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2005/2 no 12 | pages 45 à 68
ISSN 1623-3883
ISBN 2-7492-0413-5
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-figures-de-la-psy-2005-2-page-45.htm
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1 – Dans les premiers textes des Écrits et pendant les premières années des
Séminaires, le terme « aliénation » est utilisé pour rendre compte du rapport spé-
culaire du sujet à l’image – que ce soit celle du « moi idéal » ou celle du
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double/rival. Mais Lacan dit également, dès le départ, que le sujet est aliéné au
signifiant. L’autre auquel le sujet s’aliène n’est pas seulement celui de l’image, il
est l’Autre du symbolique. On a clairement affaire chez Lacan à un processus
« psychogénétique » où la constitution du sujet est pensée selon une tempora-
lité à forte inspiration hégélienne.
3 – Après 1969 (Séminaire XVI), Lacan n’utilise plus le terme « aliénation » dans
ses Séminaires. Nous pensons que le changement porte sur l’objectif de sa théo-
risation, dès lors plus centré sur la jouissance et les discours. Dans ce contexte,
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Notre intention n’est pas, dans ce travail, de retracer tout le parcours his-
torique du concept d’« aliénation » chez Lacan, même si la tâche nous semble
légitime et reste encore à faire. Notre dessein est de parcourir – même si cela
n’est pas fait comme il se devrait réellement, à savoir de manière exhaustive –
les principales lignes de force du développement de l’« aliénation » chez
Lacan.
– Il n’est pas une donnée biologique. Il est l’effet du rapport à autrui, progressi-
vement : miroir (moi idéal), semblable (autre) et culture (Autre), comme dans la
progression de la phénoménologie hégélienne ;
Nous observons que, même si parfois Lacan réduit l’« aliénation » à une sorte
de fausseté imaginaire du sujet, aucun de ces termes – aliénation, imaginaire et
moi – n’est envisagé uniquement de manière négative dans sa doctrine méta-
psychologique. La forme dérisoire qu’il utilise par rapport à son vocabulaire peut
être considérée comme faisant partie de son travail critique. Cependant, il est
nécessaire de récupérer aussi la potentialité interprétative de l’« aliénation » en
démontrant son extension conceptuelle.
Dans la lecture faite par Erik Porge (2000) du texte « Le stade du miroir
comme fondateur de la fonction du Je », l’on retrouve l’indication que, à partir
des différentes versions connues du texte, il faut différencier deux moments
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étranger que n’importe quel autre, car il est effectivement la médiation d’un
autre qui lui fournit la base identificatoire nécessaire à l’établissement, à travers
l’aliénation, d’une image du moi.
Encore dans ce Séminaire à propos des psychoses, Lacan reprend ses élabora-
tions sur la structure paranoïaque du moi, de l’aliénation imaginaire fondatrice
du sujet, et ce afin de se questionner sur ce qui se passe de différent dans l’« alié-
nation psychotique ». Autrement dit, si selon le modèle de la psychogenèse – sus-
mentionné –, la paranoïa est une aliénation constitutive, pourquoi devient-elle
pour certains une expression propre du sujet ? Les arguments avancés par l’au-
teur vont dans le sens de penser le rapport entre la forclusion du signifiant du
Nom-du-père et les altérations découlant des supports imaginaires et symbo-
liques du sujet, c’est-à-dire dans le rapport du sujet à l’autre/Autre. Le problème
de la psychose apparaît alors comme une difficulté interne au parcours de l’alié-
nation dans la constitution du sujet. En l’absence du signifiant du Nom-du-père
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Ainsi, nous pouvons lire chez Lacan le mode suivant d’indication de la pro-
blématique propre à la psychose dans ce contexte :
Ainsi, il y a dans cette période des élaborations de Lacan deux approches qua-
siment antagoniques de l’aliénation : celle dite « radicale », où le signifiant appa-
raît forclos, et celle médiée par le signifiant, constitutive du moi et du désir. À
titre de précision, nous pourrions ici recourir à la distinction entre Entäusserung
et Entfremdung, effectuée par Jarczyk et Labarrière (1986 ; 1996) dans la traduc-
tion de l’œuvre d’Hegel. Le second terme serait le plus approprié dans le cas de
la psychose, où ce qui est aliéné ne revient pas réflexivement au sujet – ne fait
pas dialectique, selon la conception hégélienne –, se perd comme non-moi. Alors
que, dans la névrose, il s’agirait du processus de Entäusserung, où le non-moi
revient comme autre du sujet, base imaginaire du moi dont le désir est aliéné à
l’image de satisfaction du semblable.
Séminaire XX, « La femme n’existe pas » et « Il n’y a pas de rapport sexuel », sont
les plus connues. Ainsi que les considérations du psychanalyste sur « Science et
vérité » par exemple, qui en découlent. Ce qui nous intéresse ici est de mettre
l’accent sur un éloignement par rapport à l’influence hégélienne, décisif dans la
production de Lacan. Dans un travail portant sur le dialogue entre Lacan et
Hegel, Zizek (1988) souligne que l’introduction de l’Autre barré en psychanalyse
remet la référence au texte hégélien au second plan. Selon l’auteur, l’Autre barré
est « un Autre anti-hégélien par excellence » (p. 97). Et ce parce qu’il inscrit l’im-
possibilité constitutive d’une réalisation symbolique consommée, d’une significa-
tion conclue. Cela implique, en termes de dialectique hégélienne, l’impossibilité
du savoir absolu par l’interposition d’un réel-impossible – le manque d’au moins
un signifiant – qui bloque la dialectisation symbolique.
Dans ses Séminaires sur Hegel, Kojève (1947) reprend la figure du maître et
de l’esclave comme élément interprétatif de tout le processus en cause dans la
Phénoménologie de l’Esprit. La question principale se situe dans l’émergence du
champ « intersubjectif » et dans la dépendance et la rivalité mutuelles dans le
rapport de désir. Si Lacan et Kojève ont tous deux entrepris de travailler sur Hegel
et Freud, c’est parce qu’il y avait – suppose-t-on – quelque chose de cette struc-
ture du désir chez Hegel que Lacan identifiait comme étant très proche des éla-
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Hyppolite (1966), quant à lui, suit plus directement la lettre hégélienne, en s’oc-
cupant surtout, dans le dialogue avec Lacan, de la structure du processus dialec-
tique. Son intervention la plus connue dans le Séminaire du psychanalyste porte
justement sur la relecture du texte de Freud « La négation » (Freud, 1925/1998).
Dans son commentaire, Hyppolite met l’accent sur le mot dialectique de Hegel uti-
lisé par Freud : Aufhebung. En citant Freud, Hyppolite affirme que « la dénégation
est une Aufhebung du refoulement » (p. 881), c’est-à-dire une négation, une sup-
pression, mais aussi une conservation. En un mot, une suspension.
Ainsi que nous venons de le voir, Hyppolite aide Lacan à lire Freud avec Hegel
à partir de l’analyse de cet opérateur du langage présent chez les deux auteurs
allemands : la négation. Si, pour Freud, elle est une figure privilégiée du langage
pour rendre compte des médiations entre conscient et inconscient, pour Hegel,
elle est le point où langue et structure se rencontrent, l’un et l’autre se trans-
mettant mouvement et tension.
De fait, même si, sur ce point, Lacan ne va pas directement dans le sens de
l’ontologie hégélienne, qu’il critique dès le départ, tout comme Heidegger, il la
transforme en une théorie de la signification. Le texte « La signification du phal-
lus » nous paraît à ce titre exemplaire. Sa définition du « signifiant phallique »
suit directement la lettre hégélienne :
Dans cette formule du fantasme, l’opérateur (◊), la ponction, est appelé « vel
de l’aliénation ». Lacan souligne que l’aliénation en psychanalyse – à la différence
de son usage courant, sur lequel il ironise – est la propriété du langage par lequel
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Tel est le rapport entre « S » et « a » : « Il n’y a pas de sujet barré, clivé par le
discours, sans objet a ». Si l’on choisit de rester avec l’objet, de ne pas le perdre,
c’est la condition même de sujet qui est perdue, et avec elle toute possibilité d’ac-
cès à la dimension de jouissance, d’accès à une satisfaction pulsionnelle possible.
Le choix de la perte de l’objet, et donc du clivage opéré par le désir, rend le par-
lêtre orphelin d’une satisfaction mythiquement projetée. L’« objet a », dans la
formule du fantasme, représente donc le chiffre de la jouissance perdue, décou-
lant de l’inscription du sujet dans le discours et dans la signification phallique
qu’une telle inscription comporte. Il indique le sens, la direction vers laquelle le
sujet se dirige à la recherche de la satisfaction et qui garantit un « sens », une
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À partir de cette structure logique, le seul choix possible, d’après Lacan, est
celui de la réunion. Se valant de la théorie des ensembles, l’auteur la situe comme
option pour ces éléments qui appartiennent simultanément aux deux
« ensembles » – de l’Être et du Sens ; autrement dit, le choix pour les éléments
réalisant en soi la forme logique de l’aliénation. Toutefois, cette rencontre n´est
possible que par la médiation de la négation. Et ce parce que ce qui les lie entre
eux est le partage de leurs manques, de l’inscription de ce qui, pour chaque
ensemble, apparaît comme négativité. En qualité d’Être et Sens, ces éléments cor-
respondent précisément au « non-sens ». Dans le langage, la figure du non-sens
est le lieu où Être et Sens se réalisent de manière négative, par un effet de ren-
contre entre eux. En d’autres termes, le non-être du sens et le manque de sens
de l’être se cristallisent simultanément sur la même figure : le non-sens. Cette
figure présentifie Être et Sens, $ et a, sujet et Autre, par l’incidence mutuelle de
la négation que promeut l’effet de la réunion, de la superposition.
reste qui ne peut être subsumé sous la réunion ; reste un « plus-de-jouir », exclu
de l’univers de la représentation et auquel le symptôme tente de suppléer. De là
la proposition freudienne affirmant que « les symptômes sont la vie sexuelle des
névrotiques ». Car c’est effectivement dans ce lieu, dans le lieu où manque le rap-
port entre les sexes que le symptôme s’écrit (Lacan, 1972-73/1975).
Dans cette explication de la lecture de Freud, Lacan indique que l’« objet
extérieur » composant le champ du plaisir (Lust) empêche, réprime dans le Moi
(Ich) sa tendance à l’homéostase, à la mort (p. 218). C’est dans le réfléchissement
du moi dans l’objet, fruit de la réflexivité dans la grammaire pulsionnelle, que
Lacan situe le narcissisme comme défense contre la jouissance mortifère. Par le
support du miroir, l’objet a est chiffré – f, objet imaginaire. La solution du nar-
cissisme implique par conséquent l’inclusion de l’objet externe dans le champ du
sujet, de sorte que le Moi équivalle au – f, objet imaginaire de l’Autre.
rien” – que gît le point qui introduit la dialectique du sujet en tant que sujet de
l’inconscient » (Lacan 1964/1973, p. 228-229).
D’après Lacan, la fin d’une analyse serait marquée par le décollage entre
objet a et – f. Dans un certain sens, cela implique le démontage de la métaphore
phallique, processus que l’auteur désigne comme étant celui de la « destitution
subjective ». Donc, si la référence au phallus permet, par l’effet d’aliénation, une
représentation du réel dans le discours, il introduit conjointement la dimension
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Une telle conception de fin d’analyse implique aussi que nous puissions
imaginer le dépassement du registre de l’Unlust comme effet de la soumission
de l’objet a au principe du plaisir. Cela revient à dire que le démontage de la
métaphore phallique n’implique pas un retour au narcissisme originaire. Il
s’agit d’abord d’un processus de désubjectivation de la pulsion, par lequel le
registre du manque dans le discours est rendu indépendant de la production
de la jouissance.
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LE CONCEPT D’ALIÉNATION EN PSYCHANALYSE 67
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LACAN, J. 1969-1970. Le Séminaire – Livre XVII : L’envers de la psychanalyse, Paris, Le Seuil,
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LACAN, J. 1951. « Intervention sur le transfert », dans Écrits, op. cit.
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Écrits, op. cit.
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ZIZEK, S. 1988. Les plus sublimes des hystériques – Hegel passe, Paris, Point Hors Ligne.
RÉSUMÉ
Cet article parcourt les principales lignes de force du développement du concept d’« alié-
nation » chez Lacan. Dans la littérature psychanalytique en général, le mot « aliénation »
est fréquemment utilisé pour parler du rapport du sujet au registre de l’imaginaire. En uti-
lisant ce terme, Lacan construit un concept propre de « sujet », différent du moi psycholo-
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gique, en respect à la lettre freudienne. Mais, c’est seulement dans le Séminaire XI qu’il va
développer les fondements d’une nouvelle conception de l’aliénation, une conception pro-
prement psychanalytique, différente de celle héritée de Hegel. Elle devient l’élément fon-
damental pour situer les rapports entre sujet et Autre, le point d’articulation entre la cli-
nique et l’analyse du lien social.
MOTS-CLÉS
Aliénation, Lacan, Hegel, histoire de la psychanalyse, constitution du sujet.
SUMMARY
This article traverses the principal lines of the development of the concept of «alienation»
in Lacan. In the psychoanalytical literature in general, the word «alienation» is frequently
used to speak about the report of the subject to the imaginary register. By using this term,
Lacan built a concept of «subject», different from ego psychological, in respect with the
freudian letter. But, it is only in Seminar XI that will be developed the bases of a new design
of alienation, a properly psychoanalytical design, different from Hegel’s inheritance. It
becomes the fundamental element to locate the relationship between the subject and the
Other, the joint between the private clinic and the analysis of the social bond.
KEY-WORDS
Alienation, Lacan, Hegel, history of the psychoanalysis, constitution of the subject.
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