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Réactions africaines à l’incendie de Notre-Dame

de Paris

Des pierres et des hommes


par Sabine Cessou, 29 avril 2019
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Modélisation au laser de Notre-Dame de Paris par
Andrew Tallon.
© Andrew Tallon / Vassar College.
Un déluge de réactions africaines s’est abattu sur
les réseaux sociaux après l’incendie de Notre-
Dame de Paris. Les uns ont pointé l’exemplarité de
la France, dans la valeur qu’elle accorde à son
patrimoine. Les autres se sont scandalisés des
sommes annoncées par de grands groupes privés
pour réparer les dégâts, ou de la solidarité
manifestée jusqu’au plan financier par des chefs
d’État africains. Au total, pas moins de 800
millions d’euros s’annoncent sous forme de dons
— soit un huitième du PIB du Niger, l’un des pays
les plus pauvres du monde. Et plus qu’il n’en faut
pour les travaux de rénovation.

Beaucoup d’internautes d’Afrique francophone


ont fait le parallèle avec les migrants. « Des
pierres d’un côté, des vies de l’autre. Sur quoi
devons-nous pleurer ? », s’interroge ainsi un
artiste, qui place côte à côte une photo de la
cathédrale en flammes et une embarcation
chargée d’Africains en plein naufrage. « J’ai du
ciment à donner, mais pas le visa », plaisante un
Dakarois. « Notre Dame de Paris ne doit pas
mourir. Notre Dame d’Alep peut crever. Certaines
sont plus Dames que d’autres », s’indigne un
chrétien du Sénégal.

Accents populistes
Faut-il voir dans ces commentaires un soupçon de
populisme ? Une pensée binaire d’abord
épidermique ? Le danger est pointé depuis Kigali
par Dorcy Rugamba, écrivain et dramaturge
rwandais. « Suggérer qu’il faut financer les
hommes et non les pierres revient à la même
logique que l’extrême-droite en France, qui dit
qu’il faut bloquer les migrants parce qu’il y a trop
de sans domicile fixe. Le problème ne porte pas
sur les migrants, mais les SDF ! Il ne faut pas
opposer les deux, hommes et pierres. Il faut à la
fois réhabiliter Notre-Dame et revoir la politique
migratoire. »

Si débat il doit y avoir, il devrait rester sur le sujet


des œuvres d’art, estime cet artiste qui a organisé
en mars un forum à Kigali sur l’architecture et les
lieux culturels en Afrique. « L’incendie rappelle à
quel point le patrimoine compte. L’intérêt pour le
patrimoine français contraste avec le mépris
manifesté pour les œuvres des pays africains, dont
on veut faire barrage à la restitution. De ce point
de vue, il y a deux poids, deux mesures. Le cœur
de la France se trouve à Notre-Dame, nous dit-on.
C’est la même chose pour les œuvres d’art
africaines, où se trouve aussi le cœur de l’Afrique.
»

« Un narcissisme qui ne dit pas son nom »


Felwine Sarr, écrivain et économiste sénégalais,
co-auteur d’un rapport sur la restitution qui a fait
grand bruit à sa publication en octobre, fait lui
aussi le lien avec cette question depuis Saint-Louis
du Sénégal. « Si le patrimoine est important pour
les Européens, ils devraient comprendre que les
autres nations y soient tout autant attachées. Que
l’Europe applique aux autres ce qu’elle s’applique
à elle-même et se montre plus encline à restituer
les objets pris par la force durant l’époque
coloniale ». Il estime aussi que l’incendie montre à
quel point les « communautés sont celles de
l’imaginaire, d’où l’importance des symboles, des
traces, de tout ce qui signifie l’histoire et le vécu,
au-delà des choses matérielles ».
« Il s’agit d’un vieil imaginaire de l’Empire, où
lorsque le prince a froid, tout le monde grelotte. »
Il remarque néanmoins que « dans le traitement
médiatique qui a été fait de l’incendie, tout se
passe comme si le pays cherchait à vérifier que le
monde entier partage son émotion et exprime de
la compassion. C’est une forme de narcissisme qui
ne dit pas son nom. Tout ce qui touche l’Europe
doit résonner aux confins du monde, ce qui
signifie qu’elle est centrée sur elle-même. Il s’agit
d’un vieil imaginaire de l’Empire, où lorsque le
prince a froid, tout le monde grelotte. » L’un des
aspects de l’indignation africaine après l’incendie
tient au fait que « les Africains ne vivent pas le
même niveau de compassion ». Par exemple
lorsqu’un navire sombre avec 2000 personnes à
bord, comme le Joola au Sénégal en 2002 — un
accident encore plus mortel que celui du Titanic.

Quant aux manifestations d’émotion et de


solidarité des chefs d’État africains, elles
répondent selon Felwine Sarr à « cette demande
de compassion de l’Europe » et relèvent d’une
forme de « soumission ». « Nos chefs d’État
n’osent pas dire ce qu’ils pensent vraiment : c’est
dommage, mais il n’y a pas eu mort d’homme et la
France a les moyens de reconstruire. »

Les « personnages du rêve des autres »


L’anthropologue et sociologue gabonais Joseph
Tonda, à Libreville, relève de son côté l’absence de
réaction en Afrique aux 130 millions de dollars
trouvés dans les caves d’Omar el-Béchir, l’ancien
président du Soudan.

Il voit dans les réactions de chefs d’État africains


émus par l’incendie un lien fortement post-
colonial. « Eux qui organisent la mort de milliers
de leurs compatriotes en achetant des maisons,
des appartements, des voitures de luxe, en vivant
ailleurs que chez eux, en se soignant en Suisse ou
en France, eux qui sont si indifférents au sort de
leur peuple — sauf pendant les campagnes
électorales —, les voilà atteints dans leur âme de
néocolonisés par l’incendie de Notre-Dame. Les
réactions africaines qui rappellent le sort des
migrants et se scandalisent de l’argent déversé sur
le toit de Notre-Dame traduisent une réalité
profonde : celle de gens qui savent, peut-être
inconsciemment, où se trouvent les ressorts du
lieu de leur malheur. Ils sont encore et toujours
les personnages du rêve des autres ». Les autres
étant les ex-colonisateurs. Et Paris, l’ancienne
métropole coloniale.

Une question morale


Pour la philosophe française d’origine algérienne
Seloua Luste Boulbina, auteure de L’Afrique et ses
fantômes (Présence Africaine, 2015) et Les arabes
peuvent-ils parler ? (BlackJack Editions, 2011), ces
réactions signalent également la force du « face-à-
face post-colonial, dans ce couple maudit de l’ex-
colonisateur et l’ex-colonisé ». L’indignation
suscitée par l’argent mobilisé pour rénover Notre-
Dame lui paraît indissociable du contexte actuel.

« Le gouvernement a passé son temps ces


derniers mois, face au mouvement des Gilets
jaunes, à dire qu’il n’y a pas d’argent, alors qu’il y
en a manifestement. La clameur n’est pas
politique, elle est morale. Elle se produit aussi en
France, et pas seulement du côté de l’opinion
africaine. Quant un post Facebook met face à face
la cathédrale en flammes et un navire de migrants
qui sombre, il rappelle que le drame humain
n’offense personne. Le mécanisme de défense, en
Europe, face aux tragédies de la migration,
consiste à se dégager de l’interrogation morale qui
peut rendre malheureux. »

Pour boucler la boucle, Seloua Luste Boulbina


estime que « le mécénat culturel est totalement
distinct des causes humanitaires. C’est
moralement que préférer la pierre à l’homme
choque ».

Sabine Cessou

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