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RUPTURE ET CONTINUITÉ DANS L'ITINÉRAIRE INTELLECTUEL ET

POLITIQUE DE ROGER CAILLOIS

Jean-Michel Heimonet

Armand Colin | « Littérature »

2013/2 n°170 | pages 33 à 48


ISSN 0047-4800
ISBN 9782200928551
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-litterature-2013-2-page-33.htm
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“Litterature_170” (Col. : RevueLitterature) — 2013/5/14 — 10:35 — page 33 — #33
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JEAN-MICHEL HEIMONET, THE CATHOLIC UNIVERSITY OF AMERICA,


WASHINGTON, DC

Rupture et continuité dans


l’itinéraire intellectuel et
politique de Roger Caillois

« Je m’obstine sans me lasser jamais à montrer qu’il ne saurait


rien y avoir de privé, de séparé, dans l’unité du monde.
C’est comme si je voulais vaincre l’orgueil en y obéissant.
Comme Francis Bacon affirma qu’il fallait faire pour la nature. »
(Le Fleuve Alphée)
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Peu d’auteurs ont vécu plus intensément le dualisme inhérent à l’esprit
humain que Roger Caillois, écartelé entre la volonté de soumettre le monde à
son idéal et le désir de s’oublier, se perdre, au sein de l’unité cosmique d’où
nous provenons et qui, impassible, guette notre retour. Le caractère unique
de son expérience ne s’arrête cependant pas là ; il vient avant tout d’avoir
été capable de dialectiser, et finalement réconcilier, les pôles antagonistes de
la connaissance : la passion et la raison, l’imaginaire du mythe et la rigueur
de la conscience, dans une même exigence de totalité. Le classicisme de
Caillois académicien dissimule souvent au lecteur l’autre aspect de son
œuvre, celui-là plus sombre et tumultueux. L’analyse qui suit s’efforce
d’indiquer la continuité entre ces deux aspects à première vue incompatibles,
suivre le fil ténu qui lie ensemble le projet faustien de refonder l’homme
et la société formé avant la guerre à l’apaisement final dans L’Écriture des
Pierres et les courants du Fleuve Alphée.

LE MYTHE, LE SACRÉ, LE POUVOIR ET L’INDIVIDU

Commençons par un point de méthode. Cette continuité reste invisible


à qui ne tient pas compte du cadre historique où elle se déroule durant
les années 1930, au moment où l’Europe vit dans l’attente d’une guerre
rendue inévitable par la rivalité des idéologies fasciste et communiste.
Trente ans plus tard, Caillois revient sur cette époque dans Approches de 33
l’Imaginaire (1974). La seconde partie du recueil, intitulée « Paradoxe
d’une sociologie active », couvre la période qui va de la rupture avec LITTÉRATURE
André Breton et le surréalisme vers la fin de l’année 1934 à la fondation N°170 – J UIN 2013

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“Litterature_170” (Col. : RevueLitterature) — 2013/5/14 — 10:35 — page 34 — #34
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ROGER CAILLOIS

du Collège de Sociologie en compagnie de Georges Bataille et Michel


Leiris en novembre 1937. Comme beaucoup de jeunes intellectuels de
sa génération, Caillois est face à un dilemme qu’on peut sommairement
formuler ainsi : comment transcender l’apathie politique des démocraties
bourgeoises en Europe tout en évitant de se rallier à l’une ou l’autre des
deux grandes religions séculières et à leurs chefs-dieux Staline et Hitler ;
comment frayer une sorte de troisième voie qui ouvrirait l’accès vers une
totalité sociale organique forgée non par la force brute mais par l’affinité
de ses membres ? Pour Caillois, cette quête d’une totalité sans totalitarisme
se mène sur plusieurs plans : deux livres majeurs, Le Mythe et l’Homme
et L’Homme et le Sacré, une série d’articles résultant de sa participation à
diverses revues éphémères, telles qu’Inquisitions, dont l’initiative lui revient,
et la revue Acéphale, dirigée par Bataille, enfin les textes associés au Collège
de sociologie, en particulier le très polémique « Vent d’hiver » auquel il sera
fait plus d’une fois référence. Oscillant entre la science, ethnographie et
biologie, et les exhortations guerrières, tous ces textes s’organisent autour
de quatre thèmes communs : les thèmes du mythe, du sacré, du pouvoir et
de l’individu.
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Le thème du mythe est développé principalement dans Le Mythe
et l’homme, première œuvre de Caillois publiée en 1938. À l’instar de
l’« entreprise unitaire idéale1 » esquissée à la fin du livre, le mythe constitue
à la fois le principe et le milieu natifs de la communauté. Son espace est en
effet défini par les représentations issues d’un inconscient et d’un imaginaire
collectifs qui se transmettent au cours du temps à travers les générations.
Moyennant quoi la première fonction sociale du mythe consiste à rapprocher
et unir les hommes à un niveau pré-rationnel favorisant l’action entreprise
ensemble. Adepte de Bergson et du vitalisme, Caillois pose l’équivalence
de l’imagination chez l’homme et de l’acte chez l’insecte : « D’un côté,
instinct réel, de l’autre, instinct virtuel, dit M. Bergson pour différencier la
condition de l’insecte agissant et celle de l’homme mythologisant2 ». La
différence primordiale entre l’être humain et l’insecte étant que, chez le
premier, la « fonction fabulatrice » intervient comme un substitut pour le
passage à l’acte, « les images fantastiques surgissent à la place de l’acte
déclenché »3 .
Le domaine du sacré correspond au système des règles et des interdits
qui maintiennent l’équilibre à l’intérieur d’un groupe. Comme le mythe, le
sacré se manifeste à un niveau pré-rationnel, en provoquant un choc suivi
d’une réaction affective intense qui pousse l’individu à rompre les balises
de l’ordre normal. Dans ce dispositif, la fête, dont Caillois fera la théorie
34
1. Roger Caillois, « Pour une activité unitaire de l’esprit », Le Mythe et l’homme [1938], Paris,
Gallimard, coll. « Folio/Essais », 1987, p. 187.
LITTÉRATURE 2. Roger Caillois, « La mante religieuse » [1934 ; 1937], ibid., p. 72.
N°170 – J UIN 2013 3. Ibid., p. 71.

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RUPTURE ET CONTINUITÉ DANS L’ITINÉRAIRE INTELLECTUEL

au Collège, joue le rôle de soupape de sûreté ; elle permet, à date fixe et


sous le contrôle de l’autorité, de lâcher la bonde en libérant l’excès des
forces collectives qui sans cela risqueraient de faire imploser la structure
sociale. Caillois salue Durkheim pour avoir été le premier à reconnaître
dans l’économie de la fête l’élément distinctif de deux espaces sociaux
radicalement séparés, le sacré et le profane : l’opposition d’une « explosion
intermittente à une éternelle continuité, une frénésie exaltante à la répétition
quotidienne des mêmes préoccupations matérielles, le souffle puissant de
l’effervescence commune aux calmes travaux où chacun s’affaire à l’écart,
la concentration de la société à sa dispersion4 ».
De façon générale le pouvoir représente l’objectivation politique du
sacré. Incarné dans la personne d’un être unique que ses particularités
physiques et mentales distinguent de tous les autres, il peut se comparer à
la force spirituelle, Mana, qui appartient au magicien dans l’anthropologie
de Mauss. Tel que le décrit Caillois, le pouvoir relève ainsi d’un donné
immédiat propre à la constitution existentielle d’un être, « une force de la
nature contre quoi il est dénué de sens de récriminer5 ». Comme le mythe
et comme le sacré, la première fonction du pouvoir est de dynamiser et de
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souder le corps social. Fort de ses qualités spéciales, le chef agit à la manière
d’un aimant, occupant au sommet de la société la position d’un pôle central
autour duquel gravitent et s’agrègent les particules individuelles.
Enfin l’individu. Le mot retrouve ici son sens étymologique : indivi-
duus, individere, l’être unique qui ne se laisse ni mesurer ni réduire à aucun
autre. Pour les mêmes raisons que le chef, l’individu participe à la mou-
vance du sacré. Son unicité relève en effet d’une propension à transgresser
les normes dont dépendent la régularité et la stabilité de la vie profane. Sur
le plan de la dynamique sociale, l’individu intervient ainsi comme agent
de changement et de renouvellement, incitant ses semblables à quitter la
routine confortable pour relancer l’histoire. Concernant les vertus de l’indi-
vidu, Caillois cite volontiers cette phrase de Nietzsche dans La Volonté de
Puissance :
La dissolution des mœurs de la société est un état dans lequel apparaît l’ovule
nouveau, ou les ovules nouveaux – des ovules (individus) qui contiennent le
germe de sociétés et d’unités nouvelles. L’apparition des individus est le signe
que la société est devenue apte à se reproduire6 .

4. Roger Caillois, L’Homme et le Sacré [1939], Paris, Gallimard, coll. « Folio/Essai »s, 1988,
p. 131-132. 35
5. Roger Caillois, « Le vent d’hiver » [1938], Approches de l’imaginaire, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque des sciences humaines », 1974, p. 82.
6. Friedrich Nietzsche, La Volonté de Puissance, Tome I, Paris, Gallimard, p. 361. Cette phrase LITTÉRATURE
figure par exemple dans « Le vent d’hiver », op. cit., p. 73-74. N°170 – J UIN 2013

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ROGER CAILLOIS

LA COMMUNAUTÉ : UNE TOTALITÉ SANS


TOTALITARISME

Les quatre thèmes du mythe, du sacré, du pouvoir et de l’individu sont


indissociables. Ensemble ils configurent une vision de l’homme et du social
dont la forme est celle de la totalité. Compte tenu du contexte historique de
l’époque, cette vision et cette forme engagent leur auteur. Parlant des années
trente et de la montée des mouvements nationaux, la question de l’orientation
politique de la totalité devient incontournable. Posons-là abruptement : telle
que la voit et la vit Caillois, la totalité est-elle essentiellement totalitaire ?
Et, dans ce cas, avec laquelle des deux grandes religions séculières, fasciste
et/ou communiste, est-elle susceptible d’être apparentée ?
Quarante ans après, Caillois lui-même aborde la question de manière
indirecte et assez désinvolte. Dans l’« Argument » de la seconde partie des
Approches de l’imaginaire intitulée « Paradoxe d’une sociologie active »,
il fustige « le ton outrecuidant et faussement pathétique » des textes qui
entourent la période du Collège, puis il termine ainsi : « La guerre balaya
ces velléités, mais c’est plutôt la paix retrouvée qui fit retomber la poussée
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de fièvre où elles avaient prospéré »7 . Somme toute la phase de « sociologie
active » n’aurait été que cela : une erreur de jeunesse, sorte d’acné intellec-
tuelle liée à l’excitation passagère du moment. Comme le suggère le titre
de cette partie des Approches de l’imaginaire, cette interprétation sommaire
contient un « paradoxe ». Elle est en porte-à-faux avec l’« Avertissement »
à l’ensemble du livre, où l’auteur reconnaît au contraire la pérennité de ses
intérêts de l’époque et leur empreinte indélébile sur le développement de
son œuvre.
Ces Approches (combien boiteuses) de l’Imaginaire renseignent sur la racine
et sur l’enfance de mes préoccupations. Elles suggèrent sans le vouloir que,
chez certains écrivains au moins, beaucoup plus de choses qu’on ne croirait
se trouvent contenues dans leurs premiers aveux8 .
Afin d’y voir clair, le meilleur moyen est de recourir aux textes. Une
lecture attentive aboutit au moins à cette certitude : l’« entreprise unitaire
idéale » qui, dans Le Mythe et l’homme, matérialise l’idée de la totalité est
essentiellement anti-démocratique, incompatible avec l’existence collective
d’hommes libres et égaux en droit. Cela pour deux raisons conjointes : elle
est tout-en-un hiérarchique et autoritaire. La structure sociale définie par
Caillois est duale au sens strict : cloisonnée en deux classes, ou castes, de
nature opposée. D’une part, la masse silencieuse et passive dont la seule
activité se borne à consommer, de l’autre, l’infime minorité, autant dire
l’élite, des individus qui incarnent l’élément dynamique et prospectif de la
36 société. Concernant le principe de cette division, aucun des critères habituels

LITTÉRATURE 7. Roger Caillois, « Argument », Approches de l’imaginaire, op. cit., p. 59.


N°170 – J UIN 2013 8. Roger Caillois, « Avertissement », ibid., p. 8.

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RUPTURE ET CONTINUITÉ DANS L’ITINÉRAIRE INTELLECTUEL

associés au patriotisme, terre, race ou tradition, ne s’applique. Sur ce point


le titre de l’article que Caillois publie dans Volontés quelques mois plus tard
est très clair. Le dualisme social correspond à une « hiérarchie des êtres9 »
qui s’établit elle-même sur des qualités d’âme. Ni xénophobie ni racisme
donc, plutôt une sorte d’onto-anthropologie servant à justifier la démarcation
naturelle et irréversible entre « deux classes d’êtres, aux réactions aussi
différentes que s’ils appartenaient à des espèces animales dissemblables, et
aboutissant à des conceptions du monde contraires, à des tables de valeurs
inconciliables10 ».
Au moment où paraissent ces textes, l’administration politique de la
France est confiée au gouvernement social-démocrate de Daladier. Enten-
dons bien l’administration, la gestion quotidienne et profane des affaires,
mais non pas le pouvoir. Car ce qui caractérise la IIIe République sur sa fin
aux yeux de Caillois et de ses pairs du Collège de sociologie, c’est juste-
ment l’absence, ou mieux encore, la vacuité d’un pouvoir authentique. Qu’il
s’agisse de Caillois déplorant la conception « légaliste » et non « pontifi-
cale »11 du pouvoir qui apparaît dans les écrits de Léon Blum, ou de Bataille
ridiculisant les gestes d’automate du Président Lebrun lors de l’inauguration
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du monument aux morts de Vimy, le manque de charisme et de martialité
des dirigeants français est un thème de prédilection au Collège. À cet égard
la « Déclaration du Collège de Sociologie sur la crise internationale » après
les Accords de Munich suffit à donner le ton. Publié simultanément dans
la NRF, Esprit et Volontés en octobre 1938, le texte de cette déclaration
dénonce « l’absolu mensonge des formes politiques actuelles » comme la
cause majeure de la « dévirilisation » et du « relâchement »12 de l’unité
sociale dans les démocraties européennes.
Dans ces circonstances, on comprend que la vacuité du pouvoir dans sa
forme pleine rende d’autant plus urgente l’intervention active de l’individu
en tant que « cellule-mère13 », force remythifiante et resacralisante d’une
société menacée d’entropie. Mais pour que cette infusion d’énergie s’opère,
encore faut-il qu’une condition primordiale soit remplie : que l’individu
lui-même abandonne le superbe isolement où sa supériorité l’a relégué pour
s’unir corps et âme avec ses semblables. Pour Caillois, la collectivisation

9. Voir Roger Caillois, « La hiérarchie des êtres. Relations et oppositions de la Démocratie, des
Régimes totalitaires et de la notion d’ordre » [1939], Naissance de Lucifer, Montpellier, Fata
Morgana, 1992, p. 69-89.
10. Roger Caillois, « Le vent d’hiver », op. cit., p. 78.
11. Roger Caillois, « Nouvelles conversations de Goethe avec Eckermann ; L’Exercice du
pouvoir (NRF) ; Du mariage, par Léon Blum (Calmann-Lévy) ; En lisant M. Léon Blum, par
Marcel Thiébaut (NRF) » [1937], Roger Caillois, Paris, La Différence, coll. « Les Cahiers de
Chronos », 1991, p. 90.
12. Roger Caillois, « Déclaration du Collège de Sociologie sur la crise internationale » [1938], 37
dans Denis Hollier, Le Collège de Sociologie (1937-1939), Paris, Gallimard [1979], coll.
« Folio/Essais », 1995, p. 362.
13. Georges Bataille, « Le sens moral de la sociologie » [1946], Œuvres Complètes, tome XI, LITTÉRATURE
Paris, Gallimard, 1988, p. 63. N°170 – J UIN 2013

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ROGER CAILLOIS

des individus au sein d’une communauté seconde qui accroît leur puissance,
devient ainsi le principe nécessaire de toute régénération sociale.
« Le vent d’hiver » décrit cette communauté dans la forme d’une
« association militante et fermée14 » dont les membres se recrutent par
attraction mutuelle. L’époque n’est plus au romantisme, l’individu ne peut se
contenter de s’écarter des masses pour mépriser ou pour maudire. Désormais
sa mission est de faire l’Histoire. Comparable à « l’ordre monastique actif
pour l’état d’esprit » et à « la formation paramilitaire pour la discipline »,
la communauté est ainsi l’origine d’une refondation du pouvoir dont le
premier temps coïncide avec l’inversion du rapport de forces entre les
« classes d’êtres » ou les « espèces » indiquées plus haut : « producteurs »
et « consommateurs », « maîtres » et « esclaves »15 . Au lieu d’être reléguées
à la marge, les valeurs de rébellion et de conquête incarnées par l’individu
doivent parvenir à s’imposer face à la médiocrité politique en place. Selon
les catégories de la nouvelle sociologie allemande alors en vogue (Weber,
Tönnies, Schmalenbach, Würzbach), la « communauté seconde16 » telle que
les confréries, ou les sociétés secrètes dont parlera Bataille, s’oppose à la
démocratie représentative et parlementaire comme le Bund à la Gesellschaft,
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c’est-à-dire comme l’union sacrée d’êtres supérieurs liés entre eux par
affinités électives, à la société anonyme de type contractuel où l’accord des
participants tient à l’intérêt. La stratégie politique exposée dans « Le vent
d’hiver » recourt à l’extrémisme révolutionnaire. Le noyautage de la grande
société apathique par une cellule occulte d’hommes déterminés doit réussir à
déclencher le processus de « sursocialisation17 » (sic), réactivation et relance
des forces collectives, qui marque la première étape vers la refondation
d’un pouvoir plein. La première victime de cette stratégie est le principe
républicain d’égalité. La parité universelle des droits est niée au profit d’une
sélection naturelle qui autorise la classe souveraine des maîtres à utiliser le
reste du corps social comme « la matière première de leurs entreprises18 ».
De fait, le mépris affiché pour les principes républicains est constitutif
de la méthode sociologique appliquée au Collège ; il découle naturellement
d’une étude du sacré basée sur l’expérience vécue immédiate qui voit dans
« les phénomènes élémentaires d’attraction et de répulsion19 » le facteur
décisif de la dynamique sociale. Ce type d’approche ne va évidemment
pas sans risque. L’Esprit des sectes, écrit pendant la guerre, n’hésite pas à
rapprocher l’eugénisme nazi et l’intérêt du Collège pour les ordres sectaires :

14. Roger Caillois, « Le vent d’hiver », op. cit., p. 79.


15. Ibid., p. 79-80.
38 16. Georges Bataille, « Le sens moral de la sociologie », op. cit., p. 63.
17. Ibid., p. 77.
18. Ibid., p. 80.
LITTÉRATURE 19. Roger Caillois, « Pour un Collège de Sociologie » [1938], dans Denis Hollier, Le Collège
N°170 – J UIN 2013 de Sociologie (1937-1939), op. cit., p. 300.

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RUPTURE ET CONTINUITÉ DANS L’ITINÉRAIRE INTELLECTUEL

Qu’on relise enfin La Gerbe des forces d’Alphonse de Châteaubriant. [...]


dans quelque forteresse perdue au cœur de la Forêt Noire et de la Courlande,
on s’efforçait de préparer au rôle suprême de directeurs de la nation, puis du
monde [...] une élite de jeunes chefs implacables et purs. [...]
Il en était ainsi en particulier parmi nous qui avions fondé le Collège de
sociologie, dédié exclusivement à l’étude des groupes fermés20 .
Les lectures de Caillois durant cette période montrent également une
préférence pour l’idée d’origine et de force primaire au détriment de la
pensée abstraite. La note de lecture sur le Nietzsche de Thierry Maulnier
qu’il rédige pour Inquisitions vante les mérites d’un « des plus jeunes
théoriciens de l’extrême droite », pour qui « il faut rendre le goût du sang
à la philosophie. Il faut rendre aux systèmes métaphysiques leur cruauté :
leur pouvoir de vie et de mort »21 . « Cette préoccupation, poursuit Caillois,
ne nous est pas étrangère, loin de là ; et c’est aussi chez Nietzsche, entre
autres, que nous comptons prendre des leçons. Les divergences viennent
d’ailleurs22 . »
Or là est exactement la question : quelles sont ces « divergences » et
d’où viennent-elles ?
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CONJURER L’« ICARISME »

Il ne faut pas précipiter la réponse. Comme beaucoup de jeunes intel-


lectuels dans ces temps explosifs, Caillois est un déçu du surréalisme et
de l’avant-garde. Son dilemme moral et politique ne relève pas du cas
personnel ; il est d’abord le trait d’une génération qui souffre d’un même
complexe, celui que Bataille qualifie d’icarisme23 lors de sa polémique avec
André Breton : le sentiment amer d’avoir été dupé par l’inutilité de l’art, et,
plus largement, par l’exercice narcissique de la pensée.
Il suffit de parcourir le sommaire des revues auxquelles collabore
Caillois. Inquisitions : « Remarques sur le rapport de la poésie comme
genre à la poésie comme fonction », de Jules Monnerot ; « Le poète dans la
société », de Tristan Tzara ; et, bien sûr, « Pour une orthodoxie militante »,
de Caillois lui-même – texte qui servira de préface au Mythe et l’homme
quelques mois plus tard. Même programme pour la revue de Bataille, Acé-
phale, où Caillois publie dans le premier numéro un article bref mais percu-
tant, « Les Vertus dionysiaques ». Le second numéro dénonce la récupéra-
tion de Nietzsche par la propagande fasciste, ce qui est également une façon

20. Roger Caillois, « Préambule pour l’esprit des sectes » [1945], Approches de l’imaginaire,
op. cit., p. 92.
21. Roger Caillois, « La Volonté de puissance, par F. Nietzsche ; Nietzsche, par Thierry Maul- 39
nier » [1936], Naissance de Lucifer, op. cit., p. 95.
22. Ibid.
23. Voir Georges Bataille, « La “vieille taupe” et le préfixe sur dans les mots surhomme et LITTÉRATURE
surréaliste » [1968], Œuvres complètes, tome II, Paris, Gallimard, 1970, p. 93-109. N°170 – J UIN 2013

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ROGER CAILLOIS

de mettre en doute la force d’intervention politique et l’impact réels de la


philosophie.
La préoccupation qui unit ces textes est la recherche d’un activisme
littéraire, après l’échec cuisant du rêve surréaliste d’une poésie ou d’un
roman qui viendraient se mettre « au service de la révolution ». Or la
littérature agit peu et mal. Comme le rappelle Kojève dans ses fameuses
conférences sur Hegel, dont l’une se fait au Collège, l’écrivain est condamné
à demeurer une « belle âme », un être de papier face au pouvoir physique
de « l’homme à cheval »24 . Au regard de l’Histoire, Novalis ne fait pas le
poids face à Napoléon. C’est sur le même constat que Monnerot termine son
article d’Inquisitions, reconnaissant que, si « la poésie n’est pas morte, le
poète est malade25 ». Crise de l’individualisme et maladie de l’art moderne
sont devenues indissociables. Elles représentent le double aspect d’un seul
phénomène de désocialisation pour lequel Caillois offre un même remède :
refuser à la littérature et à l’art en général « le droit à l’autonomie26 », et,
pour cela, comme le propose Monnerot, les traiter en « moyen » et les
« mettre au service d’une vision du monde »27 . Cette instrumentalisation
politique de l’art destiné à fournir le foyer d’énergie d’où surgiront les
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forces de l’explosion sociale, réapparaît en conclusion du Mythe et l’homme
avec l’appel à développer une « sociologie littéraire » qui, sans égard pour
la qualité esthétique d’une œuvre, ne retiendrait que sa « portée pratique sur
l’imagination [et] la sensibilité » dans le but d’« en tirer un profit immédiat
pour l’efficacité de son action »28 .
C’est à partir de cette socio-politique des formes littéraires – en guise
de panacée contre l’« icarisme » – qu’il faut penser l’attraction de Caillois
vers la totalité, la quête d’un mythe moderne dont la communauté des
individus serait aussi bien l’âme et le bras séculier. En termes simples :
effectuer le transfert magique de la pensée à l’acte qui permettrait de conjurer
la castration intellectuelle.
Là se trouve également la raison d’être du Collège. La note fondatrice
signée par Caillois souligne l’objectif double de l’entreprise, inséparable-
ment société savante et cellule insurrectionnelle. Derrière la vitrine de la
science sociologique, se « dissimule un espoir d’un tout autre ordre [...] :
l’ambition que la communauté ainsi formée déborde son plan initial, glisse
de la volonté de connaissance à la volonté de puissance, devienne le noyau

24. Voir Alexandre Kojève, « Les Conceptions hégéliennes » [1937], dans Denis Hollier, Le
Collège de Sociologie (1937-1939), op. cit., p. 70-74.
25. Jules Monnerot, « Remarques sur le rapport de la poésie comme genre à la poésie comme
fonction », Inquisitions, n° 1, 1936, p. 19.
40 26. Roger Caillois, « Spécification de la poésie » [1933], Approches de la poésie, op. cit., p. 18.
27. Jules Monnerot, « Remarques sur le rapport de la poésie comme genre à la poésie comme
fonction », op. cit., p. 18.
LITTÉRATURE 28. Roger Caillois, « Paris, mythe moderne » [1937], Le Mythe et l’homme, op. cit., respective-
N°170 – J UIN 2013 ment p. 156 et p. 155.

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RUPTURE ET CONTINUITÉ DANS L’ITINÉRAIRE INTELLECTUEL

d’une plus vaste conjuration29 ». Le dispositif idéologique qui sous-tend le


collège ne fait rien d’autre que de reprendre en harmonie les thèmes majeurs
du « Vent d’hiver ». À commencer par l’efficacité et la rentabilité politiques
de l’individu comme nucléus de la régénération sociale. Tant que l’individu,
faisant de sa supériorité l’alibi de son isolement, s’est confiné dans l’écriture,
il a dépensé en pure perte l’énergie créatrice qu’il aurait pu consacrer à la
refondation du pouvoir. Qu’il s’agisse de « Sade imaginant entre les murs
d’un cachot fornications et cruautés », de Nietzsche, « solitaire et maladif
théoricien de la violence », ou de Stirner, « fonctionnaire à la vie réglée
faisant l’apologie du crime », « les plus grands parmi les individualistes ont
été des faibles, des mineurs, des inadaptés »30 , fantasmant le monde au lieu
de le changer.
Le défaut de l’individu n’est bien sûr pas le manque de force, mais le
manque d’organisation et de réalisme politique. C’est ce défaut qu’entend
pallier le dernier chapitre du Mythe et l’homme. L’individu parviendra au
sommet de ses capacités à travers une métamorphose, une « mue » du
littérateur « satanique » en stratège « luciférien »31 . Par une comparaison
tirée de Rimbaud, Satan s’identifie avec « le forçat sur qui toujours se
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referme le bagne32 », trop impulsif pour calculer la portée de ses actes.
Devant cette impatience Lucifer n’est pas Satan assagi, ou refroidi, mais
Satan mûri, enrichi par l’expérience du monde réel et devenu capable de
le dominer. Une « synthèse agressive », écrit Caillois, un cocktail explosif
réunissant la force et la lucidité. Le passage du satanique au luciférien
« correspond au moment où la révolte se mue en volonté de puissance et sans
rien perdre de son caractère passionné et subversif, attribue à l’intelligence,
à la vision cynique et lucide de la réalité, un rôle de premier plan pour la
réalisation de ses desseins. C’est le passage de l’agitation à l’action33 ».
L’idée d’une dépense à fonds perdus des forces de révolte dans l’écri-
ture réapparaîtra dans Puissances du roman, où la fiction romanesque est
comparée à une « dégradation profane34 » du mythe. Les méfaits de la lit-
térature ne s’arrêtent pas à dilapider les forces imaginaires contenues dans
le mythe ; le roman est aussi accusé de saper le ciment social en isolant les
lecteurs. Alors que le mythe « excitait » et rassemblait les hommes dans la
ferveur des fêtes, le roman les « paralyse »35 et les disperse en les enfermant
dans un rêve personnel. L’un fortifie l’organisme social, l’autre le débilite.

29. Roger Caillois, « Introduction » [1938], dans Denis Hollier, Le Collège de Sociologie
(1937-1939), op. cit., p. 300-301.
30. Roger Caillois, « Le vent d’hiver », op. cit., p. 75-76.
31. Roger Caillois, « Paris, mythe moderne », op. cit., note 2 p. 169.
32. Ibid., p. 169. 41
33. Ibid., note 2 p. 169.
34. Roger Caillois, Puissances du roman [1941], dans Approches de l’imaginaire, op. cit.,
p. 243. LITTÉRATURE
35. Ibid., p. 223 N°170 – J UIN 2013

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ROGER CAILLOIS

L’influence de cette puissance du mythe et de l’irrationnel sur Caillois


est capitale. Elle rend compte en particulier de sa fascination pour l’aura
magico-religieuse qui entoure l’hitlérisme en lui donnant la dimension de ce
que Monnerot appelle dans Sociologie de la révolution le « mythistoire36 ».
Tous les totalitarismes ne sont pas égaux. Cette fascination de Caillois ne
se retrouve pas envers le communisme. Au contraire, Le Mythe et l’homme
souligne les « théories grossières37 » du marxisme qui réduisent le mouve-
ment intérieur de la structure sociale à l’économie et à l’utilitaire, sans tenir
compte d’une psychologie des profondeurs orientée vers l’instinct et les états
d’ivresse. En 1950, dans Description du “Marxisme”, Caillois approfondira
sa critique en rejetant les prétentions de Marx à égaler la science.
La séduction que le « mythistoire » fasciste semble exercer sur Caillois
n’est pas restée inaperçue. Le compte rendu de René Bertelé qui paraît dans
Europe en 1938 apparente la communauté sectaire du « Vent d’hiver » avec
la sélection naturelle dans les théories nazies : « au lieu de transformer le
monde », « l’individualisme anarchique [de Caillois] [...] le conquiert, il
l’asservit. [...] Révolution aristocratique, révolution intéressée, révolution
fasciste »38 . L’article finit par une mise en garde :
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[Il y a] chez Roger Caillois avec un incontestable talent une grande puérilité :
le danger des idées qu’il émet, sous une forme trop séduisante, n’en demeure
pas moins réel. [...] Craignons qu’un éventuel dictateur, en mal de justification
idéologique, n’aille demander un jour au “Collège de sociologie” l’appui de
son manifeste. Il faut honnêtement signaler à Roger Caillois qu’il court ce
danger39 .
On trouve la même lecture et le même avertissement contre le risque de
récupération fasciste chez les auteurs pourtant bien disposés envers Caillois,
comme Jean Paulhan et Marcel Mauss, ou encore Walter Benjamin, qui pour
sa part, voit dans la « surenchère métaphysique et politique » pratiquée au
Collège un « terrain psychique favorable au nazisme »40 .
Or, durant cette même période de « sociologie active », Caillois ne
cesse de condamner la vulgarité et la violence fascistes – en témoigne sa
participation au numéro spécial des Volontaires intitulé « Le fascisme contre
l’esprit ». Comment interpréter ce paradoxe ?
Par certains côtés, l’attitude de Caillois ressemble à celle d’Abel Tif-
fauges dans Le Roi des Aulnes. Comme le personnage de Michel Tournier,
une zone de son esprit demeure hantée par la nostalgie d’un pouvoir plein,
de type magico- et/ou théologico-politique, assez proche de celui qu’utilise

36. Jules Monnerot, Sociologie de la révolution, Paris, Fayard 1970, p. 570-571.


37. Roger Caillois, « L’ordre et l’empire » [1936], Le Mythe et l’homme, op. cit., p. 135.
42 38. René Bertelé, « À travers les revues : sciences de l’homme et sociologie sacrée » [1938],
dans Denis Hollier, Le Collège de Sociologie (1937-1939), op. cit., p. 853.
39. Ibid.
LITTÉRATURE 40. Voir Denis Hollier, Le Collège de sociologie (1937-1939), op. cit., respectivement p. 864,
N°170 – J UIN 2013 p. 848-849 et p. 884.

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RUPTURE ET CONTINUITÉ DANS L’ITINÉRAIRE INTELLECTUEL

Hitler pour subjuguer l’imaginaire de masse, tandis qu’une autre zone, celle
tenue sous contrôle par l’intellectuel, ne laisse pas d’être révulsée devant
un régime qui bafoue ses valeurs humanistes. Vis-à-vis du fascisme, tout se
passe comme si Caillois expérimentait à chaud, sur le plan du vécu, la dialec-
tique des phénomènes sacrés telle qu’il la décrit dans L’Homme et le Sacré :
le sentiment équivoque d’attraction et de répulsion, Fascinans/Tremendum
dans la terminologie de Rudolf Otto, qui s’empare de l’homme en présence
du sacré :
Devant le divin, saint Augustin est pris à la fois d’un frisson d’horreur et d’un
élan d’amour [...]. Il explique que son horreur vient de la prise de conscience
de la différence absolue qui sépare son être de l’être du sacré, son ardeur au
contraire de celle de leur identité profonde41 .
L’examen du pouvoir charismatique auquel Caillois se livre après-
guerre dans Instincts et sociétés reflète parfaitement cette ambivalence.
D’une part, on peut lire le texte comme un démontage des procédés tech-
niques d’où les dictatures de l’irrationnel tirent leur efficacité, mais d’autre
part et en même temps, on peut aussi le lire comme une validation, une
preuve scientifique, confirmant la nature transcendante, sacrée du pouvoir
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en tant que phénomène social irréductible à l’approche rationnelle. Ainsi
les attributs magico-religieux du pouvoir sont restés ceux-là même qui
caractérisaient l’individu dix ans auparavant. Le chef charismatique conti-
nue d’apparaître « l’opposé de l’homme d’État administrateur, raisonnable,
consciencieux » représenté par Blum, et les « états de lucidité privilégiée
qui dérobent [la] psychologie [du chef] à l’entendement vulgaire »42 font
eux aussi partie de l’arsenal mental qui dans « Le vent d’hiver » conférait
au pouvoir l’immanence d’une force devant laquelle « le respect même de
la loi est caduc43 ».
Dans les mois qui suivent, on sait que la fermeture du Collège et la
guerre résolvent l’ambivalence. Devant les formes politiques de la totalité,
fasciste et/ou communiste, c’est finalement le Tremendum qui l’emportera.
Contrairement à celui qui fut son compagnon de route – et même son dis-
ciple – Jules Monnerot, Caillois résiste à la séduction du « mythistoire ». À
cet égard la mise en parallèle de leur itinéraire respectif est riche d’ensei-
gnement. Dans le même contexte historique et avec des intérêts intellectuels
et politiques communs, partageant leurs lectures et leurs fréquentations,
collaborant aux mêmes revues et aux mêmes entreprises, Caillois aboutit à

41. Roger Caillois, L’Homme et le Sacré, op. cit., p. 48.


42. Roger Caillois, « Le pouvoir charismatique », Instincts et société. Essais de sociologie
contemporaine, Paris, Denoël-Gonthier, coll. « Médiations », 1964, respectivement p. 161 et 43
p. 159.
43. Roger Caillois, « Nouvelles conversations de Goethe avec Eckermann ; L’Exercice du
pouvoir (NRF) ; Du mariage, par Léon Blum (Calmann-Lévy) ; En lisant M. Léon Blum, par LITTÉRATURE
Marcel Thiébaut (NRF) », op. cit., p. 90. N°170 – J UIN 2013

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ROGER CAILLOIS

l’Académie et Monnerot au Front National44 . Or justement – et là se trouve


le point essentiel –, ce qui fait l’originalité du trajet de Caillois est sa consis-
tance et sa continuité. Ni renoncement ni reculade. On est aux antipodes de
l’opportunisme et de l’hypocrisie. La résistance aux formes totalitaires de
la totalité n’empêche pas Caillois d’effectuer son désir d’unité profonde et
d’organicité ; en revanche, elle l’oblige à le faire en prenant un détour, à
suivre d’autres voies, explorer d’autres formes.

INQUISITIONS : « SURRATIONALISME »
ET « ORTHODOXIE MILITANTE »

Afin d’évaluer l’enjeu existentiel investi par Caillois dans la totalité, il


faut revenir sur ce moment focal dans ses années de formation que représente
Inquisitions.
La présence de Caillois au directoire de la revue avec Aragon, Monne-
rot et Tzara répond au besoin de dépasser l’échec « icarien » du surréalisme :
la dichotomie esprit/matière, rêve/réalité sur laquelle celui-ci achoppe. La
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tâche d’Inquisitions – par ailleurs « organe du groupe d’études pour la phé-
noménologie humaine », comme l’indique le sous-titre, – est d’élaborer la
méthode et l’approche qui serviront à accomplir ce dépassement. Le pre-
mier numéro paraît en juin 1936 au milieu des grèves du Front Populaire et
s’ouvre sur un article de Bachelard qui a valeur de charte, « Le Surrationa-
lisme ». Objectif du texte, définir une science autre : non tant une nouvelle
science qu’un nouvel esprit et une nouvelle ambition de la science. Le ratio-
nalisme étroit hérité des Lumières et le surréalisme, avatar du romantisme,
souffrent du même handicap : chacun est amputé et limité dans sa conception
de la connaissance, le premier, par son ignorance des forces élémentaires
et de leur impact sur le mouvement social, le second, par son impuissance
à intervenir de façon efficace dans la réalité. C’est à cette infirmité par-
tagée que l’épistémologie de Bachelard entend remédier en redonnant à
l’approche scientifique la dimension transrationnelle que la science pré-
tendue exacte et objective s’efforce d’occulter. Là encore l’influence de la
nouvelle anthropologie est visible. En partant des conclusions de Mauss :
« La magie a nourri la science et les magiciens ont fourni les savants45 »,
il est nécessaire de rappeler la science à ses origines paralogiques ; ne pas
s’arrêter frileusement aux bornes de la preuve, mais s’aventurer au-delà et
rendre à la raison sa fonction de « turbulence et d’agressivité46 ». En un mot,
penser dangereusement. « Si, dans une expérience, on ne joue pas sa raison,
44. Concernant Jules Monnerot, ses relations avec Caillois et son rôle dans la fondation du
44 Collège de sociologie, voir Jean-Michel Heimonet, Politiques de l’écriture (Paris, Jean-Michel
Place, 1989) et Jules Monnerot et la démission critique (Paris, Éditions Kimé, 1993).
45. Marcel Mauss, « Esquisse d’une théorie générale de la magie » [1902-1903], Sociologie et
LITTÉRATURE anthropologie, Paris, PUF, 1973, p. 136-137.
N°170 – J UIN 2013 46. Gaston Bachelard, « Le Surrationalisme », Inquisitions, n° 1, juin 1936, p. 1.

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RUPTURE ET CONTINUITÉ DANS L’ITINÉRAIRE INTELLECTUEL

cette expérience ne vaut pas la peine d’être tentée », affirme Bachelard, et il


poursuit :
Quand ce surrationalisme aura trouvé sa doctrine, il pourra être mis en rapport
avec le surréalisme, car la sensibilité et la raison seront rendues l’une à l’autre,
ensemble, à leur fluidité. Le monde physique sera expérimenté dans des voies
nouvelles. On comprendra autrement et l’on sentira autrement.47
Toutes les grandes lignes de cette doctrine de la science autre, sont
reprises (avec un supplément de lyrisme) dans l’article de Caillois, « Pour
une orthodoxie militante ». En écho au texte de Bachelard, l’« entreprise
unitaire idéale » y apparaît comme la construction d’une activité unitaire de
l’esprit où toutes les ressources du psychisme humain travaillent à l’unisson
afin de « mettre en œuvre la totalité de l’être48 ». La science totale et l’exis-
tence totale ne font qu’un. À travers l’unité dialectique de la raison et de
l’instinct, la science d’« Inquisitions » devance le couple Satan-Lucifer pour
recomposer l’unité d’un monde que l’anarchie surréaliste avait fragmenté.
Cette science est tout-en-un « orthodoxe » et « militante » : « orthodoxe »
parce qu’elle souscrit à un besoin d’ordre, une volonté d’organiser le monde
selon les choix de la raison, et « militante »49 parce que cet ordre exige
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un engagement sans réserve, qu’il répond impérativement à l’impulsion de
forces qui sont constitutives de la nature humaine.
Cette science totale, promotrice de l’être social total, a pour première
vertu de subordonner le travail de l’esprit à une « rigueur morale » et à
une « éthique de la connaissance » destinées à contenir les excès dus à la
puissance. Caillois souligne la solidarité entre deux formes d’« intransi-
geance50 » : intransigeance intellectuelle et intransigeance morale. Tendu
entre ces deux rigueurs, celui qui s’efforce de rénover la société se trouve
automatiquement limité dans l’exercice du pouvoir par le désintéressement
et l’ascétisme quasi monastique. Parmi les membres de la communauté fer-
mée du « Vent d’hiver », cette exigence morale se manifeste en l’espèce
d’une « politesse », codifiée et ritualisée à la manière d’une « étiquette de
cour »51 , destinée à contenir les aspects prédateurs de la maîtrise. La pré-
face de La Communion des forts indique également que le pouvoir auquel
songe Caillois est avant tout d’ordre spirituel. La charge de « gouverner les
énergies vierges de la société » incombe à ceux qui se sont déjà immunisés
contre l’attrait physique, vulgairement matériel de la domination et restent

47. Ibid. 45
48. Roger Caillois, « Pour une orthodoxie militante », ibid., p. 13.
49. Ibid.
50. Ibid., p. 12-13. LITTÉRATURE
51. Roger Caillois, « Le vent d’hiver », op. cit., p. 82. N°170 – J UIN 2013

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ROGER CAILLOIS

« dépouillés d’ambitions terrestres »52 . On est ainsi conduit vers une méta-
physique du pouvoir, un pouvoir qui s’impose non par la coercition mais
par la hauteur et l’abnégation de son projet.
Noblesse oblige. Sous les auspices du « Soyez âpres » de Nietzsche, ce
sont l’apathie et la médiocrité du « dernier homme » qu’il faut vaincre, mais
tout en observant une loi morale prescrite qui retient le « surhomme », le
grand individu, de se dégrader en brute totalitaire. En dépit de son attraction
pour les forces du mythe, Caillois reste ainsi un homme des Lumières. Le
principe de raison, l’impératif moral du sens persiste à endiguer le cours de
sa pensée et à la détourner d’une éventuelle dérive. On peut le lire dès le
départ, en 1934, dans la lettre par laquelle il rompt avec André Breton et le
surréalisme : « L’Irrationnel : soit ; mais j’y veux d’abord la cohérence53 ».
En somme Satan gagne son salut grâce à Lucifer ; car en dernière
instance c’est bien lui qui décide le terme du voyage : gloire et fureur du
« mythistoire » ou réconciliation finale dans l’eau paisible du fleuve Alphée.

LE FLEUVE ALPHÉE ET LE RETOUR À L’ÉCRITURE


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L’« Avertissement » aux Approches de l’imaginaire se voit justifié :
chaque instant du périple est déjà là en filigrane dans les textes « arrogants »
et « faussement pathétiques » du jeune intellectuel avide de se confronter au
réel de l’histoire. Des phrases inacceptables (inexcusables ?) à leur époque :
« une société comme un organisme doit savoir éliminer ses déchets54 »,
finissent par s’accorder au rythme majestueux du Fleuve Alphée auquel
l’auteur du « Vent d’hiver » associe son destin. Mais si d’un texte à l’autre
la voie est continue, tracée par le désir insatiable de Tout, la signification
et la valeur de la quête ont radicalement changé. Les mots ne sont plus un
handicap ou un obstacle à vaincre ; ils jalonnent au contraire la voie royale
vers ce qui est pour l’homme la seule vraie totalité : totalité qui n’est plus
celle du pouvoir éphémère dans l’histoire, mais d’une correspondance et
d’une complète entente entre Umwelt et Innenwelt55 , la conscience et le
monde, l’homme et la nature éternelle. Littéralement le Sujet-Moi ou le
sujet-Roi Roger Caillois s’abîme dans le vertige de sa recherche, imitant
intellectuellement le phénomène de psychasthénie, « dépersonnalisation par
assimilation à l’espace56 », décrit dans le Mythe et l’homme : « Pour ce
qui m’importe, il n’est pas de logique qui tienne, ni vertu, ni gloriole, ni
intérêt, ni bon sens même. [...] Tout en moi se trouve alors aimanté par

52. Roger Caillois, « Préface pour un livre provisoire », La Communion des Forts [1943], dans
Approches de l’imaginaire, op. cit. p. 88.
46 53. Roger Caillois, Procès intellectuel de l’art [1935], ibid., p. 36.
54. Roger Caillois, « Le vent d’hiver », op. cit., p. 78.
55. Roger Caillois, Procès intellectuel de l’art, op. cit., p. 54.
LITTÉRATURE 56. Roger Caillois, « Mimétisme et psychasthénie légendaire » [1935], Le Mythe et l’homme,
N°170 – J UIN 2013 op. cit., p. 112.

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RUPTURE ET CONTINUITÉ DANS L’ITINÉRAIRE INTELLECTUEL

une impulsion comme irrésistible, où je ne distingue plus qui exige et qui


acquiesce57 . »
Dans cette osmose entre l’esprit de l’homme et l’esprit du monde qu’il
habite, la communauté fermée s’universalise. Désormais elle n’est plus club
ou église réservé à l’élite des individus, mais ouverte à tous et à tout. L’essen-
tiel ici est que cette fusion miraculeuse est l’effet objectif de l’exigence qui
la provoque, l’aboutissement d’un désir faustien d’aller au bout du représen-
table et de l’explicable. C’est dans cette direction qu’il faut penser l’usage
presque obsessif du préfixe sur parmi les membres du Collège ou leurs alliés.
Dans l’immesure où il marque l’excès, la volonté de s’aventurer au-delà de
la norme admise, le sur appelle l’ouverture et débouche nécessairement sur
elle. Dans la lignée du « surhomme » nietzschéen, le « surrationalisme »
de Bachelard, la « sursocialisation » de Caillois, y compris (et peut-être
surtout) le « surfascisme » de Bataille, sont par définition anti-totalitaires ;
et ils le sont, non par la force à laquelle ils répondent, mais par la forme qu’il
leur faut prendre pour s’énoncer et se communiquer, par cette « nécessité
d’esprit » qui oblige l’homme à sevrer sa faim anthropologique de Tout
dans l’ordre du langage. Cette forme est salvatrice. En affirmant l’obligation
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inéluctable au sens et à la représentation, elle rend visible la limite ultime à
laquelle l’animal humain librement s’accule lorsqu’il choisit la clairvoyance.
D’un bout à l’autre, Caillois aura imprimé à son œuvre l’économie de
l’expiation qu’il avait définie dans L’Homme et le Sacré. Expier, du latin
ex-piare, veut dire « faire sortir (de soi) l’élément sacré (pius)58 ». Ainsi
en va-t-il de l’écriture dans les derniers livres : potlatch intérieur, élément
cathartique de la dépense à perte et du sacrifice où se consume l’ubris de
l’individu. « Je ne me suis réconcilié avec l’écriture qu’au moment où j’ai
commencé à écrire avec la conscience que je le faisais de toute façon en
pure perte59 ». C’est en effet dans et par l’écriture, autrefois honnie comme
activité « de refuge et d’évasion60 » et avatar du romantisme, que Caillois
accède à l’unité du mythe : en s’absorbant dans la contemplation des pierres
immémoriales ou en devenant fleuve Alphée, « heureux de s’approcher de
la fissure » d’où il est issu et où il va de nouveau s’engloutir « dans quelque
perte mystérieuse, imprévisible »61 . Dernier venu sur la planète, l’homme a
dû renoncer à son arrogance d’apprenti sorcier. Il ne prétend plus soumettre
une nature devant laquelle il sait désormais n’être qu’un néophyte ; son
ultime ambition ne va plus à violer le secret de ces minéraux témoins muets
de son histoire, mais au contraire à le sceller dans l’épuisement des mots :
« je cherche à donner à mes phrases même transparence, même clarté, si

57. Roger Caillois, « En manière de conclusion », Approches de l’imaginaire, op. cit., p. 246. 47
58. Roger Caillois, L’Homme et le Sacré, op. cit., p. 46.
59. Roger Caillois, Le Fleuve Alphée, Paris, Gallimard, 1978, p. 201.
60. Roger Caillois, « Paris, mythe moderne », op. cit., p. 172. LITTÉRATURE
61. Roger Caillois, Le Fleuve Alphée, op. cit., p. 10-11. N°170 – J UIN 2013

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“Litterature_170” (Col. : RevueLitterature) — 2013/5/14 — 10:35 — page 48 — #48
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ROGER CAILLOIS

possible – pourquoi pas ? – même éclat que les pierres. [...] comme si je
souhaitais les dédoubler par le langage62 ».
À vingt ans, l’auteur du Mythe et l’homme rêvait d’effectuer le saut
magique, la transmutation du « mythe humilié » par la littérature au « mythe
triomphant »63 de la résurrection sociale. Il lui faudra un demi-siècle pour
accepter dans L’Écriture des pierres et Le Fleuve Alphée que le mythe est
depuis toujours déjà un témoignage d’humilité. Car le mythe est langage,
comme le roman, il est littérature : représentation symbolique où l’homme
approfondit dans le filtre des mots le sens de son histoire et de sa finitude.
S’il y a un enseignement à tirer de cette odyssée spirituelle il faut donc le
chercher dans la « réconciliation » finale de Caillois avec l’écriture ; dans
cette « mythographie » que l’individu s’impose à lui-même afin d’expier
son désir d’être Tout, d’être Dieu lui-même, et découvrir sa juste place au
sein de l’univers.
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LITTÉRATURE 62. Ibid., p. 204.
N°170 – J UIN 2013 63. Roger Caillois, Le Mythe et l’homme, op. cit, p. 34.

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