminé par l’USS Long
Island (ACV-1), ce Squadron
est un des premiers à opérer
depuis l’aérodrome de
Kadena, sur l’île d’Okinawa,
en avril 1945. US Nara

x North Americain PBJ-1


Mitchell du VMB-413
photographié durant une
mission de bombardement.
Remarquez le radome
escamotable du radar
APS-3, visible derrière
la soute à bombes.
Marine Corps Museum

À présent commandé par le général Mitchell, le contre lesquelles elles testent de nouvelles La dernière modification importante apportée
1st MAW a son quartier général à Bougainville techniques, comme l’usage du napalm. à la structure de celle-ci survient le 21 avril,
et s’articule en six MAG, dont trois et une Bien qu’ils n’en fassent pas partie, deux autres avec la dissolution du Provisional Air Support
partie importante d’un quatrième, ainsi qu’un commandements, installés aux États-Unis, Command, remplacé par Marine Air Support
Squadron d’un cinquième ont été mis à la dis- jouent un rôle important pour Aircraft, FMF Control Units, Amphibious Forces, Pacific.
position du Commander in Chief Southwest Pac : à San Diego, Marine Fleet Air, West Cette nouvelle structure comprend un état-ma-
Pacific [13] et combattent dans les Philippines. Coast gère tous les centres d’instruction jor installé à Ewa et quatre unités chargées de
Les éléments restants sont répartis sur Emirau, d’aviation du Corps sur la côte occidentale contrôler le CAS au profit des forces terrestres
Green Island, Manus, le Cap Torokina et des États-Unis et prépare les unités qui y sont durant un débarquement.
Bougainville. Le MAG-25 est un groupe de formées à leur déploiement dans le Pacifique ; Après avoir piétiné pendant plus de 20 ans,
transport dont l’état-major dirige aussi le South à Cherry Point, le 9th MAW continue à gérer l’aviation de l’USMC est devenue une arme
Pacific Combat Air Transport Command et, en les centres d’instruction sur la côte orientale. redoutable sous l’autorité du Commandant et
tant que tel, a sous ses ordres des Squadrons Parmi les unités administrées se trouvent de la FMF Pac. Sa principale mission est l’ap-
provenant aussi bien du Corps que de l’AAF. 22 Squadrons, 16 VMF et 6 VMTB, réservés pui aux forces terrestres dans le cadre d’une
Installé à Ewa, le 2nd MAW du Major General aux futurs MCVG, dont l’activation est prévue opération amphibie, tant pendant la phase de
James T. Moore ne compte qu’un seul MAG, pour le mois de février sur la côte occidentale. débarquement que durant la campagne qui
basé à Espiritu Santo, dans les Nouvelles- Le 23 février, le général Moore remplace le s’en suit. L’étude détaillée de son évolution
Hébrides. La plupart de ses unités ayant été général Mulcahy à la tête d’Aircraft, FMF Pac. fera l’objet d’un article ultérieur. 
mutées au 4th MAW, l’état-major du Wing
doit devenir le noyau du commandement de
la Tactical Air Force de la 10th Army, qui se
prépare à envahir Okinawa.
Le 8 janvier, le Colonel Byron F. Johnson suc-
cède au Colonel Ford O. Rogers à la tête du
3rd MAW. L’état-major de celui-ci se trouve
également à Ewa, avec l’un de ses deux
MAG, tandis que l’autre est à Midway, sans
ses Squadrons, deux de ceux-ci se trouvant à
bord l’USS Wasp (CV-18) et les deux autres à
bord de l’USS Essex (CV-9), engagés dans une
campagne de raids aériens sur Luçon, Formose
et l’Indochine. En dehors de cela, la mission
primaire du Wing est de former les aviateurs
d’Aircraft, FMF Pac aux techniques de chasse
de nuit, de surveillance de l’espace aérien et
de bombardement par radar.
L’état-major du 4th MAW, commandé par le
Major General Louis E. Woods, est à Majuro,
dans les îles Marshall avec sept MAG, répartis
sur des îles dispersées dans pratiquement tout
le Pacifique central. La plupart de ses unités
maintiennent la pression sur les garnisons japo-
naises d’îles isolées par l’avance américaine,

31
DOSSIER

MAI
1940

32
Stopper
les Panzer !

x 14 mai 1940. Cinq Fairey Battle du No 12 Squadron attaquent une colonne blindée
allemande sur la route de Givonne, près de Sedan. Confrontés à de violents tirs de la
Flak, les assaillants parviennent à placer plusieurs bombes sur la route, mais seul le
Battle codé L5538 (au premier plan) se sort de ce raid.
© Piotr Forkasiewicz – Aérojournal 2020

Le
10 mai 1940, l’offensive allemande à l’Ouest attire le gros
des armées alliées (1re, 7e et 9e armées françaises, ainsi
que corps expéditionnaire britannique) en Belgique et aux
Pays-Bas, où la Wehrmacht semble porter son effort dans
une parfaite réitération du plan « Schlieffen » de 1914, à savoir un « coup
de faux » le long de la mer du Nord. En réalité, le véritable Schwerpunkt
– point d’application principal – du Fall Gelb se situe davantage au sud,
dans le massif ardennais : sept Panzer-Divisionen enfoncent 150 km de
front couvrant toute la frontière du Luxembourg et la façade Est de la
Belgique, ouvrant la voie à 37 divisions d’infanterie. Comme soixante-dix
ans plus tôt, à Berlin, la bataille décisive est attendue au débouché des
Ardennes, à Sedan. Si la Panzergruppe von Kleist réussit à franchir la
Meuse et à accéder à ses plaines étendues propices aux grandes chevau-
chées blindées, s’en sera fini des armées alliées engagées en Belgique.
La confusion provoquée par l’offensive allemande et les pertes causées
par les bombardements matinaux de la Luftwaffe sur les aérodromes
alliés disséminés sur toute l’étendue du front de l’Ouest désorganisent
considérablement les unités aériennes françaises, britanniques et belges.
Aux premières pertes s’ajoute la légèreté de l’état-major allié qui se
concentre entièrement sur les opérations au nord de Maastricht. Le corps
de bataille du groupe d’armées n° 1 du général Billotte se rue en effet à
travers la Belgique et les Pays-Bas conformément au plan « Dyle-Breda »,
tandis que, dès le début de la matinée, la 3e DLC (de la 2e armée) entre
au Luxembourg pour tenter de faire barrage aux Panzer ayant violé la
neutralité du grand duché : mais, curieusement, l’ennemi ne franchit pas la
frontière franco-luxembourgeoise, il semble poursuivre sa route plein ouest.
Dans le secteur de la 3e armée, toutes les unités déployées au sud de
cette division légère de cavalerie restent l’arme au pied à l’abri de la ligne
Maginot qui borde le massif des Ardennes par le sud et dont la solidité ne
saurait être remise en cause par les généraux… Personne, ou presque,
ne semble se soucier de la protection du flanc Sud.
Lorsque les intentions des Allemands sautent enfin aux yeux des géné-
raux alliés, qui n’ont pas tenu compte de certains avertissements faisant
état d’une importante concentration ennemie dans le massif réputé
infranchissable des Ardennes, l’aviation de bombardement alliée est
jetée dans la mêlée pour combler la brèche béante ouverte par les
Panzer. Mais que peuvent des bombardiers légers, moyens ou d’assaut,
faiblement protégés et démunis de projectiles antichars adaptés, contre
des blindés escortés par d’impressionnants moyens de Flak et dont l’ap-
proche est interdite par des dizaines de Messerschmitt Bf 109 et 110 ?
Détruire les ponts empruntés sur la Meuse par les colonnes mécanisées
adverses relève de la même gageure : les Alliés n’ont ni les appareils
capables de percer le rideau protecteur tissé autour des ouvrages d’art,
ni ceux capables d’embarquer des bombes suffisamment lourdes pour
des attaques à basse altitude ou en vol rasant. Faisant flèche de tout
bois, l’Armée de l’Air a même recours à ses vieux Amiot 143, c’est
dire l’urgence de la situation…
Venons-en maintenant au récit – qui ne se prétend pas exhaustif – des
sacrifices accomplis par les équipages français, britanniques et belges du
10 au 14 mai 1940 pour tenter d’arrêter les Panzer, dans ce qui relevait
le plus souvent de véritables missions-suicides. 

Par Yann Mahé

33
DOSSIER

MAI
1940

OBJECTIF

Le sacrifice des bombardiers légers et moyens alliés


MEUSE !
Profils couleurs ©J. M. Guillou, Aérojournal 2020 Par Yann Mahé

D
ès le début de l’offensive allemande à l’ouest le 10 mai 1940, l’attention des forces alliées se
concentre vers les Pays-Bas et la Belgique, conformément au plan « Dyle-Breda ». Mais
très vite, des indices concordants semblent indiquer que la poussée principale des Panzer
a lieu dans les Ardennes, belges, puis française, dans un couloir s’étendant entre Sedan et
Monthermé. Les Britanniques sont les premiers à réagir, bientôt suivis par les Français, les raids
aériens alliés se concentrant sur la Meuse, jusqu’au niveau du canal Albert et de Maastricht, où
les Belges, eux aussi, sacrifient leurs bombardiers légers avec l’énergie du désespoir.
10 MAI : LES FAIREY BATTLE, SEULS AU MONDE Georges, généralissime des forces armées
et commandant en chef du front du Nord-
Étant donné que les armées alliées se autorise les raids contre les troupes enne- Est, ayant scrupuleusement interdit toute
portent vers le nord, les bombardiers Amiot mies si le groupe d’armées n° 1 en fait la attaque aérienne susceptible de faire des vic-
et Farman des groupements 10 et 15 sont demande ; sauf que le général Billotte, son times parmi les populations civiles belges et
affectés à la 1re division aérienne du général commandant, n’en voit pas l’utilité. Du reste, néerlandaises. Aucune sortie directe contre
Escudier, relevant de la ZOAN (Zone d’opé- l’emploi des bombardiers fait l’objet d’in- les forces terrestres allemandes n’est donc
rations aériennes Nord). Le général Vuillemin fimes précautions, les généraux Gamelin et accomplie par l’Armée de l’Air ce jour-là…

34
Objectif
Meuse !

À l’inverse, les Britanniques s’inquiètent de rapports moment aux plus hauts échelons entrave dès le départ les
de renseignement faisant état de puissantes colonnes possibilités de frapper les Panzer au cours de la matinée.
mécanisées repérées dès les premières lueurs du jour Barratt cherche à joindre par téléphone le général Georges
par un avion de reconnaissance français alors qu’elles pour l’informer que son RAF AASF va débuter les opéra-
z Bien que légèrement
franchissaient la frontière du Luxembourg et fonçaient tions et lorsqu’il transmet ses ordres aux unités, il est déjà
postérieur à ce sujet, ce à travers le grand duché. Ils sont les premiers à réagir. midi ! Ses consignes sont simples : tous les Squadrons
cliché d'un Breguet Bre 693 L’Air Marshall Arthur Barratt, commandant des British Air de Fairey Battle, à l’exception du No 88 [1], doivent être
du GBA I/51 victime d'un Forces in France, prend très au sérieux les informations engagés au cours de l’après-midi contre les colonnes blin-
cheval de bois à l'atterrissage
après avoir été endommagé
alarmantes qui lui parviennent et saisit rapidement la dées allemandes traversant le Luxembourg (les Blenheim,
par la chasse allemande, gravité de la situation qui se développe. Et si le « coup eux, partent attaquer le terrain néerlandais de Waalhaven
n'en est pas moins de faux » attendu se trouvait à l’exact opposé du front encombré de Ju 52 aérotransportant un bataillon entier
symptomatique des lourdes ouvert, si le pivot de l’offensive de la Wehrmacht était de l’Infanterie-Regiment 16).
pertes endurées par l'aviation
alliée lancée contre le saillant réellement ici, à la jonction du Luxembourg, de la France Premier à être jeté dans la bataille, le No 142 Squadron,
ardennais en mai 1940... et de la Belgique ? Les Alliés ont lancé leur masse de installé à Berry-au-Bac, envoie à midi huit Fairey Battle
Coll. J.C. Mermet manœuvre dans une course éperdue vers la rivière Dyle, bombarder les unités mécanisées allemandes roulant sur
{ L'Air Marshall Arthur Barratt,
à la rencontre, croient-ils, de l’ennemi, sans se soucier de la route Luxembourg–Dippach. Ils ne sont dès le départ
commandant des British Air leur flanc méridional que l’on suppose protégé à la fois par plus que sept, puisque celui du Pilot Officer Chalmers (le
Forces in France, est l'un des le massif forestier des Ardennes et la ligne Maginot. Si le K9367) ne parvient pas à remonter son train d’atterris-
premiers généraux alliés à fer de lance de l’ennemi débouche dans le secteur, entre sage et rentre au terrain. Heureusement pour lui, car la
prendre en considération les
renseignements annonçant Dinant et Montmédy, il s’offre la possibilité de cisailler le mission vire au carnage. Le Fairey codé L5231 du Flying
la traversée du Luxembourg groupe d’armées n° 1 et la British Expeditionary Force Officer Roth est abattu et ses occupants capturés, celui
par d'importants éléments de leurs arrières mais aussi de contourner la fameuse du Pilot Officer Laws (le L5578) est atteint de plein fouet
mécanisés allemands. Les ligne fortifiée dont l’utilité serait par conséquent réduite par la Flak et s’écrase au sol avec tout son équipage,
escadrilles de Fairey Battle
de sa RAF AASF ne sont à néant. Ce scénario serait catastrophique. enfin, l’avion du Sergeant Spear est touché au-dessus
malheureusement absolument Au QG de Chauny, Barratt débat avec le général François de Colmey et doit se poser sur le ventre (ses occupants
pas adaptées à des attaques d’Astier de la Vigerie, commandant de la ZOAN, du rap- seront de retour à Berry-au-Bac le lendemain). Sur les
au sol contre des Panzer
port tiré de l’observation aérienne et fait part de ses quatre Battle qui reviennent, deux ont subi des pertes
ou des objectifs battus par
la Flak comme les ponts. inquiétudes. Il ordonne à l’Air Vice-Marshal Patrick Playfair à bord : les rampants qui grimpent sur l’aile du P2246
IWM de tenir sa RAF Advanced Air Striking Force (RAF AASF) découvrent le Pilot Officer Corbett et son mitrailleur bles-
prête à entrer en action. Bien que les grandes lignes sés, l’observateur sans vie ; non loin de là, le mitrailleur
de l’intervention de cette dernière aient été définies de du Flying Officer Gosman descend légèrement blessé du
concert avec l’Armée de l’Air, les Britanniques ne sont pas L5242. Le No 142 Squadron ne sera plus en mesure de
soumis à l’autorité du Grand quartier général de Gamelin lancer la moindre attaque avant le 14 mai.
[1] Cloué au sol par les pour exécuter des frappes aériennes, ce qui octroie une À Bétheniville, peu avant 14 heures, quatre Battle du
pertes matinales dues plus grande latitude à Barratt. Dès l’annonce de l’offensive No 103 Squadron s’envolent pour le Luxembourg. Leur
aux bombardements
de Mourmelon par des
allemande, au sein de la RAF AASF, les huit Squadrons objectif est l’ennemi étiré sur la route Bascharage–
Do 17 du III./KG 2, au de Fairey Battle et les deux de Bristol Blenheim Mk.IV ont Dippach. Rencontrant un feu nourri de la Flak, le
cours desquels trois Battle été mis en alerte. Depuis 6h00, chacun d’eux est prêt à leader de la formation largue ses bombes sur des
ont été détruits et deux faire décoller un premier Flight en une demi-heure et le camions, mais elles ne font qu’encadrer leur cible.
autres endommagés.
second deux heures plus tard. Toutefois, la confusion du L’appareil qui le suit lâche les siennes trop tôt.

35
t Le Fairey Battle K9264,
du No 103 Squadron, est
descendu en flammes par
la Flak en attaquant des
convois à l'est de Dippach
(Luxembourg), vers 15 heures
le 10 mai. Tout l'équipage
du Pilot Officer K.J. Drabble
périt. Ce Squadron perd
trois appareils et neuf
hommes tués ou capturés
au cours de ce raid.
Archives Aérojournal

x Touché par la Flak sur


la route entre Luxembourg
et Grevenmacher, le
Fairey Battle K9390 du
No 150 Squadron termine sa
course dans un jardin à Merl.
L'équipage se compose des
Flight Lieutenant E.R. Parker,
du Sergeant J. Whalley et
du Corporal R.K. Rye.
Coll. M. Terlinden

Deux autres Fairey Battle effectuent une l’accueil réservé par la Flak est impitoyable. équipage est fait prisonnier. Le Flying Officer
attaque à très basse altitude (50 mètres) à Les tirs sont si violents, si denses, que les A.C. Roberts (L5540) est abattu en flammes
5 km à l’est de Dippach, mais les résultats de assaillants sont contraints à des manœuvres et l’équipage capturé par les Allemands. Seul
leur raid ne sont pas connus car ils sont abat- évasives qui les empêchent d’ajuster leur visée le Flying Officer W.M. Blom (K9369) réussit à
tus par la Flak. Un troisième l’est également, et même d’observer les résultats de leurs lar- rentrer, mais il s’écrase sur la piste après avoir
puisque seul le Battle du Flight Lieutenant gages. L’avion du Pilot Officer O’Brien est tenté d’atterrir avec les deux pneus crevés.
Ingram est de retour à Bétheniville. Les équi- touché et se pose sur le ventre, son équi- Basé à Amifontaine, le No 12 Squadron reçoit
pages du Flight Lieutenant Wells (K9372) et page étant capturé. Les trois autres rentrent l’ordre à 16h25 de faire décoller quatre Battle
du Sergeant Lowne (K9270) sont en vie mais à Villeneuve-les-Vertus dans un état tel qu’ils chargés d’attaquer les colonnes ennemies
aux mains des Allemands. En revanche, il n’y sont bons pour la casse et rayés des listes ! progressant sur l’axe Luxembourg–Junglister–
a aucun survivant à bord du K9264 du Pilot À peu près au même moment, à 15h35, le Echternach. Les avions du Flight Lieutenant
Officer K.J. Drabble. No 150 Squadron basé à Écury-sur-Coole Hunt (P2243) et du Pilot Officer Hulse (L5249)
Troisième Squadron à entrer en action, le envoie quatre Battle au carton, sur la route s’envolent à 16h50, suivis quinze minutes plus
No 218 attribue à quatre Battle la tâche de Echternach–Luxembourg. N’y ayant pas aperçu tard par une autre paire, le L4949 du Flight
bombarder les Allemands sur la route Dippach– d’objectifs, ils s’en prennent à une colonne de Lieutenant Simpson et le L5190 du Pilot Officer
Luxembourg. Ceux-ci prennent leur envol à blindés entre Luxembourg et Grevenmacher. Ils Matthews. Ils ne sont que trois à parvenir sur
14h30. Si une colonne motorisée ennemie sont accueillis par un déluge de fer et de feu, au l’objectif. En effet, au nord de Verdun, les
à l’arrêt est bombardée avec succès, les point qu’ils ne peuvent observer les résultats de Britanniques sont accueillis par de violents tirs
quatre appareils reviennent à Auberive truf- leur attaque. Le Sergeant R.A. White (L5539) de la Flak et l’appareil de Hunt est sévèrement
fés d’impacts. se pose sur le ventre près de Gosselies ; son touché. Câbles de commande des gouvernes
À 15h30, c’est au tour de quatre Fairey Battle équipage regagnera la base trois jours plus rompus, il doit se poser en catastrophe à
du No 105 Squadron de décoller pour aller tard. Même chose pour le Flight Lieutenant Piennes, entre Thionville et Verdun. Ses trois
bombarder les colonnes massées sur la route E. Parker (K9390), mais il est tué au sol dans camarades poursuivent leur route et attaquent
Echternach–Luxembourg. Encore une fois, un échange de tirs avec des Landser et son à basse altitude les véhicules allemands ren-
contrés. Des coups au but sont observés, mais
le comité d’accueil est le même. Matthews
est abattu : lui et ses deux équipiers sont
capturés au sol, tous blessés. Le Battle de
William Simpson est lui aussi criblé de balles
et prend feu. Mais le pilote parvient à « traî-
ner » son avion en flammes jusqu’à Virton, en
Belgique, où il se pose sur le ventre. Lui-même
s’en sort atrocement brûlé, son mitrailleur, le
Leading Aircraftman Robert Tomlinson, l’étant
pour sa part aux mains après avoir sorti son
camarade du brasier ; il sera décoré de la
Distinguished Flying Medal pour son sauve-
tage héroïque. L’observateur, le Sergeant
Odell, est indemne. Les trois hommes sont
récupérés au sol par des soldats français [2].
En définitive, seul le Fairey Battle de Hulse
rentre à Amifontaine.
Enfin, le No 226 Squadron n’est guère plus
heureux. Quatre de ses Battle décollent de
Reims à 17h00 pour bombarder l’ennemi sur
la route Wallendorf–Diekirch. Des coups au but

36
Objectif
Meuse !

t Vue de l'autre côté du


K9390, criblé d'impacts de
balles, du Flight Lieutenant
Parker. Après l'atterrissage,
ce dernier bondit hors
de l'épave et tire sur une
patrouille allemande qui
arrive sur les lieux ; il est tué
au cours de l’échange de
coups de feu et ses deux
camarades sont capturés.
L'appareil est maintenant
sous la surveillance des
Feldgendarmes.
Archives Aérojournal

x Ce 10 mai, le Fairey
Battle L5540 (JN-C) du
No 150 Squadron connaît
un sort identique. Après
avoir été atteint par l'artillerie
antiaérienne légère d’un
convoi, le Flying Officer
A.C. Roberts le pose sur le
ventre à Bonnevoie, près
de la ville de Luxembourg.
Les trois membres de
l'équipage sont capturés.
Coll. Andrew Thomas

sont constatés, mais le parapluie antiaérien des soient composées de blindés, de camions ou Leurs treize homologues belges de la 5e
Allemands fait des dégâts : le L5247 du Flight de chevaux, les colonnes allemandes sont escadrille du III e groupe du 3 e régiment
Lieutenant Kerridge est abattu en flammes, le systématiquement accompagnées par des aéronautique (ou escadrille 5/III/3) n’ont
K9183 du Flying Officer Cameron est lui aussi batteries antiaériennes mobiles, reposant sur pas l’occasion de briller davantage, quoique
descendu et se pose dans les lignes ennemies des semi-chenillés Sd.Kfz. 10 armés de Flak 30 leurs équipages peuvent s’estimer heureux
(équipage capturé ; Cameron décèdera de ses ou 38 de 20 mm, des Sd.Kfz. 7/1 surmontés de ne pas avoir eu à se frotter à la Flak
blessures quelques jours plus tard), quant au du meurtrier Flakvierling 38 de 20 mm, ou des des Panzer-Divisionen ni aux Messerschmitt
Sergeant Barron, il parvient à ramener son chariots hippomobiles et voitures tout terrain ce jour-là. « Trimballée » de terrain en
P2180 à Reims, mais lui-même est blessé. pourvus d’un jumelage de mitrailleuses MG 34. terrain jusqu’à celui d’Aalter (à 20 km à
Ce premier jour de combat est un bain de sang Ces armes, bien que de petits calibres, four- l’ouest de Gand) afin d’éviter les bom-
pour les Squadrons de Fairey Battle de la RAF nissent une cadence de feu redoutable et sont bardements allemands, la 5/III/3 reçoit
AASF : sur les 31 appareils engagés, 13 ne largement suffisantes pour infliger des dégâts l’ordre à 15h50 de préparer ses avions
sont pas rentrés, 2 se sont écrasés en cours aux avions d’assaut ou de bombardement léger pour une mission sur les ponts du canal
de route et tous les rescapés sont revenus alliés qui ne disposent d’aucune protection : Albert conquis par les parachutistes alle-
endommagés à des degrés divers. Cela repré- pas de blindage ni de réservoirs auto-obturants. mands au profit du XVI. Armee-Korps (mot.)
sente 40% de pertes en matériel, celles en En ce 10 mai, les Fairey Battle britanniques du General der Kavallerie Hoepner.
hommes s’élevant à 7 tués et 34 prisonniers, sont les premiers à tomber sur cette bien mau-
sans compter les blessés ! Or, pas une seule de vaise surprise et à faire les frais de ce parapluie [2] Simpson sera capturé dans un hôpital de
ces pertes n’est due à des chasseurs allemands antiaérien qui sera une constante tout au long campagne à la chute de la France et rapatrié à
l’issue d’un échange de prisonniers en 1941.
volant en protection des Panzer. Qu’elles de la campagne…

37
Fairey Battle Mk. I
Appareil du Flight Lieutenant Simpson
(abattu le 10 mai)
No 12 Squadron
Amifontaine, France, mai 1940

Il est en effet primordial de priver les 3. et


4. Panzer-Divisionen des ouvrages enjam-
bant le canal Albert à Briedgen, Veldwezelt
et Vroenhoven. Sans cela, les deux forma-
tions mécanisées ennemies n’auront aucun
mal à déboucher vers Gembloux. Aussitôt,
neuf appareils sont armés de huit bombes de
50 kg chacun. Commence alors pour les équi-
pages une interminable et incompréhensible
attente. À 18h10, la mission est annulée, puis
elle est à nouveau ordonnée pour 19h50 et
finalement décommandée à 19h20 ! Elle ne
sera en définitive exécutée que le lendemain
matin et se payera au prix fort…

11 MAI :
LE RÉVEIL DES BELGES
Les Belges sont les premiers à sonner le branle-
bas de combat et, dès l’aube, ils reprennent les
préparatifs de leur raid là où ils les ont laissés la
p Illustration des montages extrêmement simples effectués à bord des véhicules légers (ici une
veille. Pourtant, les ordres et contrordres conti-
Stoewer 40), voire même de chariots hippomobiles, pour la lutte antiaérienne en 1940 : un affût
double de mitrailleuse d'infanterie MG34 (cadence de feu de 800-900 coups par arme) et une nuent de se succéder à Aalter depuis 3 heures
grille pour le tir en DCA. Le résultat est rudimentaire mais redoutable. Archives Caraktère du matin… La mission de bombardement est
d’abord annulée et remplacée par de simples
q Le semi-chenillé Sd.Kfz. 10/4 accompagne systématiquement les colonnes blindées allemandes. Avec
sa pièce Flak 30 de 20 mm (280 coups/minute), il peut abattre n'importe quel avion allié volant à basse et
vols de reconnaissance. Mais, alors qu’ils s’ap-
moyenne altitude. On voit ici cet automoteur et ses servants en configuration de tir. Archives Caraktère prêtent à décoller, les pilotes des Fairey Battle
de l’escadrille 5/III/3 sont informés d’un chan-
gement de dernière minute : leurs appareils
doivent être réarmés pour la mission d’attaque
initialement programmée. Sous les avions, les
mécaniciens belges s’affairent donc à remettre
à leur place les bombes qu’ils avaient retirées
des Battle une heure plus tôt !
Les neuf bombardiers biplaces [3] sont répar-
tis en trois vagues de trois appareils pour
autant d’objectifs. Il leur faut impérativement
détruire les ponts de Vroenhoven, Briedgen
et Veldwezelt tombés intacts aux mains de
l’ennemi. La simplicité de la mission peine à
dissimuler son caractère vain et suicidaire.
Non seulement les huit bombes de 50 kg
emportées par chaque machine (soit 400 kg
de charge offensive chacune) sont très loin
d’avoir le pouvoir de destruction suffisant
pour endommager les structures de béton des
ponts et faire s’écrouler leur tablier, mais, à
l’inverse des colonnes blindées allemandes,
protégées par des pièces de Flak légères et
donc plus mobiles, les sites stratégiques –
tels que justement les ponts – sont presque
toujours défendus par des canons de calibres

38
Objectif
Meuse !

u Le pont de Vroenhoven
est conquis le 10 mai par les
parachutistes allemands du
groupe « Beton » aux ordres
de l'Oberleutnant Schacht, ce
qui permet le passage des
chars de la 4. Panzer-Division
que l'on voit ici. L'ouvrage
d'art sera bientôt la cible des
Battle belges et britanniques.
Bundesarchiv - Bild 146-
1985-038-06 (o.Ang.)

[3] Contrairement à ceux


de la RAF, triplaces,
les Fairey Battle
belges n’embarquent
pas d’observateur.

plus lourds, 37 et 88 mm notamment. Et comme les prennent leur envol à 5h45. Il s’agit du T-73 du capi-
trois ouvrages d’art visés sont d’un intérêt tout aussi taine Pierre et du lieutenant Cloquette, du T-60 des
vital pour les Allemands, ces derniers ont déployé de très adjudants Verbraeck et Dome, et du T-58 de l’adju-
y Tombé aux mains des
Fallschirmjäger du groupe
nombreuses batteries de DCA tout autour… Pire, il est dant Timmermans et du 1er sergent Rolin-Hymans.
« Stahl » de l'Oberleutnant prévu une escorte de six Gloster Gladiator de l’escadrille L’affaire commence mal car, bien que volant à très
Altmann, le pont de 1/I/2, mais ceux-ci sont surpris en chemin par huit Bf 109 basse altitude, la formation belge est très vite repé-
Veldwezelt est lui aussi de la JG 1 en maraude : quatre sont abattus (dont un par rée par des Messerschmitt Bf 109 et se disloque. S’il
l'un des points de passage
de la 4. Panzer-Division un certain Ludwig Franzisket) et les deux autres troués parvient à semer ses poursuivants, le T-60 croise bien-
sur le canal Albert. Malgré au point de devoir faire demi-tour. À l’heure du départ tôt la route de deux Dornier Do 17 à l’est de Gand ;
leurs tentatives, les Fairey d’Aalter, toutes les conditions sont bel et bien réunies les mitrailleurs allemands ouvrent aussitôt le feu et
Battle alliés ne parviendront
pour un massacre. le touchent : Verbraeck est blessé dans le dos par
pas à l'endommager...
Bundesarchiv - Bild 146- La première section à décoller est celle en charge du quatre balles, tandis que Dome, les mains agrippées
1974-061-19 (o.Ang.) raid contre le pont de Veldwezelt. Ses trois Battle sur sa mitrailleuse, les a déchiquetées par une rafale.

39
Fairey Battle Mk. I
Appareil de l'adjudant Timmermans
(abattu le 11 mai)
Escadrille 5/III/3
Aalter, Belgique, mai 1940

Fairey Battle Mk. I


Appareil du capitaine Glorie
(abattu le 11 mai)
Escadrille 5/III/3
Aalter, Belgique, mai 1940

Au bord de l’évanouissement, le pilote n’a des Messerschmitt, poursuit donc seul vers Moens), T-64 (adjudant Binon et capo-
d’autre choix que de se poser près de Lebbeke Veldwezelt. Le Battle arrive en vue du pont, ral Legrand) et T-70 (capitaine Glorie et
après seulement 20 minutes de vol. Ses deux mais il est accueilli, comme il se doit, par de sous-lieutenant Van den Bosch), prennent l’air
occupants seront hospitalisés à Termonde. violents tirs de la Flak. Le rideau de fer et de à 5h50. Les trois appareils se dirigent en vol
Les T-73 et T-58, quant à eux, tombent de feu est tel qu’il ne peut larguer ses bombes rasant (50 mètres) vers le pont de Vroenhoven,
nouveau sur des Bf 109, appartenant à la 1./ au premier passage et doit en effectuer un mais les tirs fratricides provenant de la DCA
JG 27, près d’Hasselt. L’Oberleutnant Karl- deuxième. Si ses projectiles rasent le parapet, belge à Louvain – qui ne touchent pas – ne
Wolfgang Redlich parvient à se placer dans une seule frappe l’ouvrage, n’y causant que sont pas de bon augure… Au niveau de
la queue du second et ne lui laisse aucune des dégâts superficiels. Le capitaine Pierre Tongres, le trio tombe sur l’avant-garde de la
chance : le T-58 s’écrase non loin d’Herderen réussit ensuite à ramener sans dommage sa 4. Panzer-Division, le capitaine Glorie lâchant
à 7h40 ; il n’y a aucun survivant. Cette vic- machine à Aalter. aussitôt de longues rafales sur les colonnes
toire offre un peu de répit au T-73 de Pierre La deuxième section, comprenant les Fairey survolées. La réponse est immédiate : tirs
et Cloquette qui, parvenu à se débarrasser Battle T-61 (adjudant Delvigne et sergent de 20 et 37 mm encadrent les Battle et un

40
Objectif
Meuse !

projectile se loge même dans le plancher du T-70, pas- p Le Fairey Battle T-71 de qui les prennent pour des Allemands et, une fois cap-
sant entre les jambes de Vandenbosch sans l’atteindre ! l'escadrille 5/III/3, visible turés au sol, doivent batailler pour les convaincre qu’ils
À leur arrivée sur Vroenhoven, les trois avions sont pris au second plan, ne prend combattent sous le même uniforme… Par conséquent,
pas part au raid contre le
à partie par la Flak, ce qui n’empêche pas le T-64 de pont de Briedgen le 11 mai. c’est tout seul que le T-68 du sergent Wieseler et de
larguer ses bombes sur l’objectif : malheureusement, Touché par la DCA... belge, l’adjudant Deconinck se dirige vers Briedgen. Une fois à
elles le manquent et s’abattent dans le canal Albert. il doit faire demi-tour et proximité de l’objectif, le pilote virevolte en rase-mottes
est jugé irréparable à son
Binon ne demande pas son reste et rentre tout de suite entre les traçants et les nuages de la Flak, mais son
retour. Endommagé lors du
à Aalter. Il en va différemment des T-61 et T-70, vic- bombardement d’Évère le appareil encaisse tout de même de nombreux impacts.
times d’une défaillance de leur système de largage des matin du 10, le T-63 sera Conscient qu’il n’arrivera pas à le ramener à sa base,
bombes lors de leur première passe. Les deux avions quant à lui sabordé avant Gustave Wieseler est contraint de le poser sur le ventre
l'évacuation de l'aérodrome.
remontent en chandelle au milieu des nuages de Flak, Archives Aérojournal près de Herk-de-Stad. Le choc est rude car Deconinck
contraints à effectuer un deuxième passage, au bout a la jambe brisée. Ce n’est qu’en s’extrayant de l’épave
duquel les artilleurs allemands les attendent forcément que les deux hommes s’aperçoivent que l’avion a atterri
de pied ferme… Cette fois, les Belges parviennent à se avec deux bombes encore en place : leur système de
délester de leur cargaison : malheureusement, seules trois largage n’a pas fonctionné. Par miracle, elles n’ont pas
bombes de Glorie atteignent leur but (sans l’endomma- explosé lors de l’atterrissage forcé !
ger, compte tenu de leur puissance trop faible) ; toutes Pour l’aéronautique militaire belge, le bilan de ces trois
les autres tombent dans l’eau. Mais les deux assaillants sorties est désastreux, avec six Battle de l’escadrille 5/III/3
ont durement encaissé les coups de la Flak. Le T-61 perdus sur les neuf engagés, cinq aviateurs tués et quatre
s’écrase au sol dans une gerbe de flammes, entraînant blessés (dont un prisonnier), le tout pour des résultats
ses deux occupants dans la mort. Quant au T-70, criblé insignifiants. Comment pouvait-on espérer détruire des
de balles et le pare-brise éclaboussé d’huile bouillante, ponts en acier et en béton avec de malheureuses « bom-
Glorie a le temps d’ordonner à Van den Bosch d’évacuer binettes » de 50 kg ? Les mêmes défauts de conception
en parachute avant son crash mortel près du hameau de que sur leurs semblables de la RAF sont constatés : les
Lafelt, à la sortie Est de Vlijtingen. Ayant sauté de trop Fairey Battle sont trop vulnérables aux tirs venus du sol,
bas, Van den Bosch a l’horreur de voir son parachute ne même de petit calibre.
pas s’ouvrir complètement avant de toucher le sol. Il a la
chance de survivre, mais sa réception sur le plancher des
vaches le disloque : cheville droite cassée, pied gauche BARRATT POUR DU BEURRE
en miettes, trois vertèbres et plusieurs côtes brisées,
les Allemands l’envoient séance tenante à l’hôpital de Côté britannique, l’Air Marshall Barratt, échaudé par les
Maastricht… Pour sa part, le T-64 est de retour à Aalter lourdes pertes de la veille, n’ordonne que huit sorties
à 8h35. Il est le seul survivant de la deuxième section. de Fairey Battle. Il faut dire que les Squadrons étrillés
Forte des T-62, T-68 et T-71, la troisième décolle à 7h00 ne sont plus en état de prendre l’air dès le 10 mai au
pour attaquer le pont de Briedgen. Deux Fairey Battle ne soir, d’autant que la Luftwaffe frappe encore dans la
vont pas bien loin car la section est prise sous le feu de matinée du 11 et cause des pertes matérielles supplé-
la DCA amie au bout de quelques kilomètres parcourus mentaires, par exemple au No 150 Squadron privé de
seulement. Touché entre Malines et Lierre, le T-71 de deux Battle de plus (un détruit et un endommagé par un
l’adjudant Van de Velde et du caporal Bergmans est obligé t Les Fairey Battle belges raid à 6h10 du matin). Les escadrilles de Blenheim de
T-69, T-65, T-68 et T-58
de rentrer à son terrain, d’autant que le mitrailleur est la RAF AASF ne sont pas logées à meilleure enseigne.
photographiés en vol avant
blessé. Le T-62 de l’adjudant Jordens et du sergent de l'offensive allemande. Les Alors que les bimoteurs du No 114 Squadron s’apprêtent
Ribaucourt s’en sort encore moins bien, puisqu’il est lui deux derniers sont perdus lors à décoller de bon matin de Vraux pour bombarder des
aussi endommagé au point de devoir être abandonné par des sorties du 11 mai 1940, colonnes blindées allemandes dans les Ardennes,
respectivement à Briedgen et
son équipage. Suspendus au bout de leur parachute, les sur la route de Veldwezelt.
neuf Do 17 de la KG 2 surgissent à basse altitude et
deux aviateurs sont visés par les tirs de soldats belges Archives Aérojournal en détruisent six, tous les autres étant endommagés !

41
Le raid est donc purement et simplement sains et saufs, à l’exception du mitrailleur du [4] Ces deux corps motorisés rassemblent cinq
annulé. De fait, les No 88 et 218 Squadrons premier appareil, le Sergeant Jennings, qui, Panzer-Divisionen (1., 2., 6., 8. et 10. Pz-Div.),
sont les seules unités à prendre l’air ce matin à l’inverse de ses deux camarades, n’a pas trois divisions d’infanterie motorisée et le régiment
11 mai. Barratt les envoie cette fois contre eu la chance de voir son parachute s’ouvrir, d’infanterie motorisé d’élite « Großdeutschland ».
C’est le fer de lance de l’offensive à l’ouest.
les Panzer roulant dans les Ardennes belges, le saut des trois occupants du Battle P2326
dans les secteurs de Saint-Vith et Bouillon, où ayant été effectué à moins de 50 mètres d’al- [5] Semble-t-il un peu vite, puisque tous les
le Panzergruppe Kleist, fort des XLI. Armee- titude. En revanche, il n’y a aucun survivant LeO 451 perdus ce jour-là le sont du fait de la
Korps (mot.) du General der Panzertruppen à bord du P2203 du Sergeant C.J.E. Dockrill Flak. Il peut toutefois s’agir du n° 46, touché par
le Feldwebel Richter, de la 1./JG 1, durant cette
Georg-Hans Reinhardt et du XIX. Armee-Korps qui s’est écrasé à proximité de Troisvierges, interception, mais qui serait parvenu à poursuivre
(mot.) du General der Panzertruppen Heinz à l’est d’Houffalize. sa route pour être, cette fois, « terminé » par
Guderian [4], contit A.J. Madge est sévèrement Aux 15 Battle disparus la veille, Barratt doit les tirs d’un blindé allemand sur l’objectif.
endommagé par la Flak et contraint à l’atter- donc en ajouter sept autres, sans compter les
rissage forcé à 10h30 entre Vaux-sur-Sûre et pertes au sol dues à la Luftwaffe incluant les le Blenheim L9175 descendu au-dessus de
Bercheux. Madge et son mitrailleur Collyer sont Blenheim de la matinée. Si les pertes conti- Kaggevinne (1 membre d’équipage capturé,
capturés par l’ennemi, mais l’observateur, le nuent à ce rythme effrayant, la RAF AASF 2 tués). Lui aussi touché par des rafales, le
Sergeant Whittle, a été tué à son poste. Quant n’aura bientôt plus grand-chose à jeter dans N6208 est contraint de se poser sur le ventre
au P2202 du Pilot Officer Mungovan, il est la bataille… à Fouquières-lès-Béthune, le Sergeant Colling
abattu à Sainies et son équipage capturé, à D’ailleurs, ces hécatombes et l’impétueuse étant tué à son bord, le Sergeant Bennett et
l’exception de l’Aircraftman 1st class Maltby nécessité de priver la Wehrmacht des ponts sur l’Aircraftman 2nd class Hannah étant bles-
mort au combat. Le Battle P2261 du Pilot la Meuse et le canal Albert poussent la Royal sés et capturés (ils sont récupérés au sol par
Officer Skidmore, qui l’accompagne, subit le Air Force à engager des moyens insulaires au des troupes françaises). Les autres bimoteurs
même sort et s’écrase à Noville ; il n’y a aucun cours de l’après-midi. Ayant constaté l’échec anglais du « 110 » parviennent sur l’objectif et
survivant. Celui du Pilot Officer Riddell est donc matinal des Belges contre les ouvrages du rapportent la destruction d’un pont. Du côté du
le seul à s’en sortir. Il se pose à Vassincourt canal Albert et ne pouvant plus compter sur No 21 Squadron, la mission vire au cauchemar.
avec toutes ses bombes sur les râteliers car il a le No 114 Squadron détruit au sol, le Bomber Ses douze Blenheim Mk.IV ont la chance de
été sérieusement touché par la Flak au niveau Command sollicite les No 21 et No 110 ne pas faire de mauvaise rencontre dans le ciel
de Bouillon : outre d’avoir percé le réservoir Squadrons respectivement basés à Watton belge, mais c’est pour mieux tomber dans le
d’huile de l’avion, recouvrant le pare-brise de et Wattisham, en Est-Anglie. Le premier reçoit piège de la Flak une fois arrivés au-dessus de
liquide et aveuglant le pilote, les obus enne- l’ordre d’attaquer les colonnes blindées alle- Tongres. La protection antiaérienne des Panzer
mis ont endommagé la commande de largage. mandes entre Tongres et Maastricht, le second est redoutable et gêne considérablement l’at-
Riddell était donc dans l’impossibilité de pour- doit bombarder les ouvrages d’art de cette taque des véhicules. Au retour à Watton, les
suivre sa mission. dernière ville. Décollant en début d’après-midi, mécaniciens n’en croient pas leurs yeux : ce
Le bilan est encore pire au No 218 Squadron les Blenheim Mk.IV du No 110 Squadron sont sont douze passoires qui se posent sur le
parti d’Aubérive. Quatre de ses Fairey s’en- interceptés au-dessus de la Belgique par des terrain. Huit Blenheim sont directement bons
volent à 9h30 pour ne jamais revenir… En effet, Messerschmitt Bf 109 de la JG 27. Futur pour la casse et les quatre autres sont endom-
ils sont tous abattus par la DCA allemande du grand nom de la Geschwader, l’Oberleutnant magés à des degrés divers mais réparables.
côté de Saint-Vith. Les équipages des P2326, Gerhard Homuth, de la 3. Staffel, s’adjuge à Par miracle, les pertes sont inversement pro-
K9325 et P2249 sont tous les trois capturés 17h30 la toute première de ses 63 victoires : portionnelles aux dégâts infligés, « seul » un

42
Objectif
Meuse !

u Le LeO 451 n° 43 du


capitaine Knipping, du
GB II/12, au départ de la
mission du 11 mai 1940,
au terme de laquelle les
mécanos comptabiliseront
238 impacts de projectiles !
SHD/Air

x Joli cliché de Fairey Battle


du No 103 Squadron sur le
terrain de Bétheniville. Prêt
à recevoir son chargement
de bombes, le K9408 du
premier plan sera l'un des
rares appareils à survivre à
la campagne de l'Ouest...
IWM

mitrailleur, l’Aircraftman 1st class Charleton, rentrera jamais à Persan-Beaumont : il semble pas les quelques dégâts causés aux ponts qui
ayant été tué. avoir reçu les rafales d’un blindé et s’est sont de nature à freiner l’avance des Panzer.
Vers 18h30, c’est enfin au tour des Français écrasé à Grandville avec le sous-lieutenant Pire, le génie allemand s’affaire à multiplier les
de se montrer au-dessus de la percée ouverte Lucien Jacquet (mitrailleur) à son bord. Le points de passage sur la Meuse en construisant
par les Panzer et de faire leur entrée dans la radio, l’adjudant Maurice Natta, a sauté en des ponts flottants : deux sont ainsi ouverts
bataille aéroterrestre. Escortés par 18 Morane parachute mais est capturé au sol, et celui par les Pioniere en fin de journée. Dans cette
406 du GC II/6 et de la 6e escadrille du GC III/3, de l’adjudant-chef Jean Moquelet, chef de partie du front, stopper les chars allemands
12 bombardiers Lioré et Olivier LeO 451 des bord, ne s’est pas ouvert. Quant au pilote, le est déjà une illusion…
GB I/12 et II/12 décollent respectivement de sous-lieutenant René Morel, il décèdera de ses
Soissons-Saconin et Persan-Beaumont entre graves brûlures à l’hôpital de Maastricht le 28
18h05 et 18h15, pour s’en prendre aux ponts mai. L’équipage du n° 45 est plus chanceux, 12 MAI :
du secteur de Maastricht. Le comité d’accueil
est de taille. Une trentaine de Messerschmitt
puisque le lieutenant Jean Ponsin parvient à
poser son appareil à Persan-Beaumont malgré
LE JOUR DES SACRIFIÉS
des I./JG 1, I./JG 21, I. et II./JG 27 inter- son train d’atterrissage endommagé par Dans la nuit du 11 au 12 mai et aux pre-
cepte la formation française au-dessus de la Flak. Enfin, le bimoteur du commandant de mières heures du jour, deux équipages, l’un
Waremme. Un Leo 451 est revendiqué par la 3e escadrille du GB II/12, le capitaine Max du GR II/33 et l’autre du GR II/22, repèrent
les Allemands [5] avant que les MS.406 ne Knipping, est lui aussi rentré endommagé (les distinctement des dizaines de Panzer étirés sur
puissent s’interposer, mais ceux-ci entraînent mécanos comptent 238 impacts de balle !) les routes de Dinant et de Bouillon. Mais à leur
rapidement les Bf 109 dans un combat tour- mais il pourra être réparé. À Soissons, le retour, personne ne prend leurs observations
noyant confus (qui se soldera par la perte de LeO n° 63, sévèrement touché par la Flak, au sérieux [voir Aérojournal HS n° 30]. C’est
3 Morane et 2 Messerschmitt), ce qui permet est détruit à l’atterrissage, mais l’équipage pourtant au cours de la journée, avec l’appari-
aux LeO 451 de filer jusqu’à l’objectif. Sans de l’adjudant Henri Chamaud est indemne. tion de la pointe du XIX. Armee-Korps (mot.) de
surprise, la Flak ne leur fait pas de cadeau et Les échecs successifs des aviations alliées, qui Heinz Guderian devant Sedan que l’état-major
vise juste. Elle touche plusieurs assaillants qui ont concentré leurs sorties sur les colonnes du français prend véritablement conscience que
parviennent à incendier un certain nombre de XVI. Armee-Korps (mot.) de Hoepner dans le l’offensive allemande se produit en fait dans les
véhicules, mais ne peuvent ajuster leur largage secteur Maastricht–canal Albert et celles du Ardennes. Toutefois, il peine toujours à discer-
sur les ponts. Le retour est des plus mouve- XIX. Armee-Korps (mot.) de Guderian dans ner le lieu du Schwerpunkt : il estime n’avoir
mentés car beaucoup de bimoteurs français les Ardennes, commencent à se ressentir. affaire au niveau de Sedan qu’à une aile mar-
ont durement encaissé. Apparemment déjà Les avant-gardes du premier sont déjà loin et chante et pense que l’effort principal ennemi,
atteint par un Bf 109, le LeO 451 n° 46 ne foncent vers Hannut-Gembloux. Et ce ne sont encore à venir, se produira en Belgique…

Lioré et Olivier LeO 451


Appareil du capitaine Knipping
(endommagé le 11 mai)
GB II/12
Persan-Beaumont, France, mai 1940

43
u Le LeO 451 n° 43
du capitaine Knipping
photographié au retour
de la sortie du 11 mai. On
aperçoit sur le 3 du fuselage
un impact d'obus de 20 ou
(plus vraisemblablement)
37 mm de la Flak.
SHD/Air

y Les personnels du No 103


Squadron immortalisés sur
le terrain de Bétheniville.
Respectivement en 2e et 4e
positions à partir de la gauche,
le Pilot Officer V. Cunningham
(tué le 14 mai) et le Flying
Officer G.B. Morgan-Dean (tué
le 12 mai). Respectivement
en 3e et 4e positions à partir
de la droite, le Pilot Officer
K.J. Drabble (tué le 10
mai) et le Pilot Officer E.E.
Morton (tué le 12 mai).
IWM

Ce jour-là, ce sont les Fairey Battle du No 103 sont de sortie au grand complet pour protéger disparition fait particulièrement mal au moral du
Squadron qui ouvrent le bal, trois appareils les colonnes du XVI. Armee-Korps (mot.). Les Bomber Command : le Flying Officer Andrew
décollant à l’aube de Bétheniville pour bombar- Messerschmitt Bf 109 E se ruent comme des McPherson, tué à bord du N6215 qui s’est
der un pont sur la rivière Semois emprunté par vautours sur ces proies faciles. Là aussi, c’est écrasé à Lanaken ; le pilote et cet appareil
des colonnes allemandes. Fait suffisamment un massacre. En quelques minutes, sept bimo- ont officiellement accompli la toute première
rare pour être noté, tous rentrent sains et saufs teurs britanniques sont abattus (les L9416, mission de guerre de la RAF le 3 septembre
à leur terrain. Barratt a préconisé de cesser les N6216, P4826, N6219, N6229, P4923 et 1939 en photographiant la flotte allemande à
attaques en rase-mottes, trop dangereuses, N6215), dont un par Gerhard Homuth, sa Wilhelmshaven, ce qui avait valu à McPherson
au profit de raids en semi-piqué depuis une deuxième victoire. Le N6225 du leader, le l’attribution de la Distinguished Flying Cross.
plus haute altitude. Formule gagnante ? Rien Wing Commander L. Dickens, revient à l’état L’engagement coûteux du No 139 Squadron
n’est moins sûr… d’épave et devra être abandonné sur le terrain répondait à la nécessité de faire diver-
Décollant de Plivot à 6h20, les Blenheim du le 15 mai. Si deux équipages, posés sur le sion du côté de Tongres pendant que le
No 139 Squadron attaquent un convoi moto- ventre, parviendront à rallier leur unité à pied, No 12 Squadron attaquerait sur le canal Albert.
risé allemand près de Tongres. Bien mal leur en les pertes humaines du No 139 Squadron En effet, au même moment dans la matinée, la
prend. De bon matin, les 2./JG 1 et 3./JG 27 se montent à tout de même 15 morts. Une RAF AASF a réclamé six équipages volontaires

44
Objectif
Meuse !

Bristol Blenheim Mk. IV


Appareil du Flying Officer McPherson
(abattu le 12 mai)
No 139 Squadron
Plivot, France, mai 1940

à l’escadrille pour aller bombarder les ponts est abattu après avoir largué sa charge offen- mitrailleur, l’Aircraftman 1st class Patterson,
de Vroenhoven et Veldwezelt ratés la veille sive à 600 mètres (Davy observe les bombes s’est gravement blessé en heurtant la dérive
par les Belges. Tous les personnels volants diversement s’abattre sur le pont, dans l’eau lors du saut, est fait prisonnier et finalement
de l’unité ont levé immédiatement la main, si et sur la paroi du canal Albert) et contraint interné à l’hôpital de Liège. Contre toute
bien que les dix-huit « élus » ont dû être tirés à l’atterrissage forcé (équipage capturé au attente, Davy réussit à ramener son avion en
au sort. Ne prennent finalement le départ que complet), tandis que l’ailier parvient à larguer flammes en territoire ami et à le poser sur le
cinq Fairey Battle, puisque l’appareil du Flying toutes ses bombes sur l’objectif sans parvenir ventre à Saint-Germaincourt (Ardennes) ; le
Officer Brereton est interdit de vol à la dernière à voir le résultat de sa propre charge. Il est pilote s’en tire sans une égratignure !
minute pour cause de radio HS et de lance- vrai que Davy à d’autres chats à fouetter : la À Veldwezelt, l’affaire se termine par les pre-
bombes défectueux. Deux sections, une de Flak a cessé le feu pour laisser le champ libre mières Victoria Cross décrochées par la RAF
deux avions menée par le Flying Officer N.M. à un Bf 109 particulièrement pugnace de la durant la guerre, mais comme bien souvent la
Thomas et une autre de trois aux ordres du 2./JG 27. Le Feldwebel Erwin Sawallisch, qui décoration est décernée… à titre posthume.
Flying Officer D.E. Garland, s’envolent à 8h15. devait être impliqué deux ans plus tard dans La section de trois Battle de Garland choi-
Apparaît bientôt une escorte de chasse fournie le scandale du « Schwarm des menteurs » en sit d’attaquer le pont à basse altitude. Elle
par le No 1 Squadron. Elle n’est pas de trop, car Afrique [voir Aérojournal n° 70], a plongé pour est soumise à un déluge de fer et de feu. Le
la JG 27 rode dans le ciel du canal Albert. Les prendre en chasse le Battle alors qu’il redresse L5439 est le premier touché et rapidement
dix Hurricane remplissent toutefois leur rôle à à la sortie de son piqué et lui décoche plusieurs dévoré par les flammes. Son pilote, le Pilot
merveille en attirant les Messerschmitt loin des rafales. Le triplace britannique est touché et Officer McIntosh se déleste de ses bombes
Fairey Battle. La première section prend pour son réservoir d’essence prend feu, si bien que et se pose comme il peut à Neerharen ;
cible le pont de Vroenhoven. À 1 800 mètres Davy ordonne à ses deux camarades de sauter tout l’équipage est indemne mais capturé.
d’altitude, le P2332 de Thomas amorce son en parachute, ce qu’ils font. Son observateur, Le L5227 du Sergeant Marland est lui aussi
semi-piqué au milieu des nuages de Flak, suivi le Sergeant Mansell, parviendra à rejoindre les gravement atteint mais s’écrase en feu sans
par le L5241 du Pilot Officer Davy. Le leader lignes amies par ses propres moyens, mais son laisser la moindre chance à ses occupants.

p Une colonne hippomobile allemande (on ne rappellera jamais assez que la Heer est très
majoritairement hippomobile), appartenant probablement à une unité d'infanterie ou du train, est attaquée
par un Fairey Battle anglais. On aperçoit, juste au-dessus de l'aileron, deux Landser courir à travers
champs, ainsi que l'explosion d'une bombe au milieu des chariots et l'onde de choc circulaire qu'elle
provoque au sol. Une autre bombe de 50 kg a manqué son but et éclate à gauche de la chaussée. IWM

u Le Sergeant Thomas Gray, observateur à bord du Fairey Battle P2204 de Donald E. Garland
(No 12 Squadron), qui s'est écrasé, a priori volontairement, à l'extrémité du pont de Veldwezelt le
12 mai 1940. L'un et l'autre (mais pas le mitrailleur !) seront décorés à titre posthume de la Victoria
Cross, même si les dégâts infligés au pont - limités - sont vite réparés par les Allemands. DR

45
Quant au P2204 de Donald E. Garland, il par- et GBA I/54 à Montdidier le 11. Après deux d’altitude, les trois sections se séparant à
vient à larguer ses bombes, mais ne pouvant jours sans la moindre intervention, la 1re divi- la hauteur de Huy. Celle menée par Grenet
redresser en raison des dégâts reçus, il s’écrase sion aérienne requiert enfin, à 9h00, une sortie survole la N40 entre Waremme et Tongres,
à la sortie Ouest du pont de Veldwezelt. des GBA I/54 et II/54 contre le XVI. Armee- mais les deux Bre 693 sont bientôt repérés
Impossible de dire si Garland l’a fait volontaire- Korps (mot.) qui s’engouffre dans la trouée par un Henschel Hs 126 qui donne l’alerte.
ment dans un geste désespéré. Toujours est-il de Gembloux en direction de Liège et Namur. En arrivant en vue d’une colonne motorisée,
que lui-même et le Sergeant Thomas Gray, Les Breguet reçoivent la mission d’attaquer en les bimoteurs sont donc accueillis comme il se
son observateur, sont décorés de la Victoria vol rasant les colonnes allemandes de Liège doit par la Flak. Le n° 34 du sergent Fourdinier
Cross à titre posthume. Inexplicablement, le à Tongres et de Tongres à Maastricht. Dix- est touché : l’avion s’écrase à Ransberg vers
mitrailleur, le Leading aircraftman Reynolds, huit avions décollent vers 12h05, soit onze 13 heures, mais Fourdinier ne parvient pas
n’est pas récompensé. du GBA I/54 aux ordres du commandant Plou à extraire des flammes son camarade, le
Le caractère sacrificiel de ces missions prend et sept du GBA II/54 aux ordres du comman- sous-lieutenant Michel de La Porte du Theil
une tournure tout aussi dramatique avec l’en- dant Grenet. du brasier ; lui-même est gravement brûlé. En
gagement des prometteurs Breguet Bre 693 Ces derniers ratent leur rendez-vous avec tête de la 3e section du II/54, le capitaine Marc
de la seule unité d’assaut opérationnelle de leur escorte de chasse au-dessus de La Fère Jeunet attaque un convoi de camions chargés
l’Armée de l’Air : le groupement n° 18, qui (Aisne), mais poursuivent jusqu’à Namur. Là, de Landser à l’entrée de Tongres, suivi dans
a dépêché son GBA II/54 à Roye le 10 mai ils suivent le cours de la Meuse, à 10 mètres son sillage par le n° 36 du sous-lieutenant

Breguet Bre 693


Appareil du lieutenant Blondy
GBA I/54
Montdidier, France, mai 1940

46
Objectif
Meuse !

Testot-Ferry et du n° 13 de l’adjudant-chef Lévèque t L'équipage sergent-chef inconscients, les yeux encore remplis de ce à quoi ils
qui larguent leurs bombes en deux passes dans la rue Édouard Fourdinier (à gauche) ont assisté, de ce qu’ils ont vécu, ne répondent que par
et lieutenant Michel de La
principale de Tongres grouillant de soldats et de véhicules. Porte du Theil (à droite)
monosyllabes tout en se dirigeant vers la tente tenant
Les équipages français ont toutefois régulièrement du devant leur Bre 693 n° 34 lieu de vestiaire. […]
mal à mitrailler l’ennemi car ils discernent, à si basse du GBA II/54 avant le départ À la tombée de la nuit, la voiture revient de Bapaume [où
altitude, des flots de civils en fuite mêlés aux colonnes de la terrible mission du 12 s’est posé le sous-lieutenant Gady]. Gady en descend,
mai. Fourdinier sera l'un
allemandes : souvent, ils suspendent le feu à l’approche des rares rescapés de cette mais il faut renoncer à obtenir quoi que ce soit de lui
de cibles de choix parce qu’ils voient au dernier moment sortie, mais s'en tirera avec aujourd’hui : il est presque complètement sourd et ne sait
des femmes et des civils belges à proximité. Toute la de graves brûlures après que répéter ˝C’est affreux ! C’est affreux !˝ »
avoir en vain tenté de sortir
section de Jeunet rentre sans dommage à Roye, même Ce n’est que le lendemain que Gady peut donner des
son camarade des flammes.
si ce dernier « plante » son avion à l’atterrissage (appareil Coll. A. Lamour précisions sur le baptême du feu désastreux des Breguet,
réparable). Le GBA II/54 ne s’en sort pas trop mal, ce fortement handicapés par l’absence de blindage ventral,
qui est loin d’être le cas du GBA I/54. une tare pour un appareil dont la doctrine d’emploi repose
Pour leur part, les onze Breguet du commandant Plou ne sur le vol rasant : « Arrivés au-dessus de la Sambre, les
ratent pas leur rendez-vous avec les Morane à Maubeuge, appareils se tiennent encore à quelques centaines de
sauf qu’ils les distancent rapidement et se retrouvent mètres d’altitude. Ils descendent progressivement dès
seuls à Namur, où les avions d’assaut français longent qu’ils atteignent la Meuse.
le cours de la Meuse. C’est également à Huy que les [6] P. Grenet, Affaires Ils prennent dès lors, dans cette vallée encaissée, le vol
quatre sections se séparent. Celles conduites par Plou d’honneur, Les éditeurs rasant qui leur permettra, après avoir contourné Liège
amoureux, e-book, 2016.
et le lieutenant Delattre font le choix de contourner Liège et remonté sur Maastricht, de foncer vers Tongres. Dès
pour se rabattre vers l’ouest devant Maastricht et revenir la sortie de Maastricht, à Vroenhoven, la section du Lt
vers Tongres, afin de prendre l’ennemi à revers. Erreur Delattre est violemment prise à partie par la Flak adverse.
fatale, car ce trajet survole la zone du canal Albert, for- Dessous, un important convoi stationne le long de la
tement barrée par la défense antiaérienne allemande. route, et, sans attendre, Delattre attaque, Richard et
La Flak se livre à un véritable carnage. Sur les onze Gady sur ses talons. À 400 km/h et à 10 m de hau-
Breguet partis, seuls les deux avions de la 4e section teur, la section d’assaut fonce sur l’objectif. Presque
(n° 17 du lieutenant Rivet et n° 22 du sergent-chef immédiatement touché, le moteur droit du Lt Delattre
q Deux soldats allemands
Normand) reviennent à Montdidier peu après 15 heures. inspectent l'épave prend feu, suivi de peu par le moteur droit du Lt Richard.
À cela s’ajoute un troisième, le n° 21 du sous-lieutenant d'un Breguet Bre 693 Delattre a lâché ses bombes sur les véhicules du convoi,
Gady qui s’est posé en catastrophe à Grévillers avec son - malheureusement non qui sautent avec leurs chargements. À son tour, le deu-
identifiable - posé sur le
mitrailleur grièvement blessé. Tableau de bord fracassé ventre après avoir été
xième moteur du chef de section est en feu ! Basta !
par les projectiles et les réservoirs percés, l’avion est endommagé par la Flak. Delattre, qui a viré malgré le feu qui lui brûle le visage,
irréparable. L’ambiance à Montdidier, au retour des deux L'absence de blindage revient sur la colonne et décharge encore, au ras des
Bre 693, est des plus pesantes : ventral altère gravement véhicules, ses chargeurs de canon et de mitrailleuses,
les capacités d'attaque au
« On s’approche, anxieux. Les équipages sortent de la sol d'un avion pourtant très
et, toujours maître de son appareil, qui n’est plus qu’une
carlingue, les questions se précipitent. Tout le monde prometteur et bien armé. torche, fonce sur la tête de colonne, où il s’écrase avec
veut savoir, mais eux, ceux qui en sont revenus, presque Archives Aérojournal son mitrailleur Di Matteo. [6] »

47
La toute première mission des bombardiers d’assaut À Villeneuve-les-Vertus, les sorties du No 105 Squadron z L'un des Breguet Bre 693
Breguet Bre 693 a coûté cher. Sur les 18 appareils enga- se limitent à trois Battle décollant à 15h00 pour matraquer français abattus lors de la
gés, seulement 8 sont rentrés (dont un irréparable), pour un pont allemand du côté de Bouillon. Une fois au-dessus mission du 12 mai dans
la région du Limbourg.
un bilan humain de 4 morts, 11 prisonniers et 2 blessés de l’objectif, ils sont pris à partie par des canons légers Coll. Ph. Ricco
graves. Le GBA I/54 est décimé. et des armes de petits calibres, dont les projectiles sont
L’après-midi, c’est au tour de quatre escadrilles de Fairey fatals au K9485 du Pilot Officer Hurst qui s’écrase avec { Malgré sa silhouette
Battle de se risquer au-dessus du champ de bataille. tous ses occupants. Les P2176 et L5523 reviennent moderne, le Fairey Battle
est perclus de défauts :
Après sa première sortie matinale, le No 103 Squadron troués comme des passoires. lent, dépourvu de blindage,
fait décoller à 12h40 une section en direction de Bouillon, Au No 150 Squadron, trois Battle s’envolent d’Écury-sur- emportant une faible
les trois appareils revenant sains et saufs malgré une Coole et bombardent à 15h00, semble-t-il avec quelque charge offensive, armé de
seulement deux mitrailleuses
rencontre avec des Bf 110 : les pilotes rapportent avoir succès, une colonne blindée étirée entre Neufchâteau
de 7,7 mm (une dans l'aile
détruit un pont provisoire du génie. et Bertrik. Si le P2336 du Pilot Officer Campbell-Irons droite et une en poste
arrière), il est emporté dans
la tourmente de mai 1940...
Archives Aérojournal

u Des Messerschmitt
Bf 109 E de la JG 53 sur le
point de décoller. Affectés à
l'interdiction du ciel au-dessus
des Panzer et de leurs
têtes de pont sur la Meuse,
les chasseurs allemands
taillent en pièces les unes
après les autres toutes les
formations de bombardiers
ennemis qui se présentent
dans le secteur des ponts.
Archives Aérojournal

t Un Vic de Fairey Battle


du No 218 Squadron
photographié au-dessus de la
piste d'Auberive-sur-Suippes.
Il s'agit des K9325 (abattu le
11 mai à Saint-Vith), K9324
et K9353 (descendu le 12
mai sur la route Bouillon-
Sedan). Le ventre du Battle
est vulnérable aux plus petits
calibres type 7,92 mm.
IWM

48
Objectif
Meuse !

explose en vol à la suite d’un coup direct de


la Flak, les P2262 du Flight Lieutenant Weeks
et P2184 du Sergeant Andrews rentrent au
terrain sains et saufs, même si le second est
dans un sale état…
À 16h30, une nouvelle section de trois Battle
du No 103 Squadron prend l’air en même
temps qu’une section du No 218 Squadron
pour bombarder une colonne blindée entre
Bouillon et Sedan. Couverts par des Hurricane
du No 73 Squadron (qui se débarrassent au
passage d’un « mouchard » Hs 126), ces six
appareils adoptent deux tactiques différentes :
les avions du No 103 fondent sur l’ennemi en
rase-mottes l’un derrière l’autre, tandis que
ceux du No 218 se présentent en formation
à 300 mètres d’altitude. Au sein de la pre-
mière section, si le Pilot Officer Cunningham
parvient à larguer ses bombes et à rentrer, il
n’en va pas de même de ses camarades : le
L5512 du Flying Officer Morgan-Dean et le
P2193 du Pilot Officer Morton sont descendus
sans qu’il n’y ait le moindre survivant. Même Newall, Chief of the Air Staff, envoie un télé- décisive chère à la pensée militaire allemande.
tarif pour la section du No 218 Squadron : gramme à Barratt dans lequel il s’alarme des Tout devrait être fait pour, au mieux stopper, au
le K9353 du Sergeant Horner s’écrase après pertes croissantes, en particulier parmi les pire ralentir, la masse de manœuvre ennemie.
avoir été touché de plein fouet dans l’aile droite bombardiers moyens, et craint que le taux Certains généraux commencent seulement à le
(pas de survivant) et le P2183 du Pilot Officer de disponibilité des machines ne soit pas comprendre, d’autre, comme Newall, toujours
Bazalgette s’abime un peu plus loin (le pilote suffisant au moment clé de la bataille. C’est pas. Décidément, côté allié, on chercherait à
mourra de ses blessures, mais ses deux cama- pourtant bien maintenant que tout se joue ! éviter cette bataille décisive que l’on ne s’y
rades parviennent à s’échapper au nez et à la Preuve supplémentaire que les préceptes de prendrait pas autrement… Concernant les
barbe des Allemands, et rejoindront les lignes la guerre mobile mécanisée n’ont pas encore Battle, dont les pertes atteignent désormais
alliées) ; seul le Battle du Pilot Officer Anstey été assimilés par le commandement allié… De les 30 avions (en 60 sorties !), Playfair est au
est de retour à Auberive. Sur les 23 Fairey telles concentrations de blindés et de convois regret d’informer Barratt le soir même que les
Battle mis en l’air au cours de la journée, 11 motorisés, utilisant autant de passages sur des bombardements en semi-piqué ne sont pas
dont portés manquants. coupures humides dans un couloir aussi réduit moins dangereux que les raids en rase-mottes.
Enfin, dans la soirée, une quarantaine de Bristol tel que celui Bastogne-Bouillon, et bénéficiant Le commandant des British Air Forces in France
Blenheim des No 21, No 82 et 110 Squadrons d’une couverte aérienne aussi méticuleuse et prend alors la décision de réduire le nombre de
bombardent les ponts de Maastricht. Trois d’une DCA aussi puissante, sont pourtant des leurs sorties pour pouvoir en disposer au plus
appareils sont perdus pour des résultats diffi- indices clairs attestant qu’il s’agit du fer de fort des combats. Il n’y en aura aucune dans
ciles à estimer. Dans la foulée, l’Air Marshal lance de la Wehrmacht jeté dans la bataille les Ardennes le lendemain…

49
13 MAI : général se poursuivent avec une consternante
régularité. Ils ont beau avoir enfin compris que
ceux de Reinhardt déboulent à Monthermé.
Au QG de Playfair, les informations rela-
PANSER LES PLAIES l’offensive allemande a lieu dans les Ardennes tives à la percée des Panzer sur la Meuse
Côté français, on en est au même stade de et que la manœuvre Dyle-Breda a échoué, les poussent à dresser les plans d’évacuation
réflexion. Le général Girier, commandant du généraux s’arcboutent à présent à l’idée d’une des aérodromes de la RAF AASF, soudaine-
groupement n° 18, prend la décision, à la lueur nouvelle bataille de la Marne qui consisterait ment très exposés, vers l’arrière. Compte
de l’hécatombe des Breguet Bre 693 la veille, à rebasculer les forces alliées au sud afin de tenu des hécatombes des derniers jours, tous
d’abandonner le vol rasant et prescrit une alti- cisailler les arrières allemands non plus depuis les Squadrons de Fairey Battle sont cloués
tude de bombardement de 900 mètres, ce qui les Pays-Bas et le nord de la Belgique, mais en au sol, les machines révisées, les person-
devrait permettre aux bimoteurs d’assaut de se enfonçant leur aile gauche, sans se douter que nels mis au repos. Seuls ceux du No 226
tenir hors de portée des armes de petit calibre. la vitesse d’exécution de l’offensive des Panzer Squadron sont sollicités pour des raids entre
Les GBA I/54 et GBA II/54 sont regroupés à la rend tout bonnement irréalisable. Breda et Anvers, à la demande des Français,
Montdidier, étant donné qu’ils ne rassemblent Sur le terrain, les premiers signes d’un effon- afin d’éviter l’effondrement de l’armée néer-
plus à eux deux que onze avions… En haut lieu, drement du front allié ne trompent pas : les landaise qui rendrait caduc le nouveau plan
les erreurs d’appréciation du Grand quartier Panzer de Guderian ont dépassé Sedan et stratégique du GHG.

50
Objectif
Meuse !

Les Britanniques hors-jeu pour la journée, l’opposition p Une formation de venus du sol sont denses et pas loin de faire mouche,
aérienne aux Panzer réside dans les seuls LeO 451 des Messerschmitt Bf 110 C-2 de mais les appareils réussissent à larguer leurs bombes, qui
la 6./ZG 76 en vol au-dessus
GB I/12 et II/12 qui exécutent une sortie à 19h00 contre de la France. Les bombardiers
font apparemment voler en éclats l’un des pontons, puis
les convois mécanisés allemands franchissant la Meuse alliés se heurtent plusieurs ils rentrent à Bétheniville. Seul le P2191 du Sergeant Parry
à Dinant. La réponse de la Flak ne cause pas de perte fois à des Zerstörer dans les est touché, le pilote, gravement blessé à la poitrine et à
parmi les assaillants français, mais inflige des dégâts à têtes de pont allemandes la cuisse, parvenant toutefois à le poser sur le ventre à
et en paient le prix fort.
plusieurs bimoteurs : au GB I/12, le n° 47 du lieutenant © ECPAD/France/1940/ Cauroy, non loin du terrain. Le Battle est irréparable et
de Saint-Victor rentre à Soissons-Saconin avec l’aileron photographe inconnu Parry succombera à ses blessures.
droit endommagé, et deux autres avec des coups dans C’est ensuite au No 150 Squadron de s’y coller. Les
z Les LeO 451 n° 41 et 57,
un moteur (équipages indemnes), tandis que le n° 24, du GB I/12, photographiés L5524 du Pilot Officer Gulley et le P2179 du Pilot Officer
touché, se pose avec le sergent Blois blessé à bord ; à Soissons-Saconin le Peacock-Edwards décollent à 7h35 pour bombarder des
au II/12, le n° 49 du capitaine Knipping et le n° 52 13 mai 1940. Le groupe de ponts provisoires au sud-est de Sedan, à Remilly-Aillicourt
bombardement n° 12 est l'une
reviennent à Persan-Beaumont avec des dommages répa- et Villers-Devant-Mouzon. Les deux pilotes reviennent
des seules unités à intervenir
rables, mais sans déplorer le moindre blessé. au-dessus du champ de avec des impacts d’armes légères. Dans la foulée, deux
Dans la nuit du 13 au 14, le Farman 223.4 n° 2 « Jules bataille ardennais ce jour-là. autres, le L5457 du Sergeant Beale et le K9483 du Pilot
Archives Aérojournal
Verne » effectue sa première mission de guerre. Parti Officer Long bombardent en piqué un ponton à Douzy,
de Lanvéoc-Poulmic à la tombée de la nuit, il remonte mais ne peuvent rendre compte du résultat à leur retour.
jusqu’à Ostende et bombarde le pont de Maastricht ainsi Puis, plus rien jusqu’aux interventions des LeO 451
que la gare de triage d’Aix-la-Chapelle. des GB I/12 et II/12 en fin de matinée et des Amiot
143 des 34e et 38e escadres de bombardement en
début d’après-midi [voir article suivant] !
14 MAI : À 12h30, huit Battle du No 142 Squadron quittent
UNE JOURNÉE EN ENFER Berry-au-Bac pour attaquer des pontons à Wadelincourt
et Villers-Devant-Mouzon. Des mitrailleuses et pièces
En ce 14 mai, les Alliés décident de changer de stratégie. de 20 mm ouvrent un feu nourri, mais cela n’empêche
Sur la Meuse, il est décidé de ne plus s’en prendre aux nullement les pilotes britanniques de larguer leur cargai-
ponts « en dur », mais de s’attaquer aux pontons du génie, son sur les objectifs, des coups au but étant observés.
plus frêles, car consistant en de simples passerelles (pour Seulement quatre Fairey atterrissent à Berry-au-Bac. Que
les fantassins) ou ponts de bateaux (pour les véhicules), s’est-il passé ? Les quatre autres ont été abattus par
t Le célèbre Farman 223.4
ouvrages que l’on espère plus vulnérables aux bombes des « Jules Verne », vu ici dans des chasseurs : le L5517 du Flight Lieutenant Rogers
monomoteurs et bimoteurs moyens. On espère également sa livrée militaire, qui se limite (équipage tué), le P2246 du Squadron Leader Hobler
que ces ponts posés par les Pioniere, plus proches de la à un camouflage (tricolore (écrasé en territoire ennemi ; l’équipage, sain et sauf,
sur le dessus du fuselage et
ligne de front et donc les plus difficilement atteignables incendie l’avion et rejoint les lignes amies), le P2333 du
des plans, et noir mat pour
par les unités terrestres de l’arrière, n’ont pas encore reçu le reste) et aux marques Sergeant Spear (seul survivant, il saute en parachute ;
toute leur protection en batteries de Flak. de nationalité, effectue sa capturé par les Allemands, il s’évadera et ralliera son
Peu après 5 heures, huit Fairey Battle du No 103 Squadron première mission de guerre unité, ce qui lui vaudra la Distinguished Flying Medal)
dans la nuit du 13 au 14 mai
ouvrent le bal, qui va virer au cauchemar. Leur cible ? contre le pont de Maastricht.
et le K9333 du Pilot Officer Oakley (forcé à l’atterris-
Trois ponts de bateaux entre Neuvion et Douzy. Les tirs Archives Aérojournal sage à Écly, son équipage rentre au bercail à pied).

51
En fait, il est probable (le sujet est encore frapper un grand coup. D’un commun accord, ponts de bateaux en aval de Sedan et, en
aujourd’hui âprement débattu) que les mal- il a été prévu de concentrer les frappes de particulier, celui installé au lieu-dit Gaulier
heureux ont été victimes des balles d’une l’Armée de l’Air et de la RAF dans le sec- (commune de Floing). Néanmoins, à la dernière
patrouille de… Morane 406 du GC III/7 les teur au cours de l’après-midi, afin de stopper minute, il est décidé de confier aux Breguet la
ayant pris pour des… Henschel Hs 126 ! ou ralentir l’avance des blindés ennemis. En mission de bombarder un rassemblement de
Jusqu’ici, les sorties au-dessus du saillant alerte depuis 1 heure du matin, les équipages troupes entre Bazeilles, Sedan et la voie ferrée
ouvert par les Panzer ont été limitées, mais les de Breguet Bre 693 du groupement n° 18 au sud de la Meuse. Neuf bimoteurs, dont les
Franco-britanniques s’apprêtent, croient-ils, à reçoivent à 13h00 l’ordre de matraquer les trois survivants du GBA I/54, décollent vers
p Ces Breguet Bre 691
photographiés avant-guerre
lors d’essais illustrent les
risques liés au vol rasant
exécuté par les Bre 693,
surtout pour des appareils
qui n’ont pas de blindage de
protection sous le fuselage.
À 10 mètres d’altitude,
rafales de mitrailleuse
ou même simples balles
de fusil représentent
un danger mortel.
Archives Aérojournal

u La fatigue se lit sur les


visages de ces rescapés du
No 226 Squadron, mais les
sourires persistent, attestant
d’un moral assez bon malgré
les pertes effrayantes. Il
faut dire que l’héroïsme des
équipages le dispute à un
sens du devoir et du sacrifice
rendu nécessaire par la
débâcle des troupes au sol
due aux errements du haut
commandement. Dans le ciel
ardennais, les équipages de
Battle, Blenheim, LeO 451
et autres Bre 693 sont les
« pompiers du front ». Ce
cliché est pris alors que les
dés sont jetés, le No 226
stationnant sur le terrain de
Faux-Villecerf après son
évacuation de Reims. IWM

52
Objectif
Meuse !

14h00. Ils récupèrent leur escorte du GC I/8 vers La p Sur le terrain de étant donné que son système de largage des bombes
Fère et attaquent les avant-gardes du XVIII. Armeekorps Bétheniville, les mécaniciens est HS, le P2267 du Squadron Leader C.E.S. Lockett
du No 103 Squadron
(mot.) ayant enfoncé la jonction entre les 2e et 9e armées s’affairent à la préparation
est abattu (lui-même capturé et ses deux camarades
françaises, entre Sedan et Bazeilles. Les bombes larguées du Fairey Battle K9408 portés disparus), les L5438 du Flight Sergeant Dunn
à 800 m d’altitude ont peu d’effets, mais au moins tous pour un raid. Un tracteur et K9343 du Sergeant Moseley aussi (équipages tués).
les avions rentrent-ils à Montdidier. achemine les bombes GP Les K9345 du Flight Lieutenant Butler et le K9383 du
Mk. I de 250 livres qui seront
Les Britanniques n’ont pas cette chance, loin de là. fixées sous l’avion. IWM
Sergeant Hopkins atterrissent à Reims sérieusement
Ils vont faire les frais de la légèreté de la réflexion ini- endommagés mais réparables.
tiée. Certes, les ponts de bateaux du génie sont bien Le No 105 Squadron souffre le martyre, puisqu’il est
plus aisés à détruire avec des bombes légères que des mis définitivement hors de combat lors de raids contre
ouvrages d’art en pierre ou en béton, de même qu’il est plusieurs ponts sur la Meuse (Remilly-Aillicourt et Villers-
effectivement plus fastidieux et plus long aux Allemands Devant-Mouzon). Sur les onze Battle ayant décollé de
d’acheminer jusqu’aux premières lignes les lourdes bat- Villeneuve-les-Vertus à 15h40, sept sont abattus par
teries statiques de 37 et 88 mm, la défense antiaérienne reposant la Flak ou des Messerschmitt de la 2./JG 2 ! Il n’y a aucun survivant
alors sur les pièces mobiles légères de 20 mm et affûts doubles de parmi les équipages des L5523, L5239, K9189 et L5238, et celui
MG 34. Toutefois, l’appoint en protection des troupes terrestres est du L5585 est capturé en entier (le Flying Officer Gibson réussira à
alors confié à des Staffeln entières de Messerschmitt qui se relaient s’évader, mais sera abattu par des soldats français en rejoignant les
sans interruption au-dessus du champ de bataille et ont l’ordre de ne lignes amies et hospitalisé). Par ailleurs, le L5250 du Pilot Officer
rien laisser passer. Et de fait, quasiment rien ne va passer… Murray et le K9342 du Pilot Officer Lascelles se posent sur le ventre,
Les attaques sont lancées entre 15h20 et 16h15. Elles virent au tir respectivement à Suippes et Villemontry, les occupants rejoignant
aux pigeons, au point que les pilotes allemands parleront dorénavant leurs lignes par leurs propres moyens. Mais le sort s’acharne sur les
de cette journée comme du « Tag der Jäger », autrement dit le « jour quatre Battle survivants, puisqu’à peine de retour à Villeneuve, trois
des chasseurs ». Au No 12 Squadron, les cinq Battle envoyés sur sont détruits par un raid aérien de la Luftwaffe et le P2248 est rentré
la Meuse engagent une colonne blindée circulant sur la route entre de mission en si mauvais état qu’il est jugé irréparable. Le No 105
Sedan et Givonne. Seul le L5538 du Pilot Officer McElligott rentre Squadron n’existe plus…
à la base. Le pilote a bien vu les bombes du Flying Officer Vaughan Au No 150 Squadron, quatre Battle (L4946, K9483, P2182 et P5232)
s’abattre sur la route, mais son L4950 a été abattu, seul le mitrailleur sont engagés, mais ils ont le malheur d’être surpris et coiffés lors de
s’en étant tiré (capturé). Le L5188 du Sergeant Winkler, le L4952 leur attaque sur Remilly-Aillicourt et Wadelincourt par des Bf 109 de
du Flying Officer Clancy et le P5229 du Sergeant Johnson ont tous la JG 53 et des Bf 110 de la ZG 76 : sur les huit hommes d’équipage,
été victimes, soit de la Flak, soit des Bf 109 de la 4./JG 52. Du côté il n’y a qu’un seul survivant, le Leading Aircraftman Summerson,
du No 226, six Fairey partent attaquer le ponton de Douzy, mais retrouvé gravement brûlé par des soldats français après avoir tenté
les tirs antiaériens sont efficaces : le P2254 du Sergeant Annan est de sortir de l’épave en feu du P5232 le corps sans vie de son pilote,
truffé de plomb lors de son approche et contraint de faire demi-tour le Sergeant Barker.

53
No 110 (les L9214, L9217, L9241, N6210 et
P6889). En définitive, seuls les Blenheim du
No 107 Squadron reviennent chez eux sans
la moindre perte. Au coucher du soleil, vient
alors l’heure du terrible décompte.

UN TERRIBLE BILAN
Le bilan de cette journée est dramatique pour
les aviations françaises et britanniques. Pas
moins de 89 appareils alliés ont été abattus
au-dessus des Ardennes, dont 35 revendiqués
par le I./JG 53 « Pik As » (cinq victoires sont
attribuées au seul Oberleutnant Hans-Karl
Meyer) et 16 par la JG 2 « Richthofen ». Une
fois encore, les Fairey Battle de la RAF AASF
se placent en tête du classement des « sacri-
fiés » : leurs 63 sorties de la journée se soldent
par la perte de 36 appareils ! Il faut ajouter à
cela les six Blenheim perdus par les No 114
p Le Fairey Battle L5188 (codé PH-C) du Sergeant Winkler, appartenant au No 12 et 139 Squadrons, ce qui porte le total à plus
Squadron, est contraint à l’atterrissage forcé le 14 mai dans le secteur de Sedan.
de 40 avions abattus rien que dans les rangs
Ses trois occupants sont capturés par les Allemands. Archives Aérojournal
de la RAF AASF. En apprenant qu’une qua-
rantaine d’appareils de cette dernière ne sont
Quant aux dix Fairey du No 88 Squadron, ils la seconde, de quatre avions, se charge du pas rentrés ce jour-là, Barratt aurait éclaté en
se répartissent deux cibles : six bombardent pont de Douzy. Ils tombent dans un véritable sanglots. Sa première mesure est d’interdire
une colonne sur la route Givonne-Bouillon, les traquenard du I./JG 53, puisqu’au moins cinq désormais toute mission de jour aux Fairey
quatre autres un pont près de Villers. Ils s’en d’entre eux (les L5232, L5235, P2324, P2360 Battle qui ne seront plus employés que pour
tirent mieux que les autres unités, avec des et L5422) sont abattus par des Messerschmitt des bombardements nocturnes.
coups au but rapportés, et surtout un seul Bf 109, mais la trace de cinq autres se perd Ces sacrifices en valaient-ils la peine ? Pour
avion perdu du fait de la Flak (le L5581 du définitivement ce jour-là dans les archives : ils l’heure, en l’état des observations faites par
Sergeant Ross, équipage tué) et un autre ont probablement subi le même sort… les pilotes ayant eu la chance de rentrer, des
endommagé (le L5233). Les Bristol Blenheim jetés au même moment véhicules ennemis ont été détruits et des ponts
De retour au-dessus du champ de bataille dans la bataille par la RAF AASF et le Bomber de bateaux coupés, mais l’avance des Panzer
ardennais après sa sortie matinale, le No 103 Command ne sont guère plus épargnés. Les est loin d’être freinée et les Pioniere travaillent
Squadron s’en sort cette fois-ci beaucoup bimoteurs des No 114 et 139 Squadrons d’arrache-pied pour remettre les pontons
moins bien. Des huit Battle partis de Bétheniville enregistrent eux aussi des pertes importantes, détruits en état (ou en construire d’autres).
pour attaquer des ponts de bateaux à Remilly- avec six appareils portés manquants (respec- Certes, l’interrogatoire de Landser capturés au
Aillicourt et Mouzon, trois sont perdus. Atteint tivement quatre et deux) sur les huit engagés sol permet de relever que la cadence régulière
de plein fouet par la Flak, le L5465 du Pilot au-dessus de la Meuse. Les N6230, L9466, des raids aériens provoque momentanément la
Officer Cunningham explose en vol ; le K9374 L9464, P4827, L9179 et P6902 sont tous confusion dans les unités allemandes et atteint
du Flying Officer Fitzgerald, criblé de projec- tombés sous les coups des Bf 109 E du I./ le moral des soldats. Toutefois, qu’espérer
tiles, se pose en catastrophe (pilote blessé et JG 53 évoluant en protection des unités au en l’absence d’éléments terrestres suffisants
mitrailleur indemne, tous deux de retour le sol. Il en va de même des No 21 et No 110 dans le secteur pour en profiter et lancer une
lendemain à Bétheniville) ; enfin, le L5516 du Squadrons qui laissent des plumes en bombar- contre-offensive digne de ce nom ?
Sergeant Beardsley est envoyé au tapis par un dant des concentrations de troupes ennemies Bien que les objectifs n’aient pas été atteints
Messerschmitt de la 1./JG 53, mais l’équipage observées du côté de Sedan. Il faut dire qu’ils le soir du 14 mai, les aviateurs français et
sera lui aussi de retour quelques jours plus tard. se heurtent à la 3./JG 53 au grand complet ! britanniques n’ont pas dit leur dernier mot : ils
Enfin, le No 218 Squadron « met en l’air » onze Les pilotes allemands descendent deux n’entendent pas laisser la porte ouverte aux
appareils qui se divisent en deux sections. Une Blenheim du No 21 (L8738 et L8742), en Panzer de Reinhardt et Guderian… 
de sept Battle bombarde une colonne mécani- forçant un troisième (P6890) à l’atterrissage
sée sur la route Givonne-Bouillon, tandis que forcé, et ils s’en adjugent cinq aux dépens du (à suivre)

Messerschmitt Bf 109 E-4


Appareil de l'Oberleutnant Hans-Karl Meyer
1./JG 53
Kirchberg/Hunsrück, Allemagne, mai 1940

54
55
Meuse !
Objectif

Messerschmitt Bf 110 C-3


Stab II./ZG 76
Cologne-Wahn, Allemagne, mai 1940
Farman 223.4
« Jules Verne »
Escadrille B5
Lanvéoc-Poulmic, France, mai 1940
DOSSIER

MAI
1940

HÉROÏQUES
TRAPANELLES
Les Amiot 143 à Sedan
Profils couleurs ©J. M. Guillou, Aérojournal 2020 par Luc Vangansbeke

L
e 14 mai 1940, alors que la Wehrmacht vient d’apprendre que la 55e division d’infanterie et l’artillerie
de franchir la Meuse, l’aviation française du Xe corps d’armée ont abandonné leurs positions. Vers
22h00, il appelle le général de corps aérien François
tente de s’opposer à son avance avec une d’Astier de la Vigerie, commandant la zone d’opérations
poignée de bombardiers obsolètes, dont les aériennes Nord (ZOAN) pour demander une attaque contre
équipages savent qu’ils par tent pour une mission les ponts de Sedan.
En mai 1940, l’armée de l’Air aligne 33 groupes de bom-
de sacrifice. bardement (GB), dont les deux tiers sont en reconversion
sur des matériels modernes comme les Amiot 351 ou 354
et le Lioré et Olivier 45 (LeO 45) français ou les Glenn-

13
p Alors qu’en décembre
mai 1940. La 1. Panzer-Division franchit 1939, l’armée de l’Air a Martin 167F et Douglas DB-7 américains, ce qui réduit
la Meuse à hauteur de Gaulier, juste en décidé de ne plus utiliser les forces disponibles à 11 groupes répartis comme suit :
ses Amiot 143 que dans
aval de Sedan. Un premier pont flottant est - le groupement 6 avec les GB I/12, II/12 et I/31 [1], sur
des opérations de nuit, le
opérationnel le lendemain vers 06h00. La 14 mai 1940, la situation LeO 45 à Soissons, Persan-Beaumont et Royes ;
percée allemande se situe à la charnière entre les 2e et 9e dramatique des forces - le groupement 9 (34e escadre de bombardement) avec
armées françaises, dont certaines unités se volatilisent terrestres dans les Ardennes les GB I/34 et II/34, sur Amiot 143 à Nangis et à La
oblige le commandement
sous les coups. Le 14, les 2. et 10. Panzer-Divisionen à les engager en plein jour.
Ferté-Gaucher ;
traversent à leur tour, alors que du côté français, aucune Bien que leurs équipages - le groupement 18 (54e escadre de bombardement
contre-attaque suffisamment puissante n’est lancée pour estiment avoir peu de chances d’assaut) avec les GBA I/54 et II/54 sur Breguet 693
refouler l’ennemi. d’en revenir, 18 avions à Montdidier [2] ;
décollent pour Sedan.
ww2images.com - le groupement 10 (38e escadre de bombardement) avec
les GB I/38 et II/38, également sur Amiot 143 à Troyes
L’IMPRÉPARATION et à Chaumont-Semoutiers;
DE L’ARMÉE DE L’AIR - le groupement 15 (15e escadre de bombardement) avec
les GB I/15 et II/15 sur Farman 222 et 223 à Reims.
Le 13 au soir, le général d’armée Gaston Billotte, comman- Les groupements 6, 9 et 18 constituent la 1re division
dant le groupe d’armées n° 1, réalise que les Allemands aérienne du général de brigade aérienne Philippe Escudier,
entendent utiliser la poche de Sedan pour y faire passer qui relève de la ZOAN. Les groupements 10 et 15 forment
une grande partie de leurs forces blindées. Il vient aussi la 1re division aérienne, de la zone d’opérations aériennes

56
Héroïques
trapanelles

[1] Le GB I/31 n’a aucun avion de


disponible à la date du 14 mai 1940.

[2] Le 10 mai, les GB I/54 et II/54 sont


respectivement à Montdidier et à Roye, mais
le 13, en raison des fortes pertes du I/54, les
deux groupes sont rassemblés à Montdidier.

[3] Dans son article du n° 160 de la Revue


historique des Armées, Philippe de Laubier
mentionne aussi les GB I/62 et I/63, qui
viennent d’être rééquipés de Glenn-Martin 167
F, mais il manque à ceux-ci certaines pièces
des lance-bombes et leurs mitrailleuses ne
sont pas encore réglées, deux problèmes qui
ne seront résolus que le 20 mai. De plus, à la
date du 10 mai, ces deux unités appartiennent
au groupement 1 d’instruction relevant de la
zone d’opérations aériennes des Alpes. Il parle
donc d’un total de 13 groupes rassemblant un
effectif théorique de 169 appareils, mais toujours
avec seulement 65 machines disponibles.

[4] De Laubier (P.), « Le bombardement français


sur la Meuse, 14 mai 1940 », Revue historique
des Armées n° 160, Paris, Service historique
de la Défense, Octobre 1985, pp. 96-109.

[5] Ibid.

Est, mais durant les combats au-dessus de


la Meuse, ils opèreront sous le contrôle de la p Ci-dessus : 18 mars 1940, lune fait briller la surface des eaux de la Meuse, mais la fumée
ZOAN [3]. Chaque groupe disposant théorique- un équipage du GB II/34 prend des incendies à Sedan et dans les villages voisins gène la visée.
ment de 13 avions, cela devrait faire un total la pose sous l’aile d’un Amiot Tout le monde rentre sans incident entre 22h23 et 01h15. Le
143. De gauche à droite,
de 143 machines, mais en réalité, il n’y en a GB II/15 a envoyé à 21h00 deux avions, qui attaquent dans
lieutenant Fiquet, chef de bord,
que 65, dont 27 modernes. Cette différence adjudant-chef Quemener, pilote, les mêmes conditions et rentrent sans problème pour 02h00.
est attribuable au fait que plusieurs groupes adjudant Lavolley, sergent Les équipages affirment avoir attaqué un pont sur la Meuse et
étaient déjà en sous-effectif le 10 mai 1940 et Astruc, mitrailleur, sergent Feral. la sortie Sud de Sedan.
Le 14 mai 1940, Quemener et
aux pertes subies depuis, notamment lors des Astruc participent ensemble, à
Le raid suivant est à charge des GBA I/54 et II/54. Le journal de
interventions sur Maastricht le 11, Tongres et bord du n° 85, au raid sur Sedan, marche de ce dernier mentionne à la date du 14 mai 1940 : « À
Liège le 12 et Dinant le 13. dont ils rentrent indemnes. trois heures du matin, on réveille les officiers et les sous-officiers
Coll. J.-C. Astruc via P. Poly pour leur dire de se tenir prêts à prendre le car à 04h30 en vue
p En haut : Toujours équipé d’une mission. Il s’agirait d’attaquer les ponts sur la Meuse entre
UNE MISSION d’Amiot 143 à la déclaration Douzy et Vrigne-Meuse, c’est à dire en aval et en amont de
DE SACRIFICE de guerre, le GB II/35 passe
à l’aviation d’assaut en mars
Sedan. On demande 6 puis 9 avions. […] Mais on reçoit l’ordre
de bombarder le quadrilatère Bazeilles, Sedan, voie ferrée au sud
1940 et entame sa reconversion
Le général d’armée aérienne Joseph Vuillemin, sur Breguet 693. Certaines de de la Meuse. [4] » Ensemble, les deux groupes alignent encore
commandant en chef de l’aviation française, ses anciennes montures sont 14 Breguet. Les neuf appareils désignés décollent à 09h30 et
prescrit à d’Astier de la Vigerie d’engager tous transférées au GB II/38, comme sont rejoints par une trentaine de chasseurs au-dessus de La
le n°44 représenté ici et dont les
les moyens disponibles. Une première mis- Fère-Courbes. Le journal de marche poursuit : « […] les bombes
anciennes marques d’unité et
sion est déjà en cours avec quatre Farman du l’insigne ont été recouverts par tombent sur Bazeilles, à l’entrée Sud-est de Sedan. Durée de
GB I/15, dont les départs se sont échelonnés ceux de ses nouveaux utilisateurs. la mission : 2h05, altitude 900 mètres. Mission réussie malgré
Archives Aérojournal
de 20h37 à 21h20. La nuit est claire et la une forte DCA. [5] »

57
Amiot 143
4e escadrille
GB II/38
Troyes-Barberey, France, mai 1940

Quant aux groupements 6, 9 et 10, ceux-ci doivent attaquer ensemble 750 m séparant les avions du sol permettant toujours de bombarder
en milieu de journée. En décembre 1939, l’état-major de l’armée de avec la précision voulue, tout en les mettant hors d’atteinte des éclats
l’Air a décrété que les Amiot 143 ne sont utilisables que de nuit, sauf de leurs propres bombes, mais faisant d’eux des cibles idéales pour
en dernier recours, si l’ennemi franchit la frontière française. C’est le la Flak légère et n’importe quelle mitrailleuse sur véhicule ou au sol.
cas dans la soirée du 13 mai et, lorsque le général Escudier demande La durée maximale de survol des objectifs sera de cinq minutes, dans
au général Vuillemin de ne pas engager les Amiot 143 en plein jour, l’ordre groupement 6, groupement 9 et groupement 10. La chasse
ce dernier refuse, mais autorise l’abandon de la mission si l’escorte couvrira ensuite le repli des bombardiers, qui rentreront en rase-mottes.
n’est pas au rendez-vous.
À 02h00, le général Escudier convoque les colonels Lefort et François,
ainsi que le lieutenant-colonel Aribaud, commandant respectivement CHANGEMENT D’OBJECTIF
les groupements 6, 9 et 10, à son quartier général de Laon, où il leur
remet l’ordre particulier n° 14. Celui-ci débute par un résumé de la Au moment de quitter Laon, les trois commandants de groupement
situation à Sedan : l’ennemi tient une tête de pont au sud de la Meuse ignorent encore la position précise de leurs objectifs, ainsi que l’heure
et renforce celle-ci via des ponts de bateaux [6], qui constituent l’ob- exacte de l’attaque et le point de rendez-vous avec la chasse, qui
jectif de la mission et seront attaqués avec des bombes seront communiqués plus tard. Dans la matinée, le chef
de 50 et de 100 kg. d’état-major de la 2e armée téléphone au Grand quar-
[6] Dans la journée du 14
Le groupement 6 fournira neuf LeO 45, le groupement mai, le pont de Gaulier, tier général pour annoncer que tous les ponts sur la
9 six Amiot 143 et le groupement 10 douze Amiot 143. mis en place par la Meuse sont détruits, que la 71e division tient toujours
Les bombardiers seront escortés par 30 à 40 chasseurs. 1. Panzer-Division, est le Pont-Maugis, sur la rive gauche du fleuve, et qu’une
seul dont disposent les
En raison de la forte différence de vitesse entre les Amiot Allemands, mais deux
contre-attaque est en cours. L’existence du pont flottant
d’une part et les LeO et les chasseurs d’autre part, les autres seront construits allemand de Gaulier n’est pas mentionnée.
avions les plus rapides voleront à régime moyen en effec- par les Pioniere de Transmises à la ZOAN et à la 1re division aérienne, ces
tuant de larges évolutions par rapport à la route des la 2. Panzer-Division informations entraînent un changement d’objectif et à
à Donchéry et de la
plus lents jusqu’à 15 km des objectifs. À ce moment, la 10. Panzer-Division
09h45, les groupements 6, 9 et 10 reçoivent l’ordre
chasse se portera en avant pour ouvrir le passage aux à Wadelincourt, de bombarder la zone délimitée par Sedan, Givonne,
bombardiers. respectivement en aval Bazeilles et la Meuse. Ce même message fixe à 12h15 le
La Meuse coulant à 150 mètres au-dessus du niveau de et en amont de Sedan rendez-vous avec l’escorte, à la verticale de l’aérodrome
et mis en service le 15.
la mer à Sedan, l’altitude d’attaque sera de 900 m, les de La Fère-Courbes.

58
Héroïques
trapanelles

En l’absence de pont, toute analyse logique conclut p Une colonne allemande, la Sure et de la Semois ayant déjà consommé une large
forcément que la présence ennemie sur la rive gauche de comprenant des Panzer II, part du matériel de génie disponible, les Pioniere n’ont
traverse un village ardennais.
la Meuse se limite à des fantassins sans appui blindé et Bien qu’une large fraction pratiquement plus aucune réserve et une seule bombe
que la rive droite est saturée de troupes et de matériels des Panzer soient trop légers au but pourrait avoir des conséquences sérieuses pour
ennemis attendant l’ordre de franchir. Le changement et trop faiblement armés, le la manœuvre du XIX. Armee-Korps.
d’objectif dicté par le commandement de la 1re division savoir-faire des généraux de Tous les commandants d’unité peuvent comprendre
la Wehrmacht et la supériorité
aérienne paraît donc justifié, mais le maintien de l’heure de la Luftwaffe font la qu’on les jette, eux et leurs hommes, sans délai dans la
et de l’altitude d’attaque soulève certaines questions. différence. Et ce ne sont pas fournaise pour détruire un pont par lequel déferlent les
Si la nouvelle de la présence d’un pont, par lequel s’en- les malheureux Amiot 143 blindés ennemis, mais que pensent-ils à la réception du
qui peuvent endiguer la
gouffrent des centaines de Panzer et de véhicules de changement d’objectif ? C’est au pied de son avion, juste
marée de chars allemands
tous types, a maintenu durant la nuit précédente et en qui déboulent sur les arrières avant de décoller que l’un d’eux sera informé de celui-ci
début de matinée du 14 un sentiment d’urgence dans du groupe d'armées n° 1 ! et il se demandera s’il ne s’agit pas d’une erreur, mais
US Nara
les états-majors français, celui-ci aurait dû s’estomper l’heure de rendez-vous avec l’escorte étant impérative,
en apprenant que les moyens lourds de l’ennemi sont il n’aura plus le temps de demander une confirmation et,
toujours concentrés sur la rive droite. On peut donc malgré le doute qui l’habite, il prendra l’air pour exécu-
se demander pourquoi le général Escudier n’a pas fait ter le nouvel ordre. Par ailleurs, si celui-ci paraît clair, les
reporter l’heure de l’attaque, pour se donner le temps raisons du changement d’objectif ne semblent pas avoir
d’envoyer des vols de reconnaissance sur la zone concer- été communiquées et certains commandants d’unité se
née, de localiser plus précisément les concentrations poseront toujours des questions sur l’état des ponts.
ennemies et de mieux préparer la mission. De même, Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que plu-
un compartiment de terrain d’une surface de quelque sieurs interprèteront les instructions reçues d’une façon
20 km² constituant un objectif plus facile à atteindre que toute personnelle.
le mince ruban formé par un pont flottant, en attaquant
à une altitude plus élevée, les bombardiers pouvaient se
soustraire au moins aux mitrailleuses de superstructure UNE INTERPRÉTATION
des véhicules, voire aux canons de la Flak légère, sans
TOUTE PERSONNELLE
conséquence pour l’efficacité du bombardement.
DES ORDRES
t Prisonnière de budgets
Enfin, avec de telles informations en main, pourquoi ne étriqués au début des années
1930, l’armée de l’Air n’a pu
pas avoir reporté à la nuit suivante l’intervention des allouer aux constructeurs Le LeO 45 atteint une vitesse de pointe de 495 km/h. Sa
Amiot ? La vague de bombardement aurait pu être pré- aéronautiques français les rapidité représente sa meilleure chance d’échapper aux
cédée de quelques avions chargés d’illuminer le terrain fonds nécessaires à des Messerschmitt et à la Flak, mais l’ordre d’attaquer en com-
recherches suffisamment
avec des bombes éclairantes, les quatre groupes étant pagnie d’Amiot 143, plus lents d’au moins 200 km/h, réduit
poussées pour développer
entraînés à l’emploi de celles-ci. des machines modernes. à néant cet avantage. Les commandants du groupement 6
Bien sûr, nous savons qu’en fin de compte, il y a bien Au moment de sa mise en et des GB I/12 et II/12 décident d’attaquer sans escorte
à Gaulier un pont qui, de toute la journée du 14 mai service, en 1935, l’Amiot 143 et sans attendre les quatre autres groupes. Le capitaine
est un avion neuf, mais au
ne sera ni visé, ni touché alors que soldats, Panzer et concept déjà dépassé.
Ruth, commandant le GB II/12, désigne cinq LeO 45 sur
camions y passent sans interruption. Les traversées de Collection J. Mutin les dix disponibles et les confie au capitaine André Rocher.

59
Décollant de Persan-Beaumont entre 11h30 et justifier son geste devant ses supérieurs, mais
[7] De Laubier (P.), op.cit.
11h45, les machines filent vers Soissons pour il gardera son commandement [8]. Après la
se joindre à celles du I/12. Des problèmes tech- guerre, plusieurs de ses anciens officiers [8] Quelle que soit l’explication à sa décision
niques provoquent le retour prématuré de trois donneront deux explications contradictoires. d’abandonner la mission, Aribaud était un chef
qui, bien que déjà âgé de 50 ans, commandait
appareils. Au GB I/12, le commandant Roger Devenu l’écrivain Casamayor, le lieutenant de l’avant et partageait les risques avec ses
Malardel prend l’air avec les trois seuls LeO 45 Serge Fuster restera sera convaincu que le hommes, ce qui semble avoir impressionné
disponibles et, après avoir intégré les deux commandant du groupement 10 a volontai- ses supérieurs : le 31 mai 1940, il sera cité à
avions restants du GB II/12, la formation vole rement manqué le rendez-vous pour éviter de l’ordre de l’armée aérienne et le 5 juin, il sera
fait commandeur de la Légion d’honneur.
vers Sedan sans se soucier du rendez-vous de faire tuer inutilement ses hommes. De son
La Fère-Courbes. côté, capitaine au moment des faits, le général [9] De Laubier (P.), op.cit.
Vers 12h45, à une dizaine de kilomètres de de corps aérien Raymond Brohon déclarera à
[10] Chambe (R.), Équipages dans la
l’objectif, les avions sont pris à partie par des Philippe de Laubier en 1985 que le rendez-vous fournaise, Paris, Flammarion, 1945.
Messerschmitt et le n° 48 du sous-lieute- manqué est le résultat d’une distraction du
nant Paul Hugot s’enflamme. Le caporal-chef commandant d’escadre et qu’il n’y avait rien [11] Dans Équipages dans la fournaise, le
Edouard Jacquemin et le sergent Henri Lebaupin d’intentionnel dans celle-ci. D’autres témoi- général Chambe cite clairement le capitaine
de Perretti-della-Rocca et ne met pas en doute
sautent en parachute au-dessus de Chémery, gnages soutiennent l’un ou l’autre de ces deux le bien-fondé de sa décision d’abandonner
où ils sont capturés par un élément de la points de vue sans les départager. la mission. En revanche, dans son article de
1. Panzer-Division. Hugot et l’adjudant-chef 1985, Philippe de Laubier s’abstient de citer
son nom et affirme que ses camarades mettront
Lucien Leroy n’ont pas cette chance : l’avion
LES SACRIFIÉS
en doute les raisons de son retour prématuré
explose avant qu’ils ne puissent sauter. et le traiteront en paria après la mission.
Le GB I/38 décolle de Troyes avec six
Amiot 143 sur les sept disponibles. Le
DE LA PREMIÈRE HEURE
lieutenant-colonel Aribaud prend la tête de Six avions sont disponibles au GB II/38 et disponibles reste-t-il au groupe ? – Cinq. » […]
la formation, répartie en deux sections de décollent sous la conduite du capitaine Louis Mais leur nombre a déjà fondu et les blessures
trois appareils. Les avions ont pris l’air avec Destannes pour mettre le cap sur le point de de la nuit ne sont pas encore pansées. Dois-je
dix minutes d’avance sur l’horaire pour être rendez-vous. Au groupement 9, la situation désigner cinq équipages ? Et lesquels ? Si j’en
sûrs de pas manquer le rendez-vous à La est moins brillante et les deux groupes de engage moins, les ordres ne seront pas stric-
Fère-Courbes mais, selon l’historique de la la 34e escadre ne totalisent plus que neuf tement respectés. Si je maintiens ce nombre,
38e escadre, rédigé par Aribaud lui-même, pour Amiot 143. Certains équipages, dont celui du connaissant par expérience la densité de la
y arriver juste à l’heure, « le commandant de commandant Dieudonné de Laubier, patron du Flak à laquelle s’ajoutera sans aucun doute la
groupement se laisse volontairement déporter GB II/34, sont rentrés de mission à 05h00 et chasse ennemie, c’est risquer de payer bien
vers le nord-ouest puis s’en remet à l’officier n’ont pris qu’un bref repos. cher un résultat assez aléatoire et se priver
navigateur pour maintenir la direction géné- Informé de sa mission par le colonel François, le ensuite de moyens pour des missions futures,
rale adoptée. Un tourbillon de pensées occupe capitaine Jean Véron, commandant le GB I/34, mieux adaptées à nos possibilités. Car il me
son cerveau : comment et où se verront les analyse la situation : « Avant de donner les paraît raisonnable d’évaluer à 50 % les pertes
ponts que l’ennemi a lancés sur la Meuse ? De ordres préparatoires, je me recueille un instant, probables en hommes et en matériel pour une
celle-ci, le cours sinueux et parfois encaissé, car la décision est lourde de conséquences. mission de ce genre. Alors, tout bien pesé, ma
ainsi que doublé d’un canal latéral, ne lui est Mais je me dis qu’après tout, il est peut-être décision est prise, je demande aux deux chefs
guère connu que par la carte au 1/200 000. dans l’ordre des choses qu’au début d’un d’escadrille […] de rassembler les équipages.
Comment les ponts sont-ils défendus ? Y a-t-il conflit mal préparé, les exécutants doivent Tous se doutent de ce qui se prépare. Sans
déjà des engins mécaniques ennemis au sud immanquablement payer les fautes que inutile commentaire, j’expose la situation et ce
du fleuve ? La couverture de chasse sera-t-elle d’autres, à d’autres moments, ont commises. qui nous est demandé. J’ajoute que le nombre
suffisante et en place ? La manœuvre prescrite, Cela s’est déjà vu en 1870 et dans les premiers d’avions disponibles est de trois et qu’il se
sitôt la relaxation des bombes, sera-t-elle effi- mois de 1914. Sans doute les sacrifiés de la trouve que ce sont ceux du commandant de
cace pour échapper à la chasse ennemie ? [7] » première heure – que l’on oubliera vite car ils groupe et de ses deux chefs d’escadrille qui,
Il en oublie la dérive qu’il a imposée et c’est rappellent une époque peu glorieuse – sont- en conséquence, seront les seuls engagés avec
avec surprise qu’il reconnaît l’Oise qui, loin ils destinés par leur action de retardement à leurs équipages habituels. […] [9]» À 11h35,
au-delà de La Fère-Courbes, coupe le paysage. rendre possible à terme les succès et les faits les trois Amiot du GB I/34 se présentent
La formation vire vers l’est, mais le rendez-vous d’armes des jours meilleurs, qui seuls seront au-dessus du terrain de la Ferté-Gaucher, où
est manqué et, après avoir survolé le camp de retenus par la postérité. Mais l’heure n’est pas doivent les rejoindre ceux du GB II/34. Il ne
Mailly pour s’y délester de leurs bombes sur à la philosophie. Il me faut faire le bilan de nos reste à celui-ci que quatre avions en état de vol.
le champ de tir, les avions rentrent. moyens et mettre le personnel en alerte. Je Engagé à l’âge de 17 ans en 1914, le com-
Aribaud connaitra quelques difficultés pour convoque le mécanicien : « Combien d’avions mandant de Laubier a passé près de quatre

Lioré et Olivier LeO 451


Appareil du sous-lieutenant Hugot (abattu le 14 mai)
GB I/12
Persan-Beaumont, France, mai 1940

60
Héroïques
trapanelles

ans dans les tranchées. Devenu officier en février 1918,


il a rejoint l’aviation en septembre. Après l’Armistice, il
p Épave d’un Amiot 143
du GB I/38 examinée par
CAP SUR SEDAN
les Allemands à Troyes-
est passé par Saint-Cyr avant de devenir observateur Barberey. On note que, reçu
Vers 11h40, l’avion du capitaine de Perretti-della-Rocca,
en 1923, puis pilote l’année suivante. La nuit précé- en renfort d’une école, cet commandant la 1re escadrille du I/34, perd de l’altitude et
dente, son avion a été endommagé en mission et il est avion n’a pas été camouflé rentre [11]. Les quatre machines restantes prennent un
toujours indisponible le 14 en fin de matinée. Qu’à cela selon les nouvelles normes. dispositif en diamant avec Véron en tête, le capitaine
Archives Aérojournal
ne tienne : au moment où le n° 56 du lieutenant Jean Marie, commandant la 2e escadrille du I/34, en ailier
Vauzelle se met en place pour le décollage, de Laubier gauche, Foucher en ailier droit et Vauzelle en serre-file.
monte à bord de celui-ci pour prendre la place du sergent À 12h06, en vue du terrain de La Fère-Courbes, les
Oeillard, mitrailleur dorsal, comme le racontera cinq ans six avions du GB I/38 prennent place derrière le dia-
plus tard le général de brigade aérienne René Chambe : mant de la 34e escadre en deux V inversés, le premier
« Le poste de mitrailleur arrière, sur tous les avions, c’est comprenant le capitaine Destannes, leader du groupe,
connu, est […] le plus exposé. Aucun blindage pour le le capitaine de Cotenson et le lieutenant Christophe,
protéger, les premières rafales des chasseurs ennemis, le second les lieutenants Marey, Jean et Jeanne.
attaquant toujours par l’arrière, sont immanquablement Quant aux Morane 406 de l’escorte, s’ils sont ponc-
pour lui. Aux objections que ce n’est pas là un poste tuels, ils ne sont que 12 au lieu de la trentaine prévue.
de commandant de groupe, de Laubier a répondu que, Bien qu’il manque les six Amiot du GB II/38, la forma-
dans une mission de sacrifice, c’est au contraire le poste tion met le cap au 090 et à une altitude de 900 m sans
essentiel du commandant de groupe. [10] » q Un Amiot 143 au décollage attendre davantage. Il lui manque aussi les appareils
(cliché en réalité pris sur
Les trois autres machines sont le n° 85 du lieutenant de Rouff et de Grimal qui, après avoir surmonté leurs
l'aérodrome d'Oujda, au
Foucher, le n° 131 du capitaine Rouff et le n° 132 du Maroc, en 1943). Même en ennuis techniques, prennent l’air avec un retard consi-
capitaine Grimal, mais ces deux derniers étant retardés 1940, ce bimoteur français dérable. À leur arrivée au-dessus de La Fère-Courbes,
par des ennuis techniques au moment de la mise en route, appartient à un autre temps... ils n’y trouvent personne et, tandis que, conformément
Une proie rêvée pour
seuls les avions de Foucher et de Vauzelle emboitent le n'importe quel Messerschmitt !
aux ordres, Rouff fait demi-tour et rentre, Grimal met
pas à ceux du I/34. ww2images.com le cap sur Sedan pour tenter de rattraper la formation.

61
Amiot 143
Appareil du lieutenant Vauzelle
(abattu le 14 mai)
GB II/34
La Ferté Gaucher, France, mai 1940

Au bout d’un moment, il aperçoit six Amiot mais, lorsqu’à ait expérimenté le TA 35 et le TA 105 à bord d’un
[12] Selon le général
sa grande surprise ceux-ci tournent pour se diriger vers Chambe, les appareils
Amiot 143, les appareils des 34e et 38e escadres sont
le camp de Mailly, il rentre à son tour. Les avions qu’il a de la 34e escadre toujours équipés du vénérable STAé [13] conçu durant
aperçus sont ceux du GB II/38, que le lieutenant-colonel emportaient chacun 16 la Grande Guerre. Celui-ci existe en plusieurs versions
Aribaud emmène vider leurs soutes à bombes après avoir bombes de 50 kg en plus ou moins élaborées, dont certaines obligent l’équi-
soute, ainsi que deux
manqué le rendez-vous. de 100 kg et deux de page à attaquer face au vent. Habituellement, leur
Sur les 18 Amiot prévus, il n’en reste donc que 10. 200 kg sous les ailes, emploi nécessite une longue approche de l’objectif en
Chaque appareil emporte 16 bombes de 50 kg en soute, tandis que ceux de la 38e ligne droite, faisant de l’avion une cible rêvée pour les
avaient 20 bombes de
et deux de 100 kg sous les ailes [12], soit une charge artilleurs antiaériens.
50 kg en soute et deux
offensive de 1 000 kg. Dix tonnes de projectiles, c’est de 100 kg sous les ailes, À 12h25, quelques nuages font leur apparition et, à
assez pour couper un pont flottant, mais bien dérisoire ce qui aurait fait une mesure que le vol se poursuit, leur masse devient plus
pour couvrir 20 km² de terrain varié où sont supposées charge offensive globale continue. À 12h48, alors que la formation passe au-des-
de 12,8 tonnes, mais ces
s’être rassemblé trois Panzer-Divisionen. chiffres ne sont confirmés
sus de Montigny, le plafond est à 1 000 m et formé de
Et avec quelle précision peut-on espérer larguer ? Le par aucune autre source. six à huit dixièmes de cumulus, laissant aux Amiot une
viseur de bombardement est une pièce maîtresse chance de survie supplémentaire en cas d’intervention de
à bord d’un bombardier. Des modèles modernes, [13] Initiales de la chasse allemande. À 12h50, la formation atteint la zone
Service Technique
munis d’un collimateur et d’un calculateur, sont appa- de l’Aéronautique. des combats et passe à la verticale de Poix-Terron, à une
rus au milieu des années 1930. Parmi eux figure le quinzaine de kilomètres au sud de Charleville-Mézières.
Thévenat-Alkan TA 35, qui peut être couplé à un [14] Chambe (R.), op. cit. Toujours en tête, Véron vire au nord-est, en direction de
stabilisateur TA 105 et un appareil directeur TA 103 [15] Ibid.
Vrigne-Meuse, où doit débuter la marche d’approche en
calculant les corrections à apporter et transmettant direction du canal fermant par le sud la boucle décrite par
celles-ci au pilote ou à un pilote automatique, dont la Meuse à l’ouest de Sedan. Ce point atteint, un autre
très peu d’avions français sont équipés en mai 1940. léger virage vers la droite doit ramener les dix Amiot sur
Bien qu’en 1938, le centre d’expertise aérienne militaire le cap 90, les dirigeant droit sur la partie Nord de Sedan.

62
Héroïques
trapanelles

FLAK ! p Des soldats allemands


inspectent un autre Amiot 143
Les quatre Amiot de la 34e escadre sont atteints, mais dès
qu’une explosion fait dévier l’un d’eux, le pilote corrige la
abandonné par le GB I/38 à
Alors que les avions laissent la boucle de la Meuse sur Troyes-Barberey. Un badigeon
position d’un bref coup de volant. Dans la cuve de chaque
leur arrière gauche, ils sont pris à partie par les artilleurs clair a été ajouté sur la couche machine, le chef de bord quitte sa table de navigation pour
antiaériens allemands. « En avant et à droite de l’avion- de base « chocolat ». assumer la fonction de bombardier. « Debout, jambes
Archives Aérojournal
guide, quatre flocons d’un blanc laiteux viennent soudain un peu ployées à cause des oscillations, il a circulé d’un
de naître. Ils s’épanouissent et s’enflent démesurément bout à l’autre de l’appareil par le couloir latéral. […] Puis
comme des ballots de coton suspendus dans le vide : son attention s’est portée sur le tableau de tir de bom-
les premiers coups de la Flak. Tout le monde sait ce que bardement. Il a corrigé la position des masselottes et des
cela veut dire. C’est la salve de réglage. Elle n’a pas été leviers de nickel chrome étincelant. Les voilà au neutre.
au but, c’est de la veine ! Gare aux autres. Suivant qu’il opérera un bombardement coup par coup
Celles-ci arrivent dans le même instant. L’air s’est embrasé ou en traînée à 1/10, 2/10 ou 3/10 de seconde, suivant
d’un seul coup. Ce ne sont que flocons noirs, pour les qu’il devra larguer les bombes d’aile ou de coffre, suivant
plus petits, ou d’un gris verdâtre, pour les plus gros, qui qu’il voudra les libérer toutes ensemble, ou plusieurs à la
ponctuent le ciel de leur pointillé sinistre avec un éclair fois, ou isolément, il lèvera ou abaissera préalablement ces
bref et aveuglant. Les obus traceurs croisent et recroisent leviers. La commande électrique embrayée, il se rendra
leurs trajectoires étincelantes comme les barreaux d’une à son poste de tir, là-bas, à l’avant, derrière la coupole
cage lumineuse. Les Amiot, pauvres oiseaux condamnés, du mitrailleur et, au moment du bombardement, après
avec leur vol lent et leur plumage sombre, sont enfermés avoir une dernière fois calculé la dérive, il opèrera la visée
dans cette cage. Ils vont droit leur chemin, dédaignant de l’objectif, instant grave dont dépendra le succès ou
une manœuvre inutile. l’échec de la mission. Il est indispensable d’aller se rendre
En quelques minutes, des milliers et des milliers de compte ainsi une dernière fois si tout est bien paré. [15] »
projectiles de tous calibres éclatent et se renouvellent À l’autre bout de la cuve, l’opérateur radio arrose les
t L’Amiot n° 86 (n° tactique
autour d’eux. Dans les carlingues, le bruit est devenu E-310) participe au raid du
troupes ennemies de sa mitrailleuse. Il est 13h15.
assourdissant. Les coups de gong sourds se succèdent 14 mai 1940 sur Sedan
sans interruption sur la basse des moteurs, quelques-uns avec le capitaine Lagravière,
plus brisants, plus secs, avec une lueur éblouissante. commandant la 2e escadrille
du GB I/38, comme chef de DANS LA FOURNAISE
Ceux-là ne sont pas loin. L’intérieur des avions résonne bord. Manquant le rendez-
alors comme une cloche, tandis que les tôles criblées de vous avec les chasseurs Le n° 80 de Véron largue sa première salve de huit
mitraille sont cinglées par une grêle d’orage. Des déchi- de l’escorte, le lieutenant- bombes de 50 kg sur la ville et la seconde sur la route
colonel Aribaud, « patron »
rures menaçantes s’ouvrent dans les fuselages et dans remontant vers Bouillon. Il garde ses deux projectiles de
du groupement n° 10, fait
les ailes. Les rhodoïds éclatent avec fracas et viennent abandonner la mission aux 100 kg pour l’agglomération de Bazeilles. Derrière lui,
joncher de leurs fragments de verre les parquets de métal. six appareils et équipages le n° 56 part en piqué, traînant une langue de flammes
Par les ouvertures pénètre un relent âcre qui prend à la du GB I/38, une décision trois fois plus longue que lui et un épais panache de
toujours controversée par
gorge et pique les narines : l’odeur de la poudre que, ses subordonnés plusieurs
fumée. Aux commandes, le sergent-chef Occis ne
même ici en plein ciel, le brassage des hélices ne parvient décennies plus tard. contrôle plus l’avion et ordonne de sauter en parachute.
pas à éliminer, tant sont denses les gaz dégagés par les SHD/Air Le sergent Gelly, mitrailleur avant, et le sergent Ankoua,
explosifs. [14] » opérateur radio, quittent l’appareil et sont capturés.

63
Bien qu’Occis s’extirpe du poste de pilotage et que son y Page de droite : bombes larguées, les deux sections piquent vers le sol
parachute semble s’ouvrir normalement, il sera retrouvé En 1940, la silhouette de et s’éloignent vers le sud, toujours au complet, mais le
l'Amiot 143 peine à dissimuler
mort un peu plus tard. Quant au commandant de Laubier son obsolescence. Partir à
moteur gauche de l’Amiot du lieutenant Jeanne crache
et au lieutenant Vauzelle, ils sont toujours à bord lorsque bord de cet engin au-dessus une abondante fumée noire et l’avion se fait distancer.
l’Amiot se dresse brusquement vers le ciel, puis plonge des lignes ennemies sans
à la verticale pour percuter le sol. escorte de chasse s'apparente

AU TOUR
à une mission-suicide !
Le 25 février 1942, le sergent Ankoua écrira à madame ww2images.com
Vauzelle : « Lorsque l’avion prit feu, le sergent Gelly,
actuellement prisonnier, s’en aperçut le premier. Il vient
DES MESSERSCHMITT
près de moi. J’appuie sur le bouton d’alarme. Gelly se Un autre danger guette maintenant les bombardiers fran-
lance de la place radio, son parachute s’ouvre. Le com- çais. Les chasseurs allemands sont apparus en même
x Le sergent Roger Astruc (à
mandant de Laubier se dirige vers la sortie principale, un gauche) avec un camarade temps que les premiers flocons de la Flak, mais les mitrail-
peu en arrière de la place de second pilote. Le lieutenant dans le compartiment avant leurs, malgré la puissance de feu dérisoire de leurs armes,
Vauzelle va sortir par la trappe avant, et le sergent-chef de la « cuve » d’un Amiot 143. et les Morane MS.406, malgré leur infériorité numérique,
En arrière-plan, en haut,
Occis essaie de soulever l’habitacle supérieur de la place on aperçoit la tourelle de
semblent avoir réussi à les tenir provisoirement à distance,
de premier pilote, après avoir redressé l’appareil pour proue, ce qui permet de d’autant plus que les pilotes allemands ne tiennent pas
permettre l’évacuation de l’équipage. Je me lance à mon mieux comprendre comment à se faire moucher par leurs propres canons antiaériens.
tour de cette même place radio, mon parachute s’ouvre. le sergent-chef Legrand, Maintenant que la formation française s’éloigne de son
à bord du n° 69, échappe
J’espère bientôt voir d’autres parachutes s’ouvrir mais miraculeusement à une rafale
objectif, l’heure de la curée sonne et, une fois de plus,
l’avion, tel une torche, s’abat rapidement. Le feu a pris de 20 mm en se baissant pour ce sont les Amiot de la 34e escadre qui dégustent les
avec une telle rapidité qu’il fut impossible au lieutenant prendre un nouveau chargeur- premiers. À bord du n° 69, une rafale d’obus de 20 mm
Vauzelle, au commandant de Laubier et au sergent-chef tambour pour sa mitrailleuse. pulvérise la tourelle de nez mais, occupé à prendre un
Coll. J.-C. Astruc via P. Poly
Occis de s’en dégager à temps. Gelly et moi n’avons dû nouveau tambour chargeur en-dessous de lui, le sergent-
notre salut qu’à notre position dans l’avion : la cuve radio y Une autre photo de Roger chef Legrand est miraculeusement indemne et constate
est le seul endroit par où l’on pouvait sauter rapidement. Astruc, cette fois devant que l’explosion a arraché la mitrailleuse et son berceau.
Nous volions à 800 m et c’est en survolant Sedan que les sa mitrailleuse MAC 34 de Également atteint aux moteurs, l’Amiot commence à se
7,5 mm, dans la tourelle
obus incendiaires de la DCA ennemie nous atteignirent. dorsale d’un Amiot 143. faire distancer par le n° 80 et son pilote, l’adjudant Speich
Le feu s’est déclaré d’abord au moteur gauche, puis Coll. J.-C. Astruc via P. Poly sent que ses commandes sont bloquées, faisant piquer
rapidement au moteur droit. Au moment où je me lançais,
on suffoquait déjà dans l’appareil. [16] »
Également touché, le n° 85 du lieutenant Foucher quitte
la formation pour se diriger vers le sud-ouest, après avoir
largué ses bombes sur la zone des objectifs. Quant au
n° 69 du capitaine Marie, celui-ci continue à suivre le
n° 80 qui, dès le délestage de ses deux bombes de
100 kg sur Bazeilles, vire pour échapper aux obus.
Bien que tous les appareils du GB I/38 soient égale-
ment touchés, les choses se passent moins mal pour
le capitaine Destannes et ses équipages. Une fois leurs

64
Héroïques
trapanelles

Amiot 143
Appareil du capitaine Rouff
GB II/34
La Ferté Gaucher, France, mai 1940

l’appareil. Le sergent-chef Teyssier, mitrailleur tirés par la gravité de l’heure. Pas d’affolement, Thévenard, tout va bien.
dorsal, suit les câbles vers l’arrière, découvre ils ne sont pas pris au dépourvu. L’évacuation À Teyssier. Celui-ci a l’évacuation la plus
où l’un d’eux est coincé et le libère, permettant va se faire dans l’ordre si souvent étudié en difficile. Pas de temps à perdre à cause des
à Speich de redresser. temps de paix. La porte est larguée depuis camarades qui attendent. Il s’assied comme
C’est le moment qu’attendait un Messerschmitt longtemps. il peut sur le plat-bord, dans l’affreux courant
Bf 109, qui s’est placé dans l’axe de l’Amiot, À Legrand d’abord. […] Le capitaine Marie d’air, et tout de suite est balayé, emporté.
pour ouvrir le feu par l’arrière et en-dessous. s’efforce de sourire. Cela a une valeur Son corps rabote le long du fuselage, passe
Le sergent-chef Thévenard, opérateur radio, étonnante dans les circonstances pré- de justesse sous les empennages qui risquent
riposte mais sa mitrailleuse s’enraie et quelques sentes, le sourire du chef. Cela cimente de l’assommer et gagne le vide en roulant
secondes plus tard, il est blessé au mollet. À fortement le sang-froid de l’équipage. […] sur lui-même comme un noyé. Il s’agit de ne
une cinquantaine de mètres de sa victime, Legrand, par inadvertance, a manœuvré trop pas perdre la tête. Un coup de poignée. Des
l’Allemand lâche une dernière rafale avant de tôt la poignée de son parachute. La cisaille a claquements secs, comme des gifles de vent
passer la main à un Bf 110, qui arrive par joué. Derrière lui, la voilure de soie se répand sur des draps un jour de lessive, une secousse,
l’arrière et au-dessus. Teyssier vide un tam- comme une mousse blanche. Très grave. Le et Teyssier, les côtes meurtries, descend tel
bour-chargeur complet, mais ne peut empêcher vent va s’y engouffrer, tout va s’embrouiller un insecte au bout d’un fil. [17] »
son adversaire de s’approcher jusqu’à 50 m dans les suspentes, le parachute ne s’ouvrira En tant que chef de bord, le capitaine Marie
avant de tirer à son tour. Des flammes com- pas, se mettra en torche et Legrand, quand estime que c’est à lui de sauter en dernier,
mencent à sortir des moteurs : « 13h40. il se jettera, tombera comme une pierre. Or, mais en tant que pilote, l’adjudant Speich
L’incendie gagne rapidement. Thévenard a il ne s’est aperçu de rien. Le capitaine Marie, décrète qu’il doit maintenir l’avion jusqu’à
prévenu le capitaine Marie et tout l’équipage. sans un mot, a saisi la voilure à pleins bras et, ce que tout le reste de l’équipage soit parti.
Aucun espoir ne peut être conservé de sauver au moment où Legrand disparaît par la trappe, Le moment n’étant pas aux vaines discus-
l’appareil. Aux postes d’abandon ! C’est la fin. la pousse en ordre à l’extérieur. Le parachute sions, Marie cède et se lance dans le vide.
Il faut même se hâter, car la chaleur commence se déploie normalement. Legrand est sauvé. Speich s’extirpe de justesse de son habitacle et
à devenir insupportable. Les rhodoïds déjà se À Thévenard. Un coup de reins, Thévenard sort vivant de l’aventure, bien que gravement
craquellent et se déforment. […] L’adjudant est parti. Il a sauté directement de son balcon. brûlé au visage et aux mains.
Speich est resté aux commandes, s’effor- Marie et Teyssier n’ont pas le temps de comp-
çant de maintenir l’avion bien en ligne de vol. ter deux secondes qu’ils voient, là-bas, très [16] De Laubier (P.), op.cit.
L’équipage se rassemble dans le couloir. Les loin déjà, peut-être à 200 m de l’avion, naître [17] Chambe (R.), op. cit.
traits de ces hommes de l’air sont calmes, mais et s’épanouir une petite corolle blanche. C’est

65
Amiot 143
Appareil du capitaine Véron
(endommagé par la Flak le 14 mai)
GB I/34
Nangis, France, mai 1940

RETOUR DE MISSION À bord du n° 85, le lieutenant Foucher a


largué sa charge offensive sur une colonne
chacun une rafale inutile. À 13h50, l’appareil
se pose à Nangis avec un équipage indemne.
Le n° 80 lui aussi est sérieusement touché. d’artillerie et un rassemblement de troupes La chance continue à servir la formation
Un obus a crevé un réservoir derrière le à Floing. En arrivant au-dessus de Bazeilles, du GB II/38 qui, sitôt ses bombes larguées,
moteur gauche et arraché des canalisations, il repère encore un grand nombre de chars se colle au sol pour filer. Avec un moteur
laissant l’essence se vaporiser dans le sillage et de véhicules, mais toutes ses bombes hors d’usage, l’adjudant Boussicut, pilote
de l’Amiot. Un autre a coupé les commandes étant déjà parties, les mitrailleurs expédient de l’appareil du lieutenant Jeanne, effec-
de direction, en un point loin vers l’arrière, quelques rafales. « … Les salves d’obus et tue un atterrissage d’urgence à Tahure, à
hors d’atteinte en vol. Un troisième est entré la mitraille de la Flak s’acharnent toujours. une vingtaine de kilomètres au nord-est de
dans le fuselage et, en éclatant, a pulvérisé L’avion semble être un tambour sur lequel on Mourmelon. Les cinq autres Amiot regagnent
les instruments du poste du second pilote. De bat la charge, avec de temps en temps un sans incident Chaumont-Semoutiers, où ils
nombreux vitrages sont en miettes et les tôles coup de grosse caisse. […] L’avion n’est pas se posent à 13h30. Bien qu’aucune perte
sont percées de toutes parts. à 300 m et c’est miracle qu’il se tire de ce humaine ne soit à déplorer, les avions
L’essence se répandant en l’air laisse un sillage grandiose mais redoutable feu d’artifice. [18] » sont dans un triste état, deux d’entre eux
blanc qui ne manque pas d’attirer les chas- À 13h15, Foucher et son équipage sortent de atterrissant avec des câbles de commande
seurs allemands. Submergés par la supériorité ce guêpier et se retrouvent seuls. Aux com- endommagés.
numérique adverse, les Morane ont disparu. À mandes, l’adjudant-chef Quemener descend Les dix équipages ont accompli leur mission
deux reprises, une patrouille de Messerschmitt à 50 m pour échapper aux chasseurs. Peine en bombardant les objectifs désignés, mais
surgit, mais l’état de l’Amiot est tel que les perdue : à une dizaine de kilomètres au sud- les résultats de la mission sont négligeables
pilotes allemands sont convaincus que son ouest de Sedan, un Bf 110 surgit à moins et n’exercent aucune influence significative
sort est scellé et chacun d’eux n’envoie qu’une d’une centaine de mètres derrière l’Amiot. sur la manœuvre du XIX. Armee-Korps.
brève rafale mal ajustée avant que la réap- Tandis que Quemener descend au ras des Trois bombardiers ont été perdus et deux
parition d’une patrouille de Morane les fasse arbres, les sergents Giraud et Astruc ouvrent autres ont dû se poser d’urgence en territoire
renoncer. L’Amiot se dissimule au mieux dans le feu de leurs mitrailleuses. Incapable de ami. Ceux qui sont rentrés sont lourdement
les nuages, mais, incapable de faire tenir l’air manœuvrer pour prendre une bonne position endommagés et, s’ils sont réparables, ils n’en
plus longtemps à sa machine, l’adjudant Milan, de tir, le Messerschmitt s’efface. Le restant resteront pas moins indisponibles pour un bon
pilote, effectue un atterrissage d’urgence sur du voyage retour se déroule sans incident, moment. Quant aux pertes humaines, elles
l’aérodrome de campagne de Bétheniville, non bien que l’Amiot croise encore un Fieseler se limitent miraculeusement à trois tués et
loin de Reims. Storch, vers lequel les mitrailleurs envoient deux disparus, prisonniers des Allemands.

u Le n° 64 est envoyé
en renfort par le centre
d’instruction au bombardement
(CIB) de Cazaux au GB II/34
à Nangis, le 20 mai. Il porte
encore ses marques et
camouflage de temps de paix.
Touché par la Flak lors d’une
mission de ravitaillement
de la poche de Dunkerque,
dans la nuit du 31 mai au
1er juin 1940, il se posera
en catastrophe à Malicorne
(commune de Charny-Orée-
de-Puisaye, Yonne) avec un
mitrailleur blessé à bord.
Archives Aérojournal

66
Héroïques
trapanelles

UN RÉSULTAT MÉDIOCRE [17] Chambe (R.), op. cit.


de la 34e escadre. Dans son compte-rendu d’opération, le
capitaine Véron attribue les fortes pertes des Amiot 143 à
Le lendemain, dans une lettre adressée au lieutenant-co- [18] Ibid. leur faibles vitesse et armement défensif, mais aussi à un
lonel Aribaud, le capitaine Destannes résume l’impression manque de coordination entre les commandements des
[19] De Laubier
générale gardée par les survivants : « Hier, je m’excuse (P.), op.cit. 34e et 38e escadres, ainsi qu’au nombre trop restreint de
de ne pas vous avoir attendu à La Fère ; j’ai suivi la 34 chasseurs, qui n’ont pas réussi à établir une supériorité
qui a quitté La Fère à midi vingt-deux minutes. Je ne aérienne locale pour la durée du raid.
regrette pas d’avoir fait cette mission – puisque j’ai eu Le bombardement de la poche de Sedan est longtemps
la chance de ramener tout mon monde – parce que j’ai x Trois membres de la resté un épisode mal connu de la Seconde Guerre mon-
pu me rendre compte du danger de ce genre de mission 4e escadrille du GB II/34 diale. Même si les souvenirs de plusieurs participants sont
où l’on expose un grand nombre d’équipages pour un devant un Amiot 143, le mis par écrit assez rapidement, ceux-ci donnent parfois
22 mars 1940. De gauche
résultat médiocre et nul. De nuit, nous aurions fait beau- à droite : sergent Astruc,
une vision erronée des événements. En 1945, le général
coup mieux le même travail avec des risques infiniment adjudant-chef Quemener, Chambe rédige son Équipages dans la tourmente sur
moins grands. J’ai l’impression que ces attaques de jour sergent Lortscher. base de témoignages de première main, mais personne
ne sont pas payantes lorsqu’elles sont faites avec du Coll. J.-C. Astruc via P. Poly ne semble lui avoir parlé d’un changement d’objectif juste
matériel comme le nôtre. Dès l’arrivée sur l’objectif, nous y Né en 1918, Roger Astruc
avant le départ : dans son récit, il affirme que les bom-
avons été pris à partie par une DCA extrêmement dense : travaille comme dessinateur bardiers des Amiot ont visé « les ponts sur la Meuse. »
canons et mitrailleuses, et quelques secondes après, la chez Bloch, puis Dewoitine, D’autres auteurs abondent en ce sens et ce n’est qu’en
chasse. Sur quatre avions qu’avait la 34, l’un a été des- jusqu’à son service militaire, 1985 que Philippe de Laubier, fils du commandant du
qui débute en novembre 1938.
cendu en flammes dès l’arrivée sur les lieux ; ensuite, un Mitrailleur au GB II/34 durant GB II/34 tué en mission, clarifiera les choses dans son
autre, que je crois appartenir à la 34, a été descendu par la campagne de mai-juin article publié par la Revue historique des Armées. Comme
la chasse juste derrière moi […] ; j’ai vu trois parachutes 1940, il passe au GB I/31, puis le pensait le capitaine Véron au moment de désigner les
au GR I/14 après l’armistice.
descendre avant que l’avion ne s’écrase. En somme, sur équipages de la mission du 14 mai, les sacrifiés de la
Démobilisé en mars 1941,
quatre avions qu’avait la 34, j’ai l’impression qu’elle en il se marie deux mois plus première heure sont vite oubliés au profit des succès et
a perdu au moins deux. Pour nous, nos avions ont été tard avec Aline Alary, qu’il faits d’armes des jours meilleurs, moins embarrassants
touchés et, par une chance inouïe, ni les équipages, ni a rencontrée chez Bloch. pour le commandement et le monde politique. 
Reprenant ses activités de
les organes essentiels des avions n’ont été atteints […]. dessinateur, il participera
J’ai ramené mon groupe à 10 m d’altitude par un piqué à plusieurs grands projets
aussi rapide que possible dès que le bombardement a été d’aviation français après la
La rédaction tient à adresser ses remerciements
exécuté à 900 m et je crois que c’est à cette manœuvre guerre, tandis que son épouse
que je dois en partie d’avoir évité les Messerschmitt. [19] »
mènera une carrière plus à Jean-Charles ASTRUC et Pascal POLY pour leur
administrative chez Dassault.
Cette opinion est visiblement partagée par les équipages Coll. J.-C. Astruc via P. Poly précieuse aide iconographique.

67
BIOGRAPHIE

1917
1945

HEINRICH
EHRLER LE BOUC ÉMISSAIRE AUX 208 VICTOIRES
Profils couleur : Jean-Marie Guillou Par Yann Mahé

H
einrich Ehrler appartient au cercle très fermé des pilotes ENTRÉE EN SCÈNE TARDIVE
de chasse de la Luftwaffe ayant franchi la barre des 200 Durant les premiers mois de la Seconde Guerre mon-
victoires. Révélé sur le tard, sa carrière opérationnelle ne diale, Ehrler sert toujours dans la Flak, mais cette
débutant réellement que début 1942, ce Badois passe la affectation ne le stimule guère. Le 3 janvier 1940, il
quasi-totalité de la Seconde Guerre mondiale sur le front arctique demande sa mutation dans la Jagdwaffe. Sa requête
ayant été acceptée, l’artilleur badois est formé au
avec la 6./JG 5, l’une des meilleures – sinon la meilleure – esca- pilotage du 1er février au 4 novembre. Une fois son
drilles de chasse de la Luftwaffe. Cet Expert, familier du théâtre instruction terminée, le Leutnant de 23 ans est versé
d’opérations du Grand nord, disparaît au combat à quelques jours le 1er février 1941 à la 4./JG 77 basée sur l’aérodrome
de la fin de la guerre, victime de la volonté permanente du régime norvégien de Stavanger et volant sur Messerschmitt
Bf 109 E. Le I. Gruppe de la JG 77 est alors en charge
nazi de se trouver des coupables à chaque débandade. de la défense du ciel du royaume scandinave occupé,

H
car il y a de nombreux objectifs stratégiques à protéger
einrich Ehrler naît le 14 septembre 1917 à  Un Messerschmitt des incursions régulières des bimoteurs de la RAF :
Oberbalbach, dans le Bade-Wurtemberg. En Bf 109 G-6 de la JG 5 trafic maritime au large des côtes, navires de surface
photographié en transit sur
1935, à l’âge de 18 ans, le jeune homme est l’aéroport de Malmi-Helsinki de la Kriegsmarine mouillés dans les fjords, et sites
incorporé pour son service militaire dans un fin février 1944. Cette sensibles comme l’usine d’eau lourde de Rjukan.
régiment d’artillerie de la Heer. L’année suivante, il est escadre est entièrement En juin 1941, le I./JG 77 devient le Jagdgruppe
dédiée aux opérations
transféré au Flak-Regiment 8 de la Luftwaffe et se porte « Stavanger » et se tient à l’écart de l’opération
dans le Grand nord, ses
volontaire pour partir en Espagne avec la 3. Batterie de la missions comportant : « Barbarossa », l’invasion de l’URSS à laquelle par-
Flak-Abteilung (mot.) F/88, la composante DCA de la Légion escorte des bombardiers ticipe tout le reste de l’escadre. Il faut attendre le 2
Condor dépêchée aux côtés des troupes nationalistes du sur le front de Mourmansk, septembre pour voir Ehrler remporter sa toute pre-
attaques de trains sur la
général Franco. Pour la petite histoire, c’est ce groupe qui Murmanbahn, protection
mière victoire : un Bristol Blenheim (d’autres sources
expérimentera pour la toute première fois, contre les tanks des navires transportant du mentionnent un Beaufighter) abattu au sud-ouest de
T-26 et BT républicains, les tirs antichars avec des canons de nickel au départ de Petsamo, Stavanger dans des circonstances qui lui valent la
88 mm. Rommel n’a rien inventé… De retour en Allemagne interception des bombardiers Croix de fer 2e classe. En novembre, la 4./Jagdgruppe
soviétiques. Heinrich Ehrler
le 15 août 1937, Ehrler sera décoré de la Croix espagnole devient son emblématique
« Stavanger » est transférée sur le terrain d’Alakourtti,
en or (Spanienkreuz in gold) le 14 avril 1939 en récompense Kommodore et son plus sur le front de Mourmansk, afin d’escorter les Ju 88 et
de cette première campagne. grand Expert. SA-Kuva Ju 87 appuyant l’offensive germano-finlandaise vers

68
Heinrich Ehrler

ce port hautement stratégique. Le 8 novembre,


après une deuxième victoire sur laquelle aucune
information n’est disponible, le pilote badois
triomphe d’un Tupolev SB-2 soviétique dans
la région de Louhi (Carélie). Ehrler entame donc
l’année 1942 avec seulement trois victimes à
son tableau de chasse. Il va se révéler sur le
tard !
La profusion de groupes de chasse de cir-
constance sous ces latitudes élevées (Jgr.
« Stavanger », JGr. « Kirkenes » et JGr. z.b.V.)
amène le commandement à finalement les
fusionner en janvier 1942 au sein d’une toute
nouvelle escadre de chasse dont l’ancienne 4./
JG 77 d’Ehrler devient logiquement la 4. Staffel :
la JG 5 « Eismeer » (mer de Glace).

À LA TÊTE DE LA MEILLEURE
ESCADRILLE
DE LA JAGDWAFFE !
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les
premiers mois d’Ehrler au sein de la 4./JG 5 se
font à un rythme de croisière des plus paisibles…
Son premier doublé, un MiG-3 et un Hurricane
le 24 janvier, le fait grimper à cinq victoires,
puis février s’écoule avec une seule victoire
au compteur (un Hurricane le 19), auxquels
s’ajoutent au mois de mars deux autres de ces
chasseurs britanniques envoyés à Staline dans
le cadre du prêt-bail (abattus les 4 et 24). Avril
n’échappe pas à la règle et seulement deux
petites victoires (toujours des Hurricane) sont
engrangées (28 et 30 avril).
Mai 1942 est le mois de la consécration. Du 12
au 30, il envoie six chasseurs ennemis au tapis,
principalement dans les secteurs de Mourmansk
et de la baie de Kola : cinq Hurricane (dont deux
le 29 mai) et un P-40 ! Il décroche la Croix de fer
1re classe et est transféré à la 6./JG 5, l’escadrille
la plus prolifique de la Geschwader qui compte
dans ses rangs Rudolf « Rudi » Müller (92 vic-
toires), Hans Döbrich (65), Horst Carganico
(60), August Mors (60), Albert Brunner (53),
Ludwig Scharf (18) et Hans-Dieter Hartwein
(16). Heinrich Ehrler les dépassera tous et
contribuera avec eux à faire de cette escadrille
 Heinrich Ehrler alors qu’il combat sur le front de Mourmansk. Le port du gilet de sauvetage
est rendu nécessaire, en Carélie et dans la péninsule de Kola, par les innombrables marais probablement la toute meilleure de la chasse
dans lesquels un pilote ayant sauté en parachute peut se noyer. Archives Aérojournal allemande (500 victoires au 13 mars 1943 !).
Le mois de juin confirme les bonnes dispositions
du Badois, avec dix victoires supplémentaires.
Il est en est désormais à 26 victoires, dans une
écrasante majorité des Hawker Hurricane et à
quantité moindre des Curtiss P-40, deux avions
dont il a parfaitement discerné les qualités de
vol et qu’il connaît par cœur. Il faut attendre le
19 juillet pour voir Ehrler croiser dans le ciel des
adversaires d’un nouveau modèle : crédité de
six victoires depuis le début du mois, il réalise
un doublé inédit, puisque ce sont un Spitfire et
un P-39 Airacobra qui succombent à ses rafales,
ses 33e et 34e victoires !

t Heinrich Ehrler pose devant un Bf 109 F avec deux


autres Experten de la 6./JG 5 en avril 1943 : son
meilleur ami Theodor Weissenberger (à gauche) et
Rudolf « Rudi » Müller (à droite). Si Weissenberger
survivra au conflit, Müller sera tué le 21 octobre 1943
après un atterrissage forcé. Selon les versions, il aurait
été abattu en tentant d’échapper aux gardes-frontières
soviétiques au moment de passer en Norvège, ou il
aurait été tué lors d’une tentative d’évasion. DR

69
Messerschmitt Bf 109 F-4
Appareil du Leutnant Heinrich Ehrler
6./JG 5
Petsamo, Finlande, juillet 1942

Le 21 août, la 6./JG 5 perd son Hurricane, c’est chose faite, puisqu’il décroche Le 22 octobre, alors qu’il en est à… 199 vic-
Staffelkapitän, l’Oberleutnant Hartwein, qui ne trois jours plus tard sa 100e victoire. En réalité, toires, l’homme ajoute les Épées à sa Croix de
rentre pas de mission et doit être porté disparu. ce 8 juin, il réalise un nouveau quadruplé en chevalier. Il ne les recevra jamais. En effet, si
Rentré pour sa part auteur de son premier triplé deux sorties au niveau de la Murmanbahn (la tout semble sourire à Ehrler, le ciel ne tarde
(1 Yak-1 et 2 Yak-7, 42e à 44e victoires), Ehrler voie ferrée stratégique de Mourmansk). Le pas à s’obscurcir…
lui succède le lendemain à la tête de l’escadrille. 2 août, alors qu’il a ajouté une 112e ligne à
Le 4 septembre, ayant franchi la barre haute- son tableau de chasse, Ehrler reçoit les Feuilles
ment symbolique des 50 victoires, le nouveau de chêne pour sa Ritterkreuz. Le 18 août, le LE TIRPITZ COULÉ,
Staka est récompensé par l’attribution de la
Croix de chevalier de la Croix de fer. Une poi-
pilote abat son tout premier Lavochkine La-5
dans la région de Loukhi.
IL FAUT UN COUPABLE !
gnée de jours plus tard, arrive à son escadrille S’ensuit une longue permission en Allemagne : La situation de la Wehrmacht dans le Grand
un vétéran des Zerstörer de la curieuse 10.(Z)/ son palmarès en est alors à 115. C’est le 25 nord s’est alors sérieusement compliquée.
JG 5 – unité sur Bf 110 de la Geschwader –, novembre qu’il renoue avec le succès, et Le temps des offensives est révolu depuis
un as crédité de 23 victoires qui entame sa de fort belle manière, puisqu’il s’adjuge un longtemps et, dans la foulée du dégagement
conversion sur Bf 109 F : le Leutnant Theodor quadruplé, deux Curtiss P-40 et deux Il-2 de Leningrad par l’Armée rouge, la Finlande
Weissenberger. Les deux hommes deviendront Chtourmovik descendus en dix minutes dans a signé une paix séparée avec Moscou le
les meilleurs amis du monde et, par un hasard le ciel de Petsamo (aujourd’hui Petchenga, en 19 septembre 1944, obligeant les Allemands
dont seul l’histoire est capable, termineront Russie). L’as badois termine l’année 1943 avec à se replier précipitamment vers la Norvège. La
leur carrière avec exactement le même total 121 victoires à son actif. dernière victoire de la JG 5 sur les Soviétiques
de victoires : 208 ! Auteur d’un triplé le 13 mars 1944, Heinrich est remportée le 29 octobre dans la région de
C’est donc en chef d’orchestre que le Leutnant Ehrler frappe un grand coup le 17 lorsqu’il Petsamo. L’ennemi est désormais la RAF qui
Ehrer commande la 6./JG 5 qui taille des abat sept avions soviétiques en trois sorties : multiplie les sorties au-dessus de la Norvège
coupes sombres dans les rangs des VVS. Le deux P-39, un Boston et quatre Yak-9 ! 131 afin d’attaquer les convois maritimes alle-
décompte des victoires du Staffelkapitän se victoires ! La récompense ne tarde pas, l’Expert mands et les grandes unités de surface de la
perd à partir du mois de septembre, mais les recevant ses galons de Major le mois suivant. Kriegsmarine qui se terrent encore dans les
archives montrent qu’il achève l’année 1942 Mais il n’en a pas encore fini et son jour de fjords.
avec 64 victoires. gloire intervient le 25 mai. Ce jour-là, il fait Parmi ces dernières, le cuirassé Tirpitz, sis-
neuf victimes (147e à 155e victoires) : P-39, tership du Bismarck et fleuron de la marine
P-40, Boston, tout y passe ! Le 1er août, le du Reich, a échappé jusqu’ici aux multiples
LE CHASSEUR Major Heinrich Ehrler est promu Kommodore tentatives de destruction (plongeurs de
DU GRAND NORD de la JG 5. Rien que ça. Il n’a pas 27 ans. combat en octobre 1942, sous-marins de

Hormis un triplé (2 LaGG-3 et 1 Hurricane) le


9 janvier 1943 au-dessus de Kandalakcha,
puis un autre Hawker descendu le 25 (69e vic-
toire), on ne sait pas grand-chose de son
début d’année jusqu’au 18 mars, jour où il
reçoit la Croix allemande en or. Le 27, dans
le ciel de Tumola, il abat en quelques minutes
cinq P-40 et P-39 soviétiques, mais est lui-
même touché, ce qu’il l’oblige à rompre le
combat et à rentrer au terrain avec quelques
blessures légères. S’ensuit une promotion au
grade d’Oberleutnant. Le 13 avril, dans la
région de Mourmachi, il s’adjuge six victoires
pour cette seule journée, en deux sorties. Six
jours plus tard, toujours dans le même sec-
teur, il réussit un triplé en quelques minutes,
envoyant deux P-39 et un P-40 au tapis. Le
29, il en signe un nouveau sur trois Airacobra :
ses 89e à 91e victoires. Il se rapproche à grands
pas de la centième !
Le 1er juin, Ehrler est élevé au grade d’Haupt-
mann et obtient le commandement du II./
JG 5. Après un quadruplé le 5 juin sur des

70
Heinrich Ehrler

Messerschmitt Bf 109 G-6/R-6


Appareil de l’Oberleutnant Heinrich Ehrler
Kapitän 6./JG 5
Petsamo, Finlande, août 1943

poche en septembre 1943, raids de Fairey Reichsmarschall Hermann Göring ait été dési- B-17, toujours du côté de Wittenberge. Enfin,
Barracuda de la Fleet Air Arm en avril et juil- reux de dénicher un coupable pour contenter le 31 mars, il prend le dessus sur un P-51
let 1944) : toutes ont échoué, le bâtiment un Großadmiral Dönitz de plus en plus dans Mustang du 361th Fighter Group.
ayant été au mieux endommagé. Le matin les petits papiers du Führer. Le 4 avril 1945, le Major Heinrich Ehrler décolle
du 12 novembre, le Bomber Command Relaxé de toutes les charges retenues contre avec le Stab/JG 7 intercepter des Forteresses
met le paquet : 32 Lancaster des No 9 et lui à la suite de cette nouvelle enquête et relâ- volantes se dirigeant vers Berlin. Il abat deux
617 Squadrons armés de bombes géantes ché au bout d’un mois de détention, le Major B-17 au-dessus de Kyritz. C’est alors que
Tallboy se dirigent vers le secteur de Tromsø, Ehrler obtient l’autorisation de reprendre le Weissenberger a la stupeur d’entre dans ses
où est ancré le Tirpitz réduit au rôle de batterie combat, mais c’est un homme brisé à jamais écouteurs : « Theo, c’est Heinrich. J’ai abattu
flottante (opération « Catechism »). La forma- qui s’apprête à reprendre les commandes d’un deux bombardiers. Je n’ai plus de munitions.
tion britannique est bien repérée par les radars chasseur. Son meilleur ami et ancien camarade Je vais percuter celui-là. Au revoir. On se
et les observateurs au sol, mais les erreurs de Theodor Weissenberger, devenu Kommodore reverra au Walhalla ». Ce faisant, l’as précipite
communication et différents rapports contra- de la JG 7, lui tend la main et le recrute dans son Me 262 sur un Viermot. Les deux appa-
dictoires retardent le départ des chasseurs de son unité équipée de jets Me 262. Affecté le reils s’écrasent en flammes à Scharlibbe, près
la JG 5 : décollant de Bardufoss et Alta, les 27 février au Stab de la Geschwader, Ehrler de Stendal, où Ehrler est enterré le 10 avril. Il
Bf 109 G et Fw 190 A du III. Gruppe arrivent ne met qu’un mois à obtenir ses premiers semble que le pilote allemand, à bout de nerf,
trop tard sur les lieux. Frappé de plein fouet succès sur chasseur à réaction : le 21 mars, meurtri par la cabale dont il a fait l’objet, se soit
par deux bombes géantes, le Tirpitz, réduit à il abat un B-17 près de Wittenberge : sa 201e suicidé au terme d’une profonde dépression.
l’état de carcasse, s’est retourné, entraînant victoire ! Le lendemain, il en envoie un autre En environ 400 missions, Heinrich Ehrler a
un millier de marin dans la mort. Les Staffeln au tapis. Le 23, c’est au tour de deux B-24 remporté 208 victoires : 199 sur le front de
menées par Ehrler et l’Oberleutnant Werner Liberator de succomber à ses rafales au-des- l’Est et 9 (dont 7 quadrimoteurs) à l’Ouest dans
Gayko, de la 9./JG 5 réussissent malgré tout sus de Chemnitz ; son premier doublé à bord le cadre de la défense du Reich. Il a obtenu 8
à rattraper les derniers Lancaster au-dessus d’un Me 262. Le 24, il descend un autre d’entre elles sur Me 262. 
de la Suède, mais ils décident finalement de
x Heinrich Ehrler devant son Messerschmitt Bf 109 F-4 de la JG 5 sur l’aérodrome de Petsamo,
les laisser filer pour éviter tout incident diplo- probablement au printemps ou à l’été 1942. Il porte le grade de Leutnant. DR
matique avec Stockholm.
Le Major Ehrler a beau décrocher sa 200e  Le cuirassé Tirpitz sous les bombes de la Fleet Air Arm. Il s’agit du raid de l’opération
victoire le 20 novembre, le Reich exige un « Tungsten » le 3 avril 1944, lorsque 42 Barracuda attaquent le bâtiment, lui causant de sérieux
dégâts mais pas irrémédiables. C’est le bombardement du 12 novembre, réussi par des Lancaster
coupable pour la destruction du Tirpitz : le avec des Tallboy, qui entraîne le renvoi d’Ehrler devant une cour martiale. Riksarkivet
Kommodore de la JG 5 et l’Hauptmann Franz
Dörr, patron du III. Gruppe, sont désignés
comme boucs émissaires. Relevés de leur com-
mandement, ils sont traduits devant une cour
martiale à Oslo début février 1945 et accusés
de la perte du cuirassé. À ce chef d’inculpation,
s’ajoute celui, pour le premier, d’abandon de
poste, Ehrler étant accusé de s’être davantage
préoccupé, ce jour-là, de sa 200e victoire plutôt
que d’assurer la protection du navire. Si Dörr
est acquitté, son supérieur est condamné à
la peine de mort. Toutefois, en raison de ses
états de service, celle-ci est commuée en trois
ans de forteresse. L’attribution des épées de
la Ritterkreuz est également annulée.
Des investigations ultérieures démontrent que
Ehrler et le III./JG 5, qui ignoraient tout de
l’emplacement du Tirpitz et n’avaient même
pas été informés de la mission de le proté-
ger, n’y étaient pour rien, la principale raison
de ce fiasco incombant au défaut de coor-
dination de la défense entre la Kriegsmarine
et la Luftwaffe. Il semble en réalité que le

71
BATAILLE

1932
1933

LES AILES
du Putumayo

LES OPÉRATIONS AÉRIENNES


DURANT LA GUERRE PÉRUANO-COLOMBIENNE DE 1932-1933
Profils couleurs : © Luca Canossa, Aérojournal 2020 Par Amaru Tincopa

Le
24 mars 1922, le traité Salomon-Lozano [1] est signé entre la Colombie et le Pérou. Il accorde à
Bogota la région depuis longtemps convoitée s’étirant entre les rivières Caquetá et Putumayo,
et lui attribue la bande de terres adjacente – connue sous le nom de « Trapèze amazone » –
qui permet à la Colombie de bénéficier d’un accès au fleuve Amazone, tout cela en échange
de la reconnaissance de la souveraineté péruvienne sur les territoires disputés au sud du Putumayo ainsi
que la cession du « Triangle de Sucumbios », une zone peu étendue mais stratégique située entre les
rivières Putumayo et San Miguel, à l’extrémité Nord-ouest de la forêt amazonienne.
Ce traité apparaît d’autant plus judicieux, aux yeux des (Junta de Gobierno) appelle à des élections anticipées
Péruviens, que ces « échanges de territoires » leur per- en 1932, élections qui sont remportées par l’Unión
[1] Du nom de ses signataires :
mettent de « bloquer » les revendications amazoniennes Alberto Salomón, ministre des Revolucionaria du colonel Sanchez Cerro. Son gou-
de l’Équateur, ce qui en fait un accord très favorable Affaires étrangères péruvien, vernement, clairement influencé par le fascisme, est
aux intérêts de Lima. Au final, la Colombie y gagne un et Fabio Lozano Torrijos, am- caractérisé par des troubles sociaux et la persécution
bassadeur colombien à Lima.
port et la liberté de navigation sur l’Amazone, alors que du Partido Comunista (parti communiste, PC) et de
le Pérou obtient une victoire stratégique dans sa quête [2] Le traité a eu les faveurs du l’Alianza Popular Revolucionaria Americana (Alliance
de délimitation de ses frontières Nord et Nord-est, et, gouvernement des États-Unis, révolutionnaire populaire américaine, APRA).
plus important encore, s’assure du soutien américain désireux d’attribuer une com- C’est alors qu’à l’aube du 1er septembre 1932, un groupe
[2] dans les négociations en cours pour le retour des pensation à la Colombie après
l’indépendance du Panama,
d’une cinquantaine d’hommes appartenant à une milice
anciens territoires péruviens de Tacna, Arica et Tarata, favorisée par les Américains. obéissant aux ordres d’une prétendue Junta Patriotica
capturés pendant la guerre avec le Chili en 1879. (coalition patriotique) s’empare des villes de Leticia et
[3] Documentos sobre la Tarapacá, situées dans le « Trapèze amazone », et
Campaña del Nor Oriente,
CEHM, Legajo No.2, p.14.
expulsent les autorités et troupes colombiennes pré-
LA « JUNTE PATRIOTIQUE » [4] Télégramme envoyé
sentes sur place. Après avoir sécurisé les deux localités,
la junte ordonne à ses membres et ses partisans à Lima
Le 22 août 1930, le président péruvien Augusto Leguía par le commandant en d’utiliser la presse pour répandre des fausses rumeurs
chef des forces combinées
est déposé par un coup d’État fomenté par le colo- à Iquitos au MMA à Lima selon lesquelles l’APRA serait derrière ce coup de force
nel Luis Miguel Sanchez Cerro. Jeté en prison, son daté du 14 décembre 1932. et aurait tenté ce pari risqué dans le but d’obtenir l’in-
image très dégradée auprès de l’opinion, Leguía devait Documentos sobre la tervention du gouvernement péruvien de son côté. Mis
devenir le seul chef de l’État péruvien à mourir en cap- campaña Perú-Colombia. devant le fait accompli, le président Sanchez Cerro, est
Legajo 2, CEHM, p.60.
tivité (il décède le 6 février 1932). La junte militaire furieux. Bien que peu enclin à présenter ses ennemis

72
ayo
Les ailes du Putum

politiques sous un jour favorable aux yeux  Intéressante photo d'un Mais l’annonce en Colombie du départ imminent d’une « expédition
de l’opinion publique, il décide tout de même Curtiss Model 37F Cyclone militaire » à destination du Putumayo, commandée par le général
Falcon colombien volant
d’appuyer l’« acte patriotique spontané » de la au-dessus de la région du
Alfredo Vasquez Cobo et ayant pour objectif de repousser les
junte et ordonne la mobilisation de l’armée le Putumayo, alors qu'il relève forces péruviennes du territoire colombien, incite l’état-major du
6 septembre 1932. du Destacamento Putumayo CAP à ordonner encore le renforcement de sa présence sur place.
Les plans de guerre dressés par l’état-major de du général Cobos. Par conséquent, tous les Vought O2U Corsair disponibles sont
Javier Franco via Santiago Rivas
l’Ejército del Perú incluent les objectifs suivants : regroupés au sein du Quinto Escuadrón de Aviación (V EA, cin-
- Objectif premier : contrôle de la rivière  Le colonel Luis Miguel
quième groupe aérien ; plus tard V Division) fort de deux Escadrilles :
Putumayo considéré comme une priorité abso- Sanchez Cerro, président les 8e et 10e, fortes de quatre appareils chacune, plus un Stearman
lue, plus important encore que celui de Leticia. du Pérou lors de la guerre C-3R rattaché à chaque escadrille comme avion de liaison. La 8e
- Objectif secondaire : conquête et prise de du Putumayo. DR escadrille est déployée dans l’est au début novembre 1932, quit-
contrôle de la rivière Caquetá en tant que fron- tant le terrain de Las Palmas pour San Ramón puis Sotziki – sur la
q Le CAP réceptionne une
tière internationale. paire d'avions de transport rive de la rivière Perené – où ses Corsair sont équipés de flotteurs.
Parallèlement, la Marina de Guerra del Perú pro- Boeing Model 40B-2 en Les appareils décollent ensuite pour Iquitos et, de là, poursuivent sur
jette de faire le blocus des ports colombiens 1930-1931. Le codé I-R-9 est Pebas, localité située sur le rivage gauche de l’Amazone à environ
de l’océan Pacifique pour perturber les routes ici vu avant le décollage sur 100 km à l’ouest de Leticia, où la canonnière BAP Portillo et deux
l'aérodrome de San Ramón
commerciales au large du pays, dans l’espoir en juillet 1932. IEHAP
patrouilleurs fluviaux modifiés en navires de soutien, le San Miguel
d’accélérer un cessez-le-feu dans des conditions et l’Estefita, attendant leur arrivée. L’unité débute ses reconnais-
favorables [3]. qq En octobre 1932, des sances diurnes au-dessus du Río Javari et de l’Amazone, mais
Pendant ce temps, à Bogota, la mobilisation représentants de l'Aviación aussi au-dessus de l’embouchure du Putumayo et de l’Amazone
péruvienne a provoqué une réaction véhémente Militar colombienne et de la brésilien, à la recherche de la flotte fluviale colombienne. Pendant
Curtiss Wright Corporation
de l’administration du président Enrique Olaya signent un contrat pour l'achat
ce temps, à Las Palmas, les quatre Vought de la 10e Escadrille sont
Herrera, laquelle attendait plutôt une résolu- de 26 chasseurs biplans en cours de maintenance, attendant la livraison de leurs flotteurs
tion pacifique de l’incident. Par conséquent, Curtiss Model 35A Hawk II. et de pièces de rechange. Début décembre, la 8e Escadrille attend
ayant pris acte de l’attitude hostile du Pérou, L'un d'eux est photographié toujours que ses stocks d’essence et de munitions atteignent des
en vol aux États-Unis
le président colombien rappelle les réservistes niveaux lui permettant d’assurer la continuité des opérations, ce
peu avant sa livraison.
et – à la grande surprise de Lima – contracte Coll. Richard Dann qui n’est le cas que dix jours plus tard [4].
immédiatement d’importants crédits à l’inter-
national pour passer les commandes d’armes
nécessaires à une expédition militaire devant
permettre de chasser les envahisseurs du ter-
ritoire national.

LES OPÉRATIONS
Le Cuerpo de Aviación del Perú (CAP) effectue
ses premières missions de reconnaissance et
de liaison au-dessus de la zone d’opérations
en utilisant les quelques avions civils de la
Linea Aérea de la Montaña. Le 12 octobre,
celle-ci est renforcée par l’arrivée d’un Boeing
model 40B-2, un Fairchild FC-2W, un Bellanca
CH-200, ainsi qu’une paire de Douglas DT-2B.

73
La première perte matérielle de la campagne intervient le
Rio
28 décembre, lorsque le commandant Montoya décolle Puerto Leguizamo Ap
de Puerto Arturo à bord d’un Keystone I-R-1 pour Itaya, ap
Güepi Rio Yari or
Puerto Colombia is
mais l’appareil capote à l’atterrissage, heureusement Soplin Vargas COLOMBIE
sans conséquence pour le pilote. Le 8 janvier 1933 est Puerto Espinoza
Rio Rio
marqué par l’arrivée dans le port de Callao du cargo CPV Angusilla Pu Ca
Ri
Ucayali, de la Peruvian Steamship Co., qui transporte six Pantoja tu o qu
m C et
an ah á
Douglas O-38P achetés au mois d’octobre précédent. Le Florida ye La Chorrera ui
na
23 janvier, le CAP endure ses premières pertes humaines ri
lorsque le lieutenant Humberto Torres est tué et son El Encanto

Ri
o
Santa Mercedes

Cu
mitrailleur hospitalisé après que leur Stearman C-3R, codé Santa Maria Puerto Africa Puerto Alfonso

ra
4-E-1, se soit écrasé au décollage à Ancon suite à une Puerto Limón

ra
Marandúa

y
défaillance moteur. Barranquilla
Teniente

Rio
Quelques jours plus tard, le 27 janvier, trios caisses San Antonio Berggerie Remanso

Na
contenant des Curtiss model 35A Hawk II achetés en del Estrecho Yaguas
s

po
octobre 1932 arrivent sur la base aérienne de Las Palmas, Rio Yagua Tarapacá
aux abords de Lima, où ils sont assemblés et testés. PEROU Francisco Orellana
Le 5 février, trois des nouveaux Douglas s’envolent d’An-
con et suivent l’itinéraire Bayovar – Santa Maria de Nieva. IQUITOS Rio Puerto Nariflo

ón
Am
L’avion de tête est équipé d’une radio, ce qui permet une az


on
Caballococha LETICIA

ar
meilleure coordination entre les appareils et les postes as

M
émetteurs-récepteurs terrestres tout le long du trajet. Tabatinga

Rio
La section demeure à Santa Maria jusqu’au 9 février,
quand survient l’ordre de gagner Iquitos. Toutefois, lors
du décollage, le Douglas codé 1/2-VG-6 percute un rondin
caché sous la surface de l’eau et « fait la culbute », ses
occupants s’en tirant sans casse. Les deux avions res-
tants effectuent le trajet sans incident et parviennent à
Iquitos quelques heures plus tard. La série noire ne s’arrête
pas là, puisque le CAP endure une nouvelle perte deux
jours après, quand le Corsair immatriculé 2-E-3 s’écrase
au décollage à Pebas. Le pilote, le capitaine Valderrama,
s’en sort avec de simples bleus…
Le 11 février, les Vought Corsair immatriculés 5-E-6
et 2-E-4, pilotés respectivement par le commandant
Montoya et le sous-lieutenant Gal’Lino, décollent de
leur hydrobase sur l’estuaire de la rivière Yacu pour une
reconnaissance dans le secteur de Tarapacá. Un fois sur
zone, les pilotes repèrent la flotte fluviale colombienne [5]
mouillée dans les eaux brésiliennes du Putumayo, près
de la ville d’Ipiranga. Après quelques cercles au-dessus
des navires, les Corsair rentrent à leur base. Informé de p Le sous-lieutenant Francisco Secada Vigneta pose devant son Vought Corsair codé
la découverte de cette cible fort alléchante, l’état-major 5-E-6 juste avant de quitter Las Palmas pour la zone d'opérations. Notez les inhabituelles
du V EA ordonne un raid contre l’escadre colombienne bandes d'identification nationales péruviennes peintes sur la dérive. IEHAP
le lendemain. Ainsi, un peu après midi le 12 février, une
q Le Vought O2U-1E immatriculé 2-E-4 vu durant sa « greffe » de flotteurs à Sotziki, fin novembre
formation de la 8e Escadrille composée des Vought Corsair 1932. En fait, ces bandes rouges et blanches peintes sur la dérive à la place de la reproduction du
codés 2-E-4, 5-E-2, 5-E-6 et 5-E-7, chacun armé de huit drapeau péruvien sont dues à une erreur des ouvriers de l'usine Chance-Vought avant la livraison !
bombes de 15 kg, décolle en vue d’attaquer la flotte enne-
mie. Arrivant au-dessus de l’objectif soleil dans le dos, les
pilotes péruviens surprennent la couverture aérienne des
Colombiens (commandée par le colonel Herbert Boy) [6] qui
n’est pas en mesure d’empêcher le raid ni d’intercepter
les Corsair lors de leur repli. Malheureusement pour les
assaillants, bien qu’ayant bénéficié de l’effet de surprise,
leur attaque est un échec : leurs bombes ne détonnent
pas à l’impact alors que des coups directs ou très proches
sont rapportés sur les navires colombiens !
Le CAP reprend les opérations dès le matin du 13 février
en envoyant un Stearman C-3R (immatriculation 4-E-3)
d’Itaya ravitailler la garnison péruvienne de Güepi, sur
la rive du Putumayo, à l’ouest de la forêt amazonienne,
l’avion transportant une radio et du matériel médical.
Le Vought Corsair codé 5-E-8, avec le sous-lieutenant
Humberto Gal’Lino aux commandes, escorte le Stearman.
Après avoir livré la précieuse cargaison, les deux pilotes
décollent pour Itaya. Leurs avions sont lancés à pleine
course sur l’eau lorsqu’une grêle de balles tirées par [5] Composée de cinq navires : les Mosquera, Cordova, Bocaya, Pichincha et Barranquilla.
des armes légères s’abat sur eux ! Les troupes colom-
biennes postées sur la rive opposée ne les loupent pas : [6] Vétéran allemand de la Grande Guerre, Boy a été le directeur de la SCADTA (Sociedad
alors que le lieutenant Moreno est en mesure d’arracher Colombo-Alemana de Transportes Aéreos) puis s’est tourné vers le mercenariat en se
mettant au service de l’armée de l’air colombienne qui lui a attribué le grade de Major.
son Stearman, le Corsair de Gal’Lino est truffé de plomb,

74
ayo
Les ailes du Putum

son réservoir prend feu, l’obligeant lui et son mitrail-


leur à précipitamment s’extraire du biplan.

OFFENSIVE AÉRIENNE
SUR TARAPACÁ
Le 14 février 1933, le Pérou et la Colombie rompent
leurs relations diplomatiques. Le même jour, à
08h00, une section de quatre Vought Corsair
s’envole du Río Napo et se dirige sur Tarapacá
dans le but de réitérer l’attaque surprise ayant
échoué l’avant-veille. La chance n’est pas du
côté des Péruviens, puisqu’un Corsair est forcé,
peu après le décollage, de rebrousser chemin sur
ennui moteur. Les trois autres poursuivent leur
route vers leur objectif et, une fois au-dessus de
Tarapacá, découvrent que la flotte fluviale colom-
bienne est protégée par une formation de Curtiss
Hawk II qui donnent immédiatement la chasse
aux intrus. L’affaire est mal embarquée pour les
assaillants dépourvus de la moindre escorte et les
chances de succès sont infimes, ce qui incite le
chef de section péruvien à ordonner à ses hommes
de larguer leurs bombes et de rentrer à la base.
Mais il est déjà trop tard car les biplans colombiens
sont déjà au contact et prennent en chasse les
Péruviens. Selon les témoignages de ces der-
niers, le sous-lieutenant Francisco Secada, aux
commandes du Corsair 5-E-6, rompt la formation
et effectue une volte-face pour aborder de face
les Hawk : il se rue sur la formation ennemie
toutes mitrailleuses crachant et parvient à la dislo-
quer, attirant sur lui les pilotes colombiens, ce
qui permet à ses camarades de s’échapper sans
avoir subi la moindre casse. Au cours du combat
inégal qui s’ensuit, long de plus de 10 minutes,
Secada manœuvre son Corsair jusqu’aux limites
de ses possibilités et parvient à échapper aux
rafales colombiennes, tandis que son mitrail-
leur, le sergent Mario Dolci, fait bon usage de sa
Browning en poste arrière. Incapables de suivre
le virevoltant Corsair, les pilotes colombiens sont
contraints d’abandonner la partie et de rentrer à
Tarapacá en laisser filer leur proie.
Bien que l’ennemi ait été incapable de lui infliger le
moindre dégât, la seule présence dans le secteur
de l’aviation péruvienne est suffisante au géné-
ral Vasquez Cobos pour qu’il ordonne à la flotte
fluviale de se retirer en aval dans la sécurité des
eaux brésiliennes. Côté péruvien, le combat entre
Secada et les Hawk II colombiens permet au CAP
de confirmer les résultats des tests effectués à
Ancon après la réception de ses propres biplans
Curtiss et qui ont démontré sans surprise que les
performances du Hawk II chutent radicalement
lorsque les flotteurs sont installés, le rendant peu
manœuvrant face à des adversaires plus agiles.
Peu après l’attaque péruvienne, un Junkers F 13
des forces aériennes colombiennes exécute un
raid sur les positions péruviennes à Tarapacá, le
colonel Acevedo larguant à la main des bombes
depuis la trappe du plancher et « strafant » les
troupes adverses avec la mitrailleuse installée à p Ci-dessus : Le sous-lieutenant Secada est prêt à décoller de l'hydrobase avancée de Cabo
travers un hublot. Pantoja, sur le Río Napo, à bord de son Hawk II codé 1/1-VF-1, pour une mission d'escorte.
Au même moment, les canonnières colombiennes p En haut : El Segundo, Californie, 26 novembre 1932. Un Douglas O-38P flambant neuf sur le tarmac de l'usine
repassent dans les eaux nationales en prévision d’un Douglas aux États-Unis. Six de ces machines ont été achetées par le gouvernement péruvien. Son fuselage est peint
assaut sur la ville prévu pour le lendemain. Le 15, en bleu clair, tandis que les surfaces de la voilure et de la dérive sont en « orange international ». Coll. Richard Dann
confrontée à un ennemi supérieur en nombre, l’ar-
p Au milieu : Las Palmas, février 1932. Des officiers du CAP posent devant l'un des
mée péruvienne évacue ses positions défensives de trois Curtiss Model 35A Hawk II achetés par le Pérou fin 1932. Remarquez les pneus
Tarapacá dès les premières lueurs du jour suivant. basse pression et les pipes d'échappement propres à cette version.

75
Vought O2U-1E Corsair
10e Escadrille
Quinto Escuadrón de Aviación
Cuerpo de Aviación del Perú
Las Palmas, Pérou, novembre 1932

Le 17 février, des vols de reconnaissance ayant


signalé l’apparent abandon de la localité par
l’ennemi, plusieurs centaines de soldats colom-
biens en profitent pour débarquer à Tarapacá,
ne trouvant sur place que des munitions et
une vieille pièce d’artillerie laissées derrières
elles par les troupes péruviennes en retraite.
Celles-ci se retirent en longeant la rive Est du
Río Cotuhé, puis poursuivent à travers la jungle
vers le fleuve Amazone [7].
De son côté, le CAP reprend ses sorties le
16 février. La 8e Escadrille toute entière part
frapper les positions colombiennes ainsi que
la flotte mouillée devant Tarapacá. Une fois
encore, les chasseurs colombiens sont en
alerte et décollent pour intercepter les assail-
lants, mais ces derniers exécutent tout de
même leur attaque, les mitrailleurs des Corsair
délivrant un feu défensif nourri afin de main-
tenir les Hawk II à distance. À leur retour à la
base, les équipages péruviens se plaignent de
la piètre efficacité de leurs bombes de 15 et
25 kg qui, toute comme lors du raid précédent,
n’ont pas explosé à l’impact.
Le 22 février, les trois Douglas O-38P restants
décollent à leur tour pour le front. La formation
longe la côte vers le nord jusqu’à Bayovar, puis
vole plein est en direction de la rivière Santa
Maria de Nieva, où les avions atterrissent pour
refaire les pleins. C’est durant le redécollage
que le 1/2-VG-5, aux mains du sous-lieute-
nant Alfredo Rodriguez Ballón, s’écrase à cause
d’une soudaine perte de puissance, tuant son
pilote et blessant gravement son mitrailleur, le
sergent Oscar Espejo.

COMBATS POUR GÜEPPI


Après la chute de Tarapacá, le V EA réoriente vers le Putumayo à la recherche du transport p Ci-dessus : Les Vought O2U-1E péruviens codés
quelque peu son dispositif à l’ouest en vue de la de troupes colombien Pichincha, qui a été 2-E-4 et 5-E-2 photographiés entre deux sorties à
défense de la garnison de Güeppi, à la jonction observé non loin du Río Cotuhé, à 10 km au l'hydrobase avancée de Puca-Barranca en mars 1933.
des frontières colombo-péruano-équatoriennes, nord-est de Tarapacá. Arrivée au-dessus de
p En haut : Terrain d'Itaya, 2 décembre 1932. Le
garnison qui est sous la menace directe des la localité, elle repère plusieurs navires enne- 5-E-6 est sorti d'un hangar vers la rivière Itaya avant
Colombiens avançant en amont du Putumayo. mis et amorce son attaque. Les Péruviens son départ pour une hydrobase avancée. Secada vole
Le 22 février 1933, une formation péruvienne sont accueillis par d’intenses tirs de DCA. Un sur ce Corsair lors du raid du 14 février contre la flotte
fluviale colombienne à Tarapacá. Coll. Amaru Tincopa
mêlant Vought Corsair (les 5-E-5, 5-E-4 et des avions péruviens parvient malgré tout à
5-E-6) et Douglas O-38P (les 1/2-VG-2 et placer un coup au but sur le Pichincha, mais { Alignement d'avions de transport du CAP sur
1/2-VG-4) décolle tout de même des ter- sans lui causer trop de dégâts. En revanche, l'aérodrome de San Ramón, utilisé pour les liaisons
rains de Santa Isabel et Callaru. Elle se dirige quatre des assaillants encaissent des impacts avec le front durant la guerre avec la Colombie. IEHAP

76
ayo
Les ailes du Putum

à la fois des pièces antiaériennes et des Curtiss


Hawk de couverture, le lieutenant Ismael Merino
et le sergent Mario Dolci, respectivement pilote du
Douglas 1/2-VG-2 et mitrailleur du Vought 5-E-6,
étant légèrement blessés. Compte tenu des maigres
résultats – c’est un euphémisme ! – obtenus avec
les bombes de production nationale employées
par le CAP, le Ministerio de Guerra commande
700 bombes d’aviation à la France fin février,
avec une livraison attendue un mois plus tard.
Le rythme des opérations aériennes s’accentuant,
les pertes du CAP commencent également à croître.
À Ancón, le 8 mars, le cadet Bolaños s’écrase en
mer alors qu’il décolle à bord d’un Boeing model
40B-2. Heureusement, le pilote parvient à s’extraire
de l’épave avec de légères blessures seulement. Le
16 mars, l’aviation péruvienne procède au transfert
vers le front des trois chasseurs Curtiss Hawk II –
codés 1/2-VF-1 à 1/2-VF-3 – récemment pris en
compte par Lima. Une fois à Sotziki, les mécanos
du CAP les équipent de flotteurs. Cela fait, les
AVIATION COLOMBIENNE EN SEPTEMBRE 1933
appareils sont mis à l’eau sur le Río Perené d’où Modèle Nb Informations
ils s’apprêtent à redécoller pour le Putumayo. Mais Curtiss D-12 Falcon 1 Baptisé «Ricaurte»
une fois encore, le manque d’expérience sur ce
type d’aéronef entraîne un accident : le capitaine Wild WT34D 4 Avions d’entraînement
César Alvarez Guerra s’écrase au décollage avec Wild-COMTE X 8 Observation/Bombardement léger
le 1/2-V-F-3, endommageant un flotteur et l’hélice. Curtiss J-2 Fledgling 3 Avions d’entraînement
Avec un avion en moins, la formation poursuit sa Aviation colombienne en mai 1933
route vers le nord et atteint quelques heures plus Curtiss Model 35A Hawk II 29 Chasseurs
tard l’hydrobase avancée du CAP sur le Río Napo.
Consolidated P2Y-1C 1 Hydravion de patrouille maritime et de bombardement léger
Le lendemain, les chasseurs tout juste arrivés
prennent part à leur première mission de combat, en Curtiss CW-14 Osprey 3 Avions d’entraînement de base
escortant trois Vought et trois Douglas qui partent Junkers K.43do 3 Achetés via la SCADTA
bombarder les troupes colombiennes harcelant les Dornier Do J IId Wal 2 Achetés via la SCADTA
unités péruviennes retranchées à Tambo de Hilario, Curtiss Model 37F Cyclone Falcon 23 9 livrés en mai 1933
sur la rive du Río Cotuhé. Comme ce raid d’appui
Junkers Ju.52 3/m 3 Propulsés par des moteurs Pratt & Whitney T1D1 Hornet
répond à une urgence, la formation décolle à 17h00
et arrive au-dessus de l’objectif au bout d’une heure Cuerpo de Aviación del Perú en septembre 1933
de vol, quasiment au crépuscule. Une fois dans le Keystone K-55 7 biplans de transport et liaison
ciel de Tambo de Hilario, les avions larguent un Boeing Model 40 2 biplans de transport et liaison
total de 540 kg de bombes sur un navire et les Hamilton H-45 1 monoplan de transport et liaison
positions colombiennes des alentours, ce qui oblige Chance-Vought UO-1A 2 Observation/Coopération navale
le bateau à se retirer en aval.
À 05h00 le 20 mars, les canonnières colombiennes
Boeing Model 21 2 Avions d’entraînement
faisant le blocus de Güeppi sont attaquées par trois Curtiss HS-2L 1 Observation et bombardement léger
Corsair et quatre O-38P des 8e et 10e Escadrilles.
Douglas DT-2B 4 Observation et bombardement léger, 2 convertis en avions de
Ces six appareils sont escortés par deux Hawk II transport
de la 3e Escadrille. Selon les archives péruviennes, Vought O2U-1E 8 Observation et bombardement léger, seulement 2 équipés de flotteurs
les chasseurs colombiens refusent le combat aérien Stearman C-3R 10 Transport et liaison
au cours de cet engagement et se replient vers
leurs propres lignes.
Consolidated PT-3 1 Avion d’entraînement de base
Le 22 mars, une section péruvienne composée du Travelair E-4000 1 Avion d’entraînement avancé
Corsair 2-E-1 du lieutenant Alvariño Herr accom- Udet U-12b 1 Avion d’entraînement de base
pagné du sergent Hector Rubio Cavassa, d’un Klemn Kl-25L 1 Avion d’entraînement avancé
Stinson SM-1 piloté par un civil, Dan E. Tobin, Cuerpo de Aviación del Perú en mai 1933
et d’un Keystone K-55 aux mains du lieutenant
Douglas O-38P 4 6 achetés en novembre 1932, 2 perdus en opérations en Amazonie
Chirinos, s’envolent de San Ramón en direction
de Masisea. Ils transportent du ravitaillement Curtiss Model 35A 2 3 achetés en novembre 1932, 1 perdu en opérations en Amazonie
pour le front. Or, la formation est confrontée sur Vought O2U-1E 4
le trajet au mauvais temps, ce qui pousse le leader, Stearman C-3R 6
Alvariño, à ordonner à ses pilotes de rentrer à San Chance-Vought UO-1A 2
Ramón tandis que lui-même, confiant quant à ses
Keystone K-55 5
propres capacités de vol et conscient de l’impor-
tance de sa cargaison [8], poursuit vers Masisea. Stinson SM-1 1 Transport
Fairchild FW-2C 1 Transport
Travelair B-6000 1 Transport
[7] PRADA, La Aviación en el Perú, 1983, p.373.
Travelair E-4000 1
[8] À bord de son Corsair se trouvaient de l’or et de Udet U-12b 1
l’argent envoys de la capital et requis pour l’effort de
guerre sur place. L’avion et les restes de son équipage Klemn Kl-25L 1
ne seront retrouvés que onze ans plus tard en 1944. Vought V-80P 3 Chasseurs

77
t Un Curtiss Model 37F
Cyclone Falcon colombien
immortalisé alors qu'il
mouille sur la rive d'un
cours d'eau d'Amazonie.
Coll. Amaru Tincopa

x Un Junkers W 34 version


hydravion de la force
aérienne colombienne
vu à Palanquero début
janvier 1933.
Coll. Amaru Tincopa

Personne ne le reverra jamais : le Corsair 2-E-1 Par conséquent, la 10e Escadrille gagne l’hy- Le lendemain, conformément aux ordres de
n’atteindra jamais sa destination et l’équipage drobase avancée de Puca-Barranca, un village la V Division, l’unité effectue des missions
sera porté disparu. situé sur la rive Sud du Río Napo, géogra- de reconnaissance sur les rivières Algodón,
Le 26 mars, la garnison de Güeppi subit les phiquement au centre du front, depuis lequel Putumayo, Igaraparana, Ere, Yubinete,
assauts répétés de centaines de soldats du les appareils péruviens seront en mesure de Campuya et Sabaloyacu à la recherche du
Destacamento Putumayo appuyés par six couvrir la totalité du cours du Putumayo. moindre navire colombien.
Hawk II et six Curtiss Cyclone Falcon de Les opérations reprennent le 28 mars, lorsque, À ce stade du conflit frontalier, le CAP com-
l’Aviación Militar qui matraquent de concert comme prévu, quatre Vought décollent vers mence à accuser le coup. La perte de deux
l’ennemi, avant de se relayer sans interrup- le nord-ouest pour bombarder les convois flu- Vought Corsair ces derniers jours, ainsi que la
tion au-dessus des défenses péruviennes. viaux colombiens voguant du côté de Güeppi. disparition d’un pilote aussi expérimenté qu’Al-
Solidement accrochées à leurs positions pré- Lors du décollage, le Corsair immatriculé variño, affaiblissent gravement le potentiel de
parées, les troupes assiégées résistent huit 5-E-4 et piloté par le sous-lieutenant Morante l’aviation péruvienne dans la zone d’opérations.
heures aux Colombiens, mais le moral en s’écrase après avoir heurté un tronc d’arbre Aussi, afin de permettre au CAP de s’acquitter
berne et la supériorité numérique ennemie les caché sous la surface de l’eau. Par chance pour de ses missions sur le Putumayo décision est-
forcent à abandonner la place, en laissant der- l’équipage, la charge de bombes n’explose elle prise de maintenir le taux de disponibilité de
rière elles la plupart de l’équipement n’ayant pas durant l’accident et ses deux membres son parc en renforçant la 10e Escadrille avec les
pu être évacué à temps (dont la carcasse du parviennent à s’extirper de l’épave avec de appareils de la 8e Escadrille. Jusqu’au 12 avril,
Corsair 5-E-8). simples contusions. Pendant ce temps, les l’essentiel des sorties péruviennes consiste en
Après la chute de Güeppi, la V Division planifie trois autres Corsair se dirigent vers l’objectif. de simples vols d’observation.
une contre-attaque et ordonne aux escadrilles Une fois au-dessus de Güeppi, ils aperçoivent Le 20 avril, la 2e section de reconnaissance
du CAP de s’en prendre au trafic fluvial colom- les transports fluviaux Emmita et Sinchi Roca basée à Puca-Barranca envoie ses Douglas
bien aux abords de la localité, dans le but de [9] qu’ils attaquent aussitôt à la bombe et à la O-38P effectuer une reconnaissance armée
couper la voie d’approvisionnement des unités mitrailleuse. Les trois Vought rentrent à Puca- sur l’embouchure du Yubinete (un affluent du
terrestres ennemies et ainsi de les affaiblir. Barranca en faisant état de bons résultats. Putumayo), où les biplans péruviens repèrent
et attaquent le transport Emmita. Une sortie
similaire est faite deux jours plus tard, mais
c’est cette fois le Sinchi Roca qui est la cible
des Péruviens. Pendant ce temps, à Lima, un
contrat est signé entre le gouvernement et la
Compañia de Aviación Faucett pour la loca-
tion durant 24 jours de cinq avions (et leurs
équipages) chargés de transporter du fret entre
San Ramon et Masisea.
Le renforcement nécessaire des escadrilles
envoyées sur le théâtre d’opérations oblige
l’état-major de la V Division à réorgani-
ser ses unités sur place. Fin avril, tous les
Vought O2U-1E Corsair, Douglas O-38P et
Curtiss Hawk II survivants sont regroupés
dans une seule entité, l’Escuadrón Mixto de
Aviación (EMA, groupe aérien mixte). Mais la

[9] Il s’agit d’anciens navires fluviaux péru-


viens saisis par les autorités colombiennes
après l’incident de Leticia et remis en servi-
ce en tant que transports de troupes.

78
ayo
Les ailes du Putum

Curtiss Model 37F Cyclone Falcon


Destacamento Putumayo
Aviación Militar de Colombia
Secteur du Putumayo, Colombie, mars 1933

série noire continue. En effet, le 24 avril, le parc du CAP


se réduit davantage quand le Fairchild FC-2W piloté par le
lieutenant Lapeyre, l’un des avions loués pour les liaisons
entre San Ramon et Masisea, fait une sortie de piste et
entre en collision avec un autre appareil parqué sur le
tarmac. Si le pilote s’en sort miraculeusement indemne,
les deux appareils sont gravement endommagés.
Quelques jours plus tard, survient à Lima un événement
inattendu. Au cours de l’après-midi du 30 avril, dans
l’hippodrome Santa Beatriz, alors que le président Miguel
Sanchez Cerro passe en revue, à bord de sa limousine
Hispano-Suiza décapotable, des troupes péruviennes
ayant combattu sur le Putumayo, un jeune militant
de l’APRA, déguisé en vendeur de glaces, parvient
à se frayer un chemin jusqu’à la voiture et tire sur Sanchez
Cerro, atteint en pleine poitrine, avant d’être à son tour
abattu par la garde présidentielle. La mort du président
péruvien s’ajoute aux innombrables crises traversées
jusqu’ici par son régime. Craignant que le vide laissé par
l’assassinat de Sanchez Cerro n’encourage ses ennemis
– l’APRA et le parti communiste – à provoquer un soulè-
vement populaire, le Congrès, soutenu par les militaires,
s’efforce de maintenir l’ordre et de préserver le gouver-
nement en place : il viole ouvertement la Constitution
péruvienne en décidant, l’après-midi même du meurtre
du président, de désigner le général Oscar Raimundo
Benavides président par intérim jusqu’à la fin du mandat
qu’aurait en théorie dû accomplir son prédécesseur.
Sur le front du Putumayo, les combats aériens
se poursuivent. Le 4 mai, un autre navire colombien
est attaqué par l’aviation péruvienne : il s’agit du trans-
port de troupes Magdalena, mitraillé par trois Vought
Corsair de l’EMA dont les rafales tuent de nombreux
soldats colombiens.

LE COMBAT
DE LA RIVIÈRE ALGODON
Lorsque l’opinion publique colombienne apprend les
attaques de l’aviation péruvienne contre l’Emmita et le
Sinchi Roca, ainsi que tous les autres raids opérés en
toute impunité par le CAP sur un territoire supposément
p Ci-dessus : Un Curtiss Model 37F Cyclone Falcon en patrouille dans la région du Putumayo. La jungle
sous le contrôle de Bogota, une pluie de critiques s’abat amazonienne à perte de vue : on comprend mieux les couleurs chatoyantes de certains avions de combat
sur le colonel Boys, dont les capacités en tant que com- afin de pouvoir repérer leurs épaves du ciel dans cette immensité verte. Coll. Javier Franco via Santiago Rivas
mandant de la force aérienne sont remises en cause, tout
comme sur le général Vasquez Cobos, chef de l’expédition p En haut : L'épave du Vought Corsair du sous-lieutenant Morante, avion codé 5-E-
4, après son crash au décollage de Pantoja, sur le Río Napo. Heureusement pour le
militaire, dont l’aptitude à mener à bien cette campagne pilote et le mitrailleur, les bombes en place sous les ailes n'ont pas explosé malgré
est aussi mise en doute. le choc et l'équipage s'en est tiré avec de simples égratignures. IEHAP

79
Toutefois, il importe de souligner, pour comprendre machines et leurs propres capacités, les équipages
l’inaction apparente de l’Aviación Militar, que celle-ci [10] Les Curtiss Hawk II péruviens atteignent Puca-Urco après presque une
colombiens, comme leurs
n’a que très rarement appliqué les recommandations de homologues péruviens,
demi-heure de vol. Alors que les Douglas approchent
Vasquez Cobos – désireux de l’utiliser uniquement pour n’ont pas de démarreur de l’objectif, leurs pilotes aperçoivent, à leur grande
des raids sur des cibles importantes comme Puerto Arturo, électrique et doivent surprise, une section de trois chasseurs colombiens
Güeppi, Iquitos ou Leticia –, mais aussi que d’autres aléas donc être démarrés à la Hawk II se portant à leur rencontre. Compte tenu de
manivelle par les méca-
de nature technique et opérationnelle, particulièrement niciens, ce qui génère leur faible chance de s’en tirer en cas d’interception, le
ceux découlant de l’emploi des chasseurs Hawk II [10] une importante perte de leader péruvien prend la seule décision qui s’impose : il
(les même aléas ayant frappé les Péruviens), n’ont pas temps en cas d’alerte. ordonne à ses pilotes de larguer leurs bombes et de faire
épargné l’Aviación Militar colombienne. demi-tour. Son regard obstinément fixé vers le territoire
[11] Le Hawk codé 1/1-
Blessé dans son orgueil et résolu à mettre un terme à VF-1 est le seul chasseur péruvien, frappant nerveusement du plat de la main
la présence du CAP dans le ciel, le colonel Boy ordonne du CAP à rester au front sur le capot de son avion comme pour le faire avancer
le 9 mai 1933 à toutes ses unités stationnées de l’autre avec le 1/1-VF-2 endom- plus vite, il comprend vite qu’il n’échappera pas à ses
magé dans un accident
côté de la rivière de demeurer en alerte en permanence, en avril, car il est en
poursuivants. Les chasseurs colombiens ont l’avantage
de façon à être en mesure de décoller dès l’apparition réparation. Le 10 mai, cet de l’altitude et arrivent bientôt à portée de tir. Soudain,
des avions ennemis. Tout est dès lors en place pour avion décolle pour une le lieutenant Americo Vargas, pilote du Douglas codé
le combat aérien le plus important du conflit… mission de recherche de 1/2-VG-4, rompt la formation, fait volte-face et attire
l'Hamilton 1-R-10.
Le 10 mai à 9h00, l’EMA fait en effet décoller trois héroïquement les biplans ennemis loin de ses cama-
Douglas O-38P de Puca-Barranca pour une patrouille et rades, qui ne demandent pas leur reste. Dans le combat
l’attaque des embarcations colombiennes éventuelle- tournoyant à trois contre un qui s’ensuit, le Péruvien
ment observées du côté de Puca-Urco, sur le Putumayo. engage une série de manœuvres évasives pour échap-
Comme chaque fois, le CAP compte sur l’effet de sur- per aux rafales colombiennes. Tandis que Vargas fait
prise, dans la mesure où il n’a pas assez de chasseurs pour affecter virevolter le gros biplan autant qu’il le peut, son mitrailleur, le sergent
une escorte à chaque mission [11]. Néanmoins, confiants dans leurs Octavio Mendez, use de sa Browning de 7,65 mm avec tout autant
de maestria, l’un et l’autre parvenant, chacun à leur
façon, à maintenir à distance les Hawk peu maniables.
Au bout de quelques minutes, le sort commence tou-
tefois à sourire aux poursuivants, puisque le Douglas
encaisse plusieurs impacts dont certains blessent ses
deux occupants. Conscient qu’il n’a plus la moindre
chance de s’en sortir, Vargas décide de se poser à
la surface de la rivière Algodón, les deux Péruviens
abandonnant leur appareil pour disparaître dans l’épaisse
jungle environnante. Depuis leur cachette, ils voient
le gros Douglas, ses flotteurs troués par les balles,
s’enfoncer lentement dans l’eau. Après avoir échappé
à la capture des troupes colombiennes envoyées dans le
secteur pour récupérer l’épave et rechercher l’équipage
survivant, les deux courageux aviateurs sont recueillis
le lendemain par leurs camarades arrivés sur les lieux
à bord d’un canot à moteur.
Après cet accrochage, l’état-major de la V Division inter-
dit toute mission offensive au-dessus du Putumayo,
de façon à éviter de nouvelles pertes inutiles face
à des forces colombiennes visiblement supérieures
en nombre.

CESSEZ-LE-FEU
Durant une session extraordinaire à l’assemblée de
la Société des Nations à Genève, le mercredi 24 mai
1933, les Colombiens et les Péruviens parviennent à
un accord de cessez-le-feu dans la région du Putumayo.
La SDN ordonne alors la nomination immédiate d’une
commission spéciale chargée d’étudier les détails juri-
diques du différend territorial entre les deux pays, une
résolution finale sur le conflit devant être adoptée d’ici
un an.
Selon les termes du cessez-le-feu, le gouvernement péru-
vien accepte de remettre la ville de Leticia à la SDN, tandis
que le gouvernement colombien s’engage à attendre et
accepter le verdict final de la commission. Bogota accepte
également de restituer au Pérou tous les territoires conquis
durant le conflit, ainsi que de remettre les prisonniers et le
matériel militaire capturés durant la campagne. Le cessez-
le-feu met un terme à quatre mois de combats frontaliers
p Ci-dessus : Deux sous-officiers du CAP posent sur un flotteur du Douglas 1/2-VG-2 et ouvre la voie à une résolution diplomatique des hosti-
stationné sur l'hydrobase avancée péruvienne de Puca-Barranca en février 1933. lités. La paix entre les deux pays est finalement conclue
p En haut : Armé de quatre bombes de 25 livres sous les ailes, le Douglas 1/2-VG-3 le 19 juin 1934, à la faveur de la signature de l’accord
décolle de l'une des hydrobases amazoniennes du CAP pour une mission de guerre. de Rio de Janeiro. 

80
ayo
Les ailes du Putum

Curtiss Hawk II
Destacamento Putumayo
Aviación Militar de Colombia
Secteur du Putumayo, Colombie, février 1933

Curtiss Hawk II
Escuadrón Mixto de Aviación
Cuerpo de Aviación del Perú
Puca-Barranca, Pérou, avril 1933

Curtiss Hawk II
Destacamento Putumayo
Aviación Militar de Colombia
Secteur du Putumayo, Colombie, mars 1933

Douglas O-38P
Escuadrón Mixto de Aviación
Cuerpo de Aviación del Perú
Puca-Barranca, Pérou, mai 1933

81
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 n°23 : Le bombardier en piqué (Réf. 523)  n°47 : Les Stukas de Rommel (Réf. 547) Ville : ...............................................
 n°25 : Le Menschel RS 123 en opérations (Réf. 525)  n°52 : 49th Fighter Group au combat (Réf. 552) Pays : ..............................................
 n°26 : Jagdgeschwader, les escadres de chasse (Réf. 526)  n°53 : La menace fantôme, V1 contre RAF (Réf. 553) E-mail : ............................................
 n°27 : Stafers and big guns (Réf. 527)  n°54 : 8 MAI 1945 (Réf. 554) Tél. : ................................................
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 n°38 : Jagdgeschwader, les escadres de formation (Réf. 538)  n°68 : « Tueurs de chars » (Réf. 11068) Signature :
 n°40 : Insurrection en Irak (Réf. 540)  n°69 : Les P-47 du 353rd Fighter Group (Réf. 11069)
 n°41 : Kampfgeschwader KG 200 (Réf. 541)  n°70 : Dans l'ombre de Marseille (Réf. 11070)
 n°42 : KG 200 « Beethoven » (Réf. 542)  n°71 : Mission 84 - Le 1 raid sur Schweinfurt (Réf. 11071)
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 n°43 : Les As de l’armée impériale japonaise (Réf. 543)  n°72 : Le Focke-Wulf Ta 152 en opération (Réf. 11072)
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Luftwaffe et le symbole de la formidable avance des couleurs, illustrent cet ouvrage.
motoristes allemands sur leurs adversaires anglo-américains. Les difficultés de production et le manque d’une nouvelle
Tout au long de ce nouveau hors-série, Jean-Claude doctrine d’emploi et de formation, autant pour les pilotes
Mermet nous fait découvrir les débuts d’un avion de que pour la « mécanique », obéreront dramatiquement
chasse extraordinaire, exposant en détail les difficultés la carrière du Messerschmitt. Les Alliés, même à leur
technologiques de la propulsion par réaction, ainsi que la corps défendant, s’en inspireront. Le Me 262 reste le plus
recherche de solutions simples à des problèmes complexes. mythique des appareils de la Seconde Guerre mondiale,
Il pointe du doigt les hésitations et les tergiversations des et quand on évoque la naissance et le développement des
dirigeants allemands qui évoluent dans une guerre devenue avions à réaction, son nom vient d’emblée à l’esprit des
défensive. À l’aide des documents d’usine originaux, amateurs d’histoire militaire. Un hors-série exceptionnel, à
l’auteur rétablit la vérité sur certaines versions. De ne manquer sous aucun prétexte !
Des combats de rencontre dans le Slot aux paru en 2017, les éditions Caraktère pro-
grands engagements transhorizon entre posent au néophyte comme au spécialiste
porte-avions, de l’attaque de l’aéronavale de revenir sur l’ensemble des principales
japonaise sur Hawaii le 7 décembre 1941 batailles navales et aéronavales de la
à la destruction du croiseur lourd Haguro Guerre du Pacifique et d’en expliquer les
par la 26th Destroyer Flotilla britannique causes, les conséquences ainsi que les évo-
dans le détroit de Malacca le 16  mai lutions qui les ont marquées. Les trente
1945, la guerre du Pacifique est un en- engagements sont traités dans l’ordre
chaînement complexe de batailles plus ou chronologique, et sont tous accompagnés
moins connues qui rythment un conflit de cartes et de photos.
de 44 mois. L’ouvrage essentiel pour comprendre
Avec ce nouvel ouvrage de Pascal l’ampleur de la guerre navale en Asie-
Colombier, l’auteur de La classe Yamato Pacifique !

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