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Faculté de théologie (TECO)

L’intelligence du cœur dans le soufisme


Développement de la notion de qalb
e e e e
dans les traités du IV / X au VII / XIII siècles

Gregory Vandamme

Juin 2016


Introduction
Le mystère de l’esprit humain et de l’identification de la conscience réflexive semble l’un
des objectifs universels de la spiritualité, et les auteurs du soufisme (taṣawwuf) ont fait de
l’étude de son activité et de son fonctionnement un sujet de prédilection de leurs œuvres. Or,
parce que ceux-ci puisent leur vocabulaire principalement à la source du texte coranique1, ils
ont très tôt dû trouver dans la richesse et la polysémie du vocabulaire arabe les termes
techniques adéquats pour exprimer des réalités confinant à l’ineffable. De cette façon, nous
verrons que leurs choix lexicographiques résonnent avec les premiers développements de
l’exégèse, dans lesquels l’accès au texte révélé passe avant tout par l’analyse de son lexique2.
Le vocabulaire technique du soufisme semble donc ancré dans les profondeurs de la langue
arabe, à tel point qu’il est « inutile de scruter les œuvres des mystiques musulmans si l’on
n’étudie pas de très près le mécanisme de la grammaire arabe, lexicographie, morphologie et
syntaxe. Ces auteurs rattachent constamment les termes techniques qu’il proposent à leurs
valeurs ordinaires, à l’usage courant constaté par les grammairiens »3.
Mais si l’herméneutique coranique et son impact linguistique sont les premières sources
du langage mystique, on remarque également qu’en retour le soufisme semble avoir joué un
rôle indéniable dans la construction d’une orthodoxie musulmane et dans le développement
du kalām4. Ainsi, les enjeux de l’épistémologie et de la psychologie spirituelle développées
par les auteurs soufis dépassent largement le cadre de la « mystique », et méritent sans doute
d’être étudiés comme prémices à la construction d’une conception de la conscience réflexive
propre à la pensée musulmane. D’autre part, nous verrons que ces conceptions et ce rapport
herméneutique à la révélation coranique apparaissent comme des bases possibles pour une
éthique musulmane centrée sur le sujet responsable plutôt que sur la morale scripturaire.
Cette brève étude propose donc en ce sens une évocation de la notion de « cœur » (qalb) en
tant qu’organe intellectif, telle qu’elle s’est développée dans les premiers siècles du soufisme,
entre sa période formatrice des IIIe-IVe / IXe-Xe siècles et son apogée systématique et
doctrinale des VIe-VIIe / XIIe-XIIIe siècles. Nous y observerons la façon avec laquelle

1
“The words of the Qurʾān have formed the cornerstone of all mystical doctrines”, Annemarie SCHIMMEL,
Mystical dimensions of Islam, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1975, p. 25.
2
Cf. l’importance de la lexicographie chez Muqātil b. Sulaymān (m. 150/767), Kees VERSTEEGH, Linguistic and
exegesis : Muqātil on the explanation of the Qur’ān, dans Landmarks in linguistic though III. The Arabic
linguistic tradition (History of Linguistic Thought), London/New York, Routledge 1997, p. 11-22.
3
Louis MASSIGNON, La Passion d’al-Hosayn-ibn-Mansour al-Hallaj : martyr mystique de l'Islam exécuté à
Bagdad le 26 mars 922. Étude d'histoire religieuse, vol. 2, Paris, Geuthner, 1922.
4
Timothy WINTER, Introduction, dans The Cambridge Companion to Classical Islamic Theology, Timothy
WINTER (éd.), Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 3-4.
plusieurs auteurs majeurs ont tenté de définir et structurer ce cœur réflexif, et nous pointerons
les différents enjeux épistémologiques et éthiques qui se dégagent de leurs conceptions.

1. La notion de qalb dans le Coran et dans la formation de la langue arabe

Le cœur occupe une place prépondérante dans le vocabulaire et l’imagerie coraniques, et


si plusieurs termes semblent renvoyer à cette notion5, c’est le mot « qalb » qui le désigne le
plus fréquemment6. Ce mot, apparemment d’origine très ancienne, possède également le sens
de « boulversement », « renversement », « conversion », ou encore « transmutation »7, et cet
aspect mouvant s’illustre par la connotation à la fois négative et positive que donne le texte
coranique à cet organe. En effet, on observe que le qalb y est fréquemment associé avec les
notions d’« endurcissement » ou de « maladie »8, ou avec le manque de réceptivité à la Parole
divine9. Mais il est également le lieu de la crainte pieuse (taqwā, cf. Cor. 22:32) et surtout de
la rencontre entre Dieu et l’homme10. C’est ainsi sur le cœur de Muḥammad que Gabriel fait
descendre la Révélation (fa-innahu nazzalahu ʿalā qalbika — Cor. 2:97), et sur celui des
incroyants que Dieu met un sceau ou un voile (cf. Cor. 2:7, 6:46, ou 10:74) tandis qu’il ouvre
le cœur des autres à l’islam (Cor. 39:22)11. Le qalb semble également désigner le for intérieur

5
Les termes fuʾād (cf. Cor. 17:36, 46:26 ou 53:11) et lubb (cf. Cor. 2:179, 3:190 ou 38:43) apparaissent chacun
seize fois dans le Coran. Le premier (qui est un motif fréquent de la littérature poétique) comporte le sens de
“viscère” et d’organe faisant véhiculer le sang dans le corps pour l’irriguer, mais également de “volonté” ou de
“fermeté”. Le second comporte le sens de “noyau” ou de “moelle”. Il apparait toujours sous l’expression “ūlū l-
albāb” que les premiers exégètes ont compris comme signifiant “ceux qui possèdent la compréhension” en
considérant lubb comme un synonyme d’“intellect” ou de “raison”. Ainsi, nous pouvons déjà noter que lorsque
le mot lubb apparaît dans le texte coranique “c’est moins le cœur, l’organe, qui est visé, que l’homme dans
l’exercice de sa capacité de réflexion et de bon sens”, Jacques LANGHADE, Considérations sur le terme de cœur,
qalb, et ses rapports avec le vocabulaire de la raison et du savoir, dans la langue et la pensée arabes classiques,
dans Mélanges de l'Université Saint-Joseph, 58, (2005), p. 68 et 71 ; Maurice GLOTON, Une approche du Coran
par la grammaire et le lexique, Beyrouth/Paris, al-Bouraq, 2002, p. 589 et 665 ; et Jane Dammen MC AULIFFE,
Heart, dans Encyclopædia of the Qurʾān, Jane Dammen MC AULIFFE (éd.), vol. 2., Leiden / Boston, Brill, 2002,
p. 409. Nous aurons l’occasion de revenir plus loin sur l’articulation entre ces différentes notions lorsque nous
évoquerons la classification opérée par Ḥakīm al-Tirmidhī (m. 318/936-320/938).
6
La racine q-l-b apparaît en tout cent-cinquante-huit fois dans le texte coranique (cf. GLOTON, Une approche du
Coran par la grammaire et le lexique, p. 631). Le maṣdar qalb qui en dérive y apparait dix-neuf fois au singulier
(cf. e. a. Cor.37:84, 26:89 ou 50:33) et une seul fois au duel (qalbayn — Cor. 33:4), mais plus de cent fois au
pluriel (qulūb), MC AULIFFE, Heart, p. 406-407.
7
LANGHADE, Considérations sur le terme de cœur, qalb, p. 69.
8
Cf. l’association du mot qalb avec les verbes qasā (“être sévère/rude”) ou shadda (“endurcir”) dans Cor. 2:74,
5:13, 39:22 ou 57:16, et avec le terme maraḍ (“maladie”) dans Cor. 2:10, 5:52, 22:53 ou 74:31. Cf. également
les premières exégèses de ces expressions dans MC AULIFFE, Heart, p. 407-408.
9
Une expression apparaissant deux fois traduit la notion de “cœur incirconcis” (qulūbunā ghulfun — Cor. 2:88 et
4:155) qui se trouve déjà dans la Bible en Jer 9:25 et Rom 2:25-9, cf. MC AULIFFE, Heart, p. 408.
10
Cf. Cor. 8:24 : “Sachez que Dieu Se place entre l’homme et son cœur” (waʿlamū anna Allah yaḥullu bayna
l-marʿi wa qalbihi).
11
LANGHADE, Considérations sur le terme de cœur, qalb, p. 71-72.
dans lequel se joue la sincérité ou l’hypocrisie12, et dans lequel Dieu dépose l’assurance et la
tranquillité13. C’est ainsi en lui que Dieu observe l’homme et c’est par l’évaluation de ce que
son cœur contient qu’Il le jugera en dernier ressort14.
On voit donc que qalb coranique apparaît à la fois comme le « principe de la science » et
« le lieu secret et caché (sirr) de la conscience »15. C’est en tant qu’organe d’intelligence —
synonyme du terme «ʿaql » absent du vocabulaire coranique16 — et caractérisé par son aspect
fluctuant, que ce mot fut décrit par les lexicographes arabes et les premiers exégètes17, avant
d’être récupéré en ce sens par la littérature et la poésie18. Il semble donc que le cœur tel qu’il
se décline dans le Coran « touche au domaine de l’âme et de la raison, de l’esprit. Il intervient
pour les sentiments et les émotions, mais aussi pour la réflexion »19. Nous allons voir à quel
point cet aspect du vocabulaire coranique et de l’exégèse de la notion de qalb est la clé de
voûte autour de laquelle se sont développées les doctrines du soufisme.

12
Cf. Cor. 3:167 : « ils disent avec leurs bouches ce qui ne se trouve pas dans leurs cœurs » — yaqūlūna bi-
afwāʾihim mā laysa fī qulūbihim, ou encore Cor. 48:11 où c’est cette fois la langue qui contredit le cœur.
13
Cf. Cor. 3:126, 8:10 ou 13:28 (li-taṭmaʾinna qulūbukum), ou encore Cor. 2:260, lorsqu’Abraham demande une
preuve de la résurrection qui satisfasse son cœur (li-yaṭmaʾinna qalbī).
14
Cf. Cor. 33:51 : « Dieu sait ce qui est dans leurs cœurs » — Allah yaʿlamu mā fī qulūbikum et Cor. 2:225 :
« Dieu vous reprendra pour ce que vos cœurs auront acquis » — Yuʾakhidhkum bi mā kasabat qulūbukum.
15
Louis GARDET et Jean-Claude VADET, Ḳalb, dans EI2, (Brill Online).
16
LANGHADE, Considérations sur le terme de cœur, qalb, p. 76.
17
Le K. al-ʿayn d’Al-Khalīl (m. ca. 175/791) décrit le qalb comme “un morceau du coeur (fuʾād) accroché à
l’aorte (niyāt)” et note que “si on l’appelle coeur (qalb) c’est pour sa versatilité (taqallub)” (sur le rôle joué par
Al-Khalīl dans la formation du lexique arabe, cf., Kees VERSTEEGH, Al-Khalīl and the Arabic Lexicon, dans
Landmarks in linguistic though III, p. 11-22), tandis que le Lisân al-‘arab d’Ibn Manẓūr (m. 711/1311) inisiste
clairement sur la distinction entre le cœur physiologique et le siège des facultés, en l’assimilant au ʿaql en tant
que lieu d’acceuil de l’esprit (rūḥ) — “on veut dire par le ‘cœur’ la raison” (wa qad yu’abbir bi-l-qalb ‘an al-
‘aql) —, si bien que “celui qui a un cœur est doué de réflexion (tadabbur) et compréhension (tafahhum)”. Mais
LANGHADE remarque que “la justification étymologique du terme n’a pas varié entre le huitième et le
quatorzième siècle”, ibid., p. 71. Notons également que certains ont rapproché le qalb de la notion de “nafs”
(“âme” ou “ego”), notamment à cause de l’apparente équivalence entre deux hadiths dans lesquels ces deux
termes s’interpolent. Le premier est présent chez Bukharī : “Ô Dieu, mets dans mon coeur une lumière” (ijʿal fī
qalbī nūran), et l’autre est une variante présente chez Muslim : “Mets dans mon âme une lumière” (ijʿal fī nafsī
nūran), ibid., p. 77.
18
Il semble en effet que “la littérature archaïque de l’Arabie n’est guère prodigue de textes où le mot cœur soit
mis en valeur”. Alors que “la rareté́ du mot ‘cœur’ chez les fondateurs de la lyrique arabe tient à la nature même
de l’amour” qu’ils célèbrent, “ce ‘tabou’ ne sera plus de mise quand le sens bédouin du poème d’amour se sera
tout à fait estompé, et que ce dernier aura subi les influences conjuguées de la poésie des cités, de la musique et
de la langue religieuse”. Le terme qalb devient alors un motif couramment employé par le poète pour illustrer
“l’instabilité́ du cœur incertain de son domicile et de sa véritable appartenance”, qui fait de lui “un nomade sans
pacage bien déterminé́ et condamné à suivre les caprices des saisons”. Cette image d’un cœur en permanente
instabilité évoque déjà les développements ultérieurs du taṣawwuf. Notons également que cette poésie bédouine
dessinera “une psychologie qui prête au cœur plusieurs ‘membranes’”, ce que nous retrouverons de Tirmidhī
(m. 318/936-320/938) à Ibn ʿArabī (m. 638/1240), Louis GARDET et Jean-Claude VADET, Ḳalb, dans EI2.
19
LANGHADE, Considérations sur le terme de cœur, qalb, p. 78.
2. Le qalb dans la systématisation du taṣawwuf (IIIe-IVe / IXe-Xe s.)

La tradition soufie fait remonter au Prophète et à ses compagnons20 de nombreux récits


qui mettent en avant l’importance d’une connaissance subtile de l’intériorité accompagnant
les sciences religieuses traditionnelles, mais c’est à Ḥasan al-Baṣrī (m. 110/728) que l’on
attribue souvent la première formulation de la « science des cœurs et des mouvemens de
l’âme » (ʿilm al-qulūb wa l-khawāṭir)21. Le développement conceptuel et l’élaboration de
cette science fut ensutie l’œuvre des premiers écrits doctrinaux du soufisme.
Ainsi, c’est à Ḥakīm al-Tirmidhī (m. 318/936-320/938) que l’on doit l’un des plus anciens
traités de systématisation de la notion de qalb qui nous soient parvenus : le Bayān al-farq
bayna al-ṣadr wa l-qalb wa-fuʿād wa l-lubb (« Explication de la différence entre le ṣadr, le
qalb, le fuʾād et le lubb »)22. Tirmidhī y décrit le cœur comme étant composé de quatre
sphères concentriques (qu’il appelle « stations intérieures » — maqāmāt al-bāṭin), qui sont
chacune qualifiées par le vocabulaire coranique évoqué plus haut. Ces différentes parties
interconnectées agissent selon lui de concert au sein du cœur, comme les parties de l’œil, de la
maison ou de l’amande, qu’il prend comme exemples pour illustrer son propos23.
Selon Tirmidhī, la sphère la plus extérieure du cœur est le ṣadr (la « poitrine »)24. Il est
comparé au blanc de l’œil, à l’enceinte de la demeure ou à la pellicule recouvrant l’amande.
Constamment en contraction ou en expansion, son domaine est celui de la « lumière de
l’islam » (nūr al-islām) — en tant qu’obéissance aux prescriptions et qu’accomplissement des
20
Cf. notamment ʿAlī b. Abī Ṭālib (m. 40/661) déclarant, en montrant sa poitrine : “Il y a là une science – ah ! si
seulement je trouvais un homme capable de la porter !”, ou encore Abū Ḥurayra (m. 59/681) qui confia un jour :
“J'ai reçu cinq charges de science. J'ai divulgué deux d'entre elles mais si je divulguais les trois autres, vous me
couperiez la gorge !”, Michel CHODKIEWICZ, Le saint illétré dans l'hagiographie islamique, dans Les Cahiers du
Centre de Recherches Historiques, 9, (1992), p. 2-8.
21
Cf. à propos de ce “proto-soufi archétypal”, Alexander KNYSH, Islamic mysticism : a short history (Themes in
Islamic studies, 1), Leiden, Brill, 2000, p. 10-13. Notons également que l’on attribue à une autre fameuse figure
ancienne, Jaʾfar al-Ṣādiq (m. 148/765), l’utilisation du qalb dans son commentaire coranique. Il y développe une
typologie de la psyché humaine à trois niveaux : l’âme charnelle (nafs) appartenant au tyran (ẓālim), le cœur
(qalb) au modéré (muqtaṣid) et l’esprit (rūḥ) au gagnant (sābiq). On y remarque à nouveau le rôle médian
qu’occupe la notion de qalb, bien que Jaʾfar le distingue précisément du ʿaql, qu’il décrit comme un isthme
séparant le qalb du nafs (à l’image de l’isthme séparant les deux mers en Cor. 55:20), SCHIMMEL, Mystical
dimensions of Islam, p. 191.
22
Nicholas HEER, A Sūfī psychological treatise. A translation of the Bayān al-Farq bayn al-Ṣadr wa al-Qalb wa
al-Fu'ād wa al-Lubb of Abū Abd Allāh Muḥammad ibn 'Alī al-Ḥakīm al-Tir-midhī, dans Muslim World, 51,
(1961), p. 25-36, 83-91, 163-172 et 244-258. Notons qu’on lui attribue également un autre ouvrage intitulé
K. ṣifāt al-qulūb (“Livre des attributs des cœurs”), cf. Ḥakīm AL-TIRMIDHĪ, Le livre de la profondeur des choses
(Racines et modèles), Geneviève GOBILLOT (trad.), Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion,
1996, p. 105.
23
Ibid., p. 28. Notons que cette quadripartition se retrouve également chez Al-Nūrī (m. 295/907) dans son
Maqāmāt al-qulūb, cf. SCHIMMEL, Mystical dimensions of Islam, p. 192 et Al-Nūrī dans EI2, (Brill Online).
24
Bien qu’il fût moins glosé que les autres — sans doute parce que sa distinction est plus évidente —, ce terme
est également d’origine coranique (cf. e. a. Cor. 20:25, 16:106 ou 94:1), cf. GLOTON, Une approche du Coran
par la grammaire et le lexique, p. 494.
actes physiques. La connaissance qui le concerne — celle de la sharīʿa (al-ʿilm
al-masmūʾ) — peut s’acquérir par un enseignant ou par un livre, et peut donc être oubliée25.
La seconde est le qalb (le « cœur »), qui est comparé au noir de l’œil et à la maison ou à
l’amande en elles-mêmes. Son domaine est celui de la « lumière de la foi » (nūr al-imān) et
concerne les fondements de la connaissance (uṣūl al-ʿilm). C’est de lui qu’émanent les
intentions des actions accomplies par le ṣadr. La connaissance qui le concerne est un savoir
intérieur accordé par Dieu, qui ne peut s’apprendre ni auprès d’un enseignant ni par la lecture
d’un livre, et qui ne peut ni augmenter ni diminuer26. La troisième sphère est celle du fuʾād
(l’« œil du cœur »), comparé à la pupille de l’œil, à la réserve de la maison ou au noyau de
l’amande. Son domaine est celui de la « lumière de la connaissance » (nūr al-maʿrifa), par
laquelle a lieu la vision (ruʾya) de la réalité, et dans laquelle surgissent les mouvements de
l’âme (khawāṭir). C’est par cet « œil du cœur » qu’est vu ce qui est connu par le qalb27. Enfin,
la dernière sphère est celle du lubb (l’« intellect »), comparé à la lumière permettant à l’œil de
voir, ou à l’huile cachée dans l’amande. Son domaine est celui de la « lumière de l’unicité »
(nūr al-tawḥīd), car il est la base des trois autres sphères et le récipient de la Grâce divine. La
connaissance qui le concerne est « un mystère que Dieu rend manifeste à Son serviteur »,
inatteignable par la raison (ʿaql). Bien que d’autres stations innefables existent au delà de la
sphère du lubb, elles dépendent toutes du secret (sirr) de l’unicité contenu en celui-ci28.
On observe ainsi chez Tirmidhī un premier développement considérable de la fonction
intellective du cœur, dans une systématisation prenant en compte la diversité du vocabulaire
coranique et les premiers débats exégétiques évoqués plus haut29. Ces divisions concentriques
du cœur peuvent ainsi être « considérées comme des symboles des différentes étapes de
l’itinéraire spirituel »30 , au sein duquel l’intelligence du cœur qu’il décrit procède d’un
« double mouvement qui va de Dieu au serviteur et du serviteur à Dieu, sans interruption »31.
Au terme de ce cheminement, le saint (walī, pl. awliyāʾ) est selon lui celui qui est parvenu à

25
HEER, A Sūfī psychological treatise, p. 29 et 32-36.
26
Ibid., p. 29-30 et 83-91.
27
Ibid., p. 30-31 et 163-167.
28
Ibid., p. 31 et 167-172.
29
Il est tout de même intéressant de constater que si pour Tirmidhī le qalb sert à désigner à la fois la réalité
biologique et la réalité spirituelle (“il est d’ailleurs en accord, pour cela, avec la majorité des exégètes”), son
attribut essentiel est néanmoins la vision : il possède ainsi deux yeux (et deux oreilles) sur la partie extérieure du
fuʾād, qui “bénéficie de la vision alors que le qalb jouit de la science”, cf. TIRMIDHĪ, Le livre de la profondeur
des choses, p. 120-121. Notons également qu’il distingue clairement le qalb du nafs qu’il situe dans l’estomac et
qu’il décrit comme une vapeur, source des désirs et des passions, qui vient obscurcir la vision du cœur, HEER, A
Sūfī psychological treatise, p. 167-172.
30
TIRMIDHĪ, Le livre de la profondeur des choses, p. 120.
31
Ibid., p. 194.
l’introspection la plus parfaite : « les awliyāʾ parviennent à l’état d’illumination totale en
‘regardant’ avec les yeux de leur fuʾād ce qui est à l’intérieur de leur qalb, en tournant vers
l’intérieur les yeux de leur cœur après avoir tourné à l’intérieur les yeux de leur corps,
réussissant ainsi à contempler avec amour, l’œuvre d’amour qui a été placée en eux, dans leur
cœur, à l’Origine »32. Mais si les différents niveaux de conscience qu’il décrit sont pour lui la
marque d’une hiérarchie spirituelle : « il y a des marques et des degrés dans la religion, ses
gens sont en différentes classes, et les gens de savoir y sont dans divers rangs »33, Tirmidhī
semble tout de même insister sur leur unité au sein de « la lumière de la religion » : « car la
religion est une malgré la variété et la diversité des rangs de ses gens »34.
Or, si l’œuvre de Tirmidhī démontre déjà un développement théorique évident du
cheminement spirituel, il faudra attendre la fin du IVe / Xe siècle pour voir apparaître les
premières véritables synthèses doctrinales du soufisme 35, au sein desquelles nous allons voir
que la notion de qalb occupe une place centrale. Malgré le contexte troublé dans lequel ils
apparaissent, « il serait trompeur de présumer que ces travaux aient été simplement guidés par
un agenda apologétique », puisqu’ils représentent certainement également « une consolidation
des enseignements soufis qui s’étaient dispersés par la transmission orale » 36 . De cette
manière, si les disciples des premiers temps suivaient l’enseignement directement des maîtres
soufis sans recourir à l’intermédiaire de textes standards, le IVe/Xe siècle marque la transition
vers une « période formative de la littérature soufie »37.
Ces traités fondateurs vont ainsi s’atteler à définir la doctrine du soufisme, comme
l’indiquent les titres du K. al-lumaʿ fī l-ṭasawwuf (« Livre des lueurs du soufisme ») d’Abū
Naṣr al-Sarrāj (m. 378/988)38, ou du Taʿarruf li-madhhab ahl al-taṣawwuf (« Information sur
la doctrine des gens du soufisme ») de Abū Bakr al-Kalābādhī (m. 380/990)39. Or, si l’on

32
Ibid.
33
Cf. ici l’allusion à Cor. 6:165 ou 12:76.
34
HEER, A Sūfī psychological treatise, p. 31.
35
Ce tournant s’explique notamment par la nécessité d’une réponse apaisante et d’une justification orthodoxe à
l’hostilité suscitée par certains soufis du IIIe / IXe siècle, dont Hallāj (m. 309/922) est certainement l’exemple le
plus célèbre, cf. Christopher MELCHERT, The Transition from Asceticism to Mysticism at the Middle of the Ninth
Century C.E., dans Studia Islamica, 83, (1996), p. 51-70 ; Atif KHALĪL, Abū Ṭālib al-Makki & the ‘Nourishment
of Hearts’(Qūt al-qulūb) in the Context of Early Sufism, dans Muslim World, 102, 2 (2012), p. 335-337 ; et
KNYSH, Islamic mysticism, p. 68-82.
36
KHALĪL, Abū Ṭālib al-Makki & the ‘Nourishment of Hearts’, p. 342-343.
37
Ibid., p. 344.
38
KNYSH, Islamic mysticism, p. 118-120.
39
Ibid., p. 123-124. La postérité de cette œuvre fut telle que Yaḥyā al-Suhrawardī (m. 587/1091) dira à son
propos : “Sans le Taʿarruf nous n’aurions pas connu le soufisme”, KHALĪL, Abū Ṭālib al-Makki & the
‘Nourishment of Hearts’, p. 343.
constate que Kalābādhī ne consacre pas de chapitre de son traité à la définition du qalb, on
s’aperçoit tout de même rapidement qu’il y est présent en filigrane en tant qu’organe de
connaissance du divin, et ce dès le préambule : « Louange à Dieu, qui Se voile par Sa
Grandeur à la perception des yeux, qui surpasse par Sa Majesté et Son Omnipotence l’atteinte
des opinions (…) Celui qui Se fait connaître à Ses Saints (…) qui se rend proche à l’intime de
leur être et qui incline leur cœur vers Lui »40. Mais c’est dans le titre du plus exhaustif des ces
livres que la centralité du cœur apparaît de la manière la plus évidente : le Qūt al-Qulūb (« La
nourriture des cœurs ») d’Abū Ṭālib al-Makkī (m. 386/996)41. De la même manière que chez
Kalābādhī, le Qūt al-Qulūb — qui est structuré sur le modèle des premiers traités juridiques
— place le qalb au centre de son propos en se présentant comme une description nécessaire
des intentions et des différents états de l’intériorité qui accompagnent l’accomplissement des
actes prescrits par la sharīʿa. Abū Ṭālib al-Makkī ne propose donc pas de théorie spéculative
sophistiquée ou de théologie mystique à proprement parler, mais plutôt une praxis (qu’il
qualifie de « sciences des actes » — ʿulūm al-muʿāmalāt), centrée sur la façon d’observer le
cœur par un effort d’introspection qui accompagne chaque acte de la vie du croyant42.
Si l’on peut voir dans l’effort introspectif proposé par le Qūt al-Qulūb un écho évident à
l’itinéraire développé par Tirmidhī autour de la faculté intellective du cœur, on remarque par
contre une nette différence entre les deux auteurs sur leur façon de prendre en compte son
caractère fluctuant. En effet, s’il s’agit pour Al-Makkī d’apaiser le cœur en maîtrisant ses
vacillations constantes, c’est au contraire cette capacité de changement qui permet justement,
selon Tirmidhī, de servir au mieux les « variations constantes de la Volonté divine » en toutes
circonstances : « ce cœur possède la qualité évoquée par son nom, à savoir : la capacité de
changer, c’est-à-dire de s’adapter à toutes les volontés de l’Aimé »43.
Il apparaît ainsi que si les premiers traités du soufisme accordent une place centrale à la
notion de qalb, en tant qu’organe de connaissance et d’introspection, leurs auteurs semblent
néanmoins diverger sur les ressorts de cette conscience du cœur. Nous allons voir que cette

40
KALĀBĀDHĪ, Traité de soufisme : les maîtres et les étapes (Babel, 1072), Roger DELADRIÈRE (trad.), Paris,
Actes Sud, 2011, p. 17.
41
Son titre complet est le Qūt al-qulūb fī muʿāmalāt al-maḥbūb wa waṣf al-ṭarīq al-murīd ilā maqām al-tawḥīd
(“La nourriture des cœurs dans les œuvres pour le Bien-aimé et la description du chemin de l’aspirant vers la
station de l’Unicité”). Cette œuvre influencera considérablement l’Iḥyāʾ de Ghazālī (m. 505/1111) dont il sera
question plus loin, cf. KNYSH, Islamic mysticism, p. 121-123 et KHALĪL, Abū Ṭālib al-Makki & the ‘Nourishment
of Hearts’, p. 335-356.
42
KHALĪL, Abū Ṭālib al-Makki & the ‘Nourishment of Hearts’, p. 352-355. Notons qu’on lui attribue
généralement un autre traité, le ʿilm al-qulūb (“Science des cœurs”), qui semble s’adresser plutôt à des
cheminants déjà avancés dans la voie soufie (ibid., p. 353).
43
TIRMIDHĪ, Le livre de la profondeur des choses, p. 66.
variété des conceptions n’ira pas en s’estompant avec le développement de formulations
doctrinales plus sophistiquées.

3. Le qalb dans l’apogée du mouvement de systématisation, chez al-Qushayrī


(m. 465/1076) et al-Ghazālī (m. 505/1111)

Le mouvement de systématisation évoqué ci-dessus trouve certainement l’un de ses


aboutissements un siècle plus tard, dans ce qui reste le traité du genre le plus célèbre et le plus
diffusé : la Risāla fī l-taṣawwuf (« Épître sur le soufisme ») d’ʿAbd al-Karīm al-Qushayrī44.
Ici encore, l’agenda apologétique de l’œuvre est évident : il s’agit pour l’auteur de démontrer
la parfaite compatibilité de la doctrine du soufisme avec la théologie Ashʾarīte et la sharīʿa,
afin de lui conférer un titre de science à part entière, sans pour autant éviter de « présenter des
idées soufies pouvant apparaître comme très éloignées du consensus musulman »45. Mais son
utilisation, dans le titre de l’œuvre, de l’expression « science du soufisme » (ʿilm
al-ṭasawwuf), dénote clairement qu’il ne s’agit plus « d’idées générales éthiques et spirituelles
ou de concepts adoptés par des individus ou des groupes n’ayant pas encore été transformés
en une institution avec des particularités claires »46.
Comme chez Kalābādhī, si la notion de qalb ne bénéficie pas d’une entrée à part entière
dans la Risāla, sa présence tout au long de l’ouvrage reste néanmoins évidente47. Il semble

44
AL-QUSHAYRĪ, Al-Qushayri’s Epistle on Sufism (Al-Risāla al-qushayriyya fī ʿilm al-taṣawwuf) (The Great
Books of Islamic Civilization), Alexander KNYSH (trad.), Reading, Garnet, 2007. Pour une biographie plus
détaillée de son auteur, cf. Martin NGUYEN, Sufi master and Qur'an scholar : Abū'l-Qāsim al-Qushayrī and the
Lạtā'if al-ishārāt (Qur'anic studies series, 8), New York, Oxford university press, 2012.
45
Arin SALAMAH QUDSI, Heart’s Life with God. Al-Maʿrifa bi-llāh (Knowledge of God) in al-Qushayrī’s al-
Risāla al-Qushayriyya, dans Journal of Arabic and Islamic Studies, 13, (2013), p. 96. Cf. notamment sa façon
d’arranger les biographies qui occupent la première partie de son ouvrage et la façon dont “il manipule
prudemment les blocs de construction dont il dispose en les sélectionnant et les arrangeant selon de nouvelles
configurations”, Jawid A. MOJADDEDI, Legitimizing Sufism in al-Qushayri's “Risala”, dans Studia Islamica, 90,
(2000), p. 49-50. En effet, on constate qu’il “démontre une habilité extraordinaire pour éviter la polémique”,
SALAMAH QUDSI, Heart’s Life with God, p. 96.
46
Ibid., p. 78.
47
Notons qu’il en va de même pour un autre traité célèbre de la même époque, le K. manāzil al-sāʾirīn (“Livre
des étapes des itinérants”) d’Al-Anṣārī (m. 481/1089). Celui-ci s’ouvre par exemple sur une formule marquant le
caractère intellectif du cœur : “Louange à Dieu, l’Unique et l’Un, le Subsistant et l’Immuable, le Bienveillant et
le Proche, qui, des nuées de la Sagesse, a fait pleuvoir au fond du cœur des Connaissants les plus nobles
Paroles”. Il décrit ensuite la première de ces étapes comme étant le fait de “s’éveiller de la somnolence de
l’insouciance et se tirer du bourbier de la tiédeur. Ceci a lieu dès que le cœur s’illumine de vie, à la vision de la
lumière de l’avertissement”, ce qui “consiste pour le cœur à diriger son regard vers les bienfaits, en désespérant
de les dénombrer et d’en connaître la limite”. Enfin, remarquons que le terme du voyage y est décrit par un
vocabulaire très similaire à celui par lequel Tirmidhī décrivait la station du lubb : “une unification que Dieu s’est
réservée à Lui-même et qu’Il a jugée digne de Sa mesure. Il en a irradié une fulguration vers l’intime du cœur
d’un groupe de Ses élus, tout en les rendant muets pour la décrire et incapables de la divulguer (…) En effet,
l’unification est au-delà de ce qu’aucun être peut suggérer, ou de ce dont aucun moment ne peut s’emparer, ou
de ce qu’aucun moyen ne peut supporter”, AL-ANṢĀRĪ AL-HARAWĪ, Chemin de Dieu : trois traités spirituels :
“Les cent terrains”, “Les étapes des itinérants vers Dieu”, “Les déficiences des demeures”, Serge DE LAUGIER
DE BEAURECUEIL (trad.), Paris, Sindbad, 1997, p. 152, 158-159 et 228.
ainsi veiller à maintenir un équilibre, en affirmant que « la connaissance de Dieu est le cœur
de la vie avec Dieu », tout en insistant sur la nécessité d’observer les prescriptions
religieuses48. Comme chez Abū Ṭālib al-Makkī, le propos principal d’Al-Qushayrī semble
consister en une praxis de l’intériorité nécessaire à tout acte d’adoration : « S’il n’a été
préoccupé par rien d’autre que son Seigneur, il ne s’est pas tourné vers son cœur. Or,
comment une idée quelconque pourrait entrer dans le cœur de quelqu’un qui n’a pas de cœur ?
C’est la différence entre quelqu’un qui vit à travers son cœur et quelqu’un qui vit à travers son
Seigneur »49. On voit notamment que la certitude (yaqīn) est pour lui une science du cœur qui
contraste avec celles que possède la raison 50 : si le « savoir acquis » de l’intellect est
comparable à une lampe qui éclaire les pas du cheminant, le « savoir nécessaire » du cœur —
que possède celui qui est arrivé au terme du cheminement — est comme la lumière du soleil
qui rend toute lampe inutile51. Ainsi, la dernière station décrite dans la Risāla, celle de la
« vision des initiés » (Ruʾyat al-qawm)52, survient lorsqu’ils ont « coupé tous les liens et les
préoccupations de ce monde, car ce chemin repose sur la vidange du cœur »53. Ils bénéficient
alors de « notifications de la part de Dieu — qu’Il soit exalté — qui les crée directement dans
le cœur du voyant »54.
Si nous avons déjà vu à quel point le vocabulaire soufi dépendait des premiers efforts
herméneutiques et lexicographiques déployés autour du texte coranique, on observe que cette
relation s’illustre particulièrement dans un autre ouvrage d’Al-Qushayrī : le Naḥw al-qulūb
(« Grammaire des cœurs »)55. Il y propose en effet une « intériorisation des notions de la
grammaire » en mettant en regard son vocabulaire technique avec celui du soufisme56. Ainsi,
pour Al-Qushayrī « la grammaire des cœurs s’oppose à la grammaire des intellects », dans le
sens que la première représente la condition nécessaire à la réalisation complète du sens
spirituel contenu dans la seconde : « la grammaire est donc prise à titre d’exemple d’un savoir

48
SALAMAH QUDSI, Heart’s Life with God, p. 81-84.
49
Ibid., p. 97.
50
Ibid., p. 93-94. Notons également qu’il considère la certitude (yaqīn) comme une station (maqām) alors que
Kalābādhī la considérait plutôt comme un état spirituel (ḥāl), KALĀBĀDHĪ, Traité de soufisme, p. 108.
51
SALAMAH QUDSI, Heart’s Life with God, p. 94-95.
52
Notons qu’il y définit étonnement la vision comme étant “les pensées qui entrent dans le cœur”, ce qui n’est
pas sans rappeler la caractéristique du cœur voyant décrite par Tirmidhī que nous évoquions plus haut,
AL-QUSHAYRĪ, Al-Qushayri’s Epistle on Sufism, p. 393.
53
Ibid.
54
Ibid.
55
Francesco CHIABOTTI, Naḥw al-qulūb al-ṣaġīr : La “grammaire des cœurs” de ʿAbd al-Karīm al-Qušayrī.
Présentation et traduction annotée, dans Bulletin d'études orientales, LVIII, (2009), p. 385-402.
56
Ibid., p. 387.
qui peut demeurer superficiel, formel, ou au contraire devenir une source de connaissance
pour exprimer les expériences du cheminement spirituel »57.
On remarque ainsi que la notion de qalb chez Al-Qushayrī semble occuper une position
plus radicalement éminente que dans les traités du siècle précédent. Son rapport au cœur
comme réceptacle de la Grâce divine, nécessaire à toute connaissance véritable, apparaît en
effet plus proche des conceptions de Tirmidhī que des formulations prudentes de Kalābādhī
ou d’Abū Ṭālib al-Makkī.
Cette expansion du domaine du qalb transparaît également chez Al-Ghazālī, dont l’œuvre
parachève l’effort de systématisation des siècles précédents, tout en synthétisant leurs
principales tendances58. L’aspect intellectif du qalb semble en effet au centre de sa pensée et
« le cœur est lui-même défini comme une faculté propre de la connaissance, et même d’une
connaissance supérieure à la connaissance commune de la raison », puisqu’il est — comme
chez Al-Qushayrī — « principe et source proprement dits de la certitude »59. Le cœur est donc
pour Ghazālī la voie d’accès à toute connaissance véritable, si bien que le discernement se
fonde nécessairement sur l’introspection : « le cœur est le siège de la connaissance (ʿilm). Il
contrôle tous les membres. Il se comporte, à l’égard des choses à connaître, comme un miroir.
Chaque objet de connaissance a une essence, et celle-ci a une forme (ṣūra) qui se reflète dans
le miroir du cœur. De même que le miroir, les formes des personnes, et leur image dans celui-
ci sont à distinguer ; de même, il faut distinguer le cœur, l’essence des choses et leur présence
dans le cœur »60.
On remarque aussi une similitude avec l’auteur de la Risāla quant à l’importance de la
Grâce dans le processus intellectif du cœur, puisqu’il déclare dans son œuvre la plus célèbre,
l’Iḥyāʾ ʿulūm al-dīn (« Revivification des sciences de la religion ») : « Le savoir ne se réalise
dans nos cœurs que par la médiation des anges »61. Ainsi, pour Ghazālī, l’action propre du

57
Ibid., p. 388. Citons à titre d’exemple la section qui traite de la flexion nominale et l’invariabilité (al-iʿrāb
wa-l-binā’), dans laquelle il joue habilement avec les termes désignant les marques de la déclinaison : “Les gens
du sens allusif élèvent leurs aspirations vers Dieu, dressent leurs corps (naṣb abdānihim) dans l’obéissance à
Dieu, baissent (khafḍ) leurs âmes pour s’humilier devant Dieu, coupent leurs cœurs de tout ce qui est autre que
Dieu et leur quiétudes (sukūn) est en Dieu”, ibid., p. 395.
58
Si nous avons déjà évoqué l’influence considérable du Qūt al-Qulūb sur Ghazālī, notons également qu’il fut le
disciple d’Abū ʿAlī al-Farmadhī (m. 477/1084), lui-même disciple d’al-Qushayrī, cf. AL-QUSHAYRĪ,
Al-Qushayri’s Epistle on Sufism, xxii-xxiii et KNYSH, Islamic mysticism, p. 140-149.
59
Farid JABRE, La notion de certitude selon Ghazali dans ses origines psychologiques et historiques (Études
musulmanes, 6), Paris, Vrin, 1958, p. 229.
60
AL-GHAZĀLĪ, Ih’ya ‘ouloûm ed-dîn ou Vivification des sciences de la foi (Publications de l'Institut d'études
orientales de la Faculté des lettres d'Alger, 15), Georges-Henri BOUSQUET (trad.), Paris, Besson, 1955, p. 208.
61
Jules JANSSENS, L’âme-miroir : Al-Ghazālī entre philosophie et mysticisme, dans Daniel DE SMET, Meryem
SEBTI et Godefroid DE CALLATAŸ (éd.), Miroir et savoir. Transmission d’un thème platonicien, des Alexandrins
à la philosophie arabo-musulmane. Actes du colloque international tenu à Leuven et Louvain-la-Neuve, les 17 et
cœur est la réceptivité : « La connaissance, considérée dans ses origines philologiques arabes,
est une saisie du vrai, du réel, dans un comportement pratique commandé par une tendance
immédiate à l’action, à l’acceptation »62, si bien que « du moment que le terme ‘coeur’ est
mentionné dans le Coran et la Sunna, il désigne la réalité qui chez l’homme saisit et connait
l’essence des choses »63.
Néanmoins, si la connaissance par inspiration demeure supérieure à la connaissance par
acquisition chez Ghazālī64, comme chez Al-Qushayrī, il semble tout de même considérer que
cette voie de l’inspiration reste limitée à certains cas privilégiés, et que la voie de l’acquisition
reste la seule qui soit accessible à tous65.
D’autre part, si le qalb est chez Ghazālī, comme chez Tirmidhī, qualifié par sa capacité de
réception et d’adaptation, l’auteur de l’Iḥyāʾ semble hériter du Qūt al-qulūb l’idée que le cœur
doit sortir de sa fluctuation permanente 66 . On le voit ainsi classer les cœurs en trois
catégories : ceux qui s’orientent vers le bien, ceux qui s’orientent vers le mal, et ceux qui
vacillent entre les deux67. On retrouve également chez lui l’idée d’une gradation de la capacité
introspective du cœur, assez semblable au type de hiérarchie proposé par Tirmidhī, puisque si
le cœur est pour Ghazālī un miroir dans lequel Dieu se manifeste, ce reflet s’opère « dans
certains miroirs d'une façon plus vraie, plus claire, plus stable, plus évidente et dans d'autres
d'une façon plus cachée, plus inclinée vers une dérivation de la rectitude (istiqāma) », en
fonction de « la pureté du miroir, plus précisément de son polissage, de la justesse de sa
circularité et de la planéité (istiqāma) de l'étendue de sa face »68.
La notion de qalb possède plusieurs définitions chez Ghazālī. En effet, dans sa Risāla al-
laduniyya, écrite dans la première partie de sa vie, il fait remarquer que ce que les soufis
nomment al-qalb (le « cœur ») est la même réalité que celle qui est appelée al-nafs al-nāṭiqa

18 novembre 2005 (Ancient and Medieval Philosophy. De Wulf-Mansion Centre Series I, XXXVIII), Leuven,
Leuven University Press, 2008, p. 214-215.
62
JABRE, La notion de certitude selon Ghazali, p. 245.
63
Ibid., p. 251.
64
Ghazālī présente ainsi les dangers inhérents à l’acquisition du savoir par l’effort personnel lorsqu’il décrit par
ailleurs les “dix grandes portes” par lesquelles Satan entre dans le cœur (tout en spécifiant qu’il en existe
beaucoup d’autres). Or, on y voit notamment que la neuvième de ces portes consiste pour les gens du commun à
réfléchir sur l’Essence divine et Ses attributs sans bénéficier d’une réelle connaissance (ʿilm), Jules JANSSENS,
Al-Ghazalī between Philosophy (Falsafa) and Sufism (Taṣawwuf ): His Complex Attitude in the Marvels of the
Heart (‘Ajāʾib al-Qalb) of the Iḥyāʾ ʿUlūm al-Dīn, dans Muslim World, 101, (2011), p. 630.
65
Ibid., p. 626.
66
“Le cœur reçoit sans cesse les impressions les plus diverses, comme une qubba, avec des portes ouvertes de
tous côtés, ou un bassin, où affluent les cours d’eau les plus divers” et il est ainsi “comme une plume au vent
(…) soumis à de continuelles suggestions”, AL-GHAZĀLĪ, Ih’ya ‘ouloûm ed-dîn, p. 213 et 219.
67
JANSSENS, Al-Ghazalī between Philosophy (Falsafa) and Sufism (Taṣawwuf ), p. 631.
68
JANSSENS, L’âme-miroir, p. 217.
(l’« âme raisonnable ») par les philosophes, al-rūḥ al-amrī (l’« esprit seigneurial ») ou al-nafs
al-muṭma’inna (l’« âme pacifiée ») par le Coran. Or, dans les œuvres écrites pendant et après
sa période de pérégrination et de retraite spirituelle69, on constate le qalb s’émancipe de ces
concepts, pour prendre plus d’importance70. Le livre XXI de son Iḥyāʾ s’intitule ainsi ʿAjāʾib
al-qalb (« Les merveilles du cœur »)71, et on observe que Ghazālī y considére le qalb comme
« une essence incorporelle et indestructible par la mort », en tant qu’il appartient au monde de
« l’Ordre » (al-amr) — par opposition au monde de « la Création » (al-khalq) — et qu’il est
en cela indivisible : « Il n’obéit pas aux principes de mesure et de surface, tandis que ce qui
relève du second, tel que le corps humain, est divisible, mesurable et occupe une surface
limitée »72.
Toutefois, il est nécessaire de garder à l’esprit que, comme le Qūt al-qulūb dont il
s’inspire, l’Iḥyāʾ est avant tout un manuel pratique axé sur le perfectionnement de l’intention
avec laquelle sont accomplies les pratiques cultuelles. C’est donc en tant qu’il est « la
véritable réalité́ de la personne humaine » que Ghazālī privilégie le qalb, tandis que l’âme
charnelle ou le corps doivent toujours être maintenus sous son commandement73. Si le cœur
est muni selon lui de deux portes — l’une dirigée vers le monde du mystère et l’autre vers la
réalité sensible — entre lesquelles il vacille sans cesse74, il possède quatre qualités distinctes
en fonction de son inclination : animale (sabuʿiyya), bestiale (bāhimiyya), démoniaque
(shayṭaniyya) et seigneuriale (rabbāniyya). Chacune d’entre elles est symbolisée par le porc
(khinzīr), le chien (kalb), le diable (Iblīs) et le sage (ḥakīm)75. Il s’agit alors, pour Ghazālī, de
développer des moyens pour garder le cœur dans la juste orientation, qu’il qualifie de
« soldats du cœur » (junūd al-qalb) ou d’« armée du cœur » (ʿaskar al-qalb) 76 , une

69
Cf. KNYSH, Islamic mysticism, p. 142.
70
Cf. Cor. 89:27, Ndiouga KEBE, Al-Ġazālī et la problématique du rapport entre les notions de ʿaql, de nafs, de
rūḥ et de qalb, dans Annales islamologiques, 40, (2006), p. 177. Notons également que — fidèlement à
l’acception générale — le cœur désigne pour Ghazālī à la fois une réalité matérielle et une réalité spirituelle : Un
“un morceau de chair” contenant “un sang noir” qui constitue la matière première de l’esprit vital ou animal de
l’homme, et “une substance spirituelle seigneuriale” qui constitue l’essence de l’homme et sa vérité́ profonde,
ibid., p. 178. Le qalb spirituel se subdivise quant à lui également en deux : un principe inférieur “d’ordre
psychique et neutre”, caractérisé par une “tendance purement psychologique qui se prolonge dans le monde
sensible de l’homme et de ses facultés motrices”. Et un principe supérieur de “perception et de vision” défini par
le “Credo sunnite”, que Ghazālī nomme également “pupille du cœur”, œil, baṣīra (“vision intérieure”), sirr
(“secret”), ou gharīza (“instinct”), JABRE, La notion de certitude selon Ghazali, p. 251-252.
71
Cf. AL-GHAZĀLĪ, Ih’ya ‘ouloûm ed-dîn, p. 203-230.
72
KEBE, Al-Ġazālī et la problématique du rapport entre les notions de ʿaql, de nafs, de rūḥ et de qalb, p. 178.
73
Ibid., p. 183.
74
JANSSENS, Al-Ghazalī between Philosophy (Falsafa) and Sufism (Taṣawwuf), p. 627.
75
Ibid., p. 623.
76
KEBE, Al-Ġazālī et la problématique du rapport entre les notions de ʿaql, de nafs, de rūḥ et de qalb, p.184.
appellation que l’on retrouve dans la République de Platon77 et qu’avait déjà empruntée
Tirmidhī78. Mais, ici encore, Ghazālī ajoute que cette purification du cœur par les moyens du
dhikr et de l’introspection ne mène pas directement et assurément à la réception d’une
connaissance par inspiration, puisque celle-ci dépend in fine entièrement de la Grâce divine79.
On observe ainsi que si le qalb décrit par Ghazālī est indéniablement systématisé de
manière plus organique et précise que chez ses prédécesseurs, l’auteur de l’Iḥyāʾ semble tout
de même veiller à ne pas prétendre en épuiser tous les mystères80. Sa description du cœur
reste ainsi sobrement médiane : il « renonce clairement à tout mysticisme pur » et semble
indiquer que « même en mystique, la raison garde un droit de cité »81.

4. Ibn ʿArabī (m. 638/1240) et la dilatation du cœur

Il serait impossible de synthétiser ici, dans les limites de cette étude, la très riche
utilisation du cœur par celui qui fut surnommé le « Shaykh al-akbar »82. Mais comment ne pas
évoquer, pour terminer ce bref aperçu du développement de la notion de qalb dans le
soufisme, l’auteur des célèbres vers du Tarjumān al-ashwāq :
Mon cœur est devenu capable d’accueillir toute forme.
Il est pâturage pour gazelles et abbaye pour moines !
Il est un temple pour idoles et la Ka’ba pour qui en fait le tour,
Il est les Tables de la Thora et aussi les feuillets du Coran !
La religion que je professe est celle de l'Amour.
83
Partout où ses montures se tournent l'Amour est ma religion et ma foi !
On voit poindre chez Ibn ʿArabī l’influence de Tirmidhī84, au travers de la valorisation de
l’aspect versatile du cœur. Il commente en effet ces vers en expliquant que « le cœur a été
nommé qalb du fait de sa permutabilité car il se diversifie en fonction de la différenciation des
inspirations qui l’affectent. Or, celles-ci se nuancent en fonction de ses états spirituels, et

77
Livre IX. Cf. également l’allusion de Ghazālī à Cor. 74:31.
78
TIRMIDHĪ, Le livre de la profondeur des choses, p. 218.
79
JANSSENS, Al-Ghazalī between Philosophy (Falsafa) and Sufism (Taṣawwuf ), p. 626.
80
Ibid., p. 632.
81
JANSSENS, L’âme-miroir, p. 217. Cf. notamment les nombreux rapprochements avec les conceptions
avicenniennes relevées dans JANSSENS, Al-Ghazalī between Philosophy (Falsafa) and Sufism (Taṣawwuf ).
82
Pour une introduction à la notion de qalb chez Ibn ʿArabī, cf. notamment Suʿād AL-ḤAKĪM, Al-Mujʿam al-Ṣūfī.
Al-Ḥikma fī Ḥudūd al-Kalima, Beyrouth, Dandara, 1981, p. 916-921 ; William C. CHITTICK, The Sufi Path of
Knowledge: Ibn al-ʻArabī's Metaphysics of Imagination, Albany, State University of New York Press, 1989, p.
106-109 ; ou encore John MERCER (éd.), The Journey of the Heart. Foundations of the Spiritual Life according
to Ibn ʿArabi, Oxford/San Francisco, Muhyiddin Ibn ʿArabi Society, 1996.
83
IBN AL-ʿARABĪ, L'interprète des désirs (Spiritualités vivantes), Maurice GLOTON (trad.), Paris, Albin Michel,
1996, p. 117-118.
84
Notons qu’Ibn ʿArabī semble très lié à l’œuvre de Tirmidhī puisqu’il fut notamment le premier à répondre
complètement au fameux questionnaire du K. khatm al-awliyā, Michel CHODKIEWICZ, Le Sceau des Saints:
Prophétie et sainteté dans la doctrine d'Ibn ʻArabî, Paris, Gallimard, 1986, p. 37-40 et 42-46.
ceux-ci selon la variété des théophanies (tajalliyāt ilāhiyya) convenant à son secret (sirr) »85.
D’autre part, pour le Shaykh al-akbar, le qalb est au corps humain du microcosme ce qu’est la
Kaʿba au monde du macrocosme : il est « la plus noble maison dans l’homme de foi »86 et elle
est « le cœur de l’Existence » (qalb al-Wujūd)87.
Ibn ʿArabī développe également considérablement sa fonction de miroir de Dieu, déjà
formulée par Ghazālī : « Le cœur est Son Trône et n’est pas délimité par un attribut
spécifique. Au contraire, il rassemble tous les Noms et les attributs divins, tout comme le
Tout-Miséricordieux (al-Raḥmān) possède les Noms les plus-beaux (al-asmāʾ al-ḥusna) »88.
Mais si nous avons vu que chez Ghazālī le cœur était déjà au delà de toute délimitation, on
constate qu’Ibn ʿArabī va franchir un cap radical que l’auteur de l’Iḥyāʾ s’était gardé
d’outrepasser, en l’opposant au caractère limité de la raison : « Celui qui explique le ‘cœur’
comme signifiant la ‘raison’ n’a aucune connaissance des réalités, car la raison est une
délimitation (taqyīd), le mot ʿaql dérivant du verbe ‘entraver’ »89.
Ainsi, il ne s’agit plus pour Ibn ʿArabī de veiller à sortir le cœur de sa fluctuation
constante, comme chez Al-Makkī ou Ghazālī, mais bien de recevoir la Grâce divine toujours à
l’œuvre derrière les vacillements du cœur, en renouant avec la conception de Tirmidhī : « Il
ne fait pas vaciller le cœur si ce n’est d’une miséricorde à une autre, même s’il y a une
affliction (balāʾ) dans ces différentes fluctuations. Car réside au milieu de ces afflictions une
miséricorde cachée à l’homme et connue du Réel (al-Ḥaqq) »90. La seule connaissance
véritable réside en effet dans cette fluctuation : « Dans l’existence, la réalité est variation.
Celui qui est stable dans la variation possède la véritable stabilité »91. L’intelligence du cœur
est donc la seule capable d’épouser l’infinité de la manifestation divine : « La coupe de
l’Amour est dans le cœur de l’amant, et non pas dans sa raison ou ses sens. Car le cœur
fluctue d’un état à l’autre, tout comme Dieu — qu’Il soit exalté — est ‘chaque jour occupé à
une tâche’ (Cor. 55:29). Ainsi, l’amant subit une variation constante dans l’objet de son
amour en restant attaché à la variation constante de l’Aimé dans Ses actes. L’amant est

85
IBN AL-ʿARABĪ, L'interprète des désirs, p. 124.
86
Fut. III, 250, cité dans CHITTICK, The Sufi Path of Knowledge, p. 107.
87
Fut. I, 42, cite dans Michel CHODKIEWICZ, Une introduction à la lecture des Futûhât Makiyya, dans Michel
CHODKIEWICZ (éd.), Les illuminations de La Mecque/The Meccan Illuminations (Bibliothèque de l’Islam.
Textes), Paris, Sindbad, 1988, p. 44.
88
Cf. Cor. 17:110. Fut. III, 129, cité dans CHITTICK, The Sufi Path of Knowledge, p. 107.
89
Fut. III, 198, cité dans ibid.
90
Ibid.
91
Fut. II, 532, cité dans ibid., p. 108.
comme la coupe de verre pur qui subit une variation constante en fonction de la variation des
liquides en elle. La couleur de l’amant est la couleur de l’Aimé »92.
Cette « sagesse du cœur », décrite par Ibn ʿArabī, est notamment l’objet du chapitre
consacré à Shuʿayb dans ses Fuṣūṣ al-ḥikam93 : « Dès lors que Dieu Se différencie dans les
formes, le cœur s’élargit et se rétrécit nécessairement à la mesure de la forme dans laquelle la
théophanie s’opère »94. La qualité du cœur est ainsi au fondement de toute conception du
Divin et de toute perception de Sa Manifestation : « Le cœur et l’œil ne contemplent jamais
que la forme, en Dieu, de sa profession de foi. Le ‘Dieu’ qu’il professe est Celui dont le cœur
contient la Forme ; Celui qui s’est manifesté théophaniquement à lui et qu’il reconnaît. L’œil
ne peut voir que le ‘Dieu professé’ »95. C’est donc « à partir de lui-même qu’il connaît ‘Lui-
même’ car ‘lui-même’ n’est autre que l’Ipséité de Dieu »96.
Ibn ʿArabī lui consacre également une épître intitulée Risāla fī awjūhi l-qalb (« Épitre
sur les facettes du cœur »)97, dans laquelle il le décrit comme « un miroir rond, à six facettes
(awjūh, sing. wajh) selon certains, à huit selon d'autres », devant lesquelles se trouvent autant
de « Présences (ḥaḍra) d’entre les Présences divines fondamentales »98. Il s’agit alors selon
lui, afin que les Présences se réfléchissent dans ce miroir, de nettoyer le cœur « avec l'eau de
la vigilance (murāqaba) jusqu'à ce que s’en détache la rouille des altérites et que s’y
réfléchissent les enceintes des mystères »99.
On constate également que c’est dans une visée pratique — sans doute plus proche de
la portée du Qūt al-qulūb et de l’Iḥyāʾ que de développements purements spéculatifs —
qu’Ibn ʿArabī développe le plus longuement ses conceptions du qalb, tout au long de son
magnum opus, les Futūḥāt al-makkiya (« Révélations mecquoises »). C’est également par la
vidange du cœur que s’effectue pour lui l’effort de connaissance qui irradie ensuite dans tous
les actes du croyant : « C’est de Dieu (al-Ḥaqq) que nous prenons la connaissance en vidant
nos cœurs et en les préparant à recevoir les inspirations divines (wāridāt) (…) Ces actes de

92
Fut. II, 113, cité dans ibid., p. 109.
93
“Elle est attribuée spécialement à Shuʿayb du fait du ‘mouvement dans toutes les directions’ dont les
ramifications sont innombrables (Tashaʿʿub dont dérive le nom ‘Shuʿayb’)”, IBN AL-ʿARABĪ, Le livre des
chatons des sagesses, Charles-André GILIS (trad.), Beyrouth, Al-Bouraq, 1997, t. 1, p. 321.
94
Ibid., p. 315.
95
Ibid., p. 316.
96
Ibid., p. 319.
97
Michel VÂLSAN, Épitre sur les facettes du coeur (Risâlah fî awjûhi-l-qalb) du Cheikh el-Akbar Muhyi-d-Dîn
Ibn Arabî, dans Études traditionnelles, 71, (1970), p. 61-70.
98
Ibid., p. 62.
99
Ibid.
connaissance arrivent de Dieu, s’écoulant constamment dans le cœur du serviteur (…) Si le
serviteur est préparé et réceptif, et s’il a purifié et poli le miroir de son cœur, il réalise que
Dieu donne continuellement »100.
Ainsi, le qalb est pour Ibn ʿArabī un miroir qui reste immaculé en lui-même mais qui
se « rouille » par l’attachement et la préoccupation des choses mondaines. Il classe ainsi les
cœurs en quatre types : le cœur de l’Homme parfait (insān kāmil) dans lequel se déploie la
théophanie de l’Essence divine, le cœur dans lequel se manifestent les Noms et les attributs
divins, le cœur conscient des activités de Dieu qui manifestent Sa Présence, et le cœur
insouciant, qui est banni de la Présence divine101. La qualité de l’observance des prescriptions
religieuses est dès lors à la mesure de l’introspection du croyant : « Tout serviteur qui prie,
mais dont l’acte de prière ne l’extrait pas complètement de tout le reste, ne prie pas
véritablement » 102, et la purification de l’intention devient pour lui une condition de la
dévotion véritable : « La purification est elle-même un acte de dévotion » et « la purification
du cœur est une condition préalable à notre entretien intime (munājat) avec Dieu ou notre
contemplation de Lui, une condition qui est à la fois obligatoire et nécessaire pour la juste
réalisation »103. Or, cette purification reste l’enjeu central de toute existence humaine, puisque
si nous avons vu qu’Ibn ʿArabī hiérarchise les cœurs selon leur réceptivité, il considère
néanmoins la purification comme étant obligatoire à la fois pour les gens du commun et pour
l’élite spirituelle104.
Toutefois, si le Shaykh al-akbar apparaît clairement comme un héritier des
développements antérieurs du soufisme et des autres sciences islamiques105, il y développe
néanmoins une conception propre dont la richesse inédite s’abreuve à la complexité du
langage coranique106. En effet, si nous avons vu que les premiers traités de praxis soufie

100
Fut. Ch. I, cité dans ibid., p. 26.
101
Ibid., p. 28-29.
102
Fut., Ch. XLVII, cité dans ibid., p. 37.
103
Fut., Ch. LXVIII, cité dans ibid., p. 43.
104
Ibid., p. 47-48.
105
Outre son rapport étroit avec Tirmidhī évoqué plus haut, notons également qu’il semble avoir été clairement
influencé par la Risāla d’al-Qushayrī. Ibn ʿArabī raconte notamment dans son Rūḥ al-quds sa première rencontre
avec l’ouvrage : “je n'avais alors jamais vu la Risāla d'al-Qushayrī ni aucun ouvrage semblable et j'ignorais ce
que signifiait le mot taṣawwuf (‘soufisme’)”. Si celle-ci n’est citée qu’une seule fois — qui plus est de manière
critique — dans les Futūḥāt (ch. 150), il semble que la section consacrée aux muʿāmalāt (du ch. 74 au ch. 188)
soit calquée sur la structure de la Risāla, cf. Michel CHODKIEWICZ, Mi’râj al-kalima. De la Risâla Qushayriyya
aux Futûhât Makiyya, dans Todd LAWSON (éd.), Reason and Inspiration in Islam. Theology, Philosophy and
Mysticism in Muslim Thought. Essays in Honour of Hermann Landolt, Londres/New-York, I.B. Tauris/The
Institute of Ismaili Studies, 2005, p. 248-261.
106
James W. MORRIS, Listening for God: Prayer and the heart in the Futûhât, dans Journal of the Muhyiddin
Ibn 'Arabi Society, 13, (1993), p. 20. Pour une analyse détaillée du rapport étroit entre Ibn ʿArabī et le texte
visaient d’abord à améliorer l’accomplissement des actes cultuels par les outils de
l’introspection, les prescriptions religieuses semblent être inversement, chez Ibn ʿArabī, des
occasions privilégiées de rencontrer le Divin par l’introspection : « Nous vidons nos cœurs de
la pensée réflexive, et nous nous asseyons avec Dieu sur le tapis des convenances (adab) et de
l’introspection (murāqaba) »107.
Comme on le voit dans ces brèves évocations de son utilisation du qalb, Ibn ʿArabī
reste à la fois fidèle aux conceptions et aux objectifs de ses prédécesseurs, tout en
approfondissant et en détaillant considérablement les enjeux et les conséquences pratiques liés
à la conception du cœur comme miroir de Dieu. Le Shaykh al-akbar semble ainsi absolutiser
la nécessité introspective liée aux actes d’adoration, tout en restant fermement ancré à
l’observance de la sharīʿa. Ainsi, comme l’illustre son fameux poème cité plus haut, la
véritable connaissance du cœur transcende pour Ibn ʿArabī toutes les formes de limitation, y
compris celles qui découlent des oppositions liées à la différence des lois religieuses. En effet,
si celles-ci restent absolument nécessaires, elles pointent bien toutes vers une vérité unique :
« La Science reçue par révélation divine (ʿilm ladunnī ilāhī mashrūʿ) n’a qu’un seul goût.
Même si les endroits où elle est bue diffèrent, ils ne diffèrent pas quant à leur qualité : qu’ils
soient bons ou meilleurs, ils sont tous purs, sans corruption (…) Car les prophètes et les saints
— et quiconque nous informe de Dieu — disent tous la même chose à propos de Dieu (…) Ils
ne diffèrent pas entre eux et se confirment mutuellement, tout comme la pluie pure ne diffère
pas lorsqu’elle tombe du ciel »108.

Conclusions

Après ce trop bref survol — tant les auteurs et les œuvres mentionnés mériteraient chacun
qu’on se penche en profondeur sur leur conception du qalb — il nous semble qu’émerge
clairement une entreprise commune de formulation de l’intelligence du cœur au fil des quatre
siècles abordés. On pourrait en effet voir, de Tirmidhī à Ibn ʿArabī en passant par les
spécificités d’Al-Makkī, Al-Qushayrī ou Ghazālī, un projet commun de fondation du sujet
spirituel, inséparable de la nécessité impérieuse d’habiter l’espace circonscrit par la sharīʿa.
De cette façon, parce qu’ils ont été remarquablement capables de donner à cet espace une
perspective d’une profondeur qui semble inatteignable par bon nombre de penseurs

coranique, cf. Michel CHODKIEWICZ, Un océan sans rivage : Ibn Arabî, le livre et la loi (La librairie du XXIe
siècle), Paris, Seuil, 1992.
107
Fut., Ch. I, cité dans ibid., p. 27.
108
Fut., Ch. LXVIII, cité dans ibid., p. 41.
musulmans contemporains, l’étude de ces auteurs semble dégager des ressources actualisables
sur les questions d’épistémologie et de psychologie religieuses. D’autre part, la notion
d’intelligence du cœur — précisément parce que sa recherche du centre de la conscience chez
l’homme est universelle — offre également des perspectives solides et fertiles pour le
dialogue inter-religieux. Citons à titre d’exemple la centralité de la « prière du cœur » dans
l’hésychasme chrétien, telle qu’elle est notamment développée dans la Philokalia109.
On pourrait ainsi voir, dans la définition du cœur telle qu’elle se dessine chez ces
penseurs du soufisme, la fondation d’une véritable éthique de l’intersubjectivité. Ghazālī
déclare d’ailleurs en ce sens dans son Iḥyāʾ : « Si l’homme connaît le qalb, il se connaît alors
lui-même, s’il l’ignore, il s’ignore et ignore également autrui »110.

Gregory Vandamme (Université catholique de Louvain)

Bibliographie
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109
Jean-Yves LELOUP, Écrits sur l'Hésychasme. Une tradition contemplative oubliée (Spiritualités vivantes),
Paris, Albin Michel, 1990 ; et Seyyed Hossein NASR, The prayer of the heart in Hesychasm and Sufism, dans
Greek Orthodox Theological Review, 31, (1986), p. 195-203. On y rencontre en effet le cœur comme centre de
l’homme, siège de l’intelligence et de la volonté dans lequel convergent toutes les forces de la vie humaine. En
tant que lieu de l’intellect, le cœur est dans l’hésychasme le seul moyen de connaître l’Esprit et de voir la réalité
telle qu’elle est. Or, c’est par l’invocation permanente de la “prière du cœur” — qui n’est pas sans rappeler le
dhikr du soufisme — que le cheminant hésychaste le nettoie de ses préoccupations mondaines, ibid., p. 197-199.
110
KEBE, Al-Ġazālī et la problématique du rapport entre les notions de ʿaql, de nafs, de rūḥ et de qalb, p. 179.
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