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UE: la Commission cherche à reprendre la
main, après un gros retard à l’allumage
PAR LUDOVIC LAMANT
ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 18 MARS 2020
Ursula von der Leyen et Charles Michel, le 17 mars à Bruxelles © AFP
Après les fermetures unilatérales des frontières, la
Commission a tenté mardi 17 mars de reprendre la
main dans la gestion de la crise du Covid-19, lors d’un
sommet extraordinaire. Des élus exhortent à ne pas
oublier le cas des migrants sur les îles grecques.
>Coronavirus: en Grèce, les camps de réfugiés
surpeuplés retiennent leur souffle
Une présidente de la Commission qui plaide pour
la solidarité sur le continent, au moment où des
États de l’Union ferment leurs frontières intérieures.
Des contrôles renforcés sur le pont de l’Europe à
Strasbourg, infrastructure symbole du couple franco-
allemand. La Chine qui affrète un Airbus pour
apporter des masques à l’Italie, alors que Paris et
Berlin ont refusé d’exporter les leurs à Rome. Comme
à chaque crise majeure ou presque – de la guerre
en Syrie à l’accueil des migrants –, l’impression que
l’Europe n’est pas au rendez-vous face à l’épidémie de
coronavirus domine.
Ce qui fait dire à l’ex-premier ministre belge Guy
Verhofstadt (libéral), remonté: « Le Covid-19 montre
à quel point être Européen signifie peu de choses,
lorsqu’une crise éclate. Un constat s’impose : le
mantra dont se gargarisent les eurosceptiques, d’un
“super-État européen” est chaque jour plus ridicule. »
« L’Europe n’a pas été la première à se mobiliser,
parce que les règles sanitaires relèvent très largement
des compétences nationales. Mais les choses évoluent,
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elle est en train de s’organiser », veut croire, de son
côté, l’eurodéputée LREM Fabienne Keller, jointe par
Mediapart.
Pour Saskia Bricmont, eurodéputée écologiste belge,
« l’approche européenne a mis du temps à émerger,
mais l’heure n’est pas au bilan. L’urgence, c’est
de mieux se coordonner ». Et de préciser : « La
Commission a assez vite fait des propositions, c’est
plutôt du côté du Conseil [et donc des États membres
– ndlr] que les choses ont tardé à se mettre en place. »
La présidente de la Commission, l'Allemande Ursula von der Leyen, sous les yeux
du Belge Charles Michel, président du Conseil, mardi 17 mars à Bruxelles. © AFP
Le coup le plus dur porté à l’Europe a été la
fermeture de certaines frontières intérieures, décidée
dans la précipitation, et sans coordination. Cela
signifie la mise entre parenthèses du principe de libre-
circulation des personnes, pilier de la construction
européenne. Au moins neuf États de l’UE, de la
Pologne à l’Espagne en passant par la Hongrie, ont,
à ce stade, fermé entièrement leurs frontières aux
non-nationaux. Au risque d’empêcher des citoyens
européens de regagner leur pays, comme ce fut le
cas de ressortissants baltes, interdits de traverser la
Pologne.
D’autres États ont mis en place des contrôles
renforcés et des fermetures partielles de frontières. Le
revirement le plus spectaculaire est venu, dimanche,
de Berlin. Alors que le ministre de la santé allemand
avait déclaré quelques jours plus tôt que « nous
n’allons pas nous débarrasser du virus en fermant
nos frontières », l’Allemagne applique, depuis lundi,
une quasi-fermeture de sa frontière avec la France,
le Luxembourg, la Suisse, l’Autriche et le Danemark
(mais pas avec les Pays-Bas, la Belgique, la Pologne et
la République tchèque). C’est une victoire de la ligne
dure du ministre de l’intérieur, Horst Seehofer.
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Lors d’une conférence de presse le 13 mars, Ursula
von der Leyen avait pourtant critiqué la fermeture
des frontières, jugeant tout au plus que « certains
contrôles aux frontières peuvent être justifiés ».
« Des interdictions générales de voyage ne sont
pas considérées comme très efficaces par l’OMS »,
l’Organisation mondiale de la santé, avait-elle ajouté.
Dès le 12 mars, Emmanuel Macron plaidait de son
côté pour « éviter le repli nationaliste » face à un
virus qui « n’a pas de frontières ». Mais le ministre
de l’intérieur Christophe Castaner s’est rangé à l’idée
lundi soir, plaidant pour la réduction « au maximum
des déplacements transfrontaliers » dans l’UE.
Sur ce front, von der Leyen a donc perdu la bataille.
« Un article du code Schengen prévoit, en cas
de menace sur la sécurité intérieure, le retour de
contrôles aux frontières. Légalement, ces États sont
dans leur droit, constate l’eurodéputée PS Sylvie
Guillaume, jointe par Mediapart. Mais chacun s’est
réfugié derrière ce code pour agir à la carte. Il aurait
fallu une réaction collective. » Et de regretter : «
Chacun se replie sur soi, puis l’on dit : l’Europe n’en
fait pas assez. Malheureusement, le schéma est assez
classique… »
Dans l’entourage du président de la République
français, on continue d’assurer : « La bonne échelle
dans la crise en cours reste le quartier, plus que
le pays. La question de la fermeture des frontières
intérieures, dans ce contexte, est un enjeu largement
symbolique. Mais il a été de plus en plus dur d’y
résister. »
L’élue écolo belge Saskia Bricmont plaide, elle,
pour une « coordination européenne des décisions
de confinement, ce qui rendrait inutile, de fait,
les décisions sur la fermeture de frontières, qui
ont des conséquences sur le marché intérieur, et
l’approvisionnement des pays en produits médicaux et
d’alimentation ».
La crise du Covid-19 n’est pas sans rappeler la crise de
l’accueil des migrants à l’été 2015, lorsque l’égoïsme
des capitales s’était imposé. À l’époque, Jean-Claude
Juncker, à la tête de l’exécutif européen, s’époumonait
pour imposer un système de relocalisation des
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migrants dans l’UE, avec des quotas par pays. Mais la
plupart des capitales (et notamment celles du groupe
de Visegrad) ne voulaient pas de cet embryon de
solidarité. Elles avaient piétiné son plan, préférant
jouer la carte du nationalisme et du retour des
frontières intérieures.
Autre point commun avec 2015 : la politique
migratoire, comme la santé, est avant tout une
compétence nationale. « Tout le monde se demande :
que fait l’Europe ? Mais ce sont deux sujets, migrants
et santé, sur lesquels l’Europe n’a pas été faite.
Ses compétences sont encore embryonnaires dans ces
dossiers », relève une source européenne à Mediapart.
Von der Leyen semble tout de même avoir appris
de la déroute de Juncker. À l’issue d’un long
sommet des dirigeants européens de trois heures, par
vidéoconférence mardi soir (lire les conclusions), elle
a repris la main, et obtenu quelques victoires. Des
avancées modestes, étant donné l’urgence, jugeront
les sceptiques, quand les plus enthousiastes y verront
le début d'une coordination sanitaire plus intégrée
en Europe. Le président du Parlement européen, le
social-démocrate italien David Sassoli, s’est ainsi
réjoui mardi soir que « l’Europe contrebalance
l’individualisme et le manque de coordination entre
les gouvernements nationaux ».
Au terme de ce qu’elle a elle-même qualifié de «
débat intense » sur les frontières, les 27 se sont
entendus pour fermer les frontières extérieures de
l’UE, et de l’espace Schengen, pour au moins trente
jours – à l’exception des citoyens européens et des
personnels soignants (lire les recommandations de la
Commission, publiées lundi). Il revient à chaque État
d’en fixer les modalités. Des dépistages systématiques
doivent être réalisés sur les personnes pouvant entrer
dans l’UE.
Des « voies d’accès » ont par ailleurs été tracées,
censées faciliter le transport de certaines marchandises
(produits alimentaires et médicaux), comme le
déplacement de travailleurs transfrontaliers. Ces
mesures de la Commission, en partie annoncées par
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Emmanuel Macron dans son intervention lundi soir,
étaient élaborées avec Paris et Berlin depuis la fin de
semaine dernière.
Surtout, von der Leyen a réintroduit un semblant de
coordination dans l’affaire des masques et blouses. Le
4 mars, la France avait adopté un décret de réquisition,
tandis que l’Allemagne optait pour une ordonnance
d’interdiction d’exportation de ces mêmes produits.
Là encore, ces décisions unilatérales contrevenaient
à un principe clé de l’Union, la libre-circulation
des marchandises. Au-delà de l’absence de solidarité
témoignée envers des pays voisins qui en manquent
cruellement, à commencer par l’Italie. L'affaire avait
déclenché le courroux de l'ambassadeur italien auprès
de l'UE, qui avait publié le 10 mars une tribune en
forme d’appel au secours.
Sous pression, Paris et Berlin ont fini par lever
leurs interdictions d’exporter vers l’Europe. Et les
producteurs de masques, combinaisons et appareils
respiratoires doivent désormais demander le feu vert à
la Commission, s’ils veulent exporter ces produits hors
de l’UE. L’exécutif européen se trouve dans un rôle
d’un coordinateur des besoins.
Le Belge Charles Michel, lors du conseil européen extraordinaire
et numérique, mardi 17 mars 2019. © Conseil européen
La Commission dit aussi avoir lancé un appel d’offres
conjoint, au nom de 24 États membres, pour acheter
ces produits, qui sont autant de boucliers sanitaires
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dans la crise en cours. L’idée est ici de réduire
les coûts, pour chaque pays. Les entreprises ont six
jours pour répondre à l’appel d’offres. Enfin, les
27 ont accepté de débloquer quelque 80 millions
d’euros en soutien à un laboratoire allemand, CureVac,
qui prétend pouvoir mettre au point un vaccin « à
l’automne », selon la version donnée par Ursula von
der Leyen mardi soir.
Mais ce sommet numérique n’a pris aucune décision
sur un autre sujet pourtant clé : la situation des quelque
43 000 migrants dans des camps insalubres des îles
grecques (notre article). « Il y a urgence à intégrer la
situation des migrants en Grèce, dans le plan sanitaire
européen », insiste Saskia Bricmont. « Le risque existe
d’une propagation du virus à ces populations qui ne
sont pas du tout préparées à ce type de pathologie »,
relève Fabienne Keller. Au Parlement européen, des
élus préparent un appel pour exhorter la Commission
à adopter un plan sanitaire d’urgence pour la Grèce.
Mais il était difficile d’évaluer, mercredi midi, quels
partis allaient soutenir l’appel.
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