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LE JEU DRAMATIQUE, OBJET D'UN ESPACE DE CREATION A CREER

Gérard Chimisanas
ERES | « Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe »

2016/1 n° 66 | pages 121 à 132


ISSN 0297-1194 ISBN 9782749251318
Article disponible en ligne à l'adresse : https://www.cairn.info/revue-de-psychotherapie-
psychanalytique-de-
groupe-2016-l-page-121.htm

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Revue de psychothérapie
psychanalytique de groupe 66

LE JEU DRAMATIQUE, OBJET D’UN ESPACE


DE CRÉATION À CRÉER1

GÉRARD CHIMISANAS

Le jeu dramatique est une médiation permettant à des enfants âgés de 6


à 12 ans, accueillis en centre médico-psychologique, de mobiliser
l’associativité groupale et les processus de symbolisation. L’expression
subjective de chacun, recueillie et analysée par les entours institutionnels,
soutiendra un processus de transformation.
Le jeu dramatique trouve sa place en prérequis du psychodrame, dont il
est la médiation, sans en solliciter une parole personnelle. Il peut se situer
après un atelier contes dont il développe la prise de rôle et la créativité dans
la construction du récit. Il engage l’ensemble de la présence dans les
processus de représentation.
Nous allons présenter quatre enfants qui ont participé à un atelier de jeu
dramatique en CMP, nous les retrouverons à la fin de notre propos.
Angèle, 7 ans, vit avec ses deux parents et sa sœur puînée. A l’école elle
se montre figée ; pour entendre sa voix, il faut se rendre près d’elle. Elle
présente une inhibition sévère qui nous paraît dépendre, pour une grande
partie, du contexte familial pour lequel un travail de la parentalité s’amorce.
Cortot, 10 ans, vit avec ses deux parents et sa sœur. A l’école, son corps
est là mais son psychisme est ailleurs, il ne se relie pas aux autres ni aux
apprentissages. Il parle et parle sans cesse, sans que l’on puisse savoir où il
se trouve. Son corps presque liquide glisse sur ses appuis, seuls ses yeux et
sa bouche, faisant des commentaires, semblent tenir à être là. Le chapelet
des mots qui défilent fait écume sur l’étendue dépressive de son corps.
Flore, 11 ans, fait partie d’une grande famille regroupée autour de la
mère. Flore vit hors de son corps qui la dépasse et l’enrobe, hors de sa vie et
de ses ressentis. Son attention et sa curiosité se portent sur l’organisation de
son environnement, elle tient une chronique des faits

Gérard Chimisanas, psychologue clinicien, éducateur spécialisé, analyste de groupe et


psychoclramatiste à Toulouse ; gerard.chimisanas@orange.fr
1. L’article émane et renvoie pour approfondissement à mon ouvrage Un atelier théâtre en CMP. Un
groupe thérapeutique et éducatif pour enfants, Toulouse, érès. Sa préface de R. Puyuelo a inspiré
certains des titres de paragraphe.
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et gestes des gens qu’elle côtoie, en recherche de se lier aux autres et dans
l’illusion de maîtriser leur vie, sinon la sienne.
Yann, 10 ans, vit avec sa mère et ses deux sœurs. Sa scolarité
s’essouffle, il n’arrive pas à s’investir et à construire les apprentissages.
Dans les relations, il alterne la recherche d’un lien affectif et des ruptures
qui prennent à l’école la forme de fugues. Il voudrait être le premier, le
meilleur, le chef, mais il ne sait pas se diriger lui-même, il ne sait pas ce que
c’est qu’un chef, si ce n’est de l’attendre comme un fils attend son père.

DISPOSITIF CLINIQUE

Le jeu dramatique est constitué d’improvisations qui se déroulent dans


un cadre qui est défini sommairement à partir de situations de vie connues
des enfants (un repas familial, une situation dans un ascenseur, un
déplacement en voiture...).
Dans ce cadre, les enfants jouent selon leur propre fantaisie, leur propre
expérience des situations avec pour consigne de faire semblant et de prendre
en considération le jeu des autres. Le meneur de jeu amène des péripéties
qui font évoluer le jeu dans le temps et soutient la poursuite de la situation
choisie. Il rappelle l’interdiction de la violence et incite à écouter et s’insérer
dans le déroulement du jeu, une improvisation partagée.
Dans la phase de constitution du groupe, nous proposons des jeux 2 de
rapprochement corporel et d’écoute mutuelle. La vague consiste à faire une
ligne, épaule contre épaule, les yeux fermés, en avançant doucement, au
même rythme, tout en restant en contact. Dans le jeu des nœuds, une
ribambelle est constituée, les enfants se tiennent par la main et
s’enchevêtrent en passant sous leurs bras reliés, un joueur resté hors du
groupe doit dénouer le fil du groupe. Le téléphone secret permet de
transmettre un message de bouche-à-oreille et d’expérimenter pour chacun
les conditions d’une bonne transmission. La bouteille réunit le groupe
autour d’un participant qu’il contient comme une bouteille contient un
liquide qui épouse sa forme.
Le jeu dramatique constitue un principe de facilitation pour aborder la
pratique théâtrale. Le premier aménagement tient à l’exposition de l’acteur,
à la confrontation qu’organise la scène entre acteurs et spectateurs. Dans les
premiers temps de l’atelier, tout le monde est sur scène, les adultes s’offrent
comme modèle pour investir cet espace de liberté par des clowneries,
imitations d’animaux, attributs fantastiques, personnages prestigieux et
admirés... Le deuxième aménagement tient à la consigne, dans sa
formulation et son contenu. Elle doit être la plus simple possible et faire
référence à des situations vécues dans
lesquelles l’enfant a acquis des habitudes, une routine. L’enjeu est de ne pas
solliciter les fonctions cognitives de l’enfant, et ainsi sa peur d’échouer à
comprendre et réaliser la consigne, en l’amenant vers une spontanéité du jeu
sans réfléchir, pour le moment.
Le meneur de jeu fait évoluer le jeu par son propre personnage ; en étant
dans le jeu, il conduit le jeu. Il offre au groupe ses capacités réceptives,
2 Les jeux sont inspirés des ouvrages d’A. Héril, D. Mégrier (2004), ainsi que M. Reynaud (2006), de
nos propres formations de l’acteur et des aménagements que nous y avons apportés.
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imaginatives et de symbolisation pour lier les représentations dans l’instant
et le déroulement du temps. Le récit va fonctionner comme un rêve commun
où chacun pourra y développer ses propres lignes associatives.

MISE EN JEU

L’expression personnelle autorisée par l’entremise de consignes


données par le meneur de jeu permet aux enfants de lever des inhibitions
visant à contrôler leur agressivité et le regard des autres. Dans la prise d’un
rôle, l’acteur va utiliser le langage. Il aura le plaisir d’orali- ser sans que sa
verbalisation ne l’expose. Il va devoir s’imprégner du sens et faire appel à
son propre vécu. C’est à ce moment-là que, par déplacement et
condensation, ce qu’il dit par le personnage va le représenter
personnellement.
Le jeu aménage une accointance entre réalité sociale et réalité psy-
chique. C’est le vécu de liberté dans cette transition qui va faire éprouver à
l’enfant un sentiment de se créer lui-même, « chemin faisant ».
Dans le travail de dramatisation, l’enfant devenant acteur incorpore un
sentiment, une attitude, un acte et tend à le représenter par une mobilisation
psychique émotionnelle et corporelle. Ce cheminement amène un vécu de
mantèlement des sens, une réunification de la personne, un sentiment
d’identité. Cela permet à l’enfant d’appréhender son vécu interne, de
l’observer, d’y mettre des mots, de se relier aux autres par une expression
des émotions, des sentiments. L’enfant acteur fait l’expérience de sa
capacité à contrôler des affects et des actes.

MISE EN CORPS

Lors de l’entrée dans l’atelier, il s’agit de signifier la spécificité de ce


lieu où on peut faire des choses que l’on ne peut pas faire ou plus faire dans
le milieu familial et social. Le jeu des cris des animaux favorise la levée de
l’inhibition, il permet d’exister sur la scène, de moduler sa voix, sa présence
corporelle. Jouer l’animal nous autorise à penser la pulsionnalité qui nous
constitue. Jouer les animaux marins nous permet d’avoir le corps soutenu,
de l’envelopper en roulant au sol et de le dissimuler en partie à la vue des
autres. La ronde lexicale des mots du corps permet d’autoriser la
dénomination et la reconnaissance de toutes ses parties même les plus
excitables et excitantes qui sont peu évoquées socialement et ainsi d’en
favoriser la représentation. Nous organisons
des jeux de colère où les acteurs expriment leur mécontentement en
proférant des noms de légumes en lieu et place de jurons et insultes. Nous
sollicitons également la régression en jouant des personnages de très jeunes
enfants. Cette prise de liberté nécessaire au travail de l’atelier théâtre doit
être initiée, figurée, jouée par les adultes afin que les enfants puissent
prendre appui et se laisser aller à leur propre fantaisie.
Le théâtre prescrit le jeu des émotions, il leur donne un nom dans une
situation où elles sont investies. L’acteur fait naître l’émotion dans son
corps, il n’est pas envahi par son surgissement, il la convoque. Cette
expérience aide à relier représentation et affect et constitue ainsi un espace
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interne de soi-même.
Les enfants qui regardent les autres jouer sont nourris des idées qu’ils
perçoivent dans le jeu qui se déroule, cela leur permet d’identifier des
émotions et des sentiments. La figurabilité des autres est comme un miroir
pour eux-mêmes.
Dans le jeu dramatique l’acteur joue et créé un personnage et, à travers
lui, il s’exprime. C’est sa propre créativité qui se développe. Il extériorise
son vécu, sa personnalité transparaît dans ses actes et paroles. Il tient un rôle
auquel ses expériences personnelles, ses émotions, ses pulsions propres vont
donner corps dans la création collective.
Ce dispositif aide à l’expression des affects par un surinvestissement de
l’action et de la perception. Cette réflexion perceptivo-motrice construit une
enveloppe corporelle ayant fonction de pare-excitation et de contenant pour
penser. Par le geste, le rythme, le ton, le jeu fait lien entre l’expression du
corps et la parole. La signifiance des échanges verbaux est soutenue dans
l’incarnation du discours par le jeu.

MISE EN ACTE

Afin de mobiliser l’imaginaire, nous proposons des jeux qui tendent à


être des médiateurs facilitant l’expression de la fantaisie comme le jeu des
cadavres exquis mis en vogue par les surréalistes. Il s’agit de construire des
phrases fortuitement, chaque personne donne un sujet, un adjectif, un verbe,
un adverbe et un complément d’objet. Le dispositif de jeu permet de brasser
les mots de tous et produit des phrases qui nous amènent vers des situations
connues, envisageables, incongrues ou fantastiques que nous allons ensuite
essayer de jouer.
Les rondes et les joutes lexicales favorisent l’expression spontanée et
l’imagination. Il s’agit de dire les mots d’un domaine spécifique, par
exemple les prénoms, les objets de la cuisine, de la salle de bains jusqu’à
l’épuisement de l’évocation. Dans la ronde, le groupe est en cercle et la prise
de parole se transmet en adressant un mot à son voisin. Pour la joute, deux
joueurs se font face en s’adressant des mots le plus rapidement possible
jusqu’à ce qu’un des deux joueurs reste coi. Le dispositif de l’atelier permet
et suscite une écoute de l’intention créative des autres acteurs et favorise
ainsi les processus identificatoires.
L’identification est le point de départ de la construction du personnage.
L’acteur puise dans son vécu et ses relations les incarnations nécessaires
pour apparaître dans le jeu. Cet investissement va faire revire des affects
dont certains demeurent enfouis et en manque de représentation. Cette
réminiscence, dans le cadre élaboré de l’atelier, va produire reconnaissance
et identification de l’affect amenant à une meilleure appréhension de la
réalité interne. Le jeu dramatique favorise ainsi l’amorce d’une réélaboration
de ce vécu qui pourra être secondairement investi dans un espace social. Le
but de l’atelier n’est pas de provoquer des décharges affectives ni une
libération anarchique des sentiments, ceux-ci sont pris en compte dans un
accompagnement clinique qui progressivement en permet l’émergence.
L’acte, tel qu’il est institué ici, n’est pas un court-circuitage du penser
mais le passage obligé pour y accéder par l’étayage sur le corps et la
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gestuelle qui permet de déployer dans l’espace ce qui va par la suite
s’inscrire dans le temps.

MISE EN REPRÉSENTATION

L’espace scénique offre un cadre à la représentation, la fiction fait


office de limite, chacun pouvant se laisser aller à son personnage sans courir
le risque de s’y perdre. La scène est délimitée par les murs de la pièce et le
banc des spectateurs. Par son cadre et son exposition, elle est une matrice de
la fonction symbolique. À l’instant où l’acteur entre sur scène, il s’expose
aux regards et, au-delà des personnes présentes, il signifie, de manière plus
ou moins consciente, son appartenance au monde et ses aspirations de
reconnaissance vis-à-vis de personnes significatives pour lui.
Dans un cadre thérapeutique, par la médiation du jeu, la personne fait
l’expérience du passage entre passé et présent, entre mondes interne et
externe, liaison entre sensation, affect, perception et représentation. C’est la
symbolisation primaire qui sera réactivée dans l’aire intermédiaire du
comme si du jeu dramatique. La présence du corps et la sensorialité partagée
par les acteurs et thérapeutes permettront un accès plus aisé aux traces
mnésiques perceptivo-motrices restées hors symbolisation.
Dans l’atelier de jeu dramatique, pour faciliter la conscience de la
fonction de représentation adressée à autrui, nous isolons les différentes
modalités expressives verbales, émotionnelles, affectives, corporelles,
gestuelles, posturales. Le jeu du miroir où dans un face-à-face de deux
joueurs, l’un reproduit les gestes de l’autre. Le jeu des ambassadeurs ou des
émissaires d’un pays étranger doivent se faire comprendre par leurs gestes.
Le jeu du gromelo où on doit s’exprimer avec des mots qui n’ont aucun sens
mais dont la prosodie va dénoter un sentiment. Le cercle des émotions dans
lequel il faut présenter sur son visage une émotion dès que l’on est entré
dans un cercle tracé au sol.
Le travail de symbolisation figuré et adressé à autrui pourra par le
langage revenir vers le joueur pour constituer sa pensée.

MISE EN RÉCIT

Le jeu se déploie dans un temps et un espace définissant des rôles, des


places et un enchaînement de faits liés entre eux qui se constituent en récit.
Cette construction narrative condensée sur la scène théâtrale, dans un même
lieu et un même temps, permet une compréhension de séquences qui, dans la
réalité, requièrent une longueur de temps et divers espaces successifs qui
doivent être perçus et reliés par la pensée du sujet. La narrativité est un
processus de restauration de la capacité à donner du sens, à fabriquer des
objets internes affectivement gratifiants, manipulables mentalement et
partageables dans l’intersubjec- tivité. Elle permet de supporter la
désillusion ineffable et de retisser l’élan vers la rencontre avec la réalité et
autrui dans l’expectative du plaisir renouvelé de la découverte.
En habitant divers personnages et leurs attributions, l’enfant acteur se
met à la place d’un autre, se projette dans l’avenir, nourrit son imaginaire et
épanche ses fantasmes dans la composition collective.
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MISE EN SCÈNE ET SCÉNOGRAPHIE

L’acte prescrit par le jeu dramatique organise la présence et la rencontre


avec les autres. C’est un dispositif perpendiculaire face à la médiation et à
côté d’autrui. Dans le jeu dramatique, l’enfant n’est pas seul à improviser
son propre rôle, les autres participants y contribuent aussi. Nous retrouvons
ici l’importance des relations intersubjectives. La co-improvisation est une
voie d’entrée pour aborder l’intentionnalité, car dans le jeu dramatique, le
contexte et les personnages étant définis d’emblée, cela permet une
disponibilité pour aborder ï’expression subjective. Le travail de la co-
improvisation permet à l’enfant de s’identifier aux autres et de mieux tolérer
l’aléa, l’inopiné, l’insu dans la rencontre et la durée nécessaire pour la
construire.
La médiation du jeu dramatique et la vie du collectif en général vont
produire un fil du propos qui ouvrira des possibilités de signification
approfondie et nouvelle par l’association des verbalisations et des actes de
chacun. Certaines représentations inconscientes qui, jusque-là, n’ont pas pu
trouver les voies d’accès vers le préconscient peuvent, grâce à l’inter-
discursivité groupale, devenir disponibles et utilisables.
Les processus associatifs inconscients sont à l’œuvre par des figurations
symboliques du corps et les échanges entre les participants, par des
mimiques, des regards, des attitudes. Ils sont réorganisés par un contenu
explicite que le groupe va produire. Nous favorisons ce passage, cette mise
en forme en donnant une figuration, un récit à ce que les enfants expriment
spontanément de leur quête et de leurs défenses.
Ces actes théâtralisés constituent la « mise en scène » des angoisses et désirs
inconscients des participants.
Karl a joué Rasemurus, un personnage qui s’appuyait toujours sur
quelque chose comme lui-même dans l’atelier. Angèle jouait des
personnages ayant des prérogatives, de l’autorité et recevant de l’admiration
comme son désir semblait l’espérer dans la réalité. Flore veut jouer une
maîtresse d’école toute-puissante, Sam est Indiana Jones, un aventurier
sans peur, Cortot est Monsieur Loyal, celui qui présente chacun et fait le
lien entre tous.
Ce processus de dramatisation accompagne l’inclination de la personne,
l’expression de son cadre interne. C’est la figuration, le déplacement de
l’humour qui nous donne la souplesse de toucher sans atteindre.
L’identification suscitée et conduite par et dans le jeu permet au sujet
d’endosser un rôle qui l’amène à questionner le système d’identifications
inconscientes dont il est constitué.
Telle cette situation à la cantine où trois enfants jettent de la nourriture
alors qu’une personne de service et un surveillant tentent de les arrêter. Les
deux adultes, joués par les enfants, n’arrivent pas à se faire entendre. Les
enfants prennent beaucoup d’aise et de plaisir à transgresser les règles. Les
deux adultes, joués par des enfants, sont impuissants à se faire entendre mais
tiennent toujours leur rôle sans démissionner ou intervenir par la force. Le
jeu se déroule d’une façon continue et intense.
Quand le jeu est fini, les enfants s’installent en cercle, avec nous, mais
d’une façon plus resserrée, plus cohésive, plus attentive. Leur visage indique
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une satisfaction qu’ils ont pu partager.
Le jeu s’est déroulé entre enfants et chacun d’eux a pu y trouver une
réalisation symbolique au travers du rôle qu’il a tenu par une transgression
sans remords pour les rôles des enfants et le vécu de l’impuissance et de la
destitution pour les rôles des adultes. La compréhension de la situation par
les enfants opère par la scène jouée et leur propre investissement dans le
rôle. Le jeu a donné expression aux fantasmes partagés par les enfants.

CLINIQUE GROUPALE

Le retour par des périodes très archaïques de la construction de notre


individualité dans un espace contenant et conteneur permet de reprendre les
pathologies dont les assises précoces sont fragiles. Le groupe est un lieu où
vivre et revivre des angoisses.
L’expression de ses angoisses et désirs par le participant au groupe est
l’opportunité d’un remaniement psychique. Quand ils ne sont pas trop
envahissants et si le vécu du groupe n’est pas trop chaotique, les adultes
vont pouvoir les entendre et les écouter. Souvent un moment d’attention
soutenue par la sagacité clinique du soignant, par sa capacité à inférer ce que
ressent l’enfant, est suffisant pour que l’enfant
se sente reconnu dans son ressenti et accepte dans son for intérieur de
progressivement le considérer. Quand il est explicité, le sentiment peut être
partagé et faire effet dInsight, de compréhension soudaine. C’est le cas du
sentiment de honte qui est sur le bord des lèvres de certains après quelques
semaines de présence dans l’atelier théâtre. À la charnière de l’impuissance
et de la faute, ce sentiment naît de l’approche que fait l’enfant de son désir
inconscient de se montrer, d’être admiré, d’avoir toute la place et la crainte
des représailles, de ce fait, de la part des autres et également l’enjeu du
risque de « ne pas être à la hauteur » à ses propres yeux. Lorsqu’un enfant
ose le dire, nous le soulignons pour encourager cette prise de conscience et
son partage avec les autres membres du groupe. L’enfant se voit être vu,
comme un dédoublement de sa personne, l’apparition d’un tiers, par sa
réflexivité.
Le groupe thérapeutique constitue un étayage identificatoire pour ses
membres. Il est une scène d’externalisation, de dramatisation et de
transformation dynamique des angoisses et des représentations subjectives.

UN CADRE POUR CRÉER

« Le cadre délimite un espace-temps ouvert pour le jeu. »


Chaque mercredi, au franchissement de la porte de l’atelier théâtre, nous
apparaissaient les limites de son cadre et de son espace disposant le lieu du
jeu de l’acteur, celui du spectateur et de l’observateur suspendant leurs actes.
La disposition temporelle du groupe se déroule sur trois positions : les
retrouvailles, assis en cercle, les différentes étapes du jeu dramatique et le
retour en face-à-face où chacun est invité à restituer quelque chose de la
séance.
Le cadre instaure des seuils, des passages qui vont favoriser les
changements d’états. Les enfants vont expérimenter que la scène est un lieu
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où la fantaisie de chacun s’exprime selon les codes d’exposition du théâtre.
En jouant un animal, une adulte, une personne d’un autre genre les enfants
vont s’éloigner et s’affranchir de ce que leur indique, leur assigne leur
identité sociale et familiale.
Par sa contenance, sa maintenance, le cadre à une fonction d’atténuation
des angoisses. Il permet le dépôt de l’organisation la plus primitive et la
moins différenciée de la personnalité et favorise ainsi rengagement dans le
jeu.
Le moment du jeu dramatique doit inspirer un respect absolu par
l’environnement de l’acteur. Le sujet est sur le fil des paradoxes entre la
liberté de création et les contraintes internes et externes que le jeu implique.
La consigne le concentre, le cadre le contient, le dispositif le maintien.
RELATION INTERSUBJECTIVE ET FONCTION SOIGNANTE

Le jeu dramatique favorise la création de liens entre les personnes, et à


partir de l’analyse de ces liens peut s’opérer un processus interne de
changement à valeur thérapeutique.
Dans l’atelier théâtre se déploient des affects, des émotions, des
sentiments comme la honte, la peur, la colère, la rivalité, le désir de
rapprochement, l’admiration... Les relations affectives qui vont en naître
seront contenues et accompagnées dans leur expression actuelle et en tant
que transposition de relations antérieures par un phénomène de répétition et
de déplacement. Il s’agit de l’empreinte des relations les plus significatives
qui sont généralement celles avec les parents. La présence de plusieurs
adultes et de plusieurs enfants en groupe restreint renvoie à la figure de la
famille et de ses composantes : la fratrie, le couple parental, les générations.
Le contexte, les modalités de relation, l’environnement contenant sont
propices à un vécu d’intimité suscitant l’expression et les réminiscences des
relations affectives.
La prégnance de ces empreintes affectives est d’autant plus forte que ce
vécu n’aura pu être approprié par le soi, qu’il n’aura pas été symbolisé. Le
travail de soin sera de rejouer symboliquement l’expérience subjective restée
en souffrance, cela vaut particulièrement pour les expériences traumatiques
infantiles. Ces expériences subjectives ont tendance à se représenter dans la
psyché du sujet avec une « fidélité indésirable ». Le déplaisir de cette
prégnance va tendre à s’évacuer par un processus qui est au fondement des
mouvements de transfert. Il désigne le processus par lequel l’enfant fait
inconsciemment avec les praticiens et les enfants du groupe l’objet de
réactions affectives plus ou moins intenses en résonance avec son propre
passé.
Dans l’atelier théâtre, c’est la distance créée par la présence des autres
et le transfert sur l’objet groupe qui vont permettre un dire dans le réceptacle
du cadre de l’atelier qui pourra être recueilli par les praticiens. Ce sont les
possibilités régressives qu’offre le cadre du groupe et les capacités des
praticiens à accueillir, signifier et transformer les mouvements affectifs des
enfants qui seront des leviers de transformation subjective.

JEU ET ENJEUX DES PRATICIENS


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Un groupe thérapeutique amène à relever deux défis majeurs : celui de
constituer un groupe d’appartenance et de conduire son fonctionnement
comme un espace transitionnel d’intimité et un vecteur de changement pour
chacun de ses membres.
C’est une épreuve émotionnelle intense pour le praticien qui participe
pleinement aux émotions groupales pour les catalyser et susciter un
sentiment d’unité groupale. Il doit écouter la dynamique du groupe, les
implications personnelles et maintenir les contenants groupaux. Il
doit travailler sa distanciation au groupe et prendre conscience de ses
propres angoisses, limites et désirs de maîtrise sur le groupe. Il est attentif à
ce qui se passe d’observable et du transfert entre les participants et
également aux figurations du groupe qui renvoie à l’image du corps.
Tous les mercredis, durant la matinée qui précédait l’atelier théâtre, je
pensais à la conduite du groupe, tentant de m’y préparer. Nous nous étions
mis d’accord sur le contenu à proposer mais il restait toujours cette
incertitude sur le comment cela allait se passer. L’appréhension du groupe
était teintée de trac, la vie du groupe devenant la scène du praticien qui vient
y réaliser son savoir-faire. Dans le jeu de relation avec le groupe et chacun
dans le groupe, le praticien va représenter sur la scène du groupe le travail
élaboratif de ses propres limites, ses capacités d’ajustements et de recours à
autrui. Le praticien devenu acteur de son propre rôle s’offrira aux
mouvements identificatoires des enfants dans le travail d’humanisation de
ses désirs et angoisses qui s’opérera devant eux.
Le praticien va s’appuyer sur le travail de la reprise pour retisser une
trame contenante et être disponible aux éléments épars non analysables, dans
l’instant, dont il fut saisi par sa réceptivité au groupe. Son écoute est
constituée par une attention orientée vers l’expression d’une trame
symbolique des échanges dans le groupe. Les enfants se sentent écoutés et
possiblement entendus, car autant que ce qui est signifié, le contenu, une
sensibilité est ouverte aux phénomènes de signifiance, les actes dont les
enfants sont inspirés. Le dispositif d’écoute et d’observation avec un
observateur qui voit, entend et note, signifie l’importance de ce qu’il se
passe, du moindre signe.
Les enfants éprouvent et intègrent une fonction mentale réflexive
s’appuyant sur les ressentis de leur corps et sur la distinction entre ce qui
vient de l’extérieur et ce qui vit en eux. Pour cela, la fonction du praticien
est primordiale comme révélateur et amortisseur de ce qui se passe dans
l’actuel du groupe. Sinon l’enfant va chercher à se retrancher d’un vécu
intense impensable et se désinvestir, s’éloigner pour apaiser une éventuelle
confusion.
Le praticien à un rôle de traducteur pour amener les membres du groupe
à se pencher sur leurs relations et ressentis. C’est le cas lors de la
constitution du groupe où les praticiens verbalisent la situation et
éventuellement les inquiétudes qu’elle peut susciter : « On va apprendre à se
connaître, chacun de nous va prendre sa place dans le groupe que nous
allons faire ensemble » ; toute verbalisation qui aborder le rapport de
l’individu au groupe dans la durée produira souvent une détente de chacun et
une disponibilité à l’ici et maintenant avec les autres.
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CONCLURE AVEC LES ENFANTS

Chaque enfant a eu un usage propre et singulier de l’atelier théâtre qui


nous apparaissait avec les moyens d’observation, de réflexion et d’échange
dont nous nous sommes dotés : reprise, synthèse, supervision.
Angèle nous a montré, avec ses personnages souverains, impérieux, son
désir de maîtrise, celui qui s’exerçait sur et en elle. Elle s’est appuyée sur les
personnages pour exprimer des pulsions réprimées et a pu distinguer, penser,
dire et agir. Elle a construit en elle-même un espace de réflexion pour
reconnaître ses émois et décider de ses actions.
Cortot déposa sa dépression massive sur la régularité du cadre et, après
s’être approprié celui-ci, il se posa face aux adultes. Il devint un spectateur
commentant le jeu théâtral en alternance avec de brèves présences sur scène.
Le lieu de l’atelier était un condensé d’une société humaine rendant à Cortot
l’intelligibilité qu’il n’avait pu construire dans la confusion familiale.
Flore a passé beaucoup de séances allongée au sol, appuyée contre le
banc, dans une géométrie primitive, suçant son pouce, à observer ce qu’il se
passait. Elle jubilait de ce qu’elle voyait de la difficulté à faire et à
s’entendre qui se déroulait sur scène dans le jeu des personnages et les
relations des acteurs. Dans les premiers temps, elle existait dans le groupe en
rapportant des informations sur tel ou tel et en rappelant les faits marquants
des séances précédentes. Cette chronique exposée aux autres devint plus tard
réflexive, in petto, pour son usage propre, comme un carnet intime. Cette
compréhension acquise par la scène de l’atelier théâtre lui permit de prendre
une nouvelle place au sein de son école.
La trame rythmique de l’atelier nous a permis de donner un fond aux
angoisses de séparation, de perte et d’abandon de Yann. Nous les avons
progressivement identifiées avec lui et contenues dans des échanges de
paroles et des attentions de soin. Yann tentait de se poser dans la relation
afin qu’elle soit réciproque et vécue comme continue et non sans cesse en
risque de rupture. Il était pris dans les affres de la complexité de la situation.
C’était un conflit « casse-tête » pour lui d’être à l’écoute simultanée de la
situation, des états de son interlocuteur et de ses propres ressentis.
Maintenant il se retire moins de la relation pour se différencier.
Tous ces enfants se sont présentés à nous avec leurs difficultés à dire, à
faire et sans doute à comprendre et penser leur existence dans sa réalité
psychique et dans la réalité partagée. Nous avons eu à faire avec l’inertie et
l’agression passive au début, puis l’évolution nous a amené à des
confrontations des enfants entre eux, avec les adultes et des adultes entre
eux. L’acceptation de la vérité du fait humain que sans cesse se nouent et se
dénouent le sujet et le collectif nous a permis de faire face à la destructivité,
à la déliaison, aux angoisses de vide et d’échec que Ton peut vivre à certains
moments de la conduite du groupe. Nous avons tiré parti des phénomènes
constatés, de nos ressentis, de nos conflits, de nos affects comme des
empreintes d’un cheminement qui se construisait. Et l’appui des entours
nous a permis de ne pas céder au désinvestissement ou au désir de maîtrise,
pour se rapprocher des enfants et se reconnaître, entre nous, comme des
semblables pour lesquels les effets du vécu sont réciproques et partageables.
L’atelier théâtre nous semble de nature à soutenir l’émergence du sujet.
LE JEU DRAMATIQUE, OBJET D’UN ESPACE DE CRÉATION À CRÉER 131
Il supporte son investissement dans la réalité de ses ressentis, de sa créativité
dans le monde et de sa rencontre des autres. Pour autant que cet atelier soit
lui-même malléable dans son accueil, créatif dans son évolution et entouré
dans le travail et la continuité de ses effets.

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