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E u g e n Bleuler

DEMENTIA PRAECOX OU
GROUPE DES SCHIZOPHRÉNIES

Traduction Alain Viallard


Préface B. Rancher, G. Zimra
J.-P. Rondepierre, A. Viallard

Suivi de
Henri Ey
L A CONCEPTION D'EUGEN B L E U L E R

E . P . Ei . T i.
G. R. E. C.
© E . P . E . L . , 29, rue Madame, 75006 Paris
I S B N : 2-908855-11-9
© G . R . E . C . , 12, rue Fanny, 92110 Clichy
I S B N : 2-907789-06-6
Distribution Distique
Dépôt légal 31 071 FF, octobre 1993
DEMENTIA PRAECOX
OU
G R O U P E DES S C H I Z O P H R É N I E S
Aux éditions E . P . E . L .
Marguerite, ou VAimée de Lacan
Jean ALLOUCH

Le retour à Freud de Jacques Lacan


L'application au miroir
Philippe JULIEN

L'incomplétude du symbolique
De René Descartes à Jacques Lacan
Guy LE GAUFEY

Ethnopsychanalyse en pays bamiléké


Charles-Henry P R A D E L L E S DE LATOUR

Le transfert dans tous ses errata, suivi de Pour une


transcription critique des séminaires de Jacques Lacan
e.l.p.
Essai sur la discordance dans la psychiatrie contemporaine
Georges LANTERI-LAURA, Martine GROS
suivi de Quelques mots sur la psychologie de la mathématique pure,
de Philippe CHASLIN

La main du prince
Michele B E N V E N G A , Tomaso COSTO,
préface de S . S . N I G R O ,
traduction de M. B L A N C - S A N C H E Z
La folie Wittgenstein
Françoise DAVOINE

Louis Althusser récit divan


Jean ALLOUCH

Freud, et puis Lacan


Jean ALLOUCH

Louis II de Bavière, selon Ernst Wagner paranoïaque dramaturge


Anne-Marie VINDRAS

La folie héréditaire
Ian DOWBIGGIN

Aux éditions du G . R . E . C .
Le délire des persécutions
L E G R A N D DU S A U L L E

Le traité des passions de l'âme et de ses erreurs


Claude GALIEN
Eugen Bleuler

DEMENTIA PR/ECOX OU
GROUPE DES SCHIZOPHRÉNIES

Traduction Alain Viallard


Préface B. Rancher, G. Zimra
J.P. Rondepierre, A. Viallard

Suivi de
Henri Ey
LA CONCEPTION D'EUGEN B L E U L E R

E.P.E.L.
G. R. E. C.
HANDBÜCH DER PSYCHIATRIE.
UNTER MITWIRKUNG VON

PR0FE880R A. Al.ZHF.IMER (MÜNCHEN), PROFESSOR E. BL.F.ULEK (ZuKICIl).

PROFESSOR K. BONHOEFFER (BRESLAU), PRIVATDOZENT G. BONVICJNI (WIEN'I,


PROFESSOR O. BÜMKE (FREIBURG I. B.), PROFESSOR II. GAUPP I TÜBINGEN ),
D I R E K T O R A . GROSS (BUKACH I. E . ) , PROFESSOR A . H O C I I E ( F R E I B U R G I. B . ) , P R I V A T -
DOZENT M. I S S E R L I N ( M Ü N C H E N ) , P R O F E S S O R T . KIRCHHOFE ( S C H L E S W I G ) , D I R E K T O R
A. MERCKUN (TREPTOW A. B . ) , PROFESSOR E. REDLICH (WIEN), PROFESSOR
M . R O S E N F E L D (STRASSRURG I . E . ) , P R O F E S S O R P . SCIIROEDER ( B R E S L A U ) , PROFESSOR
E. SCHULTZE (GREIFSWALD), PRIVATDOZENT W. SPIELMEYER (FREIBURG I. B . ) ,
PRIVATDOZENT E. STRANSKY (WIEN), PROFESSOR I I . VOGT ( F R A N K F U R T A. M . ) ,
PRIVATDOZENT G. VOSS (GHEIFSWALD\ PROFESSOR J. WAGNER RITTER VON
JAUREGG (WIEN), PROFESSOR W. WEYGANDT (HAMBUnG-FiUEDniciisnERG)

HERAUSGEGEBEN VON

PROFESSOR DR. G. ASCHAFFENBURG


IN K Ö L N A. RH.

SPEZIELLER TEIL.

4. ABTEILUNG, 1. HÄLFTE.

DEMENTIA PRAECOX ODER GRUPPE DER SCHIZOPHRENIEN,


VON

PROFESSOR E. B L E U L E R .

LEIPZIG UND WIEN

FRANZ DEUTICKE.
1911.
Préface

Bleuler,
e n t r e psychiatrie
et psychanalyse ?

B. RANCHER, J.-P. R O N D E P I E R R E ,
A. VIALLARD, G. ZIMRA

Eugen Bleuler ( 1 8 5 7 - 1 9 3 9 ) reste la grande référence en matière de


démence précoce-schizophrénie. Pourtant, sa monographie consacrée
aux schizophrénies, qui occupe un tome entier du Traité de psychiatrie
d'Aschaffenburg, n'a jamais été intégralement traduite en français jus-
qu'ici 1 , ce qui peut sans doute être considéré comme le signe des am-
biguïtés qui entourent la schizophrénie bleulérienne.

A cet égard, la position de Bleuler lui-même pourrait sembler quelque


peu ambiguë : s'inscrivant dans le droit-fil d'une démarche nosogra-
phique née de conceptions purement organicistes de la folie, il intro-
duit de la psychogénie dans sa théorie ; pourtant, la psychogénie ne
concerne, chez lui, que la formation de symptômes dits « se-
condaires » : en ce sens, il ne s'agit que d'un pseudo-dualisme ; enfin,
son œuvre représente l'achèvement apparent d'un type particulier de
classification des maladies mentales né quarante ans plus tôt, en réac-
tion à la théorie de la psychose unique de Wilhelm Griesinger (1817-
1868) et Heinrich Neumann ( 1 8 1 4 - 1 8 8 4 ) , et pourtant elle aboutit à un
quasi-retour à la psychose unique, si vaste est le champ des troubles
englobés par le concept bleulérien de schizophrénie.

1. Henri Ey avait réalisé en 1926 une traduction abrégée de 130 pages dactylographiées, qui
a été rediffusée sous forme de polycopiés en 1964 par le Cercle d'Etudes Psychiatriques, sous
le titre Dementia praecox oder Gruppe der Schizophrenien, suivie de « La conception d'Eugen
Bleuler » et « Des principes de Hughlinghs Jackson à la Psychopathologie d'Eugen Bleuler ».
Bleuler dans l'histoire
de la classification psychiatrique

Avant Kraepelin :
de la psychose unique à la « méthode clinique »

Après un affrontement passionné entre de multiples théories organo-


géniques et psychogéniques de la folie durant la première moitié du
X I X e siècle, les tenants de l'organogénie l'avaient emporté haut la main
durant la seconde moitié du siècle. Encore pouvait-on discuter âpre-
ment la question de savoir si les manifestations de la folie étaient les
témoins de troubles endogènes cérébraux ou de troubles organiques
extra-cérébraux. Tant chez les organicistes que chez les « psychistes »,
la description des multiples tableaux de troubles mentaux avait abouti
à une véritable atomisation de la psychiatrie.
En réaction à cela, le courant qui prévalait vers le milieu du siècle,
celui de Griesinger (1845) et de Neumann (1859), postulait que la folie
était une, et était liée à des altérations anatomiques du cerveau : « Il
n'existe qu'une sorte de perturbation mentale, nous l'appelons folie »,
déclarait Neumann 2 . C'est ce que l'on a désigné couramment comme
la psychose unique.
Dès les années 1860, Karl Ludwig Kahlbaum (1828-1899) s'oppose à
ce courant. En 1863 paraît sa Classification des maladies psychiques,
essai pour ouvrir la voie à un fondement empirique et scientifique naturel
de la psychiatrie en tant que discipline clinique. Pour lui, une étude
suffisamment attentive et rigoureuse des tableaux instantanés et de
leurs modalités évolutives et terminales devra permettre, comme en
médecine somatique, d'individualiser un certain nombre de « tableaux
provisoires de maladie » que les progrès de l'anatomie pathologique ne
pourront que confirmer par la suite, comme cela a été le cas pour
nombre de maladies somatiques. Il appelle sa démarche « méthode cli-
nique ».
C'est dans ce courant, donc à la fois sur une base théorique fonda-
mentalement organiciste et en réaction à l'insuffisance de la doctrine
de la psychose unique, que se situera la démarche qui, en quarante

2. Neumann H., Handbuch der Psychiatrie, Erlangen, Enke, 1859, p. 167.


ans exactement, de 1871 à 1911, mènera de l'hébéphrénie de Hecker-
Kahlbaum au vaste groupe des schizophrénies de Bleuler : publication
de L'hébéphrénie ou folie juvénile par Ewald Hecker ( 1 8 4 3 - 1 9 0 9 ) en
1871, de La catatonie ou folie tonique (1874) et de Uhéboïdophrénie
ou demi-folie juvénile (1889/1890) par Kahlbaum, et des diverses édi-
tions du Traité de Kraepelin.

Les années K r a e p e l i n

Bien qu'ayant commencé à publier avant Bleuler, Emil Kraepelin


( 1 8 5 6 - 1 9 2 6 ) est presque son exact contemporain, à un an près 3 . Après
avoir travaillé à Leipzig chez Paul Emil Flechsig ( 1 8 4 7 - 1 9 2 9 ) , il est
professeur de psychiatrie à Dorpat (Estonie) de 1 8 8 6 à 1890, à Hei-
delberg de 1891 à 1903, et enfin à Munich. Au cours des années qua-
tre-vingt-dix, il va s'appliquer à remanier la classification des
psychoses suivant les principes de la méthode clinique de Kahlbaum,
dans l'espoir d'aboutir à une véritable nosographie psychiatrique. Les
huit éditions de son Traité paraissent en 1883, 1887, 1890, 1893, 1896,
1899, 1903/1904 (2 tomes) et 1909/1915 (4 tomes) ; l'évolution de la
classification kraepelinienne témoigne de son souci de ne considérer
comme définitif aucun des acquis de la « méthode clinique » tant que
la preuve anatomopathologique espérée manquera.

C'est sans doute après son arrivée à Heidelberg que Kraepelin se fa-
miliarise avec l'hébéphrénie de Hecker-Kahlbaum. Son approche des
syndromes qui seront englobés dans la future démence précoce se cen-
trera essentiellement, au moins dans un premier temps, sur l'aspect
déficitaire. Le groupe précurseur de la démence précoce, celui des
« processus psychiques de dégénérescence 4 », apparaît dès la qua-
trième édition du Traité (1893). Kraepelin y distingue la démence pré-
cocecorrespondant à peu près à l'hébéphrénie de Hecker, la
catatonie, qui ne garde de la catatonie de Kahlbaum que les cas à
évolut ion déficitaire, et la démence paranoïde, formée de cas précé-
demment rangés clans la paranoïa et dont Kraepelin insiste sur l'évo-
lution étonnamment rapide vers le déficit.

3. Certaines sources indiquent 1 8 5 5 comme année de naissance (K. Birnbaum et Le Petit


Robert).
4. En allemand : psychische Entartungsprozesse.
5. Rappelons que Bénédict Auguste Morel ( 1 8 0 9 - 1 8 7 3 ) fut le premier à utiliser ce terme
dans son Traité des maladies mentales de 1860. Il décrivait très brièvement, sous ce nom,
une forme d'affaiblissement psychique apparaissant après la puberté.
Le point commun de ces trois « entités » nosographiques est le passage
rapide à une faiblesse d'esprit incurable dans laquelle on peut distin-
guer certains traits communs comme l'émoussement affectif, la « stu-
pidité » et les comportements automatisés et désadaptés de la phase
terminale ainsi que, dans les formes paranoïdes, le caractère insensé
et incohérent du délire.
A propos de la démence précoce, Kraepelin reprend le trouble déjà
décrit par Hecker, la dissociation6 de la pensée.
Sur le plan étiologique, l'hypothèse privilégiée à l'époque fait appel à
la dégénérescence 7 , ce concept français « pernicieux », selon Kahl-
baum, et à l'égard duquel Kraepelin prendra progressivement ses dis-
tances.

Dans la cinquième édition (1896), le terme de « processus psychiques


de dégénérescence » est remplacé par celui de « processus démentiels »,
puis, dans la sixième édition (1899), le terme de démence précoce qualifie
pour la première fois Yensemble du groupe de psychoses « déficitaires »
de l'adulte et du jeune correspondant aux termes de processus psychi-
ques de dégénérescence puis de processus démentiels. La forme pré-
cédemment appelée démence précoce devient Yhébéphrénie.

C'est dans la septième édition (tome II, 1904) que la démence précoce
kraepelinienne connaît sa plus grande extension. Elle reste divisée en
trois groupes : formes hébéphréniques, formes catatoniques, formes pa-
ranoïdes. Si l'on se penche sur les symptômes principaux que décrit
Kraepelin, on trouve essentiellement la dissociation, qui va « d'une dis-
traction et d'une versatilité exagérée de la pensée » à « une incohé-
rence du langage avec néologismes, appauvrissement de la pensée et
stéréotypies ». Le jugement des malades est « gravement perturbé dès
qu'ils sortent des sentiers battus ». Les idées délirantes et les halluci-
nations, quasi constantes pour Kraepelin, témoignent rapidement de la
même dissociation que la pensée en général. Le déficit affectif, Y abê-
tissement affectif, est un signe capital et absolument constant. La vo-
lonté est perturbée par des « barrages » faisant que toute incitation à
un acte volontaire est contrariée par une autre, de sens inverse et plus
forte, ou par des « impulsions transverses » aboutissant à un autre acte,
sans rapport avec celui projeté, d'où les troubles du comportement et
de l'activité portant la marque du négativisme et de l'automatisme.

6. Zerfahrenheit ou Dissoziation, qui seront utilisés comme synonymes pour désigner ce trouble.
7. Voir Ian Dowbiggin, La folie héréditaire, Paris, EPEL, 1993.
Dans l'ensemble, tous les symptômes portent le sceau de la perte de
l'unité intérieure (terme emprunté à E. Stransky par Kraepelin) des
prestations intellectuelles, affectives et volontaires. La perte de son
libre-arbitre parvient souvent à la conscience du malade sous la forme
d'un vécu d'influence.

Kraepelin décrit, de la démence précoce, neuf formes terminales possi-


bles. Les sept premières n'excluraient pas une reprise évolutive : guérison
totale (1), qu'il croit possible, bien que rare, contrairement à Bleuler qui
l'exclut ; guérison avec déficit séquellaire modéré (2), abêtissement sim-
ple (3), faiblesse d'esprit avec incohérence du langage8 (4), faiblesse
d'esprit hallucinatoire (5), dérangement hallucinatoire (6), et démence
paranoïde, avec délire luxuriant et nombreux néologismes (7).
Seules les deux dernières seraient l'aboutissement irréversible d'une
démence précoce ayant conduit à « l'anéantissement de la personnalité
psychique en tant qu'entité homogène » et entraîné « le retrait du ma-
lade de la communauté psychique avec son entourage » : l'abêtissement
radoteur, avec éléments catatoniques associés aux « stigmates d'un pro-
fond déficit mental » - incohérence des propos, dissociation totale du
comportement et de l'activité, reliquats indigents du délire, bizarreries
avec maniérisme, stéréotypies de mouvements, impulsions (8) et Va-
bêtissement apathique ou stupidité apathique, avec émoussement marqué
de toutes les performances psychiques, et reliquats catatoniques (9).

Ainsi, la démence précoce kraepelinienne se caractérise non tant par


des symptômes pathognomoniques que par la tendance générale à la
dissociation de la pensée (y compris délirante), de la volonté, des af-
fects et de leurs interrelations. Poussée à son maximum, cette disso-
ciation peut aboutir à une véritable désagrégation de l'esprit et à un
état déficitaire envisagé par Kraepelin comme étant une authentique
démence.

Sur des arguments épidémiologiques, Kraepelin rejette à présent l'hy-


pothèse dégénérative au profit de celle de destructions « concrètes »
du cortex cérébral, seules capables, selon lui, d'expliquer un « déclin
psychique si extraordinairement rapide ». Et il conclut qu'on ne sait
absolument pas quel processus produit ces troubles mais qu'on est
« particulièrement tenté de penser à une auto-intoxication9 [...] Auto-
intoxication qui pourrait être en relation plus ou moins éloignée avec

8. Sprachverwirrtheil : confusion du langage, littéralement. Voir glossaire.


9. Souligné par les auteurs.
des processus ayant leur siège dans les organes génitaux10 ». Cette re-
lation entre démence précoce et processus génitaux lui est suggérée
par la fréquence de l'apparition des troubles aux périodes critiques de
l'existence : puberté pour l'hébéphrénie, retour d'âge pour certaines
formes paranoides.
Dans la huitième édition (tome III, 1913), la tendance dissociative reste
le critère central de ce que Kraepelin présente maintenant comme un
grand groupe d'abêtissements endogènes, dans lesquels il distingue la
démence précoce et les paraphrénies. Sur le plan clinique, Kraepelin
individualise ces dernières par le fait que la dissociation n'y toucherait
pas l'ensemble de l'activité psychique, comme dans la démence précoce,
mais se cantonnerait au délire.

Bleuler
ou la négation de la nosographie kraepelinienne ?

En 1898, Bleuler succède à August Forel (1848-1931), à la fois comme


titulaire de la chaire de psychiatrie de l'université de Zurich et comme
directeur de la clinique universitaire du Burgholzli.
Dans Dementia praecox, il prend grand soin de préciser qu'il s'inscrit
dans le droit-fil de la nosographie kraepelinienne. Mais, paradoxale-
ment, l'extension qu'il donne au concept de démence précoce, en y
incluant toutes les hypocondries, hystéries, manies, mélancolies atypi-
ques, etc., en fait une sorte de fourre-tout — ce qu'il reproche à la
paranoïa d'avoir été dans le passé (tandis qu'il définit par ailleurs l'hé-
béphrénie comme une sorte de fourre-tout à l'intérieur même de sa
schizophrénie). C'est du reste la définition qu'il donne de l'hébéphrénie
par rapport aux autres sous-groupes, à l'intérieur même des schizo-
phrénies. En forçant à peine le trait, on pourrait dire que Bleuler par-
court en sens inverse le chemin qu'ont fait Kahlbaum, Hecker et
Kraepelin au cours des quarante années précédentes. Ainsi les schizo-
phrénies deviennent-elles pratiquement la psychose unique, bien que
le principe même de la classification kraepelinienne n'ait pas été remis
en question par Bleuler. Elles tendent même à déborder le champ des

10. Idem. Jung reprendra cette hypothèse à son compte « L'idée m'est tout à fait sympathique
qu'il y a peut-être une sécrétion "interne" qui cause les troubles, et que ce sont peut-être
les glandes sexuelles qui sont productrices des toxines », Correspondance Freud-Jung, voir
plus loin, lettre 12 J du 8 janvier 1907.
psychoses, voire de la pathologie mentale déclarée, par le biais des
notions de schizophrénie latente, schizophrénie asymptomatique dans
laquelle « seule une observation patiente et prolongée peut déceler
quelques défauts de la pensée » : « De tels malades légèrement atteints
sont considérés comme des nerveux de tout type, comme des dégénérés,
etc. 11 », et, surtout, de schizophrénie simple.

Les débordements dans le champ du maintien de l'ordre social ont


commencé très tôt. Dès 1903, on peut lire dans Dementia simplex d'Otto
Diem, qui fut assistant au Burgholzli, des descriptions de ces cas dont
les seuls symptômes sont les troubles du caractère et de l'insertion
sociale. Les hommes échouent dans l'existence et tombent à la charge
de leur commune natale avant que leur instabilité et leur mauvais ca-
ractère n'obligent enfin à les mettre à l'asile. Les femmes, auparavant
« épouses et mères d'un abord si facile », deviennent « querelleuses,
insupportables », si bien que chacun pense « avoir simplement à faire
à un mauvais caractère pourri » jusqu'à ce que « la parole expérimen-
tée du médecin » prononce « le mot, libérateur pour toute la famille,
de maladie 12 ».

Si l'on ajoute à cela que, par la suite, Bleuler deviendra de plus en


plus pessimiste sur les perspectives thérapeutiques, précisant que la
psychanalyse, théoriquement possible, est en fait souvent rendue im-
possible par le négativisme, on peut se demander si, au-delà de l'édi-
fice théorique séduisant qu'il propose, ses schizophrénies ne posent
pas la question formulée de façon percutante par Karl Jaspers (1883-
1939) dans sa Psychopathologie générale13 : à quoi peut-il servir de
poser un diagnostic si celui-ci ne permet de dire ni de quoi souffre le
malade, ni quel est son état présent, ni quel est son devenir, ni de
quel traitement il relève ?

11. Bleuler E., Dementia praecox, p. 6 3 et 3 0 9 .


12. Diem 0 . , »Die einlach demente Form der Dementia praecox (Dementia simplex)«, Archiv
für Psychiatrie, vol. 3 7 , 1903, p. 1 1 1 - 1 8 6 .
13. Jaspers K., Allgemeine Psychopathologie, 9 e éd., Berlin, Springer, 1 9 7 3 ( l r e éd. 1913).
L a t h é o r i e bleulérienne de la schizophrénie

« J'appelle la démence précoce schizophrénie parce que, comme j'espère


le démontrer, la scission (Spaltung) des diverses fonctions psychiques
est un de ses caractères les plus importants. Pour des raisons de
commodité, j'emploie le mot au singulier bien que le groupe contienne
vraisemblablement plusieurs maladies 14 . » L'auteur se propose donc de
repérer un groupe plutôt qu'une entité morbide (il reviendra sur ce
point ultérieurement) subsumé par un concept qui en désignerait le
signe pathognomonique : la schize, ou scission (Spaltung) de la psyché.

La position de Bleuler vis-à-vis de Pétiologie n'est pas évidente d'em-


blée, encore qu'elle ait une certaine logique lorsqu'on la considère
attentivement. En effet, dans la mesure où il situe son concept de schi-
zophrénie dans la filiation directe de la démarche classificatoire de
Kraepelin, qui s'appuie sur l'hypothèse d'une analogie fondamentale
de la médecine de l'esprit et de la médecine du corps, on ne saurait
lui reprocher de n'avoir pu renoncer à la thèse du processus causal
organique. La théorie de la maladie, avec ses symptômes primaires
relevant du processus morbide et ses symptômes secondaires psycho-
gènes, représente donc probablement le compromis le plus satisfaisant
possible dans ce contexte 15 .
Cette théorie, si elle n'est pas psychogéniste, n'est pas non plus une
vraie théorie dualiste, dans la mesure où la maladie ne présuppose
pas, pour Bleuler, de facteurs psychiques préalables indispensables.
Seul le facteur causal organique supposé est le primum movens, qui
produit quelques signes primaires, « peu nombreux » ; la psychogénie
des symptômes secondaires ne représente pas un facteur causal de la
maladie16, mais seulement soit une amplification des troubles pri-
maires, soit une tentative de colmatage. C'est précisément cette dis-
tinction entre troubles primaires et troubles secondaires qui avait
séduit Henri Ey, au point de qualifier Bleuler de refondateur de la
psychiatrie, le comparant à Pinel 17 .

14. Bleuler E., Dementia praecox, p. 44.


15. Rappelons que la distinction entre symptômes primaires et secondaires, théorique, ne
se confond nullement avec celle entre symptômes fondamentaux et accessoires, purement
clinique : sont fondamentaux les signes que l'on trouve en permanence dans toute schizo-
phrénie, et accessoires ceux que l'on ne rencontre pas forcément.
16. De la maladie en tant qu'entité nosographique, opposée aux « tableaux instantanés » qui
représentent le signe mais non l'essence de l'affection.
17. Ey H., « La conception d'Eugen Bleuler », op. cit.
Revenons sur l'architecture originale de cette théorie, avec sa hiérar-
chie bipolaire des symptômes : les symptômes primaires seraient l'in-
dice d'un processus morbide, alors que les secondaires pourraient être
tenus pour la réaction de l'esprit malade aux événements internes ou
externes. Psychogéniques, les signes secondaires constituent l'essentiel
de la symptomatologie, alors que le processus organique ne crée que
la disposition à la maladie et quelques signes primaires, peu nombreux.
C'est ainsi que l'auteur maintient l'hypothèse d'une étiologie organique.
S'il mentionne que le présupposé du processus organique n'est pas
indispensable et qu'on pourrait envisager que toute la symptomatologie
soit déterminée psychiquement, c'est pour écarter finalement cette
hypothèse au profit de celle d'une perturbation anatomique ou chimi-
que causale. Cette perturbation « détermine les symptômes primaires
(relâchement associatif, éventuellement tendance aux hallucinations et
aux stéréotypies, une partie des symptômes maniaques et dépressifs et
des états d'obnubilation, etc.) » et, au cours des exacerbations du pro-
cessus, « [...] des symptômes psychiques tels que certains états de
confusion et de stupeur [...] ». Par ailleurs, « Les autres symptômes
psychiques naissent indirectement d'effets anormaux de mécanismes
normaux dans l'esprit perturbé de façon primaire, l'affectivité surtout
prenant une prépondérance pathologique sur les fonctions logiques af-
faiblies » 1 8 .

Le symptôme primaire fondamental, véritable clé de voûte de tout l'édi-


fice, consisterait en un relâchement primaire des associations, une
baisse des affinités associatives. D'autres symptômes primaires, épars
et inconstants, sont bien proposés mais, nous semble-t-il, par analogie
avec d'autres affections organiques : ainsi du tremblement, des inéga-
lités pupillaires, des troubles vasomoteurs, de certains états de torpeur
et de certains accès maniaques et mélancoliques.
Relâchement primaire des associations : la tendance aux ruptures as-
sociatives serait donc d'ordre primaire, alors que le choix des associa-
tions perturbées serait plutôt secondairement déterminé par les
complexes affectifs. La subordination d'un symptôme aux complexes
indiquerait sa nature secondaire, alors que le signe primaire serait sans
contenu psychique. Ce relâchement des associations serait cause d'un
affaiblissement des fonctions logiques, ce qui rendrait compte de la
prédisposition pathologique à la fragmentation de l'esprit, au délire.
L'affaiblissement logique se ferait au profit des affects, ou complexes

18. Bleuler E., Dementia praecox, p. 4 8 1 et suivantes.


affectifs. Il en résulterait une tendance aux associations dites superfi-
cielles, approximatives, telles qu'associations par assonance, conso-
nance, prononciation, confusion conceptuelle, « symbolisme 19 ». Ce
défaut dans la cohérence de la pensée du schizophrène se manifesterait
par « un certain degré d'absence de représentation du but (Zielvorstel-
lung) ». Par la levée de l'inhibition entre les différents complexes,
l'être du schizophrène serait comme morcelé en différents blocs idéo-
affectifs complexuels.

En résumé, cette dislocation que Bleuler dit systématisée en fonction


de ces complexes apparaît comme le symptôme clé de la maladie. C'est
ce symptôme qu'il nomme Spaltung (scission). Mais derrière cette Spal-
tung secondaire existerait une fragmentation non systématisée, due au
relâchement primaire des associations, dont le degré extrême est la
Zerspaltung (fission).

Repartons de l'idée que se fait Bleuler du fonctionnement psychique


normal. Qu'il s'agisse du laboureur, ou bien de l'écrivain, il les imagine
comme tout à leur tâche. L'écrivain, par exemple, dirige ses pensées
vers la représentation du but (Zielvorstellung) de sa phrase, laquelle
est soumise à la Zielvorstellung du but du chapitre, elle-même soumise
à la Zielvorstellung de l'ouvrage dans son entier. Pour Bleuler, une
telle pensée logique se constitue d'associations fortes, de sorte que les
concepts s'enchaînent de façon cohérente vers une idée directrice.
L'association joue positivement, en maintenant solidement le lien asso-
ciatif, et négativement, en inhibant les autres systèmes idéiques - « le
normal ne peut penser deux choses à la fois » - en rétrécissant le
champ de la conscience, en focalisant l'attention dans une direction
donnée. Cette pensée logique est celle-là même qui suit les voies de
l'expérience. Où se décèle la conception associationniste classique de
l'auteur 20 .
La séparation, l'indépendance des complexes n'est évidemment pas ab-
solue. Ils restent en relation avec la personnalité, et peuvent l'influen-
cer, mais le moi est en rapport tantôt avec l'un, tantôt avec l'autre. Les
malades semblent ainsi scindés en diverses personnalités 21 .
Pour Bleuler, du fait de l'asservissement de la logique à l'affectivité,
il existe un défaut dans la direction de la pensée, un manque de but.

19. Au sens jungien.


20. « La pensée logique est la reproduction d'associations de façon identique ou analogue
à ce qu'a enseigné l'expérience acquise ». Voir Bleuler E., Dementia praecox, p. 130.
21. Bleuler E., Dementia praecox, p. 3 8 0 .
Peuvent ainsi exercer une action des représentations qui n'ont aucune
espèce de relation, ou des relations insuffisantes, avec l'idée maîtresse,
et qui devraient être exclues des processus de pensée. Ainsi cette pen-
sée se montre-t-elle rompue, bizarre, inadéquate. Il existe sans doute
une sorte d'unité, de direction des associations, sans qu'on puisse pour
autant parler de cohésion logique. La pensée serait soutenue par une
sorte de concept générique, de « surconcept » ( O b e r b e g r i f f ) , plutôt que
par une représentation du but.

Dans le langage écrit et parlé de ses patients, Bleuler croit repérer


des modalités associatives particulières, dont il infère l'hypothèse d'un
déficit primaire, relâchement primaire des associations, indice d'un
processus organique. L'idée d'un affaiblissement, d'un déficit, est donc
bien maintenue, témoin la bizarrerie qui fait que Bleuler, tout en niant
que le pseudo-Aédcit soit organique, soutient qu'une schizophrénie ne
connaît jamais cette guérison vraie à laquelle Kraepelin croit, lui, mal-
gré son idée d'un déficit organique. Quelque chose dans la machine
cérébrale serait subtilement détraqué, signe du processus physiopatho-
logique destructeur, de sorte que cette machine pourrait fonctionner
n'importe comment et, parfois, faire sortir les associations au hasard :
présence d'un indéterminé au sein de la psyché.
De là découle l'idée d'une hiérarchie des associations : seraient tenues
pour fortes les associations dites logiques (c'est-à-dire empiriques, se-
lon l'associationnisme classique), et pour faibles les associations dites
verbales (nous dirions aujourd'hui littérales). La pensée schizophréni-
que porte les séquelles de ce déficit primaire : le schizophrène, comme
le rêveur 22 , se replie dans son monde intérieur, et c'est l'autisme. L'af-
faiblissement des contraintes logiques a pour conséquence que les
« complexes » s'y satisfont sans difficulté.
On voit que l'autisme, quoi qu'en dise l'auteur 23 , n'a rien à voir avec
l'auto-érotisme au sens freudien. Mais, pour étudier ce point, il nous
faut revenir une dizaine d'années avant la publication de l'ouvrage.

2 2 . L'analogie entre rêve et autisme est soutenue tant par Bleuler que par Jung.
2 3 . « L'autisme est à peu près ce que Freud nomme auto-érotisme ». Voir Bleuler E., De-
mentia praecox, note p. 112.
Bleuler, F r e u d , J u n g , A b r a h a m

Les années 1 9 0 0 - 1 9 1 0

Bleuler prend son poste de médecin-directeur au Burgholzli en 1898.


Elève de Wilhelm Wundt (1832-1920), lui-même héritier de la théorie
associationniste, il veut, à l'aide des tests d'association de Galton 24 ,
comprendre les malades et mieux connaître les particularités de leur
langage. Premier psychiatre à s'être intéressé de près aux théories de
Sigmund Freud (1856-1939), il invite ses collaborateurs à s'engager
avec lui dans cette recherche. Comme le note Ellenberger, Bleuler et
ses assistants « passaient des heures à examiner des patients choisis
en vue de déterminer la justesse des vues de Freud... La psychanalyse
semblait obséder tout le personnel de la clinique 25 ». Parmi ces assis-
tants, Carl-Gustav Jung (1875-1961), qui restera au Burgholzli jusqu'en
1911, et Karl Abraham (1877-1925), qui le quittera en 1907 pour s'ins-
taller à Berlin comme psychanalyste.
Il est difficile de séparer les productions théoriques de chacun de ces
quatre protagonistes principaux de leurs liens personnels et de leur
mise institutionnelle. Les correspondances s'avèrent d'un extrême in-
térêt. La correspondance entre Freud et Jung débute en 1906, celle
entre Freud et Abraham en 1907. Nous manque malheureusement une
correspondance riche et abondante, aux dires mêmes de Freud, entre
lui-même et Bleuler, à l'exception de quelques extraits dont on doit la
publication à Franz Alexander (1891-1964) 2 6 .

Carl-Gustav Jung

Dans une première lettre, Freud remercie Jung de l'envoi de ses études
diagnostiques d'association 2 '. Il y trouve, non sans satisfaction, une
confirmation scientifique à son hypothèse du déterminisme psychique.
Freud fera allusion aux travaux de Jung pour la première fois en public
deux mois après, dans une conférence destinée à des juristes et inti-

24. Sir Francis Galton ( 1 8 2 2 - 1 9 1 1 ) , cousin de Darwin, fut également un des pionniers de
l'eugénisme.
25. Ellenberger H.-F., A la découverte de l'inconscient, SIMEP, p. 6 5 5 - 6 5 6 .
26. Alexander F., Selesnick S. T., Freud-Bleuler Correspondence, Los Angeles, Archives of
psychiatry, January 1965.
27. Correspondance Freud-Jung, lettre 1 F, 11 avril 1906, Gallimard, 1992.
tulée « La psychanalyse et l'établissement des faits en matière judi-
ciaire 2 8 ».
A la même époque, Jung publie sa Psychologie de la démence précoce
(1906) . Etre honnête avec Freud, déclare-t-il dans la préface de cet
2 9

ouvrage, n'implique pas une soumission inconditionnelle à un dogme,


et reconnaître les mécanismes complexes des rêves et de l'hystérie ne
signifie pas qu'il convienne d'attribuer au traumatisme sexuel infantile
une telle importance, ni qu'il faille accorder à la sexualité une place
aussi prédominante. Le ton est donné : Jung n'acceptera jamais sans
réticence les conceptions sexuelles de Freud, quoi qu'il en soit de ses
protestations d'allégeance.
Dans la démence précoce, les complexes affectifs revêtiraient une
forme particulière, croit-il repérer grâce à ses méthodes diagnostiques
d'associations.
Entre démence précoce et hystérie, il y aurait analogie plutôt qu'iden-
tité : dans la démence précoce, les complexes seraient fixés, isolés de
la personnalité totale ; ils sembleraient « se fondre de manière approxi-
mative », devenant par là « auto-érotiques », alors que dans l'hystérie
la fixation serait moindre, parfois réversi ble 3 0 .
Cette spécificité de la démence précoce aurait pour cause la présence
d'une toxine qui détériorerait le cerveau de façon plus ou moins irré-
parable, paralysant par là les fonctions psychiques les plus élevées 5 1 .
Cette toxine préexisterait-elle, ou bien, hypothèse surprenante, serait-
elle sécrétée par le complexe ? Jung ne tranche pas la question. Quoi
qu'il en soit, il propose l'équation : démence précoce = toxine +
complexe.
Freud a-t-il jamais été dupe des profondes divergences théoriques de
Jung avec sa pensée, malgré l'insistance de celui-ci à les minimiser
et à les présenter comme provisoires : « [...] vous sautez une compo-
sante à laquelle bien sûr j'attribue une bien plus grande valeur que
vous en ce moment ; vous savez, la +++ sexualité 32 » ? Il insiste pour-
tant sur ce qu'il croit repérer comme points d'accord : « Vous relevez
à bon droit la chose la plus essentielle, le fait que les malades nous

2 8 . Freud S., « L'établissement des faits par voie diagnostique et la psychanalyse », in L'in-
quiétante étrangeté et autres essais, Paris, N R F Gallimard, 1 9 8 5 .
29. Jung C.-G., "Psychology of dementia praecox", in The psychogenesis of mental disease,
Londres, Routledge, 1 9 8 1 , p. 4.
3 0 . Certains auteurs avancèrent l'hypothèse d'une hystérie dégénérative.
3 1 . Jung C.-J., "Psychology of dementia praecox", op. cit., p. 3 6 - 3 7 , paragraphes 7 5 - 7 6 .
3 2 . Correspondance Freud-Jung, op. cit., lettre 11 F, 1 janvier 1 9 0 7 .
livrent ces complexes sans résistance et qu'ils ne sont pas accessibles
au transfert 33 . »
Ainsi, quelques semaines plus tard, Freud adresse-t-il à Jung un ex-
posé précis et détaillé de ses conceptions métapsychologiques sur la
paranoïa. Sa spéculation aurait pour ambition de rendre compte d'un
point clinique précis : qu'en est-il de cette projection spécifique à la
paranoïa, selon laquelle un fantasme de désir refusé à l'intérieur ré-
apparaît à l'extérieur sur le mode hallucinatoire, investi de l'affect
contraire ? Il nous faut supposer, dit Freud, au premier temps, un re-
foulement particulier par lequel l'investissement libidinal est retiré au
représentant mnésique de l'objet de la pulsion (retrait de l'amour d'ob-
jet), laquelle retourne au stade auto-érotique, c'est-à-dire anobjectal.
Dès lors la représentation désinvestie peut régresser à l'extrémité per-
ceptive : « Ce que la représentation d'objet a perdu en investissement
lui est tout d'abord restitué sous forme de croyance 34 . » Tel est le retour
par projection, alors que la libido devenue libre investit désormais le
moi, d'où la mégalomanie.

Dès la première réponse de Jung, le malentendu est patent, puisqu'il


refuse une partie de la topique ni de l'énergétique freudiennes :
« Quand vous dites que la libido se retire de l'objet, vous voulez sans
doute dire qu'elle se retire de l'objet réel pour des raisons normales
de refoulement (obstacle, impossibilité évidente d'accomplissement) et
qu'elle se tourne vers un démarquage fantasmatique du réel avec lequel
elle commence son jeu d'auto-érotisme classique 35 . » Jung s'en tient à
un schéma moniste, fort traditionnel, d'une énergie psychique inves-
tissant un dedans et un dehors. C'est ainsi que projection, introversion
(retour à l'auto-érotisme) sont conçues comme des mécanismes symé-
triques.
Deux conceptions divergentes, comme on le voit, et qui le resteront.
Dès la lettre suivante, Freud propose une correction : « Je ne crois pas
que la libido se retire de l'objet réel pour se jeter sur la représentation
fantasmatique remplaçante, avec laquelle elle mène ensuite son jeu
auto-érotique. D'après le sens des mots, en effet, elle n'est pas auto-
érotique aussi longtemps qu'elle a un objet, que ce soit un objet réel
ou fantasmatique. Je crois au contraire que la libido quitte la repré-
sentation d'objet, laquelle, par là précisément dénuée de l'investisse-

33. Correspondance Freud-Jung, op. cit., lettre 2 0 F, 14 avril 1907.


34. Correspondance Freud-Jung, op. cit., lettre 22 F, 14 avril 1907.
35. Correspondance Freud-Jung, op. cit., lettre 2 4 J , 13 mai 1907.
ment qui la désignait comme intérieure, peut être traitée comme une
perception projetée vers l'extérieur® 6 . »
Freud envisage alors trois cas. Dans le premier, le refoulement réussit
définitivement, avec retour de la libido sur le mode auto-érotique, c'est
le cas de la démence précoce.
Le deuxième cas envisage l'échec de la projection. La libido pour une
part est dirigée vers l'auto-érotisme et, pour l'autre, recherche à nou-
veau l'objet à l'extrémité perceptive. « Alors, l'idée délirante devient
plus pressante, la contradiction contre elle plus violente. » Le refou-
lement se transforme en rejet (Verwerfung 3 7 ), ceci se produisant, dans
la démence précoce, chez le paranoïde.
Dans le troisième cas « le refoulement échoue complètement [...] La
libido nouvellement arrivante gagne l'objet désormais devenu percep-
tion, produit des idées délirantes extrêmement fortes, la libido se
change en croyance, la transformation secondaire du moi se déclenche ;
cela donne la paranoïa pure, dans laquelle l'auto-érotisme ne parvient
pas à se constituer entièrement 5 8 ».
Malgré ces exploitations, le terme d'auto-érotisme gardera, pour Jung,
la signification d'un monde intérieur, d'un monde imaginaire où les
complexes joueraient leur jeu auto-érotique, ce que, dans ses Méta-
morphoses de La libido, il désignera comme pensée analogique, arché-
typique, archaïque.

Eugen Bleuler

En 1908, Bleuler a déjà pratiquement terminé la rédaction de son ou-


vrage. Ses réticences, scrupules, oscillations à admettre le terme de
sexualité au sens freudien sont largement évoqués dans les corres-
pondances. Il craint en particulier - du moins le prétend-il - que le
terme auto-érotisme n'écorche les oreilles bien-pensantes et puritaines
de ses collègues. Une lettre de Freud 3 9 relate sa discussion avec Bleu-
ler, lors d'un dîner, pour trouver un terme moins malséant. Bleuler
propose celui d'autisme 40 , auquel il se tiendra, finalement. Comme on

3 6 . Correspondance Freud-Jung, op. cit., lettre 2 5 F, 23 mai 1907.


3 7 . Au sens, semble-t-il, de condamnation consciente ?
3 8 . Correspondance Freud-Jung, op. cit., lettre 2 5 F, 23 mai 1907.
39. Correspondance Freud-Jung, op. cit., lettre 1 1 0 F, 15 octobre 1908.
4 0 . Jones rappellera que Freud dit un jour à Marie Bonaparte qu'aucune « hérésie » ne
l'avait autant troublé que les « misérables concessions envers l'opposition, telle celle de
Bleuler substituant autisme à auto-érotique dans le but d'éviter toute référence à la sexua-
lité ». Jones E., La vie et l'œuvre de Sigmund Freud, tome I, Paris, PUF, 1979, p. 2 8 2 .
le voit, la référence à l'éros y est gommée. Toutefois, si l'on se reporte
à son écrit de 1911, on remarquera qu'en fin de compte sa description
de l'autisme recouvre à peu de chose près celle de l'auto-érotisme jun-
gien : l'autisme est « une tendance à placer sa propre fantaisie au-des-
sus de la réalité et à se retrancher de celle-ci 4 1 » ... « La vie intérieure
acquiert une prépondérance pathologique » ... « Les schizophrènes les
plus graves [...] se sont enfermés dans leur chrysalide avec leurs sou-
haits, qu'ils considèrent comme exaucés, ou avec les souffrances de
leur persécution 42 . »

Karl Abraham

Son écrit princeps sur la démence précoce est de 1908, mais il est
précédé de deux autres publications de moindre importance datées de
1907 : « Significations des traumatismes sexuels juvéniles dans la symp-
tomatologie de la démence précoce » et « Les traumatismes sexuels
comme forme d'activité sexuelle infantile ». Nous faisons l'hypothèse
que ces trois textes appartiennent à une même série. De nombreux
extraits de la correspondance avec Freud en confirment la cohésion.
Le premier écrit prend la forme d'un manifeste en faveur de la doctrine
freudienne. L'auteur tient pour acquis que les théories sexuelles de
Freud seraient à même de rendre compte de la clinique de la démence
précoce comme elles le sont pour l'hystérie. Il y ai analogie entre dé-
mence précoce et hystérie quant au contenu des symptômes. Les événe-
ments de type sexuel, Ííaumatisme réel ou impression moins violente, ne
sont pas à l'origine de la maladie, ne sont pas cause jde l'apparition des
idées délirantes et des hallucinations mais leur fournissent un contenu
individuel. Il faut donc supposer une prédisposition individuelle spé-
cifique, primaire, qui consisterait en une apparition prématurée de la
libido, ou bien en une imagination accrue préoccupée par la sexualité 43 .
Thèse constitutionnaliste, donc : la spécificité de la démence précoce
tiendrait à une anomalie prédisposante de la sexualité infantile.

La correspondance avec Freud débute à ce moment-là. Freud y té-


moigne de sa satisfaction de trouver un allié au Burghôlzli, autant que
de son souci de rectifier certaines schématisations de son élève dont,
par ailleurs, il tient à ménager la susceptibilité.

41. Bleuler E., Dementia praecox, p. 55.


42. Bleuler E., Dementia praecox, p. 112 à 119.
43. Abraham K., Œuvres complètes, tome I, Paris, Payot, 1965, p. 21.
Citons quelques-unes de ses remarques :
— L'élément contraignant, pour Abraham comme pour lui, résiderait
dans le fait que ces traumatismes donnent forme à la symptomatologie
de la névrose. (Abraham, lui, parlait de contenu).
- Il est scabreux de parler de constitution sexuelle anormale, quand
cette constitution anormale est la constitution infantile générale.
- Dans la démence précoce, il faudrait postuler simplement un retour
à l'auto-érotisme. Retour partiel, qui plus est 4 4 .
— Que la démence précoce ne soit rien d'autre qu'une « inhibition dans
le développement de la personnalité, un développement insuffisant vers
l'amour d'objet 4 5 » n'est guère soutenable, pour autant que le terme de
personnalité appartient à la psychologie des surfaces 4 6 .

L'article de 1908 4 7 , écrit théorique sur la démence précoce, est aussi


un écrit polémique, et c'est bien ainsi que l'entend Abraham, qui s'ou-
vre à Freud de son intention d'en faire un cheval de bataille au congrès
de psychanalyse de Salzbourg (1908). « J'ai estimé important de sou-
ligner au premier congrès que la sexualité constitue le point nodal 48 . »
Le premier conflit entre Abraham et Jung, conflit que Freud s'emploie-
ra à apaiser 4 9 , éclatera d'ailleurs après Salzburg.
Mais où s'arrête l'analogie entre démence précoce et hystérie ? Les
symptômes des deux maladies tirent leur force de complexes sexuels
refoulés mais, alors que dans la névrose la libido est accrue, il en va
tout autrement dans la démence précoce, où le ¡ sujet est replié sur
lui-même, va et vient sans but, ne parlant à p e r s a n e . C'est donc que
« la démence précoce a détruit la capacité de transfert sexuel, d'amour
objectai » tandis que dans l'hystérie, au contraire, l'attachement à l'ob-
jet est excessif. Les déments précoces sont très suggestibles et, pour
paradoxale que puisse paraître cette formule, elle marque davantage,
pour l'auteur, une absence de résistance qui s'inverse en négativisme
et qui est le contraire du transfert. C'est l'auto-érotisme qui distingue
la démence précoce de l'hystérie : « Ici le détachement de la libido,
là l'envahissement excessif de l'objet, ici la perte de capacité à subli-
mer, là une sublimation accrue 5 0 . »

4 4 . Correspondance Freud-Abraham, lettre F du 5 juillet 1 9 0 7 , p. 11, Paris, Gallimard, 1 9 9 2 .


4 5 . Correspondance Freud-Abraham, op. cit, lettre F du 9 juillet 1 9 0 7 , p. 15-16.
4 6 . Correspondance Freud-Abraham, op. cit, lettre F du 2 1 octobre 1 9 0 7 , p. 20.
4 7 . Abraham K., Œuvres complètes, tome I, « Différence psycho-sexuelle entre hystérie et
démence précoce », op. cit.
4 8 . Correspondance Freud-Abraham, op. cit, lettre A du 2 9 janvier 1908, p. 32.
4 9 . Correspondance Freud-Abraham, op. cit, lettre F du 3 mai 1 9 0 8 , p. 4 1 .
50. Abraham K., « Différence psycho-sexuelle entre hystérie et démence précoce », in op.
cit., tome I, p. 36, 3 9 , 40, 45.
Qu'il s'agisse de démence précoce ou d'hystérie, la constitution psy-
cho-sexuelle, anormale, a un caractère inné. Dans la démence précoce,
l'inhibition du développement aurait été telle que les individus n'au-
raient jamais dépassé le stade de l'auto-érotisme infantile, ils n'au-
raient jamais atteint à l'amour objectai.
En somme, malgré les critiques freudiennes, Abraham s'en serait tenu
à une conception constitutionnaliste (prédisposition innée), déficitaire
(inhibition du développement psycho-sexuel) et pessimiste quant au
recours thérapeutique : la psychanalyse ne lui paraît pas être une mé-
thode efficace 51 .

Freud, quoi qu'il en soit de ses critiques et rectifications en privé, ne


cessera d'apporter sa caution publique aux positions d'Abraham, au
point de les présenter comme la doctrine officielle de la psychanalyse
sur la question de la démence précoce.

Les années 1 9 1 0 - 1 9 1 3

Le deuxième congrès de psychanalyse a lieu à Nuremberg en 1910 et


Jung est élu président de l'Association psychanalytique internationale.
Bleuler, malade, est absent. Une deuxième revue apparaît, le Zentral-
blatt fur Psycho-analyse, dont la rédaction est confiée à Alfred Adler
(1870-1937) et Wilhelm Steckel (1868-1940). Après bien des hésita-
tions, qui nous sont contées par le menu dans les différentes corres-
pondances, et sur une intervention personnelle de Freud (la rencontre
eut lieu à Munich à Noël 1910), Bleuler, qui avait déjà publié dans
le Jahrbuch une apologie de la psychanalyse, se décide à adhérer à
l'Association psychanalytique internationale (4 janvier 1911). Il n'y
restera que quelques mois et démissionnera le 2 8 novembre 1911. L'As-
sociation n'est pas une association comme les autres, argue-t-il : « Ses
voies sont pernicieuses » car, plutôt que de s'efforcer d'élargir ses
contacts avec d'autres sciences et d'autres scientifiques, « l'Association
s'isole elle-même du monde extérieur avec des fils barbelés, ce qui
heurte à la fois amis et ennemis 52 ».

51. Abraham K., ibidem, p. 41.


52. Freud-Bleuler correspondence, in Archives of psychiatry, lettre de Bleuler du I 1 janvier
1912, p. 7.
Cette période, particulièrement féconde, voit paraître, outre Dementia
praecox de Bleuler, le Schreber et Totem et tabou de Freud, et les Mé-
tamorphoses de la libido de Jung.
C'est sans doute à partir du commentaire freudien sur Schreber que la
rupture entre Freud et Jung s'annonce inéluctable. Freud rend compte
à Jung de son travail « sur le merveilleux Schreber », « notre cher et
spirituel Schreber », « [...] le coup le plus audacieux contre la psy-
chiatrie depuis la démence précoce 5 3 » 5 4 .

Certes Freud, s'interrogeant sur le fait de savoir si le retrait de la


libido du monde extérieur suffit à expliquer l'idée délirante de fin du
monde, paraît témoigner de quelque embarras. Embarras plus rhétori-
que que réel, comme il l'écrit à Abraham, puisqu'au bout du compte
Freud reste bien ferme sur ses positions : il est « infiniment plus proba-
ble d'expliquer la relation modifiée du paranoïaque avec le monde ex-
térieur uniquement ou principalement par la perte de l'intérêt
libidinal 5 5 ».

Freud, d'autre part, s'appuie sur le cas Schreber pour distinguer dé-
mence précoce et paranoïa. S'il est vrai que, dans les deux affections,
on assiste au « détachement de la libido du monde extérieur et à sa
régression vers le moi », certains caractères différentiels seraient à pré-
ciser. La paranoïa irait vers la « reconstruction », alors que dans la
démence précoce « la régression ne se contente pas d'atteindre le stade
du narcissisme (qui se manifeste dans le délire des grandeurs), elle va
jusqu'à l'abandon complet de l'amour objectai et au retour à l'auto-
érotisme infantile 56 ». La fixation prédisposante serait donc, en ce qui
concerne la démence précoce, plus en arrière que celle de la paranoïa,
quelque part au début de l'évolution primitive qui va de l'auto-érotisme
à l'amour objectai. Il s'ensuit que les symptômes paranoïaques peuvent
évoluer jusqu'à la démence précoce, ou bien que les phénomènes pa-
ranoïaques et schizophréniques peuvent se combiner « dans toutes les
proportions possibles », jusqu'à constituer un tableau tel que celui de
Schreber, qui mérite le nom de « démence paranoïde 57 ».

5 3 . I] s'agit de la « Psychologie de la démence précoce » de Jung.


54. Correspondance Freud-Jung, op. cit., lettres 122 F, 137 F, 2 1 8 F, 2 2 5 F.
55. Freud S., Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1975, p. 3 1 7 - 3 1 8 .
56. Freud S., ibidem, p. 3 2 0 .
57. Dementia paranoides : ternie dû à Kraepelin, quand il a inclus pour la première fois un
groupe de cas issu de l'ancienne paranoïa hallucinatoire dans ses processus psychiques de
dégénérescence. Par définition, clans la terminologie kraepelinienne et bleulérienne, la dé-
mence paranoïde fait partie de la démence précoce-schizophrénie. Improprement traduit par
« démence paranoïaque » dans la traduction citée.
Jung, dans le même temps, s'est attelé à la tâche des Métamorphoses
de la libido : « Je suis en effet d'avis que le concept de libido des
Trois Essais soit augmenté de sa composante génétique, afin que la
théorie de la libido puisse trouver son application à la démence pré-
coce 5 8 . » A quoi Freud répond d'un ton glacé : « Je fais la présuppo-
sition simplette qu'il y a deux sortes de pulsions, et que seule la force
pulsionnelle de la pulsion sexuelle peut être appelée libido 59 . » Mais
Jung insiste. Il veut mettre à la place du concept descriptif de la libido
« un concept génétique, qui couvre, outre la libido sexuelle récente,
aussi les formes de libido qui sont détachées depuis des âges dans des
activités organisées de manière fixe 60 ». Il identifie cette libido à une
force de la nature, à un « appetitus comme la faim et la soif », prenant
soin d'écarter toute référence exclusive à la sexualité. Dans la démence
précoce, ce n'est pas l'intérêt érotique qui a disparu mais l'intérêt en
général. Et il poursuit par cette déconcertante formule en guise de
preuve : « Si la libido n'est vraiment que sexualité, que dire des cas-
trats ? ». Chez eux, il n'y a pas d'intérêt libidineux, et pourtant « ils
ne réagissent pas par la schizophrénie 61 ! »

1 9 1 3 - 1 9 1 5 : la rupture

La relation entre Freud et Jung s'est tendue à l'extrême, comme si l'un


et l'autre avaient admis le caractère inconciliable de leurs points de
vue respectifs. Jung adresse les reproches les plus amers à Freud sur
sa manière de traiter ses élèves comme des patients, d'en faire « des
fils esclaves ou des gaillards insolents » : « Vous montrez du doigt au-
tour de vous tous les actes symptomatiques... Entre-temps vous restez
toujours bien tout en haut comme le père. Dans leur grande soumission,
aucun d'entre eux n'arrive à tirer la barbe du prophète 62 . » Freud dé-
cide alors de rompre6,5.
La rupture consommée, Freud écrira « Pour introduire le narcissisme ».
Ce texte, rédigé dans l'urgence, en réponse aux conceptions jungiennes,
est à saisir dans sa dimension polémique. L'accouchement a été diffi-

58. Correspondance Freud-Jung, op. cit, lettre 282 J , 14 novembre 1911.


59. Correspondance Freud-Jung, op. cit, lettre 2 8 6 F, 3 0 novembre 1911.
60. Correspondance Freud-Jung, op. cit, lettre 2 8 7 J , I l décembre 1911.
61. Jung C.-J., « Les métamorphoses de la libido », in Métamorphoses de l'âme et de ses
symboles, Genève, Georg, 1989, p. 228, 2 3 5 , 2 4 1 , 2 4 2 .
62. Correspondance Freud-Jung, op. cit., lettre 3 3 8 J du 18 décembre 1912.
63. Correspondance Freud-Jung, op. cit., lettre 3 4 2 F du 3 janvier 1913.
ci le, confie Freud à Abraham, et l'enfant en porte les traces. La cli-
nique de la schizophrénie (Bleuler), démence précoce (Kraepelin) ou
paraphrénie (comme Freud le propose), nous révèle que les patients
présentent « deux traits de caractère fondamentaux » : le délire des
grandeurs et le fait qu'ils détournent leur intérêt du monde extérieur,
ce qui les rend inaccessibles à la psychanalyse. Or, de ce phénomène
du retrait de la libido d'où s'origine le fantasme de fin du monde, la
théorie des pulsions, telle qu'elle est proposée dans les Trois essais sur
la théorie de la sexualité, est-elle à même de rendre compte ? Cette
théorie, qui lui fut imposée, dit Freud, par l'étude des « pures névroses
de défense », établit un dualisme tel que les pulsions du moi sont
identifiées aux pulsions d'autoconservation alors que les pulsions
sexuelles, libidinales, sont identifiées aux pulsions d'objet.

D'où la question posée par Jung : se peut-il que le seul retrait de la


libido des objets suffise à rendre compte du fantasme de fin du monde ?
S'il est vrai que cette libido se retire sur le moi, alors ne faut-il pas
élargir le concept de libido, le faire coïncider avec la notion d'une
énergie psychique originairement indifférenciée ? Cette hypothèse ne
sied pas à Freud, soucieux de maintenir la spécificité de son concept
de libido qui, seul, serait à même de rendre compte des particularités
de la clinique. Freud distingue différents cas de figure : l'anachorète,
assimilé par Jung à un dément précoce, a bien maintenu sa relation
aux objets sur le mode de la sublimation ; le névrosé a retiré ses in-
vestissements des personnes et des objets de la réalité, mais maintient
sa relation aux objets par l'intermédiaire du fantasme ; enfin, le dément
précoce semble bien avoir « retiré sa libido des personnes et des choses
du monde extérieur sans leur substituer d'autres objets dans le fan-
tasme. Lorsque ensuite cette substitution se produit, elle semble être
secondaire, et faire partie d'une tentative de guérison qui se propose
de ramener la libido aux objets 6 4 ». Ceci annonce l'écrit de 1915 sur
l'inconscient 6 5 , où Freud tentera de repérer les modes de réinvestisse-
ment de la représentation de l'objet dans la schizophrénie et de rendre
compte des singularités du langage des patients.

Qu'en est-il de ce retrait radical de la libido, propre à la schizophré-


nie ? Le délire des grandeurs offre ici une piste. La libido retirée des
objets ne peut que refluer sur le moi. « Si bien qu'est apparue une

64. Freud S., « Pour introduire le narcissisme », in La vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, p. 82, 88.
6 5 . Freud S., « L'inconscient », 1 9 1 5 , in Das Unbewußte, supplément à L'Unebévue n° 1, Pa-
ris, E P E L , 1 9 9 2 .
attitude que nous pouvons nommer narcissisme ». Dans la paraphrénie
ou la paranoïa, la libido qui s'est retirée des objets investit le moi
(d'où délire des grandeurs), mais elle ne parvient plus à retrouver le
chemin qui conduit aux objets et c'est cette diminution de la mobilité
de la libido qui devient pathogène. Ce processus serait, selon Freud,
à rapprocher du refoulement. Dans sa phase finale, la démence précoce
retourne au narcissisme primaire et les points de fixation des névroses
narcissiques « correspondent à des phases de développement beaucoup
plus précoces que dans l'hystérie ou la névrose obsessionnelle ». Tou-
tefois, les symptômes de la démence précoce ne sont pas seulement
liés au détachement de la libido des objets mais aussi aux efforts de
celle-ci pour les réinvestir, ce qui correspondrait à une tentative de
guérison. Ainsi, cette distinction « de la libido du moi a permis d'é-
tendre aux névroses narcissiques les données que nous avait fournies
l'étude des névroses de transfert 66 ». Sur cette tentative de réinvestis-
sement de l'objet, Freud apporte quelques « éclaircissements ». Il op-
pose les névroses de transfert aux névroses narcissiques. Dans les
premières il y a séparation des représentations de choses et des repré-
sentations de mots. Dans les secondes, il y a retrait de la libido des
représentations de choses inconscientes, ce qui est un trouble bien
plus profond. « C'est pourquoi la démence précoce commence par
transformer le langage et traite dans l'ensemble les représentations de
mots de la même manière que l'hystérie traite les représentations de
choses, c'est-à-dire qu'elle leur fait subir le processus primaire avec
condensation, déplacement et décharge, etc. 67 »

L'abandon des investissements d'objet dans la schizophrénie, Freud en


voit les signes dans « la récusation du monde extérieur », l'indiffé-
rence, l'apathie, les « altérations du langage », mais aussi dans une
manière de s'exprimer qui devient « recherchée », « maniérée », et
dans laquelle « les phrases subissent une désorganisation particulière
qui les rend incompréhensibles, de sorte que nous tenons les déclara-
tions de ces malades pour insensées ». Ce qui existe de façon
consciente dans la schizophrénie est retrouvé dans l'inconscient par la
psychanalyse dans le cas des névroses. Dans la schizophrénie, l'in-
conscient est à ciel ouvert.
Rapportant des propos de schizophrènes, Freud parle de « langage d'or-
ganes ». Il cite l'expression d'une patiente de Tausk : « Les yeux ne

66. Freud S., Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 1965, p. 3 9 0 , 394, 3 9 8 , 4 0 6 .


67. Correspondance Freud-Abraham, op. cit., lettre de Freud du 21 décembre 1914, p. 210.
sont pas comme il faut, ils sont retournés ». Elle se plaignait que son
amant lui avait tourné la tête, et que depuis elle voyait le monde au-
trement. Dans ce cas, une hystérique aurait tourné les yeux de façon
convulsive, marquant ainsi l'inscription dans le corps, et non dans le
langage désorganisé 68 .

Freud évoque aussi un patient préoccupé par les points noirs de sa


peau. Ce qui confère un caractère insolite à la formation de substitut
dans la schizophrénie, « c'est la prédominance de la relation de mot
sur la relation de chose ». Car, nous dit Freud, la similitude est bien
minime entre l'extraction d'un point noir et l'éjaculation du pénis, et
encore plus ténue entre les pores de la peau et le vagin. Mais, à chaque
fois que quelque chose jaillit « s'applique littéralement la phrase cy-
nique : un trou est un trou ». D'où il conclut que c'est l'égalité de
l'expression langagière et non la similitude des choses désignées qui
a imposé le substitut. Il faudrait donc apporter une modification à l'hy-
pothèse de l'abandon de l'investissement d'objet dans la schizophrénie,
puisque « l'investissement des représentations de mot des objets est
maintenu ». L'investissement de la représentation de mot n'appartient
plus au refoulement, mais il apparaît au contraire comme une tentative
de guérison dans la schizophrénie : « Ces efforts veulent réobtenir les
objets perdus et il se pourrait bien que, dans cette intention, ils s'en-
gagent dans la voie allant vers l'objet à travers la partie mot de celui-ci,
d'où le fait ensuite qu'ils doivent se contenter des mots à la place des
choses ». Ce qui est saisi des objets, ce ne sont que « les ombres »,
c'est-à-dire la représentation verbale qui leur correspond. Freud, après
avoir parlé précédemment « d'inaptitude de ces patients au transfert »,
soutient à présent l'hypothèse de l'investissement des représentations
de mot des objets 6 9 .

Nous insisterons sur les trois points suivants :


1. Les particularités du langage schizophrénique sont bien l'effet d'une
tentative de guérison et non pas d'un déficit.
2. Ces mêmes particularités viennent confirmer une hypothèse méta-
psychologique déjà proposée dans la Traumdeutung, à savoir la liaison
entre représentation de chose et représentation de mot.

6 8 . Freud relève que « dans la schizophrénie les mots sont soumis au même procès qui
fabrique des images du rêve, procès que nous avons appelé processus psychique primaire.
Ils sont condensés et transforment leurs investissements sans reste les uns aux autres par
déplacement. Ce procès peut aller si loin qu'un seul mot qui y est apte par de multiples
relations se charge de tenir lieu de toute une chaîne de pensées ».
6 9 . Freud S., « L'inconscient », in Supplément à l'Unebévue, p. 35, 3 6 , 37, 3 9 , 4 1 .
3. Freud propose bien un modèle métapsychologique qui rendrait
compte d'un placement libidinal particulier à la schizophrénie.
Le texte n'aurait-il pas valeur de réplique à Dementia praecox ou
groupe des schizophrénies, où Bleuler retrouve, dans le langage des schi-
zophrènes, des mécanismes que Freud a découverts par la psychana-
lyse, ce qui l'amène à mettre en parallèle l'autisme et le rêve, que
Freud, pour sa part, distingue 70 ?
Bleuler, rappelons-le, prétend repérer dans les troubles du langage des
schizophrènes la marque d'un phénomène bien particulier, la tendance
primaire au relâchement des associations, effet direct du processus or-
ganique, de sorte que la pensée autistique en tant qu'elle est dominée
par les complexes chargés d'affect prend le pas sur une pensée logique,
c'est-à-dire empirique. Néanmoins, pour lui, la plupart des néoforma-
tions verbales des patients ont une signification, ce qui le démarque
radicalement d'un Hecker 71 ou d'un Kahlbaum' 2 , qui faisaient du lan-
gage « insensé » de leurs hébéphrènes ou de leurs catatoniques l'ex-
pression directe d'une altération organique 73 . Critiquant la conception
de Richard von Krafft-Ebing (1840-1902), il affirme : « Chez nos ma-
lades, les mots étranges ne sont absolument pas des enveloppes vides,
mais des enveloppes qui recèlent un contenu différent du contenu ha-
bituel ». Les troubles du langage sont à référer aussi à la signification,
ou plus précisément aux altérations de celle-ci. La valeur que Bleuler
accorde aux associations dépend de l'emprise respective de la logique
et des affects : seraient de peu de valeur les associations dictées par
les complexes affectifs, et où l'on retrouve l'empreinte des altérations
des concepts. C'est ainsi que le concept de Zielvorstellung serait à
entendre comme idée directrice, une association « superficielle » en
traduisant la défaillance. Pour Freud, au contraire, une association
« choquante et superficielle », comme il l'exprime dans la Traumdeu-
tung, est l'effet du travail de la censure.

Quelle est la rupture radicale opérée par Freud ? L'hypothèse, ou bien


le principe, voire le pari du déterminisme psychique nous paraissent
le conduire à postuler l'équivalence de tout ce qui vient à l'esprit (Ein-

70. Freud proposera un repérage métapsychologique précis qui permette de distinguer l'au-
tisme du rêve dans Compléments métapsychologiques à la doctrine du rêve.
71. Hecker E., « L'hébéphrénie », in L'évolution psychiatrique, tome 50, 2, Toulouse, Privât,
1985, p. 3 3 3 - 3 3 4 .
72. Kahlbaum K., « La catatonie », in L'évolution psychiatrique, tome 52, 2, Toulouse, Privât,
1987, p. 3 8 2 - 3 8 5 .
73. Ainsi Kahlbaum écrivait-il dans La catatonie : « La logorrhée et la verbigération de-
vraient alors être comparés au spasme clonique, et le mutisme au spasme tonique. »
fall). Il emploie le terme de Zielvorstellung pour qualifier des représen-
tations tant inconscientes (représentation de but ou représentation-but)
que préconscientes ou conscientes (représentation du but), le cours de
pensées n'étant jamais indéterminé, que la finalité y soit manifeste ou
non. Par contre, chez Bleuler, la Zielvorstellung semble être purement
préconsciente ou consciente (représentation du but), si bien que, quand
elle disparaît, de l'indéterminé peut apparaître dans la psyché.
On conçoit que l'hypothèse bleulérienne du trouble organique primaire
ait fait fonction d'enjeu dans la confrontation théorique des deux au-
teurs' 1 . On sait, aussi bien, que Freud n'a pas accepté le concept de
schizophrénie sans une extrême réticence. La critique la plus aiguë
qu'il en fait se trouve dans l'écrit sur Schreber : « Le terme de schi-
zophrénie ne nous paraît bon qu'aussi longtemps que nous oublions
son sens littéral' ". » Freud ne se départira pas de son point de vue :
sans méconnaître l'apport des Zurichois sur la question de la démence
précoce, il estime que ceux-ci auraient échoué à décrire un mécanisme
qui fût spécifique de la psychose 76 .

Si Freud, à plusieurs reprises, parle de l'inaptitude des névroses nar-


cissiques au transfert, paradoxalement il ne cessera, lors de son
commentaire du cas Schreber, d'en souligner les effets, allant même
jusqu'à en faire la cause déclenchante du deuxième épisode délirant
de celui-ci. Freud noue ainsi structurellement la libido, les troubles
du langage et le transfert.

Nous avons souhaité montrer en quoi l'ouvrage de Bleuler sur la schi-


zophrénie n'est pas une simple continuation de l'œuvre de Kraepelin
mais s'inscrit dans le cadre plus général des travaux engagés au Bur-
gholzli avec l'ambition d'intégrer la doctrine freudienne dans une théo-
rie des psychoses.
Bien des années après, Jung refusera de se considérer comme « de
l'école freudienne pour se reconnaître élève de Bleuler' 7 ». Bleuler,

74. Voir Correspondance Freud-Jung, op. cit., Introduction à la psychanalyse, op. cit., et
« Contribution à l'histoire du mouvement psychanalytique », in Cinq leçons sur la psycha-
nalyse, Paris, Payot, 1 9 8 1 .
75. Freud S., Cinq psychanalyses, op. cit., p. 3 1 9 .
76. Cf. Pour introduire le narcissisme, op. cit., « Contribution à l'histoire du mouvement
psychanalytique », in op. cit., et Ma vie et la psychanalyse, Paris, Gallimard.
77. Roazen P., La saga freudienne, Paris, PUF, 1 9 8 6 , p. 2 2 1 .
quant à lui, se dira toujours « immensément plus proche [des] concepts
[de Freud] que de ceux de Jung 78 ». Sans aucun doute, et malgré les
divergences et les malentendus, il n'est pas si étonnant qu'il se soit
mieux accommodé des idées de Freud, dans les théories duquel il re-
connaît un savoir scientifique parmi d'autres, que de celles de Jung.
Il n'en reste pas moins que, dans sa théorie, la pertinence de la psy-
chanalyse se borne au champ des symptômes secondaires, cette sorte
de superstructure qui recouvre l'essence véritable de la schizophrénie,
le processus organique X. En 1911, Bleuler exprime cependant ses
espoirs quant aux possibilités thérapeutiques offertes par la psychana-
lyse, tout en avançant déjà que le négativisme des malades constituerait
dans de nombreux cas une entrave à la psychothérapie des schizo-
phrènes. Quinze ans plus tard, en 1926 / 9 , il ancre de nouveau, et dé-
finitivement, la schizophrénie dans le seul champ de l'organicité 80 :
non seulement la schizophrénie relève d'un processus cérébral anato-
mique, comme il l'a toujours dit, mais il ne place plus aucun espoir
dans la psychanalyse et considère dorénavant cette « maladie » comme
ayant un pronostic foncièrement mauvais.

Repérons le mouvement singulier qui ramène de facto Bleuler au point


où Kraepelin s'était arrêté sur le plan théorique : de la démence pré-
coce ou groupe des schizophrénies de 1911, il en vient en 1926 à la
schizophrénie comme entité isolable, indépendante et relevant d'un mo-
dèle anatomo-clinique. Mais ce retour du balancier ne va-t-il pas en-
core plus loin quant à l'étendue du concept ? En effet, la schizophrénie
bleulérienne, étendant des pseudopodes en direction des troubles men-
taux « atypiques » de toutes les autres classes, va réduire à l'extrême
les autres catégories kraepeliniennes, tant et si bien qu'on peut se
demander si, à certaines époques, elle n'est pas devenue envahissante
au point de se rapprocher par son ampleur de la psychose unique de
Griesinger.

A cette extension démesurée de la démence précoce-schizophrénie


bleulérienne correspond celle de la schizophrénie des Anglo-Saxons,
probablement très influencés par W.Mayer-Gross, de Heidelberg, émi-

78. Freud-Bleuler correspondence, op. cit., lettre de Bleuler du 11 janvier 1912, p. 7.


79. Voir Rapport du XXXe Congrès des aliénistes et neurologues de langue française, Paris,
Masson, 1926, ainsi que la seconde édition du propre traité de Bleuler, Berlin, Springer,
1926.
80. Alors même que ce modèle était déjà très fortement contesté par de nombreux aliénistes
se basant sur le fait que plus de 3 5 0 0 autopsies n'avaient pu établir de corrélation entre
la schizophrénie et les constatations anatomopathologiques.
gré en Angleterre en 1 9 3 3 . De même, l'autisme a pris des acceptions
fort différentes de celle qu'il avait chez Bleuler, par exemple avec l'au-
tisme de Kanner.
Après Bleuler, la schizophrénie, fondée sur ce modèle organique, verra
nombre de conceptions et de modèles se suivre : viral, chromosomique,
immunologique (auto-anticorps étudiés par l'école de Pittsburgh 81 ).
Après avoir été néanmoins considérée tout au long de ce XXe siècle
comme la figure emblématique de la folie, sans pour autant parvenir
à en constituer le paradigme, la schizophrénie n'est-elle pas en passe
de connaître, depuis les années 1980, une remise en cause radicale
par la mise en place du DSM III qui réduit les psychoses et les névroses
à n'être que des « Troubles », des « disorders » ? Cette dissolution de
la nosographie en des « Troubles » où l'on pourrait être tenté de voir
un équivalent des « tableaux d'état » antérieurs à l'édifice kraepelinien
est-elle l'aveu d'un anéantissement de la clinique psychiatrique ?
La présente traduction se donne pour ambition de confronter le lecteur
au texte, lui donnant l'occasion de rouvrir la question : qu'est-ce que
la schizophrénie ?

8 1 . Garrabé J . , Histoire de la schizophrénie, Paris, Seghers, 1 9 9 2 .


Eugen Bleuler, Sigmund Freud et C. G. Jung au congrès de Weimar, 1911. ( M a r y E v a n s / S i g m u n d Freud Copyrights)
Avant-propos

La connaissance du groupe nosologique que Kraepelin a rassemblé


sous le nom de démence précoce est trop récente pour que l'on puisse
en donner dès à présent une description définitive. Tout est encore
mouvant, inachevé, provisoire. Mais il serait trop fastidieux d'énoncer
toutes les restrictions que cela implique ; sans doute suis-je en droit
de supposer que chaque lecteur est capable de se les représenter.
Dans les chapitres de psychopathologie, une difficulté supplémentaire
s'ajoute à cela : l'état embryonnaire de la psychologie. Nous ne dispo-
sons pas de termes pour les nouveaux concepts psychologiques ; tous
les mots dont nous usons peuvent aussi être utilisés dans un autre
sens. Qui ne peut se donner la peine de se plonger entièrement par la
pensée dans les idées de l'auteur, comprendra les termes dans un autre
sens que celui dans lequel ils sont pris, et c'est pourquoi il tirera de
sa lecture des idées erronées. Si j e tente, malgré cette difficulté,
d'éclairer un peu les rapports psychologiques, ce n'est pas uniquement
parce que toute nouvelle connaissance a de la valeur en soi, mais aussi,
notamment, parce que, selon moi, c'est par cette voie que l'on peut le
mieux espérer de nouveaux aperçus de la nature des psychoses, en
l'état actuel de nos connaissances.

Conformément à cet étal de fait, les divers thèmes ont dû être traités
inégalement. Ce qui est, en principe, compréhensible à tout psychiatre
devrait pouvoir être simplement présenté, tandis que des choses moins
connues nécessitent, quant à elles, une introduction, une explication
et une confirmation par des exemples. J e n'ai eu d'autre choix que de
sacrifier les buts esthétiques aux buts pratiques. - Des redites ne peu-
vent non plus être évitées, car la complexité de l'esprit place les mêmes
processus dans les contextes les plus divers.
Toute l'idée de la démence précoce vient de Kraepelin ; c'est aussi presque
uniquement à lui qu'on doit la classification et la mise en relief des
divers symptômes. Il serait trop fastidieux de souligner spécialement
ses mérites à chaque fois. Cette remarque devrait suffire une fois pour
toutes. Une part importante de la tentative d'approfondir plus avant la
pathologie n'est rien d'autre que l'application à la démence précoce des
idées de Freud. J e pense que tout ce que nous devons à cet auteur
sera d'emblée évident à chaque lecteur, même si j e ne cite pas son
nom partout. Je dois en outre remercier mes collaborateurs du Bur-
gholzli, dont, pour ne citer qu'eux, Riklin, Abraham, et surtout Jung.
Il n'est pas possible d'individualiser tout ce qui revient à tel ou tel
d'entre nous en fait d'observations ou d'idées.
Citer intégralement la littérature serait sans valeur et, en même temps,
impossible, car il faudrait mentionner une grande partie de la littéra-
ture psychiatrique puisque, par exemple, presque tous les travaux sys-
tématiques touchent à ce que l'on peut à présent appeler le problème
de la démence précoce. Seules les publications relativement récentes
ont une certaine valeur1 ; même parmi celles-ci, beaucoup ne sont in-
téressantes que dans la mesure où elles montrent comment l'on peut
concevoir de façon erronée un si beau concept. Dans le cas des travaux
moins accessibles aux Allemands, j'ai cité de surcroît, la plupart du
temps, une référence plus commodément accessible, même quand j e
connais l'original. Mais j'ai généralement jugé inutile de lire dans le
texte original des choses insignifiantes.
Je considère comme une absence d'égards vis-à-vis du lecteur d'établir
des priorités en des matières relativement peu importantes. C'est en
fonction de cela que j'ai agi.
Ce travail a été achevé à l'été 1908 ; mais des publications postérieures
ont donné lieu à des ajouts et à des modifications.
Les nombres entre parenthèses se réfèrent aux numéros de l'index
bibliographique.

1. Et, parmi c e l l e s - c i , l e s p u b l i c a t i o n s a l l e m a n d e s p r i n c i p a l e m e n t , parce q u ' e n dehors de


l ' A l l e m a g n e s e u l s q u e l q u e s auteurs envisagent l e s p s y c h o s e s sous l ' a n g l e qui est déterminant
ici (NDA).
Introduction

Historique

La constatation du fait qu'une maladie aiguë peut laisser des lésions


séquellaires permanentes de l'organe atteint n'a pris en nul domaine
une si grande importance qu'en psychiatrie. Les maladies « se-
condaires », inguérissables, remplissent depuis toujours nos asiles de
fous. Aussi, savoir lesquelles des formes aiguës mènent à des états
terminaux incurables et lesquelles ne le font pas est devenu l'une des
questions les plus brûlantes de la psychiatrie. Toutes les formes aiguës
des « psychoses simples » mises sur pied jusqu'à il y a peu peuvent
aussi bien guérir que devenir secondaires. Finalement, Kraepelin a
réussi à mettre en relief, dans les maladies de pronostic défavorable,
un certain nombre de symptômes qui font défaut dans les autres
groupes. Il a rassemblé sous le nom de démence précoce les psychoses
ainsi caractérisées. Toutefois, on rencontrait aussi des cas comportant
ces symptômes et qui, apparemment, guérissaient. Mais il en resta la
connaissance du fait qu'un certain groupe de symptômes indiquait la
tendance à Vabêtissement, tandis que les maladies aiguës dans lesquelles
ces symptômes faisaient défaut, et que Von pouvait pour la plupart ras-
sembler sous le nom de folie maniaco-dépressive, n'aboutissaient jamais
à la stupidité secondaire. On avait ainsi beaucoup gagné sur le plan
pratique et sur le plan théorique, en pouvant tout de même, dans un
grand nombre de cas, poser un pronostic sûr quant à l'accès et quant
à l'état résiduel.

Le grand groupe de la démence précoce reste caractérisé en tant qu'en-


tité par la présence des complexes symptomatiques ainsi mis en relief.
Cependant la conception de Kraepelin rencontre encore de l'opposition,
certains, abstraction faite de la diversité des tableaux apparents, ne
pouvant se satisfaire d'un concept nosologique qui semblait, à l'origine,
s'étayer sur l'évolution, et qui inclut pourtant des cas à issue tant fa-
vorable que défavorable. Mais une observation plus attentive montre
que tous ces cas ont tout de même bien des choses en commun, et
qu'ils se démarquent nettement des autres formes, ce qu'on ne peut
dire d'aucun des tableaux morbides de ce groupe qui avaient été mis
sur pied auparavant. Bien que la terminaison soit loin d'être toujours
une stupidité prononcée, on peut pourtant trouver dans chacun de ces
cas, à y regarder de plus près, des phénomènes résiduels plus ou moins
nettement communs ; à côté de l'unité de la symptomatologie, celle de
la terminaison est donc préservée en ce qui concerne sinon la quantité
du processus, du moins sa qualité, c'est-à-dire la direction dans la-
quelle le processus progresse. D'autres psychoses n'ont ni la même
symptomatologie, ni la même terminaison. A l'inverse, toutes les psy-
choses que l'on rassemblait jusqu'à présent sous le vocable de se-
condaires présentent les mêmes complexes symptomatiques. Délimiter
ces deux groupes est donc, en l'état actuel de nos connaissances, non
seulement permis mais de rigueur.

Il s'est avéré en outre que toutes les formes d'abêtissement qui sur-
viennent de façon plus ou moins insidieuse, sans stade aigu, ont aussi
les mêmes symptômes et ne peuvent à aucun moment être distinguées
des formes « secondaires ». On devrait donc classer ici aussi ces ma-
ladies, qui avaient été répertoriées sous des noms divers, tels que « stu-
pidité primaire », « paranoïa abêtissante ».

Toutes les tentatives visant à scinder le grand nombre de cas et de


tableaux d'état apparents en sous-groupes distincts et pouvant être dé-
limités sont restées infructueuses jusqu'à présent.

Aussi réunissons-nous sous le nom de démence précoce ou schizophrénie


tout un groupe de maladies qui peuvent être nettement distinguées de
toutes les autres formes du système kraepelinien ; elles ont beaucoup
de symptômes communs et un même pronostic de direction ; mais leurs
tableaux d'état peuvent être extrêmement divers. Encore que l'indivi-
dualisation de ce concept soit provisoire, dans la mesure où il faudra
le dissoudre par la suite (à peu près dans le sens où la bactériologie
a scindé la pneumonie en différentes infections), nous considérons
pourtant le progrès qu'elle a permis comme encore plus grand que la
découverte de la paralysie générale, qui s'est aussi cachée pendant
longtemps sous d'autres tableaux nosologiques ; car le problème de la
démence précoce interfère beaucoup plus dans la systématique des
psychoses que ne le fit, en son temps, l'individualisation de la paralysie
générale ; et le manque de clarté systématique qui persiste aujourd'hui
encore n'est plus lié au gros de la masse des cas qui se présentent
mais aux exceptions et à des maladies qui, comme les psychoses des
pyrexies, étaient trop peu accessibles au psychiatre jusqu'à présent.
Pour la première fois, nous avons des limites sur lesquelles on peut
s'entendre, et nous savons aussi où l'on ne peut tracer de limites avec
les moyens actuels.

Le développement du concept de démence précoce représente une bonne part


du développement de la psychiatrie théorique en général. On ne peut décrire
l'un sans l'autre. C'est pourquoi il n'est pas possible ici de faire un exposé
cohérent de la genèse du concept de démence précoce. Nous renvoyons aux
travaux d'E. Arndt et de Voisin. La cinquième édition (1896) du traité de
Kraepelin, Psychiatrie, est le berceau de ce concept.

Naturellement, on savait depuis longtemps déjà qu'une partie des psychoses


aiguës guérit et qu'une autre partie devient chronique. On a aussi prêté at-
tention de tout temps aux abêtissements plus simples, qui évoluent sans
complexes symptomatiques aigus marquants. Esquirol distinguait « l'idiotie
acquise ou accidentelle » de l'idiotie innée. Il a également déjà prêté atten-
tion aux stéréotypies. On a également su rapidement que c'était notamment
des jeunes gens qui étaient atteints par de tels processus d'abêtissement ;
c'est pourquoi Morel a créé le terme de « démence précoce ». Mais on ne
trouvait pas d'unité dans le chaos de tous les tableaux symptomatiques, si
différents en apparence, qui menaient à l'abêtissement. La croyance, large-
ment répandue vers le milieu du siècle dernier, selon laquelle les psychoses
- ou la psychose - devaient avoir une évolution déterminée, au début de
laquelle on plaçait ordinairement un stade mélancolique, a aussi constitué
un grand obstacle à une compréhension sans préjugés.

Les idées de Kahlbaum, qui représentaient d'ailleurs un progrès essentiel, ont


également pâti de cette notion. Les intelligences les plus lucides avaient natu-
rellement su dès avant lui que les vieux noms de mélancolie, fureur, manie,
delirium ne désignaient que des tableaux d'état. Mais on était incapable de faire
ressortir des tableaux nosologiques à proprement parler, aussi traitait-on géné-
ralement ces concepts symptomatologiques comme s'ils avaient correspondu à
des maladies. Kahlbaum fut le premier à tenter, avec un esprit de suite délibéré,
de ranger les tableaux symptomatiques dans des tableaux de maladie.

En 1863 il a attiré l'attention sur des états comme la catatonie, dans sa Classi-
fication des maladies psychiques1, mais ce n'est qu'au cours des années sui-
vantes qu'il a décrit cette maladie sous ce nom avec plus de précision, et en
1874 qu'il l'a enfin fixée dans une monographie. Selon lui, la catatonie passe,
(sur le modèle de sa vesania typica) par les stades de mélancolie, de manie, de
stupescence, de confusion et enfin de démence. Mais chacun de ces états pouvait
faire défaut, et la maladie pouvait guérir à chacun d'entre eux (à l'exception du
dernier). Elle se caractérisait en outre, à peu près comme la paralysie générale,

1. Gruppierung der psychischen Krankheiten.


par un certain nombre de symptômes que l'auteur considérait comme corpo-
rels et que nous rangeons à présent parmi les phénomènes catatoniques.
Depuis, le concept de catatonie n'a plus disparu de la littérature, bien qu'il
ait été très attaqué. Il n'a pu se faire reconnaître comme étant un concept
nosographique que par quelques auteurs ; la majorité des psychiatres alle-
mands l'a récusé, pour la raison évidente qu'une évolution typique, au sens
de Kahlbaum, constitue justement une exception, et surtout parce que ce
concept n'avait de limites nettes dans aucune direction.

Ainsi Kahlbaum lui-même a-t-il rapproché de la catatonie l'hébéphrénie, que


Hecker décrivit sur son impulsion en 1871, puis a-t-il élargi l'ensemble de
ce groupe par la description de l'héboïde2, une forme légère d'hébéphrénie
se manifestant principalement dans le domaine du caractère. Schule qualifia
bientôt la catatonie « d'hébéphrénie comportant une névrose tonique ».

D'autres auteurs, contrairement à Kahlbaum, mirent les psychoses abêtis-


santes en rapport avec la dégénérescence (tant de la famille que de l'individu),
après que Morel, déjà, eut insisté sur l'importance de l'hérédité en tant que
cause. Les cerveaux de constitution déficiente étaient censés être particuliè-
rement prédisposés à cette maladie.
Un peu plus tard que la catatonie et l'hébéphrénie, l'abêtissement simple, qui
avait souvent été diagnostiqué dans la pratique mais n'avait été que peu
décrit, fut mieux pris en compte : par Pick (573) en 1891, puis notamment
par Sommer (725) qui, trois ans plus tard, fit non seulement une bonne des-
cription des états catatoniques mais décrivit aussi les différentes formes de
démence primaire, parmi lesquelles il incluait l'hébéphrénie des autres au-
teurs, tout en élargissant le concept d'une façon judicieuse, incorporant aux
démences primaires les formes paranoïdes abêtissantes. Dans son système, il
a cependant encore distingué la catatonie de ces abêtissements.

A l'étranger, les conceptions de Kahlbaum suscitèrent peu d'intérêt. Même


Séglas et Chaslin, qui se préoccupèrent d'abord assez à fond de la catatonie,
parvinrent à la conclusion qu'il ne s'agissait pas, dans le cas de ce complexe
symptomatique, d'une maladie spécifique. En Angleterre, on prêta attention
à cette affaire plus tardivement encore.

En 1896, Kraepelin rassembla les « psychoses abêtissantes » dans un groupe


qu'il crut devoir considérer comme des affections métaboliques. Reprenant
le nom de démence précoce, il le donna d'abord aux seules formes hébéphré-
niques et démentielles primaires des autres auteurs, appelant catatonie toutes
les formes avec prédominance de symptômes catatoniques, tandis qu'il décri-
vait par ailleurs, sous le nom de Dementia paranoides, les formes peu fré-
quentes où se développent rapidement des hallucinations et un délire confus

2. Ou héboïdophrénie (NDT).
tandis que les apparences sont relativement préservées et que le processus
s'arrête rapidement. Ce n'est que trois ans plus tard qu'il réunit sous le nom
de démence précoce l'ensemble du groupe des abêtissements. La catatonie
conserva à peu près son étendue ; ce qui avait précédemment été dénommé
démence précoce se trouva alors en majeure partie qualifié d'hébéphrénie,
tandis que - et c'est le pas le plus important - même les formes antérieure-
ment appelées Paranoia hallucinatoria ou phantastica étaient incluses dans
le concept sous le nom de formes paranoïdes de la démence précoce.

Depuis lors, l'étendue du concept de démence précoce est resté en substance


le même. Il ne s'est encore développé que dans la mesure où Kraepelin a un
peu relégué au second plan la terminaison dans l'abêtissement - sur laquelle
il insistait beaucoup au début - en formulant nettement qu'en relèvent aussi
de nombreux cas qui aboutissent, au moins en pratique, à une guérison dé-
finitive ou d'assez longue durée 3 . Les symptômes catatoniques, qui dominè-
rent un temps non tant le concept kraepelinien que la discussion de ce
concept, passent maintenant eux aussi quelque peu au second plan par rap-
port aux troubles des associations et de l'affectivité.
La formation des autres concepts nosologiques, parmi lesquels il faut notam-
ment citer la folie maniaco-dépressive, ainsi qu'on l'a déjà mentionné, alla
de pair avec la création de la démence précoce. Alors seulement, la démence
précoce acquit des contrastes tranchés et ses limites ne furent plus fixées
unilatéralement du dedans, mais aussi du dehors.

L e n o m de la m a l a d i e

Nous ne pouvons malheureusement nous soustraire à la désagréable tâche de


forger un nouveau terme pour ce groupe nosologique. Celui qui est en usage
jusqu'à présent est trop peu maniable. On ne peut s'en servir que pour dé-
nommer la maladie, mais non les malades, et l'on ne peut former d'adjectif
qui puisse qualifier les caractéristiques propres à cette maladie, encore qu'un
collègue, en désespoir de cause, ait déjà fait imprimer le terme « symptômes
praecox ». Il serait fâcheux de rédiger un diagnostic différentiel détaillé sans
disposer d'un tel terme, et plus fâcheux encore de le lire.
Mais il existe encore une autre raison matérielle, bien plus importante, pour
laquelle il m'a semblé inévitable de mettre une nouvelle dénomination aux
côtés de celle actuellement en usage : l'ancien nom a été créé à une époque
où tant le concept de démence que celui de précocité pouvaient s'appliquer
à presque tous les cas qu'on y incluait. Il n'est plus adapté à l'étendue ac-

3. Depuis la rédaction de c e c i , Kraepelin a de nouveau fortement restreint le concept, au


profit de la folie maniaco-dépressive (NDA).
tuelle du concept nosologique, car il ne s'agit ni uniquement de malades que
l'on puisse qualifier de déments, ni exclusivement d'abêtissements précoces.
On pourrait toutefois penser que le sens originel du terme est sans impor-
tance, étant donné que Kraepelin a exposé d'une façon classique ce qu'il
entend par là ; on parle bien de mélancolie sans se laisser troubler par la
bile noire. Ce n'est pas un honneur pour la psychiatrie qu'il n'en aille pas
de même pour ce terme. Son appellation a fermé à la « folie périodique » de
Kraepelin certaines portes qui étaient ouvertes à la « folie maniaco-dépres-
sive », parce qu'il y avait des psychiatres qui ne pouvaient se résoudre à
qualifier ou entendre qualifier de périodique une maladie qui, le cas échéant,
ne s'exprimait que peu de fois ou une seule fois au cours d'une vie entière.

C'est encore bien pis pour l'expression « démence précoce ». Sans doute
n'est-il nul psychiatre qui n'ait déjà entendu dire souvent que de nombreuses
catatonies et d'autres cas qui devraient être rangés dans la démence précoce
de Kraepelin ne sont pourtant pas abêtis ; on en déduit que la conception
entière serait erronée. De même croit-on s'être débarrassé du problème en
prouvant que quelqu'un s'est abêti non pas précocement mais à un âge rela-
tivement avancé, ou bien l'on identifie le concept de démence précoce à celui
de folie juvénile et l'on a alors beau jeu de prouver qu'il existe différentes
affections de la puberté, et donc qu'il serait erroné de les rassembler en un
seul et même concept. C'est en Angleterre que c'est le pis, où, pour autant
que je suis au courant des discussions, la grande majorité des psychiatres se
cramponnent purement et simplement au terme de démence précoce et ne
connaissent même pas le concept, ou l'ignorent.

Aussi ne restait-il pas d'autre choix que de désigner ici cette maladie d'un nom
qui prête moins à confusion. Je sais les faiblesses de l'expression proposée, mais
j e n'en connais pas de meilleure, et en trouver une tout à fait bonne pour un
concept qui est encore en mutation ne me paraît absolument pas possible. J'ap-
pelle la démence précoce schizophrénie parce que, comme j'espère le montrer,
la scission des fonctions psychiques les plus diverses est l'un de ses caractères
les plus importants. Pour des raisons de commodité, j'emploie ce mot au singulier,
bien que ce groupe comprenne vraisemblablement plusieurs maladies.

^ ^ ^

Zweig et Gross (278) partent d'idées analogues. Le premier l'appelle « dementia


dissecans », le second « dementia sejunctiva ». Mais, comme je l'ai déjà montré,
le terme « démence » est très impropre4 ; dans la seconde proposition, il s'y

4. C'est pourquoi nous ne pouvons, ne serait-ce que pour cette raison, reprendre des ap-
pellations telles que « démence primitive » (Italiens, Sommer), « dementia simplex » (Rie-
ger), « dementia apperceptiva » (Weygandt). J e me méfierais aussi de la « paradementia »
de Brugia (NDA).
ajoute le fait que le concept de séjonction, chez Wernicke, n'est pas tout à
fait défini dans le sens où il devrait l'être pour désigner correctement cette
maladie, et qu'il est envisagé dans un sens beaucoup plus imprécis par d'au-
tres auteurs (Gross, justement, et après lui Weber, 798, p. 922), si bien que
la porte serait de nouveau grande ouverte à d'autres discussions infécondes.
Paris a proposé la dénomination de « psychose catatonique dégénérative 5 ».
Comme il nous faut rejeter le concept de dégénérescence dans ce contexte,
et que les symptômes catatoniques ne sont pas essentiels, nous ne pouvons
non plus accepter ce terme. Le nom de « dementia paratonica progressiva »
ou « paratonia progressiva », préconisé par Bernstein, et « l'amblythymia »
ou « amblynoia simplex et catatonica » d'Evensen (211) nous paraissent aussi
trop étroits. « Adolescent insanity » (Conaghey) et « folie juvénile » sont na-
turellement inadéquats sous tous rapports. — Wolff a récemment proposé
« dysphrénie ». Mais ce terme a déjà été utilisé dans un autre sens, il est si
aisé à comprendre et sa signification est si large que la tentation de lui
attribuer indûment un sens impropre est trop grande.

L a définition

Nous désignons sous le nom de démence précoce ou schizophrénie un


groupe de psychoses qui évolue tantôt sur le mode chronique, tantôt
par poussées, qui peut s'arrêter ou rétrocéder à n'importe quel stade,
mais qui ne permet sans doute pas de restitutio ad integrum complète.
Ce groupe est caractérisé par une altération de la pensée, du sentiment
et des relations avec le monde extérieur d'un type spécifique et qu'on
ne rencontre nulle part ailleurs.
Il existe dans tous les cas une scission plus ou moins nette des fonctions
psychiques : si la maladie est franche, la personnalité perd son unité ;
c'est tantôt l'un et tantôt l'autre des complexes qui représente la per-
sonne : l'influence réciproque des divers complexes et aspirations est
insuffisante ou tout à fait absente ; les complexes psychiques ne
confluent plus, comme chez le sujet sain, en un conglomérat d'aspira-
tions ayant une résultante homogène, mais un complexe domine temporai-
rement la personnalité, tandis que d'autres groupes de représentations
ou d'aspirations sont écartés par clivage et totalement ou partiellement
inopérants. Les idées aussi ne sont souvent pensées qu'en partie, et
des fragments d'idées sont assemblés de façon impropre en une nou-

5. En français dans le texte.


velle idée. Même les concepts perdent leur intégrité, sont privés d'une
ou plusieurs composantes, souvent essentielles ; dans certains cas ils
ne sont même constitués que de quelques représentations partielles.
Souvent, l'activité associative n'est donc déterminée que par des frag-
ments d'idées et de concepts ; ne serait-ce que pour cela elle revêt,
outre son caractère incorrect, quelque chose de bizarre, d'inattendu
pour un sujet sain ; souvent aussi, elle s'arrête subitement au milieu
d'une pensée, ou quand elle devrait passer à une autre idée, pour au-
tant qu'elle est consciente, du moins (barrage) : au lieu de la suite
surgissent parfois alors de nouvelles idées, que ni la conscience du
patient lui-même, ni l'observateur ne peuvent mettre en rapport avec
le contenu idéique précédent.

On ne peut mettre en évidence de troubles primaires de la perception,


de l'orientation ni de la mémoire.

Dans les cas les plus graves, on ne perçoit même plus de manifestations
d'ajfect. Dans les cas relativement légers, on note seulement que les
degrés d'intensité des réactions affectives à divers événements ne sont
pas dans un rapport mutuel adéquat ; ainsi l'intensité peut-elle aller de
l'absence totale d'expression d'affect dans le cas de l'un des complexes
idéiques jusqu'à une réaction affective exagérée dans le cas d'un autre
de ces complexes. Les affects peuvent aussi paraître qualitativement
anormaux, c'est-à-dire être inadéquats aux processus intellectuels.

Aux symptômes « d'abêtissement » qu'on a cités se joignent dans la


plupart des cas d'asile d'autres symptômes encore, et notamment des
hallucinations et des idées délirantes, des états confusionnels, des états
crépusculaires, des oscillations affectives maniaques et mélancoliques,
des symptômes catatoniques. Parmi ces symptômes et complexes symp-
tomatiques accessoires, certains sont empreints d'un caractère spécifi-
quement schizophrénique, si bien qu'ils peuvent être utilisés eux aussi
pour diagnostiquer la maladie, s'ils sont présents. En dehors des asiles
il est de nombreux schizophrènes chez lesquels les syndromes acces-
soires sont relégués au second plan ou font totalement défaut.

Nous divisons provisoirement la démence précoce en quatre sous-formes :


1. La paranoïde. Hallucinations ou idées délirantes, ou les deux, sont
en permanence au premier plan.
2. La catatonie. Des symptômes catatoniques sont au premier plan en
permanence, ou du moins pendant assez longtemps.
3. L'hébéphrénie. Des symptômes accessoires se voient, sans qu'ils do-
minent continuellement le tableau.
4. La schizophrénie simple. Durant toute l'évolution on ne peut mettre
en évidence que les symptômes fondamentaux spécifiques.

Pour plus de précisions, voir la deuxième partie.

La délimitation théorique de la schizophrénie par rapport aux autres groupes


de psychoses est très précise, comme le montre un regard sur les symptômes
des autres maladies entrant en ligne de compte.

Les « psychoses organiques », c'est-à-dire celles qu'il faut considérer comme


étant l'expression d'une atrophie diffuse du cortex cérébral (les maladies ras-
semblées sous les noms de démence paralytique générale et de démence sé-
nile, et en un certain sens le Korsakow), ont les caractéristiques suivantes :

Sur le plan intellectuel : imprécision et lenteur des perceptions : incapacité


à concevoir complètement les choses compliquées (c'est-à-dire qu'il n'est fait
appel qu'à celles des associations qui correspondent à la pulsion du moment).
Trouble de la mémoire, plus important pour les événements récents qu'an-
ciens. L'orientation dans l'espace, dans le temps et dans la situation est for-
tement altérée. - Domaine intermédiaire : l'attention est perturbée, l'attention
habituelle généralement beaucoup plus intensément et précocement que l'at-
tention maximale 6 . - Affectivité : tous les affects sont conservés et correspon-
dent qualitativement au contenu intellectuel. Mais ils sont « superficiels »,
généralement fugaces, incapables de donner durablement une direction pré-
cise aux pulsions. — Aucun de ces symptômes n'appartient à la démence
précoce.

Etats épileptiques : sur le plan intellectuel : compréhension ralentie et impré-


cise, pour autant qu'elle est altérée. Restriction progressive des associations
d'idées, à peu près comme dans les psychoses organiques mais de façon plus
nettement égocentrique ; cours de pensée ralenti, hésitant : difficulté à aban-
donner un thème ; tendance importante aux détails inutiles (minutie dans le
discours et dans l'action) ; tendance à un certain type de persévération. Trou-
bles mnésiques tardifs, beaucoup plus diffus que dans les maladies organi-
ques. Amnésies pour des raisons apparemment physiques. - Affectivité : tous
les affects sont qualitativement adéquats au contenu intellectuel de la pensée,
mais renforcés et, à la différence des maladies organiques, tenaces, difficiles
à détourner. A un moment donné, l'affectivité est tout à fait homogène (délire
épileptique !). - Motricité : élocution chantante et hésitante. (Les crises d'é-
pilepsie surviennent exactement de la même façon dans diverses autres ma-
ladies aussi, et notamment dans la schizophrénie ; ce n'est pas la crise en
soi qui est caractéristique de l'épilepsie, mais sa répétition fréquente au fil

6. Les notions d'attention habituelle et d'attention maximale ne correspondent qu'en gros à


celles d'attention spontanée et d'attention provoquée : relève de l'attention maximale l'atten-
tion prêtée à un événement fortuit mais à fort retentissement affectif (NDT).
de nombreuses années, et puis, précisément, l'état psychique.) - Rien de tous
ces symptômes dans la démence précoce.
Les nombreux troubles idiotiques ont tous en commun : début dès la prime
jeunesse ou in utero, sans progression dans l'ensemble. Affectivité extrême-
ment diverse, mais par principe non différente de celle du sujet sain, seule-
ment la plage de variations peut être encore plus large que chez l'individu
normal ; pas de blocage des affects. Associations limitées à ce qui est le plus
immédiatement évident sur le plan intellectuel. - Dans la démence précoce
trouble des associations autre, perturbation typique des affects.
Paranoïa : constitution d'un système délirant inébranlable développé logique-
ment à partir de certaines prémisses fausses et dont les parties ont un lien
logique, sans perturbation prouvable de toutes les autres fonctions, donc aussi
absence de tout « symptôme d'abêtissement », si l'on ne veut pas compter au
nombre de ceux-ci l'absence de critique vis-à-vis des idées délirantes.

Dans la démence précoce, les idées délirantes elles-mêmes, quand il en


existe, présentent des manquements à la logique au minimum relativement
légers, et dans la plupart des cas tout à fait grossiers ; par ailleurs, les autres
symptômes de la démence précoce s'y joignent.
Alcoolisme chronique : sur le plan intellectuel : cours de pensée rapide et su-
perficiel avec fort besoin de compléter les idées, notamment sous l'angle
causal. En particulier vive sensibilité à l'égard de toutes les mises en cause
personnelles avec tendance permanente aux faux-fuyants. - L'affectivité se
met en branle pour tout, vite enflammée, c'est un feu de paille, labile. Confor-
mément à cela, attention dirigée sur ce qui se passe dans l'instant, sans
persévérance. Aux stades plus avancés existent souvent des signes de per-
turbation organique (atrophie cérébrale). — Donc en tout point le contraire
de la schizophrénie. (Mais des combinaisons des deux maladies sont très
fréquentes !)

Delirium tremens : type particulier d'hallucinations. État de conscience ca-


ractéristique du delirium, avec possibilité de provoquer des éveils. Affectivité
variable, mais homogène à tout moment, avec humeur basale du type « hu-
mour noir ».
Délire hallucinatoire alcoolique : voir la cinquième partie.
Confusion mentale : l'amenda de Kraepelin comporte un trouble caractéristi-
que de la perception et de la compréhension. Mais il existe aussi d'autres
formes, qui ne sont pas encore décrites.
Les psychoses au cours des pyrexies ne peuvent pas être caractérisées briève-
ment, parce qu'elles ne sont pas encore pas encore étudiées du tout.
Formes maniaco-dépressives : tout ce qui est essentiel dans le tableau morbide
s'explique par une augmentation ou une dépression très générale du tonus
psychique quant à l'affectivité, aux associations et à la motricité (euphorie
morbide, fuite des idées, besoin d'occupation d'une part, dépression, inhibi-
tion de la pensée, inhibition motrice générale de l'autre). Absence des signes
spécifiques des autres groupes nosologiques, et donc aussi de l'abêtissement
au sens schizophrénique du terme. (Ce qu'on appelle parfois abêtissement
dans la folie maniaco-dépressive est de l'incontinence affective ou une inhi-
bition dépressive de la pensée, ou une démence par atrophie cérébrale asso-
ciée.) - Dans la démence précoce, les symptômes positifs de la folie
maniaco-dépressive ne sont pas rares ; mais ils sont compliqués par les symp-
tômes spécifiques de la démence précoce.
Hystérie (comme dans la démence précoce) : les symptômes principaux, et
notamment aussi l'évolution, sont explicables psychogénétiquement à partir
d'exagérations d'affects liés à certaines représentations. Par contre : absence
d'abêtissement et de signes proprement schizophréniques. Dans la démence
précoce surviennent une foule de symptômes hystériques, mais ils revêtent
généralement une tonalité schizophrénique, semblent caricaturaux et se
combinent aux symptômes spécifiques de cette maladie.
De ces deux dernières maladies, la folie maniaco-dépressive et l'hystérie, et
peut-être aussi, dans une certaine mesure, de la paranoïa, nous ne connais-
sons donc jusqu'à présent que des symptômes qui peuvent aussi se voir dans
la démence précoce. La différence entre ces psychoses et la démence précoce
consiste seulement en un plus du côté de la démence précoce. Tous les autres
états psychotiques ont leurs symptômes spécifiques, qui ne se voient pas dans
la démence précoce.
Première partie

L a Symptomatologie
Introduction

Certains symptômes de la schizophrénie sont présents à chaque instant


et dans chaque cas, bien que, comme tout autre symptôme pathologi-
que, ils doivent avoir atteint un certain degré pour pouvoir être en tout
état de cause diagnostiqués avec certitude. Naturellement, nous ne par-
lons ici que des grands complexes symptomatiques en tant qu'ensem-
bles. Par exemple, le trouble spécifique des associations est toujours
présent, mais non chacune de ses manifestations parcellaires. L'ano-
malie des associations se manifeste tantôt plutôt sous la forme de bar-
rages, tantôt sous celle d'émiettement des idées, tantôt sous celle de
n'importe quelles autres manifestations schizophréniques.

Outre ces symptômes permanents spécifiques, ou symptômes fondamen-


taux, nous trouvons une foule d'autres phénomènes, plus accessoires,
comme les idées délirantes, les hallucinations ou les symptômes cata-
toniques, qui peuvent faire défaut par moments, ou même pendant toute
l'évolution d'un cas de la maladie, tandis que d'autres fois ils déter-
minent seuls et en permanence le mode sur lequel la maladie se mani-
feste.
Pour autant que nous le sachions jusqu'à présent, les symptômes fon-
damentaux sont caractéristiques de la schizophrénie, tandis que les
symptômes accessoires peuvent se voir également dans d'autres mala-
dies. Mais, à y regarder de plus près, on trouve souvent ici aussi des
particularités de la genèse ou de l'apparition d'un symptôme qui ne se
voient que dans la schizophrénie ; et l'on doit s'attendre à reconnaître
peu à peu ce qu'il y a de caractéristique dans un grand nombre de
ces symptômes accessoires.

Naturellement, seuls des cas patents peuvent servir de base à la des-


cription des symptômes. Mais il est très important de savoir que tous
les intermédiaires avec la normale existent, et que les cas légers, les
schizophrénies latentes à symptômes peu marqués, sont beaucoup plus
nombreux que les cas manifestes. En outre, étant donné les grandes fluc-
tuations du tableau pathologique schizophrénique, il ne faut pas compter
pouvoir mettre en évidence chaque symptôme à chaque instant.
Chapitre p r e m i e r

Les symptômes
fondamentaux
Les symptômes fondamentaux sont constitués par le trouble schizophré-
nique des associations et de l'affectivité, par une tendance à placer sa
propre fantaisie au-dessus de la réalité et à se retrancher de celle-ci
(autisme). On peut en outre y ajouter l'absence des symptômes qui
jouent un grand rôle dans certaines autres maladies, par exemple les
troubles primaires de la perception, de l'orientation, de la mémoire,
etc.

A. L e s f o n c t i o n s simples

I. Les fonctions simples altérées

a) Les associations

Vue d'ensemble
Les associations perdent leur cohérence. Parmi les mille fils conduc-
teurs de nos pensées, la maladie en interrompt d'une façon irrégulière
tantôt quelques-uns, tantôt plusieurs, tantôt une grande partie. Ceci
rend le résultat de la pensée insolite, et souvent faux sur le plan lo-
gique. En outre, les associations empruntent de nouvelles voies, dont
les suivantes nous sont actuellement connues : deux idées se ren-
contrant par hasard sont réunies en une pensée, la forme logique de
leur combinaison étant déterminée là par les circonstances. Les asso-
ciations par assonance acquièrent une importance inaccoutumée ; de
même les associations indirectes. Deux ou plusieurs idées sont conden-
sées en une seule. La tendance au stéréotypage fait que le cours de
la pensée reste bloqué sur une idée, ou que le malade ne cesse de
revenir à la même idée. D'une façon générale, il y a fréquemment une
pauvreté idéique allant jusqu'au monoïdéisme ; souvent, une idée
conçue d'une façon quelconque domine le cours de la pensée sous la
forme d'une fascination, d'une énonciation, d'une échopraxie. La pos-
sibilité de détourner le cours de la pensée du patient n'est pas pertur-
bée d'une façon homogène dans les différents états schizophréniques.
Si les troubles schizophréniques des associations atteignent un haut
degré, ils aboutissent à la confusion.

En ce qui concerne le déroulement temporel des associations, nous ne


connaissons que deux perturbations qui appartiennent spécifiquement
à la schizophrénie, la bousculade des pensées, c'est-à-dire un afflux de
pensées pathologiquement accru, et puis le barrage, particulièrement
caractéristique.

* * *

Un jeune schizophrène, qui sembla d'abord paranoïde ou hébéphrène


et devint gravement catatonique quelques années plus tard, écrivit
spontanément ce qui suit.

L'époque de la floraison pour l'horticulture

A l'époque de la Nouvelle Lune, venuss est dans le ciel d'août de l'Egypte


et illumine de ses rayons lumineux les ports marchands, Suez, Le Caire et
Alexandrie, dans cette ville de califat historiquement célèbre se trouve le
musée des monuments assyriens de Macédoine. Y croissent, outre les co-
lonnes de maïs pissang 1 , l'avoine, le trèfle et l'orge également des bananes,
des figues, des citrons, des oranges et des olives. L'huile d'olive est une sauce
de liqueur arabe, avec laquelle les Afghans les Maures et les Musulmans
pratiquent l'élevage des autruches. Le pissang indien est le whiyski des Parsis
et des Arabes. Le Parsi ou Caucasien possède tout autant d'influence sur son
éléphant que le Maure sur son dromadaire.Le chaameau est le sport des Juifs
et des indiens. En inde pousse admirablement l'orge, le riz et la canne à
sucre c'est-à-dire l'artichaut 2 . Les brahmanes vivent en castes au Belachistan.
Les Tchirghizes habitent la mandchourie de Chine. La Chine est l'eldorado
du pawnee3.

1. Terme malais désignant la banane (NDT).


2. Association par assonance : Zuckerslock = canne à sucre, Artischock = artichaut (NDT).
3. Le fait que les particularités d'un cours d'idées apparaissent généralement tant dans
l'expression orale qu'écrite doit être d'une importance encore insoupçonnée pour la théorie
de la pensée associative (NDA).
Un hébéphrène qui, malade depuis plus de 15 ans, est encore apte au
travail et a de nombreux souhaits, m'a donné par oral, à la question
« Qui était Epaminondas ? » la réponse suivante :
« Epaminondas était quelqu'un qui était puissant notamment sur mer et sur
terre. Il a conduit de grandes manœuvres navales et des batailles navales
contre Pélopidas, mais il a reçu un coup sur la tête au cours de la seconde
guerre punique du fait du naufrage d'une frégate cuirassée. Il est allé avec
des navires d'Athènes au bois de Mamre, y a porté des raisins calédoniens
et des grenades et a vaincu les Bédouins. Il a assiégé l'Acropole avec des
canonnières et a fait brûler la garnison perse comme des torches vivantes.
Le pape suivant, Grégoire VII — euh — Néron, a suivi son exemple et tous
les Athéniens, toutes les races romano-germano-celtiques qui n'avaient pas
pris une position favorable à l'égard des prêtres ont été brûlés par les druides
à la fête du Saint-Sacrement du Dieu-Soleil Baal. C'est la période de l'âge
de pierre. Pointes de lance en bronze. »

Ces deux productions montrent des degrés moyens du trouble schizo-


phrénique des associations. Elles sont dues à des patients qui ont des
comportement diamétralement opposés et sont pourtant étonnamment
semblables. Parmi les déterminants de la direction de leurs idées, le
plus important, la représentation du but, fait défaut. L'un semble avoir
voulu écrire quelque chose sur les jardins orientaux, étrange idée pour
un commis qui n'est jamais sorti des limites de sa petite patrie et qui
séjourne depuis quelques années à l'asile ; l'autre s'en tient certes à
la question posée, sur le plan formel, mais en fait il ne parle pas du
tout d'Epaminondas mais d'un cercle de concepts beaucoup plus large.

La cohésion des idées est donc assurée ici par une sorte de concept
générique, mais non par une représentation de la direction ou du but.
Aussi semble-t-il qu'on ait jeté dans une marmite et mélangé des
concepts d'une catégorie donnée - se rapportant dans le premier cas
à l'Orient et dans le second à l'histoire ancienne - pour ensuite les
en tirer selon les caprices du hasard en les reliant par des formes
grammaticales et quelques représentations accessoires. Néanmoins cer-
tains des concepts qui se succèdent ont un lien commun un peu plus
étroit, mais pourtant bien trop lâche pour représenter une séquence
utilisable sur le plan logique (manœuvres navales - batailles navales
- frégate cuirassée ; Acropole - occupants perses - brûler - torches
vivantes - Néron ; prêtre - druide - fête du Saint-Sacrement - Dieu-
Soleil Baal, etc.)

Lors de l'analyse des troubles associatifs, il est nécessaire de bien compren-


dre quelles influences guident nos pensées d'une manière générale. Nul cours
de pensée fécond ne peut naturellement naître d'associations qui ne se fe-
raient que par habitude, analogie, subordination, causalité, etc. Seule la re-
présentation du but transforme des séquences de concepts en pensées. Mais
ce qu'on appelle représentation du but n'est pas une entité mais une hiérar-
chie infiniment compliquée de représentations. Lors de l'élaboration d'un
thème, le but immédiat est la formulation de la pensée partielle que sommes
en train de vouloir fixer, et dont la phrase que nous sommes en train d'écrire
sera le symbole. Un but plus lointain et plus général réside, par exemple,
dans le paragraphe ; celui-ci s'intègre dans un chapitre, etc. Le but principal,
c'est-à-dire la meilleure fertilisation possible du sol, ne doit jamais être ab-
sent de la pensée du paysan au travail, bien que cette représentation puisse
être très à l'arrière-plan de la conscience au moment considéré ; c'est elle qui
détermine ses associations ; car si l'on pouvait lui prouver que ce qu'il est
en train de faire n'est pas utile à cette finalité principale, il s'arrêterait aus-
sitôt. A la représentation principale du but se subordonnent une foule de
buts annexes : s'il fait ses préparatifs pour le semis à une certaine époque,
il lui faut s'accommoder d'autres activités qui peuvent entrer en conflit avec
cela : des repas, du sommeil, du temps, du moment de la journée. Et chacune
des actions élémentaires dont se compose l'acte de semer, préparer des
graines, aller au champ, répandre les graines, ont elles aussi leurs buts spé-
cifiques. Les représentations de ces buts ainsi que celle de leur cohérence
doivent influer en permanence sur ce qu'il fait (donc en premier lieu sur ses
associations).

Ce ne sont pas seulement les représentations de but mais aussi les concepts
considérés comme beaucoup plus simples avec lesquels nous opérons habi-
tuellement qui sont formés de composantes multiples qui changent selon le
contexte : le concept d'eau est tout à fait différent selon qu'il est utilisé en
rapport avec la chimie, la physiologie, la navigation, un paysage, une inon-
dation ou comme une source d'énergie, etc. Chacun de ces concepts spéci-
fiques est relié par des fils tout à fait différents aux autres idées ; nul être
normal ne pense à l'eau cristallisée quand l'eau emporte sa maison, et per-
sonne, voulant étancher sa soif avec de l'eau, ne pense à la poussée qui
permet aux bateaux de flotter.

Tous les fils conducteurs associatifs indiqués ici peuvent demeurer sans
effet dans la schizophrénie, isolément ou selon des combinaisons quel-
conques. Quelques autres exemples pourront l'expliquer :

Chère Maman !
Aujourd'hui je me sens mieux qu'hier. Je ne suis en fait pas du tout en
disposition d'écrire. Mais pourtant j e t'écris très volontiers. Je peux bien m'y
prendre à deux reprises. Je me serais tellement réjoui hier dimanche si toi
et Louise et moi avions eu la permission d'aller dans le parc. On a une si
belle vue de la Stephansburg. C'est vraiment très beau au Burghôlzli. Louise
écrit Burghôlzli sur les deux dernières lettres, j e veux dire sur les - couverts,
non, enveloppes, que j'ai reçues. Mais j'ai écrit Burghôlzli là où j'ai mis la
date. Il y a aussi au Burgholzli des patients qui disent Hôlzliburg. D'autres
parlent d'une usine. On peut aussi le considérer comme un établissement de
cure.

J'écris sur du papier. La plume que j'utilise à cette fin est d'une usine qui
s'appelle Perry et Co. L'usine est en Angleterre. Je le suppose. Derrière le
nom Perry Co est griffonnée la ville de Londres ; mais pas la ville. La ville
de Londres est en Angleterre. Je le sais par l'école. J'y ai toujours aimé la
géographie. Mon dernier professeur de cette matière était le professeur Au-
guste A. C'est un homme aux yeux noirs. J'aime bien les yeux noirs aussi.
Il y a également des yeux bleus et gris, et d'autres encore. J'ai déjà entendu
dire que le serpent aurait les yeux verts. Tous les êtres humains ont des yeux.
Il y en a aussi qui sont aveugles. Les aveugles sont alors guidés par le bras
par un garçon. Ce doit être très terrible de ne rien voir. Il y a aussi des gens
qui ne voient rien, et d'autres encore qui n'entendent rien. Mais j'en connais
aussi quelques-uns qui entendent trop. On peut entendre trop. On peut aussi
voir trop. Il y a beaucoup de malades au Burgholzli. On dit d'eux : patients.
L'un m'a bien plu. Il s'appelle E. Sch. Il m'a appris ceci : Il y a quatre
catégories au Burgholzli, des patients, des pensionnaires, des garde-malades.
— Et puis il y a également des gens qui ne sont pas du tout ici. Ce sont tous
des gens étranges...

Ln auteur de lettre non schizophrène raconterait ce qui, dans son environ-


nement, a une influence sur son état, ce qui d'une façon quelconque le touche
agréablement ou désagréablement, ou bien ce qui peut intéresser le destina-
taire. Un tel but fait ici défaut : le point commun de toutes les idées consiste
en ce qu'elles se rattachent à l'environnement du patient, mais pas en ce
qu'elles sont en relation avec lui. Dans cette mesure, le cours de la pensée
est donc encore plus dissocié que celui de « l'horticulture » et de « l'Epa-
minondas ». Par contre il est plus ordonné quant aux détails. Tandis que dans
ces écrits ceux-ci ne sont qu'exceptionnellement en rapport les uns avec les
autres, et par petits groupes, ici nous ne trouvons nulle part de saute de
pensée. Les « lois de l'association » restent en vigueur, sous ce rapport. Dans
un test d'associations expérimentales, d'où la représentation du but est ex-
clue, la plupart de ces associations devraient même être considérées comme
pleinement valables : Londres - cours de géographie - professeur de géogra-
phie - les yeux noirs de celui-ci - yeux gris - yeux verts de serpents - yeux
humains - aveugles - guide d'aveugle - perte terrible, etc. Mais bien que
les idées exprimées soient presque toutes justes, l'écrit est pourtant dépourvu
de sens. Le patient avait le but d'écrire, mais pas d'écrire quelque chose.

Une hébéphrène veut mettre son nom au bas d'une lettre comme d'habitude :
« B. Graf. » Elle écrit Gra ; il lui vient alors à l'esprit un autre mot, qui
commence par Gr ; elle corrige le a en o, y ajoute ss et répète alors le mot
« Gross » deux fois encore. De toute la masse de représentations sur les-
quelles se fonde la signature, toutes sont devenues d'un seul coup inopérantes
sur la malade, à l'exception des lettres Gr. - Ainsi les patients peuvent-ils
se perdre dans les associations annexes les plus insignifiantes, et l'on n'a-
boutit pas au développement d'un cours de pensée homogène. On a aussi
appelé ce symptôme « pensée à côté4 ».
A la question « Qu'était votre père ? », un patient répond : « Johann Frie-
drich ». Il a saisi qu'il s'agissait de son père, mais la question sur la profes-
sion n'a pas eu d'influence sur sa réponse, par contre il répond à la question
sur le nom qui n'a pas été posée. Si l'on examine de plus près de tels cas,
il s'avère la plupart du temps que les malades ont saisi la question en tant
que telle, mais qu'ils n'ont pas élaboré la représentation qui y est adéquate.
Un hébéphrène requiert du gouvernement sa libération de l'asile sous la forme
suivante :
« Vous êtes invité à procéder à ma désincarcération et à procéder à la publi-
cation au moyen d'annonces dans le journal de mai 1905, sinon vous serez
révoqué de vos fonctions en vertu de mes droits traditionnels.
Vous expédierez les affaires courantes jusqu'aux nouvelles élections.
Avec mes salutations... »

Cet homme, qui a siégé au conseil municipal dans le passé, n'a au demeurant
nullement l'idée délirante qu'il pourrait donner des ordres au gouvernement
ou même le renverser ; seulement, tandis qu'il écrit ceci, tout ce qui ne s'ac-
corde pas à cet instant avec cette représentation est absent de sa pensée.
Un hébéphrène écrit : « La montagne qui se dessine dans les boursouflures
de l'oxygène est admirable. » Il s'agissait de la description d'une promenade,
avec laquelle ce concept chimique ne cadre pas. Manifestement, quelque
chose se rapportant au « bon air sain » lui est venu à l'esprit, car dans la
phrase suivante le patient parle de façon tout à fait abrupte de sa santé.
- Exemple analogue : Avez-vous des soucis ? « Non. » La situation vous pèse-
t-elle ? « Oui, le fer est pesant. » Tout d'un coup, pesant est pris au sens
physique.
On enlève la table qui est à côté du patient. Il dit : « Salut, je suis le Christ »,
se renverse en arrière comme un mourant et incline le chef. Nous avons la
représentation partielle selon laquelle quelque chose s'éloigne de nous lors
de la disparition d'un être humain comme lors de l'enlèvement d'une table.
Pour un sujet normal, les différences de ces deux processus sont prégnantes ;
mais seul influe sur les associations du patient le troisième terme de la
comparaison, le départ, représentation qui n'est pas du tout adéquate au cas
présent. L'adieu - sans doute en relation avec l'image de la table - éveille
en lui la représentation de Jésus ; les différences énormes entre les adieux
de Jésus et l'adieu du patient à sa table n'ont aucun poids dans cette asso-

4. Dont les « réponses à côté », classiques dans la littérature française, sont la traduction
(NDT).
ciation. Non seulement l'association Jésus se produit, mais l'analogie minime
entre la situation du patient et celle du Christ suffit à identifier pour un court
moment le patient au Christ. Ici aussi, une série de représentations différen-
ciant les adieux de Jésus à ses disciples et le dernier adieu sur la Croix
n'ont cependant pas été prises en compte non plus. (On n'a pu mettre en
évidence dans le cas présent les autres facteurs conjoncturels qui ont fait
surgir spécifiquement l'idée de Jésus).

Là où les fils conducteurs associatifs sont de nature plus accessoire,


les associations ne deviennent pas proprement absurdes ; mais elle pa-
raissent étranges, bizarres, déplacées, même si au fond elles sont justes.
Quand, par exemple, Brutus est qualifié « d'Italien », tout est exact,
au contexte temporel évoqué par cette appellation ethnique près, mais
il est inhabituel que le concept plus précis de « Romain » soit remplacé
par le concept général d'Italien. L'auteur de l'époque de la floraison
pour l'horticulture a répondu « entre l'Assyrie et l'Etat du Congo » à
la question « Où se trouve l'Egypte ». Dans cette réponse, juste quant
au fond, la détermination de la situation par un état africain et un état
asiatique est inhabituelle, et plus encore la relation entre un des États
les plus anciens et l'un des plus modernes. Des composantes concep-
tuelles relatives au lieu comme au temps qui ne font habituellement
jamais défaut sont devenues inefficaces. — Lors d'un test, une patiente
associe, à « cœur », « fil », sous prétexte que deux cœurs sont unis
comme par un fil ; une autre (Zurichoise) associe à « aiguille » — « le
pin ». Un hébéphrène qualifie le foin de « distraction des vaches ».
Une lettre se termine ainsi : « J e le prie de saluer aussi mes autres
frères et sœurs, belles-sœurs et vos enfants. Que non seulement la
colère et la punilion de Dieu mais aussi l'amour de Dieu et la misé-
ricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ soient avec nous tous, avec toi
aussi et tu viens me voir » (« Tu viens me voir » est subitement écrit
en dialecte dans l'original). Ici, on peut très facilement expliquer toutes
les transitions d'une idée à l'autre à partir des circonstances et des
sentiments qui dominent la patiente ; chaque phrase exprime une pen-
sée que la patiente peut fort bien exprimer à la fin de sa lettre, et qui
est aussi reliée d'une façon compréhensible à la précédente ; et pour-
tant tout ceci a une tonalité si bizarre qu'on n'aurait pas le moins du
monde l'idée de l'attribuer à une fuite des idées maniaques, et moins
encore à une pensée saine.

Dans certains cas, tous les fils conducteurs du cours de pensée se


rompent ; si de nouvelles voies ne sont pas empruntées alors, nous
avons la stupeur ou le barrage. Mais souvent le patient abandonne avec
le plus grand naturel une pensée pour passer à une autre, d'un tout
autre type et qui ne permet pas de déceler la moindre relation asso-
ciative avec la précédente.
Dans le passage d'une « description biographique » qui suit, les sautes de
pensée sont désignés par // ; une partie d'entre elles peuvent s'expliquer par
une relation avec l'environnement (distraction), mais pas toutes.

« Il faut bien qu'on se soit levé au moment voulu, alors il y a aussi « l'ap-
pétit » nécessaire à cela. L'appétit vient en mangeant5 », dit le Français. - //
Avec le temps et avec les années l'être humain devient si à l'aise dans la
vie publique qu'il n'est même plus capable d'écrire. - Sur une telle feuille
de papier on met de très nombreuses lettres 6 si l'on fait bien attention à ne
pas dépasser d'une « chaussure carrée ». Il Par un temps si magnifique on
devrait pouvoir se promener dans la forêt. Pas seul, naturellement, mais
Avec7 ! Il A la fin d'une année on fait toujours un bilan de fin d'année. - Il
Ce n'est que maintenant que le soleil est dans le ciel et il n'est pas encore
plus de dix heures. — Au Burghôlzli aussi ? — ? Cela, je ne le sais, car je
n'ai pas de montre sur moi comme avant ! - Après le manger « On va p...8 » !
Il y a aussi suffisamment de distractions pour les gens qui ne font pas partie
de cet asile de fous et n'en ont jamais fait partie. Car faire des « bêtises »
avec « de la chair humaine » n'est pas permis en « Suisse » ! ! Il — La foi9
das Heu, L'herb10 das Gras, morder11 = beissen etc. etc. etcetera usw. und so
weiter 12 ! - R... K... - En tout cas il vient beaucoup de « maarchandise » de
Zurich, sinon nous ne serions pas forcés de rester au « lit » jusqu'à ce que
celui-ci ou celui-là ait la « complaisance » de « dire » qui est responsable du
fait quon ne peut plus sortir prendre l'air. O A // 1000 demi-quintaux II Atta-
chement pour les glands ! ! !

A. les Eschèlles. d'un homme, qui ne peut plus aller au pièg.-XII Vous
connaissez ça ? En « Allemagne : Die Eicheln und das heisst auf französisch :
Au Maltrâitage ». — // T A B A K . (Ich habe dir so schön gesehen.) // Wenn auf
jede Linie etwas geschrieben ist, so ist es recht. « Jetzt ischt albi elfi grad 13 .
Der Andere. - // Hü, Hü, Hüst umme nö hä ? ! - // Zuchthäuslerverein : Bur-
ghôlzli. - // Ischt nanig à près le Manger ! ?- ! ? ! - Meine Frau war eine
vermögliche gewesen14'. »

5. En français dans le texte.


6. Buchstaben : lettres de l'alphabet.
7. En français dans le texte (NDT) - c'est-à-dire avec une fille (tournure idiomatique) (NDA).
8. En français dans le texte.
9. Pour le foin, en français, das Heu en allemand (NDT).
10. En français dans le texte.
11. Pour « mordre » ( N D T ) .
12. Usw : etc. - und so weiter : et coetera (NDT).
1 3 . = halb elf a v e c l ' a c c e n t i t a l i e n (NDA).
14. Tout ce paragraphe est écrit partie en français, partie en allemand et partie en charabia.
J e l'ai conservé tel quel (NDT).
Dans le langage parlé et écrit courant, cette singulière rupture des fils
conducteurs associatifs se combine généralement à d'autres troubles,
si bien qu'il est difficile d'en trouver des exemples purs. Dans les états
aigus, cette anomalie peut aller si loin qu'on n'arrive qu'exceptionnel-
lement à suivre une pensée au travers de plusieurs maillons ; on parle
alors de « pensée dissociative » (Ziehen 8 4 2 ) et « d'incohérence » et l'on
doit qualifier l'état pathologique apparent de « confusion ». Parfois, ce-
pendant, seul le mode d'expression est confus, si bien que l'on peut
encore à tout le moins suspecter des transitions logiques ; on ne peut
alors jamais dire avec certitude si, en cas d'association anormale, il
s'est produit une rupture complète du cours de la pensée. Ainsi en
va-t-il dans le texte qui suit (sténographié) :

« La fierté d'être Suisse doit se mériter. Salii K..., je suis la religieuse, si


cela suffit tu es encore sien. C'est un brave cavalier, prenez le donc pour
mari. Caroline tu sais bien que tu es le Seigneur mon Dieu, aussi n'étais-tu
qu'un songe. Si tu es le colombier, Madame K. a encore peur. // A l'ordinaire
j e ne suis pas si ponctuelle 1 5 au repas. Fais attention au bouillon. // Où as-tu
mis le pinceau ? Hermann où es-tu ? Donner à Hermann, Altorf, Anna, Wal-
der, ou à l'attention du chauffeur de locomotive, dans tes bras je dors bien.
// Ici c'est le Burgholzli. // Ida es-tu devenue mexicaine, toi, tu me parais
très instruite. Maintenant c'est un côté, un chevalier du Burgholzli, puis ils
ont une fête aquatique ou alors ils font une retraite aux flambeaux. L'enfant
perdu a une tête de brique. Où sont les messieurs de la Sainte Fête. C'est
la source de vie. »

Tous les troubles cités peuvent varier du maximum, qui correspond à une
confusion complète, jusqu'à la quasi-absence. Toute association d'idées
n'a pas ce caractère, chez un schizophrène ; mais tandis que dans les
cas graves les associations erronées sont tout à fait dominantes, seule
une observation patiente et prolongée peut déceler quelques défauts
de la pensée de ce type dans une démence précoce « guérie » ou la-
tente.

C'est lors des questions et réponses que l'émergence d'idées nouvelles


est la plus nette, et puis lors du test associatif qui consiste en ce que,
dès qu'un mot est prononcé, le patient doit dire ce qui lui passe par la
tête. Un malade regarde une bougie et répond, quand on lui demande ce
qu'il regarde : « Il y a là une bougie ; lumière éternelle ; // Barbara von
R. à S. // Quelque chose derrière à droite. Des barbeaux, oui, il y en a

15. En fait cet écrit n'identifie pas formellement le sexe de son auteur, seul le propos délirant
« j e suis la religieuse » pouvant évoquer le sexe féminin dans le texte allemend (NDT).
dans le Rhin. » — On peut avoir comme réponse à une incitation à aller
au travail :. « Pourquoi laissez-vous tomber ça ? // Le soleil est dans le
ciel. // Pourquoi laissez-vous tomber ça ? » (Personne n'a rien laissé tom-
ber.) - Mis à part les sautes d'idées marquées par II, la première phrase
ne se rattache déjà pas le moins du monde à l'incitation qui a été donnée.
Ceci est quelque chose de tout à fait habituel ; souvent, ce qui est répliqué
à une question n'a d'une réponse que la forme, tandis que le contenu n'a
strictement rien à voir avec ce qui était demandé.
On demande à une patiente qui devait aider aux tâches ménagères pourquoi
elle ne travaille pas. Sa réponse — « Mais j e ne connais pas le français » -
n'a de rapport logique ni avec la question, ni avec la situation.
Pour examiner le sens stéréognosique, on met une clé dans la main d'une
patiente capable de travailler, dont le comportement est tout à fait bon et qui
coopère au test. A la question « Qu'est-ce que c'est ? » on obtient comme
réponse « Un conseiller municipal ».
Au cours d'un test, le mot encre provoque les associations : « Tache d'encre ;
// On veut tout de même hériter de ça. »

Parfois, la lacune est comblée par des formes grammaticales, simulant


ainsi une cohérence ; des idées différentes et qui n'ont aucun rapport
entre elles sont liées au sein d'une phrase, d'une façon analogue à
celle dont, dans l'exemple ci-dessus, « Mais j e ne connais pas le fran-
çais » constitue une réponse par la forme seulement, mais non par le
contenu.
Au lieu d'un salut, on s'entend répliquer « C'est la montre du petit Juif en
référence à Daniel ». Dans la description biographique citée plus haut, on
lit « en tout cas il vient beaucoup de marchandise de Zurich, sinon nous ne
serions pas forcés de rester au lit... » D'après la forme, l'idée nouvelle de
rester au lit est introduite comme preuve de ce qui la précède.

Ce qui précède peut se résumer ainsi :


Parmi les représentations actuelles et latentes dont la résultante des effets
détermine chacune des associations dans un cours d'idées normal, cer-
taines d'entre elles, ou des combinaisons entières, peuvent demeurer sans
effet dans la schizophrénie, d'une façon qui n'obéit apparemment à au-
cune règle. Par contre, des représentations qui n'ont nul rapport — ou
un rapport très insuffisant — avec l'idée principale, et devraient donc être
exclues du cours de la pensée, peuvent produire un effet. De ce fait, la
pensée devient dissociée, bizarre, inexacte, abrupte. Parfois tous les fils
conducteurs manquent, le cours de la pensée est totalement interrompu ;
après ce « barrage », des idées qui n'ont aucun rapport décelable avec
les précédentes peuvent apparaître.
Mais c'est tout au plus dans certains états stuporeux que la pensée
peut complètement cesser. Ordinairement, même quand les fils conduc-
teurs sont rompus, il surgit aussitôt ou à bref délai de nouvelles idées,
dont le rapport avec les précédentes est souvent impossible à trouver.

Mais, malgré ce qu'en dit Swoboda, l'apparition d'une idée sans le


moindre rapport avec les précédentes ou avec une sensation provenant
de r extérieur est quelque chose de si étranger à la psychologie normale
qu'on se doit de chercher une voie associative partant d'une idée an-
térieure ou d'une perception, même dans le cas des lubies de malades
qui en paraissent les plus éloignées. Une relation peut être établie là,
non certes dans tous les cas, mais néanmoins dans de si nombreux
qu'il est possible d'indiquer quelques-unes des principales directions
dans lesquelles se produit le déraillement.

Là même où seule une partie des fils conducteurs sont interrompus entrent
en jeu, à la place des directives logiques, d'autres influences, qu'on ne
remarque pas dans des conditions normales. Pour autant que nous le
sachions jusqu'à présent, ce sont généralement les mêmes directives
que celles qui déterminent le nouveau point de départ après une rup-
ture complète de la pensée : des associations d'idées que le hasard a
stimulées, des condensations, des associations par assonance, des as-
sociations indirectes et une trop longue persistance d'idées (tendance
à la stéréotypie). Toutes ces associations d'idées ne sont pas étrangères
non plus à l'esprit normal ; mais elles n'y surviennent que de façon
exceptionnelle et accessoire, tandis que dans la schizophrénie elles
sont exagérées jusqu'à la caricature et, souvent, dominent littéralement
le cours de la pensée.

Ce qu'on observe le plus souvent, c'est que deux idées sans rapport
étroit qui préoccupent en même temps le malade sont purement et sim-
plement mises en relation. La forme logique de la corrélation dépend
des circonstances accompagnatrices : si l'on demande quelque chose,
le patient fournit en guise de réponse l'idée qui lui vient à l'esprit à
ce moment précis ; s'il cherche une raison, les idées acquièrent une
relation de causalité. S'il présente une exagération pathologique du
Moi, ou à l'inverse s'il se sent lésé, il rapporte la nouvelle idée direc-
tement à son Moi, dans le sens de ce complexe chargé d'affect.

Ainsi un malade appelle-t-il le dessin d'un peigne « nécessaire de toilette »


parce qu'un lavabo est dessiné à côté, ou un scarabée un « oiseau-scarabée »
parce qu'avant on lui a montré un oiseau.
Pourquoi n'avez-vous pas parlé pendant si longtemps ? « J'étais contrarié. »
- De quoi ? « On veut aller aux water et on cherche du papier, et on n'en a
pas. » (Abraham) Ici, la première idée venue sert de motif. - La femme d'un
enseignant schizophrène a perdu une clé ; le même jour, un Docteur N. a
visité l'école ; donc le Docteur N. a des relations avec la femme de cet en-
seignant.
Il est tout à fait habituel que les patients nous fournissent des réponses
qui ne font que reprendre une idée fortuite q u e l c o n q u e . Aussi est-il
évident qu'ils se contredisent à c h a q u e instant, si on leur pose la même
question à plusieurs reprises.
L'hébéphrène de Dawson qui s'était jeté à l'eau motivait cet acte, à des mo-
ments divers, par les raisons suivantes : il ne croyait pas à l'avenir et n'es-
pérait pas devenir meilleur ; il appartenait à la classe inférieure de l'humanité
et devait céder la place à la classe supérieure ; on l'avait empoisonné ; il
avait fait cela par dépression religieuse.

Parfois, les deux idées sont directement fournies par des c i r c o n s t a n c e s


extérieures ou par le cours de la p e n s é e :
Comment allez-vous ? « Mal » (avec un visage rieur). Mais vous avez bonne
mine ; vous allez bien (en même temps j e donne une tape dans le dos de la
patiente). « Non, j'ai mal au dos » (montrant l'endroit où j'ai donné la tape).
- Pourquoi riez-vous ? « Parce que vous videz la commode. » - Mais avant
vous riiez déjà. - « Parce que les affaires étaient encore dedans. »-
Le plus souvent, l'idée se rattache aux c h o s e s dont le patient est en
train de s ' o c c u p e r tranquillement.
C'est quotidiennement que l'on voit les malades barbouiller ou déchirer des
vêtements « parce qu'on ne les laisse pas rentrer chez eux ». - Un malade
associe, à partir du mot « navire » : « Notre-Seigneur Dieu est le navire du
désert » ; il associe d'abord au mot fourni Notre-Seigneur Dieu, qui est au
premier plan de son intérêt religieux pathologique et qui surgit souvent chez
lui, même sans cela ; puis l'association verbale complémentaire est survenue
dans un tout autre ordre d'idées. — A « bois », une jeune fille associa : « que
mon cousin Max redevient vivant » ; la malade use du concept partiel « cer-
cueil en bois », qui joue un rôle dans ses amours malheureuses, pour relier
le mot-stimulus au complexe. - fiosshard d'Oerlikon, qui aspire à s'élever,
est .Bonaparte ¿'Orléans, ainsi que le lui apprend son nom. Comme le mon-
trent ces exemples, ce type d'association d'une influence fortuite avec un
complexe 16 existant joue un grand rôle dans la survenue des idées délirantes.

16. Complexe : expression abrégée pour complexe de représentations qui est si fortement
investi d'affect qu'il influence (en p e r m a n e n c e ) les processus psychiques sur le plan théma-
tique. L'influence normale de l'affectivité sur les associations entraîne que le complexe a,
d é j à chez le sujet bien-portant, une certaine tendance à se délimiter, à a c q u é r i r une certaine
autonomie ; il devient une structure plus résistante, à l'intérieur de la masse changeante des
représentations (NDA).
Et puis des associations par assonance sont fréquentes : Kopf - Tropf ;
Frosch - Rost - rostig ; sauber - Tauber - (wilder - böser - starker -
Kerl) ; geschlagen - betrogen - betroffen - beklagen 1 7 . De telles asso-
ciations ressemblent certes aux associations par assonance de la fuite
des idées ; cependant, l'association Frosch - Rost serait déjà étonnante
de la part d'un maniaque, et une production telle que « betrogen -
betroffen » ou « Diamant - Dynamo » serait tout à fait rare ; car l'asso-
nance est tout de même trop limitée. Nous paraissent encore plus inso-
lites : Pauline - Baum - Raum ; See - Säuhund ; Tinte - Gige (= Geige) ;
Nadel - Nase 1 8 . Pour Tinte - Gige, l'assonance est à peine ressentie
par un bien-portant ; l'i de Tinte est bref et a une autre consonance
que l'i long de Gige. Mais quand on entend associer « schon - ein
Paar Schuhe 1 9 », et tout de suite après « Krieg — das ist die Schön-
heit 20 », personne, pour peu qu'il connaisse les associations maniaques
et normales, ne cherchera dans la seule assonance la relation entre
Schuh et Schönheit. Et pourtant, bien des centaines de combinaisons
de ce genre nous ont appris avec certitude que l'identité, voire l'ana-
logie d'un seul son suffit à co-déterminer la direction des associations.

Les associations par assonance ont souvent, elles aussi, le caractère


schizophrénique de bizarrerie.

Ainsi une patiente nous dit-elle qu'un calendrier était une vente de rochers,
parce qu'un rocher était nu 2 1 . On parle du marché aux poissons en présence
d'une catatonique. Elle gémit ; « Oui, moi aussi j e suis un tel requin ! » Elle
use d'une association par assonance tout à fait étrange et, à l'état de veille,
absolument impossible à tout autre être humain qu'un schizophrène (« Fisch-
markt — Haifisch »), pour exprimer qu'elle est tout à fait mauvaise, ignorant
la totale impossibilité de cette identification.

Autre exemple d'association par assonance dans un cours de pensée spontané.


Le médecin avait fait des reproches à une hébéphrène tout à fait capable de
travailler et de bien se déplacer à l'extérieur de l'asile, parce qu'elle ne
tenait pas sa chambre en ordre, et il s'entendit répondre : « J e ne veux pas
d'argent italien. » A la question « Que voulez-vous dire ? », elle répondit ;
« Sou, c'est bien de l'argent italien ou français ; j e ne suis pas Surberli (nom
d'une employée qui ne pouvait guère entrer en ligne de compte à propos du
concept « mettre de l'ordre »), quant à Madame Suter, elle est morte. » En

17. Têle - goutte ; grenouille - rouille - rouillé ; propre - sourd - (sauvage - méchant -
fort - gars) ; battu - trompé - touché - déplorer.
18. Pauline - arbre - espace ; mer - salopard ; encre - violon ; aiguille - nez.
19. Déjà - une paire de chaussures.
20. Guerre — c'est la beauté.
21. Kalendar : calendrier - Kahl : chauve, dénudé (arbre, rocher).
entendant ce reproche, la patiente avait pensé consciemment ou inconsciem-
ment au terme habituel en pareil cas chez des gens peu cultivés, mais dont
le médecin n'avait pas fait usage, « Sauordnung 22 » (prononcé « za-ou » ou
« zou ») ; ainsi les mots - et les concepts - Sou, Surberli et Suter sont-ils
partiellement déterminés, tandis que la forme négative de la phrase exprime
que la patiente ne veut pas être considérée comme désordonnée (Riklin). -
Une patiente modifia la formule stéréotypée qu'elle présentait depuis trente
ans, « es ist mir nicht wohl 23 » en remplaçant « wohl » par diverses expres-
sions dialectales, et finalement par le mot anglais « well ». Et à partir de ce
dernier mot, cela devint un beau jour « es ist mir nicht Velo » (= Fahrrad 24 ).

Naturellement, une assonance ne peut jamais déterminer une association


à elle seule. Quand « Schuh », puis « Schônheit » est associé à « schon »,
seul l'un parmi de nombreux éléments déterminants réside dans l'asso-
nance. Il y a des centaines d'autres mots qui commencent par « Sch » ;
pourquoi sont-ce précisément Schuh et Schônheit qui ont surgi ?

Dans « Tinte - Geige », nous connaissons l'une des autres circons-


tances co-déterminantes : le patient a des pensées sexuelles, qui s'expri-
ment très crûment dans certaines associations. (Dans notre dialecte, Geige
est utilisé presque exclusivement dans un sens obscène, et guère pour
l'instrument de musique 25 .) La même influence peut être mise égale-
ment en évidence dans nombre des associations de ce même patient,
ainsi que dans de nombreuses productions d'autres malades ; car les dé-
terminants sonores et sexuels sont si nombreux, chez les schizophrènes
justement, qu'ils doivent également s'y trouver souvent combinés. Ainsi,
à « Je vous en prie, dites donc... », une malade répond-elle « Je n'ai pas
besoin d'un bidet26. » (Le d et le t sont très différenciés, dans notre dia-
lecte). - Il est très fréquent d'entendre des mots qui aillent dans le sens
d'un complexe, par exemple du délire de persécution.

Mais deux influences sont loin de déterminer clairement une associa-


tion. Il existe certes de fort nombreux mots encore qui ont tant la même
consonance, dans le sens extrêmement large qui entre en ligne de
compte ici, qu'une signification sexuelle. Le choix doit donc être dé-
terminé par d'autres conditions encore, mais celles-ci nous échappent
en général.

22. Sauordnung : affreux désordre, communément qualifié en argot français de « bordel »


(NDT).
23. « J e ne me sens pas bien. »
24. Bicyclette...
25. Die Geige : le violon. En argot, désigne, selon le contexte, et parmi de nombreux autres
sens, tantôt le pénis, tantôt le vagin, tantôt une prostituée, etc. (NDT).
26. Bitte : j e vous en prie — das Bidet : le bidet.
Les simples séries de locutions usuelles, qui peuvent survenir d'une
façon tout à fait déplacée, chez les schizophrènes, ont sans doute à
peu près la même valeur que les assonances. Ainsi une patiente qui
était sur le point de nous raconter une promenade avec sa famille
commença-t-elle à énumérer les membres de la famille : « père, fils »,
mais poursuivit-elle par « et Saint-Esprit », à quoi elle ajouta encore
« la Sainte Vierge », ayant été distraite également sur le plan théma-
tique par sa citation.

Les condensations, c'est-à-dire les contractions de plusieurs idées en


une seule, ne sont pas fondamentalement différentes des conjonctions
d'associations fortuites.

C'est ce processus qui était en jeu dans la formation de l'idée citée plus
haut, « Notre-Seigneur Dieu est le navire du désert », deux choses complè-
tement différentes et relevant de deux complexes d'idées différents étant réu-
nies en une pensée. Un catatonique associa à « voile » « vapeur-voile »,
composé des deux associations qui s'étaient imposées, « bateau à vapeur »
et « bateau à voile 2 7 ». La condensation participe de façon éminente à la
formation d'idées délirantes et de symboles, et elle est aussi cause d'une
foule de néologismes : « trauram » pour « traurig » et « grausam 28 »,
« schwankelhaft », composé de fragments des trois mots « wankelmutig »,
« schwankend », « nicht standhaft 29 ».

Dans les test expérimentaux, les associations indirectes sont étonnam-


ment fréquentes ; j e suppose que le fait que nous les ayons encore
bien peu mises en évidence dans le cours de pensée habituel des ma-
lades n'est dû qu'à un manque d'observation.

L'association précédemment citée « Bois (cercueil en bois) - cousin mort »


peut aussi être considérée comme indirecte. Le sont certainement « See - Geist »,
via « Seele 3 0 » ; « Stengel — Wadenswil », par l'intermédiaire de « Engel », nom
d'une auberge de Wadenswil devenue importante pour la vie sentimentale de la
patiente 31 ; « Herz - Tannenbaum », par l'intermédiaire de « Harz 32 » ; « ko-
chen — Schwindsucht », par l'intermédiaire de « Koch - tuberculine 3 3 ». On
montre une clé à une catatonique en lui demandant « Qu'est-ce que c'est ? »

2 7 . Segel —> Dampfsegel, à partir de Dampfschiff et Segelschiff (NDT).


2 8 . Si l'on voulait tenter de traduire par un néologisme voisin, on pourrait proposer « tris-
truel », pour « triste » et « cruel »... (NDT)-
2 9 . Wankelmütig : irrésolu, versatile - schwankend : hésitant - nicht standharft : qui ne tient
pas bon.
3 0 . See : mer, ou lac, suivant le genre - Geist : esprit - Seele : âme.
3 1 . Stengel : tige - Wadenswil : nom d'une localité.
3 2 . Herz : cœur - Tannenbaum : sapin - Le Harz : massif allemand planté notamment de
forêts de conifères.
3 3 . Kochen : cuisiner - Schwindsucht : phtisie.
Elle répond promptement : « C'est le plat blanc », cette association ne peut
guère être passée que par « Schliissel 3 4 ». Lors d'expériences de lecture au
tambour rotatif, Reis (p. 617) a aussi trouvé des associations indirectes, en
ce sens que « querelle » a été lu à la place de guerre35, et « cheval » à la
place de bétail36. Gross attire lui aussi l'attention sur le fait que les patients,
après une question sans ambiguïté, fournissent parfois, au lieu de la réponse,
une association à cette réponse (iin Stransky, 748, p. 1077).

Il n'est pas rare que la tendance au stéréotypage devienne une cause


de déraillements de plus. Les malades restent fixés aux mêmes cercles
d'idées, aux mêmes mots, aux mêmes formes de phrases, ou bien ils
ne cessent d'y revenir sans motif logique. Dans des tests d'aperception,
Busch a trouvé dans certains cas de nombreuses réponses erronées qui
répétaient les stimulus précédents.

Dans les tests d'associations, les malades partent souvent du mot-stimulus


ou du mot-réaction précédent : « Etoile - c'est la meilleure bénédic-
tion ; caresser - c'est la plénitude ; grandiose - la volonté ; enfant -
la divinité ; rouge foncé - le Ciel et la Terre ». Le mot étoile a éveillé
une idée religieuse qui continue alors à être développée dans les réac-
tions qui suivent immédiatement, sans aucun souci des différents sti-
mulus verbaux. En même temps se manifeste, en plus, dans les deux
premières réponses, la stéréotypie de forme qu'on peut mettre en évi-
dence dans la plupart des associations de ce malade, et qui conduit à
des formulations telles que « chat - le chat est une souris » : souris
est associé au mot-stimulus, mais sous la forme prédicative fournie par
des associations antérieures.

Les stéréotypies peuvent se fixer pour longtemps. Dans quelques cas,


peu nombreux, nous avons vu qu'au bout de quatre semaines, par exem-
ple, la réaction à 4 0 % des mots-stimulus était toujours la même que
la première fois ; une patiente réagit à « so 37 » par l'incompréhensible
« das ist ein Kanal 38 » ; il s'avéra qu'un jour précédent elle avait réagi
par la même phrase à « See 3 9 ». La même patiente associa « Rechnen -
das ist essen 40 », et plus tard « Recht - das ist viel essen 41 », avec ici
aussi le même rattachement à un mot de consonance voisine.

34. Der Schlüssel : la clé — die weisse Schüssel : le plat blanc.


35. Zank : querelle — Krieg : guerre.
36. Pferd, : cheval — Vieh : bétail.
37. So : ainsi.
38. « C'est un canal ».
39. See : mer, ou lac, selon le genre.
40. « Compter — c'est manger. »
41. Recht : droit, juste ; le droit - Das ist viel essen : c'est manger beaucoup.
Dans les propos simulant la fuite des idées de schizophrènes présentant
une confusion aiguë, le retour constant à ce qui a déjà été dit est
quelque chose de tout à fait habituel.

La tendance à la stéréotypie, associée au manque de but de la pensée,


mène d'un côté à « l'adhésivité de la pensée », à une sorte de persé-
vération, et d'un autre côté à un appauvrissement général de la pensée.
- Les malades ne parlent alors plus que du même thème (monoïdéisme)
et ne sont pas capables d'aborder d'autre sujet. (Comparer avec les
associations expérimentales à la fin de ce paragraphe.)

En relation avec l'absence de but et la stéréotypie, il peut aussi se faire


que les malades en arrivent, souvent, à ne plus pouvoir vraiment penser
jusqu'au bout ; un « associationnisme débridé 42 » absurde remplace la
pensée. Un hébéphrène ne parvint plus à se détacher des concepts
« amour » et « avoir 43 » et associa spontanément pendant longtemps
des séries telles que la suivante : « Liebe, Diebe, Gabe, Dame, haben,
Liebe, Diebe, Gaben, Dame, haben, Liebe, Diebe, zurückgenommen,
zurückgenommen, zurückgenommen, zurückgenommen, haben 4 4 ... »

De cette façon, les patients entament souvent des énumérations qui,


une fois encore, ont généralement nettement le caractère de trouble
schizophrénique des associations.

Une patiente écrivit : « Le ciel n'est pas seulement au-dessus du pres-


bytère de Wil, mais aussi au-dessus de l'Amérique, l'Afrique du Sud,
Mexico, Mac Kinley, l'Australie. »

A l'occasion, une idée précise est aussi éclairée par des associations débri-
dées dans tous les sens possibles : « C'est pourquoi j e vous souhaite une
année joyeuse heureuse, saine, bénie et riche en fruits et encore beaucoup
d'autres années viticoles, ainsi que de bonnes et saines années de pommes
de terre ainsi que de choucroute et de chou blanc et de bonnes années de
citrouille et de graine. Une bonne année d'œufs et aussi une bonne année
de fromage » etc. etc. - Un patient dont la fille est devenue catholique lui
écrit que le chapelet est une « multiplication de prières, et de son côté cette
multiplication est une prière de multiplication, qui n'est elle-même rien d'au-
tre qu'un moulin à prières, et celui-ci est une machine à prières de moulin,

42. Bleuler use du néologisme Ausassoziieren, qui évoque une idée d'associations débridées
et sans but (NDT).
4 3 . Amour : Liebe — avoir : haben. La série d'associations sera citée en allemand, en raison
du rôle prépondérant qu'y jouent les assonances (NDT).
4 4 . « Amour, voleurs, don, dame, avoir, amour, voleurs, dons, dame, avoir, amour, voleurs,
repris, repris, repris, repris, avoir,... »
et celle-ci de son côté est une minoterie de machines à prières », et ainsi de
suite sur deux pages in-folio.

Au cours du test d'associations expérimentales, il n'est pas rare que


les malades commencent à énoncer tout ce qu'ils voient à ce moment,
si bien, par exemple, qu'ils nomment l'un après l'autre tous les meubles
d'une pièce en réponse aux mots-stimulus les plus divers, et ce alors
même qu'ils veulent se débarrasser de cette idée et ont parfaitement
saisi le test.
Ce symptôme a une analogie apparente, et parfois aussi intrinsèque,
avec ce que Sommer appelle « dénomination » et exploration^. Chez
certains patients, notamment chez ceux qui sont un peu obnubilés, la
seule association décelable à partir de stimulus extérieurs consiste en
la dénomination du stimulus sensoriel : « miroir », « table » ; ou encore
le stimulus est désigné par la phrase : « C'est un baromètre. C'est la
conduite de gaz. Ce sont des manteaux 46 ». La « dénomination » ne se
rencontre pas seulement dans le cas de stimulus visuels ; je prends par
exemple une patiente par la main, et elle dit : « la mano » (elle est alle-
mande) ; ou encore, sollicitée de faire une chose, elle la qualifie par une
réplique : « dans le jardin » ; « se déshabiller ». D'une façon tout à fait
analogue, les hallucinations des malades énoncent souvent ce qu'ils font :
« maintenant il s'assied » ; « maintenant il va écrire » ; « maintenant il
écrit ». La transition entre les lettres qui se contentent d'énumérer ce
qu'il y a et ce qui se passe autour des patients et ce symptôme de
dénomination est très fluide ; et même le patient, cité plus haut, qui
rapporte ce qu'il y a sur la plume métallique n'est pas éloigné des
malades qui énoncent ; il faut ranger ici aussi ce qui se passe quand
un patient qui voit arriver quelqu'un avec une lanterne fait la remar-
que : « j e constate que c'est une lanterne ». Ce qui est commun à ces
phénomènes, c'est que, par défaut de représentation du but, ils se rat-
tachent à un stimulus sensoriel ; à toutes les idées possibles fournies
soit par le monde extérieur, soit par l'esprit, les patients en rattachent
d'autres ; de quoi ils partent, et dans quelle direction, voilà qui change
souvent, comme chez notre auteur de lettre, précisément, et est donc
déterminé par le hasard, en ce qui concerne l'activité associative.

45. Certains auteurs comptent ces manifestations au nombre des anomalies motrices ; ainsi
en est-il, par exemple, de Kleist, sous le nom « d'actes en court-circuit » (NDA).
46. J e ne comprends pas pourquoi von Leupoldt (413) parle à ce propos d'une compulsion,
bien qu'il dise lui-même qu'il ne s'agirait pas d'une compulsion stricto sensu. Cela risque
d'être d'autant moins juste dans tous les cas qu'il suppose que le fondement de ce symptôme
réside dans un défaut de capacité à saisir les complexes. Son propre patient concevait la
photo de l'inauguration d'un monument, « dans l'ensemble », comme une procession (NDA).
Tout à fait analogue est le « palper47 », également décrit par von Leu-
poldt, et qui consiste en ce que les malades suivent les contours des
objets qu'ils peuvent atteindre. En pareil cas, c'est le mouvement d'ac-
compagnement qui est associé, au lieu de l'énonciation des objets.

Si le concept proposé d'une façon quelconque est d'ordre moteur, la seule


association reconnaissable peut être celle qui consiste à exécuter l'idée
correspondante : « échopraxie et écholalie » (comparez à l'automatisme sur
ordre). Par principe, j e ne puis complètement séparer l'un de l'autre les
phénomènes d'énonciation et d'échopraxie. Toutes les représentations ont
une composante motrice ; dans le cas d'actions que l'on voit accomplir
devant ses yeux, ou de mots qu'on entend prononcer, cette composante
est souvent très nette même chez le sujet sain. S'il n'y a pas de raison
d'appeler d'autres associations à la rescousse, il est donc très compré-
hensible que cette composante ne soit pas réprimée. C'est pourquoi nous
rangeons également ici des faits tels que celui-ci : un patient a défoncé
un panneau de porte ; et voici qu'un autre ne cesse d'entrer et sortir en
rampant à travers le trou, sans savoir lui-même pourquoi.

Si les perceptions sensorielles peuvent ainsi acquérir, le cas échéant,


une prépondérance pathologique du fait de la « fascination par le stimulus
visuel », le patient peut éventuellement, à l'inverse, ignorer totalement le
monde extérieur. Toutes les transitions existent entre ces deux extrêmes.
Dans la schizophrénie, l'aptitude à laisser détourner son attention4,8 n'est
pas modifiée par principe dans un sens donné ; elle y est la résultante
de nombreux processus primaires, dont l'un des plus importants est
l'isolement actif des patients du monde extérieur. Tantôt les malades
semblent être totalement dépendants des stimulus extérieurs et ne pas
avoir la moindre direction interne, comme lorsque le symptôme d'é-
nonciation domine le tableau, et tantôt ils ne peuvent au contraire être
distraits d'aucune façon, et les stimulus les plus forts ne sont pas ca-
pables d'influencer le cours de leurs idées ou d'éveiller leur attention.

Le gros des cas chroniques présentent, dans leur comportement cou-


rant, peu de choses évocatrices sous ce rapport ; ces gens vaquent à
leurs occupations ; si quelque chose de particulier survient, ils lèvent
les yeux exactement comme des gens sains et s'occupent du nouvel
événement, pour autant que cela les intéresse. Quand ils parlent, on
peut les interrompre. Mais souvent, notamment dans tous les cas assez

4 7 . Mouvements hypermétamorphotiques de Wernicke (NDA).


4 8 . Ablenkbarkeit (NDT) - Vigilitäl der Aufmerksamkeit de Ziehen (NDA).
graves, l'aptitude à laisser détourner son attention est diminuée. Som-
mer (724) a également prouvé cela expérimentalement en obtenant des
patients les mêmes résultats de calcul que d'habitude, malgré un fort
vacarme. Si les schizophrènes sont sous l'emprise d'un affect, en par-
ticulier d'une colère, un trouble de l'aptitude à laisser détourner son
attention se manifeste alors régulièrement. Les objections ne sont ab-
solument pas prises en compte ou ne sont comprises que dans le sens
du cours de pensée des malades, et elles fournissent souvent un nou-
veau matériel à leurs épanchements. Les malades se laissent également
peu influencer par la modification des circonstances, tant qu'ils sont
dans le feu de leur affect. Et il est habituel qu'un schizophrène qui
est en train de pester continue tout bonnement à vitupérer quand on
le quitte, sans se soucier du fait qu'il n'y a plus personne pour l'en-
tendre, ou du moins plus personne sur qui il puisse diriger sa faconde.
L'absence d'intérêt des patients simule souvent un manque d'aptitude
à laisser détourner son attention. Comme ils ne se soucient de rien,
rien ne peut non plus les influencer dans leur comportement. Mais on
peut montrer que ces patients saisissent fort bien ce qui se passe autour
d'eux, même quand ils n'y prêtent aucune attention active (Voir le pas-
sage sur l'attention).
Dans certains états aigus, l'aptitude à laisser détourner son attention
est généralement notablement réduite, souvent à zéro.

* * *

On peut retrouver en même temps les diverses particularités du cours


de pensée schizophrénique dans la plupart des productions de malades
graves.
Je n'ai encore jamais été à Hambourg, encore jamais à Lubeck, jamais à Berne,
j e n'ai encore jamais vu le Professeur Hilty ; j e n'ai encore jamais été à l'uni-
versité de Bâle, je n'ai encore jamais vu Luther, encore jamais eu le « Lutter »
(expression vulgaire pour la diarrhée), mais j'ai déjà vu tous les Conseillers
Fédéraux, je vais chez le général Herzog, j e veux montrer à cette charogne...
Ici, la forme négative s'est maintenue au travers de sept idées. L'énumération
de lieux n'est pas ordonnée systématiquement. Il y a un saut brusque de
Lubeck à Berne 4 9 ; ce dernier nom rappelle au patient un professeur de l'uni-
versité de Berne ; celui-ci ménage le passage à « l'université de Bâle ». Celle-
ci joue un rôle dans l'histoire de la Réforme, d'où l'association « Luther ».

4 9 . Peut-être en passant par « B r è m e », de c o n s o n a n c e voisine ? (NDA).


A celle-ci succède à présent l'association par assonance, tout à fait absurde,
« Lütter », dans le cas de laquelle le verbe montre que le patient pense là
à ce que le mot signifie habituellement (diarrhée). Les « conseillers fédé-
raux » dépendent de nouveau du concept antérieur, Berne ; à partir d'eux, il
n'est pas totalement illogique de penser au général Herzog, mort depuis bien
longtemps, encore que ce soit tout à fait bizarre dans le contexte donné ; à
celui-ci se rattache la lubie absurde selon laquelle le patient voudrait aller
le voir. Le concept « général » est lié à la représentation de la « puissance »
ou à quelque chose d'analogue ; c'est sans doute pour cela que suit, totale-
ment absurde, « j e vais montrer à cette charogne », la représentation de puis-
sance étant associée par les voies usuelles au patient lui-même, qui se sent
à présent tout à coup plus fort que le général.

Dans la lettre qui suit, le cours de pensée ne peut généralement plus être
analysé ; tout nous y apparaît comme un bavardage « confus » et incohérent.
Une connaissance complète des complexes chargés d'affect de la patiente
nous permettrait néanmoins d'expliquer certaines choses.
Burgholzli, le 2 0 novembre 1905.
Honorée Famille Fridöri et Famille Comte ou Oreilles Schmidli !
Ca ne va pas bien, ici au Schmiedtenhaus. Il n'y a pas ici d'église, de pres-
bytère pas non plus d'hospice mais il y a ici toute l'année du bruit, de la
fureur 50 , des mûres sauvages 51 = soleils = bruit du ciel ; plus d'un grand et
petit agriculteur, Humel, Surbeck, Armtrunk de Thalweil, Adlisweil, d'Albis
de Sulz, de Seen, de Rorbach, de Rorbas a quitté sa maison, n'est plus revenu,
ainsi « entaucht 5 2 » un garçon boucher, Siegrist, le paysan Vorsängers, aussi
un Meier administrateur de biens, Messner Jakob, assez vieux, jeunes soldats
suisses, aussi Ernst, de Ernst, qui s'est coupé 2 doigts en l'an mil neuf cen-
tième mois d'août, ainsi que son père Konrad et sa femme sont divorcés. Car
les hommes et femmes dévideurs de soie ont quotidiennement la tentation de
tuer les visites, parce qu'elles attendent si longtemps, jusqu'à ce que les
patients sortent en se bagarrant, ils n'ont pas non plus de bon lait, « hol-
len 5 3 », les garde-malades ne sont rien d'autre non plus que des folles des
« capsuleuses », qui vous transpercent le cœur, il y en a assez de tricoter
des jupons, des petits sous-vêtements, des chaussettes, le jour, il leur faut
en plus causer du trouble aux hôtes du ciel et de la terre la nuit....

Un salut aussi à Tous Ceux qui sont encore en vie.


Anna.

50. Kollder, sans doule pour Koller ou Kolder (suisse alémanique) : accès de colère, fureur ( N D T ) .
51. Brumberen, sans doute pour Brombeeren (NDT).
52. Néologisme peut-être traduisible par « surgit », de ent- privatif et tauchen (plonger), ou
encore contamination intraduisible de enltâuschl (déçu), par tauchen (NDT).
53. Sans cloute allusion à la fée Holle des contes, qui répand la neige... blanche comme le
lait ( N D T ) .
Les miens n'existent plus.
Si la Direction Foreli 54 sont bien morts, si seulement le Roi à Biïhl nous
ramenait à la maison sur une voiture, car le chemin de fer ne fait que nuire,
si l'abeille faisait le détour de Wyl Hiintwangen jusqu'à Neuhausen, jetaient
les wagons de chemin de fer dans une fosse de gravier et les recouvraient
de terre. Un petit cœur de femme ne peut faire grand-chose. Un cœur
d'homme est tout de même plus fort.

Les degrés supérieurs du trouble schizophrénique des associations mè-


nent donc à la confusion complète.

On ne doit pas considérer la confusion comme un symptôme sui generis ; elle


est le résultat des troubles psychiques élémentaires les plus divers ayant
atteint un degré si élevé que la cohérence se perd pour le patient ou pour
l'observateur, ou pour les deux. La fuite des idées maniaque, qu'il nous faut
distinguer nettement du trouble schizophrénique du cours des idées, mène
également à la confusion, si elle est importante ; même l'inhibition mélanco-
lique peut y conduire, si la lenteur du déroulement des idées et le manque
de faculté d'association rendent impossibles l'orientation et l'élaboration
d'une représentation complexe. Les hallucinations aussi peuvent aboutir à un
tableau que nous qualifions de confusion, si elles se mêlent à des perceptions
réelles et apportent ainsi de la confusion dans la perception du mondess.

Ainsi, dans la schizophrénie, la confusion est-elle tantôt une conséquence de


la désagrégation des idées, tantôt celle des barrages avec surgissement de
nouvelles idées, tantôt la suppression de certains déterminants associatifs
avec intrusion d'associations annexes, tantôt encore une conséquence de la
« bousculade des pensées » (voir plus bas), ou d'une véritable fuite des idées,
ou des hallucinations, ou encore de plusieurs de ces facteurs conjointement.

Le déroulement des associations

Nous ne savons encore pour ainsi dire rien des conditions temporelles
du déroulement schizophrénique des associations, il est possible
qu'elles n'aient rien de caractéristique. Naturellement, nous avons un
déroulement « a c c é l é r é » dans le sens de la fuite des idées en cas
d'états maniaques intercurrents, et un ralentissement en cas de dépres-
sion ; nous sommes en outre en droit de supposer que, dans certains
états stuporeux qui peuvent être considérés comme l'expression d'exa-
cerbations du processus cérébral schizophrénique lui-même, les asso-

5 4 . Allusion à Forel, p r é d é c e s s e u r de B l e u l e r au Burghôlzli (NDT).


5 5 . J e fais abstraction ici des états dans l e s q u e l s les hallucinations et les illusions elles-
mêmes produisent un désordre tel que, naturellement, il ne s'agit alors de rien d'autre que
de l'expression des associations confuses qui sont à la base de c e s hallucination (NDA).
ciations pourraient être ralenties ; mais dans tous ces cas il ne s'agit
pas d'états permanents, mais d'épisodes, ou même de complications.
Seulement, la bousculade des pensées persiste souvent des années du-
rant, bien qu'on ne puisse guère l'observer dans des cas extrêmement
évolués. Certains patients se plaignent de devoir trop penser car leurs
idées se chassent les unes les autres dans leur tête. Ils parlent eux-
mêmes de « flot de pensées », parce qu'ils ne peuvent s'accrocher à
aucune, de « bousculade des pensées », de « collection de pensées »,
parce qu'il leur vient trop de choses en tête à la fois. Parfois, cepen-
dant, l'information fournie sur cet abondance de pensée est telle que
l'observateur en retire plutôt l'impression que le malade pense plutôt
trop peu, malgré la sensation subjective contraire qu'il en a. En tout
cas, il est sûr que les idées se bousculent d'une façon pathologique
chez certains malades. Les patients ont alors l'impression d'une
contrainte ; ils disent souvent qu'on les fait penser ainsi ; ils se plai-
gnent de la fatigue qui en résulte ; si le sentiment de contrainte fait
défaut, ils peuvent alors croire qu'ils fournissent ainsi un grand travail.
La bousculade des pensées semble, superficiellement, contraster avec
les barrages, qu'il faut décrire en même temps, avec l'arrêt de la pen-
sée. Mais nous observons souvent ces deux manifestations côte à côte ;
un de nos patients, homme cultivé, dessina une ligne d'un côté de
laquelle il y avait « une bousculade compulsive d'idées diverses », et
de l'autre « tout simplement rien ».

Le contenu thématique de cette bousculade des pensées est le même


que celui du reste de la pensée schizophrénique. Une théologien rit
durant toute une nuit parce que des « bons mots étymologiques » lui
venaient à l'esprit : « Je suis un bon mot - un rien - un Nietzsche 56 . »
C'est l'intelligente patiente de Forel (299) qui a le mieux décrit ce
phénomène. On notera aussi la façon dont le retour à des idées anté-
rieures a lui-même attiré son attention :
« Dans ma tête, une chaîne contraignante, torturante et ininterrompue d'idées
suivait son cours incessant, comme un mouvement d'horloge. Ces idées
n'étaient naturellement pas très marquées, nettement formées, mais une lubie
se rattachait à une autre lubie par les associations les plus étonnantes, et
pourtant toujours avec un certain rapport d'un maillon à un autre, et il y
avait là-dedans un tel esprit de système que, par exemple, j'étais toujours
forcée de distinguer le côté lumière et le côté ombre des objets, personnes,
faits, expressions qui me venaient à l'esprit. Quelles représentations ne se

56. Ich bin ein Witz - ein Nichts - ein Nietzsche.


sont-elles pas bousculées dans ma tête, quelles drôles d'associations ne se
sont-elles pas présentées ! J e ne cessais de revenir sur certains concepts et
certaines représentations, qui pourtant ne sont tous plus guère présents à
mon esprit, par exemple Droit de France57 ! Tamins ! Barbera ! Rohan ! Ils
constituaient en même temps des étapes dans cette chasse aux pensées, et
j'exprimais alors rapidement, par un mot de passe, pour ainsi dire, le concept
auquel ces pensées débridées venaient juste d'aboutir. En particulier aussi
à certains moments de ma vie quotidienne, comme à l'entrée dans une pièce,
quand la porte de la cellule s'ouvrait, quand c'était l'heure d'aller manger,
quand quelqu'un venait vers moi, etc., et en même temps pour ne pas perdre
le fil ou tout au moins pour trouver un certain point d'appui dans les folles
séquences de pensées qui me passaient par la tête. »

Les barrages sont ce qu'il y a de plus frappant dans le domaine formel


du cours de pensée schizophrénique. Parfois, l'activité associative s'ar-
rête soudain totalement ; quand elle reprend surgissent généralement
des idées qui n'ont aucun rapport avec les précédentes, ou seulement
un rapport insuffisant.

On parle avec un patient ; on ne note d'abord rien d'anormal dans le


déroulement temporel de ses idées ; propos et répliques se succèdent
comme dans toute conversation normale. Tout à coup, au milieu d'une
phrase ou en passant à une nouvelle idée, le patient achoppe et ne
peut poursuivre. Souvent, il peut surmonter l'obstacle en recommen-
çant ; d'autres fois, on ne parvient à continuer à penser que dans une
nouvelle direction ; parfois aussi le barrage reste insurmontable pen-
dant un temps assez long, et dans ce cas il peut aussi s'étendre à
l'ensemble de l'esprit, le patient restant muet et immobile, et aussi
plus ou moins anidéique.

Le concept de barrage, créé par Kraepelin, est d'une importance fon-


damentale pour la symptomatologie et le diagnostic de la schizophré-
nie ; nous le rencontrons aussi dans la motricité, l'activité, la mémoire,
et même dans les perceptions. Le barrage est fondamentalement diffé-
rent de Vinhibition, symptôme accompagnateur habituel des dépres-
sions affectives assez marquées : la pensée et l'activité inhibées
progressent lentement et difficilement, au prix d'une dépense anorma-
lement importante d'énergie psychique. Le fluide mental se meut
comme un liquide visqueux dans un système de tuyauterie ; mais ce-
lui-ci est franchissable en tous points. Dans le cas du barrage, un
liquide qui s'écoule aisément est soudain arrêté, un robinet se fermant

5 7 . En français dans le texte.


ici ou là. Ou, si nous comparons le mécanisme psychique à un méca-
nisme d'horlogerie, l'inhibition correspond à un frottement important,
et le barrage à l'arrêt soudain des rouages. Dans le domaine moteur,
cette différence peut souvent être mise en évidence très aisément en
demandant au patient, qui jusque là ne se mouvait que peu ou pas et
ne parlait que faiblement ou pas du tout, de tourner aussi vite que
possible ses mains l'une autour de l'autre ou de compter rapidement
jusqu'à dix ; le patient inhibé bougera et comptera lentement, malgré
tous ses efforts, tandis que celui qui présente des barrages peut subi-
tement parler et remuer les mains aussi vite qu'un sujet sain, une fois
le barrage surmonté.

Les barrages dans le cours de la pensée sont perçus par les patients
eux-mêmes, et décrits sous les noms les plus variés. Généralement,
mais pas toujours, ils les ressentent comme désagréables. Une catato-
nique intelligente était forcée de rester assise immobile pendant des
heures « pour retrouver sa pensée ». Une autre n'était capable de rien
en dire d'autre que : « Parfois j e peux parler, parfois non. » Un malade
« s'engourdit » (Abraham), un autre a un « handicap de pensée », un
troisième devient « figé dans sa tête, comme si on serrait sa tête. » Un
quatrième dit « qu'on jette soudain un sac de caoutchouc sur lui » ; et
une paysanne s'exprime ainsi : « On m'envoie une charge contraire,
comme tout un chargement (elle fait un geste comme si quelque chose
arrivait contre sa poitrine) ; c'est comme si on me fermait la bouche,
comme si on me disait : ferme ta gueule. » Cette dernière description
inclut le barrage de la fonction motrice d'élocution, décrite par un
patient de Rust dans les termes suivants : on lui arrête le langage.
D'une façon générale, il est très fréquent que les barrages soient attri-
bués par les patients à une influence étrangère. Ainsi faisons-nous chanter
des chansons par un de nos patients ; soudain, il ne peut plus continuer ;
les Voix lui disent alors : « Tu vois, tu l'as encore déjà oublié » ; mais
à son avis, ceux qui parlent sont ceux qui lui font oublier.

C'est Jung qui a entendu, de la bouche d'une patiente, la meilleure


formule, qui qualifie ce phénomène, vu sous l'angle subjectif, de « sous-
traction de pensée ». Ce mot est si juste qu'il est immédiatement compris
par de nombreux schizophrènes. Si un patient répond aussitôt oui à la
question « avez-vous une soustraction de pensée », et peut éventuelle-
ment décrire alors ce qu'il entend par là, sans doute peut-on poser avec
assez de certitude le diagnostic de schizophrénie. Du moins n'avons-
nous pas encore trouvé d'exception. Même des malades qui se sont
forgés une autre expression pour désigner le concept de barrage savent
ce que l'on veut dire par « soustraction de pensée » ; un patient ré-
pondit promptement à Jung, qui lui demandait s'il avait de la soustrac-
tion de pensée 58 : « Ah ! vous appelez ça soustraction de pensée, moi
j e l'ai appelé jusqu'à présent "engorgement de pensée". » D'une façon
analogue, un patient de Kraepelin parlait « d'extraction des pensées ».

Le barrage semble avoir quelque chose d'extrêmement capricieux sur


le plan tant objectif, pour l'observateur, que subjectif, pour le patient.
Tantôt le patient peut parler couramment, se mouvoir sans aucune en-
trave, tantôt sa pensée ou sa motilité s'interrompt de nouveau. Mais,
à y regarder de plus près, on trouve généralement le motif du barrage
dans la signification qu'a pour le patient le cours de sa pensée ; et, à
l'inverse, la survenue d'un barrage permet de conclure à l'irruption d'un
complexe important chez des patients que l'on ne connaît pas encore très
bien.

Nous questionnons une jeune fille sur son existence antérieure ; elle fournit
de fort bonnes informations chronologiques sur son passé. D'un seul coup,
elle ne poursuit pas ; nous demandons ce qui est arrivé ensuite ; on ne peut
plus rien en apprendre. Ce n'est que longtemps après, amenée à cela par
toutes sortes de détours, qu'elle laisse échapper qu'elle a connu son bien-aimé
à cette époque. — Un enseignant qui avait mis toute son énergie à réclamer
une augmentation de salaire répond, à la question de savoir s'il a obtenu
cette augmentation : « Qu'est-ce qu'une augmentation de salaire ? » Il ne pou-
vait pas comprendre ce terme parce que le complexe de salaire avait été
barré chez lui. - De nombreux malades réclament d'entretenir le médecin
d'une affaire importante ; quand il est là, ils ne savent que lui dire.

Un patient intelligent et extrêmement cultivé chante un chant d'amour, mais


émet ensuite l'idée que ce n'était que la description d'un beau paysage ; il
ne peut absolument plus rien en répéter ; quand on en chante des passages
devant lui, il prétend avec assurance n'avoir jamais chanté cela.

Chez nos malades, les complexes chargés d'affect sont généralement


en relation avec des idées délirantes et des hallucinations ; c'est pour-
quoi l'on obtient peu de renseignements sur celles-ci dans la schizo-
phrénie, alors qu'elles dominent pourtant en général l'ensemble de la
pensée et des sentiments des malades. Une patiente remarque « que
certaines personnes sont possédées » au fait qu'elle ne peut parler avec

58. J e préfère traduire Gedankenentzug par « soustraction de pensée » plutôt que par le
terme usuel en français, « vol de la pensée », car il apparaît bien ici que ce symptôme, tel
que l'entend Bleuler, n'est pas obligatoirement attribué par le patient à une influence exté-
rieure (NDT).
elles ; les personnes « possédées » sont celles qui sont impliquées dans
ses idées délirantes.
Les barrages ne sont pas absolus et insurmontables dans tous les cas ;
par un questionnement persévérant, par des stimulations de toute
sorte 59 , et notamment par la distraction, on peut souvent les rompre ou
les contourner. Mais souvent les malades ont alors une sensation dé-
sagréable ; après avoir répondu, une patiente fut littéralement saisie
d'effroi, comme si elle avait fait quelque chose de mal.
Ainsi la volonté, ou du moins le souhait du patient n'est-il pas toujours
sans avoir part à la survenue du barrage. Un hébéphrène appelait le
complexe symptomatique des barrages (relié à des idées délirantes et
à d'autres produits pathologiques) le « timbreposteur » ; il l'enclenchait
souvent aussi quand on voulait lui donner une tâche indésirable ; le
patient avait alors un barrage à l'égard de tout, et l'on ne pouvait plus
rien obtenir de lui. Il va de soi que toutes les transitions existent depuis
un tel comportement jusqu'au non-vouloir délibéré et à toutes les
formes de simulation. De même, la frontière entre les barrages et le
négativisme n'est nette ni sur le plan théorique, ni sur le plan symp-
tomatologique. Ces deux manifestations se transforment l'une en l'autre,
et le négativisme passif pourrait même s'expliquer par une combinaison
de barrages.

Les barrages se comportaient exactement comme un négativisme chez


une patiente qui donnait des réponses lentes, hésitantes et à voix
basse ; la voix lui faisait souvent totalement défaut, en particulier si
on la questionnait avec insistance. Le barrage pouvait être contourné
en ne s'adressant pas directement à elle.
Dans certains cas, il est tout simplement impossible de dire s'il s'agit
de barrage ou de négativisme, notamment quand le patient évite l'obs-
tacle par des réponses à côté. Une malade ne présenta, lors de l'exa-
men, ni barrages, ni négativisme, ni réponses à côté, sauf quand on
lui demanda quand elle était arrivée à l'asile. A cette question, répétée
à de multiples reprises, nous reçûmes des réponses telles que : Dans
une ambulance - Sœur L. m'a amenée — voici trois jours que j e suis
ici et de longues nuits (la patiente est arrivée la veille), etc.
Des barrages partiels, tels qu'on en voit ici, se présentent aussi d'une
autre façon. Il n'est pas si rare que le langage soit « barré » tandis

5 9 . L e s b a r r a g e s peuvent parfois être é l i m i n é s par l'alcool. On peut mettre c e l a à profit lors


de l ' e x a m e n (NDA).
que le cours de la p e n s é e s'exprime e n c o r e par une petite série de
gestes qui concluent la phrase c o m m e n c é e . D'après mes observations,
le cours de la p e n s é e c e s s a i t alors, lui aussi, avec la conclusion mi-
mique de la phrase c o m m e n c é e .

Ce que la patiente de Jung appelle « fascination » est une sorte de


barrage partiel. Les p e n s é e s sont complètement i n h i b é e s par un stimu-
lus sensoriel q u e l c o n q u e , et seul c e dernier demeure présent à la
c o n s c i e n c e . « L'assujettissement optique » de Sommer désigne sans
doute en partie le même symptôme.

* * *

En l'état de nos connaissances, les associations expérimentales semblent sou-


vent ne pas être perturbées aux stades chroniques des cas légers. Néanmoins,
on trouve généralement des singularités qui, en soi, ne permettent pourtant
pas un diagnostic certain mais évoquent tout de même cette maladie avec
une certaine vraisemblance.

1. Grande irrégularité des latences d'association, qui ne peuvent s'expliquer


par la seule prédominance de complexes chargés d'affect. Les différences de
latence sont beaucoup plus importantes que dans le cas des complexes de
sujets sains, et il existe souvent une étrange alternance : tantôt les associa-
tions semblent se dérouler lentement, puis l'on s'aperçoit de nouveau que le
malade (au cours du même test) peut penser très rapidement. Devant de telles
irrégularités, on est naturellement d'abord enclin à les attribuer à des varia-
tions de la bonne volonté, ou tout au moins de l'attention ; mais souvent l'on
ne peut pas trouver d'autres signes de ces derniers troubles. Dans les cas
aigus, les réactions se ralentissent volontiers de plus en plus au cours d'un
même test.
3. Le raccordement à des mots-stimulus antérieurs, déjà cité, est frappant
aussi ; cet effet a posteriori d'une pensée précédente n'est pas nécessairement
continu : le malade s'écarte d'une idée, puis y recourt de nouveau dans une
association postérieure, comme ci-dessus, où l'on est parti de « Bern », « Bun-
desrat », après que trois idées complètement différentes aient éloigné le pa-
tient de la première représentation. Néanmoins, il est plus fréquent que les
persévérations d'idées s'enchaînent.

3. L'effet a posteriori du cours de pensée antérieur se manifeste aussi par la


tendance à des stéréotypies dans la forme et le contenu de la réponse. Cer-
tains patients, notamment aigus, ne répondent plus, à la fin du test, que de
façon totalement absurde, avec des termes peu nombreux, qui étaient encore
utilisés de façon appropriée dans ce qui précédait : « A penser, à écrire, à
manger », etc. (La pauvreté idéique favorise naturellement ce comportement).
4. Parfois les patients restent aussi fixés au mot-stimulus et le répètent sans
y connecter d'autre pensée. Ce type d'écholalie se voit beaucoup plus fré-
quemment dans les états aigus (obnubilation) que chroniques.

5. Même quand la répétition du même mot n'apparaît pas fréquemment, on


trouve chez de nombreux patients une grande pauvreté des idées ; ils ne se
fixent pas sur le même mot mais bel et bien sur des idées analogues et très
proches.

6. Les schizophrènes ont plus de réactions individuelles telles qu'on n'en


voit pas chez d'autres sujets (Kent et Rozanoff). Si on leur propose les mêmes
mots-stimulus après des intervalles relativement longs, les mots-réactions
changent plus que chez les sujets sains (Pfenninger).

7. Mais ce qui est le plus frappant, ce sont les associations bizarres dont on
a donné les exemples p. 22 et p. 24, puis les associations apparemment ou
réellement totalement incohérentes, dans lesquelles le mot-stimulus ne repré-
sente rien de plus que le signal de prononcer n'importe quel mot. (Nommer
n'importe quel meuble qui se trouve dans le champ visuel, etc.)

8. Il n'est pas rare qu'on ne puisse trouver aucun rapport, même avec l'aide
du patient. Dans ces cas il s'agit sans doute généralement, sinon toujours,
de connexions avec un complexe d'idées chargé d'affect déjà présent. Quand
j e dis « déjà présent », j e ne veux pas dire « déjà présent à la conscience »,
car le malade lui-même ne peut en effet fournir aucune information là-dessus.
C'est ainsi qu'un patient apparemment tout à fait rangé, et encore très intel-
ligent même à présent, associait, sans savoir pourquoi, le mot « court » à
beaucoup de concepts qui touchaient ses sentiments d'une façon quelconque.
La solution de cette énigme résidait en ce qu'il était lui-même très petit et
que cet élément faisait aussi partie de ses complexes.

9. Une tendance prononcée à des associations indirectes n'est pas rare.

10. Les signes de complexes chargés d'affect se manifestent souvent d'une


façon tout à fait exagérée. Les temps de réaction aux mots-stimulus excitant
les complexes s'accroissent souvent à l'extrême, ou bien la réaction échoue
totalement, et tous les autres signes complexuels trouvés par Jung sont par-
ticulièrement nets dans certains cas : la superficialité alors que les latences
sont grandes ; l'oubli rapide ; l'effet intellectuel et affectif a posteriori sur les
associations suivantes. Dans certains cas, les complexes sont tellement en
alerte que les associations ne se font qu'en fonction d'eux. Mais tous ces
signes sont très variables, et pas seulement d'un cas à l'autre ; chez un même
patient, ils peuvent osciller du maximum au minimum au cours de brèves
périodes.

Le besoin de paraître intelligent (complexe d'intelligence) se fait sentir ici


aussi, à peu près comme chez les imbéciles, par la propension à des défini-
tions dont la bizarrerie trahit alors souvent le cachet spécifiquement schizophré-
nique : yeux - point de voyeurie 60 ; grand-mère - . articiportion sexuelle 61 ;
poêle - article de réchauffement.
Malgré de nombreuses investigations, il ne se trouvait nulle trace directe de
négativisme dans les associations expérimentales. Nous n'avons vu une ten-
dance aux négations et aux associations par contraste que chez deux malades ;
mais ces patients-là n'étaient justement pas négativistes.

* * *

Ziehen (817) a aussi testé les associations rétrogrades et trouvé une altération
de la reproduction rétrograde de séries dans des états que nous rangeons
dans la schizophrénie. Mais il est si difficile de distinguer là les troubles de
l'association de ceux de l'attention, du bon vouloir, etc., que j e ne me ha-
sarderai pas à conclure à un résultat définitif à partir de la courte publication
de cet auteur.

* * *

Les troubles des associations décrits sont c a r a c t é r i s t i q u e s de la schi-


zophrénie. Mais d'autres formes d'anomalies du cours de la pensée se
voient aussi à leurs côtés, de façon intercurrente. Dans les états mania-
ques de la schizophrénie, une fuite des idées s ' a s s o c i e au trouble s c h i -
zophrénique des associations ; dans les états dépressifs, nous
rencontrons des inhibitions de la p e n s é e , ainsi que les troubles des
associations c a u s é s par la réaction pathologique à l'affectivité ; surtout,
des scotomisations systématiques hystériformes dominent souvent vrai-
ment le tableau. Des p e n s é e s compulsives sont fréquentes.

* * *

Les troubles des associations sont insuffisamment décrits ici, dans la mesure
où l'on prend peu en compte les états aigus. Jusqu'à présent, nous n'avons
toutefois pas trouvé de nouvelles caractéristiques qualitatives dans de tels
syndromes, mais éventuellement des exagérations de ce qui a déjà été décrit.
(Naturellement, nous faisons abstraction des signes des états maniaques, mé-
lancoliques, ou d'inhibition organique).
Ce que je ressens plutôt comme une carence, c'est que nous n'ayons déduit la
plupart des anomalies que des déclarations verbales et écrites des malades ; les

60. Traduction approximative de Sehungspunkt, où Sehung, dérivé de sehen (voir), est un


néologisme (NDT).
61. Traduction approximative de Anteilung, néologisme combinant Anteil (part, portion, in-
térêt, participation) et Teilung (division, partage, démembrement) (NDT).
actes complexes sont en effet sans nul doute des émanations d'exactement la
même activité idéique qui se fait jour dans la discussion ; nous sommes aussi
habitués à questionner les malades sur les motifs de leur comportement. Il
en va autrement des associations qui guident ceux de nos petits actes que
nous ne dirigeons absolument pas consciemment, seule l'intention de faire
ceci et cela émergeant à notre conscience. Quand j'écris, j e pense consciem-
ment à mon sujet ; mais j e ne sais pas comment j e sors le papier de mon
armoire, tous les mouvements élémentaires que j e fais, etc. Or nous devons
admettre qu'il existe des indices selon lesquels ces mécanismes très fortement
automatisés sont altérés eux aussi chez les schizophrènes. Mais nous ignorons
totalement si ces troubles peuvent également être rapportés à une déficience
de la somme d'associations élémentaires nécessaire à une activité spécifique.
Car il est également pensable que les maladresses soient provoquées par des
courants contraires négativistes ou par de la perplexité.

b) L'affectivité

Dans les formes marquées de schizophrénie, « l'abêtissement affectif »


est au premier plan du tableau. Ainsi savait-on, dès l'enfance de la
psychiatrie moderne, qu'une psychose « aiguë curable » devenait
« chronique » si l'affectivité commençait à régresser. Certains schizo-
phrènes aux stades terminaux ne présentent aucun affect durant des
années et des décennies ; ils traînent dans les asiles dans une attitude
négligente ou repliée, le visage inexpressif ; comme des automates, ils
se laissent habiller et déshabiller, emmener de leur lieu habituel d'i-
nactivité pour le repas, puis ramener, sans extérioriser nul signe de
satisfaction ou de déplaisir. Ils ne réagissent même pas aux mauvais
traitements qui leur sont infligés par d'autres malades.
Même dans les formes moins graves, l'indifférence en est la signature,
et en l'occurrence une indifférence vis-à-vis de tout : parents et amis,
profession et distractions, devoirs et droits, bonheur et malheur. « Cela
m'est incommensurablement égal » disait un patient de L. Binswanger.
Ce déficit se manifeste de la façon la plus marquée vis-à-vis des in-
térêts supérieurs, et qu'il faille un travail intellectuel complexe ou non
pour les comprendre n'a absolument aucune importance ici. Une mère
peut être indifférente au bien-être et aux maux de ses enfants dès le
début de sa maladie, alors que, pourtant, non seulement elle use des
termes d'une mère normalement sensible mais elle comprend aussi
réellement ce qui est bon ou ce qui est nuisible à un enfant, et peut
même en discuter de façon tout à fait judicieuse à l'occasion, par exem-
ple quand elle voudrait motiver sa sortie de l'asile. Que leur famille
ou eux-mêmes périssent est indifférent à ce genre de malades ; l'ins-
tinct de conservation est souvent réduit à zéro : les malades ne se
soucient pas de mourir de faim ou pas, d'être couchés sur de la glace
ou sur un poêle brûlant. Au cours de l'incendie d'un asile, de nombreux
patients durent être emmenés hors des sections menacées ; sinon, ils
n'auraient pas bougé de leur place et se seraient laissés asphyxier ou
brûler sans nul affect. Les maladies, la menace de toutes sortes de
désagréments ne peuvent troubler la tranquillité de nombreux schizo-
phrènes. Ce qui concerne autrui leur est naturellement totalement in-
différent ; dans un dortoir, un patient en roue un autre de coups ; les
autres ne jugent pas nécessaire de réveiller l'infirmier. Un étudiant a
presque étranglé sa mère ; il ne comprend pas qu'on puisse faire tant
d'histoires « à cause de cette conversation animée ». Au bout d'un mois
et demi de séjour à l'asile, une malade écrit pour la première fois chez
elle, mais en dehors de quelques phrases qui ne veulent rien dire, elle
ne sait que demander comment va le chat.
Les schizophrènes peuvent rédiger des biographies entières sans exprimer un
seul sentiment ; ils décrivent leurs souffrances et leurs faits et gestes comme
si c'était un sujet de physique. Une Croate qui ne comprend aucun mot d'une
langue autre que sa langue maternelle s'égare à Zurich, reste des mois durant
à l'asile sans qu'on puisse se faire comprendre d'elle, car elle ne fait pas
non plus attention aux gestes, bien qu'elle soit très vive. Finalement, une
dame de son pays lui adresse la parole ; la patiente fournit quelques rensei-
gnements en réponse aux questions, mais elle ne montre pas le moindre affect.
Un hébéphrène raconte la mort de son père : « Comme j'étais à la maison à
l'époque, j e suis aussi allé à l'enterrement, et j'étais bien content que ce ne
soit pas moi qu'on enterre ; maintenant, j e suis enterré vivant... »

Ce qui frappe le plus, c'est que certains patients, notamment les plus
âgés, manifestent également la même indifférence à l'égard de leurs
idées délirantes, qui les occupent pourtant constamment.

Pendant une présentation clinique assez longue, un paranoïde ne cesse de


se plaindre des persécutions, mais reste assis très confortablement, dans une
position nonchalante. Quand on lui demande s'il considère vraiment les hallu-
cinations comme une réalité, il dit en haussant les épaules : « Peut-être sont-elles
pathologiques, peut-être sont-elles une réalité » ; la question ne l'intéresse mani-
festement pas du tout. Il est universellement connu que de vieux paranoïdes
racontent avec la plus grande tranquillité d'esprit qu'ils ont été tracassés,
brûlés pendant la nuit, qu'on leur a retiré les entrailles. Une hébéphrène
vient voir le médecin pour le prier de ne pas la battre à mort ; bien qu'elle
soit vraiment persuadée qu'il y va de sa vie, elle est totalement inaffective.

Dans des cas plus légers, cette indifférence peut faire défaut ou être
masquée. Au début de la maladie, nous voyons souvent vraiment une
certaine hypersensibilité, si bien que les malades s'isolent consciem-
ment, pour échapper à toute occasion d'affects, et ce même quand ils
ont encore de l'intérêt pour l'existence. Des schizophrènes latents peu-
vent paraître tout à fait labiles dans leurs affects, sanguins. Mais la
profondeur de l'affect fait alors défaut. A y regarder de plus près, on
trouve généralement aussi dans de tels cas une indifférence partielle
à l'égard de tel ou tel des intérêts qui n'étaient habituellement pas
étrangers au patient ; mais j e ne voudrais pas prétendre que ceci soit
également le cas chez les patients qui n'aboutissent jamais chez le
psychiatre. Il existe en outre d'assez nombreux schizophrènes qui ont
en permanence des affects assez vifs, tout au moins dans certaines
directions : ce sont ceux d'entre eux qui sont actifs, les écrivains, les
réformateurs du monde et de la santé, les fondateurs de religions. Ces
gens ont une pensée partiale et qu'aucune considération n'arrête ; il
est difficile de dire si leurs affects ne sont pas également pathologi-
quement partiaux en soi.

Nous voyons souvent des thymies de base nettes, si bien qu'on peut
difficilement parler d'indifférence générale. L'humeur peut être eupho-
rique, triste, anxieuse. Nous rencontrons la transition de l'humeur eu-
phorique à l'humeur indifférente, ou un mélange des deux, dans l'état
affectif, très fréquent chez les schizophrènes, de « Wurstigkeit », que
les Français appellent, d'une façon plus imagée encore, « je-m'en-fi-
chisme 6 2 ». Alors, bien qu'ils ne soient pas heureux, les malades sont
pourtant satisfaits d'eux-mêmes et du monde ; ce qui arrive d'indési-
rable n'est pas ressenti comme désagréable. Leurs réponses deviennent
alors très facilement impertinentes, leurs associations inexactes leur
fournissant un matériel très favorable à cela. - D'autres humeurs en-
core s'expriment d'une façon analogue. Une de nos malades est quali-
fiée depuis plus de vingt ans dans son observation de « cordialement
dérangée », car présentant toutes ses plaintes insensées avec une cer-
taine bonhomie et avec force sourires.

Dans les cas aigus que l'on qualifiait autrefois de manies et de mé-
lancolies, l'affectivité ne fait naturellement pas défaut ; mais elle revêt
un timbre spécifique qui, en soi, permet souvent déjà le diagnostic de la
maladie. A la place des affects clairs et profondément ressentis de la
folie maniaco-dépressive, nous avons l'impression d'un mouvement af-
fectif qui ne va pas en profondeur. Surtout, l'homogénéité de l'expression

6 2 . En français dans le texte.


des affects fait souvent défaut. Les mots qui doivent exprimer la joie
ou la souffrance ne s'accordent ni entre eux, ni au ton de la voix, aux
mouvements, au reste du comportement. La mimique manque d'unité ;
par exemple, les sourcils levés 63 expriment quelque chose comme de
l'étonnement, les yeux peuvent donner l'impression du sourire avec des
pattes d'oie, et en même temps les commissures labiales peuvent être
tristement abaissées. Souvent, l'expression est extraordinairement exa-
gérée, pathétique et théâtrale dans le mauvais sens du terme. Il est
évident que la raideur des mouvements attire particulièrement l'atten-
tion, ici précisément. Les plaintes comme les cris de joie ont quelque
chose de monotone.

Toutes ces choses sont plus aisées à sentir qu'à décrire. Ce qu'on peut
le mieux mettre en relief dans la description, c'est le manque d'adap-
tation aux variations du contenu des idées, le déficit de la capacité de
modulation affective. L'humeur du schizophrène maniaque ne suit que
très peu ou pas du tout les changements de contenu de la pensée.
Tandis que le maniaque accompagne comme un sujet normal les
nuances affectives des pensées exprimées par des modifications qua-
litatives et quantitatives adéquates des expressions d'affectivité, nous
ne voyons que peu ou pas du tout de telles modulations chez le schi-
zophrène avéré, qu'il raconte une blague, qu'il se plaigne de son en-
fermement ou qu'il parle de son existence 64 . Une catatonique se plaint
que son mari soit en prison. Je lui assure qu'il est en liberté, ce à
quoi elle répond : « Ah, c'est bien. » Mais elle dit cela sur un ton
plaintif, absolument inchangé, exactement comme si je lui avais confir-
mé l'incarcération de son mari.

Un tel comportement ne se distingue qu'en apparence de l'indifférence.


Car ici l'affect présent n'est pas le moins du monde la réaction aux
idées, mais un état de base anormal de l'affectivité déterminé d'une
façon quelconque, un ajustement différent du point affectif zéro 65 . A
partir de ce point zéro, les autres malades réagissent par des oscilla-

6 3 . Dans l'original : le front levé (NDT).


6 4 . Quand on entend un schizophrène parler une langue qu'on ne comprend pas, on manque
souvent de tout point de repère pour déterminer de quoi il parle. Même un changement
important de thème (nourriture - mort de la mère) peut alors se produire de façon totalement
asymptomatique (NDA).
6 5 . L'indépendance de telles humeurs schizophréniques par rapport au cours de la pensée
apparaît notamment nettement dans les c a s , non rares, où, à l'inverse, le patient maintient
après une rapide inversion de l'humeur une idée délirante formée pendant la dépression et
congruente a v e c c e l l e - c i , mais présente maintenant la tonalité j o y e u s e contradictoire avec
c e l l e du contenu idéique (NDA).
tions vers le haut ou vers le bas, selon les représentations, mais non
les schizophrènes.

Dans certains cas nous voyons tout de même des oscillations affectives
nettes qui peuvent tout à fait se rapprocher de la norme. Une certaine
rigidité affective peut cependant se trahir alors, du fait que quelque
chose de difficilement descriptible reste commun à l'expression des
humeurs les plus diverses. Pour recourir à une image de coloriste, c'est
comme si toute la mimique était plongée dans la même sauce ; ces
gens pleurent avec une voix analogue ou identique à celle avec laquelle
ils rient ; et bien qu'ils tirent leur commissure labiale vers le haut dans
le cas d'un de ces affects et vers le bas dans l'autre, les deux modes
d'expression mimique ont tout de même quelque chose qui leur est
nettement commun.

Parfois, une profondeur insuffisante des affects se traduit par le fait


que les malades ne peuvent maintenir une humeur. Une catatonique
avait très peur d'un Judas Iscariote hallucinatoire qui la menaçait d'une
épée ; elle criait qu'on chasse ce Judas, mais entre-temps elle réclamait
du chocolat. Un autre jour, elle se plaignit des hallucinations en ques-
tion, demanda pardon pour les violences commises, mais au beau mi-
lieu de ses plaintes elle exprima la joie que lui procurait une belle
ceinture qu'elle mêlait pourtant tellement à ses idées délirantes que
nous dûmes lui assurer que ce n'était pas un « baiser de Judas ». Une
autre catatonique se répand jour et nuit en auto-accusations véhé-
mentes, avec des tentatives énergiques d'automutilation ; mais quand
elle parvient à échapper à une infirmière, elle rit de tout cœur.

Dans les états aigus les expressions affectives les plus diverses peuvent
pourtant alterner aussi les unes avec les autres au cours d'une période
très brève, par exemple pendant une présentation clinique, même sans
humeur basale durable. A l'occasion d'une quelconque association for-
tuite, le patient entre d'une seconde à l'autre dans la plus grande agi-
tation coléreuse, il invective, vocifère, saute en l'air, pour se montrer
au bout de quelques minutes érotiquement joyeux de la même façon
excessive, puis pleurer de tristesse, etc. Dans ces cas, l'ensemble de
la personnalité change en même temps que l'affect. Ici, contrairement
à la stase de certaines composantes des expressions affectives anté-
rieures qu'on a mentionnée plus haut, les affects précédents ne pro-
longent à l'inverse même pas autant leur effet qu'ils devraient
normalement le faire ; de façon tout à fait subite, c'est à un registre
totalement nouveau qu'il est fait appel. L'aspect de ce brusque chan-
gement et la rigidité affective différencient généralement facilement
c e s c a s d'une pathologie organique.

Aussi est-il c o m p r é h e n s i b l e que Masselon (p. 8 3 ) mentionne également


comme étant une particularité affective des schizophrènes, aux côtés
de la n o n c h a l a n c e , de l'indifférence et de l'irritabilité, une labilité
anormale des affects (« mobilité d'humeur », « versatilité »). L'irrita-
6 6

bilité semble d é j à former un certain contraste avec l'indifférence, mais


c'est encore plus le c a s pour cette labilité, qui présuppose une faculté
de réaction anormalement a i s é e .

Dans les c a s légers, tels qu'on en voit rarement arriver à l'asile, la


labilité semble être souvent au premier plan ; mais, à y regarder de
plus près, on trouve ici aussi les déficits de l'affectivité.

Un hébéphrène était en cours d'examen à cause d'une menace de crime. Il


était quelque peu euphorique, considérait comme un bonheur d'être à l'asile,
sous traitement médical, faisait l'éloge des (mauvais) tableaux au mur, ne
voulait pas passer dans une meilleure section sous le prétexte que les patients
étaient tellement gentils ici. Après que ce transfert eut eu lieu, il pesta sans
mesure contre la section précédente. A l'occasion d'une fièvre insignifiante
(et parfois aussi sans cause connue), il était déprimé, pleurait comme un
enfant, disait qu'il allait mourir, et il en allait de même pour des motifs
encore plus insignifiants, comme quand il racontait combien son père avait
versé à contre-cœur les frais scolaires d'1,80 F par semestre pour ses études.
Quand quelqu'un disait quelque chose qui ne lui plaisait pas, il s'agitait,
menaçait, cassait éventuellement aussi un objet, jetait son argent dans sa
rage, brutalisait sa femme. Malgré cette labilité sur fond d'humeur très légè-
rement maniaque, le trouble schizophrénique de l'affectivité est net : il ne
cherche pas le contact avec son entourage, comme le font d'autres sujets
euphoriques ; il restait tout à fait indifférent dans les domaines les plus im-
portants (internement, commerce, qu'il avait totalement négligé, demande de
divorce de sa femme) ; cet homme bien élevé avait perdu tout tact ; sa mi-
mique avait quelque chose de figé, de fixé, qui contrastait grandement avec
ses propos emphatiques ; des choses ayant une importance différente sur le
plan affectif étaient évoquées avec la même mine ; il pouvait dire sur le ton
de la plus grande indifférence qu'il était terriblement agité.

Cette labilité affective est sûrement en rapport, pour une petite part,
avec l ' i n c a p a c i t é des malades à saisir certains événements importants
en tant que tels. Des pensées sans importance ne parviennent guère à
captiver même un sujet sain ; il est donc c o m p r é h e n s i b l e que le schi-

6 6 . En français dans le texte.


zophrène, pour qui rien n'a d'importance, saute parfois d'un affect à
un autre. Mais d'un autre côté le changement d'affect correspond à la
versatilité des idées. Un hébéphrène se défend avec désespoir, il hurle
qu'il a tout gâché ; soudain il dit d'un ton indifférent : « Maintenant j e
vais rire », et il a un rire sec. Peu après il dit : « Maintenant j e vais
crier », et il recommence à hurler et à frapper. Un autre attrape régu-
lièrement des accès de rage à l'entrée du médecin, il se jette sur lui
en grinçant des dents, si bien qu'il faut le tenir. Chaque fois, il saute
au bout de très peu de temps dans son lit, d'un mouvement élégant,
et offre au médecin le « baiser de réconciliation ». — Il arrive parfois,
même chez des hébéphrènes en pleine lucidité de conscience, qu'ils
regrettent vraiment ce qu'ils ont fait dans leur excitation. Un de nos
paranoïdes pouvait pleurer quand il avait brutalisé sa femme. J e n'ai
toutefois jamais revu, sinon, de regrets exprimés avec tant de force.

Même quand les affects changent, cela se passe pourtant plus lente-
ment en général que chez le sujet sain. Les affects sont souvent litté-
ralement à la traîne derrière les idées. Lors d'un examen, on avait
montré à de nombreuses reprises à une patiente la photo d'un enfant ;
ce n'est qu'un quart d'heure après qu'apparut l'affect triste approprié.
A l'occasion de fêtes, on voit aussi combien les schizophrènes ont be-
soin de plus longtemps que les sujets sains pour se mettre dans l'am-
biance. On constate, avec exactement la même fréquence chez les gens
bien portants que chez les schizophrènes, que la colère et la contrariété
démarrent souvent très rapidement, bien qu'ils aient tendance à ne
disparaître que lentement. On ne doit pas interpréter cela comme une
labilité particulière des patients. Mais une persistance pathologique de
l'affect se manifeste indubitablement au travers de la tendance, habi-
tuelle aux schizophrènes, à persévérer dans leur colère ou à l'amplifier
pendant assez longtemps encore, même quand il n'y a plus aucune
raison à cela.

Contrairement à Masselon, sans doute pouvons-nous conclure de tout


cela que la labilité constitue une manifestation de peu d'importance
dans la schizophrénie.

L'oscillation apparemment infondée de l'affectivité, le caractère capri-


cieux de la survenue des affects est beaucoup plus frappant que le chan-
gement rapide des affects. Les mêmes malades qui apparaissent
aujourd'hui tout à fait indifférents peuvent, demain, être irrités ou ac-
cessibles à des sentiments très divers. Pfersdorff (592, p. 118) note à
propos de ses patients : « L'état affectif ne venait au jour que lorsque
les patients parlaient, ce qu'ils faisaient très rarement spontanément. »
Dès qu'ils se voyaient contraints, justement, de percevoir leur environ-
nement et d'y réagir, les affects se manifestaient, comme c'est si sou-
vent le cas. Mais ce qui est le plus fréquent, c'est que les malades ne
soient stimulés que lorsqu'ils sont contraints à penser à certaines idées
qui les avait émus avant ou pendant le début de la maladie (complexes).
Ainsi une hébéphrène se traînait-elle, en proie à une euphorie érotique
niaise ; mais un affect tout à fait normal venait au jour quand on évo-
quait sa relation avec son mari. Chez de nombreux malades, on peut
encore susciter avec une grande vivacité, des décennies après, la dou-
leur d'un amour perdu ou la joie d'un amour heureux, si l'on parvient
à surmonter les barrages qui, précisément, ne font jamais défaut dans
le cas de ces thèmes. Ces affects apparaissent alors comme « mis en
conserve » ; toutes les nuances du plaisir sexuel, de la gêne, de la
souffrance et de la jalousie peuvent apparaître avec une vivacité telle
qu'on ne la rencontre plus chez un sujet sain quand il s'agit de vieux
souvenirs. Il n'est pas rare que ces manifestations aient tout à fait leur
caractère de l'ancien temps et forment un contraste frappant avec l'âge
mûr du malade.
Une hébéphrène qui avait eu une première poussée méconnue de sa maladie
après la puberté fut amenée à l'asile à 71 ans avec une légère dépression.
Elle parlait avec une grande indifférence des événements de son existence,
et notamment de son mari. Mais quand nous fûmes parvenus à lui faire évo-
quer un amoureux de l'époque immédiatement antérieure à ses premiers trou-
bles, elle présenta toute la mimique gênée d'une jeune fille interrogée sur
ce genre de choses, avec tous les détails caractéristiques, non seulement le
visage rougissant, les yeux baissés, mais aussi le sourire satisfait et embar-
rassé, le tiraillement du tablier, le lissage des cheveux, et toutes ces autres
manifestations que l'on ne peut que voir, mais non décrire. Cet affect juvénile
pouvait être déterré tout frais au bout de plus de cinquante ans et formait
un contraste touchant avec la silhouette affaissée et le visage effrayé de cette
vieille femme.

Dans ce cas, comme dans certains autres, on a pu renouveler l'expérience.


On fait des constatations analogues, quoique pas toujours aussi frappantes,
au cours de la plupart des analyses de schizophrènes réussies ; et quand on
a fait surgir en premier lieu 67 les complexes chargés d'affect des malades à
la Clinique, on a parfois du mal à convaincre les auditeurs de l'inaffectivité
des patients qu'on présente, tellement ils semblent réagir normalement, bien
qu'ils aient par ailleurs non seulement affiché mais même réellement éprouvé
la plus grande indifférence pendant des années.

6 7 . Au cours d'une présentation (NDT).


Même sans analyse particulière, on peut mettre en évidence avec un
peu de patience les affects dans les productions délirantes de ceux des
malades qui ne mènent plus, en apparence, qu'une vie végétative. Il
faut souvent des mois avant d'établir une relation intellectuelle avec
de tels malades, complètement passifs et mutiques ; mais si l'on y par-
vient on trouve régulièrement un système délirant qui non seulement
est né de souhaits et de craintes, mais qui peut être, maintenant encore,
empreint de sentiments tout à fait adéquats.

Les affects viennent parfois aussi au jour quand une atrophie cérébrale
débute, si bien que certains de ces malades ne se distinguent plus
guère des séniles ordinaires, « qui peuvent pleurer et rire quand ils
veulent ». A Rheinau, j'ai observé pendant dix ans une catatonique
qui, abstraction faite des premiers temps, ne m'avait dit rien que des
injures et était restée assise en face de moi, négativiste, la langue tirée
de côté. Quand j e la revis dix ans après mon départ de Rheinau, elle
se précipita vers moi, me serra dans ses bras avec émotion, comme on
peut faire à un vieil ami. - Une paranoïde dont j e connaissais l'indif-
férence depuis près de trente ans fit une apoplexie. Comme elle attirait
beaucoup de mouches avec des sucreries, j e lui demandai un jour, en
matière de plaisanterie, si les mouches n'allaient pas la manger. Elle
se prêta joyeusement à la plaisanterie : « Il en vient toujours de si
grosses, si grosses, et elles veulent me manger. » Pendant la première
partie de la phrase, elle riait, et pendant la seconde, en vraie sénile,
elle était déjà tellement accablée par l'idée d'être mangée qu'elle pleu-
rait plaintivement.

Ainsi est-il tout à fait indubitable que la capacité de l'esprit de produire


des affects ne disparaît pas dans la schizophrénie.

C'est pourquoi nous ne devons pas nous étonner de voir des affects
conservés même dans des cas graves. Mais lesquels nous rencontrons,
voilà qui dépend généralement du « hasard ». Cependant certains sen-
timents ont de plus grandes chances de se manifester que d'autres.

Comme nous l'avons vu plus haut, les émotions érotiques (dans le bon
sens), par exemple, se laissent parfois déterrer. Mais, quand on peut
suivre les rêveries éveillées des malades, on trouve souvent aussi des
sentiments délicats, et ce chez des patients qui, extérieurement, ne
présentent rien d'autre que violence et malpropreté.

A la place de l'intérêt, nous rencontrons souvent, même dans les cas


évolués, son équivalent (très développé déjà chez les oiseaux et les
chats), la curiosité. Des malades qui ne se soucient apparemment de
rien parviennent toujours à s'arranger pour, dès qu'une porte s'ouvre
quelque part, pouvoir regarder à traVers comme par hasard, pour pou-
voir espionner une conversation, regarder un livre qu'on a laissé traîner
et, dans ce dernier cas, même s'ils sont trop torpides pour ne serait-ce
que prendre cette merveille en main.
Dans le cas des patients d'asile de chroniques, on voit souvent aussi
un certain attachement à l'asile. Des patients qui ont travaillé dans un
asile pendant de nombreuses années acquièrent une sorte de dépen-
dance à son égard ; ils s'intéressent à la gestion du domaine et peuvent
même commencer spontanément à faire quelque chose pour elle. Ils
éprouvent même de la nostalgie à l'égard de l'asile, quand il faut les
en faire sortir. Cependant, on voit tout aussi souvent les bons malades
travailleurs se contenter d'effectuer leur tâche journalière comme des
machines, toujours de la même humeur, par temps de pluie comme de
neige, par les chaleurs comme par les frimas.
C'est dans le sens de Virritabilité, allant jusqu'à la colère et à la rage,
que nous trouvons les affects le plus souvent conservés. De nombreux
malades des asiles ne réagissent en tout état de cause que dans ce
sens. Le personnel qui veille à leurs besoins les plus courants, et même
celui qui leur porte les repas, risque à chaque fois d'être frappé ou
insulté. Mais toutes les transitions existent entre ces cas extrêmes, au-
jourd'hui rares, et l'irritabilité commune.
Dans les asiles, cette irritabilité est désagréable notamment dans ses rap-
ports avec les idées délirantes et le négativisme. Les persécutés sont mé-
contents de leur entourage parce que celui-ci les persécute ; ceux qui
croient leurs souhaits exaucés sont dérangés dans leurs rêveries par leur
environnement — motif suffisant de colère et de rage. Ainsi la colère re-
présente-t-elle aussi la réaction ordinaire de nombreux patients aux hal-
lucinations, et ce — élément typique — même quand leurs Voix ne leur
disent pas précisément quelque chose de désagréable.
L'indignation à propos de la privation de liberté ou d'autres désagré-
ments entraînés par le traitement, si fréquente dans les asiles, n'est
pas tout à fait la même chose. De très nombreux malades parlent aussi
de nostalgie de leur foyer ; mais il est relativement rare qu'on puisse
trouver des signes objectifs qui permettent de conclure à une véritable
nostalgie du foyer, ou même seulement à une réelle impatience de ren-
trer chez soi. Il n'est pas si rare que cela que des schizophrènes qui
revendiquaient leur sortie depuis longtemps n'utilisent même pas l'au-
torisation de sortir une fois qu'ils l'ont obtenue, ou bien qu'ils se
contentent de quitter l'asile sans projet, sans rentrer chez eux.
Il n'est pas rare du tout que nous trouvions que l'amour parental est
préservé chez nos malades, soit comme unique manifestation affective,
soit aux côtés de l'irritabilité ; les mères, notamment, sont souvent vrai-
ment préoccupées pendant longtemps de la santé de leurs enfants, tan-
dis qu'elles ne se soucient de rien d'autre, pas même de leur propre
état physique. De telles malades montrent donc aussi une joie réelle
quand elles reçoivent une visite ou de bonnes nouvelles de leurs en-
fants. Une patiente malade depuis trente ans, et qui se trouvait depuis
assez longtemps dans un état hallucinatoire grave, cherchait à persua-
der le médecin, sur lequel elle avait des visées comme gendre, que sa
maladie ne s'était pas transmise à sa fille.
La sympathie pour autrui n'est pas non plus toujours éteinte. En parti-
culier dans les asiles, où la plupart des patients se connaissent passa-
blement, ils peuvent souvent fort bien se mettre dans la peau des
autres. Un hébéphrène qui parlait de façon complètement confuse a
tenu durant des années son cigare dans la bouche à un malade souffrant
d'une atrophie musculaire et dont les lèvres n'étaient plus capables de
le supporter, avec une patience et une infatigabilité dont un sujet sain
n'aurait sans doute jamais été capable. Il peut aussi arriver que de
tels Bons Samaritains schizophrènes parviennent à nourrir sans vio-
lence des malades qui refusent les aliments, alors que personne d'autre
n'y parvient.

Même une empathie artistique n'est pas si rare. Des poètes et musiciens
légèrement schizophrènes de tout niveau présentent cette faculté. Une
catatonique aiguë était capable, au cours d'une stupeur apparemment
des plus graves, de danser en musique, et ce avec des mouvements
qu'elle inventait elle-même et qui exprimaient d'une façon étonnam-
ment fine et esthétique le sentiment éveillé par cette musique. Une de
nos catatoniques chroniques est, à part une irritabilité presque perma-
nente avec tendance à la violence, totalement indifférente à l'environ-
nement, indécente et malpropre au plus haut degré. Elle peut pourtant
non seulement danser mais s'adapter très exactement à toutes les
nuances de la musique et des mouvements de son danseur.

Peu de malades sont enclins à l'humour, peut-être sont-ils encore plus


capables de produire eux-mêmes quelque chose d'humoristique que de
le goûter quand cela leur est proposé de l'extérieur, tandis que des
plaisanteries assez grossières trouvent encore souvent un écho.
Le plus souvent, cependant, on est frappé de la précocité avec laquelle
dépérissent les sentiments qui règlent les rapports des humains entre
eux. Que les malades parlent à quelqu'un d'une couche sociale élevée
ou basse, avec un homme ou une femme, ne fait généralement pas la
moindre différence pour eux. Il n'y a souvent plus trace de honte dans
le moindre domaine, et ce même chez des malades bien conservés par
ailleurs. Non seulement ils avouent toutes les infamies possibles, en
les reconnaissant fort bien comme telles, mais ils les racontent spon-
tanément sans le moindre motif. Ils étalent souvent leurs relations
sexuelles dans les termes les plus crus, se masturbent au vu de tous.
Un lycéen très doué qui vient de tomber malade écrit à sa mère :
« Chère mère, viens donc me voir tout de suite. Je dois savoir quel
âge tu avais quand mon père m'a fait. »
La vive charge affective de vétilles peut alors former, pour sa part, un
étrange contraste avec de si graves déficits. Un hébéphrène qui travaille
un peu à notre bureau circule paré et pomponné avec le soin le plus
extrême mais se laisse taquiner de la façon la plus inconvenante par un
employé grossier sans rien y trouver de déplaisant ; et quand sa mère le
prie de venir au lit de mort de son père, il lui écrit quelques phrases
« de consolation », mais n'y va pas. Deux patientes mangent leurs excré-
ments ; mais l'une, une vieille fille, minaude pour avouer son âge ; l'autre,
une femme peintre, se réjouit de la belle couleur de ce mets.

Les patients réagissent de façon variable aux fêtes de l'asile et autres


occasions de ce genre. Dans l'ensemble, ils ont quelque chose de figé,
leur manque d'initiative attire l'attention lors des jeux. Leur capacité
à être stimulés est altérée sur le plan temporel, en ce sens qu'il faut
souvent longtemps pour que les malades se mettent dans l'ambiance ;
par contre elle est souvent augmentée sur le plan quantitatif, de nom-
breux patients étant de plus en plus pris par l'enivrement de la fête
et ne pouvant plus s'arrêter. Mais un bal pour lequel on sélectionne
quelque peu les patients ne révèle habituellement pas grand chose ou
rien du tout de frappant au profane.

Les caractéristiques éthiques des schizophrènes sont très diverses. Dans


l'ensemble, les malades sont émoussés sous ce rapport, comme sous
d'autres. Mais comme ils sont très peu actifs, il en est étonnamment
peu qui deviennent de véritables criminels. Néanmoins certains ne
commencent une carrière de voleurs ou d'escrocs qu'après le début de
l'affection. Mais il est alors impossible de dire si une tendance aupa-
ravant inhibée s'est simplement révélée ou si seule la maladie a fait
naître les pulsions criminelles. Sur le plan moral, on ne peut dans
l'ensemble se fier ni plus ni moins aux schizophrènes qu'aux sujets
sains (leur imprévisibilité est pire). Mais en général les malades volent,
trichent, mentent et calomnient sans doute plutôt moins que les sujets
sains. Et même, des scrupules de conscience fort pénibles se manifes-
tent souvent en permanence dans les cas relativement bénins. Les at-
tentats consécutifs aux idées délirantes, qui, du point de vue du
malade, ne sont qu'une légitime défense justifiée, n'ont naturellement
rien à voir avec l'éthique.
Ainsi le caractère des schizophrènes est-il aussi varié que celui des
sujets bien portants. Cependant, l'indifférence confère à tous les cas
évolués des traits communs apparents ; la tendance à s'isoler et le
caractère peu influençable sont aussi des traits frappants, qui se ré-
pètent souvent, de même que la versatilité et l'irritabilité. Certains
conservent un caractère avenant jusqu'à un stade avancé de la maladie,
malgré toutes leurs difficultés, d'autres deviennent des abominations
des catégories les plus diverses, vindicatifs, cruels, menteurs, adonnés
à toutes les débauches. Mais la maladie peut aussi, du fait de la perte
d'énergie, rendre inoffensives, mais vraisemblablement pas meilleures,
certaines personnes mauvaises ab ovo.
Les bas instincts et la charge affective de processus corporels qui est en
rapport avec eux pâtissent un peu moins que les affects supérieurs,
mais la différence n'est pas assez importante pour qu'on puisse démon-
trer régulièrement qu'il en va ainsi dans un cas donné. Kraepelin décrit
le fait, fréquent, que les malades accueillent les visites de leurs proches
sans salutations ni autres signes de stimulation affective, mais qu'ils fouil-
lent avec la plus grande ardeur dans leurs sacs et leurs paniers à la
recherche de denrées comestibles qu'ils ont alors coutume d'ingurgiter
aussitôt jusqu'à la dernière bribe, en mâchant la bouche pleine jusqu'aux
joues. A l'inverse, de nombreux malades sont totalement insensibles à
la faim et à la soif, aux troubles du sommeil, aux mauvais traitements
de toute sorte. Souvent, chez eux, une extrême réplétion du rectum et
de la vessie, une attitude corporelle inconfortable ne s'accompagnent
pas de sentiments désagréables. Même les stimulus acoustiques les
plus stridents ou les plus intenses ne sont, souvent, pas ressentis d'une
façon désagréable, de même que la douleur de Péblouissement ; j'ai
vu plusieurs malades qui fixaient continuellement le soleil avec plaisir.
J e ne sais pourquoi ils ne se brûlaient pas la rétine ; je n'ai vu de
pupilles particulièrement serrées chez aucun de ces patients ; je n'ai
toutefois pas pu les examiner aux moments critiques.

* * *

Les malades se comportent de façon très diverse à l'égard de leurs


troubles affectifs. La plupart ne s'en aperçoivent pas, considèrent leur
réaction comme normale. Mais des patients assez intelligents peuvent,
le cas échéant, raisonner de façon très pénétrante à leur sujet. En ce
cas, ils ressentent au début le vide affectif comme tout à fait doulou-
reux, si bien qu'on les confond aisément avec des mélancoliques. Un
de nos catatoniques se considérait comme « rendu indifférent 68 », une
patiente de Jung ne pouvait plus prier à cause de son « endurcissement
affectif ». Par la suite, ils projettent très facilement cette altération
dans le monde extérieur ; pour des motifs affectifs, celui-ci leur paraît
creux, vide, autre. Cet « autrement » a souvent une tonalité d'étrangeté,
d'hostilité. - Une patiente intelligente d'Aschaffenburg 69 s'exprimait
d'une façon différente mais très caractéristique. Après un léger accès,
elle se trouva franchement mieux qu'avant, sur le plan subjectif ; car
tandis qu'auparavant, dès qu'il y avait une aide à fournir au sein de
sa famille, ses sentiments moraux la contraignaient à y sacrifier sa
tranquillité ou même sa santé, ensuite elle pouvait vivre pour elle-
même sans le moindre tourment du côté de sa conscience. - Certains
hébéphrènes étalent consciemment leur indifférence au grand jour.

A l'occasion, les malades prétendent avoir de puissants affects, alors


que l'ensemble de leur attitude n'en indique aucun à l'observateur, ou
en traduit un autre que celui que le patient prétend ressentir (voir par
exemple Schott, 666, p. 262). Il faut laisser en suspens le point de
savoir si de tels patients qualifient autre chose que nous du nom de
cet affect, ou si le phénomène s'explique par la scission de l'esprit.

Les manifestations corporelles des affects correspondent, pas toujours mais


grosso modo tout de même, au versant psychique. Parfois, seul un symptôme
isolé tel que la modification de la respiration (270 a) exprime une variation
affective.

Seul le phénomène psycho-galvanique (Veraguth, Jung) qui, ici aussi, s'avère


être un indicateur du déroulement de l'onde d'affectivité, mérite une mention
particulière. Cependant, d'autres études restent souhaitables. Pour l'instant,
nous pouvons seulement dire que l'indifférence et la stupeur s'expriment par
un déroulement tout à fait rectiligne des courbes de repos, mais qu'il n'est
pas rare non plus de trouver des courbes labiles, notamment chez les hallu-
cinés. Les réactions aux stimulus psychiques et physiques sont affaiblies dans
l'ensemble, voire réduites à zéro dans les cas graves. Ricksher et Jung ont
trouvé chez leurs paranoïdes un ralentissement du déroulement des oscilla-
tions.

68. Vergleichgiiltiget.
69. Information fournie de vive voix (NDA).
L'absence de fluctuations du volume des membres, de modifications du pouls
et de la respiration sous l'effet de stimulus douloureux et froids qu'ont trouvée
Bumke et Kehrer (Archiv fur Psychologie, vol. XLVII, p. 9 4 5 ) a probablement
une signification analogue (Comparer aussi aux réflexes pupillaires).

* * *

La parathymie, fréquente chez les schizophrènes, est particulièrement


frappante. Les malades peuvent réagir avec gaîté, voire même par le
rire, à des nouvelles tristes ; ils deviennent parfois tristes ou, plus
fréquemment encore, irrités en réponse à des événements qui sont in-
différents ou agréables à d'autres ; la simple salutation quotidienne
peut les mettre hors d'eux. Parfois ils rattachent des sentiments éroti-
ques à quelque chose ou quelqu'un qui ne semble pas du tout approprié
à cela ; une patiente raconte que l'eau de son bain était empoisonnée,
qu'elle avait un goût très amer, mais en même temps elle rit avec une
expression de confusion érotique. D'autres malades aiment des patients
de leur entourage sans prendre en compte leur sexe, leur laideur ni
leur allure éventuellement repoussante. Ils racontent en riant leurs
tourments hallucinatoires, se présentent avec une mine réjouie comme
des malheureux (Foersterling, p. 288). Le rire aux éclats sans motif, ou
dans des circonstances tout à fait déplacées, est une forme particuliè-
rement fréquente de parathymie. La parafonction des affects peut aussi
s'exprimer par les rapports quantitatifs des sentiments entre eux,
comme lorsqu'une patiente de Masselon éclate bruyamment de rire à
la nouvelle de la mort de son frère, parce qu'elle se réjouit de recevoir
des lettres bordées de noir, tandis qu'elle ne marque pas de sentiments
à propos de la mort de son frère.

Les parathymies dans le domaine du goût et de l'odorat sont souvent


très frappantes. De nombreux malades engloutissent avec plaisir des
objets qui ne causent de sensations que désagréables aux sujets sains :
des cafards, de la sciure de bois, des fils de fer, des cuillers, de la
terre, du pétrole, et souvent aussi, notamment, leurs propres excré-
ments liquides et solides. Un catatonique auquel je demandais pour-
quoi il buvait son urine me répondit : « Monsieur le Directeur, si vous
aviez essayé une fois, vous ne boiriez plus jamais rien d'autre », et ce
disant il avait une expression de ravissement bienheureux.

Il n'est pas toujours possible de distinguer la parathymie de la paramimie.


Une de nos catatoniques, qui semblait mélancolique lors de son admission,
raconta peu après les formalités d'admission dans un sens tout à fait agréable :
la poignée de main du médecin, par exemple, lui serait apparue comme quel-
que chose de sacré. Une autre catatonique va vers une infirmière qu'elle
aime bien et lui dit, sans la moindre raison, avec la mine la plus aimable et
le ton le plus affectueux : « j e pense que je vais te casser la gueule à l'instant,
une bonne femme comme ça, ça s'appelle une salope ». Une troisième pa-
tiente danse et fredonne une chanson gaie, mais ce faisant elle a un visage
désespéré et une voix triste.

Le manque d'homogénéité de l'expression mentionné plus haut conduit


aussi à une sorte de paramimie. Une patiente se plaignait de ses Voix
et de ses hallucinations corporelles : sa bouche et son front montraient
une horreur nette, et ses yeux un érotisme joyeux ; au bout de quelque
temps, sa bouche prit aussi une expression joyeuse, tandis que son
front restait sombre et plissé. Elle indiquait elle-même que les senti-
ments qu'elle décrivait comme désagréables étaient agréables aussi
sous un certain rapport. Ainsi toutes les composantes élémentaires de
la mimique (y compris la voix, l'attitude, le mouvement des mains, des
pieds, etc.) peuvent-elles être dissociées et réagir de façon contradic-
toire les unes par rapport aux autres.

c) L'ambivalence

La tendance de l'esprit schizophrène à doter simultanément les élé-


ments psychiques les plus divers des signes négatif et positif (ambiva-
lence) n'est certes pas toujours très développée. Cependant, moyennant
un temps suffisamment long d'observation, on la rencontre générale-
ment même dans les cas légers, et elle est une conséquence si directe
du trouble schizophrénique des associations que son absence complète
est invraisemblable. C'est pourquoi nous la citons parmi les symptômes
fondamentaux.

La même représentation peut être teintée au même instant de senti-


ments agréables et désagréables (ambivalence affective) : le mari aime
et hait sa femme. Les hallucinations informent la mère de la mort « ar-
demment désirée » de l'enfant du mari qu'elle n'aime pas, et elle éclate
en lamentations qui n'en finissent pas. Elle a la plus grande peur qu'on
veuille l'abattre et ne cesse de supplier son entourage de le faire. Elle
dit qu'il y a dehors un homme noir ; et voici que, de la façon la plus
désordonnée, en usant de larmes, de violence, en s'agrippant, elle sup-
plie tout aussi souvent qu'on la garde ici et qu'on la laisse sortir pour
rejoindre cet homme ; elle verbigère ; « Toi, démon, toi, ange, toi, dé-
mon, toi, ange » (il s'agit de son amoureux).
Dans le cas de l'ambivalence de la volonté (« ambitendance »), le pa-
tient veut en même temps manger et ne pas manger ; il s'apprête des
douzaines de fois à porter la cuiller à sa bouche mais ne va pas jus-
qu'au bout ou fait des mouvements tout à fait différents et inutiles. Il
se rue hors de l'asile, mais résiste en vitupérant avec véhémence si
l'on veut le faire sortir. Il réclame du travail, mais est contrarié si on
lui en assigne un et ne parvient pas à se décider à le faire. Au cours
de son premier accès, il a de graves remords pour avoir sucé une fois
le pénis d'un autre garçon, dans sa jeunesse, mais quelques années
plus tard il ne cesse de chercher, avec force et brutalité, à sucer le
pénis des autres patients. Les Voix lui conseillent de se noyer et, à sa
vive surprise, se moquent de lui dans la même phrase parce qu'il veut
le faire.

Il s'agit d'ambivalence intellectuelle si le patient dit, d'un trait : « Je


suis le Docteur A. ; j e ne suis pas le Docteur A. », ou bien « Je suis
un être humain comme vous, bien que je ne sois pas un être humain »
(Foersterling). On entend fort souvent de tels propos, et ce sans qu'une
autre signification soit donnée aux mêmes mots dans la seconde phrase
que dans la première (chez les patients de Foersterling on aurait encore
pu évoquer une telle confusion).

Un catatonique qui avait une culture philosophique fit lui-même l'ob-


servation suivante : « Quand on exprime une pensée, on voit toujours
une pensée contraire. Et ceci se renforce et va si vite qu'on ne sait
plus laquelle était la première ». Et un autre, à qui j e faisais remarquer
qu'il avait répondu à une lettre amicale de sa femme par une lettre
d'adieu, disait, sur un mode plus naïf : « J'aurais tout aussi bien pu
écrire une autre lettre ; dire bonjour ou prendre congé, c'est la même
chose. »

Ainsi peut-on également constater, aussi souvent qu'on le veut, que les
patients ne remarquent même pas la contradiction quand on prend dans
un sens positif leur réponse négative. J e demande à un malade : « Avez-
vous des Voix ? » Il le nie avec assurance. Je poursuis : « Que disent-
elles donc ? » « — Oh, toutes sortes de choses. » Ou même c'est un
exemple précis qui est fourni en réponse. - Plus souvent encore, il
ressort des propos et du comportement des malades qu'ils pensent une
idée positivement et négativement en même temps, bien que cela ne
saute pas toujours autant aux yeux que dans la série de propositions
suivantes : « Elle n'avait pas de mouchoir ; elle l'a étranglé avec son
mouchoir. » Le fait qu'une idée soit exprimée par son contraire doit
être classé ici : Un patient se plaint de ce qu'on lui ait enlevé la clé
principale, alors qu'il veut réclamer qu'on la lui donne. Dans la « lan-
gue fondamentale » de Schreber, cela donne « récompense » : « puni-
tion » ; « poison » : « aliment », etc.
Les trois formes de l'ambivalence ne peuvent pas être être nettement
distinguées, ainsi qu'il ressort déjà des exemples qui précèdent. Af-
fectivité et volonté ne sont en effet que des facettes d'une fonction
homogène ; mais les antinomies intellectuelles ne peuvent souvent pas
être non plus disjointes des antinomies affectives. Le mélange de délire
de grandeur et de persécution résulte du souhait et de la crainte, ou
du fait que le malade tantôt affirme sa propre valeur et tantôt la nie.
Le patient est particulièrement puissant, et en même temps il est sans
pouvoir ; il est tout à fait banal que l'amoureux ou les protecteurs de-
viennent aussi les persécuteurs, sans abandonner le premier de ces
rôles. Il est plus rare que des ennemis deviennent des bienfaiteurs
(une paranoïde catholique était devenue vieille-catholique 70 ; elle eut
alors l'idée délirante qu'elle était persécutée par le Pape, mais celui-ci
finit par vouloir lui offrir bien des millions). C'est à peu près la même
chose quand de nombreux malades se plaignent, certes, d'une persé-
cution, mais pensent que celle-ci doit servir à les instruire, à les amé-
liorer, ou comme étape préparatoire à leur élévation.

L'ambivalence mixte se présente encore un peu différemment dans les


exemples qui suivent : une patiente louange et blâme son mari, sa si-
tuation financière ; elle dit encore bien d'autres choses pêle-mêle, po-
sitivement et négativement ; il est totalement impossible de comprendre
en quel sens elle le pense. - Un hébéphrène explique avec beaucoup
d'affectivité, sur un ton plaintif, qu'à l'asile le temps ne lui paraît ja-
mais trop long, mais trop court, et il ne se contredit jamais en cela ;
mais quelque temps auparavant il avait associé « long » à « temps ».
- On connaît ces malades qui croient que le médecin veut les empoi-
sonner et qui lui sont pourtant attachés, ou qui se plaignent amèrement
des médecins et des infirmiers pour, l'instant d'après, épancher sur
eux leur cœur débordant comme pour poursuivre ce qu'ils viennent de
dire.

L'ambivalence forme aussi toutes les transitions vers le négativisme,


notamment sous la forme de l'ambitendance. Nous verrons en outre
qu'elle joue un rôle important dans la formation des idées délirantes.

70. Secte catholique constituée en église indépendante après avoir refusé le dogme de l'in-
faillibilité pontificale en 1 8 7 0 (NDT).
I I . Les fonctions intactes

A la d i f f é r e n c e des p s y c h o s e s organiques, nous ne trouvons pas dans


la s c h i z o p h r é n i e , a v e c nos moyens a c t u e l s d'investigation, de troubles
d i r e c t s de la s e n s i b i l i t é , de la mémoire, de la « c o n s c i e n c e » ou de la
motricité. P e u t - ê t r e un p r o c e s s u s morbide extrêmement intense peut-il
aussi a l t é r e r c e s fonctions ; mais nous ne s o m m e s en aucun c a s c a p a -
b l e s de distinguer des troubles s e c o n d a i r e s c e u x qui en résulteraient.
L e s a n o m a l i e s que nous c o n n a i s s o n s dans c e s domaines sont toutes
des p h é n o m è n e s s e c o n d a i r e s , donc contingents, bien que, comme par
e x e m p l e les h a l l u c i n a t i o n s , e l l e s dominent souvent l ' e n s e m b l e du ta-
b l e a u pathologique. E l l e s doivent être c i t é e s parmi les symptômes « a c -
c e s s o i r e s ».

Dans la littérature, on trouve mention d'altérations de ces fonctions. Mais


elles reposent sur des erreurs dues au négativisme, à l'indifférence et à la
paresse à penser, mais aussi, notamment, aux réponses irréfléchies des ma-
lades. Masselon a méconnu ces sources d'erreurs, ainsi que d'autres du même
genre, quand il dit (457, p. 115) qu'il serait rare que les malades connaissent
l'année, le mois, le jour ; d'après lui, ils ne connaîtraient souvent même pas
les saisons. On doit toujours s'informer soigneusement par des voies indirectes
des connaissances des malades ; de simples réponses négatives ne doivent jamais
faire conclure à leur ignorance. La simple demande du millésime, par exem-
ple, reçoit souvent une réponse négative, tandis que les mêmes malades se
montrent parfaitement orientés quant à la date, par exemple quand ils écrivent
une lettre. Une malade venue de prison ne « sait » pas l'année, 1899, mais
sitôt après elle indique qu'elle est « entrée en prison en 1897, et y est donc
restée deux ans ».

Souvent, des troubles sont simulés par le fait que l'examinateur et le patient
ne parlent pas le même langage. Le patient prend dans un sens symbolique
ce que le médecin entend au sens propre. Ainsi un malade prétend-il ne pas
pouvoir voir, être aveugle, alors qu'il y voit fort bien mais ne perçoit pas les
objets « comme une réalité ». S'entendant demander depuis quand elle était
là, une patiente qui avait fourni par ailleurs de nombreuses preuves
d'orientation temporelle exacte et séjournait à l'asile depuis quatre semaines
affirma avec une grande certitude être là depuis trois jours. Mais cette dé-
termination d'une durée de trois jours était pour elle identique avec celle de
« toute ma vie ». Elle expliqua alors elle-même que le premier jour avait été
celui où elle avait commis une faute morale dans sa prime jeunesse, le second
celui où, devenue adulte, elle avait fait la même chose, et le troisième n'était
pas encore parvenu à sa fin ; cette dernière allégation se référait indubita-
blement au fait qu'elle avait reporté son amour sur le médecin de la section.
L'inverse se voit tout aussi souvent ; une tournure figurée quelconque est
prise au pied de la lettre par le patient.
Il est particulièrement important de savoir que les malades ont une compta-
bilité double71 sous de nombreux rapports. Ils connaissent tant les conditions
exactes que les conditions falsifiées et, selon les circonstances, répondent
dans le sens de l'un ou de l'autre type d'orientation - ou des deux en même
temps, cette dernière modalité étant notamment fréquente dans le cas de
fausses reconnaissances de personnes : le médecin est là maintenant en tant
que Docteur N. (c'est-à-dire qu'à d'autres moments il est l'ancien amoureux).

a) La sensation et la perception

La sensibilité aux stimulus extérieurs est normale en soi. Certes, les


malades se plaignent éventuellement que tout leur paraisse différent
de d'habitude, et il n'est pas rare que nous constations un défaut de
« sentiment de familiarité » ; mais il s'agit là du manque d'associations
coutumières (voir le chapitre « erreurs sensorielles ») et, notamment,
d'une altération de la charge affective, non d'un trouble sensitif ; le
cas échéant, certaines perceptions semblent tout à coup différentes de
l'ordinaire à un sujet normal aussi et, de la mélancolie, nous connais-
sons la « grisaille du monde ». On fait encore plus fréquemment l'hy-
pothèse que les sensations qui nous parviennent des organes de notre
corps seraient altérées dans cette maladie, et l'on a voulu rapporter à
cela une foule de symptômes complexes. Mais il est impossible de
distinguer les sensations des patients des hallucinations et illusions
dont font à coup sûr partie beaucoup de ces paresthésies, sinon toutes.
En tout cas, il est souvent possible de prouver que de telles sensations
sont la conséquence de représentations teintées d'affect, tandis qu'il n'y
a pas encore de preuve certaine d'un trouble sensitivo-sensoriel pri-
maire.
Rosenfeld (626/7) prétend que le sens stéréognosique serait souvent perturbé
dans la catatonie. Je ne l'ai point constaté, malgré une recherche assidue, et
je ne puis me défaire du soupçon que cet auteur ait pu se laisser induire en
erreur par le négativisme, les barrages ou la mauvaise volonté des patients.
Wiersma a observé dans trois cas de « paranoïa » un allongement de l'effet
a posteriori des stimulus, mais pas de façon si constante qu'on puisse déjà
tirer des conclusions de cette observation.
Il n'est pas rare qu'une analgésie complète touchant tant les parties
profondes que la peau soit présente chez des patients dont la
conscience est parfaitement claire. C'est pourquoi ces malades peuvent,

71. Doppelte Buchführung.


intentionnellement ou non, s'infliger de graves blessures, s'énucléer un
œil, s'asseoir sur le poêle chaud et se brûler les fesses, etc. Selon
Alter ( I I , p. 252), la sensation douloureuse peut être effacée par l'at-
tention.
Nous ne connaissons jusqu'à maintenant pas de troubles primaires non
plus au niveau de la perception, que nous ne sommes pas toujours
capables de distinguer nettement de la sensation au cours de nos ob-
servations ; car nous ne sommes naturellement pas en droit de compter
parmi eux les hallucinations et les illusions. Il s'agit tout aussi peu
d'un trouble de la perception quand la fascination ne permet pas aux
malades de se détacher d'une impression sensorielle, ou quand des
barrages isolent de la conscience les sensations et les perceptions. Ce
dernier cas n'est pas si rare. Un étudiant hébéphrène se plaignait de
ne parfois plus rien entendre du cours, subitement ; c'était comme s'il
devenait sourd ; un autre ne voyait soudain plus rien, ce qu'il expliquait
par quelque influence mystérieuse ; une catatonique a « comme un
coup » ; alors, c'est comme si ses oreilles se fermaient soudain, elle
n'entend plus que le son, mais elle ne comprend rien.

Busch et Kraepelin ont trouvé que les schizophrènes font plus de fautes, et
notamment d'omissions, au disque de tir' 2 et au tambour' 3 que les sujets
sains. Chez certains malades, le nombre des lectures exactes est un peu di-
minué, mais se situe dans les limites de la normale. Naturellement, ce sont
les malades aigus, notamment stuporeux, qui ont les pires résultats. Mais les
tests montrent nettement que l'on n'a pas à faire, pour l'essentiel, à un trouble
de la perception, mais à des troubles de l'attention et de l'intérêt supérieur.
La tendance aux stéréotypies joue aussi un rôle dans certains cas. Il en va
de même de la difficulté à distinguer représentations et perceptions. Lors des
erreurs de lecture, les malades ont un plus grand sentiment de certitude de
ce qu'ils ont saisi de façon erronée que les sujets sains. Ce qui est caracté-
ristique, c'est que les auteurs ont trouvé chez une patiente qu'ils considé-
raient comme hystérique les mêmes troubles que chez les schizophrènes.

Ailleurs (388, vol. II, p. 177), Kraepelin mentionne que des stimulus d'action
très brève sont en règle perçus très incomplètement. Nous n'avons pas pu
vérifier les tests avec des appareils précis. Mais l'observation de la réaction
aux stimulus extérieurs, lors du jeu, des bagarres, l'examen en montrant des
images le plus brièvement possible ne nous ont encore montré, chez des pa-
tients faisant montre de bonne volonté et d'une attention correcte (et en l'ab-

72. D i s q u e perforé tournant permettant d'explorer la vitesse et la précision de la réaction


aux stimulus visuels (NDT).
73. Tambour tournant sur l e q u e l est appliqué une feuille de papier que l e s patients doivent
lire (NDT).
sence d'obnubilation), aucune anomalie de l'intégration des perceptions,
quand nous pouvions exclure négativisme, désintérêt, détachement affectif,
obnubilation, etc. Même dans des états marqués de délire aigu, les malades
peuvent, au moins aussi bien que les sujets sains, conclure à l'approche de
certaines personnes à partir du bruit des pas, d'un toussotement éloigné, etc.
C'est pourquoi nous souhaitons laisser encore en suspens la question de savoir
si, dans le cas des résultats de Kraepelin, il ne s'agit pas de troubles de
l'attention, des associations d'idées, ou d'autres processus centraux. Kraepelin
lui-même ajoute à cette information « que les malades, à côté de rares don-
nées exactes, en fournissent toujours une quantité extraordinairement impor-
tante de totalement fausses, signe de ce que la tendance à l'allégation
arbitraire de n'importe lesquelles des représentations qui se présentent était
augmentée ».

b) L'orientation

L'élaboration des perceptions en vue de Vorientation spatiale et tempo-


relle est tout à fait bonne elle aussi ; même des schizophrènes présen-
tant un délire aigu sont en grande partie orientés dans l'espace, voire
même dans le temps. Néanmoins, des troubles secondaires importants
ne sont pas rares ici. Des hallucinations massives peuvent fournir à
l'esprit une telle foule d'images fausses de l'environnement, à la place
des perceptions réelles, qu'une intégration correcte devient impossible.
Qui voit à son entour une salle du Trône et non une section de malades
n'est naturellement pas capable, à ce moment, de s'orienter correcte-
ment. Qui, pour des motifs complexuels touchant au calcul du temps,
a l'idée délirante d'être huit jours en avance nommera une date anti-
cipée dans la plupart des contextes. Qui a l'idée délirante d'avoir vécu
en même temps que le Christ ne peut donner sa date de naissance et
son âge corrects que quand il n'est pas en train de prendre cette idée
en compte. Il répondra donc tantôt correctement, tantôt de façon erro-
née, selon le contexte. D'une façon générale, la comptabilité double ne
ressort nulle part si nettement que dans le cas de l'orientation. Un
patient peut, des années durant, ne presque rien dire d'autre qu'une
salade de mots, agir conformément à cela, et en même temps enregistrer
jour pour jour et heure pour heure tout ce qui se passe à côté de lui.

L'orientation dans la situation générale, la connaissance du rapport pro-


pre du malade aux personnes de l'entourage et aux aspirations et aux
dispositions de celles-ci repose sur des conclusions intellectuelles très
complexes, qui sont souvent impossibles à nos malades à cause en
partie du trouble des associations et en partie d'idées délirantes. Qui
ne peut plus utiliser pour ses opérations logiques toutes les associations
qui se rapportent à sa situation par rapport à ses supérieurs ne peut
pas non plus se faire une image claire de sa position sociale, et qui
se croit interné à l'asile à cause des intrigues d'ennemis cachés ne
peut pas considérer qu'il soit mieux pour lui d'y rester. Ainsi donc,
cette orientation dans sa propre situation est très fréquemment perturbée
dans la schizophrénie — voire même presque toujours chez les malades
d'asile.
Mais l'orientation dans l'espace et dans le temps n'est jamais perturbée
de façon primaire.

c) La mémoire

La mémoire en tant que telle n'est pas altérée non plus dans cette
maladie. Les patients évoquent aussi bien que les sujets sains leurs
vécus de l'époque tant antérieure que postérieure à l'affection - et ces
derniers, dans de nombreux cas, mieux encore que les sujets bien por-
tants, en enregistrant comme une caméra photographique, qui fixe tout
aussi bien ce qui est accessoire que ce qui est important. Aussi peu-
vent-ils souvent fournir plus de détails qu'un sujet normal n'en ra-
conterait, ce qui peut être un avantage, par exemple lors de l'examen
anamnestique à l'asile. Souvent les malades fixent aussi les dates et
autres bagatelles de ce genre d'une façon étonnamment tenace, et cer-
tains paranoïdes, en particulier, sont même capables de donner la date
de tous les événements qu'ils relatent dans leurs longues requêtes 74 .
« J e connais des cas de paranoïa dans lesquels l'attention est attirée
par une altération singulière de la mémoire, qui a presque l'allure d'une
hyperfonction (hypermnésie). Les paranoïaques en question se souvien-
nent de chacun des moindres détails d'un événement datant d'un passé
lointain 75 ...

L'usure progressive des souvenirs ne fait naturellement pas défaut chez


nos malades. Certaines connaissances scolaires se perdent avec le
temps. Mais si l'on compare tout ce qu'oublie un sujet normal, par
exemple de son savoir scolaire, on est souvent forcé de s'étonner du
stock mnésique qui demeure encore chez nos malades. Même des ca-
pacités physiques à propos desquelles on pense communément que

7 4 . On notera dès à présent que l e s paranoïdes qu'évoque ici B l e u l e r sont des paranoïaques
dans toute autre c l a s s i f i c a t i o n que la s i e n n e . Voir note suivante à c e propos (NDT).
7 5 . Berze ( 5 8 , p. 4 4 3 ) . Cet auteur range notre forme paranoïde dans la paranoïa (NDA).
l'exercice des articulations et des muscles doit jouer un rôle peuvent
être soudain réutilisées après de nombreuses années d'interruption,
comme si elles avaient toujours été exercées. Une catatonique qui
n'avait pour ainsi dire pas fait un mouvement normal pendant trente
ans, et qui n'avait plus touché un piano depuis des années, peut jouer
subitement un quelconque morceau difficile sur le plan technique, cor-
rectement et avec expression.

Cependant, nous entendons quotidiennement dans les anamnèses que


le « manque de mémoire » aurait été le premier ou l'un des principaux
symptômes de la maladie, et les patients eux-mêmes se plaignent sou-
vent de leur mémoire. Des observateurs comme Masselon (457, p. 105)
trouvent aussi la « mémoire » affaiblie dans la démence précoce. Cet
auteur prétend même avoir trouvé qu'elle serait mauvaise pour les
choses complexes et bonne pour les choses simples 76 (p. 117).

Ziehen trouve lui aussi une altération de la mémoire dans tous ses
« états déficitaires », bien que pas aussi nette au début que dans la
paralysie générale 77 .

Cette contradiction apparente peut être levée très aisément. Ce qui est
bon, dans la schizophrénie, c'est l'enregistrement du matériel fourni par
l'expérience sensible et la conservation des traces mnésiques. Mais l'évoca-
tion du vécu peut être perturbée à un moment donné, ce qui paraît évident,
si l'on songe qu'elle doit se produire par la voie des associations, qu'elle
est influencée par l'affectivité, et que ce sont justement ces deux fonc-
tions qui sont particulièrement atteintes dans la schizophrénie.

76. Masselon dit aussi (p. 110) qu'aucun détail ne peut être répété ; ceci aussi est faux.
Quand il mentionne eri outre qu'une élève sage-femme aurait perdu toutes les connaissances
acquises durant sa scolarité mais se souviendrait de son enfance, il s'agit là d'un hasard
qui doit reposer soit sur les complexes des patients, soit encore sur le mode de question-
nement. Par contre, quand Masselon trouve une « stéréotypie de la mémoire », l'observation
est juste : il arrive effectivement souvent que les opérations mnésiques se stéréotypent elles
aussi, comme d'autres fonctions, si bien que quand on aborde, fût-ce de loin seulement, un
certain thème, le même matériel mnésique ne cesse d'être évoqué, souvent même avec les
mêmes mots (NDA).
77. J e n'ai pas encore rencontré non plus d'altération de la mémoire respectivement dans
l'idiotie et l'imbécillité, quoique d'autres auteurs encore que Ziehen l'y décrivent aussi. Nos
conceptions de la « mémoire » doivent diverger. 11 me paraît évident qu'un idiot peut tout
aussi peu garder en mémoire un propos ou un événement qu'il n'a pas compris que moi un
opéra chinois ; cependant il est beaucoup d'imbéciles qui gardent en mémoire plus de détails
qu'ils n'ont pas compris que la plupart des sujets normaux (table de multiplication, sermons
entiers) et qui évoquent avec une grande expressivité, des décennies plus tard, les événe-
ments qu'ils ont compris, même s'ils disposent à peine de la parole. Je n'appelle un examen
examen de la mémoire que s'il se rend aussi indépendant que possible d'autres troubles tels
que le manque de compréhension dans l'idiotie, les barrages, le désintérêt et la paresse à
penser dans la schizophrénie (NDA).
Les barrages sont fort fréquents lors de l'évocation des souvenirs durant
l'examen médical, et empêchent par moments la reviviscence des traces
mnésiques, surtout celles des complexes chargés d'affect. Les dérail-
lements des associations produisent une foule de réponses erronées :
le désintérêt, ou même des tendances négativistes, empêchent une ré-
flexion correcte et favorisent réponses irréfléchies et propos à côté.
Il est donc naturel que nous ne recevions très fréquemment aucune
réponse, ou des réponses erronées, quand nous interrogeons les schizo-
phrènes ; que la réponse nécessite une opération mnésique ou une réfle-
xion, le résultat est en règle à peu près le même ; les malades répondent
également tout aussi inexactement s'ils doivent commenter quelque chose
d'actuel. Ceci nous montre que nous ne sommes pas en droit de situer
cette perturbation au niveau de la mémoire. Naturellement, des fonctions
complexes et peu exercées courent plus de risques d'achopper sur un de
ces écueils que des fonctions simples et quotidiennes, si bien que Mas-
selon a raison sous un certain rapport. Mais si l'on observe la proportion
numérique entre l'échec des opérations simples et celui des opérations
complexes, on acquiert nécessairement la conviction que les activités
psychiques élémentaires sont tout autant touchées par le processus pa-
thologique que les fonctions complexes ; l'influence de la maladie de-
vient seulement plus souvent manifeste dans le cas de ces dernières,
exactement de la même façon que l'influence de l'usure normale de la
mémoire lèse moins le souvenir du lieu où l'on est allé à l'école que,
par exemple, celui des aventures d'Alexandre le Grand.

Avec nos moyens d'investigation actuels, la mémoire en tant que telle


n'est donc pas perturbée dans la schizophrénie simple ; ce qui est parfois altéré,
c'est la capacité de reviviscence des traces mnésiques, mais ce de façon se-
condaire, du fait des perturbations générales de tous les processus asso-
ciatifs et affectifs, et seulement pour certaines constellations psychiques.
Aussi peut-il se faire que les patients semblent oublieux, que souvent
ils ne puissent pas se souvenir des choses les plus simples, que ce
qu'ils voulaient faire à l'instant leur échappe, ou même qu'ils deman-
dent plusieurs fois la même chose en la même compagnie, sans s'en
rendre compte, comme des séniles. Mais il importe surtout de noter
que, selon les circonstances, les malades tantôt savent et tantôt ont
« oublié » la même chose.
Naturellement, la fonction mnésique peut aussi être altérée par d'autres
facteurs psychiques encore. Il peut arriver qu'un patient fournisse une
information très bonne et claire sur l'époque antérieure à l'affection,
mais qu'il se perde dans un manque de clarté et une prolixité confuse
dans ses descriptions de l'époque de sa maladie, si bien que les vécus
psychiques de la maladie ne peuvent absolument pas être dépeints
avec les mots de la langue de tous les jours. S'y joint aussi le fait que
les vécus de la maladie sont dépourvus de cohérence logique tant pour
le patient que pour l'observateur, si bien que tous deux croient être
en face d'un cours de pensée confus même en cas d'évocation tout à
fait exacte.
Busch s'est aperçu, chose étonnante, que lors des tests de lecture au disque
de tir une pause de 10 secondes entre perception et évocation, qui améliore
les résultats chez les sujets bien portants, entraîne chez les schizophrènes
une dégradation qu'on retrouve aussi dans le cas d'une pause de 30 secondes.
Vraisemblablement cet état de fait est-il en relation plus avec l'insuffisance
d'élaboration des impressions sensitivo-sensorielles chez les schizophrènes
qu'avec ce que nous appelons mémoire.

d) La conscience

Aucun concept clair ne correspond à l'expression « troubles de la


conscience », qui se recoupe jusqu'à un certain point avec la vieille
appellation de « trouble du sensorium ». Orientation et mémoire for-
ment une composante essentielle de la conscience prise en ce sens 78 .

78. « Conscience » signifie d'abord cette propriété (non descriptible) des processus psychi-
ques qui distingue l'être sensible des automates. Ou cette conscience est présente, ou elle
fait défaut ; et cette dernière éventualité non pas dans les psychoses, mais dans le coma,
dans l'évanouissement profond. Il n'existe pas de trouble qui aille dans le sens d'une para-
fonction de la conscience. Tout au plus peut-on imaginer qu'elle soit altérée quantitativement,
dans la mesure où plus ou moins de processus psychiques peuvent être conscients au même
moment et où ces processus doivent avoir une plus ou moins grande intensité pour devenir
conscients. Mais ces idées ne peuvent être mises en pratique : la « conscience » d'un idiot
a sûrement souvent bien moins de contenu que celle d'un épileptique en état crépusculaire
ou d'un rêveur intelligents, et pourtant nous qualifions la première de normale et la seconde
de troublée. Et en ce qui concerne l'intensité nécessaire des stimulus, un stimulus minimal,
qui ne serait même pas pris en compte à l'état normal par la même personne, peut fort bien
devenir conscient dans un « état crépusculaire » (Etat crépusculaire hystérique !). Les sti-
mulus intrinsèques sont aussi très conscients, en général, dans les états crépusculaires, sans
que nous ayons de raison de supposer qu'ils aient une intensité particulière. Car nous ne
savons absolument rien de la dynamique des processus psychiques. Le mot « conscience »
revêt une signification tout à fait différente si l'on parle déjà d'une « conscience perturbée »
en cas d'orientation défectueuse et de rapport insuffisant avec le monde extérieur ; il y a
même des gens qui parlent d'un trouble de la conscience si des idées délirantes se mani-
festent. Parfois, le souvenir a posteriori fut aussi considéré comme indice de la présence de
la conscience à un moment donné. - Il devrait être clair qu'on ne saurait rien tirer d'une
telle notion. - Tout aussi impropre est le concept de conscience de soi, qui a donné lieu à
beaucoup de confusion. Qui a une conscience ne se confond sûrement pas lui-même avec
le monde extérieur, et doit donc avoir aussi conscience de soi, au sens où l'entendent les
psychologues. Sans doute sa conscience de soi ne peut-elle donc pas être altérée non plus.
Mais si l'on entend par là la compréhension de sa propre personnalité, alors nous utiliserons
de préférence cette dernière expression, plus claire, pour désigner ce phénomène (NDA).
Car la « conscience du temps et du lieu » n'est rien d'autre que l'orien-
tation dans le temps et l'espace. Quoi qu'il en soit, dans le cas des
anomalies de la conscience (« troubles du sensorium »), il s'y ajoute
généralement encore un trouble primaire, non seulement dans la syn-
thèse des impressions sensorielles en une représentation figurative du
temps et du lieu, mais aussi sous la forme d'une altération de la sen-
sation et de la perception ; les stimulus sensoriels ne sont en grande
partie (mais jamais tous !) même pas enregistrés, ou alors ils sont trans-
formés dans un sens illusoire par l'interprétation ; par contre, l'esprit
se crée de l'intérieur son propre monde, qui est projeté vers l'extérieur.
Nous parlons alors d'états crépusculaires.
La conscience, en ce sens que les patients perdraient le rapport sensoriel
avec l'environnement, n'est donc pas altérée dans les états chroniques de
la schizophrénie ; sous ce rapport, les schizophrènes se comportent comme
des sujets bien portants. Par contre, il y a bien souvent des syndromes
aigus qui sont tout à fait analogues à un état crépusculaire hystérique,
ainsi que des états confusionnels d'origines les plus diverses. En outre,
ce symptôme permanent qu'est l'autisme (voir chapitre suivant) peut
en un certain sens être qualifié de trouble de la conscience.

e) La motricité

Eu égard à nos méthodes d'investigation actuelles, la motricité s'avère


n'être altérée que de façon accessoire (catalepsie, etc.). Les patients
sont éventuellement très adroits, la part psychomotrice du langage ne
présente rien d'anormal, et tout aussi peu celle de l'écriture 79 ; même
des mouvements aussi finement nuancés que ceux du jeu de violon ne
semblent point perturbés ; néanmoins, un jeu accompli sera rare, mais
pour des motifs relevant de l'intégration musicale et affective.

7 9 . Voir les anomalies accessoires de l'écriture plus bas (NDA).


B . Les fonctions c o m p l e x e s

Naturellement, les fonctions complexes qui résultent du concours de


celles qui ont été citées jusqu'à maintenant - attention, intelligence,
volonté et activité - sont perturbées dans la mesure où le sont les
fonctions qui les conditionnent, et parmi lesquelles seules les associa-
tions et l'affectivité entrent en ligne de compte ici. Mais la relation de
réciprocité entre la vie intérieure et le monde extérieur subit une al-
tération très particulière et caractéristique de la schizophrénie. La vie
intérieure acquiert une prépondérance pathologique (Autisme).

a) Le rapport à la réalité. L'autisme

Les schizophrènes les plus graves, qui ne cultivent plus aucune rela-
tion, vivent dans un monde en soi ; ils se sont enfermés dans leur
chrysalide avec leurs souhaits, qu'ils considèrent comme exaucés, ou
avec les souffrances de leur persécution, et ils limitent le contact avec
le monde extérieur autant qu'il est possible.
Nous appelons autisme80 ce détachement de la réalité combiné à la
prédominance relative ou absolue de la vie intérieure.
Dans des cas moins prononcés, la réalité a seulement perdu plus ou
moins d'importance sur le plan affectif ou sur le plan logique. Les
malades sont encore impliqués dans le monde extérieur, mais ni l'évi-

80. L'autisme est à peu près la même chose que ce que Freud appelle autoérotisme. Mais
comme la libido et l'érotisme sont pour cet auteur des concepts beaucoup plus larges que
pour d'autres Ecoles, ce terme ne peut guère être utilisé ici sans donner lieu à de nombreuses
méprises. Le terme autisme dit pour l'essentiel, en positif, la même chose que ce que P. Janet
(321) qualifie, en négatif, de « perte du sens de la réalité ». Mais nous ne pouvons accepter
sans autre forme de procès cette dernière expression, parce qu'elle prend ce symptôme d'une
façon beaucoup trop générale. Le « sens de la réalité » ne fait pas totalement défaut au
schizophrène, il échoue seulement pour les choses qui se sont précisément mises en oppo-
sition avec ses complexes. Nos patients d'asile, qui sont tout de même relativement graves,
peuvent saisir et retenir très correctement la majeure partie de ceux des événements de
l'asile qui sont sans importance pour leurs complexes. On peut en obtenir des anamnèses
détaillées qui se confirment, etc., bref, ils montrent tous les jours que le sens de l'appré-
hension de la réalité n'a pas disparu chez eux, mais que cette faculté n'est inhibée et altérée
que dans certains contextes. Le même malade qui ne s'est pas soucié de sa famille durant
des années peut énumérer tout à coup une foule de motifs justes pour lesquels sa présence
à la maison serait nécessaire, s'il s'agit pour lui d'échapper à ses persécuteurs de l'asile.
Mais cela ne l'empêche pas de ne pas tirer les autres conséquences de ses réflexions. S'il
est réellement relâché, ou si l'on met des conditions aisées à remplir à sa sortie, il ne lui
vient à l'esprit que dans de fort rares cas de faire quelque chose pour la réalisation de ses
« souhaits » pour sa famille (NDA).
dence ni la logique n'ont d'influence sur leurs souhaits ni leur délire.
Tout ce qui est en contradiction avec les complexes n'existe tout sim-
plement pas pour leur pensée ni pour leur sensibilité.
Une dame intelligente, prise à tort pour une neurasthénique durant de
nombreuses années, a « construit un mur autour d'elle, si étroit qu'elle
avait souvent l'impression d'être dans une cheminée ».

Une patiente par ailleurs tout à fait présentable chante dans un concert,
mais ne peut alors plus s'arrêter. Le public commence à siffler et à
faire toutes sortes de bruits ; elle ne s'en soucie pas, continue à chanter,
et se sent très satisfaite quand elle a terminé. Une demoiselle cultivée,
de la maladie de laquelle on ne remarque presque rien, dépose soudain
ses fèces au milieu du salon, devant témoins, et ne comprend absolu-
ment pas l'indignation de son entourage. Depuis dix ans, un patient
me donne de temps en temps des billets sur lesquels sont toujours
écrits les quatre mêmes mots, qui signifient qu'il est interné abusive-
ment ; cela ne lui fait rien de me donner une demi-douzaine de ces
billets à la fois ; il n'en comprend pas l'absurdité, quand on lui de-
mande des explications. Pourtant, ce malade porte un bon jugement
sur les autres et travaille de façon autonome dans la section. De façon
habituelle, les schizophrènes nous donnent souvent aussi une multitude
de lettres sans attendre de réponse, ou bien ils nous reposent oralement
la même question une douzaine de fois de suite, sans même nous laisser
le temps d'une réponse. Ils prophétisent un événement quelconque pour
un jour précis. Que ce qu'ils ont prédit n'arrive pas les trouble si peu
que, dans de nombreux cas, ils ne cherchent même pas d'échappatoire.

Même là où la réalité est apparemment identique aux productions mor-


bides des patients, elle est souvent ignorée.

Le souhait de très nombreux patients tourne autour de leur libération ; ils


restent indifférents à leur sortie réelle. Un de nos malades qui avait un
complexe des enfants 81 marqué commit une tentative de meurtre sur sa femme
parce qu'il n'avait eu que quatre enfants d'elle en dix ans ; il se montre tout
à fait indifférent envers ses enfants réels. D'autres aiment une personne don-
née ; si elle est physiquement présente devant eux, cela ne leur fait nul effet ;
si elle meurt, ils restent indifférents. Le malade ne cesse de réclamer la clé
de la section ; s'il la reçoit, il ne sait qu'en faire et il la rend. Il cherche
mille fois par jour à ouvrir la porte ; si on ne la verrouille pas, il devient
perplexe et ne sait que faire. Au cours de la visite, il ne cesse de poursuivre

8 1 . Voir glossaire.
le médecin de « Permettez, Monsieur le Docteur ». Si on lui demande ce qu'il
souhaite, il est tout étonné et ne sait que dire 82 . Pendant des semaines, une
mère réclame de voir son enfant, usant de tous les artifices ; si on lui en
donne la permission, elle préfère un verre de vin. Une femme réclame le
divorce pendant des années ; une fois qu'elle est enfin divorcée, elle n'y croit
pas du tout et se met en fureur si on ne l'appelle pas par son nom de femme
mariée. De nombreux malades se consument d'angoisse à l'idée de la mort,
mais n'ont eux-mêmes pas le moindre égard pour la préservation de leur
existence et restent totalement insensibles à des menaces réelles.

L'autisme ne peut nullement être toujours remarqué dès le premier


coup d'œil. Le comportement de nombreux patients ne présente rien
de particulier au premier abord ; ce n'est que lors d'une observation
assez longue que l'on voit à quel point ils cherchent toujours leurs
propres voies, et combien peu ils se laissent approcher par leur en-
tourage. Même des malades chroniques assez graves ont souvent une
relation tout à fait bonne avec leur entourage dans les choses de la
vie quotidienne qui leur sont indifférentes ; ils bavardent, participent
à des jeux, cherchent encore souvent des stimulations - mais les choi-
sissent ; ils gardent leurs complexes pour eux, n'en disent jamais mot
et ne veulent pas qu'on y touche de l'extérieur.

Ainsi l'indifférence des malades à l'égard de ce qui devrait être de


leur intérêt le plus proche et le plus grand devient-elle compréhensible.
Pour eux, ce sont d'autres choses qui sont les plus importantes. Ils ne
réagissent plus aux influences provenant de l'extérieur et paraissent
« stuporeux », même quand nulle autre perturbation n'inhibe leur vo-
lonté et leur activité. Sans doute le monde extérieur leur paraît-il sou-
vent véritablement hostile, en les dérangeant dans leurs rêveries. Mais
il est aussi des cas où la fermeture au monde extérieur a un motif
contraire : au début, notamment, certains malades craignent tout à fait
consciemment le contact avec la réalité, parce que leurs affects sont
trop intenses et qu'il leur faut éviter tout ce qui peut leur donner de
l'émotion. L'indifférence à l'égard du monde extérieur est alors se-
condaire, due à une sensibilité excessive.

L'autisme s'exprime aussi dans l'apparence de beaucoup de malades


(pas intentionnellement, d'habitude, naturellement). Non seulement ils
ne se soucient de rien de ce qui se passe autour d'eux, mais ils restent
en permanence assis, détournant leur visage, ne regardant que le mur

8 2 . Une patiente qui avait fait venir le médecin parvint, après quelques instants de per-
plexité, à exprimer son souhait en montrant son anneau nuptial (NDA).
vide ; ou bien ils bouchent leurs orifices sensoriels, remontent leur
tablier ou leur couverture sur leur tête ; et la position recroquevillée,
qui était très fréquente jadis, alors qu'on abandonnait plus les malades
à eux-mêmes, semble même indiquer qu'ils s'efforcent d'isoler le plus
possible du monde extérieur toute leur surface cutanée sensible.
Les patients ne peuvent pas rectifier, ou difficilement seulement, les
malentendus qui résultent du cours autistique des idées.
Une hébéphrène est allongée (de mauvaise humeur) sur un banc. En me
voyant, elle veut se lever. Je la prie de ne pas se déranger. Elle répond d'un
ton irrité que si seulement elle pouvait rester assise, elle ne s'allongerait
pas ; c'est-à-dire qu'elle s'est imaginé que j e lui faisais un reproche parce
qu'elle était couchée sur le banc. Je lui renouvelle à plusieurs reprises, en
termes différents, mon invitation à ce qu'elle reste tranquillement allongée ;
mais elle n'en devient que plus irritée. Tout ce que j e dis est interprété de
façon erronée dans le sens de son cours de pensée autistique.

Pour les malades, le monde autistique est tout autant réalité que le
monde réel, encore que ce soit parfois une autre sorte de réalité. Ils ne
peuvent souvent pas distinguer ces deux sortes de réalité, même quand
ils les différencient en principe. Un patient a entendu parler du docteur
N. ; aussitôt après, il demande si ça a été une hallucination, ou si nous
avons vraiment parlé du docteur N. Busch a démontré par ses tests de
lecture la mauvaise distinction entre représentation et perception.

La valeur de réalité du monde autistique peut aussi être plus grande


que celui de la réalité effective ; les malades considèrent alors leurs
productions imaginaires comme le réel, et la réalité comme un simu-
lacre ; ils ne croient plus au témoignage de leurs propres sens. Schre-
ber qualifie ses infirmiers « d'hommes bâclés à la six-quatre-deux ».
Le malade peut pourtant savoir que d'autres gens jugent l'environne-
ment de telle et telle façon ; il sait aussi que lui-même le voit sous
cette forme, mais pour lui ce n'est pas réel : « On dit que vous êtes
Monsieur le Docteur, mais je ne le sais pas ». A un degré de plus, le
malade dit : « Mais j e ne le crois pas », ou même « Mais vous êtes en
fait le ministre N ». Au degré extrême, la réalité est transformée par
des illusions et remplacée, pour une part notable, par des hallucina-
tions (états crépusculaires).

Dans les états hallucinatoires communs, la surestimation des illusions


est certes de règle ; à côté de cela, pourtant, les malades agissent et
s'orientent encore dans le sens de la réalité. Beaucoup n'agissent tou-
tefois pas du tout, même plus dans le sens de leurs pensées autistiques.
Cela peut se voir dans un état stuporeux, ou bien l'autisme lui-même
peut atteindre un degré si élevé que même l'activité a perdu ses rap-
ports avec la réalité qui a été barrée de l'esprit, et que les malades
essaient tout aussi peu qu'un rêveur d'agir sur le monde réel. Naturel-
lement, ces deux perturbations, barrage moteur de la stupeur et négli-
gence à l'égard de la réalité, vont souvent de pair.
Des malades lucides paraissent souvent beaucoup moins autistiques
qu'ils ne le sont, parce qu'ils peuvent réprimer les pensées autistiques
ou ne s'en préoccuper que sur un plan théorique 83 , comme certains
hystériques, mais qu'ils ne les laissent habituellement avoir aucune
influence sur leur activité, ou très peu. Mais nous ne gardons pas ces
malades sous les yeux ; nous les laissons sortir améliorés ou guéris.
Un isolement complet et permanent vis-à-vis de la réalité ne se voit
éventuellement, pour autant que ce soit le cas, qu'au cours des degrés
les plus intenses de la stupeur. Dans les cas plus bénins, non seulement
le monde réel et le monde autistique coexistent, mais ils s'amalgament
souvent l'un à l'autre de la façon la plus illogique. Le médecin n'est
pas seulement le médecin de l'asile à un moment et le cordonnier N.
à un autre moment, mais il est les deux dans un seul et même contenu
idéique du malade. Une patiente qui est encore relativement sociable
et largement capable de travailler se fait une poupée de chiffons qu'elle
considère comme l'enfant de son amant imaginaire. Quand celui-ci part
pour Berlin, elle veut la lui envoyer, mais commence par prudence par
aller à la police pour demander si ce n'est pas une escroquerie que
de faire voyager cet enfant comme un bagage et non avec un billet
personnel.
Souhaits et craintes forment le contenu de la pensée autistique ; souhaits
seulement, dans les cas pas très fréquents où la contradiction avec la
réalité n'est pas ressentie ; craintes, quand les obstacles qui s'opposent
aux souhaits sont perçus. Même là où il ne surgit pas d'idées délirantes
à proprement parler, l'autisme est décelable dans l'incapacité des ma-
lades à compter avec la réalité, dans leur réaction inadaptée aux in-
fluences extérieures (irritabilité), et dans leur manque de résistance à
n'importe quelles lubies et pulsions.
De même que le sentiment autistique est détourné de la réalité, la
pensée autistique a ses propres lois : l'autisme use certes des rapports

8 3 . L a p r é o c c u p a t i o n , si f r é q u e n t e c h e z d e j e u n e s h é b é p h r è n e s , p o u r l e s « p r o b l è m e s m a -
j e u r s » , c ' e s t - à - d i r e c e u x où l ' o n n e p e u t t r a n c h e r , o ù la r é a l i t é n ' i n t e r f è r e p a s , n ' e s t r i e n
d ' a u t r e q u ' u n e a c t i v i t é a u t i s t i q u e . - F r e u d a p p e l l e d o u t e et i n c e r t i t u d e un p r e m i e r d e g r é d e
son auto-érotisme ( J a h r b u c h fur Psychanalyse, vol. I, p. 410) (NDA).
logiques ordinaires, tant que cela lui convient ; mais il n'est absolument
pas lié par eux. Il est dirigé par des besoins affectifs. En outre, il
pense par symboles, par analogies, par concepts incomplets, par asso-
ciations fortuites. Si un même patient se tourne vers la réalité, il peut,
le cas échéant, penser de nouveau avec précision et logique. Il nous
faut donc distinguer une pensée réaliste et une pensée autistique, et ce
côte à côte, chez le même patient. Dans la pensée réaliste, le malade
s'oriente tout à fait bien dans le temps et dans l'espace réels ; il dirige
ses actions en fonction de cela, autant qu'elles nous apparaissent nor-
males. De la pensée autistique proviennent les idées délirantes, les
manquements grossiers à la logique et à la bienséance, et autres symp-
tômes morbides. Les deux formes sont souvent bien distinctes, si bien
que le patient peut penser de façon tantôt tout à fait autistique, tantôt
tout à fait normale ; dans d'autres cas, elles se mêlent jusqu'à complète
interpénétration, ainsi qu'on l'a vu plus haut.
Les malades ne sont pas forcément conscients de ce qu'il y a de spécial,
de différent de l'expérience antérieure dans la pensée autistique. Mais
des patients suffisamment intelligents peuvent ressentir pendant des
années, généralement douloureusement, plus rarement agréablement,
la différence par rapport à avant. Ils se plaignent de ce que la réalité
ait une autre apparence qu'autrefois ; les objets et les personnes ne sont
en fait plus du tout tels qu'on les qualifie ; ils sont autres, étrangers, ils
n'ont plus de rapports avec le patient. Une patiente qu'on avait fait sortir
« errait comme dans un tombeau ouvert, tellement le monde lui pa-
raissait étranger ». Une autre « a commencé à entrer par la pensée
dans une existence tout à fait différente ; alors, quand elle comparait,
tout était totalement différent ; même son amoureux n'est pas du tout
tel qu'elle se le représente ». — Une patiente encore très intelligente
considérait comme une modification bénéfique que de pouvoir se met-
tre à volonté dans un état où elle éprouvait la plus grande félicité
(sexuelle et religieuse) et voulait nous apprendre à faire comme elle.

L'autisme ne doit pas être confondu avec « l'inconscient ». Tant la pensée


autistique que la pensée réaliste peuvent être tant consciente qu'inconsciente.

b) L'attention

En tant que manifestation partielle de l'affectivité (74), l'attention est


atteinte en même temps que celle-ci. Pour autant que de l'intérêt sub-
siste - donc dans le cas de la majorité des expériences vécues dans
les cas relativement légers, et dans celui des activités chargées d'affect
(telles que l'élaboration de plans d'évasion) dans les cas graves - l'at-
tention apparaît certes normale avec nos méthodes actuelles d'obser-
vation. Mais là où l'affect fait défaut, la pulsion de suivre les processus
extérieurs et intérieurs et de diriger l'orientation des sens et des pen-
sées - c'est-à-dire l'attention active - est également absente.

L'attention passive est altérée d'une façon tout à fait différente : certes,
il va de soi que les patients qui ont perdu tout intérêt ou qui sont
enkystés de façon autistique prêtent fort peu attention au monde exté-
rieur. Mais, à côté de cela, un nombre étonnamment grand d'événe-
ments dont les patients ne se soucient pas sont enregistrés. Le
processus de sélection qu'opère l'attention parmi les stimulus senso-
riels peut être abaissé à zéro, si bien que presque tout ce qui parvient
aux sens est enregistré. Le caractère tant préparatoire qu'inhibiteur de
l'attention est donc perturbé de la même façon.

Des événements survenus dans la section et qui n'avaient pas touché les
malades, des nouvelles tirées des journaux et dont ils n'avaient entendu parler
qu'incidemment peuvent être encore évoqués avec tous les détails, des années
plus tard, par des patients qui semblaient totalement préoccupés d'eux-
mêmes, qui regardaient apparemment toujours le même coin de la pièce, si
bien qu'on ne peut absolument pas saisir comment ils ont pu même avoir
vent de ces choses. Après une amélioration, une de nos catatoniques qui,
durant des mois, ne s'était occupée qu'à faire des pitreries contre les murs,
se montra orientée sur ce qui s'était passé entre-temps au cours de la guerre
des Boers ; elle doit avoir saisi au passage quelques remarques de son en-
tourage complètement stupide et les avoir retenues de façon organisée. Une
autre, qui n'avait ni dit un mot sensé ni fait une action sensée pendant de
nombreuses années (elle n'avait même pas mangé seule), connaissait le nom
du nouveau Pape plusieurs années après le début de son pontificat, bien
qu'elle vécût dans un entourage protestant où l'on ne se souciait pas de Rome.

La ténacité et la vigilance de l'attention peuvent être altérées indépen-


damment l'une de l'autre, tant dans le sens positif que négatif, mais
les perturbations n'ont rien de caractéristique de la schizophrénie" 1 .
Néanmoins il existe des troubles psychiques spécifiques qui causent
une hypovigilance, comme lorsque « les pensées sont extraites ». Si le
cours de la pensée se perd dans des chemins de traverse, il ne saurait
être question de ténacité.

8 4 . Une partie du concept de vigilance recouvre celui d'aptitude à laisser détourner son
attention (voir p. 7 3 ) (NDA).
Le résultat de la concentration de l'attention est très variable. Il peut
être normal. D'un autre côté, les patients ne peuvent souvent pas vrai-
ment se concentrer, même s'ils s'y efforcent : l'intensité de l'attention
est perturbée. Généralement, son étendue est alors atteinte également :
les malades ne sont pas capables de rassembler toutes les associations
nécessaires à une réflexion. Ces troubles pourraient être co-déterminés
par des entraves primaires encore inconnues dans les processus psy-
chiques ; mais, en dehors des affects, ce sont naturellement les troubles
des associations qui influencent le plus le résultat de l'attention. Si le
cours des idées est totalement désagrégé, une idée juste sera de toute
façon impossible sans un effort anormalement intense. La tendance gé-
nérale de certains cas à la fatigue fait aussi rapidement décroître l'at-
tention ; mais la plupart des patients chroniques présentent une
capacité de maintenir leur attention concentrée normale ou supérieure
à la normale, pour autant qu'ils en viennent à une attention active.

Préoccupation par les complexes, barrages et fascinations empêchent souvent


les malades, durablement ou transitoirement, de suivre un cours de pensée
précis ou de penser dans la direction voulue. Ainsi certains ne peuvent-ils
suivre que fragmentairement une histoire qu'ils sont en train de lire, ou une
représentation dramatique, tandis que d'autres racontent parfaitement ce
qu'ils ont entendu et vu, et ce, chose étrange, même quand ils n'ont cessé
de s'entretenir avec des Voix pendant qu'ils écoutaient. L'attention aussi peut
être scindée. — Très souvent, l'attention peut être bloquée par un barrage,
comme les autres fonctions : au milieu de la conversation, d'un travail, les
patients semblent avoir un autre cours de pensée ou ne pas penser du tout.
Étrangement, ils peuvent dans les deux cas continuer à penser en ayant plei-
nement connaissance de ce qui est arrivé pendant leur inattention, et par
exemple répondre après coup à une question qu'en apparence ils n'avaient
pas entendue.

Chez certains catatoniques existe une compulsion de diriger leur attention


vers certains processus extérieurs ou, notamment, intérieurs. Les hallucina-
tions, en particulier, imposent souvent leur prise en compte permanente,
contre la volonté du patient.

L'état de l'attention dans l'obnubilation et dans les états oniroïdes et hallu-


cinatoires n'est pas pris en compte ici, car il est d'une part difficile à décrire,
et d'autre part évident.

c) La volonté

La volonté, résultante de l'ensemble des différents processus affectifs


et associatifs, est naturellement perturbée de la façon la plus diverse,
surtout par le marasme des sentiments. Il n'est pas rare que même des
cas relativement peu graves entrent en conflit avec leur entourage à
cause de leur aboulie ; les malades semblent paresseux et négligents
parce qu'ils n'ont plus de goût à faire quoi que ce soit, ni de leur
propre initiative, ni sur ordre. Ils restent au lit des années durant ou,
dans les cas les moins graves, s'ils ont encore des souhaits et des
désirs 85 ils ne font rien pour les réaliser. Mais nous rencontrons aussi
l'autre forme de déficit de la volonté, qui consiste en ce que les ma-
lades ne peuvent résister à leurs impulsions ou aux entraînements du
milieu extérieur ; nombre d'entre eux font aussitôt ce qui leur fait envie
ou leur passe par la tête, en partie sans réfléchir aux conséquences,
et en partie par manque de capacité de résister malgré une pleine
appréciation de ces conséquences. C'est pourquoi ils sont capables de
tout sous l'emprise d'un affect et peuvent même commettre des crimes
graves.
Dans certains cas, on peut pourtant parler littéralement d'hyperboulie.
Il est des malades qui accomplissent avec une grande énergie ce qu'ils
se sont mis en tête, qu'il s'agisse de quelque chose de sensé ou d'ab-
surde. Ils peuvent alors n'avoir aucun ménagement pour eux-mêmes,
se fatiguer à l'extrême, endurer des souffrances et des avatars de toute
sorte, et ne se laisser détourner par rien de leur projet. Dans de tels
cas, ils peuvent aussi faire montre d'une persévérance qui dure, le cas
échéant, des années.

D'autre part, on rencontre souvent l'association, si fréquente même ail-


leurs, du déficit de la volonté 86 avec l'entêtement, l'un ou l'autre se
manifestant, selon les circonstances. D'une façon générale, la plupart
des patients paraissent inconstants, versatiles. Ils font toutes les pro-
messes possibles et ne les tiennent pas. Chez les patients d'asile, il
arrive fort souvent qu'ils demandent par exemple du travail mais fail-
lissent aussitôt à la tâche si on leur fournit une occasion de travailler.
Leurs menaces sont également tout aussi peu souvent suivies d'effet.

Les barrages sautent tout particulièrement aux yeux dans le domaine


de la volonté : il n'est pas rare que les malades veuillent vraiment faire
quelque chose mais ne le puissent pas du fait d'une défaillance de

85. Wünsche und Begehren. Ce qui confirme l'opportunité de traduire Wunsch par souhait
plutôt que par désir. Voir glossaire (NDT).
86. Déficit de la volonté est pris ici tant dans le sens de manque de puissance de la force
motrice (apathie) que dans celui de manque de ténacité et d'homogénéité de la volonté
(lubies, insouciance) et dans celui de défaut d'inhibition (NDA).
leur appareil moteur. Quand de tels barrages de la volonté perdurent,
nous nous trouvons devant une forme de stupeur catatonique.
Dans d'autres circonstances encore, des actes compulsifs, des actes
automatiques et les formes de Vautomatisme sur ordre peuvent égale-
ment se voir. Mais ces phénomènes relèvent d'un autre chapitre (voir
plus loin, « symptômes catatoniques »).

d) La personnalité

L'orientation auto-psychique est habituellement normale. Les malades


savent qui ils sont, pour autant que des idées délirantes n'altèrent pas
la personnalité. Cependant, leur Moi n'est jamais totalement intact ; il
présente régulièrement certaines altérations, notamment une tendance
aux scissions. Mais, dans les formes simples, ces troubles ne sont pas
si marqués qu'on les puisse aisément décrire. C'est pourquoi ils devront
être caractérisés plus précisément parmi les complexes symptomatiques
accessoires.

e) La démence sehizophrénique

C'est en fait l'état des associations et de l'affectivité qui caractérise le


mieux le trouble sehizophrénique de l'intelligence. La description des
résultantes de ces fonctions ne saurait jamais venir à bout de leur
infinie diversité. Nous ne pouvons donc présenter que des échantillons
des aspects les plus importants des troubles.
Nous ne parlerons ici que de la démence sehizophrénique proprement
dite, et non de la tonalité particulière que lui confèrent si souvent des
symptômes accessoires.
Dans nulle maladie le trouble de l'intelligence n'est aussi improprement qua-
lifié par les mots stupidité et démence que dans la schizophrénie. On ne peut
rien voir ici de la « perte définitive des souvenirs » ou d'autres troubles de
la mémoire qui doivent faire partie du concept de démence. Aussi arrive-t-il
que des psychiatres puissent affirmer, à propos de grands schizophrènes,
qu'ils ne sont pas déments, ou que l'on ressente le besoin, comme certains
auteurs français, de séparer des autres cette forme de trouble de l'intelli-
gence, sous le nom de « pseudo-démence ». Une démence au sens des psy-
choses organiques est quelque chose de fondamentalement différent ; tout
aussi différentes en sont également les multiples formes d'idiotie congénitale,
bien que le déficit des performances intellectuelles puisse finir par aboutir
au même résultat, c'est-à-dire à une réaction inadéquate aux conditions ex-
térieures, dans les types les plus divers de troubles. En d'autres termes, le
concept de démence est presque aussi vaste que celui de maladie mentale
en général 87 et comprend presque autant de subdivisions que lui.

Il faut d'abord retenir que, même dans une schizophrénie très grave,
toutes les fonctions de base jusqu'à présent accessibles à l'examen sont
potentiellement conservées. Alors que dans l'idiotie les relations concep-
tuelles et associatives complexes ne sont absolument pas élaborées,
alors que dans les psychoses organiques bien des choses ont été per-
dues, sinon sur le plan cérébral du moins sur celui de leur utilisation
par l'esprit, même le schizophrène le plus stupide est capable de réa-
liser tout à coup, dans des conditions favorables, une prestation de très
haut niveau (tentative d'évasion « rusée »). La stupidité schizophrénique
grave est caractérisée (en dehors de l'important manque d'intérêt et
d'activité) par le fait qu'il y a numériquement beaucoup d'échecs parmi
toutes les pensées et les actes ; qu'une tâche donnée soit difficile ou non
est là d'une importance secondaire. Par contre, la démence des formes
les plus bénignes se caractérise par le fait que ces gens agissent habi-
tuellement de façon tout à fait sensée mais sont potentiellement capables
de n'importe quelle sottise. Le paralytique général ou l'imbécile légers
font leurs incongruités là où une réflexion trop compliquée pour eux
serait nécessaire ; en des matières plus simples ils agissent normale-
ment. Seulement, chez ces patients, on peut évaluer le degré de la
démence d'après le niveau des performances possibles et, là aussi, lors
d'un examen prudent et en prenant en compte le contexte, l'humeur,
la fatigue, les particularités individuelles, etc. Qui, parmi ces patients,
n'est pas capable de faire une multiplication pourra encore moins venir
à bout d'une division ; qui ne saisit pas le sel d'une fable ne compren-
dra pas un roman, et, à l'inverse, une histoire plus simple ne causera
pas de difficultés à qui comprend l'ensemble des tenants et aboutis-
sants d'un roman. Il en va tout autrement dans la schizophrénie : un
malade qui, à un moment donné, ne peut pas additionner 17 et 14
même en faisant de sérieux efforts résout tout à coup un calcul difficile
ou tient avec succès un discours bien construit. Un schizophrène peut
juger avec un esprit critique clair les actes, l'état pathologique des
autres patients et le bien-fondé des mesures prises à leur égard, et en
même temps ne pas comprendre qu'il est lui-même invivable, hors de

8 7 . C'est la discussion à propos de la p r é s e n c e d'une stupidité dans la paranoïa qui montre


le mieux combien le concept de d é m e n c e est flou. L e s uns considèrent les paranoïaques
comme déments, parce qu'ils croient des choses si illogiques et agissent en c o n s é q u e n c e ;
les autres ne les considèrent pas comme déments, parce qu'ils continuent à agir tout à fait
correctement dans leur profession d'architecte, de j u g e , de savant (NDA).
l'asile, s'il fait du scandale chaque nuit et frappe les gens. Un malade
peut être resté assis sur son banc des années durant, avec une euphorie
niaise, et n'avoir émis que les phrases les plus banales, et prendre
part tout à coup à tous les travaux pour, une fois rentré chez lui, ap-
paraître guéri à tous égards. C'est pourquoi le tableau apparent de la
stupidité schizophrénique se caractérise beaucoup plus par l'état de
l'affectivité, et notamment de l'intérêt et de la spontanéité, que par le
trouble de l'intelligence au sens strict. Ce dernier est ici, pour l'es-
sentiel, un concept numérique et peut s'évaluer en fonction non pas
du niveau des performances possibles mais du rapport numérique entre
les prestations correctes et les prestations incorrectes.

Aussi est-il erroné à tous égards de tenter de comparer la stupidité d'un


schizophrène avec l'intelligence d'un enfant d'un âge donné (Rizor, p. 1027),
et croire qu'on peut prouver ou exclure la stupidité schizophrénique par un
« examen de l'intelligence » - que celui-ci dure quelques minutes ou quel-
ques jours - témoigne d'une méconnaissance complète des caractéristiques
de la schizophrénie. Car l'état des connaissances demeure en gros préservé,
seulement il n'est pas toujours disponible, ou bien il est utilisé d'une façon
impropre. Toutefois, ce qui est indisponible dans un certain contexte psychi-
que peut être utilisé librement dans un autre. C'est pourquoi les tests de
complément d'Ebbinghaus ne sont, très souvent, pas fiables non plus dans
cette maladie, de même que les tests visuels de Heilbronn 8 8 (293 a), et ils
ne sont en tout cas pas utilisables si l'on veut faire une estimation graduée
de l'intelligence. Le mode d'existence, les défauts d'adaptation à l'environ-
nement sont les seuls à montrer, dans les cas légers, le degré d'évolution de
la stupidité. A l'asile, l'examen de brève durée le plus adapté qu'on puisse
faire consiste à interroger le patient sur sa propre situation, sur les raisons
de son internement, sur son rapport avec ceux qui ont pouvoir sur lui, sur
ses projets d'avenir. Pourtant, il peut y avoir là aussi une compréhension
parfaite malgré de graves déficits dans d'autres domaines.

Si l'on veut donc parler d'une stupidité intellectuelle dans le cas de


nos patients, il faut s'exprimer à peu près ainsi : le schizophrène n'est
pas purement et simplement stupide, mais il l'est en ce qui concerne
certaines périodes, certains contextes, certains complexes. Chez le malade
légèrement "atteint, les fonctions déficientes constituent l'exception ;
dans les cas les plus graves, ceux qui traînent, indifférents, dans nos
asiles, elles sont la règle ; entre ces extrêmes existent toutes les formes

8 8 . Certains patients ont c e p e n d a n t besoin de l a t e n c e s anormalement longues, même pour


fournir des solutions j u s t e s , et bien des malades graves ne sont absolument pas à la hauteur
d'une telle t â c h e : ils remplissent les b l a n c s a v e c des mots impropres ou tout à fait erronés
et ne tiennent là aucun compte non seulement du s e n s mais aussi de la grammaire (NDA).
intermédiaires. La différence entre la stupidité légère et la stupidité
grave est une différence d'étendue et non d'intensité. Le schizophrène
léger peut faire de tout aussi grosses bêtises que le malade grave, mais
il les fait plus rarement.
Toutefois, le déficit intellectuel n'est pas totalement dépourvu de règles et,
par exemple, les performances particulièrement mauvaises sont liées aux
complexes chargés d'affect. En outre, il va de soi qu'à chaque stade de l'af-
fection les chances qu'on ait une altération d'une fonction intellectuelle sont
d'autant plus grandes que cette fonction est complexe. Si une association sur
cent est pathologique en moyenne, telle fonction qui comprend quelques as-
sociations peu nombreuses ne sera que rarement perturbée, et telle autre qui
se compose de plusieurs centaines de fonctions élémentaires le sera presque
toujours. A ceci s'ajoute le fait que la faculté de rassembler de nombreux
concepts sous un angle logique homogène est manifestement entravée chez
les schizophrènes, ce qui altérera aussi les fonctions complexes plus que les
fonctions simples. Aussi, dans l'ensemble, les fonctions intellectuelles supé-
rieures seront-elles tout de même les plus perturbées.

L'anomalie que l'on appelle stupidité sehizophrénique se compose des


effets du trouble des associations, de l'indifférence et de l'irritabilité
dans le domaine affectif, et du retrait autistique vis-à-vis des influences
du monde extérieur.

Les concepts pâtissent déjà de la désagrégation des associations. Ce-


pendant, dans les états chroniques, la majorité d'entre eux ne parais-
sent pas beaucoup moins précis que chez le sujet sain ; on rencontre
par exemple fort peu cette imprécision qui est si frappante dans les
concepts des épileptiques déficitaires, encore qu'il existe çà et là une
tendance à user de concepts généraux là où des concepts plus spéci-
fiques seraient indiqués. Ainsi nos malades appellent-ils des instru-
ments en fer « du fer », ou une pelle « un instrument domestique ».
Bien que de telles appellations soient rares, sinon à l'occasion de ques-
tions spécifiques, il s'agit pourtant généralement d'anomalies de la
conceptualisation et pas seulement de l'expression. Je ne connais pas
d'appauvrissement conceptuel sehizophrénique à proprement parler, en
ce sens que certains des concepts seraient perdus. Par contre, les
concepts ne sont pas toujours saisis dans tous leurs éléments constitutifs.
Il s'agit toujours là de perturbations qui peuvent varier d'un moment
à l'autre. Des déficits relativement conséquents et durables ne se mani-
festent que pour des concepts qui sont impliqués dans des idées dé-
lirantes, ou encore qui sont infiltrés de complexes chargés d'affect.

C'est pourquoi la méthode de Wemicke, qui consiste à interroger les malades


sur les différences entre des concepts voisins, est tout à fait insuffisante,
encore que, naturellement, la comparaison et la distinction entre des concepts
insuffisamment pensés doivent être touchées, le cas échéant. Il est extrême-
ment vraisemblable que l'hébéphrène citée à la page 41 de ses présentations
de malades connaissait fort bien la différence entre ville et village, malgré
ses réponses bizarres, qui ne renvoient du reste absolument pas à une mé-
connaissance, mais tout au plus à une para-fonction des associations actuelles.
J e crois tout aussi peu que le malade de Wernicke qui tient l'infirmier pour
sa sœur Laura 8 9 ait oublié les représentations mnésiques de l'habillement
masculin et féminin. Des schizophrènes à la conscience claire se débrouillent
en règle fort bien de tels concepts et de telles représentations mnésiques ;
ils ne font exception que dans certains contextes psychiques, par exemple
quand les complexes interviennent, en cas d'inattention, ainsi que, selon toute
vraisemblance, dans des états d'affection organique assez importante 90 . Ainsi
un hébéphrène associe-t-il à Fass - Rad et montre-t-il que - pour le moment -
les concepts Rad et Reif sont pour lui à peu près identiques 91 . Mais ce même
malade peut fort bien distinguer ces concepts par la suite, sans que sa ma-
ladie se soit modifiée. Souvent, dans le cas des méconnaissances d'objets,
seule une partie de leurs caractéristiques sont prises en compte (les autres
ne sont pas tout à fait « oubliées »), puis elles sont arbitrairement complétées
dans le sens d'un autre objet : un tableau suspendu au mur, avec un cadre
profond, est, par exemple, un crachoir ; l'échelle d'incendie qui est devant
la section est « notre échelle de la grange » ; le Directeur est le Révérend
F. (parce que c'est lui qui dirige l'asile, de même que le Révérend F. dirige
l'hôpital) ; la filature de coton dans laquelle un patient a travaillé est qualifiée
de fabrique de vêtements.

La condensation confond plusieurs c o n c e p t s en un seul. P l u s i e u r s per-


s o n n e s , notamment, sont souvent c o n ç u e s c o m m e en étant une seule.
Un patient est même le p è r e et la mère de ses enfants. Un autre,
pendant u n e poussée aiguë, ne fait pas la distinction entre ses enfants
tels qu'ils sont maintenant et tels qu'ils étaient quand ils étaient des
nourrissons ; quand il est question de s e x u a l i t é et d'éducation des en-
fants, sa f e m m e et son propre Moi confluent en un c o n c e p t i n d i s s o c i a -
ble ; d'une façon a b s o l u m e n t analogue, il mélange les conditions qui
régnent ici et chez lui : à l ' o c c a s i o n de q u e s t i o n s ou d'autres stimulus,
c e l a revient au m ê m e ; q u e l l e que soit la part de c e c o n c e p t dont lui-
même ou l ' e x a m i n a t e u r parlent, des deux il dit les mêmes c h o s e s , et
il n'est pas p o s s i b l e d'obtenir qu'il les d i s s o c i e . Une patiente identifie
l'histoire de l ' e n f a n c e de Moïse au m a s s a c r e des I n n o c e n t s .

89. Cité par Sandberg, p. 6 2 7 ( N D A ) .


90. Il est très probable, étant donné le contexte, que cette remarque renvoie au processus
organique causal supposé (NI)T).
9 1 . Fass : tonneau - Rad : roue - Reif : anneau.
Ce sont souvent les complexes chargés d'affect qui déterminent la mo-
dification des concepts.
Une patiente qui attend de l'avenir quelque chose d'extraordinaire parle avec
le plus grand naturel de ses « futurs parents ». Un paranoïde qui a des am-
bitions militaires s'est vu portraituré « en général en uniforme français et
suisse » ; le mélange des deux armées ne le gêne pas, et quand on lui objecte
qu'il n'y a pas de généraux en Suisse, il réplique qu'un colonel est également
général. Dans de tels cas, il est aisé de prouver que ce sont vraiment les
concepts qui sont altérés, et pas seulement le mode d'expression. Un hébé-
phrène signe ainsi une lettre à sa mère : « ton neveu plein d'espoir » ; il est
impossible de savoir ce qui l'a amené à écrire cela ; le patient défend cette
absurdité en disant que sa mère a une sœur, dont il est le neveu ; mais la
représentation des rapports familiaux est sûrement devenue confuse, au moins
pour quelques instants. Une catatonique a reçu une montre en cadeau, ce
qui lui fait plaisir ; mais tout le reste de ce qu'elle possède lui fait également
plaisir, ainsi que son amoureux ; tout ceci est devenu pour elle un seul et
unique concept, qu'elle désigne généralement en usant du terme de « ca-
deau ». - Derrière les termes impropres des hallucinés se cachent souvent
des concepts fortement élargis ; un hébéphrène « a eu deux fois des douleurs,
c'est un empoisonnement criminel ».
L'identification de deux concepts sur la base d'un composant commun
mène dans de nombreux cas au symbolisme, qui joue un rôle de premier
plan dans les idées délirantes. Un patient signe « commencement et
fin du monde » ; ceci exprime son idée délirante. Le symbole devient
volontiers réalité pour nos patients : quand ils brûlent d'un amour se-
cret, ils peuvent se croire brûlés par des gens réels, avec un vrai feu.
Des représentations telles que celle qui suit sont du même ordre : un
catatonique fait le même mouvement de sourcils que Mademoiselle N.,
et prétend alors avoir eu des rapports sexuels avec elle ; le mouvement
de Mademoiselle N., repris par son corps à lui, est la même chose que
Mademoiselle N. elle-même.

Le fait que des concepts simples puissent être perturbés tout autant
ou presque que des concepts compliqués et difficiles à saisir, est une
caractéristique des altérations conceptuelles de la schizophrénie. Ce
qui est déterminant, c'est au premier chef l'appartenance à un
complexe chargé d'affect, qui tantôt facilite et tantôt entrave la forma-
tion d'un concept. En outre, le trouble varie avec les fluctuations de
la maladie, qui tantôt touchent la plus grande partie de la pensée et
tantôt se limitent de nouveau à quelques fonctions élémentaires.

Naturellement, des opérations réflexives claires ne peuvent être menées


à bien avec ces concepts non élaborés.
Un malade nonchalant a fini par travailler un peu pendant une demi-heure.
A présent, il se croit en droit de toucher toutes les récompenses possibles et
imaginables et arrête de nouveau son travail, puisqu'il ne reçoit rien. Il pense
toujours, à juste titre, qu'il doit être récompensé de son travail, mais il ne
fait pas la distinction entre un travail d'une demi-heure et un travail de
longue durée, non plus qu'entre de petites et de grosses récompenses ; ce
travail de brève durée est pour lui du travail, considéré d'une façon générale ;
et par récompense il entend tout ce qu'il souhaite à cet instant. Les repré-
sentations de la prestation et du salaire sont imprécises, c'est pourquoi une
corrélation quantitative correcte entre ces deux concepts est impossible.

La définition floue des concepts favorise des généralisations tout à fait


insensées de certaines représentations.

Un paranoïde cesse d'entendre le bruit hallucinatoire d'une machine ; pour


lui, l'asile cesse alors d'exister. Un autre paranoïde avait solennellement
conclu la paix avec un adversaire ; et voilà qu'il voulait à présent se poser
en pacificateur dans d'autres cas aussi. Un hébéphrène fit une réponse gros-
sière à son père et crut, ensuite, qu'il lui fallait se purifier de sa faute ; il
étendit finalement cette purification à tout ce qui était possible : non seule-
ment il se lavait et nettoyait les meubles, mais il étendait aussi les vêtements
sur le toit, afin que la pluie les purifie 92 . Les idées délirantes proprement
dites s'étendent souvent sous forme de telles généralisations.

La perturbation affective agit d'une façon multiforme sur l'intelligence.


Là où l'intérêt fait défaut, on pense peu, ou bien l'on pense de façon
inachevée. Mais pour peu que le malade ait des visées sérieuses, il
peut faire, par exception, des déductions tout à fait pertinentes et
complexes pour atteindre le but désiré. A l'inverse, de nombreux pa-
ranoïdes légers ne pensent d'une façon erronée que lorsque leurs
complexes entrent directement en ligne de compte. Schreber était ca-
pable de critiquer ses expertises de la façon la plus pertinente, tandis
qu'il soutenait les idées délirantes les plus absurdes.

D'une façon générale, l'activité intellectuelle varie en fonction des


complexes chargés d'affect, qui tantôt suppriment la réflexion, tantôt la
mettent à leur service et la favorisent. (Ne pas confondre les fluctuations
de la maladie avec ces fluctuations fonctionnelles ; souvent, un patient
paraît plus stupide à un moment donné parce que son processus mor-
bide est plus intense.)

9 2 . I c i , l'extension du c o n c e p t est en même temps un transfert ; le sentiment d'impureté


morale conduit souvent, c o m m e chez les s i m p l e s nerveux, à une propreté physique e x c e s s i v e
(NDA).
La perturbation de l'affectivité est la cause principale de la « perte des
repères de valeur psychiques » (Schüle). Le sens de ce qui différencie
l'essentiel du contingent fait souvent défaut aux idiots et aux malades
organiques aussi : aux idiots, parce qu'ils ne peuvent pas saisir des
idées complexes dans leur globalité, et aux malades organiques pour
la même raison, et en plus parce que le cours de leurs idées se limite
à ce qui correspond à l'affect dominant. Dans le cas de la schizophré-
nie, le processus est beaucoup plus compliqué. Les idées sont élabo-
rées par fragments tout à fait irréguliers qui contiennent parfois le
moins évident, tandis que le plus simple fait défaut ; les affects inhi-
bent et canalisent les associations à un degré bien plus étendu que
chez les malades organiques, et en plus ils sont eux-mêmes modifiés
qualitativement et quantitativement. S'il est indifférent au malade que
sa famille et lui-même périssent, qu'il reste à jamais enfermé, qu'il
soit dans la saleté ou non, ces idées, si importantes pour d'autres, ne
peuvent avoir aucune influence sur sa réflexion. Si un tel malade a le
choix entre renoncer à une marotte quelconque ou perdre son travail,
il se détermine sans réfléchir en faveur de cette dernière possibilité,
parce que seule sa marotte est chargée d'affect. Ceci est l'un des as-
pects les plus importants de la stupidité schizophrénique.

Avec l'affectivité, la suggestibilité est également modifiée. Dans l'en-


semble, elle est diminuée ; cela rend plus difficile une influence psy-
chique extérieure et rend plus facile au patient lui-même l'usage de
son propre jugement, pour autant qu'un tel jugement soit encore pos-
sible. Sous ce rapport, des schizophrènes intelligents ont véritablement
un avantage pour développer des idées nouvelles. Non seulement parce
qu'à cause de la laxité des associations ils peuvent mieux saisir et
concevoir qu'un sujet normal ce qui sort de l'ordinaire, mais aussi
parce qu'ils sont plus indépendants du jugement d'autrui et ont, de ce
fait, la force de mener à bonne fin des choses qui paraissent impen-
sables à des sujets sains. Un jour, j'ai été consulté au sujet d'un schi-
zophrène qui, à présent, est en train de réaliser, avec l'aide des
autorités de différents pays, des projets d'une vaste portée économique,
projets auxquels un sujet normal aurait pu penser, mais qu'il aurait
considérés comme irréalisables. Tout nouveau mouvement, qu'il soit
bon ou mauvais, attire régulièrement des schizophrènes sous son
charme.

Dans d'autres cas, cependant, la superficialité des affects combinée au


trouble associatif de la pensée aboutit à un excès de crédulité. Un
hébéphrène apparemment tout à fait lucide, qui travaillait dans l'in-
tervalle comme compositeur typographe, se laissa conduire quatre fois
à l'asile sous le même prétexte, lui faire consulter un médecin pour
une affection somatique. Dans des affaires compliquées, les schizo-
phrènes deviennent volontiers la proie de ceux qui savent les prendre.
Par une question, on peut aisément suggérer qu'ils ont une maladie à
ceux qui ont tendance à l'hypocondrie. Naturellement, la direction des
complexes détermine celle d'une suggestibilité partielle ; une malade
encore très bien conservée sur le plan intellectuel et qui avait des
idées hypocondriaques fut notablement améliorée par nous, en deux
mois, par toutes sortes d'efforts de suggestion. Une relation de quelques
jours à peine avec une mélancolique la ramena à son état antérieur.
N'importe quel imbécile peut faire avaler à des paranoïdes qu'un tel
ou un tel est leur ennemi ou leur défenseur, alors qu'ils sont tout à
fait imperméables aux influences de la logique.

Souvent, les schizophrènes acceptent aussi avec une étonnante facilité


des influences insignifiantes. Un jour, je répondis à une paranoïde, au
lieu de « nein », « noi », avec l'accent souabe (celui-ci n'ayant aucun
rapport avec notre conversation). Aussitôt, elle se mit à imiter le dia-
lecte souabe, bien qu'elle n'eût en aucune façon de relations plus
proches que n'importe quel zurichois avec celui-ci. Ensuite, elle per-
sévéra en cela jusqu'à la fin de notre conversation, bien que j e ne lui
en eusse plus fourni l'occasion.

On peut aussi hypnotiser des schizophrènes, tant récents que malades


depuis longtemps. Mais le pouvoir de la suggestion hypnotique vis-à-vis
de la maladie ne va pas bien loin.

Les schizophrènes peuvent mieux se soustraire à la suggestibilité de masse


que les gens sains. Pourtant, ici aussi, l'influence d'une suggestion quel-
conque s'accroît si elle est faite simultanément à un certain nombre de per-
sonnes. Et puis, curieusement, les schizophrènes sont aussi le réactif le plus
sensible à l'ambiance. Que la forme apparente de la maladie change si for-
tement d'un asile à l'autre, d'un médecin à l'autre, d'un infirmier à l'autre
ne saurait être l'effet du hasard. Catalepsie, négativisme, hyperkinésie, vio-
lences, pulsion suicidaire, nécessité de l'alimentation par sonde et d'autres
contraintes, tout ceci est quantitativement fort divers selon le lieu et l'heure,
même si les instances dirigeantes font tout leur possible pour rendre le trai-
tement identique. Mais la suggestion ne vient pas seulement du personnel de
l'asile et des installations, mais tout aussi bien des patients. Un seul malade
peut empoisonner toute une section. Si quelqu'un donne habilement le ton
dans une section, il est habituel qu'il ait rapidement un bon nombre d'imi-
tateurs parmi les schizophrènes les plus actifs ; par exemple, dans une section
c'est tel plat qui est boudé, dans une autre tel autre, jusqu'à ce que le faiseur
de mode soit transféré.

Le pouvoir de la suggestion se manifeste aussi dans la folie induite. En l'occur-


rence, il s'agit souvent d'un schizophrène assez actif qui fait reprendre à son
compte son système délirant par un membre de sa famille, schizophrène latent.

Une augmentation tout à fait particulière de la suggestibilité se manifeste


sous la forme de l'automatisme sur ordre, dont on discutera à propos des
symptômes catatoniques.

L'état de l'intelligence schizophrénique est naturellement aussi dans


un rapport de réciprocité avec l'autisme. Celui-ci ne peut pas survenir
sans le déficit de l'intelligence, mais de son côté il entraîne les erreurs
de logique les plus stupides en excluant la réalité du matériau de la
pensée. Ainsi en va-t-il dans le cas de la vierge « érotomane » qui
pense épouser un Monsieur haut placé, bien qu'en réalité celui-ci ne
veuille rien savoir d'elle. Un hébéphrène nomme son oncle général,
afin que celui-ci puisse mieux lui venir en aide que s'il n'est que
colonel ; l'association concluant que cette nomination ne peut avoir
aucun effet n'est pas faite. - A la question « Et avez vous déjà été
dans un asile ? », un autre patient répond : « Non, mais innocent ».

La baisse d'influence de l'expérience acquise est également en rapport


avec l'autisme. Il n'est pas du tout constant que des schizophrènes qui
se sont brûlés craignent le feu. Si mal que cela leur réussisse, ils
continuent pourtant à se laisser guider par leurs opinions aberrantes
ou par leur négligence. Cependant, ceci n'est pas vrai de toutes les
expériences. Les peines disciplinaires et les récompenses ont souvent
encore quelque effet éducatif, même sur des malades fort graves.

Naturellement, c'est le trouble des associations qui entraîne le plus de


désordre dans la pensée logique. La pensée logique est la reproduction
d'associations de façon identique ou analogue à ce qu'a enseigné l'ex-
périence acquise. Du fait du relâchement des associations coutumières
entre les concepts, la pensée se détache de l'expérience et emprunte
des voies erronées ; des barrages entrent en action juste aux endroits
importants, si bien que la pensée du malade ne peut pas arriver à
bonne fin sur certains sujets ; et le pire, c'est qu'à la place des asso-
ciations barrées d'autres surgissent, qui ne font pas partie de ce
cours d'idées, ou qui ne s'y trouvent pas au bon endroit. Ainsi l'histoire
de l'âne qui a traversé le ruisseau d'abord avec du sel, puis avec des
éponges, peut-elle se trouver racontée comme suit : « On a tellement
chargé l'âne que ça l'a écrasé - et puis dans la religion catholique
c'est la coutume - on a dit que c'était l'extrême-onction, qu'on admi-
nistre aux agonisants. »

Si les associations d'idées impropres sont très nombreuses, le cours de


la pensée ne peut arriver à aucun résultat, parce que la direction de
la pensée ne cesse de changer.

De nombreuses opérations logiques échouent parce que n'importe


quelle pensée est aussitôt connectée au complexe dominant (délire de
relation), ou parce qu'à l'inverse les patients ne peuvent trouver aucune
relation avec les complexes. Ainsi la plupart des questions touchant
directement aux événements affectifs qui déterminent la symptomato-
logie entraînent-elles tout d'abord, ou en permanence, des réponses
négatives, ou alors les patients les éludent. Les malades sont venus à
l'asile « parce qu'ils se sont foulé le pied », ou, en réponse à la ques-
tion « pourquoi ? », ils disent qu'ils sont « venus en fiacre ». Il s'agit
vraiment là d'une pensée à côté, et non d'un discours à côté.

(Que disent les Voix?) - J'ai aussi deux enfants. (On répète la question.)
- On dit beaucoup de choses, ici. (On répète la question.) - Pas grand-chose.
(On répète la question.) - De toute façon, j e ne parle pas beaucoup. (On
répète la question.) - Oui, pas grand-chose. (On répète la question.) - Oui,
j e ne peux pas le dire. (Pourquoi pas ?) - J e ne sais pas. (Que disent les
Voix ?) - Oui, on parle plus ou moins ensemble, j e ne parle pas trop.

Ce sont notamment les réponses au hasard, si fréquentes, qui donnent


une impression de stupidité prononcée : (Quand êtes-vous né ?) « En
1876. » (Est-ce exact ? Quand ?) « En 1871. » (Laquelle de ces dates
est la bonne ?) « 1872 ». (En réalité, aucun de ces chiffres n'est exact.)
On doit fortement se garder de prendre la réponse pour argent comp-
tant, notamment dans le cas de questions auxquelles il suffit de répon-
dre par oui ou non. Cela se passe souvent comme suit : (Voulez-vous
vous lever ?) « Oui. » (Voulez-vous rester au lit ?) « Oui. »

L'insuffisante participation des associations nécessaires conditionne


aussi une fin prématurée de la réflexion. Souvent, les malades commen-
cent à répondre avant même qu'on ait fini d'énoncer la question. D'où,
aussi, tant de jugements incomplets et « stupides ».

Le surgissement inopiné de nouvelles idées entraîne des lubies patho-


Logiques. Voilà qu'un catatonique demande tout à coup, avec le plus
grand sérieux, à voir le Niagara ; un autre, lors de son admission, ne
trouve rien de plus important à demander que si le Sahara se trouve
toujours en Afrique.
Les résultats deviennent tout particulièrement absurdes quand un bar-
rage intervient entre les lignes directrices logiques du cours de la pen-
sée et l'association thématique, et que chacune de ces fonctions
poursuit son propre chemin.
Je demande à un patient ce que pourrait faire pour lui un homme connu.
Réponse : « Rien, sauf si j e pouvais recevoir de lui un poème. » Sur le plan
formel, il a répondu à ma question : le poème est désigné sous une forme
logique juste comme l'objet souhaité ; mais en vérité le patient a seulement
trouvé ce concept à partir d'une conversation que j'ai eue juste avant avec
un autre malade sur la poésie, et il ne souhaite nul poème. - Je conteste à
une malade le fait qu'elle possède une maison ; « si ! » répond-elle, « la mu-
sique le prouve » ; au loin, on vient d'entonner une musique, et l'idée ainsi
acquise a été aussitôt utilisée comme preuve contre la contradiction que j e
portais.

Le contenu de la pensée est fréquemment déterminé par une lubie


soudaine (Pourquoi secouez-vous les mains ? « Parce que j e ne peux
pas manger d'étudiant »), par un souhait ou une crainte qui préoccupe
le malade (le patient barbouille « pour aller dans une meilleure sec-
tion »), ou bien il est fourni de l'extérieur (exemples ci-dessus), ou
encore il appartient au domaine d'idées contenu dans la question.
Ainsi, la motivation du patient de Stransky, qui déclare qu'il se met
en colère parce que le médecin porte un costume gris, n'est absolument
pas liée au fond de sa pensée. Un de nos patients savait fort bien qu'il
ne fournissait de motivation qu'après coup, « après s'être étonné des
bêtises faites ». Une patiente avait été alitée à cause d'une tentative
de suicide ; elle prétendit l'avoir commise parce qu'elle devait garder
le lit. Quand un hébéphrène prodigue prétend n'avoir fait des dettes
que pour montrer à sa femme qu'il gagne de l'argent sans elle, ou
quand un malade dangereusement menaçant dit n'avoir acheté un re-
volver que pour prouver qu'il ne fera rien à sa femme, bien qu'il ait
une arme, il s'agit de la même justification des motifs « par esprit de
l'escalier ». Dans de tels cas, la justification inventée a posteriori donne
l'impression d'un véritable motif, à y regarder superficiellement, si bien
qu'elle induit souvent des gens, même intelligents, à créditer le patient
d'une capacité de réflexion saine.
L'insensibilité des patients aux contradictions les plus grossières est frap-
pante. Un hébéphrène peut se plaindre de ne jamais dormir, dans la
proposition principale, tandis que dans la proposition subordonnée il
raconte qu'il a merveilleusement dormi. Les malades se plaignent en
les termes les plus vifs à leur famille de ce qu'on ne leur permet pas
telle ou telle chose ; dès qu'ils en ont la permission, ils ne veulent pas
en user. Dans la même lettre, un malade réclame à sa femme premiè-
rement un rasoir, pour se suicider, deuxièmement qu'elle le fasse sortir,
et troisièmement une paire de chaussures.
Attirer l'attention des patients sur leurs contradictions n'est efficace
qu'exceptionnellement. Leur besoin d'organiser les choses logiquement,
d'y réfléchir, de les envisager selon un certain point de vue, est forte-
ment diminué, d'une façon générale. Tandis qu'à l'autre extrémité les
alcooliques ne cessent d'ajouter à leurs récits des compléments libre-
ment imaginés pour les enrichir et pour donner une motivation causale
à leurs actes, à l'inverse les schizophrènes pensent par bribes logiques.
Souvent, la causalité semble ne même pas exister pour eux. Nombreux
sont ceux qui ne se soucient pas de savoir d'où viennent leurs Voix ;
ils peuvent rester longtemps enfermés à l'asile sans en demander le
motif. Il semble s'agir là d'un déficit non seulement affectif mais aussi
logique.

Ainsi, sous certains rapports, la faculté de discussion fait-elle défaut


aux malades. Ils pensent quelque chose, alors c'est comme ça ; pour
soutenir leurs idées, ils fournissent tout au plus de pseudo-preuves, et
les preuves du contraire les plus évidentes demeurent sans effet.
Lors des tâches complexes, les malades paraissent souvent si dissociés,
leur esprit si morcelé, qu'il n'est plus possible de trouver si facilement
la genèse des erreurs de pensée. Cependant, même en pareil cas, une
certaine patience permet de réaliser des sondages-tests.
Dans la reconnaissance d'images, la perturbation de la pensée se mani-
feste sous ses formes les plus diverses. Certains malades, néanmoins,
reconnaissent aussi bien que les sujets sains les images simples et
complexes ; en matière de compréhension des situations représentées
en images, la paranoïde B. St. décrite par Jung était supérieure à tous
les membres du personnel infirmier testés sur le même sujet. Par
contre, de nombreux malades ne saisissent absolument pas des images
compliquées, ou ne les comprennent que partiellement, ou, notamment,
les interprètent de façon erronée, ces images étant associées à des
complexes. Mais même des images d'objets simples ne sont pas re-
connues.
Une hébéphrène légèrement excitée qualifie un étudiant de « pipe à tabac » :
elle ne prend en compte qu'une partie du tout. Elle appelle un marteau « la
nature (= le sperme), le marteau » : le manche du marteau est certes le
manche du marteau, mais aussi le pénis, en même temps, conformément au
complexe érotique de la malade ; pour elle, une montre est une « montre à
électriser », parce qu'elle y associe la représentation des hallucinations
sexuelles. Elle appelle épi une pomme de pin en grandeur et couleur natu-
relles : elle ne prend en compte que la forme, et encore de façon insuffisante.
Une autre qualifie les oreilles du zèbre de « nœuds sur la tête », ce qui
correspond à ses tendances allant vers la parure et les idées de grandeur.
Une représentation partielle apparaît dans les réponses suivantes : « suspen-
du » (au lieu de linge étendu), « un tas » (au lieu de pommes de terre). Par-
fois, c'est le barrage qui est systématique, exactement comme la mise en
corrélation : (fiancée) « j e ne sais pas quoi » ; (Que font-ils ? - il s'agit de
musiciens) « du bruit ». (Fiancée, désignée avec une insistance particulière)
« une femme, elle porte un chapeau » (c'est le bouquet qui est qualifié de
chapeau). Des objets tels que des asperges, des serpents, sont volontiers qua-
lifiés d'une façon erronée, habituellement en relation avec d'autres signes
d'excitation sexuelle.
Parfois des malades pourtant attentifs par ailleurs n'associent rien du
tout aux images qu'on leur montre (ainsi qu'il en va pour nous avec
les mille choses que nous voyons dans la rue sans leur prêter attention).

Le récit de ce qui est vécu ou lu est parfois caractéristique, lui aussi.


Souvent apparaît une différence entre les expériences antérieures et
postérieures au début de la maladie. Dans le cas de ces dernières, les
divers troubles de l'aperception peuvent naturellement perturber le ré-
sultat ; mais parfois entre aussi en ligne de compte le fait que, malgré
une bonne aperception et de la bonne volonté, les malades ne peuvent
plus élaborer quelque chose de nouveau ; ils racontent alors les his-
toires qu'ils ont apprises auparavant avec une cohérence convenable,
bien que par fragments, tandis qu'ils racontent les histoires nouvelles
de façon insuffisante. Parfois ils intègrent aussi de nouveaux concepts
dans les événements anciens, comme cet hébéphrène cultivé qui ap-
pelle Guillaume Tell « un capitaine de vaisseau » ; ou bien c'est trop
d'effort pour eux que d'évoquer leurs souvenirs et l'on obtient alors, à
la question « que savez-vous de Tell ? » des réponses comme : « On a
déjà pas mal discuté de ça ! »

Des histoires lues 93 peuvent être non seulement impeccablement ra-


contées, mais même résumées et appliquées à d'autres situations par

9 3 . Pour diverses raisons, la fable suivante a bien répondu à notre attente comme texte pour
des tâches simples : L'âne chargé de sel / Un âne chargé de sel dut traverser un fleuve à
gué. Il tomba et resta quelques instants confortablement allongé dans le flot frais. E n se
relevant, il se sentit soulagé d'une grande part de son fardeau, c a r le sel s'était dissout dans
l'eau. Maître Grandes Oreilles nota cet avantage et l'utilisa dès le j o u r suivant, quand il
traversa le même fleuve, chargé d'épongés. / Cette fois, il fit exprès de tomber, mais il fut
amèrement déçu. Car les éponges avaient absorbé l'eau et étaient devenues notablement
plus lourdes qu'avant. Le fardeau était si lourd qu'il s u c c o m b a . / Un moyen ne convient pas
dans tous les cas (NDA).
bien des malades qui font les plus grosses bêtises ou colportent les
idées les plus absurdes. Généralement, cependant, de telles tâches sont
un échec complet dans le cas de patients d'asile, ou bien la morale
est détournée dans le sens des complexes ou tirée d'une association
fortuite. Ainsi un patient tire-t-il de la fable-test la morale suivante :
il ne faut pas être effrayé si l'on se voit attribuer une lourde tâche.

Même chez des malades dont la pensée est habituellement relativement


peu entravée, la compréhension d'une histoire peut être rendue plus
difficile par des barrages. Un patient d'ordinaire très attentif, intelli-
gent de nature, ne put tout simplement pas se mettre une petite fable
dans la tête, bien qu'il eût tellement concentré son attention que son
visage s'était empourpré, et qu'il respirait avec difficulté et transpirait :
« les Voix l'en empêchaient ». Parfois, plusieurs répétitions de la lec-
ture sont d'un certain secours ; mais le résultat n'en devient pas tou-
jours meilleur.

Certains malades racontent, au lieu de ce qu'ils ont lu, de tout autres histoires
d'âne ou de sel, etc. D'autres mettent dans un nouveau contexte, voisin, des
fragments de l'idée qui leur a été fournie : ainsi avons-nous entendu plusieurs
fois « qu'un âne a voulu se noyer ». Ou encore des fragments sont répétés
sans cohérence, avec souvent aussi des ajouts schizophréniques : « Un âne a
été lourdement chargé de sel et est parti avec son chargement - dans le
désert ». A l'occasion, les malades remarquent l'incohérence ou la confusion
de leur récit. (Après deux lectures) : « Un âne a emporté du sel avec lui et
a dû entrer dans le fleuve ; une éponge est alors venue - j e ne sais pas si
c'est une éponge - ou un cygne - ou une oie 9 4 ... » (Ici, la patiente s'est
aperçu qu'une éponge pouvait difficilement venir, et a alors changé l'éponge
- Schwamm - en un cygne - Schwan.) Dans des cas plus graves, les concepts
de l'histoire sont mélangés pêle-mêle et reliés grammaticalement les uns aux
autres : « Un âne a franchi à gué un fleuve dans lequel il y avait des éponges,
et alors le fardeau a été trop lourd pour lui. » Si, à l'inverse, le rapport de
causalité est particulièrement souligné, voire même complété par des ajouts
inutiles, il s'agit en règle d'une complication par Valcoolisme : « Un âne por-
tait un chargement d'épongés ; il avait soif, il est entré dans un fleuve pour
boire de l'eau... »

De véritables remaniements du récit s'avèrent généralement représentatifs


d'influences des complexes. Une malade qui avait des remords de conscience
parce qu'elle s'était insuffisamment défendue lors d'un attentat sexuel devait
raconter qu'une hache était tombée dans un fleuve ; au lieu de dire « fleuve »,

94. La première association s'est faite par assonance : Schwamm (éponge) - Schwan (cygne)
(NDT).
elle dit « fosse » ; quand on lui fit remarquer que c'était dans un fleuve, elle
dit « oui, une fosse avec de l'eau ». Abstraction faite de tels cas, nous voyons
dans la schizophrénie étonnamment peu de références à soi-même lors de la
lecture des fables, tandis que les déprimés organiques rapportent en règle à
eux-mêmes l'histoire de l'âne noyé ou surchargé, et la plupart des alcooliques,
eux aussi, voient dans l'eau une allusion à leur défaut.

Dans notre maladie, la plupart des altérations apparaissent généralement


comme « fortuites », mais elles n'en peuvent pas moins être maintenues avec
beaucoup d'opiniâtreté : une hébéphrène prétendait avoir lu à l'instant quel-
que chose sur un fleuve « profond », et, quand on lui montra le livre, elle
dit que ce qui était imprimé avait été changé entre-temps. On voit relative-
ment peu de véritable imagination à l'œuvre ; mais quand il arrive qu'elle
soit présente, elle peut se donner libre cours, étant donné le manque de sens
de la réalité. Un peintre hébéphrène décrivait très correctement la technique
picturale ; mais il évoquait avec des erreurs de détail les événements de sa
propre vie, la Bible, ou Guillaume Tell, « tels qu'ils auraient pu être ».

La difficulté générale à penser se manifeste aussi, le cas échéant, par l'in-


terruption du récit et par les petits pas que fait le cours de la pensée ; « Un
âne - (Qu'a-t-il fait ?) - traversa une rivière » (et alors ?) « Il est tombé »
(et alors) « est resté couché » (et après ?) « s'est relevé... » A la question
réitérée « et alors ? », un autre patient répond seulement par des mots isolés :
« Grandes Oreilles - nager - lourd fardeau - relever la tête - traverser -
tenir une oreille fermée - se secouer - suivre la route - doit être battu - . . . »

De tout temps, la conscience de la maladie a été considérée comme un


élément de mesure de l'intelligence. Or elle est très caractéristique
dans la schizophrénie. Comme dans d'autres maladies mentales, elle
fait généralement totalement ou partiellement défaut à l'acmé de la
maladie. Mais, au début, de nombreux malades non seulement se consi-
dèrent comme nerveux mais se rendent fort bien compte de l'anomalie
de leur pensée, de leur aboulie et de bien d'autres symptômes ; s'ils
ne se considèrent pas comme des malades mentaux, ils craignent par-
fois de « devenir malades mentaux », tandis qu'à un stade ultérieur
« on les a rendus malades mentaux ». Même dans des cas anciens, une
conscience partielle de la maladie n'est pas rare, encore que les ma-
lades n'en tirent qu'exceptionnellement les conséquences pratiques.
Les plus frappants sont les paranoïdes, qui viennent à la consultation
en se plaignant de souffrir de délire de persécution ou d'hallucinations
et décrivent leur anomalie comme une maladie aussi objectivement
qu'il est possible. Une partie de leur Moi, qui pense normalement, juge
correctement la partie anormale, jusque dans les moindres détails, mais
sans pouvoir l'influencer. Naturellement, chez de tels malades aussi il
y a des périodes où les idées délirantes ont une totale emprise sur eux,
et dès l'examen on peut régulièrement trouver des contextes dans les-
quels le sens critique fait défaut, ou du moins est insuffisant.

De nombreux malades se rendent certes compte qu'ils voient les choses


autrement qu'avant, mais ils croient qu'avant ils se trompaient et que
maintenant ils ont reconnu la réalité. C'est qu'à présent ils ont « une
intelligence renforcée ». A l'acmé de la maladie, leurs propres actes
et les motivations de ceux-ci sont jugés de façon erronée. Ainsi une
malade aussi intelligente que la demoiselle L. S. de Forel pensait-elle
avoir tout supporté avec patience, alors que pendant un temps ç'avait
été une patiente fort désagréable.

Quand les accès se répètent, les malades peuvent recommencer à


commettre les mêmes actes qu'ils qualifiaient d'inadaptés lorsqu'ils les
rapportaient au passé, et à les défendre comme tout à fait fondés.

Lors des bonnes rémissions, les idées délirantes sont reconnues comme
telles bien que, presque sans exception, on puisse encore en retrouver
quelque chose dans certaines associations. Les malades « guéris » peu-
vent aussi qualifier de morbide et d'absurde leur comportement durant
la maladie : mais là aussi la pleine critique fait généralement défaut.
J'ai vu une catatonique qui, dans un asile, était très violente envers
elle-même et envers autrui, barbouillait, refusait la nourriture, qui fut
ensuite reprise par son père alors qu'elle était dans la plus grande
excitation, tint le ménage de celui-ci dès le premier jour de sa sortie,
et rédigea ses mémoires. Elle se souvenait de tous les détails de son
séjour à l'asile, pouvait même qualifier de morbide tel ou tel de ses
symptômes, mais elle considérait pourtant qu'elle avait été enfermée à
tort, et elle crut pouvoir écarter mes prudentes objections, selon les-
quelles ses violences et son refus de nourriture n'avaient tout de même
pas été signes de bonne santé, en disant qu'elle avait voulu « perturber
la marche de l'asile, où on la traitait si injustement ».

Les malades relativement graves ne peuvent plus bien apprendre des


choses nouvelles. Certes, ils sont souvent encore capables de tâches
agricoles simples, mais il faut toujours les surveiller. A l'asile de Rhei-
nau, en son temps, j e me suis efforcé d'introduire la vannerie ; mais,
parmi cette population de grands malades, il fut impossible d'en ame-
ner ne serait-ce qu'un seul à travailler de façon autonome.

Ceci n'exclut pas que, dans un autre cas, un patient qui avait été
gravement catatonique pendant quelques années, et qui souffre main-
tenant d'une paranoïa hallucinatoria patente, commence tout d'un coup
à apprendre l'anglais et y arrive si bien, à l'asile, en autodidacte, qu'il
peut vendre ses traductions.
La capacité d'étude, mesurée à l'habileté à additionner, serait normale,
selon Specht (733). Selon Reis, elle s'avère un peu diminuée dans
divers types d'examen psychologique du progrès dans l'étude ; elle était
totalement absente dans un cas. De plus amples examens, chez des
malades dont la maladie est avancée, seraient toutefois souhaitables ;
car l'attention, la bonne volonté, etc. influencent naturellement très
fortement le résultat.
La capacité de calculer est légèrement altérée dans les cas assez
graves, mais elle peut se restaurer à tout moment, si les patients sont
assez cohérents pour avoir une vue d'ensemble d'un problème de cal-
cul. Des méprises de toute sorte, telles qu'on en voit dans la perplexité
et le manque d'attention, sont naturellement très fréquentes chez les
patients d'asile ; il s'y ajoute, de surcroît, que souvent ils n'ont pas la
volonté de répondre correctement ; même des schizophrènes très sensés
ne se gênent pas le moins du monde pour dire, lors d'une présentation
clinique, que 3 fois 1/4 font 100. Mais des cas relativement bénins, au
stade chronique, sont parfois tout à fait aptes à des travaux comptables
de bureau. Ils ne prêtent attention à rien d'autre, ne pensent à rien
d'autre et peuvent travailler à longueur d'année comme une machine,
avec la plus grande conscience ou, disons, la plus grande « précision ».
Dans les jeux de toute sorte, les malades se comportent comme dans
d'autres activités intellectuelles, c'est-à-dire de façon extrêmement di-
verse. Beaucoup ne présentent pas la moindre trace d'un besoin quel-
conque de se divertir. Ceux qui ont un penchant à jouer consacrent
souvent une attention totale à cette occupation, comme quelqu'un de
sain ; et ce ne sont pas seulement des cas chroniques qui peuvent jouer
aux jeux habituels, notamment aux cartes, avec raffinement et en pe-
sant tous les éléments, mais même un catatonique au stade aigu, qui
paraît franchement confus, peut nous surprendre en jouant aux échecs
comme un virtuose. Parmi les jeux de société, ceux qui demandent de
l'esprit ne peuvent naturellement pas être faits avec la plupart des
patients.
L'imagination des schizophrènes est en règle fortement atteinte. La plu-
part n'ont aucun penchant à penser quelque chose de nouveau, et ils
en ont tout aussi peu la capacité. Leurs pensées nouvelles consistent
souvent en des assemblages étranges du stock idéique existant, mais
elles se forment sans qu'il y ait de but intellectuel, et c'est pourquoi
elles ne produisent que des bizarreries mais ne créent pas d'idées à
proprement parler. Un paralytique général à forme maniaque peut pro-
duire plus d'idées neuves en un jour que toute une section pleine de
schizophrènes en plusieurs années.
Les capacités esthétiques sont généralement anéanties, ou du moins for-
tement endommagées par la maladie. Car la suite dans les idées fait
défaut, ainsi que le jugement, le soubassement affectif, et surtout l'ini-
tiative et la capacité productive. La faculté de jouir des œuvres d'art
est généralement absente aussi.

A l'occasion, on s'aperçoit qu'un patient apparemment complètement


abêti, qui n'a pas exprimé le moindre sentiment authentique ni la moin-
dre parole sensée durant de nombreuses années, trouve dans l'impro-
visation musicale un mode d'expression artistique des états d'âme les
plus divers. Mais humeur et mode d'expression changent de façon tout
à fait abrupte chez la plupart des malades qui font de la musique ; le
cours de pensée sehizophrénique, avec ses sautes imprévues, ses bi-
zarreries, ses barrages et ses persévérations, s'extériorise tout aussi
bien dans l'expression musicale que verbale ; on peut parfois poser le
diagnostic avec certitude à partir d'un court morceau joué au piano.

Les artistes qui pratiquent les arts plastiques sont généralement grave-
ment atteints par la maladie ; ici, la bizarrerie des idées, de la tech-
nique et de l'exécution sautent généralement immédiatement aux yeux.
11 va de soi que la productivité en souffre ; mais il est des peintres
qui répètent une infinité de fois une idée donnée, pendant longtemps 95 .
Souvent, l'art sert de moyen d'expression des idées délirantes et peut
être reconnu comme pathologique au premier coup d'œil.

Le talent poétique pâtit naturellement gravement du cours des idées


sehizophrénique, de la dissociation, de l'inaffectivité, du manque de
goût et de l'absence de productivité et d'initiative. Bien que d'assez
nombreux poèmes schizophréniques soient imprimés, il en sort rare-
ment quelque chose. Quand ces choses sont insignifiantes, c'est encore
un moindre mal ; généralement elles sont tout à fait insupportables.
De bons exemples en sont fournis par les poèmes tardifs de Hölderlin, dont
le plus connu est Patmos, qui illustre le cours de pensée sehizophrénique
avec une rare beauté. Christian (126, p. 27) donne un exemple caractéristique
du vide et de la confusion des idées malgré le maintien d'une certaine tech-
nique formelle :

9 5 . D a n s l e s c a s relativement b é n i n s , la singularité du s u j e t , de la conception et de la


t e c h n i q u e peuvent rendre le peintre s c h i z o p h r è n e c é l è b r e (NDA).
Sous le chaud soleil qui rayonne
Cachée à l'ombre du Sumac,
La dormeuse mêle au tabac
Sa crinière épaisse de lionne 96 .

Ces vers publiés par Stawitz montrent la banalité des pensées et de la forme :
Der Chorgesang
Stärker als die Sprache der Natur
von bekannten Sängern schallte nur,
eines Tags ein Lied mir zu.
Manch Träne, die mein Herz verbarg,
schaffte so der Seele Ruh !
Mehr noch schätze ich das Singen
als vorher : es gab ja Schwingen
Meinem Rückblick in die Zeit.
Meinem Ohr' ward es zur Weid.

Mehr als alle andern Künste


macht Gesang das Herz, das dümmste,
stärker dir im Nu.
Er ist seiner Schwestern Führer
reuiger Gemüter Kürer
schafft dem Herzen Ruh'.
Jeder Bund, der gerne übet
den Gesang, wird nicht getrübet
durch die Wolken aller Zeiten,
lässt sich von Entzücktheit leiten 9 '.

La bizarrerie s'exprime dans les vers suivants, dont je ne suis plus capable
de citer Tauteur :

Wie hat die Liebe mich entzückt,


als ich noch schwer und kugelrund !
Hier sitz ich jetzt und bin verrückt,
und wiege kaum noch hundert Pfund 98 .

9 6 . Il s'agit d'un texte français (NDT).


9 7 . Le chant choral. - Plus fort que le langage de la nature de chanteurs connus a résonné
un jour une chanson à mes oreilles. Plus d'une larme, c e l é e en mon cœur, a coulé, avec
peu d'effort, donnant une telle paix à mon âme ! J'ai tenu le chant en plus haute estime
encore q u ' a v a n t ; car il faisait vibrer mon regard vers les temps écoulés. 11 devint une dé-
lectation pour mon oreille... Plus que tous les autres arts, le chant rend plus fort ton cœur
à l'instant, si bête soit-il. 11 est le guide de ses sœurs, le guérisseur des âmes repentantes
et donne la paix au cœur. Nulle ligue pratiquant le chant n'est troublée par les nuées de
tous les temps, elle se laisse guider par le ravissement.
9 8 . Comme l'amour m'a ravi alors que j'étais encore pesant et rond comme une boule !
Maintenant, j e suis ici, et j e suis fou et ne pèse plus qu'à peine cent livres !
Dans des cas assez graves, cela aboutit à une salade de mots complètement
incompréhensible, ou même à une succession plus ou moins versifiée de mots
inconnus.

Là où de telles erreurs ne sont pas commises, les productions intel-


lectuelles des schizophrènes souffrent pourtant généralement du man-
que d'élaboration, du vide de la pensée et de la platitude de son
contenu. Ou bien le manque d'élaboration rend insipides des idées en
soi bonnes.
Tout ceci vaut pour les degrés assez hauts de la maladie, tels qu'on
les voit arriver en traitement médical. Mais nous savons que quelques
artistes et poètes très connus (par exemple Schumann, Scheffel, Lenz,
Van Gogh) étaient schizophrènes.
On ne saurait exclure que la schizophrénie tout à fait bénigne puisse
être vraiment favorable à la productivité artistique. La subordination
de toutes les associations idéiques à un complexe, la tendance à des
cours de pensée neufs et inhabituels, l'indifférence à la tradition, l'ab-
sence de gêne doivent avoir une action favorable, si ces caractéristi-
ques ne sont pas surcompensées par les troubles des associations
proprement dits. Car toutes les vraies natures d'artistes sont des gens
avec des complexes chargés d'affect fortement clivés, raison pour la-
quelle des symptômes hystériformes sont si fréquents chez eux. Mais
les schizophrènes sont aussi des « gens complexuels ». Cette question
devrait être étudiée de façon plus poussée.

Dans les états aigus, une forme de productivité pathologique peut même
se développer. La patiente de Forel était habituellement incapable de
faire des vers ; au stade prodromique de la maladie, les vers en gésine
la « pourchassaient » littéralement.

f) L'activité et le comportement

L'activité proprement schizophrénique est marquée par le désintérêt,


le manque d'initiative et de but déterminé, par l'adaptation insuffisante
à l'environnement, c'est-à-dire l'absence de prise en compte de nom-
breux éléments de la réalité, par la dissociation, les lubies soudaines
et les bizarreries.
Les cas latents relativement bénins vivent pour l'essentiel comme d'au-
tres gens et sont considérés comme sains. Tout au plus attirent-ils l'at-
tention par leur susceptibilité et, de temps à autre, par une bizarrerie.
Ils travaillent à l'intérieur et à l'extérieur des asiles, l'un très conscien-
cieusement, l'autre de façon lunatique et irrégulière. Ils exercent tous
les métiers relativement simples, ou parfois aussi une profession artis-
tique ou universitaire. Cela marche souvent bien, et parfois même très
bien ; mais cette dernière éventualité ne se présente que dans un mé-
tier où le travail est prescrit avec précision, par exemple comme garçon
de ferme, comme servante. Toutefois, ils s'écartent souvent de la norme.
Ils changent souvent de métier ou de place. L'un quitte tout simplement
son travail, sans même percevoir son salaire ; un jeune sculpteur, qui
réussissait fort bien dans sa profession, se trimballe une année durant
avec un phonographe. La plupart restreignent plus ou moins nettement
le contact avec le monde extérieur, pour partie d'une façon globale,
pour partie en ce qui concerne des relations sélectionnées.
Ce qui est habituellement le plus frappant, dans ces cas bénins, c'est
l'irritabilité et la susceptibilité. Pour la moindre vétille qui ne leur
plaît pas à un moment donné, ils peuvent bouder, vitupérer, s'en aller ;
si le fiancé ne vient pas, ça ne convient pas, et s'il vient, alors la
fiancée y trouve vraiment matière à redire. En toute circonstance, ils
déploient un désagréable entêtement. Ils sont en outre lunatiques, sor-
tent le cas échéant en plein milieu de la nuit.

La tendance à se retrancher des autres humains peut s'associer à des


excès en compagnie libertine. L'indifférence pour les choses impor-
tantes et la paresse mettent ces gens à la rue ou dans quelque autre
milieu défavorable, ils deviennent vagabonds", voleurs, plus rarement
escrocs et criminels d'une autre façon. J'ai aussi vu deux pyromanes
schizophrènes. Pourtant l'apathie et l'aboulie déterminent en général
une relative absence de dangerosité. Bien que toute prison héberge
des schizophrènes, leur nombre est sans commune mesure avec celui
de ceux qui vivent en liberté, et dont beaucoup manquent plus ou
moins de sentiments sociaux ou, à la suite d'idées délirantes, par rage
intérieure à cause des restrictions qui sont infligées à leur liberté,
pensent et sentent de façon vraiment anti-sociale. Quoi qu'il en soit,
les meurtriers schizophrènes ne sont pas si rares, en nombre absolu.
L'ambition est généralement faible, si elle ne s'est pas totalement
éteinte. Dans quelques cas elle est cependant exagérément forte, bien
qu'exclusive (réformateurs du monde, pseudo-poètes). Dans les tâches
auxquelles les malades ne sont pas tout à fait habitués, ce n'est pas
tant l'intelligence que l'énergie qui se dérobe la première. Bien des

9 9 . Voir Willmanns (NI)A).


malades plus graves évitent tout travail par une échappatoire stupide,
ou même sans. A l'occasion, ils travaillent comme une machine ; on
met une scie dans la main du patient, il la fait aller et venir jusqu'à
ce que le bois soit coupé, pour rester alors immobile jusqu'à ce que
l'infirmier lui ait de nouveau préparé le travail. D'autres se rendent
fort utiles, quand on peut leur donner un travail qui ne nécessite guère
de réflexion et qui ne requiert aucune initiative propre : ils portent du
charbon, sarclent, tricotent, mettent certaines pièces en ordre ; on peut
souvent les utiliser encore pour faire la sentinelle. On rencontre de
temps en temps des schizophrènes qui ne ressentent pas de fatigue et
qui travaillent toute la journée durant, parfois sans trop penser, parfois
avec une certaine réflexion, si bien qu'on doit les protéger contre leur
ardeur au travail.
L'observation de Kraepelin (390, vol. II, p. 315), qui a constaté dans un cas
le manque d'impulsion de finir, est intéressante et mérite de plus amples
investigations. Cela était à prévoir, là où il n'y a ni fatigue, ni intérêt.

Aux degrés les plus avancés de l'affection, le déficit de l'intelligence


au sens strict rend ces gens totalement ou partiellement inaptes à des
tâches complexes.

Ainsi un patient de Kraepelin pouvait-il encore fort bien dessiner, mais non
faire des courbes. Un autre pouvait copier avec exactitude, mais non utiliser
correctement les signes de ponctuation. D'une façon générale, les patients ne
font guère montre de faculté de variation dans le travail non plus ; chez un
très grand nombre d'entre eux, le travail doit être fait comme ça leur passe
par la tête, même quand c'est tout à fait inadéquat. On sent très nettement
le manque de faculté de réflexion. Un enseignant pensionné réclame d'être
réembauché, mais dans le même courrier il invective les autorités. Un mé-
decin placé à l'asile en raison de menaces ayant un caractère de dangerosité
publique dit, avec le plus grand sérieux, pouvoir obtenir toute la liberté qu'il
veut en me faisant un procès ; je serais alors son adversaire et n'aurais plus
le pouvoir de lui imposer des limites en tant qu'expert et directeur d'asile.
On voit quotidiennement des malades apparemment lucides faire des tenta-
tives de fugue tout à fait irréfléchies, soit sous les yeux des infirmiers, soit
sous forme de fuite d'une pièce dans un corridor au-delà duquel il y aurait
encore quelques portes fermées à franchir.

Les buts que les patients se sont fixés contrastent souvent grossière-
ment non seulement avec leurs capacités actuelles, mais avec leurs
facultés intellectuelles en général. Réforme du monde, poésie, philan-
thropie sont les activités de prédilection de certains schizophrènes.
Néanmoins, beaucoup disent en tous domaines des vérités auxquelles
quelqu'un de sain ne pense pas.
Ils peuvent apparaître vraiment inconsidérés et arrogants même sur de
minces sujets, comme quand un patient inculte donne à un médecin
de bons conseils sur la façon de traiter un de ses (du médecin) parents,
ou quand des conseils sur le savoir-vivre en bonne compagnie sont
donnés à une patiente stupide. Ce n'est guère mieux quand un autre
patient écrit pour un journal un article sur la valeur formatrice du
cirque pour le public zurichois. Au niveau des apparences, une co-
quetterie excessive et pouvant aller jusqu'à une extravagance carica-
turale se manifeste parfois. Il est toutefois plus fréquent "que les
malades finissent par être sales et négligés sous tous rapports.

Mais parfois de grands malades peuvent aussi en imposer aux gens de


leur entourage, justement parce qu'ils ne tiennent aucun compte de
toutes les difficultés. Une dame schizophrène épouse, sans qu'il soit
vraiment d'accord, un homme qui a habituellement sa volonté propre
et qui s'est fait un nom dans un poste très en vue. Dans un discours
public, de telles gens peuvent convaincre tout un auditoire de leur
bonne santé et de bien d'autres choses fictives. Le poète de « Jouissez
de l'existence » se choisit une fiancée schizophrène, à cause justement
de « l'étourderie naïve » par laquelle elle se distinguait dans la société
rigide de l'époque.

Dans les cas moyens et graves, la dissociation est au premier plan,


dans le domaine intellectuel.

Une dame cultivée écrit une foule de lettres, met les adresses, les pourvoit
de la mention « recommandé », mais ne les envoie pas. Un enseignant ré-
clame tout à coup un poste à 2 0 0 0 F de traitement et quitte la place qu'il
avait. Un être inculte veut étudier la théorie musicale. Un commis fait chaque
nuit dans les deux sens le trajet Romanshorn-Genève, parce qu'il a entendu
dire qu'il serait déjà arrivé que des gens se fiancent fort bien dans des trains
de nuit. Un homme se déshabille dehors en plein hiver et traverse le village
tout nu pour aller se baigner dans le fleuve, qui est à une demi-heure de
marche. Une jeune fille coud des bas sur un tapis.

Les lubies pathologiques rendent certains patients incapables de ga-


gner leur pain quotidien. Des gens habituellement diligents ne se ren-
dent pas à leur travail, un beau jour, sans raison apparente, mais
considèrent comme allant tout à fait de soi qu'ils n'ont ensuite qu'à
reprendre leur poste de travail sans même s'excuser. Un hébéphrène
qui avait répandu de l'engrais dans les vastes jardins de l'asile pendant
des années, avec un zèle qui ne faiblissait jamais, est surpris un jour
en train de soulever les arbres nains en coupant leurs racines, de les
« mettre plus haut », comme il dit. Avec l'idée confuse de faire quelque
chose de bien, il a détruit quelques centaines d'arbres. Il n'est pas de
sottise qui ne puisse être faite sous la forme d'une lubie pathologique
de nos malades, sans qu'ils s'en rendent compte ; l'un, certes, se
contente de taper quelques coups sur la table ou chante comme un
coq, mais l'autre met le feu à une maison ou jette sa mère dans le
puits.

Souvent, les patients s'éloignent de plus en plus de la norme dans leur


comportement général et deviennent de plus en plus bizarres. Cela
peut aller si loin que trois de nos malades, issus de bonnes familles,
cachèrent pendant longtemps leurs excréments dans des armoires, en-
veloppés dans du papier, alors qu'ils étaient encore considérés comme
bien portants. Une malade qui travaille assidûment à l'asile se rend
chez elle chaque dimanche et reste assise sur une chaise de 1 h 4 5 à
5 h 30, fixant toujours le même angle de la pièce et ne prononçant pas
un mot. Des patients dont l'évolution est plus avancée collectionnent
toutes sortes d'objets, utilisables ou non, dont ils remplissent leur lo-
gement, si bien qu'ils ne peuvent presque plus s'y déplacer ; à la fin,
la manie de collectionner devient si stupide qu'ils remplissent leurs
poches de cailloux, de petits bouts de bois, de chiffons et autres saletés.
La tendance à faire des pitreries peut elle aussi prendre tellement le
dessus que l'on se trouve devant un tableau de clownisme chronique
monotone.

Des malades dont le comportement est tout à fait incompréhensible


peuvent paraître par moments de nouveau plus ou moins normaux. Sou-
dain, ils occupent de nouveau un emploi ; ou encore, notamment, ils
font impeccablement une période militaire de plusieurs semaines 1 0 0 . A
l'inverse, un soudain état d'agitation, motivé ou non, peut rendre tout
à coup de nouveau mouvementé un tableau pathologique tranquille. Un
malade amélioré voulait tuer un chat, mais il fut tancé par son père.
Très agité, il s'écria alors : « Tout est fini maintenant ! », sauta dans
le fleuve, nagea de nouveau vers la rive et se remit à travailler comme
auparavant.

Les rapports avec les autres personnes ne sont pas seulement perturbés
par l'irritabilité et les bizarreries. Dans leur autisme, ils peuvent se
comporter comme s'ils étaient seuls dans une salle de travail bondée ;
tout ce qui concerne autrui n'existe pas pour eux. Dans les sections,

1 0 0 . A vrai dire, il est b e a u c o u p p l u s f r é q u e n t q u e des s c h i z o p h r è n e s l a t e n t s s e comportent


de façon tout à fait i n a d a p t é e à l ' a r m é e (NDA).
beaucoup ne changent rien à leur comportement au passage du méde-
cin, sauf s'ils peuvent se détourner encore plus nettement par leur
mimique ou par leur position. Ils tournent en permanence le dos au
monde, cherchant à se protéger de toutes les influences extérieures.
Cela peut aller jusqu'à une sorte de stéréotropie, les malades ne se
sentant bien que dans un coin où ils se blottissent le plus près du mur
possible. Là où ils sont abandonnés à eux-mêmes, on les trouve aussi
allongés contre l'angle du sol et du mur, le visage tourné vers le mur
et, de surcroît, souvent couvert d'une serviette ou de leurs mains.
Quand l'affection est plus bénigne, il peut aussi arriver qu'un hébé-
phrène rentre d'Amérique sans prévenir, installe ses quartiers de nuit
dans la grange de ses parents et n'y soit découvert qu'au bout d'un
certain temps, car il lui faut tous les jours partir très tôt le matin pour
se rendre à son lieu de travail, qui est éloigné. - Le besoin de dis-
traction en général fait complètement défaut à beaucoup de schizo-
phrènes, même capables de travailler. L'existence des malades se
déroule alors de façon très monotone, entre le travail, le boire, le man-
ger et le sommeil.
Si les schizophrènes sont forcés d'avoir des relations avec d'autres per-
sonnes, cela se passe souvent d'une façon fort bizarre. Tantôt ils sont
importuns, ne peuvent pas s'arrêter de répéter toujours la même chose,
sont totalement sourds à toutes les objections ; tantôt ils se comportent
de façon rejetante, sèche, grossière. Un pharmacien hébéphrène faisait
des reproches à ses clients quand ils lui apportaient des ordonnances
qui lui donnaient beaucoup de travail.

* * *

Tels sont les cas qui sont encore capables d'agir et d'avoir des relations
avec les gens. Si l'autisme prend le dessus, il donne finalement lieu
à un repli total sur l'esprit malade. Les schizophrènes les plus graves
vivent comme en rêve dans les salles qui leur sont dévolues, tantôt se
déplaçant comme des machines ou, sinon, bougeant sans but apparent,
tantôt muets et immobiles, réduisant le contact avec le monde extérieur
à un minimum imperceptible. Si, à un stade quelconque, des symp-
tômes accessoires apparaissent sur le devant de la scène, ce sont alors
eux qui déterminent l'activité et le comportement apparent.
Chapitre II

Les symptômes
accessoires
Il n'est pas fréquent que les symptômes fondamentaux soient si forte-
ment développés qu'ils mènent le patient à l'asile. Ce ne sont que les
phénomènes accessoires qui lui rendent impossible de séjourner dans
sa famille, ou ce sont eux qui rendent la psychose manifeste et amènent
à réclamer une aide psychiatrique. Ils peuvent être présents durant
toute l'évolution, ou seulement au cours de périodes tout à fait quel-
conques de celle-ci. Ils impriment généralement leur sceau au tableau
apparent de la maladie, si bien qu'avant Kraepelin on avait cru pouvoir
délimiter des maladies particulières d'après ces symptômes et leur
groupement.

Les plus connus sont les hallucinations et les idées délirantes. A leurs
côtés, les troubles de la mémoire et les altérations de la personnalité
ont été relativement peu pris en compte. Le langage parlé et écrit et
une série de fonctions corporelles sont parfois altérés, d'une façon tout
à fait irrégulière mais typique. Depuis Kahlbaum, on réunit sous le
nom de symptômes catatoniques un groupe particulier de phénomènes.
Tous ces troubles peuvent être transitoires ou de longue durée. Mais
il existe en outre certains complexes aigus de symptômes, qui se compo-
sent des manifestations citées et d'autres encore, et qui ont donné
l'impression de psychoses aiguës autonomes. Pour nous, ce sont des
épisodes ou des exacerbations survenant au cours d'une évolution plus
longue.

a) Les erreurs sensorielles

Chez les schizophrènes des asiles, les erreurs sensorielles — illusions


et, notamment, hallucinations 1 — sont généralement au premier plan.

1. Voir l e s « p a r e s l h é s i e s » parmi les « symptômes corporels » (NDA).


Les plaintes des patients, les singularités de leur comportement mani-
feste, agitation et apaisement, béatitude, désespoir et rage, sont en rè-
gle en rapport avec des erreurs sensorielles ou sont considérés comme
étant directement les conséquences d'erreurs sensorielles.
Ce qui est caractéristique des hallucinations de la schizophrénie, c'est
la prééminence de l'ouïe et des sensations corporelles. Presque chacun
des schizophrènes des asiles entend des Voix par intermittences ou en
permanence. Presque aussi fréquentes sont les perceptions illusoires
correspondant aux différents organes du corps ; les hallucinations tac-
tiles sont relativement rares, bien que les malades se plaignent parfois
de sensations d'animaux, notamment serpents, se mouvant autour du
corps, et que les sensations d'être violé, frappé, brûlé, électrisé puis-
sent avoir une composante tactile. D'après le nombre des patients qui
nous en parlent, il faut citer en troisième lieu les hallucinations du
goût et de l'odorat. Les hallucinations et illusions visuelles ne sont pas
très fréquentes chez les patients lucides, mais elles viennent au pre-
mier plan dans les agitations hallucinatoires et les états crépusculaires.
Au niveau des autres sens, les illusions semblent céder le pas aux
hallucinations : dans le cas du goût, il est néanmoins très difficile de
déterminer s'il s'agit d'une illusion ou d'une hallucination, car ces er-
reurs sensorielles surviennent généralement pendant les repas. En
l'état actuel de nos connaissances, savoir si les erreurs du sens kines-
thésique, qui peuvent également se voir, doivent être appelées illusions
ou hallucinations importe peu.

Le contenu des hallucinations schizophréniques peut être à peu près


tout ce qu'un être normal perçoit, à quoi s'ajoutent en outre toutes les
sensations que l'esprit malade est capable de créer de toutes pièces.

Les patients entendent souffler, mugir, bourdonner, cliqueter, tirer, tonner,


faire de la musique, pleurer et rire, chuchoter, parler, appeler ; ils voient
divers objets, des paysages, des animaux, des gens et toutes sortes de formes
impossibles ; ils sentent et goûtent tout ce qui peut agir sur ces sens d'agréa-
ble ou de désagréable ; ils touchent des objets, des animaux et des gens et
sont atteints par des gouttes de pluie, du feu, des balles ; ils ressentent tous
les tourments, et sans doute aussi toutes les choses agréables que nos sen-
sations corporelles peuvent nous transmettre.

Mais en réalité la grande masse des hallucinations que nous pouvons


observer se limite à un assortiment beaucoup plus restreint. Il est
extrêmement rare qu'un schizophrène halluciné tout un sermon, tout
un drame, qu'il trouve dans son café un pain hallucinatoire, qu'il
voie un paysage de tous les jours (de la musique est rarement en-
tendue 2 ), etc. Des événements tout à fait ordinaires ou très compliqués
ne sont pas facilement reproduits sous forme hallucinatoire par nos
malades : les événements compliqués parce que peu nombreux sont
ceux qui sont capables de hautes performances, et de plus l'état asso-
ciatif des patients diminue leurs possibilités, et les événements quoti-
diens simples parce que, manifestement, ils sont trop insignifiants pour
l'esprit de l'hallucinant, qui n'hypostasie au premier chef dans ses hal-
lucinations que des pensées chargées d'affect.

Ce qui est quotidien, c'est que les Voix menacent, invectivent, criti-
quent et consolent en mots hachés ou en courtes phrases ; que les
malades voient des persécuteurs ou des personnages célestes, certains
types d'animaux, du feu et de l'eau, et puis quelque environnement
souhaité ou craint : le paradis, l'enfer, un château, une caverne de
brigands ; qu'ils sentent de l'ambroisie ou un poison ou un immondice
quelconque dans leur nourriture ; qu'ils soient environnés de vapeurs
toxiques ou d'un merveilleux parfum qui les emplit de béatitude ; qu'ils
éprouvent le plaisir d'amour ou les tourments d'un corps profané par
toutes les influences physiques.

Ce sont toujours les mêmes souhaits et les mêmes craintes qui s'ex-
priment par de tels moyens. L'ambitieux perçoit des allusions qui lui
font miroiter pouvoir et argent, mais qui dévoilent aussi les manœuvres
de ses adversaires ; le malade enfermé entend des Voix qui lui pro-
mettent qu'il sera bientôt libre, et d'autres qui disent que sa séques-
tration sera éternelle, etc.

Les hallucinations des divers sens présentent certaines particularités


intéressantes.
Les hallucinations auditives élémentaires sont relativement rares. Elles
sont généralement aussi en relation avec le patient : un murmure indi-
que un danger, un coup de feu est tiré pour le sauver ou pour le perdre.
Mais il est certains cas dans lesquels de tels acouphènes ne semblent
pas avoir d'autre signification que ne peut en avoir, par exemple, un
bourdonnement d'oreilles pour quelqu'un de sain. On peut toutefois se
demander si ces phénomènes méritent le nom « d'hallucinations ».

Les hallucinations auditives les plus communes sont celles du langage.


Les Voix de nos malades recèlent leurs aspirations, leurs craintes, et

2. Voici peu, une de nos patientes a entendu un c h a n t . Son mari paranoïde avait prophétisé
une promotion s o c i a l e pour l u i - m ê m e et pour elle ; des masses populaires viendraient alors
l e s c h e r c h e r avec des c h a n t s s o l e n n e l s (NDA).
l'ensemble de l'altération de leur rapport au monde extérieur. Elles
procurent au mégalomane l'accomplissement de ses souhaits, au malade
religieux la relation avec Dieu et ses anges, elles annoncent au déprimé
tout le malheur imaginable, elles menacent et injurient jour et nuit le
persécuté. La lettre et le sens des Voix deviennent, pour le patient
comme pour l'infirmier, le représentant des puissances pathologiques
ou hostiles en général : les Voix ne se contentent pas de parler, elles
électrisent aussi les malades, les frappent, les enraidissent, leur pren-
nent leur pensée. Elles sont souvent hypostasiées, en partie sous forme
de personnes, en partie sur un mode très étrange : par exemple, il y
a une Voix sur chacune des oreilles du malade ; l'une est un peu plus
grande que l'autre, mais toutes deux sont à peu près de la taille d'une
noisette, elles ont une grande gueule et c'est tout.

Sur le plan de leur contenu, ce sont les menaces et les invectives qui
sont les plus fréquentes chez nos malades.

Jour et nuit, elles proviennent de l'entourage, des murs, d'en bas, d'en haut,
du souterrain et du toit, du ciel et de l'enfer, de près et de loin. Mais les
patients entendent aussi leurs proches ou leur libérateurs venir, être repous-
sés ou faits prisonniers par les médecins, être torturés. Quand le patient
mange, on dit à chaque bouchée : « il y a du vol là-dedans » ; quand il laisse
tomber quelque chose, il entend : « si seulement on t'avait coupé le pied. »

Très souvent, les Voix sont contradictoires ; d'abord vis-à-vis du patient


(s'il croit en Dieu, elles nient l'existence de celui-ci) ; mais aussi entre
elles (un malade a un abcès, elles disent « empoisonnement du sang »,
puis « bonne guérison » ; lors des règles d'une vieille fille montée en
graine, cela donne : « période, mais il devrait y avoir du changement »,
puis « mue de printemps »). Le rôle du pour et du contre est souvent
joué par des Voix différentes, des personnalités différentes : la voix de
la fille de la maison dit à un patient ; « il va être brûlé », et celle de
la mère : « il ne va pas être brûlé » ; à côté des persécuteurs, les ma-
lades entendent souvent divers protecteurs. La même Voix peut aussi
s'amuser à réduire le patient au désespoir en approuvant ses intentions,
en l'engageant à faire un achat donné, pour ensuite, quand cela s'est
fait, le tancer pour cela. La Voix lui ordonne d'entrer dans l'eau et se
moque en même temps de lui pour l'avoir fait. Les infirmiers, les mé-
decins, « les Voix » en général, critiquent avec prédilection les pensées
et les actes des patients. Lors de la toilette, elles disent : « maintenant
elle se peigne », « maintenant elle s'habille », en partie d'un ton mo-
queur ou de reproche, en partie avec une appréciation critique. La
Voix peut aussi interdire ce que le patient est juste sur le point de
faire. Parfois, les hallucinations représentent une saine critique des
pensées et des pulsions pathologiques des patients. Les malades in-
ventent des noms particuliers pour de telles Voix : dans les lieux les
plus divers, on les entend appeler « Voix de la conscience » ; leur ver-
sant négatif est qualifié de « diable réprimandeur ».
Les Voix de la conscience peuvent aussi critiquer une intention avant
qu'elle ne soit parvenue à la conscience du patient. Un paranoïde in-
telligent du Thurgau nourrissait des sentiments hostiles à l'égard de
son infirmier ; quand celui-ci entrait dans la pièce, la Voix disait au
patient sur un ton de reproche : « Voilà que quelqu'un du Thurgau
frappe tout bonnement un brave infirmier privé. »

Des perceptions sont également transformées en Voix sans être parve-


nues à la conscience ; les Voix deviennent alors des prophéties pour
le malade. Un patient entend : « voilà quelqu'un avec un baquet
d'eau », puis la porte s'ouvre et la prédiction s'accomplit. D'autres pro-
phéties ne sont rien d'autre que des souhaits et des craintes du malade :
la voix de Dieu lui dit que, demain, l'asile, médecins compris, sera
balayé par une catastrophe quelconque et que lui, il sera élevé.

Parfois, les Voix se contentent de constater ce que font ou pensent les


patients, et présentent ainsi une analogie nette avec le symptôme de
dénomination ; dans la « dénomination » commune, l'idée d'une action
ou d'un objet vu est transformée en mots au niveau moteur, et ici au
niveau acoustique. Il arrive aussi que le patient qui voit une photo
entende « c'est un mariage » ; les Voix « dénomment », au sens le plus
strict, ce qui est vu.

La sonorisation de la pensée (également appelé, à mauvais escient,


« double pensée ») est fréquente dans la démence précoce. Les ma-
3

lades entendent leurs pensées, sous forme d'un léger chuchotement ou


avec une intensité sonore insupportable : « le réseau téléphonique
capte tout ce que j e pense ». Des illusions incarnent aussi les pensées
du moment : « Ce que je pense, l'appel d'une cloche, le bruit d'une
voilure, l'aboiement des chiens, le chant des oiseaux, ce n'était encore
jamais arrivé en ce monde. » Même quand les malades parlent, leur
pensée peut encore devenir hallucinatoire : « Parfois, quand j e dis
quelque chose entre mes dents, pour moi, c'est comme si j e l'entendais
au loin » (666, p. 260). « Quand j e cesse de parler, les Voix répètent

3. Das Gedankenlautwerden. Correspond à peu près à « l'écho de la pensée » français, voir


glossaire (NDT).
ce que j'ai dit ». Ce phénomène survient avec une fréquence particu-
lière lors de la lecture et de l'écriture, mais pas exclusivement.

En règle, d'autres hallucinations se mêlent à la sonorisation de la pen-


sée : on répétait tout ce que disait un hébéphrène exactement comme
il l'avait dit ; une femme accompagnait tout ce qu'il disait de commen-
taires ; un homme lisait à haute voix ce qu'il écrivait, un autre homme
négociait à son sujet avec une bonne femme.

Les Voix fournissent aussi des renseignements sur elles-mêmes ; elles


disent qui elles sont, quel air elles ont, où elles sont, etc., mais tout
ceci n'est pas bien fréquent ; car les malades le savent déjà, ou ne s'y
intéressent pas. L'un de nos patients entendit d'abord une Voix, puis
on dit de qui elle venait.

La confusion des malades trouve souvent à s'exprimer dans les Voix.


Parfois beaucoup parlent en même temps, si bien que le patient ne
peut pas suivre ; souvent, elles profèrent un méli-mélo que le patient
n'est pas à même de saisir. Des propos confus ou totalement incompré-
hensibles pour le patient sont souvent perçus.

Mais en règle les patients entendent de courtes phrases ou des mots


isolés qui n'ont pas même besoin d'avoir un sens en soi ; celui-ci n'y
est mis que par le patient. En dehors de la complication par l'alcoo-
lisme, il n'est pas si fréquent que les malades entendent des discours
cohérents. Les dialogues de pensées sont déjà plus fréquents, que ce
soit avec Dieu, avec un protecteur ou avec un persécuteur. Souvent,
les Voix revêtent des caractères spécifiques ; elles parlent extraordi-
nairement lentement, scandent, rythment, riment, parlent des langues
étrangères, etc.

A part l'environnement proche ou lointain, les Voix sont souvent loca-


lisées dans le corps, généralement pour des raisons qui sont aisées à
comprendre : la mère parle dans le cœur et dans les oreilles du ma-
lade ; des voix familières sont, d'une façon générale, volontiers locali-
sées dans la poitrine ou dans le cœur. Mais parfois c'est de tout le
corps que l'on entend « toi, salope », « toi, putain ». Un polype peut
être motif à situer les Voix dans le nez ; une colite les met en rapport
avec l'abdomen ; une respiration ronflante, une éructation les relient
aux organes correspondants. Dans le cas de complexes sexuels, le pé-
nis, l'urine dans la vessie, le nez profèrent des mots obscènes. La
femme enceinte, réellement ou en imagination, entend son ou ses en-
fants parler dans son utérus. Un de nos malades a dans la main gauche
(avec laquelle il se masturbe) une fille qui lui parle quand il porte
cette main à son oreille.
Mais on ne peut pas toujours trouver le motif de la localisation. Ainsi
en va-t-il quand un patient n'entend parler que sa jambe, ou quand
les Voix sont sous la peau, à différents endroits, et ne cessent de dire :
« ne pas laisser sortir », « ne pas faire d'incision ». Ce doivent être
d'étranges sensations que celles qui amènent les patients à des propos
tels que : « le dernier mot, notamment, m'a été littéralement entortillé
autour de la tête pendant quelques minutes » (Kraepelin), ou « les Voix
du cœur se sont enracinées en chapelet sur mon corps » ; « je reçois
aussi beaucoup de Voix, et ce de telle façon que souvent il pleut lit-
téralement sur moi ». Une de nos malades décrit une catégorie donnée
de ses Voix « comme si elles heurtaient avec un son, si bien que ça
donne un coup aux nerfs ». Une autre Voix — de reproche — est « sin-
gulièrement tordue, pas comme si elle engueulait » et lui fait « la li-
néarité noire sur le visage, ce sont des lignes noires, comme des
décorations ».

Parfois les Voix ne se situent pas dans le corps mais dans les vête-
ments ; une de nos hébéphrènes secouait continuellement un nombre
incalculable de « petites âmes parlantes » de ses jupes ; chez une au-
tre, les Voix se croisent au-dessus de ses épaules. Les objets parlent
aussi : la limonade cause, le nom du patient est prononcé dans le lait ;
les meubles lui parlent. Que les patients entendent, dans le silence,
des Voix venant d'un endroit quelconque, pour ensuite les localiser
dans ce même endroit dès qu'il y a un bruit, montre combien la dif-
férence entre illusions et hallucinations est mince. Magnan rapporte
que quand de bonnes Voix et de mauvaises Voix ont une localisation
différente, les bonnes viennent d'en haut et les mauvaises d'en bas.
Cette circonstance n'est pas si rare, et correspond bien à nos concep-
tions religieuses ; mais on ne peut guère l'ériger en règle, parce que
les exceptions sont trop nombreuses. Quand un malade entend les Voix
venir d'en haut dans la section des patients calmes, et d'en bas dans
la section des agités, cela a la même signification ; il redoute tout
particulièrement les Voix d'en bas.

Il peut également arriver que les deux partis qui s'occupent du patient
se partagent entre ses deux côtés. Il n'est notamment pas bien rare
que les hallucinations auditives soient agréables « d'une oreille », dé-
sagréables de l'autre ; mais j e n'ai pas toujours pu observer la préfé-
rence particulière des bonnes Voix pour le côté droit que certains
auteurs prétendent avoir trouvée ; toutefois, de façon symbolique, le
Saint-Esprit parlait dans l'oreille droite d'une de nos malades, et le
serpent dans son oreille gauche.

Parfois aussi, les Voix ne sont qu'unilatérales ; souvent, mais pas tou-
j o u r s , on en trouve la raison dans une affection de l'oreille en c a u s e ,
si bien qu'il s'agit sans doute d'interprétation de bruits auriculaires
dans le sens d'illusions.

L e s hallucinations des sensations corporelles présentent une variété qui


défie toute description.

Tous les organes peuvent être le siège de vives douleurs ; la tête devient si
sensible que le plus léger attouchement des cheveux fait épouvantablement
mal 4 ; tout le squelette est douloureux. Les patients sont frappés, brûlés, on
leur enfonce des aiguilles brûlantes, des poignards, des piques dans le corps ;
on leur démet les bras et on les remet en place ; on leur retourne la tête vers
l'arrière ; on leur raccourcit les jambes, on leur arrache les yeux, si bien
que, dans le miroir aussi, ils les voient complètement sortis de la tête ; on
leur comprime la peau ; leur corps est devenu comme un accordéon, il se
morcelle et se réassemble ; ils ont de la glace dans la tête, on les a entière-
ment plongés dans une chambre froide ; il y a de l'huile bouillante dans leur
corps ; il y a plein de pierres sur leur peau ; ça scintille dans les yeux, ça
vibre dans le cerveau ; une boule se déplace en spirale sur le crâne, de la
base au sommet ; on met les patients en charpie, comme le crin d'un matelas.
Il y a une sensation dans l'estomac, comme si les aliments n'étaient pas restés
à l'intérieur, on le gonfle ; les poumons sont gonflés comme si un gros mon-
sieur avait été enfoncé par le sexe jusque dans la poitrine à travers le ventre ;
il y a un faux battement de cœur dans le nombril ; les battements du cœur
sont tantôt ralentis et tantôt accélérés, la respiration est entravée, l'urine est
prélevée ou retenue. Tous les organes sont retirés, découpés en petits mor-
ceaux, tiraillés, retournés ; l'un des testicules est gonflé ; les nerfs, les mus-
cles, tous les organes possibles sont tendus.
Même des sensations corporelles incompréhensibles à un sujet normal se pré-
sentent en foule. Si quelqu'un veut du bien à un de nos paranoïdes, ça le
« touche doucement », si quelqu'un lui veut du mal, « ça le frappe ». Il ne
ressent pas cela sur sa peau, plutôt dans sa tête ; cela se communique alors
à son corps, sa posture se modifie.

Illusions des sens kinesthésiques et de Vorgane vestibulaire sont à l'ar-


rière-plan, dans l ' e n s e m b l e ; mais les patients peuvent croire qu'ils
a c c o m p l i s s e n t certains a c t e s , tandis qu'en réalité ils sont c o u c h é s dans
leur lit ou se tiennent immobiles contre un mur. Là, c e s organes doivent

4 . D'une façon s a n s doute analogue à l ' e x a c e r b a t i o n des voix lors d'un bruit (NDA).
naturellement co-halluciner. Dans les états oniroïdes, il peut arriver
que les malades fassent des mouvements incoordonnés, cômme des épi-
leptiques, tandis qu'ils croient se battre ou vivre une scène d'amour.
Le cas échéant, on leur fait subir toutes les dislocations possibles, on
les jette en l'air, on les met sur la tête. Il peut aussi arriver que les
malades croient que certains de leurs membres sont mûs, alors qu'ob-
jectivement on ne peut rien en percevoir. Un de nos paranoïdes sent
des mouvements de la tête et des épaules mais les tient pour ceux
d'une personne qu'il halluciné. D'une façon analogue, un malade dit
(526) : « Quand les Voix remuent leur langue, j e le sens dans ma
bouche. » Il est rare que les malades perçoivent des mots comme des
signes graphiques moteurs dans leurs mains (38, p. 153).
Les erreurs sensorielles kinesthésiques des organes phonatoires sont
sans doute les plus fréquentes. Les malades croient parler sans que
l'on en puisse objectivement rien noter 5 . Naturellement, on ne saurait
ramener sans plus ample informé des hallucinations auditives à des
hallucinations de la sensibilité musculaire phonatoire ; mais les hallu-
cinations kinesthésiques mériteraient pourtant d'être de nouveau étu-
diées 6 .

Parmi les hallucinations corporelles schizophréniques, les hallucina-


tions sexuelles sont sans doute les plus fréquentes et les plus importantes.
Tous les délices de la satisfaction sexuelle normale et anormale sont éprouvés
par les patients, mais plus souvent encore toutes les abominations que peut
inventer l'imagination la plus débridée. On soustrait leur sperme aux hommes,
on leur fait des érections douloureuses ; puis on les rend impuissants ; on
brûle, coupe, arrache les organes génitaux internes et externes ; des femmes
sont violées de la façon la plus perverse, blessées, contraintes au coït avec
des animaux, etc. etc. Souvent, le caractère sexuel de la sensation est caché,
non seulement pour l'observateur mais aussi pour le patient. Très souvent,
des sensations de piqûre, de fouille, et autres du même genre, sont d'abord
situées dans leur poitrine par des patientes, tandis qu'il s'avère, en posant
des questions judicieuses ou, mieux encore, en laissant les malades s'expri-
mer librement, que ces manifestations ont en fait leur siège dans les organes
génitaux. Mais il n'est pas rare du tout qu'il ne s'agisse pas simplement d'un
euphémisme de langage mais d'une véritable transposition de sensations gé-
nitales en d'autres endroits du corps, et notamment dans le cœur puis, chez

5. Dumont d e Monteux (in Ballet, 3 8 , p. 1 4 8 ) parle de « c h i q u e nerveuse » quand les pa-


tients r e s s e n t e n t c o m m e un corps étranger dans la b o u c h e le mot h a l l u c i n é musculairement
(NDA).
6 . Le travail de C r a m e r ( 1 3 5 ) a surestimé l ' i m p o r t a n c e et la f r é q u e n c e des hallucinations
de la s e n s i b i l i t é m u s c u l a i r e (NIM).
les hommes, dans le nez, chez les femmes, dans la bouche. Même les Voix
initialement génitales font de telles migrations. Un hébéphrène ayant un fort
complexe d'onanisme, qui entendait pendant un temps son membre appeler
« chant d'oiseau, chant d'oiseau », perçut par la suite la même Voix venant
indubitablement de l'oreille droite. Très fréquemment, l'hallucination sexuelle
est également travestie dans son contenu : être électrisé et être brûlé a gé-
néralement une signification sexuelle. Une de nos patientes se plaignait
d'avoir dans son lit des chevaux à bascule dont elle sentait les coups ; un
examen plus minutieux montra qu'il s'agissait de sensations de coït, qui
s'étaient toutefois transformées en chevaux à bascule pour la patiente aussi.
Car malgré toute la signification symbolique de bien des hallucinations de
ce genre, la plupart d'entre elles sont de véritables sensations, qui ne sont
pas seulement simulées pour nous par un mode d'expression métaphorique
des patients. En tout cas, c'est précisément dans le cas des hallucinations
corporelles qu'apparaît, plus fréquemment que dans ce qu'on rapporte d'hal-
lucinations d'autres types, le sens impropre de certains mots. Dans plus d'un
cas la brûlure n'a pas de netteté sensorielle ; et si une malade dit qu'elle est
étranglée jusqu'à ce qu'elle profère certains mots, il s'avère, à y regarder de
plus près, que la strangulation exprime, au sens figuré, la contrainte à dire
quelque chose.

Les hallucinations corporelles se présentent particulièrement volontiers


sous la forme d'hallucinations-réflexes ; même sans cela, elles survien-
nent souvent par accès. Elles donnent alors fréquemment l'impression
d'accès catatoniques abortifs : « Ça commence aux pieds, comme une
crampe, ensuite ça remonte dans le corps jusqu'aux bras et ça dé-
mange, ça va dans le ventre et ça fait du vacarme, puis ça arrive dans
le cœur, ça déchire, ça tiraille, ça atteint le cou au point que j'en
étouffe presque, puis ça s'arrête ; souvent, ça va dans la tête et alors
j e suis complètement perdu'. » De tels accès ont parfois un caractère
sexuel net ; certains patients mentionnent spontanément qu'en même
temps ils éprouvent des sensations sexuelles de caractère tantôt agréa-
ble, tantôt désagréable ; chez d'autres, on peut le déduire d'allusions
à demi mot ou d'autres indices.

Les hallucinations visuelles sont relativement rares quand la conscience


est lucide et prennent alors, le cas échéant, le caractère de véritables
pseudo-hallucinations, en ce sens qu'on peut reconnaître qu'il s'agit
d'illusions. Toutefois elles apparaissent plus fréquemment au malade
comme de véritables « images », mais non comme des objets réels.

7. Passage à des a c c è s catatoniques (NDA).


Les exemples qui suivent proviennent tous d'états chroniques avec état de
conscience lucide. Des apparitions de lumière, de brouillard, d'obscurité, etc.
comptent parmi les manifestations les plus fréquentes ; une patiente voit de-
vant ses yeux du brouillard et des nuages « qui obscurcissent la vision et la
pensée ». Des figures géométriques sont également vues. Un malade voit en
permanence une paire d'yeux blancs devant lui ; un autre voit des têtes autour
de lui ; des gens flottent en l'air, les uns se réjouissent, les autres pleurent ;
« des anges gros comme des guêpes » volent autour du malade ; des mains
dont elle ne voit pas le porteur surgissent devant une hébéphrène. Des esprits
de différentes couleurs flottent autour de la malade, s'insinuent en elle par
les membres ; une autre voit entrer et sortir de sa poitrine des éléphants et
d'autres animaux, et aussi des êtres humains, des brigands. Une autre voit
des véhicules à impériale de couleurs différentes, chacun à deux chevaux,
passer de gauche à droite sous la peau du creux épigastrique, puis sortir sous
son bras droit et continuer à rouler sur la chaussée.

Les visions d'animaux ne sont pas très fréquentes, sauf si l'alcool co-déter-
mine les symptômes. Néanmoins, les animaux sexuels (serpents, éléphants,
chevaux, chiens) ne sont pas trop rares, bien qu'ils soient plus souvent res-
sentis que vus. Une malade a vu que ses propres os étaient un chien.

Des scènes entières ne sont pas vues bien fréquemment, en dehors des épisodes
crépusculaires aigus, mais elles sont courantes dans cette dernière éventualité
- animées par des hallucinations d'autres sens. Un hébéphrène déprimé vit
en plein jour un troupeau de moutons sans berger dans une région inconnue.
Trois morts sont allongés là, dans des positions données, et en même temps
la mère du patient est présente pour le protéger. Des couvre-lits sont étendus
sur le toit du voisin ; la maison voisine brûle ; un serpent s'enroule autour
de la veilleuse ; un monsieur ne cesse d'être guillotiné ; des hommes et des
femmes sont groupés autour de la lumière. Les cousins d'une très jeune ca-
tatonique se battent, à la grande joie des malades, ils se tiennent sur leur
tête ; il y a une foule de gens sur la tête du médecin, au premier rang les
bons, derrière les méchants, dont les parents de la patiente (que celle-ci
craint, à juste titre). Les cieux se sont ouverts ; les anges, les saints et No-
tre-Seigneur Dieu lui-même ont commerce avec le malade. - Ce qui apparaît
le plus fréquemment, ce sont de terribles personnages issus de l'enfer, des
brigands qui menacent le patient. - Des mots écrits dans une langue quel-
conque ne sont pas rares, des phrases entières peuvent éventuellement se
voir, parfois en un éclair, comme la matérialisation d'une lubie. Ainsi un
paranoïde auquel l'infirmier donnait un médicament vit-il soudain, en l'air,
le mot « poison ».

Des pensées conscientes, ou le sermon qu'on vient d'entendre, peuvent être


vus devant soi, écrits en caractères divers (« Visualisation de la pensée »,
Halbey).
Le rapport des hallucinations visuelles avec l'environnement réel est
très divers. Souvent, elles sont simplement placées dans l'environne-
ment : il y a des gens sur la tête du médecin ; d'autres traversent la
pièce comme des gens réels. Parfois, ce qu'il y a d'aberrant par rapport
à l'expérience courante attire l'attention du patient ; des visions, de
gens par exemple, peuvent être transparentes, la réalité demeurant vi-
sible derrière eux. Elles peuvent se singulariser tant par une définition
visuelle particulièrement nette que par l'imprécision de leurs contours :
de nuit, un malade voit un homme et une femme à l'orée d'une forêt
lointaine aussi nettement « que s'ils étaient découpés », des silhouettes
sont « rayonnées » vers le patient ; elles disparaissent quand il ouvre
les yeux ; parfois, à l'inverse, les visions n'ont lieu que les yeux ou-
verts. Au contraire des Voix, les visions ne sont qu'exceptionnellement
perçues comme représentant l'apparition dans son ensemble : les
images ne se contentent alors pas de se déplacer sans but, mais elles
font du bruit, agissent.

Les hallucinations gustatives et olfactives de la schizophrénie n'ont rien


de particulier.

Les malades sentent dans leur nourriture le goût de sperme, de sang, d'ex-
créments, de tous les poisons possibles ; il y a du savon dans les nouilles,
du suif dans le café ; l'air leur apporte quelque chose de poussiéreux, au
goût amer ; des odeurs et des poisons leur sont administrés par la bouche,
si bien qu'il ne leur reste plus qu'à se bourrer la bouche de laine ou de
chiffons, à en devenir bleus. « La viande pue comme si l'on avait écrasé un
œuf pourri dessus » ; ça sent le cadavre, le chloroforme dans la pièce ; ça
sent la poix, la « vapeur de serpent » ; le lit sent, il a été souillé de rondelles
d'oignon et de tabac. Un patient sent sa masturbation. Dans les états d'extase,
on rencontre aussi toutes sortes d'odeurs agréables ; une malade sent un par-
fum céleste dans sa bouche et son nez quand elle se trouve à l'église, auprès
d'un prêtre donné.

Les hallucinations tactiles sont rares et, même quand elles surviennent,
elles apparaissent généralement fort pauvres, notamment si on les
compare à celles du delirium tremens.

A l'occasion, les malades sentent des animaux qui grouillent sur leur corps ;
ce sont notamment des serpents, mais aussi d'autres petits animaux qui sont
ainsi hallucinés. Une patiente est « dans un nid de fourmis ou un nid de
serpents ». Des objets hallucinatoires sont aussi saisis, écartés, etc.

* * *
On peut passer ici sur les illusions des sensibilités inférieures, qui ne
se distinguent du reste pas vraimenl des hallucinations. Les illusions
auditives sont beaucoup plus importantes, par contre ; tout ce qui peut
être perçu sur le mode hallucinatoire peut aussi survenir sous forme
d'illusions ; il faut en outre attirer tout particulièrement l'attention sur
le fait que les mots réellement prononcés sont très fréquemment trans-
formés à l'audition sur le mode d'illusions ; des remarques tout à fait
incidentes, un salut, une conversation avec d'autres malades, tout ceci
peut être compris par le patient dans le sens de son délire. Parfois,
seule la localisation d'une perception est changée ; ainsi une malade
entendait-elle les propos réels d'une autre patiente comme venant de
sa propre poitrine.

Ce sont les illusions visuelles qui ont la plus grande importance. On


ne peut s'arranger de son environnement que quand celui-ci est un
tant soit peu saisi visuellement. Le délirant complet, qui écarte par
une hallucination négative l'ensemble de son environnement et, à la
place, s'en crée un imaginaire, est relativement rare dans la schizo-
phrénie ; à la longue, des hallucinations visuelles ne peuvent persister
chez un patient qui agit, mais seulement des illusions et, parmi ces
dernières, celles-là seules qui s'accommodent jusqu'à un certain point
de la réalité. Celui qui illusionne peut voir, au lieu du mur de sa
chambre, celui d'un palais ou d'une prison, et il peut soutenir cette
illusion sans dommage ni rectification ; mais s'il voit une porte à la
place de la fenêtre, il risque un accident.

Un malade voit tout rouge, un autre tout blanc ; l'infirmier apparaît comme
un Noir, le réverbère est l'œil d'un fantôme ; les tasses à café se mettent à
tressauter ; une patiente voit chaque personne avec deux têtes, une autre voit
doubles de petits objets tels que des doigts ou des clés, et elle trouve à
chaque page de la Bible le nom du médecin sur lequel elle a transféré son
amour ; un malade en frappe un autre parce que celui-ci va à la fenêtre,
l'empêchant ainsi de lire les mots chargés de sens que forme le canevas du
grillage. Les médecins apparaissent comme des diables ; toutes les personnes
de l'entourage sont blanches et dansent ; toutes les nuits, on place de nou-
velles silhouettes ; deux hommes portant de longues chemises arrivent, la
patiente fait un signe à l'un, car il s'agit de la patiente H. Les autres patients
ont leur visage qui change quand on les regarde.

Gens et choses peuvent aussi changer de taille, généralement en ce sens


qu'ils apparaissent plus grands que normalement, ou qu'ils ne cessent de
grandir d'une façon effrayante sous les yeux du patient. Il arrive aussi, quoi-
que beaucoup plus rarement, que les objets rapetissent. - Une catatonique
voyait les gens à l'envers, sur la tête.
Le sentiment « d'être étranger » pur et simple est fréquent. Tout semble alors
différent aux malades ; le monde, les arbres se retirent, les manches du vê-
tement sont plus longues, les poils de la fourrure ont une autre couleur. Un
ouvrier, dans une usine, voit une sauterelle et est rendu extrêmement inquiet
par cet animal inconnu, insolite. Une hébéphrène a l'impression que les pay-
sans ne travaillent pas dans les champs, mais font seulement des mouve-
ments 8 .

Des hallucinations et illusions combinées des différents sens survien-


nent très régulièrement au cours des états crépusculaires et des agita-
tions hallucinatoires aiguës : les malades se croient dans un
environnement donné, ils sont dans une caverne de brigands, les in-
firmiers sont des brigands et des assassins qui veulent les torturer, les
lits sont des instruments de supplice ; tout ce qu'ils perçoivent est
adéquat à ces idées. Ou encore ils sont au Ciel, ils voient, entendent,
ressentent, sentent et goûtent les joies du paradis. Mais même chez
des hallucinants plus lucides, des combinaisons des erreurs senso-
rielles ne sont point rares ; des erreurs des deux sens préférentiels,
l'ouïe et les sensations corporelles, s'associent notamment : les malades
entendent des menaces ou des rendez-vous, ils entendent qu'on va les
tourmenter, et sentent alors aussi les conséquences des influences, etc.
Parfois tous les sens sont impliqués en même temps, même chez des
malades dont le comportement est tout à fait adapté.

Un paranoïde qui est toujours tout à fait capable de travailler a fait la des-
cription suivante : il sent que son occiput est mobile au point qu'il pourrait
le basculer vers l'avant, que sa tête est tournée vers la droite ou vers la
gauche ; il voit partout des têtes, grandes, petites, mobiles, fixes, noires, rou-
geâtres, transparentes, opaques. Il sent des odeurs généralement désagréables,
rarement agréables : pétrole, ammoniac, odeurs de bouche et d'oreilles ; il
sent un goût « comme le chagrin et la contrariété » (= amer) ; il entend en
lisant des remarques sur l'orthographe. Il entend qu'on va lui donner une
tape, et sent cette tape. Il entend des mots dans le bruit de la scie, sent un
appendice dans sa tête, un goitre liquidien ; un côté de sa poitrine fait pro-
trusion ; il sent des corps mobiles dans son cou, des douleurs crucifiantes ;
il voit et sent, en se baignant, un os qui saille de sa jambe, « couleur d'eau »,
des corps étrangers dans ses testicules, son pénis engorgé, agrandi. Des Voix
partent du larynx et se dirigent vers l'occiput. Les Voix lui tordent le crâne,
lui dévient la bouche, les yeux, il sent une Voix dans sa narine gauche, on
le traite avec des Voix : « ça a une action stimulante, mais ça devrait bientôt
passer ».

8 . S u r l'interprétation de c e p h é n o m è n e , voir p. 1 0 2 et s u i v a n t e s (NDA).


Déclenchement des hallucinations. Dans la schizophrénie, comme dans
d'autres maladies, les hallucinations surviennent électivement quand
les malades sont abandonnés à eux-mêmes. La distraction les diminue,
la solitude et le silence de la cellule les favorisent. L'obscurité les
accroît, encore que la différence entre le jour et la nuit ne soit pas si
grande que chez les alcooliques, les séniles et les malades fébriles.
Cependant, cette règle admet de nombreuses exceptions. Certains ma-
lades sont tourmentés au maximum par des Voix justement quand ils
travaillent. Des états irritalifs au niveau d'organes quelconques du
corps, des inflammations, la réplétion gastrique, une tension dans les
intestins, des sécrétions dans les bronches peuvent déclencher des hal-
lucinations corporelles ; un son objectif peut aussi provoquer des Voix
que l'on ne peut pas, dans la majorité des cas, réduire à des illusions.
Aussi les malades se bouchent-ils les oreilles non seulement pour bien
entendre les Voix mais aussi, à l'inverse, pour ne pas les entendre. La
stimulation électrique du nerf acoustique peut provoquer des Voix9,
mais la faradisation de la tête peut aussi les faire cesser 1 0 .
Des facteurs contingents influencent aussi les erreurs sensorielles. Sou-
vent, les malades ont la paix tant que certaines conditions qui appa-
raissent nécessaires pour eux ne se sont pas produites ; un paranoïde
s'étonne de ce que les autres malades puissent parler de lui même
quand ils gardent la bouche fermée ; mais s'il n'y a pas d'autres pa-
tients à proximité il n'entend rien. C'est quand elle met sa main sur
son cœur qu'une autre patiente entend le mieux les Voix qui y sont
localisées. De nombreux malades font cesser les Voix par toutes sortes
de procédés magiques et de singeries, ou par des exclamations telles
que « aha, c'est ainsi » ; parfois, crier ou parler fort est aussi de quel-
que secours. Les hallucinations se déclenchent souvent quand une per-
sonne qui est impliquée dans les idées délirantes apparaît : certains
malades entendent immédiatement des Voix ou se sentent électrisés,
étouffés, etc. quand, par exemple, le médecin arrive dans la section :
ils sentent dans leur poitrine la clé qu'on tourne clans la serrure ; ils
se sentent « entricotés », « encuillerés » quand quelqu'un tricote ou
mange à côté d'eux ; l'apparition d'une infirmière donnée leur coupe
la respiration. Ainsi l'idée de l'hallucination est-elle souvent quasiment
fournie par un autre organe sensoriel (« hallucinations réflexes ») ; une
patiente a des hallucinations olfactives lors de certains stimulus vi-

9 . Voir par e x e m p l e Chvosteck (NDA).


10. Voir F i s c h e r 2 2 1 (NDA).
suels ; pendant qu'on l'alimentait, une patiente de Pfister entendait
qu'on venait de laver le vagin d'une patiente malpropre avec la sonde.
Quand il voyait quelqu'un de blême, un catatonique sentait une odeur
de cadavre. Quand une patiente coupait de la viande, sa voisine se
croyait coupée, ressentait des douleurs et perdait connaissance. Même
la dénomination hallucinatoire peut être envisagée comme étant une
hallucination réflexe ; quand, par exemple, un patient voyait un bateau,
il entendait « le bateau, le bateau ».

En un certain sens, de nombreuses hallucinations schizophréniques


sont dépendantes de la volonté. Ce n'est néanmoins que dans des cas
assez rares que les malades peuvent voir ou entendre tout à fait déli-
bérément ce qui leur convient. Très souvent, par contre, les Voix four-
nissent des informations sur certaines pensées complexuelles des
patients ; ceux-ci mènent un dialogue avec elles, ou s'adressent à elles
quand ils sont incapables de répondre à une question du médecin.
Quand l'attention est dirigée vers les Voix (ou du moins détournée d'au-
tre chose), elles sont généralement mieux perçues. Mais elles surpren-
nent souvent aussi le patient au milieu d'autres pensées, et il peut
arriver que l'attention qu'on leur prête éteigne les erreurs sensorielles.
En général, toutefois, les hallucinations forcent l'attention ou, pour ex-
primer la chose autrement, le processus pathologique ne consiste pas
seulement en la pseudo-perception mais, en même temps, en la foca-
lisation de l'attention sur celle-ci. Aussi est-ce généralement déjà un
signe d'accalmie, quand un patient parvient à « maîtriser en l'écar-
tant 11 » l'hallucination, c'est-à-dire à lui retirer son attention. La re-
fréner entièrement ne réussit qu'exceptionnellement. Un paranoïde peut
du moins stopper la « sensation de momie » (dessèchement et racor-
nissement) qui l'envahit en remontant des pieds à la tête, de telle sorte
par exemple qu'elle s'arrête à la poitrine.

Naturellement, toutes les influences internes et externes qui aggravent


d'une façon générale la maladie sont aussi des « agents provoca-
teurs 12 » : affects déplaisants, notamment états d'agitation, alcool, pous-
sées du processus morbide, etc.

Dans deux cas, j'ai vu des hallucinations auditives n'apparaître que quand
les patients étaient couchés. Brierre de Boismont cite aussi un cas dans lequel

11. Traduction du néologisme « abzuherrschen », également mis entre guillemets par B l e u l e r


(NDT).
12. E n français dans le texte.
les Voix étaient provoquées par l'inclinaison de la tête (modification de la
pression artérielle dans la tête ?)

Il n'est pas rare que l'usage modéré ou immodéré d'alcool provoque des hal-
lucinations de toute sorte.

Les quatre caractéristiques principales des hallucinations, intensité,


netteté, projection sur l'extérieur, valeur de réalité, sont totalement in-
dépendantes les unes des autres dans la schizophrénie, si bien que
chacune peut se modifier dans des limites maximales sans influencer
les autres.

Intensité. Tout peut être perçu de façon hallucinatoire, du plus léger


chuchotis jusqu'à la voix tonnante la plus effrayante, d'un léger senti-
ment corporel anormal jusqu'à une sensation insupportable d'être dé-
chiqueté, brûlé, électrisé, d'un doux halo jusqu'à une lueur aveuglante.
L'intensité n'a pas de rapport avec l'attention forcée, bien que, toutes
choses égales par ailleurs, de fortes fausses perceptions soient certes
forcément davantage prises en compte ; un léger chuchotis, à peine ou
pas du tout compréhensible, occupe souvent plus les patients que l'ap-
pel le plus sonore ne le fait à d'autres moments. Quoi qu'il en soit,
intensité, prise en compte forcée et netteté de la projection sur l'exté-
rieur ont pour fréquent caractère commun d'augmenter et de diminuer
avec les fluctuations de la maladie.

Netteté. Parfois, tout ce qui est perçu est désagréablement clair et net.
Puis les malades n'entendent de nouveau plus qu'un murmure, un mar-
monnement confus, ou ne voient plus que quelque chose de nébuleux,
des silhouettes indistinctes qu'il leur faut d'abord interpréter plus ou
moins consciemment comme étant une apparition donnée. Une patiente
ne comprenait pas les Voix mais réalisait, au vacarme qu'elles faisaient,
qu'elle devait être tuée ; deux patientes de Pfersdorff (560, p. 742) en-
tendaient vitupérer en français, bien qu'elles ne comprissent pas cette
langue ; « les mots ne sont généralement pas nettement compris, mais
le sens » (ibidem, p. 743). Aussi, très fréquemment, les patients ne
racontent-ils pas mot à mot ce qu'ils ont entendu, mais des propos
généraux : « les voisins ont éprouvé de la haine et de l'envie à leur
égard », « c'était une risée et une moquerie générales ». La patiente a
senti .« une répugnante odeur de vipère ». A l'objection qu'elle ne sait
pas quelle est l'odeur des vipères, elle rétorque : « on peut aussi dire
une odeur de morphine ». L'efficience subjective n'est pas le moins du
monde affectée par de telles imprécisions ; les patients croient bel et
bien à leurs interprétations, qu'ils tiennent pour des perceptions.
Ce qui est le plus frappant, ce sont les conditions de la projection sur
l'extérieur. De nombreuses hallucinations sont projetées sur l'extérieur
exactement comme les perceptions réelles et ne peuvent être différen-
ciées de celles-ci sur le plan subjectif. Les hallucinations des sensa-
tions des organes occupent toutefois une place apparemment
particulière ; dans leur cas, c'est le corps qui est ce qu'habituellement
on appelle le monde extérieur. On peut généralement fort bien les dis-
tinguer des simples paresthésies d'autres maladies, parce qu'elles sont
parallèles sous tous les rapports aux hallucinations des autres sens.
Elles ne sont pas appréhendées comme des sensations qui attirent notre
attention sur une anomalie quelconque au niveau du corps ; l'halluci-
nant n'éprouve pas une douleur à type de brûlure ou de piqûre, mais
il est brûlé, piqué. Ainsi la cause, du moins, est-elle totalement projetée
sur l'extérieur. Dans le cas d'erreurs sensorielles combinées, ces sen-
sations corporelles représentent, parmi les autres composantes hallu-
cinatoires, un élément d'égale valeur.

D'autre part, de nombreux malades différencient d'emblée ce qu'ils


voient et entendent réellement de ce « qu'on leur présente », des « in-
tromissions hallucinatoires délibérées ». De ce fait, ils sont souvent
enclins à tenir aussi pour réel le contenu de ces hallucinations, et il
est habituel que même des patients qui font cette distinction considè-
rent pourtant une foule d'autres hallucinations comme des perceptions
sensorielles communes.

On rencontre aussi tous les intermédiaires, depuis les représentations


normales jusqu'aux erreurs sensorielles ayant une pleine netteté.

Bien que ce soient les hallucinations auditives qui sollicitent le plus l'atten-
tion, même des malades intelligents ne sont souvent pas capables de dire
s'ils entendent les Voix ou s'ils sont juste forcés de les penser ; ce sont « des
pensées tellement vivaces », mais qui sont pourtant appelées Voix par le pa-
tient lui-même ; ou encore ce sont « des pensées à haute voix », des « voix
atonales », deux expressions qui désignent peut-être la même chose, ou en
tout cas quelque chose de très proche. Un de nos schizophrènes déclare ne
pas entendre les mots, pour lui c'est seulement comme si sa propre voix les
prononçait (transition vers les hallucinations de la sensibilité musculaire des
organes phonatoires), pourtant les mots lui paraissent plus « sonores » quand
il fait un effort physique. Un autre patient n'a plus de véritables Voix, mais
« seulement un truc bizarre sur les lèvres ». Un autre malade a la Voix tantôt
« dans la mémoire », tantôt « derrière les oreilles ». L'indépendance de l'é-
prouvé sensoriel véritable est formulée de façon très expressive par un patient
de Koepp : « Je pourrais être sourd comme un pot et entendre tout de même
les Voix ». Pour les malades, c'est parfois « comme s'ils entendaient », ce qui
n'empêche qu'ils répondent cent fois par jour à une telle sollicitation en
ouvrant la fenêtre, ou que l'un fasse spécialement un voyage vers le Rhin
pour se jeter à l'eau. Ce dernier patient décrit ainsi ses sensations : « Pour
moi, c'était comme si quelqu'un me montrait du doigt en disant va et noie
toi ; c'était comme quand nous parlons ; j e ne l'entends pas dans les oreilles,
j'éprouve cette sensation dans la poitrine, pourtant c'est comme si j'entendais
un son ». Tout à fait singulière est cette formulation, que l'on rencontre par-
fois : les Voix me sont « comme exsufflées des oreilles », ou encore « comme
si on parlait avec moi par mes oreilles ». Il semble que ces patients aient
une certaine conscience du fait que les Voix sont émises de l'intérieur vers
l'extérieur. Un malade expliquait qu'avant on lui parlait « superficiellement »,
on lui parlait dans les oreilles ; en plus il fallait « prendre la direction de
son oreille ». Ce patient « entendait aussi un tressaillement dans ses
jambes », par exemple, juste au moment de l'examen, « ça dit tais-toi, ou
quelque chose de ce genre ». Ici, la pensée qu'il ferait mieux de se taire est
donc déclenchée (ou exprimée ?) par le tressaillement dans la jambe du pa-
lient. Le patient croit entendre cette pensée dans sa jambe ; mais la compo-
sante acoustique est si vague qu'il n'est même pas capable de dire quels
mots emprunte cette pensée. Les plus proches des perceptions réelles sont
sans doute les phonèmes « qui ne sont pas des Voix à proprement parler,
mais seulement des imitations de voix de parents défunts ».

Ces exemples sont loin d'épuiser toutes les nuances possibles de la


projection d'hallucinations auditives. Les patients distinguent dans
l'ensemble deux catégories principales : les Voix qui viennent de l'ex-
térieur, tout à fait comme des voix naturelles, et puis celles, projetées
dans le corps, qui n'ont presque toutes aucune composante sensorielle
et qui sont le plus souvent qualifiées de Voix intérieures (hallucinations
psychiques de Baillarger).

Ces dernières sont donc bien moins des hallucinations de la perception


que des hallucinations cle la représentation. Le processus pathologique
en jeu dans ces cas limites a plus de rapports avec la représentation
qu'avec la perception.

Au sein des hallucinations visuelles, on ne connaît que peu de degrés


de projection. Dans l'ensemble, les malades reconnaissent plus facile-
ment l'anomalie ici que dans le cas des phonèmes. Ils voient des ré-
giments « sous leurs yeux » ; des personnes de connaissance vivantes
leur sont simulées « en apparence » en l'air, les visions sont « comme
une ombre », « comme une illusion » ; on « représente toutes sortes de
choses au patient pendant la nuit », par exemple un nègre ; une cata-
tonique a vu « tout plein de serpents verts » ; mais elle ne les a pas
vus, c'était seulement « comme s'ils avaient été là ».
Éventuellement, les visions peuvent surgir de l'organe sensoriel,
comme le trousseau à côté de la r i b a m b e l l e d'enfants dans le récit
suivant d'une j e u n e dame :

Imagine-toi, papa, je suis devenue une enfant miracle. De mes mignons petits
yeux bleus sortent beaucoup de choses, par exemple des draps impeccable-
ment repassés, des oreillers avec tout leur duvet, blancs ou de couleur, un
bois de lit, une commode, etc., des corbeilles, des fils, des bas de toutes les
couleurs, complètement terminés, des vêtements, du plus simple au plus élé-
gant, et enfin des gens en sortent, pas nus, fort heureusement, mais complè-
tement habillés...

Dans le c a s des hallucinations de Vodorat, du goût et du toucher, les


différences de projection deviennent e n c o r e plus floues, mais c e p e n -
dant tous les intermédiaires s'y rencontrent aussi entre la représenta-
tion et la perception.

Les hallucinations hors champ, qui n'ont j u s q u ' à présent été observées
avec certitude, dans la schizophrénie, que dans le domaine visuel (vi-
sions en dehors du champ visuel), représentent une localisation tout à
fait étrange.

Pendant que nous parlons avec lui, un hébéphrène intelligent voit soudain
le diable derrière lui, et ce avec une telle netteté qu'il peut le dessiner. A
notre objection, il répond qu'il a bel et bien le don de voir vers l'arrière à
travers sa tête. Comme nous parlons de « représentations », il proteste vive-
ment : ce n'est pas une représentation, mais une vision réelle 1 3 . Il voit aussi,
de la même façon, des paysages entiers et des choses analogues. Ainsi cer-
tains patients ne peuvent-ils échapper à des visions effrayantes, bien que la
place de celles-ci ne change pas ; les malades tentent de tourner le dos aux
apparitions, rampent en même temps sous le sommier, mais voient pourtant
l'image terrifiante devant les fenêtres. Cette vision peu habituelle ne frappe
pas le moins du monde certains d'entre eux comme pouvant être quelque
chose de particulier. - Quand un patient, à travers un plancher qui ne lui
paraît pas transparent, voit des têtes qui lui font des grimaces, il faut sans
doute considérer cela aussi comme une hallucination hors champ. Et quand
un patient « ressent » (et non pas sent) derrière sa tête qu'il a une exhalaison
particulière, sans doute s'agit-il d'un intermédiaire entre la représentation
simple et l'hallucination olfactive hors champ.

13. Dans mes cas il ne s'agit pas, comme le dit Kraepelin (Psychiatrie, 8 e édition, I, 225),
de représentations visuelles vivaces « qui n'ont absolument pas le caractère de perceptions
sensorielles », mais de manifestations qui sont mises, par des malades intelligents et capables
de discuter, absolument sur le même plan que les perceptions (NDA).
La localisation des hallucinations clans une autre personnalité repré-
sente une manifestation partielle de transitivisme. De nombreux schi-
zophrènes ne croient pas seulement que leur entourage doit entendre
les Voix aussi bien qu'eux-mêmes, ils pensent aussi que des personnes
éloignées les perçoivent. Il n'y a plus qu'un petit pas de là aux hal-
lucinations transitives, dont le patient suppose qu'une tierce personne
les entend, tandis que lui-même n'en est informé que par quelque voie
mystérieuse 14 . Parfois « il les fait » à un tiers, en pensant volontaire-
ment à quelque chose que celui-ci doit entendre. C'est la même chose,
dans le domaine optique, quand l'infirmier « doit » voir ce que le pa-
tient se représente. L'idée fort répandue chez les schizophrènes, selon
laquelle on connaît leurs pensées, est une continuation de ces phéno-
mènes.

* * *

La valeur de réalité des hallucinations est généralement aussi grande


que celle des perceptions réelles, voire plus grande encore ; car là où
la réalité et l'hallucination entrent en conflit, c'est généralement cette
dernière qui est considérée comme étant la réalité. Si l'on met en doute
la réalité de l'hallucination d'un patient, on entend habituellement des
protestations telles que : « si ce n'est pas une voix réelle, alors je peux
tout aussi bien dire qu'en ce moment vous ne parlez pas réellement
avec moi. » Quand les malades font la distinction entre leurs Voix et
ce que les gens sains appellent la réalité, c'est généralement en usant
de critères qui n'ont rien à voir avec la projection normale : un contenu
donné, un lieu d'émission inhabituel, l'invisibilité de celui qui est à
l'origine des Voix, et d'autres éléments de ce genre indiquent au patient
qu'il s'agit de quelque chose de particulier. Les hallucinations olfac-
tives et gustatives ne sont en règle pas non plus reconnues comme
telles, tandis que les illusions visuelles, qui coexistent toujours avec
le tableau visuel réel, apparaissent aisément comme étant quelque
chose d'insolite. Mais ceci n'a pas la même signification que de les
reconnaître comme étant des erreurs sensorielles. Un photographe mon-
tre à la patiente « des images qui n'étaient pas vraiment là », des
anges, Dieu, etc. ; elle n'en maintient pas moins fermement qu'elle a
réellement vu le ciel à travers une lentille. Les Voix sont les paroles

14. Séglas (in Ballet, 218), appelle « écho de la pensée » le symptôme qui consiste en ce
que les malades croient que leurs pensées sont entendues par autrui (NDA).
d'autres gens, bien qu'elles naissent dans les propres oreilles des pa-
tients ; un malade explique la genèse des phonèmes par analogie avec
le bruit que l'on entend quand on se met un coquillage contre l'oreille,
mais il considère pourtant ce qu'il entend comme étant une réalité.
Dans les états d'agitation et les états crépusculaires, même la contra-
diction la plus grossière des hallucinations avec la réalité n'est que
rarement ressentie. Cette dernière est interprétée dans un sens illu-
soire, ou bien les malades vivent, sur le plan optique aussi, dans deux
mondes à la fois, sans les mettre en relation l'un avec l'autre.
Dans le domaine visuel, ce sont les « pseudo-hallucinations vraies » de
Kandinsky qui se voient le plus fréquemment, c'est-à-dire des visions
nettes et complètement projetées sur l'extérieur, mais reconnues comme
étant des hallucinations. Sans doute se différencient-elles des hallucina-
tions communes plus par la critique qui les accompagne que par un ca-
ractère particulier de l'éprouvé sensoriel 10 . Dans la schizophrénie, elles
semblent être à l'arrière-plan par rapport aux autres hallucinations.
On mentionnera également ici les hallucinations négatives (anesthésie
systématique de Lôwenfeld). Elles semblent rares, pour autant qu'on ne
voudrait pas y inclure le fait, induit par les barrages, que soudain les
malades ne voient ni n'entendent plus certains événements, voire même
tout ce qui se passe autour d'eux.
Un patient de Jôrger (p. 52) se croyait toujours désavantagé par l'infirmier
lors de la distribution des repas ; à ce moment, il priait et, sur ces entrefaites,
voyait son morceau de viande ne cesser de grossir, tandis que les parts des
autres ne cessaient de rapetisser jusqu'à ce qu'on ne puisse plus rien voir
du tout dans leurs assiettes. Schreber raconte que, plus d'un matin, il avait
vu son infirmier « devenir tous », c'est-à-dire disparaître progressivement, si
bien que le lit de celui-ci était vide. D'après la description qui en est faite,
il s'agissait d'une hallucination négative, mais peut-être aussi de la dispa-
rition de l'hallucination positive d'un infirmier.

* * *

L'interprétation subjective des hallucinations est très diverse. Ce qui est


habituel, naturellement, c'est que les malades rapportent les Voix à
des gens ou des appareils qui parlent, les visions à des gens réels ou
à des « images » qu'on leur montre, les illusions olfactives et gustatives

15. L e s pseudo-hallucination de Hagen sont un concept pas tout à fait clair, et elles incluent
l e s « hallucinations psychiques » (NDA).
à des additifs mis dans l'air ou dans les aliments, et les hallucinations
corporelles à des influences physiques ou chimiques. Dans certains
cas, ils se rendent compte qu'il s'agit de quelque chose de pathologi-
que ; notamment, de nombreux malades prennent plus ou moins
conscience de ce que ces phénomènes sont en rapport avec - ou tirent
leur origine de - leurs propres pensées.

Ils « n'ont pas de Voix, mais seulement des pensées que d'autres n'ont pas »,
ou bien « ils ont des Voix au lieu de pensées », « toutes leurs pensées de-
viennent soudain des Voix ». Le flou de la composante acoustique peut être
exprimé par la phrase : « Les Voix ne sont pas comme parlées mais comme
pensées. » Un autre, qui avait entendu la voix du Christ, s'exprime comme
suit : « Quand on est empli de l'esprit de Dieu, on sait ce qu'on a à faire.
Ce n'est pas vraiment une voix sonore, ça devient — (barrage) — par l'esprit ;
on ne le remarque pourtant pas, on ne pourrait pas non plus le dire ; mais
l'esprit, je le sens dans mon cœur, et puis ça monte dans le cerveau et alors
on appelle ça des pensées, et dans le cœur on appelle ça des plans, des images,
des représentations que l'on peut exposer. »

Les malades se font les idées les plus diverses sur la façon dont nais-
sent les hallucinations. L'affaire est fort simple là où elles sont attri-
buées à des gens et des appareils situés dans le monde extérieur. C'est
qu'il y a des gens, là, dans la même pièce, derrière les portes, dans
des passages secrets dans les murs, sur le toit, dans un souterrain
inaccessible ; ou bien qu'il y a, en ces mêmes endroits, les appareils
les plus perfectionnés dûs à la technique moderne, inventés et installés
pour parler à distance, faire des images, dénommer, électriser ; c'est
« par le téléphone à air, l'invention la plus récente », qu'une patiente
a entendu des gens entrer dans la cave et la voler.

Mais souvent les patients font l'économie de telles interprétations. Ils


entendent les voix de gens qui ne sont pas présents sans se poser de
questions sur la singularité de ce phénomène : « La Voix peut tout de
même être là. »

Un autre patient s'étonne seulement d'être forcé de parler fort avec les gens
de sa famille (absents), alors qu'il les entend même quand ils parlent dou-
cement. D'autres sont « rétro-entendants », car ils entendent parler de tous
les côtés. Si une patiente a lu quelque chose sur de grands hommes, ensuite
elle les voit par faveur spéciale de Dieu. « Chacun a un talent et un don,
j'ai le talent de pouvoir entendre quelque chose » dit un patient qui « en-
tend » aussi des images, c'est-à-dire qu'il désigne ses visions au moyen de
l'expression acoustique la plus courante. Une nuit, on a « soufflé » la nouvelle
de la mort de son mari à une patiente ; les Voix sont enlevées de la tête
d'une dame de connaissance et on les fait suivre au patient à l'asile ; un
malade a dans son cou et sa poitrine les voix d'autres gens, qui parlent par
son truchement. C'est un étrange point de vue que celui qu'exprima une
patiente de Ziehen (840, p. 34), dont le bourdonnement d'oreilles préexistant
à la maladie fut « souillé par les Voix ». On lit les pensées d'un de nos
hébéphrènes avant qu'il ne les exprime ; il a un certain pouvoir d'attraction,
il attire d'autres gens, et d'autres l'attirent ; quand il pense à une question,
il s'attire aussitôt une réponse, ou bien il attire des Voix. Le pain lui dit par
qui il a été cuit ; ça vient du fluide nerveux que tous les gens ont aux mains ;
ils le reportent sur les objets, et c'est ainsi que la réponse lui parvient. D'au-
tres entendent par « tension nerveuse », ou bien ils « entendent par la pers-
pective ». On entend une foule de formulations de cette sorte, qui sont plus
des déclarations liminaires que des explications : « la machine à parler fonc-
tionne toujours » ; le malade « est accordé » ; il a la « guerre » ; ces deux
dernières expressions qualifient des hallucinations de tous les sens.
Bien que de très nombreux schizophrènes se plaignent sans cesse des
importunités hallucinatoires, il n'est pas toujours facile du tout d'ob-
tenir des renseignements précis sur le contenu des erreurs sensorielles.
En premier lieu, on se heurte quotidiennement à la réponse : « Vous
le savez mieux que moi ! » Il semble plausible que les malades trouvent
« trop bête » de fournir des renseignements sur des choses que celui
qui les interroge connaît, selon eux, mieux qu'eux-mêmes, voire a lui-
même provoquées. Mais il est d'autres obstacles encore. Il semble par-
fois que les malades soient gênés de parler ; et ils allèguent souvent
explicitement qu'ils craignent de dévoiler leurs vécus, parce qu'on tien-
dra bel et bien ceux-ci pour pathologiques, et eux-mêmes pour « fous ».
Un malade répond d'abord promptement, bien que pas toujours claire-
ment. A la question « Qu'ont dit les Voix ? », sa mimique change sou-
dain du tout au tout, il penche la tête et remue sa chaise, comme s'il
lui fallait se tortiller dans tous les sens sous une forte pression : « Je
ne dis rien des Voix, on ne parle absolument pas d'elles. » Parfois la
gêne à raconter a un caractère nettement sexuel ; des femmes, notam-
ment, font souvent des grimaces gênées quand on les interroge sur des
hallucinations qui n'ont en soi rien de sexuel, ni pour l'observateur
inexpérimenté, ni pour les patientes. Mais sûrement de nombreux ma-
lades ne peuvent-ils fournir sur le contenu de leurs hallucinations que
des renseignements insuffisants, ou pas de renseignements du tout ;
dans des cas récents plus encore que dans d'anciens, on observe quo-
tidiennement des barrages généraux ou partiels quand on interroge les
malades sur le contenu des erreurs sensorielles.

Des patients anciens savent souvent fort bien que les hallucinations
échappent à leur mémoire. « Quand les Voix me quittent, je ne sais
plus rien d'elles ; je ne peux en parler que quand j e suis en train de
les entendre », « les Voix sont si fugaces. » Un malade, extrêmement
agité, vitupère contre ses Voix ; elles disent des choses qu'il n'ose
même pas penser. A la question « que disent-elles donc ? », il ne sait
que répondre. Parfois l'on n'obtient d'informations, qui peuvent ensuite
être vérifiées sur des points de détail, que par des questions sugges-
tives. Souvent, l'examen clinique des hallucinations peut être introduit
à peu près sur ce mode : - Que disent les Voix ? « Rien. » — Vous font-
elles des reproches ? « Oui », etc.

Survenue et modifications des hallucinations. Dans certains cas, les hal-


lucinations s'insinuent tout à fait subrepticement dans la conscience
des patients. Certaines idées deviennent de plus en plus vivaces, jus-
qu'à acquérir une netteté sensorielle ; ou encore c'est un léger chu-
chotis indistinct, auquel le patient ne prête d'abord qu'à peine
attention, qui inaugure le tableau. Un patient sentait ses pensées se
diviser en plusieurs parties ; « cela commença à devenir sonore, comme
si c'était dans le cerveau ». Dans de rares cas, les hallucinations ap-
paraissent d'abord sous la forme de banales sensations oniriques, elles
surviennent alors dans un demi-sommeil, puis en plein éveil. Mais sou-
vent divers appels attirent dès le début l'attention du patient, exerçant
une puissante influence sur son équilibre psychique. Ils peuvent dis-
paraître comme ils sont apparus, pour ensuite réapparaître tôt ou tard.
Dans les états aigus d'agitation de tout type, les hallucinations sont
fréquentes, mais, comme les idées délirantes, elles persistent volontiers
après l'accès. Souvent, elles vont et viennent au rythme des change-
ments de l'humeur ou des fluctuations de la maladie. Elles apparaissent
et disparaissent en fonction de l'occupation, du lieu de séjour, des
personnes de l'entourage. Mais de nombreux patients n'ont pas un seul
moment (éveillé) sans hallucinations des décennies durant. Le contenu
spécifique peut être déterminé par le hasard : un paranoïde eut une
querelle au début de sa maladie ; il ne cesse de réentendre depuis de
nombreuses années les injures proférées en cette occasion. D'une façon
générale, les hallucinations schizophréniques deviennent très volon-
tiers stéréotypées. Les hallucinations complexes se simplifient souvent
aussi 1 6 , à la fin il ne s'agit plus que d'un mot ou d'un son inarticulé,
qui confirme au patient ses idées délirantes.

J 6 . S c h r e b e r , p. 5 6 (NDA).
Le comportement à l'égard des hallucinations présente la plus grande
variété. De nombreux malades, notamment aux stades aigus, y réagis-
sent comme s'il s'agissait d'une réalité ; c'est pourquoi ils apparaissent
dès l'abord comme complètement « dérangés ». Dans d'autres cas ex-
trêmes, les patients ne se soucient absolument pas de leurs erreurs
sensorielles, que ce soit par un self-control avisé ou par simple indif-
férence. Souvent, les malades ne se défendent pas seulement contre le
contenu des hallucinations, mais aussi contre cette atteinte à leur per-
sonnalité en général ; ils inventent des mesures de protection contre
elles, depuis certaines qui paraissent fort raisonnables (se boucher les
oreilles), jusqu'aux pitreries les plus insensées et à des conjurations
cabalistiques, en passant par divers procédés qui ne sont que partiel-
lement compréhensibles aux gens normaux. D'autres encore recher-
chent leur hallucinations, soit par intérêt hostile, soit parce qu'elles
leur sont franchement agréables. — (« Monsieur le Docteur, j'ai de si
beaux rêves. ») - La scission partielle de l'esprit permet souvent aux
patients un contact normal, tant centripète que centrifuge, avec le
monde extérieur pendant même leurs hallucinations (et même lors des
tests psychologiques de perception objectifs, Bostroem).

b) Les idées délirantes

Tout ce que l'on souhaite et tout ce que l'on redoute peut également
trouver à s'exprimer dans les idées délirantes, ainsi que d'autres choses
encore - du moins en l'état actuel de nos connaissances - et peut-être
tout ce qui est susceptible d'être ressenti et pensé. Ici aussi, cependant,
certains types, et même certains petits éléments spécifiques, sont sans
cesse retrouvés, de façon remarquable, d'un patient à l'autre.
Parmi les classes thématiques connues d'idées délirantes, ce sont les
idées de persécution que nous rencontrons le plus fréquemment.
« Il n'est pas un domaine de la corruption humaine dans lequel on n'ait péché
contre moi », dit une de nos paranoïdes.
Les malades sont chassés de leurs emplois par la calomnie et, notamment,
par toutes les chicanes possibles. On leur donne un travail particulièrement
difficile, on leur abîme le matériel, on fait toutes sortes d'allusions infamantes
ou qui les blessent de quelque autre façon. Avant que le patient n'arrive dans
un village, son arrivée est annoncée et il est injurié par tout le monde : on
veut le déporter en Sibérie, le vendre. En face de chez lui habitent deux
putains qui, chaque fois qu'il veut manger, crient des choses si écœurantes
qu'il ne peut rien avaler. On le vole, infirmiers et malades portent ses vête-
ments. Il est utilisé comme conduit de vidange des cabinets.
Des schizophrènes plus lucides pensent être victimes d'une « bande de meur-
triers » donnée, avec laquelle ils mettent en relation tous les phénomènes
désagréables. Des francs-maçons, des jésuites, « les juifs noirs », les em-
ployés de l'établissement dans lequel travaillait le malade, des lecteurs de
pensées, des « faiseurs de spiritisme », des ennemis inventés ad hoc se don-
nent toutes les peines du monde pour l'anéantir, ou tout au moins pour le
tourmenter et l'angoisser en permanence. Partout où il se trouve, ils sont en
rapport hostile avec lui, soit qu'ils l'accompagnent dans ses changements de
lieu sous leur forme habituelle, dans les murs, dans des pièces annexes, dans
un souterrain, dans les airs, soit qu'ils observent de loin ses actes et ses
pensées avec des « miroirs de montagne », par voie électrique, et l'influencent
avec toutes sortes d'appareils et de magie, lui fassent des Voix, lui provoquent
toutes les sensations intenables qu'on peut imaginer, l'enraidissent, lui sous-
traient ses pensées ou lui fassent des pensées. La patiente ne peut plus aller
aux cabinets parce qu'on l'observe non seulement à travers les murs, mais
même par le conduit de vidange. Tout le voisinage a assisté à son dernier
accouchement.

Un s c h i z o p h r è n e se fait rarement une idée c l a i r e de la façon dont ses


e n n e m i s réalisent tout c e l a , et il n'en éprouve pas non plus le désir,
« c ' e s t c o m m e ç a , voilà tout », c e l a lui suffit. Des mots suffisent sou-
vent à satisfaire le besoin de trouver une c a u s a l i t é : on lui parle par
« indication s e c r è t e », par « envoûtement c r i m i n e l ». Ou bien il ima-
gine une sorte d ' e n s o r c e l l e m e n t : quand on prononce son nom, on lui
e n l è v e de la force.

P l u s que la t e c h n i q u e de torture, le patient c h e r c h e à s ' e x p l i q u e r pour-


quoi on se donne tant de p e i n e à son sujet. Ce sont des gens qui sont
j a l o u x de lui, qui redoutent sa c o n c u r r e n c e dans le domaine commer-
c i a l ou, notamment, érotique, ou qui font des e x p é r i e n c e s sur lui par
m é c h a n c e t é , pour le plaisir de le tourmenter, par curiosité ou dans
q u e l q u e but égoïste.

L e s influences corporelles c a u s e n t des tourments particulièrement raf-


finés aux malades :

Le médecin leur enfonce des Voix en couteau dans les yeux, on les découpe,
les frappe, les brûle, les électrise, on leur scie le cerveau, on leur enraidit
les muscles, on leur a installé dans la tête un appareil qui fonctionne en
permanence. On leur a mis quelque chose dans le conduit lacrymal, on les
a dotés d'yeux de vieilles femmes ; on les endort, on donne à entendre à une
patiente femme qu'on ferait d'elle de belles côtelettes de veau qu'ensuite les
loups mangeraient ; on leur coupe les organes sexuels, et on expose ceux-ci
dans une ville voisine. On leur a retourné les entrailles ; des éléphants et
toutes sortes de bêtes habitent leur corps. Une malade a dans ses doigts des
gens qui veulent la tuer et lui sucent le sang. On leur enlève leur force, leur
beauté, pour en doter autrui.
Le délire d'empoisonnement est fréquent :
On administre aux malades du poison par les aliments, par des vapeurs, par
l'eau qui sert à la toilette, par leurs vêtements ; on le leur injecte à distance,
dans la bouche ou dans d'autres orifices corporels. On leur a « donné à manger
de l'acide chlorhydrique de première classe, du pain de poils et de l'urine ».
Outre du poison, il y a généralement aussi toutes les choses écœurantes pos-
sibles dans leur nourriture. La soupe a été faite avec de l'eau de bain de
pieds, on leur pompe du purin dans l'estomac.
Le concept d'empoisonnement est souvent généralisé. Le malade est
« ensorcelé » ; « quand on peut parler en pensées sonores, c'est justement
l'ensorcellement qu'on jette sur quelqu'un, quelque chose de totalement inex-
plicable. On a dit qu'il s'agirait d'un poison composé de cadavres de gens et
d'animaux, naturellement c'est un secret du Vatican. Mais il est sûr qu'on
est abominablement torturé par ce moyen. Ils parlent le langage des pensées
et ne remuent pas leurs lèvres ; on les écoute au moyen de l'ensorcellement ;
c'est le brutal ensorcellement d'interrogatoire, l'ensorcellement criminel. »
Le délire de persécution s'étend facilement à d'autres personnes, notam-
ment aux proches. Les membres de la famille sont enfermés dans l'asile,
tourmentés de toutes les manières, assassinés. Si le malade reste ici
« plus d'un an et 87 semaines », on arrachera une jambe à son père.
Le délire de grandeur ne se soucie lui non plus ni des faits, ni du
caractère possible ou imaginable de l'accomplissement des souhaits
humains.
Parfois, certes, tout semble fort plausible : le malade a un don pour les ma-
thématiques, il va combler les lacunes de son éducation et devenir un grand
mathématicien ; son père fait de très bonnes affaires, il sera bientôt riche ;
une dame en vue est tombée amoureuse de lui ; chaque jour arrive un paquet
de cigares pour lui. - Mais généralement la soif de grandeur d'un type quel-
conque atteint la démesure : le malade reçoit « autant d'argent qu'il a neigé
de flocons, il devient Roi d'Angleterre, on lui construit un palais d'or et de
pierres précieuses. Son patron est Notre-Seigneur Dieu. Il a rendu saines
toutes ces pauvres bêtes (il veut dire les patients). Il doit avoir "trois bon-
heurs" : premièrement, sortir se promener à cheval avec Monsieur Oskar,
deuxièmement être son serviteur, troisièmement, tout sera à sa disposition et
à celle de Monsieur Oskar ». Toutes ces idées viennent du même malade et
montrent que chaque souhait est considéré comme exaucé pour son propre
compte, même quand il est déjà implicitement contenu dans un autre. Qu'un
autre malade « dispose en tant que Seigneur Dieu de tout l'or et tout l'argent »
a une apparence de justification. Les patients ne se font pas de souci pour
l'élaboration de leurs idées, ils peuvent être, alternativement ou simultané-
ment, non seulement Roi de Grande-Bretagne, mais aussi la Grande-Bretagne
elle-même. Un autre malade est Empereur d'Autriche et Pape et Prince hé-
ritier de Bavière, et en même temps l'époux d'une truie (c'est vraiment à
l'animal qu'il pense). — Parfois, le délire de grandeur est plus ou moins mas-
qué : une malade tient son infirmière pour Blanche-Neige, c'est-à-dire
qu'elle-même est reine. - L'intelligence des patients est grandiose. Le malade
« n'a jamais été classé aussi haut qu'il le méritait à l'école ». Il est l'inventeur
d'à peu près toutes les machines et appareils qu'on a construits depuis 50 ans
(que lui-même n'ait qu'un peu plus de 2 0 ans ne le trouble pas, quand on
le lui fait remarquer). Il veut « inventer le mouvement perpétuel, devenir
soldat et conquérir tout l'univers ». Il possède un remède contre les maladies
de la moelle épinière, il peut voler, et il ne mange pas parce qu'il reçoit des
mets célestes.

Dans le domaine religieux, le malade est un Prophète, ou même Notre-Sei-


gneur Dieu, et en tant que tel c'est lui qui a ramené du Ciel sur la terre, au
cours de ses voyages, tous les véhicules qu'utilisent à présent les humains.
La patiente est « le Christ et le Seigneur de l'univers », elle est le « Bien
suprême » et parle, en même temps, « au nom du Bien suprême ». Elle est
la gouvernante du Sauveur, la fiancée du Christ, « le cinq centième Messie »,
le « Livre divin », et « doit être récompensée ». Le malade est égal à Dieu,
en cela au moins que tout ce qu'il pense se produit aussitôt. Chez les femmes,
l'idée de grandeur religieuse a en règle un caractère érotique ; c'est rarement
une simple sublimation d'amour sexuel en idées religieuses ; bien plus fré-
quemment, il s'agit d'une condensation d'idées religieuses assez vagues sous
des formes données : Notre-Seigneur Dieu ou le Sauveur, auxquels la patiente
est liée, voire identique, a nettement certains des traits d'un homme donné,
qui a joué un rôle dans sa vie 1 7 . Chez les hommes, l'idée religieuse a géné-
ralement les caractères du complexe de souhait d'énergie psychique, mais la
Reine des Cieux ou une cohorte d'anges peuvent aussi être conçus respecti-
vement comme amante ou comme harem.

A l'occasion, la Providence ne joue qu'un rôle d'auxiliaire en cas de malheur :


la mère de la patiente, décédée, va l'aider cette nuil à sortir de l'asile par
un décret céleste. Ou bien les idées religieuses ont un caractère plus cosmi-
que, même chez les femmes : une couturière inculte « est en relation avec
une comète de prophéties. Il y a dans les airs des énergies pulsionnelles,
saines et malsaines ; quelqu'un d'idéaliste est influencé plutôt par les éner-
gies saines, après sa mort il devient une énergie psychique flottante, celui
qui est impur devient une énergie physique ».

17. La poésie connaît aussi c e l a depuis longtemps. Ainsi, dans « Ursula », de Gottfried
Keller, l'ange G a b r i e l devient-il à la fois l'amant et le fils d'Ursula ; dans « l'Assomption
de H a n n e l e » (G. Hauptmann), l'instituteur q u ' e l l e adore devient le Sauveur (NDA).
Divers complexes sont satisfaits en même temps, si « quatre choses sont of-
fertes au patient : Dieu, l'esprit, le diable et l'invocation, c'est plus que n'a
reçu n'importe quel être humain ». Ou encore « tous les meurtriers de la terre
m'attendent ; ils ne peuvent pas mourir sans moi (le patient a fait en vain
des tentatives de suicide) ; j'ai plus d'intelligence que n'importe quel être
humain ; tous les rois m'apportent des présents et ne peuvent rien me faire
(le patient est en détention préventive) ; j e ne suis pas né, mais j'étais là de
tout temps ». Un malade dit : « Solog Charles Napoléon Premier, parce qu'il
est accompagné de la social-ologie 18 . Comme tel, il est aussi infaillible, et
ses souhaits sont promptement exaucés. Ne le relâchons pas, ainsi tout ce
qu'on peut qualifier de malheur se répandra sur l'asile, comme un Venusberg
en action, crachant du feu 1 9 ». Objectivement, la grandeur rêvée n'est souvent
pas aussi élevée qu'il semble au malade, ou bien elle s'exprime de façon si
étrange qu'elle ne peut que donner une impression de ridicule. Un hébé-
phrène est « Deus », il peut vivre deux jours durant de pain et d'eau, et le
troisième de rien du tout. A un prophète est apparue une brillante étoile, qui
l'a accompagné et raccompagné trois fois de son lit aux cabinets ; en outre,
il a le pouvoir de pardonner aux autres leurs péchés. Un professeur de ma-
thématiques doit construire des ponts avec la force de Dieu, 2 Dieu 20 , 3 Dieu,
etc. Un schizophrène sauve une dame de la maladie en se masturbant tout
en pensant à elle, etc.

D'ordinaire, le délire de grandeur s'associe à des idées de persécution.


Cela s'exprime souvent d é j à par le fait que deux partis s ' o c c u p e n t du
malade, l'un étant pour lui et l'autre contre lui.

Plus fréquemment, le grand homme est seul, tandis qu'une bande inté-
ressée l'empêche par tous les moyens d'obtenir la gloire qui lui est due.

On vole au patient ses inventions dans sa tête, pendant son sommeil ; un infirmier
militaire lui a pris une invention du corps en le touchant ; on le renvoie ou on
le fait fuir en le tracassant, afin de l'empêcher de réaliser ses idées. Le
malade est si important qu'en le retenant à l'asile on tarit la source originelle
de la Vie ; on anéantit les organismes brillants qu'il a dans les yeux.

Les aspirations érotiques s'expriment sous forme d'innombrables idées


délirantes d'être aimé - ou souillé. Le délire érotique c o n s i s t e géné-
ralement en un mélange d'idées de grandeur et de persécution. Quand
des femmes schizophrènes élaborent des idées délirantes, l'élément
sexuel fait rarement défaut ; habituellement il est au premier plan, par-

i s . Solog peut apparaître comme la contraction de so log, « ainsi mentit » (NDT).


19. Le Venusberg, en allemand, est non seulement l'autre nom du Horselberg, sommet de
Thuringe où se déroule une partie de l'action du Tannhauser de Wagner, mais aussi le
mont-de-Vénus français (NDT).
20. Au singulier dans le texte.
fois transformé, il est vrai, caché sous un contenu délirant apparem-
ment religieux ou hypocondriaque. Chez les femmes, il s'agit généra-
lement d'une accession à une classe sociale plus élevée par le mariage,
et pas seulement d'amour en soi. Chez les hommes, d'autres ambitions
sont souvent au premier plan ; mais là aussi on tombe en règle sur des
éléments érotiques, si l'on peut analyser les thèmes délirants du ma-
lade.
Une ouvrière voudrait épouser son patron ; elle dit que celui-ci est amoureux
d'elle, mais qu'il est si « contraint » par S. (lieu de résidence de sa véritable
fiancée) qu'il ne peut s'approcher d'elle. Le malade pense que la dame qui
lui plaît est amoureuse de lui ; il se rend en divers lieux de plaisir dans
l'idée infondée d'y trouver sa bien-aiinée. Les femmes engendrent 150 enfants
chaque nuit. Le bas-ventre d'une femme stérile a été examiné par un médecin
et un policier ; tous deux ont admiré ses « talents ». Une demoiselle amou-
reuse a dû porter le monde des nuits entières, et c'était terriblement fatigant ;
tant qu'il y aura des femmes chastes, le monde ne pourra périr.

Le schizophrène amoureux croit qu'une fille qu'il n'a plus rencontrée depuis
l'époque de l'école, ou qu'il n'a vue qu'une seule fois, de loin, est éprise de
lui ; il monte dans la voiture d'une princesse pour l'embrasser, attend, en
pleine lucidité de conscience, la reine de Hollande dans son lit d'asile, qu'il
orne de fleurs pour l'occasion.

Très souvent, le bien-aimé devient lui-même persécuteur. Des femmes,


notamment, sont violées par celui ou ceux dont elles sont plus ou moins
tombées amoureuses ; les patientes qui accusent les médecins alié-
nistes de toutes sortes d'attentats immoraux sur elles ont présenté ou
présentent aussi, en règle, un érotisme positif vis-à-vis des mêmes mé-
decins. Dans un cas, j'ai vu aussi, à l'inverse, un aliéniste d'abord
considéré comme un ennemi devenir le bien-aimé.

Le délire de jalousie, qui n'est néanmoins pas très fréquent dans les
schizophrénies non compliquées d'alcoolisme, et qui peut avoir d'autres
origines encore, constitue une autre forme d'expression négative du
délire érotique.

Dans des cas chroniques graves et au cours d'états crépusculaires tran-


sitoires, les souhaits sexuels des patients sont plus ou moins complè-
tement satisfaits. Ils sont unis à leur bien-aimé, ont tant et tant
d'enfants de lui, etc.

Parmi les formes de délire de petitesse, le délire d'appauvrissement et


de culpabilité fait généralement partie d'une dépression mélancolique
intercurrente, se constituant au cours de celle-ci mais perdurant parfois
après elle. Il a le même contenu que dans d'autres mélancolies ; seu-
lement, la schizophrénie lui confère souvent sa propre tonalité contra-
dictoire, mal construite et absurde.
Les malades ont volé, tué, causé la mort d'un proche par leur négligence,
péché contre le Saint-Esprit. Dieu s'est échappé par le ventre du malade ;
un républicain suisse a commis « le crime terrible de lèse-majesté ».

A l ' o c c a s i o n , c e l a aboutit à des auto-accusations f a u s s e s , dont les b a s e s


peuvent être appelées tant illusions m n é s i q u e s q u ' i d é e s délirantes.

Un hébéphrène vit tomber une fille épileptique ; il s'accusa d'avoir voulu la


violer, et ce serait au cours de la lutte qu'elle serait tombée. Un autre tomba
malade à l'époque où il y avait eu plusieurs incendies dans son village, sa
peur des incendies s'accrut, puis il lui vint l'idée qu'il devait lui-même en
allumer, et finalement il s'accusa d'avoir incendié une maison (qui était ab-
solument intacte).

Les idées hypocondriaques sont beaucoup plus importantes. E l l e s do-


minent entièrement le tableau dans de nombreux c a s , notamment re-
lativement b é n i n s .

Une malade garde le lit depuis des années, elle a des plaintes épouvantables,
généralement causées de l'extérieur. Elle fait des rechutes parce qu'elle est
restée au lit 20 minutes au lieu de 15, parce qu'on a fait un vacarme si
épouvantable en déchargeant des pommes de terre. Un peu de pommade à
l'iodure de potassium provoque une avalanche de plaintes qui persistent long-
temps ; elle a « une crampe de sang ». - D'autres se sentent faibles, leur
esprit se dérobe, elles ne seront plus là le soir même ; elles ont une tumeur
dans la tête, un système osseux liquide ; leur cœur est de pierre (pris au
pied de la lettre, en partant du sens symbolique) ; elles ne peuvent pas se
noyer, car rien d'autre n'est vivant que leur tête ; sa femme ne doit rien
cuisiner avec des œufs, sinon des plumes vont pousser au patient. Des poils
lui poussent dans le dos ; il n'a plus de nez ; c'est une boule de caoutchouc.
Il n'a pas d'organes génitaux, ils ont brûlé, sa moelle épinière s'écoule sous
forme de sperme.

Naturellement, la propre personne du malade est transformée elle aussi


dans le sens des complexes délirogènes.

Un hébéphrène, H., est « le fils du financier G., c'est-à-dire de Napoléon » ;


la raison pour laquelle on l'appelle H. pour le moment est un mystère pour
lui. Le catatonique K. ne s'appelle plus K. mais von M., parce qu'il va épouser
la fille de Monsieur von M. Souvent, les malades se croient morts ; l'un est
mort trois fois, ce qui ne le dissuade pas de prophétiser sa mort prochaine
et, en même temps, de faire des tentatives de suicide. Vivant et mort, per-
sonnalité d'origine et personnalité délirante peuvent exister côte à côte ; « le
patient est mort, et pourtant il est vivant » ; « il est dans deux mondes » ;
« il est congelé dans la baignoire, et pourtant il est ici ». Une demoiselle
(qui, dans son délire, a épousé un ministre du culte) est « convertible, tantôt
vierge, tantôt femme » ; elle trouve cela étrange.

Le délire de possession, si fréquent, est un type particulier de dédou-


blement. Chez nous, certes, il ne se voit plus que rarement dans son
ancien sens religieux. L'esprit qui commande peut aussi être Dieu, au
lieu du diable, ou bien « Dieu a jeté un esprit sur la tête du malade ;
il (le malade) a un esprit possédé ».
De temps en temps, c'est le sexe qui subit une transformation délirante.
Le malade homme se sent être femme en permanence ou par moments,
ou l'inverse.
La transformation en animaux se voit aujourd'hui encore, mais il n'est
pas fréquent qu'elle se maintienne en état de lucidité complète.
Un catatonique se sentait être une grenouille à la peau froide ; de deux ca-
tatoniques déprimées, l'une lut pendant assez longtemps un chien, si bien
qu'elle aboyait souvent, l'autre déclara être un requin. Dans ces deux derniers
cas, la signification du délire est transparente (dépréciation symbolique de
la personnalité).

Les malades croient aussi être des objets inanimés. Le patient est une
boîte ; il était un dessin dans un livre, maintenant il en est sorti et est
venu à l'asile. Il est une machine.
D'autres personnes sont transformées. Les malades assez abêtis trouvent
souvent à l'asile une foule d'anciennes connaissances, de camarades
de classe, qui leur sont indifférents, pour autant que nous sachions, et
aussi, en partie, des gens qui jouent un rôle dans leurs autres idées
délirantes.
Le médecin est le bien-aimé untel ; un autre patient est le roi Guillaume ;
une patiente est tendrement embrassée, en tant que fille. Souvent, notamment
lors d'une erreur plus indifférente sur les personnes 21 , l'idée délirante est
déclenchée par des analogies plus ou moins importantes. Souvent, tout son
entourage semble au patient transformé, « déguisé ». D'autres personnes sont
modifiées même dans leurs attributs et leur situation : la sœur de la patiente
est fiancée ; le médecin est divorcé de sa femme, et l'infirmière est un homme
« madamisé ». La mère, morte, du patient continue à vivre dans son étable
sous la forme d'un taureau.

Si l'on fait totalement abstraction du fait que les malades, en cas de


fausse reconnaissance, croient avoir devant eux soit la personne réelle,

2 1 . Personenverhennung : la « f a u s s e r e c o n n a i s s a n c e » de la littérature p s y c h i a t r i q u e fran-


ç a i s e (NDT).
soit le personnage du délire, selon le contexte, quelqu'un de sain est
souvent totalement i n c a p a b l e de comprendre pourquoi le malade dit
que le médecin est le comte N. Une patiente veut me frapper, p a r c e
que j e suis un sieur N. de sa c o n n a i s s a n c e . Comme j e proteste, elle
dit : « Au moins, ne venez pas en tant que R . , mais en tant que 0 . ou
en tant que P. » (« Non, j e préfère venir en tant que M. ») « Vous ne
pouvez pas être c e l u i - l à , c'est un ange, c'est un dieu... » Une patiente
se montre très impolie à l'égard d'une visiteuse, mais elle dit qu'elle
peste bien contre elle, mais que c e n'est pas elle qui est visée, il ne
faut pas qu'elle le prenne pour elle.

Bien d'autres idées délirantes sont malaisées à classer dans les catégories
habituelles. Néanmoins, si un malade « est dans une association où l'on dé-
pèce vifs les gens », ce peut être en rapport avec un délire de persécution.
Quand un autre paranoïde scie du bois, il scie les mariages et les lits conju-
gaux. Une autre malade prophétise, sans plus de cohérence, « du feu et des
crues ». Les malades considèrent aussi comme des persécutions qu'il se mette
à pleuvoir chaque fois qu'ils parlent du temps, qu'un chien aboie régulière-
ment à certaines de leurs actions, que d'autres écrivent aussi quand eux-
mêmes se mettent à écrire. Ce dernier événement était attribué à « des
relations souterraines ».
Des idées de grandeur pointent sous les remarques qui suivent : « On peut
refaire des arbres à partir de vieux meubles en traitant la cendre par le
courant électrique ». Le patient « dort de façon plus concentrée », 30 ans en
une nuit, il se trouve en deux endroits à la fois, dans son ancien lieu de
soins et dans son appartement. A l'asile, l'un des infirmiers est une infirmière
de son précédent séjour, transformée. Le patient va « creuser un trou dans
le sol, puis se précipiter dedans à cheval sur sa bêche et ressortir de l'autre
côté de la terre ». Une catatonique en état crépusculaire ne veut pas avaler,
parce qu'à chaque fois elle avale le monde entier. Un paranoïde note, dans
les journaux, toutes les citations en langue étrangère pour les « analyser et
les interpréter conformément à la puissance de l'esprit ». Une hébéphrène à
tendances religieuses « tire le Saint-Esprit avec l'aiguille quand elle coud ;
en même temps que de l'eau, elle boit le diable des autres malades ; quand
elle hache des haricots, elle broie Notre-Père ». Un paranoïde considère les
pommes de terre comme méchantes ; les merles sont des animaux méchants
(au sens religieux du terme) ; il dit parler à la perfection de nombreuses
langues étrangères, mais il ne connaît que quelques bribes de deux d'entre
elles.

La création d'un autre monde s'exprime dans le délire d'un Russe pour lequel
on avait construit exprès un « Burghôlzli russe » tout à fait identique. C'est
quelque chose d'analogue quand le Burghôlzli est escamotable et se trouve
tantôt sur terre, tantôt sous terre.
Un patient qui vient de se masturber ne veut pas serrer la main du médecin,
parce que cela pourrait faire des enfants du côté féminin ; un autre doit
empêcher sa famille de penser ; un troisième a enlevé au médecin des vis-
cères par la bouche et en a fait un autre être humain ; un quatrième trouve
triste que tant d'eau coule dans l'urinoir.

Caractères des idées délirantes


Les idées délirantes du schizophrène ne représentent pas nécessaire-
ment une entité logique ; des idées qui ne vont pas ensemble, ou même
se contredisent mutuellement, peuvent être présentes en même temps
ou se succéder en peu de temps. Même des idées délirantes compati-
bles ne sont pas facilement ordonnées en un système logiquement éla-
boré ; même là où elles contiennent une idée commune, comme celle
de la persécution par une société secrète, les détails ne sont généra-
lement pas en cohérence avec la construction logique ; ils forment un
tas désordonné d'idées délirantes, un « chaos délirant », pour s'expri-
mer comme Schiile. Il est des exceptions chez de rares paranoïdes dont
l'intelligence s'est relativement bien conservée ; en outre, il ne faut
pas oublier que tout délire possède sa faille logique, et que les exi-
gences des observateurs sont fort diverses sous ce rapport, si bien que
certains postulent une systématisation déjà complète là où d'autres ne
voient absolument rien qui y ressemble. Selon notre conception, on ne
devrait parler d'un système logique que là où tout se développe en une
construction logique à partir de quelques prémisses fausses 2 2 . En ce
sens, les idées délirantes schizophréniques ne sont presque jamais sys-
tématisées. Généralement, elles souffrent plutôt de contradictions et
d'impossibilités. Un hébéphrène se considéra pendant longtemps
comme mort et enterré ; un nègre lui avait coupé la tête ; il s'était
lui-même vu, là-debout, la tête entre les pieds. — L'infirmière d'une
patiente est en même temps son frère, sa sœur (ceux de la patiente)
et une tierce personne encore.

La contradiction avec la réalité n'est généralement absolument pas per-


çue, elle non plus.
Un hébéphrène apte au travail est très mécontent de nous, parce que nous
ne lui donnons pas les nombreux envois qui arrivent pour lui ; certes, ils
arrivent sous d'autres noms, mais ils lui sont pourtant destinés. Un hébé-
phrène se prend pour S., le propriétaire d'une grande usine, il ne lui manque

2 2 . M ê m e ici, à vrai dire, des hypothèses erronées ne c e s s e n t généralement pas d'être for-
m u l é e s ; ainsi des idées pathologiques de relation à soi peuvent-elles servir pendant des
d é c e n n i e s à poursuivre le développement d'un système délirant (NDA).
plus que le naevus (que le véritable propriétaire a sur le visage), il va se le
faire « en image », et alors il sera S.
Délire et réalité non seulement se succèdent au cours d'états de
conscience divers, mais aussi coexistent en pleine lucidité de
conscience, même là où ils devraient s'exclure.
Un monsieur regarde la patiente, « alors, j e sais que c'est l'instituteur, bien
qu'en fait ce ne soit pas lui ». Le lit d'une catatonique est un ours blanc,
« j e me suis couchée dessus, alors c'était comme un lit, mais c'était pourtant
un ours blanc ». Une hébéphrène écrit : « Ces créatures ne sont rien d'autre
que les personnes sus-nommées (médecins, etc.), et elles finiront comme elles
sont nées » ; ici, les « créatures » peuvent finir, mais pas les personnes aux-
quelles elles sont identifiées. « Une ou deux » poupées de caoutchouc ima-
ginaires (qui sont nées d'un incube) sont identifiées à l'amoureux qui domine
complètement la patiente.
Nombre de ces idées sont tout à fait imprécises, nébuleuses.
Qu'il soit pape ou empereur peut être indifférent à un schizophrène ; des
exigences de 100 0 0 0 francs ou de 10 francs peuvent être identiques pour
lui. L'empoisonné a remarqué qu'on a mis une poudre brune dans sa soupe ;
mais, au cours de la discussion, il dit que ça pouvait aussi être un liquide.
« Le cuisinier l'a mis dans la nourriture », (« nous n'avons pas de cuisinier »),
« la cuisinière », (« elle ne sait rien de vous »), « c'est dans la section qu'on
la met, à chacun la sienne ». L'idée qui se cache derrière « la poudre brune »
est très vague. - Un paranoïde : « J'ai en moi quelque chose comme une
double tête ; c'est intérieur, comme si j'étais le Christ » ou « les disciples au
Mont des Oliviers ; 26 disciples du Mont des Oliviers sont dans mon bras.
Il y a dans ma tête un carreau de faïence qui vient de l'Empereur Guil-
laume ». - Un hébéphrène va à la gare pour accueillir « quelqu'un ». Un
autre commande « dix gros livres de Droit ».
Souvent, des idées différentes sont réunis dans un ordre tout à fait
confus.
« La France a tout de même raison : en France on m'a dit soudain qu'il n'y
avait pas de Trinité, ce sont quatre hommes qui ont fait Dieu. Maintenant,
j e me suis rendu compte que c'était vrai, c'est pourquoi j e veux avoir ma
sortie pour le 24 avril ».

Les idées peuvent rester tout à fait inachevées.


Un hébéphrène qui, des années durant, est resté encore capable de diriger
une pharmacie, disait avoir inventé un cinématographe. Mais la seule chose
qu'il savait de cette invention, c'était que « les éléments moteurs en question
sont arrangés dans l'angle droit ». - On a jeté des poux blancs dans le lit
d'une malade, on lui a jeté un grand pou noir dans le lit. Elle est incapable
de décrire le dernier de ces animaux, mais elle l'inclut parmi les poux blancs.
Souvent, l'idée apparaît absurde alors qu'elle ne l'est pas, le malade la dé-
crivant en usant d'expressions inadéquates, symboliques ou comportant quel-
que autre bizarrerie. Quand une patiente dit qu'elle est « les grues
d'ïbykos 2 i », elle ne le pense pas toujours littéralement, au sens dans lequel
des gens sains le diraient, mais la composante principale de son idée est
qu'elle est « libre de tout péché el de toute faute », et qu'elle devrait être
« libre », c'est-à-dire ne pas être enfermée.

Personnalité et idée délirante


La scission de la personnalité ne s'exprime en nul domaine de façon si
apparente que dans la place des idées délirantes par rapport au reste
de l'esprit. Des parties du complexe global que nous appelons le Moi
sont régulièrement étrangères à l'idée délirante. D'un côté, ceci rend
possible à la partie non infectée du Moi de ne pas croire à l'idée
délirante, voire de la critiquer ; d'un autre côté, l'incorrigibilité et l'ab-
surdité du délire proviennent justement du fait que nombre des asso-
ciations qui le contredisent ne sont tout simplement pas mises en
relation logique avec lui.
Aussi les patients peuvent-ils, en fonction des circonstances, rire et
plaisanter à propos d'idées auxquelles ils croient dur comme fer dans
un autre contexte. 11 s'agit généralement là d'idées de grandeur; j'ai
néanmoins vu aussi des malades rire aux éclats de leur propre délire
de persécution, sans qu'il soit critiqué. Parfois aussi, à peine l'idée
est-elle exprimée qu'elle est minimisée (« ce n'était pas si grave »).
Un hébéphrène rit de ce que lui, Dieu, marche entre deux médecins et ne
soit pas capable de se débrouiller pour sortir de l'asile ; dans un autre asile,
il faisait le climat après le thé, ici rien ne semble arriver après le café. Un
« roi de l'Univers entier » demande lui-même si « ça n'a pas l'air d'un conte
à dormir debout ».
Aussi cela peut-il également aboutir à des degrés intermédiaires entre
délire et rêverie consciente. C'est notamment fréquent dans les états
aigus. La meilleure description en est fournie par la patiente L. S. de
Forel : « A la limite de l'idée délirante proprement dite, et pouvant
pourtant en être différenciée avec certitude, il pouvait y avoir, tout au
cours du processus, cet état dans lequel, à demi poussée par une ins-
piration, à demi le sachant et le voulant, j e me créais un rôle que j e
jouais et déclamais, dans la peau duquel j e me mettais, et conformé-

2 3 . Ibykos : poète grec du V f s i è c l e avant J . - C . Selon la l é g e n d e , a s s a s s i n é par des brigands,


aurait avant de mourir a d j u r é des grues qui passaient de venger sa mort. « Les grues d 1-
bykos » est l e titre d ' u n e ballade de S c h i l l e r (NDT).
ment auquel j'agissais, sans me considérer vraiment comme identique
à la personne représentée. Il y avait vraiment là de nombreux degrés
depuis la frontière de l'idée délirante, des degrés qui pouvaient aller
de l'idée délirante elle-même jusqu'à une simple exaltation ou irritation
de l'humeur, avec une pleine lucidité sur moi-même et mon entourage,
du moins à ce qu'il me semblait. »

Mais les ébauches de critique sont généralement tout à fait vaines.


Souvent, les malades ne sortent pas de leur fascination, même quand
ils éprouvent le besoin de prendre position par rapport à elle.

Un catatonique se plaint en justice que sa maladie soit qualifiée de


paranoïa, et ses symptômes d'hallucinations : « Quoi qu'il en soit, il y
a certes motif suffisant à entamer une procédure pénale contre ce ra-
massis de canailles ». On fait remarquer à une hébéphrène qui a in-
terprété comme la visant une craquelure d'un tableau que cela ne
signifie pas forcément quelque chose : « Naturellement, ça ne signifie
pas forcément quelque chose, mais alors je voudrais bien savoir pour-
quoi on m'a fait ça. »

Il n'est pas rare que les idées délirantes soient scindées de la person-
nalité, en ce sens qu'elles n'apparaissent pas au patient comme le ré-
sultat de sa propre pensée, mais comme le produit d'un esprit étranger ;
elles lui sont « inspirées », on les lui « fait », mais il y croit tout de
même.

Mais le plus frappant, c'est l'isolation associative des idées délirantes


qui se manifeste dans leur rapport avec Vaffectivité. Leur contenu peut
être en contradiction avec l'humeur du moment du patient. Il peut
correspondre à des affects positifs ou négatifs chez le même individu,
au même moment ou à des moments successifs. Souvent, le patient y
associe des affects tout à fait inadéquats, ou n'y associe strictement
aucun affect. Des idées de grandeur peuvent être exprimées avec une
mine désespérée ; on voit quotidiennement les récits des persécutions
les plus abominables s'accompagner d'une indifférence totale, voire
d'un sourire. Ou encore l'affect change : une infirmière se lamentait
sur sa colonne vertébrale en or. Ensuite, elle se mit à chanter gaîment :
« J'avais une colonne vertébrale en or... »

Comme l'ensemble de la personnalité ne participe pas nécessairement


aux idées délirantes, et comme les affects, donc les pulsions, ne leur
correspondent pas forcément, la réaction aux idées délirantes est sou-
vent inadéquate elle aussi. On peut vraiment dire que ceux des actes
qui correspondent aux prémisses des idées délirantes, selon une logi-
que saine, sont les plus rares.

Néanmoins, des persécutés se promènent dans nos asiles en vitupérant,


s'attaquent physiquement ou par des plaintes en justice à leurs tour-
menteurs supposés, cherchent à se soustraire aux influences hostiles
par des changements perpétuels de résidence ou par des dispositions
compliquées et par toutes sortes de procédés magiques. 11 peut aussi
arriver que des érotomanes fassent un beau jour des démarches pour
approcher l'objet aimé ; une patiente va tous les soirs au théâtre pen-
dant deux ans pour parler à son fiancé imaginaire, qu'elle ne connaît
même pas. Des écrivains graphomanes écrivent tant qu'ils peuvent, et
se font même imprimer, pour autant que les circonstances le leur per-
mettent. Mais, en comparaison du nombre et de la durée des idées
délirantes, les actes qui pourraient leur correspondre, dans le sens
d'une logique saine, sont fort rares.

L'apathie, le désintérêt, ne se manifeste pas seulement au « stade ter-


minal », mais très souvent dès le début des idées délirantes. L'un de
nos hébéphrènes se sentit longtemps persécuté ; d'abord, il n'était pas
tout à fait certain de la chose, donc il ne pouvait pas agir ; par la
suite, « il ne fit plus autant attention aux tracasseries, parce qu'à pré-
sent il était déjà sûr de son affaire ». Rois et empereurs, papes et
rédempteurs s'occupent en grande partie à des travaux tout à fait ba-
nals, pour autant qu'ils ont encore l'énergie d'avoir une activité. Et ce
non seulement dans les asiles, mais même quand leur liberté est en-
tière. Aucun de nos généraux n'a jamais tenté d'agir conformément à
son imagination.

Certains persécutés n'ont que de loin en loin un accès de vitupérations


totalement inutile, ou bien ils font quelque autre sottise et se mettent
de façon chronique en retrait d'autrui, mais renoncent pendant des
décennies à tout acte intentionnel qui pourrait être propre, selon l'ex-
périence courante, à leur procurer de la tranquillité. Leur réaction est
une réaction tout à fait autistique, qui ne tient pas compte de la réalité.

Souvent, néanmoins, ils agissent dans le sens de leur délire, mais sans
la moindre adéquation à la réalité, qu'ils prennent pourtant encore en
compte par ailleurs. Le persécuté donne une gifle à un passant quel-
conque, qu'il n'a absolument pas inclus dans son délire ; le pécheur
demande avec le plus grand sérieux qu'on le tue, sans prêter attention
à l'objection évidente selon laquelle les médecins s'enverraient ainsi
eux-mêmes en prison. Un paranoïde pieux voulait s'asseoir sur le poêle
brûlant et y lâcher un vent, afin de chasser le mauvais esprit qu'il
disait se trouver dans le poêle.
La scission de l'esprit en âmes différentes conduit aussi aux plus
grandes inconséquences. A sa sortie de l'asile, une persécutée encore
très intelligente prend congé de façon touchante, et avec une réelle
affectivité, de sa principale persécutrice, qui en voulait à sa vie. Les
malades nous donnent tranquillement à expédier des lettres dans les-
quelles ils nous accusent des crimes les plus abominables et, en plus,
de retenir systématiquement leur courrier. Ils nous injurient avec les
mots les plus crus, nous qui les empoisonnons, pour, l'instant qui suit,
nous signaler quelque mal à soigner ou nous demander une cigarette.

Souvent, les mesures prises à la suite des idées délirantes sont aussi
illogiques que le délire. Les malades inventent toutes sortes de procé-
dés magiques, ne reculant ni devant ce qu'il y a de plus absurde, ni
devant ce qu'il y a de plus répugnant. Les actes et les mots les plus
bizarres doivent, en tant que « rites conjuratoires », protéger des in-
fluences hostiles.

Parfois, on comprend jusqu'à un certain point le rapport de la réaction


avec le délire, encore qu'elle ne puisse pas être justifiée par un en-
tendement normal. Une demoiselle était amoureuse d'un marchand de
café ; c'est pourquoi on la taquinait (hallucinatoirement) par le mot
« café » ; alors, elle ne buvait plus de café.

Dans certains cas, notamment dans des états aigus d'agitation, nous
ne trouvons plus aucun rapport entre le délire et les actes. Un catato-
nique se met subitement à crier : « j e suis Dieu, j e suis Dieu », et il
frappe autour de lui avec une fureur aveugle, veut se jeter la tête la
première contre le mur.

Genèse et devenir des idées délirantes

Les états aigus sont le berceau de nombreuses idées délirantes. Au


cours des dysthymies mélancoliques et maniaques naissent, par les
voies connues, des idées délirantes qui correspondent à l'affectivité,
parce que celle-ci inhibe les associations qui ne vont pas dans son
sens et leur enlève leur importance. Au cours des confusions propre-
ment schizophréniques surgit un méli-mélo apparemment absurde de
représentations fausses, auxquelles les malades croient. Ces deux types
d'idées peuvent survivre à l'état au cours duquel elles sont nées ; elles
persistent alors au cours des états « secondaires », sans cohérence af-
fective ou intellectuelle, en tant que « délire résiduel » (Neisser).
La genèse du délire confusionnel ne peut être élucidée que par une
analyse fouillée. Nous pouvons un peu mieux suivre la naissance des
idées délirantes dans les états chroniques qu'aigus, et nous y trouvons
d'abord quelques formes logiques, qu'on peut du reste mettre parfois
aussi en évidence au cours de la confusion.

Certaines idées délirantes prennent leur source dans d'autres, déjà


existantes. En bonne logique, le prince méconnu ne peut considérer
ses parents que comme des parents nourriciers. Chez les schizophrènes,
toutefois, de telles conséquences sont loin d'être toujours tirées.

D'autres développements délirants représentent des tentatives d'expli-


cation manquées de situations délirantes : par exemple, l'idée délirante
d'être transparent, parce que tout le monde connaît les pensées du
malade.

Les mille vécus surprenants du patient fournissent naturellement de


nombreuses occasions à un « délire explicatif » analogue ; mais l'insuf-
fisant besoin de logique des malades se reflète aussi dans la relative
rareté des idées ayant une telle genèse. Ainsi la « transformation » du
délire de persécution en délire de grandeur est-elle loin d'être aussi
fréquente qu'on ne devrait le penser, suivant certains auteurs. Je n'ai
en tout cas jamais vu de cas correspondant en tous points à cette des-
cription (idem chez Kelp). Pour quelqu'un de sain, il apparaît très plau-
sible, voire nécessaire, que celui qu'on se donne un mal infini pour
persécuter soit également digne de tels efforts ; pour les schizophrènes,
cette conclusion n'est pas nécessaire. En tout état de cause, le délire
de grandeur peut être tout aussi primaire que le délire de persécution ;
généralement, les deux formes s'associent dès le début chez un même
patient, et seul leur rapport quantitatif réciproque se modifie.

Dans les états pathologiques graves, les idées délirantes ont tendance
à se généraliser.
Un patient est empoisonné ; puis l'eau du lac au bord duquel il habite est
empoisonnée aussi. Les fiançailles d'un protestant on été rompues parce que
sa fiancée était catholique ; à présent, il se croit persécuté par cette fille,
mais aussi par les infirmiers catholiques ; puis par tous les infirmiers en
général. Un ouvrier est traité d'espion par un de ses camarades de travail
qui a été licencié ; bientôt, il pense que tout son entourage le considère
comme un espion, puis tout le monde, même son frère. Une femme se sent
persécutée par un monsieur, puis par tous les messieurs, et enfin par les
femmes également. L'amour aussi peut être reporté sur des personnes de plus
en plus nombreuses ; une vieille fille aime un de ses supérieurs, puis à l'asile
le médecin actuellement en charge de la section, et elle est tellement au
clair sur le caractère impersonnel de son amour qu'elle écrit à l'un de ces
bien-aimés : « A présent, je te resterai fidèle jusqu'à ce que j e connaisse
l'autre ».

L'extension se poursuit parfois avec un estompage des limites entre la


personne du patient et d'autres personnes, voire entre des personnes
et des concepts abstraits.

L'hébéphrène qui entendait des Voix de « chant d'oiseau » savait que cela
renvoyait à son onanisme, il était lui-même le chant d'oiseau. Puis il entend
ce mot même en d'autres circonstances, le « chant d'oiseau » veut le tuer, et
est d'une façon générale l'incarnation de ses persécutions. — Une catatonique
a des pensées fulgurantes qui lui paraissent étrangères ; ultérieurement, l'idée
est mise en relation avec la sensation d'être percée à jour : des éclairs lu-
mineux lisent dans les yeux et volent les pensées.

D a n s c e s derniers c a s , l'extension de l'idée délirante peut être c o n ç u e


comme un simple m é c a n i s m e analogique ou c o m m e une extension du
c o n c e p t ; qui craint un catholique finit par craindre tous les catholi-
ques, puis tous les êtres humains. Mais, conformément aux modes s c h i -
zophréniques d'association, tous les é v é n e m e n t s vécus intérieurs et
extérieurs peuvent s'être incorporés à l'idée délirante sans avoir de
rapport logique ni affectif avec elle. Une patiente entend des Voix « par
les c â b l e s é l e c t r i q u e s et une lampe d'Auer », c e en quoi la lampe
d'Auer n'a, à l'origine, rien à voir avec les Voix, mais représente une
association évidente aux c â b l e s é l e c t r i q u e s .

Un patient pieux se sent persécuté et attend de l'aide ; il s'avise qu'une


femme fait les cent pas à la gare : cette femme est envoyée par le Ciel pour
le sauver. — Une catatonique connaissait la femme du médecin avant de tom-
ber malade, et elle se fait du souci au sujet de sa sortie et du coût de l'hos-
pitalisation. Idée délirante : Madame le Docteur doit payer pour elle, et si
elle n'avait pas connu Madame le Docteur, elle n'aurait pas été forcée de
rester à l'asile.

Parfois, c'est sur une analogie que se fonde une telle association :

Le patient est attaché : il est le Christ. 11 peste contre la police et sent qu'il
est le dernier des Bourbons ; un autre patient peste aussi contre la police.
Idée délirante : c'est aussi un Bourbon.

Mais le rapport peut être tout à fait i n c o m p r é h e n s i b l e pour quelqu'un


de sain :

Lors de l'examen oculaire, le médecin touche par hasard le nez du patient ;


celui-ci se lève alors et déclare avec solennité que « ç'a été un signe de
Dieu, selon lequel celui-ci l'avait choisi pour fils ». — Une hébéphrène trouve
des caractères gravés sur une tablette de chocolat qu'on lui a offerte. « Elle
ne sait pas de quelles lettres il s'agit, ni ce qu'elles signifient. Elle l'avait
compris, mais elle était si irritée qu'elle a aussitôt effacé les lettres ». - La
tendance à délirer, l'interprétation des événements, est présente en perma-
nence ; elle peut ainsi être raccordée à n'importe quel événement fortuit.
Même de pseudo-corrélations telles que celle qui suit ne mettent pas cette
théorie en échec : « Il y a devant ma fenêtre une lampe comme celle qui est
à la maison ; donc, une fois de plus, tout n'est pas en ordre ».

Quand de telles propositions logiques n'ont plus de véritable rapport


avec le moi et ses souhaits, elles apparaissent plus comme un jeu que
comme une idée délirante, et l'on ne peut alors guère les distinguer
des productions analogues que l'on rencontre dans la manie : le mé-
decin est « Monsieur l'opticien » parce qu'il porte des lunettes ; il a
au doigt l'anneau du Nibelung.

Mais de telles approximations peuvent être prises au sérieux, et ce


même là où elles concernent la propre personne du malade. Un de nos
hébéphrène s'identifiait à tous les objets possibles (« j e suis ce buisson
de sureaux ; je suis un vieux parapluie »), sans que l'on ait pu mettre
en évidence de symbolisation ou quoi que ce fût qui y ressemblât. Une
paranoïde a compris que le nom du village de Jestetten, dans lequel
elle avait demandé le prêtre, afin qu'il lui porte secours, était « Hins-
tetten », et à présent elle soutient fermement que ce village s'appelle
ainsi, bien qu'on lui ait apporté cent fois la preuve du contraire au
cours des décennies.

Ces dernières idées délirantes n'ont en soi rien à voir avec le Moi de
la patiente : l'erreur de compréhension du nom n'est devenue une idée
délirante que parce qu'elle s'est raccordée fortuitement à une idée dé-
lirante. C'est de cette manière que naissent les idées délirantes excen-
triques, qui n'ont pas de lien direct avec les complexes du malade.

Comme on (Specht, par exemple) a nié l'existence de telles idées délirantes,


citons-en quelques exemples. Un hébéphrène s'occupe d'héraldique, et natu-
rellement, dans notre région, d'héraldique alémanique ; pendant la guerre du
Japon, il conçoit l'idée que les Japonais de qualité seraient des Alémaniques,
sans mettre cette idée en rapport de quelque façon reconnaissable avec ses
complexes. Une patiente a entendu faire du tapage : le Prince de France (qui
ne joue sinon aucun rôle pour elle) a été assassiné. Un hébéphrène, qui
n'établit aucun rapport entre les Boers et lui, prétend un beau jour que
Cronje 2 4 a été assassiné. Un patient prétend que quelque autre patient aurait

2 4 . Piet Arnoldus Cronje ( 1 8 3 5 - 1 9 1 1 ) : général Boer ; fait prisonnier par les Anglais, fut
lui aussi captif à Sainte-Hélène ( N D T ) .
été volé ; un autre, son voisin, aurait une certaine somme à la banque (tout
ceci sans relation à soi décelable). Bien sûr, on peut dire que de telles idées
ne seraient pas des idées délirantes mais des erreurs ; mais c'est donner à
ces deux concepts de nouvelles limites ad hoc.

Naturellement, une foule d'idées délirantes se forment en apparence


comme des erreurs, les malades tirant des conclusions de prémisses
insuffisantes ; quelqu'un crache alors qu'un paranoïde passe ; donc il
voulait lui marquer son mépris. Une patiente a mal à la tête à chaque
réveil ; par conséquent on l'a frappée durant la nuit. Les conclusions
par analogie trop large font également partie de cette forme de conclu-
sions.

Pour faire naître des idées délirantes de telles conclusions erronées,


il faut naturellement que des facteurs affectifs s'y adjoignent. C'est
pourquoi la forme la plus générale de leur genèse consiste en ce qu'une
perception quelconque soit mise en relation, pour des motifs logiques
insuffisants, avec un complexe qui est au premier plan de l'intérêt du
patient. Le « délire de relation » (« relation morbide à soi ») s'observe
sous sa forme la plus vive dans la schizophrénie : un enfant passe
devant le patient ; il sursaute : « Je suis le père de cet enfant 25 ». Les
gens sont tous dans la rue à cause de lui : chacun de leurs mouvements
a une signification pour lui ; les annonces des journaux se rapportent
à lui ; on a fait l'orage à cause de lui ; le devoir sur Goethe, à l'asile,
est plein d'allusions à lui, on l'a truqué pour lui ; un chercheur en
sciences naturelles encore fort lucide se réjouit de ce que les petits
crustacés lui fassent des signes quand il les regarde au microscope.
Au repas, la sœur d'un catatonique lui demande s'il veut encore du
pain ; au comble de la fureur, il veut la poignarder, parce qu'elle a
fait ainsi allusion au fait qu'il est au chômage 26 . Dans cet exemple, il
est tout à fait clair que ce n'est pas la relation au Moi, qui est tout à
fait évidente et anodine, mais la relation au complexe chargé d'affect
qui a été l'élément déterminant.

Dans les descriptions habituelles de la genèse du délire, la méfiance


semble être aussi une source importante d'idées délirantes, à côté du
délire de relation. Elle est alors interprétée 27 comme un délire de per-

2 5 . Cet exemple montre bien pourquoi il faut préférer traduire Beziehungswahn par délire
de relation plutôt que par délire de référence, terme devenu à la mode c e s dernières années,
mais trop restrictif. Ici, l'enfant « ne fait pas référence » au patient, mais une relation dé-
lirante est établie entre c e dernier et lui (NDT).
2 6 . Brotlos, sans pain, signifie aussi sans emploi (NDT).
2 7 . S p e c h t la considère comme un affect (NDA).
sécution encore assez imprécis, et qui ne prend une tournure plus pré-
cise que par la suite. Une de nos patientes écrit : « De toute façon, j e
ressens toute amabilité comme quelque chose de désagréable ; cela fait
croître ma méfiance, et j e nourris cette méfiance contre tout et tous. »
Une autre s'exprime de façon encore plus frappante : « On ne peut se
fier à sa propre chemise. » La sensation de malaise en toute cir-
constance, si fréquente (« les murs de ma propre maison voulaient me
bouffer »), peut exciter la méfiance à un degré plus ou moins important.
Au début, les mégalomanes n'ont souvent que de grands espoirs et
prennent de grandes allures, sans qu'il y ait d'idées précises. Malgré
tout, j e ne souhaite pas ériger en règle la genèse du délire à partir de
« sentiments » imprécis. Des idées imprécises et des sentiments intel-
lectuels morbides peuvent survenir à tout moment, même tardivement
au cours de l'évolution (les exemples de méfiance donnés ci-dessus
émanent de malades assez anciens) et sont quelque chose de tout à
fait commun au cours des rémissions.
A l'inverse, des représentations apparues subitement et formulées de
façon nette peuvent être les premiers symptômes que l'on perçoit de
la maladie. Les idées délirantes se développent souvent aussi en par-
tant de quelque chose de précis pour aller vers quelque chose d'im-
précis et de confus : A la puberté, une catatonique se croyait fiancée
à un médecin ; plus tard, elle est la fille de deux autres médecins, dit
qu'elle voulait étudier la médecine ; puis elle se sent propriétaire de
l'hôpital et de l'école polytechnique, et l'on peut mettre en évidence
que, derrière cette pensée, se cache encore l'idée qu'elle voudrait épou-
ser un médecin.
Il est encore totalement impossible de formuler des règles de la genèse
du délire schizophrénique. Certaines directions peuvent être trouvées
dans les développements du souhait.
Un homme de tout temps avide d'argent et d'honneurs veut épouser une fille
riche, et rendre ainsi sa famille heureuse ; pour cela, il lui faut divorcer de
sa femme, et il doit sacrifier (au sens propre) son fils, puis il sera Jésus, puis
Dieu ; puis il sera aussi possesseur de la Habsburg et de la Kyburg 28 . Au
cours de son premier accès, un savant menait des luttes et faisait de grandes
inventions en l'honneur de sa bien-aimée ; quelques années plus lard, au
cours du second accès, son cœur lui disait que sa bien-aimée n'était pas
mariée (ce qui était faux). Un commis a de grandes aspirations ; une dame
est aimable avec lui ; il veut l'épouser ; on lit beaucoup de choses sur la

2 8 . Forts moyenâgeux suisses (NDT).


reine de Hollande, il veut l'épouser elle aussi ; il considère que sa femme,
qui ne veut pas divorcer de lui, est infidèle, il veut l'empoisonner, la calom-
nier. — Dans ce dernier exemple, nous voyons en même temps l'idée de per-
sécution se former à partir de l'obstacle.

Chez les femmes, il n'est pas inhabituel qu'elles aient tout d'abord
l'idée délirante d'être aimées, puis épousées, puis enceintes ; beaucoup
ont même des enfants de leur bien-aimé. Ce développement ne néces-
site que quelques semaines au cours d'un état crépusculaire, contre
de nombreuses années chez des malades lucides. Si l'objet de leur
passion est un membre du clergé, le délire se développe généralement,
en plus, dans un sens religieux.

Les formes d'expression sous lesquelles les idées délirantes parviennent


à la conscience du patient sont très variées. Souvent, elles apparaissent
comme des conclusions logiques, ne se différenciant alors pas, sur le
plan formel, des résultats de la pensée d'un sujet sain.

Mais il n'est nullement rare qu'elles surgissent de façon « primordiale »


de l'inconscient, fin prêtes, même chez des gens tout à fait lucides.
Elles sont tout simplement là, sans la moindre réflexion consciente, et
sans que le malade puisse dire comment elles sont entrées dans son
esprit. Elles peuvent alors avoir une tonalité subjective de nouveauté,
voire d'étrangeté, ou encore le patient peut les avoir acceptées comme
complètement évidentes, comme s'il n'avait jamais pensé autre chose.
Entre ces extrêmes, toute l'échelle des degrés intermédiaires est très
fréquente ; les malades qui « viennent juste de comprendre » sont no-
tamment très fréquents parmi les paranoïdes.

Ce mécanisme ne fournit pas forcément non plus d'idées délirantes


nettes et précises ; le délire peut surgir sous forme « d'intuitions »,
etc., qui peuvent garder de façon permanente leur forme imprécise.

La plupart des idées délirantes arrivent à la conscience sous forme


d'erreurs sensorielles. De tierces personnes énoncent au patient les ré-
sultats d'un processus logique inconscient erroné, résultats auxquels il
peut en outre relier après coup des idées délirantes explicatives. Il
n'en va pas différemment, fondamentalement, quand ce sont des erreurs
mnésiques qui introduisent l'élément nouveau, qu'il s'agisse d'illusions
ou d'hallucinations mnésiques.

Parfois, toute la personnalité consciente prend part au travail d'élabo-


ration délirante, dans un état de conscience plus ou moins altéré. A côté
des deliriums confusionnels communs, il existe des états au cours des-
quels les patients paraissent lucides mais ont des « rêveries », ainsi
que l'exprimait un de nos patients, des rêves é v e i l l é s vis-à-vis desquels
ils se situent d'une façon o b j e c t i v e , dans la mesure où ils savent qu'il
s'agit de q u e l q u e c h o s e de particulier, bien qu'ils croient plus ou moins
au c o n t e n u du rêve. Il peut aussi arriver qu'ils se plaignent de c e s
états. Mais il n'est pas rare du tout q u e la g e n è s e des idées délirantes
se produise sous la forme du rêve h a b i t u e l , au cours du sommeil. Une
p a t i e n t e q u e nous avons o b s e r v é e durant de n o m b r e u s e s a n n é e s ne
développe sa fable délirante qu'en rêve ; elle le sait, mais elle y croit
pourtant.

Cette patiente cultivée, apte au travail et sociable se plaint par exemple un


matin de ce que j e lui aie fait un enfant pendant qu'elle dormait et l'aie
découpé dans son bras. Elle savait avoir vu cela en rêve, mais elle s'en tenait
fermement à cette idée. J'ai cherché à lui faire comprendre que j e n'étais
pas responsable de ce qu'elle rêvait, que j e ne m'étais tout de même pas
trouvé vraiment auprès d'elle dans la réalité. Toutes mes tentatives pour la
convaincre n'obtinrent rien de plus que la réponse : « Mais alors pourquoi
venez-vous en rêve ? » - Un enseignant qui a des difficultés financières s'est
réveillé tout heureux, une nuit, et il raconte avoir rêvé que son salaire a été
augmenté ; cette idée délirante persiste et constitue le prodrome d'une grave
affection. Une catatonique « a des rêves, et quand elle se réveille les choses
restent telles qu'elle les a rêvées ». Beaucoup vivent en rêve les mêmes per-
sécutions qu'à l'état de veille ; les paranoïdes interprètent volontiers cela
dans le sens qu'on les a endormis pour faire des expériences sur eux. Il n'est
nullement rare non plus que les hallucinations oniriques et en état de veille
ne puissent plus être distinguées les unes des autres.

Cette dernière éventualité peut aussi apparaître dans l'analyse des rêves, qui
doit être faite, ici, selon les mêmes règles que chez les sujets sains. Une de
nos paranoïdes eut pendant assez longtemps des rêves de souhait non dégui-
sés. Si quelque chose de désagréable lui était arrivé (rebuffade dans ses
aspirations érotiques, etc.), elle rêvait le contraire la nuit suivante et s'en
tenait ensuite fermement à cela, sous la forme d'une idée délirante 2 9 .

A l'occasion, les rêves se transforment aussi en états crépusculaires. Une


catatonique rêva durant deux nuits qu'elle se disputait avec son mari (réel-
lement brutal) ; elle parlait fort, avait les yeux fixes et grands ouverts. En-
suite, de tels accès survinrent aussi quand elle allait se coucher, puis même
au cours de la journée.

N a t u r e l l e m e n t , les idées délirantes se modifient aussi sous l ' i n f l u e n c e


de diverses c i r c o n s t a n c e s i n t é r i e u r e s et e x t é r i e u r e s . Il n'est pas utile
de souligner p a r t i c u l i è r e m e n t q u ' e l l e s fluctuent avec la virulence de

2 9 . Voir plus loin : rapports de la schizophrénie et du rêve (NDA).


la maladie (ce terme ne devant pas être compris comme se limitant
purement et simplement au processus pathologique anatomo-physiolo-
gique). Même là où il ne se produit pas d'à-coups aigus, le délire se
constitue souvent par poussées.
Parfois, mais pas toujours, les idées délirantes se modifient parallèle-
ment aux oscillations (primaires) de l'humeur. La Reine intronisée en
état maniaque devient, en état mélancolique, la Princesse des Enfers,
la Reine de la Nuit. Le tunnel sans fin qui traverse la terre, vu au
cours d'un état anxieux, devient quand l'humeur est euphorique une
invention technologique du patient. Mais de telles mutations ne sont
pas aussi fréquentes qu'on pourrait s'y attendre. Généralement, d'autres
idées délirantes passent au premier plan quand l'humeur change : le
pécheur désespéré devient non seulement un prophète mais aussi un
amant heureux, un inventeur, etc.

Lors d'un changement d'entourage, les idées délirantes qui se ratta-


chent à des lieux et des personnes déterminés sont souvent abandon-
nées pour quelque temps, et le nouvel entourage peut même être
d'abord considéré comme protecteur, au lieu de persécuteur ; parfois,
les idées délirantes sont simplement transférées, le nouveau médecin
est le persécuteur ou l'amant, comme le précédent. Dans d'autres cas,
notamment là où les persécuteurs sont des gens tout à fait imaginaires,
c'est à peine si le changement de lieu influence les idées délirantes.

La durabilité des idées délirantes

Elles peuvent durer quelques secondes, sous forme de « lubies patho-


logiques », ou toute une vie, sous forme « d'idées fixes ». Une longue
durée est de règle dans les formes à évolution chronique avec trouble
limité de l'intelligence, tandis que les idées constituées au cours d'ac-
cès aigus s'estompent souvent en même temps que l'excitation. Une
malade légère, qui put se maintenir à l'extérieur jusqu'après la méno-
pause, avait entendu au cours de sa vingtième année la promesse
qu'elle recevrait 2 0 0 0 0 F si elle restait encore vierge pendant trente
ans. A l'expiration de ces trente ans, elle se rendit dans une banque
pour recevoir l'argent.
De nombreuses idées délirantes passent à l'arrière-plan, en ce sens
que leur charge affective disparaît, tandis qu'elles sont répétées sur
un mode toujours identique. Elles perdent alors peu à peu leur in-
fluence sur le comportement du patient. Il en va à peu près de même
quand les patients perdent leur intérêt pour les idées délirantes. Ce
processus est souvent le début de « l'oubli » de ces idées, si fréquent.
Les patients ne rectifient pas ces idées, mais ils n'y pensent plus. Mais
des situations particulières peuvent les amener à la conscience par
quelque association appropriée, tantôt aussi nettes et complètes
qu'elles l'avaient été, tantôt aussi imprécises que peut l'être un vague
souvenir chez quelqu'un de sain. Parfois, la perte de netteté constitue
la voie par laquelle ces idées sombrent progressivement dans l'oubli.
11 est très douteux que des idées délirantes schizophréniques puissent
être complètement critiquées, comme le sont une erreur chez un sujet
sain ou les idées délirantes de la folie maniaco-dépressive. Je n'ai
encore vu aucun schizophrène qui ait eu, après sa « guérison », une
pleine objectivité à l'égard de ses idées délirantes. Ou bien les malades
glissent superficiellement dessus, sans vraiment associer, ou bien ils
les chargent encore d'affects, ou bien ils produisent encore véritable-
ment des pensées qui ne sont compréhensibles que si l'on suppose que
les idées délirantes ont encore bel et bien une réalité pour eux, quoi-
qu'ils les récusent au niveau conscient. Ainsi en allait-il chez le ma-
lade Karl B. de Ri kl in (612), qui prétendait que sa fiancée imaginaire
n'avait plus d'importance pour lui, mais qui qualifiait pourtant de
« bassesse » le fait qu'elle lui apparût comme une fille commune. Par-
fois, le ton même avec lequel l'idée délirante est déclarée être une
absurdité montre qu'elle est encore vivace de quelque façon. Par exem-
ple, la critique est volontiers exposée comme une leçon apprise par
cœur.

Un de nos malades, qui avait été Notre-Seigneur Dieu pendant de lon-


gues années, avait critiqué cette idée mais continuait toujours à signer
« R. B. Seigneur Dieu ». Un universitaire a dédié un travail scientifi-
que hors pair à la bien-aimée de son délire.
Une preuve de la persistance d'idées apparemment abandonnées
consiste aussi en ce que les idées constituées au cours d'un accès
précédent sont en règle reprises lors d'exacerbations ultérieures,
comme si rien ne s'était passé entre-temps. Il n'est pas trop rare
qu'elles s'avèrent même plus développées dès leur réapparition, si bien
qu'il est vraisemblable que non seulement elles ont persisté dans le
subconscient, mais qu'elles ont continué à s'étendre.

Il n'y a naturellement pas de preuve qu'une idée délirante sehizophré-


nique ne puisse jamais être complètement critiquée ; mais les consta-
tations mentionnées ci-dessus rendent néanmoins vraisemblable
qu'elles poursuivent toujours une sorte d'existence dans quelque coin
de l'esprit. Nous voyons bien que, même chez le sujet normal, certaines
idées (religieuses, politiques) entièrement critiquées par l'intelligence,
mais autrefois chargées d'affect, peuvent ne jamais perdre complète-
ment leur influence sur l'individu, voire dominer de nouveau entière-
ment l'esprit dans la vieillesse et ante mortem.

c) Les troubles accessoires de la mémoire

Outre la particularité qu'ont de nombreux schizophrènes d'enregistrer


plus de détails que des sujets normaux dans des conditions identiques,
il existe aussi une hyper/onction de la mémoire, en ce sens qu'au cours
d'un délire (aigu ou chronique) des souvenirs qui remontent souvent à
la plus tendre enfance ressurgissent, comme neufs, ou s'imposent au
sujet. Dans ce dernier cas, on peut véritablement parler de souvenir
compulsif. Les réminiscences, souvent racontées dans les moindres dé-
tails, peuvent être indifférentes en apparence, mais elles ont souvent
un rapport net avec un complexe et peuvent alors être altérées dans
le sens d'illusions de la mémoire. Elles peuvent disparaître tout aussi
subitement qu'elles ont surgi, mais elles peuvent aussi prendre pos-
session de l'esprit de façon permanente. Eventuellement, de tels sou-
venirs peuvent aussi s'exprimer sous forme d'hallucinations, au lieu de
pensées, le malade voyant et entendant de nouveau ses anciens vécus,
et ce avec parfois une grande précision. On observe aussi quelque
chose d'analogue d'un accès sur l'autre. En période calme, le contenu
du délire une fois surmonté peut rester oublié pendant de nombreuses
années, pour ne ressurgir qu'à l'occasion d'une nouvelle poussée. Une
de nos malades avait offert une Bible à un prédicateur au cours de
son premier accès ; lors du second, vingt ans plus tard, elle lui adressa
une facture de 50 F pour cela.

Quand un malade, à l'occasion de quelque événement extérieur, évoque


si fortement une situation ancienne qu'il provoque de nouveau celle-ci,
du moins sur le plan psychique, il s'agit là d'un type particulier de
trouble de la mémoire, Une de nos malades avait tellement changé que
nous dûmes la considérer comme catatonique, et non plus comme pa-
ranoïde, ainsi qu'auparavant.
Dans certains cas, des souvenirs d'enfance se bousculent de façon plus ou
moins cohérente. Ils peuvent alors amener le malade à se comporter dans le
sens de ces réminiscences, ou à agir d'après elles. Une telle patiente infan-
tiliste commença à déposer ses fèces sur un papier pour ensuite les porter
aux toilettes, comme elle l'avait fait dans son enfance.
Les lacunes mnésiques sont beaucoup plus importantes que les hyper-
mnésies. Des agitations aiguës (voir le chapitre correspondant) laissent
souvent un souvenir déficient. Mais les lacunes mnésiques les plus
fréquentes se produisent du fait des barrages. Comme chez les sujets
sains, mais à un degré infiniment supérieur, les événements vécus qui
sont en contradiction avec les souhaits du moment, ou dont on ne se
souvient pas volontiers pour une raison quelconque, sont barrés tantôt
pour toujours, tantôt seulement dans certaines conditions. En outre, la
tendance à la généralisation des barrages peut faire éliminer aussi des
souvenirs qui n'ont de rapport que vague, voire même absolument pas
reconnaissable, avec un sentiment désagréable.

Lors de la sédation des agitations, les malades oublient notamment


volontiers leurs propres violences, ou bien celles-ci ne leur apparais-
sent que comme des conséquences des mesures défensives, si bien que
ces dernières doivent leur apparaître comme des mauvais traitements
graves, si inoffensives et nécessaires qu'elles aient pu être. La force
scindante des complexes a déjà été mentionnée à propos des halluci-
nations. Mais l'ensemble des agitations hallucinatoires peut aussi être
oublié de cette manière, avec une partie des événements extérieurs.
Cela peut éventuellement parvenir à la conscience des malades : « Mais
j e suis de nouveau satisfait et ne m'agite plus, car au bout de quelques
minutes j'ai déjà oublié ce que j'ai dit ». Eventuellement, de tels trou-
bles mnésiques à détermination affective peuvent également prendre
la forme d'une amnésie antérograde.

Après des états d'excitation et des phases aiguës de la maladie, nous


rencontrons fréquemment une amnésie qui varie à l'intérieur de larges
limites, tant en intensité qu'en étendue 30 . Parfois, les malades ressen-
tent la lacune et sont enclins à l'attribuer à une hypnose ou à une
autre influence. Souvent aussi, le temps vécu leur paraît beaucoup plus
court ; ou bien ils croient n'avoir vu qu'une fois des choses qu'ils ont
vécues de nombreuses fois, comme la visite du médecin. Ainsi qu'il
en va chez le sujet normal pour ses rêves, les malades ne peuvent
souvent pas évoquer spontanément leurs deliriums ; mais les réminis-
cences surviennent s'ils tombent sur quelque chose d'analogue, ou si
l'on peut leur fournir un mot clé. Mais une telle amnésie n'est pas
quelque chose de fixe, elle peut se modifier. Un de nos catatoniques,
qui s'était éveillé d'un étal crépusculaire, pouvait se rappeler par mo-
ments de l'ensemble de cet état, et par moments de rien du tout. Des
inconséquences du souvenir ne sont pas rares ; ainsi en allait-il chez

3 0 . Voir plus loin le souvenir des a c c è s aigus (NDA).


une catatonique qui ne voulait plus rien savoir d'un état d'agitation,
sauf l'injection qu'on lui avait faite, mais de celle-ci elle avait même
enregistré la date. Après des états de double orientation, les deux sé-
quences restent en mémoire, bien que toutes deux ne soient pas tou-
jours accessibles en même temps. Une de nos catatoniques les plus
graves prenait ses parents pour des démons et les traitait en consé-
quence. Mais après l'amélioration de son état, elle savait exactement
quand ses parents étaient venus, et ce qu'ils avaient dit.

Pendant les accès aigus eux-mêmes, il n'est pas aisé de tester la mé-
moire. Là où il n'y a pas de « confusion » à proprement parler, on peut
néanmoins se convaincre souvent qu'elle est fort bonne, bien que des
altérations allant dans le sens des idées délirantes brouillent fréquem-
ment le souvenir. Je n'ai constaté d'amnésie antérograde nette, non
déterminée par les complexes, qu'une seule et unique fois, chez une
hébéphrène qui était en plus légèrement alcoolique. Elle arriva dans
un état d'assez forte excitation, elle était légèrement obnubilée, et elle
avait oublié la plus grande partie des événements des jours précédents.
Mais elle crut qu'un examen médical assez long avait eu lieu Pavant-
veille, et non la veille comme c'était le cas.

Les paramnésies ont une fréquence toute particulière dans la schizo-


phrénie. Dans la forme paranoïde, des illusions mnésiques forment sou-
vent le principal matériau des idées délirantes. Dans les souvenirs,
l'ensemble de l'existence passée peut être remanié dans le sens du
complexe.

Un visiteur était si aristocratique qu'il ne pouvait s'agir que d'un émissaire


de l'empereur. On a empoisonné le malade dès sa plus tendre enfance, comme
maintenant. Il nous arrive chaque jour qu'un malade nous reproche de lui
avoir promis sa sortie voici peu, alors que nous avons dit le contraire. Un
malade affirmait que sa mère morte lui avait dit de nombreuses choses qui,
en réalité, avaient été dites par le prêtre lors du prêche des funérailles. Sou-
vent aussi, des choses équivalentes dans le sens des complexes sont confon-
dues. Une malade gémissait que sa fille devenait malheureuse. Ensuite,
pendant des semaines, elle resta inconsolable d'avoir calomnié sa fille auprès
de moi. (Complexe de jalousie sexuelle centré sur sa fille, qui venait de se
fiancer). Une autre était contrariée d'avoir bon appétit ; quelques mois plus
tard, elle était persuadée de n'avoir pu manger à cette époque. Une malade
dont la mémoire était habituellement excellente déclama le psaume « Le Sei-
gneur est mon berger », mais le lendemain elle croyait avoir dit « Sur l'alpage,
il n'y a pas de péché ». Des illusions mnésiques et autres altérations des
relations personnelles sont fréquentes. La malade L. S. de Forel disait qu'on
n'avait cessé de l'expédier d'un lit dans l'autre, alors qu'en réalité c'était elle
qui avait changé de lit contre le gré de son entourage. Les plaintes injustifiées
des malades, si fréquentes, selon lesquelles on les aurait énervés et agressés
alors qu'ils étaient bien tranquilles, sont loin de reposer toutes sur des hal-
lucinations.

Certains trouvent imprimé tout ce qu'ils ont pensé ; ils ont inventé
eux-mêmes l'histoire qu'ils viennent de lire, et l'ont racontée il y a
longtemps déjà à leur frère, ils ont fait toutes les inventions et peint
certains tableaux il y a 6 0 0 ans. Ce type de paramnésies 31 n'est pas
rare dans la schizophrénie et n'a pas de limite nette avec les erreurs
d'identification mnésiques. Un de nos hébéphrènes crut pendant long-
temps avoir vécu exactement un an auparavant tout ce qui arrivait.
« Ce même visiteur, dans ces mêmes vêtements, était ici il y a aujour-
d'hui un an, et a dit la même chose ». Un autre prétendit, lors de son
admission, s'être déjà trouvé ici une fois ; puis il se souvint subitement
s'y être trouvé deux fois, en 1893 pendant 10 minutes, puis en 1895,
et y avoir cette fois passé la nuit ; mais ce n'était pas l'asile de fous
mais la caserne de la Marine. En même temps, il prétendait déjà
connaître le médecin, ce qui montre à quel point de nombreuses fausses
reconnaissances sont peu différentes des erreurs d'identification mné-
siques.

Le fait, fréquent, que les événements vécus actuels parviennent à la


conscience du patient comme ayant été prophétisés à un moment donné
ne constitue sans doute qu'une petite variante des erreurs d'identifi-
cation mnésiques. Tout ce qui arrive peut sembler au patient avoir été
prédit, soit par quelqu'un d'autre, soit encore par lui-même ; ce dernier
cas est sans doute le plus fréquent.
Des hallucinations mnésiques proprio sensu sont très fréquentes.
Il vient soudain à l'esprit du malade qu'il a vécu ceci et cela à telle et telle
époque, et il s'en tient habituellement fermement à cette idée, comme à un
véritable souvenir, voire même - tant que ne survient pas une amélioration
significative - beaucoup plus fermement encore. Seule une malade, qui nous
avait raconté que son petit garçon s'était enfui de la maison puis y avait été
ramené, prétendit ensuite que ce garçon avait été écrasé, et, sur notre re-
montrance 3 2 , elle dit ne pas savoir si elle pensait qu'il était vivant ou qu'il
était mort. Le malade, cité par Delbrück, qui avait des hallucinations mné-
siques, a écrit toute une odyssée sur les événements qui, tous, n'avaient eu
lieu que dans sa mémoire. On l'avait promené, nu dans une cage, à travers

3 1 . A. Marie appelle ce symptôme le « déjà fait » et le compare au « déjà voulu » et au


« déjà vu » ( N D A ) .
32. Auf Vorhalt : suisse alémanique, pour auf Vorhaltung.
les bistrots de la ville, on l'avait forcé à faire des tours de force de gymnas-
tique sur les clochers, on l'avait jeté du haut des tours ; finalement, ces
voyages s'étendirent à toute la terre, puis à l'espace sidéral. Le délire de
relation peut s'exprimer lui aussi par des erreurs mnésiques : le patient a lu
dans des annonces qu'il allait venir au Burgholzli. Dans la plupart des cas,
l'erreur mnésique est en rapport avec une pensée chargée d'affect, tout comme
l'hallucination et l'idée délirante. Ainsi est-il subitement venu à l'esprit d'un
patient qui n'était pas content de sa femme qu'il avait dit un jour à l'infirmier
qu'il voulait l'empoisonner et en épouser une autre. Un autre malade avait
vu une jeune fille dans les champs ; il s'accusa alors auprès d'un prêtre de
l'avoir violée, ce qui n'était pas vrai.

Le cas échéant, les malades se rendent compte eux-mêmes qu'ils n'ont


jamais pensé auparavant à ces prétendus événements. Ils cherchent
alors des explications à cela : On a écrit à la patiente une lettre lui
apprenant qu'il y avait un million pour elle à tel et tel endroit ; puis
on l'a endormie, si bien qu'après elle n'en savait rien, et quand cela
lui revint à l'esprit par la suite, la lettre avait été volée.

Kraepelin pense que de telles erreurs mnésiques ne se voient qu'au cours de


troubles de la conscience et en cas de déficience générale de l'esprit critique.
Ceci contredit ma propre expérience. Le malade aux voyages fantastiques
était en même temps un fort bon employé de bureau, et au bout d'environ
dix ans de son état pathologique grave, il est redevenu capable d'accomplir
un travail compliqué de commis, et ce depuis environ huit ans déjà.

Des hallucinations négatives de la mémoire ne sont pas rares non plus.


Elles se distinguent des barrages simples en ceci que l'idée qu'un évé-
nement ne s'est pas produit parvient subitement à la conscience des
malades. Le patient commence brusquement à vitupérer parce qu'au-
jourd'hui il n'a vu le médecin qu'une seule fois, bien qu'il se trouve
que celui-ci soit déjà venu sept fois auprès de lui, ou parce qu'on a
distribué des cigares à tout le monde, sauf à lui (alors qu'en réalité il
vient juste de finir de fumer les cigares qu'il a reçus).

Au contraire de l'opinion de certains auteurs, j e n'ai pas observé jus-


qu'à présent de confabulation, telle qu'elle se voit chez les malades
organiques, c'est-à-dire des hallucinations de la mémoire qui comblent
les lacunes mnésiques, qui n'apparaissent qu'en une occasion donnée
(généralement fournie de l'extérieur), et qui s'adaptent généralement à
celle-ci, voire se laissent guider par elle quant à leur contenu. Le cas
cité par Neisser (519 a) n'a certes pas pu être observé jusqu'au bout,
mais il ne s'agit sûrement pas là d'une confabulation mais d'une banale
hallucination mnésique.
Par contre, on peut parfois rencontrer une pseudologia phantastica, au
sens d'un arrangement hystériforme de souhaits. Si elle est pleinement
développée et s'accompagne d'un état de conscience intact, il s'agit
sans doute toujours d'une complication.

d) La personnalité

Le Moi peut pâtir des altérations les plus diverses. La perte du senti-
ment d'activité et, notamment, l'incapacité de diriger les pensées le
privent de composantes essentielles. Le processus associatif emprunte
des voies inaccoutumées. Tout peut apparaître différent, la propre per-
sonne du malade tout comme le monde extérieur, et ce, généralement,
d'une façon tout à fait confuse, si bien que le patient ne sait plus du
tout comment s'y reconnaître par rapport à lui-même et à l'extérieur.
Des paresthésies des sensations corporelles peuvent aussi rendre plus
difficile l'orientation auto-psychique. Ainsi advient-il qu'un malade très
intelligent ait besoin de plusieurs heures de travail psychique intense
« pour trouver son propre Moi pour quelques courts moments » ; les
patients « ne se suivent pas eux-mêmes », ils « ont perdu le Soi indi-
viduel ». Un malade devait chercher son propre corps à côté de lui.
Comme n'importe quelles parties du Moi peuvent être scindées, et que,
d'autre part, des représentations tout à fait étrangères peuvent lui être
incorporées, les patients deviennent « dépersonnalisés », la personna-
lité « perd ses limites dans l'espace et dans le temps ». Les malades
peuvent se sentir identiques à quelque autre personne, voire à des
choses : à une chaise, à la Suisse 3 3 ; à l'inverse, ils perdent leur rapport
avec eux-mêmes ; certaines idées ou pulsions chargées d'affect acquiè-
rent une certaine autonomie, si bien que la personnalité se désagrège.
Ces parties peuvent coexister côte à côte et occuper alternativement le
principal de la personnalité, la part consciente du malade. Mais le ma-
lade peut aussi être définitivement un autre à partir d'un moment donné.

Ainsi, non seulement le patient peut se sentir en permanence empereur,


mais il peut aussi avoir perdu tout son passé. Certes, il sait habituel-
lement encore ce qu'il a vécu auparavant, mais il l'attribue à une autre
personne. Il ne l'a pas vécu lui-même. Son passé est tout autre, bien
qu'il n'ait ordinairement pas été clairement reconstruit.

3 3 . D e t e l l e s i d e n t i f i c a t i o n s sont p r i s e s , c h e z le m ê m e patient, au s e n s littéral, tantôt sym-


b o l i q u e , ou en q u e l q u e autre s e n s impropre (NDA).
Un Suisse, J. H., était employé dans la firme parisienne E. Il fut admis en
l'an 77 à l'asile de Charenton. Il ne savait plus qui il était, un jour il signa
« Midhat Pacha ». Il disait être né en 1870 à Charenton, et n'avoir rien mangé
depuis 7 ans. Là-bas, on l'aurait, entre autres, « coupé à la pince de la poi-
trine aux pieds, et derrière dans le dos, parce qu'il était triple ». Il y avait
eu un J. H. employé chez E., et celui-ci avait pourvu à ses besoins dans
l'asile de pauvres du Mont Parnasse ; on l'avait jeté sur un lit, si bien qu'il
avait été blessé à la tête. Monsieur E. avait donné des nouvelles au frère de
J. H., et ce frère était venu chercher le patient par erreur, au lieu du véritable
J. H. ; c'est ainsi que le patient était à Rheinau sous le nom de ce dernier.
Telle est la version du patient, qui répartit divers événements entre deux
personnes et, pour compléter l'une de ces personnalités (l'actuelle) y ajoute
encore quelques fables (telles sa naissance à Charenton, le nom de Midhat
Pacha). - Une femme Sch., arrivée de détention préventive, n'est pas Madame
Sch., la véritable Madame Sch. est retournée dans son pays et travaille dans
les vignobles.

Naturellement, de tels malades doivent parler d'eux-mêmes comme de


l'une des deux versions, ou encore des deux personnalités à la troisième
personne. Ici, ce mode d'expression n'est pas seulement une tournure
inaccoutumée ou maladroite, comme dans l'idiotie ou chez les enfants,
mais il traduit une véritable transformation de la personnalité. Mais
même sans que l'on puisse mettre en évidence de bipartition de la
personnalité, certains patients ne parlent d'eux-mêmes qu'à la troi-
sième personne, et se désignent habituellement par l'un de leurs noms,
j e ne sais pas encore comment il faut comprendre ces cas 5 1 . Une de
nos catatoniques chroniques parlait en permanence d'elle-même à la
deuxième personne.

Généralement, les transformations complètes de la personnalité s'asso-


cient à de hauts degrés de prétendue démence.

Dans des cas plus bénins, les malades ont alternativement tantôt une
personnalité imaginaire, tantôt, de nouveau, la vraie ; la personnalité
imaginaire peut être toujours la même ou revêtir, de son côté, des
formes diverses. Certains malades sont si conséquents et si complets
tantôt dans l'une et tantôt dans l'autre de leurs personnalités que,
quand ils sont dans un rôle, ils ne pensent plus à l'autre ; à chaque
fois, c'est celle des personnalités qu'ils sont en train de représenter
qui leur paraît alors évidente. D'autres malades prennent conscience
de l'alternance. Une patiente est « réglable, tantôt vierge, tantôt

34. J e ne range naturellement pas ici les cas où il ne s'agit que d'une figure de style (NI)A).
f e m m e ». Une autre est « B a u m a n n , un homme, et puis de nouveau
moi ». Mais en général les divers points de vue se c o m b i n e n t de façon
irrégulière, parfois même dans la m ê m e phrase.

La personnalité est é g a l e m e n t modifiée par les idées délirantes de


transformation sexuelle.

Le défaut de sentiment de la réalité peut aussi s'étendre à la person-


nalité. Une patiente « n'est pas e l l e - m ê m e , elle n'est que reflétée ».
Une autre trouve étrange de ne souvent pas être là, tout en y étant
pourtant.

Il n'est pas rare qu'une partie de la personnalité fasse défection et soit


a s s o c i é e à une autre (<transitivisme 3 5 ). Ce que les patients font ou hal-
l u c i n e n t , ils le tiennent pour les e x p é r i e n c e s v é c u e s d'autres gens.

Une patiente a des trous dans les mains et se croit souvent à demi aveugle ;
et voici qu'elle prétend que l'infirmière a des trous dans les mains et est à
demi aveugle. De nombreux malades croient que leurs proches sont malades
mentaux ou tout au moins, plus fréquemment encore, enfermés à l'asile ; ces
proches sont alors électrisés comme les malades. Un patient se frappe souvent
vingt fois de suite lui-même, avec l'idée qu'il frappe ses ennemis ; un autre
crie, mais pense que c'est son voisin qui crie. La patiente s'embrouille mais
invective le médecin en disant qu'il n'est même pas capable de parler cor-
rectement. On lui donne des lunettes qui ne lui vont pas et elle rabroue le
médecin : « Qu'est-ce que c'est que ces stupides lunettes que vous portez ! »
Souvent, les malades accusent les infirmières ou leur entourage de ce qu'ils
ont eux-mêmes fait. Une patiente maltraite la tête d'une infirmière et proteste
en criant : « Oh ! ma petite tête ! » Une autre voit une infirmière et s'écrie :
« C'est la Gretchen à la lanterne sourde ; j e suis la Gretchen à la lanterne
sourde. » - Il en va un peu différemment quand les malades croient que
d'autres personnes empruntent leur nom et se comportent comme eux-mêmes.
Il y a aussi une composante transitiviste dans la réponse, très fréquente quelle
qu'ait été la question : « Je ne vous demande rien. » Quand le patient ne sait
pas si les gens et ses hallucinations agissent sur lui ou si c'est lui qui agit
sur eux, il s'agit d'un demi-transitivisme ; peu lui importe du reste ce qu'il
en est ; la direction de l'activité partant de lui et venant vers lui, et du même
coup les personnes, se recoupent.

Un hébéphrène dit que quand il fait quelque chose, par exemple quand il se
gratte le visage, ce n'est absolument pas lui qui le fait mais une autre per-
sonne, et en l'occurrence toujours une de celles qu'il a justement en face de

3 5 . Un patient de L. Binswanger prétendait que d'autres personnes possédaient c e r t a i n e s


parties de sa personnalité. Il s'agit d'un stade préliminaire du transitivisme (information par
oral) (NDA).
lui. Mais alors, à cet instant, il se sent être cette personne, bien qu'il n'en
soit pas tout à fait sûr.
Dans c e dernier exemple, non seulement une action du patient est
transférée « transitivement » sur une autre personne, mais l'autre per-
sonne est incorporée au patient par réflexivité. De tels cas d'aperson-
nalisation 36 ne sont pas si rares, même sans manifestations de
transitivisme. Le malade croit faire ou éprouver ce qu'un autre fait ou
éprouve.
Une femme soignait son mari atteint d'un cancer de l'intestin, et voilà qu'elle
croit avoir la même maladie. Le voisin d'un patient meurt ; celui-ci se croit
mort lui aussi, et il se couvre le visage de son drap. Le malade a, notamment,
souvent déjà fait des choses que d'autres ont fait, ou qui se sont produites
(sentiment du déjà fait37, voir troubles accessoires de la mémoire). Au cours
d'un orage, le malade lui-même (et non Dieu) punit ses persécuteurs. Des
choses vues peuvent tout aussi bien être « apersonnalisées » : l'infirmière en
chef tient à la main une lettre bordée de noir, qui déteint sur les mains de
la patiente.
Cette dernière association a été favorisée par le fait que la patiente était en
proie à des idées de péché et de mort. Les personnages hallucinatoires ne
sont en effet jamais rien d'autre qu'un morceau du patient lui-même, person-
nifié et projeté dans le monde extérieur. Les diverses personnalités des ma-
lades (Empereur, mère de Dieu) ne représentent rien d'autre. Mais souvent
les conditions sont plus complexes. Une patiente a en même temps une pas-
sion pour une femme professeur de musique et pour un ecclésiastique. Elle
s'identifie parfois aux deux 38 ; elle est assouvie sexuellement par le pasteur
au cours de ses hallucinations. Mais parfois elle voit ces deux personnes
enlacées sexuellement, tout en étant elle-même énormément excitée : elle a
projeté vers l'extérieur, sous la forme d'une hallucination transitiviste, le dou-
ble souhait d'être le professeur de musique et d'épouser le ministre du culte.
Marie raconte un cas dans lequel, après le changement de personnalité, la
personnalité abandonnée est devenue la persécutrice hallucinatoire.
Point n'est besoin de décrire les altérations de la personnalité au cours
des états crépusculaires. On leur prête moins d'attention au cours des
accès de colère, si fréquents. Le patient, avec qui on parlait encore
paisiblement j u s t e avant, devient subitement excité, prétend des choses
auxquelles il ne croit pas d'habitude, altère totalement sa logique dans

36. Qu'on me passe ce néologisme, correspondant au néologisme bleulérien Appersonnierung,


pour incorporation à la personnalité du patient ( N D T ) .
37. En français dans le texte.
38. Il en va souvent de même dans les rêves du sujet sain. Voir aussi le patient de Krafft-
Ebing qui n'aimait que des femmes qui boitaient et ne pouvait résister à l'impulsion de les
imiter ( N D A ) .
le sens de son irritation. 11 est tout autre, pour redevenir peu après
celui qu'il était avant. La représentation chargée d'affect peut aussi
faire, pour quelque temps, d'un être irrité et négativiste une personne
sociable : une patiente reste assise, maussade et insatisfaite du monde
entier ; j e la salue en tant que fiancée et épouse (pas ma fiancée et
épouse), ce qui lui rappelle ses espoirs, qu'exaucent ses idées déli-
rantes, elle répond à mon salut par une poignée de main amicale et
se met à bavarder. On peut aussi ranger dans cette catégorie l'ouverture
d'un patient enkysté dans l'autisme, sous l'effet d'une résonance avec
un complexe quelconque, d'une visite, etc.
A l'égard de la même personne, les patients peuvent aussi se comporter
d'une certaine façon à un moment, et d'une façon différente à un autre
moment, la commutation de la personnalité provenant entièrement de
l'intérieur. Le patient peut faire à sa femme les reproches les plus
rageurs pour, à la minute qui suit, l'embrasser comme sa femme bien-
aimée et la supplier de lui « sauver la vie ».
Dans certains cas, l'autre personnalité est caractérisée par une langue
totalement différente : le patient parle aimablement, normalement et
avec sa voix ordinaire au médecin, et par intermittences de façon
complètement confuse, par néologismes et avec un ton singulier ou
chuchotant à ses Voix. Dans de tels cas, le changement de personnalité
peut se produire toutes les quelques secondes. Certains malades peu-
vent aussi s'occuper en permanence de leurs hallucinations pendant
une conversation ou une lecture à haute voix, leur répondre à voix
basse, et percevoir pourtant en même temps la réalité avec une préci-
sion telle qu'on n'en voit que chez un sujet sain attentif; ils peuvent
par exemple saisir dans ses moindres détails une histoire qu'on leur a
lue. Là, deux personnalités différentes coexistent parallèlement, cha-
cune avec une attention entière. Mais elles ne sont sans doute jamais
complètement séparées l'une de l'autre, car on obtient généralement
des renseignements sur les deux séquences respectives. La personnalité
aussi a sa « comptabilité multiple ». Le patient peut totalement ignorer
ou comprendre de travers tout ce qu'on lui objecte au cours d'une
discussion, mais l'utiliser à bon escient au bout d'un délai quelconque.

e) Langage et écriture

Les manifestations linguistiques sont généralement normales, en tant


que telles, chez les malades bénins : par oral comme par écrit, ils
expriment leurs idées, justes ou morbides, de la même façon que les
sujets sains. Mais dans les cas que nous sommes amenés à traiter, il
existe généralement des anomalies plus ou moins prononcées 39 .
Barrage, pauvreté idéique, incohérence, obnubilation, idées délirantes et ano-
malies affectives trouvent leur expression dans le langage ; mais ici l'anomalie
ne réside pas dans le langage lui-même, mais dans ce qu'il a à dire.
Souvent, la pulsion de parler est altérée. Certains patients parlent énor-
mément, souvent littéralement sans arrêt. Généralement, ils ne veulent
nullement, en cela, communiquer quelque chose à leur entourage, ni
même se faire comprendre de lui, leurs idées se transforment en pa-
roles, sans qu'il y ait de relation avec l'entourage. Ou encore ces re-
lations ne sont que tout à fait unilatérales, comme quand les malades
nous posent des questions qui sont certes quelque peu conçues en
fonction de l'interlocuteur, mais qui ne marquent aucun besoin de ré-
ponse, les patients ne laissant pas le temps de répondre à la personne
interrogée, ou n'écoutant même pas ce qu'elle répond. Souvent, la pré-
sence d'une tierce personne n'agit que comme une stimulation à parler
en général, et non comme une incitation à dire quelque chose. De
nombreux malades ne cessent d'aligner des mots à la suite, ils parlent
mais ne disent rien 40 .

D'autres, à l'inverse, ne parlent absolument pas (mutisme). Certains


n'écrivent pas, si incitative que soit l'occasion. On ne peut obtenir de
réponse qu'écrite de certains malades, qu'orale d'autres, et aucune
d'autres encore. Toutes les transitions existent entre le mutisme oral
et écrit et le bavardage ou l'écriture incessants.
Le mutisme est un symptôme accompagnateur commun des états stu-
poreux, mais on le rencontre aussi dans d'autres combinaisons. Même
des malades tout à fait capables de travailler peuvent rester muets en
permanence. Dans les formes graves, ce symptôme est fréquent, tantôt
transitoirement, tantôt durablement, pouvant aller jusqu'à une mutité
persistant pendant des décennies. Le comportement des malades,
quand on leur adresse la parole, est très divers. Certains ne réagissent
absolument pas, exactement comme s'ils n'avaient rien remarqué. Chez
d'autres, la mimique, et notamment le regard, laisse entendre, inten-
tionnellement ou non, qu'ils ont pourtant entendu. Une rougeur et d'au-

39. Dans ce chapitre, la traduction n'est pas toujours aisée. Dans le cas des néologismes,
notamment, j e tâcherai de rendre compte des textes intraduisibles par des équivalences
approximatives en français, tout en donnant le texte allemand en note de bas de page (NDT).
40. Comme toute autre activité, la parole peut se poursuivre automatiquement ou de façon
compulsive. Son contenu est alors généralement pathologique lui aussi ; la coprolalie, par
exemple, n'est pas rare ( N D A ) .
très signes d'affect prouvent la compréhension. Certains remuent sou-
vent un peu les lèvres, sans proférer un son. Il peut aussi arriver,
notamment dans les états aigus, que des malades mutiques répondent
par gestes ou par écrit, voire même expriment spontanément des sou-
haits de cette manière. Mais, le plus souvent, les malades mutiques
sont en même temps négativistes.
Dans le cas du mutisme, il ne s'agit jamais d'une mutité absolue, bien
qu'il existe des patients qui ne profèrent aucun son durant des années.
La plupart des malades parlent de temps en temps, par intermittences ;
ils peuvent notamment vitupérer de façon audible ; parfois ils chantent.
La motricité du langage est habituellement intacte. Les troubles arthriques
au sens propre ne font pas partie du tableau de la schizophrénie. Mais,
naturellement, des barrages généraux peuvent aussi se manifester dans la
fonction du langage. Celle-ci a néanmoins une certaine autonomie. Sa
perturbation est souvent plus forte ou — plus fréquemment encore — moin-
dre que celle du reste de la motricité ; le langage peut aussi, respective-
ment, soit rester seul normal, soit être seul atteint de barrages.

La forme du mode d'expression peut présenter toutes les anomalies


imaginables, mais aussi être entièrement correcte. Chez des gens in-
telligents, nous trouvons souvent une façon de parler tout à fait sédui-
sante. Il m'arrive de temps en temps, au cours d'une présentation
clinique, de ne pouvoir convaincre tous les auditeurs du caractère mor-
bide d'une logique gravement sehizophrénique. Ainsi en alla-t-il avec
un polytechnicien catatonique, qui s'était fait nourrir à la sonde et qui
avait motivé son refus d'aliments, dans un excellent discours, en disant
avoir vu qu'un de ses voisins s'était comporté si stupidement lors du
gavage qu'on était forcé d'admettre aussitôt qu'il était malade ; mais
lui avait voulu nous fournir la preuve de sa bonne santé mentale par
son comportement normal lors du gavage.
L'intonation a souvent quelque chose de particulier ; notamment, les mo-
dulations font parfois défaut, ou encore elles sont exagérées ou placées
au mauvais endroit. L'élocution est souvent anormalement forte, anor-
malement basse, trop rapide, trop lente ; l'un parle d'une voix de faus-
set, l'autre murmure, le troisième bourdonne ou grogne en parlant ; une
catatonique parle tant lors de l'inspiration que de l'expiration ; une
autre n'a aucune intonation. Parfois, la voix change avec le domaine
d'idées, les patients parlent aveç leurs hallucinations sur un tout autre
ton qu'avec des personnes réelles, ils parlent autrement à ceux qu'ils
comptent parmi leurs persécuteurs qu'à d'autres gens. Ils se mettent
dans la peau de différentes personnes et utilisent des intonations dif-
férentes conformément à cela. Une de nos malades parlait avec la voix
de son enfant, qui voulait sortir par sa bouche. Quand certaines per-
sonnes parlent par le truchement des malades dans le cadre des di-
verses formes de parler automatique, chacune d'entre elles a parfois
une voix propre et, d'une façon générale, une façon de parler propre.
Le langage se modifie aussi selon les complexes ; une catatonique par-
lait ordinairement un dialecte allemand de Zurich qui n'avait rien de
frappant ; si elle parlait de sa maladie, elle usait toujours du dialecte
de Saint-Gall et, s'il était question de son mari, d'expressions et de
jurons véhéments ; quand le thème était « l'Amérique » (qui était en
rapport avec ses aspirations), son langage était cultivé et sympathique.
L'usage constant de diminutifs et autres anomalies ne se manifestent
souvent, tant dans le langage parlé que dans l'écriture, que dans des
passages complexuels. Un hébéphrène écrit et parle normalement dans
les passages sans importance, tandis que dans les passages
complexuels il devient tout à fait vague dans ses propos, difficilement
compréhensible, et commence à bégayer et à avoir les lèvres qui trem-
blent. Une catatonique ne forme de néologismes que si elle est excitée
juste à ce moment, pour des motifs internes ou externes.

En rapport avec l'inaffectivité, d'une part, et la tendance à l'exagération


de la mimique, de l'autre, le langage a aussi tantôt trop d'expressivité,
et tantôt trop peu. Il a souvent une tonalité étrange, inadéquate à son
contenu, les malades peuvent dire des choses gaies d'un ton triste, et
vice-versa. Parfois, le langage sonne comme absent, à peu près comme
dans les propos que tiennent les gens sains au cours du rêve.

Certaines anomalies du langage font partie des « manières » (voir ce


passage). D'autres anomalies peuvent être rangées parmi les stéréoty-
pies, surtout la verbigération ; il en va de même quand un malade in-
tercale un « hiii » étouffé tous les deux mots.

Il n'est pas rare qu'on ait l'impression que le lien entre le concept et
l'expression verbale est relâché, et à ce propos il est très frappant que
le degré de ce trouble n'ait pas forcément le moindre rapport avec les
autres relâchements associatifs, et notamment avec l'état de ce que nous
appelons intelligence. Il est des malades qui peuvent s'exprimer fort
correctement, mais dont les capacités intellectuelles sont affaiblies au
plus haut degré, et d'autres, à l'inverse, qui ne prononcent pas une seule
phrase compréhensible mais effectuent encore impeccablement des
tâches relativement complexes, comme la distribution du linge dans
une section. Dans la schizophrénie aussi, l'incohérence du langage doit
donc être distinguée de l'incohérence des concepts, bien qu'on les ren-
contre parfois toutes deux simultanément. Il faut noter, en particulier,
les cas, pas si rares, où les malades ne s'expriment clairement que par
oral ou par écrit, tandis que leur production est confuse sous l'autre
forme. Un de nos hébéphrènes, avec lequel, depuis des années, on ne
pouvait s'entendre par oral que sur les choses les plus simples, écrivait
encore des lettres correctes. Dans de tels cas il ne s'agit sans doute
pas seulement d'un « laisser-aller » et d'une « prise sur soi » dans des
occasions précises, mais d'une attitude différente selon les circonstances.

Le propos de K r a f f t - E b i n g selon l e q u e l les mots perdent leur s e n s j u s -


q u ' à c e que ne s u b s i s t e n t plus que des c h a î n e s « d'enveloppes ver-
b a l e s » n'est valable qu'en c e qui c o n c e r n e les modes d'expression
verbale de type verbigération. Chez nos malades, les mots étranges ne
sont a b s o l u m e n t pas des enveloppes vides, mais des enveloppes qui
r e c è l e n t un contenu différent du contenu h a b i t u e l . La patiente de Forel
décrit fort bien c e p h é n o m è n e :

J'utilisais certains mots... pour exprimer un tout autre concept que celui qu'ils
désignent en fait... ainsi en allait-il aussi pour « teigneux », que j'employais
fort tranquillement pour « branlant »... Si j e ne trouvais pas aussitôt le mot
convenable pour les idées qui se bousculaient avec rapidité, je leur donnais
libre cours à ma manière... par exemple « Wuttas 41 » pour « colombes ».

Suivant les points de vue e x p r i m é s j u s q u ' à présent, les troubles du


langage de la s c h i z o p h r é n i e ne pourraient être d i f f é r e n c i é s de c e u x du
rêve. M a l h e u r e u s e m e n t , on ne peut pas e n c o r e utiliser les travaux fon-
d a m e n t a u x de K r a e p e l i n ( 3 9 8 ) en vue d'une c l a s s i f i c a t i o n , car les deux
s é r i e s , observation s u b j e c t i v e du rêve et e x p é r i e n c e s o b j e c t i v e s sur la
s c h i z o p h r é n i e , comportent e n c o r e b e a u c o u p trop de l a c u n e s pour pou-
voir se recouper. J e ne puis faire part, dans c e qui suit, que de q u e l q u e s
points de vue qui résultent de l'observation de troubles schizophréni-
q u e s du l a n g a g e .
Sont en grande majorité utilisés des mots qui désignent un concept analogue
au concept voulu, ou qui, d'une façon quelconque, a les mêmes composantes
ou les mêmes conditions. « Un buffet 42 » pour « une comtoise 4 ' 5 » est aisément
compréhensible à cause de l'analogie superficielle de ces deux meubles ;
« une heure 4 4 » l'est à cause du rapport de la comtoise avec les heures (Mas-
selon) ; de même, nous comprenons qu'on puisse dire « pomme de terre » au
lieu de « fécule » (après qu'on vienne de parler de pommes).

41. Néologisme, peut-être dérivé de Wut : fureur (NDT).


42. E n français dans le texte.
43. Stockuhr : grande horloge murale du type des comtoises (NDT).
44. En français dans le texte.
La figure rhétorique de la pars pro toto est souvent utilisée à mauvais escient,
et ce souvent de telle manière qu'une partie insignifiante du concept à qua-
lifier est mise en avant, par exemple quand une chaussure est appelée « une
façon, ça sert à valser 45 » (Masselon). Il est plus compréhensible qu'un patient
réclame, au lieu de sa sortie, un « changement de travail », ou qu'un autre
appelle tous ses persécuteurs et ses persécutions des « figures », bien que
tous deux n'apparaissent pas seulement sous forme de visions. Très caracté-
ristique d'un trouble schizophrénique profond est le « système d'enfants de
l'infirmier », formule qui, pour un patient, voulait dire que l'infirmier n'était
pas à sa disposition quand il en avait besoin et qu'au lieu de cela il apportait
de la literie pour donner à entendre que le patient était aussi sale qu'un petit
enfant. Deux choses qui peuvent être incluses dans un concept générique
commun échangent aussi leur sens, notamment quand il s'agit de concepts
abstraits ; ainsi en est-il quand le malade « souffre de viol », alors que l'en-
fermement à l'asile est tout de même un tout autre genre de violence.

La tournure rhétorique figurée est utilisée dans une large mesure, notamment
l'expression « assassiner », qu'on retrouve pour toutes les formes possibles
de tourment, et dans les combinaisons les plus diverses. Mais dans de nom-
breux cas il est clair que les patients oublient souvent, ici, qu'ils usent d'une
figure de rhétorique ; le concept « d'être tourmenté » est pour eux si fort
qu'ils ne peuvent le désigner que par ce mot, et que dans certains contextes
ils croient vraiment être assassinés. Naturellement, les expressions emphati-
ques sont privilégiées quand ils accusent, et les expressions lénifiantes quand
ils se défendent. — Si absurdes qu'elles paraissent, des locutions telles que
« J'ai été la patience du Christ », ont leurs équivalents normaux, par exemple
dans « Je suis la Vérité et la Vie. »

Souvent, l'analogie conceptuelle qui mène aux confusions de mots est très
limitée, et elle présuppose vraiment des cours de pensée qui ne font nulle-
ment partie du concept qui doit être exprimé : une malade a une « filiale de
Notre-Seigneur Dieu », c'est-à-dire qu'elle a le droit de faire de l'argent. Tout
aussi lointaine est la comparaison dont use une malade qui se plaint de ne
pas avoir « d'écoulement de marchandises », comparant l'activité amoureuse
à celle d'un magasin.

Là où l'analogie est un peu plus grande apparaissent des symboliques plus


compréhensibles pour un sujet normal, quoique osées, comme « être vaccinée
par monte », de la part d'une femme, ou « entreprendre de saintes vaccina-
tions », de la part d'un homme, pour désigner le coït ; ou encore « qui m'a
enfoncé cette haine profonde au marteau ? », et « Monsieur S. s'est promené
dans les tournures de langage », c'est-à-dire qu'on a annoncé S. L'expression

45. En français dans le texte.


« Nous serons alors depuis longtemps hôtes du crématoire » (c'est-à-dire
morts) paraît fort recherchée.

Le cas échéant, l'analogie ne porte pas du tout sur les concepts mais sur les
mots, et l'on peut alors aboutir à de fades jeux de mots, comme lorsqu'un
malade est « entre bourgeois », voulant ainsi dire qu'il est au Burghôlzli.

Les néologismes de la schizophrénie sont célèbres ; une partie d'entre


eux sont certes compréhensibles, mais rarement entièrement formés
selon les règles usuelles du langage :
« Vraimenteries 46 » : mensonges que l'on donne pour vrais, un pléonasme ;
une malade « écrit la naissance de Louise Müller : elle était à l'époque du
genre Müller », c'est-à-dire que son nom de jeune fille était Müller. Une autre
malade est « emmillionnée 47 », c'est-à-dire qu'elle a reçu des millions ; une
troisième est « enfermée par l'hiver dans sa piècerie 4 8 ». Un paranoïde est
enfermé « abondroitement 49 », c'est-à-dire que celui qui l'a enfermé dit avoir
raison. - C'est parfois une onomatopée qui est à la base du néologisme : une
hébéphrène a des « Orkäne » dans la gorge, c'est-à-dire qu'elle doit se racler
la gorge, ce qui sonne à peu près comme ce mot.

Une foule de néologismes doivent être formés par les malades pour désigner
de nouveaux concepts, pour lesquels notre langue ne dispose en effet pas de
mots. Notamment les persécutions, les hallucinations, et tout ce qui s'y as-
socie, doivent pouvoir être désignés au moyen d'un mot par les malades, qui
ne cessent en effet de s'en préoccuper. Ainsi « transengueuler » veut-il dire
parler à travers les murs ; une patiente de Jung appelait ses néologismes
« mots de pouvoir » ; elle parlait du « doublepolytechnique », qui était pour
elle l'incarnation de toutes ses capacités et des récompenses qu'elles méri-
taient 5 0 . Une patiente crache du « bouillon-de-temps-de-cage » sur le plan-
cher, c'est-à-dire qu'elle est forcée de tellement cracher parce qu'elle a du
temps-de-cage, parce qu'elle est enfermée. - La sœur d'une femme médecin
étend le concept de confraternité au travers de relations familiales : « elle
est confrère avec les médecins par l'intermédiaire de sa sœur ». La formule
« Le Prince d'Angleterre est dans le Moi d'aujourd'hui de mon oncle » ex-
prime l'idée, impossible à un sujet sain, que l'oncle a été transformé en le
Prince d'Angleterre (« il n'est pas devenu Prince d'Angleterre, mais il a vrai-
ment pris la personnalité du Prince d'Angleterre »).

46. Wahrliigereien.
47. Bemillionàrt.
48. Stiiblichheit.
49. Erhabrechtlich.
50. De nombreux néologismes de ce type désignent donc une idée complexe, et certains
même tous les vécus morbides d'une longue période. C'est pourquoi on les a aussi appelés
ellipses, et considérés comme le signe d'une maladie de durée déjà longue. Ce dernier point
n'est cependant pas tout à fait juste ; les patients peuvent forger de tels concepts et de tels
mots même au début de la psychose (NDA).
De nouvelles expressions sont aussi créées par condensation. Mais l'on
doit distinguer la condensation conceptuelle, qui amalgame plusieurs
concepts en un seul et les exprime par un mot, et la condensation
verbale, qui rassemble plusieurs termes, soit que ces mots désignent
le même concept, soit que la combinaison de mots corresponde aussi
à une combinaison de concepts.

La contraction de différents mots qui désignent le même concept se voit déjà


dans les lapsus linguae du sujet sain ; ainsi le « clair comme la main » ca-
tatonique (de : c'est « manifeste » et « c'est clair comme le jour 5 1 »), qui pour-
rait aussi avoir échappé à un sujet sain. A la base de la phrase « j'espère
que j'aurai de nouveau une branche d'alimentation bourgeoise », il y a l'idée
que le patient voudrait vivre dehors dans des conditions bourgeoises nor-
males, qu'il voudrait pourvoir lui-même à son alimentation et être sur une
branche verdoyante. Le mot « Zahringer », en soi irréprochable (« j e suis de
Zahringen ») signifie endurant 52 = en bonne santé, robuste, et en même temps
un appartement dans le quartier de Zahringen. Dans le mot « lestage 5 3 »,
dont deux malades ont usé indépendamment l'un de l'autre pour désigner la
persécution, on trouve tant l'ensorcellement 5 4 que l'aspect désagréable, lourd
à porter 55 .

Une confusion particulière est introduite dans le langage du fait que,


même dans le cas de mots désignant correctement le concept, la forme
de la phrase exprime des relations inadéquates, ou que, dans le cas
de néologismes et d'utilisations insolites de certains mots, la racine
peut être correctement choisie mais les suffixes ou les compositions
de mots introduisent des relations inadéquates. Mes observations ne
permettent cependant pas de distinguer, comme Kraepelin, des troubles
akataphasiques et des troubles agrammatiques ; j e souhaite désigner
provisoirement par le terme de paragrammatisme toutes ces fautes à
l'encontre de la grammaire.

Dans « il n'y a pas en moi de présence d'absence dans l'esprit », une idée
est exprimée d'une façon anormale, mais non erronée. Une formation de mot
erronée se trouve à la base de l'expression « j'étais dès l'enfance un appar-
tement 56 » (quelque chose d'à part). De même pour l'expression « je suis

51. Le néologisme original est händeklar, qui renvoie à deux expressions signifiant «CO.c'est
évident, c'est manifeste » : es liegt auf der Hand (littéralement : c'est sur la main) et es ist
Sonnenklar (littéralement : c'est clair comme le soleil) (NDT).
52. Zäh : endurant.
53. Beschwerung.
54. Beschwörung : invocation, incantation.
55. Les condensations, notamment dans les locutions symboliques, sont une faute fréquente
dans les devoirs d'écoliers (NDA).
56. Ein Appartement (etwas apportes).
successoral 5 ' pour trois millions » (j'ai hérité de trois millions). Une patiente
qui a des « douleurs catholiques insinuantes » veut dire que les infirmières
catholiques lui provoquent des douleurs. Le persécuteur d'un patient « souffre
de délire de persécution », ce terme-étant utilisé ici au sens actif, au lieu
de son sens passif habituel. Le patient qui « en est réduit à la charité de
l'État jusqu'au moment d'une acquisition ingénieuse 5 8 » utilise mal à propos
l'adjectif verbal ; la catatonique « à qui appartient le lac de Constance » ex-
prime de façon impropre, par « appartenir », l'idée qu'elle devrait se noyer
dans le lac de Constance.
D'une façon analogue à « appartenir » dans ce dernier exemple, l'auxiliaire
est souvent utilisé mal à propos : « j e suis l'Angleterre » signifie « l'Angle-
terre m'appartient » ; « j e suis le soleil » équivaut par le sens à « j e suis le
Seigneur et Créateur du soleil », etc. Mais, dans tous ces exemples, la pensée
qui en forme la base n'est sûrement pas aussi clairement définie que quel-
qu'un de sain ne le pense.
Comme l ' a s s o c i a t i o n des idées entre e l l e s , la relation entre le c o n c e p t
et le mot peut aussi être tout à fait fortuite, et se maintenir par la
suite. Un paranoïde utilisait p r e s q u e tous les mots étrangers qu'il en-
tendait pour désigner s e s idées de persécution ou une partie d'entre
e l l e s : « il fut p e r s é c u t é par la voie de d o s s i e r s 5 9 », on lui provoqua
des douleurs dans les organes génitaux « par la voie du C o s m u s 6 0 ».
Dans de tels c a s , les m a l a d e s p e n s e n t vraiment avoir exprimé leurs
i d é e s c o r r e c t e m e n t , et de façon c o m p r é h e n s i b l e pour autrui.

G é n é r a l e m e n t , différentes impropriétés s ' a c c u m u l e n t dans les expres-


sions pathologiques.
« Je ne veux pas de Turquie » signifie « j e ne veux pas être votre dame de
harem, votre putain, espèce de polygame » ; il s'agit d'un déplacement de sens
du mot « Turquie », et en même temps d'une condensation de deux concepts.
« Amicales relations avec ceux qui s'appartiennent », à la fin d'une lettre,
s'est formé de même par paragrammatisme et condensation de différentes
idées courantes à une telle place. Le masturbateur qui se qualifie « d'assassin
de queue 6 1 » utilise « assassin » dans le sens de « pécheur » et de « corrup-
teur » et forme de plus un mot composé paragrammatical. Une lettre portant,
à l'encre bleue, la mention « n'a pu être distribuée » a fait retour à la malade
« débleuie » : ce néologisme est totalement paragrammatical. La paranoïde
souffrant de névralgies qui a l'Asie, l'Afrique et Alger 62 use d'un mot pour

57. Erbschaftlich.
58. ... der »bis zur Zeit eines findigen Erwerbes auf Staatswohltat angewiesen ist«.
59. Auf dem Dossierwege.
60. Auf dem Kosmusweg.
61. Schwanzenmörder.
62. Névralgie : Neuralgie - Alger : Algier.
un autre, de sonorité analogue, et continue du plus à associer dans le sens
du premier mot. Le malade analysé par Riklin 6 3 , qui parle et écrit comme
suit, utilise de nouvelles tournures de langage et des abréviations :
« Centralleuropa undt Centraleuropaaera Nr 3258 Eernst Gisler Trauungg auch
dder Schlüsel ddurch Herr Pfarrer Dr. Studer Kaiser DDes Titt. Standdenbank
pprr p 96 oder Postbrief 3 vvia Kaiserlichen undt Königlichen auch Kaiserlich
Königlichen Gewerbes Titt, Rheinau. Mo work Badd ggut 3/8 Herr dr. hc. 30/7
Bern 27/7 DD 18/7 kurz 30/7 3/8 Aa 1906 Datum. Ssssie Zahlen geegen Voor-
weisen eeines Billetes Frkn Achttausendt in Banknotenn auch Titt. Berner Kan-
tonalbank in Bern oder B K B. Frkn 8000 baar Bestände à Zehn Prozente Frkn
8.800 ieddenfals Frkn 800 maal Zehn à Eeilf : Titte. Begierungs kanzllei Aaltdorf
weegen Schadenersatze ddurch Herrn aalt Missionar u Gasthhof Inhabber Dr
Christaller im Bellevue Andter madtim Paag Frkn e zwölff Halboktav Beiswerk
Reiswerk = Procès Verbal qa 29/9 Ao 1889 Zeitungsdatumm dden Nneuen Z
Zürcher Zeitungg. Soll Forel Steinheil Guggenbuel 330 Frkn b = und Frkn Haf
Dho Grob st 15 auch addirt nach 139 Wartjahren an Herr Oberwärter u. Minister
dr hc Vegetarianer Steeiger Bro 64. »

Nous ne savons pas encore ce que signifie le doublement de nombreuses


lettres. Mais le patient s'en est tenu à cela de façon conséquente depuis des
années. Il est devenu Empereur d'Europe Centrale et date le début de l'ère
actuelle de ce moment. 3251 est son numéro d'admission à Rheinau, il trans-
forme le dernier chiffre en un 8, parce que sinon ce nombre ne s'insère pas
dans son système, dans lequel le 8 joue un rôle (l'Europe Centrale comprend
8 Etats). E. est son nom ; Gisler est le nom de sa bien-aimée imaginaire, à
laquelle il a été marié {getraut - de trauen, transitif) au cours de ses délires,
ce qui est indiqué par le mot « mariage » (Trauung) « Les clés aussi lui sont
familières » (Sind ihm getraut - de trauen, intransitif), c'est-à-dire qu'on de-
vrait les lui donner. Le curé St., qu'il fait Docteur, était à l'époque l'aumônier
de l'asile. « Empereur de la Tit. Standenbank » est un autre des titres du
patient. « Des » est mis à la place de « der », le patient remplaçant la der-
nière lettre par la suivante dans l'alphabet. « Standenbank » est la banque
imaginée par le patient, à laquelle il donne des ordres pour payer les petites
choses dont il a besoin (telles qu'on peut en acheter à un stand de foire),
« pprr » = per = par, « pqb » = carnet de quittances de la poste {Postquit-
tungbuch). « 3 Vvvia » = trois fois (par trois voies). « Mo work » = Lundi,
jour ouvrable {Montag, Werktag). « Badd ggut » = bain bon = après avoir pris
plaisir à un bain agréable. « 3/8 » = la date à laquelle le patient attribue le
3 août dans son système de datation. « Herr Dr. h c 30 » = le jour auquel
Monsieur le Docteur honoris causa (= l'infirmier) attribue le 30 juillet. « Bern
27/7 » = la date à laquelle Berne attribue le 27 juillet. « DD 18/7 » = la date

6 3 . Non encore publié (NDA).


6 4 . Voir plus bas la traduction... de la traduction que fait B l e u l e r de c e texte (NDT).
moyenne (Durchschnittsdalum) (selon un calcul propre au patient). « Bref, 30
juillet/3 août » (kurz, 30. Juli/3. August) résume les attributions de dates
selon les diverses façons de compter. B K B est de nouveau la Berner Kan-
tonalbank. Le patient a été pris à Andermatt, c'est pourquoi c'est la chan-
cellerie gouvernementale d'Altorf qui est en cause dans ses demandes de
dommages et intérêts, ainsi que le propriétaire de l'hôtel (ddurch Herrn aalt
Missionar u Gasthhof Inhabber Dr Christaller), c = 3 (à savoir 3 millions,
somme qu'il réclame en dédommagement). Demi-octave (Halboktav) est le
papier hygiénique sur lequel il a coutume d'écrire, et qu'il n'a pas reçu en
aussi grandes quantités qu'il le souhaitait. « Reiswerk » (littéralement : œuvre
de voyage) esl l'œuvre de libération qui permet de voyager. « Procès verbal
qa 29/9 Ao 1 8 8 9 » = ainsi qu'il est dit dans une requête (procès verbal) du
patient ayant cet objet (qa = qua = ayant trait à cette matière). Ce Procès
verbal fut envoyé le jour où la Neue Zürcher Zeitung portail la date du 29/9
1889. Le directeur de l'asile, Forel, qui est condensé avec une ancienne
connaissance du patient, Guggenbühl, lui doit 3 3 0 millions (b = billions) de
Francs, et en outre (« auch addiert » = ajoutés aussi) 8 1 6 (haf), 4 8 0 (Dho),
et 7 3 0 (Geo) millions. « st » = 15 chiffres (donc 8 1 6 4 8 0 730 0 0 0 0 0 0 fr).
« 139 années d'attente » (139 Wartjahre) : le chiffre n'est pas tout à fait clair.
Il a fait l'infirmier chef ministre et Docteur honoris causa. Il est végétarien,
comme tous les bons médecins (le patient a une aversion sexuelle contre la
viande, la chair). En outre, il le condense avec un homme du nom de Steiger.
Bro... est le nom de cet infirmier chef.

Cet écrit veut donc dire :


« Nous, Empereur d'Europe Centrale, E., N° 3 2 5 1 , marié à M lle Gisler (ce
qui a en même temps assuré mon droit à la liberté), propriétaire et souverain
de la banque par laquelle nous recevons les sommes nécessaires à nos besoins
au moyen de virements postaux, ainsi que de l'entreprise de Rheinau, nous
ordonnons ce qui su il : Vous ou la Banque cantonale de Berne paierez contre
présentation d'un billet 8 000 F en liquide, avec 10 % au compte du gouverne-
ment d'Altorf (ou : « le gouvernement d'Altorf doit se porter garant à concur-
rence de 10 % »), qui me doit des dommages et intérêts à cause du
comportement du propriétaire d'hôtel Christeller, du Bellevue à Andermatt,
trois millions par jour, et douze feuilles de papier hygiénique et la liberté,
ainsi qu'il est dit dans la requête du jour où la Neue Zürcher Zeitung portait
la date du 2 9 septembre 1889. Forel nous doit lui aussi 3 3 0 millions de
trancs, et en plus 8 1 6 4 8 0 730 0 0 0 0 0 0 francs. A payer à l'infirmier chef de
l'asile, notre ministre. »

Dans de nombreux cas, on ne parvient pas à expliquer les termes, comme


quand une malade est « gesiest 6 5 », une autre « botanisée 6 6 », et une troi-

65. Sans doute prononciation dialectale de gesiezt (vouvoyée) (NDT).


66. Verbotanisiert.
sième tourmentée par des « gens de coude », ou quand des chiffres sont uti-
lisés à la place de mots (toutefois, quand 4 7 3 est censé vouloir dire :
« comprenez-vous cela ? » les sons initiaux des chiffres ou des mots consti-
tuent sans doute le maillon intermédiaire 67 ).

Dans les cas de haute gravité, il en résulte une « salade de mots »


complète, totalement incompréhensible, même quand elle se compose
principalement de mots usuels ; leur combinaison, tout à fait insaisis-
sable pour nous tant sur le plan grammatical que thématique, nous
produit l'effet d'une langue inconnue.

Il m'a été impossible jusqu'à présent de prendre une salade de mots entière
en sténo. Dans le texte qui suit, la construction de la phrase est encore
préservée en majeure partie : A Apell, suivant les États de l'Église le peuple
a pris en partie les us et coutumes selon la foi de Glos 6 8 c'est pourquoi le
père voulait entrer dans une situation purement f. nouvelle car ils croyaient
que le père n'avait une Comediatio de Babeli 6 9 qu'avec une pièce musicale.
C'est pourquoi ils allèrent sur la haute Osetion sur le charbon de terre de
Stud et de toutes sortes d'autres méchancetés : et contre ce qui est bon. Et
justement viennent à point sur votre Osetion inverse et Ugauhskil sera en
train le père est aussi le Juste. (Hébéphrénie).

De nouveaux mots sont souvent formés pour l'ensemble du langage


aussi, si bien que nous nous trouvons devant un « langage artificiel »
- ainsi que l'appelait un de nos malades - particulier : les mots nou-
veaux peuvent s'appuyer encore nettement sur des expressions usuelles
ou être créés de toutes pièces, parfois avec la prétention affichée d'i-
miter une langue donnée. Dans ce dernier cas, les malades qualifient
eux-mêmes leur langage, le cas échéant, de français, chinois, etc. De
temps en temps, on peut du moins constater que ce sont toujours les
mêmes mots qui sont utilisés pour certains concepts ; mais générale-
ment un tel « langage artificiel » semble être un enfant de l'instant
présent, remplacé par un autre dans le moment qui suit. On ne peut
généralement pas déceler jusqu'à quel point les malades prennent ce
langage au sérieux ; souvent, ce galimatias paraît plutôt représenter à
leurs yeux un jeu ou une mystification ; mais dans certains cas les
malades croient s'exprimer correctement, soit qu'ils s'imaginent parler
leur langue habituelle ou quelque autre langue connue, soit qu'ils
soient conscients de cette néoformation linguistique.

67. Vier : q u a t r e - verstehen : c o m p r e n d r e ; sieben : s e p t - Sie : v o u s ; drei : trois - das : cela.


68. Glosglauben : on p e u t i m a g i n e r q u e c e l a r e n v o i e à Glosse : g l o s e (NDT).
69. Eine Babeli Comediatio.
guwesim ellsi bäschi was wie emschi wüsel dümte rischi güwe schäme briseil
engwit rühsel schäme bärsel güwe emschi rahsil bügin raschwi emso Gluwi
rüllsill tügsee bühsee ralit. schügen wüte büser 7 0 ... (hébéphrénie).
Une malade encore très intelligente, malgré sa catatonie, et qui s'observait
bien, voulait dire « donnez-moi un tranquillisant » mais disait « donnez-moi
2 0 0 0 0 », ou encore « j e vous donne 2 0 0 0 0 ». Les deux formes de phrase
sont identiques dans son souvenir, bien qu'après coup elle remarque norma-
lement leur différence.

Les propos écrits correspondent entièrement aux propos oraux, à ceci


près que certaines singularités sont plus évidentes encore ici. Les pa-
tients écrivent souvent alors qu'ils n'ont rien à dire. Ainsi peut-on
éventuellement recevoir de gens cultivés des récits de tout ce qui est
fait à l'asile, la façon dont on se lève, à quelle heure on se lave, ce
que fait tel ou tel infirmier en ce moment. Une production réellement
envisagée comme une communication épistolaire peut alors ressembler
à un exercice de style. Parfois, on a aussi du style sans le moindre
contenu ; il s'agit de mots qui sont assemblés en phrases correctes,
mais dont on ne peut comprendre la finalité.
Il n'est pas rare que l'écriture échoue à cause du dérèglement des
associations d'idées. Ainsi en alla-t-il pour une catatonique à laquelle
nous avions confié, à sa grande joie, la tâche d'écrire à ses parents
qu'elle était en état de sortir.
R . 7 1 , le 27 avril 1 8 8 7 7 2 .
Chers parents,
Soyez assez bons pour me chercher ma sœur a lavé pour moi nous devons
aller dans le la cuisine 7 3
de ta sœur
(née en 66) L S...
L'absence de but et d'idées des malades apparaît aussi dans les nom-
breuses diversions par rapport à l'idée d'origine, tant le contenu que
la consonance des mots les entraînant dans des chemins de traverse.
Parmi les lieux où l'on peut obtenir des informations sur lui, un hé-
béphrène cite « mon père, à N., en me fiant au jugement duquel j e
donnerai tout, j e donnerai même ma vie, s'il la réclame ».

70. Jargon totalement i n c o m p r é h e n s i b l e (NDT).


71. La ville de son d o m i c i l e , au lieu de c e l l e de l'asile (NDA).
72. En fait 1 9 0 6 (NDA).
73. irn (contraction de in dem, datif de lieu m a s c u l i n ) die Kiiche, au lieu de in die (accusatif
de mouvement féminin) Kiiche (NDT).
Des inconséquences telles que celle qui voit la lettre commencée par
« mes chers parents » se terminer par « de ta sœur » sont fréquentes
dans la schizophrénie. Des lettres destinées à des personnes différentes
sont écrites sur la même feuille de papier. Souvent, les mêmes per-
sonnes sont appelées tantôt « toi », tantôt « vous » dans la même lettre.
Une hébéphrène termine chacune de ses lettres, quelle que puisse être
la personne à laquelle elle l'adresse, par « amical salut et baiser de
ta fidèlement aimante E.F., à W.74 »

Bien que l'orientation soit conservée, des données de temps et de lieu


fausses ne sont pas rares du tout. Une catatonique joint régulièrement
son ancienne adresse à ses lettres, et ce même quand elle écrit à sa
mère.

Les anomalies de style proprement dites sont fort communes chez les
patients d'asile. Le mode d'expression, notamment, est volontiers am-
poulé, et pas seulement dans les passages qui doivent être écrits avec
emphase ou sentiment ; « les malades disent des trivialités avec un
mode d'expression hautement tarabiscoté, comme s'il s'agissait des in-
térêts supérieurs de l'humanité 75 . » Souvent, les termes en sont fort
maladroitement choisis, si bien qu'on croit entendre un écolier qui veut
faire le précoce ; il s'y joint une prédilection pour des dictons de toute
sorte, qui sont souvent amenés de façon stéréotypée à tous les endroits
possibles et imaginables. A part le style télégraphique, nous trouvons
chez d'autres malades encore une tendance à des développements sans
fin, dans lesquels les idées les plus diverses se trouvent souvent four-
rées n'importe comment. Quand des choses qui vont de soi sont lon-
guement explicitées dans des lettres, il s'agit d'une bizarrerie tant du
style que de la pensée : « Le signataire des lignes qui suivent prend
la liberté de vous faire parvenir celles-ci par la poste et sous enve-
loppe... » Les malades polyglottes mêlent volontiers des langues diffé-
rentes, ou privilégient une langue qui ne leur est pas courante.

Les complexes chargés d'affect s'expriment souvent indirectement : une


malade écrit de longues lettres pleines de cantiques, qui se rapportent
tous à son bien-aimé, identifié à Notre-Seigneur Dieu, et à leur relation
mutuelle. Dans d'autres cas, les complexes s'expriment dans un style
recherché et élégant, obséquieux, ou puéril, ou par l'usage massif de
diminutifs.

7 4 . E l l e n'habite pas à W. mais à l ' a s i l e (NDA).


7 5 . Il s'agit d'une citation de H e c k e r (NDT).
Mais il est aussi des anomalies de style qui, pour l'instant, ne peuvent
pas être mises en rapport avec les complexes, et doivent par conséquent
être considérés comme des lubies pathologiques, par exemple quand
quelqu'un, au lieu d'autres formes verbales, met presque exclusivement
des participes avec un auxiliaire. Des métaphores surprenantes carac-
térisent souvent le style et le mode de pensée des malades. Une pa-
tiente qui a des rides écrit : « Mon visage est un plafond proscrit,
héraldique et architectonique. » Et comme les associations assemblent
les objets les plus hétérogènes quant au fond, le mode d'expression
associe aussi d'une façon fort bizarre des choses qui n'ont aucun rap-
port entre elles, ou dont le rapport est autre : « L'examen corporel m'est
apparu non seulement très intéressant, mais même positivement révol-
tant », ou encore « J e n'ai pas seulement été à la charge de la chasse,
mais aussi à celle de mon père ».

De telles impropriétés ont généralement leur source, comme dans cet


exemple, dans l'inaffectivité de celui qui écrit. Des choses qui sont
différentes sur le plan affectif sont mises sur le même plan. Des as-
sortiments tels que ceux qui suivent ont la même anomalie pour prin-
cipal motif : « Voici 10 jours que je suis ici, on veut me faire mourir
de faim ; je voudrais dégueuler sur le monde entier, et là-bas le lit est
fait », ou encore : « J e me sens bien dans ma peau et gai, j'ai la vie
belle et j e ressens une grande faim et le mal du pays ». - La forme,
stricto sensu, révèle souvent l'inaffectivité. Une fille cultivée écrit à
sa tante une lettre qui est censée prouver sa tendresse mais donne
l'impression d'une grande sécheresse, notamment du fait que la malade
exprime ses sentiments dans des phrases impersonnelles (« on remer-
cie », « on souhaite »).

Parfois, des barrages se manifestent par une interruption au milieu


d'une phrase, puis une nouvelle idée fait son apparition, ou bien, dans
les cas graves, le texte s'interrompt complètement. Parfois, un vide
indique l'idée refoulée, comme dans la fin de lettre qui suit :
J... W... vous salue cordialement

à 1'

(grand espace vide)

Adresse : Asile de Zurich, chambre N° 2.


L'aspect de l'écrit permet souvent de discerner son caractère schizo-
phrénique : la mise en page est fort bizarre ; la marge traduit l'humeur
changeante de celui qui écrit ; tantôt elle est large, tantôt elle fait
défaut, tantôt elle se trouve à gauche, tantôt à droite ; la lettre
commence en bas de la page, ou bien tout en haut, juste au début de
la feuille. Les paranoïdes, notamment, ont souvent coutume de ne lais-
ser aucune marge, de remplir complètement la feuille de papier. Par
contre, un catatonique écrit, sur une feuille entière :
Zurich, le 2 8 juillet 0 4
Mère !
Envoie du sucre' 6
A. 77
Les lignes d'écriture sont souvent tout de travers, ou parcourent le papier
dans diverses directions ; ici, c'est un carré qui est rempli, là, c'est une
zone circulaire qui est entourée de mots ; toutes sortes de figures plus ou
moins bizarres sont en partie formées de graphismes d'écriture, en partie
dessinées en plus. La feuille est pliée d'une façon inextricablement
compliquée, souvent de telle manière que l'on se demande avec étonne-
ment comment le malade, malgré l'apparente absence totale de règle, par-
vient encore à en tirer la forme et la taille souhaitées.
Les bizarreries catatoniques sont légion dans l'écriture. Majuscules et
minuscules sont utilisées hors de toute règle, les majuscules étant pla-
cées même au milieu des mots ; chaque voyelle est suivie de « quelque
chose comme un h » (Pfister), des expressions dialectales sont écrites
phonétiquement, si bien qu'on ne peut les déchiffrer qu'à grand peine
(« Pfrau » au lieu de « die Frau' 8 »), « pas une fois » est rendu par
« pas 1 x ». L'orthographe est modifiée de multiples façons. Une pa-
tiente scinde « S-tein /9 » de façon tout à fait immotivée ; la ponctuation
fait complètement défaut dans de longs écrits ; chaque mot est suivi
d'une virgule ; les mots sont accolés les uns aux autres. Des chiffres
sans nulle importance sont inscrits d'abord en chiffres, puis en lettres.
Les éléments catatoniques spécifiques que sont la stéréotypie et les
manières s'expriment dans l'écriture d'une façon qui saute aux yeux ;
la verbigération écrite est quelque chose de très fréquent, et ce ne sont
pas seulement des mots ou des phrases mais même des lettres isolées
ou, notamment, des signes de ponctuation qui se répètent avec n'im-
porte quelle fréquence, parfois selon un ordre très particulier, ou mêlés

76. »Mutter! Schicke Zucker« — noter l'assonance (NDT).


7 7 . D a n s l ' o r i g i n a l n e f i g u r e q u e c e t t e i n i t i a l e , un p e u t a r a b i s c o t é e (NDA).
7 8 . La f e m m e .
79. Der Stein : la pierre.
à des croix, des cercles, des triangles et autres figures. Durant de
nombreuses années, un hébéphrène ne cessa d'écrire toujours les
mêmes séries de chiffres, dont les zéros allaient jusqu'à la fin de cha-
que ligne. Les manières se traduisent par des lettres de forme affectée
et étrange et par toutes sortes de tarabiscotages, qui ont également
tendance à se stéréotyper. Certains malades inventent une écriture par-
ticulière (cryptographie), qui peut être soit une caricature d'écritures
connues, soit une pure invention.

Il n'est pas si rare que la persévération influence l'écriture, notamment


aux stades aigus de la catatonie (et spécialement de « l'obnubila-
tion ») ; elle touche tant des mots que des lettres isolées, qui se bous-
culent de nouveau à des endroits inadéquats (« wieder wiede » au lieu
de « wieder werde »). Citons encore, plus fréquente encore dans les
mêmes cas, la contamination par des mots et des lettres ultérieurs, que
celui qui écrit a déjà à l'esprit.

Des contractions, telles que « icht » au lieu de « ich nicht », ne sont pas
rares dans ces mêmes cas. Sans doute faut-il ranger ici aussi le phéno-
mène qui consiste en ce que des mots et des lettres ne sont pas complè-
tement écrits, ou sont omis (« Wärtin » au lieu de « Wärterin », « nih »
au lieu de « nicht ») ; néanmoins, ces troubles peuvent aussi avoir d'autres
causes, et notamment en cas de barrages d'apparition soudaine.

Ce qui est d'ordre graphologique au sens strict est souvent si caracté-


ristique de la schizophrénie - mais c'est loin d'être toujours le cas -
qu'on peut faire le diagnostic à partir de cela. Kraepelin (390, II, 564),
déjà, a trouvé que, dans des états catatoniques, l'ensemble de l'exécu-
tion est irrégulière et sans lois ; dans la stupeur aussi l'on rencontre
des mouvements rapides, voire même, bien que plus rarement, énergi-
ques. Ainsi voyons-nous se mêler, dans un même texte, des traits ap-
puyés et tout à fait légers, grands et petits, une écriture droite et une
écriture penchée, des lettres négligées et des lettres dessinées avec
soin ; le même patient a des écritures tout à fait différentes - souvent
sur la même page 80 .

Comme cause de la modification, on peut souvent mettre en évidence


un changement de complexe dans le cours des idées. D'une façon gé-

8 0 . Les recherches sur les poèmes dédiés par Lenz à Frédérique Brion, par exemple, ont
été rendus plus difficiles de ce fait (NDA). Jakob-Michael-Reinhold Lenz ( 1 7 5 1 - 1 7 9 2 ) : poète
et auteur dramatique allemand, un des promoteurs du mouvement littéraire Sturm und Drang,
lié d'amitié avec Goethe à Strasbourg. Frédérique Brion ( 1 7 5 2 - 1 8 1 3 ) : fille d'un pasteur
protestant d'Alsace. Un amour de jeunesse de Goethe (NDT)-
nérale, les passages complexuels se distinguent, chez les schizo-
phrènes, par des signes beaucoup plus marquants que chez les sujets
sains (irrégularités de toute sorte, écarts de la ligne, etc.).
Quand des catatoniques autistiques, qui ont complètement perdu tout rap-
port avec la réalité, sont pressés d'écrire, ils ont d'abord souvent des
difficultés à prendre correctement la plume dans leur main, puis c'est
comme si la plume ne marquait pas vraiment. Habituellement, ils font
alors des traits en l'air, finalement ils en tracent sur le papier, et notam-
ment des lignes entrelacées, etc. Si l'on a vraiment beaucoup de patience,
on peut voir la façon dont des lettres se forment peu à peu à partir de
ces lignes, lettres d'abord assemblées d'une manière incompréhensible,
pour finalement former un mot écrit sinon correctement, du moins d'une
façon compréhensible, voire même éventuellement une phrase. On peut
généralement montrer, après coup, que des éléments du mot étaient déjà
contenus dans les gribouillages initiaux, que l'on n'avait pas compris.
L'écriture se développe donc exactement de la même façon que dans le
cas de l'écriture automatique, seulement plus vite, en général, en une
seule « séance ». Par contre, l'acquis est de nouveau complètement perdu
jusqu'à la tentative suivante 81 .

f) Les symptômes corporels

La schizophrénie comporte un certain nombre de symptômes corporels


qui, certes, ne sont généralement pas très marqués, et dans certains
cas ne peuvent même pas être retrouvés, mais qui, dans leur ensemble,
indiquent qu'il y a à la base de la maladie une altération relativement
profonde du cerveau, voire de l'ensemble du corps.

Dans les états aigus, on rencontre des symptômes psychiques qui rap-
pellent la compression cérébrale. Sur le plan corporel également, des
mouvements trémulants et incertains permettent de conclure à une per-
turbation cérébrale générale assez grossière. Selon Reichhardt, on peut
trouver un poids cérébral trop important proportionnellement au crâne,
voire même de petites plages de ^congestion82. Il faut aussi mentionner
ici les troubles pupillaires.

8 1 . D'une façon tout à fait analogue, de tels patients c o m m e n c e n t souvent par j o u e r au


pinao un chaos de sons, dont se dégage ensuite très progressivement une mélodie (NDA).
8 2 . Voir aussi, plus loin, d'une part la mort par paralysie c é r é b r a l e catatonique, d'autre part
« l'obnubilation » catatonique (NDA).
Parfois, Pétat somatique ressemble à celui d'une infection grave. Au
cours des accès aigus de catatonie, notamment, nous trouvons souvent
une langue très chargée, un manque d'appétit (même sans qu'il y ait
d'aversion psychique contre la prise de nourriture) et une mauvaise
assimilation des aliments. L'état énergétique et nutritionnel décline ra-
pidement, et ce de façon tout à fait indépendante de l'effort moteur ;
les mouvements deviennent trémulants. Parfois, mais pas toujours, des
hyperthermies légères, ou rarement relativement fortes, s'associent à
de tels états.

Reichhardt (p. 32) a trouvé jusqu'à 5 pour mille d'albumine dans les
urines au cours d'états stuporeux. Nous avons aussi pu en voir transi-
toirement des quantités moindres au cours de divers états catatoniques.
On ne saurait encore déterminer s'il existe une corrélation entre ce
symptôme et la psychose.

Le poids corporel présente fréquemment, notamment dans les formes


aiguës, des oscillations fortes et tout à fait irrégulières auxquelles on
ne connaît nulle cause 8 3 . On a considéré de tout temps comme un signe
pronostique inquiétant de psychose aiguë le fait qu'un malade
commence à grossir fortement sans que son état psychique s'améliore ;
nous constatons donc fréquemment une prise de poids marquée pendant
la résolution d'états aigus, jusqu'à 2 5 kilos et plus au-delà du poids
normal du malade, si bien qu'il ne saurait s'agir d'une simple compen-
sation de la perte de poids due à l'agitation. Certains conservent en-
suite un poids anormalement élevé pendant longtemps, d'autres
retombent à la normale en quelques mois. Des recherches ultérieures
devront déterminer si ces cas ont un pronostic plus grave que ceux
qui comportent des fluctuations moins voyantes.

Parfois, le poids oscille parallèlement à l'état psychique, diminuant


notamment lors des phases d'agitation et augmentant lors des périodes
de calme.

La plupart des malades de nos asiles ne se distinguent cependant guère


des sujets sains quant à leur poids corporel ; simplement, même au
cours des états chroniques, les fluctuations semblent un peu plus fré-
quentes et importantes que normalement.

8 3 . Du moins la perte de poids « au début de la maladie » n'est-elle certes par la règle,


autant qu'il s'agit de différences relativement importantes. Sans doute a-t-on considéré les
états aigus, à c a u s e d e s q u e l s l e s patients arrivent à l'asile, comme le début de la maladie
(NDA).
Le poids corporel n'est nullement toujours parallèle à l'alimentation ;
dans les états aigus, notamment, le malade peut maigrir à l'extrême
malgré une prise de nourriture fort abondante, ou tout au moins suffi-
sante, et même mourir d'inanition, ainsi que l'a décrit Rosenfeld (629).
A l'inverse, certains malades conservent étonnamment bien leurs forces,
même en cas de forte agitation motrice, malgré une prise de nourriture
tout à fait réduite. Chez un même patient, le poids corporel peut se
comporter, pendant un temps, de façon inverse à la prise d'aliments.
Ils ne faut pas confondre avec ces fluctuations de l'état nutritionnel les
oscillations irrégulières du poids corporel qui interviennent souvent dans
des limites d'un ou quelques jours et qui, comme l'a démontré Rosenfeld,
reposent simplement sur une rétention hydrique irrégulière. Elles sem-
blent ne pas être rares du tout et peuvent représenter plusieurs livres.
Un manque d'appétit est fréquent ; dans les états aigus, il s'accompagne
souvent des symptômes d'un « catarrhe d'estomac » ou d'une infection
gastrique (langue chargée, haleine fétide, et parfois, mais pas réguliè-
rement, légères élévations thermiques) ; dans les cas chroniques, de
tels signes d'accompagnement sont plus rares. En alternance avec l'a-
norexie, ou encore isolément, on peut rencontrer une boulimie, tantôt
par accès, tantôt sous forme d'état chronique. De tels polyphages n'at-
teignent que rarement un poids corporel en rapport avec leur voracité.
Nous savons encore fort peu de choses sur la sécrétion des sucs diges-
tifs. Indubitablement, l'activité des glandes duodénales n'est générale-
ment pas perturbée. Mais il est des exceptions. Ainsi rencontrons-nous
de temps en temps du ptyalisme, parfois fort important ; dans un cas,
j'ai mesuré à plusieurs reprises jusqu'à trois litres d'émission salivaire
au cours, à chaque fois, d'une seule journée, et cela dura des mois et
se renouvela au bout de quelques années 84 .
Selon Leubuseher et Ziehen, il existerait dans la catatonie et la stupeur une
tendance à l'hyperchlorhydrie, dans la faiblesse d'esprit acquise une tendance
à l'hypochlorhydrie, et dans les états paranoïdes aigus une acidité normale.
Nous n'avons encore aucune raison de tirer de ces données, qui ont sans
doute besoin d'être vérifiées, la conclusion que les phénomènes pathologiques
qu'on vient de citer seraient d'essence différente (voir aussi Mayr, 460).
Dans la schizophrénie comme dans d'autres psychoses, tant la prise
d'aliments que l'activité de l'intestin dépendent au plus haut degré de

84. Il ne faut pas- confondre avec le ptyalisme la particularité qu'ont certains catatoniques
„ de ne pas avaler leur salive mais de la garder aussi longtemps que possible dans leur bouche
ou de la laisser s'écouler (NDA).
f a c t e u r s p s y c h i q u e s ; souvent, délire d'empoisonnement, négativisme,
autisme, agitation, etc. entravent ou rendent plus difficile la prise d'ali-
ments, qui peut c e p e n d a n t s ' a c c r o î t r e par intermittences j u s q u ' à la bou-
l i m i e , étant donnée la variabilité de c e s états. Dans nulle autre maladie
p s y c h i q u e que la s c h i z o p h r é n i e on ne rencontre si fréquemment et si
d u r a b l e m e n t de refus d'aliments c o m p l e t . Dans les états catatoniques
d'un degré relativement é l e v é , notamment, l ' a b s t i n e n c e plus ou moins
c o n s é q u e n t e est la règle. Une de nos malades ne put être nourrie qu'à
la sonde durant 1 6 ans, c ' e s t - à - d i r e j u s q u ' à sa mort.

Activité intestinale. C e r t a i n s m a l a d e s s e m b l e n t retenir intentionnelle-


ment leurs s e l l e s , pour les raisons les plus diverses. D'autres encore
vident leur intestin b e a u c o u p plus qu'il n'est n é c e s s a i r e , en partie
p a r c e qu'ils ont besoin de c e matériau pour barbouiller, en partie à la
suite d'idées délirantes, en partie pour des motifs qui nous sont encore
i n c o n n u s . Mais une atonie primaire de l'intestin s e m b l e r é e l l e m e n t pos-
s i b l e , notamment dans des états c a t a t o n i q u e s .

Masselon (p. 81) cite, parmi les symptômes schizophréniques, le mérycisme,


qui pourrait cependant être une manifestation associée plutôt fortuite.

On a procédé à d'autres investigations portant sur le métabolisme, en ce qui


concerne la composition de l'urine ; mais elles n'ont pas encore abouti à un
résultat concret. Il semble que, dans les états chroniques, l'urine ne soit dans
l'ensemble pas anormale. Pendant les états aigus et les poussées de la ma-
ladie, sa composition doit naturellement fluctuer dans de larges limites, ne
serait-ce qu'à cause de l'irrégularité de la prise de nourriture et de la dépense
énergétique des malades, à cause de l'état des organes digestifs, etc. C'est
pourquoi il va de soi que l'on trouve certaines anomalies ; mais l'on doit se
garder de les attribuer à la maladie en tant que telle.

Selon d'Ormea et Magiotto, l'excrétion des métaux telluriques, et notamment


du magnésium, est quelque peu réduite, surtout dans la catatonie, moins dans
l'hébéphrénie et la paranoïde. L'acidité de l'urine serait également moindre.
- Dide et Chenais ont trouvé, dans la démence précoce, une certaine dimi-
nution de la quantité d'urine, une nette diminution de la densité urinaire,
une absence de modification des phosphates, une nette augmentation des
chlorures, rarement de l'albumine ou de l'urobiline. Mais ces constatations
ne peuvent sûrement pas être généralisées.

Le sucre dans l'urine ne semble pas jouer de rôle, et selon d'Ormea la quantité
de substances réductrices dans l'urine serait au contraire moindre que chez
le sujet normal ; par contre, une certaine albuminurie semble pouvoir se pro-
duire parfois dans des états délirants que, pour notre part, nous rangerions
dans la schizophrénie (voir aussi, plus haut, l'albuminurie dans la stupeur).
Dans les états c h r o n i q u e s , la quantité d'urine s e m b l e être dans un rap-
port normal avec la prise d'aliments et d'eau. Mais de grandes irrégu-
larités peuvent se produire au cours des p o u s s é e s . Tantôt les malades
évacuent de grandes quantités d'urine, tantôt il existe une oligurie ;
j ' a i même constaté une anurie complète de deux j o u r s chez une j e u n e
fille catatonique (à l'aide de cathéter). E n pareil c a s , des fluctuations
rapides du poids corporel ne sont pas étonnantes. Chez un malade,
Arndt ( 3 0 ) a trouvé à c h a q u e survenue de la c a t a l e p s i e une salivation
et une polyurie.

Une rétention consciente d'urine est également très fréquente ; mais elle
n é c e s s i t e rarement une intervention thérapeutique.

Nous ne disposons pas encore d'examens sanguins effectués en prenant


suffisamment en compte non seulement la place des c a s au regard de
la c l a s s i f i c a t i o n systématique, mais aussi l'état antérieur, le tableau du
moment, le mode de vie, etc. A partir des données disponibles j u s q u ' à
présent, on ne peut c o n c l u r e à rien de certain qui soit s u s c e p t i b l e de
contribuer à la c o n n a i s s a n c e de notre maladie.

Kahlbaum (346, p. 52) a presque constamment trouvé dans ses cas de cata-
tonie un haut degré d'anémie ou de chlorose. D'autres, il est vrai, comme
Tschich, ont trouvé un état nutritionnel particulièrement bon, l'hématopoïèse
en faisant également partie. D'après mes expériences, qui ne s'appuient pas
sur des recherches au moyen d'instruments de mesure, les schizophrènes se
comportent, sous ce rapport, comme d'autres gens. - Whitmore Steele prétend
avoir trouvé trop peu de globules rouges et trop peu d'hémoglobine (71 % en
moyenne, pour cette dernière) chez ses mélancoliques, au nombre desquels
il compte aussi, naturellement, des schizophrènes déprimés, tandis que
Schultz (681) trouve vraisemblable, dans la catatonie, « une certaine tendance
à la baisse du nombre des érythrocytes du sang qui se trouvent dans les
principaux vaisseaux sanguins » et une teneur en hémoglobine presque nor-
male. Vorster a trouvé que le poids spécifique et la teneur en hémoglobine
étaient trop bas dans la melancholia attonita et le délire hallucinatoire aigu,
mais aussi dans d'autres psychoses aiguës. - Pighini et Paoli prétendent avoir
trouvé des formes jeunes d'hématocytes (augmentation de taille et ombilica-
tion) - mais comparer avec Muggia. - Obici et Bonon, ainsi qu'Agostini, ont
observé une diminution de l'isotonie des globules sanguins dans la démence
précoce comme dans d'autres maladies mentales (notamment au début). Dans
les états chroniques, parmi lesquels la schizophrénie vient en première ligne,
selon Pugh, et dans la catatonie, selon Schultz, l'alcalinité n'est pas modifiée.
Selon Bruce, le sang coagulerait plus difficilement dans la catatonie et dans
la manie aiguë. Il est surprenant que cela ne se remarque pas à l'occasion
des blessures et opérations, qui sont fréquentes.
Ce sont surtout les recherches sur le comportement des globales blancs, où des
anomalies certaines ont été constatées, qui méritent notre attention. Bruce, no-
tamment, étaie ainsi sa théorie de l'origine infectieuse de maladies que nous
qualifierions, pour leur plus grande part, d'états aigus de schizophrénie. Tou-
tefois, ses recherches nécessitent encore une vérification approfondie.

Il nous est cependant impossible de résumer brièvement ses études, parce


qu'il les base sur une tout autre classification des psychoses. L'essentiel en
est, à peu près, ce qui suit : Au cours des accès aigus de certaines maladies,
le nombre des globules blancs s'accroît jusqu'au double, surtout dans les cas
d'issue favorable, et bien moins dans les autres. Les cellules « polymorpho-
nucléaires » sont un peu plus fortement augmentées en nombre que les autres
dans les cas bénins, tandis que leur pourcentage s'abaisse jusqu'au tiers de
la normale dans les cas à terminaison défavorable. Après guérison, la leuco-
cytose persiste, mais la proportion des polynucléaires par rapport aux autres
leucocytes revient à la normale, tandis que dans les cas défavorables elle
reste inférieure à la normale durant des années. Lors des exacerbations, les
deux chiffres s'élèvent transitoirement 85 .

Récemment, Heilemann 8 6 a trouvé, dans 2 4 cas de diverses formes de dé-


mence précoce, une diminution nette et régulière des polynucléaires, avec
augmentation de toutes les autres formes de leucocytes.

Ce qui est peut-être le plus frappant, indépendamment des états psychi-


ques, c'est l'altération de l'activité du cœur et des vaisseaux. Le pouls est
souvent très changeant, même durant les périodes calmes, sans que l'on
puisse en trouver l'explication ni dans des oscillations thermiques (Mo-
ravcsik, Pighini) ni dans des fluctuations des affects ; au cours des
périodes aiguës, il peut avoir de grandes sautes très soudaines. Chez
un paranoïde qui, il est vrai, présenta par la suite des symptômes ca-
tatoniques, le pouls oscilla à plusieurs reprises, d'un moment à l'autre,
au cours d'un seul et même examen, par exemple de 8 0 à 130, sans
que la raison en fût éclaircie. Chez un stuporeux léger, il monta à 140
pendant quelques heures, alors qu'habituellement il variait dans des
limites normales. Sous des influences psychiques, le pouls peut changer,
même quand on ne note rien d'autre chez le malade. La modification
du pouls peut être le seul indice d'activité psychique. Chez une catato-
nique en état de stupeur complète, le pouls fit un bond de 85 à 134 à
l'instant où le médecin fit son entrée. Lors de telles irrégularités, les ma-
lades se plaignent moins de palpitations qu'on ne pourrait s'y attendre.

8 5 . Voir aussi Sandri (NDA).


8 6 . Heilemann, « Examens sanguins dans la démence précoce », in Allgemeine Zeitschrift
für Psychiatrie, vol. 6 7 , 1910, p. 4 1 5 (NDA).
L'état vasomoteur est fortement altéré. Dans les états catatoniques, li-
vidité et cyanose sont fort fréquentes, notamment aux pieds et aux
mains, mais aussi dans d'autres territoires cutanés. Souvent, ces stases
varient très rapidement. Une de nos catatoniques avait par exemple
des mains extrêmement froides le matin ; l'après-midi, ses mains, la
moitié inférieure de son avant-bras et sa tête se sont fortement rougies
et échauffées ; puis elle eut de nouveau des mains chaudes, la tête
froide et les pieds froids ; puis la tête chaude et les mains froides,
etc., le tout sans modification de la température centrale. Chez une
autre, les extrémités et le ventre étaient souvent objectivement et sub-
jectivement très froids. La cyanose n'est pas purement et simplement
une conséquence de l'absence de mouvement des extrémités, bien
qu'elle soit dans l'ensemble plus fréquente et plus marquée chez les
malades figés que chez les autres. Il peut même arriver qu'un patient
n'ait de cyanose des extrémités que lors du travail, et qu'il ne puisse
à cause de cela travailler qu'une partie de la journée. Une rougeur ou
une pâleur passagères, non seulement du visage mais même d'autres
zones cutanées, n'est pas rare.

Il y a souvent un degré modéré de dermographie, signe d'une excita-


bilité anormale du système vasomoteur : forte rougeur pour de légers
stimulus ; il n'est pas fréquent d'aboutir à la formation de marbrures,
cependant il peut aussi arriver qu'on en observe.

Nous ne savons encore rien de général sur l'état tensionnel du système


vasculaire. Mais il serait très important de l'explorer, en ce sens qu'il
pourrait sûrement nous éclairer très souvent sur les rapports des ma-
lades avec certains complexes.
Selon Pighini, la courbe sphygmographique serait plus basse dans la démence
précoce que chez les sujets sains ; les variations d'élasticité seraient parti-
culièrement importantes, et le pic secondaire serait réduit au minimum, tout
ceci témoignant d'une augmentation de tonus des vaisseaux.

La pression artérielle serait augmentée dans la stupeur catatonique


(Stoddart).
Généralement, la tendance importante aux œdèmes est mise en rapport avec
la stase sanguine. Mais elle doit avoir d'autres causes encore. Nous ren-
controns souvent des œdèmes sans stase démontrable, et à l'inverse un haut
degré de stase sans œdèmes. D'après nos conceptions de la pathologie, il
nous paraît fort compréhensible que des malades qui ne font que rester debout
des décennies durant aient souvent des œdèmes de la région malléolaire, et
éventuellement des jambes. Peut-être comprenons-nous moins bien que cer-
tains autres patients, bien qu'ayant le même comportement, n'aient pas
d'œdèmes. D'une façon générale, les œdèmes sont à un haut degré indépen-
dants de la stase et du comportement. On en trouve aussi en des endroits où
les manifestations de stase sont rares, notamment sous les yeux. Kraepelin
parle là d'épaississements myxœdémateux 87 , les œdèmes malléolaires donnent
eux aussi à peu près la même impression qu'un myxœdème ; parfois, la pres-
sion ne laisse qu'à peine un godet. Mais nous n'avons pourtant aucune raison
de classer là ces œdèmes. Ils disparaissent et apparaissent souvent beaucoup
plus rapidement qu'un myxœdème. Chez une patiente de constitution physi-
que très robuste, présentant un début de schizophrénie très légère, il existait
des œdèmes des cuisses dont l'intensité variait fortement en cours de journée.
- Les examens urinaires pratiqués chez de tels malades n'en apportent aucune
explication. - Des œdèmes relativement marqués peuvent, le cas échéant, ren-
dre les mouvements douloureux, peut-être du fait de la tension.

De même que les œdèmes, on peut trouver dans la schizophrénie d'autres


troubles trophiques encore, que l'on peut mettre en rapport avec le système
vasomoteur. La tendance aux engelures est plus importante chez ces malades
que chez les sujets sains ; dans nos asiles, on peut à l'occasion rencontrer
des peinions au cours de demi-saisons un peu fraîches. Il faut également
mentionner la tendance aux escarres, bien qu'elle soit très rare. Mais j'ai vu,
entre autres, une jeune catatonique très solide, et qui n'était pas incontinente,
être atteinte d'escarres en l'espace de 2 4 heures, sans cause apparente 88 .

Les blessures guérissent généralement étonnamment bien, hormis dans les


états de confusion aiguë, où c'est le contraire qui est le cas ; la tendance
aux infections n'est pas importante, et la cicatrisation est également bonne,
dans l'ensemble.
La fragilité vasculaire, présente chez de nombreux schizophrènes tant au stade
aigu qu'aux stades chroniques, semble indiquer une véritable atteinte des
vaisseaux. Certains de ces malades - notamment, mais pas exclusivement,
des catatoniques - peuvent avoir des hémorragies sous-cutanées à l'occasion
de traumas quotidiens, de contacts relativement doux, tels qu'ils sont néces-
saires pour beaucoup de travaux. Des hémorragies conjonctivales, qui survien-
nent par exemple quand les malades se lavent, même d'une façon banale,
semblent notablement plus fréquentes que chez les sujets sains. Un hématome
auriculaire n'est nullement toujours la conséquence d'un trauma controlatéral,
comme j e l'ai constaté avec certitude dans certains cas. Dans un cas, il est

87. Trépsat (771) croit que le « pseudo-œdème », comme l'a appelé Dide, pourrait être
constaté dans presque tous les cas, à la seule condition de pouvoir observer les malades
suffisamment longtemps. - Fuhrmann croit que l'œdème facial n'a pas encore été décrit et
l'appelle pachydermia facialis. - Les Anglais appellent la eomplexion luisante de la peau,
quelque peu succulente et de toute façon lisse et sans rides (peut-être par manque de mou-
vement ?) : varnished skin (NDA).
88. Trépsat décrit, chez des déments catatoniques, respectivement un pemphigus et un ulcère
de jambe, et il attribue cette affection à des troubles trophiques. Mais il est douteux qu'il
faille supposer un rapport avec la psychose (NDA).
aussi survenu lors d'un lavage de la propre main du patient ; dans un autre
cas, le patient pressait constamment son oreille à cause des Voix, provoquant
ainsi le saignement. La tendance aux saignements peut être très transitoire
ou durer relativement longtemps. La mort par hémorragie cérébrale ne semble
pas particulièrement fréquente.
Les troubles de la sécrétion sudorale ne font pas partie du tableau habituel,
mais ils ne sont cependant pas rares du tout dans les diverses formes. L'in-
hibition de cette fonction est difficile à établir, étant donnée la grande éten-
due de ses variations physiologiques ; tout au plus peut-on remarquer que
les malades s'allongent sous le soleil le plus chaud sans transpirer. Une sé-
crétion sudorale anormalement importante est par contre fréquente, tantôt à
la suite d'excitations psychiques, tantôt en rapport avec des accès, et notam-
ment de ceux qui sont représentatifs d'excitations sexuelles, tantôt aussi sans
cause connue. Une catatonique se masturba de nombreuses semaines durant
d'une façon tout à fait convulsive, par croisement de ses cuisses l'une sur
l'autre, tout en transpirant tellement que sa consommation de linge devint
une calamité. Une autre catatonique avait un fort accès de sudation une de-
mi-heure après chacun des gavages par sonde (qui se passaient sans résis-
tance de sa part).

Nous voyons, plus fréquemment encore que chez d'autres gens nerveux, des
sudations localisées qui peuvent toucher n'importe quelle zone du corps. De
temps en temps, ces sudations sont hémilatérales. Vraisemblablement une
partie de ces phénomènes sont-ils en rapport avec des complexes, et en tout
cas très certainement avec des excitations psychiques.
Hoche (309, p. 231) mentionne aussi une forte sécrétion des glandes sébacées.

Mentionnons e n c o r e , comme autres troubles trophiques, Vostéomalacie


et la fragilité osseuse qu'on a souvent o b s e r v é e s chez les vieux patients
d'asile. On les a mis en rapport avec l'état p s y c h i q u e ( H a b e r k a n t ) , sans
en apporter de preuves c e r t a i n e s . P e u t - ê t r e s'agit-il d'influences de
conditions hygiéniques défavorables, que toutefois nous ne connaissons
pas. A R h e i n a u , l ' o s t é o m a l a c i e survenait chez des hommes et des
femmes qui sortaient trop peu à l'air libre, sans que c e l a tînt au type
de la psychose. Même une infirmière en c h e f en fut atteinte, p a r c e
qu'elle ne s'accordait pas suffisamment de sorties. La maladie a pu
être guérie par le séjour à l'air libre, mais pas par d'autres traitements
usuels.

Il peut en aller de même pour la fragilité osseuse, qu'il faut distinguer


de l ' o s t é o m a l a c i e .

On peut en outre citer le cas, publié en son temps par Forel (229 a), d'une
catatonique dont les cheveux devinrent gris pendant la période d'affects dé-
pressifs au début de la maladie, mais reprirent leur couleur noire après mo-
dification de l'état psychique 8 9 . - Bertschinger mentionne (p. 303) une ma-
lade dont la couleur des cheveux alternait, tous les six mois environ, entre
brun-châtain foncé et blond clair. - Chez une de nos malades, les cheveux
furent crépus, un temps, en état d'excitation, et lisses lors de la rémission.

Les anomalies de la respiration sont difficiles à étudier, parce qu'on


ne saurait éliminer le facteur psychique. Les catatoniques respirent
souvent très superficiellement. A l'occasion, certains rythmes sont
maintenus. Ainsi une de nos catatoniques restait-elle régulièrement
quelques secondes sans aucune respiration, puis soupirait-elle soudain
profondément, puis respirait-elle très superficiellement, et enfin de
nouveau plus du tout pendant un instant, etc.

L'observation de la respiration n'en est pas moins importante, lors de


l'examen, parce que ses variations sont l'un des indices les plus fins
des fluctuations affectives ; on remarque notamment très souvent, selon
la respiration, quand un complexe est touché.

La menstruation est perturbée au stade aigu, dans la majorité des cas


peut-être ; notamment, elle cesse, ou encore elle devient peu abon-
dante. Mais elle peut aussi cesser également au stade chronique, durant
de nombreux mois à plusieurs années.

Une menstruation trop fréquente semble pouvoir être aussi en rapport


avec la psychose. Mais des ménorragies seront, en règle, déterminées
par des affections génitales. Les douleurs menstruelles subjectives sem-
blent beaucoup plus rares que chez les femmes saines, manifestement
parce que l'indifférence entrave l'autosuggestion en cause dans ce phé-
nomène.

Chez les hommes, l'impuissance et la diminution de l'instinct sexuel


sont fréquentes.

La température est généralement normale au cours des états chroniques.


A l'occasion, il se produit des variations modérées, curieusement plutôt
au-dessous de la normale que vers le haut ; le thermomètre peut baisser
jusqu'à 34°. Au cours des états stuporeux, la température est généra-
lement à la limite inférieure de la normale. On peut souvent expliquer
des élévations par des complications quelconques (embarras gastro-in-
testinal, contusions, constipation, etc. 9 0 ).

8 9 . Cas analogue chez Urstein, p. 5 9 ( N D A ) .


9 0 . « Deny et E . Roy signalent enfin l ' e x i s t e n c e de poussées fébriles é p h é m è r e s qui passent
assez souvent i n a p e r ç u e s », (Masselon 4 5 7 , p. 2 7 ) , (NDA). - En français dans le texte (NDT).
Les variations nyethémérales seraient irrégulières, et l'on rencontrerait
notamment leur inversion (ceci n'est pas rare dans d'autres maladies
mentales non plus, par exemple dans la mélancolie).
Le sommeil est régulièrement perturbé au cours des états d'excitation
aiguë, comme dans toutes les autres psychoses. Toutefois, il peut arri-
ver que dans la journée un malade paraisse très excité, se plaigne,
fasse du vacarme, tandis qu'il dort toute la nuit. Au stade chronique,
le sommeil est généralement suffisant, pour autant que des états hal-
lucinatoires ne le troublent pas. Dans les asiles, de nombreux schizo-
phrènes continuent paisiblement à dormir au milieu du plus grand
vacarme. D'autres encore se sentent tout à fait bien, quoique dormant
très irrégulièrement - généralement trop peu - pendant des mois.
Pendant les poussées aiguës, ou plus rarement au cours des états chro-
niques, il existe souvent une hypersomnie, si bien que les patients dor-
ment une grande partie de la journée et toute la nuit, voire s'endorment
au travail. Parfois, l'hypersomnie est le seul signe de la poussée, comme
chez une hébéphrène qui avait de temps en temps des périodes de lé-
thargie. Un de nos patients fut atteint d'hypersomnie à l'époque de son
examen spécialisé de pharmacie, qu'il obtint avec de bons résultats ;
il dirigea ensuite avec succès une pharmacie ; à 2 8 ans, l'hypersomnie
réapparut, accompagnée de dépression et d'insociabilité ; à 33 ans,
« neurasthénie » qui l'amena à abandonner sa profession ; à 35 ans
paranoïde 91 confuse sous forme de plusieurs accès, abêtissement limité.
Le sommeil dépend lui aussi d'influences psychiques directes. Bien
des malades ne veulent pas dormir, parce qu'ils voudraient bien savoir
ce qui se passe durant la nuit, ou parce qu'ils craignent qu'on puisse
les violenter de quelque façon durant leur sommeil.
Les « manifestations de fatigue » sont extrêmement diverses. De nom-
breux schizophrènes fatiguent à peine. Ils grimpent partout, jour et
nuit, et font du tapage, travaillent sans cesse, sans que l'on puisse
noter la moindre trace de fatigue. Dans la catalepsie, le sentiment de
fatigue fait souvent totalement défaut. D'autres patients ont à peu près
le besoin normal de repos. D'autres encore se fatiguent très facilement
physiquement et intellectuellement, notamment tant que la maladie
progresse. Beaucoup sont fatigués littéralement en permanence (géné-
ralement sans hypersomnie). Le moindre mouvement leur coûte et re-
présente un effort pour eux ; il en va parfois de même pour la pensée.

9 1 . C'est-à-dire forme paranoïde de schizophrénie, voir plus loin (NDT).


C'est pourquoi ils ne peuvent pas travailler, même s'ils le veulent ; si
on leur demande ne serait-ce que de se lever, ils ressentent cela comme
une grande exigence ; pour beaucoup, donner leur âge est déjà un tra-
vail auquel ils se soustraient volontiers, consciemment ou inconsciem-
ment, en répondant n'importe quoi ou en ne répondant même pas.
Certains ressentent l'élaboration idéique de leurs complexes, à laquelle
ils ne peuvent se soustraire, comme un effort ; ils se plaignent alors
parfois, avec le plus grand sérieux, de devoir tant travailler et ne peu-
vent comprendre qu'on les considère comme des oisifs.
C'est d'autre chose qu'il s'agit quand les malades ne se fatiguent anor-
malement vite qu'au cours de la tâche qu'ils ont à accomplir ; ceci est
moins fréquent. Mais nous avons déjà pu constater des manifestations
de fatigue au cours de l'enregistrement de 100 associations 92 .

Ce qui se passe habituellement, c'est que les malades qui ne se sentent


pas d'emblée fatigués ne semblent pas l'être par un examen, même
quand celui-ci les met à contribution pendant de nombreuses heures.
C'est là une différence souvent fort frappante avec d'autres psychoses,
et notamment avec les psychoses organiques.
En fait de symptômes moteurs purs (non déterminés psychiquement),
seuls deux sont vraiment prouvés à coup sûr, les tressaillements et le
renforcement de la contraction idiomusculaire. Cette dernière fait rare-
ment défaut, et est dans bien des cas si nette que, lors d'une légère
percussion, les faisceaux du grand pectoral qui sont sous le plessimè-
tre 93 ressortent sur le muscle alentour sous forme de longs bourrelets.
L'examen de la moelle épinière ne m'a montré aucune anomalie pathologique
dans de tels cas, même les plus marqués, avec les techniques en usage voici
2 0 ans, il est vrai. - Bernstein a trouvé la contraction idiomusculaire dans
95,7 % des cas de démence précoce, dans 9 0 % des cas de paralysie générale
et dans 11 % des cas de maniaco-dépressive ; chez les sujets sains, il ne l'a
généralement rencontrée qu'à l'époque de la puberté.
Selon Curschmann (148), la contraction idiomusculaire serait le signe d'une
intoxication favorisée par l'appauvrissement des tissus en eau, et qui survien-
drait notamment en cas de troubles importants de l'alimentation. Une exci-
tabilité nerveuse anormale, mécanique et vraisemblablement aussi électrique,
s'y associerait. Comme Gatz, Curschmann a rencontré ce symptôme plus fré-
quemment chez les hommes que chez les femmes (cf. aussi Rudolphson).

9 2 . Il s'agit bien sûr de l'enregistrement des associations des patients au cours du test
d ' a s s o c i a t i o n s provoquées (NDT).
9 3 . Petit instrument métallique utilisé autrefois pour la percussion médiate (NDT).
On note des soubresauts musculaires, notamment dans la musculature
faciale, où la « fulguration 94 » était considérée depuis longtemps déjà
comme signe d'une maladie en cours de chronicisation. Plus rares sont
des soubresauts de muscles entiers, ou même de toutes les masses
musculaires d'un membre.

Peut-être le tremblement, très fréquent, et qu'on peut mettre aussi en


évidence dans de nombreux cas tout à fait « en bout de course », est-il
aussi témoin d'une intoxication de l'appareil moteur. Il s'agit généra-
lement ici d'un tremor assez régulier et fin, qui est dans l'ensemble
indépendant de l'état psychique. Mais il peut évidemment s'y ajouter,
comme chez tous les gens nerveux, un tremor consécutif à une excita-
tion psychique ; ce « plus » est alors généralement grossier et irrégu-
lier, et constitue, en tant que signal d'excitation affective inconsciente
et consciente, un bon signe complexuel.

Chez certains observateurs, les symptômes moteurs prennent toutefois


une place importante dans la symptomatologie : conçus comme des états
spastiques purement moteurs, n'ont-ils pas donné son nom au premier
groupe identifié de la schizophrénie, la catatonie 9 '' ? L'École de Wernicke
et certains Français formulent aujourd'hui encore l'hypothèse de trou-
bles de la motricité stricto sensu, et Schüle localise une partie des
symptômes moteurs dans les organes centraux. On a même imaginé
que certains groupes musculaires pourraient être affectés seuls, ou du
moins préférentiellement. Bien que les observations sur lesquelles de
telles opinions se fondent soient monnaie courante, je n'ai pas encore pu
me convaincre de leur justesse. Il est certes possible que de tels phéno-
mènes se produisent ; on peut aussi imaginer que la dissociation géné-
rale se fasse sentir dans la voie mentionnée par Wernicke ; mais ni l'une
ni l'autre hypothèse ne sont prouvées. Des gens qui ne « peuvent » pas
se dresser sur leur séant ne sont pas non plus capables d'avoir tout à
coup, à la suite de quelque stimulus psychique, n'importe quelle ac-
tivité locomotrice complexe, puissante et correctement coordonnée.

Avant de pouvoir exclure la genèse psychique il faut, abstraction faite


d'autres possibilités, éliminer notamment le négativisme (et l'effet de
l'hyosciamine ?). Même les symptômes pseudo-apraxiques peuvent être
l'expression d'une perturbation psychique générale. Si les mouvements
des malades ont souvent quelque chose d'incertain, ce peut être la

94. C'est-à-dire des tressaillements musculaires « en éclair » (NDT).


95. V o i r p l u s l o i n , p a r a g r a p h e « C a t a l e p s i e » (NDA).
conséquence de l'absence de but tant de l'activité en général que des
divers mouvements.
La démarche, notamment, est souvent singulière. La coordination des
mouvements des bras et des jambes est, par elle-même déjà, souvent
perturbée, certains malades tiennent leurs bras raides même en mar-
chant. Mais ce qui est particulièrement important, c'est que les pieds
sont souvent posés très irrégulièrement, tant spatialement que tempo-
rellement.
Du côté des femmes, à Rheinau, de nombreuses malades se promenaient li-
brement dans un grand jardin avec beaucoup de buissons, taillés toutefois
en bas, afin de permettre la surveillance. A partir de nombreux endroits, on
ne voyait donc bien des malades que jusqu'à la hauteur des genoux. Chez
nombre d'entre elles, on pouvait faire le diagnostic à partir de leur démarche
de feu follet, qui ne perdait pas non plus ses caractéristiques quand les pa-
tientes se dirigeaient vers un but précis. - Mônkemôller et Kaplan ont cherché
à déterminer les traces de pas et ont ainsi conservé un graphique de l'irré-
gularité spatiale de la démarche chez deux catatoniques. D'une façon tout à
fait analogue, Gross (390, II, p. 566) a trouvé un rythme perturbé et désor-
donné dans Vécriture.
Moravcsik a trouvé, dans tous les cas de catatoniques examinés, une dimi-
nution de l'excitabilité électrique avec longs soubresauts lents. Malheureuse-
ment, le rapport ne dit pas quel type de courant a été utilisé, ni s'il s'agissait
de stimulation des nerfs ou des muscles. - Ostermeyer a trouvé une diminu-
tion de l'excitabilité galvanique des nerfs moteurs, mais sans modification
qualitative.
Des paralysies organiques ne se voient guère en tant que symptômes
partiels de schizophrénie. Par contre, j'ai vu de temps en temps des
paralysies psychogènes (« hystériques »), souvent d'une grande ténaci-
té. Astasie et abasie se voient également. Une patiente ne put ouvrir
les yeux pendant plusieurs heures. Les paralysies généralisées ou lo-
calisées dues à des barrages ne sont pas foncièrement différentes de
celles-ci. Des contractures hystériformes sont très rares.

Parmi les réflexes, les réflexes cutanés sont, comme dans la plupart des
psychoses, si difficiles à explorer indépendamment de l'esprit que nous
n'en savons rien de précis. Séglas (in Ballet, p. 109) écrit que les ré-
flexes cutanéo-muqueux seraient diminués dans les formes secondaires
de stupidité. D'après Maillard (Société de psychiatrie, Paris, 16 dé-
cembre 1909, Neurologisches Centralblatt 10.623), le réflexe cutané
plantaire fait défaut dans 7 5 % des cas de démence précoce (41 %
dans les autres psychoses). L'exagération du réflexe rotulien avec ab-
sence de cutané plantaire se rencontre dans 70 % des cas de démence
précoce, et dans 15 % des cas dans les autres psychoses. Tout praticien
sait que le réflexe pharyngé et, d'une façon générale, tout réflexe nau-
séeux, est absent dans les cas tant récents qu'anciens. Des larmes et
une érythrose des joues peuvent prouver la conservation de la sensi-
bilité, tandis que dans d'autres cas un attouchement intensif du pha-
rynx et même de la muqueuse bronchique ne provoque pas de
sensations désagréables. On voit des phtisies qui évoluent sans toux
jusqu'à la mort.
Le cas échéant, le réflexe conjonctival, voire cornéen, sont également
totalement absents, mais ce seulement dans les cas de catatonie grave,
autant que j e l'ai vu. Les réflexes profonds, c'est-à-dire ostéo-tendineux,
sont en règle exagérés, comme dans tous les cas où les hémisphères
cérébraux relâchent leur contrôle. On obtient parfois une série de sou-
bresauts d'allure clonique au niveau de la rotule ; parfois, l'exagération
se manifeste de telle sorte que le début d'extension stimule les flé-
chisseurs, si bien que la jambe est ramenée en arrière comme un res-
sort ; dans l'un de nos cas, toute la musculature homolatérale de la
tête, du cou et du torse tressautait lors de la percussion de l'angle du
maxillaire. L'exagération unilatérale des réflexes tendineux ferait éga-
lement partie de la schizophrénie (Kleist, 366, p. 76).
Le renforcement des réflexes tendineux n'est pas en rapport avec le
tonus de la musculature. Je me souviens d'une catatonie fraîche (de
degré léger) qui avait une énorme hypotonie de la musculature ; pour-
tant les réflexes tendineux étaient augmentés.
J'ai trouvé des réflexes diminués dans un seul et unique cas, sans que
l'on ait pu mettre en évidence d'erreur d'examen. Kleist (p. 43) a ren-
contré des réflexes tendineux diminués avec hypotonie.
Les réflexes pupillaires ont été souvent étudiés, et avec succès. La réac-
tion de fermeture des paupières de Piltz se rencontrera dans environ la
moitié des cas. Bumke et Hubner ont prouvé que l'instabilité pupillaire,
la mydriase lors de l'attention, de la frayeur, etc. ainsi que des stimulus
sensitifs (notamment désagréables) font souvent défaut dans la schizo-
phrénie. Bumke se croit en droit de supposer que ceci serait un phé-
nomène régulier à l'acmé d'un état catatonique, tandis que le second
auteur n'a trouvé de réaction ni psychique ni sensitive chez 75 % de
ses schizophrènes, mais a pu en constater avec certitude chez 8 %
d'entre eux. Mais ces pourcentages n'ont encore que peu de valeur,
car le mode d'examen, l'instrument, l'intensité de la lumière, ainsi que
la conception qu'on a de la systématique des maladies doivent entraîner
de fortes différences (voir Wassermeyer). Mais il est certain que les
réflexes psychiques ne sont nulle part aussi souvent absents ou dimi-
nués que dans la schizophrénie 96 .
Outre l'absence de réaction, on trouve parfois une réaction étonnam-
ment forte à des stimulus psychiques, exactement comme dans le cas
des manifestations d'affectivité.
Lors des excitations catatoniques de tout type, les pupilles sont très
souvent fortement dilatées, mais elles réagissent aux variations de lu-
minosité. Dans les états psychiques les plus divers, elles sont souvent
inégales, sans que leur réaction soit diminuée ; ce phénomène a sou-
vent donné lieu, dans le passé, à un diagnostic infondé de paralysie
générale. Mais, à la différence de cette maladie, l'inégalité est rarement
permanente, elle se modifie souvent au bout de peu d'heures, les pu-
pilles devenant égales, ou l'inégalité s'inversant. j e n'ai vu que deux
fois des pupilles en tête d'épingle dans la schizophrénie.
A l'occasion, on voit aussi des curiosités telles que les deux qui suivent. Un
catatonique avait, à son entrée à l'asile, des pupilles égales, étroites, qui
n'étaient pas bien rondes et réagissaient à peine. Au bout de 10 minutes
elles étaient largement dilatées et réagissaient normalement. Chez une fille
catatonique, nous avons vu, alors qu'elle était totalement calme, des élargisse-
ments et rétrécissements spontanés des pupilles sans modifications de lumi-
nosité ni d'accommodation. De temps en temps, de telles anomalies semblent
être en rapport avec le contexte psychique, bien qu'on ne puisse que rarement
le prouver par réitération. Ainsi l'un de nos catatoniques eut-il un jour, pen-
dant environ une heure, alors qu'il parlait avec ardeur de ses idées délirantes,
des pupilles élargies et qui ne se rétrécissaient pas à la lumière97.
On connaît depuis fort longtemps le « regard paranoïde », qui apparaît quand
les patients pensent à des complexes donnés. Chez certains malades, cette mani-
festation peut être momentanément provoquée puis amenée à disparaître par
l'abord d'un thème différent. Je ne sais pas sur quoi elle repose. Elle reste
souvent reconnaissable quand l'on ne voit que l'œil, à travers un masque.
Parmi les troubles sensoriels que nous pourrions ranger parmi les symp-
tômes corporels, on trouve très fréquemment la céphalée, notamment
dès l'anamnèse. Nombre de nos patients avaient, dès leur jeunesse,

9 6 . Voir l'important travail de Weiler, in Zeitschrift fur die gesamte Neurologie und Psychia-
trie, Or. 1910, II, p. 101 (NDA).
97. Leeper (Journal of mental sciences, 1904, p. 5 2 0 ) a trouvé des pupilles larges le matin,
étroites le soir. Au cours de la présentation clinique qui a lieu le soir, j'ai très souvent pu
montrer des pupilles dilatées. - Dide et Assicot ont même trouvé un Argyll-Robertson, mais
plus souvent encore le phénomène inverse. Souvent, la réaction à la lumière ou à l'accommo-
dation était diminuée. Blin prétend avoir trouvé un Argyll-Robertson dans 13,8 % des cas
ce qui est étonnant. - A. Westphal a décrit des pupilles irrégulières et ovales ; j'en ai vu
moi aussi, de façon transitoire (NDA).
souffert de céphalée ; pendant la maladie patente, on retrouve souvent
ce symptôme sous les formes les plus diverses : pression dans toute la
tête, derrière le front et, avec une particulière fréquence, à l'occiput ;
douleurs déchirantes, térébrantes, à type de traction, de brûlure, qui
irradient généralement à toute la tête à partir d'un endroit quelconque.
Ce symptôme peut aussi avoir un caractère migraineux, et pourtant
disparaître par la suite, si bien que l'on n'est pas en droit de le consi-
dérer comme une simple complication.
Nous ne connaissons pas de causes déclenchantes à cette céphalée,
pour autant qu'il s'agirait d'une manifestation appartenant à la schizo-
phrénie. La douleur occipitale doit avoir un rapport quelconque avec
la sexualité.

Des sensations de brûlure, des sifflements, des bourdonnements et des


sensations de broiement en divers endroits de la tête sont des phéno-
mènes accompagnateurs fréquents de la céphalée, mais on les rencontre
aussi sans elle.

Toutes les paresthésies et les hyperesthésies possibles peuvent être ob-


servées. Généralement, elles ressemblent à celles de la neurasthénie,
mais il n'est pas exceptionnel qu'elles éveillent le soupçon d'une af-
fection organique du système nerveux central. Des sensations dans le
cœur, l'estomac, l'intestin, sont habituelles. On rencontrerait mastody-
nies et douleurs ovariennes. Des points de névralgie (sans hystérie)
seraient fréquents (Ziehen 840, p. 378).

Les schizophrènes se plaignent parfois de sensations vertigineuses, qui


apparaissent de façon tantôt permanente, tantôt plutôt transitoire.

L'analgésie, fréquente, est citée dans d'autres contextes. Dans un cas


d'anesthésie absolue à la douleur, j'ai noté l'absence de saignement
lors de profondes piqûres d'épingle.

D'autres troubles déficitaires de la sensibilité n'entrent guère en ligne


de compte. Le rétrécissement du champ visuel, qu'on peut rencontrer,
a naturellement des causes psychiques (Klien). Mais peut-être la dis-
sociation des sensations que l'on peut observer dans certains cas (no-
tamment au cours de « l'obnubilation ») est-elle indépendante de
l'attention : les malades peuvent tenir le dessin d'un chou pour celui
d'une rose 98 , en faisant fi de la couleur (comme les délirants alcooli-

98. Ou, conformément à la prédilection pour ce qui est exotique, pour un nénuphar (NDA).
ques), un épi de maïs grandeur nature pour un épi de blé, et ici c'est
en première ligne la dimension qui est négligée, etc.
On range aussi parmi les symptômes corporels les divers « accès » qui
peuvent survenir au cours de la schizophrénie. Il est vrai que nombre
d'entre eux sont à coup sûr indépendants de l'esprit ; d'autres, à l'in-
verse, ont un déclenchement psychique, et sont psychiques dans tous
leurs symptômes, et il faut là, bien sûr, compter au nombre des symp-
tômes psychiques les manifestations d'accompagnement des affects au
niveau du cœur, des vaisseaux, et éventuellement de l'activité intesti-
nale et rénale, bien qu'il s'agisse de phénomènes à expression corpo-
relle. Entre les deux, il existe une foule d'intermédiaires, dans lesquels
soit c'est l'état cérébral permanent qui crée la prédisposition, mais c'est
un événement psychique qui déclenche l'accès, soit, à l'inverse, il survient
un accès somatique, mais la symptomatologie psychique en est détermi-
née par les complexes présents". Par « somatique », nous entendons na-
turellement ici une altération de l'activité cérébrale physiologique,
qu'elle soit conditionnée par une intoxication ou par des spasmes vas-
culaires, ou par quoi que ce puisse être.

Au pôle somatique de cette série, nous trouvons notamment les accès


apoplectiformes, qui ne sont à vrai dire pas fréquents dans la schizo-
phrénie. Les malades s'affaissent subitement ou progressivement, avec
ou sans prodromes, comme des apoplectiques ; le langage devient bal-
butiant ou est totalement impossible. La déglutition, la fixation du re-
gard et d'autres fonctions peuvent être nettement perturbées, la salive
peut couler de la bouche ; tous les mouvements du corps deviennent
incertains, etc. ; plus rarement, il se produit des émissions involon-
taires de fèces et d'urine. Parfois, les symptômes ont un caractère net-
tement hémiplégique, l'une des moitiés du corps étant plus flasque
pendant l'accès, et paraissant plus faible après celui-ci. S'il s'y ajoute
des convulsions, elles peuvent être unilatérales, ou du moins plus pro-
noncées d'un côté. La conscience est généralement altérée, mais elle
peut aussi être totalement conservée, ou faire totalement défaut ; il en
va de même du souvenir a posteriori. De tels accès durent généralement
quelques heures ; plus rarement, ils se dissipent plus rapidement, ou
s'étendent sur des jours. Un malade, chez lequel ni l'évolution, obser-
vée plusieurs années durant, ni les fréquents examens ne fournirent
d'éléments en faveur d'un autre diagnostic que celui de schizophrénie,

99. Certains accès représentent un acte sexuel transformé, voir Abraham, in Jahrbuch für
psycho-analytische Forschung, vol. Il, p. 2 9 (NDA).
resta à plusieurs reprises, quelques jours durant, dans un coma au
cours duquel il présentait même un signe de Babinski.

Parfois, l'activité psychique défaille sous la forme de pertes de connais-


sance, qui peuvent aussi, il est vrai, avoir un déclenchement psychique,
ainsi qu'il arrive chez des gens nerveux. On observe aussi des états
irritatifs, qui sont indépendants de l'esprit pour l'essentiel, comme des
spasmes de divers groupes musculaires. Généralement, les spasmes ont
un caractère mixte, on -ne peut pas dire quelle en est la part psychique
et la part physique. Ce qui est important, c'est qu'il n'est pas rare que
les accès spastiques soient typiquement épileptiformes (stade tonique,
puis clonique ; brève durée, rarement plus d'une minute). Certains de
nos malades ont, de ce fait, été adressés à l'asile avec le diagnostic
d'épilepsie. Les accès épileptiformes peuvent demeurer isolés, ou en-
core se renouveler pendant quelques années, pour ensuite disparaître.
Exceptionnellement, ils peuvent même aboutir à une sorte d'état de mal 100 .

Les accès épileptiformes se voient à tous les stades de la maladie ; ils


peuvent tout aussi bien être le premier signe d'une schizophrénie que
compliquer un vieil abêtissement. Je n'ai rencontré aucun cas net dans
lequel ils se soient associés durablement à un simple tableau de schi-
zophrénie ; s'ils restaient permanents, ils présentaient aussi des symp-
tômes psychiques d'épilepsie, si bien qu'il s'agissait vraisemblablement
de cas mixtes de ces deux malades (Morawitz). Comme dans l'épilepsie
commune, les crises peuvent aussi, exceptionnellement, être déclen-
chées psychiquement. Une schizophrène d'un certain âge eut sa pre-
mière crise immédiatement après avoir observé avec un grand intérêt
une crise chez une épileptique ; les crises se renouvelèrent pendant
dix ans, à intervalles irréguliers ; à la suite du transfert de la patiente
dans un autre bâtiment, elles cessèrent pour ne jamais se renouveler.

Au pôle psychique de la série, nous avons les accès purement hystéri-


formes, qui ne sont pas rares chez les schizophrènes. Ils ne présentent
absolument aucun symptôme qui indique quoi que ce soit d'organique.
Ce qui est organique, là, c'est sans doute seulement la prédisposition,
bien qu'il nous faille supposer que cette prédisposition doive se mo-
difier avec l'importance du processus schizophrénique, si bien que l'ac-
cès se déclenche tantôt plus et tantôt moins facilement. Pour des
raisons dont nous allons discuter, nous devons aussi nous remémorer,

100. Tetzner rapporte un cas de mort par accès convulsifs itératifs ; il semble s'agir là d'une
catatonie, en prenant c e mot au sens que nous lui donnons ( N D A ) .
dans ce contexte, les accès de vitupérations et de confusion à déclen-
chement psychique, qui forment la transition vers la simple réaction
de l'esprit schizophrène.
Comme tous les autres symptômes hystériformes, les accès typiquement
hystériformes ne sont pas rares chez nos malades. Toutes les formes
qu'on peut voir dans l'hystérie, nous les rencontrons ici aussi. De la
grande crise jusqu'aux simples tremblements spasmodiques de certains
membres, on peut tout voir. Ils peuvent alterner avec des accès d'autres
types ou rester seuls. Ils sont généralement isolés, ou du moins peu
fréquents, alors toutefois que des ébauches plus légères et des accès
abortifs se voient fréquemment. Une de nos malades prophétisa qu'elle
mourrait dans la nuit ; elle resta alors un moment comme sans connais-
sance, mais respirant paisiblement dans son lit ; puis elle se mit sou-
dain à crier et à trembler. Amélioration immédiate après application
d'une hydrothérapie.

On peut ranger ici, si on le souhaite, les rires et pleurers spasmodiques,


non rares, et que Kahlbaum cite parmi les symptômes corporels ; nous
les envisageons naturellement, dans la plupart des cas, comme une
expression du complexe qui reste inconscient.
Mentionnons comme une curiosité le fait qu'une malade avait parfois
des accès de sanglots pendant qu'elle parlait.
Les accès les plus fréquents, qui peuvent être en même temps consi-
dérés comme une sorte de type des attaques schizophréniques, nous
semblent être les états irritatifs et paralytiques à détermination orga-
nique, au cours desquels les associations psychiques, notamment, sont
également altérées. Ainsi acquièrent-ils une grande analogie avec les
accès qu'il n'est pas rare que nous observions dans le cas d'affections
cérébrales grossières et d'intoxications telles que l'urémie, et on ne
peut les distinguer de ceux-ci que par les circonstances d'accompa-
gnement. Des accès « abortifs », c'est-à-dire relativement légers, de ce
type ont tendance à se renouveler fréquemment ; les accès plus impor-
tants sont plus rares.
Parfois, un stade tonique inaugure le tableau mais, à la différence de l'épilep-
sie, celui-ci peut durer très longtemps, et il n'atteint pas l'acuité angoissante
du haut mal. Il s'agit généralement plutôt d'une rigidité générale du corps ;
la chute semble rare ; la respiration reste habituellement relativement ou to-
talement indemne. Une catatonique ne réagit soudain plus aux propos qu'on
lui adresse, elle resta allongée, rigide, les yeux fermées ; sudation très im-
portante de tout le corps ; pouls faible, bien frappé, 100-110. La température
monta à 38°. Puis les mains se serrèrent convulsivement ; appels, prières,
menaces ne provoquèrent aucune réaction, on obtint seulement de légers mou-
vements de défense au pincement et à l'exposition des yeux à la lumière
d'une allumette tenue près d'eux. Durée de l'accès 4 heures ; après que l'aug-
mentation de la sudation et de la température eurent régressé, la malade se
remit rapidement ; elle pleura sans guère d'affectivité, « on lui avait coupé
la parole avec la machine (c'est-à-dire la flamme) ; on voulait l'exécuter, elle
avait entendu la hache tomber ». - Un hébéphrène qui avait présenté quel-
ques symptômes catatoniques à la cinquantaine se trouva quelques jours du-
rant en état très légèrement crépusculaire, alors qu'il était devenu soudain
totalement raide, mais sans tomber. Il s'y ajouta un léger tremblement de tout
le corps. Il ne réagissait pas aux piqûres d'épingle par des mouvements, mais
seulement par un son plaintif qui survenait environ deux secondes plus tard.
Il suivait automatiquement les ordres simples, comme de remuer ses membres.
Flexibilité cireuse. Pouls rapide. Au bout de quelques minutes la tension se
résout ; fort accès de sudation. Mis au lit, le patient resta quelques heures
encore les bras écartés ; de plus, il était encore confus, il a uriné au lit. -
Le stade tonique peut aussi se voir seul, réalisant un accès abortif. Une
catatonique devint tout à coup rigide alors qu'elle était assise, elle resta là
environ dix minutes, les poings serrés, le regard dirigé vers le sol, puis elle
se leva soudain, avec ces mots : « Bon, maintenant c'est passé. »
Dans d'autres accès, le tonus est absent ; ils présentent seulement une exci-
tation oniroïde avec manifestations de faiblesse nerveuse. Un hébéphrène ma-
niaque commença tout à coup à s'agiter dans son lit, gémit, vomit ; eut des
soubresauts irréguliers des extrémités ; enfonça sa tête dans son oreiller. Il
était obnubilé, donnait des réponses peu claires, confuses, visage blême,
froid ; traits tout à fait mous, notamment autour de la bouche, qui est ouverte
et laisse couler une salive abondante. Essaie d'avaler, mais ne peut fermer
la bouche. Verbigère lentement avec des pauses entre les mots : « cheibe 101
- cheibe - cheibe de pute - cheibe, etc. ... - 52 - 3 - 4 - 5 - ... - maman
- pas - mourir - maman - pas - mourir - etc. » Réflexes tendineux exagérés ;
yeux demi-ouverts, font des mouvements de roulement. Pupilles larges, réa-
gissant à la lumière ; angoisse. Se cramponne partout. Au bout de quelques
heures il s'endort. Le lendemain, le patient sait seulement qu'il avait peur
et ne pouvait parler. Ensuite, pendant plusieurs jours, le même patient de-
venait souvent différent, pour peu de temps, au milieu d'une conversation, il
blêmissait, fermait les yeux, donnait des réponses inadéquates.
Autres exemples : catatonique (au lit) : toutes les positions possibles, torsion,
se débat, enroulement du corps, rapides inspirations et expirations gémis-
santes. Salivation, tête rouge, mains froides. En dehors du lit : rapides rota-

101. Juron universel en suisse alémanique, qui signifie littéralement « cul de cheval » et
revêt encore, dans le sentiment populaire, une signification religieuse en tant que réminis-
c e n c e de vieilles croyances germanique (NDA).
tions sur ses pieds. Pupilles variables ; pouls bien frappé, environ 80. Durée
environ 2 heures, puis obnubilation, reste allongée, comme dormant, mais
peut encore agir, par exemple aller à la chaise percée ; mais, ce faisant,
titube. Ensuite souvenir entier. - Un hébéphrène eut deux accès identiques :
secousses et rotation des membres, révulsion des yeux, visage complètement
blafard, écume aux lèvres ; durée de plusieurs heures ; amnésie totale. - Ca-
tatoni.e périodique avec périodes maniaques : subitement, lors du repas, se-
cousses des bras et du cou ; bras fléchis, se rejoignent cloniquement ; la tête
s'incline et a des mouvements convulsifs. Pas de perte de connaissance. Du-
rée une demi-heure. Par la suite, encore des soubresauts irréguliers, ne vou-
lait pas aller à table parce qu'il laissait facilement tomber la vaisselle.
Ensuite, de nouveau comme avant. — Catatonique : secousses cloniques de
toutes les extrémités, mais conserve pendant un moment les positions qu'on
lui imprime passivement (n'était pas cataleptique avant l'accès). Pleurs vé-
héments, forte érythrose du visage. Durée d'une demi-heure. - Hébéphrène :
début par des grognements et des éructations, puis mouvements croissants
du corps, se tient convulsivement à son lit avec ses mains. - Paranoïde : à
table, se mit soudain à rire, puis piétinement ; s'endormit ; se réveilla au
bout de quelque temps et recommença à taper d'un pied, tenait fermement
son bras sur les yeux, si bien qu'on ne pouvait le bouger passivement. Pas
d'amnésie, elle dit n'avoir pu répondre, avoir dû agir ainsi. Par la suite, elle
eut par moments la tête rouge et se crut alors persécutée pendant ce temps.
- Une hébéphrène a « des accès de tremblement des jambes, étant alors
agitée intérieurement et ne pouvant plus travailler ». Une autre présente des
secousses cloniques irrégulières des extrémités et de la face. — Une catato-
nique révulse ses yeux, tape des pieds, a de l'écume aux lèvres. Durée ap-
proximative deux minutes. Amnésie totale. - Les accès peuvent aussi se
produire pendant le sommeil. Une de nos malades fut réveillée du fait que
son corps se redressait. - Un hébéphrène a soudain la tête rouge, il s'emporte
alors et vitupère.

Ces derniers exemples montrent qu'il existe des transitions ininterrom-


pues depuis les accès proprement cérébro-organiques jusqu'aux états
d'agitation de nos malades. Il est toutefois certain qu'une partie de ces
derniers ont une détermination purement psychique, le cours des idées
du malade ou un événement extérieur, une perception, ayant touché
au complexe. Mais si l'on se penche sur les accès hallucinatoires, si
fréquents chez les plus anciens des schizophrènes de nos asiles, on a
l'impression qu'un processus organique se trouve à la base de la plu-
part d'entre eux ; on ne peut influer d'une façon quelconque ni sur
leur survenue ni sur leur déroulement ; tout au plus peut-on habituer
progressivement les malades à se contenir un peu pendant l'accès, ou
obtenir qu'ils réclament d'eux-mêmes d'être isolés « quand ça vient »,
afin de ne pas importuner les autres.
Certains accès abortifs ne peuvent être distingués du petit mal épileptique :
hébéphrène, généralement gai ; soudain son visage prend une expression
maussade, tandis que le patient marmonne quelques mots incompréhensibles,
durée : quelques secondes. - Hébéphrène : s'emporte assez soudainement, se
prend la tête dans les mains ; c'est noir devant ses yeux, tout papillote. Du-
rée : quelques secondes. - Catatonie périodique : reste allongé un moment,
tout mou, comme mort, les yeux fermés, le pouls reste bon. Ici, on ne peut
de nouveau pas exclure l'origine psychique.

Wernicke a observé des accès de rigidité, qui surviennent notamment quand


on veut quelque chose du patient. J'ai vu des accès apparemment semblables
qui étaient sûrement un orgasme sexuel. - Huiler a également connaissance
d'accès de douleur.

* * *

A ma connaissance, il n'existe pas encore de recherches utilisables


sur la fréquence des malformations corporelles (c'est à dessein que j'é-
vite l'expression « signes de dégénérescence ») dans la démence pré-
coce. D'après les travaux de Laubi, dont le matériel m'est en grande
partie connu, les choses sont telles que les psychoses actuellement
rangées dans la schizophrénie présentent beaucoup moins de malfor-
mations que les idiots et les épileptiques, mais un peu plus que les
sujets sains. Il n'est besoin en aucune façon qu'une très lourde tare
héréditaire sehizophrénique s'exprime au travers de telles anomalies.
Comme, parmi les schizophrènes des asiles, ce sont ceux qui étaient
défavorisés intellectuellement à l'origine qui prédominent relativement,
on ne peut pas encore dire si ceux d'entre eux qui ne sont pas imbéciles
présentent vraiment plus de malformations que les sujets sains.

Wintersteiner a trouvé des altérations innées du fond d'œil dans les deux tiers
de ses « paranoïas » (au sens de l'école de Vienne).

Nombreux sont ceux qui citent aussi, dans ce contexte, le goitre. Il est
indubitable qu'on trouve dans les régions à goitres plus de grands goi-
tres chez les schizophrènes que dans la population saine. Il arrive aussi
que le goitre enfle et désenfle avec les états d'agitation (Bertschinger,
p. 301). Mais ces relations peuvent aussi n'être qu'une apparence. (Les
goitres de nos malades ne sont traités que s'ils menacent d'être dou-
loureux ; le fait de crier peut les amener à gonfler.) En tout cas, il
nous manque la preuve que le goitre fasse partie de la schizophrénie
ou de la prédisposition sehizophrénique.
g) Les symptômes catatoniques

On rassemble sous le nom de symptômes catatoniques un certain nom-


bre de phénomènes que Kahlbaum a trouvés dans sa catatonie : états
moteurs particuliers, stupeur, mutisme, stéréotypie, maniérisme, négati-
visme, automatisme sur ordre, automatismes spontanés, impulsivité. J e
n'assurerais pas avec certitude que tous ces signes aient de rapports
plus intimes entre eux qu'avec d'autres symptômes. Mais en tout cas
ce concept est commode, et la fréquente concomitance de ces divers
symptômes clans la forme de schizophrénie que nous appelons catato-
nique lui correspond. Plus de la moitié des schizophrènes des asiles
présentent des symptômes catatoniques, en permanence ou de façon
transitoire.

1. La catalepsie
Le visage figé des malades donne parfois l'impression qu'ils ont les
traits contractés ; des positions forcées maintenues de façon prolongée
semblent aussi indiquer une rigidité musculaire ; lors des mouvements
passifs, nous sentons souvent une résistance, qui peut être véritable-
ment invincible dans des cas graves.
Mais en vérité nous ne connaissons pas encore, dans la schizophrénie,
ce qu'on pourrait appeler des états hypertoniques des muscles, au sens
propre. Ce qui est décrit, ce sont des phénomènes complexes ayant en-
tièrement, ou du moins de façon prépondérante, une genèse psychique.
Il n'est toutefois pas bien rare qu'on se trouve confronté au fait qu'un
patient adopte des mois durant une position donnée et semble égale-
ment complètement rigide quand on veut mouvoir passivement ses
membres. Cela peut aller si loin que l'on peut remuer tout son corps
de la main ou du pied comme s'il se composait d'un seul morceau de
bois, sans que la position relative des membres en soit modifiée. Mais
si l'on y regarde de plus près, en pareil cas, sans doute peut-on toujours
constater que les muscles se contractent à tout moment, en proportion
de la force appliquée de l'extérieur, exactement aussi fort qu'il est
nécessaire pour tenir la position. En cela, le dosage est singulièrement
précis, le maintien de la position des membres est presque absolu. Un
sujet sain ne parviendrait qu'exceptionnellement à réaliser le même
type de résistance, et pas durablement. La preuve me manque jusqu'à
présent que les muscles soient plus fortement bandés, à un moment
quelconque, qu'il n'est nécessaire pour conserver la position à l'en-
contre de la pesanteur ou d'autres influences extérieures. Par contre,
on peut constater dans certains cas l'extension de la tension à des
muscles qui ne sont pas directement engagés - exactement comme dans
les efforts de sujets sains.
Ballet (38, p. 105) a appelé catatonisme cette tendance aux tensions
et supposé (avec d'autres ) que certains groupes musculaires, tels
102

notamment les fléchisseurs du cou, y seraient prédisposés. J e n'ai pas


encore pu me convaincre que ce phénomène se limite à certains
groupes musculaires ; il me semble plutôt qu'il s'agisse là de maintien
par le patient de certaines positions, parmi lesquelles la flexion du cou
en décubitus dorsal est, par exemple, particulièrement fréquente. C'est
pourquoi nous mentionnons ces manifestations sous le nom de stéréo-
typies de position.

La catalepsie flexible est plus fréquente que la rigidité complète. Dans


les cas prononcés, les malades ne font que rarement ou pas du tout
de mouvements spontanés ; ils restent immobiles quels que soient le
lieu et la façon dont on les place ou les couche. Les positions qu'on
leur imprime sont conservées, et peu importe qu'elles soient inconfor-
tables ou non. On peut soulever la jambe d'un malade qui est debout,
lui étendre les bras horizontalement, et en plus lui fléchir le tronc, il
reste dans cette position, et ce parfois jusqu'à vingt minutes et plus.
Les sensations de fatigue font ici défaut (toujours ?). Au bout de quel-
que temps, les bras tendus s'abaissent, ou ils troquent imperceptible-
ment leur position pour une autre, éventuellement tout aussi bizarre,
ou encore ils sont mis d'un seul coup dans une position plus confor-
table, mais souvent de telle sorte que la position initialement donnée
se marque encore quelque peu : le bras qui était étendu vers l'avant
reste encore un peu levé vers l'avant, même en position abaissée, celui
qui était d'abord étendu sur le côté s'éloigne encore un peu du corps
latéralement.

Lors des modifications passives de position il est fréquent qu'on ne


sente qu'à peine une résistance, c'est même comme si les malades
voulaient aller au-devant de l'intention de celui qui pratique l'examen ;
ils soulèvent leur membre dès qu'on le pousse le moins du monde, et
devinent généralement fort bien, en cela, la direction souhaitée ; si l'on
procède un peu rapidement, ils dépassent facilement le but 103 . Dans
d'autres cas, on trouve une résistance nette, on doit au moins soulever

102. Voir Kleist (NDA).


103. Wernicke appelle ce symptôme Pseudoflexibilitas et le considère comme un moindre degré
de flexibilité cireuse. Ziehen distingue fondamentalement cette pseudo-flexibilité de cette der-
nière, car il ne s'agirait pas dans son cas de l'effet d'une représentation déterminée (NDA).
le poids du bras, comme dans le cas d'un corps mort. Dans d'autres
cas encore, il faut surmonter une légère résistance musculaire. On ne
peut pas vraiment distinguer ces tableaux les uns des autres, et c'est
pourquoi je souhaite, comme certains autres auteurs, les regrouper sous
le terme de flexibilité cireuse.
Bien plus fréquemment, ce symptôme n'est qu'ébauché. D'ordinaire,
les malades se meuvent sans entrave, mais si l'on donne à l'un de leurs
membres une position donnée, ils la conservent quelque temps, parfois
sans être gênés pour autant dans leurs mouvements habituels de ce
même membre. Par exemple, ils font des gestes ou des mouvements
stéréotypés de la main ; si on leur lève le bras correspondant, ils le
laissent en l'air mais font au-dessus de leur tête les mouvements qu'ils
exécutaient auparavant dans leur position habituelle.

La façon dont un tel malade bouge son membre n'est pas totalement indiffé-
rente ; souvent, la catalepsie ne se manifeste que si l'on amène un peu brus-
quement le membre dans sa nouvelle position, comme si l'on indiquait qu'il
devrait être là. Mais ce qui est efficace, ce n'est pas la suggestion au sens
habituel du terme : il n'est pas nécessaire que le patient pense qu'on attend
de lui la conservation d'une position donnée. Je recherche souvent avec suc-
cès la catalepsie en tâtant le pouls du patient et en tenant ce faisant son
bras en l'air, comme par hasard, pour le lâcher purement et simplement après
avoir compté jusqu'au bout. A l'inverse, on peut traiter n'importe quels autres
patients et sujets sains de la même façon que celle dont on use habituellement
pour rechercher la catalepsie sans que ce phénomène se manifeste.

Dans des cas relativement rares, la catalepsie se manifeste par la poursuite


de mouvements qu'on imprime aux malades. Si l'on tourne leurs mains l'une
autour de l'autre, ils ne peuvent plus arrêter. S'ils doivent faire un nombre
donné de mouvements lors de la gymnastique, ils en font trop 104 , etc.

Quand la catalepsie est marquée, les mouvements spontanés font dé-


faut. Dans les cas relativement bénins, ils sont nettement plus diffi-
ciles, ils sont exécutés lentement et sans force. L'effort que font les
patients est souvent visible, si par exemple ils doivent fournir une ré-
ponse ils entrouvrent leurs lèvres mais, souvent, n'émettent, après bien
des efforts, qu'un chuchotement imperceptible et lent, si bien que l'on
pense à une inhibition. D'autres malades exécutent encore tel ou tel
acte, notamment aller et venir ; mais là aussi la plupart de ces actes
sont lents, hésitants, sans force. La position finale d'un acte peut se
fixer ; ou encore les malades se figent au milieu de leurs gestes. Un

104. Communication orale de Bezzola (NDA).


patient veut porter sa cuiller à sa bouche, sa main s'arrête à mi-chemin
et ne change plus de position pendant de nombreuses minutes ; elle
peut alors s'abaisser progressivement, suivant la pesanteur, ou encore
l'acte commencé peut être achevé. La fixation peut tout aussi bien
toucher le corps entier qu'un seul membre.
Sans doute la catalepsie du plus haut degré peut-elle se résoudre elle
aussi momentanément, sous des influences psychiques intérieures ou
extérieures. Comme dans toute autre stupeur catatonique, les catalep-
tiques qui paraissent totalement immobiles peuvent soudain s'emporter,
frapper un voisin ou le mordre, ou faire n'importe quelle autre chose
désagréable, pour être de nouveau figés au bout de quelques secondes ;
mais ils peuvent aussi bavarder subitement fort raisonnablement, ou
s'entretenir avec leurs hallucinations. En de tels moments, les mouve-
ments ne présentent plus de perturbations, mais sont souvent, au
contraire, effectués avec beaucoup de force et d'habileté (voir plus haut
les cataleptiques dansantes).
Certains patients ne deviennent cataleptiques que dans des conditions
données. Une patiente peut, quand elle se croit seule, tantôt chanter
gaiement, rire de contentement, tantôt vitupérer grossièrement, pour
redevenir cataleptique sitôt qu'elle se sait observée. Qu'on puisse voir
là du négativisme ou non ne fait guère de différence. D'autres se meuvent
fort naturellement lors du travail, mais deviennent cataleptiques si l'on
veut les examiner. L'un de nos convalescents, qui paraissait indemne de-
puis quelque temps déjà, devint cataleptique quand, lors d'un jeu, des
consignes relativement complexes sollicitèrent son attention.
Éventuellement, la catalepsie peut aussi alterner avec la rigidité complète ; chez
les malades négativistes, on peut littéralement provoquer cette dernière. Dans
l'un de nos cas, il se produisait entre ces deux phases un relâchement complet
de la musculature, si bien que le malade s'affaissait comme un cadavre. Si-
non, le tonus musculaire est fort bon au cours de la flexibilité cireuse.
Un patient eut de façon durable, au cours de plusieurs accès, une catalepsie
du seul côté droit (associée à un tremblement, une analgésie et des halluci-
nations auditives du même côté).
Ce qu'on rencontre parfois de singulier, ce sont des mélanges de catalepsie
et de négativisme. Par exemple, si l'on soulève le bras droit d'un tel malade,
il l'abaisse brusquement, mais lève par contre le bras gauche dans la position
voulue. (J'ai déjà vu quelque chose d'analogue même sans qu'on eût de raison
de supposer un négativisme, seulement le membre qu'on mouvait n'était alors
pas remis aussi brusquement dans sa position normale.) - Abraham a aussi
observé une flexibilité d'un côté et une raideur négativiste de l'autre (sans
suggestion, naturellement).
Lors d'une association d'échopraxie et de catalepsie, nous avons vu une fois
une imitation d'un côté par l'autre : le bras droit du patient fut maintenu
passivement en l'air, le gauche étant un peu écarté vers le bas. Peu à peu,
les deux bras s'abaissèrent un peu, le gauche dans sa position naturelle, et
le droit, qui était tenu en l'air, s'approcha de la tête et se posa finalement
sur l'occiput, ce que le bras gauche imita en partant de sa position pendante
naturelle. Le patient resta alors assez longtemps dans cette position.

A côté des divers états catatoniques, ou plus rarement isolément, il


peut exister une difficulté ou une impossibilité des mouvements tantôt
générale et permanente, tantôt tout à fait capricieuse. Contracter leurs
muscles coûte des efforts aux patients ; les mouvements deviennent
sans force, lents, tremblants, voire même, souvent, totalement impos-
sibles. Pour eux, en pareil cas, ce peut être comme si le membre était
paralysé, ou encore raide, ou comme s'il était maintenu par une force
extérieure. Parfois ils motivent cet état, à mauvais escient, par des
hallucinations et des idées délirantes ; naturellement, l'akinésie peut
aussi être déterminée par cela, mais il ne s'agit alors pas d'un trouble
de la motricité au sens, défini plus haut, d'une paralysie ou parésie
psychique 1 0 5 . Cet état effraie souvent étonnamment peu les malades ;
néanmoins, de l'angoisse s'y associe souvent, mais elle semble avoir
une évolution indépendante de l'akinésie. - Dans la stupeur et les états
d'obnubilation, la diminution de la capacité de mouvement peut parfois
donner l'impression d'une torpeur cérébrale générale.

2. La stupeur

De très nombreux catatoniques sont qualifiés de stuporeux. Mais, dans


le sens précis de Ziehen (aprosexie + inhibition de la pensée + immo-
bilité), nous rencontrons presque exclusivement la stupeur dans l'ob-
nubilation (voir chapitre suivant, syndromes aigus), manifestement
comme conséquence d'une réduction générale de l'activité psychique,
et puis dans le barrage total. Mais on trouve également le tableau ap-
parent d'une absence ou d'une forte diminution de réaction à l'envi-
ronnement dans toutes les catatonies akinétiques ; ce tableau est
également provoqué par un barrage général, par une forte inhibition
(mélancolique) des processus psychiques, par le manque d'intérêt, d'af-
fectivité et de volonté, par l'autisme, les mécanismes crépusculaires,
le négativisme, par des hallucinations massives qui, même sans barrage

1 0 5 . Souvent, les Voix qui interdisent les mouvements et la dégradation motrice pourraient
être des conséquences parallèles d'une seule et même cause (NDA).
systématique du monde extérieur, transportent complètement les ma-
lades dans un monde de fantaisie.
Naturellement, ces diverses formes de stupeur se combinent volontiers les
unes aux autres, plusieurs causes étant simultanément présentes.
La stupeur n'est pas nécessairement complète. Certains stuporeux sont
seulement somnolents, mais peuvent encore participer à certaines
conversations simples ou travailler un peu. L'un de nos malades voulait
regarder quelque chose derrière une botte de foin, il alluma une allu-
mette à cet effet, ce qui enflamma le foin. Il s'était encore montré
capable, au cabaret, de mettre la main à la pâte en faisant ce que la
patronne lui ordonnait ; mais il n'était plus capable de penser suffi-
samment pour avoir de lui-même l'idée qu'il était dangereux de faire
du feu à proximité immédiate de paille et de foin, puis pour y apporter
la prudence nécessaire, et enfin pour éteindre le feu à son début.
Sans doute toutes les formes de stupeur, à l'exception peut-être de
celle que l'on appelle obnubilation, peuvent-elles se dissiper totale-
ment ou partiellement sous des influences psychiques. Si l'on touche
aux complexes des malades, on voit souvent une réaction nette soit
dans la tension musculaire, soit dans la vasomotricité. Donc, les ma-
lades perçoivent et élaborent encore. Le catatonique stuporeux de Rik-
lin (612) ne répondait qu'aux idées et ne lisait que les mots qui se
rapportaient très directement à ses souhaits pathologiques. Une malade
totalement figée et négativiste serre les dents dès que j e lui dis qu'elle
est trop maigre pour avoir volé de la nourriture, comme elle le soutient.
Une malade immobile éclate franchement de rire quand une autre
laisse tomber du beurre d'un papier. Des stuporeux peuvent tout à coup
jouer correctement aux échecs, faire des mouvements rapides en écri-
vant, jouer du piano, etc. Beaucoup peuvent être complètement « ré-
veillés » par les visites de leurs proches.
Sur le mutisme, qui est souvent décrit comme une manifestation par-
tielle de la stupeur catatonique, voir plus haut, p. 206.

3. L'hyperkinésie
Aux symptômes akinétiques que sont la stupeur et la flexibilité cireuse
s'opposent les hyperkinésies catatoniques. Elles ont été présentées par
l'école de Wernicke comme une maladie particulière comportant des
phénomènes psychomoteurs irritatifs. Mais la preuve qu'il ne s'agit pas
ici aussi d'une manifestation partielle de l'état psychique général de
la catatonie fait défaut jusqu'à présent ; les mouvements « pseudo-
spontanés » paraissent être, comme d'autres mouvements des catatoni-
ques, un assemblage composite de mouvements volontaires, de mouve-
ments automatiques et de mouvements stéréotypés. Comme ils compo-
sent souvent à eux seuls le tableau apparent de l'agitation catatonique,
on les décrira plus en détail avec les complexes symptomatiques aigus.

4. Les stéréotypies

La tendance des schizophrènes aux stéréotypies est l'une des manifes-


tations les plus frappantes, vue de l'extérieur. Nous rencontrons celles-
ci dans tous les domaines, celui du mouvement, de l'action, de
l'attitude, de la parole, de l'écrit, du dessin, de l'expression mimique
et musicale, de la pensée, du désir 106 .
On voit des malades frotter des décennies durant leur main droite contre leur
pouce gauche avec des mouvements énergiques et véhéments, d'autres, de
préférence avec un doigt mouillé de salive, effleurent table, bancs et murs,
suivent du doigt tous les bords des meubles et des murs, comme s'ils voulaient
épousseter ; d'autres frappent rythmiquement le bois de lit, tapent dans leurs
mains, font toutes sortes de manipulations sur leurs dents, etc. D'autres en-
core se déplacent d'une certaine façon, tapent du pied à un endroit précis,
se balancent comme dans un quadrille, opinent du chef, se tournent sans
cesse selon leur axe longitudinal, soit en position couchée, soit debout, ré-
pètent sans cesse les mêmes exercices de gymnastique. Parfois la stéréotypie
a l'apparence d'un acte volontaire : ils s'arrachent les cheveux, souvent selon
une forme donnée, si bien qu'il reste encore, par exemple, une bande de
cheveux sur la ligne médiane de la tête, ils s'enfoncent le doigt dans l'anus,
barbouillent d'une façon donnée, font de la charpie de leurs vêtements, ar-
rachent les boutons à force de les tourner.

Les stéréotypies d'attitude présentent un peu moins de variété, un très grand


nombre de catatoniques, paisiblement couchés dans leur lit en décubitus dor-
sal, et même latéral, tiennent leur tête soulevée au-dessus de leur oreiller,
position que le sujet sain ne peut maintenir longtemps sans fatigue ; ils se
recroquevillent sur eux-mêmes, restent assis ou debout, figés comme une sta-
tue égyptienne, tiennent leurs jambes écartées, une main à la joue avec une
position bien précise des doigts ; ils s'accroupissent dans leur bain dans la
position la plus incommode, de telle sorte que dépassent de l'eau leur tête,
exactement jusqu'au-dessus de leur commissure labiale, et en plus leur dos ;
ils fixent durant des semaines la même tache, souvent avec une position
oculaire extrême que le sujet sain ne pourrait tenir deux minutes.
La stéréotypie de lieu s'exprime de deux façons, soit que les malades choi-
sissent toujours le même coin de pièce, le même petit emplacement de jardin,

106. Das Verlangen : terme évoquant un désir impérieux, voire une exigence (NDT).
et conquièrent littéralement de haute lutte ce lieu s'il leur est contesté par
hasard ou intentionnellement, soit qu'ils fassent toujours les mêmes bizarre-
ries à un endroit déterminé, par exemple frapper toujours trois fois contre le
mur en passant à un endroit donné du couloir.
Des actes qui ne sont pas absurdes en soi sont répétés sans relâche, toujours
avec une similitude photographique. Le malade entre dans son lit et en sort
toujours exactement de la même façon et à la même place ; en marchant dans
le jardin, il décrit le même cercle ou le même carré, si bien qu'on est en
permanence forcé d'aplanir sa trace ; des années avant que sa maladie ne
devienne manifeste, un médecin fit un creux profond dans le parquet de bois
dur de sa chambre à force de tourner sur ses talons exactement à la même
place ; les murs et les meubles des asiles présentent souvent les traces de
tels actes stéréotypés.
Très souvent, naturellement, les différents types de stéréotypies s'associent
au sein de configurations complexes. Tandis qu'elle tricote, la patiente est
assise à une place donnée, avec une orientation et une position précises ;
lors de l'interruption du travail, elle va dans le corridor et s'y poste, front
contre la porte de la salle à manger, jusqu'à ce que le repas soit servi, puis
elle mange celui-ci d'une façon également bien particulière.
Les mouvements mimiques peuvent aussi être stéréotypés. L'un ricane, l'autre
fait un visage triste, et peu importe son humeur. Des beuglements, des cris
et des glapissements stéréotypés ont souvent la même signification ; il en va
de même de la protrusion des lèvres (« spasme en groin »). Les stéréotypies
musicales peuvent également être citées ici ; une malade joua des années
durant, souvent des milliers de fois de suite, tantôt un certain trille, tantôt
encore un petit air de peu de notes. Plus fréquemment, la même chanson ou
le même passage d'une chanson ne cesse d'être chanté, d'une voix désagréa-
blement criarde par un malade, discrètement par un autre. N'importe quelle
mélodie connue ou inventée par le malade peut être greffée sur tous les textes
possibles, et même sur les réponses à des questions ; il peut en aller de
même d'un rythme que le malade conserve en parlant.
La plupart des malades graves ont, pour autant qu'ils parlent, tendance à
réutiliser sans fin les mêmes formules à des passages soit adéquats, soit ina-
déquats. Parfois, sans la moindre cohérence, voire même sans nulle intention
de communiquer, les mêmes mots et phrases sont proférés d'innombrables
fois de suite sur le ton habituel, ou bien en criant, en chuchotant ou en
chantant ; l'expression d'affect est, ce faisant, souvent absente ; si elle est
présente, elle est généralement tout à fait artificielle, exagérée, inadéquate
au contenu du discours (verbigération). Ainsi un patient ne cessait-il de ré-
péter la phrase : « Tu extorques le droit du Sauveur », et un autre : « I thank
you, Sir ». Certaines patientes usent mal à propos du mot « amour » pour
verbigérer ; des combinaisons de sons complètement dépourvues de sens,
telles que « gekreuzigter Krex in e Umkrexhaus » (Kraepelin), ne sont pas
rares. Généralement le contenu n'est pas stéréotypé dans ses moindres dé-
tails ; une malade cite les noms de ses enfants, un catatonique des noms de
localités dans le désordre le plus complet. Fräulein Müller compte : « 21
Herr Müller, 22 Herr Müller », etc. Une autre compte d'une voix sonore : « 1
fois 4 fait 90, 2 fois 3 fait 7, 2 fois 1 fait 24, 2 fois 2 fait 28 », et. Un autre
dit à mi-voix : « a, o, u, e, e, a, u, e, a, o », etc., avec diverses variantes ;
une autre : « je pense, je veux » et, entre deux, elle conjugue le présent
d'aimer. Parfois, les gens progressent tout de même un peu dans le thème
abordé : « bababababa, s, s, s, s, ce sont des gens bien, s, s, s, s, ce sont
des gens bien, gens bien, gens bien, gens bien, bababababa, hmhmhmhm
mais j'ai dormi, mais j'ai dormi ... et qu'est-ce que c'est que ça, qu'est
ce que c'est que çaçaçaçaçaça ? babababa . » Une de nos malades faisait
chaque jour, des heures durant, des variations sur l'un d'entre quelques
thèmes peu nombreux, par exemple « concierge », décrivant alors tous les
gardiens d'immeubles qu'elle connaissait, les détails de leur loge, etc.
La verbigération aussi peut se combiner à d'autres stéréotypies, comme chez
le malade de Neisser qui verbigérait « prends pitié » et inclinait à chaque
fois le tronc en avant et en arrière.
Sans doute ne peut-on pas ranger dans la verbigération des stéréotypies du
langage telles que celles qui suivent : insertion de mots stéréotypés (« Es-tu là,
cher petit protecteur, plumps, es-tu là ? plumps »), ou même seulement de sons
quelconques, qui ne font pas nécessairement partie du langage (une de nos pa-
ranoides faisait suivre d'un grognement chaque son permettant une pause
dans l'élocution). Il s'agit d'autre chose encore quand un patient ne répond
à toutes les questions que par le mot « beau », sur des tons divers. Des excla-
mations qui ne sont pas répétées aussitôt à la suite sont également amenées
sur le tapis de façon stéréotypée et tout à fait indépendante de leur sens. Ainsi,
une malade dit-elle à chaque instant, depuis trente ans, « Je ne me sens pas
bien », aussi bien en signe de joie que pour exprimer quelque chose de dé-
sagréable, ou encore alors que son humeur est apparemment tout à fait in-
différente ; parfois, elle en traduit une partie en une autre langue (well, bene).

La verbigération par écrit présente les mêmes caractéristiques que la verbi-


gération par oral. Des mots, des phrases, des lettres sont répétés à l'infini,
avec ou sans variations, et qu'ils aient un sens ou non. Mais il s'y ajoute de
surcroît toutes sortes de fioritures mises sur les lettres ou indépendantes de
celles-ci ; les catatoniques, notamment, aiment jouer avec les signes de ponc-
tuation, combinant un certain nombre de points avec des tirets, en formant
des figures géométriques sans cesse renouvelées, etc. Des écrits entiers peu-
vent être réalisés en grand nombre de façon si exactement identique que, si
on les superpose, les diverses lettres se recouvrent (Antheaume).

Les dessins tendent également à la stéréotypie. Ils traitent volontiers un seul


et même thème, le réduisant au point d'en être incompréhensible, soit qu'd
s'agisse de simples fioritures, souvent formées de toutes sortes de traits en-
trelacés, soit que des figures ou d'autres représentations aient la préférence.
Un peintre peignait avec quelque habileté un nombre incommensurable de
jeunes filles nues exagérément minces dans une crevasse rocheuse, sans ja-
mais dévier de ce thème.
Il faut distinguer des stéréotypies du langage celles des idées et des souhaits,
qui s'expriment ensuite par le langage aussi, naturellement. Sans doute peut-on
ranger ici les demandes de sortie, souvent devenues totalement automatiques,
qui se répètent quotidiennement sous une forme identique, et auxquelles nombre
de malades n'attendent absolument pas de réponse. C'est la même chose quand
une malade réclame chaque jour que nous fassions une fête dans le parc,
bien qu'elle puisse se douter que ceci, abstraction faite d'autres obstacles,
est, par exemple, totalement impossible en hiver. Il est moins compréhensible
qu'un patient réponde pendant longtemps à toute question par la question en
réponse : « Ne serait-il pas bien de mettre un emplâtre au goudron ? »
La stéréotypie des idées est souvent si importante que les malades sont inca-
pables de penser à autre chose qu'à une ou très peu d'idées. Quand un mé-
decin catatonique prescrit toujours le même traitement dans les indications
les plus diverses, cela fait sans doute partie de ce symptôme.
La stéréotypie des hallucinations attire notamment l'attention dans le domaine
auditif, les patients étant forcés d'entendre des milliers de fois les mêmes
mots, les mêmes injures.
Les stéréotypies n'ont pas toujours une origine interne, sans motif ex-
térieur ; lors de récits, des sites complexuels des malades en sont sou-
vent marqués ; ainsi, pendant des années, une malade catatonique
fit-elle, non seulement quand elle suivait le cours de ses pensées mais
aussi au cours de la conversation, certains mouvements circulaires des
bras qui signifiaient qu'elle possédait de nombreux millions.
Le comportement des malades à l'égard des stéréotypies est très varié.
La plupart se comportent comme si leurs stéréotypies allaient de soi.
Certains cherchent en vain à les réprimer. Des patients qui travaillent
interrompent leurs stéréotypies pendant le travail ; d'autres cherchent
à combiner stéréotypies et travail ; d'autre encore interrompent leur
travail pour exécuter des mouvements.
Si on les questionne directement, on n'obtient que très exceptionnelle-
ment des renseignements sur la raison pour laquelle les malades font ces
mouvements. Les malades allèguent un motif quelconque : « pour avoir
une occupation », « pour sauver la religion », etc, ou bien ils refusent
de répondre. Mais de telles informations mettent très fréquemment au
jour toutes sortes de symptômes complexuels : un malade complètement
torpide, qui n'avait présenté aucune réaction vive durant des mois,
répond à la question de savoir pourquoi il a sans arrêt ses doigts sur
son visage : « c'est une coutume que j'ai », et ce beaucoup plus promp-
tement qu'un sujet normal, et avec des signes visibles d'excitation. De
telles questions provoquent fréquemment aussi du négativisme.
Les stéréotypies ont une grande emprise sur l'ensemble de l'esprit. Non
seulement parce qu'elles peuvent rendre impossibles d'autres actes et,
souvent, amener le patient à conserver les positions les plus inconfor-
tables ; elles peuvent aussi s'imposer aux dépens de l'intégrité du
corps : alors même que la circulation est relativement bonne, le main-
tien de la même position peut entraîner des oedèmes déclives ; il est
souvent difficile de préserver de plaies et d'infections sévères les pa-
tients qui frottent toujours la même zone cutanée. Des femmes qui ne
cessent de tenir en l'air leur tablier ou leur robe avec leurs derniers
doigts sont parfois atteintes de contractures de Dupuytren ; et à
l'époque où l'on avait coutume d'abandonner plus les patients à eux-
mêmes, des contractures des jambes n'étaient pas rares quand les ge-
noux étaient maintenus à proximité du menton.

Comme il ressort déjà des quelques exemples cités, les stéréotypies ne


sont nullement totalement immuables. Elles peuvent être modifiées par
des influences extérieures, voire même s'adapter aux circonstances.
Une patiente avait coutume, quand une personne de sexe masculin
entrait dans la section, de chanter à d'innombrables reprises sur une
mélodie de sa composition, et pas vilaine du tout : « Oh quel beau
Monsieur le Curé superbe ! » Un jour où j'arrivais de la rue, avec des
chaussures sales, elle chanta : « Quel beau Monsieur le Curé sale ! »
Très souvent, des mots qui ont été prononcés dans l'entourage, ou évo-
qués sur le plan conceptuel, s'amalgament aux stéréotypies initiales.
Des mots évoqués par des associations fortuites peuvent aussi s'y in-
sérer : « Alléluia (5 fois), holla, holla, holla ; oh la, oh la, qu'est-ce
qu'il y a eu ».

Des souhaits qui s'expriment dans la verbigération peuvent aussi


s'étendre et trouver également à s'exprimer.
C'est l'abréviation progressive de la stéréotypie qui est plus fréquente.
Des mouvements qui ont d'abord un sens correct, comme l'imitation
du cordonnier cousant, le balancement de la danse, sont écourtés jus-
qu'à en devenir méconnaissables ; « heimgehen 107 » devient au bout de
quelque temps « hei », puis seulement « ei », « ei 1 0 8 » ; un récit entier,

107. Heimgehen : rentrer chez soi.


108. Rappelons que le h est aspiré en allemand (NDT).
qui décrit un voyage pour aller voir le bien-aimé, peut se réduire fi-
nalement à un son étouffé, à peu près tel que « hm ».
r T .. 109
5. Les manieres

De nombreux patients prennent certaines poses. Celui-ci déambule les


bras croisés, dans la posture d'un premier ministre dont il a vu un
portrait ; cet autre imite Bismarck jusque dans son écriture ; la plupart
se contentent, d'une façon plus générale, de mimer quelque chose de
particulier dans leur maintien, leur mimique et leur habillement, dans
leur langage et dans leur écriture, les uns s'y tenant de façon consé-
quente pendant des décennies, les autres sortant sans cesse de leur
rôle. Presque toujours, ce comportement a quelque chose d'artificiel,
de forcé, il reste inadapté à l'occasion et aux circonstances, insuffi-
samment modulable. Aussi les manières deviennent-elles presque tou-
jours caricaturales.

Mais la plupart des manières nous sont devenues totalement incompré-


hensibles. Tout ce qu'il est possible de faire peut être modifié dans le
sens du maniérisme schizophrénique, sans qu'on puisse en percevoir
le motif.
La démarche devient différente ; un patient d'asile encore très intelligent et
diligent ne se déplace jamais qu'au pas de course ; toilette, habillage sont
faits autrement que par les gens sains. Lors des repas, la cuiller n'est tenue
que par le bout, ou à l'envers, par le creux ; avant de prendre une bouchée,
tel malade tape trois fois sur son assiette ; les aliments sont pris sept fois
sur la fourchette et rejetés dans l'assiette avant d'être mis dans la bouche.
Telle malade tourne trois fois autour de la chaise percée avant de s'y asseoir.
Chaque fois qu'il pose une brique, un maçon fait au-dessus d'elle un mou-
vement des deux mains comme pour l'enlever.
En dehors du repas, c'est le langage qui fournit la meilleure occasion de
manières. Si l'on fait totalement abstraction du pathos du genre le plus divers,
les malades parlent en style télégraphique, par infinitifs, par diminutifs ; ils
usent de mots étrangers avec une intonation affectée, ajoutent un « -io » ou
un « -ismus » à tous les mots ; ils scandent, parlent rythmiquement, écrivent
en rimant. Durant bien des années, une de nos malades n'ouvrit pas les lèvres
en parlant, et il lui était totalement indifférent que personne ne la comprît.
La voix est modifiée ; pendant dix ans, je n'ai jamais entendu l'une de mes
catatoniques parler autrement qu'avec une voix de fausset ou d'un ton forcé.

109. Les manières sont des remaniements frappants d'actes ordinaires. Ziehen les a appelées
« stéréotypées de remaniement ». Mais toutes les manières ne se stéréotypent pas nécessai-
rement (NDA).
Les manifestations proprement expressives sont également altérées. On ren-
contre tous les gestes affectés possibles ; les malades hurlent, criaillent, piail-
lent aux moments les plus inopportuns. La main est tendue à l'envers, ou
toute raide, ou seul le petit doigt est tendu pour saluer ; ou bien la main est
avancée rapidement et aussitôt retirée. Haussements d'épaules, grimaces de
toutes sortes, mouvements étranges de la langue et des lèvres, mouvements
des doigts, mouvements brusques sont cause de ce qu'on a aussi parlé, mais
à tort, de mouvements choréiformes et tétaniformes dans la catatonie. Par
contre, certains de ces mouvements ne peuvent sans doute pas être nettement
distingués de tics.

6. Le négativisme

On rassemble sous le nom de négativisme une série de symptômes qui


ont tous en commun le fait qu'une réaction dont on aurait pu attendre
qu'elle ait un sens positif se déroule dans un sens négatif: les malades
ne peuvent ou ne veulent rien faire de ce qu'on attend d'eux (négati-
visme passif), ou bien ils font le contraire, ou du moins quelque chose
d'autre (négativisme actif ou contraire).

Quand les malades devraient se lever, ils veulent rester au lit ; quand ils
devraient rester au lit, ils veulent se lever. Ils ne veulent, sur ordre ou confor-
mément au règlement de l'asile, ni s'habiller, ni se déshabiller, ni venir aux
repas, ni partir après les repas, bref, ils s'opposent à tout et à chacun, et
c'est pourquoi cela les rend fort difficiles à traiter 110 . Ils refusent l'ali-
mentation normale mais mangent voracement ce qu'ils obtiennent de façon
illégitime, par exemple ce qu'ils peuvent enlever aux autres. Ou bien encore
ils ne mangent qu'en cachette, ou uniquement à des moments indus. Ils se
plaignent de la nourriture, mais à la question de savoir ce qu'ils voudraient
ils ne sont capables de répondre que « Quelque chose d'autre, mais en tout
cas pas ce qu'on a ». Ils ne vont pas spontanément au cabinet ; si on les y
conduit, ils ne font pas leurs besoins, mais souillent leur lit ou leurs vête-
ments aussitôt qu'ils sont sortis du lieu qui convient à ces fonctions. Us se
détournent quand on leur parle, ferment leurs yeux ; une patiente les fermait
si fort qu'à chaque fois la paupière supérieure était en éversion partielle,
alors que d'habitude on ne pouvait noter d'anomalie de cette paupière. Les
patients répondent à « bonjour » par « adieu », font leurs travaux à l'envers,
cousent les boutons du mauvais côté des vêtements, mangent leur soupe avec
la fourchette ou la cuiller à dessert et le dessert avec la cuiller à soupe, ne
cessent de s'asseoir à une place qui n'est pas la leur, vont dans tous les lits
et pas seulement dans le leur, appellent nos enfants par leur second prénom,
qu'ils ont péché on ne sait où, au lieu de leur prénom usuel. Un hébéphrène

110. Les Anglais parlent d'une " m u l i s h resistiveness" (INDA).


devait scier du bois : il va chercher du bois coupé ; ensuite, il doit aller
chercher du bois coupé : il le prend dans le mauvais tas ; il doit descendre
la rampe : il refuse, puis saute soudain en bas par-dessus la rambarde.
La rigidité musculaire, mentionnée plus haut, qui maintient de façon stéréo-
typée (ou plus rarement passagère) contre toute influence une position une
fois adoptée, est également une manifestation partielle de négativisme.
Beaucoup vont au-delà de la résistance passive et se défendent de toutes
leurs forces contre toute intervention, souvent en pestant et frappant. Des
riens qui vont de soi les mettent dans la plus grande fureur si on les leur
demande. En tout état de cause, il est aussi des cas, pas si rares que cela,
où les malades mordent, griffent et frappent en riant, ou bien suivent le mé-
decin auquel ils s'opposent en arborant une mine aimable, prouvant ainsi
qu'ils n'ont en fait rien contre lui mais que le négativisme ne s'exerce que
contre ce qu'on leur demande. Ils refusent, tout en faisant une réflexion dé-
sobligeante, de tendre la main pour saluer, mais tendent en même temps au
médecin la tasse dans laquelle ils boivent afin qu'il la leur tienne.
Dans certains cas, les malades font avec une telle constance le
contraire de ce qu'on souhaite d'eux qu'on peut se servir de cela pour
les diriger (« négativisme sur ordre »). La femme d'un malade avait
érigé cela en système, et même pour faire les promenades qu'elle sou-
haitait, elle proposait toujours la direction opposée, et pouvait alors
être certaine qu'il ferait ce qu'elle voulait en fait. Dans les asiles aussi,
il est souvent possible d'amener les malades à accomplir une action
en la leur interdisant. S'ils doivent venir au repas, on leur dit : « N'allez
pas manger » ; s'ils doivent avancer, on cherche à les pousser légère-
ment en arrière, etc. Il s'agit d'une utilisation un peu moins critiquable
du négativisme si, au cas où un changement de place est nécessaire 1 1 1 ,
on fait reculer le patient sur une courte distance, ce à quoi il s'entend
souvent mieux qu'à avancer.

On obtient fort peu d'informations des malades négativistes quand on


leur pose des questions. Ils se voilent dans le silence, commencent à
pester ou donnent des réponses à une question qu'on ne leur a pas
posée ; une de nos malades avoua ne pas répondre précisément ce que
nous voulions savoir, quand elle s'en rendait compte. D'autres usent
d'échappatoires ; ils ne peuvent pas répondre parce que cela a trait à
une affaire ridicule, ou délicate. Très caractéristique est la négation
« à tout prix 112 » chez une malade qui, à une question sur son nom,

111. Bei notwendiger Dislokation : sens de dislozieren, Dislokation particulier à la Suisse


a l é m a n i q u e (NDT).
112. En français dans le texte.
répondit : « Je ne m'appelle pas comme ça ». Un patient répond à des
questions renouvelées sur l'année depuis laquelle il est persécuté :
1. « Depuis un procès au cours duquel j'ai perdu beaucoup d'argent » ;
2. « j'en ai eu beaucoup » (sous-entendu : des procès) ; 3. « j'y ai laissé
plus de 8 0 0 Marks », etc.

Le négativisme est aussi l'une des causes des réponses à côté schizo-
phréniques.

Souvent, des questions qui touchent aux complexes reçoivent d'abord, sans
réflexion, une réponse négative, et ce même quand celui qui est interrogé
n'a absolument aucun motif conscient de ne pas répondre correctement et
fournit bien volontiers des renseignements après coup. Mais nous rencontrons
aussi ce symptôme chez des schizophrènes non négativistes et, dans une moin-
dre mesure, chez des sujets sains. Il y a dans bien des complexes quelque
chose qui complique leur exploration, et donc simule le négativisme, ou en-
core le favorise.

Des malades qui ne répondent pas par négativisme réagissent parfois à des
questions qui sont posées à d'autres ; elles donnent par exemple le nom de
leur propre mari quand une de leurs voisines devrait dire le nom de son
époux à elle.

Le négativisme ne peut être surmonté grâce à des exhortations que


dans les cas les plus bénins ; dans les cas relativement marqués, les
patients n'en deviennent que plus récalcitrants. L'ignorer et attendre
est bien préférable en fait. Souvent, ce qui a été demandé est fait dès
que le temps de latence convenable s'est écoulé. Les patients retirent
leur main quand on veut les saluer, pour la tendre d'un mouvement
brusque si l'on s'adresse à d'autres malades, mais de telle façon, ce-
pendant, que la surface de contact offerte soit la plus limitée possible
ou que la main passe à côté de son but. De même, ils ne nous four-
nissent de réponse ou ne veulent se mettre à parler que quand on est
sur le point de quitter la pièce ; ils ne font pas leur travail si on le
leur demande, mais y vont spontanément si l'on ne dit rien. Un méde-
cin, encore en fonctions actuellement, ne put un jour se résoudre à
monter dans le tramway malgré toutes les invites du contrôleur, pour
ensuite courir après lui une fois qu'il se fut mis en mouvement. D'une
façon générale, quand on peut céder l'on voit souvent le négativisme
disparaître. On n'a parfois besoin que d'ouvrir les portes pour voir des
malades qui ne veulent pas rester dans une pièce quand on le leur
prescrit ne pas en sortir, ou y revenir presque aussitôt.

Parfois cependant ni attendre ni céder n'ont de résultat, même chez


des malades apparemment peu atteints. Il est des cas où le négativisme
cherche littéralement toute occasion de s'exercer et dégénère en une
chicanerie extrêmement déplaisante.
De tels malades se refusent par tous les moyens à manger, à se lever, à se
promener ; mais ils se plaignent, non seulement à des étrangers mais même
au personnel de l'asile, de ne rien recevoir à manger, de ce qu'on les force
à rester au lit, de ce qu'on leur interdit de se promener. Une malade, qui
était devenue sourde mais pouvait fort bien parler, écrivait tout ce qu'elle
avait à dire mais ne voulait pas qu'on lui réponde autrement que par oral,
ce qui rendait généralement la conversation impossible. Elle cachait partout
où elle le pouvait ses mouchoirs et ceux d'autres patientes et se plaignait
ensuite auprès de toutes les instances de ce que les infirmières lui volaient
ses mouchoirs. Elle réclamait des bains d'une température exceptionnelle et,
quand elle les obtenait, vociférait qu'on avait voulu la brûler ou qu'on l'avait
plongée dans de l'eau très froide pour lui faire du mal. De telles choses
furent pendant des années sa principale occupation. Ce qui rend ces cas
particulièrement difficiles, c'est qu'ils s'entendent à se montrer aux tiers sous
leur meilleur jour, si bien qu'ils trouvent créance partout.

Je n'ai pas encore pu déterminer dans quelle mesure le négativisme


altère, dans de tels cas, la pensée et les connaissances du patient.
Mais sûrement tiennent-ils eux-mêmes une partie au moins de leurs
plaintes pour vraies ; peut-être la conscience de l'injustice leur fait-elle
défaut.

Et il existe aussi des processus qu'il nous faut ranger dans le négati-
visme et dans lesquels ce n'est pas le monde extérieur mais les aspi-
rations et les sentiments du malade lui-même qui sont niés
(« négativisme interne »). Le symptôme bien connu selon lequel on
considère toujours comme incorrect ce qu'on a obtenu et fait se ren-
contre très fréquemment et de façon très exagérée chez les schizo-
phrènes négativistes. Voici une malade qui a œuvré à ses fiançailles
avec toute son ardeur ; une fois qu'elle les a menées à bien, elle se
reproche d'avoir agi de façon précipitée, et sa maladie devient alors
manifeste. Un hébéphrène « ne sait pas, quand il est dehors, pourquoi
il est sorti, et, quand il est à l'intérieur, pourquoi il est resté à l'inté-
rieur ». Il se dit : « Voilà que ce veau est encore dedans, au lieu d'être
dehors ». Quand la porte est ouverte, il la regarde fixement ; quand
elle est fermée, il s'irrite de ne pas avoir profité de cette bonne occa-
sion de sortir. Le même symptôme peut aussi s'exprimer sous forme
de compulsion : une malade, quand elle a tricoté un ouvrage donné,
doit le défaire ; ou encore le malade « dit toujours ce qu'il ne veut pas
dire » ; aussi certains en arrivent-ils à récuser aussitôt après ce qu'ils
viennent d'affirmer : « Ich muss das verrujenieren und nicht verke-
geln » (expression néologique 113 ) ; « ich muss das verkegeln und nicht
verrujenieren ». « Je suis monsieur le papa et non madame la maman ;
j e suis madame la maman et non monsieur le papa ». Ou encore : « Je
suis venu au Burghôlzli pour avoir un certificat. Non, je ne veux pas
de certificat, absolument pas ». Dans les deux premiers cas il s'agissait
d'une verbigération, et dans le dernier d'un entretien qui aurait dû
exprimer les souhaits du patient. Dans les deux cas les patients par-
laient énormément de cette manière (négativisme intellectuel, voir aussi
ambivalence intellectuelle).

Parfois, le négativisme interne se manifeste sous la forme d'une diver-


gence entre la parole et l'action, par exemple quand une patiente (qui
a déjà mangé) s'assied à la place d'une autre, dit à l'assistance : « Vous
n'avez pas besoin d'avoir peur, j e ne vais rien prendre », et en même
temps se met à manger.

Il ne faut pas considérer comme du négativisme interne l'antagonisme qui


existe entre les diverses personnalités qui coexistent chez le patient, bien
que ces deux phénomènes aient naturellement bien des points communs. Un
patient dit : « J e suis le Bon Dieu lui-même, au Ciel » ; puis il rectifie :
« N'écris surtout pas ça, c'est un sacré mensonge, que je suis le Bon Dieu ».
Dans ce cas, un meilleur discernement, ou encore la part normale du patient,
succède à l'idée délirante et détermine ainsi la contradiction.

Le négativisme interne se transfère aux hallucinations : les Voix disent


en permanence aux malades le contraire de ce qu'ils devraient faire,
même selon leur propre opinion. Ou, si les malades font quelque chose,
les Voix le leur interdisent, ou du moins disent que ce n'est pas bien ;
si les malades obéissent alors à la Voix, ce n'est pas bien non plus.
Certains, pas encore totalement indifférents, sont poussés au désespoir
par ce phénomène. Un technicien appelait ces Voix les « Voix plus et
moins ».

Le négativisme interne peut aussi se manifester dans l'activité, si bien


que les malades ne peuvent absolument pas faire ce qu'ils veulent
(« contre-volonté » de Kraepelin). Ils vont à la chaise percée, même
de leur propre mouvement, mais n'y font pourtant pas leurs besoins,
tandis qu'ils les font ensuite, dans leur lit. Ils voudraient manger un
plat donné, qui se trouve sur la table, mais ne peuvent le prendre. Une
malade doit lire à haute voix ; elle se donne visiblement du mal pour
ce faire, mais ne peut ouvrir la bouche et se retrouve avec une contrac-

113. I n t r a d u i s i b l e (NDT).
ture pharyngée. De cette façon, certains négativistes semblent incapa-
bles de certains actes si quelqu'un contre qui le négativisme s'exprime
les observe, de même que des sujets sains ne peuvent mener à bien
certaines choses en présence de spectateurs.
Parfois, le trouble négativiste du langage a un siège plus central, si
l'on peut s'exprimer ainsi ; les organes phonatoires obéissent correcte-
ment aux influx, mais des propos négatifs sont tenus contre la volonté
du patient, si bien que c'est le contraire de ce qu'il veut dire qui est
prononcé. Une malade devait monter sur le podium pour la présenta-
tion. Elle ne cesse de protester qu'elle ne veut pas y « descendre ».
Mais dans certains cas des formulations négatives sont utilisées là où,
sur le plan formel, de positives seraient adéquates, sans que le sens
en soit changé.

Une catatonique disait, par exemple, « pas vilain » au lieu de beau. Au bout
de quelque temps, « pas vilain » revêtit pour elle un sens global positif ; elle
dit alors, au lieu de vilain, « pas pas vilain ». Cette expression se figea ra-
pidement, elle aussi, en une formule dans laquelle elle ne percevait plus la
négation, et beau devint alors « pas pas pas vilain ». Quand l'affaire se pour-
suivit encore (non seulement pour cette expression, mais pour d'autres en-
core), la malade s'embrouilla un peu, utilisant un nombre pair au lieu d'un
nombre impair de négations s'annulant les unes les autres, ou l'inverse, ou
n'arrivant plus du tout à s'y retrouver ; elle accusa alors son entourage de
l'embrouiller.

Souvent, la « contre-volonté » ne produit pas exactement l'acte opposé


à celui qui est voulu ; point n'est besoin qu'elle entrave totalement
l'activité en tant que telle. Elle a souvent pour seul effet que ne puisse
être fait ce que le patient veut précisément, mais quelque chose d'au-
tre, à la place, si bien que se constitue un tableau apparent d'apraxie
(au lieu de peigner ses cheveux, le patient passe le peigne sur ses
habits). Je ne suis pas à même de distinguer nettement nombre d'actes
de ce genre d'une apraxie organique. Il m'est tout aussi impossible,
dans certains cas, de faire la part du négativisme et celle de l'obnu-
bilation et de la stupeur émotionnelle (voir chapitre « obnubilation »).
Mais j e suis convaincu que tous ces facteurs peuvent concourir.

Des cas dans lesquels seule une partie des muscles travaillent dans le
sens de l'action voulue, tandis que d'autres grèvent le résultat ou l'em-
pêchent par une contraction contraire, représentent une transition entre
le négativisme commun et de tels symptômes pseudo-apraxiques. Le
malade de Meschede, quand il voulait diriger son regard vers la gauche,
ne tournait que la tête dans cette direction, et les yeux de l'autre côté.
J'ai souvent vu la même chose, en réponse à l'invite à jouer du piano.
Les patients se mettaient à faire le mouvement nécessaire avec leurs
bras, souvent avec beaucoup d'élan et une énergie évidente, mais ils
fléchissaient en même temps leurs mains au maximum vers le haut, si
bien que, malgré tout, les doigts n'entraient pas en contact avec les
touches.
Le négativisme intellectuel peut même s'étendre à l'appréhension de
l'environnement, à l'orientation. Ainsi un malade prétendait-il que le
Zurichberg était autrefois situé à l'ouest et l'Uetli à l'est (en réalité,
ces deux monts sont inversement situés).

On ne peut déceler d'affect précis (« le refus » de Gross) qui soit à la


base du négativisme. Le négativisme peut apparaître quel que soit le
type d'affect manifeste. Nous le rencontrons dans les agitations mania-
ques et dans l'euphorie indifférente des schizophrènes tout aussi bien
que dans la dépression ou dans l'humeur inaffective. Mais, naturelle-
ment, l'irritation et la colère sont très fréquemment tant le fondement
que la conséquence du négativisme.

Les réflexions ne jouent pas non plus de rôle primaire dans les phé-
nomènes négativistes. Si des idées délirantes ou des points de vue
erronés sont cause du refus, on ne se trouve pas en présence d'un
négativisme mais d'un comportement normal dans des conditions anor-
males. Cela n'empêche pas que les actes négativistes se voient souvent
motiver par des idées délirantes. Souvent, naturellement, idées déli-
rantes et négativisme s'influencent et s'exacerbent réciproquement.

Le caractère instinctif du négativisme, son indépendance de l'intelli-


gence se manifeste aussi, comme le souligne Bernstein (p. 563), en ce
qu'il fait peu de différence entre les interventions agréables et désa-
gréables, utiles et nocives. Même le négativiste assoiffé s'irrite de ce
qu'on lui apporte à boire.

Aussi les malades ne peuvent-ils généralement pas fournir de bonnes


raisons à leur comportement négativiste ; ils usent parfois d'échap-
patoires qui ne sont produites qu'ad hoc, qui varient si l'on demande
plusieurs fois la même chose, et qui, à tout coup, ne peuvent expliquer
que des cas précis, mais jamais l'ensemble de leur comportement. La
motivation par des Voix n'est naturellement pas suffisante, parce que
nous ne faisons là qu'être confrontés au même problème : pourquoi les
Voix sont-elles négativistes ? La motivation par des idées délirantes
est, elle aussi, visiblement insuffisante dans de très nombreux cas. Et
d'abord, on peut demander ici aussi pourquoi les idées délirantes sont
négativistes. Mais en second lieu les idées délirantes et prétextes al-
légués ne sont généralement absolument pas à même de fournir une
explication suffisante, en partie parce qu'un sujet normal ne réagirait
pas de façon négativiste aux mêmes idées, et en partie parce que les
malades n'agissent même pas en fonction de ces idées délirantes. Une
malade refuse de se baigner, arguant que son corps est propre et qu'elle
ne s'est jamais lavée ; une autre ne veut pas manger parce que sinon
elle ne connaîtra pas la béatitude, mais elle mange tout ce qu'elle peut
trouver en cachette. Il n'en va pas mieux dans les cas où les malades
disent qu'ils n'ont pas le droit d'agir autrement. Là encore, le véritable
symptôme est toujours le négativisme, seul à même de motiver le type
et le contenu des autres phénomènes.
Si inabordables que paraissent nos cas fortement négativistes, dans les
asiles, même le négativisme le plus marqué n'est pas quelque chose de
complètement figé. Il est généralement plus grand vis-à-vis de certaines
personnes que d'autres ; certains malades ne montrent leur négativisme
que dans leurs rapports avec les médecins de l'asile, d'autres incluent
aussi le personnel infirmier, ou ne visent que lui ; d'autres patients,
des proches et, notamment, des inconnus peuvent souvent avoir pen-
dant une courte période des relations relativement normales avec des
malades qui, par ailleurs, refusent tout pendant des années. Une rela-
tion très étroite du négativisme avec les complexes se manifeste avec une
particulière netteté. De nombreux malades ne sont nullement inhibés
au cours d'une conversation, jusqu'à ce qu'un complexe soit abordé,
puis le négativisme apparaît, avec ou sans barrage, et l'on ne peut plus
rien faire avec eux ce jour-là, souvent pendant assez longtemps. Mais
le comportement inverse n'est pas rare non plus, les patients étant
négativistes puis s'ouvrant quand on aborde leur idées directrices et
demeurant alors très accessibles, transitoirement seulement en général,
il est vrai.

7. L'automatisme sur ordre et l'échopraxie


Le contraste est extrême entre le négativisme et l'automatisme sur or-
dre. Certains malades obéissent plus ou moins mécaniquement aux in-
citations qui proviennent d'une façon quelconque de l'extérieur, et
parfois ils ne sont absolument pas capables de résister à de telles
suggestions, même s'ils le souhaitent. Des ordres donnés péremptoire-
ment sont souvent exécutés aussitôt, même par des malades habituel-
lement récalcitrants. Il doit toutefois s'agir de choses simples, comme
se lever de table, s'habiller ; on ne peut contraindre de cette manière
à un travail durable, une rédaction, etc. De tels malades donnent éga-
lement suite à des mises en demeure désagréables : ainsi des patients,
même non analgésiques, tirent-ils la langue de façon répétée, bien
qu'ils sachent qu'on va la piquer avec une aiguille.

Kraepelin range aussi la flexibilité cireuse dans l'automatisme sur ordre.


Nous l'avons décrite dans un autre contexte, entre autres raisons parce
que des symptômes cataleptiques peuvent également apparaître sans
que l'idée qu'il devrait maintenir une position donnée ait besoin d'être
suggérée au patient. Il est vrai que l'ordre d'accomplir une action n'a
pas non plus besoin d'être expressément donné, dans l'automatisme sur
ordre. La composante motrice qui réside en toute idée suffit souvent à
entraîner l'exécution. Ainsi une de nos catatoniques fermait-elle les
yeux quand elle entendait parler de sommeil, et les manifestations par-
tielles les plus nettes et les plus fréquentes de l'automatisme sur ordre
sont Véchopraxie et Vécholalie, l'imitation de sensations dont la percep-
tion est totalement indifférente. Des patients chroniques légèrement
obnubilés, ou souvent aussi totalement lucides, imitent, généralement
sans le moindre but, donc sans faire non plus d'opposition, les actes
les plus divers qu'ils voient exécuter par autrui : mimiques, mouvements,
cris, mots. C'est pourquoi ce symptôme peut devenir fort déplaisant
dans les sections. Dans un asile où les malades étaient fort indiscipli-
nés, j'ai vu à de nombreuses reprises, si une malade jetait une assiette
lors du repas, une demi-douzaine de pièces de vaisselle voler à travers
les airs à l'instant qui suivait. Les cris et les bagarres sont des stimu-
lus ; un seul patient agité peut rendre toute une section également
bruyante. Les gestes et stéréotypies étranges d'un malade sont imités
par d'autres ; von Murait mentionne une catatonique qui en copiait sans
cesse une autre, pendant des années. Les malades répètent les ques-
tions qui leur sont posées. Dans d'autres cas, ce sont notamment des
mouvements attirant l'attention, par exemple parce qu'ils sont exécutés
de façon brusque, qui sont imités. Pour les besoins de l'expérience,
on lève brusquement un bras en l'air ou l'on tourne ses mains l'une
autour de l'autre afin d'être imité par le malade. Mais des voix d'ani-
maux, voire des illustrations de livres peuvent également être imitées.

Remarquable est le cas de catatonie de Riklin (612), qui répondait par


moments aux questions qui se rapportaient au complexe dans le sens
de celui-ci, mais qui se contentait de répéter les autres questions. Le
choix qu'opère l'échopraxie parmi les stimulus offerts est généralement
obscur. Il est aussi des cas où l'écholalie est motivée par des idées
délirantes, comme quand le patient répète à haute voix chaque question
qu'on lui pose - à l'adresse de Dieu, qui lui dit alors ce qu'il doit
répondre. Il existe aussi des transitions du côté des actes compulsifs :
quand une hébéphrène entendait parler, elle avait l'impression que les
Voix montaient en elle d'en bas et ressentait une impulsion de tout
répéter. Ballet (38, p. 149) décrit aussi une « écholalie mentale », dans
laquelle le patient est forcé de répéter en lui-même, et une « écholalie
hallucinatoire », dans laquelle le patient est forcé de répéter ses hal-
lucinations.
L'automatisme sur ordre se rencontre souvent en association avec le
négativisme, tantôt en alternance et tantôt simultanément à lui. Ainsi
un patient de Kraepelin (389, p. 36) répétait-il, mais, par négativisme,
sans ouvrir la bouche.

8. Les automatismes
Des impulsions internes peuvent aussi conduire à des actes automati-
ques. Généralement, seuls des actes relativement simples se produisent
sur ce mode.
De petits mouvements, lever les bras, prendre la position du Crucifié, frapper
les murs avec ses pieds, tourner en rond, se tapir, crier, imiter des voix
d'animaux, etc. Une grande partie des stéréotypies de mouvement se déroule
automatiquement. Parmi les actes à proprement parler, donner des gifles, dé-
chirer, casser des carreaux, barbouiller sont des modes d'extériorisation 114
fort fréquents chez les pensionnaires d'asile. Des patients en liberté peuvent
commettre un meurtre (472, p. 11) ou allumer un incendie. A vrai dire, cela
n'en vient généralement pas à l'accomplissement de tels méfaits, malgré l'im-
pulsion. Les malades se comportent souvent si maladroitement en ces occa-
sions qu'ils n'atteignent pas leur but, et que l'on a parfois l'impression qu'ils
ne prennent pas vraiment cela au sérieux, ou qu'une résistance intérieure les
empêche d'exécuter correctement ces actes.
Les automutilations réussissent plus fréquemment que les crimes, encore que
la majorité des tentatives de suicide n'atteignent pas leur but. Il semble que
certaines fugues (voir ci-dessous : syndromes aigus) fassent aussi partie des
automatismes ; mais la plupart sont sans doute hystériformes.
Il existe divers degrés d'automatisme, selon le nombre et le type des
associations scindées.
1. Le malade déchire ses vêtements, en pleine conscience de ce qu'il
fait ; il croit vouloir lui-même cet acte, mais n'en connaît pas les motifs.

114. Entäusserung : de ent-, qui implique une idée de séparation et äussern qui évoque une
extériorisation, une expression. « Modes d'extériorisation paraît, avec « passages à l'acte »,
la seule façon dont on puisse traduire ici, tel qu'en use Bleuler, ce mol que le Duden définit
en fait comme ( 1 ) renoncement (moral), (2) aliénation (de biens) ( N D T ) .
Il ne sait ni pourquoi ni dans quel but il l'a fait. Le passage de l'idée
à l'action et l'ensemble de la partie centrifuge du processus se dérou-
lent par contre en association avec le Moi conscient.
2. Au second degré, le malade sait aussi, certes, qu'il casse un carreau,
mais en fait il ne veut pas le faire ; cet acte lui apparaît comme quelque
chose d'extérieur à sa volonté. Ici, non seulement le motif mais aussi
le passage à l'action restent sans lien véritable avec la personnalité
consciente. Mais celle-ci est encore si influencée que l'acte lui semble
indifférent. Le patient fait quelque chose qu'en vérité il ne veut pas
faire, mais à quoi il ne résiste pas non plus 115 . Il n'oppose pas sa
personnalité à l'impulsion, elle est encore trop liée à celle-ci.
3. Au troisième degré, le patient se défend contre l'impulsion qui sur-
git ; il la ressent comme une compulsion. La personnalité oppose sa
volonté et son discernement à l'impulsion. Les impulsions compulsives
deviennent, si elles sont plus fortes que la personnalité, des actes
compulsifs. Ces derniers sont très à l'arrière-plan par rapport aux idées
compulsives et aux actes simplement non voulus, qui sont ceux dont
la survenue est la plus fréquente.
4. Une catatonique cultivée qui avait commis de nombreuses absurdités
pendant ses états d'agitation dit qu'elle se souvenait de tout comme
d'un rêve ; mais ce qu'elle avait fait avait été pour elle un commande-
ment, une loi morale, pas une véritable compulsion ; tout lui avait paru
parfaitement raisonnable. Ici, l'impulsion a influencé la réflexion, dé-
ficiente lors de l'état semi-onirique ; les impulsions lui apparaissaient
encore comme quelque chose d'étranger (« un commandement »), mais
elles étaient si liées au Moi et influençaient tellement la pensée
consciente que la patiente ne pouvait pas raisonner à leur sujet.
5. Dans certains cas l'on observe que les malades, certes, mangent ou
tendent la main conformément à leur intention, comme des gens normaux,
mais ont la sensation que leurs membres exécutent l'acte voulu sans leur
participation : « Ce n'est pas moi du tout qui le fais, la main se tend à
vous toute seule ». Ici, toute l'impulsion d'agir est normalement liée au
Moi ; mais le passage de la volonté aux voies centrifuges se produit sans
lien avec le complexe du Moi. Les patients enregistrent l'action de
leurs membres avec leurs yeux, et généralement aussi avec leur sen-
sibilité kinesthésique. D'après mon expérience, de tels cas s'observent
le plus souvent aux stades subaigus, mais pas très fréquemment.

115. Schreber « laisse passer les cris au-dessus de sa tête » (NDA).


6. Assez souvent, l'ensemble de l'acte automatique est scindé de la
personnalité consciente du patient : les membres font quelque chose,
la bouche dit quelque chose dont, pendant l'accomplissement, le pa-
tient n'est tenu informé par ses sens qu'en tant que spectateur, comme
une tierce personne. L'écriture et le langage, notamment, ont souvent
lieu sur ce mode. Ceux-là seuls sont des actes automatiques au plein
sens du terme. Ils sont parfois aussi décrits, à mauvais escient, comme
des actes compulsifs ; mais il n'y a pas de résistance, donc pas de
compulsion. Les malades ne se trouvent dans une situation compulsive
que dans la mesure où, pendant le déroulement de l'automatisme, ils
ne peuvent utiliser à nulle autre fin les organes qui y sont occupés.
Tous les intermédiaires existent entre les catégories d'actes automati-
ques citées : mais l'exactitude avec lesquels des patients souvent to-
talement incultes peuvent décrire les anomalies, pourvu que l'on se
garde de leur suggérer quoi que ce soit, est remarquable.
Souvent, des patients mélancoliques se plaignent aussi d'être des automates.
Mais cela n'a rien à voir avec des automatismes et signifie généralement
qu'ils n'ont plus les affects ordinaires et sont, selon eux, « complètement
inaffectifs ».

Des automatismes peuvent aussi altérer un acte volontaire. Un ouvrage


de tricot relativement compliqué devient de plus en plus mauvais : la
patiente déclare qu'elle savait fort bien comment aurait dû être le pa-
tron, « mais que ça s'est tout simplement passé de la mauvaise façon ».
Un cycliste est forcé de descendre de vélo ; il ne peut pas non plus
pousser sa bicyclette à la main, ça ne marche pas comme il veut,
« c'est comme si le vélo était fou ». Un paranoïde veut écrire une let-
tre : en dépit d'un excellent discernement, il est forcé d'y insérer « des
folies » et de les barrer ensuite.
Les automatismes du langage revêtent un caractère particulier. Les malades
peuvent être eux-mêmes ébahis de ce qu'ils disent ou (ce qui n'est pas tout à
fait la même chose) de ce que leur langue dit ; ils ne le perçoivent que par
l'ouïe. Ou bien « les mots leur sont mis sur la langue, si bien qu'ils sont forcés
de les dire », ou encore « la gueule parle, sans que le patient le veuille » ; les
mots arrivent « bien prononcés sur la langue, tout prêts » (Pfersdorff, 562).
Chez les schizophrènes, il ne s'agit presque jamais de discours cohérents et
relativement longs, mais de quelques mots et phrases, et puis d'un galimatias
décousu. Cramer (141) a observé, chez des catatoniques bilingues, que les
propos compulsifs ne se produisaient que dans la langue maternelle.
On peut aussi mentionner ici la coprolalie, qui souvent ne se contente pas
d'émettre des mots grossiers mais les met à la place de mots voulus, avec le
sens correct.
Les automatismes s'étendent aussi aux processus intra-psychiques. Les
malades dirigent, sans ou contre leur volonté, leur attention sur un
processus extérieur ou intérieur, ou « ça pense en eux », « ça fait des
représentations en eux » ; la pensée est dépourvue du sentiment de
spontanéité. Souvent s'ajoute aussi à cela la véritable compulsion de
penser (ce qu'ils ne veulent pas et quand ils ne le veulent pas) ; « je
dois penser à des milliers de choses, à des millions d'affaires », et
pourtant, en même temps, les malades ont souvent le sentiment d'un
travail, d'un effort, d'une terrible fatigue. Souvent, ce ne sont pas des
pensées élaborées mais de simples souvenirs qui surgissent de façon
compulsive (« remémoration compulsive »).

Le contenu des pensées peut aussi tourmenter le patient : une malade


est forcée de se représenter la mort de ses parents, et ce faisant elle
éprouve un sentiment de culpabilité (transition vers les idées déli-
rantes) ; une autre est contrainte de penser, avec horreur, à la façon
dont on plume les poules. Chez un paranoïde, « la machine à pensées
fonctionne de telle sorte que, pour lui, c'est presque comme si une
voix lui criait : fais cela » (transition vers les hallucinations ; par la
suite il eut, sur l'ordre d'hallucinations, une pulsion meurtrière à la-
quelle il fut toutefois capable de résister).

Parfois, les pensées automatiques ont aussi un contenu agréable. Les


malades sont absorbés par leurs complexes de souhait, qui peuvent
également être masqués ; des chants qui s'imposent à leur esprit ont
trait au bien-aimé. Les pensées peuvent aussi être à la fois agréables
et désagréables (ambivalentes), comme chez une paranoïde qui était
forcée de penser : « Je t'aime, tes belles formes m'attirent. Et si tu n'es
consentant, j'userai de la force 116 », tout en étant en même temps
contrainte de se représenter son bien-aimé.

La pensée compulsive (la « compulsion de penser ») est le plus fré-


quent de tous les phénomènes automatiques. L'arrêt compulsif de la
pensée en est le contrepoint. Les barrages communs, qui proviennent
de l'inconscient, ne peuvent déjà fondamentalement pas être distingués
des automatismes ; mais quand les pensées « s'enfuient en catimini »,
ou même « sont enlevées », sans doute doit-on faire l'hypothèse d'une
entrave automatique à la pensée.

116. Ich Liebe dich, mich reizt deine schöne Gestalt. Und bist du nicht willig, so brauch'ich
Gewalt : citation du roi des Aulnes de Goethe (NDT).
Des processus affectifs peuvent aussi donner subjectivement une im-
pression d'automatisme, de compulsion, d'étrangeté. Certains malades
sont gais ou tristes sans savoir pourquoi, et ressentent pour cette raison
leur humeur comme « faite » de l'extérieur. Des mimiques sans affect
peuvent se produire ainsi : le rire immotivé schizophrénique, et parfois
aussi le pleurer spasmodique, sont souvent des automatismes. Le mou-
vement du rire, et non l'acte en tant que tel, peut aussi être seul res-
senti ; le rire fait alors au malade l'effet d'une action musculaire à
déclenchement périphérique (« le rire qui tire »). Parfois le rire se pro-
duit quand le complexe du patient est touché par une allusion ; dans
certains cas, les malades décèlent eux-mêmes un rapport entre le
complexe et le rire schizophrénique.
Des fonctions centripètes ont aussi la tonalité de quelque chose
d'étranger, voire de forcé ; cela est connu en ce qui concerne les hal-
lucinations ; « on rendait mal à Taise par contrainte » l'une de nos
catatoniques.
Même les rêves peuvent apparaître aux patients comme le produit d'une
influence étrangère et avoir, sur le plan subjectif, le même caractère
que la pensée compulsive.

* * *

Les malades interprètent les processus automatiques de façon diverse.


Généralement, ils ne se font pas la moindre idée sur leur caractère
anormal ; mais ils en éprouvent d'autant plus la perte de spontanéité
et sont par conséquent forcés de considérer ces processus comme quel-
que chose qui leur est étranger. De nos jours, les moins indifférents
se croient généralement « suggestionnés », influencés par un moyen
électromagnétique ou par quelque autre procédé physique ; les super-
stitieux sont naturellement ensorcelés ou possédés, en partie par un
bon ou un mauvais esprit, en partie aussi par des gens qui se sont
nichés en eux, parfois même par toutes sortes de bêtes. Le Christ ou
le Diable parlent par le truchement du patient, leur mettent les mem-
bres dans certaines positions, etc. Les pensées leur sont « assénées »,
« imprimées dans la tête » (Schule) par un moyen quelconque, naturel
ou non.
Ce sont les médecins, les parents, le bien-aimé, les oiseaux, et puis
tous les concepts semi-abstraits qui qualifient les persécutions et les
persécuteurs, qui, par méchanceté, dans un but expérimental, ou en-
core pour de bonnes raisons, provoquent, répriment ou détournent les
idées, les mouvements et les affects au moyen de machines ou par
enchantement. Certains malades font aussi la distinction, au sein des
pensées automatiques, entre celles qui sont faites par autrui et celles
qui surgissent spontanément ; « dès qu'une piqûre au genou ou une
pression sur l'épaule est associée à mes pensées, je sais que ce sont
des pensées qu'on me fait » (Schule).
Dans tous les cas, la personnalité ne se sent plus maîtresse de ses
agissements intérieurs et extérieurs, mais livrée à un pouvoir étranger,
elle est « le plus pur esclave de la volonté ».

En tant que phénomènes psychiques dissociés de la personnalité, les


automatismes en tant que tels s'accompagnent rarement de sentiments
conscients. Les malades peuvent danser ou rire sans être gais, commet-
tre un meurtre sans haïr, se suicider sans être las de la vie. Les auto-
matismes n'influencent habituellement pas l'humeur de base, et ne sont
généralement pas influencés par elle.

Néanmoins, il existe des émotions secondaires en rapport avec eux. La


pensée automatique devient totalement insupportable, en partie direc-
tement, et en partie parce qu'elle avertit les malades qu'ils ne sont
plus maîtres d'eux-mêmes. Les impulsions compulsives sont ressenties
péniblement car elles s'associent à des états anxieux et provoquent des
luttes intérieures.

La réaction des malades vis-à-vis de leurs automatismes est très diverse.


Beaucoup se contentent de laisser faire. Une certaine résistance vis-
à-vis des impulsions criminelles fait rarement défaut, même quand elle
ne parvient pas à la conscience du malade. Si toutes les impulsions
compulsives quotidiennes de faire du mal étaient mises à exécution,
les schizophrènes tiendraient en permanence le monde en haleine.
Même l'un d'eux, qui a déjà commis un meurtre crapuleux, est capable
de résister à la pulsion de tuer le procureur et de la ressentir comme
un corps étranger pénible. Certains malades inventent littéralement des
mesures de protection contre les impulsions compulsives ; l'un, qui est
simplement contraint de chanter, peut même réclamer un bout de bois,
qu'il veut se mettre dans la bouche pour s'en empêcher (c'est-à-dire
pour en empêcher ses organes). Il n'est pas rare que les malades s'ex-
cusent après que leurs automatismes ont provoqué quelque bêtise.

Dans les cas relativement bénins, il peut arriver qu'idées compulsives


et impulsions compulsives soient ressenties comme quelque chose non
seulement d'étranger mais même de morbide, et que la réaction à leur
égard soit analogue à ce qu'elle est dans la névrose compulsive simple.
Il est néanmoins très rare que d'autres symptômes, et notamment l'in-
différence à l'égard des automatismes ou des points de vue tout à fait
aberrants sur eux, ne permettent pas de diagnostiquer la schizophrénie.
Vis-à-vis des automatismes intra-psychiques, les malades sont naturelle-
ment totalement impuissants. Mais les uns réagissent à leurs sensations
désagréables par des vitupérations occasionnelles ou permanentes, et
les autres se renferment encore plus sur eux-mêmes.

9. L'impulsivité

L'impulsivité, qui est au premier plan chez de nombreux catatoniques,


n'est pas un symptôme homogène. Une grande partie des actes préten-
dument impulsifs sont automatiques, dans l'un des sens que l'on vient
de mentionner. D'autres sont des actes affectifs. Un patient ne sait plus
que faire de lui-même, toutes ses sensations, de même que ses propres
pensées, le tourmentent et l'irritent ; aussi ne peut-il plus y tenir ; il
faut qu'il se passe quelque chose, que quelque chose d'autre arrive ;
quoi, et comment, cela est indifférent, il faut seulement que ce soit
autre chose. Après qu'il a été quelques jours ou semaines dans cet
état d'esprit, il éclate tout à coup, frappe, détruit avec la plus grande
fureur. Au bout de quelques secondes à quelques heures, rarement de
quelques semaines seulement, il se calme, tantôt subitement, tantôt
progressivement. La « décharge » a atténué la « tension » pour quelque
temps, le patient se sent plus léger intérieurement et en surface. Ce
qu'il a fait lui est foncièrement indifférent ; il ne fait que passer sa
fureur sur ce qui est à portée de ses mains. Dans des cas moins mar-
qués, des accès de vitupérations suffisent à assouvir son besoin. Na-
turellement, le regret est rare dans la schizophrénie après de telles
décharges ; les patients se sentent justifiés dans leurs agissements, ou
bien ils sont trop indifférents pour souhaiter qu'il en ait été autrement.
Souvent, ils allèguent que les Voix les auraient mis en fureur ; mais
ce n'est pas une motivation suffisante pour l'observateur.

Un second groupe d'actes impulsifs ne se distingue que graduellement


d'actes normaux sous l'emprise d'affects : les patients deviennent légè-
rement excités ; étant donné la scission des associations, les facteurs
inhibiteurs ne sont souvent pas mis en œuvre ; ainsi aboutit-on à toutes
sortes d'actes irréfléchis, d'agressions physiques, d'invectives sans me-
sure, mais aussi à d'autres sottises, abandon subit du travail, beuveries,
etc. En ce sens, une foule de schizophrènes non catatoniques sont im-
pulsifs. Le joueur guilleret rosse tout à coup son voisin, ou casse la
bouteille, parce que celui-ci a reçu de meilleures cartes que lui.
Aux actes sous l'emprise d'affects s'opposent les actes par lubie patho-
logique. Le cours schizophrénique des associations amène à la
conscience non seulement de simples pensées sans rapport suffisant
avec les idées existantes, mais aussi des pensées à composante mo-
trice ; « il vient à l'esprit » du patient de faire ceci et cela. Souvent,
il n'a pas de motif ou de possibilité de s'y opposer, et la lubie se
traduit dans les faits, qu'il s'agisse de se mettre un pot de chambre
sur la tête, d'incendier une maison ou d'arracher les boutons de ses
vêtements. La conscience du patient ne connaît les motifs ni affectifs
ni intellectuels de l'acte.
Ces divers types d'actes impulsifs ne sont naturellement pas aussi net-
tement distincts en pratique ; il est de nombreux cas mixtes. Une cer-
taine motivation de la mauvaise humeur par des expériences
déplaisantes peut précéder la décharge de l'affect sous tension : le bris
de prison, si fréquent chez les schizophrènes, est un acte affectif qui
procède à la fois des deux motifs cités ; le traitement ressenti comme
injuste et le besoin de décharge concourent à la même issue. La lubie
aussi peut être déclenchée par un motif extérieur, ou elle peut voir
son contenu conditionné par des complexes, si bien, par exemple, que
l'on détruit précisément les arbres de son ennemi, quoique sans motif
conscient.

h) Syndromes aigus

Le cours de la maladie est souvent entrecoupé de syndromes aigus,


d'états transitoires qui ont généralement été considérés autrefois
comme des psychoses autonomes et pourvus de bien des noms diffé-
rents. Ces états sont très divers, tant dans leur mode d'expression que
par leur genèse. Il peut s'agir de :
1. Poussées du processus pathologique. Sans doute de nombreuses
formes catatonico-hallucinatoires et une partie des obnubilations stu-
poreuses en relèvent-elles.
2. Simples exacerbations de l'état chronique, par exemple agitations hal-
lucinatoires chez des hallucinants chroniques, catatonies aiguës graves
au cours d'états permanents à tonalité légèrement catatonique. Les ca-
tatonies hyperkinétiques n'apparaissent souvent que comme des inten-
sifications des mouvements habituellement présents, les catatonies
akinétiques comme des exagérations de l'aboulie chronique. D'une fa-
çon analogue, la plupart des syndromes aigus peuvent être de simples
intensifications de syndromes chroniques.
3. Réactions anormales de l'esprit malade à des expériences vécues char-
gées d'affect. En font partie les états crépusculaires hystériformes et
certains accès de vitupérations en réponse à des stimulus extérieurs.
4. Sous-produits du processus responsable de la maladie, dont nous ne
comprenons provisoirement pas le rapport avec celui-ci : vraisembla-
blement une partie des dysthymies mélancoliques et maniaques.
5. États qui ne font absolument pas partie de la maladie en tant que
telle mais la compliquent, ou sont tout au plus déclenchés par elle :
vraisemblablement une partie des formes périodiques et cycliques de
dysthymie maniaque et mélancolique au cours de la schizophrénie.
Ces divers états ne peuvent cependant pas être distingués avec préci-
sion, non seulement en l'état actuel de nos connaissances, mais aussi
parce que, dans la réalité, ils se combinent dans des proportions di-
verses. Car ils se développent tous sur le même terrain et sont les
symptômes d'une même constitution. Une exacerbation du processus
responsable de la maladie peut hisser de léger symptômes permanents
au niveau d'une « psychose » aiguë ; mais même en pareil cas les phé-
nomènes manifestes ont en majeure partie une détermination psychi-
que. C'est pourquoi, à l'inverse, un choc psychique particulièrement
important peut provoquer, sans aggravation du processus responsable
de la maladie, un tableau analogue ou identique. Ainsi va-t-il de soi
que les divers états que l'on distingue les uns des autres pour les
besoins de la description doivent se mêler de la façon la plus variée
et que l'on ne peut guère rencontrer de groupes symptomatiques tota-
lement purs. Des mélanges de divers états, par exemple mélancolie,
catatonie, état crépusculaire et obnubilation, sont quelque chose de
tout à fait commun. Dénommer un tableau d'après tel ou tel groupe
symptomatique est donc arbitraire.

Aussi ne peut-on fournir de règles sur les phénomènes généraux ren-


contrés dans ces divers états que dans la mesure où chacun des ta-
bleaux individualisés implique nécessairement certains symptômes et
en exclut d'autres. Nous n'appelons pas catatonie ce qui ne comporte
pas de symptômes catatoniques ; un état crépusculaire ne peut pas
présenter une orientation normale. En outre, le degré de lucidité ou
de scission de la conscience peut, dans chaque tableau, varier du maxi-
mum au minimum. De même pour l'aptitude à laisser détourner son
attention et la capacité de réaction aux stimulus extérieurs.

Nous ne sommes pas encore capables de faire ressortir tous les tableaux
aigus différents de cette maladie ; c'est pourquoi l'on ne peut pas faire
entrer tous les cas dans les catégories que nous allons mentionner.
Mais nous rendons compte ainsi de la plupart des tableaux existants.
Les accès surviennent un peu plus souvent au cours des premières
années de la maladie que de la suite de son évolution. Ils peuvent
apparaître avec ou sans prodromes (dysthymies et autres symptômes psy-
chiques, troubles vasomoteurs tels qu injection des sclérotiques, tremor,
etc.). La durée des accès peut aller de quelques heures à des années.
Le souvenir des accès après coup est très divers. Il est dans la nature
des états crépusculaires que les malades ne se souviennent ensuite pas
bien ou pas du tout des événements vécus. (Toutefois, à la différence
de l'hystérie et de l'épilepsie, une amnésie totale est fort rare.) Après
des états d'obnubilation il existe aussi une amnésie plus ou moins pro-
noncée. Dans les syndromes maniaques et mélancoliques, c'est une
bonne capacité de remémoration qui prédomine ; dans les syndromes
catatoniques et paranoïdes, la mémoire se comporte de façon fort di-
verse. Là où il n'y a pas d'amnésie, on est surpris de l'exactitude avec
laquelle le patient peut fournir des informations sur les événements
vécus intérieurs et extérieurs, même de nombreux mois plus tard. Il
arrive aussi, dans les états les plus divers, que - apparemment sans
règle - une certaine partie des événements vécus, quelques semaines,
quelques mois, soient oubliés tandis que le reste peut être remémoré.

1. Etats mélancoliques

La triade mélancolique avec affect dépressif et inhibition de la pensée


et de l'activité est l'une des formes les plus fréquentes de troubles
aigus dans la schizophrénie.

Des dysthymies qui reposent sur la conscience ou la sensation confuse


du manque d'efficience et du véritable rapport avec le monde extérieur
sont des réactions normales à des perceptions pénibles. Conformément
à la nature de la chose, elles se rencontreront plus fréquemment au
début de la maladie qu'ultérieurement.

Mais à côté de telles dépressions physiologiques, il en est aussi qui


doivent, d'une façon quelconque, avoir leur fondement dans le proces-
sus responsable de la maladie. Sans doute celles-ci sont-elles les « mé-
lancolies » schizophréniques communes.

En outre, certains cas font penser à une complication par la folie ma-
niaco-dépressive. Sur le plan symptomatologique, nous n'avons pour le
moment pas encore de points de repère qui nous permettent de distin-
guer ces deux dernières formes l'une de l'autre.
La dépression a tous les caractères divers qui nous sont connus de par
d'autres maladies : sentiment pénible simple indépendant des événe-
ments vécus, anxiété pouvant s'accroître jusqu'à l'angoisse panique,
plus rarement pleurs, mais souvent cris sonores et gémissements de
désespoir, ainsi qu'inhibition dépressive pouvant aller jusqu'à l'immo-
bilité. De nombreux malades prétendent aussi être totalement inaffec-
tifs et s'en plaignent.

Le tableau de mélancolie est brouillé non seulement par des symptômes


schizophréniques, mais parfois aussi par le fait qu'une partie de la
personnalité n'est pas mélancolique et ignore les idées anxieuses, les
critique ou en plaisante ; des déprimés schizophrènes peuvent rire de
leurs idées délirantes et de leurs actes mélancoliques. Plus fréquem-
ment, le tableau manque d'homogénéité sur des points accessoires. Tan-
dis que les patients ne peuvent rien faire d'utile, voire pas même
manger, ils sont en mouvement perpétuel, mouvement qui, souvent,
apparaît monotone mais n'est pas l'expression du souci et de l'inquié-
tude intérieure comme dans les formes agitées de mélancolie organi-
que. Certes, le malade se lamente aussi, dit mille fois par jour la même
chose : on doit lui couper la tête, il veut rentrer à la maison, il est le
pire des humains, il va aller en enfer - mais avec cela il fait une foule
de choses qui ne sont pas explicables par la dépression, il déchire sa
chemise, ses couvertures, griffe non seulement sa peau mais également
le mur, sort quotidiennement des centaines de fois de son lit, empêche
par la force les infirmiers de soigner d'autres malades, barbouille, casse
de la vaisselle. Des actes tels que des tentatives de suicide extrême-
ment brutales, foncer la tête la première contre le mur, sauter d'un
bond la tête la première sur son lit, des automutilations de toutes
sortes, ne sont pas rares. Parfois, les tentatives de suicide ont plutôt
un caractère ludique : pendant quelques jours, le malade se fourre sans
cesse son oreiller dans la bouche en présence de l'infirmier ; une pa-
tiente veut s'étrangler avec sa propre natte, d'une façon totalement im-
possible, elle met son poing dans sa bouche pour s'étouffer. Le refus
de nourriture est ici tout à fait habituel, mais la sonde ne devient
nullement toujours nécessaire.

Même quand l'affect semble dominer l'ensemble de la personnalité, ses


manifestations ont en règle un caractère sehizophrénique, elles sont
raides, factices, exagérées ; on ne croit pas vraiment à un sentiment
profond. Mais il existe des dépressions authentiquement mélancoliques,
même dans des cas assez anciens. L'ensemble de leur situation, leur
incapacité à agir parviennent aussi, souvent douloureusement, à la
conscience des malades. Certains cherchent alors à tirer cela au clair,
sans parvenir au but.

Les symptômes de barrage et de catalepsie se combinent souvent aux


inhibitions mélancoliques de la motricité, si bien que l'on ne peut que
difficilement analyser le tableau global.

L'inhibition idéique se manifeste non seulement par la pensée lente et


l'indécision, mais tout particulièrement par un monoïdéisme extrême
qui, au contraire de la mélancolie simple, peut être ici véritablement
absolu. Souvent, on ne peut pendant longtemps trouver les moindres
traces d'une autre pensée que les souhaits, les plaintes ou les malé-
dictions constamment exprimés, et toute tentative d'amener les malades
sur un autre sujet, ou même d'élaborer plus avant celui qui les occupe,
est vouée à l'échec complet.

Idées délirantes et, notamment, hallucinations font rarement défaut. Des


Voix de contenu menaçant et accusateur, des vapeurs méphitiques, des
influences électriques, du feu sont souvent perçus. Les patients se
croient tourmentés de toutes les façons, on les tue, on arrache les yeux
de leurs enfants, il y a des chambres de torture souterraines là où ils
sont forcés de passer la nuit, on les livre aux autres patients pour être
dépecés, ils ont commis tous les péchés imaginables, rendu malheu-
reuses, tué les personnes qui leur sont le plus chères.

Souvent, les idées délirantes sont purement hypocondriaques. Si elle


n'est pas organique, la « mélancolie hypocondriaque » des auteurs est
en règle une mélancolie schizophrénique. Le complexe symptomatique
de Cotard, notamment, fait presque exclusivement partie de la schizo-
phrénie chez les malades non organiques, car ici des idées de grandeur
peuvent se développer et se maintenir de concert avec les pires craintes
sans être gênées par les contradictions logiques. La plus grande pé-
cheresse est en même temps reine de la nuit ; elle sent l'univers entier,
est éternelle, mais charge aussi ces représentations de sentiments né-
gatifs.

2. États maniaques

Les états maniaques (exaltation de l'humeur, fuite des idées, hyperac-


tivilé) font pendant aux divers types d'états mélancoliques. Ils peuvent
survenir seuls ou — plus rarement — sous forme cyclique, alternant avec
des états mélancoliques, mais ils se combinent volontiers aussi avec
des catatonies.
L'humeur des maniaques schizophrènes est habituellement plus espiè-
gle que proprement exaltée ; les malades prennent plaisir à toutes
sortes de sottises et de mauvaises facéties. Les hébéphrènes, en par-
ticulier, s'y trouvent dans leur élément ; ils se livrent à de sottes plai-
santeries, disent des obscénités, se moquent de tout, de leur entourage,
de leur famille, des plus hautes valeurs de l'humanité. Le malade vi-
tupère, fanfaronne, jure, tire la langue, louche, parle très fort, sur un
ton singulier, gesticule vivement, d'une façon exagérée, caricaturale,
inadaptée à son discours, lourde ; il fait de la gymnastique comme un
homme-serpent, reste la tête entre les jambes, déclame, chante, prie.
Toutes les habitudes déplaisantes possibles se poursuivent jour et nuit :
détruire, barbouiller, faire du tapage.

Des éclats de colère se produisent plus fréquemment encore que dans


la manie commune, les passages transitoires à la tristesse pleurni-
charde plus rarement. Les premiers peuvent, ici, survenir sans motif
extérieur. Dans certains cas, on ne note que peu d'euphorie. Le patient
affiche la gaieté comme une machine, ou comme sur commande ; le
comportement est celui d'un enfant exubérant, mais pas la mimique ni
le discours. Même des schizophrènes maniaques peuvent être silen-
cieux, littéralement mutiques. Ils entrent de toute façon peu en relation
avec leur entourage, ferment les yeux, et ce de façon continue, des
semaines ou des mois durant dans certains cas. La possibilité de dé-
tourner leur attention fait défaut soit temporairement soit en perma-
nence ; totalement insoucieux de leur entourage, les malades font leurs
pitreries et leurs exercices de gymnastique ou de langue. La fuite des
idées se mêle souvent aux associations schizophréniques décousues ;
elle ne peut presque jamais être totalement masquée par celles-ci.

Le besoin maniaque d'activité devient souvent un besoin de mouvement


pur et simple. Même si, dans les exemples cités, les mouvements sem-
blaient encore avoir une certaine finalité, ils peuvent finir par appa-
raître comme de simples gestes, purement absurdes, au spectateur : le
malade tourbillonne ; à présent il balance ses jambes en l'air, puis un
bras, puis il fredonne, agite son mouchoir, frappe quelques coups sur
sa chaise, projette celle-ci, effiloche ses vêtements, s'assied, se jette
par terre, crie, vocifère. De tels cas constituent les formes intermé-
diaires vers les agitations catatoniques, qui n'ont pas nécessairement
quoi que ce soit de maniaque. Ceci se manifeste aussi par le fait que
de nombreux mouvements se renouvellent sans cesse et finissent très
facilement par devenir complètement stéréotypés. Dans certains cas,
la diminution schizophrénique du besoin de mouvement se manifeste
de façon tout à fait frappante. Bien que ces patients aient une fuite
des idées et soient d'humeur exaltée, qu'ils fassent également des pro-
jets et nous submergent même de lettres, on ne peut les amener à
travailler, ne serait-ce qu'à titre d'essai. Tout aussi frappante est la
tendance à se mettre en retrait. Tandis que le maniaque (maniaco-dé-
pressif) accueille le monde extérieur avec boulimie et s'en préoccupe
avec une ardeur excessive, le maniaque schizophrène l'ignore plus ou
moins.
Ici aussi, des hallucinations se rencontrent fort souvent ; mais il est
généralement difficile d'obtenir des informations sur leur contenu. Les
idées délirantes sont habituellement fugaces, pour autant qu'elles sont
présentes, et sont à type de grandeur ou de persécution ; elles surgis-
sent instantanément, pour ne plus être décelables au moment qui suit.
Mais souvent des idées, de persécution notamment, persistent durable-
ment aussi, ainsi parfois que des idées érotiques.
Jusqu'à maintenant, je n'ai jamais vu dans la schizophrénie d'états
mixtes maniaco-dépressifs au sens de Weygand ; mais sans doute peut-
on en rencontrer ici aussi.

3. Etats catatoniques
Des symptômes catatoniques s'ajoutent en règle aux états maniaques
et mélancoliques, le cas échéant à un si haut degré qu'ils dominent le
tableau et qu'on peut parler d'une catatonie maniaque ou mélancolique.
La vieille melancholia attonita, pour autant qu'elle méritait ce nom, en
faisait partie. Mais dans ce qui suit il ne sera question que de celles
des accumulations aiguës de symptômes catatoniques qui ne peuvent
être attribuées à l'une des psychoses affectives dans le vieux sens du
terme. Il s'agit d'un certain nombre de tableaux, très divers non seu-
lement dans leur apparence mais aussi dans leur mécanisme psycho-
logique. Ils ne se rapprochent que par les phénomènes catatoniques,
qui peuvent se grouper de façon fort diverse.
Le tableau apparent de ces formes peut être décrit au mieux sous deux
formes extrêmes, qui correspondent à peu près aux psychoses de mo-
tilité akinétiques et hyperkinétiques de Wernicke.
On connaissait depuis fort longtemps les états akinétiques d'attonité,
de stupeur et de flexibilité cireuse. Les malades restent assis, accroupis
ou couchés dans une position quelconque, généralement avec prépon-
dérance des fléchisseurs ; dans les cas les plus marqués, les mouve-
ments sont presque réduits à néant ; la salive n'est même pas avalée,
elle coule des commissures labiales ou est accumulée aussi longtemps
que possible dans la bouche ; les autres réflexes influençables par le
psychisme ne fonctionnent eux aussi qu'exceptionnellement ; c'est ici
que l'on rencontre le plus fréquemment et avec le plus de ténacité les
différentes irrégularités d'évacuation de la vessie et du colon. Souvent,
les aliments ne sont pas avalés mais doivent être donnés par sonde,
généralement en surmontant une vive résistance. Il est difficile de dis-
cerner avec quelle fréquence surviennent d'authentiques troubles di-
gestifs ; une langue chargée, voire fuligineuse, n'est pas rare au cours
d'états catatoniques avec confusion.
Sinon, l'état somatique est habituellement peu altéré ; la plupart de ces
malades ont cependant un aspect un peu bouffi, même quand ils mai-
grissent, et la couleur de leur peau est d'une lividité ébauchée ou
franche. Le sommeil est généralement perturbé ou totalement absent.

Or tous les intermédiaires existent entre ces cas avec réaction diminuée
et les cas hyperkinétiques. L'akinésie n'est aussi complète qu'on l'a dé-
crite plus haut que dans des cas relativement rares : certains mouve-
ments, ou même, le cas échéant, certains travaux, sont encore exécutés,
les malades peuvent encore changer de place, lentement, en hésitant,
en chancelant, sur la pointe des pieds, dans quelque position courbée
ou tassée ; beaucoup mâchent les aliments qu'on leur met dans la
bouche ; on obtient parfois aussi des réponses, à voix basse, lentement.
Les symptômes catatoniques actifs mettent souvent eux aussi de la vie
dans le tableau ; le malade verbigère à voix haute ou basse, fait des
mouvements stéréotypés, se défend fort copieusement contre tout chan-
gement de position (tandis qu'il reste sans réaction à des piqûres d'ai-
guille et à des sensations beaucoup plus désagréables encore).

Les mouvements ou les actes spontanés des malades, qui témoignent dans
l'ensemble d'une motricité diminuée, ont un caractère typiquement catatoni-
que. Toute l'activité d'un malade consista pendant de nombreuses semaines
à aller de son lit à la chaise percée et retour, ce pourquoi il lui fallait des
demi-heures et des heures entières. Il y va lentement, soulève le couvercle
de la chaise, le referme sans avoir fait ses besoins, recule un peu et répète
cela de nombreuses fois, jusqu'à ce qu'enfin il se serve de la chaise. S'il est
troublé dans cette activité, ou même spontanément, il recroqueville convul-
sivement ses orteils comme des griffes et va et vient ainsi, la tête toujours
baissée, les yeux fermés convulsivement, mais à demi seulement. Il se tient
debout comme un héron qui s'ennuie dans une volière. Il a la goutte au nez.
Si on le dérange, il s'écarte avec irritation. Mais si on l'en empêche ou si
on le suit, il pousse alors un cri perçant, près d'un coin précis du lit, et se
met à pleurer comme s'il était profondément malheureux.
Parfois, le c a l m e est rompu par un raptus catatonique. Le patient se
lève d'un bond, c a s s e q u e l q u e c h o s e , attaque quelqu'un avec beaucoup
d ' a d r e s s e et de f o r c e , ou range dans la p i è c e un objet q u e l c o n q u e au-
trement qu'il n'était. Un c a t a t o n i q u e sort de sa rigidité, fait du vélo en
c h e m i s e trois heures durant, tombe et reste allongé dans le fossé, c a -
taleptique. Des r é a c t i o n s fort promptes et qui ne sont pas absurdes
peuvent répondre tout à coup à des i n f l u e n c e s extérieures ; une ré-
ponse, un propos s'insérant dans une conversation de tiers stupéfient
soudain les personnes p r é s e n t e s . Un aubergiste qui se trouve dans la
« stupeur » la plus prononcée r a m a s s e un bouchon qui est tombé. Dans
c e r t a i n s c a s , on peut obtenir de m a l a d e s mutiques des réponses
é c r i t e s ; ou même ils écrivent spontanément des pages e n t i è r e s .

L e s c a s h y p e r k i n é t i q u e s sont sans c e s s e en mouvement, sans faire vrai-


ment quelque c h o s e (« fuite des actions », F u h r m a n n , p. 8 3 4 ) .

Ils grimpent partout, font des culbutes, sautent par-dessus les lits, tapent
vingt fois sur la table, puis contre le mur, se balancent, font des génuflexions,
se jettent en l'air, frappent, détruisent, coincent leurs bras derrière les ra-
diateurs dans la position la plus tordue possible, insoucieux des brûlures, ils
crient, chantent, verbigèrent, vitupèrent, rient, pleurent, crachent autour
d'eux, font des grimaces tristes, horribles, joyeuses, prennent n'importe quel
objet dans leurs mains, le remuent d'une façon quelconque, le replacent dans
une autre position et font mille autres mouvements, parmi lesquels un malade
donné se limite toutefois à quelques-uns. Ces mouvements ont toujours quel-
que chose d'anormal. Si les malades soulèvent un objet, alors ils le font d'une
façon particulière, comme on ne le fait pas d'ordinaire ; ils montent dans leur
lit la tête la première et avec des allures sportives tout à fait insolites, ou
ils s'y laissent tomber, etc. Souvent, les mouvements sont faits avec une
grande force, en astreignant des groupes musculaires inutiles ; la brutalité
envers soi-même semble parfois aussi grande que celle envers l'environne-
ment vivant et inanimé. Ils ont perdu la mesure quant à la force et à l'ampleur
de leurs mouvements. Dans les cas stuporeux, cataleptiques, les mouvements
sans énergie prédominent. Puis tout est de nouveau exécuté trop vigoureuse-
ment ; un simple geste qui accompagne un propos est volontiers répété, et
ce de façon de plus en plus énergique et ample ; une explication sans im-
portance, une tournure de langage indifférente prononcées par les malades
deviennent rapidement une clameur bruyante au cours de la répétition cata-
tonique. Des mouvements accomplis une seule fois sont souvent aussi exé-
cutés en utilisant la force maximale. Les autres signes de la catatonie,
répétitions stéréotypées, verbigération, expression mimique caricaturale, pa-
thos creux, etc. ne font jamais défaut. Ils parlent moins que les maniaques
en état d'agitation comparable, souvent ils sont véritablement mutiques. Cer-
taines parties de leurs actes peuvent avoir un certain sens en apparence, par
exemple imitation d'un prédicateur, d'un militaire, d'une jeune fille timide.
Mais l'on ne voit pas d'interprétations complètes d'un rôle. Même là où une
telle idée ne cesse de ressurgir, elle est constamment interrompue par d'autres
actes. Une finalité quelconque de l'acte est rarement esquissée : les malades
se barricadent d'étrange façon derrière des pièces de literie, se font une ca-
verne de leur literie, assemblent quelque matériel dont ils peuvent se saisir
d'une façon précise mais vraiment étrange. De tels actes se répètent alors
volontiers de la même façon.

Dans certains cas, le tableau revêt une certaine unité, abstraction faite
des incessantes réitérations, dans la mesure où tout est traversé par
un affect — schizophréniquement faible, il est vrai. Un certain nombre
de ces malades sont nettement maniaques (avec une fuite des idées
démontrable), d'autres sont mélancoliques, d'autres encore irrités ou
anxieux et se sentent persécutés. Mais de nombreux catatoniques s'af-
fairent en tous sens sans véritable affect, comme des machines, ou bien
changent à chaque instant d'expressions caricaturales d'affectivité. Des
hallucinations accompagnent très fréquemment les accès, mais pas tou-
jours ; des idées délirantes ne sont pas forcément toujours présentes
non plus.

La forme hyperkinétique peut s'interrompre elle aussi ; de soudaines


accalmies de brève durée compliquent le tableau.

Des troubles vasculaires nets (lividité, œdèmes) se manifestent souvent,


particulièrement dans les catatonies akinétiques, mais aussi dans les
autres. Le mouvement constant finit naturellement par abattre les forces
dans la plupart des cas, mais pas dans tous ; certains se maintiennent
étonnamment bien, si bien que l'on doit formuler l'hypothèse de mé-
tabolismes anormalement économes, comme dans de nombreuses agi-
tations hystériques. Naturellement, la prise de nourriture est très
irrégulière, et souvent il existe une abstinence ; le sommeil est toujours
mauvais, il fait souvent totalement défaut pendant longtemps.

C'est précisément ici qu'une analgésie est fréquente ; cependant, la


simple absence de réaction peut aussi la simuler. Je n'ai pas observé
d'anesthésie, et je soupçonne que l'anesthésie catatonique de certains
auteurs n'était qu'une analgésie.

Les malades ne se soucient guère, en général, de leur étrange état.


Certains pensent de toute façon fort peu, et quelques-uns peut-être pas
du tout, comme le croit Brosius. Néanmoins, ici aussi, bien des choses
qui se passent autour d'eux sont enregistrées passivement. Cependant,
la vigilance de l'attention est généralement fortement diminuée, parti-
culièrement dans les formes hyperkinétiques.
Pendant la phase catatonique aiguë, une très grande partie des malades
se trouve en même temps dans un état crépusculaire plus ou moins
prononcé, ou sinon dans un monde constitué d'erreurs sensorielles per-
manentes. Ils expliquent leur immobilité par la représentation d'être
entourés d'abîmes, des Voix les menacent de toutes les abominations,
s'ils bougent, ou leur promettent des merveilles s'ils ne le font pas ;
ils n'ont pas le droit d'avaler, de faire leurs besoins sur la chaise per-
cée, etc. Sur le plan subjectif, ils ressentent souvent l'impossibilité de
mouvement comme une rigidité ou une paralysie.

Dans les formes hyperkinétiques aussi le comportement paraît souvent


— pas toujours — déterminé par des hallucinations massives. Il s'agit
souvent de mouvements de défense, de fuite et d'agression, qui apparais-
sent toutefois inadéquats, ou véritablement apraxiques ou incoordonnés.
Mais la motivation des actes et de leur arrêt par les hallucinations n'est
généralement pas satisfaisante pour la logique du sujet sain, comme
quand le patient tape sur son lit parce qu'on l'empoisonne.

La « psychose des pitreries » est une forme particulière de catatonie hyperki-


nétique. Les malades ne cessent de faire des gestes et des grimaces incohé-
rents et caricaturaux, comme s'ils voulaient « faire le fou » d'une façon
maladroite 1 1 '. Ils font en outre une foule de petites sottises, tapent sur leurs
genoux, intervertissent coussin et couverture, renversent de l'eau, font sortir
les portes de leurs gonds, et tout ceci en étant apparemment orientés. Ce fai-
sant, ils parlent en règle peu ou pas du tout. Ce qu'ils disent est généralement
une vitupération tout à fait illogique ou quelque autre absurdité.

Le syndrome des pitreries a indubitablement une origine analogue à


celle du syndrome crépusculaire de Ganser. Il s'agit de gens qui, pour
une raison (inconsciente) quelconque, jouent les malades mentaux (75 a).

4. Le délire hallucinatoire

Parfois, les hallucinations et les idées délirantes prédominent : des élé-


ments maniaques, dépressifs ou catatoniques peuvent être présents à
leur côté ; mais dans de nombreux cas ils sont totalement absents. Nous
appelons de tels états formes délirantes hallucinatoires. Le délire hallu-
cinatoire maniaque et mélancolique d'anciens auteurs y appartient en
grande partie, car le délire hallucinatoire maniaco-dépressif 18 est rare.

1 1 7 . L e s pitreries d'hébéphrènes espiègles sont quelque chose de tout à fait différente et


ne représentent qu'un symptôme parmi bien d'autres (NDA).
1 1 8 . C'est-à-dire intégré dans le cadre de la psychose maniaco-dépressive (NDT).
Les erreurs sensorielles ne font que rarement défaut dans de telles
« paranoïas aiguës », si bien qu'elles ne se caractérisent que par des
idées délirantes. Généralement les hallucinations sont au premier plan,
hallucinations qui s'imposent constamment et massivement au malade
et le font paraître confus, et ce notamment quand elles changent rapi-
dement : « Maintenant j e suis piqué, là ça me presse, maintenant c'est
passé, maintenant on m'appelle, maintenant on me met la cape de
brouillard, etc. » Dans des cas extrêmement aigus, les hallucinations
sont moins stéréotypées qu'au cours des états chroniques, et les hal-
lucinations visuelles y sont habituellement plus sur le devant de la
scène. Le malade entend, d'une façon qui le rend confus, une foule de
voix ; en bas, sous la fenêtre, il y a une bande qui veut le capturer,
le brûler, le décapiter ; ils l'épient, veulent faire irruption à travers les
murs, grimpent dehors par le mur, sont sous son lit. D'autres veulent
l'aider, le Bon Dieu tantôt est son protecteur et tantôt fait partie du
complot ; les êtres qui lui sont chers sont assassinés, lui-même est
électrisé, on abuse de lui sexuellement de toutes les manières. Dans
ces états, la réaction est ordinairement très vive. Les malades ne peu-
vent que difficilement être maintenus dans leur lit, ils grimpent partout,
escaladent les fenêtres en hauteur, se tapissent, frappent, se bagarrent.
Mais, à la différence des catatoniques, leurs mouvements sont compré-
hensibles à partir des idées délirantes des patients ; nous nous trouvons
en présence d'actions, non de pitreries. Les malades fuient ou se dé-
fendent, ou attaquent. Là où les hallucinations sont de caractère agréa-
ble, elles font participer les malades à une festivité quelconque, une
ascension au Ciel ou quelque autre activité plaisante.

Les formes du délire hallucinatoire se transforment souvent, chez un


même patient, en d'autres troubles aigus, ou bien se développent à
partir de tels troubles. Elles connaissent aussi des transitions vers les
états chroniques. Chez les hallucinants chroniques, elles peuvent don-
ner l'impression d'une simple exacerbation ; mais dans d'autres cas
elles contrastent très fortement avec l'état habituel d'abêtissement des
patients, état qu'elles interrompent sous la forme d'épisodes limités
dans le temps.
L'École de Vienne qualifierait ces cas d'amentia. Mais j e n'utilise pas ce
terme parce que, selon l'Ecole qui l'emploie, il présuppose un certain point
de vue systématique, dont nos conceptions ne s'accommodent pas.

5. Les états crépusculaires


Les états crépusculaires sont, comme dans l'hystérie, des rêves éveillés
qui présentent des souhaits ou des craintes comme réalisés, directe-
ment ou de manière symbolique. Le type en est la jeune fille dont
l'amour est malheureux, et qui voit ses souhaits exaucés dans cet état
pathologique. Elle a des rapports hallucinatoires avec son bien-aimé,
se fiance, se marie, devient enceinte et accouche. L'ensemble de l'en-
vironnement est alors appréhendé d'une façon erronée, mais conforme à
ces idées délirantes. Les personnes de l'asile tantôt sont des gens qui
font partie de la famille, de la noce, tantôt sont perçus comme des
obstacles, des ennemis de l'union souhaitée. La salle des malades est
également perçue dans ce sens. — Une patiente qui a des aspirations
religieuses la tient pour un temple.
L'idée de base du délire ne fournit cependant que le leitmotiv de l'en-
semble du rêve. Celui-ci est développé dans les moindres détails, la
patiente doit manger beaucoup pour nourrir ses enfants ; elle doit cueil-
lir des fleurs pour se parer à temps. Elle empêche les ennemis de son
fiancé et d'elle-même de lui nuire par d'autres actes singuliers. Ainsi
le noyau des représentations délirantes est-il masqué par une foule
d'éléments accessoires. A part même cela, le souhait n'est pas toujours
clairement exprimé. Au lieu d'une scène d'amour, les malades peuvent
rêver d'une guerre. Et puis toutes les absurdités que les gens sains
ont coutume de rêver, et peut-être bien d'autres choses, peuvent entrer
dans le délire crépusculaire.

On a de tout temps mis particulièrement l'accent sur les états crépus-


culaires extatiques. Ici, les caractéristiques générales du complexe re-
ligieux, avec sa tendance aux visions, à une attitude figée en position
révérencieuse, à des mines extasiées et au retranchement du monde
extérieur pouvant aller jusqu'à l'analgésie, peuvent plus ou moins mas-
quer le caractère schizophrénique du tableau. Cependant, tous les états
crépusculaires à contenu religieux ne mènent pas à l'extase ; souvent,
les malades qui ont commerce avec des Saints sont aussi encore par-
tiellement sur terre et, ressentant alors doublement la méchanceté de
ce monde, vivent en lutte permanente avec lui.
Le malade peut aussi amalgamer son entourage avec ses représenta-
tions religieuses. Il reconnaît certes les gens, mais a pourtant l'idée
qu'ils sont finalement d'autres personnes (Dieu, Judas, les apôtres), qui
ne font qu'apparaître sous la forme des médecins et infirmiers.
Au cours d'une extase abortive, le patient, après la Sainte Messe, se trouva
« plongé en permanence deux jours durant dans une béatitude céleste, si
bien qu'il lui fallait presque toujours pleurer de joie ».
L'humeur extatique schizophrénique peut aussi être transférée sur des objets
vraiment médiocres ; ainsi une catatonique verbigérait-elle avec un visage
extasié : « J'ai tricoté, j'ai tricoté, oui, j'ai tricoté » (elle n'a encore jamais
travaillé à quoi que ce soit, à l'asile). « C'était bien ! Merveilleux ! Ces beaux
rideaux brodés ! » (il n'y en a pas le moindre !), « et comme ils ont été ac-
crochés, ensuite ; comme ils chantaient, et ce carillon ! » (« Qui était pré-
sent ? ») Ma mère était là, tout le monde était là je suis les voies de
Notre-Seigneur Dieu ! »

Le comportement des malades crépusculaires est fort divers. Beaucoup


vivent tout ce qui est possible, tandis qu'en réalité ils sont tranquille-
ment couchés sous leur couverture. D'autres réagissent conformément
à leurs idées, ce qui les met en permanence en conflit avec leur en-
tourage. Ils grimpent partout, conversent à voix haute ou basse avec
leurs hallucinations, font toutes sortes de choses incompréhensibles,
qui n'acquièrent un sens que grâce à une analyse précise. Ils se pré-
cipitent vers la sortie, veulent franchir les portes, demandent toujours
la même chose, qu'il est impossible de leur accorder, ou profèrent sur
un ton suppliant des phrases qui, à notre entendement, ne comportent
absolument aucune demande. Une patiente se croyait sur une prairie,
elle devait garder des chevaux. Elle ne voulait pas se lever, car sinon
les chevaux sauteraient par-dessus la haie.

Le double enregistrement des événements extérieurs (dans le sens du


rêve et, en même temps, dans celui de la réalité) est aussi de règle
dans les cas marqués. Des pensées des deux séries se combinent très
fréquemment, comme quand les malades réclament leur sortie, conce-
vant ainsi correctement l'asile en tant que tel, mais motivant leur désir
par des motifs tirés de leur activité onirique.

Les états crépusculaires de la schizophrénie sont ceux qui peuvent


durer le plus longtemps ; une durée de six mois est tout à fait commune.
Certains patients semblent ne plus ressortir du tout de leur état cré-
pusculaire de toute leur vie. Mais il s'agit alors d'états catatoniformes
très difficilement accessibles, que nous n'avons pas pu analyser suffi-
samment jusqu'à présent pour en tirer des conclusions sur les proces-
sus psychiques en cause. Les malades deviennent plus calmes avec le
temps et, si le négativisme n'est pas prédominant, s'adaptent suffisam-
ment à leur environnement pour n'avoir que peu ou pas de conflits,
mais ils vivent pour l'essentiel dans un autre monde, veillent tout au
plus à leurs besoins immédiats, c'est-à-dire qu'ils mangent si on leur
présente les plats, et éventuellement vont aux toilettes quand c'est né-
cessaire ; qu'ils s'habillent et se déshabillent seuls - quand on les y
incite — n'est pas une activité qu'on puisse toujours en attendre. Des
bribes du délire crépusculaire peuvent aussi se transposer dans l'état
chronique. Ainsi l'asile fut-il en permanence, pour une telle patiente,
« la maison aux grilles noires », après qu'elle eut d'abord faussement
identifiée comme telle la prison, puis transféré cette représentation sur
l'asile.
A l'occasion, des états crépusculaires peuvent ne durer que quelques
minutes ; ainsi un malade agressa-t-il subitement son entourage, se
calma-t-il aussitôt, et put-il raconter qu'il s'était vu dans une forêt
vierge où il lui fallait se défendre contre des animaux sauvages, et
notamment contre un orang-outang. Ces accès ne se distinguent que
par leur degré des agitations hallucinatoires des pensionnaires chroni-
ques de nos « sections calmes ».
A l'inverse, un état crépusculaire peut être interrompu par des périodes
de lucidité qui peuvent durer quelques minutes, ou même quelques
jours ; si elles se maintiennent pendant plusieurs semaines, il vaut
mieux les appeler améliorations. Il peut aussi arriver que la balance
soit à peu près égale entre les périodes lucides et les périodes crépus-
culaires, si bien que le malade est, par exemple, alternativement une
journée durant en état crépusculaire et une journée durant en état de
lucidité.

Des crépuscules schizophréniques peuvent aussi avoir le caractère d'un


Ganser, un rapport complet, bien que négatif, étant en ce cas maintenu
avec l'environnement, conformément à la finalité du délire. Chez les
schizophrènes, le syndrome de Ganser est déclenché par les mêmes
causes que chez les hystériques ; ainsi les prisonniers en détention
préventive en souffrent-ils, notamment. Bien qu'ils paraissent faire des
efforts pour satisfaire aux souhaits, les malades répondent de façon
erronée aux questions les plus simples, et ce généralement de façon
systématique, si bien qu'on s'aperçoit immédiatement de leur intention
(inconsciente). 2 fois 2 font généralement 5 ou 3, ils disent 8 heures
au lieu de 4 heures, 12 heures au lieu de 6. Si on lui ordonne d'ouvrir
une serrure, le malade cherche à y enfoncer l'anneau de la clé, ou il
tient le panneton vers le haut ; il cherche le trou de la serrure au-des-
sus de la poignée ; si la clé est dans le trou, il la tourne dans le
mauvais sens. Il ouvrira une boîte d'allumettes dans le mauvais sens ;
il frotte le mauvais bout de l'allumette sur le grattoir, ou bien le bout
qui convient sur toutes les surfaces autres que le grattoir.

Au demeurant, les malades ne se montrent aussi conséquents que dans


les cas très bénins de schizophrénie. La plupart, au contraire des hys-
tériques, sortent souvent de leur rôle. Ils font correctement beaucoup
de choses, ou les font mal mais d'une façon non typique, ils n'appa-
raissent « confus » que lors de l'examen et se comportent de façon
correcte dès qu'ils sont en rapport avec d'autres patients. Souvent, toute
limite nette entre état crépusculaire et comportement habituel fait dé-
faut. Après l'amélioration, ils ne sont pas capables de discuter de leur
état anormal, bien qu'il s'en rappellent dans une certaine mesure. Gé-
néralement, d'autres symptômes schizophréniques s'y associent.
Naturellement, l'état de Ganser est quelque chose de tout à fait différent des
réponses à côté par négativisme ou par indifférence.
Une patiente à qui un contremaître avait reproché d'être folle présenta un
type particulier de simulation inconsciente de la maladie. A partir de ce
moment, elle se comporta effectivement comme une « folle » ; chez elle, elle
considérait déjà sa propriétaire comme une infirmière des fous, ne mangeait
rien, etc. Après un seul et unique gavage par sonde, guérison subite.
Les états crépusculaires sont de degrés très divers. Dans certains cas,
nous avons une activité onirique exécutée de façon conséquente : l'état
crépusculaire est pour l'essentiel la réaction d'une personnalité légè-
rement schizophrénique à un trauma psychique ; c'est le facteur dé-
clenchant extérieur qui apparaît comme la condition essentielle ; les
symptômes schizophréniques perturbent peu le tableau hystériforme.
Dans d'autres cas c'est la poussée de la maladie, avec la rupture des
associations, qui est l'élément essentiel ; un souhait quelconque, éven-
tuellement déjà préexistant, devient soudain maître des pensées dé-
laissées par la logique. A partir de ces dernières formes, il existe des
transitions d'une part vers les états crépusculaires plutôt hystériformes
cités en premier, d'autre part vers les confusions de divers types, que
nous n'appelons plus états crépusculaires à cause de leur manque d'ho-
mogénéité.

Outre les états crépusculaires proprement dits, il existe une foule in-
finie d'attitudes diverses de l'esprit selon le même schéma, qui n'atti-
rent l'attention que si elles sont très prononcées, et, notamment, si
différents états de ce type alternent rapidement. Elles ont des transi-
tions de tous côtés.
Un homme qui, hébéphrène latent, vagabonda de nombreuses années durant,
arriva à l'asile avec les états suivants, d'assez longue durée : le plus souvent
il était négativiste, prenait son entourage pour des diables, parlait avec des
Voix, se signait, commettait des actes étranges. Par intermittences, critique,
sinon que la maladie est « un attouchement par des esprits malins » ; souvenir
sommaire du premier état. Puis de nouveau accessible, fausses reconnais-
sances agréables : i'asile est une caserne de marins. Le médecin est le dieu
de la guerre. Le patient parle avec les étoiles, en partie en italien, en partie
dans un idiome de sa composition qui est censé être de l'italien.
6. Obnubilation

Je souhaite distinguer des états stuporeux « Vobnubilation », jusqu'à


ce que ces symptômes soient mieux connus. Tous les stuporeux ne sont
pas obnubilés ; la majorité des obnubilés n'apparaissent guère stupo-
reux. Dans la plupart des formes de stupeur, les malades peuvent pen-
ser et agir, pour autant qu'ils le désirent, et la moindre part d'entre
eux ressentent leur déficit. Mais il existe un ralentissement de tous les
processus psychiques, associé à l'impossibilité de s'y reconnaître dans
des conditions relativement complexes ou inaccoutumées, ceci ne pou-
vant être rangé ni dans la stupeur habituelle à cause de la relative ou
totale conservation de la volonté proprement dite, ni dans l'inhibition
mélancolique à cause de l'absence de dépression et de la facilité à
devenir confus. Ces états doivent être désignés provisoirement par le
terme d'obnubilation.

De tels malades se comportent de façon très diverse en apparence. Nombre


d'entre eux ne s'occupent absolument pas ; d'autres tiraillent leurs vêtements
ou se distraient de quelque autre façon aussi peu astreignante ; d'autres en-
core sont quelque peu excités et font diverses sottises catatoniques ; tel ou
tel peut aider un peu à la maison, des ouvrages faciles de couture ou de
tricot sont notamment encore possibles, bien qu'avec souvent beaucoup d'er-
reurs. Généralement, la différence par rapport aux autres catatoniques n'ap-
paraît nettement qu'à l'examen. Les malades, pour autant qu'ils répondent
aux questions, le font très lentement, quoique dans bien des cas ils se donnent
beaucoup de peine pour satisfaire à ce qu'on attend d'eux. Sans qu'on puisse
penser à des inhibitions ou des barrages au sens habituel, ils prononcent
plusieurs fois le son initial d'un mot avant de réussir à le prononcer en entier.
Ils ne répondent correctement aux incitations que dans le cas de choses très
simples, et souvent après plusieurs dérapages seulement. S'ils doivent montrer
leur langue, ils regardent d'abord le médecin sans comprendre ; une fois l'or-
dre répété plusieurs fois, ils cherchent à l'exécuter mais ne parviennent pas
à tirer la langue, font des mouvements de lèvres, voire d'yeux, qu'ils ferment
notamment volontiers. Si on leur demande de poser la cuiller dans l'assiette,
ils la prennent, mais la tournent ou la portent à la bouche, ou la posent à
quelque autre endroit, l'échangent pour la fourchette, bref, un tableau pro-
noncé d'apraxie se fait jour. Une malade avait besoin de cinq heures pour
passer ses vêtements, elle utilisait la jaquette comme culotte ou comme
combinaison, voulait se laver les dents mais prenait la brosse à chaussures,
brossait ses vêtements avec, mettait de la pommade sur ses chaussures. Je
n'ai pu amener une malade à fermer la porte sur ordre qu'après de nombreuses
années de vaines tentatives. Spontanément, elle pouvait fort bien exécuter de
petites tâches de ce genre, mais sur ordre elle se trompait généralement et
aboutissait finalement à une confusion sans cesse croissante. Au lieu de fer-
mer la porte elle sortait, ou elle l'ouvrait toute grande ; si elle parvenait à
fermer vraiment la porte, elle se trouvait généralement du mauvais côté de
celle-ci, etc. Ainsi les actes sont-ils perturbés par des « impulsions trans-
verses » (Trômner, 774). D'abord, on pense souvent aussi à du négativisme,
et celui-ci peut effectivement concourir, dans certains cas, à une telle apraxie
schizophrénique. Mais il n'est sûrement pas la cause essentielle de ce symp-
tôme. Il s'agit simplement d'une sorte de confusion, comme dans la stupeur
émotionnelle. Les malades ne peuvent pas rassembler les idées nécessaires ;
ils font quelque chose de travers à la manière du sujet effrayé qui, lors d'un
incendie, jette la pendule et la vaisselle de porcelaine par la fenêtre et porte
soigneusement à l'extérieur de vieux chiffons. Ils ne sont donc pas parabou-
liques au sens de Kraepelin.

C'est dans l'obnubilation que l'échopraxie semble être la plus fréquente, mais
on ne la rencontre pas uniquement là.
L'intégration des impressions venues de l'extérieur est très insuffisante ; quel-
que chose de compliqué ne peut absolument pas être saisi. Même sur des
images, seuls certains éléments peuvent être pris en compte. L'orientation
peut devenir difficile, si bien que les malades ne s'y retrouvent plus dans
leur chambre pour peu que l'aménagement en ait un peu changé. Même l'his-
toire la plus simple n'est pas saisie à la lecture ; le malade continue en lisant
l'histoire suivante sur le même ton, sans s'apercevoir qu'il aboutit à quelque
chose de nouveau. Il fait des fautes en lisant, « Fuss » au lieu de « Fluss »,
« angefogen » au lieu de « angesogen », il s'arrête au beau milieu de mots
simples, lit aussi les virgules, etc. - Une malade ne fut capable de rien
raconter du tout sur « l'âne chargé de sel ». A la question de savoir de quoi
il était question, elle répondit finalement : « D'une bergère ». (Et d'un élé-
phant ?) « Oui. » (Ou d'un cheval ?) « Oui. » (D'un âne ?) « Oui, oui. » Elle
finit donc par s'en souvenir, quand l'âne fut mentionné. Des choses antérieu-
rement connues ne peuvent non plus être remémorées et répétées que par
bribes, pas à pas. Un patient rencontre à l'asile une connaissance qui a, voici
peu, abattu d'un coup de feu une autre connaissance du patient. Il se souvient
qu'il le connaît. (Qu'en est-il donc de lui ?) « II a eu aussi un accès. » (Après
une assez longue réflexion cela lui vient à l'esprit.) « Il a abattu quelqu'un. »
Puis : « Il connaissait 0. » (celui qui a été abattu)... « Il paraît que c'était
son voisin. » Pas une seule fois cette importante histoire ne parvint dans son
ensemble à l'esprit du malade.

C'est lors de l'écriture119 qu'on observe le plus aisément l'obnubilation. Les


malades ne terminent pas les mots et les phrases, omettent des mots, corrigent
à mauvais escient, s'en aperçoivent, font de nouvelles tentatives, qui souvent
ne réussissent pas mieux, barrent et réécrivent un mot ou une phrase ; c'est
ce dernier moyen qui réussit le mieux. On peut rencontrer des phrases telles

119. Voir plus haut p. 2 2 1 (NDA).


que « reste presque toujours au lit, alors que je si ben maison120 » (c'est-à-
dire alors que je pourrais si bien travailler à la maison). Des indices de
persévération, et aussi d'anticipation de lettres qui devraient être placées
plus loin, ne sont pas rares.
Dans le seul cas que j'aie pu analyser jusqu'à un certain point, l'affectivité
était conservée, et même très marquée et labile. La patiente se trouvait en
phase d'amélioration, elle faisait volontiers et correctement les travaux mé-
nagers, mais ne pouvait répéter « troisième brigade d'artillerie montée121 »
sans que sa langue ne fourche.
L'obnubilation ne se rencontre pas seulement au cours d'états aigus ou
en tant qu'état aigu ; elle a déjà par elle-même tendance à traîner en
longueur et peut même persister des décennies durant sur le mode
décrit, bien que généralement quelque peu atténuée. Il est possible
qu'une altération homogène de tous les processus psychiques en soit
le fondement 122 . Mais vraisemblablement différents états de base sont-ils
en cause ici aussi. Dans robnubilation aiguë avec symptômes catatoni-
ques, on a l'impression d'une perturbation grossière de l'organe central
avec altération homogène de tous les processus psychiques, y compris la
motricité. Des fonctions complexes plus rapides interfèrent très rarement
ici. Dans d'autres cas, notamment chroniques, le tableau ne peut être
distingué d'une perplexité importante et persistante. Ici, une partie des
activités peuvent souvent être exécutées relativement promptement123. En
tout cas, tous les intermédiaires et toutes les combinaisons existent
entre le facteur psychique et le facteur organique, sans doute en ce
sens que la perturbation organique accroît ou même crée la tendance
à la perplexité psychique. Mais il est possible que d'autres perturba-
tions encore conduisent au même tableau.

7. Confusion. Incohérence
La plupart des troubles associatifs mènent à la confusion, si leur degré
est important. Les états confusionnels qui ne sont qu'une conséquence
pure et simple de la rupture associative sehizophrénique méritent une
mention particulière. Dans ce type d'incohérence, il s'agit presque tou-
jours de syndromes aigus. Les patients parlent de façon totalement

120. »Liege fast immer im Bett, wo ich so gu Hanse.«


121. »Dritte reitende Artilleriebrigade.«
122. Hypertension cérébrale, lésion toxique, etc. (NDA).
123. Ainsi une femme peintre catatonique, qui réussissait habituellement des choses beau-
coup plus difficiles, ne fut-elle une fois tout simplement pas capable de dessiner un banc
avec la perspective. Le comportement inverse est toutefois plus fréquent, les activités habi-
tuelles marchant encore correctement, mais tout ce qui est inaccoutumé ne pouvant être
accompli, si simple cela soit-il (NDA).
incohérente, souvent par phrases hachées ; ils sont généralement agités,
font sans cesse quelque chose, mais dans les cas prononcés cela n'a-
boutit pas à une activité à proprement parler, et guère à l'accomplis-
sement durable d'actes aussi simples que la tentative de fuite. Comme
pour les idées, on ne voit généralement que des bribes d'actions, encore
que certaines idées chargées d'affect puissent se manifester confusé-
ment au travers de l'ensemble du comportement, comme la crainte de
quelque malheur, la joie d'un bonheur onirique. - Ici aussi, des symp-
tômes corporels tels que langue chargée, fuligineuse, tremblement gros-
sier, sont souvent présents.
Une patiente de ce type se sentit un peu mieux le lendemain de l'examen, et
utilisa assez bien ses connaissances. De l'examen, elle n'avait retenu que des
bribes dont elle put rassembler une partie après coup. Elle sait qu'elle s'est
trouvée dans une salle du haut, avec un certain nombre de messieurs, qu'il y
avait là un sofa, qu'un monsieur était assis sur le sofa à ses côtés ; elle peut
ensuite retrouver de qui il s'agissait, est capable de décrire en partie les
médecins qui étaient présents, mais ne sait même pas que l'un d'entre eux
est le médecin de sa section. Ce type de dissociation se distingue très for-
tement des agitations catatoniques communes, dans lesquelles, tandis qu'ils
sont dans la fureur la plus débridée, les malades parviennent en quelques
minutes à connaître par leur nom une salle entière de patients et d'employés.
Des symptômes mélancoliques, maniaques ou, notamment, catatoniques
peuvent s'associer à toutes les formes de confusion, mais pas néces-
sairement.

8. Accès de colère

Les accès de colère et de vitupérations de nombreux malades, déclen-


chés par un événement extérieur quelconque, méritent également d'être
mentionnés. Les malades commencent à pester non seulement quand
on dit quelque chose de désagréable au patient mais même sans cela,
alors qu'on les salue tout simplement, ou au milieu d'une conversation
normale. Il ne sert alors à rien de vouloir rectifier un malentendu quel-
conque ; les malades se sentent offensés par tout ce qu'on leur dit et
ne font qu'entrer de plus en plus en colère. Il n'est pas si rare que
même des hallucinations, ou du moins des illusions, s'y associent, fus-
sent-elles absentes en état de calme. Généralement, l'accès dure encore
un moment après que le patient a été laissé seul, souvent quelques
heures, parfois quelques jours, rarement plus. Il n'arrive guère que des
aggravations durables succèdent à ces accès.

Les accès de colère endogènes, généralement hallucinatoires, qui sur-


viennent souvent, notamment, au cours de nombreux états chroniques
sont quelque chose de tout à fait différent. Sous l'influence d'halluci-
nations, rarement en leur absence, les patients commencent soudain à
vitupérer de façon débridée, et parfois deviennent également violents.
Les accès durent de quelques minutes à quelques semaines et se res-
semblent beaucoup chez un même patient.

9. Agitations anniversaires
Il s'agit d'un groupe étiologique. Certaines agitations apparaissent à
des jours précis du calendrier. Les malades célèbrent par des agitations
de tout type des jours auxquels il s'est produit quelque chose qui est en
rapport avec leurs complexes : plus grande irritabilité, hallucinations, stu-
peur, etc. Un hébéphrène apte au travail avait des hallucinations ol-
factives, était forcé de se masturber de façon compulsive et développait
souvent de véritables idées délirantes, chaque fois aux alentours du
17 du mois ; il était né un 17. La raison de leur dysthymie n'est pas
toujours claire pour les patients avant qu'on ait fait une analyse avec
eux. Les jours auxquels une patiente a rencontré ou perdu son mari
ou son bien-aimé, l'anniversaire de mariage de la sœur, et même les
jours auxquels les malades ont célébré des orgies pécheresses devien-
nent ainsi occasion d'états d'excitation. Ceux-ci peuvent passer avec
la journée, mais aussi être de plus longue durée, après avoir démarré
au jour critique. Généralement, les états d'excitation diminuent au bout
de quelques répétitions, peu nombreuses. Jusqu'à présent, je n'ai pu
en suivre sur une durée relativement longue que dans deux cas.

10. La stupeur
Dans la description que donnent certains auteurs, la stupeur aiguë
prend une place importante. Mais comme la stupeur n'est de toute
façon pas un symptôme homogène mais la manifestation apparente de
nombreuses altérations fort diverses de la volonté, elle ne peut pas
trouver ici de place particulière. Pour une liste des anomalies qui peu-
vent se manifester sous la forme d'une stupeur, voir p. 2 0 2 .

11. Deliriums
Le nombre d'états hallucinatoires de la schizophrénie qui peuvent être
appelés deliriums est arbitraire, étant donné le sens peu précis de ce
terme. Mais il faut rappeler que des états analogues aux deliriums des
pyrexies se voient au stade terminal de catatonie mortelle. Cependant,
les patients ne réagissent alors presque plus à leur environnement, si
bien que l'investigation et la caractérisation de ces états n'est pas pos-
sible pour l'instant.
' • 124
12. Etats déambulatoires
Des états intercurrents d'excitation peuvent aussi prendre la forme de
fugues. Des malades habituellement tout à fait dignes de confiance, ou
qui végètent sans énergie ni volonté, s'enfuient tout à coup, souvent
très loin. Dans d'assez rares cas ils reviennent d'eux-mêmes au bout
de quelque temps ; généralement on les rattrape. Les états les plus
divers sont également à la base de ce symptôme. Parfois, il ne s'agit
de rien d'autre que du fait que les patients en ont subitement assez
de l'asile, avec ou sans motif apparent ; ils s'en enfuient alors sans
s'attarder à réfléchir sur ce qui pourrait arriver ; ils ne savent pas où
ils vont, l'essentiel est de partir. Souvent, ce sont de véritables dys-
thymies avec grand malaise ou véritable angoisse qui poussent les pa-
tients à partir. Il y a un petit pas de là jusqu'aux états d'excitation
hallucinatoire, au cours desquels les patients reçoivent l'ordre, ou du
moins le conseil de prendre la poudre d'escampette. Il s'agit parfois
d'une simple lubie pathologique. Des états crépusculaires se trouvent
à la base d'autres fugues encore, tandis que, dans une dernière caté-
gorie, la fuite est un acte compulsif ou quelque autre action automa-
tique.

Dans leurs voyages, les patients se comportent aussi diversement qu'en


d'autres circonstances. Certains peuvent donner l'illusion d'être bien
portants, même s'ils étaient au plus haut degré asociaux ou bizarres à
l'asile. D'autres s'enfuient avec insuffisamment de vêtements, ou même
tout nus, font du vacarme, attaquent des gens, etc.
La motivation après coup et le souvenir sont naturellement différents
selon l'état qui a causé la fugue.
Des états déambulatoires schizophréniques sont parfois cause de dé-
sertion.

13. Dipsomanie
Certains schizophrènes, bien qu'ils soient rares, ont des accès dipso-
maniaques. Ils ont une certaine conscience de leur état, du moins en
ce qui concerne la boisson ; ils prennent même de bonnes résolutions,
s'ils ne sont pas gravement malades ; mais ils sont atteints de temps
en temps de dysthymies anxieuses qui les contraignent à se procurer
de l'alcool par tous les moyens, jusqu'à ce qu'ils restent affalés quelque
part au bout de quelques jours, gravement ivres et épuisés.

124. Voir Eisath (NDA).


Seconde partie

L e s sous-groupes
Introduction

La tâche de décomposer la schizophrénie en diverses subdivisions na-


turelles n'est pas soluble pour le moment. En pratique, on a pourtant
besoin de caractériser par des noms, tout au moins en fonction de traits
grossiers, les différents tableaux cliniques que présente cette maladie.
Et il est effectivement possible de le faire, mais pas plus.

Cependant, certains vont beaucoup plus loin. Charpentier connaît 11 sous-


formes. Nous nous en tenons aux labels de Kraepelin, déjà courants, comme
on ne peut encore les remplacer par quoi que ce soit de fondamentalement
meilleur. (Voir la caractérisation des 4 groupes en p. 46-47.)
Néanmoins il ne s'agit pas là non plus d'une délimitation de formes de ma-
ladie, mais d'un regroupement de symptômes. Cette division correspond à
peu près à une classification de la phtisie en cas avec et sans fièvre, avec
et sans hémorragies, avec et sans tuberculose intestinale ou amylose. Un cas
qui commence sous la forme d'une hébéphrénie peut être paranoïde quelques
années plus tard.
Il est un nombre infini de combinaisons symptomatiques ; mais comme cer-
tains symptômes se répètent très souvent d'une façon fort voisine1, on peut
prendre quelques-unes de ces formes comme exemples. Il est généralement
possible de les ranger aisément dans l'une d'entre quatre catégories princi-
pales.

Parmi les groupes de Kraepelin, la catatonie et l'hébéphrénie sont à


peu près également fréquentes dans les asiles de soins. La paranoïde
est un peu plus rare. La forme simple est chichement représentée dans
les asiles, mais par contre c'est peut-être le mode symptomatique le
plus fréquent à l'extérieur.

t . Ainsi, là où un symptôme catatonique est présent, on peut avec quelque vraisemblance


en attendre d'autres. Mais nous ne connaissons jusqu'à présent pas de corrélation des symp-
tômes en ce sens qu'on pourrait inférer de la présence d'un phénomène la présence ou
l'absence d'autres (NDA).
A. L a p a r a n o ï d e 2

En font d'abord partie la plupart des cas typiques de l'ancienne « pa-


ranoïa ».
Les patients ne se sentent plus comme d'habitude : par moments, tout
leur semble différent par rapport à avant ; puis surviennent des « pres-
sentiments » ou des idées subites selon lesquels ils sont destinés à
ceci ou à cela. Ils rapportent à eux des événements complètement in-
différents, souvent d'abord sans aucune certitude, ils se demandent
eux-mêmes : « Cela se peut-il ? ». Peu à peu, ou encore soudainement,
le délire de relation acquiert un caractère d'entière certitude. Des éco-
liers courent derrière le tramway alors que le patient s'y trouve : pour
lui, il est clair qu'ils se moquent de lui ; on « l'annonce à cor et à
cri », disant qu'il a fait des horreurs avec des enfants, qu'il s'est mas-
turbé, qu'il a volé. De plus en plus de gens lui donnent à entendre,
par toutes sortes de signes et d'allusions, qu'ils sont au courant de ses
méfaits ; même dans les journaux, il y a des allusions à lui plus ou
moins voilées ; dans son sermon, le prêtre le mentionne spécialement.
Le malade change de lieu de travail, de domicile, partout on chuchote
sur son compte, partout on lui fait des signes ; on se met à le chicaner,
on veut le chasser ; on ne lui donne que le sale boulot ; on lui abîme
ce qu'il a fait, pour le discréditer ; c'est tout un complot qui s'efforce
de le persécuter. Un jour, il entend aussi qu'on parle de lui, voire
qu'on lui dit à lui-même toutes sortes d'injures, ou qu'on le tourne en
dérision. D'autres hallucinations s'y associent, notamment celles de la
sensibilité corporelle. Finalement, le malade recourt à la violence
contre ses persécuteurs, il gifle quelqu'un, ou tire un coup de feu, ou
fait du vacarme, notamment la nuit ; ou encore il n'ose plus quitter
son logement et y végète de façon fort bizarre, dans la saleté et la
faim. Il faut alors intervenir, et le malade arrive à l'asile. Au bout de
quelque temps il devient plus sociable, commence à accomplir diverses
tâches, et finalement on peut le relâcher, calmé, mais sans amélioration
de ses idées délirantes. Il se maintient quelque temps à l'extérieur ;
mais cela ne dure pas ; il change de nouveau de place, ou on le licencie
parce qu'il est insupportable, commet des erreurs et vient irrégulière-

2. On ne peut pas toujours dire « forme paranoïde de la schizophrénie », cette expression


est trop longue. En partie pour cette raison, en partie par méprise, de nombreux auteurs
usent à sa place de l'expression « démence paranoïde », qui est cependant utilisée par Krea-
pelin en un sens beaucoup plus restreint, et qui a été forgée à une époque où les auteurs
ne rangeaient pas encore les autres formes paranoïdes dans la démence précoce (NDA).
ment à son travail. Puis les agitations passées se renouvellent ; le ma-
lade revient à l'asile, où il peut rapidement rester à demeure, cette
fois ou une autre. Pendant longtemps, il s'y montre fort désagréable,
peste, fait du vacarme, devient agressif ; puis il se calme, avec des
fluctuations ; il se laisse envoyer de nouveau au travail, mais il a perdu
toute initiative, tant dans la poursuite de ses idées délirantes que dans
d'autres domaines ; il continue à travailler comme une machine à la
tâche qu'on lui a assignée. Il se promène dans l'asile, ou encore, dans
les cas favorables, il peut se maintenir durablement à l'extérieur, aidant
le cas échéant à telle ou telle tâche, mais vivant pour l'essentiel au
jour le jour, indifférent.

Cela ne suit pas toujours ce schéma. Bien plus fréquemment, l'évolu-


tion est tout à fait irrégulière. D'abord, les idées délirantes peuvent
surgir fin prêtes, comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, tandis
que le malade a encore un travail ; elles peuvent le rendre agité pen-
dant quelques jours, puis régresser pour réapparaître par la suite. Sou-
vent, le stade proprement paranoïde débute de façon très aiguë, après
d'assez longs « prodromes » plus ou moins prononcés, et qui n'ont ab-
solument pas forcément un caractère paranoïde : au cours de la nuit
apparaît un ange, le Christ, Dieu lui-même, qui montre de nouvelles
voies au malade ; chez les persécutés, il existe souvent une excitation
hallucinatoire d'une durée de plusieurs heures, voire plusieurs jours,
fréquemment associée à une confusion et une désorientation complètes.
Ou bien, en une occasion quelconque, mais toutefois généralement
quand les patients sont seuls, ils sont saisis d'une espèce d'illumination,
et c'est ainsi que leur nouvelle situation par rapport à Dieu et aux
hommes, leur propre grandeur ou l'indignité de la bande de leurs per-
sécuteurs devient claire à leurs yeux. On retrouve de tels instants dans
l'histoire de nombreux schizophrènes ayant, d'une façon générale, des
idées délirantes ; mais elles jouent un rôle beaucoup plus restreint chez
les non-paranoïdes, parce que leur effet manque de persistance.

Chez la majorité des paranoïdes, la courbe de la maladie n'évolue abso-


lument pas de façon constamment ascendante, mais avec de fortes oscil-
lations qui tantôt s'approchent de la ligne de normalité, tantôt s'élèvent
de nouveau à une grande hauteur. Outre les états confusionnels halluci-
natoires, des dépressions mélancoliques sont fréquentes, et beaucoup
moins des excitations maniaques ; des symptômes catatoniques de tout
type apparaissent en partie de façon transitoire au cours de poussées
aiguës, et aussi en partie de façon continue dans l'attitude et le compor-
tement ; le malade reste quelques années durant contre un mur, les jambes
écartées, il verbigère, présente un négativisme plus ou moins indépen-
dant des idées délirantes, etc. A d'autres périodes, il travaille.
Il est aussi des paranoïdes sans hallucinations ; ceux-ci ont seulement
des relations à soi erronées qui sont élaborées en idées délirantes, ou
bien ils rattachent à un événement quelconque une idée délirante qu'ils
maintiennent ensuite des années durant, sans jamais devenir capables
d'en discuter.
Font notamment partie de ce groupe de nombreux revendicateurs schi-
zophrènes.
Une jeune fille s'occupe de tenir le ménage d'un médecin. Peut-être lui a-t-il
fait quelques avances érotiques ; en tout cas, elle s'est imaginé qu'il lui avait
promis le mariage, a réclamé qu'il l'épouse, lui a fait toutes sortes de vilenies,
si bien qu'il a dû la renvoyer. Elle a porté plainte en justice, toujours dans
l'idée de pouvoir tout prouver, puis elle a porté plainte contre les juges parce
qu'ils ne lui avaient pas donné raison, elle est devenue de plus en plus
confuse, n'a presque plus travaillé, a dilapidé son bien en procès ; elle a été
déclarée malade mentale par expertise, a porté plainte contre les experts,
etc. De temps en temps, elle parvenait à tenir un an hors de l'asile, bien que
jamais sans friction aucune.
Dans les cas légers, les idées délirantes peuvent rester à l'état quasi
embryonnaire : de tels malades rapportent à eux-mêmes bien des choses
qu'un sujet sain pourrait aussi, le cas échéant, rapporter à lui-même, mais
ne prendrait pas en compte plus avant ; ils voient en tout ce qui ne leur
convient pas parfaitement un préjudice fait à leur personne, ils sont consi-
dérés comme d'insupportables dragons, ne s'entendent avec personne, et
ne restent pas non plus longtemps dans les asiles, à la grande satisfaction
des autres malades. Ils peuvent réussir dans des métiers qui ne les lient
pas à d'autres personnes, par exemple comme colporteurs.

Parfois, à l'inverse, ce sont les idées délirantes stricto sensu qui font
défaut, et il n'y a que des hallucinations qui, dans bien des cas, se
limitent totalement ou presque à l'ouïe. Alors que les patients n'y réa-
gissent d'abord, en général, que par une modification de leur attitude,
laissant souvent leur entourage dans l'ignorance de leurs processus
psychiques pendant des années, ils éclatent tôt ou tard en invectives ;
selon leur caractère, ce peuvent aussi être des pleurs incessants ou
par accès, ou encore une tentative de suicide ou une destruction fu-
rieuse d'objets qui rendent la maladie manifeste. Dans les cas graves,
ces patients sont très longtemps incapables de travailler, même à
l'asile ; dans les cas les plus bénins, ils arrivent à s'accommoder de
leurs Voix ; ils vont se mettre à part quand ils veulent pester, ou bien
ils répriment plus ou moins leur réaction. Tous les intermédiaires exis-
tent entre ces extrêmes. Dans les asiles, sont notamment fréquents ceux
qui travaillent tout à fait correctement mais sont par moments saisis
subitement, pour quelques minutes à quelques jours, de leurs accès
d'agitation « à cause des Voix ». Dès que les Voix cessent, les patients
sont calmes, et souvent tout à fait normaux en apparence. Mais ce qui
est également très frappant, en pareil cas, c'est le naturel avec lequel
ils acceptent leur situation.
Le délire érotique3 et le délire de grandeur présentent exactement les
mêmes variantes. Les malades se croient aimés d'une personne, géné-
ralement d'un rang plus élevé que le leur, ils veulent lui donner l'oc-
casion d'avoir des relations avec eux, l'importunent de toutes les façons
possibles, reportent éventuellement leur amour sur d'autres personnes,
qui sont alors traitées de même. Les mégalomanes ont fait des inven-
tions, sont prophètes, philosophes, réformateurs du monde, mais ils ne
font des adeptes que dans des cas relativement rares, car ils sont trop
confus et se comportent trop maladroitement pour cela.

Outre les séries de symptômes paranoïdes décrits, « l'abêtissement »


est naturellement toujours plus ou moins apparent, dans la paranoïde.
Les malades n'agissent plus du tout, conformément à leurs propres
idées ; le prince et roi aide aux travaux agricoles, la fiancée du Christ
ne se soucie pas des affaires célestes mais lave mécaniquement les
draps de sa voisine qui souille son lit, et est heureuse quand on lui
offre un bonbon. Il n'en est guère qui aient la conséquence et l'énergie
nécessaires pour mettre leurs idées délirantes en rapport avec la réalité
et pour réclamer la réalisation de leurs souhaits. Seul le délire de
persécution persiste parfois inlassablement à demander l'arrêt de ses
tourments, et même le châtiment des coupables. - Il arrive que, dans
les cas relativement bénins, on ne puisse mettre en évidence de déficit
intellectuel dans les domaines qui n'ont rien à voir avec les complexes
des malades, mais cependant les malades sont généralement irréfléchis
et dissociés en ces matières aussi. Au demeurant, l'abêtissement af-
fectif se manifeste de la manière précédemment décrite, mais c'est
précisément chez les authentiques paranoïdes qu'il est le moins im-
portant.

* * *

3. C'est-à-dire le délire érotomaniaque (NDT).


En l'état actuel de nos moyens diagnostiques, des troubles tout à fait
identiques à ceux qu'on a mentionnés ci-dessus se voient également
en tant « qu'états séquellaires » d'excitations initiales mélancoliques,
maniaques, confusionnelles et catatoniques. Les choses ne sont en par-
ticulier pas telles que « l'abêtissement » doive apparaître particulière-
ment important dans les cas « secondaires ». Ces malades aussi
peuvent parfois faire montre de nombreuses bonnes performances in-
tellectuelles, aux côtés d'hallucinations permanentes et des idées dé-
lirantes les plus absurdes.

* * *

La démence paranoïde, mise en relief par Kraepelin, mérite une men-


tion particulière. « Ici débute, aussitôt après la dépression inaugurale,
une production délirante luxuriante complètement extravagante, qui se
modifie sans cesse, influencée par les objections et par des falsifica-
tions mnésiques. Abstraction faite d'accès de colère sporadiques, cette
production perd très rapidement toute influence sur le comportement.
Il ne se produit plus de progression à proprement parler, passé le dé-
veloppement initial, qui se déroule rapidement ; l'état peut bien plutôt
demeurer quasi inchangé durant une décennie et plus. Lucidité et pré-
sentation extérieure restent relativement indemnes malgré les repré-
sentations délirantes complètement confuses et accompagnées de
néologismes verbaux massifs. » Il reste seulement à ajouter à cette
description qu'on ne peut pas toujours mettre en évidence de stade de
dépression, et qu'il existe des cas tout à fait analogues sur le plan
symptomatologique, mais à début chronique ; en outre, il faut particu-
lièrement souligner que les symptômes catatoniques peuvent également
faire complètement défaut tout au long de l'évolution.

Le délire présénile de préjudice (Kraepelin) revêt souvent cette forme ;


dans les autres cas, il ne se distingue de la démence paranoïde que
par son début insidieux et par le développement un peu moindre des
symptômes.

B. La catatonie

Les formes les plus frappantes de catatonie débutent, avec ou sans


stade prodromique, par une poussée aiguë qui a le caractère de l'un
des états d'agitation habituels au cours de la schizophrénie, mais à
laquelle s'ajoutent généralement, bien que pas toujours dès le début,
des symptômes catatoniques. Les formes stuporeuses associées à des
symptômes cataleptiques et les hyperkinésies dominent fréquemment
le tableau, notamment. Le type de l'excitation peut alterner à plusieurs
reprises, de façon irrégulière, entre états maniaques et mélancoliques,
confusion et stupeur. A l'une quelconque de ces phases succède l'ac-
calmie, qui est en même temps une amélioration dans plus de la moitié
des cas : les malades commencent à travailler, hallucinent moins, voire
plus du tout, corrigent une partie de leurs idées délirantes et sont
« guéris avec déficit ». Certains symptômes, notamment catatoniques,
restent volontiers plus ou moins distinctement visibles. Dans les cas
tant à issue favorable que relativement graves, il est fréquent que sur-
viennent tôt ou tard de nouvelles poussées aiguës qui ressemblent sou-
vent, mais pas toujours, à la première. Après chacune d'entre elles la
démence devient plus prononcée.

La catatonie peut aussi débuter par des symptômes paranoïdes chro-


niques ; idées délirantes ou hallucinations, ou les deux, conduisent le
malade à l'asile avec le diagnostic de « paranoïa ». L'attention y est
attirée tôt ou tard par des actes et des omissions qui ne sont pas di-
rectement motivées par les idées délirantes, et auxquelles s'adjoignent
subitement ou progressivement les symptômes catatoniques.

Les formes chroniques, qui furent généralement considérées comme


des états terminaux, peuvent, à titre exceptionnel, avoir dès le début
un caractère catatonique marqué, comme par exemple chez un malade
qui cessa de parler près d'un an avant son entrée à l'asile, tout en
tenant encore relativement bien son ménage. Au cours des deux années
suivantes s'y adjoignirent négativisme, catalepsie et toutes sortes
d'actions étranges, actes de violence, malpropreté et refus complet de
travail, symptômes qui persistèrent alors quelques années. Dans bien
des cas, les symptômes de début de la catatonie sont des bizarreries,
notamment du comportement, commises alors que le malade est encore
en état de santé apparente mais se renouvelant de plus en plus fré-
quemment.

Les états catatoniques chroniques, qu'ils se soient constitués avec ou


sans états d'agitation, présentent peu de variantes. De nombreux ma-
lades traînent simplement en état de stupeur permanente, avec ou sans
négativisme, et se laissent prendre en charge ; d'autres sont plus agités,
voire violents, en raison d'un négativisme actif, et font alors partie des
pensionnaires les plus déplaisants des asiles. De très nombreux pa-
tients totalement indifférents au monde extérieur font spontanément des
états d'agitation passagère au cours desquels ils pestent, deviennent
violents, barbouillent, etc.

C. L ' h é b é p h r é n i e

On est tenté de caractériser ce groupe par le fait que « l'abêtissement » serait


au premier plan. Mais en seraient alors exclues toutes les nombreuses formes
légères, importantes en pratique, dans lesquelles le terme « abêtissement »
ne saurait plus être employé, même si l'on ne croit pas à une pleine restitutio
ad integrum.
L'hébéphrénie inclut donc :
a) les formes non catatoniques à début aigu (états mélancoliques, maniaques,
confusionnels, crépusculaires), pour autant qu'elles ne passent pas à des états
paranoïdes ou catatoniques chroniques ;
b) tous les cas chroniques présentant des symptômes accessoires sans que
ceux-ci dominent le tableau.
Malheureusement, ce terme n'est adapté à ce groupe que dans la mesure où
la plupart de ces patients tombent malades entre 15 et 25 ans ; mais il existe
des hébéphrénies (rares), au sens défini ci-dessus, dont l'anamnèse ne permet
pas de mettre en évidence de symptômes pathologiques antérieurs à la cin-
quième, voire la sixième décennie de l'existence.
L'hébéphrénie de Kahlbaum-Hecker était un abêtissement qui survenait re-
lativement rapidement au cours de la période pubertaire, qui évoluait géné-
ralement avec divers troubles affectifs, et qui était en outre caractérisé par
les symptômes de l'âge ingrat. Pour nous, l'âge est sans importance, et nous
rencontrons également chez d'autres schizophrènes, dont les complexes indi-
quent une surestimation de soi et de la hâblerie, les symptômes de manié-
risme et de pathétisme, de plaisir aux goujateries d'une part, les manières
de blanc-bec, la tendance à se préoccuper des problèmes les plus élevés
d'autre part4.
Au demeurant, les états d'excitation au sens de Hecker ne sont, ainsi que le
montrent ses observations de malades, nullement si marqués qu'ils revêtent
le caractère de psychoses aiguës. Chez lui, seul l'abêtissement est au premier
plan. Mais Kraepelin parle déjà d'un début par un trouble mental aigu, bien
qu'il ne le rencontre que relativement rarement. Comme l'on peut cependant
difficilement qualifier de catatonies les troubles aigus initiaux, s'ils ne pré-
sentent pas de symptômes catatoniques prononcés ou n'en sont pas suivis,

4. Voir théorie du maniérisme (NDA).


nous devons ranger dans l'hébéphrénie toutes les psychoses « aiguës » suivies
d'abêtissement sans caractère catatonique ou paranoïde, si nous ne voulons
pas former un nouveau groupe, tout à fait inutile.
Il n'existe pas de symptômes spécifiques de ce groupe. Je ne suis même pas
sûr que les symptômes de l'âge ingrat se voient plus souvent ici que dans la
catatonie ; peut-être ne font-ils qu'y apparaître plus au premier plan parce
qu'ils ne sont pas masqués par des symptômes catatoniques.
Il est néanmoins des raisons théoriques qui font que c'est précisément dans
l'hébéphrénie qu'on s'attend le plus à ces symptômes. Il est en effet exact
qu'ils sont loin d'être aussi fréquents dans la paranoïde, qui survient, dans
l'ensemble, plus tard que l'hébéphrénie. Nous savons en outre que les
complexes et les habitudes existant à l'époque de l'atteinte pathologique se
fixent volontiers, si bien qu'on peut encore les mettre en évidence de longues
années plus tard ; il est donc naturel de supposer que les habitudes de la
puberté deviennent ici caricaturales et, en même temps, imprègnent l'orga-
nisme psychique. On peut seulement y objecter qu'il est de nombreuses per-
sonnes qui ne sont tombées malades que fort longtemps après avoir dépassé
ce stade et qui présentent pourtant les phénomènes « hébéphréniques5 ».
- Au cas où il serait exact que les symptômes catatoniques aient leur source
dans la sexualité, les gens qui ont des complexes principalement sexuels
deviendraient précisément catatoniques, et ceux chez qui ces complexes pas-
sent à l'arrière-plan deviendraient hébéphrènes ou paranoïdes, selon l'âge de
début de l'affection.

On entendrait donc en premier lieu par hébéphrénie les formes simples


de l'ancienne stupidité secondaire avec ses psychoses inaugurales ai-
guës. Mais il s'y ajouterait également les cas, non rares, dans lesquels
une excitation n'apparaît qu'après l'abêtissement. Ceux-ci sont beau-
coup plus fréquents qu'on ne pourrait le supposer d'après les descrip-
tions qui ont été faites ; des excitations mélancoliques et maniaques,
des états crépusculaires, etc., peuvent survenir à n'importe quelle pé-
riode de l'évolution, tout aussi bien qu'au début. C'est précisément
dans l'hébéphrénie, avec ses symptômes peu frappants, qu'il est très
fréquent qu'une maladie existant depuis de nombreuses années déjà
soit amenée à l'asile du fait d'un accès aigu.

Parfois, l'excitation est très légère, ou elle fait totalement défaut. Dans
ce dernier cas, les malades échouent simplement, perdent leur effi-
cience, deviennent négligents, ne tiennent compte de rien, font des
bêtises. Il en est beaucoup parmi eux qui sont considérés pendant des

5. Jahrmàrker (326) mentionne lui aussi des cas avec comportement puéril et niais qui sont
tombés malades au cours de la cinquième et de la sixième décennie de leur existence (NDA).
années comme des neurasthéniques ou, si ce sont des femmes, comme
des hystériques. Une tonalité nettement hypocondriaque constitue sou-
vent la transition vers les formes paranoïdes. Etant donné la grande
importance pratique d'un diagnostic en temps voulu, Kraepelin a tout
à fait raison d'insister particulièrement sur cet « abêtissement hypo-
condriaque ». « Au premier plan, on y rencontre un sentiment de plus
en plus marqué d'incapacité psychique et physique avec toutes sortes
de sensations morbides, qui amène peu à peu les malades à renoncer
en permanence à toute activité. En même temps, ils deviennent apa-
thiques sur le plan affectif, indifférents, veules, sans erreurs senso-
rielles ni productions délirantes marquées. »
L'hébéphrénie revêt donc n'importe laquelle des formes de l'abêtisse-
ment schizophrénique. Elle peut évoluer en permanence de façon chro-
nique ou présenter des syndromes aigus, au début ou ultérieurement.
Hallucinations, idées délirantes absurdes, et à l'occasion symptômes
catatoniques, compliquent le tableau sans le dominer.

D. S c h i z o p h r e n i a simplex 6

« Les patients s'affaiblissent simplement sur le plan affectif et intel-


lectuel, la volonté perd de sa force ; la capacité de faire un travail, de
veiller à ses propres besoins diminue, ils paraissent bêtes et finissent
par présenter le tableau d'une démence prononcée. » (Clouston).
Que nous ne rangions pas ces cas dans l'hébéphrénie, ainsi que le fait Krae-
pelin, a des motifs plus pratiques que théoriques ; malgré toutes les tentatives
de gens compétents, on n'a en effet pas réussi à faire admettre la « démence
primaire » par tout le monde ; elle n'a pas été admise concrètement du tout
par certains ; les malades créent l'incertitude, sous la bannière de la psycho-
pathie, de la dégénérescence, de la moral insanity, et, le plus souvent peut-
être, sous celle de la santé. La seule possibilité de faire connaître ces formes
aux médecins consiste à leur donner une appellation particulière. Et cette
individualisation a tout de même aussi un petit intérêt théorique, en démon-
trant fort clairement la différence entre les symptômes essentiels et les symp-
tômes accessoires ; ces derniers font défaut chez le schizophrène simple.
La forme simple est assez rare dans les asiles, mais dehors on la ren-
contre tout aussi souvent que les autres. On la voit davantage en

6. Voir aussi Weygandt ( 8 1 3 ) et Diem ( 1 8 0 ) (NDA).


consultation externe, et ce tant chez les membres de la famille de celui
pour lequel on est consulté que chez le patient lui-même. Dans les
couches inférieures de la société, les schizophrènes simples végètent
comme colporteurs, journaliers, voire même comme domestiques, et
puis aussi, comme d'autres schizophrènes légèrement atteints, comme
vagabonds. Dans les couches supérieures, le type, fréquent, de la
femme insupportable, braillant sans cesse, seulement capable d'émettre
des revendications mais ne se connaissant aucun devoir, joue son rôle
funeste. De longues années durant, la famille ne pense pas à une ma-
ladie, vit un enfer peuplé des tourments que lui fait endurer cette
femme « méchante » et cache par tous les moyens la situation au
monde extérieur ; maintenir le secret de cette anomalie est d'autant
plus aisé que nombre de ces malades peuvent encore se comporter en
société d'une façon qui n'attire pas du tout l'attention. Souvent, on est
littéralement forcé de faire le silence à la face du monde extérieur sur
cette anomalie, car bien des gens sont enclins à prendre parti pour
ces patientes qui savent si bien jouer l'innocence persécutée.
Kahlbaum (348) a appelé héboïdophrénie ou héboïde les cas dans les-
quels la perturbation se fait presque uniquement jour dans le vécu et
le comportement sociaux. Mais il sait que des troubles formels de la
pensée (par exemple « pensée à côté ») ne sont pas absents dans cette
maladie, et il les incorpore à juste titre dans son hébéphrénie. Il porte
un pronostic relativement bon ; mais des cas tels que ceux qu'il a dé-
crits n'évoluent pas autrement que d'autres cas, d'abord légers, de schi-
zophrénie. C'est pourquoi l'individualisation de l'héboïde n'a pu trouver
d'écho.
Un autre type important et très fréquent est représenté par l'alcoolique
schizophrène, qui est généralement méconnu, et toujours soigné de fa-
çon incorrecte. Or de nombreux schizophrènes s'adonnent à la boisson ;
on méconnaît alors habituellement la maladie de base (voir Graeter).
Savoir si l'on doit compter les revendicateurs schizophrènes parmi ce
groupe est affaire de choix. Tous les intermédiaires existent entre les
gens qui sont simplement insupportables et les revendicateurs para-
noïdes avec idées délirantes patentes ; le mieux est peut-être de tracer
un trait quelque part au milieu de l'échelle et de ranger la moitié qui
ne présente pas d'idées délirantes à proprement parler dans ce groupe,
et l'autre moitié dans la paranoïde.
En outre, il est de nombreux schizophrènes simples parmi les esprits
tordus de toutes sortes qui, outre les dégénérés, se signalent à l'atten-
tion comme réformateurs du monde, philosophes, écrivains, artistes.
Un jeune Suisse qui a terminé avec succès l'école de commerce se fait na-
turaliser allemand pour devenir officier ; comme tel, il participe aux guerres
de 66 et de 70 ; ensuite, il devient photographe mais se trimballe dans dif-
férentes places comme aide ou comme commis voyageur ; deux tentatives de
s'établir à son compte échouent lamentablement ; il perd tout son bien. Son
mariage, vers 40 ans, ne change rien à l'affaire. Il devient de plus en plus
incapable, de plus en plus indifférent, et finalement ne travaille plus du tout,
ne se soucie pas de ses enfants après la mort de sa femme, reste à la maison
ou traîne dans les cafés, sans excès alcooliques à proprement parler, et ce
n'est qu'à 52 ans que le patient arrive à l'asile de chroniques. Dans ce cas,
la schizophrénie ne s'est d'abord manifestée, durant des années, que par le
fait que le patient a abandonné sa profession sans véritable raison et changé
de nationalité. Mais il est devenu très progressivement de plus en plus in-
capable de faire des choses et de plus en plus indifférent, et ce n'est qu'à
la fin de la cinquième décennie de son existence que la maladie semble avoir
emprunté un rythme un peu plus rapide, jusqu'à abêtissement complet.

Un enseignant qui a fait très correctement l'école normale part en Roumanie


comme précepteur, parce qu'il ne trouve pas de place sitôt après son examen.
Il y reste huit ans, mais se laisse spolier de son salaire de diverses façons ;
il revient alors, dénué de tout moyen, postule pour des postes d'enseignant,
fait des remplacements en les lieux les plus divers, mais ne se voit pas donner
de poste fixe durant plusieurs années, jusqu'à ce qu'une petite commune le
choisisse pour, un an plus tard, le congédier une fois de plus à cause de son
incapacité. Il n'a pas plus de chance dans un autre canton ; sans perspective
d'en avoir un autre, il a quitté avec perte et fracas un poste où il aurait pu
rester - du moins provisoirement. Naturellement, il avait toujours des diffi-
cultés financières, était forcé de faire des dettes, gageait sa pension dans des
conditions défavorables, mettait ses affaires au mont-de-piété, tout ceci dans
l'idée que les conditions devraient bien finir par prendre une autre tournure,
car jusqu'à présent ce n'est que par malchance que ceci ou cela lui a fait
défaut ; si on lui avance tant et tant cette fois encore, il est tout à fait certain
qu'il va trouver un poste et pouvoir tout remettre en ordre. Malgré toutes les
tentatives de le lui démontrer, il n'imagine nullement qu'il puisse être lui-
même responsable de son infortune. Finalement, il bombarde toutes les auto-
rités qui ont à faire avec lui de suppliques ou d'exposés de son bon droit, y
mêlant des accusations et des invectives, nuit à ceux qui lui font crédit, et,
à l'âge de 45 ans, arrive à l'asile où il se montre totalement indifférent dans
tous les domaines d'importance, ne fait rien, et persiste seulement à dire
qu'on devrait lui donner un poste d'enseignant, qu'il serait parfaitement ca-
pable d'assumer étant donné ses capacités.

Autre type, avec irritabilité : une jeune fille normale, intelligente, se marie
à vingt ans et vit heureuse en ménage pendant plus de cinq ans. Très pro-
gressivement, elle devient plus irritable, gesticule de façon spectaculaire en
parlant ; cela s'accrut, elle ne put plus garder de bonnes, entra en conflit
avec les habitants de l'immeuble, et à l'intérieur de sa famille elle était
devenue un insupportable dragon domestique qui ne se connaissait que des
droits, mais pas de devoirs. Elle n'était plus capable de tenir le ménage,
parce qu'elle faisait des achats totalement inadéquats et, d'une façon géné-
rale, prenait tout en main d'une façon dépourvue de sens pratique. A l'asile,
même comportement durant de nombreuses années, seulement à un degré
croissant, si bien qu'on ne peut la mettre, dans la section, que dans sa cham-
bre et, dehors, que là où il y a peu de gens. Mais après plus de dix ans de
séjour elle est encore capable de sortir librement en permission, quoiqu'elle
cause bien des désagréments par ses commérages. Totalement indifférente à
l'égard de choses importantes, comme ses relations avec sa famille ; aucun
amour pour ses enfants ; n'est pas capable de se maîtriser, bien qu'elle sache
qu'elle pourrait avoir une belle vie si elle braillait moins. Pas de symptômes
paranoïdes ou catatoniques.
Un très grand nombre de gens seront suspects de schizophrénie, à y
regarder de plus près, sans qu'on puisse être certain du diagnostic à
ce moment donné. Mais très souvent cette présomption se confirme
longtemps après, si bien qu'il est tout à fait indubitable que vaquent
en liberté de nombreux schizophrènes dont les symptômes ne sont pas
assez marqués pour permettre de diagnostiquer la maladie mentale.
Quand on observe les membres de la famille de nos patients, on trouve
souvent chez eux des traits qui sont, sur le plan qualitatif, tout à fait
identiques à ceux des patients eux-mêmes, si bien que la maladie n'ap-
paraît que comme une intensification quantitative des anomalies qui
sont présentes chez les frères et sœurs et chez les parents.

De tels malades légèrement atteints sont considérés comme des nerveux


de tout type, comme des dégénérés, etc. Si nous remontons dans l'a-
namnèse des malades conduits à l'asile à un certain âge à la suite
d'une exacerbation, d'une expertise judiciaire, d'une ivresse patholo-
gique ou d'un incident analogue, nous trouvons habituellement tout au
long de leur passé des symptômes pathologiques qui, à la lumière de
la nouvelle atteinte, apparaissent schizophréniques sans que le doute
soit possible.
Il existe donc une schizophrénie latente, et je crois vraiment que cette
forme est la plus fréquente, bien quelle soit la plus rarement traitée en
tant que telle.
Sans doute ne vaut-il pas la peine de décrire les modalités selon les-
quelles la schizophrénie latente se manifeste. Tous les symptômes et
les combinaisons de symptômes que l'on rencontre dans la maladie
constituée peuvent se voir ici à l'état d'ébauche. Entre autres, des gens
irritables, bizarres, lunatiques, solitaires, exagérément ponctuels éveil-
lent le soupçon qu'ils sont schizophrènes. Souvent, on trouve également
tel ou tel symptôme catatonique ou paranoïde masqué, et des exacer-
bations des types les plus divers prouvent, plus tard dans l'existence,
que toutes les formes de la maladie peuvent évoluer de façon latente.

E. Groupes spéciaux

I . Périodiques

Il est d'un certain intérêt d'individualiser divers groupes à partir de


quelques autres points de vue encore.
Ce sont d'abord les cas « périodiques ». Le concept de périodicité est
très mal défini en psychiatrie. Méritent au mieux ce nom les psychoses
dont des accès aigus se renouvellent exactement selon le schéma de
la folie maniaco-dépressive. Tantôt après la puberté, rarement plus
tard, surviennent les premiers accès maniaques ou mélancoliques, qui
se renouvellent alors à intervalles plus ou moins longs ou brefs ; des
formes cycliques ne sont pas bien rares non plus. Dans la plupart des
cas de ce type, la démence résiduelle après l'accès est modérée au
début. Mais les symptômes schizophréniques, nettement apparents en
général, ne laissent aucun doute sur le diagnostic et l'issue terminale.
Les périodes sont, dans certains cas, très brèves, et parfois aussi d'une éton-
nante régularité, telle que j e n'en connais pas dans la folie maniaco-dépres-
sive. J'ai vu un cas qui, pendant plus de trente ans, était toujours maniaque
un jour et déprimé le jour suivant ; et ce comportement ne se modifia pas
quand l'atrophie cérébrale dûe à l'âge ajouta ses symptômes à la schizophré-
nie. Chez une autre malade, les phases durèrent 2 5 heures pendant de nom-
breuses années ; le changement survenait alors à n'importe quel moment de
la journée et était instantané. Une catatonique fut longtemps relativement
bien pendant une journée, elle travaillait, mangeait beaucoup, mais parlait
peu. Le jour suivant, elle était stuporeuse, négativiste, immobile, ne s'ali-
mentait pas. - Une catatonique chronique était régulièrement agitée tous les
deux jours, criant et verbigérant ; le jour suivant, elle était stuporeuse, sug-
gestible ; si on lui donnait un hypnotique aux jours de vacarme, le cycle était
décalé ; elle restait tranquille ce jour-là, mais faisait du tapage le jour suivant.

Tant dans le cas de ces périodes brèves que dans celui des longues,
il ne s'agit pas toujours de symptômes maniaco-dépressifs. Tous les
types d'agitation peuvent alterner avec tous les types de marasme de
l'activité psychique. Nâcke (505, p. 645) appelle de tels cas Katatonia
alternans ; l'un de ses malades était tour à tour environ 2 5 heures en
état d'excitation et environ 29 heures en état de stupeur (voir aussi
Schubert).
Les modifications du tableau dans lesquelles les malades, généralement
sous l'effet d'influences psychiques, tantôt vivent complètement dans
leurs idées délirantes, et tantôt s'en tiennent de nouveau à la réalité,
sont singulières. Toutefois, l'alternance entre les diverses phases est
généralement si brève qu'on préfère parler d'un tableau d'état unique
d'aspect varié, par exemple quand une catatonie tardive présente deux
états qui peuvent alterner au cours d'une seule et même conversation.
Dans un cas, à titre d'exemple, le premier état était caractérisé par
une orientation dans l'environnement et une certaine critique ; dans le
second de ces états, la patiente tenait le médecin pour le diable, trans-
formait tout son environnement dans le même sens, et se glissait crain-
tivement sous sa couverture.
Il faudrait naturellement distinguer nettement les cas dont la périodi-
cité est endogène des autres, qui ne présentent d'états tantôt d'agitation
et tantôt de calme que sous l'effet d'influences psychiques. Mais, ainsi
qu'il ressort déjà des indications qui précèdent, on ne peut pas vrai-
ment opérer une telle distinction, non seulement parce que nous
sommes loin de toujours connaître les causes des diverses phases, mais
aussi, notamment, parce que ces deux ordres de causes doivent souvent
concourir au déclenchement de l'accès ou à sa fin.

I I . Groupes selon l'âge

La schizophrénie n'est pas une psychose de la puberté au sens strict,


bien que dans la plupart des cas l'affection devienne manifeste peu
après la puberté. Si l'anamnèse est relativement bien faite, on peut en
suivre la trace jusqu'à l'enfance, et ce jusqu'aux premières années de
l'existence, dans au moins 5 % des cas. Nous ne prenons absolument
pas en compte ici les anomalies qui n'ont pas un caractère franchement
schizophrénique, bien que nous sachions déjà que cette maladie inclut
de nombreux symptômes dont la signification est plus générale.
Pour l'instant, nous ne connaissons pas les différences entre les formes
infantiles et les autres. Si l'on reçoit les malades pour observation dans
leur enfance, ils présentent les mêmes symptômes que les adultes ;
jusqu'à présent, nous avons seulement remarqué qu'une analyse de ces
cas était plus difficile. Les enfants ne sont pas aussi au clair que les
adultes non certes sur leurs souhaits mais sur le contenu de ceux-ci ;
la difficulté tient peut-être à cela, mais peut-être aussi à notre expé-
rience insuffisante des rapports avec les petits malades mentaux.
Le pronostic des cas qui sont entrés chez nous avant la puberté ne
semble pas être foncièrement mauvais pour les premières années qui
suivent ; j e ne me souviens que de deux qui soient restés à demeure
à l'asile. J e ne sais ce qu'il adviendra d'eux par la suite. Mais les
anamnèses lors des admissions d'adultes montrent qu'au moins une
partie de ces malades précoces récidive, et s'abêtit alors de manière
généralement importante.
Les affections de la seconde et de la troisième décennies de l'existence
sont en grande partie les formes hébéphréniques et catatoniques, tandis
qu'au cours de la quatrième décennie et un peu avant il faut noter une
certaine préférence pour les formes paranoïdes. Cette prédilection aug-
mente encore pendant quelque temps, si bien que Kraepelin a pu faire
ressortir, sous le vocable de « présénile », une forme de « délire de préju-
dice » que nous nous voyons contraint de ranger dans la schizophrénie.
Lugaro (428) a donné de ces faits une explication attrayante, mais qui a
encore besoin d'être confirmée : il pense qu'un esprit non complètement
formé est plus endommagé par le processus morbide qu'un esprit complè-
tement formé, de même que, comme nous le savons bien, des souvenirs
anciens sont beaucoup moins altérés par des destructions cérébrales que
des acquis récents. La personnalité et l'ensemble du rapport de l'être
humain à son environnement se réorganise jusque dans la troisième dé-
cennie, et doit donc être particulièrement vulnérable avant cette époque,
tandis que la personnalité consolidée de l'âge qui suit peut certes être
altérée, mais non complètement anéantie. Mais il est également possible
qu'une « prédisposition » plus légère tende à la fois à une éclosion plus
tardive et à une moindre altération de la personnalité.

En tout état de cause, ces conditions doivent pouvoir être modifiées par
l'importance du processus morbide, et éventuellement aussi par l'intensité
de facteurs psychiques. Car nous voyons des paranoïdes tomber malades
même à l'âge de la puberté, et surtout nous savons qu'il existe aussi des
catatonies tardives. Kraepelin a d'abord attiré l'attention sur les cas, non
rares, qui sont atteints à la période de Vinvolution par une mélancolie
apparemment commune mais présentent ensuite des symptômes catatoni-
ques et passent finalement à l'abêtissement catatonique. Il faut ajouter
qu'à toute époque de l'âge mûr peuvent apparaître les mêmes formes que
plus tôt dans l'existence. Nous ne sommes pas encore à même de déter-
miner s'il s'agit de récidives ou d'exacerbations d'une atteinte anté-
rieure ; mais nous n'avons encore vu aucun cas dans lequel nous ayons
été en droit d'exclure formellement un début antérieur.

I I I . Groupes étiologiques

En l'état actuel de nos connaissances, il n'en existe pas dans la schizo-


phrénie. Il nous faut supposer que des traumas céphaliques peuvent en-
gendrer ou déclencher des tableaux pathologiques schizophréniques ; il
est certain que des états fébriles et des accouchements normaux peuvent
être suivis de poussées de schizophrénie, et même que le premier accès
fait parfois suite à de tels processus. Mais nous ne connaissons pas de
types ou de symptômes précis qui correspondent à une telle étiologie. Les
psychoses carcérales ont certes une tonalité qui correspond à la cause
déclenchante ; mais il s'agit ici d'une caractérisation non de l'ensemble
de la maladie, mais seulement de symptômes. Le « complexe carcéral »
s'exprime par le souhait d'être libéré, et souvent par le besoin d'être in-
nocent, ou du moins considéré comme tel. Ainsi le patient entend-il un
beau jour le directeur ou un ange ou quelque autre personne compétente
dire qu'il est acquitté, ou qu'il va être relâché. Son humeur devient plus
exaltée - mais il n'est pas relâché. C'est qu'il y a des ennemis qui veulent
le garder prisonnier ; ils ne le laissent pas sortir malgré les ordres de l'or-
ganisme compétent ; ils empêchent le messager de parvenir jusqu'à lui ; ils
commencent à le tourmenter, inondent sa cellule de gaz toxiques, le mal-
traitent en cours de nuit, lui montrent des images effrayantes. Aussi de-
vient-il d'abord irrité, puis bruyant et violent, il aboutit dans un lieu de
soins psychiatriques où cet accès à déclenchement psychique disparaît re-
lativement rapidement, c'est-à-dire généralement en quelques semaines,
laissant derrière lui la schizophrénie chronique sous l'une quelconque de
ses formes. Naturellement, l'accès n'évolue pas toujours de cette manière.
Au lieu de se sentir simplement dans son bon droit, le détenu peut devenir
un réformateur du monde, un second rédempteur. Les persécutions sont
alors un peu mieux supportées pendant assez longtemps. Il peut aussi
arriver que le prisonnier soit atteint d'une psychose aiguë dès la détention
préventive, en particulier s'il est alcoolique 7 . II peut alors voir, dans un
délire cohérent, toutes les tentations possibles, des préparatifs pour son

7. A noter que ce que Kraepelin décrivait sous le nom de psychose carcérale était spécifi-
quement une psychose de la détention préventive, l'incertitude sur son sort étant considéré
comme un facteur étiologique majeur (NDT).
salut, qu'il identifie au salut de l'humanité en général ; après plusieurs
jours de vécus qui surpassent l'Apocalypse, il est finalement admis en
grande pompe au septième ciel - la détention peut également déclencher
un état de Ganser ou un syndrome des pitreries. - Naturellement, le
« complexe carcéral » peut aussi demeurer sans effet chez des détenus
schizophrènes ; la schizophrénie en cause a alors le même aspect que
n'importe quelle autre sous ce rapport également.
Il peut aussi arriver que, comme chez d'autres psychopathes, la haine
contre la société et l'échec complet de tout dérivatif conduisent à un
accès de rage destructrice (clash pénitentiaire). Des gens de cette der-
nière catégorie peuvent se retrouver au bout de quelques heures dans
leur état de calme antérieur, qui survient particulièrement facilement
après le sommeil dû à l'épuisement.
Les « psychoses menstruelles » méritent aussi une mention particulière.
Les cas relativement graves habituels des asiles sont, pour une part
notable d'entre eux, plus fortement agités pendant les règles. Des cas
tout à fait légers peuvent, de nombreuses années durant, n'apparaître
malades que pendant la période menstruelle. De tels états se voient à
titre résiduel après des accès aigus, comme précurseurs de manifes-
tations plus graves, mais aussi sans autres complications ; dans ce der-
nier cas, ils peuvent guérir, notamment à la ménopause.
J'ai connu une femme habile dans son ménage et son commerce qui eut pen-
dant plus de dix ans, à chaque menstruation, des dysthymies nettement schi-
zophréniques avec un peu de délire de persécution, de pulsion suicidaire, de
cours de la pensée schizophrénique et de réaction schizophrénique à sa ma-
ladie. Elle est indemne de symptômes manifestes depuis quelques années.
Dans ce cas, la confusion avec la folie maniaco-dépressive était très aisée.

IY. Groupes selon l'intensité


des phénomènes pathologiques

Tous les intermédiaires existent depuis les schizophrènes latents jus-


qu'aux plus gravement atteints. Il suffit ici de mentionner particuliè-
rement les cas létaux. Tous, pour autant que je sache, ont un caractère
catatonique. Naturellement, nous ne rangeons pas ici les cas qui pé-
rissent par manque d'alimentation, par épuisement à cause d'une ac-
tivité motrice incessante, par infections dues aux blessures ou à des
crises épileptiformes itératives. Les fluctuations de la maladie qui sont
indépendantes de telles influences peuvent aller si loin que l'ali-
mentation n'est même plus assimilée du tout. Malgré l'alimentation ar-
tificielle et tout le soin apporté à la thérapeutique, les patients meurent
de cachexie, généralement en l'espace de quelques semaines ou mois.
Mais il existe aussi un autre groupe qui semble mourir d'une sorte de
paralysie cérébrale catatonique. Les patients ressemblent d'abord tout
à fait aux schizophrènes ordinaires, mais ils attirent bientôt l'attention
par une certaine adynamie ; le lien avec le monde extérieur semble
insuffisant, on ne parvient à avoir strictement aucune relation avec
eux, pas même négative comme dans de nombreuses autres catatonies ;
s'ils réagissent, ils réagissent lentement aux stimulus venus de l'exté-
rieur. Ils ne vident plus leur bouche, le clignement de paupières de-
vient rare ou cesse totalement ; malgré toutes les mesures de
prévention, qui sont à vrai dire rendues aussi difficiles qu'il est pos-
sible par ces malades récalcitrants, il y a des zones de nécrose cor-
néenne, éventuellement des escarres des téguments externes, la couleur
devient blafarde, et les patients meurent en l'espace de quelques se-
maines. Qu'il s'agisse là de schizophrénies comme toutes les autres,
voilà qui est attesté non seulement par la symptomatologie des cas
létaux, mais surtout par le fait que de tels phénomènes peuvent se
manifester chez des malades dans le cas desquels le diagnostic est
assuré depuis longtemps déjà. Même des cas qui ont cessé d'évoluer
depuis bien longtemps et sont stationnaires peuvent être soudain at-
teints d'une paralysie cérébrale conduisant à la mort en quelques jours.
Troisième partie

L'évolution
A. L'évolution dans le temps

Décrire la totalité des différents modes évolutifs de la schizophrénie


est impossible. On ne trouve pas dans les manuels les variantes les
plus fréquentes, mais celles qui sont le plus aisées à décrire. On est
sans doute au plus près de la réalité si l'on se rend compte que seule
la direction évolutive vers la démence schizophrénique est déterminée
mais que, dans un cas donné, la maladie peut évoluer temporellement
et qualitativement sans guère de règles : progression continue, stabili-
sation, poussées, rémissions sont possibles à tout moment 1 .
On croyait naguère être relativement près du but. Pour leur hébéphré-
nie, Kahlbaum et Hecker avaient formulé l'hypothèse de la terminaison
certaine par l'abêtissement. La catatonie de Kahlbaum était censée par-
courir un cycle très précis de stades divers 2 . Cette règle, ainsi que
certaines établies par d'autres auteurs, s'est avérée inexacte.
Il est cependant un certain nombre de cas qu'on peut faire entrer dans
un schéma jusqu'à un certain point. De nombreuses schizophrénies de-
viennent manifestes par une excitation aiguë. Pendant l'excitation, le
niveau de l'intelligence chute souvent à tel point qu'on peut parler
de stupidité dès après le premier accès (« stupidité secondaire » des
auteurs) ; ou bien le syndrome aigu laisse derrière lui des hallucina-
tions et idées délirantes chroniques (« paranoïa secondaire »). L'accès
peut se renouveler, l'intelligence diminuant à chaque fois ; ou bien ce
n'est qu'à l'occasion de l'un parmi de nombreux accès que l'on remarque
la chute du niveau intellectuel. Mais le concept d'états « secondaires »
ne tient même pas la route dans ces cas à début « aigu », « l'abêtisse-

1. Il existe de nombreuses communications sur « l'évolution inhabituelle » de tableaux re-


levant de cette maladie. Aucun des cas de ce genre dont j'ai eu connaissance ne présentait
quoi que ce fût que tout aliéniste actif professionnellement n'ait souvent rencontré sur un
mode fondamentalement identique. A chaque fois, l'auteur s'est construit une « évolution
habituelle » qui ne rend pourtant pas compte de la réalité. Le caractère inhabituel réside
dans le seul fait que l'auteur s'est aperçu, dans un cas particulièrement éclatant, de la
déviation par rapport à ses schémas (NDA).
2. Il faut supposer qu'il n'a lui-même vu, tout aussi peu que moi, aucun cas évoluer exac-
tement selon son schéma ; car il ne publie pas une seule observation de malade qui aille
de façon typique dans son sens ( N D A ) .
ment » progressant encore après même la fin du syndrome aigu ou - ce
qui n'est nullement rare - ne survenant que quelque temps après la fin
de l'excitation. Pour autant que nous le sachions, il n'existe cependant
pas de formes aiguës qui conditionnent nécessairement un déficit per-
manent . Les états crépusculaires
3 ont en règle une évolution favorable.
Les épisodes aigus peuvent durer de quelques heures à quelques an-
nées. Ceux que nous recevons dans les asiles de fous ont évolué, pour
leur plus grande part, sur un certain nombre de mois. Ils peuvent se
produire isolément ou se renouveler avec n'importe quelle fréquence.
Il faut opposer aux formes avec syndromes aigus de tout type la schi-
zophrénie simple, car elle évolue le plus souvent de façon régulière et
insidieuse et peut avoir besoin de décennies pour se développer, sans
que l'on puisse noter de poussées ou de rémissions. Mais il existe aussi
des abêtissements simples qui ont atteint, d'un jour sur l'autre, un
degré tel que les patients sont totalement incapables de travailler et
de vivre en société. (Il est vrai que j e ne sais pas si le petit nombre
de cas que j'ai vu évoluer ainsi n'ont pas présenté de symptômes ac-
cessoires par la suite.) Mais de nombreux abêtissements évoluent fort
irrégulièrement, ils présentent alors en général des syndromes aigus et
ne sont de ce fait pas rangés dans la schizophrénie simple.

La paranoïde a aussi une certaine prédilection pour une évolution chro-


nique. Mais comme nous n'en séparons pas a priori les cas non compli-
qués, des poussées, des agitations intercurrentes et des rémissions sont
très fréquentes dans ce groupe - en faisant totalement abstraction des
cas « secondaires » ; on y rencontre pourtant les cas-types avec courbe
évolutive tout à fait plate et assez régulière.

La démence paranoïde est constituée par une paranoïde à début subaigu


suivi d'une paranoïde stable durant de nombreuses années.
Les cas à évolution irrégulière sont les plus fréquents. Il est impossible
de les décrire. Quelques exemples les caractériseront.
Paysanne. 17 ans. Catatonie d'une durée de deux ans. Ensuite, infirmière ;
congédiée au bout de deux ans. Puis sage-femme ; mariage. Le mari eut des
difficultés à s'entendre avec elle ; par exemple, elle ne tolérait pas qu'il chante
en travaillant. Sympathies et antipathies immotivées. A l'âge de 3 8 ans, de nou-
veau catatonie légère d'une durée de six mois. Depuis lors, travaille de nou-
veau à l'extérieur pendant huit ans, mais pas comme sage-femme.

3. J e n'ai vu les syndromes associés à une obnubilation avoir une évolution grave que dans
des cas peu nombreux, depuis que j e les mets à part des autres ( N D A ) .
Commerçant. Céphalées à 2 0 ans. Anxiété à 21 ans. Idée qu'il devenait ma-
lade mental ; mais travaillait impeccablement. Amélioration. A 22 ans, les
mêmes symptômes qu'auparavant, mais plus intenses ; à présent incapable
de travailler.

Ebarbeur. Au cours de ses années d'apprentissage, blessure à la jambe ;


comme on le faradisait, il dit que cela lui portait au cœur. A 2 8 ans accès
d'oppression à l'époque de son mariage. « Toujours bien portant sur le plan
mental ». Depuis l'âge de 3 5 ans céphalées permanentes, à la suite d'une
grippe. A 4 6 ans, accès d'angoisse précordiale, insomnie, distraction, inso-
ciabilité, rumination silencieuse ; délire de persécution et de petitesse, ten-
tative de suicide. Asile. Amélioration.

Tisseur de soie. Intelligent. A l'âge de 15 ans, pratiquant, délire de grandeur. A


20 ans, fureur catatonique, amélioré. A 27 ans constatation d'une stupidité. 29-31
ans catatonie. Jusqu'à 55 ans tisserand appliqué et silencieux, qui pourvoyait à
l'entretien de ses parents et au sien. Auto-castration ; depuis, silencieux à l'asile,
avec quelques symptômes catatoniques, travaille généralement un peu.

Femme de commerçant. A 2 9 ans affection hépatique, dysthymie, convulsions


hystériformes ; depuis, à chaque menstruation irritée, dysthymique ; alcoo-
lisme intermittent. A 3 5 ans délire de persécution ; « guérie » au bout de
quelques mois de séjour à l'asile, mais demeura irritable. De 37 à 40 ans dé-
veloppement progressif d'une paranoïde hallucinatoire de plus en plus stupide.

Gouvernante. Excessivement pratiquante. Après la puberté, mélancolie durant


plusieurs mois ; une Voix lui chuchota ce qu'elle devait écrire dans une lettre.
Puis pendant 10 ans « la servante idéale », très dévouée, de bonne compo-
sition, consciencieuse. Puis plusieurs années d'un état maniaque permanent
avec idées délirantes érotico-religieuses stupides. Ultérieurement, eut de nou-
veau une place.

Ouvrière d'usine. Peu après ses premières règles, maniaque durant quelques
semaines. Puis bien portante, seulement irritable, repliée sur elle-même, se
sentait tournée en dérision, riait toute seule. A 21 ans délire hallucinatoire
maniaque stupide ; relâchée guérie ; mais ne resta plus dans ses emplois. Au
bout de cinq ans environ, constitution progressive d'une confusion halluci-
natoire, agitée, n'était plus capable de travailler à l'asile non plus.

Paysan. A 25 ans insomnie. A 28 ans état crépusculaire durant quelques mois ;


guérison au cours d'une nuit. « Bien portant » jusqu'à l'âge de 30 ans, seulement
agité une journée durant, lors des obsèques d'un voisin qui s'était suicidé. Cha-
que fois qu'il voyait son ancienne amoureuse, pendant une journée était apathi-
que, mutique et ne mangeait pas. A 31 ans son amoureuse lui écrivit une lettre,
sur ces entrefaites soudaine catatonie dépressive grave. Amélioration au bout de
près d'un an. Relâché apte au travail. Un an plus tard suicide.

Valet de ferme. A 2 0 ans, idée qu'il hériterait d'une grande fortune ; boit ;
fait des néologismes. A 4 9 ans accès de fureur immotivé, au cours duquel il
casse tout. Asile de fous. Relâché au bout de quelques semaines, apte au
travail.
Excellent élève. A partir de l'âge de 16 ans, de plus en plus mauvais et
irrégulier au fil des ans. Cependant bon baccalauréat à 19 ans ; dépression
agitée à la suite d'une gonorrhée. De nouveau mieux, mais réclama un métier
manuel. Peu après, catatonie grave, abêtissement définitif.
Femme. A l'asile de fous à l'âge de 10 ans. A 2 0 ans, « dérangée » à la suite
d'un viol, puis apparemment bien portante. A 71 ans de nouveau à l'asile
(Bertschinger 295).
Femme. Catatonie dépressive après la puberté. Fut ensuite considérée comme
bien portante. Se maria, eut des enfants. Puis accès mélancolico-schizophré-
nique passé soixante-dix ans.
Médecin. A 2 9 ans neurasthénie cérébrale. A 31 ans catatonie, après un
typhus. Guéri à 47 ans ; reprend bientôt un cabinet, mariage. Bien portant
depuis deux ans (Schäfer, Monatschr., X X I I , fasc. complém., p. 72).

Dans tous les types évolutifs peuvent survenir à tout moment des exa-
cerbationes, soit que l'état chronique s'aggrave, soit que des symptômes
accessoires apparaissent, ou encore que des épisodes aigus d'un type
quelconque apparaissent. De telles aggravations peuvent être endo-
gènes, mais aussi être déclenchées par des influences physiques telles
qu'une intoxication alcoolique, et surtout par des causes psychiques à
effet soit lent, soit à type de choc.
Si les aggravations sont des répétitions d'épisodes aigus, ou si elles
surviennent après de larges rémissions, nous les appelons récidives.
Celles-ci copient fréquemment plus ou moins les accès antérieurs, mais
elles peuvent aussi revêtir un caractère nouveau.
Une fois un état relativement stable atteint, les poussées ne sont plus
fréquentes. Chez environ 2 0 0 malades de l'asile de chroniques de Rhei-
nau, qui avaient généralement dès leur entrée de nombreuses années
de maladie derrière eux, j'en ai trouvé au bout de 10 ans moins d'une
douzaine qui se fussent substantiellement aggravés.
Mais il me semble que des stabilisations complètes ne sont pas si fré-
quentes dans le matériel de nos asiles. Bien que l'on ne note généra-
lement rien qui soit de l'ordre d'une progression de l'abêtissement tant
qu'on est en contact quotidien avec ses malades, on remarque habi-
tuellement une aggravation si on les examine de nouveau après ne plus
les avoir eus en observation pendant de nombreuses années. Cette pro-
gression de la maladie est décelable à l'extérieur aussi. La plupart des
patients de notre asile de chroniques n'ont été admis qu'au cours de
la quatrième ou cinquième décennie de leur existence, longtemps donc
après être tombés malades. Le motif doit en être aussi l'accroissement
progressif des caractéristiques asociales, et pas seulement les cir-
constances apparentes (que leur entourage se lasse d'eux, que leurs
parents meurent, etc.). L'issue d'un accès ou d'un séjour à l'asile donnés
n'est donc en aucune façon équivalente à la terminaison de la maladie.
D'autre part, il est certain qu'une grande partie des cas relativement
légers qui gagnent leur vie à l'extérieur ne s'aggravent pas non plus
au fil des décennies.
De véritables stabilisations peuvent survenir à tout moment, mais elles
ne se remarquent naturellement pas autant dans les états chroniques
que dans les états aigus. Si même un certain nombre de symptômes
rétrocèdent pendant une stabilisation, nous comptons celle-ci au nom-
bre des rémissions4.

Nullement rares, les rémissions tout à fait subites au milieu d'accès


aigus, et notamment de ceux qui ont le caractère de délire hallucina-
toire ou de catatonie, méritent une attention particulière : de tels ma-
lades peuvent alors paraître tout à fait normaux au profane. Mais, à y
regarder de plus près, on retrouve une indifférence étonnante, tout au
moins à l'égard de ce qui s'est passé au cours de l'accès.
Une servante entre subitement en fureur alors qu'elle fait la vaisselle, la
casse, mène grand vacarme. Quand on vient enfin à la rescousse, on trouve
la malade parfaitement calme et lucide, occupée à ranger ; mais elle ne
comprend pas qu'on fasse si grand cas de cela. Au bout d'une demi-journée,
la fureur reprend et dure alors de nombreuses semaines. - L'un de nos ca-
tatoniques confus et agités avait très souvent de telles accalmies, que l'on
mettait à profit pour l'alimenter.

Des rémissions momentanées peuvent aussi survenir plus tardivement


au cours de l'évolution ; elles peuvent là aussi durer quelques heures,
ou si longtemps qu'elles cèdent la place à une authentique améliora-
tion, encore que les guérisons subites fassent que l'on s'attend plus à
une rechute rapide qu'en cas de guérison plus lente.
Des améliorations définitives ou passagères surviennent en partie spon-
tanément, en partie à la suite d'une influence psychique, d'un transfert,
d'une libération, d'une visite, d'un enveloppement 0 , voire après une

4. D'autres les appellent aussi intermissions et guérisons ( N D A ) .


5. Le pack n'est certes pas une nouveauté, même en 1 9 1 1 . Des années avant Bleuler, Krae-
pelin mentionnait déjà, parmi les modalités particulières de bains de longue durée, les en-
veloppements humides (NDT).
narcose au chloroforme (Nàcke et Steinitz 6 ). Sans doute sont-elles no-
tablement plus rares au cours des états chroniques, mais même là elles
ne sont pas absentes.
Pour ce qui est des états agités chroniques, on considère comme une règle
qu'ils deviennent plus calmes au bout d'un certain nombre d'années. Ce
processus s'accomplit de la façon la plus diverse. De nombreux cas s'a-
méliorent vraiment, dans la mesure où ils hallucinent moins et conçoivent
moins d'idées délirantes. Chez d'autres, néanmoins, l'accalmie est en
même temps un abêtissement, les malades n'étant plus assez conséquents
pour agir selon leurs idées. Les affects qui se rattachent à des phénomènes
pathologiques s'estompent de diverses manières, en partie sans doute
comme chez le sujet sain, parce que, justement, on s'habitue aux désa-
gréments, mais aussi parce qu'ils sont tout simplement clivés de la per-
sonnalité. Ainsi certains patients peuvent-ils s'accommoder de nouveau
de la réalité après bien des années ; parfois même ils redeviennent ca-
pables de travailler hors de l'asile, sans qu'on puisse percevoir d'amé-
lioration sur le plan intellectuel.

* * *

De l'évolution qualitative de la symptomatologie schizophrénique, on


ne peut dire pour l'instant que ce qui suit : bien que l'on ne puisse
exclure en aucun cas l'adjonction et la disparition de n'importe quel
symptôme, la plupart des malades conservent cependant le même type
pendant l'ensemble de l'évolution. Le catatonique a des symptômes
catatoniques en état tant aigu que chronique ; chez le paranoïde, les
hallucinations et les idées délirantes sont en permanence au premier
plan ; les états aigus présentent avec prédilection des troubles affectifs
et crépusculaires.
Mais des modifications dans toutes les directions ne sont pas rares.
Des symptômes catatoniques ou paranoïdes peuvent disparaître, si bien
qu'une catatonie ou une paranoïde initiales ressemblent par la suite à
une hébéphrénie simple. Ou encore, souvent, des agitations hébéphré-
niques de n'importe quel type s'associent à des symptômes catatoniques
au cours de leurs renouvellements ultérieurs 7 . D'une façon générale,

6 . J ' a i moi-même procédé à de très nombreuses narcoses au chloroforme, sans effet de ce


type (NDA).
7. Par exemple, une de nos malades qui ne séjourna que cinq ans au Burghôlzli fut-elle
admise à l'asile en tant qu'hébéphrénie, traitée en tant que paranoïde, et relâchée en tant
que catatonique, et ces trois « diagnostics » étaient pleinement justifiés (NDA).
des aggravations marquées se manifestent souvent par des symptômes
catatoniques (chroniques). Malheureusement, nous sommes encore loin
d'être capables de reconnaître tous ces cas à l'avance.
Souvent, néanmoins, il ne s'agit dans de tels passages d'un groupe à
l'autre que d'un changement de degré. Et au cours des rémissions les
cas de l'ensemble de ces trois groupes se ressemblent, seuls les symp-
tômes les plus généraux pouvant encore être mis en évidence ; le cata-
tonique « guéri » n'a naturellement pas plus de symptômes catatoniques
manifestes que l'hébéphrène « guéri ». A l'inverse, il est de nom-
breuses catatonies légères que nous rangeons dans la paranoïde, jus-
qu'à ce que des aggravations nous ouvrent les yeux. Quoi qu'il en soit,
la plupart de ces derniers cas ont dès le début quelque chose de par-
ticulièrement figé, de moins mobile que les véritables paranoïdes, phy-
siquement et psychiquement, si bien que l'on peut tout au moins
suspecter à l'avance la suite de l'évolution.

B . L e début

Le début de la schizophrénie est habituellement insidieux, bien que


les proches commencent généralement par affirmer que l'installation a
été aiguë. Certes, un état hallucinatoire ou catatonique peut éclater
littéralement d'une minute sur l'autre ; une patiente de Kahlbaum de-
vient subitement cataleptique en faisant ses achats dans une boulan-
gerie. Mais si l'on dispose d'une bonne anamnèse, il est tout à fait
exceptionnel de ne pas retrouver des signes antérieurs de la maladie,
qu'il s'agisse de symptômes nerveux, ou de modifications du caractère,
ou de phénomènes proprement schizophréniques. Il est vrai que des
modifications du caractère sont d'interprétation difficile, si elles ne se
sont pas faites franchement dans le sens de la maladie, ou si la maladie
ultérieure ne se développe pas directement à partir de ce caractère.
Si par exemple une jeune fille qui, pendant toute sa scolarité, n'a mon-
tré qu'un zèle modéré à apprendre, en dehors de prestations de premier
ordre en musique, se rue peu après la puberté sur tout ce qui a trait
à la culture générale et développe, d'une façon générale, une énergie
qu'on ne lui connaissait pas auparavant, jusqu'à ce qu'un délire cata-
tonique soudain inaugure l'abêtissement, il est impossible de dire si
cette modification relevait déjà de la maladie.
Plus fréquemment encore, la distinction entre caractère schizophréni-
que et bizarreries originelles crée des difficultés insurmontables. Il est
néanmoins une anomalie du caractère qui peut être mise en évidence
par l'anamnèse chez sans doute plus de la moitié des futurs schizo-
phrènes : la tendance au repli sur soi, associée à un degré plus ou moins
important d'irritabilité, si bien que ces enfants ont déjà attiré l'attention
très précocement parce qu'ils ne jouaient pas avec les autres et sui-
vaient par contre leurs propres voies. Comme il est certain que bien
des schizophrénies, en tant que telles, remontent à l'enfance, et comme
de nombreuses maladies manifestes apparaissent comme de simples exa-
gérations du caractère préexistant, il me paraît vraisemblable que ces
anomalies autistiques du caractère aient été en règle les premiers symp-
tômes eux-mêmes, et pas seulement l'expression de la prédisposition. Car
on trouve souvent aussi, en outre, des particularités intellectuelles qui
amènent ses camarades, très précocement déjà, à dire « dérangé » le
candidat à la schizophrénie. Des dix futurs schizophrènes que j'ai
connus à l'âge scolaire, aucun n'était comme les autres garçons.

Si l'on fait abstraction de ces singularités du caractère, le début de la


maladie est aisé à discerner s'il est marqué par des phénomènes pro-
prement schizophréniques, ou tout au moins psychotiques. Mais sou-
vent, au cours des premières années, même quelqu'un d'exercé ne peut
constater de symptômes spécifiques lors du plus minutieux des exa-
mens en consultation. Que les proches ne voient pas ou ne veuillent
pas voir, en règle, les premiers signes d'une maladie mentale est quel-
que chose de commun et rend souvent impossible le diagnostic en
consultation.
Quand nous parlons donc de symptômes initiaux de la schizophrénie,
nous devons nous limiter, dans ce qui suit, aux premiers symptômes qui
ont attiré l'attention ; trop souvent, nous ne connaissons absolument pas
les phénomènes qui sont réellement apparus les premiers .
8

Pour autant que nous le sachions, tous les symptômes peuvent inau-
gurer le tableau.
Sur le modèle de conceptions plus anciennes, Kahlbaum pensait que la ca-
tatonie commençait en règle par une mélancolie. Mais dans ses 22 observa-
tions de malades nous ne trouvons que neuf fois quelque chose qu'on puisse

8. Nous ne parlons pas de « prodromes ». On peut distinguer des prodromes d'un accès
aigu, et, d'une façon générale, des manifestations intercurrentes d'un a c c è s constitué. - Mais
j e ne puis m'imaginer de prodromes d'une maladie. Ce qui est qualifié de tel, ce sont de
premiers symptômes que l'on ne sait pas encore interpréter correctement ( N D A ) .
interpréter comme une mélancolie. Il dit néanmoins (p. 29) : « Tandis qu'il
est évident que, dans ce cycle à trois phases principales, la mélancolie occupe
le premier degré du développement ascendant et la manie constitue l'acmé,
on pourrait se demander quelle place revient à l'attonité ». Le terme « évi-
dent » montre sous un jour cru la façon dont une idée préconçue a pu obs-
curcir la vision de ce pionnier de la psychiatrie lui-même.

Le trouble de Vintelligence à proprement parler est fort rarement re-


marqué par l'entourage, bien qu'il soit souvent déjà très évolué quand
le malade arrive à l'asile. Des actes complètement « dérangés » au
milieu d'un comportement normal attirent beaucoup plus l'attention,
mais s'oublient ensuite volontiers si le patient n'est pas rapidement
plus gravement atteint.
Un jeune soldat devait montrer son fusil au major pour une inspection lors de
sa prise de poste à la frontière ; il prit une attitude menaçante en prononçant
ces mots : « Vivant j e ne lâcherai pas mon fusil 9 ». Ce n'est que six ans plus
tard que sa schizophrénie revendicative devint manifeste (Yennacopoulos).

Des anomalies du caractère débutant après la puberté peuvent mettre


en relief les facettes les plus diverses du caractère schizophrénique.
L'instabilité et l'irritabilité, notamment, précèdent souvent de nom-
breuses années les premiers symptômes plus sérieux. De telles mani-
festations peuvent aussi n'être que transitoires ou apparaître et
disparaître périodiquement, par exemple avec les règles.

Outre les anomalies du caractère, les symptômes hystériques et neuras-


théniques sont sans doute les précurseurs les plus fréquents de la ma-
ladie mentale patente. De nombreux schizophrènes, et notamment des
jeunes filles, passent d'un médecin à l'autre avec ce diagnostic pendant
des années. Les améliorations, qui ne sont pas rares ici non plus, sem-
blent alors confirmer l'hypothèse d'une névrose.
Schott (666) décrit un cas de ce genre, à propos duquel Neisser note (Men-
dels, Jahresbericht 1905, 1041) : « Il est très intéressant de suivre, à la lu-
mière des observations de malades, la façon dont les plaintes cohérentes et
pas particulièrement frappantes quant à leur nature revêtent un caractère de
plus en plus étrange, bizarre, psychotique, et dont le comportement du patient
est devenu de plus en plus figé, entêté et négativiste. » Dans de tels cas, on
doit supposer que le neurasthénique n'est pas devenu schizophrène par la
suite, tout aussi peu que la neurasthénie ne s'est transformée en cette dernière
maladie, mais que la schizophrénie n'a, au début, eu que des symptômes
neurasthéniques au premier plan.

9. En français dans le texte.


Ces gens mènent parfois durant des années une lutte désespérée avec
leur maladie, avant d'être domptés par la paralysie affective ou par un
état hallucinatoire chronique. Des élèves, par exemple, se sentent in-
capables de tâches intellectuelles. Ils s'y efforcent à longueur de' nuit,
tentent tous les moyens possibles, promenades nocturnes, thé, gymnas-
tique, et tout ce qui leur vient à l'esprit. On considère alors leurs
étrangetés comme des lubies juvéniles, alors que ces malades souffrent
gravement de leur état.

Parmi les symptômes neurasthéniques communs, le plus fréquent est


la céphalée, qui se comporte certes de façon généralement fort capri-
cieuse mais est moins nettement sous la dépendance d'influences psy-
chiques que dans l'hystérie. Par ailleurs, il n'est sans doute pas un
symptôme neurasthénique qui ne puisse se voir, comme notamment les
phénomènes de fatigue lors du travail intellectuel et corporel, l'impos-
sibilité de penser, qui est encore désagréablement ressentie.

Dans leur anamnèse, les malades se plaignent fréquemment de rêves


éprouvants qui les poursuivent même à l'état de veille.

Ce n'est pas entièrement à bon droit que l'on range ici aussi les idées
et impulsions compulsives, qui précèdent souvent de plusieurs années
les autres manifestations ; elles sont en effet d'origine tout aussi sou-
vent schizophrénique que neurasthénique.

Les symptômes fondamentaux affectifs sont très fréquemment au pre-


mier plan dès le début, les patients apparaissant de plus en plus in-
différents. Les dysthymies maniaques et mélancoliques, qui en diffèrent
foncièrement, n'inaugurent absolument pas aussi souvent le tableau que
ne le laisserait attendre le concept de psychoses secondaires. Cepen-
dant, on rencontre sans doute un peu plus fréquemment des dépres-
sions chroniques et aiguës que d'autres syndromes au début de la
maladie patente.

Les phénomènes catatoniques peuvent être la première chose qui attire


le regard au cours d'une évolution chronique ou, bien plus souvent
encore, en rapport avec une catatonie aiguë, tandis que des symptômes
paranoïdes sont souvent habilement masqués par le patient pendant
des années, jusqu'à ce qu'un incident quelconque les rende manifestes.

Quand les symptômes somatiques apparaissent seuls au début, il n'est


possible de les mettre en rapport avec la psychose qu'a posteriori. Tous
les types d'accès (pertes de connaissances, convulsions) se voient en
pleine santé apparente. Mais vraisemblablement ces derniers symp-
tômes sont-ils beaucoup plus fréquents au cours de la psychose une
fois éclose qu'à la période de latence des autres signes.

C. L'issue

I . La mort

La schizophrénie en tant que telle ne conduit à la mort que dans à


peine 1 % de toutes les admissions : directement par compression cé-
rébrale à la suite d'oedème cérébral ou d'augmentation du liquide cé-
phalo-rachidien, par troubles métaboliques (y compris états toxiques)
ou par paralysie cérébrale au cours d'accès respectivement catatoni-
ques et épileptiformes. Tout ceci est plus fréquent au cours des stades
aigus que chroniques.
Une issue léthale est plus fréquente comme conséquence indirecte de
la psychose ; refus d'aliments, blessures intentionnelles ou par inatten-
tion 10 , suicide, phtisie 11 et autres maladies consécutives à un mode de
vie sans hygiène. Ainsi la mortalité de la schizophrénie est-elle un peu
plus élevée que celle de la population environnante. Chez les patients
de l'asile de chroniques de Rheinau, ces deux chiffres sont dans la
proportion de 6,8 à 5 1 2 .

I I . Degré de l ' a b ê t i s s e m e n t . Possibilités de guérison

Pour pouvoir s'exprimer sans risque de malentendu sur l'issue des cas qui
restent en vie, il est nécessaire de clarifier le concept de « guérison ». Krae-
pelin fait sortir une partie de ses patients « guéris » ; mais il sait que, d'or-
dinaire, des reliquats de la maladie peuvent cependant être encore mis en
évidence. Aschaffenburg, qui avait vu à l'époque les mêmes patients que
Kraepelin, ne qualifie aucun cas de guéri.

10. Dans les cas chroniques, la tendance aux infections à la suite de blessures semble
étonnamment restreinte. Dans les cas aigus, et notamment lors des états confusionnels, elle
peut être augmentée (NDA).
11. Chez nous, il n'est pas mort plus de schizophrènes de phtisie que dans la population
environnante. Selon certains auteurs, cette maladie semblerait être une complication parti-
culièrement fréquente de la démence précoce (NDA).
12. Kemer, « Mortalité de la démence précoce », Psych.-neurologische Wochenschrift, 1910-
1911 (NDA).
En premier lieu, guérison pratique13 et guérison théorique sont deux choses
tout à fait différentes. Qui peut de nouveau circuler à l'extérieur de façon
autonome est, en un certain sens, guéri. Mais de telles gens peuvent avoir
reporté de leur maladie dans leur existence une foule d'étrangetés et de sus-
ceptibilités. Du point de vue scientifique, on n'est pas en droit de les déclarer
guéris ; car un concept de guérison clair nécessite une restitutio ad integrum
ou, le cas échéant, le statu quo anteli.
Dès lors qu'on ne qualifie pas exclusivement de guérison le retour à l'état
antérieur, le degré et le nombre des symptômes résiduels dans le cas desquels
on fera l'hypothèse d'une guérison est purement arbitraire ; et si l'on prend
la réadaptation sociale comme critère, des facteurs extérieurs au patient en-
trent en jeu, un valet de ferme pouvant être encore capable d'agir et de
travailler, même avec un déficit assez important, tandis qu'une toute petite
cicatrice psychique rendra un grand commerçant ou un banquier incapable
d'être à la hauteur de sa tâche. Le degré de susceptibilité de l'entourage
devrait aussi déterminer, le cas échéant, s'il y a guérison ou non. Un tel
concept de guérison n'est pas utilisable sur le plan psychopathologique. La
guérison sociale englobe, outre les véritables guérisons, pour autant qu'il en
existe, une grande partie des améliorations.
Mais même le concept de guérison dans le sens de la restauration de l'état
antérieur, clair en théorie, nous crée des difficultés. L'accès qui amène le
patient à l'asile n'est généralement absolument pas le véritable début de la
maladie ; celle-ci a débuté insidieusement depuis longtemps ; on a méconnu
ses ombres, mais aussi ses particularités caractérielles. Or tout état crépuscu-
laire schizophrénique n'entraîne pas nécessairement d'aggravation à sa suite ;
un retour à l'état antérieur à l'accès n'est donc pas rare du tout. Mais ceci
ne guérit pas la maladie qui, précédemment déjà, a fait du patient un original
misanthrope ou un instable irritable. Prendre l'état antérieur au véritable dé-
but de la maladie est très souvent impossible, parce que la schizophrénie a
commencé de façon insidieuse à l'époque du remaniement psychique le plus
rapide, voire même dans l'enfance. Nous nous trouvons de nouveau là devant
la difficile question : qu'est-ce qui est de l'ordre d'une particularité du ca-
ractère et qu'est-ce qui est de l'ordre d'un symptôme schizophrénique ?
Dans un cas donné, la constatation de la guérison dépend de la compétence
psychologique et surtout du temps dont dispose le psychiatre pour observer et
examiner le malade en état de sortir. On ne peut pas diagnostiquer directement
la bonne santé ; on la suppose, quand on ne trouve pas de signes de maladie
malgré une recherche minutieuse. Qui n'a pas le temps d'examiner minutieu-

13. « Guérisons sociales », selon E . Meyer (NDA).


14. J e sais bien que les guérisons d'une blessure laissent persister une cicatrice, et que l'on
parle aussi d'une amputation guérie. Mais nous rangeons une cicatrice qui perturbe la fonction
parmi les déficits, et « l'amputation guérie » présuppose un concept que nous définissons, en
psychopatliologie, d'une façon particulière, sous le nom de « guérison avec déficit » (NDA).
sement ses patients en trouve guéris de nombreux, qu'un autre considérerait
comme améliorés.
En fonction de mon expérience, il me faut me situer entièrement du côté
<i'Aschaffenburg et cPIlberg. Je n'ai fait sortir aucun schizophrène chez
lequel je n'aie pu voir encore des signes nets de la maladie, et il n'en
est que fort peu chez lesquels on ait vraiment dû chercher ces signes.
Même l'examen ultérieur de malades sortis, qui ne peut être que bref
étant donné les circonstances, ne nous a jamais montré de restitutio
ad integrum. Et je dois ajouter que les rapports que nous nous faisons
remettre au bout de quelque temps, chaque fois que possible, par les
paroisses et les proches, ne parlent que de façon tout à fait exception-
nelle de guérison, bien que la majorité des malades sortis soient aptes
au travail. Je n'ai encore jamais vu que des malades que d'autres ont
fait sortir « guéris » l'aient vraiment été.

En cette matière, on ne doit jamais se fier aux jugements de profanes qui


n'ont pas trouvé de symptômes. Je ne puis comprendre comment Strohmayer
en est arrivé à l'illusion que des abêtissements affectifs seraient promptement
signalés, même par des gens simples. Il y a longtemps, je suis passé à côté
du diagnostic de schizophrénie dans deux familles cultivées et intelligentes,
parce que j'ai cru les proches, qui disaient que les patientes étaient encore
très sensibles. L'une a ensuite voulu abattre son mari, quelques jours plus
tard, avec le plus grand calme, et ses sentiments à l'égard de l'un de ses
enfants étaient généralement complètement nuls, et parfois même négatifs.
On peut alors comprendre qu'un homme du peuple déclare bien portante sa
femme, qui ne parle pas, ne mange pas spontanément, et gît dans son lit
dans la saleté. Aux côtés de cette expérience d'Aschaffenburg, j'en pourrais
aligner de fort semblables.
Je connais des schizophrènes qui ont monté une affaire complexe après
être tombés malades ; j'en connais un qui, après deux états crépusculaires
catatoniques à environ sept ans d'intervalle, est encore capable d'ensei-
gner, de faire un travail scientifique autonome, et de conserver sa répu-
tation internationale dans sa spécialité. Un de nos catatoniques a obtenu
par la suite une renommée méritée comme poète. Schreber est devenu
président du Sénat après son premier accès. Un malade héboïdophrène
de Hess (301) est professeur d'université. Schumann (le compositeur)
et Scheffel 15 étaient schizophrènes. Au cours des 13 ans durant les-
quels j'ai fait passer des examens, j'ai dû accorder l'examen d'Etat 16

15. Joseph Victor (von) Scheffel ( 1 8 2 6 - 1 8 8 6 ) : poète et écrivain allemand.


16. L'équivalent des « examens cliniques » français, mais permettant l'exercice de la mé-
decine sans thèse (NDT).
à plusieurs schizophrènes, et même avec de bonnes notes pour une
partie d'entre eux. Puissent ces exemples montrer que nous ne fermons
pas les yeux devant les cas favorables.
Il est même des patients qui, après une poussée aiguë, paraissent mieux
qu'avant. La limitation de leurs intérêts peut faire de schizophrènes
des machines à travailler au fonctionnement régulier. Des époux qui
n'ont pas de besoins affectifs peuvent parfois trouver tout à fait idéal
un tel compagnon de vie silencieux. Dans deux cas, les « guéris » pa-
rurent même plus animés, plus vifs intellectuellement qu'auparavant.
La catatonie aida une jeune fille de bonne famille un peu inhibée, qui
avait vécu sous la dépendance complète de sa mère, à une plus grande
indépendance, et du même coup à acquérir la joie de vivre et de tra-
vailler. Un monsieur cultivé parlait volontiers de la maladie dont il
avait réchappé, et il semblait qu'il eût abréagi ses complexes, qui le
faisaient apparaître antérieurement comme un original autistique, et
qu'il eût repris goût à l'existence ; il était plus sensible, plus sociable 1 '.
Un autre malade était toujours très renfermé et sombre. Après sa grave
catatonie mélancolique, à la trentaine, du moins fut-il capable de rire,
à l'occasion 18 .

La critique de la maladie est un critère de guérison dont on a beaucoup


discuté. Ce n'est pas sans raison que sont aisément considérés comme guéris
des gens qui qualifient eux-mêmes de phénomènes morbides leurs idées dé-
lirantes et leur comportement pendant leur accès, qui comprennent qu'il a
fallu les traiter comme ceci et comme cela, voire même qui sont reconnais-
sants au médecin ou à l'asile, tandis que le contraire est un signe assez sûr
de persistance de la maladie. Mais certains schizophrènes ont un vif senti-
ment d'être malades dès l'époque des exacerbations ; seulement, ils ne cher-
chent pas toujours la maladie là où l'observateur la voit. Ils constatent par
exemple eux-mêmes le grave état de leurs « nerfs », l'absurdité de certains
actes ; mais selon eux ces deux états de faits étaient la réaction compréhen-
sible aux provocations de leur entourage. Il arrive aussi qu'un médecin schi-
zophrène fasse sur lui-même le diagnostic exact. Ces gens ont naturellement
en majeure partie leur « sens critique » pendant la rémission également ;
mais il est souvent totalement dénué de valeur. Souvent, même une critique
réelle est encore nettement pathologique ; c'est comme si seule une partie
de l'esprit avait son entendement correct. Par exemple, les malades parlent
souvent d'idées délirantes critiquées comme si cela concernait quelqu'un

17. Bien qu'il eût été restauré dans ses fonctions et ses dignités, il pensait qu'un serpent
avait été envoyé dans sa chambre par son médecin, pour les besoins d'une expérience (NDA).
18. Wille recense six cas dans lesquels la maladie a eu apparemment un effet favorable
(NDA).
d'autre ; la relation des vécus pathologiques avec le Moi actuel fait défaut.
Cette situation apparaît nettement quand l'on peut confronter de tels cas à
des mélancolies guéries ; ici, une expression spontanée avec évocation des
éléments affectifs ; là, un rappel laborieux des vécus, qui sont qualifiés en
quelques phrases de délirants et sont accompagnés d'un affect qui ne corres-
pond nullement à la situation de celui qui est délivré de ce délire. Le mon-
sieur cité plus haut comme « amélioré par sa maladie » parlait de son accès
aigu comme d'une expérience vécue particulièrement réussie. Il s'agit d'une
critique « froide, intellectuelle » (Jung), qui influence fort peu ou pas du tout
l'activité affective du malade, et nous avons également vu plus haut que nous
ne pouvons guère constater de rectification complète des idées délirantes
schizophréniques.

Aussi ne parlons-nous pas de guérisons, mais d'améliorations considé-


rables, et nous les distinguons des abêtissements graves (dans lesquels
le patient est tout à fait inadapté sur le plan social) et des abêtisse-
ments légers, qui doivent rassembler les cas restants, entre ces deux
extrêmes.

Si nous donnons des chiffres pour ces catégories, nous devons avertir
de ne pas leur accorder trop d'importance. Leur signification est dimi-
nuée non seulement par des critères tout de même quelque peu sub-
jectifs, mais plus encore par le fait que ce sont en première ligne les
conditions d'admission et de sortie d'un asile qui sont déterminantes
pour le pronostic moyen de la maladie. Si l'on a par exemple de longues
listes d'attente, les cas légers, c'est-à-dire favorables, seront bien moins
nombreux à être admis que si l'on a de la place pour chaque signale-
ment. Ces chiffres ne valent donc pas pour la schizophrénie en tant
que telle, mais pour les schizophrènes admis dans un asile donné. Les
très nombreux patients qui ne viennent jamais dans un asile et qui,
naturellement, amélioreraient foncièrement le pronostic échappent
complètement aux décomptes.

Je prends comme critère de la gravité de l'abêtissement l'efficience


pour gagner sa vie ou la possibilité de se maintenir autonome hors
d'un asile. Je qualifie de « légèrement déments » ceux qui sont capa-
bles de gagner leur vie, de « gravement déments » ceux qui sont tota-
lement inaptes socialement, et de « moyennement déments » les formes
intermédiaires qui ne peuvent être rangées dans ces rubriques. Ce cri-
tère dépend certes" de la profession du patient et de diverses cir-
constances extérieures, mais il permet une certaine entente. Ainsi, nous
avons les résultats suivants sur 515 cas du Burgholzli (de 1898 à
1905) :
Après le premier accès :
légèrement déments moyennement déments gravement déments
307 (60 %) 92 (18 %) 116 (22 %)

Naturellement, le résultat se détériore encore notablement avec le


temps, toutefois peu d'entre ceux qui ont une bonne rémission deviennent
tributaires de l'asile de façon permanente du fait d'une exacerbation
ultérieure.
Le pronostic global des divers groupes varie de la façon suivante :
Kraepelin mentionne pour l'hébéphrénie 8 % d'améliorations si impor-
tantes « qu'on serait peut-être fondé à parler de guérison », tandis que
17 % se stabilisent au niveau de la faiblesse d'esprit modérée. Dans
la catatonie, il compte 13 % de guérisons apparentes, tandis que 20
autres pour cent présentent des « reliquats » si durablement stables
qu'ils équivalent aux sujets guéris. Dans le cas de la paranoïde, cet
auteur ne note d'amélioration importante que « dans un nombre assez
faible de cas ».
Zablocka a trouvé sur notre matériel :

Démence (en pourcentages)


Groupes : légère moyenne grave
Paranoïde 65 16 19
Catatonie 57 13 30
Hébéphrénie 58 22 20

Du point de vue que l'on a présenté, il paraît évident que c'est la


paranoïde, qui perturbe le moins l'aptitude au travail, qui a le meilleur
pronostic. Que l'hébéphrénie n'offre pas plus de perspectives est lié
en partie à la façon de la délimiter, qui met particulièrement l'accent
sur l'abêtissement, et en partie au fait que l'hébéphrénie se déclare
plutôt à un âge où l'être humain n'a pas encore développé ses capacités
sociales. Ce dernier élément est également vrai pour la catatonie qui,
de plus, est celle qui doit le plus léser le cerveau, en tant que pro-
cessus pathologique le plus intense. Néanmoins, il est remarquable que
les différences soient si faibles.
Mais il ressort de l'étonnante différence par sexe que des facteurs bien
plus importants que nous ne l'avons mentionné plus haut concourent
à déterminer le rapport entre la forme de la maladie et la terminaison :
Démence (en pourcentage)
Légère Moyenne Grave
H F H F H F
Paranoide 78 51 6 27 16 22
Catatonie 54 59 9 18 38 23
Hébéphrénie 56 61 22 20 21 19

Peut-être la diversité des conditions de travail et du besoin de gagner


sa vie chez les deux sexes y ont-ils part.

La différence entre les sexes dans la terminaison de la catatonie nous


rappelle que les femmes sont plus enclines aux symptômes catatoni-
ques que les hommes ; chez elles, ceux-ci se voient donc sans doute
dans des cas plus légers. Si l'on prend d'un côté tous les cas avec
symptômes catatoniques et de l'autre tous ceux qui n'en présentent
pas, et peu importe dans quel groupe ils sont décomptés, la différence
reste voisine.

Démence (en pourcentage)


Légère Moyenne Grave
Sympt. catat. Sympt. catat. Sympt. catat.
AVEC SANS AVEC SANS AVEC SANS
Hommes 56 67 12 17 32 16
Femmes 58 57 20 22 22 21
Total 57 60 17 19 26 18

Il faut encore mentionner ici un groupe de paranoïdes qui n'ont certes


pas un bon pronostic quant à leurs idées délirantes et à leurs hallu-
cinations mais qui sont plus bénins, dans la mesure où ils ne perdent
pas toute contenance, pour autant que les idées délirantes le leur per-
mettent, et ne s'abêtissent pas à proprement parler ; leur langage ne
devient pas incohérent, ni leur comportement autistique, ils gardent le
contact avec l'environnement, bref, ils ressemblent beaucoup aux pa-
ranoïaques. Leurs idées délirantes ne deviennent pas non plus aussi
insensées. Ils ne présentent pas de symptômes catatoniques ; les accès
maniaques et dépressifs font presque toujours défaut ; par contre des
confusions hallucinatoires peuvent survenir. Bon nombre de ces ma-
lades sont capables de travailler, soit en permanence, soit en dehors
des poussées plus aiguës, bien qu'ils puissent rarement garder long-
temps la même place. A nos yeux, malheureusement, ils sont stricte-
ment identiques durant les premières années aux formes qui s'abêtiront
par la suite, si bien que pour l'instant nous ne pouvons les distinguer
des autres ni sur le plan théorique, ni en pratique. Il s'agit générale-
ment de gens qui sont tombés malades passé 3 0 ans ; j e souhaiterais
ranger dans ce groupe le délire présénile de préjudice de Kraepelin.
Mais des psychoses de la puberté peuvent aussi avoir cette évolution.
La démence paranoïde représente une autre forme ayant un pronostic
particulier, mais qui n'a pas non plus de frontières avec d'autres mo-
dalités symptomatiques de la schizophrénie.
On n'a pas encore pu trouver jusqu'à présent de corrélation entre les
symptômes pathologiques du début et la gravité de la terminaison (Za-
blocka, Bleuler).
Par contre, le type de l'accès qui conduit le patient à l'asile n'est pas
indifférent pour une évaluation moyenne de la gravité de la terminai-
son. Sans doute est-ce la nature de la maladie qui veut que les patients
ayant des accès très aigus aient en fait de très grandes chances de ne
s'abêtir que légèrement, mais aient en même temps tendance, si la
maladie progresse en pareil cas, à aller très loin 19 . Nous rangeons ici
les malades présentant des syndromes maniaco-dépressifs, qui soit ont
des intervalles libres relativement bons, soit font alors partie des ma-
lades les plus stupides des asiles de chroniques.
Par ailleurs, les rapports visibles entre état à l'admission et gravité de
la terminaison ont des motifs qui se situent en dehors de la maladie ;
les syndromes aigus sont ceux qui rendent le plus nécessaire le trai-
tement à l'asile, que l'état permanent atteint soit grave ou bénin. Les
chroniques, et surtout les abêtissements simples, n'arrivent que si le
degré de stupidité le rend nécessaire ; il s'agit donc d'emblée d'une
sélection de malades graves. C'est pourquoi, par exemple, parmi les
entrants que nous faisons sortir, 83 % des maniaques et seulement
33 % des déments sont dans un état compatible avec un travail.
Le matériel trop univoque de l'asile ne nous permet absolument pas
de vérifier si l'acuité du cas pathologique a un rapport avec la gravité
de l'état terminal, abstraction totalement faite de ce qu'un syndrome
aigu et une poussée sont deux choses différentes mais qu'il n'est pas
toujours possible de distinguer.

1 9 . C'est-à-dire que les formes avec accès aigus seraient soit bénignes, soit très évolutives,
mais rarement de gravité moyenne (NDT).
Nous ne pouvons constater d'influence de l'âge que dans la mesure où
les formes qui ne perdent pas toute contenance malgré de fortes idées
délirantes deviennent un peu plus fréquemment manifestes passé 30 ans 20 .
L'état des forces à l'époque de l'installation de la maladie paraît sans
importance pour notre propos, malgré les cas d'amentia qu'y rangent
d'autres Écoles. On ne peut pour le moment rien dire d'autre non plus
des autres symptômes somatiques de la maladie elle-même ; seule l'iné-
galité pupillaire a, compte tenu de notre matériel limité, un pronostic
moyen un peu aggravé.

En ce qui concerne l'état de l'intelligence, nous pouvons seulement


dire que, naturellement, ceux de ces malades chez qui la schizophrénie
se conjugue à une faiblesse d'esprit congénitale restent plus facilement
à demeure à l'asile, toutes choses égales par ailleurs, que ceux qui
sont doués sur le plan intellectuel. On n'a mis en évidence de plus
grande capacité de résistance ni chez les faibles d'esprit, ni chez les
gens intelligents.

Par contre, d'après notre matériel, les caractères anormaux ont des
terminaisons plus graves que d'autres patients. Mais cette constatation
ne pourra être interprétée tant que l'on entendra sous cette dénomina-
tion différentes déviations de la norme-type, et parmi elles également
des schizophrénies latentes.
Nous nous étions attendu à ce que les motifs déclenchants aient un
certain rapport avec le pronostic, dans la mesure où des affections qui
paraissent déclenchées par un choc psychique, par exemple les états
crépusculaires, en reviennent presque toujours à l'état antérieur. Mais
nos chiffres ne montrent pas de rapport entre la terminaison et ce que
nous concevons actuellement tant comme causes somatiques que
comme causes psychiques.

Mais le fait que les schizophrènes, non rares, qui arrivent secondaire-
ment à l'asile pour alcoolisme ne présentent pas de mauvaises pers-
pectives pronostiques mérite une mention particulière. Leur tendance
à s'isoler les protège des tentations, leur autisme les rend moins sen-
sibles aux séductions et aux tracasseries de la société.
On peut diagnostiquer une tendance aux récidives quand on peut mettre
en évidence le type maniaco-dépressif de la maladie. Par ailleurs,

2 0 . Selon Herzer, les affections de personnes d'un certain âge ont un meilleur pronostic
(voir aussi Lugaro) (NDA).
l'examen de toutes les conditions prises en compte jusqu'à présent
donne des chiffres tout à fait identiques chez les récidivistes et chez
les non-récidivistes.

D. L e s états t e r m i n a u x

Puisque les schizophrénies graves ne se stabilisent sans doute jamais


complètement et que, dans le cas des formes relativement bénignes,
on ne peut jamais être assuré qu'une aggravation ne surviendra pas, le
terme usuel « d'états terminaux » est à prendre avec réserve. La majorité
des états terminaux se soustraient à notre observation. Ces gens vivent
à l'extérieur, sont considérés comme bien portants mais, pour une partie
d'entre eux, lunatiques, entêtés, fantasques, bizarres, bêtes, etc. Cer-
tains ont seulement abaissé le niveau de leurs performances et de leurs
revendications à l'égard du monde. Le professeur agrégé végète dans
une école privée, le juriste fait des écritures dans un bureau quel-
conque, l'apprenti qui se destinait à être technicien est manœuvre, le
gymnaste aux grandes espérances gagne sa vie comme aide-jardinier,
le mécanicien aide sa femme dans ses travaux de couture. Beaucoup
sont, dans des postes qui ne réclament pas d'autonomie, des travail-
leurs hors pair, excessivement méticuleux. A un degré plus bas, les
malades deviennent travailleurs saisonniers, vagabonds, délinquants
habituels, avec des délits et des infractions généralement mineurs.

Ce qui reste à demeure dans les asiles présente les mêmes caractéris-
tiques, mais celles-ci sont plus marquées, et des symptômes acces-
soires rendant les malades incapables de vivre en liberté s'y sont
habituellement joints : les phénomènes catatoniques, parmi lesquels,
notamment, le négativisme est, dans les asiles, aussi fréquent que dé-
plaisant, puis les idées délirantes et les hallucinations avec leurs états
d'agitation et leurs conflits secondaires avec l'entourage.
Ces états terminaux graves présentent eux aussi une infinie multitude
de variantes, que l'état de nos connaissances ne permet pas de déli-
miter les unes par rapport aux autres. C'est aussi Kraepelin qui a fourni
la meilleure description des terminaisons, en distinguant neuf types :
1. « Guérison ».
2. « Guérison avec déficit », c'est-à-dire améliorations (sans doute l'is-
sue la plus fréquente).
3. Abêtissement simple.
4. Faiblesse d'esprit avec incohérence du langage. Le tableau s'est
constitué assez rapidement après une dépression initiale et reste alors
inchangé pendant longtemps. Des idées délirantes n'en sont jamais ab-
sentes, des erreurs sensorielles sont présentes au moins au début 21 .
Après une longue période, cette forme peut aboutir elle aussi à la
stupidité simple. Elle n'est pas particulièrement fréquente.
5. Bien plus fréquente est la terminaison dans la faiblesse d'esprit hal-
lucinatoire. Les erreurs sensorielles et les idées délirantes persistent
sur un mode parfaitement monotone, avec fréquemment des aggrava-
tions périodiques, mais elles n'acquièrent pas davantage d'influence
sur la pensée et le comportement, les malades restent en permanence
lucides et, dans l'ensemble, rangés dans leur comportement.
6. Dans un petit nombre de cas, la production délirante ne cesse de
progresser, sans que soient atteintes les formes graves d'abêtissement.
Les idées délirantes sont lentement développées plus avant mais, ce-
pendant, de plus en plus décousues. Il s'agit sans exception d'un délire
d'influence corporelle, souvent associé à un délire de grandeur. Selon
Kraepelin, l'appellation qui conviendrait le mieux à ces formes serait
dérangement hallucinatoire.
7. Démence paranoïde (voir ci-dessus p. 302).
8. Abêtissement radoteur. « Il est dominé, outre les manifestations de
la faiblesse d'esprit la plus profonde, par des reliquats pathologiques
qui correspondent à peu près à ceux de l'excitation catatonique. » Dans
les formes maniérées, c'est la bizarrerie qui est au premier plan, sous
la forme de manières et de stéréotypies de mouvement ; dans les formes
excitées, c'est principalement l'impulsivité, outre une tendance mono-
tone au mouvement. La pseudo-confusion dans le domaine de l'expres-
sion linguistique et la dissociation de l'activité sont communes à ces
deux formes.
9. La forme la plus importante est l'abêtissement apathique. Outre un
émoussement affectif d'un degré élevé, nous y trouvons les reliquats
du négativisme ou de l'automatisme sur ordre. « Ceci produit d'une
part une inaccessibilité craintive, figée, et d'autre part cette aboulie
apathique et anidéique qui donne leur cachet bien particulier aux
grandes sections de chroniques. Certains de ces malades peuvent être
encore des travailleurs mécaniques fort utilisables. »

2 1 . L'évolution ne suit nullement à tout coup le schéma de Kraepelin (dépression, puis


constitution rapide de l'incohérence du langage, puis stabilisation assez longue) (NDA).
« Les deux dernières formes d'abêtissement citées pourraient représen-
ter des terminaisons autonomes, mais non des périodes d'une seule et
même évolution de la maladie. Du moins me semble-t-il qu'elles ne se
transforment pas l'une en l'autre mais qu'une fois constituées elles
persistent, inchangées pour l'essentiel, jusqu'à la fin de l'existence »
(Kraepelin). J e crois pouvoir constater moi aussi que ces deux états
n'alternent pas l'un avec l'autre chez le même malade. Par contre, il
existe de si nombreuses transitions entre les formes sous lesquelles se
manifeste la stupidité maximale que j e ne suis pas encore convaincu
de la justesse de l'opinion de Kraepelin.

La transmissibilité héréditaire
Jusqu'à présent, on n'a pas suivi l'évolution respective de la maladie
et de la prédisposition en aval de l'individu. Les recherches sur l'hé-
rédité remontent toujours dans le temps en partant du patient. Mais ce
serait un travail fort bienvenu que de suivre le destin de la descen-
dance de nos malades. Les 6 4 7 malades examinés par Wolfsohn
avaient, à l'époque de leur entrée à l'asile, 4 0 4 enfants, dont 10 %
étaient atteints de maladies mentales et nerveuses : 11 souffraient d'im-
bécillité, 11 de « maladies mentales », 14 de nervosité, 2 d'épilepsie,
1 était sourd-muet et 1 avait commis un suicide. La plupart de ces
enfants n'avaient naturellement pas encore dépassé l'âge auquel appa-
raît la schizophrénie. Si ces chiffres devaient être confirmés à la lu-
mière d'un matériel plus nombreux, ils réclameraient une grande
attention.
Quatrième partie

Combinaisons
de l a schizophrénie
avec d'autres psycho
a) La schizophrénie peut surgir sur le terrain de la faiblesse d'esprit
congénitale (hébéphrénie greffée). Les symptômes de ces deux maladies
s'additionnent alors, encore qu'il faille vraiment beaucoup de patience,
de la part tant du médecin que du malade, pour assigner toutes les
manifestations à l'une ou à l'autre de ces maladies. Dans le cas de
certains symptômes, ce n'est parfois même pas possible. Ainsi peut-il
exister, dans le cas d'une stupidité (congénitale) assez importante, un
flou conceptuel que rien ne permet jusqu'à présent de distinguer du
manque de clarté conceptuelle dans la schizophrénie.
Au surplus, ces cas ne présentent rien dont on ne puisse se douter a
priori ; des formes graves et bénignes se côtoient.
La schizophrénie se voit aussi, comme dans les autres formes d"idiotie,
dans le crétinisme, que celui-ci soit total ou seulement somatique. La
maladie ne présente alors pas non plus la moindre particularité qui
n'aille de soi.
b) Parmi les maladies cérébrales organiques, les diverses formes d'a-
trophie sénile du cerveau compliquent très fréquemment la schizophré-
nie ; néanmoins, il n'est pas de règle que la démence sénile se
manifeste de façon marquée dans notre effectif de schizophrènes de-
venus vieux. Dans cette complication aussi, les symptômes des deux
maladies s'additionnent de façon nette. Des troubles de la mémoire des
stimulus récents, de l'orientation, de la compréhension s'ajoutent à la
stupidité schizophrénique. L'énergie des idées délirantes et de l'activité
diminue, pour autant qu'il en subsiste. Les hallucinations ne dispa-
raissent pas nécessairement ; mais parfois surviennent des deliriums
hallucinatoires séniles. La seule chose frappante, c'est la façon dont
se comportent les affects. Dans certains cas, il est vrai, on ne peut
plus tirer grand-chose des malades étant donné la double stupidité.
Mais parfois la psychose organique débloque les affects, les malades
redeviennent plus abordables, plus « débonnaires ».
Il est en outre des cas de stupidité sénile d'évolution lente qui ont, de
façon tout à fait constante jusqu'à la fin, des symptômes catatoniques,
généralement appariés à un type quelconque d'agitation. Voici une pa-
tiente qui verbigère en permanence comme une schizophrène, fait du
tapage, est malpropre et ne se préoccupe jamais vraiment de son en-
vironnement. Une autre est d'abord « mélancolique », mais d'une façon
étonnamment figée quant à ce qui touche à l'affectivité, et monotone,
pauvre dans tous ses modes d'expression. Elle a des pulsions suici-
daires automatiques, même après que son affectivité semble s'être épui-
sée ; elle se force violemment un passage vers l'extérieur dès qu'une
porte s'ouvre, chuchote constamment entre ses dents des reliquats sté-
réotypés d'anciennes plaintes. Une troisième, légèrement déprimée,
présente, outre cet affect superficiel, des changements d'humeur
complètement immotivés et des symptômes hystériformes caricaturaux.
Une quatrième ne cesse de se forcer le passage à travers les portes,
est toujours en mouvement, a un type singulier de négativisme qui
ressemble à du nihilisme, la malade exprimant tout sur le mode négatif
dans son discours. Une relation affective réciproque n'est pas possible
avec elle. Dans tous les cas, l'orientation est indemne. Des années
durant, la mémoire n'est pas franchement perturbée. On fait d'emblée
le diagnostic de démence sénile, mais on ne sait pas vraiment pourquoi,
et pourtant l'autopsie donne raison à ce diagnostic. Cette affection dé-
marre au cours de la cinquantaine ou de la soixantaine. Avant, ces
gens n'étaient pas tout à fait comme les autres, mais l'interrogatoire
ne permet pas de certifier une schizophrénie dans tous les cas. Il n'est
pas impossible qu'il s'agisse toujours, ici aussi, de schizophrénies la-
tentes qui ne deviennent manifestes que du fait de l'atrophie cérébrale
incipiens. Chez ces malades opposants, nous ne sommes encore jamais
parvenus à faire une analyse plus précise, qui puisse apporter la clarté.

En association avec la démence sénile, ou encore en dehors d'elle, des mani-


festations focales peuvent naturellement survenir à la suite d'apoplexies et
de ramollissements. Parmi ces manifestations, seuls les troubles aphasiques
ont un certain intérêt, dans la mesure où ils peuvent simuler un mutisme et
où, notamment, le trouble schizophrénique du langage peut se compliquer de
paraphasie. Mais ces deux symptômes peuvent être aisément différenciés en
y regardant de plus près.

La complication par des tumeurs cérébrales (et autres affections cérébrales


localisées) demande une étude particulière, pour laquelle le matériel n'est,
il est vrai, pas encore disponible du tout. Des tumeurs cérébrales s'accompa-
gnent parfois de symptômes catatoniques. Si à présent, dans le cas d'une
catatonie clinique, nous trouvons par la suite des symptômes tumoraux, on
ne peut jusqu'à présent déterminer s'il s'agit d'une catatonie compliquée par
une tumeur cérébrale ou d'une tumeur cérébrale primaire qui produit des
symptômes catatoniques. Dans les cas où l'évolution de la psychose ne corres-
pond pas à celle de la tumeur (par exemple schizophrénie présente depuis
de nombreuses années et gliome de croissance rapide), on sait néanmoins à
quoi s'en tenir.
On a déjà beaucoup cherché des combinaisons des psychoses à présent
regroupées sous le nom de schizophrénie avec la paralysie générale, et
l'on en a trouvé, à titre de raretés, un certain nombre de cas (Joffroy
et Gombault). On n'a jusqu'à présent répondu que par des conjectures
à la question de savoir comment expliquer la rareté de cette compli-
cation (la paralysie générale serait « la maladie du cerveau sain »). Je
ne puis rien ajouter à ceci, sinon peut-être que la syphilis n'est pas
non plus fréquente chez nos malades. Du moins ne puis-je me souvenir
d'avoir, en 27 ans de pratique d'aliéniste, rencontré un schizophrène
syphilitique (auto-érotisme !), mais j e sais néanmoins aussi qu'on en a
trouvé récemment en d'autres lieux.

Il est impossible de voir, d'après la littérature, à quoi peut ressembler, sur


le plan symptomatologique, la combinaison de la paralysie générale et de la
schizophrénie. Je n'ai moi-même observé avec une relative précision qu'un
seul cas 1 , et ce qui y était frappant, c'était la rapidité avec laquelle la patiente
s'était dégradée, bien qu'on ait encore pu établir quelque rapport affectif avec
elle. Elle ne pouvait être incitée au moindre travail, avait en permanence la
main dans la bouche, et elle devint incontinente sans que des paralysies ou
un état catatonique aient pu suffisamment l'expliquer. Le personnel infirmier
en conclut à une paralysie générale en se fondant sur une orientation défi-
ciente et une mauvaise mémoire. Des examens médicaux, lors desquels la
patiente fit un effort sur elle-même, ne purent pas mettre en évidence de
déficit de la mémoire et de l'orientation ; même les symptômes somatiques
de paralysie générale étaient trop peu patents pour permettre le diagnostic.
Par contre, les complexes étaient aussi évidents que dans une schizophrénie.
Morte de marasme au bout de trois ans de séjour à l'asile. L'autopsie montra
une paralysie générale incipiens mais indubitable, et l'anamnèse, reprise plus
minutieusement après coup, une schizophrénie remontant à coup sûr à plus
de dix ans.
c) Le schizophrène sans volonté devient facilement un buveur. Sans
doute 10 % de nos alcooliques sont-ils en même temps schizophrènes.
Les particularités de cette combinaison sont décrites dans le chapitre
suivant.

1. J e n'ai pas fait le diagnostic de celte combinaison aussi rarement que cela (NDA).
Dans ces cas, l'alcoolisme doit sans doute être envisagé comme une
complication de la schizophrénie. Je n'ai encore jamais vu que cette
dernière ne soit survenue qu'après coup chez un alcoolique.

d) Jusqu'à présent, des combinaisons de la schizophrénie avec la mé-


lancolie, la manie, et éventuellement la folie maniaco-dépressive ne peu-
vent pas être prouvées avec certitude. Chez nos malades, des
symptômes maniaques et mélancoliques sont si communs que nous de-
vons supposer qu'ils sont généralement déclenchés par le processus
morbide, donc qu'il font partie de la schizophrénie. Mais dans les cas
qui sont paranoïdes dès le début, la dépression mélancolique authen-
tique n'est pas fréquente, et la manie est si rare qu'on la range parmi
les curiosités. Là, on pourrait déjà penser plus à une complication. Et
les cas qui évoluent selon le schéma de la folie cyclique, ou du moins
avec une certaine périodicité régulière, sont sans doute en grande par-
tie des formes mixtes de folie maniaco-dépressive et de schizophrénie,
ou éventuellement des accès maniaco-dépressifs déclenchés par la
schizophrénie, sur une prédisposition adéquate. On sera particulière-
ment enclin à formuler cette hypothèse si l'abêtissement reste encore
peu ébauché après un certain nombre d'épisodes vraiment importants,
ce qui est rare à vrai dire. Dans certains cas, la constatation d'une
hérédité maniaco-dépressive accroît cette probabilité. Mais comme tous
les symptômes maniaco-dépressifs peuvent aussi se voir au cours de
la schizophrénie, en l'état actuel de nos connaissances, les tableaux
de la maladie ne doivent pas être sensiblement altérés par ces compli-
cations.

e) Il est plus difficile encore de répondre à la question de savoir s'il


existe une combinaison de la schizophrénie avec Vépilepsie.

Comme les crises épileptiques sont quelque chose de fréquent dans la


schizophrénie, on n'est pas en droit de penser d'emblée à une compli-
cation de ces deux maladies (l'une par l'autre), bien que la littérature
plus ancienne ait pris particulièrement en compte la complication qu'é-
tait la « paranoïa avec épilepsie ». Depuis que des méthodes plus ap-
profondies de diagnostic sont à notre disposition, je n'ai plus vu aucun
cas dans lequel une telle complication entrât en ligne de compte. Je
dois donc laisser à des études ultérieures le soin de rechercher l'exis-
tence et éventuellement la symptomatologie de tels cas. Le fait que le
blocage affectif schizophrénique et l'exaltation affective épileptique
puissent se compenser jusqu'à un certain point (Morawitz) crée une
difficulté diagnostique.
f) Il est par principe impossible de répondre à la question de savoir
si la schizophrénie peut se combiner à l'hystérie tant que nous ne
connaissons que les symptômes secondaires et non le processus de
base de ces deux maladies. Et l'altération cérébrale schizophrénique
est l'une des causes prédisposantes les plus fréquentes de symptômes
hystériques ; d'où les nombreuses paranoïas hystériques et les maladies
hystéro-dégénératives, quel que soit le qualificatif principal que leur
attribuent les auteurs. Nous n'avons donc provisoirement besoin que
de nous en tenir au fait que tout symptôme hystérique peut aussi éclore
sur le terrain de la schizophrénie.
Nous pouvons dire la même chose de tout ce que l'on a coutume de
désigner par le terme de neurasthénie (y compris idées compulsives,
etc.)
On peut tout aussi peu parler d'une combinaison de paranoïa et de
schizophrénie, justement parce que les symptômes positifs de la para-
noïa peuvent aussi se voir dans la dernière de ces maladies, si bien
qu'il nous faut provisoirement appeler paranoïaques les productions
délirantes sans symptômes schizophréniques, et schizophréniques les
autres.
g) Nous devons encore mentionner les deliriums fébriles. Tout psychia-
tre a vu des cas de schizophrénie dans lesquels des deliriums fébriles
étaient altérés par la survenue de symptômes schizophréniques, notam-
ment catatoniques. Mais l'on voit parfois aussi des signes catatoniques,
catalepsie et verbigération notamment, au cours de deliriums fébriles
dans le cas desquels on ne peut mettre en évidence de schizophrénie
ni avant, ni après. On a à chaque fois l'impression que ces symptômes
font partie du delirium fébrile. Cependant, il faut se souvenir que des
maladies fébriles rendent souvent manifeste pour la première fois une
schizophrénie, ou même la provoquent ; ne serait-il pas envisageable
également qu'une catatonie latente ne puisse se déceler qu'au cours
d'un delirium fébrile ?
Cinquième partie

Le c o n c e p t nosologique
La démence précoce englobe la majorité des psychoses jusqu'à présent
qualifiées de fonctionnelles. Ce concept implique un type particulier
de conception systématique des psychoses. C'est pourquoi il n'est pas
possible d'en discuter sans prendre amplement en considération d'au-
tres concepts nosologiques.
Avant Kraepelin, on ne distinguait dans ce grand groupe de psychoses
que des tableaux d'état ou des complexes symptomatiques. La démence
précoce se veut une maladie au sens de Kahlbaum. Elle est par prin-
cipe autre chose qu'un « délire hallucinatoire aigu », une « manie » et
une « mélancolie » (au sens pré-kraepelinien), une « paranoïa aiguë »,
une « confusion mentale » de l'école de Vienne. On ne peut pas deman-
der si un cas appartient à la paranoïa aiguë ou à la schizophrénie (l'un
n'exclut pas l'autre), et ce tout aussi peu qu'on est en droit de se
demander si une maladie oedémateuse est une hydropisie ou une né-
phrite. Non seulement les termes mais aussi les concepts d'hydropisie
(des anciens auteurs), de paranoïa aiguë, de confusion ont été forgés
d'après le symptôme le plus frappant pour l'observateur de l'époque.
C'est pourquoi une véritable délimitation de tels tableaux pathologiques
est impossible. Outre des symptômes tels que la confusion ou le trouble
paranoïaque de l'intelligence, on trouve dans chaque cas d'autres manifes-
tations encore, variables en nombre et en intensité. Si de tels « symp-
tômes accessoires » deviennent particulièrement nets, ou si le « symp-
tôme cardinal » rétrocède quelque peu, l'appellation devient incertaine
et le concept se volatilise ou doit être délimité arbitrairement pour le
cas en question. Une telle modification du tableau peut certes survenir
chez un patient donné, qui avait même été considéré comme un cas
typique, mais plus fréquemment encore il s'agit de nombreux cas patho-
logiques analogues, qu'il est possible d'ordonner en une série continue
et dont les premiers maillons appartiennent par exemple à la mélan-
colie simple, les suivants à la mélancolie hallucinatoire et les derniers
à la paranoïa hallucinatoire aiguë, sans qu'on puisse mettre nulle part
de frontière en évidence. Quand on tenait l'hydropisie pour une mala-
die, on savait aisément s'arranger du décalage du tableau : à la maladie
originelle s'ajoutaient une hydropisie abdominale, une hydropisie thora-
cique et une hydropisie cardiaque. Mais dans le cas des psychoses le
tableau de la maladie semble trop homogène pour que l'on ait souvent
entrepris de telles adjonctions ; au lieu de cela, on fait se transformer
une maladie en une autre 1 . Le défenseur le plus extrême de cette
conception est Wernicke ; quand un nouveau complexe symptomatique
passe au premier plan, il se trouve en face d'une autre maladie ; la
psychose de motilité d'un jour est, le lendemain, une paranoïa.

Il en va tout autrement avec les concepts de néphrite, de paralysie


générale, de démence par atrophie cérébrale : le tableau peut se mo-
difier comme il veut, on peut avoir au premier plan là une poussée
urémique, une insuffisance cardiaque, une rétinite, ici la triade ma-
niaque, la « stupidité », la paralysie, la rémission, nous ne changeons
ni l'appellation de la maladie, ni le concept. La possibilité de survenue
de tels symptômes était donnée avec le diagnostic.

Dans les autres domaines de la médecine, on n'a plus guère laissé


subsister de concepts nosologiques symptomatiques, et là où l'on n'a
pas encore pu les remplacer on ne les utilise qu'en ayant conscience
de ce qu'on a affaire à une formulation provisoire, et non à un diagno-
stic. En psychiatrie, on doit encore se battre en faveur de conceptions
aussi évidentes. On aime certes à citer la paralysie générale comme
modèle de concept clair, mais elle s'oppose directement aux concepts
nosologiques symptomatiques.

Nous devons à présent apporter la preuve :


1. que les autres diagnostics parmi lesquels la démence précoce de
Kraepelin est habituellement rangée ne représentent pas de véritables
concepts de maladie, et
2. que le concept de démence précoce remplace les tableaux d'état par
quelque chose de mieux, par un véritable concept nosologique et, en
même temps, que ce concept correspond à ce que nous pouvons ob-
server.
Le fait que des concepts tels que confusion, paranoïa aiguë, folie hal-
lucinatoire aiguë, « confusion mentale 2 », ainsi que manie et mélanco-

1. On a eu du mal à échapper au concept fort osé de transformation. Nasse a même décrit


des transformations d'une psychose en une autre qui se produisaient en l'espace de quelques
heures (NDA).
2. En français dans le texte.
lie au sens ancien, usuel maintenant encore en France et en Angleterre,
ne désignent pas des « maladies » devrait en fait être évident pour
quiconque a vu des malades mentaux. Je puis donc me limiter à quel-
ques points peu nombreux ; ce serait beaucoup trop long si je voulais
dire sur ces concepts tout le mal qu'en fait j e devrais ; et j e ne serais
pas non plus à la hauteur de la tâche, pour la bonne raison que je ne
peux tout simplement pas me mettre à la place de ceux qui ont cru
voir un concept nosologique derrière ces termes.
D'abord l'aspect formel : La formation d'un concept à partir d'une seule
particularité marquante implique toujours quelque chose d'imprécis et
d'arbitraire. Ce que l'un considère comme important, il se peut que
l'autre y prête à peine attention. Chez les vieux schizophrènes, jusqu'à
il y a peu d'années, la moitié des psychiatres environ ont vu au premier
plan la démence, et l'autre moitié les idées délirantes et les halluci-
nations. Et il n'est même pas si rare que l'un ne constate même pas
un symptôme qui saute d'emblée aux yeux d'un autre ; ou bien l'un
voit une stupeur là où l'autre ne veut pas entendre parler de stupeur,
parce qu'il associe un concept plus limitatif à ce terme ; ou bien l'un
pense même observer directement des hallucinations là ou l'autre doute
de leur existence parce que le patient ne fournit pas d'information, et
parce qu'on peut également expliquer par d'autres symptômes fonda-
mentaux ce qui évoque des hallucinations.

Et quant au contenu, à présent : Un symptôme, tant psychique que


corporel (douleur, anasarque), n'est jamais une maladie ; un complexe
symptomatique l'est tout aussi peu. Et ce serait aussi un bien grand
hasard si un quelconque syndrome, psychique ou autre, correspondait
par extraordinaire à une véritable maladie, c'est-à-dire s'il devait être
nécessairement au premier plan de chaque cas donné de cette maladie,
sans se voir dans d'autres maladies. Si l'on a trouvé un symptôme ou
un complexe symptomatique chez son malade, la systématique, la for-
mation du concept nosologique n'en est pas pour autant à sa fin, mais
à son début ; à présent, il faut d'abord se demander : dans quelles
relations avec d'autres symptômes et avec des anomalies anatomiques,
au cours de quelle évolution, et à la suite de quelles causes ce symp-
tôme survient-il ? Et éventuellement : à quelle perturbation fondamen-
tale peut-il être rapporté ? Seule la réponse à ces questions nous
fournira le concept nosologique.

La plupart des symptômes utilisés pour délimiter les anciennes pseu-


do-psychoses étaient, en soi déjà, tout à fait impropres à un tel rôle.
Par exemple, des hallucinations existent dans toutes les maladies men-
taies, et même chez des sujets sains. Leur survenue n'est donc même
pas utilisable comme critère de délimitation entre sain et morbide, et
encore moins pour démarquer une maladie mentale d'une autre. Leur
rapport quantitatif aux autres symptômes pathologiques ne pourrait rien
nous dire non plus. Nous voyons par exemple des paralysies générales,
des épilepsies, des affaiblissements séniles évoluer tantôt avec de nom-
breuses hallucinations et tantôt sans la moindre ; mais il ne nous vient
pas à l'esprit d'interpréter de ce fait les tableaux de la maladie dans
un sens quelconque. Au cours des différents accès du même maniaco-
dépressif, que nous avons de bonnes raisons de considérer comme équi-
valents, nous voyons même les hallucinations être tantôt au premier
plan, tantôt totalement absentes. Si, à présent, nous avons sous les
yeux, comme dans la schizophrénie, des complexes pathologiques qui
sont identiques par tous les autres critères symptomatologiques, évo-
lutifs, etc., mais qui se distinguent par la survenue d'hallucinations,
ceci ne nous donne pas encore le moindre droit de considérer ces
tableaux pathologiques comme quelque chose de particulier.

Le type des hallucinations serait plus important. On peut diagnostiquer


un delirium tremens avec quelque vraisemblance, voire avec certitude
si certaines particularités de mode de réaction s'ajoutent à la combi-
naison d'hallucinations visuelles d'un type particulier avec des hallu-
cinations tactiles ; de même la combinaison décrite d'hallucinations de
l'ouïe et de sensations corporelles permet-elle le diagnostic de schizo-
phrénie — le diagnostic, mais pas la délimitation du concept, car les
hallucinations peuvent être totalement absentes ou dominer complète-
ment le tableau dans des cas par ailleurs équivalents ; elles peuvent
n'être décelables que huit jours durant au cours d'une évolution de
cinquante ans de la maladie dans un cas, et dans un autre de même
durée elles peuvent ne faire que passagèrement défaut ; bref, pour pou-
voir en conclure quelque chose, il faut qu'elles soient présentes ; et
nous étayons tout simplement le diagnostic de schizophrénie sur la
corrélation, enseignée par l'expérience, entre certaines hallucinations
et les autres symptômes de la schizophrénie. C'est donc pour de bonnes
raisons que personne ne s'est risqué à fonder le concept d'une maladie
sur le type des hallucinations.

Il en va encore bien pis avec le concept de confusion, qui est à la


base de l'idée de Yamentia3. La confusion est un symptôme final pro-

3. Amentia : concept de l ' É c o l e de Vienne ne correspond pas exactement à la confusion


mentale de Chaslin, moins vaste que lui (NDT).
duit par les troubles les plus divers, pourvu seulement qu'ils soient
suffisamment intenses. Ainsi des maniaques, des épileptiques, des hys-
tériques, des délirants 4 , des catatoniques sont-ils confus, à l'occasion ;
mais une analyse plus précise montre qu'il s'agit pourtant d'autant
d'états tout à fait divers et cliniquement individualisables. Le fondateur
du concept d'amentia avait donc rassemblé tous ces états par une dé-
marche logique et avait ainsi poussé sa théorie jusqu'à l'absurde, c'est-
à-dire qu'il a lui-même montré que son hypothèse était inexacte,
puisqu'elle conduit à des conséquences fausses par un raisonnement
logique. L'amenda épurée de la nouvelle école de Vienne 5 pâtit encore,
elle aussi, du défaut fondamental du concept originel. Quand Stransky
tente de s'en sortir en rangeant dans l'amentia ceux des cas de confu-
sion qui n'appartiennent pas à un autre concept nosologique, ceci ne
serait utilisable en pratique que si nous connaissions déjà les autres
maladies entrant en ligne de compte et les avions délimitées. Mais
l'école de Kraepelin range sans hésiter la plupart de ces cas dans la
démence précoce. Si donc nous admettions la définition de Stransky,
nous ne nous trouverions ni plus ni moins qu'autrement dans le cas
de diagnostiquer l'amentia.

La stupeur, souvent utilisée elle aussi pour le diagnostic différentiel,


est tout à fait impropre à ce but. Tous les types d'inhibitions et de
barrages se manifestent sous la forme d'une stupeur, pour peu qu'ils
soient bien intenses. Mais ce qui est important pour le diagnostic de
la maladie, c'est seulement le symptôme primaire qui en est le fonde-
ment, et non pas le tableau apparent, la stupeur. Stupeur maniaque,
épileptique, schizophrénique, stupeur par effroi, tout ceci, ce sont des
choses tout à fait différentes.

Pour beaucoup, il est très important de savoir si, dans une maladie
mentale, la perturbation atteint l'intelligence ou l'affectivité de façon
primaire. Mais, outre d'autres difficultés, deux faits rendent ce critère
totalement inutilisable : nous ne savons absolument pas s'il existe des
troubles primaires de l'un de ces domaines qui laissent l'autre intact,
et devant un cas concret nous sommes encore bien moins capables de
dire ce qui est primaire et ce qui est secondaire. C'est ainsi que, dans
la psychose affective « manie », même la fuite des idées et l'exaltation
de l'humeur ne se présentent pas comme dépendant l'une de l'autre,

4. Deliriende : le terme renvoie plus aux patients atteints de delirium qu'aux délirants dans
leur ensemble (NDT).
5. Stransky, Pilez (NDA).
mais comme des corrélations (à preuve, les états mixtes). Et ainsi, dans
la « psychose de l'intelligence par excellence », la paranoïa, dispute-
t-on vivement si la perturbation primaire n'est tout de même pas celle
de l'affectivité. Il s'agit donc ici d'un critère qui n'existe peut-être
même pas, et en tout cas qui n'a encore été prouvé par personne.

Certains accordent même de l'importance à la précession temporelle


d'un symptôme sur un autre, comme Ziehen, qui formule dans certains
cas l'hypothèse d'une manie si la perturbation affective est survenue
la première et, à l'inverse, celle d'une paranoïa hallucinatoire aiguë,
si les hallucinations étaient d'abord présentes (840, p. 338). Qui a la
prétention de constater cette différence ? L'interrogatoire du patient,
prôné par Ziehen (840, p. 207), me paraît tout de même trop incertain
dans de nombreux cas.

Il va de soi qu'on ne peut établir de limites nettes avec de tels critères.


C'est ainsi que, dans les diagnostics symptomatiques, il y a toujours
une foule de cas intermédiaires et de cas atypiques. L'hypothèse de ma-
ladies atypiques est toujours témoin de quelque insuffisance. Dans la
nature, rien n'est typique et rien n'est atypique ; la « forme fruste 6 »
a tout autant droit à l'existence que celle qui est admise comme type.
Si nous qualifions une maladie d'atypique, cela veut dire qu'elle déroge
à une norme que nous avons établie. Si une telle dérogation se produit,
c'est la preuve que notre norme n'inclut pas tous les cas qu'elle devrait,
ou alors que nous avons mis en relief sous le nom de « typique », dans
un but descriptif, un groupe donné de cas, pour décrire ensuite les
autres cas en tant qu'exceptions et variantes. Ce dernier procédé pré-
sente souvent de grands avantages ; mais il ne faut pas confondre une
délimitation descriptive adoptée à des fins didactiques avec la délimi-
tation du concept. S'il existe une scarlatine sans exanthème, alors le
concept nosologique de scarlatine inclut aussi cette forme. Ce qui est
typique ne peut être déterminé qu'arbitrairement. Il n'est que de
comparer le concept de Vesania typica selon Kahlbaum, ou même selon
Arndt (21a), avec la réalité et avec l'adage de Clouston : la forme ty-
pique de la maladie mentale est la folie juvénile qui aboutit à une
démence secondaire.

En ce qui concerne à présent les formes intermédiaires1, celles-ci se


voient dans la nature à plus d'un endroit. Il n'y a pas de frontière entre

6. En français dans le texte.


7. Il nous faut laisser de côté les formes convergentes de Ziehen (NDA).
climat de montagne et climat de plaine, entre honnête et mauvais, entre
sain et anormal, et il n'y en a pas non plus entre les divers types de
« personnalités psychopathiques » du schéma de Kraepelin. Dans tous
ces cas, nous avons découpé artificiellement une entité naturelle. Théo-
riquement, il faut certes admettre la possibilité que de telles conditions
existent aussi dans le cas des psychoses, ou du moins de celles de
leurs formes qui entrent ici en ligne de compte : il pourrait bien n'exis-
ter qu'une maladie mentale ; les tableaux d'état que nous individuali-
sons ne seraient alors que des constructions artificielles, et il n'y aurait
pas, dans la nature, de limites qui y correspondent. Cette hypothèse a
effectivement été formulée il y a quelques décennies de cela, et les
partisans conséquents des anciens diagnostics, comme Ziehen, défen-
dent encore l'idée des cas intermédiaires, tout au moins pour les formes
qui entrent en ligne de compte pour le diagnostic de démence précoce.
Puis les psychoses peuvent être de simples déviations de la norme qui
surviennent dans les directions et aux degrés les plus divers. Ainsi
tout ce que Magnan inclut dans son concept de dégénérescence est-il
conçu comme une entité ; selon ce point de vue, il n'y a pas de fron-
tières entre les divers tableaux pathologiques qui font partie de cette
entité, tout aussi peu qu'entre les criminels de Kraepelin et ses « pseu-
dologues ». Mais nous n 'avons point, d'indices que l'une de ces hypothèses
soit pertinente dans le cas de la schizophrénie. Au contraire, tous les
auteurs tendent à considérer les schizophrénies comme une intoxication
ou un fait nouveau somatique de ce genre ; les schizophrénies devraient,
en ce cas, être rangées directement à côté de la paralysie générale et
ne devraient pas présenter de transitions vers d'autres maladies.

11 existe aussi de fort bonnes raisons d'exclure formellement de telles


transitions ; et si Pilez (580a, p. 205) trouve dans son matériel plus de
cas atypiques que de cas typiques, j e ne comprends pas pourquoi ceci
ne devrait pas être l'arrêt de mort de sa systématisation. Nous mention-
nerons encore que même l'École de Vienne n'a cessé de rétrécir les
frontières de son amenda, et que Pilez lui-même est incapable de dif-
férencier sa démence secondaire de la démence précoce. Certes, cet
auteur pense que différents processus pourraient conduire à la même
cicatrice psychique, ce qui n'est pas contestable ; mais si les états
terminaux ne peuvent être délimités par personne et si les états ini-
tiaux ne peuvent l'être que par une seule école, et même pas de façon
nette, et même pas du tout dans la moitié des cas, alors il y a tout
de même fort peu de raisons de considérer de telles « maladies »
comme étant différentes.
Avec ces remarques, nous en arrivons à la pratique, qui représente l'ironie
la plus amère pour les vieux principes classificatoires. Notre littérature est
pleine de plaintes sur l'état chaotique de la systématique des psychoses, et
tout psychiatre sait que l'on ne peut absolument pas se faire suffisamment
comprendre sur la base des anciens diagnostics. Une discussion n'est même
pas possible entre deux cliniciens proches l'un de l'autre sans que chacun
esquisse son point de vue systématique particulier 8 ; la folie hallucinatoire
de Fiirstner est quelque chose de tout à fait différent de celle de Meynert ;
Schtile plaide pour le maintien de la catatonie de Kahlbaum, mais y range
la démence primaire 9 ; Fiirstner prétend que l'on n'aurait jamais rangé l'a-
mentia dans la paranoïa 10 , tandis que Wernicke dit, à l'inverse, que la para-
noïa aiguë serait incluse dans « Vamentia, si magistralement décrite par
Meynert 11 ». Ainsi, même les coryphées de la Science ne peuvent-ils se
comprendre au moyen des anciens concepts, et bien des patients trimballent
exactement autant de diagnostics qu'ils ont fréquenté d'asiles. Évidemment,
chaque auteur de manuel a eu besoin avant tout de se forger une systémati-
que, car celle de ses prédécesseurs était inutilisable pour son propre mode
de pensée et d'observation. Même à l'intérieur d'une même Ecole, ce que
l'un appelle encore une mélancolie est déjà une paranoïa pour l'autre. Il faut
en effet caser quelque part les formes intermédiaires, les cas atypiques, par
un coup de force. Des faits tels que celui-ci sont habituels : dans un asile,
le grand fourre-tout porte l'étiquette « démence ». Voici qu'un nouveau mé-
decin arrive, qu'il agrandit le fourre-tout voisin, qui porte l'étiquette « para-
noïa », qu'il attrape alors avec soin l'un puis l'autre des anciens pensionnaires
par n'importe quel rudiment d'idée délirante et le met dans le nouveau fourre-
tout, croyant ainsi corriger l'erreur de son prédécesseur.

Ce qu'il y a d'insaisissable dans les anciens concepts nosographiques est


encore plus joliment caractérisé lorsque Cramer, à propos du diagnostic dif-
férentiel de la « folie dégénérative » (140), doit donner le conseil suivant :
« On classera au mieux dans la paranoïa catatonique ou la catatonie au sens
de Kraepelin les cas dans lesquels un abêtissement s'installe rapidement, du-
rant l'apparition de phénomènes stuporeux. » Ce « au mieux » en dit plus
que toute une dissertation 12 .

On a très souvent cherché à rendre compte du tableau pathologique réel en


supposant plusieurs maladies à la fois chez un même patient ; ces cas ont

8. Voir par exemple la discussion sur la paranoïa à l'Association psychiatrique de Berlin le


17 mars 1894. Allgemeine Zeitschrift für Psychiatrie, 1895, p. 178 (NDA).
9. Allgemeine Zeitschrift für Psychiatrie, 1901, p. 7 0 5 (NDA).
10. Allgemeine Zeitschrift für Psychiatrie, 1894, p. 1081 (NDA).
11. Allgemeine Zeitschrift für Psychiatrie, 1899, p. 6 4 2 . En quoi cette « description magis-
trale » a-t-elle été utile à ces deux auteurs (NDA).
12. Dans l'esprit des diagnostics de Kraepelin, il n'y a pas de « au mieux », mais seulement
un « vrai » ou « faux », exactement de même qu'on ne range pas certaines maladies fébriles
« au mieux » dans le typhus, ou alors dans la tuberculose miliaire aiguë (NDA).
certes été ainsi décrits plus complètement, mais sûrement pas classés plus
exactement. Les combinaisons cle psychoses se sont d'une façon générale
énormément accrues en nombre chez certains systématiciens ; car un diagno-
stic incomplet pouvait être complété par un second et un troisième.

Ces derniers temps, de nombreux auteurs allemands et étrangers n'ont pu se


soustraire à l'influence du concept de démence précoce. Ils formulent l'hy-
pothèse d'une hébéphrénie, d'une catatonie ou d'une démence précoce, mais
ils donnent au concept une portée plus restrictive, si bien qu'à côté de la
démence précoce on rencontre encore, malgré tout, la paranoïa hallucinatoire
aiguë et chronique, l'amentia, la « confusion mentale 13 ». Ainsi n'a-t-on na-
turellement rien gagné de plus qu'un nouveau tableau symptomatologique que
l'on appelle maladie, et encore est-il désigné à mauvais escient par le même
nom que le concept kraepelinien, tout à fait différent qualitativement et quan-
titativement. Il suffira de citer encore un auteur étranger. Anglade (16, p. 368)
est seulement capable d'indiquer ce qui suit, pour le diagnostic différentiel
entre confusion mentale et démence précoce : Le schizophrène n'essaie ab-
solument pas de répondre, le confus est de meilleure volonté, mais tous deux
répondent de façon imprécise, incohérente, absurde ; le confus est en général
dégradé physiquement, non le dément. On « sent » souvent plus les diffé-
rences qu'on ne peut les décrire. — Pour trouver ces critères, qui en réalité
n'existent absolument pas et - s'ils existaient - ne pourraient pratiquement
pas être mis en évidence, il lui faut appeler deux autres autorités à la res-
cousse, Hannion et Chaslin. Quel sens a une telle systématique ?

Comparée à c e méli-mélo, la mise sur pied du concept de d é m e n c e


p r é c o c e a apporté ordre et clarté.

La démence précoce kraepelinienne14 est un véritable concept nosologique :

Ce c o n c e p t a des symptômes qui n'appartiennent qu'à lui et qui sont


toujours présents dans son cas. C'est d'eux que c e groupe nosologique
tient de r é e l l e s frontières vis-à-vis de l'extérieur.

Les symptômes qualifiés d ' a c c e s s o i r e s sont sans importance, car ils


peuvent apparaître et disparaître sans que la maladie change de nature.

Les différents tableaux pathologiques rassemblés dans ce concept se mani-


festent également en tant qu'entité du fait que, d'après ce que nous en
savons actuellement, ils peuvent se transformer l'un en l'autre ou alterner
J'un avec l'autre chez un même patient, et que l'on ne peut isoler aucun
groupe qui ne présente des transitions fluides avec les autres formes.

13. En français dans le texle.


14. Depuis que ceci a élé écrit, Kraepelin a quelque peu restreint ce concept. J e ne puis
le suivre en cela et m'en tiens aux 6 e et 7 e éditions de sa Psychiatrie (NDA).
La mise sur pied de ce concept correspond aussi à la réalité du fait
que les critères sont concrètement très faciles à trouver, et qu'à ma
connaissance personne n'a encore constaté dans les faits de contradic-
tion réelle avec cette conception.

* * *

Quel type d'entité le concept de démence précoce représente-t-il, voilà


qui n'est pas encore évident. Vraisemblablement inclut-il une ou quel-
ques maladies au sens strict, qui englobent la plupart des cas, à peu
près de la même façon que la paralysie générale syphilitique comprend
la plupart de l'ensemble des cas de démence paralytique du siècle
dernier. En outre, sans doute quelques processus morbides relativement
rares produisent-ils des symptômes qui sont identiques, en l'état actuel
de nos connaissances. A vrai dire, nous avons été capables, dans des
cas schizophréniformes de troubles organiques cérébraux, de faire le
diagnostic ou, du moins, de déceler quelque chose « d'atypique » chez
les malades. Mais on ne saurait exclure que certains autres troubles
organiques légers provoquent néanmoins des complexes symptomati-
ques que nous qualifions actuellement de démence précoce. Il serait
également possible qu'une intoxication quelconque, alcoolique par
exemple, produise des tableaux analogues (voir ci-dessous). Et surtout
l'on ne saurait exclure, tant que le véritable processus morbide nous
demeure inconnu, que des types différents d'auto-intoxications ou d'in-
fections puissent conduire au même tableau symptomatique.

La démence précoce ne doit donc provisoirement pas être envisagée


comme une maladie spécifique mais comme un genre, dans le même sens
que les « maladies mentales organiques », ou peut-être, en un sens plus
étroit, comme la démence paralytique de ces dernières décennies.
Nous n'en sommes donc pas encore ai-rivé aussi loin avec la démence précoce
qu'avec, par exemple, le concept de néphrite infectieuse ; notre concept pro-
visoire a à peu près la signification qui revenait autrefois au Mal de Bright
chronique. Celui-ci englobait encore plusieurs processus rénaux différents,
mais ceux-ci concordaient dans les symptômes principaux, seuls identifiables
à l'époque. Sans doute en va-t-il maintenant encore à peu près de même du
concept de rhumatisme articulaire, qui englobe peut-être diverses infections ;
mais celles-ci ne sont pas encore isolables et représentent encore pour nous
une entité, car il ne nous vient pas à l'idée de qualifier, par exemple, un
rhumatisme articulaire avec endocardite d'autre maladie qu'un tel rhumatisme
sans cette « complication », ou de scinder cette maladie selon la localisation
aux diverses articulations.
A l'intérieur du tableau de la maladie que nous décrivons, nous n'avons
jusqu'à présent pas pu trouver de lignes de démarcation naturelles.
Les différentes combinaisons symptomatiques sont tellement interchan-
geables chez un patient donné et d'un patient à l'autre que toutes les
distinctions paraissent fluides. Nos sous-groupes, l'hébéphrénie, la ca-
tatonie, la paranoïde, sont donc probablement des modes de manifes-
tation « fortuits » de la même maladie ; en tout cas, ils représentent
seulement des tableaux qui sont dénommés a potiori, et dans le cas
desquels ce potius ne porte que sur des symptômes sans importance 15 .

Je me suis longtemps refusé à ranger toutes les formes paranoïdes dans la dé-
mence précoce ; la démence précoce au sens étroit du terme, notamment, avec
son tableau symptomatique et évolutif si aisé à circonscrire et si particulier, a
été l'objet constant de mes souhaits particularistes. Mais d'une part l'approfon-
dissement de la psychopathologie a montré partout les mêmes phénomènes fon-
damentaux, et d'autre part l'étude plus précise de nos cas pathologiques a montré
tellement de similitudes, tellement de transitions, et une absence si totale de
toute limite perceptible avec nos moyens actuels que je n'ai pu faire autrement
que de me rallier à Kraepelin qui, il est vrai, soupçonne de nouveau depuis peu,
comme je l'avais fait auparavant, l'existence d'un groupe intermédiaire entre la
paranoïa et la schizophrénie. Je ne puis plus le suivre en cela, parce que je ne
trouve nulle part de limite en direction de la paranoïa, mis à part le concept
restreint de paranoïa kraepelinienne.

Le démembrement du groupe des schizophrénies, est donc une tâche du


futur. Mais je considère comme encore plus important que la délimitation
de la maladie par rapport à Vextérieur que Von exprime clairement une
bonne fois ceci : à l'intérieur de ce groupe, nous ne connaissons
pas encore de frontières naturelles ; ce que l'on présentait jusqu'à
présent comme des frontières sont des limites de tableaux d'état,
et non de maladies. Ce sont les erreurs qui entravent le plus les
progrès de la science ; les éliminer a plus d'intérêt pratique qu'acquérir
une nouvelle connaissance. Et l'on a éliminé ici tout un chaos de
termes 16 derrière lesquels on cherchait à tort des concepts nosologiques
utilisables, et toute une forêt de piquets de bornage dont nul n'était
situé sur une limite naturelle.

15. Des tableaux qui sont dénommés « au mieux » - ou « du mieux possible » - et dans lesquels
ce « mieux » - ce « mieux possible » - ne porte que sur des symptômes sans importance (NDT).
16. Chaslin (118) dénombre 3 1 appellations pour les seuls états hallucinatoires aigus qui,
tous, se voient justement le plus souvent dans la démence précoce (NDA).
Le concept n'est toutefois pas encore bien individualisé dans deux di-
rections, à savoir par rapport à la paranoïa et par rapport aux psychoses
alcooliques.

A la paranoïa kraepelinienne font défaut les troubles des affects et des asso-
ciations en dehors du système délirant, ainsi que toutes les anomalies gros-
sières telles que les symptômes catatoniques. Ainsi ne pouvons-nous pas
mettre en évidence la moindre maladie chez le paranoïaque, en dehors de
ses idées délirantes. Aussi le pronostic est-il également tout à fait différent :
les paranoïaques ne s'abêtissent pas (à moins qu'une démence sénile ne
complique le tableau), bien qu'ils puissent s'appauvrir intellectuellement,
comme tous les gens qui n'ont plus qu'un mode de pensée étriqué.

Mais, pour nos méthodes actuelles d'examen, le mécanisme de la formation


du délire dans la paranoïa est identique à celui qui existe dans la schizophré-
nie, et c'est ainsi qu'il serait possible que la paranoïa soit une schizophrénie
à évolution extrêmement chronique, qui serait si bénigne qu'elle peut encore
conduire à des idées délirantes, mais dont les symptômes les moins apparents
sont si peu accusés que nous ne pouvons les mettre en évidence. Je tiendrais
cela pour extrêmement vraisemblable, s'il arrivait plus souvent que des symp-
tômes schizophréniques s'adjoignent par la suite à une paranoïa initialement
pure. Il est très peu de cas dans lesquels nous ayons dû convertir le diagnostic
de paranoïa en celui de schizophrénie, et parmi eux il n'en était aucun qui
n'ait été d'emblée suspect de schizophrénie. Malheureusement, cette constata-
tion d'expérience n'est pas encore une preuve suffisante de la différence fon-
cière de ces deux maladies, du fait que la paranoïa est très rare dans les asiles.

Le rapport de la schizophrénie avec les différentes formes paranoïdes de Val-


coolisme est tout aussi peu clair, que ces formes évoluent de façon aiguë ou
chronique. Les deux psychoses les plus fréquentes, l'alcoolisme et la schizophré-
nie, ont naturellement une foule de points communs apparents. Ainsi voyons-
nous souvent les hallucinations avoir une tonalité alcoolique lors des accès
aigus de schizophrènes buveurs, que ce soit dans le sens des hallucinations
visuelles et tactiles vivaces, multiples et labiles du delirium tremens ou que
ce soit sur le mode des hallucinations auditives scéniques cohérentes, nom-
mant le malade à la troisième personne, du délire hallucinatoire alcoolique 1 '.
Je n'ai jamais constaté cette tonalité quand l'alcoolisme ne compliquait pas
la schizophrénie.

17. Un alcoolisme associé peut de toute façon conférer une cohérence logique aux syndromes
aigus de la schizophrénie ; tandis qu'à l'inverse, sous l'influence schizophrénique des
complexes, les erreurs sensorielles fugaces du delirium tremens sont ordonnées en un tableau
de contenu et de déroulement plus cohérents, dont les patients se souviennent incompara-
blement mieux que des détails peu cohérents du delirium tremens commun. De ce fait, et
en raison de la prépondérance des hallucinations verbales, des formes de transition entre
delirium tremens et délire hallucinatoire alcoolique prennent naissance sur un terrain schi-
zophrénique (NDA).
Mais la schizophrénie prédispose aussi au delirium. tremens lui-même. Je n'ai
rencontré de delirium tremens à un âge juvénile (jusqu'à environ 2 5 ans) et
après peu d'années d'excès alcooliques que chez des schizophrènes.

J'ai également vu le délire hallucinatoire alcoolique survenir sur le terrain de


la schizophrénie. Selon divers auteurs, il a tendance à aboutir à des formes
paranoïdes que nous ne pouvons plus différencier des formes paranoïdes schi-
zophréniques. C'est ainsi que l'on ne saurait exclure, d'après mon matériel,
que le délire hallucinatoire alcoolique aigu représente un intermezzo à tonalité
spécifique provoqué par l'alcool au cours d'une schizophrénie. Cette façon
de voir permettrait de comprendre pourquoi les signes habituels de l'alcoo-
lisme font si souvent défaut dans le délire hallucinatoire alcoolique, et pour-
quoi von Speyr et Schlile trouvent l'excès alcoolique le plus court dans la
paranoïa alcoolique aiguë.

Quant à la paranoïa alcoolique chronique, j e l'ai certes déjà vue souvent


diagnostiquer par d'autres ; mais j e n'ai pas encore eu sous les yeux un seul
cas dans lequel j'aurais pu avoir la moindre raison de voir autre chose qu'une
schizophrénie tout à fait commune chez un patient qui buvait également. De
véritables signes d'alcoolisme n'étaient même pas présents dans tous les cas ;
par contre l'anamnèse était habituellement schizophrénique. Aussi ne fait-il
pour moi aucun doute que la plupart des paranoïas alcooliques chroniques
des autres auteurs ne sont rien d'autre que des schizophrénies 18 . Les obser-
vations d'E. Meyer et de Bonhoeffer selon lesquelles le pronostic de la para-
noïa alcoolique chronique s'aggraverait avec l'apparition d'idées de grandeur
el d'hallucinations des sens inférieurs et des sensations corporelles, donc de
symptômes schizophréniques, concordent avec cela. La « prédisposition pa-
ranoïde » qu'E. Meyer suppose être à l'origine de la paranoïa alcoolique serait
alors, en réalité, une schizophrénie latente, et nous n'aurions pas affaire à
une paranoïa survenue sur un soubassement alcoolique mais à un alcoolisme
survenu sur un terrain schizophrénique. En tout cas, la preuve de l'existence
d'une paranoïa alcoolique non schizophrénique n'a pas été apportée jusqu'à
présent19.Je ne voudrais pas exclure par là que cette preuve puisse pourtant
encore être apportée par un matériel provenant d'autres pays.

18. Autant que j ' a i pu en juger, le délire de jalousie purement alcoolique régresse de nou-
veau en cas d'abstinence (NDA).
19. Le Traité de Pilez (p. 9 6 ) ne peut mentionner, pour le diagnostic différentiel du délire
alcoolique et de sa paranoïa vraie (c'est-à-dire de la schizophrénie), que la preuve anam-
nestique d'un début aigu chez un alcoolique chronique. Si on le suit, il n'y a donc absolument
aucune différence, car de nombreuses schizophrénies deviennent manifestes sur un mode
aigu chez un alcoolique chronique. Schroder (673) non plus ne peut « pas répondre avec
certitude dans un sens affirmatif » à la question de l'existence des psychoses alcooliques
chroniques. Voir aussi Chotzen (124, p. 4 7 5 ) (NDA).
J e n'ai pas encore vu de stupeur alcoolique20, qui setait fréquente en Europe
de l'Est, par contre j'ai parfois vu des stupeurs chez des schizophrènes qui
buvaient trop.
Je ne connais pas non plus par expérience personnelle la faiblesse d'esprit
hallucinatoire des buveurs hraepelinienne. Malheureusement, j e n'ai pas eu
non plus l'occasion de voir de tels cas que d'autres avaient diagnostiqués.
Je ne suis donc pas en droit de mettre son existence en doute, et j'ai encore
une autre raison pour rester sur ma réserve. L'abus d'alcool finit par entraîner
une atrophie cérébrale, donc une forme de faiblesse d'esprit. En cas d'absti-
nence, le processus cérébral se stabilise et les troubles fonctionnels sont plus
ou moins compensés. Aussi peut-il parfois devenir impossible de mettre en
évidence l'origine organique de la faiblesse d'esprit. Des hallucinations peu-
vent se rencontrer partout, alors pourquoi pas chez certains alcooliques at-
teints d'atrophie cérébrale ? Néanmoins, les descriptions de Kraepelin et de
Schroder ne prouvent pas encore la nécessité de détacher de la schizophrénie
une faiblesse d'esprit hallucinatoire alcoolique. Une plus ample observation
est nécessaire pour déterminer si un Korsakow grave peut entraîner un tableau
schizophréniforme chronique, ou si un Korsakow qui semble se transformer
en une schizophrénie était d'emblée une schizophrénie qui s'est compliquée
d'un Korsakow. Dans deux cas que j'ai observés, c'est cette dernière hypo-
thèse qui était vraisemblable, et ce notamment parce que les malades avaient
mené une existence si insensée à partir d'un moment donné que cela s'ex-
plique mieux par une démence précoce que par un alcoolisme pur et simple.

Des difficultés telles que c e l l e s qui ont été m e n t i o n n é e s plus haut se


présentent sans doute pour c h a q u e c o n c e p t nosologique. Celui de dé-
m e n c e p r é c o c e est par ailleurs très bien individualisé. Son avantage
par rapport aux tableaux de maladie symptomatiques est q u ' a v e c lui il
n'y a pas de « plus ou moins » :

Une fois la perturbation affective s c h i z o p h r é n i q u e ou l'anomalie asso-


ciative s c h i z o p h r é n i q u e prouvées, le diagnostic est assuré. On peut
s e u l e m e n t se demander si une perturbation affective encore peu accusée
est d é j à s c h i z o p h r é n i q u e ; il s'agit là de difficultés qui ne tiennent pas
au c o n c e p t nosologique mais à nos moyens diagnostiques et qui ne font
défaut dans le c a s d'aucune maladie ; qu'un souffle râpeux donné soit
d é j à un râle b r o n c h i q u e pneumonique est un problème t e c h n i q u e et
non un problème de c o n c e p t nosologique. Le c o n c e p t de schizophrénie
est donc supérieur à tout c o n c e p t symptomatique, du simple fait qu'il
s'agit dans c e concept nosologique de c r i t è r e s absolus et non pas re-

20. En tant que maladie et non sous forme de stupeur émotionnelle chez un alcoolique (NDA).
latifs - absolus en ce sens que, si les critères sont constatés, le dia-
gnostic est assuré dans tous les cas.
Ceci apparaît notamment dans l'évolution. Une fois le diagnostic posé,
il n'a plus besoin d'être modifié ; il n'apparaît plus de symptômes qui
ne fassent partie de la maladie ; il ne peut arriver que la démence
précoce judicieusement diagnostiquée soit du jour au lendemain une
paralysie générale ou une épilepsie ; la maladie se maintient toujours
à l'intérieur des mêmes groupes de symptômes.
Naturellement, tous les symptômes ne sont pas forcément présents dans
chacun des cas, de même qu'une hémorragie intestinale ne se produit
pas dans chaque typhus. Évidemment, il peut aussi arriver dans des
cas légers de schizophrénie, comme dans toutes les autres maladies,
qu'on ne puisse mettre en évidence avec nos méthodes actuelles un
symptôme qui est présent.

La schizophrénie peut se stabiliser à tout moment, exactement comme


une tuberculose pulmonaire, par exemple. Si les symptômes aigus rétro-
cèdent alors, et si la maladie n'est pas très avancée, il peut arriver, le
cas échéant, que nous ne trouvions presque plus d'éléments patholo-
giques avec nos méthodes, exactement de même que les reliquats d'un
infiltrat du sommet ne sont pas décelables s'ils n'ont pas atteint une
certaine étendue. Mais si des symptômes sont présents, qu'ils soient
intenses ou à peine perceptibles n'a aucune importance pour le concept
nosologique : en tout cas, ils restent dans le cadre des symptômes schi-
zophréniques. Les choses ne sont donc pas telles que la schizophrénie
doive conduire dans tous les cas à un abêtissement prononcé, ainsi
que de nombreux contradicteurs le prétendent étrangement, mais : si
la maladie continue à progresser, elle conduit ci l'abêtissement,
et cet abêtissement a un caractère spécifique. Mais elle ne pro-
gresse pas nécessairement.
Mentionnons ici quelques-unes des objections les plus fréquentes auxquelles
s'est heurté le concept de clémence précoce.
En premier lieu, le polymorphisme du tableau morbide apparent a sans doute
été le principal obstacle à ce qu'il soit reconnu. Mais une fois prouvé le fait
que certains symptômes permanents existent, tandis que ceux qui varient
n'ont pas de signification systématique, l'unité de ces multiples formes n'est
pas beaucoup plus difficile à admettre que dans le cas de la paralysie géné-
rale. En tout cas, il s'agit d'un groupe de maladies fondamentalement dis-
tinctes de tous les autres groupes kraepeliniens.
Curieusement, une des objections les plus fréquentes que l'on entend main-
tenant encore, notamment à l'étranger, est celle selon laquelle il ne s'agirait
pas toujours d'une démence ni d'une précocité. Après que Kraepelin a défini
si clairement le concept, en mentionnant explicitement des guérisons et des
éclosions tardives, ceci peut être qualifié de méconnaissance grossière qui
ne veut rien savoir du concept et s'accroche au nom.

L'objection selon laquelle des cas pathologiques dont les uns guérissent et
les autres aboutissent à la stupidité ne sont pas de la même famille mérite
déjà plus d'attention. Cette objection vaudrait cependant encore bien plus
pour les anciens concepts de maladie que pour la démence précoce avec son
Semper aliquid haeret21, et elle ne conviendrait ici que s'il était prouvé que
la progression de l'abêtissement représentait un constituant essentiel du
concept de cette maladie. Mais c'est le contraire qui est vrai. C'est comme
si on voulait attaquer le concept de tuberculose pulmonaire parce que la
plupart des cas guérissent, il est vrai, mais que beaucoup deviennent chro-
niques ou récidivent, et qu'un bon nombre de patients en meurent.

Beaucoup trouvent certaines difficultés dans le concept de démence. Schäfer,


par exemple, (651), dit qu'une maladie qui en impose pour une démence
pendant quatorze ans, puis qui guérit, ne saurait être une véritable démence.
Il s'est donc vu contraint de ranger ce cas, qui selon nous ne représente
qu'un exemple éclatant de guérison tardive de schizophrénie, dans une autre
maladie que les abêtis irrémédiables des asiles de chroniques. Quiconque
s'est rendu compte que l'organe de la pensée a été en fait bien peu lésé dans
la schizophrénie, et quiconque a saisi que les symptômes principaux de
« l'abêtissement » spécifique, l'enkystement dans son propre monde idéique
et l'inaffectivité, sont précisément des phénomènes secondaires, potentielle-
ment instables, ne voit nulle difficulté dans de tels événements.

Mais il y a aussi des psychiatres qui, à l'inverse, ne veulent pas classer selon
la terminaison et récusent le concept précisément pour cette raison. Bruce
dit que toutes les maladies seraient identiques au regard d'une différenciation
selon la terminaison, parce que toutes se termineraient finalement par la
mort. Seulement, ce qui est essentiel dans le concept de démence précoce,
ce n'est pas la terminaison mais la direction dans laquelle elle se fait. Et
quand Pilez dit que des processus différents peuvent sans doute conduire
néanmoins à la même issue, il faut lui objecter qu'en y regardant de plus
près nous pouvons justement trouver les éléments de l'abêtissement spécifi-
que ultérieur à chaque stade de la schizophrénie, mais non dans d'autres
maladies. Que l'on puisse donner raison à cet auteur ou non est donc affaire
d'examen et d'expérience. Notre propre expérience lui donne totalement tort.

Wernicke a aussi objecté qu'il ne conviendrait pas de mettre en parallèle le


concept, étiologique, « d'hébéphrénie » et celui, syinptomatique, de « catato-

21. Traduction possible : « qui reste toujours dans une certaine mesure en suspens », ou
« qui reste toujours dans une certaine mesure indécise » (NI)T).
nie ». S'il avait correctement lu Kraepelin, il se serait rendu compte que,
chez lui, ces deux mots ne désignent pas des concepts purement étiologique
et purement symptomatologique mais des modes de manifestation d'une ma-
ladie dans son ensemble avec, en même temps, tous ses concepts partiels.
On parle aussi de la « psychose unique catatonique 22 », faisant ainsi reproche
de l'extension du concept. Il me faut répondre à cette objection, car même
Kraepelin, en personne, et Aschaffenburg 2,5 trouvent regrettable que ce
concept englobe tant de choses. Mais, sur le plan scientifique, il s'agit de
savoir si le concept est élaboré correctement, et je ne trouve vraiment pas
que ce serait moins dommage si le rhume et le typhus, ou les chevaux et les
éléphants, étaient à peu près aussi fréquents ou nombreux. Il n'existe certes
dans le monde entier nulle raison qui s'oppose à l'hypothèse selon laquelle
une seule psychose serait incomparablement plus fréquente que les autres.
Au contraire, dans le cas de la maladie qui entre ici en ligne de compte, on
a de tout temps, partout où ces patients s'accumulaient, ressenti le besoin,
ancré dans la nature de la chose, du grand fourre-tout dont seule l'étiquette
changeait avec le temps.

Étendue du concept

D'après notre expérience, on ne saurait détacher de la schizophrénie


le délire présénile de préjudice de Kraepelin ; il a exactement la même
symptomatologie que la démence paranoïde ou d'autres formes de pa-
ranoïde ; parfois, on peut retrouver la trace de la perturbation jusqu'à
une époque assez précoce de l'existence ; certains symptômes catato-
niques surviennent aussi de temps en temps. Selon notre conception,
il s'agit donc d'une paranoïde tardive.

Ces derniers temps, la folie maniaco-dépressive reprend de l'extension


aux dépens de la démence précoce (voir notamment Willmanns, 827,
p. 569). Contrairement à Dreifuss (187, p. 45), je ne puis me souvenir
d'absolument aucun cas où nous ayons dû convertir le diagnostic de
schizophrénie en celui de folie maniaco-dépressive ; par contre, l'in-
verse s'est produit de temps en temps, au fil des ans. Notre expérience
contredit directement le propos de Willmanns : « Des complexes cata-
toniques qui s'associent à des accès nettement maniaco-dépressifs ou
cyclothymiques doivent être considérés comme des manifestations pro-
pres de cette maladie, et ils évoluent vers la guérison. » Quand nous
avons pu analyser des complexes symptomatiques catatoniformes dans
la folie maniaco-dépressive, ils se sont jusqu'à présent toujours avérés

22. Sommer, Zeitschrift für Psychiatrie, 1899, p. 2 6 0 (NDA).


23. Allgemeine Zeitschrift für Psychiatrie, 1899 (NDA).
n'être pas catatoniques stricto sensu. Nous ne sommes donc toujours
pas convaincus que des symptômes catatoniques se voient dans la folie
maniaco-dépressive. Par contre, nous rencontrons des symptômes ma-
niaco-dépressifs tant dans la schizophrénie que dans la paralysie gé-
nérale ou la démence sénile. Aussi ne pouvons-nous absolument pas
comprendre, pour l'instant, comment Willmanns en vient à « attribuer
une importance beaucoup plus grande pour le diagnostic différentiel
au complexe symptomatique maniaco-dépressif qu'au complexe symp-
tomatique catatonique ». - En fonction de notre conception, il va de
soi qu'en cas de combinaison de symptômes maniaco-dépressifs et schi-
zophréniques nous appellerons la maladie démence précoce, comme
Kraepelin, lui aussi, l'a fait antérieurement, et non folie maniaco-dé-
pressive. Ainsi existe-t-il tout aussi peu pour nous une « forme cata-
tonique de la folie périodique » (Geist) qu'il en existe une forme
paralytique. Vraisemblablement des cas mixtes de folie maniaco-dé-
pressive et de schizophrénie existent-ils aussi.

Abstraction faite de cet élargissement du concept, notre expérience


concorde entièrement avec celle de Kraepelin. Par contre il nous faut
nous accommoder dans une certaine mesure des concepts systémati-
ques des principales autres Ecoles. Nous pouvons laisser hors-jeu, en
tant que maladies ayant des limites généralement admises, l'épilepsie,
la paralysie générale, la démence sénile.

Mais Vidiotie cause déjà quelques difficultés. On a aussi voulu qualifier


les psychoses survenant à la puberté d'idioties tardives. Mais dans le cas
des idioties il s'agit d'une foule d'autres maladies et d'inhibitions du dé-
veloppement qui ne sauraient être confondues avec la schizophrénie 24 .

Les concepts de mélancolie et de manie sont très répandus, maintenant


encore, en France et surtout en Angleterre ; nous devons joindre à la
schizophrénie la plupart des maladies qui y sont décomptées. Le
concept allemand de mélancolie et de manie a été restreint avant même
Kraepelin ; mais nombre de cas, notamment de manie ou de mélancolie
hallucinatoire ou, respectivement, de délire hallucinatoire maniaque et

24. Kraepelin et Weygandt inclinent à ranger la schizophrénie elle-même parmi les maladies
qui peuvent provoquer l'idiotie. Comme le terme d'idiotie qualifie seulement une insuffisance
mentale qui survient intra-utero ou au cours de la prime jeunesse et que la schizophrénie
peut aussi se déclarer au cours des premières années de l'existence, il n'y a aucune objection
de principe à opposer à cette façon de présenter les choses. Il me faut seulement faire
remarquer que j e n'ai encore vu aucun idiot de ce type. Selon mon expérience, aucun des
cas de schizophrénie infantile n'étaient des idiots. Les stéréotypies des idiots sont quelque
chose de fondamentalement différent des stéréotypies catatoniques (NDA).
mélancolique des auteurs allemands font néanmoins partie de notre
schizophrénie 25 . Dans cette direction, il nous faut donc délimiter cette
maladie par rapport à la folie maniaco-dépressive et à la mélancolie
(d'involution), pour autant que cette dernière serait véritablement une
maladie sui generis. D'après ce qui a été dit plus haut, cela ne pose
pas de difficultés théoriques.
Puis la schizophrénie englobe la plupart des cas dont les appellations
mettent au premier plan l'agitation ou la confusion hallucinatoires,
amenda et paranoïa hallucinatoire incluses. De ce côté, les frontières
sont difficiles à déterminer, parce que les maladies sans doute assez
diverses mais pas très fréquentes qui entrent en ligne de compte, indé-
pendamment de la schizophrénie, ne sont pas encore connues du tout.
Mais il existe des états hallucinatoires et confusionnels aigus qui survien-
nent au cours de maladies fébriles, d'une insuffisance rénale, bref, dans
des circonstances qui laissent supposer une sorte d'effet toxique. L'amen-
tia de Kraepelin est née de la seule et unique tentative de décrire de tels
états d'une façon claire. Mais, sur les dernières 4 0 0 0 admissions et plus,
je n'ai pas pu mettre en évidence une seule amentia de ce type et c'est
pourquoi je commence à douter qu'elle ait l'importance que l'auteur lui
attribue. Les autres parmi les deliriums toxiques au sens large se sont
malheureusement perdus dans les concepts généraux des maladies dé-
nombrées ici, si bien qu'ils n'ont pas encore de symptomatologie spéci-
fique. Dans ces cas, on devrait pouvoir rapporter la « confusion » à
d'autres symptômes élémentaires que dans la démence précoce.

La schizophrénie a peu de points communs avec le concept collectif


de delirium acutum, néanmoins il peut arriver qu'un cas de schizo-
phrénie extrêmement aigu et d'évolution mortelle soit considéré comme
un delirium aigu. Nous rangerions sans doute l'ecnoia de Ziehen dans
notre maladie, dans la plupart des cas.

Naturellement, les « psychoses de motilité » de Wernicke sont aussi


presque toutes des schizophrénies.

Parmi les maladies chroniques, appartiennent à notre concept toutes2'1


celles qui ont été appelées formes abêtissantes, démence primaire et
secondaire, etc., puis la plupart des paranoïas d'autres auteurs.

2 5 . D e notre point de vue, une toute petite partie du délire hallucinatoire aigu (mélancolique
et maniaque) fait partie de la folie maniaco-dépressive (NDA).
2 6 . Il est très vraisemblable qu'il existe encore d'autres maladies cérébrales qui laissent
une cicatrice psychique. Mais elles n'ont pas encore été décrites (pas même sous la forme
des conceptions antérieures de l'amentia) et n'ont presque pas d'importance numérique (NDA).
Parmi les tableaux pathologiques moindres, mentionnons l'hypocondrie,
qui joue maintenant encore un grand rôle chez beaucoup de psychia-
tres. La plupart des hypocondriaques (incurables) sont des schizo-
phrènes dont les idées délirantes portent justement sur leur propre
corps. Après examen plus précis, et notamment après avoir eu connais-
sance de quelques cas analogues tout à fait clairs, j e dois maintenant
considérer aussi comme schizophrène la femme décrite dans mon « Af-
fectivité » (p. 133). Mais de nombreux médecins appelleront aussi
hypocondriaques des malades que nous qualifierions de neurasthéni-
ques, hystériques, etc. Peut-être des hypocondriaques peuvent-ils être
eux aussi de véritables paranoïaques avec des idées délirantes portant
sur leur état de santé. Nous ne connaissons pas de tableau pathologique
propre à l'hypocondrie.

Quelques cas auxquels la description kraepelinienne de la « névrose


d'attente » s'appliquait parfaitement étaient des schizophrènes.

Un grand nombre des schizophrènes femmes que j'ai connues étaient


considérées en d'autres lieux comme des dérangées27 hystériques, ce en
quoi on s'imaginait que le dérangement était en quelque sorte une
continuation de l'hystérie. J e n'ai encore jamais trouvé d'indice qui ait
pu me faire diagnostiquer un dérangement hystérique. Tous les malades
ainsi appelés par d'autres auteurs ne se différenciaient en rien des
autres schizophrènes. Quand un prétendu hystérique devient dérangé
ou s'abêtit, alors ce n'est pas un hystérique mais un schizophrène,
d'après mon expérience, et malgré l'autorité de Charcot et les travaux
récents de Raecke (588) et de Kaiser, ce dernier trouvant des difficul-
tés diagnostiques chez des schizophrènes absolument flagrants et les
considérant pour partie comme des hystériques. De même les mélan-
colies et les manies « hystériques » d'autres auteurs sont-elles géné-
ralement des schizophrénies, bien qu'il existe aussi parfois de
véritables combinaisons de manie et de mélancolie avec l'hystérie.

Des « nerveux » qui tiennent souvent des discours tout à fait absurdes,
refusent les aliments et ont des idées de jalousie ne sont, selon notre
expérience, ni des neurasthéniques ni des narcoleptiques 28 mais des
catatoniques.

27. Verrückte : rappelons que ce terme était l'appellation coutumière de la paranoïa chez les
psychiatres allemands. Voir glossaire (NDT).
28. Schott (666) (NDA).
Une grande partie des formes très graves d'états obsessionnels, de ru-
minations obsédantes, d'actes impulsifs, mais pas toutes, font indubita-
b l e m e n t partie de la schizophrénie. G é n é r a l e m e n t , les signes nets de
la maladie de b a s e apparaissent alors tôt ou tard. Les tableaux patho-
logiques désignés par les termes de pyromanie, kleptomanie, etc. sont
parfois des schizophrénies.

Notre position par rapport aux psychoses juvéniles est évidente, d'après
c e qui p r é c è d e . L a schizophrénie c o m m e n c e le plus souvent entre 15
et 2 5 ans ; elle est en même temps la psychose la plus fréquente ; il
s'ensuit qu'elle est également la psychose j u v é n i l e la plus fréquente.
Mais en dehors d'elle surviennent aussi à cet âge toutes les autres
p s y c h o s e s , à l'exception des formes involutives, pour autant que de
telles formes existent, et des maladies séniles. Pour nous, il n'existe
donc pas de psychose j u v é n i l e c a r a c t é r i s t i q u e ou de psychose de la
puberté.

La folie onaniste de divers auteurs doit manifestement se fondre entiè-


rement dans la schizophrénie.

Il nous faut encore rendre compte du concept de dégénérescence. Au sens de


Morel, ce mot désigne une insuffisance mentale qui s'accroît de génération
en génération dans une famille. Maintenant, on n'entend plus que rarement
par ce mot ce type de dégénérescence, car elle ne peut être vue clairement
que de façon exceptionnelle. A la place, on a introduit le concept suivant,
qui se recoupe à peu près avec celui de « tare héréditaire ». - Les dégéné-
rés 2 '' de Magnan sont des gens issus de familles dégénérées, c'est-à-dire men-
talement anormales. On prétend avoir constaté que certains tableaux
pathologiques et certains symptômes ne surviendraient que chez des dégéné-
rés en ce sens du terme. Ce point de vue peut être pertinent dans la plupart
des cas de déviations de la norme, par exemple dans la véritable idiotie
morale, clans la pseudologie et dans toute une série de bizarreries de l'intel-
ligence et du caractère, mais guère dans tous, car il y a aussi des maladies
cérébrales acquises qui peuvent produire des tableaux d'apparence analogue.
Mais les psychoses proprement dites ont résisté jusqu'à présent à une telle
façon de voir. Il n'a pu être prouvé d'absolument aucun tableau qu'il ne
surviendrait que chez des gens qui ont une hérédité. Lorsqu'on cherche « /'hé-
rédité », on la trouve presque toujours, chez les malades mentaux ; dans les
maladies qui ne sont pas considérées comme dégénératives, on met beaucoup
moins de zèle à la chercher, et donc on la trouve moins. Après l'échec de la
tentative de grande envergure de Magnan, nous n'avons plus de raison de
nous soucier longuement de cette idée. Si un homme de l'expérience et du

2 9 . En français dans le texte.


savoir clinique de cet auteur fait un fiasco si complet, c'est la meilleure
preuve qu'on ne peut rien entreprendre à partir de cette idée, du moins en
l'état actuel de nos connaissances symptomatologiques ; et sûrement pas plus
tard non plus, si l'on ne scinde pas l'hérédité en de nombreuses hérédités
allant chacune dans une direction précise. Il suffira peut-être de mentionner
qu'à Sainte-Anne le grand fourre-tout s'appelle « dégénérés », et qu'une
bonne partie de nos schizophrènes s'y trouve. C'est d'autant plus facile que
de nombreux schizophrènes légers sont méconnus en tant que tels et doivent
alors être considérés comme des constitutions psychopathiques ab ovoM). Wolf-
sohn (Allgemeine Zeitschrift fur Psychiatrie, 1907) a surabondamment prouvé
que l'hérédité, démontrable chez 90 % des schizophrènes au demeurant,
n'exerce d'influence notable ni sur l'évolution si sur la symptomatologie de
la schizophrénie.

Un troisième concept, plus précis, qu'on peut faire ressortir du bourbier gé-
néral qu'a été jusqu'à présent le concept de dégénérescence, est celui d'une
fragilité cérébrale de l'individu, innée ou acquise dans la prime jeunesse, et
sur le terrain de laquelle prennent alors naissance des maladies particulières.
Comme beaucoup de schizophrénies remontent à la prime jeunesse et que
des gens peu doués sont tout aussi souvent atteints par cette maladie que
des gens normaux, il va de soi que l'on rencontre souvent ce type de dégé-
nérescence clans la schizophrénie. Mais nous n'avons jusqu'à présent pas
d'éléments qui nous permette de différencier la schizophrénie de dégénérés
de cette sorte de celle du cerveau sain. Tous les critères, et notamment ceux
de Schule, n'ont pas résisté à la vérification que j'ai effectuée.

Le concept de formes constitutionnelles, qui représentent même une classe


principale clans les statistiques officielles suisses, est analogue au précédent.
Tant qu'il s'agit d'idiots moraux, de gens déformés sur le plan intellectuel ou
affectif, la schizophrénie n'a rien à voir avec ce concept. Mais en certains
endroits on l'a utilisé comme fourre-tout pour les psychoses qui, sinon, ne
pouvaient pas être classées ; on a donc transposé dans la constitution héré-
ditaire ce qui ne s'accordait pas au schéma des psychoses. Il va de soi que,
dans ces conditions, la schizophrénie, qui n'était auparavant pas facile à
saisir, a fourni une grande partie des cas pathologiques constitutionnels. On
ne s'est pas non plus gêné pour, par exemple, diagnostiquer une manie lors
du premier accès, la relâcher guérie, puis admettre la folie constitutionnelle
quand elle revenait sous la forme d'une schizophrénie sans qu'on pût consta-
ter la « stupidité secondaire », alors que le patient semblait tout de même
malade.

3 0 . Morel (Brain, 1 8 9 9 , p. 2 1 9 ) considère les symptômes schizophréniques comme des signes


de dégénérescence. Bonhoeffer décrit lui aussi dans ses psychoses dégénératives de nom-
breux symptômes dégénératifs qui peuvent tout aussi bien être schizophréniques (NDA).
Le quatrième type de dégénérescence est la dégénérescence de la maladie en
cause. Si des « symptômes dégénératifs » surviennent lors d'une maladie, cela
voudra dire, dans le sens de cette conception, que la maladie tend à la stu-
pidité, à l'issue fâcheuse. Certains associent plus ou moins clairement à cela
l'idée que la constitution dégénérative, au sens ancien du terme, serait pré-
cisément cause de cette aggravation.
A l'égarcl de ces divers conceptions, nous devons constater que : les trois
premiers types de dégénérescence englobent tous des schizophrénies, au sens que
nous donnons à ce mot. Des personnes dont l'hérédité directe est grevée de
maladies mentales sont plus fréquemment atteintes de schizophrénie que d'au-
tres ; mais la lare héréditaire n'est pas une condition préalable nécessaire de
la schizophrénie. Nous ne connaissons pas, pour l'instant, de différences nota-
bles dans les symptômes et l'évolution de la schizophrénie selon qu'un cas est
ou non porteur d'une tare héréditaire. Le type spécifique de tare héréditaire qui
prédispose à la schizophrénie ne nous est pas encore bien connu.
Les dégénérés malades mentaux de Magnan sont en grande partie des schizo-
phrènes. Les malades qui ont des « symptômes dégénératifs », au sens du qua-
trième concept, sont sans doute tous schizophrènes, à des exceptions extrêmement
rares près.
Naturellement, je sais bien qu'il y a des syndromes aigus chez les psychopathes
de toutes sortes. Suivant notre hypothèse de l'origine secondaire de la plupart
des symptômes, il va également de soi que ces syndromes peuvent être, le cas
échéant, analogues à des deliriums schizophréniques. Mais nous avons si rare-
ment reçu de tels cas, qui sont manifestement fréquents dans les grandes villes31,
que je ne suis pas à même de tracer la frontière entre eux et les schizophrènes.
Mais les auteurs qui décrivent les psychoses dégénératives conçoivent le concept
de démence précoce d'une façon beaucoup trop étroite et échouent pour cette
raison dans la définition du complexe, ou l'ignorent complètement. C'est ainsi
que notre savoir présente ici une lacune regrettable.
D'après la symptomatologie, il est évident que de nombreux troubles envisa-
gés comme Moral insanity doivent aussi être rangés ici. Levinstein-Schlegel
ne connaît même que la Moral insanity qui découle de la schizophrénie ;
l'héboïdie et la parethosia de Kahlbaum, ainsi que l'autopsychose morale de
Wernicke, sont proches de ce concept 3 2 . Mais il est sûr qu'en dehors de la
schizophrénie existent divers types de déficits moraux, parmi lesquels l'idiotie
morale par manque de sentiments moraux est sans doute la mieux compré-
hensible.

3 1 . L'ensemble de tous ceux de nos cas qui ont apparemment une étiologie psychique don-
nern le même pronostic que les autres. Des états psychogènes de dégénérés ne peuvent donc
pas se trouver parmi eux en nombre notable (NI)A).
32. Schäfer (635) aussi décrit les faibles d'esprits (moraux) de telle sorte que les hébé-
phrènes légers, entre autres, rentrent dans ce cadre. - Kirn admet une « faiblesse d'esprit
morale » qui aboutit par la suite au délire hallucinatoire (NI)A).
En outre, d'après notre expérience, de fort nombreuses psychoses carcérales
aiguës ne sont autres que des poussées d'une schizophrénie qui existait gé-
néralement déjà auparavant et qui a été cause du comportement anti-social.
Voir aussi Riïdin, Siefert.

* * *

Nous ne pouvons pas passer complètement sous silence la singulière systé-


matique de Wernicke, bien qu'il soit impossible d'en rendre compte briève-
ment. Ses concepts symptomatologiques, si intelligemment construits et si
étayés par l'observation qu'ils soient, ne sont pas utilisables par nous : c'est
ainsi que sa séjonction ne contient pas seulement le barrage, mais aussi d'au-
tres formes de dissociation qui ont une tout autre signification psychologique
et nosographique. C'est pourquoi il nous a fallu éviter nombre de termes qui
portent son sceau, si nous ne voulions pas donner lieu à des malentendus.
Edifier des tableaux nosologiques sur ses concepts était une entreprise d'une
audace impossible. Chez le même patient, on rencontre les plus diverses de
ses maladies. Il tente alors de s'en sortir avec son hypothèse des psychoses
composées. Mais la psychose ne peut généralement être diagnostiquée comme
étant composée qu'a posteriori ; et il y a chez Wernicke tellement de cas
composés, mixtes, combinés que rien que cela rend déjà à peu près nulle la
probabilité que ses complexes symptomatiques puissent être conçus comme
des maladies particulières. Que dirait-on d'un diagnostic pneumologique qui
insérerait différentes maladies telles que l'emphysème, la tuberculose, la
pneumonie, dans l'évolution d'une pneumopathie composite, et en plus selon
une succession tout à fait irrégulière ? La meilleure preuve de la fausseté
des délimitations de Wernicke est qu'elles ne permettent même pas à un
observateur génial d'exclure la paralysie générale dans des cas aussi simples
que le cas 2 8 de ses présentations de malades (Cahier 1) ; il me serait difficile
de pardonner à un candidat à un examen s'il me parlait de paralysie générale
dans un cas semblable. Le pronostic de Wernicke est lui aussi vraiment dé-
plorable, en tant que la vision qu'il en a n'est pas supérieure à sa systéma-
tique. Page 105, il dit que les premiers accès d'une hallucinose aiguë
guérissent toujours, habituellement ; seulement, dans le sens qu'il donne à
ce terme, les hallucinoses aiguës sont généralement identiques à nos deli-
riums schizophréniques, dont le pronostic n'est pas si bon. S'il se trompe,
sans doute lui faut-il modifier le diagnostic, comme dans le cas 10 du même
cahier. C'est quelque chose de tout à fait analogue à ce qui se passe quand
l'auteur dit, à propos du cas 2 8 déjà cité (p. 113) : « Notre erreur nous en-
seigne, comme déjà certains autres cas, qu'il existe des maladies aiguës qui
ne sont pas accessibles au diagnostic si l'on ne connaît pas l'anamnèse. »
Une appréciation autre des symptômes aurait aisément pu le préserver de
cette erreur.
Sixième partie

Le diagnostic
A. Généralités

Le diagnostic est très aisé dans les formes marquées de schizophrénie,


mais dans les formes peu évoluées il revêt plus de difficultés pratiques
que dans la plupart des autres psychoses.
Comme dans toute maladie, les symptômes doivent avoir atteint ici
aussi un certain degré pour être utilisables sur le plan diagnostique.
Mais, justement dans le cas de la schizophrénie, un bon nombre de
phénomènes qui oscillent fortement à l'intérieur des limites de ce que
l'on appelle, sinon sain, du moins « non pathologique sur le plan men-
tal » sont au premier plan dans les cas les plus légers. Des anomalies
du caractère, de l'indifférence, un manque d'énergie, de l'insociabilité,
de l'entêtement, une bizarrerie, et ce caractère que Goethe, dans le
cas de Lenz ne parvenait à désigner que par le mot anglais "whimsi-
cal 1 ", des plaintes hypocondriaques, etc. ne sont pas forcément des
symptômes d'une maladie mentale à proprement parler ; mais ils sont
très souvent les seuls signes visibles de la schizophrénie. C'est pour-
quoi le seuil diagnostique n'est aussi haut dans nulle autre maladie,
et les cas latents sont quotidiens.

Si la maladie mentale est certaine, le diagnostique spécifique de schi-


zophrénie a encore ses difficultés propres. Seuls quelques symptômes
psychotiques sont utilisables pour le diagnostic de cette maladie, et
ils ont eux aussi un seuil diagnostique spécifique très élevé, ici. Des
dysthymies maniaques ou dépressives peuvent se voir dans toutes les
psychoses ; une fuite des idées, une inhibition, et - pour autant qu'elles
n'ont pas revêtu certains caractères spécifiques - des hallucinations et
des idées délirantes sont des symptômes partiels des maladies les plus
diverses. Souvent, elles ne sont utiles qu'au diagnostic de psychose,
et non à celui de schizophrénie.
Les symptômes proprement schizophréniques, autant qu'ils ont été dé-
crits jusqu'à présent, ne sont pas une nova, comme par exemple une

1. Whimsical : capricieux, lunatique.


hallucination ou un trouble de la parole de la paralysie générale. Ils
sont des déformations et des exagérations de processus normaux 2 .
Ce qui importe, c'est donc moins le symptôme isolé pris en soi que son
intensité et son extension, et surtout son rapport à l'environnement psy-
chologique. Dans l'enchevêtrement des sentiers psychologiques, il est
beaucoup de voies qui mènent au même but. Si quelqu'un griffonne
des graffitis stéréotypés sur le papier qui se trouve devant lui, cela n'a
pas de signification pathologique ; les mêmes graffitis dessinés, dans
d'autres circonstances, dans une lettre sérieuse peuvent assurer en soi
le diagnostic de schizophrénie.

Certaines personnes paraissent indifférentes parce qu'elles sont préoc-


cupées et parce que l'affect du complexe qui les occupe est présent
même quand elles pensent à autre chose ; mais si l'on réussit à attirer
leur intérêt vers d'autres thèmes on parvient souvent à provoquer une
réaction affective chez eux. Même un caractère renfermé ou une maî-
trise de l'extériorisation des affects renforcée à un degré excessif
par l'éducation (Américains, Japonais) peuvent donner l'illusion de
l'inaffectivité.

C'est ainsi que, dans les considérations qui suivent, il faut toujours pré-
sumer que le lecteur est capable de prendre en compte les circonstances
concomitantes et l'ensemble de la constellation psychique, sans qu'il soit
nécessaire d'attirer à chaque fois son attention sur les possibilités infi-
niment nombreuses.

Il est particulièrement important de songer que certains phénomènes


d'apparence schizophrénique peuvent être déclenchés à l'état normal
par un affect, ou qu'il se produit à la périphérie de notre attention ou
au cours de nos états de veille et de sommeil bien des choses qui sont
identiques aux troubles associatifs et aux stéréotypies schizophréni-
ques ; c'est pourquoi, au cours d'états d'excitation par exemple, des
symptômes tels que des barrages, des confusions de symboles avec la
réalité, un transitivisme, des néologismes n'ont de valeur diagnostique
spécifique que s'ils sont très prononcés. Mais s'ils surviennent en
pleine lucidité, celui qui pèse bien tous les facteurs peut souvent as-
surer le diagnostic à partir d'un seul de ces symptômes. Plus un patient
est lucide, moins il y a de causes d'affect, et plus des degrés légers de

2. J'espère néanmoins que l'on finira par apprendre à distinguer la scission conceptuelle
schizophrénique, et peut-être aussi la scission associative générale, de phénomènes analo-
gues qui s'accomplissent hors du champ de l'attention normale (NDA).
symptômes permettent le diagnostic de schizophrénie. La même chose
vaut pour le diagnostic différentiel : des épilepticjues peuvent symbo-
liser, confondre l'un avec l'autre des concepts tels qu'homme et femme,
faire des néologismes, mais seulement quand ils sont dans un état cré-
pusculaire. Des hystériques peuvent être très rigides sur le plan affec-
tif, mais seulement au moment précis où ils sont dominés par un
complexe. Des malades de toutes sortes (de même que des sujets sains)
peuvent répondre à côté de la question, quand ils ont justement une
raison d'avoir une attitude de refus. Seuls des schizophrènes présentent
ces phénomènes en dehors de ces états psychiques globaux.
Les généralisations des symptômes sont souvent déterminants pour le
diagnostic. Le barrage que présente un sujet sain ne touche, pour au-
tant qu'on ne peut mettre en évidence de stupeur émotionnelle, que
les objets qui sont précisément chargés d'affect. Le schizophrène étend
souvent les barrages à toutes les autres idées possibles - dans les cas
intenses, l'ensemble de son esprit peut même être barré en perma-
nence. Tout un chacun peut parfois produire des concepts et des idées
confus et des erreurs de logique, en particulier quand il se trouve dans
un état inhabituel tel qu'un affect ou l'épuisement. Mais la confusion
apparaîtra et disparaîtra avec la cause déclenchante, tandis que dans
la schizophrénie elle peut se rendre indépendante de ces états.

Les symptômes schizophréniques ne sont pas forcément présents à cha-


que instant. Dans nulle autre maladie mentale que la schizophrénie on
ne peut aussi peu escompter voir à un moment donné tel ou tel symptôme
pathologique précis. Même dans les cas évolués, qui paraissent d'ha-
bitude tout à fait stupides, la perturbation affective et l'altération ca-
ractéristique des associations peuvent ne pas être démontrables à un
moment donné. On ne pourra pas poser le diagnostic avec certitude
dans tous les cas, même par un examen approfondi de plusieurs heures.

Aussi est-il évident que les cas dans lesquels la maladie s'est arrêtée aux
premiers stades sont habituellement méconnus par les profanes et par les
psychiatres. On se dispute avec des ménagères schizophrènes une vie durant ;
on prend toutes les mesures punitives possibles contre des « fils qui ont mal
tourné » ; ou bien, si l'on veut user de la contrainte à leur égard, on échoue
parce que le médecin qui les expertise ne veut fournir aucun certificat faisant
état d'une maladie mentale, ou parce que, quand il en a délivré un, un di-
recteur d'asile renvoie parfois le malade, déclaré sain ou guéri, aux parents
qui désespèrent ; on laisse ces gens, considérés comme hystériques ou mieux
encore neurasthéniques, faire toutes les cures possibles, y sacrifiant souvent
les biens de la famille inquiète ; on admet les malades dans les hôpitaux
avec le diagnostic de rein flottant, alors qu'ils ont des douleurs hallucinatoires
d'enfantement ; on considère quelques déviations gynécologiques par rapport
à la norme établie dans les livres comme une maladie et l'on traite le petit
bassin ; on abandonne les patients à la police et aux tribunaux, c'est-à-dire
aux instances les plus inadaptées pour un traitement psychiatrique ; on les
prend au sérieux et on les laisse fonder une association contre quelque cancer
de la société découvert par eux ou par d'autres, et sans doute fait-on avec
eux encore bien d'autres choses qu'il vaudrait mieux ne pas faire.

Dans certains cas, des excitations affectives constituent un réactif de


la maladie qui rend manifestes des symptômes latents ; car il est des
patients qui ne présentent le cours de pensée pathologique, la pertur-
bation de l'affectivité, des néologismes, et autres, que dans de tels
états. — Même l'alcool s'avère parfois être un tel moyen ; il provoque
des excitations typiquement schizophréniques qui, le cas échéant, per-
durent longtemps après l'intoxication alcoolique. Mais ces deux réactifs
n'agissent pas dans tous les cas et, pour diverses raisons, il n'est pas
recommandé de les expérimenter.
Nous ne sommes cependant pas dans une situation aussi grave qu'il
pourrait sembler d'après l'assertion de Kraepelin, qui dit (388, II,
p. 271) qu'il n'y a pas un seul symptôme pathologique qui soit déter-
minant pour le diagnostic. Le trouble des associations décrit plus haut,
et sans doute aussi le type des hallucinations, sont caractéristiques et
suffisent au diagnostic positif ; un blocage affectif général a également
la même valeur.
Quoi qu'il en soit, il faut souligner que l'expérience d'une à deux décennies
et d'observateurs relativement peu nombreux ne suffit pas encore pour se
prononcer avec une certitude absolue dans tous les cas. L'un ou l'autre des
symptômes que nous n'imputons actuellement qu'à la schizophrénie peut
éventuellement apparaître aussi un beau jour comme un symptôme acces-
soire rare d'autres maladies3. En outre, nous sommes encore bien loin de
connaître toutes les psychoses, si bien qu'une délimitation de la schizophré-
nie du côté de complexes symptomatiques inconnus ne peut avoir qu'un
caractère tout à fait partial, en même temps que provisoire. Il faut émettre
cette réserve générale pour limiter nos discussions diagnostiques, qui doivent
se référer à l'état actuel du savoir.

3 . Ce sera notamment le cas de certains symptômes qui n'appartiennent pas nécessairement


au concept de schizophrénie pour l'instant, mais qui se rencontrent toutefois fréquemment
dans cette maladie, mais non dans d'autres psychoses. On ne saurait en effet exclure que
nous trouvions un beau jour un non-schizophrène avec des halIuci' - n tions auditives et. cor-
porelles prédondérantes, et un schizophrène lucide avec des hallucinations visuelles et tac-
tiles prépondérantes. Jusqu'à présent, nous n'avons toutefois que des expériences inverses
(NDA).
Si l'on ne dédaigne pas de compter avec de simples probabilités, on
peut donner comme règle que les cas douteux se révèlent être, dans
leur grande majorité, des schizophrénies quand on peut les suivre d'as-
sez longues années durant.
Uanamnèse fournit dans de nombreux cas de si bons points de repère
au diagnostic que l'on est capable de reconnaître avec certitude une
schizophrénie à partir du récit de la famille. En effet, le comportement
de beaucoup de nos malades est si caractéristique qu'il peut être suf-
fisamment décrit même par des profanes.
Les modifications du caractère sont d'importance. Un jeune homme qui
est devenu « autre » est dans la plupart des cas un malade mental, et
le plus souvent hébéphrène 4 .

B . L ' i m p o r t a n c e des divers symptômes


p o u r le diagnostic différentiel

Parmi les symptômes intellectuels, les troubles de la perception, de


l'orientation et de la mémoire, au sens plus précisément défini plus
haut, ne font jamais partie de la schizophrénie ; ils prouvent donc
l'existence d'une autre psychose, mais n'excluent pas la schizophrénie.
Par contre, un trouble schizophrénique des associations patent suffit à
lui seul au diagnostic.
Chez les sujets sains et autres non-schizophrènes, les barrages sont
passagers et ont toujours des motifs précis que l'on peut découvrir.
Chez les schizophrènes, ils se signalent généralement par leur caractère
insurmontable ; leur origine psychologique n'est souvent pas facile à
déceler, et ils se généralisent volontiers, c'est-à-dire qu'on les ren-
contre aussi en dehors du contexte complexuel. En tout état de cause,
il est parfois impossible, à un moment donné, de différencier un bar-

4 . Mais un débile n'est pas devenu autre quand il commence à traînasser dans un nouvel
environnement, après s'être conduit d'une façon modèle sous l'aile protectrice de ses parents,
ou bien lorsqu'il subit la transformation inverse. 11 ne s'agit pas d'une modification du ca-
ractère si, en fonction de circonstances intérieures ou extérieures, l'un puis l'autre de deux
instincts qui se combattent en un être humain prennent le dessus, ce qui se manifeste sous
la forme d'une conversion ou d'une éclatante apostasie. Si l'on se garde de telles méprises,
la modification du caractère fournit des indications très importantes (NI)A).
rage hystérique d'un barrage schizophrénique. En outre, il ne faut pas
confondre la stupeur émotionnelle, qui peut durer des semaines, no-
tamment chez les imbéciles, avec ce symptôme pathologique.
Les scissions systématiques, qui touchent par exemple la personnalité,
se rencontrent dans beaucoup d'états psychotiques, ainsi que chez les
hystériques, où elles sont beaucoup plus prononcées encore que dans
la schizophrénie (personnalités multiples). Mais sans doute ne ren-
contre-t-on de scission franche que dans notre maladie, en ce sens que
les différents fragments de la personnalité existent côte à côte alors
que l'orientation dans l'environnement est bonne.
L'autisme ne peut être utilisé en soi pour le diagnostic, car il se voit
notamment dans les états crépusculaires hystériques mais, sous un cer-
tain rapport, domine aussi les idées délirantes de la paralysie générale,
par exemple. Dans les cas non schizophréniques, ce symptôme a certes
une autre allure, mais il est difficile de décrire les différences. Les
épileptiques et les malades organiques se replient simplement sur
eux-mêmes quand ils adoptent une attitude analogue à l'attitude au-
tistique, tandis que les schizophrènes se placent en opposition et en
contradiction avec la réalité. Chez les non-schizophrènes, le retran-
chement du monde extérieur est aussi beaucoup moins complet ; le
cas échéant, ils ne se préoccupent certes pas activement de la réalité,
mais ils entrent aussitôt en rapport avec elle quand, par exemple, on
leur adresse la parole.

Le manque de clarté des concepts est un symptôme partiel d'autres ma-


ladies aussi ; mais quand il va si loin que différentes personnes ou
objets sont confondus alors que la lucidité est entière, on peut tenir
la schizophrénie pour certaine. Le transitivisme peut éventuellement se
rencontrer lui aussi chez des non-schizophrènes, mais sans doute seu-
lement lors d'obscurcissements de la conscience. Certains néologismes
ne peuvent servir au diagnostic (épilepsie !) ; mais qui exprime une
part essentielle de ses pensées au travers de néologismes est schizo-
phrène. Pour s'amuser, un maniaque peut parler un langage inventé
par lui-même, il ne compte pas se faire comprendre par ce moyen ; le
schizophrène parle son « langage artificiel » dans le même esprit que
nous notre idiome habituel, mais il ne se soucie pas de ce qu'on ne
le comprenne pas.

Le manque de capacité de discussion ne se voit nulle part de la même


manière que dans la schizophrénie. Même là où nos malades s'engagent
dans des discussions sur leurs conceptions erronées, on trouve régu-
lièrement, à côté de domaines d'idées défendus judicieusement ou
même avec une chicanerie habile, d'autres où l'affaire est tout simple-
ment « comme ça », comme disent les malades, ou bien où ils font des
déductions tout à fait insensées. Le schizophrène peut cliver de sa
conscience 5 des faits qui ne s'accordent pas avec ses affects ; l'entêté
se contentera généralement de les ignorer.
L'émergence d'idées abruptes, notamment quand elles sont en même
temps absurdes ou qu'elles contredisent la personnalité habituelle, est
un signe assez certain de schizophrénie.
Souvent, il ne faut pas méconnaître la forme schizophrénique de l'attention,
qui consiste en ce que, malgré une absence totale d'intérêt, l'enregistre-
ment passif de tout ce qui se passe fonctionne impeccablement.
Dans les hallucinations, ce qui est important c'est leur prédilection
pour les sensations auditives et corporelles (attention aux manifes-
tations névritiques, qui peuvent simuler des hallucinations corpo-
relles 6 ). Là où un délire de persécution physique et des hallucinations
auditives dominent en permanence le tableau, il faut probablement tou-
jours conclure à la schizophrénie. La sonorisation de la pensée' se voit
extrêmement rarement dans d'autres psychoses. Sans doute le barrage
entre les hallucinations et le contenu de conscience réaliste est-il éga-
lement caractéristique.
Les hallucinations schizophréniques ont sûrement d'autres particularités
caractéristiques encore. Mais je ne me risquerai pas à les citer au hasard,
parce que nous connaissons trop peu les autres psychoses hallucinatoires.
Les idées délirantes se caractérisent souvent par leur seul contenu
comme étant schizophréniques. Leur caractère insensé, irréfléchi, dé-
cousu ne saurait être méconnu. Cependant, des idées délirantes ana-
logues, dont on peut difficilement décrire les caractères différentiels,
se rencontrent souvent dans des maladies organiques (par exemple les
idées dépressives hypocondriaques dans la paralysie générale). Ce qui
est le plus caractéristique de la schizophrénie, c'est quand les idées
délirantes ne sont pas du tout réfléchies, quand elles sont en très
grande contradiction avec la plus simple réalité, et qu'elles sont pour-
tant exprimées alors que la conscience est apparemment claire. Qui

5. Abspalten : voir glossaire (NDT).


6. En outre, on rencontre parfois chez les malades mentaux organiques des dysesthésies
analogues, mais qu'on arrive généralement à reconnaître comme des paresthésies interprétées
de façon erronée. En tout cas, elles ont là un tout autre caractère que dans la schizophrénie.
Comparez néanmoins avec Sérieux, Annales médico-psychologiques, 1902, septembre-octobre.
Puis les hallucinations corporelles dans l'aura des épileptiques (NDA).
7. Das Gedankenlautwerden : voir glossaire (NDT).
produit en permanence, en pleine lucidité de conscience, des idées de
persécution complètement illogiques est probablement toujours un
schizophrène ; si les hallucinations caractéristiques s'y associent, le
diagnostic est alors certain.

Sur le plan du contenu, l'idée délirante que tout un chacun sait déjà
tout ce que pense le patient est pratiquement pathognomonique.

Le para-fonctionnement et le non-fonctionnement schizophréniques de


l'affectivité sont un signe décisif de notre psychose, si Ton parvient à
les distinguer d'autres types d'indifférence. Une indifférence perma-
nente à l'égard des intérêts les plus vitaux est schizophrénique, même
quand des thèmes moins importants sont tout à fait normalement char-
gés d'affect. Comme l'affectivité des êtres humains a des positions
moyennes différentes, on prêtera moins d'attention à une petite ano-
malie de Thumeur allant dans le sens de l'indifférence qu'à un man-
que de capacité de modulation de l'humeur. Si le patient demeure
qualitativement et quantitativement figé dans les mêmes sentiments,
même quand il aborde des idées d'importance différente, c'est en
faveur de la schizophrénie. Mais dans des cas relativement bénins
ce symptôme peut manquer lui aussi ou se rapprocher de l'indiffé-
rence des hystériques.

Le sourire immotivé inaffectif est un signe particulièrement important


et souvent très précoce. On ne le confondra guère avec le spasme de
rire des nerveux.

Il est notoire que les symptômes catatoniques ne sont pas le propre


exclusif de la schizophrénie. Du moins est-il encore impossible de les
distinguer à tout coup d'états analogues, notamment dans les psychoses
organiques. Mais s'ils se manifestent de façon prononcée et dans leur
majorité, il faut admettre la schizophrénie.

En dehors de la catatonie, nous rencontrons la catalepsie cireuse dans


des maladies organiques, et puis surtout dans Pépilepsie, mais ici gé-
néralement en relation avec des crises, ainsi que dans l'hystérie et
peut-être dans les psychoses au cours des pyrexies, et à coup sûr dans
les maladies fébriles des enfants. La forme rigide de la catalepsie se
voit assez souvent dans des maladies cérébrales organiques de toutes
sortes et dans l'épilepsie. Mais ici la raideur est généralement indé-
pendante des tentatives de mobilisation passive, alors que dans la schi-
zophrénie ce sont généralement celles-ci qui provoquent en premier
lieu ou qui renforcent le tonus musculaire.
Les autres formes d'automatisme sur ordre8 peuvent probablement se
voir au cours des différents états abouliques de non-schizophrènes, et
peut-être aussi Véchopraxie, bien qu'elle soit rare en dehors de la schi-
zophrénie parmi nos cas. Il n'est pas rare que nous la rencontrions
dans les affections cérébrales focales, sous la forme de l'écholalie, avec
un fondement psychologique quelque peu différent.

En pratique, on ne peut pas encore délimiter le négativisme par rapport


à d'autres formes de refus. Des sujets sains et des malades de toutes
sortes deviennent rejetants par simple mauvaise humeur. Si celle-ci
s'intrique avec une aperception confuse de l'environnement, comme
cela se voit si souvent chez les épileptiques et les malades organiques,
elle peut très facilement simuler le négativisme. La simple résistance
des malades anxieux, par contre, a le caractère de mouvements de fuite
et de défense, elle peut être influencée par le comportement du mé-
decin, parfois par des exhortations amicales. Chez le schizophrène, ces
signes font défaut, et ce qui est frappant ici, c'est notamment le
contraste avec l'indifférence avec laquelle il endure souvent des agres-
sions réelles. Il est plus difficile de distinguer du négativisme la simple
perception de l'environnement comme étant hostile, car la confrontation
hostile avec le monde extérieur constitue précisément, d'une manière
générale, une cause du négativisme. Le négativisme peut également
exister à côté d'une telle méconnaissance et indépendamment d'elle ;
il n'est alors souvent pas facile de distinguer les deux facteurs. Le
refus aveugle, fermé à la discussion, se voit par contre très rarement
chez d'autres malades vigiles que les schizophrènes. Pour autant, il ne
faut pas perdre de vue que même le vrai négativisme n'est pas néces-
sairement général, mais qu'il peut se manifester, ou à l'inverse se mas-
quer, seulement dans des circonstances déterminées ou vis-à-vis de
personnes données. - Le négativisme se différencie de l'entêtement,
qui repose lui aussi sur un type d'autisme exagéré, par le fait qu'il est
un symptôme général et que la plupart de ses manifestations restent
totalement incompréhensibles à la sensibilité normale.

C'est chez les schizophrènes que les stéréotypies sont les plus fré-
quentes, mais elles ne font pas non plus défaut chez d'autres malades
- ni chez des gens normaux. Mais leur caractère absurde, inadéquat

8. Die Befehlsautomalie : symptôme très frappant, déjà décrit par Kraepelin, et qui consiste
en ce qu'un patient répète de façon automatique un acte qu'on lui ordonne, même si celui-ci
doit avoir des conséquences pénibles pour lui. Kraepelin le mettait en évidence en faisant tirer
répélitivement la langue à ses malades et en y enfonçant une aiguille à chaque fois... ( N D T ) .
aux idées et aux sentiments du patient, permet généralement de dis-
tinguer les stéréotypies catatoniques des autres stéréotypies. Pourvu
que l'on pense à la possibilité de ces différents symptômes, la verbi-
gération est généralement aisée à distinguer de la pauvreté idéique et
de la persévération (chez les malades organiques), qui sont toutes deux
causes de répétitions de mots. Ce sont les stéréotypies d'attitude chez
les paralytiques généraux qui prêtent le plus souvent à confusion avec
des symptômes catatoniques.
Dans le cas des « manières », il faut aussi prêter attention à leur ca-
ractère outré, inadapté aux circonstances. Il n'est pas rare, en effet,
qu'elles se voient à un certain degré chez des sujets sains et chez des
malades mentaux. On les distinguera en général facilement des tics, à
condition d'y être attentif. Si les manières sont très marquées, elles
constituent un signe différentiel important par rapport à d'autres ma-
ladies.
La stupeur, qui se voit également dans des maladies cérébrales orga-
niques, dans la folie maniaco-dépressive, dans Pépilepsie, dans l'hys-
térie, n'est utilisable en tant que telle à des fins diagnostiques que
quand on peut en prouver ou en exclure une genèse schizophrénique
(barrage, autisme, etc.). En outre, une stupeur au cours de laquelle le
malade paraît lucide et observe bien son environnement sera sans doute
toujours schizophrénique. L'observation de Gross, qui n'a trouvé de
trouble de l'aperception ni d'inhibition motrice chez aucun de ses stu-
poreux catatoniques, est également importante.
Parmi les symptômes moteurs, les réflexes ostéo-tendineux, qui sont en
règle exagérés, peuvent étayer le diagnostic. Le phénomène facial, no-
tamment, est rare chez les sujets sains et dans certaines autres psy-
choses 9 .
Il faudrait aussi examiner l'excitabilité neuro-musculaire.
Selon Ziehen (840, p. 347/348), il existe dans la melancholia attonita 10 une
tension générale qui la différencie de l'atonie de la melancholia passiva.
Gaupp (255) trouve aussi, plus volontiers que dans d'autres maladies, une
tension dans la stupeur catatonique.

9. Dunton Will. Rusch dit que quand on effleure légèrement la joue des malades, devant
l'oreille, avec un marteau à réflexes, il se produit des mouvements de l'orbiculaire palpébral,
notamment dans les cas récents. J e ne sais pas si ce réflexe cutané a une signification
d i a g n o s t i q u e (NDA).
10. Melancholia attonita, ou melancholia con stupore : tableau, décrit au XIXe siècle, de
mélancolie avec s t u p e u r et p h é n o m è n e s moteurs anormaux, que Kahlbaum a assimilé au
s t a d e d e s t u p e u r c a t a t o n i q u e d e s a f o l i e t o n i q u e ou c a t a t o n i e (NDT).
Paresthésies : Kahlbaum (p. 52) pense que la céphalée occipitale serait fré-
quente dans la catatonie, rare dans d'autres maladies ; d'autres céphalées se
comporteraient à l'inverse. Jusqu'à présent, je n'ai rien pu voir qui soit à
coup sûr caractéristique dans les paresthésies. Naturellement, elles sont gé-
néralement schizophréniques quand elles sont « faites » par des tiers.

On peut aussi mentionner ici le peu de fatigabilité, tant musculaire


que psychique, de nombreux schizophrènes (comparer aussi avec la
catalepsie !). Ce signe peut revêtir de l'importance, par exemple par
rapport aux psychoses organiques (Ziehen, 846).

Entre autres symptômes organiques, il faut mentionner les troubles de


la réaction pupillaire. Des pupilles anormalement élargies, sans cause
décelable, au cours d'états d'excitation indiquent presque toujours la
catatonie ; elles sont par exemple très rares dans la manie simple 11 .

Naturellement, les oedèmes ne sont à considérer comme étant signes


de schizophrénie que lorsque toute autre cause est exclue ; peut-être
leur caractère non-élastique, ne prenant guère le godet est-il utilisable
pour le diagnostic.

Les examens métaboliques (examen des urines, etc.) ne sont pas (encore) uti-
lisables sur le plan diagnostique. Il est seulement d'un certain intérêt de
savoir que de grandes oscillations du poids corporel sans cause décelable se
voient avec une extrême fréquence au cours de notre maladie, et que, de
même, la prise de poids sans amélioration psychique à l'occasion d'un accès
aigu est très probablement en faveur de la schizophrénie.
Les anomalies de la sécrétion gastrique (Pilez), elles aussi, ont encore gran-
dement besoin d'être explorée dans le futur sur un matériel plus vaste avant
de pouvoir être utilisables à des fins diagnostiques.

Dans les accès aigus des types les plus divers, on fait le diagnostic
sur la présence des symptômes spécifiques schizophréniques. L'impres-
sion d'ensemble peut cependant souvent permettre sans plus ample
informé le diagnostic de schizophrénie au praticien expérimenté ; cette
maladie est en effet si fréquente que le risque est minime, moyennant
une certaine prudence. Cependant, avec de tels diagnostics on se prive
de la possibilité de découvrir à temps des états d'excitation plus rares,
qui ne s'intègrent pas encore dans le cadre d'une des maladies qui
nous sont connues ; et l'on n'acquiert alors d'entière certitude que par
la mise en évidence de symptômes décisifs. Je n'ai vu jusqu'à présent

11. Voir plus loin la signification des autres anomalies pupillaires, dans le diagnostic dif-
férentiel avec la paralysie générale (INI)A).
que dans la seule schizophrénie ces rémissions subites au milieu d'un
accès aigu, au cours desquelles le malade, bien qu'il se souvienne, fait
comme si rien ne s'était passé. - Les états d'obnubilation sont natu-
rellement difficiles à examiner ; ils sont schizophréniques, si l'on peut
prouver que le degré de ce que nous appelons obnubilation n'est nul-
lement en rapport avec l'inhibition de la pensée proprement dite, les
malades observant et enregistrant bel et bien tout.
Il n'existe pas de symptômes pathognomoniques négatifs qui excluraient
la présence d'une schizophrénie. On a voulu considérer le fait qu'une
maladie soit influençable par voie psychique comme représentant un
tel signe (Specht, 732, p. 554, et Gaupp). Mais nous voyons très fré-
quemment que même ce que nous appelons abêtissement schizophré-
nique est amélioré ou aggravé à un haut degré par des influences
psychiques.
Si des signes d'une autre psychose, paralysie générale par exemple,
sont présents, on abandonnera généralement le diagnostic de schizo-
phrénie, pour des raisons pratiques. Par contre, cela ne prouve jamais
qu'il n'existe pas, outre la maladie cérébrale organique, une démence
précoce. En effet, nous ne pouvons exclure chez quiconque une schizophrénie
latente, et ce tout aussi peu qu'une tuberculose pulmonaire latente.

C. L e diagnostic différentiel

Les difficultés et les signes distinctifs spécifiques par rapport aux au-
tres maladies seront seuls abordés ici. Si les signes généraux de schizo-
phrénie mentionnés précédemment sont présents de façon suffisamment
accusée, le diagnostic va de soi.
Pour l'instant, il n'est malheureusement pas encore possible de discuter
du diagnostic différentiel de la schizophrénie sans s'étendre sur la
symptomalologie des autres psychoses, dans la description desquelles
ce dont il est précisément question ici est insuffisamment pris en
compte.
a) La distinction symptomatologique de la schizophrénie et de la folie
maniaco-dépressive ne peut être faite qu'au moyen des symptômes schi-
zophréniques spécifiques ; ce qu'on observe dans la folie maniaco-dé-
pressive peut aussi se voir dans notre maladie ; ce qui est déterminant,
c'est seulement la présence ou l'absence de symptômes schizophréniques.
Une exaltation maniaque, une dépression mélancolique, et aussi une
alternance de ces deux états, n'ont donc encore aucune signification
diagnostique. On ne peut conclure à la folie maniaco-dépressive que
quand une observation suffisante n'a rien montré de schizophrénique.

Le trouble des affects a été considéré de tout temps comme le signe


distinctif le plus important des « abêtissements ». Dans la folie mania-
co-dépressive, les affects sont puissants et tout à fait nets, mais dans
une schizophrénie patente ils sont indistincts et souvent tout à fait
indéfinissables. Leur absence est frappante notamment quand le conte-
nu des propos exprime en même temps un délire de grandeur ou du
désespoir. 11 faut prêter une attention particulière à la capacité de mo-
dulation. Le maniaque et, en un certain sens, le mélancolique aussi,
sont ajustés à un niveau anormal de leur affectivité, sans avoir perdu
la faculté d'adapter leur humeur à toutes les nuances du contenu de
leur pensée. Chez le schizophrène, par contre, même un état affectif
prononcé a quelque chose de figé, d'impossible à mobiliser ; et si des
modifications de l'humeur se produisent, elles paraissent souvent im-
motivées, ne se déroulant pas parallèlement au contenu représentatif.

Ainsi, les accès de colère du maniaque peuvent habituellement être


rapportés à des motifs normaux ; il s'irrite des limitations, du refus
opposé à une demande, etc. Le schizophrène maniaque a souvent des
accès de rage dont le déclenchement apparaît totalement immotivé, ou
du moins infondé qualitativement.

Un signe particulièrement important est le manque d'homogénéité de


l'humeur, homogénéité étant pris non pas dans le sens temporel, mais
en tant que les différentes manifestations psychiques ne sont pas
concordantes. Si le contenu et l'expression d'un discours sont en
contradiction l'un avec l'autre, si sont présents dans la même phrase
des mots et des idées correspondant à des humeurs ou à des nuances
différentes, des expressions indifférentes aux côtés d'autres exaltées
ou désespérées, si la mimique elle-même est si dissociée que, par
exemple, la partie supérieure du visage exprime un autre affect que
sa partie inférieure, il ne s'agit alors pas d'une folie maniaco-dépres-
sive. Le schizophrène peut être joyeux, anxieux, exalté et déprimé non
seulement en une succession rapide, mais absolument en même temps.
Il peut aussi dormir normalement longtemps et profondément malgré
une forte excitation exaltée ou anxieuse. Tous ces éléments représen-
tent des différences par rapport au maniaque.

L'euphorie indifférente de nombreux schizophrènes ne doit pas être


confondue avec l'humeur exaltée des maniaques.
Outre les signes mentionnés ci-dessus, le manque d'activité schizophré-
nique, qu'on note même quand une humeur proprement maniaque
complique la maladie de base, est souvent utile au diagnostic. Un état
maniaque qui ne comprend pas un besoin d'activité correspondant à
l'humeur est en règle symptomatique, et le plus souvent schizophrénique.

D'une façon générale, le besoin d'activité est l'un des signes de manie
qui ne fait presque jamais défaut (abstraction faite des « cas mixtes »
de Weygandt), tandis que nous en voyons très peu dans les excitations
de la démence précoce. Brosius, déjà, a attiré l'attention sur le compor-
tement frappant du patient en cours d'abêtissement qui, après une
scène de destruction, reste debout, inactif, sur les débris, tandis que
le maniaque s'occupe activement à utiliser le matériel démoli. Ce n'est
que chez le schizophrène que sa façon de grimper, de tournoyer, de
détruire en permanence nous paraît totalement dépourvue de sens.
Dans le cas du maniaque, nous savons en règle à quoi il pense en le
faisant.

Wernicke (804, p. 387) attire l'attention sur la disproportion entre le besoin


de parler et le besoin d'activité dans sa psychose de mot i 1 ité hyperkinétique.
Dans la manie, le besoin de parler prédominerait, dans la psychose de motilité
on verrait souvent, à côté d'un fort besoin de mouvement, une envie de parler
faible, voire un mutisme. Ceci est vrai, mais il y a aussi des manies qui ne
parlent pas beaucoup spontanément. On peut bien mieux exprimer cette dif-
férence en disant, après Kraepelin, que les schizophrènes excités entrent trop
peu en relation avec leur entourage ; ils présentent d'une façon générale une
indépendance frappante à l'égard des stimulus environnementaux ; « le besoin
de mouvement revêt un caractère compulsif et monotone, il est totalement
dénué de but, il n'est pas influencé par des facteurs extérieurs ; souvent, on
est frappé par l'exécution maniérée de certains actes » (Kraepelin, Allgemeine
Zeitschrift fur Psychiatrie, 99, p. 255).
Les malades conversent peu avec leur entourage, même quand ils parlent
beaucoup. Tant l'impulsion de parler que le contenu viennent essentiellement
de l'intérieur, sur un mode autistique. Des malades schizophrènes peuvent
même garder les yeux fermés en permanence, non seulement dans la section
mais même, par exemple, pendant la plus grande partie d'une présentation
clinique. Aussi, je ne comprends pas comment Wernicke peut proposer « Tiiy-
permétamorphose » prononcée comme signe différentiel de la psychose de
motilité hyperkinétique par rapport à la manie (op. cit.). Une aptitude exces-
sive à se laisser distraire peut se voir dans l'excitation catatonique, mais elle
est rarement aussi importante que dans la manie, et généralement moindre ;
plus fréquemment encore nous trouvons exactement le contraire, une hypo-
vigilance pathologique.
Il va de soi que la fuite des idées maniaque ne doit pas être confondue
avec l ' i n c o h é r e n c e schizophrénique, et que c e s deux troubles coexistent
dans les a c c è s m a n i a q u e s de la schizophrénie. A c e propos, il importe
de savoir que la fuite des idées ne saurait aller j u s q u ' à un relâchement
des c o n c e p l s usuels et une véritable altération des fonctions logiques.
Le m a n i a q u e ne considère pas une personne comme masculine et fé-
minine en même temps, et il n'attribue pas sérieusement à des asso-
ciations totalement fortuites une relation de causalité ou une autre
relation logique qui ne leur reviennent pas.

I l n'est pas toujours possible de distinguer du premier coup d'œil la fuite des
idées de l'incohérence schizophrénique, car ces deux anomalies ont quelque
chose de sans but. Il faut noter que la fuite des idées n'est pas dépourvue
de ligne directrice, mais que celle-ci change à chaque instanl. Comme, dans
le cas des sautes d'idées de la schizophrénie, tous les fils ne sont pas forcé-
ment rompus, nous avons souvent, dans cette perturbation, des associations qu'il
faut comparer à celles, superficielles, tonales et motrices 12 , de la fuite des idées,
et qui peuvent être identiques à elles dans certains cas. Mais le diagnostic peut
tout de même être fait dans la plupart des cas avec relativement peu de
matériel, parce qu'il peut manquer aux associations schizophréniques des fils
directeurs beaucoup plus nombreux qu'aux associations maniaques. D'où leur
bizarrerie, leur caractère insensé sans nul scrupule, tandis que la fuite des
idées met au jour des associations qui non seulement sont compréhensibles
même à un être normal, mais même surviennent fort fréquemment chez lui,
tout en étant alors habituellement réprimées (rime, mots complétés). Ainsi
des associations telles que « Absicht - in der Nacht », « Bitte - Bidet »,
« Ziegelboden - Zigeuner », « Schuh - Schonheit 13 » ne seront-elles possi-
bles, dans la manie, que dans des contextes tout à fait particuliers.

Des associations normales en soi, ou purement liées à la fuite des idées,


deviennent bizarres elles aussi du fait de leur utilisation dans des phrases
qui semblent absurdes el ne montrent d'homogénéité de l'humeur ni dans
leur mode d'expression, ni dans les sentiments.
« Aidez-moi à allumer un arbre de Noël du monde le 25 courant ; avec votre
aide je pourrai aider à l'allumer el à l'orner par ma mère avec une petite
cloche, je pourrai souffler dans une petite trompette d'enfant, mon Testament
moderne sans argent. »
Dans cet exemple, toutes les associations sont encore bien compréhensibles ;
mais leur assemblage en phrases est nettement schizophrénique, non seule-

12. C'est-à-dire basées sur des assonances et sur des analogies phonatoires (NDT).
13. Il s'agit là d'associations par a s s o n a n c e pure, non explicables par le sens : « intention -
la nuit on ne voit rien », « demande - bidet », « carrelage - tzigane », « chaussure - beauté »
(NDT).
ment à cause du non-sens que représente le fait que le patienl veuille l'al-
lumer avec une cloche mais aussi, entre autres, parce qu'il y introduit sur
un ton cérémonieux le « 2 5 courant » commercial.

Tandis que le maniaque ne peut cacher son excitation ni dans le lan-


gage parlé, ni dans l'écriture, le schizophrène est dissocié même sans
excitation : lui seul peut écrire une lettre de trente pages impeccable
en apparence mais pleine d'absurdités incohérentes ; ce n'est que dans
cette maladie que l'on peut tricoter une chaussette parfaite alors que
le comportement est insensé par ailleurs.

La différence entre schizophrénie et manie apparaît aussi, entre autres,


dans les explications que les malades donnent de leur comportement.
Les malades rendent souvent après coup leur comportement tout à fait
plausible pour eux-mêmes et pour les autres : les infirmiers étaient
trop grossiers à leur égard, c'est pourquoi ils ont cassé, etc. Les schi-
zophrènes ont les échappatoires absurdes qu'on a décrites plus haut :
ils ont cassé un carreau parce qu'on ne les laisse pas rentrer chez eux,
ou parce que l'infirmier porte un tablier, ou encore ils n'éprouvent pas
le moindre besoin de trouver des justifications.

Dans les états mixtes maniaco-dépressifs, les malades se répètent d'une


façon parfois franchement lassante malgré des signes nets de fuite des
idées, ou bien ils forment des séries interminables d'idées analogues
(noms, localités, etc.). Ce symptôme ne saurait être confondu, moyen-
nant quelque attention, avec la verbigération, dans laquelle il n'y a
nulle intention de dire quelque chose. — Si les malades en reviennent
sans cesse à des idées antérieures, sans qu'un intérêt explique ce
comportement, alors il ne s'agit en règle pas d'une manie.

De véritables associations indirectes ne jouent pratiquement aucun rôle


notable dans la manie des maniaco-dépressifs, tandis qu'elles sont fort
fréquentes dans la schizophrénie.

La signification que prennent pour le malade les associations anormales


est un autre signe important de la schizophrénie. Tandis que celui qui
a une fuite des idées joue avec ses rimes et ses assonances, les asso-
ciations bizarres du schizophrène sont exploitées sur le plan de leur
contenu et ont souvent pour lui valeur de vérité : pour une hébéphrène,
les lettres F.L. sur la serviette, associées à l'ovale de la table, n'évo-
quent pas seulement le mot « folle 14 », elles lui disent qu'elle est

14. En français dans le texte.


« folle ». Nul maniaque, pensant à une « salutation délicieuse » et fai-
sant en plus, à partir de « délicieux », l'étrange association « peu 15 »,
ne serait capable d'utiliser cette dernière idée à la fin d'une lettre,
sous la forme « avec mes salutations délicieuses à votre peu de Sei-
gneurie ». De même, seuls les schizophrènes utilisent d'une façon er-
ronée sur le plan logique les associations fortuites inspirées par
l'environnement. Certes, le maniaque reprend dans le cours de ses
idées tous les événements possibles, et il laisse notamment totalement
détourner ce cours d'idées par des perceptions extérieures ; la super-
ficialité peut alors aller jusqu'au non-sens, mais jamais jusqu'au
contresens complet.

Par contre, Vassujettissement aux impressions extérieures, la dénomina-


tion, la fascination, constituent une anomalie qui fait partie de la schi-
zophrénie, mais jamais de la fuite des idées.

Si le trouble associatif maniaque et le trouble associatif schizophréni-


ques vont jusqu'à la confusion complète, il peut être impossible, pour
une courte période, de les distinguer.

Nous avons décrit les associations expérimentales16 dans la partie symp-


tomatologique. Ici, je voudrais seulement attirer encore l'attention sur
les temps de latence des schizophrènes, si souvent irréguliers et longs,
comparés à la réaction rapide des maniaques.

A propos des associations expérimentales, Isserlin (342) dit : « Si, malgré de


longs temps de latence, nous trouvons régulièrement un effort pour tenir
compte du sens du stimulus verbal, nous n'hésiterons pas à poser le diagnostic
de dépression dans le cadre de la folie maniaco-dépressive, même en cas de
labilité idéique médiocre et d'affect pas très profond. » Sans doute a-l-il rai-
son dans la majorité des cas. Moins fiable est déjà le critère de Pfersdorff,
selon lequel une réaction nouvelle à chaque nouveau stimulus verbal serait
en faveur de la folie maniaco-dépressive. Car ¡1 est de nombreux schizo-
phrènes relativement peu atteints qui sont capables, même si leur comporte-
ment est quelque peu stuporeux, de suivre chaque nouveau stimulus.

En dehors des particularités spécifiques des excitations schizophréni-


ques, ce qui est caractéristique par rapport à la manie pure, outre
l'affectation, le théâtralisme du comportement, c'est aussi, notamment,
la monotonie des mouvements ; et puis leur aspect incompréhensible ; le

15. Association par assonance entre wonnig, délicieux, et wenig, peu (NDT).
16. Ou associations provoquées (NDT).
maniaque agit, plus d'un schizophrène excité ne fait que remuer ses
membres.
La distinction de l'inhibition et du barrage nous permet de séparer des
états schizophréniques les états stuporeux et dépressifs de la folie ma-
niaco-dépressive qu'autrefois on confondait avec eux. Les barrages ne
jouent aucun rôle dans ces derniers. Dans l'inhibition, altération et
ralentissement général des mouvements et de la pensée, avec affect
triste ; dans le barrage, fluctuations de la force et de la rapidité des
mouvements et de la pensée. Sur injonction, l'inhibé fait des mouve-
ments (tourner ses mains l'une autour de l'autre, compter) lentement,
sans énergie, incomplètement, en faiblissant rapidement ; celui qui a
des barrages n'obéit tout d'abord absolument pas, dans les cas pronon-
cés ; mais une fois la résistance surmontée, force et vitesse sont alors
généralement normales. Mais étant donnée l'aréactivité des formes hau-
tement stuporeuses de ces deux maladies, la distinction peut être pres-
que impossible, dans de rares cas. Le signe indiqué par Wernicke (804,
p. 4 4 8 ) peut alors être encore de quelque secours : les « mélancoli-
ques », même quand ils ne répondent pas, regardent généralement en-
core celui qui les interroge, tandis que les schizophrènes ne donnent
absolument aucun signe de compréhension, ou se détournent franche-
ment. Parfois aussi le barrage se différencie nettement de l'inhibition
en disparaissant aussitôt qu'il est possible d'attirer l'attention du ma-
lade sur un thème éloigné de ses complexes, tandis que l'inhibition se
manifeste même si on détourne l'attention, sauf dans des cas bénins.

A l'occasion, l'inhibition est confondue avec le négativisme, mais il


est facile de se garder de cette erreur.

« Uapathie » apparente des maniaco-dépressifs, qui apparaît pour par-


tie en tant que stade postérieur à une manie et pour partie comme
forme bénigne d'une phase dépressive, a bien souvent simulé un « abê-
tissement ». Mais le fait que ce syndrome peut entièrement s'expliquer
par une légère inhibition devrait assurer le diagnostic.

Les états délirants de la folie maniaco-dépressive sont encore souvent


difficiles à différencier de la schizophrénie ; ce n'est qu'après une ob-
servation assez longue et approfondie que l'absence de symptômes schi-
zophréniques fera pencher la balance en faveur de la première. Mais
ces états sont fort rares, si bien que la probabilité est toujours très
fortement en faveur de la schizophrénie. Si l'on ne peut constater de
dépression nette ou d'élation de l'humeur, il faut toujours admettre la
schizophrénie.
Schtile (675a, p. 312) indique que si l'erreur sensorielle apparaît au
malade comme quelque chose d'étranger qui aurait une signification
supplémentaire en sus de sa valeur logique, il ne s'agirait plus de mé-
lancolie mais de paranoïa (c'est-à-dire de schizophrénie, au sens que
nous lui donnons). Bien que ce critère ne soit pas toujours aisé à mettre
en œuvre, il exprime tout de même quelque chose de juste ; c'est en effet
la partie de la personnalité qui est clivée qui impose à l'autre l'hallu-
cination et son interprétation. Après la « guérison » d'un accès aigu, la
grande majorité des schizophrènes adoptent vis-à-vis de leurs idées dé-
lirantes une position différente de celle des maniaques ; ils les annulent,
ne se prononcent pas sur elles (comparez p. 151 et p. 283).
Kôlpin pense que le souvenir d'une stupeur mélancolique serait plus lacu-
naire que celui d'une stupeur catatonique. Je ne saurais admettre la validité
de ce symptôme. Même dans les états stuporeux de la schizophrénie il existe
des états crépusculaires qui laissent une amnésie résiduelle totale ou par-
tielle, et il peut rester un souvenir très correct d'une stupeur mélancolique.
Je ne saurais dire si le signe de Pfersdorff (560, p. 742), selon lequel ce sont
des parties du corps (le poitrine, le ventre, etc.), et non un organe donné,
quit figurent dans les idées délirantes de la folie maniaco-dépressive, a de
la valeur.
Les différences évolutives sont évidentes, la schizophrénie s'acheminant
vers un abêtissement spécifique, tandis que les accès de la folie ma-
niaco-dépressive permettent, dans leur intervalle, des états normaux
ou encore une émotivité exagérée, sans véritable trouble de la faculté
d'association ni de l'intelligence. Si cela se passe mal dans la folie
maniaco-dépressive, c'est en ce sens que les intervalles sains devien-
nent de plus en plus brefs ou disparaissent totalement. Il faut noter
expressément que l'évolution périodique ou cyclique peut d'une part
faire défaut dans la folie maniaco-dépressive, et d'autre part se voir
dans la schizophrénie. Mais il y a une grande probabilité en faveur de
la folie maniaco-dépressive si plusieurs accès ont déjà eu lieu et que
l'on ne trouve cependant nul signe net de schizophrénie.

Il n'est encore guère possible de tirer des indices diagnostiques de


l'hérédité, étant donné que la place qu'occupe celle-ci dans le cas des
psychoses a été encore peu explorée et qu'il est difficile d'établir notre
arbre généalogique.
Quant à la mélancolie d'involution de Kraepelin, sans doute laul-il la
ranger dans la folie maniaco-dépressive. Il suffit ici de faire remarquer
que certaines catatonies tardives commencent par des symptômes mé-
lancoliques auxquels les signes catatoniques francs ne s'adjoignent
qu'ultérieurement. Là, il est toujours bon d'obtenir une anamnèse
exacte, dans laquelle on prenne notamment en compte les poussées
schizophréniques subies antérieurement, en particulier à la puberté,
ou l'existence d'un caractère schizophrénique ; car il n'est pas spécia-
lement fréquent que le premier accès de cette maladie survienne pen-
dant l'involution. En outre, on ne doit pas oublier qu'une faible ténacité
de l'affect et quelques ébauches de symptômes catatoniques peuvent
aussi indiquer une démence sénile débutante.
Ziehen trouve aussi une sonorisation de la pensée dans sa mélancolie. Je crois
pourtant que ce symptôme indique assez sûrement la schizophrénie. — Face
à des assertions contraires, il faut aussi soutenir qu'une aggravation ou une
amélioration aiguë sous l'influence de facteurs psychiques ne va nullement
contre la schizophrénie. Au contraire ; je ne crois pas qu'une mélancolie
s'améliore notablement sous des influences psychiques telles qu'un transfert
dans un autre asile (Stelzner, p. 12/13), tandis que les améliorations lors de
transferts sont quelque chose d'habituel dans la schizophrénie (Riklin 61 1).

* * *

b) Les deux principales psychoses organiques, la paralysie générale et


la démence sénile, sont plus aisées à distinguer de la schizophrénie,
dans la mesure où elles ont des symptômes positifs qui assurent le
diagnostic. Le trouble caractéristique de la mémoire dans le sens de
l'oubli rapide des événements récents, l'affaiblissement plus précoce
et plus important de l'attention habituelle par rapport à l'attention
maximale, la fatigabilité, la lenteur et l'incertitude de la perception,
le trouble de l'orientation, l'expression aisée de sentiments qualitati-
vement intacts mais pathologiquement lábiles, ce sont là des signes
tout aussi connus qu'évidents d'une perturbation étendue et grossière
du cortex cérébral. On ne les rencontre pas au cours d'une schizophré-
nie non compliquée.

Le trouble organique des associations et, ce qui est la même chose, à


vrai dire, de Vintelligence, est moins connu et peu facile à décrire.
Nous devons nous en tenir ici aux indications nécessaires au diagnostic
différentiel.
Les associations du malade organique 1 ' sont perturbées en tant qu'elles
sont réduites en nombre ; le champ psychique est rétréci. Les limita-

17. J e ne peux pas encore caractériser de façon positive l'incohérence des états confusion-
nels de la paralysie générale et des troubles paralytiques généraux du langage (NDA).
tions les plus frappantes se produisent du côté des pulsions, ou des
affects, ce qui est la même chose. Le paralytique général, qui aimerait
bien faire de grandes choses, ne voit plus que les potentialités favo-
rables, les mauvaises n'existent plus pour lui. Aux stades plus tardifs,
il veut s'approprier un objet quelconque dans sa section ; il le vole
avec une mine circonspecte et le cache soigneusement sous ses vête-
ments... sous les yeux des infirmiers et des autres patients, qui à ce
moment n'existent pas pour lui. Le vieillard voudrait assouvir son ins-
tinct sexuel ; en l'enfant, il ne voit plus qu'une femme, il ne pense
plus à toutes les raisons morales qui s'opposent aux relations sexuelles
avec des enfants, et abuse du premier enfant qu'il rencontre. Ainsi est
également touchée, notamment, l'aperception d'événements qui se si-
tuent hors du champ de l'attention du patient, et donc l'orientation.
Il en va tout autrement chez le schizophrène. Ses associations sont éga-
lement limitées, mais du côté de complexes qui n'ont nul besoin d'être
actuels au moment présent. Une foule de pensées sont clivées et tout à
fait incapables d'entrer en contact associatif avec certaines autres. Mais
en dehors des voies barrées, les associations ne sont pas entravées ; plu-
sieurs complexes associatifs peuvent se dérouler côte à côte. C'est ainsi
que l'aperception inconsciente est tout à fait excellente1'®.

Le paralytique regarde le monde à travers un petit trou ; mais il est


possible de lui montrer successivement presque tous les détails ; seu-
lement, il n'acquiert jamais une vue d'ensemble. Le schizophrène voit
de grands fragments cohérents de n'importe quelle taille, qu'il est po-
tentiellement capable de raccorder Lous, seulement il ne le fait jamais.
Dans l'idée délirante organique, seul existe, à un moment donné, le
complexe (le souhait, la crainte) ; chez le schizophrène, ce qui contredit
l'idée délirante existe aussi, mais sans jamais être mis en relation lo-
gique avec elle. Aussi le dément sénile peut-il, comme le schizophrène,
se fiancer avec une femme quelconque sans se soucier du fait qu'il est
déjà marié. Mais si l'on parvient à lui rappeler cet empêchement, le
dément sénile comprend la situation, bien que peut-être pas en tota-
lité ; pour le schizophrène, la difficulté n'existe pas le moins du monde
en un tel moment, quoique dans un autre contexte il soit capable de
l'apprécier beaucoup plus justement que le sénile.
La scission se manifeste également dans la façon de parler. Si le pa-
ralytique général dit « demain, ma femme vient me chercher », il y est

18. Les exceptions ont une détermination secondaire (voir p. 6 5 ) (NDA).


totalement impliqué et se réjouit ; la contradiction ne peut venir que
de l'extérieur. L'hébéphrène prononcera dans la plupart des cas ces
mêmes mots sur un ton désagréablement péremptoire ; il lutte mani-
festement contre une contradiction non exprimée.

« L'apathie » des malades organiques, que l'on observe notamment chez


les déments séniles, moins chez les paralytiques généraux, est se-
condaire ; les malades ne comprennent plus suffisamment leur envi-
ronnement pour y prendre intérêt ; ils ne comprennent pas non plus si
bien leur propre situation qu'elle puisse avoir une charge affective pour
eux. Mais si l'on fournit au malade les représentations nécessaires, on
voit aussi apparaître des affects adéquats, contrairement aux schizo-
phrènes.

D'une façon générale les malades organiques sont des gens affectifs,
avec lesquels on a un rapport continu, qu'il soit hostile ou amical.
C'est ainsi qu'il font également montre d'une suggestibilité excessive
vis-à-vis de quiconque sait les prendre, ce qui contraste grandement
avec les schizophrènes.

Les hallucinations peuvent être utilisées elles aussi pour le diagnostic


différentiel ; des hallucinations massives vont vraisemblablement
contre la paralysie générale et, si elles ne se cantonnent pas princi-
palement à la nuit, contre la démence sénile également.

A côté de ces signes de maladie organique en général, la paralysie


générale a encore spécifiquement une série de symptômes qui n'appar-
tiennent qu'à elle 1 9 . Hiibner résume la différenciation des réactions
pupillaires psychiques par les mots suivants : « Si l'instabilité pupil-
laire et la réaction émotionnelle font défaut alors que le réflexe à la
lumière est conservé, voire très rapide, et le myosis de convergence
prompt, ceci est en faveur de la démence précoce. Si l'instabilité pu-
pillaire fait seule défaut alors que le réflexe à la lumière est encore
présent et que la réaction émotionnelle est conservée, ceci fait soup-
çonner une affection cérébrale organique » (314, p. 1044). Les fré-
quentes inégalités pupillaires observées dans la schizophrénie sont
liées, à la différence de la paralysie générale, non pas à une fixité
mais tout au plus à une légère diminution du réflexe à la lumière, et
elles changent généralement rapidement, souvent plusieurs fois par

1 9 . L'écriture m a l h a b i l e de schizophrènes o b n u b i l é s est souvent i m p o s s i b l e à distinguer en


soi de c e l l e des paralytiques (NDA).
jour, si bien que tantôt l'une et tantôt l'autre est plus large. Sans doute
des inégalités permanentes sont-elles généralement des complications.
La mise en évidence d'une leucocytose ou d'une réaction de Wasser-
mannn dans le liquide cérébro-spinal, qui indiquent une affection or-
ganique du système nerveux central, sont de la plus haute importance.
Les cas mixtes de schizophrénie et de paralysie générale sont consi-
dérés comme si rares (sans doute pas entièrement à bon droit) qu'on
compte à peine avec eux. Les combinaisons de démence sénile et de
schizophrénie sont par contre fort fréquentes. Des catatonies tardives,
notamment, peuvent représenter de tels cas.
Le Korsakow fait partie des psychoses organiques. Cette maladie, à son
acmé, ne pourra jamais être confondue avec la schizophrénie.
Ultérieurement, des symptômes schizophréniques peuvent survenir
mais - comme nous l'avons exposé plus haut - nous ne savons pas
encore s'ils relèvent de l'altération névritique stabilisée ou d'une schi-
zophrénie concomitante. C'est pourquoi le diagnostic différentiel ne
peut pas encore s'occuper de ce problème.

* * *

La distinction entre la schizophrénie et certains états psychotiques ac-


compagnant les foyers cérébraux grossiers (traumatismes, tumeurs, etc.),
qui donnent des symptômes analogues, est encore en fort mauvaise
passe. Dans tous les cas que j'ai pu observer assez précisément, ou
bien on pouvait faire le diagnostic à partir d'autres symptômes orga-
niques, ou du moins on s'apercevait qu'aucun des symptômes évoquant
la schizophrénie n'était vraiment si évident que cela. Dans un cas de
tuberculose cérébrale où nous nous étions décidé par erreur pour la
schizophrénie, après une longue hésitation et faute d'un autre diagno-
stic, on était frappé par la forte obnubilation avec réactions très ralen-
ties. Malheureusement, ces cas sont trop rares pour que nous puissions
dire quelque chose de plus précis. Il faut penser que la schizophrénie
peut être compliquée par un foyer cérébral.

* * *

c) Le diagnostic différentiel avec les idioties est très aisé dans la plu-
part des cas. Certes, il en est qui sont d'un autre avis, que Masoin
(454) exprime de la façon la plus drastique, puisqu'il conçoit la schi-
zophrénie comme une idiotie tardive et prétend que sans l'anamnèse
il ne serait pas possible de distinguer un hébéphrène au stade terminal
d'un idiot. Pourtant, la seule analogie de ces maladies est, en tout et
pour tout, que la pensée s'avère déficiente dans les deux cas.
De véritables difficultés surviennent quand la schizophrénie est peu
prononcée ou, comme il est si fréquent, quand elle se combine à l'im-
bécillité.

Chez les idiots, les associations qui nécessitent une réflexion complexe
ou qui sont inhabituelles ne sont pas formées. Un imbécile qui ne peut
pas additionner pourra encore moins soustraire ou même diviser, et
celui qui ne peut pas former le concept de parents à partir des deux
composantes père et mère sera sûrement incapable aussi de se repré-
senter quelque chose de clair sous le mot « patrie ». Le schizophrène,
par contre, peut tout aussi bien échouer dans des tâches intellectuelles
simples que complexes. Le barrage interrompt les voies selon de tout
autres lois. Ainsi le schizophrène, pour autant qu'il s'exprime par la
parole ou par l'action, peut-il toujours montrer encore qu'il a appris à
comprendre beaucoup de choses inaccessibles à l'idiot. Ses mouve-
ments, son langage, etc. n'ont absolument rien de commun non plus
avec l'idiotie.

L'affectivité des idiots et des imbéciles (je cite aussi ces derniers dans
ce contexte, en contradiction consciente avec les conceptions erronées
de Sollier) n'a pas d'analogie avec celle des schizophrènes. Certes, elle
fluctue dans de larges limites, mais elle n'est pas inhibée. Le médecin
a avec les idiots de son asile la relation d'un père avec ses enfants ;
mais la plupart des schizophrènes lui demeurent aussi étrangers que
des oiseaux qu'il nourrit.

Les agitations des idiots sont soit des accès de rage ou des excitations
hystériformes déclenchés par des situations qui lui sont incompréhen-
sibles, soit, sinon, des états crépusculaires analogues à l'épilepsie, avec
céphalées, symptômes vasomoteurs, etc., toutes choses qui n'ont rien
à voir avec la schizophrénie.

Une occasion de confusions peut être créée par la stupeur émotionnelle,


qui survient très facilement chez les imbéciles quand ils sont mis dans
des conditions inhabituelles ; ainsi en est-il à l'occasion d'un interro-
gatoire, de leur transfert dans le milieu complexe d'un asile d'aliénés,
etc. Parfois la stupeur n'apparaît qu'à l'occasion de certaines questions,
qui excèdent les capacités de compréhension du malade ; elle peut
alors donner l'impression d'un barrage soudain. On rencontre en outre,
chez de nombreux imbéciles, une façon irréfléchie de répondre, exac-
tement comme chez les petits enfants ; avec un peu de patience, on
s'apercevra aisément qu'il s'agit de réponses au hasard et non d'un
négativisme, d'une distinction insuffisante entre savoir et supposition
et non d'un manque d'intérêt à l'examen.
Les stéréotypies des imbéciles correspondent en partie aux balance-
ments de jambes ou du tronc, à la trituration d'un cheveu et à d'autres
modes d'expression d'une activité excitative chez les sujets sains, et
elles ont alors, presque sans exception, un caractère tout à fait élé-
mentaire. D'autres doivent plutôt être rapprochées des tics ; bien qu'il
soit difficile, en ce domaine, de décrire ce dont il s'agit avec des mots,
on voit cependant aisément que ces mouvements ne sont pas scindés
de l'esprit : le malade tout entier « fait » ces mouvements ; des poses,
des humeurs données avec leurs formes d'expression correspondent à
des types donnés de mouvements. Des répétitions de la même excla-
mation, des mêmes mots, sont quelque chose d'autre que la verbigé-
ration schizophrénique ; elles sont généralement l'expression de la
pauvreté idéique et verbale, qui ne peut qu'exprimer toujours la même
chose (voir aussi Weygandt, 816). Chez certains imbéciles, des signes
de maniérisme se font jour tant dans le comportement que dans l'ex-
pression ; ils prennent des postures données, utilisent des mots inac-
coutumés, parlent haut-allemand, etc. Cela provient souvent de ce
qu'ils ont aussi le « complexe d'intelligence », veulent paraître plus
qu'ils ne sont : c'est pourquoi ce symptôme est identique à certaines
formes de maniérisme dans la schizophrénie.

* * *

Parmi les sentiments, seuls font défaut dans l'idiotie morale les senti-
ments éthiques, mais ce de façon constante ; la stabilité du caractère
depuis la prime jeunesse prouve le trouble congénital ; on ne peut
naturellement rencontrer ici de signes proprement schizophréniques.

^ ^ ^

d) Le diagnostic différentiel par rapport à la paranoïa kraepelinienne


résulte de la description de celle-ci. Tous les symptômes spécifique-
ment schizophréniques et catatoniques en sont absents ; les idées déli-
rantes partent de prémisses fausses, sont pour l'essentiel incorrigibles,
c'est-à-dire coupées des associations logiques qui s'opposent à elles,
mais par ailleurs développées de façon logique et conséquente. Aussi
le paranoïaque peut-il discuter de son système délirant, tandis qu'il
n'est que trop fréquent que le paranoïde ne soit même pas capable de
comprendre les objections, et encore moins de les soupeser. Je n'ai
jamais trouvé de délire d'influence interne par des forces étrangères
dans la paranoïa. Quelques hallucinations ne s'opposent naturellement
en rien à la paranoïa, puisqu'on en rencontre chez des sujets sains.
Mais si des erreurs sensorielles ne dominent pas le tableau uniquement
à l'occasion d'excitations rares et très passagères, on trouvera alors
aussi toujours d'autres signes de schizophrénie. Il est connu que les
paranoïaques ne perdent pas leur rapport avec les us et coutumes de
l'entourage, bref, qu'ils conservent une apparente tenue, dans le même
sens que des sujets sains exposés à des vécus très chargés d'affect.
Il n'existe pas de diagnostic différentiel avec d'autres psychoses qu'on
qualifie encore de paranoïa 20 , car toutes les formes paranoïdes connues
font partie de notre concept de schizophrénie.

* * *

e) La différenciation par rapport à l'épilepsie est plus importante. Fuhr-


mann (248, p. 836/837) trouve une analogie entre les états d'abêtisse-
ment juvéniles aigus et l'épilepsie et le delirium Iremens. Mais cette
analogie est très superficielle.
D'abord le delirium épileptique. Il a en commun avec de nombreux états
schizophréniques les hallucinations, la désorientation et le comporte-
ment brutal à l'égard de l'entourage. Mais c'est surtout la différence
d'affectivité qui lui confère un caractère autre. Dans l'épilepsie, une
humeur claire, généralement tout à fait élémentaire, qui s'exprime de
façon tout à fait égale dans chaque mot en soi, dans le ton de chaque
phrase, dans chacun des divers actes ; dans la schizophrénie, des ex-
pressions affectives confuses ou du moins inconséquentes, qui ont tou-
jours quelque chose de figé ou d'artificiel même en cas d'anxiété ou
d'extase réelles.
Dans le domaine intellectuel, la lenteur de l'enregistrement, la diffi-
culté de la compréhension dans l'épilepsie - les barrages dans la
compréhension, qui peuvent être relayés à tout moment par des réac-
tions très vives à des perceptions complexes, dans la schizophrénie.
On peut généralement mettre aussi en évidence le cours de la pensée
caractéristique de l'une ou l'autre maladie, et l'on peut mentionner ici,
à ce sujet, que le cours de la pensée de l'épileptique progresse tout

2 0 . C'est-à-dire avec des formes intégrées dans la paranoïa avant le démembrement de celle-
ci par Kraepelin (NDT).
de même, malgré les difficultés à se détacher d'une idée une fois
qu'elle a été abordée, et malgré la tendance aux répétitions. De plus,
l'épileptique agit dans le sens d'une représentation délirante 21 , tandis
que le comportement du schizophrène crépusculaire paraît fréquem-
ment dépourvu de finalité, el loujours inconséquent.
Le diagnostic différentiel ne devient difficile que quand les malades
ne se laissent pas examiner; ainsi en va-l-il dans l'irritabilité post-épi-
leptique, dans laquelle les patients restent allongés, inactifs, se retran-
chent de Penvironnemeni, répondent aux propos qu'on leur adresse par
des invectives ou des violences. Un tel tableau ne peut parfois pas
être immédiatement distingué du négativisme schizophrénique. Les ac-
cès de flexibilité cireuse en Lant que telle sont également communs aux
deux maladies. Il est toutefois important de savoir que ces accès ne
durent généralement que peu de temps dans l'épilepsie, d'un quart
d'heure à quelques jours au plus 22 , et dans la schizophrénie plusieurs
semaines ou mois en général.

La stupidité épileptique peut parfois rappeler superficiellement la schi-


zophrénie, du fait de l'irritabilité épileptique, des manifestations affec-
tives qui paraissent exagérées, et des dysthymies spontanées ; et ce
particulièrement si des hallucinations s'y adjoignent de surcroît.

Souvent, les épilepliques se replient eux aussi de plus en plus sur eux-
mêmes. Mais l'égocentrisme de leur mode de pensée se distingue tout de
même notablement de l'autisme des schizophrènes. On en arrive rarement
à une dénaturation de la réalité chez l'épileptique, et seulement dans des
conditions bien particulières, dans un cas donné, comme aussi chez d'au-
tres gens qui se laissent entraîner par leurs affects. (Il n'est pas question
ici des états crépusculaires.) L'épileptique replié sur lui-même prête peu
d'attention à la réalité, mais il n'entre pas en conflit de logique avec lui.
- L'entêtement épileptique n'est naturellement pas non plus un autisme.

Les associations de l'épilepsie, avec leurs jugements de valeur, leur égo-


centrisme, leur persévération qui s'exprime par des répétitions et par
l'adhésivité à un thème et la prolixité qui s'ensuit, ces associations
n'ont absolument rien de commun avec le cours de la pensée schizo-
phrénique. L'hésitation dans le déroulement des idées peut être aisé-

2 1 . En cas de forte obnubilation, par exemple pendant et immédiatement après des crises,
la coordination motrice peut être si fortement perturbée que l'intention est difficile à établir
(NDA).
2 2 . Du moins n'ai-je pas vu, en ce qui me concerne, de flexibilité épileptique cl une duree
plus longue (NDA).
ment distingué des barrages. L'imprécision de l'aperception, le flou des
concepts difficiles et le trouble de la mémoire dans les cas évolués
sont d'autres différences par rapport à la schizophrénie.
Tout aussi différente est l'affectivité de ces deux maladies. Au lieu du
blocage schizophrénique des affects, nous voyons dans l'épilepsie des
sentiments faciles à provoquer et étonnamment persistants et profonds.
Nous ne trouvons d'indifférence qu'autant que les malades ne compren-
nent pas les situations, mais jamais à l'égard de leurs intérêts person-
nels, qui sont au contraire généralement beaucoup plus chargés d'affecl
que normalement. Il faut aussi rappeler l'amour objectai exagéré des
épileptiques, tandis que chez le schizophrène une indifférence souvent
extrême vis-à-vis de leurs possessions, petites et grandes, est de règle.
Aschaffenburg pense que l'on, est en droit de supposer qu'on peut ren-
contrer dans la démence précoce également les mêmes fluctuations af-
fectives que dans l'épilepsie, puisqu'on peut aussi observer des crises
d'épilepsie dans la première de ces maladies. Mais cette conclusion
n'est pas obligatoire car les crises d'épilepsie, correspondant à un mé-
canisme préformé, peuvent survenir dans les circonstances pathologi-
ques les plus diverses. Néanmoins, des dysthymies endogènes sont très
fréquentes dans la schizophrénie également - avec ou sans crises d'é-
pilepsie, et il est aussi des états qui se caractérisent par l'association
de symptômes des deux maladies.
Certains épileptiques peuvent parfois halluciner en dehors même des états
crépusculaires, visuellement notamment. Ce fait est parfois prétexte à confu-
sion avec la schizophrénie. - Des mouvements automatiques se voient dans
l'épilepsie aussi, et même le sentiment que les pensées du malade lui sont
faites de l'extérieur.
Je n'ai encore jamais vu le maniérisme des schizophrènes imiter cette
prononciation faisant traîner les syllabes accessoires (« chantante ») et
hésitante qui - quand elle est présente - est si caractéristique de l'é-
pilepsie ; de même, la prolixité pathologique fait défaut aux premiers 2 ' 1 .

* * *

f) L'alcoolisme chronique est encore très souvent confondu dans la pra-


tique avec la schizophrénie, seule la boisson, et non la maladie de
base, étant prise en compte dans le cas d'un ivrogne schizophrène.

2 3 . Il faut noter que Hecker insistait au contraire sur le souci du détail insignifiant et la
prolixité inconsistante de ses hébéphrènes (NDT).
Mais dans l'alcoolisme simple nous voyons des sentiments superficiels
et qui s'enflamment aisément, une euphorie, une tendance à se montrer
communicatif, une loquacité, un flou de la narration de ce qui a été
vécu ou lu, avec le besoin d'insérer dans le récit des commentaires
sur la causalité, tous symptômes qui sont étrangers à la schizophrénie.
Si l'alcoolisme s'est constitué sur fond de schizophrénie, les symptômes
de ces deux maladies s'associent. L'alcoolique replié sur lui-même,
avec lequel il est totalement impossible de discuter, qui traîne dans la
section sans nous exposer en toute occasion qu'il est à présent guéri
et qu'il lui est nécessaire de retrouver sa liberté, est un hébéphrène,
si des motifs particuliers et qu'on peut logiquement comprendre ne
l'induisent pas à ce comportement.

Le diagnostic différentiel entre delirium tremens et état d'agitation schizo-


phrénique est si simple qu'il est difficile de comprendre comment l'on
peut adresser aux asiles tant de schizophrènes avec le diagnostic de
delirium tremens. L'état de conscience des patients présentant un de-
lirium, si bien décrit par Bonhoeffer, le type bien connu de leurs hallu-
cinations avec participation prédominante de la vue et du tact, l'état
affectif anxio-euphorique, les deliriums d'activité 24 , l'agilité et le carac-
tère tremblé des mouvements (comparée à la mobilité en masse des
schizophrènes excités sur le plan moteur) sont tous des signes de deli-
rium. Le tremblement se voit aussi dans la schizophrénie ; mais s'il est
important il est en faveur du delirium tremens. Un souvenir précis après
coup ne se rencontre probablement pas dans le delirium tremens patent.

Dans nos cas, si les hallucinations auditives étaient au premier plan


dans un véritable delirium tremens, il s'agissait d'une association à la
schizophrénie (il ne nous a été impossible de le prouver avec certitude
que dans un seul cas), et il en va de même en cas de survenue d'hal-
lucinations corporelles marquées, ou de stéréotypies.
Comme on l'a exposé auparavant, le délire hallucinatoire alcoolique des
auteurs (classiques) survient généralement, ou peut-être toujours, sur
fond de schizophrénie. C'est pourquoi il s'associe volontiers aux signes
de cette dernière maladie. Si, à un examen minutieux, on ne trouve
pas que ces signes soient patents, on peut porter un pronostic relativement
bon et parler de simple délire hallucinatoire alcoolique. A l'inverse, si
l'on trouve dans une schizophrénie franche les hallucinations auditives

2 4 . C'est-à-dire ce qu'on a coutume de qualifier en français de « délire agi » du delirium


tremens (NDT).
cohérentes avec orientation correcte caractéristiques du délire halluci-
natoire alcoolique, on doit en conclure à un alcoolisme associé.
Je ne saurais déterminer les limites de la paranoïa alcoolique chroni-
que, parce que j e n'ai pas encore rencontré cette maladie, et parce que
les auteurs qui prétendent l'avoir rencontrée ne prennent pas suffisam-
ment en considération la démence précoce, ou du moins ne décrivent
pas de symptômes qui ne puissent se voir également au cours de la
schizophrénie.

* * *

g) Le diagnostic différentiel le plus difficile, c'est celui de la schizo-


phrénie avec les formes que l'on désigne, pour être le plus compré-
hensible, par le terme de confusion aiguë. Il n'existe pas encore de
description de celle-ci qui soit utilisable sur le plan diagnostique 2 '.
Dans ces formes, au nombre desquelles j e puis compter ici les « psy-
choses des pyrexies », j e ne puis citer absolument aucun symptôme qui
ne puisse se voir également dans la schizophrénie ; la confusion est
au premier plan, et parfois aussi, à ses côtés, l'hallucinose. Toutes deux
sont des symptômes très polyvalents ; et personne n'a encore décrit
quoi que ce soit de caractéristique de la confusion et des hallucinations
de ces psychoses. Aussi ne nous reste-t-il d'autre solution que de porter
le diagnostic de schizophrénie dans ceux des cas de confusion qui
présentent des symptômes schizophréniques ; mais là où Von ne peut
trouver de symptômes schizophréniques malgré un bon examen, on doit
formuler l'hypothèse de l'une de ces autres confusions. Je puis également
ajouter à cela que des symptômes catatoniques, à l'exception de la
flexibilité cireuse et de l'automatisme sur ordre en général, ne sont
pas en faveur d'une telle confusion, non plus que de l'amenda de Kraepe-
lin. Un négativisme important, une stéréotypie d'attitude 26 , une verbigé-
ration impulsive indiquent toujours, clans un tel état, une schizophrénie,
même s'il ne devait momentanément pas être possible de trouver le
trouble schizophrénique des associations ou de l'affectivité.

2 5 . J e ne connais par ma propre expérience ni l'amenda de Kraepelin ni les psychoses


d'épuisement de Racke. Ràcke parle « d'incohérence primaire », sans la caractériser (NDA).
2 6 . Néanmoins, Aschaffenburg a également vu des stéréotypies dans les deliriums initiaux
du typhus. Il mentionne aussi la sensation d'être électrisé. J'ai rencontré une fois celle
dernière manifestation, dans une psychose grippale (névrite !) - Schiile (675a) mentionne le
fait que des hallucinations surviennent dans le « delirium asthénique », sans que le Moi soit
altéré. Il a raison, pour autant que mon expérience est suffisante ; j'ai cependant des raisons
de douter que ceci puisse être valable pour toutes les « confusions aiguës » (NDA).
Je puis ajouter à cela que nous nous sommes bien trouvés de ce type
de diagnostic depuis des années, n'ayant été forcés de modifier le dia-
gnostic d'aucun des cas dans lesquels l'examen nous permettait d'en
faire un. Et pourtant l'on ne peut pas se satisfaire d'un diagnostic diffé-
rentiel négatif de ce genre. Si, dans un cas, on ne trouve pas aujourd'hui
de signe schizophrénique certain, il pourrait être décelable demain.
Stransky (753, p. 815-816) pense que l'abêtissement consécutif à l'amentia
se distinguerait de celui de la schizophrénie par le caractère naturel de l'ex-
pression des affects. Comme l'altération schizophrénique de la mimique n'est
pas décelable à tout moment dans les cas bénins, on ne peut pas étayer un
diagnostic différentiel sur ce seul signe.
L'examen étiologique est d'un bien faible secours. Il existe de nom-
breuses confusions de ce type sans état d'affaiblissement et sans fiè-
vre ; dans deux cas, nous n'avons pu confirmer que post mortem
l'affection rénale chronique que nous avions recherchée. D'un autre
côté, la schizophrénie devient si souvent manifeste à l'occasion de ma-
ladies fébriles que ce critère est totalement inutilisable. L'anamnèse
peut être un guide beaucoup plus sûr, mais malheureusement seule-
ment en direction de la schizophrénie, qui a déjà ses bons indicateurs
dans la symptomatologie.

* * *

h) Le diagnostic différentiel par rapport à l'hystérie et à la neurasthénie


est purement unilatéral. Nul signe hystérique ou neurasthénique n'est
étranger à la schizophrénie. Nous formulons l'hypothèse d'une schizo-
phrénie quand des symptômes spécifiques de cette maladie sont démon-
trés, et celle d'une hystérie et d'une neurasthénie quand un examen
minutieux met au jour des symptômes respectivement, hystériques et neu-
rasthéniques, mais pas de symptômes schizophréniques. La confirmation
de symptômes hystériques exclut tout aussi peu la schizophrénie que n'im-
porte quelle autre maladie.

Si l'on peut démontrer un abêtissement, des hallucinations auditives alors


que la conscience est claire, des idées délirantes patentes ou d'autres
signes d'une authentique psychose, le diagnostic est aisé, naturellement.
Mais dans des cas moins patents ce sont l'hystérie et la neurasthénie
qui créent la plupart des difficultés diagnostiques, parce qu'une schi-
zophrénie légère peut se dissimuler longtemps, ou en permanence, der-
rière des symptômes nerveux. Nous sommes forcés de qualifier de
nombreux schizophrènes de nerveux, et de les traiter comme tels, avec
la plus grande prudence, tant que ne parvenons pas encore à déceler
chez eux des symptômes spécifiquement schizophréniques.
C'est en premier lieu au type de l'affectivité que l'on accordera le plus
de poids. L'indifférence des schizophrènes contraste tout de même net-
tement, en général, avec l'attitude labile, irritable, anxieuse ou insis-
tante des nerveux 2 '. Ce qui est frappant, notamment, c'est l'indifférence
relative ou absolue à l'égard de la maladie et de ses symptômes, à
l'égard de sa propre situation, de sa famille, etc. Souvent, l'apathie est
le premier symptôme qui frappe l'observateur : ce n'est que quand on
presse les malades de faire quelque chose que surgissent les plaintes
et les échappatoires. Mais des hystériques peuvent aussi paraître in-
différents ; ainsi en est-il à l'égard des paralysies et des autres maux
qu'ils supportent avec un grand héroïsme — mais qu'ils n'en étalent pas
moins résolument. Des événements vécus qui devraient remuer leurs
complexes peuvent laisser des hystériques complètement froids pen-
dant quelque temps, mais ensuite la tempête succède généralement au
calme, sous la forme d'un état d'excitation ou d'une crise. Des réactions
inadéquates peuvent également se produire, à l'occasion, les hystéri-
ques masquant une association qui leur est pénible par un rire convul-
sif ou par des chants. Il faut accorder une importance particulière au
manque d'homogénéité des manifestations d'affect, qui ne se rencontre
guère chez les nerveux.

L'autisme affectif des schizophrènes se reconnaît aussi au fait que les


malades n'éprouvent pas le besoin de s'exprimer. Qui n'a rien à dire
au médecin n'est pas un simple nerveux.

D'une façon générale, c'est souvent dans la relation avec le médecin


que le manque de rapport affectif se manifeste le mieux. Si l'on parle
pendant plus d'une heure de sa maladie avec un nerveux, une relation
personnelle avec lui doit en résulter, qu'elle soit hostile ou amicale.
Ce rapport ne fera jamais défaut, même à l'égard d'un patient de même
sexe. Mais il n'est généralement pas de rapprochement avec les schi-
zophrènes (Jung).

La suggestibilité qu'ont les nerveux vis-à-vis de leur médecin fait égale-


ment défaut aux schizophrènes, avec le rapport affectif. Mais ce carac-
tère distinctif n'est pas absolu. Sous bien des rapports, la schizophrénie
peut être modifiée par des influences affectives. On retrouve très rare-

2 7 . J e désigne par ce terme tout c e qu'on qualifie d'hystérique, de neurasthénique, de ner-


veux (NDA).
menl ce manque de suggestibilité dans le cas de la nervosité, et sans
doute, en pareil cas, transitoirement seulement. Un état crépusculaire
ininfluençable n'est en règle pas hystérique. Si l'on se risque à pré-
senter son visage à un patient qui donne des coups sauvages autour
de lui et qu'il frappe résolument à côté, sans doute s'agira-t-il alors
en tout cas d'un hystérique. L'amélioration profonde d'un état appa-
remment grave par une psychanalyse va à peu près sûrement à l'en-
contre de la schizophrénie, qui n'est accessible à de telles influences
que dans des cas relativement bénins.
Mais pour pouvoir mettre à profit de tels signes, ainsi que tant d'autres,
pour le diagnostic différentiel avec les névroses, évaluer avec précision
l'ensemble de la constellation psychique est une nécessité incontournable.
Une inaffectivité ou une inaccessibilité, en fait motivée par l'effet nor-
mal de quelque complexe, peut être simulée par quelque biais chez
un hystérique, à un moment donné. Tout sujet sain - et à plus forte
raison tout névrosé - a parfois un barrage surprenant, il peut arriver
à tout un chacun de saisir un concept de façon imprécise, de faire une
association bizarre ; le symptôme ne doit être utilisé pour le diagnostic
différentiel que s'il se renouvelle en diverses circonstances ou si, dans
un cas donné, on ne saurait formuler l'hypothèse d'un effet complexuel.
Parfois, on ne pourra donc faire le diagnostic que si l'on connaît les
complexes du patient.

Les barrages de l'hystérie manifestent nettement leur origine affective.


Ils surviennent dans des contextes d'idées précis, sont absents dans
d'autres contextes, mais ne se généralisent pas ; c'est qu'il existe une
séparation nette entre psychisme sain et psychisme malade, entre psy-
chisme réaliste et psychisme autistique.

C'est dans le domaine intellectuel qu'on voit le mieux comment les


symptômes hystériformes de la schizophrénie se développent sur le ter-
rain d'un esprit dissocié, ce qui fait qu'ils sont caricaturaux. Ce n'est
que chez nos malades que l'homogénéité de la pensée fait défaut et
que les représentations les plus contradictoires peuvent exister côte à
côte sans s'influencer, sans se fondre en un tableau commun. Si, comme
on le suppose, le complexe des enfants 28 peut conduire à une grossesse
imaginaire avec arrêt des règles chez une hystérique aussi, la malade
n'aura pourtant jamais d'enfant imaginaire en dehors d'un état crépus-
culaire, si elle n'a eu de plus l'illusion d'une grossesse, par exemple.

2 8 . Voir glossaire (NDT).


L'inconséquence vis-à-vis de l'extérieur fait aussi défaut dans la ner-
vosité simple. L'hystérique qui remanie le monde extérieur en fonction
de quelque souhait ne peut par exemple pas tenir le médecin à la fois
pour son ancien amoureux et pour le médecin de l'asile. Aussi y a-t-il
dans la conduite de l'hystérique beaucoup plus de méthode et moins
d'anomalies par rapport aux lois générales du comportement. L'hysté-
rique ne fait de grosses bêtises que, tout au plus, dans des conditions
bien particulières. Elle ne se blessera pas s'il ne s'agit pas, en l'oc-
currence, d'être sérieusement malade 29 ; elle ne frappera pas le méde-
cin, même au cours du delirium apparemment le plus débridé, elle ne
cherchera pas à tuer son bien-aimé, sinon dans les déchaînements de
la jalousie, elle ne mettra pas facilement le feu à sa maison, ne de-
viendra pas incontinente, etc. Ainsi n'est-il pas non plus hystérique,
celui qui n'éprouve pendant assez longtemps aucun intérêt, qui ne
prend pas son entourage en compte, abstraction faite du cas particulier
des états crépusculaires. Je ne suis pas encore parvenu à me persuader
que les « psychasthènes » de Janet, qui ne font que traîner, inactifs,
pendant des années, ne soient pas des hébéphrènes. Mais il est faux
de conclure, à l'inverse, que des malades qui se comportent différem-
ment quand ils sont observés et quand ils ne se croient pas observés
ne puissent être des schizophrènes (Kaiser, 351, p. 964).

Mais ce qui nous paraît bizarre et est, de ce fait, souvent déterminant pour
notre diagnostic peut aussi être conditionné par les prédispositions ethniques
et par des conceptions de l'existence d'un type particulier. Par exemple, des
hystéries originaires de l'Orient nous paraissent parfois aussi bizarres que
des schizophrénies indigènes patentes.

Le mélange schizophrénique des représentations autistiques et de la


réalité se manifeste même clans les états crépusculaires. L'hystérique
en état crépusculaire peut enregistrer plus ou moins la réalité, à côté
des représentations délirantes ; mais ceci se produit inconsciemment,
tandis que chez le schizophrène ces deux séquences se mêlent dans
la conscience et dans l'inconscient, même au cours de troubles graves
de la conscience 3 0 . Par contre, la fabulation des deliriums des schizo-
phrènes est présentée de façon beaucoup plus caricaturale, et généra-

2 9 . C ' e s t - à - d i r e q u ' e l l e pourra é v e n t u e l l e m e n t se b l e s s e r pour provoquer une affection qui


c o r r e s p o n d e de façon c o h é r e n t e à s e s s o u h a i t s et à s e s p l a i n t e s , ou qui lui attire un b é n é f i c e
s e c o n d a i r e (NDT).
3 0 . Il s e m b l e que des rêves dont l ' i n t e r p r é t a t i o n peut ê t r e d o n n é e sans d i f f i c u l t é par le
p a t i e n t , ou d ' a u t r e s qui expriment d i r e c t e m e n t clés s o u h a i t s , malgré le refoulement de c e u x -
c i , et sont r a c o n t é s a v e c naturel p u i s s e n t être u t i l i s é s c o m m e argument d i a g n o s t i q u e diffé-
r e n t i e l en faveur de la d é m e n c e p r é c o c e (NI)A).
lement proprement insensée. — Les états crépusculaires qui durent des
mois ne sont sans doute jamais hystériques, et moins encore ceux qui
se développent progressivement, en l'espace de quelques semaines ou
mois, et qui prennent fin d'une façon analogue.
La dissociation des concepts ne se voit pas dans la nervosité et est
donc, si elle est présente, un signe sûr de schizophrénie. La symbolique
n'aboutit pas non plus à une véritable matérialisation en l'absence de
troubles de la conscience, si ce n'est dans des conditions très parti-
culières. On ne peut pas « arracher l'amour divin et enlever le germe
de la résurrection », au sens physique, à une hystérique.

Il existe aussi chez les hystériques et les neurasthéniques des repré-


sentations et des sensations que l'on peut qualifier d'idées délirantes
et d'illusions des sensations corporelles. Mais elles ne sont jamais in-
sensées au même point que, si souvent, dans la schizophrénie. Elles
sont généralement concevables même pour le sujet normal, ou alors
les malades admettent le caractère inexact des représentations qui s'im-
posent à eux. Une neurasthénique peut avoir la sensation que son cou
s'allonge démesurément et déambuler à travers la forêt à cause de cela,
au cours d'un état d'angoisse. Mais, en dehors d'états crépusculaires,
elle aura pleine conscience du caractère morbide de cela et ne projet-
tera jamais cette paresthésie sur l'extérieur. Elle peut avoir la sensation
d'avoir deux bourgeons qui lui poussent sur le front, mais elle ne peut
pas sentir, comme la schizophrène, ces bourgeons tomber dans un lilet
qui se trouve quelque part en dehors de son corps. De même, les des-
criptions précises de gouttes, petits hommes, machines dans l'oreille ou
quelque part ailleurs dans le corps indiquent une schizophrénie. Je ne
sais pas si une hystérique peut encore, de nos jours 31 , avoir « un animal
dans le corps » ; je ne l'ai encore jamais vu. - On ne pourra en outre
pas observer, chez des nerveux, que des idées « étrangères » qui leur
passent par la tête leur paraissent faites par une autre personne.

L'ambivalence peut également être hystérique ; le croquemitaine, en


effet, est aussi un personnage qu'on rencontre dans cette maladie. Mais
si l'ambivalence s'étend à de nombreuses choses alors que la
conscience est tout à fait claire, l'hystérie peut être exclue.

Une méconnaissance illusoire ou même hallucinatoire de l'environne-


ment ne se voit, dans l'hystérie, que lors d'états crépusculaires ou d'au-

3 1 . Bleuler fait manifestement allusion aux délires de possession du passé, sous-entendant


que ceux-ci peuvent être survenus chez des hystériques (NDT).
très troubles de la conscience. Des exclamations qui ne veulent rien
dire (« Mlle V. tricotez » ; « Mlle V. venez dans le jardin ») n'appartien-
nent qu'à la seule schizophrénie, de même que la combinaison d'hal-
lucinations auditives et corporelles. L'hystérie a une prédilection pour
les visions.
Les « stigmates » corporels de l'hystérie sont relativement rares dans
la schizophrénie. Je n'ai vu que quelques rares fois une hémianesthé-
sie, mais il est vrai que j e ne l'ai que rarement recherchée. Bien plus
fréquente est sans doute l'aréflexie du voile du palais, pouvant aller
jusqu'à l'insensibilité totale du pharynx, du larynx et de la trachée. Si
elle est présente, l'analgésie est généralement plus conséquente que
dans l'hystérie ; les malades se blessent, intentionnellement ou non,
beaucoup plus fréquemment que les hystériques, et surtout sans motif
décelable. Des rétrécissements du champ visuel ne peuvent sans doute
pas être utilisés sur le plan diagnostique chez nos patients, qui font
peu d'efforts d'attention. On rencontre parfois des paralysies hystéri-
formes typiques et, beaucoup plus rarement, pour autant que je le
sache, des contractures.

On a aussi voulu utiliser pour le diagnostic différentiel le type que


revêtent les réponses à côté communes aux deux maladies, et je crois
que quelqu'un d'exercé ressent dans la plupart des cas de réponses à
côté hystériques le caractère systématique avec lequel la réponse cor-
recte est évitée de façon conséquente, tandis que l'hébéphrène donne,
en partie, la première réponse qui se présente à son esprit, par paresse
à penser, insoucieux de savoir si elle est correcte ou non, ou encore
se rapproche de l'hystérique, du fait du négativisme, mais manifeste
par ailleurs ce négativisme par son genre de comportement global. Seu-
lement, on ne doit pas oublier que le complexe symptomatique de Gan-
ser se voit aussi sur une base schizophrénique. — On a aussi voulu
trouver une différence dans le fait que ce ne serait que dans la schi-
zophrénie que les réponses à côté seraient fournies en un éclair ; mais
il s'est avéré que ne n'est pas le cas (Westphal, dans « formes de stu-
pidité » de Stransky).

Parmi les symptômes neurasthéniques, la fatigue est fréquente dans la


schizophrénie, mais généralement plus subjective qu'objective. L'ob-
servation montre rarement des signes nets de fatigue. Les malades ont
du mal à penser, et attribuent cela à la fatigue. Et puis la fatigue est
souvent prétextée, alors qu'il n'y a en réalité qu'un désintérêt. C'est
pourquoi Masselon recommande de faire faire de petits travaux aux
malades. Si l'intérêt baisse anormalement vite, il s'agit généralement
d'une schizophrénie ; mais en cas de véritable fatigue, il faut formuler
l'hypothèse d'une neurasthénie. La céphalée et l'irritabilité font partie
de ces deux maladies.
La neurasthénie va généralement de pair avec des troubles du sommeil,
tandis que de nombreux schizophrènes jouissent d'un sommeil normal
en dehors des états aigus et hallucinatoires.

* * *

i) Tout diagnostic différentiel rigoureux est impossible entre la schizo-


phrénie et la folie dégéne'rative de certains auteurs. Il est impossible,
en premier lieu, parce que ce dernier concept inclut beaucoup de nos
schizophrènes.

Mais la différence de conception repose elle-même sur une difficulté


qui est de toute façon insoluble pour l'instant : il n'existe absolument
nul symptôme qui ne se voie que dans la dégénérescence. La lubie
pathologique de Bonhoeffer, par exemple, est un phénomène très fré-
quent dans la schizophrénie ; je veux bien imaginer qu'il survienne
aussi en dehors de la schizophrénie, mais ce n'est pas encore prouvé.
On peut dire la même chose des idées délirantes dégénératives de
Birnbaum, qui pourraient être schizophréniques jusque dans leurs
moindres nuances 32 . Du côté de la démence précoce, la difficulté réside
dans le fait que ses symptômes spécifiques propres, les symptômes
primaires, peuvent rarement être mis en évidence dans les cas qui
entrent en ligne de compte ici, et que les symptômes secondaires ne
font penser à la démence précoce que par leur grand développement.
Par ces méthodes de diagnostic différentiel, nous nous lirons lort bien
d'affaire vis-à-vis d'autres psychoses, mais pas vis-à-vis de la dégéné-
rescence, parce que nul être humain ne sait encore jusqu'à quel point
peut aller la caricature des processus psychiques, même sans altération
schizophrénique. Et même si la schizophrénie n'était qu'une maladie
fonctionnelle, comme le veulent certains, chez les dégénérés elle ne
serait de toute façon qu'un syndrome.

Tout clinicien peut donc concevoir les schizophrènes latents comme


des dégénérés, tant que les symptômes ne sont pas à tel point patents

3 2 . Belle preuve, du resle, de la nature secondaire de ces symptômes dans la schizophrénie


(NDA).
qu'on ne les rencontre, selon son expérience, que chez les schizo-
phrènes.

* * *

j) J e dois laisser pendante la question de savoir si les psychoses dé-


crites dans la maladie de Basedow font partie de la schizophrénie ou
non. Dans la plupart des cas de la littérature, ainsi que dans deux de
mes observations, on était frappé notamment par le fait que les symp-
tômes affectifs étaient plus apparents ; les malades étaient en perma-
nence nettement tristes ou exaltés.

* * *

k) La distinction entre schizophrénie et simulation n'est pas parfaite-


ment aisée, dans la mesure où, ici, il n'y a pas de frontière entre
symptômes conscients et inconscients comme dans l'hystérie. Le néga-
tivisme, l'indifférence amènent les malades à des réponses inexactes
qui peuvent être voulues ou involontaires, ou les deux. Un malade peut
vouloir simuler et être cependant schizophrène. Nous avions ici un
paranoïde qui croyait que tout ce que ses parents et nous faisions avait
pour seul but de lui faire une blague. Alors, pour être mis dans un
véritable asile et y être reconnu sain, il simulait en permanence la
maladie mentale. Là où il n'y a pas maladie mentale, l'observation
minutieuse du comportement, l'absence de barrages, l'émotivité irré-
pressible, ainsi que la divergence générale avec le tableau authentique
d'une maladie mentale révéleront la simulation. Si une catalepsie devait
être simulée, les phénomènes de fatigue qui apparaîtraient aideraient ai-
sément au diagnostic.
Septième partie

Le pronostic
Puisque la schizophrénie peut se stabiliser à chacun de ses stades,
progresser ou présenter des syndromes aigus à tout moment, il est im-
possible de porter un pronostic spécifique précis. Des améliorations
sont théoriquement toujours possibles, même dans des états chroni-
ques ; il faut s'y attendre pour autant que les agitations chroniques
s'atténuent elles aussi avec le temps ; mais un accroissement de l'abê-
tissement s'y associe fréquemment. Sinon, des améliorations substan-
tielles d'états chroniques sont rares, et ne doivent donc pas être
escomptées. Les états aigus sont naturellement transitoires, mais ils
diminuent souvent notablement le niveau intellectuel.
En fait de règles qui nous permettraient, dans un cas donné, de dé-
terminer avec quelque certitude le degré futur de l'abêtissement, nous
ne connaissons que les suivantes, utilisables dans des cas relativement
peu nombreux :
Des symptômes catatoniques chroniques, s'ils sont marqués et apparaissent
alors que la lucidité de conscience est complète, font attendre un abêtisse-
ment définitif et grave. Dans des cas qui ont connu une ou plusieurs bonnes
rémissions, un abêtissement relativement important est rare. Font exception
à cette dernière règle les syndromes très aigus se répétant périodiquement,
qui finissent généralement par aboutir à un abêtissement très important.
Les cas d'obnubilation que j'ai observés ont tous eu une évolution très
grave.
Les petites différences de pronostic des divers sous-groupes sont citées
dans la partie qui traite de « l'évolution ».
L'hérédité, au sens large qu'a jusqu'à présent ce terme, l'âge, le sexe,
l'intelligence 1 , le nombre de signes de dégénérescence, la robustesse,

1. Néanmoins, les imbéciles deviennent plus facilement invalides socialement, par combi-
naison avec une « hébéphrénie greffée », que ceux qui ont toute leur intelligence. A l'asile
de Rheinau, au moins un cinquième de l'ensemble des schizophrènes sont notablement im-
b é c i l e s (NDA).
les diverses formes de la maladie, les divers symptômes et leurs dif-
férentes combinaisons ont un rapport si minime avec le trajet que la
maladie parcourra en direction de l'abêtissement que tous ces éléments
ne peuvent guère être pris en compte pour établir le pronostic. C'est
pourquoi nous devons nous contenter, au lieu du pronostic de trajet,
du diagnostic de trajet ; c'est-à-dire qu'il nous faut déterminer jusqu'à
quel point l'abêtissement « incurable » a déjà progressé, et combien
d'entre les symptômes actuels peuvent encore se résorber. Nous déter-
minons ainsi un degré minimum d'abêtissement. On ne peut plus s'at-
tendre à ce qu'une rétrocession de ce degré minimum entraîne une
amélioration. Mais un accroissement de l'abêtissement ne saurait ja-
mais être exclu.
Pour juger de la possibilité de rétrocession, il faut en premier lieu
garder présent à l'esprit le fait que le même symptôme a une significa-
tion plus grave s'il est une manifestation partielle d'un état chronique,
s'il a lui-même une évolution chronique, et s'il survient sur fond de lu-
cidité de la conscience.
Ces trois conditions ne se recoupent pas entièrement. Dans un état chronique,
tel ou tel symptôme, ou plusieurs d'entre eux, peuvent par moments apparaître
et disparaître de nouveau sur le mode aigu ; pendant un état aigu, des symp-
tômes peuvent persister, datant d'une période antérieure, ou apparaître alors
seulement, d'une manière extrêmement insidieuse. Le plus difficile est de
définir ce que j'appelle, avec Kraepelin, « lucidité », par manque d'un terme
adapté. Des crépusculaires, des confus, des maniaques, des mélancoliques
ne sont naturellement pas « lucides ». Mais, même quand ils sont agités en
permanence, des hallucinants chroniques se distinguent de façon tout à fait
essentielle de tels malades en ayant, sous certains rapports, un contact normal
avec leur environnement et en saisissant et évaluant correctement des sé-
quences cohérentes d'expériences. Chez eux, seule une partie de leur per-
sonnalité n'est pas lucide, et chez les patients de l'autre type c'est la
personnalité dans son ensemble. Un patient négativiste et autistique peut
n'avoir de nombreuses années durant de rapports avec son entourage qu'au-
tant qu'il prend la nourriture, les vêtements, etc. qui lui sont présentés, et à
côté de cela il peut être complètement mutique ; mais l'image qu'il a du
monde extérieur n'est altérée que pour autant que ses idées délirantes entrent
en jeu ; de même pour son cours de pensée, qui, en dehors des relations
complexuelles, n'est erroné que çà et là, du fait de la perturbation générale
schizophrénique des associations, mais n'est pas systématiquement altéré. Un
malade dont le langage est incohérent peut se déplacer normalement dans la
section et, d'une façon générale, montrer qu'il est orienté dans la situation
d'ensemble. Ce n'est que quand l'ensemble de la personnalité, ou tout au
moins sa partie de loin la plus importante, est impliquée sur le plan affectif
ou intellectuel dans l'état pathologique que le malade n'est pas lucide, en
ce sens du terme. Chez des patients habituellement lucides, la lucidité peut
en outre disparaître transitoirement du fait d'états d'excitation importante,
qu'ils soient déterminés de façon endogène ou exogène, par l'alcoolisme ou
autre.

Ce sont les symptômes cardinaux schizophréniques qui ont la plus faible


tendance à rétrocéder et parmi eux, encore une fois, les troubles des
associations, tandis que l'autisme est encore celui qui est le plus fré-
quemment surmonté. A Vinverse, les fluctuations affectives maniaques
et mélancoliques sont, conformément à leur nature, des phénomènes pres-
que toujours transitoires. Hcdlucinations et idées délirantes n'ont aucune
signification péjorative pendant un état aigu avec absence complète de
lucidité. Il est possible, mais pas encore prouvé, qu'elles puissent être
utilisées dans le sens d'un pronostic plus grave si leur caractère schi-
zophrénique est patent. Des idées délirantes et des hallucinations pré-
sentes de façon chronique déterminent par contre des perspectives très
défavorables, mais pas absolument mauvaises. Il n'est pas si rare qu'on
voie des patients qui ont halluciné pendant quelques années alors que
leur lucidité était complète et qui, ensuite, deviennent pourtant in-
demnes de symptômes et capables de gagner leur vie.

Parmi les symptômes catatoniques, la flexibilité cireuse au cours d'états


aigus n'est absolument pas de mauvais augure ; des stéréotypies absurdes
sont plus suspectes. Les autres symptômes catatoniques ont une posi-
tion intermédiaire. Les symptômes catatoniques indiquent toujours une
aggravation du pronostic, toutes choses égales par ailleurs. S'ils sont ab-
sents et si les symptômes fondamentaux schizophréniques sont si légers
qu'ils puissent être méconnus, le pronostic de l'accès est fort bon2.

Pour évaluer le pronostic des états aigus, il suffit d'utiliser ce qui vient
d'être mentionné. Ce qui est aigu est transitoire. D'où le bon pronostic
des états crépusculaires, des formes délirantes hallucinatoires aiguës, et
surtout des diverses psychoses affectives, tant que peu de symptômes pro-
prement schizophréniques s'y associent. Nous ne pouvons dire si l'abê-
tissement progressera pendant leur évolution ou immédiatement après.
Nous savons seulement que les états crépusculaires et certains états
d'agitation n'indiquent pas forcément une poussée de la maladie et, de
ce fait, sont généralement suivis du statu quo ante, tandis que les autres

2. D'où la fréquence de la paranoïa aiguë et de l'amentia d'autres auteurs, qui « guérit »


(NDA).
syndromes aigus sont généralement le signe d'une aggravation plus ou
moins nette.
Au cours des états aigus, le degré actuel d'abêtissement n'est pas tou-
jours aisé à déterminer, parce que les symptômes permanents sont gé-
néralement masqués par les phénomènes aigus. Cependant, on pourra
généralement évaluer dans une certaine mesure la rigidité affective et,
souvent aussi, le trouble des associations. Mais on ne pourra absolu-
ment pas découvrir le degré de l'autisme chronique au cours des états
crépusculaires, par exemple, car ces états ne sont en effet rien d'autre
que des acmés des tendances autistiques également présentes d'habi-
tude. Par ailleurs, cela dépend de la proportion de symptômes délétères
et de lucidité : la terminaison est, en moyenne, d'autant plus favorable
que les symptômes délétères sont moins nombreux et plus légers d'une
part, et que le trouble de la lucidité est plus grave d'autre part. Une
accumulation de symptômes catatoniques ou de propos des plus confus
n'est pas encore tellement défavorable, tant que le patient ne présente
de lucidité dans aucun domaine. Mais des symptômes catatoniques lé-
gers, une légère confusion, quelques actes impulsifs alors que la rela-
tion avec l'entourage est par ailleurs normale ont une signification
péjorative.

Dans le sens négatif, Vanamnèse peut fournir des indicateurs très im-
portants. On peut en effet tabler avec assez de vraisemblance sur le
fait que le malade ne sera pas mieux après l'accès aigu qu'avant ;
généralement, il paraîtra ensuite plus stupide ou plus « dérangé ». Un
état grave au long cours avant l'accès exclut donc une issue favorable
avec passablement de certitude.

Si les autres symptômes disparaissent sans que les symptômes schizo-


phréniques s'améliorent en même temps, c'est naturellement de fâ-
cheux augure. Il en va de même si la perte de la vivacité psychique
est au premier plan, et si des symptômes catatoniques tels que le. né-
gativisme disparaissent sans que l'accessibilité affective ne s'améliore.

Que le sens du tact fasse encore défaut au cours d'un état qui permet-
trait de s'attendre à des relations naturelles avec des gens corrects est
aussi un signe grave. De la malpropreté, un laisser-aller chez des pa-
tients de la bonne société, voire des obscénités chez une femme pré-
cédemment convenable, sont des indices sûrs d'une profonde altération.
Si la fin de l'accès aigu est confirmée par une prise de poids, celui-ci
doit évoluer de façon à peu près parallèle à l'amélioration psychique
dans les cas favorables.
Dans les états chroniques, le diagnostic de l'état d'abêtissement est plus
simple, parce que celui-ci n'est pas masqué par des symptômes contin-
gents. Néanmoins, on peut aisément confondre l'isolement conscient
d'un malade de son entourage avec un désintérêt 3 ; une attitude hostile
consécutive à des idées délirantes simule souvent une aperception gé-
nérale erronée de l'environnement.
C'est quand des malades abêtis restent tout à fait identiques quelques
années durant, ne présentent pas de symptômes aigus, et ne réagissent
pas à un changement de traitement et d'environnement qu'une amélio-
ration me semble le plus sûrement exclue. Tant que les états se mo-
difient, on ne peut exclure de larges améliorations. Mais si un patient
périodique passe à une autre phase, il ne faut pas concevoir cela
comme une modification de son état.

Naturellement, un délire de grandeur pur dans un domaine aisément


contrôlable (puissance, amour, richesse) est en général signe d'un iso-
lement assez important par rapport à l'environnement ; mais le délire
ne doit pas nécessairement être considéré comme étant de toute façon
de mauvais augure, en particulier s'il porte sur des domaines qui ne
sont pas, ou ne sont que partiellement, accessibles à la logique (reli-
gion, politique, philosophie, etc.).

L'apparition de brèves dysthymies et excitations immotivées, qu'elles


soient régulières ou non, semble avoir une signification défavorable.

Des jeunes gens qui traînent, inactifs et sans ressort, qui présentent
une très mauvaise innervation vasculaire 4 , qui ne sont pas capables de
souscrire aux reproches qu'on leur fait sur leur comportement et, de
toute façon, n'en ont cure, doivent sans doute être tous considérés
comme perdus, bien qu'ils puissent encore devenir capables d'un tra-
vail subalterne à l'intérieur d'un asile quelques années plus tard. D'une
façon générale, on a souvent l'impression, chez des schizophrènes qui
nous sont amenés quelques années après le début (de la maladie), que
les cas à début extrêmement insidieux sont particulièrement défavora-
bles. Mais si l'on explore le passé des légères atteintes tardives qu'un

3. La perte de la vivacité intellectuelle et l'apathie affective n'est naturellement pas un symp-


tôme homogène. C'est peut-être la raison pour laquelle il arrive de temps en temps que des
cas que l'on a abandonnés à cause de ces phénomènes s'améliorent pourtant largement. Je
connais une malade qui a traîné des années à l'asile, indifférente, qui ne pouvait être utilisée
que rarement à des tâches simples, qui devint par la suite, dans un autre asile, niaisement
gaie sous l'effet d'un transfert érotique sur les médecins, puis qui commença à travailler et,
après sa sortie, fonda et dirigea avec succès une boutique de modes (NDA).
4 . C'est-à-dire des troubles vasomoteurs (NDT).
trauma incident (alcool, un choc, etc.) a conduites à l'asile ou que l'on
voit en consultation externe, on trouve parmi eux tant de cas à début
inapparent qu'on en acquiert la conviction que ces modes évolutifs ne
peuvent, eux non plus, pas être délétères de façon régulière.
Le surcroît d'abêtissement qu'apportera un accès peut être pronostiqué
avec une certaine probabilité si des accès analogues se sont déjà pro-
duits antérieurement. Souvent, les accès suivants se comportent alors
comme les précédents sous ce rapport également. A l'asile de chroni-
ques, on trouve relativement peu de malades qui aient eu une, voire
plusieurs larges rémissions, et il s'agit alors le plus souvent de malades
du type maniaque périodique.

Du rythme de l'abêtissement, on peut seulement dire que des poussées


se voient, certes, même dans les cas chroniques, mais qu'il existe sou-
vent une certaine uniformité du rythme jusqu'à la stabilisation.

On a éprouvé le besoin d'indiquer des délais au-delà desquels une


amélioration ne saurait plus être espérée ; à propos du divorce, divers
Codes citent trois ans comme étant le délai au-delà duquel un cas à
terminaison défavorable peut, en pratique, être considéré comme incu-
rable. Mais on ne saurait, même au bout de plusieurs décennies, ex-
clure des améliorations susceptibles d'être considérés comme des
guérisons. C'est rare, néanmoins, et j e n'ai eu aucun déboire grave
avec des expertises en vue de divorce en Suisse, où le divorce pour
cause de maladie mentale est pourtant quelque chose de très fréquent,
bien que j'éprouve un sentiment fort déplaisant chaque fois que je
déclare que quelqu'un est incurable.
Schiile (675a et 679) attire l'attention sur le fait que les symptômes somati-
ques, au nombre desquels il compte, il est vrai, une part importante des symp-
tômes moteurs, seraient un indicateur de la profondeur de l'altération
cérébrale. Peut-être y a-t-il quelque chose de juste dans cette conception,
notamment en ce qui concerne les anomalies vasomotrices5. Cependant, il est
sûrement des cas qui s'accompagnent de symptômes proprement somatiques
d'un degré important, et qui ont pourtant une évolution favorable.
Moravcsik pense que des retours inattendus de la lucidité psychique ren-
draient vraisemblables des rémissions. - Salerni rapporte que les cas dans
lesquels on pourrait constater, malgré une aménorrhée, des fluctuations mens-
truelles du pouls, de la température et de la respiration permettraient d'es-
compter des rémissions. — Schiile considère les grands masturbateurs comme

5. Voir aussi Weber ( 7 9 7 ) (NDA).


particulièrement compromis. Mais j'ai vu des cas dans lesquels la masturba-
tion était à peu près continue s'améliorer de façon importante. - Bruce et
d'autres ont voulu utiliser les données hématologiques pour le pronostic ; nos
connaissances ne nous permettent pas encore d'aller aussi loin.
Kraepelin (Discussion, 73) a noté que, souvent, les cas qui présentent une
incohérence du langage ne se développent pas plus avant. Je puis seulement
dire qu'à cette règle il est aussi des exceptions qui ne sont pas rares.
Nous n'avons encore aucun point de repère pour évaluer la tendance
aux récidives. Stransky considère les malades comme étant relativement
en sécurité cinq ans environ après la fin du premier accès. On ne peut
naturellement recourir à la fixation d'un tel délai que dans les cas
dans lesquels on suppose que le début a été aigu. Mais, même alors,
il y a encore trop d'exceptions pour qu'on puisse de toute façon faire
valoir cette règle. On donne sans doute Vidée la plus juste de nos
connaissances actuelles si Von dit que de nouvelles poussées surviennent
d'autant plus rarement qu'une stabilisation a duré plus longtemps. Chez
les femmes, la ménopause, puis la grossesse et l'accouchement, pré-
sentent un certain danger de récidive. Des cas à périodicité régulière
permettent naturellement de prévoir de nouveaux accès avec une re-
lative précision.
Fixer un pronostic relativement sûr quant à l'évolution d'un cas donné
sera naturellement tout aussi peu possible ici que dans la plupart des
autres maladies. Comment une tuberculose pulmonaire, un rhumatisme
articulaire évolueront-ils, combien de récidives surviendront-elles, et
quand surviendront-elles, tout ceci ne pourra sans doute jamais être
déterminé à l'avance. Dans le cas de la schizophrénie, il s'y ajoute le
fait que l'évolution du tableau pathologique apparent, seul déterminant
en pratique, ne dépend, sous bien des rapports, absolument pas de l'évo-
lution du processus pathologique. Nous avons en effet presque exclusive-
ment à faire à des symptômes secondaires qui, sous des influences
psychiques, peuvent s'améliorer ou s'aggraver dans des limites d'une am-
pleur maximale. De telles influences ne seraient prévisibles que si l'on
avait soi-même le pouvoir de les provoquer ou de les éviter.
Huitième partie

F r é q u e n c e et diffusion
La démence précoce est la maladie mentale la plus fréquente, abstrac-
tion faite du groupe des idioties dans leur ensemble.
Albrecht en a trouvé 2 9 % sur 6 9 3 malades mentaux, Wolfsohn 30 %
sur 2 2 1 5 admissions du Burgholzli (23 % chez les hommes et 3 9 %
chez les femmes). Au cours de ces dernières années, la proportion de
schizophrènes s'est encore élevée de quelques pour cent, les conditions
s'étant un peu modifiées (mise en service de nouveaux bâtiments dans
l'asile de chroniques). Le nombre absolu de schizophrènes hommes
admis est dans un rapport de 47/53 à celui des femmes ; la grande
différence entre les sexes par rapport aux autres psychoses provient
donc non tant d'un moindre nombre de schizophrènes que d'un surplus
de paralytiques généraux et d'alcooliques chez les hommes.
Comme les schizophrènes sont incurables pour une assez grande part
d'entre eux, qu'ils tombent malades jeunes et qu'ils meurent vieux, ils
sont encore plus prédominants dans l'effectif des asiles de fous que
parmi les admissions ; dans notre asile de soins actifs, ils représentent
71 % des hommes et 79 % des femmes - soit 75 % de l'ensemble des
malades. Dans l'asile de chroniques, leur pourcentage baisse à 50 %
du fait des idiots.
Aussi l'importance sociale de cette maladie est-elle tout à fait énorme ;
elle attire cependant moins l'attention que la paralysie générale, parce
qu'elle atteint la plupart des malades avant qu'ils ne se soient fait une
situation dans l'existence. Un schizophrène qui doit être pris en charge
de son adolescence à sa mort coûte souvent à sa famille toute sa for-
tune. Cette maladie apparaît sous un jour encore plus funeste si Ton
songe qu'un grand nombre de psychopathes non considérés comme des
malades mentaux qui tiennent en haleine leurs familles et la société
et de névropathes qui occupent les médecins sans trouver la guérison
sont des schizophrènes latents. J'ai motif à supposer que ces schizo-
phrènes non décelés sont bien plus nombreux encore que les malades
mentaux patents.
Nous ne connaissons pas encore de différences de réceptivité à cette
affection entre les diverses races, encore que celles chez lesquelles la
sélection naturelle n'est pas entravée comptent bien moins de malades
mentaux. Chez les Malais (Kraepelin), les Japonais (Miyake), les Cen-
trasiatiques (Urstein), la schizophrénie est la psychose prépondérante,
comme chez nous.
On ne sait pas encore dans quelle mesure la race et les conditions extérieures
influencent la forme que revêt la maladie. Si notre conception de la genèse
des symptômes est juste, on doit pouvoir trouver des différences sous ces
rapports. Ziehen a remarqué que sa dementia hebephrenica se rencontrerait
beaucoup plus fréquemment en Hollande qu'en Thuringe. Kraepelin a (d'après
une communication orale) trouvé plus rarement des formes catatoniques mar-
quées et plus fréquemment l'abêtissement radoteur chez les Malais que chez
nous. Il est certain par ailleurs que des caractéristiques raciales s'expriment
au travers de la maladie. Les Anglais sont plus calmes que les Irlandais, les
gens de Haute-Bavière plus violents que les Saxons ; il est même facile de
constater une différence entre les Bernois et les Zurichois, qui sont apparen-
tés de si près.
Neuvième partie

Les c a u s e s
A. La pathologie de la schizophrénie ne nous donne pas de points de
repère nous indiquant où nous devons chercher les causes de cette
maladie. La recherche directe de facteurs de causalité spécifiques nous
a également fait faux bond. Nous savons pourtant que des « maladies
mentales » sont plus fréquentes dans les familles de schizophrènes
que dans celles de sujets sains ; il est fréquent aussi que nous
voyons la majeure partie des membres d'une famille nombreuse tom-
ber malades. Mais si un « infectionniste » veut dire qu'en fait de
cause commune il n'y a pas, dans la schizophrénie, d'hérédité mais
seulement une infection, ou si quelqu'un suppose que l'ensemble
des événements vécus psychiques ou physiques serait cause de ces
augmentations de fréquence de la maladie chez ceux qui vivent avec
les patients, nous ne pouvons pas lui fournir de preuve du contraire.
De tels sceptiques peuvent ajouter que, dans de nombreux cas, on
ne peut mettre en évidence ni constitution héréditaire, ni prédisposi-
tion individuelle (telle qu'un caractère renfermé), malgré des investi-
gations tout à fait minutieuses.

Et pourtant l'hérédité doit bien jouer un rôle dans l'étiologie de la schi-


zophrénie. Mais on ne saurait encore dire quels sont l'importance et le
type de son influence. Pour progresser, nous devrions avoir une notion
utilisable de l'hérédité ; nous devrions savoir quelles maladies, et spécia-
lement quelles psychoses ont, dans la famille, une relation avec la schi-
zophrénie d'un de ses membres, et quels degrés de parenté entrent ici
en ligne de compte. Pour le moment, la voie statistique est la seule qui
soit accessible pour résoudre ces problèmes ; mais nous ne disposons
même pas des premières tentatives d'une telle statistique1 :

1. Les publications, fort intéressantes, de Vorster et de Sioli ne peuvent naturellement pas


entrer en ligne de compte en tant que travaux préliminaires statistiques (NI)A).
Jusqu'à présent, nous savons que l'ensemble des tares héréditaires
des schizophrènes diffère quelque peu de celles des sujets sains 2 .
9 0 % des schizophrènes ont une hérédité chargée, contre 67 % des
non-malades mentaux et 6 5 % des sujets sains 3 . Mais on aboutit à
des différences énormes si l'on ne prend en compte que les sujets
dont la charge héréditaire comporte des maladies mentales : on peut
trouver une maladie mentale dans 6 5 % des familles de schizo-
phrènes, alors que Diem évalue à 7,1 % l'incidence héréditaire des
maladies mentales chez les non-schizophrènes. Malheureusement,
ces chiffres ne-peuvent cependant pas être comparés strictement:
dans le cas d'une tare chez plusieurs membres d'une famille, Diem
n'a fait entrer dans ses calculs que celui des facteurs dont le porteur
était apparenté de plus près avec la personne testée. Mais comme
les psychoses ne représentent pas même le sixième de l'ensemble
des facteurs héréditaires pris en compte par Diem, et que la tare des
père et mère est la plus importante numériquement dans le cas des
malades mentaux, cette erreur dans la comparaison ne peut guère en-
trer en ligne de compte. Une hérédité grevée par des maladies mentales
est donc sûrement plusieurs fois plus grande chez les schizophrènes que
chez les sujets sains.
Les chiffres de Diem et de Wolfsohn permettent encore plus difficile-
ment de comparer l'importance des degrés de parenté porteurs de la tare.
Je puis seulement dire que nos schizophrènes (du Burghôlzli) ont pour
35 % une hérédité grevée par une maladie mentale des père et mère et
des grands-parents (ou des deux4), tandis que, selon Diem, des maladies
mentales ne sont survenues que chez 2,2 % des père et mère de non-ma-
lades mentaux et chez 1,6 % de ceux des sujets sains, et les chiffres
correspondants de la tare psychotique indirecte et atavique5 étaient de
4 % chez les non-malades mentaux et de 4,6 % chez les sujets sains.
Par élimination, cette haute incidence de maladies mentales dans l'héré-
dité doit être considérée comme étant schizophrénique, donc de même
type. Nous savons en effet que les maladies mentales organiques n'entrent
pas tellement en ligne de compte ici, et que la folie maniaco-dépressive
n'est pas si fréquente qu'elle puisse influencer fortement ces chiffres.

2 . Les d o n n é e s se rapportent toujours aux père et mère et à leurs frères et sœurs, aux
grands-parents et aux frères et sœurs des malades. - Les chiffres portant sur la schizophrénie
sont empruntés au travail de Wolfsohn, en partie sous une forme r e m a n i é e pour nos besoins,
il est vrai (NDA).
3 . Pour Diem, sont « sains » les non-malades mentaux, déduction faite des nerveux ou des
psychopathes compris dans c e dernier groupe (NDA).
4 . 1 8 à 1 9 % seulement selon K r a e p e l i n ( 3 8 8 , p. 2 7 0 ) (NDA).
5. C ' e s t - à - d i r e en ligne c o l l a t é r a l e et en ligne directe (NDT).
Pour l'incidence héréditaire d'autres facteurs, les différences de mode
de comptabilisation chez Diem et chez Wolfsohn revêtent sans doute
une plus grande importance ; les chiffres de Diem doivent être trop
faibles, selon nous.

Wolfsohn trouve dans la schizophrénie une hérédité névrotique de


29 %, dont la moitié exactement se combine à une maladie mentale.
Si, à présent, Diem trouve une hérédité névrotique de 8,2 % chez ses
non-malades mentaux et de 7 % chez les sujets sains, il est certain,
malgré la différence d'importance des chiffres, que l'incidence hérédi-
taire des névroses est notablement plus importante chez nos malades
que chez les sujets sains.

Il n'est pas certain qu'on puisse arguer avec certitude de cette hérédité
névrotique en faveur de l'existence d'une hérédité hétérogène, c'est-à-
dire d'une prédisposition familiale pouvant s'extérioriser sous la forme
d'une névrose aussi bien que d'une schizophrénie. Car il est vraisem-
blable qu'une grande partie de ces anomalies qualifiées de maladies
nerveuses étaient des schizophrénies latentes.

Nous trouvons un alcoolisme des père et mère (les autres degrés de


parenté n'ont pas été pris en compte par Wolfsohn dans le cas de l'al-
coolisme) dans 26 % des cas, dont un peu plus des deux tiers se combi-
nant avec d'autres facteurs de tare héréditaire (chez l'ensemble des
membres de la famille). Les non-malades mentaux et les sujets sains
de Diem présentaient une hérédité marquée par l'alcoolisme des père
et mère dans, respectivement, 12 et 10 % de l'ensemble des cas.
Comme il ne s'agit ici que des père et mère, les chiffres peuvent être
comparés. Habituellement, c'est le père le buveur, et en cas d'hérédité
cumulée Diem a donné la priorité au père devant la mère ; aussi les
chiffres de Diem ne sont-ils sûrement pas beaucoup trop faibles 6 . Un
alcoolisme des père et mère est donc plus fréquemment présent dans
la schizophrénie que chez des sujets sains 7 . Mais est-il un symptôme
de la constitution schizophrénique familiale ou une cause de la schi-
zophrénie de la descendance ?

6. B e r t s c h i n g e r (p. 2 7 0 ) trouve d a n s 2 4 9 c a s un a l c o o l i s m e d e m e m b r e s d e l a f a m i l l e en
général, chez 151 patients dont 2 5 ont en o u t r e u n e hérédité marquée par u n e maladie
m e n t a l e (NI)A).
7. Fuhrmann (p. 8 1 7 ) pense que l'alcoolisme des géniteurs occasionnerait chez leurs des-
cendants des troubles qui seraient analogues aux psychoses alcooliques mais conduiraient
ensuite rapidement à l'abêtissement (NDA).
On a trouvé des caractères anormaux dans la parentèle de schizo-
phrènes dans 22 % des cas, dont 7 % en tant que seul et unique facteur
héréditaire, mais chez respectivement 10,4 % et 10,1 % des non-ma-
lades mentaux et des sujets sains de Diem.
L'apoplexie et la démence sénile ne peuvent avoir de signification en
tant que signes d'une hérédité schizophrénique, car ces anomalies sont
présentes en plus petit nombre dans l'ensemble des maladies mentales
que chez les sujets sains, et la schizophrénie représente une part im-
portante de l'ensemble des maladies mentales.
La prédisposition héréditaire joue donc sûrement un rôle important par-
mi les causes de la schizophrénie. Mais nous ne savons pas en quoi
consiste cette prédisposition, ni de quelle façon elle pourrait s'exprimer
par ailleurs ; elle semble être spécifique de la schizophrénie.
Existe-t-il, à présent, des schizophrénies sans constitution héréditaire ?
Vraisemblablement. En tout cas, dans environ 10 % des cas l'on ne
peut mettre en évidence aucune prédisposition malgré une connais-
sance apparemment précise de l'histoire familiale jusqu'à la troisième
génération ou même au-delà. A ceci s'ajoute qu'une part notable des
malades tenus pour « tarés » ne le sont absolument pas par la prédis-
position schizophrénique.
On a, notamment en France, mis les maladies mentales, et donc la schizophrénie,
en rapport avec d'autres prédispositions familiales, telles que la prédisposition
rhumatismale et la prédisposition scrofuleuse. Il suffira d'attirer l'attention, ici,
sur le fait que de telles conceptions n'ont absolument aucun fondement solide
pour le moment. Lomer (p. 390) suppose qu'il est possible qu'en cas de potentiel
de transmission héréditaire spécifiquement psychopathique relativement impor-
tant du père ce soit principalement le complexe catatonique qui se constitue, et
qu'en cas de potentiel semblable de la mère ce soit principalement le complexe
hébéphrénique. Selon lui (p. 389), une combinaison de maladie mentale et d'al-
coolisme des père et mère prédispose aussi à la catatonie (voir ci-dessus Fuhr-
mann), et une combinaison de maladie mentale et de neurasthénie à
l'hébéphrénie. Je n'ai pas d'opinion sur l'importance du potentiel de transmission
héréditaire strictement psychopathique. En revanche, nos observations nous ont
montré que l'hérédité n'a, selon les principes actuels, aucune relation décelable
avec la forme sous laquelle se manifeste la maladie.

Il est singulier que, dans son délire chronique, qu'il nous faut ranger dans la
schizophrénie, Magnan n'ait pas trouvé de dégénérescence, concept chez lui
inséparable de l'hérédité psychotique.
Peut-être existe-t-il aussi une prédisposition qui serait défavorable à l'éclo-
sion de la schizophrénie. D'après certaines compilations, des « maladies ner-
veuses » se voient plus rarement dans les familles schizophréniques que dans
la parentèle de sujets sains (Koller : comparer aussi Wagner von Jauregg).
Tant que le concept de maladies nerveuses et la statistique elle-même seront
aussi mouvants qu'ils le sont, on fera sans doute bien de garder la plus grande
prudence en formulant de telles hypothèses.

B. L'âge juvénile8 a une prédisposition particulière à cette affection.


Kraepelin fournit les données qui suivent sur l'âge de l'atteinte patho-
logique :

Age de début : Pourcentage :


jusqu'à 15 ans 6
20 32,5
25 24,5
30 19
35 11
40 5
45 1,5
50 0,7 ( ?)
55 0,4 ( ?)

Wolfsohn a obtenu les chiffres qui suivent à partir de 6 1 8 patients du


Burgholzli :

Sont tombés Hommes Femmes Total


malades à l'âge de : (en pourcentage)
1 à 15 ans 6 3 4
15 à 20 ans 24 16 18
20 à 25 ans 25 20 22
25 à 30 ans 22 18 20
30 à 35 ans 10 14 12
35 à 40 ans 10 11 11
40 à 45 ans 5 5 5
45 à 50 ans 4 6 4
50 à 55 ans 0 5 3
55 à 60 ans 0 2 1
60 à 65 ans 0 0 0

8. La maladie devient rarement manifeste pendant l'enfance. Il est cependant des cas que
l'on doit faire remonter jusqu'aux premières années de l'existence, sous le nom de schizo-
phrénie originaire (NDA).
Chez Kraepelin, 6 0 % des cas sont tombés malades avant l'âge de 25
ans ; chez nous 4 4 % seulement. Mais j e ne souhaite pas accorder
d'importance à ces différences, ne serait-ce que parce que de tels chif-
fres sont fonction, entre autres, des conditions de l'admission et de
l'exactitude des anamnèses. C'est pourquoi j e ne cite pas d'autres re-
cherches.
La seule chose qui me paraisse encore digne d'être notée, c'est que
dans le matériel de Wolfsohn la courbe des hommes décroît régulière-
ment du maximum à la cinquième décennie de l'existence, tandis que
celle des femmes présente, entre 4 5 et 50 ans, une petite augmentation
d'autant plus significative que les deux lustres qui suivent sont encore
plus fortement pourvus que chez les hommes. Sans doute s'agit-il de
l'influence du retour d'âge, qui est plus prévalente dans l'esprit féminin
que chez l'homme, qui n'a pas encore besoin de faire des renonce-
ments, même à cet âge.
Les divers groupes de la maladie se comportent inégalement, 72 % des
formes hébéphréniques simples, 6 8 % des formes catatoniques et seu-
lement 4 0 % des formes hébéphréniques se déclarant (selon Kraepelin)
avant l'âge de 2 5 ans.
C. On peut se demander s'il existe une prédisposition individuelle. Bien
des futurs schizophrènes sont, à n'en pas douter, « singuliers », en re-
trait, autistiques dès leur jeunesse. Mais il est impossible pour le mo-
ment de déterminer si ce comportement est l'expression d'une
prédisposition ou de la maladie elle-même, débutant insidieusement.
L'intelligence n'est en tout cas pas en rapport avec la prédisposition.
Elmiger et Lugano ont constaté un nombre véritablement étonnant de
bonnes dispositions, tandis que nous avons nous-même pu exclure tout
au moins une prédominance d'intelligences inférieures.
Bertschinger a remarqué qu'il y aurait de nombreuses personnes ché-
tives et petites parmi les malades. J'ai eu moi aussi la même impres-
sion, depuis longtemps déjà ; mais on peut aisément se tromper devant
ces personnages apathiques, en retrait, et une recherche authentique
nous fait défaut.
La schizophrénie semble être indépendante des circonstances exté-
rieures. Elle se voit dans la pauvreté et dans l'abondance, dans toutes
les conditions, réglées et déréglées, heureuses et malheureuses. Ville
et campagne l'hébergent de la même façon (Gaupp 258). Il y a aussi
des schizophrènes sous tous les climats. Sur l'influence de la race, voir
p. 427.
Soukhanoff trouve une « constitution idéo-obsessive » chez les « dégénérés ».
Sans doute n'y a-t-il pas grand-chose à tirer de cette notion.
On a aussi dit, depuis des décennies, que des gouvernantes, notamment, de-
viendraient facilement schizophrènes. On a carrément parlé d'une « psychose
des gouvernantes », ou bien l'on a prétendu que les gouvernantes étaient
atteintes avec une particulière gravité (et sous une forme déplaisante). Sans
doute y aura-t-il un peu de vrai là-dedans, dans la mesure où des jeunes
filles qui veulent s'élever au-dessus de leur condition et n'y parviennent ce-
pendant pas, et dont beaucoup doivent être prédisposées à la schizophrénie,
deviennent volontiers gouvernantes, et où la façon dont on traite ces per-
sonnes donne bien souvent suffisamment motif à déterminer une schizophré-
nie9. Néanmoins, encore faudrait-il d'abord déterminer si les gouvernantes
tombent vraiment malades en plus grand nombre que des membres d'autres
professions.
Sans doute la masturbation a-t-elle été de tout temps l'une des causes les
plus fréquemment citées des « psychoses juvéniles ». On prétend même mettre
certaines formes de notre maladie en rapport avec cela. Il est certes vrai que
presque tous nos malades se masturbent ou se sont masturbés. Mais si l'on
y regarde de plus près, on ne trouve aucun rapport avec le déroulement de
la maladie. Des masturbateurs tout à fait excessifs, qui se masturbent pour
ainsi dire en permanence, guérissent pourtant de leurs accès aigus ou en
restent des décennies durant au même degré d'abêtissement. La castration
n'a pas d'influence directe sur la maladie. Nous devons donc concevoir la
masturbation comme un symptôme et non comme une cause de la maladie,
pour autant qu'elle aurait un rapport avec elle. A vrai dire, la première chose
qui entre en ligne de compte, c'est qu'étant donné le manque de pudeur la
masturbation existante parvient beaucoup plus rapidement à la connaissance
de l'observateur qu'il n'est habituel. Mais, en second lieu, la chute des in-
hibitions favorise directement l'onanisme, et surtout c'est l'autisme qui
contraint les malades à l'autosatisfaction. Ce n'est que dans le domaine sexuel
qu'il est possible d'exaucer dans une certaine mesure ses souhaits d'une façon
autistique ; pour le malade, sa bien-aimée imaginaire est plus qu'une maî-
tresse réelle, c'est pourquoi la relation sexuelle normale est relativement si
peu recherchée 10 , et c'est pourquoi l'activité sexuelle des malades, même peu
avancés dans leur évolution pathologique, se cantonne presque exclusivement
dans le domaine de l'assouvissement onaniste.

9. O n n o t e r a l ' a m b i g u ï t é a p p a r e n t e du p r o p o s d e B l e u 1er, qui v i e n t d e n i e r t o u t e influence


d e s c i r c o n s t a n c e s e x t é r i e u r e s s u r la s c h i z o p h r é n i e . L e fait q u ' i l p a r l e m a n i f e s t e m e n t l à de
l a « m a l a d i e o r g a n i q u e s c h i z o p h r é n i e » , et ici d e la s c h i z o p h r é n i e s y m p t o m a t i q u e a v e c s e s
troubles s e c o n d a i r e s p s y c h o g è n e s au p r e m i e r plan ne suffit pas à é l i m i n e r totalement cette
a m b i g u ï t é , p u i s q u e p r é c é d e m m e n t il é t a i t à l ' é v i d e n c e é g a l e m e n t q u e s t i o n d e s c h i z o p h r é n i e s
patentes (NDT).
10. Les s c h i z o p h r è n e s semblent être moins souvent atteints d'infections vénériennes que les
s u j e t s m e n t a l e m e n t s a i n s , et c e m a l g r é l e u r a b s e n c e d ' i n h i b i t i o n ou l e u r n é g l i g e n c e (NDA).
La grossesse et les couches semblent avoir un rapport avec la schizo-
phrénie. Il y a trop de femmes qui font une poussée de leur schizo-
phrénie à l'occasion de plusieurs de leurs accouchements, ou de tous,
pour que l'on puisse, comme Reichhardt, considérer ceci comme une
simple coïncidence 1 1 . Mais il est fort possible qu'il s'agisse là de cor-
rélations psychiques qui ne déterminent pas la maladie mais la rendent
manifeste.
Reste également à étudier le rapport avec les maladies infectieuses. La
schizophrénie fait souvent suite à une maladie fébrile, et ce parfois
même dans des cas qui ne présentaient aucune anomalie auparavant.
Cela pourrait être une coïncidence ; mais on voit souvent une fièvre
avoir une amélioration importante comme suite ; si elle influence de
toute façon ainsi la psychose, on ne saurait non plus exclure sans plus
ample informé un rapport entre fièvre et aggravation. Il peut s'agir
d'influences physiques ou psychiques. - Il faut en outre rappeler que
de nombreux cas rangés dans l'amentia par d'autres auteurs font partie
de notre schizophrénie, et qu'on y formule volontiers l'hypothèse d'un
facteur débilitant corporel causal, et plus précisément d'une maladie
fébrile.

On soupçonne aussi maintenant, de plusieurs côtés, un rapport avec la


syphilis. Sans doute suffit-il de dire que rien n'étaie cette hypothèse 12 .
Les troubles cérébraux organiques occupent une position particulière.
Nous savons que des méningites chroniques, une gliose cérébrale, des
traumas crâniens peuvent produire des tableaux pathologiques analo-
gues à la schizophrénie. Sans doute le hasard doit-il être exclu ici.
Nous n'avons malheureusement pas pu examiner de cas de ce genre
suivant des points de vue récents. Aussi nous suffira-t-il de poser la
question suivante : Existe-t-il des psychoses qui, reposant sur une ma-
ladie cérébrale, aient les mêmes symptômes que la schizophrénie ? Si
oui, quelles différences présentent-elles par rapport aux autres cas de
schizophrénie ? S'il était possible de répondre à ces questions, la façon
de distinguer des authentiques catatonies organiques les complications
fortuites, qui doivent naturellement se rencontrer, deviendrait égale-
ment évidente (Murait, Kôttgen, Crocq).

11. Pour autant que c'est le retour de couches qui est pris en considération, on peut aisément
prouver que Reichhardt a tort : la puerpéralité dure environ le dixième de la grossesse. Mais
il arrive à l'asile peut-être dix fois plus de psychoses puerpérales que de psychoses gravi-
diques ; el il n'y a pourtant pas plus de puerpéralités que de grossesses (NDA).
12. Roubinowitch et Levaditi ont récemment trouvé trois cas de Wassermann positif dans
le sérum de 15 schizophrènes (NDA).
Un « surmenage » est très fréquemment cité comme cause d'une schi-
zophrénie, même par des psychiatres prudents. Je n'ai jusqu'à présent
jamais rien vu qui fût en faveur d'une telle corrélation. Des paresseux
tombent tout aussi bien malades que des gens laborieux. Mais il arrive
souvent que des schizophrènes, au premier stade de la maladie, déve-
loppent une ardeur au travail qui ne prend en compte ni les cir-
constances ni l'efficience, ou que ce soit justement la baisse de
l'efficience qui rende un plus grand effort nécessaire. Le « surmenage »
est alors un symptôme, et non une cause de la maladie. Il est néan-
moins beaucoup plus fréquent qu'il ne soit qu'une excuse de la maladie
et de la constitution familiale, de la part des proches, ou une excuse
pour l'ignorance des causes, de la part du médecin.
D'une façon analogue, certaines tendances, certains modes de vie, cer-
taines « passions » se voient imputer la genèse de la maladie. L'un
serait tombé malade parce qu'il a embrassé la trépidante carrière d'ac-
teur, l'autre parce qu'il a mené une existence si déréglée, parce qu'il
n'a cessé de changer de métier, le troisième parce qu'il est passionné
de voyages. Si l'on y regarde de plus près, on ne trouve pas la moindre
raison qui justifie une telle hypothèse. Les schizophrènes tiennent
moins compte de la réalité, pour le meilleur comme pour le pire, leur
autisme les rend plus indépendants dans leur pensée et dans leur ac-
tivité ; ils sont plus facilement enclins à mettre une idée à exécution
que d'autres, qui en sont empêchés par de bonnes et mauvaises raisons,
par esprit grégaire, par suggestibilité vis-à-vis du mode de pensée de
la majorité et, d'une façon générale, par une capacité d'adaptation au
milieu tel qu'il est supérieure. Tous les mouvements nouveaux attirent
d'abord dans leurs rangs les schizophrènes latents, et sont à la fois
promus et mis en danger par eux. Ainsi peut-on expliquer que plusieurs
des adeptes du « Sturm und Drang u » soient « devenus » malades men-
taux, mais non pas parce que leur participation à ce mouvement les
aurait rendus malades.

Il ne faut pas rejeter inconditionnellement un rôle étiologique de l'in-


satisfaction de l'existence. Il est en effet probable que de tels stimulus
psychiques puissent rendre la maladie manifeste. Mais, ici aussi, la
corrélation réside généralement dans le fait que ces gens n'arrivent
jamais à se satisfaire de leur métier ni de leur situation, précisément
parce qu'ils sont malades.

13. Mouvement littéraire allemand (vers 1 7 6 5 - 1 7 9 0 ) tirant son nom du titre d'un drame de
Klinger et marqué par l'influence de Rousseau et la réaction contre le rationalisme.
On ne saurait encore déterminer avec certitude s'il existe même des
causes psychiques de la schizophrénie ; mais vraisemblablement faut-il
répondre par la négative. Si les anamnèses sont bien faites, on trouve
d'une façon si régulière des signes de la maladie antérieurement au
trauma psychique qu'il devient difficile d'accorder à celui-ci une valeur
causale. Et dans la plupart des cas il est également évident d'emblée
que la relation amoureuse malheureuse, la rétrogradation d'emploi, etc.
étaient la conséquence et non la cause de la maladie, pour autant qu'il
y aurait le moindre rapport.

Et pourtant, l'idée de l'étiologie psychique de cette maladie ne cesse


de ressurgir, d'une part parce que celle-ci fait trop souvent suite à un
événement vécu déplaisant, et d'autre part parce que, même après son
éclosion manifeste, aggravations et améliorations dépendent indubita-
blement d'influences psychiques, et aussi parce que les symptômes
renvoient à un rapport avec l'événement vécu, l'amoureux dédaigné
assouvissant ses souhaits dans ses délires ou produisant des stéréoty-
pies qui lui permettent de s'occuper, du moins symboliquement, de
l'objet de ses aspirations.

Il résulte indubitablement de tout cela que des vécus psychiques - na-


turellement presque tous de nature désagréable — peuvent provoquer
des symptômes schizophréniques. Mais il est extrêmement improbable
que la maladie soit réellement produite par eux. Les événements psy-
chiques déclenchent les symptômes mais non la maladie, à peu près
de même qu'un effort peut déclencher une hémoptysie chez un phtisi-
que si les vaisseaux sont déjà érodés. Cette comparaison n'est cepen-
dant pas totalement exacte, dans la mesure où, dans le cas des
symptômes de la schizophrénie, il ne s'agit pas d'une simple lésion
mais d'une réaction dans des conditions altérées, réaction qui ne se
distingue pas fondamentalement d'une réaction normale 14 .

Nous supposons donc non pas qu'une chute dans l'eau ait été la cause
de la schizophrénie qui a suivi mais, si cette chute ne constituait pas
déjà un symptôme, que la peur a entraîné l'esprit déjà altéré à une
réaction anormale 15 .

14. Ici, la séquence est donc décrite sous la forme : conditions anormales + réaction normale
—» résultat anormal, d'où symptôme pathologique secondaire (NDT).
15. Nouvelle contradiction apparente avec le paragraphe précédent. En fait Bleuler appelle
« réaction » tantôt le mécanisme de la réaction, qu'il estime être normal, et tantôt son résultat,
c'est-à-dire le symptôme pathologique (NDT).
Il en va de même si la maladie manifeste apparaît après une rencontre
fortuite avec l'ancienne fiancée et réapparaît ensuite à la même occa-
sion, après quelques années de bonne rémission.
Il nous faut aussi concevoir de la même façon la plupart ou l'ensemble
des psychoses carcérales schizophréniques, dans le cas desquelles une
authentique poussée de la maladie est sans doute, il est vrai, fort sou-
vent co-déterminante.
La façon dont les motifs psychiques peuvent agir apparaît, par exemple, dans
un cas où un médecin a été atteint d'un accès de catatonie respectivement
pendant ses deux examens de propédeutique et avant son examen final. Un
homme considéré comme normal a été atteint à quatre reprises de légères
idées délirantes à l'occasion de son service militaire. Un ingénieur a présenté
des accès hallucinatoires quand il a été coffré pour des motifs politiques, et
des accès identiques quand sa femme a divorcé. Une dame qui était encore
en état de rester chez elle présentait un état d'agitation à chaque fois qu'on
lui refusait quelque chose, par exemple prendre part à un bal ou à une réu-
nion en société. Ce dernier cas montre la transition avec les états d'agitation
passagers à l'occasion d'une contrariété quelconque, si fréquents à l'asile.
L'induction mérite une attention particulière. Un jour, on a amené au
Burghôlzli quatre frères et sœurs qui avaient les mêmes idées persé-
c u t é e s et religieuses. Il s'avéra qu'une des sœurs, la plus intelligente
des quatre, était d'abord tombée malade et avait communiqué ses idées
délirantes aux autres. Elle s'abêtit de façon assez importante et pré-
senta par la suite des symptômes catatoniques. La deuxième sœur par-
vint à sortir mais dut être réadmise par la suite. Les deux frères se
maintinrent à l'extérieur après leur sortie. Il est indubitable que les
deux sœurs souffrent d'une authentique schizophrénie ; mais nous
avons aussi une bonne raison de supposer que les deux frères sont
également schizophrènes, non seulement parce qu'ils n'ont pas complè-
tement guéri par la suite, mais aussi parce que la façon dont ils me-
naient leur existence, même auparavant, l'indiquait déjà. Dans une
autre famille, la mère a transmis ses idées de grandeur à ses deux
filles, dont l'une était nettement schizophrène et l'autre se laissa
convaincre de la fausseté de ses idées puis ne présenta plus de symp-
tômes pathologiques.
Nous devons donc envisager la possibilité qu'un malade énergique
puisse suggérer ses idées délirantes à d'autres membres de la famille,
si elles sont à l'unisson des complexes (souhaits et craintes) de ceux-ci.
Mais cela n'aboutira à la constitution d'une schizophrénie que si cette
maladie est par ailleurs présente chez l'individu. L'induction n'a en ce
cas pas déterminé la maladie en tant que telle, mais ses idées déli-
rantes, et par là-même, peut-être, l'éclosion manifeste de la maladie
également.
Naturellement, on a décrit tous les événements possibles dans une existence
humaine comme étant des causes des psychoses à présent rangées dans la
schizophrénie. On nous adresse « une manie religieuse, causée par une af-
fection utérine », et il suffit de noter que nous n'avons pas l'ombre d'un
indice qui nous permette de mettre la schizophrénie en rapport direct avec
l'affection génitale (sous réserve de la voie psychique, telle qu'on l'a exposée
plus haut). - Le respect du lecteur interdit d'entrer dans des considérations
telles que celle selon laquelle la maladie proviendrait de ce que les jeunes
gens n'arrivent plus à suivre (Journal of mental sciences, 1904, p. 272).
Dixième partie

La théorie
Chapitre premier

La théorie
des symptômes
Sans doute la psychopathologie de la schizophrénie est-elle l'une des
plus attrayantes, car elle permet les aperçus les plus variés sur les
rouages de l'esprit, tant malade que sain. Certes, il est tout aussi peu
possible ici que dans le cas d'autres psychoses de se tirer d'affaire
sans hypothèses. Afin d'éviter la prolixité, on doit cependant s'en re-
mettre au lecteur, dans l'exposé qui suit, pour y ajouter à chaque fois
par la pensée les réserves nécessaires ; j'espère ne pas lui avoir rendu
cette tâche trop ardue. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que,
même dans le cas où nos hypothèses seraient justes, seul un petit nom-
bre d'entre tous les mécanismes qui concourent à la symptomatologie
de la maladie seraient connus. A l'inverse, il va de soi que nul ne
peut prétendre expliquer dès à présent l'ensemble des symptômes, ni
même la majeure partie d'entre deux.

Symptômes primaires et secondaires

Nous ne pouvons comprendre une psychose à détermination physique


que si nous distinguons les symptômes qui proviennent directement du
processus morbide de ceux qui résultent seulement de la réaction de
l'esprit malade à certains processus internes et externes. Dans une
maladie comme l'ostéomalacie, les processus chimiques et physiologi-
ques, y compris la décalcification osseuse, constituent le processus
morbide ; la fragilité osseuse est une conséquence directe de l'altéra-
tion osseuse ; mais il ne se produit d'incurvation ou de fracture os-
seuses que sous l'effet de facteurs externes ; ces derniers phénomènes
ne sont pas des conséquences du processus morbide en soi, mais des
conséquences de la modification de comportement des os à l'égard d'in-
fluences accessoires. Une solution de continuité du moteur oculaire
externe est une maladie, la paralysie du mouvement des yeux vers
l'extérieur en est la conséquence directe et nécessaire (symptôme pri-
maire ou direct). La contracture du droit interne et la mauvaise locali-
sation des images visuelles sont des symptômes secondaires (indirects),
qui résultent de réactions physiologiques de l'organisme aux conditions
modifiées.
Les symptômes primaires sont des manifestations partielles nécessaires
d'une maladie ; les symptômes secondaires peuvent, potentiellement du
moins, faire défaut ou changer sans que le processus morbide se mo-
difie en même temps.
Presque toute la symptomatologie de la démence précoce qui a été décrite
jusqu'à maintenant est secondaire et, en un certain sens, contingente.
C'est pourquoi la maladie peut rester longtemps asymptomatique. Quels
symptômes surviendront, qu'un schizophrène, aujourd'hui précisément,
travaille tranquillement ou erre ou se dispute, qu'il soit propre ou qu'il
barbouille, tout ceci dépend généralement d'une foule d'événements
vécus actuels et passés, et non directement de la maladie. Un événe-
ment chargé d'affect quelconque déclenche un état d'agitation halluci-
natoire. Un transfert 1 peut amener les hallucinations à disparaître. Les
affects, qui ont paru complètement absents pendant des années, peuvent
soudain fonctionner normalement dans certaines circonstances. - Par
ailleurs, nul schizophrène ne peut avoir l'idée délirante qu'une demoi-
selle N. veut l'épouser s'il n'a entendu parler de cette demoiselle N.
ni, voudrais-je ajouter, si d'autres événements encore n'ont déterminé
ses souhaits ou ses craintes dans ce sens. Nul n'hallucinera que les
jésuites le persécutent s'il n'a entendu dire quelque chose sur l'impor-
tance des jésuites. Le contenu des idées délirantes et des hallucina-
tions est donc impensable sans certains événements vécus extérieurs ;
mais ces symptômes eux-mêmes sont impossibles sans contenu. Hal-
lucination et idée délirante ne peuvent donc résulter directement (en
faisant totalement abstraction du motif déclenchant) du processus mor-
bide, celui-ci ne fait que créer la prédisposition à développer ce symp-
tôme à partir des événements psychiques 2 .

1. Versetzung : il s'agit d'un transfert d ' u n e section dans une autre ou d'un asile dans un
autre (NDT).
2. Il est certes des gens qui s'imaginent qu'un stimulus cérébral quelconque pourrait exciter
les systèmes (ou, horribile dictu, les diverses cellules) dans lesquels la représentation des
jésuites ou d'une menace précise serait « stockée ». Ceci est à peu près aussi vraisemblable
que si l'on voulait faire entendre un poème par stimulation mécanique du nerf acoustique
(NDA).
A. Les symptômes p r i m a i r e s

Nous ne connaissons même pas encore avec certitude les symptômes


primaires de l'affection cérébrale schizophrénique. Néanmoins, nous
pouvons compter parmi eux, avec quelque vraisemblance, un certain
nombre de phénomènes relativement élémentaires, et surtout une partie
des troubles des associations. C'est comme si les corrélations et les
inhibitions auxquelles l'expérience a ouvert la voie avaient perdu une
partie de leur importance. Les associations empruntent beaucoup plus
aisément de nouvelles voies, et donc ne suivent plus le chemin tracé
par l'expérience, c'est-à-dire logique. Jung attire néanmoins l'attention
sur le fait que, même chez des sujets sains, des voies insolites analo-
gues sont empruntées en état de distraction ou au cours de la pensée
inconsciente. Mais dans aucun de ces cas cela ne va cependant aussi
loin que dans la schizophrénie (dans l'esprit normal, seul le rêve pré-
sente vraisemblablement une analogie suffisante). Dans les états aigus
de la schizophrénie, notamment, on trouve souvent un tel morcellement
du cours de la pensée que cela peut sans doute aboutir à des mouve-
ments, mais pas à une activité, ni à la moindre idée achevée. Là, même
des concepts tels que père et mère deviennent flous. Et nous voyons
même, le plus souvent, de telles confusions se produire sans motif
déclenchant psychique ; elles forment le sommet de la courbe d'une
phase schizophrénique d'évolution subaiguë. Elles sont parfois ac-
compagnées d'un complexe symptomatique que nous avons coutume de
considérer comme le signe d'une infection ou d'une auto-intoxication :
langue sèche et chargée, fuligineuse, troubles digestifs, diminution des
forces, du poids, tremblement grossier, fièvre de temps en temps, peut-
être aussi leucocytose de Bruce. Tout ceci rend probable que ces types
de confusion soient la traduction directe de l'intensification du proces-
sus morbide et, par conséquent, que les degrés moindres de la même
césure schizophrénique des associations, tels que nous les rencontrons
partout, représentent un symptôme primaire. Nous considérons donc le
trouble des associations comme primaire, pour autant qu'il s'agit d'une
diminution ou d'un nivellement des affinités'5 ; les barrages et les scis-
sions systématiques sont secondaires.
Les états d'obnubilation dans lesquels les malades se donnent du mal
pour rassembler leurs idées ou leurs mouvements dans un certain but

3. Des affinités associatives, bien sûr (NDT).


et ne parviennent cependant à rien donnent aussi l'impression d'être
primaires. Habituellement, nous avons ici aussi un tremblement gros-
sier, ainsi qu'une faiblesse et une certaine maladresse des mouvements.
Pour autant que j e sache, on ne peut éveiller ces malades : ils restent
ainsi jusqu'à ce que l'accès soit terminé, sans réagir aux influences
psychiques par une modification sensible de leur état. Il semble exister
ici une entrave générale aux processus centraux 4 , une espèce de tor-
peur. C'est pourquoi, souvent, on a aussi l'impression que les malades
souffrent d'hypertension cérébrale, et quand de tels patients sont auto-
psiés, il semble qu'on trouve habituellement (ou toujours ?) un œdème
cérébral 5 ou un œdème très tendu de la pie-mère. Je crois donc que,
dans certains états d'obnubilation, nous nous trouvons devant un
complexe symptomatique dont les composantes essentielles ne se
constituent pas par le biais de l'esprit. Mais nous ne savons pas encore
avec certitude si l'altération cérébrale qui est à la base de ce complexe
fait partie du processus schizophrénique lui-même ou d'une complica-
tion secondaire ; par exemple, l'œdème de la pie-mère pourrait être la
conséquence d'un trouble vasomoteur schizophrénique, comme on le
suppose pour d'autres œdèmes dans le cadre de cette maladie. Quoi
qu'il en soit, ces phénomènes ne se voient pas dans tous les cas.
Parmi les tableaux aigus, les accès mélancoliques et maniaques occu-
pent une position particulière. Nous savons que l'état somatique, la
digestion, des influences chimiques (alcool), peuvent provoquer des
fluctuations affectives dans le sens de la manie et de la dépression, et
il nous faut supposer que des altérations cérébrales entraînent la même
chose (paralysie générale). Dans la schizophrénie aussi, des flux affec-
tifs dont la détermination est, d'une façon quelconque, somatique peu-
vent sans doute se produire. Tandis que dans certains cas on a
l'impression qu'il s'agit d'une complication par une folie maniaco-dé-
pressive, la plupart des accès maniaques semblent faire partie du pro-
cessus pathologique schizophrénique lui-même. Dans le cas des états
mélancoliques, nous rencontrerons en outre souvent une genèse se-
condaire (c'est-à-dire psychique) : dépression à cause de la conscience
de la maladie ou d'états anxieux et autres choses de ce genre.
Jahrmârker cite parmi les phénomènes primaires, à juste titre sans
doute, la tendance aux hallucinations. Cependant, nous rencontrons des
erreurs sensorielles dans les processus cérébraux les plus divers, dans

4 . Naturellement pas dans le sens des inhibitions maniaco-dépressives (NDA).


5. Ou encore un autre type de gonflement cérébral (NDA).
des intoxications, et dans les rêves des sujets sains ; chez les natures
d'artistes, nous voyons que la différence entre représentation et per-
ception s'estompe souvent très fortement. Aussi ne faut-il pas exclure
que la tendance hallucinatoire soit quelque chose qui est présent dans
tout esprit, et que la schizophrénie, comme bien d'autres circonstances,
ne fasse que la rendre manifeste 6 . Nous pouvons formuler avec plus
de vraisemblance, avec Jahrmarker, l'hypothèse qu'une origine décou-
lant directement du processus morbide serait en cause dans le cas de
la tendance aux stéréotypies (voir théorie des stéréotypies).
Il est également possible qu'on puisse trouver derrière une partie des
autres symptômes catatoniques une tendance générale qu'il faudrait
considérer comme un symptôme primaire. Comme nous le verrons par
la suite, les symptômes catatoniques ne sont pourtant pas indépendants
d'influences contingentes. Mais les symptômes catatoniques chroniques
ont une signification pronostique si indubitablement fâcheuse qu'il est
trop tentant de les concevoir comme étant l'expression de quelque pro-
cessus cérébral grave.
Parmi les symptômes somatiques, il faut mentionner en premier lieu
les cas mortels avec manifestations de paralysie cérébrale, et les trou-
bles métaboliques pouvant conduire à la mort par cachexie.
Sans doute faut-il interpréter comme étant organiques, c'est-à-dire pri-
maires, les inégalités pupillaires (tandis que les anomalies symétriques
du diamètre pupillaire peuvent avoir un fondement psychique). Abs-
traction faite de la conception qu'on a habituellement de ce symptôme',
cette interprétation est aidée, de surcroît, par le fait que nous avons
trouvé les inégalités pupillaires dans des terminaisons plus défavora-
bles que les autres troubles pupillaires - sur un matériel encore trop
restreint, il est vrai (Zablocka). Elles étaient donc également l'expres-
sion d'une atteinte cérébrale plus importante.
Le tremblement - qui, dans les états aigus, ressemble parfois au trem-
blement grossier des sujets fébriles et, dans les états chroniques, est
présent indépendamment des états d'agitation ou des efforts - ne peut
lui aussi être interprété que comme étant organique, de même que les
fibrillations. Vraisemblablement faut-il également ranger ici l'augmen-
tation de l'excitabilité idiomusculaire, ainsi que certaines céphalées te-

6. Et chez les schizophrènes la différence entre réalité et représentation est de toute façon
diminuée - souvent jusqu'au degré zéro - par la scission de l'esprit (NI)A).
7. Il existe cependant dans la migraine une inégalité pupillaire dans le cas de laquelle point
n'est besoin d'envisager un fondement organique (NI)A).
naces et le vertige qui accompagnent souvent la maladie et, plus sou-
vent encore, la précèdent.
Les anomalies du système vasomoteur pourraient avoir un déclenche-
ment secondaire. Mais elles n'ont souvent aucun rapport avec les trou-
bles de l'affectivité, ou encore elles se cantonnent à certaines parties
du corps seulement, si bien qu'on a l'impression qu'une partie d'entre
elles seraient un symptôme direct d'un trouble siégeant dans le système
nerveux central.
Il faut concevoir les œdèmes de la même façon. Une partie d'entre eux
semblent être directement conditionnés par le processus morbide.
Certains accès catatoniques paraissent avoir aussi une détermination or-
ganique, en particulier s'ils sont suivis d'une parésie de certains groupes
musculaires. Une origine psychogène semble exclue dans bon nombre
d'entre eux, si l'on fait totalement abstraction du fait que les accès sont
souvent impossibles à distinguer des attaques d'épilepsie et d'apoplexie.
Avec ces hypothèses probables, sans doute a-t-on dit tout ce que nous
savons des symptômes primaires de la schizophrénie.

B. Les symptômes secondaires

I . Les divers symptômes

Sont avant tout secondaires, en tant que conséquence directe du relâ-


chement des associations : l'utilisation, pour penser, de simples frag-
ments conceptuels, avec ses résultats inexacts, les déplacements, les
symbolisations, les condensations, la dissociation de la pensée.
Par ailleurs, tant la survenue des barrages que leur résolution dépen-
dent d'influences psychiques ; ils ne peuvent donc faire partie de l'état
morbide permanent 8 .
Ce qui est systématique dans la scission des associations ne peut être
directement en rapport avec le processus morbide que dans la mesure

8. Le fait qu'un symptôme dépende de l'état psychique n'est pas une preuve de sa genèse
secondaire dans tous les cas : au cours des états d'agitation, les hypnotiques ont une action
médiocre ou nulle ; une narcose est influencée par l'état psychique. Qui est ivre peut devenir
subitement lucide, après s'être rendu compte du désastre qu'il a causé (NI)A).
où les fonctions complexes et moins utilisées dépérissent plus volon-
tiers que les autres. Bien qu'un tel comportement puisse être mis en
évidence dans certains cas aigus, et parfois 9 , en observant très minu-
tieusement, dans des états chroniques, c'est pourtant une tout autre
scission qui saute bien plus souvent aux yeux : des choses tant simples
que complexes sont décomposées sans aucune règle apparente ; le cas
échéant, les associations les plus évidentes sont réprimées, alors qu'à
côté de cela des fonctions telles que la compréhension de problèmes
scientifiques se déroulent impeccablement. Ce type de scission a ses
lois, purement psychiques : sont perturbées les fonctions qui entrent en
conflit avec certains besoins affectifs du patient.

La tendance à l'interruption des associations et au rattachement d'as-


sociations insolites est donc sans doute primaire : mais le choix des
associations qui sont concrètement perturbées est généralement déter-
miné secondairement par les complexes chargés d'affect 10 .

Provisoirement, j e range aussi le trouble des affects parmi les symp-


tômes secondaires, mais j e sais être ainsi en contradiction avec la
conception qu'on a habituellement de l'abêtissement schizophrénique.
Mes motifs sont les suivants : On ne peut pas prouver d'annihilation
réelle de l'affectivité, même dans les cas les plus graves ; la fonction
qui fait défaut peut redevenir manifeste à l'occasion d'un examen ap-
profondi du patient, d'une mise en résonance de ses complexes, d'une
atrophie cérébrale compliquant la schizophrénie.

Dans les cas de moyenne gravité, l'affectivité est perturbée d'une façon
qui ne saurait correspondre à un affaiblissement général de la fonction :
certains affects sont présents, les autres non, et le choix en est tel que
la présence des uns ne peut s'expliquer qu'à partir de causes psychi-
ques. Tant les divers affects que l'état global de l'affectivité se modi-
fient aussi au fil du temps, en fonction de la constellation psychique
et des stimulations.

9. Zweiten, dans l'édition dont j e dispose, sans doute coquille typographique pour zuweilen
(NDT).
10. Dans la faiblesse mnésique sénile, nous voyons d'une façon analogue la remémoration
échouer d'abord et le plus souvent là où elle est chargée de sentiments désagréables. De
même, tel paralytique général peut encore fort bien s'orienter, à part le seul fait qu'd consi-
dère le fatal asile de fous comme un hôtel, malgré toutes les preuves contraires. - Un léger
état irritatif du larynx n'entraîne pas forcément une toux. Celle-ci n'est déclenchée que par
l'inspiration d'un air impur ou par une situation psychique désagréable (NDA).
Dans les cas légers, nous voyons souvent un hyperfonctionnement de
l'affectivité, et non seulement une susceptibilité, mais aussi une émo-
tivité globale.
Une étude plus précise de l'affectivité en général, chez les êtres hu-
mains et chez les animaux, chez les gens sains et chez les malades,
semble exclure à coup sûr une annihilation isolée d'une fonction aussi
primaire.
Il est absolument évident que les troubles de la mémoire et de l'orien-
tation que l'on connaît et qui, pour autant que cela se produit, se
manifestent exclusivement dans le sens de certains complexes, sont
secondaires. Il en va de même pour les automatismes (y compris les
idées compulsives), qui ne peuvent survenir que sur la base d'une cer-
taine autonomie.
Il n'est pas davantage nécessaire de prouver que les troubles des fonctions
complexes de l'intelligence (stupidité et idées délirantes), de la synthèse de
la personnalité, du rapport à la réalité (autisme) et de iaspiration à un
but (imprévisibilité, aboulie) ne sont compréhensibles qu'en relation avec
les symptômes secondaires déjà cités, et sont donc eux-mêmes, pour leur
plus grande part, des phénomènes secondaires. Le négativisme est sûre-
ment, lui aussi, un phénomène secondaire fort complexe.
Comme on l'a exposé plus haut, il y a encore un certain nombre de
symptômes dont la genèse nécessite certains mécanismes secondaires,
mais dans le cas desquels nous sommes en outre forcés, pour le mo-
ment, de présumer une autre cause, qu'on ne saurait qualifier que de
tendance primaire : en font partie les hallucinations, les stéréotypies,
la catalepsie.

I I . La genèse des symptômes secondaires

Vue d'ensemble. Le relâchement des associations entraîne d'une part


un recours à des modes de pensée s'écartant de l'expérience, donc
inexacts, et d'autre part une nécessité d'opérer en utilisant des frag-
ments d'idées. Cette dernière anomalie entraîne les déplacements,
condensations, confusions, les généralisations, les associations par loin-
taine analogie de consonance, la dissociation et les enchaînements lo-
giques inexacts.
La défaillance des fonctions logiques donne aux affects une relative
prépondérance. Des associations dont la charge affective est désagréa-
ble sont réprimées (barrages) ; ce qui contredit l'affect est éliminé par
clivage. Il en résulte derechef des erreurs de logique qui ont pour
conséquences, entre autres, les idées délirantes, et surtout ceci en-
traîne un émiettement de l'esprit suivant les complexes chargés d'af-
fect. La réalité désagréable au patient est clivée de la conscience, dans
l'autisme, ou transformée, dans les diverses formes de délire. Le dé-
tachement du monde extérieur peut prendre la forme du négativisme.
La scission des associations aboutit aussi à l'ambivalence pathologique,
les sentiments ou les pensées désagréables se déroulant parallèlement
sans s'influencer mutuellement.

Souhaits et craintes forment le contenu des idées délirantes, mais ils


sont souvent rendus caricaturaux par les troubles des associations 11 ,
au point d'en être méconnaissables. Cette même activité (consciente
ou inconsciente) des complexes clivés conditionne également les er-
reurs mnésiques 12 et le contenu des hallucinations, des manières et de
la plupart des stéréotypies, ou de toutes.
Le barrage affectif provient surtout de ce que les affects sont réprimés
(généralement dès le stade naissant) mais inhibent pourtant d'autres
affects. Mais l'indifférence est encore majorée par d'autres conditions,
telles notamment que l'autisme et le clivage.

a) Déroulement de la pensée. Scission

Nous ne pouvons certes pas encore faire découler avec une impérieuse
nécessité la grande majorité des symptômes secondaires du trouble des
associations conçu comme étant primaire, mais nous pouvons pourtant
les rassembler provisoirement selon des points de vue homogènes.
Dans la schizophrénie, les voies associatives acquises ont perdu de leur
solidité : des associations que l'on fait habituellement de façon régulière
n 'ont pas lieu ; à leur place est associé un matériel qui, normalement,
n'est pas en rapport avec l'idée de départ. Des relations aussi rigou-
reuses que celles qui existent entre les diverses parties d'un concept
peuvent rester inutilisées ; à leur place, des voies tout à fait nouvelles
peuvent être (mais pas forcément) employées : dans un contexte donné,
le père pense être lui-même la mère de ses enfants, ignorant des at-

1], Et peut-être aussi par des besoins affectifs dans le sens de la censure du rêve de Freud
(NDA).
12. Voir glossaire.
tributs nécessaires de sa personne et les remplaçant par des attributs
de sa femme. Les différences existant dans l'affinité associative ne sont
cependant jamais totalement suspendues. Même dans les cas les plus
graves, la majorité des associations suivent leurs voies usuelles ; car,
toujours, d'innombrables concepts et fragments d'idées à peu près
exacts se forment encore. Nous ne savons qu'en partie sous quelles
influences et selon quelles règles naissent ces anomalies : bien des
associations schizophréniques nous paraissent « fortuites ». Nous
voyons cependant que des effets systématiques des affects rompent de
nombreux fils associatifs et en nouent d'autres. Au lieu des concepts
et des idées, ce ne sont souvent que certains de leurs fragments, ou
encore des conglomérats de tels débris, incorrectement assemblés, qui
guident le cours de la pensée. C'est pourquoi celui-ci doit nécessaire-
ment dérailler dans de nombreuses directions.

Ainsi les associations extrêmes par assonances, qui ne se fondent que


sur l'identité d'un seul son (Schuh - Schönheit) deviennent-elles
compréhensibles . Des mots comportant plusieurs sons identiques sont
1 3

plus aisément et plus fréquemment employés l'un pour l'autre 14 .

De la même façon, des concepts qui ont seulement une petite partie
en commun peuvent être confondus l'un avec l'autre : Une patiente
trouve que, quand elle humecte du fil à coudre avec sa bouche, c'est
comme si elle envoyait des baisers.

Des « déplacements », consistant en ce que, tout à coup, une idée, un


concept est utilisé pour un autre dans un cours de pensée, sont une
conséquence analogue de l'incomplétude des complexes associatifs. Le
défaut de logique empêche la rectification de l'erreur. L'utilisation de
symboles, fréquente, représente un cas particulier de cette anomalie.

Plusieurs concepts ayant des composantes communes peuvent être, de


cette manière, condensés en un seul, ce qu'ils ont de commun étant

13. Chez les enfants, Lobsten a démontré que des allitérations telles que « Federkasten -
Flasche » (« plumier - bouteille ») donnaient souvent lieu à des associations solides. Néan-
moins, que de telles associations absurdes surgissent au cours d'un test qui ne fournit aucun
autre contexte ou au cours de la pensée habituelle fait une grosse différence. - Les allité-
rations de la poésie en vieil allemand doivent avoir eu une puissance analogue à celle de
la rime moderne (NDA).
14. Ceci est plus fréquent encore chez les enfants et au cours du rêve que dans la schizo-
phrénie. Un enfant peut confondre les mots « Italiener » (« italien ») et « Laterne » (« lan-
terne »). Une fois, j'ai rêvé l'idée : « Mach nur nicht zu viel » (« N'en fais surtout pas trop »),
idée qui fut exprimée par les mots « /Warandon de Montyel » (naturellement il a fallu d'autres
facteurs conjoncturels encore pour déterminer le choix de ce nom précis) (NDA).
seul pris en compte 15 , par exemple différentes amoureuses, différents
lieux de séjour du malade.
Nécessairement, de toute façon, des concepts et des idées qui ne sont
que partiellement pensés deviennent facilement flous. C'est sans doute
l'une des causes de la tendance schizophrénique aux généralisations et
à l'extension d'un symptôme. D'autres causes en sont probablement
l'absence des inhibitions qu'une fonction psychique devrait exercer sur
d'autres mécanismes psychiques, inadéquats, ainsi que la facilitation
de l'usage de voies inaccoutumées.

Si la représentation du but n'est pas constamment associée à l'exercice


de la pensée, une dissociation revêtant tous les aspects se produit : le
malade se perd dans des associations accessoires, il est distrait par ce
qui se passe à l'extérieur là où ce n'est habituellement pas le cas, et
à l'inverse il ne prête pas attention à des événements extérieurs qui,
étant donné les circonstances, devraient être pris en compte.

Si les associations ne dépendent plus des voies habituelles, des en-


chaînements qui se présentent par hasard peuvent acquérir une valeur
logique. Ce que le malade est en train de vivre peut être corrélé sous
n'importe quelle forme logique fournie par les circonstances (il a cassé
une vitre « parce que » le médecin porte des lunettes 16 ).

D'autres troubles des associations ont encore bien d'autres causes, ou-
tre l'absence d\me représentation du but. Les associations débridées1',
par exemple, sont aussi favorisées, entre autres, par le « sentiment
d'incomplétude 18 », qui survient aisément quand la pensée est in-
complète. — La dénomination et Vassujettissement de la pensée19 peuvent
s'expliquer, le cas échéant, par le fait que les pensées ne progressent
pas, ce qui, de son côté, peut naturellement avoir des causes diverses,

15. Ce phénomène est, lui aussi, quelque chose d'habituel au cours du rêve (NDA).
16. Ces symptômes ne sont naturellement nullement pathologiques en soi. L'enfant doit
d'abord apprendre lesquelles des relations qui lui sont présentées sont « fortuites » dans leur
simultanéité et dans leur succession. Un enfant de deux ans renverse de l'eau alors que j e
lui pose une question sur quelque chose de tout à fait différent, et répond alors de façon
totalement inadéquate : « à cause de l'eau ». La mythologie aussi, avec ses personnifications,
ses condensations et ses disparitions (*) représente une mine d'analogies avec le cours de
pensée schizophrénique. Le lapin de Pâques pond des œufs, parce que tant les lapins que
les œufs sont sacrés en tant que symboles de la fécondité et des Pâques. La Trinité a été
constituée parce que l'on eut besoin d'honorer chacune des trois personnes qui y sont re-
présentées après que l'idée du Dieu unique s'était déjà imposée (NDA). [(*) Die Auflösung:
le fait de s'évanouir comme par enchantement (NDT).]
17. Ausassoziieren.
18. En français dans le texte.
19. Die Gebundenheit.
par exemple l'inaffectivité ou l'obnubilation 20 . Les associations indi-
rectes peuvent aussi se produire de diverses manières. Ce qui est sans
doute important, ici aussi, outre l'absence de représentation analogique
du but du sujet sain, c'est le trouble de l'attention.

Ce sont naturellement les opérations logiques qui pâtissent le plus. Bien


des concepts et des idées qui devraient être pris en compte ne viennent
absolument pas à l'esprit, d'autres ne sont pas complètement élaborés :
si, dans « père », seul le concept partiel « géniteur » est pensé, il peut
être confondu avec le concept de mère. Aussi certaines opérations lo-
giques aboutissent-elles à un résultat erroné.

Les anomalies citées jusqu'à présent sont des conséquences si directes


des troubles primaires des associations que l'on aurait encore presque
aussi bien pu les ranger parmi ceux-ci. Mais, en outre, des consé-
quences indirectes résultent de la perturbation du rapport entre-asso-
ciation et affectivité. Ces conséquences n'apparaissent, certes, qu'en
certaines occasions, mais généralement elles dominent cependant le
tableau. Besoins logiques et affectifs sont souvent en contradiction.
C'est pourquoi l'effet des affects s'impose plus fortement dans toute ma-
ladie qui affaiblit la logique.

Tandis que les processus intellectuels de la pensée empruntent les


voies tracées par l'expérience 2 1 , les affects dirigent les associations
dans le sens des aspirations qui leur correspondent (obtention du plai-
sir, défense contre le déplaisir) ; ils favorisent les associations qui vont
dans le même sens et rendent plus difficile la réalisation de celles qui
n'y correspondent pas ; ils donnent en outre aux idées d'autres va-
lences, si bien que, par exemple, le danger d'une entreprise souhaitée
est sous-évalué tandis que celui d'une entreprise non souhaitée est
majoré ; c'est comme si, dans une opération numérique, on déplaçait
la virgule décimale de certains nombres. Chez le sujet normal, l'affec-
tivité ne détermine, pour l'essentiel, que la direction de l'activité ; ce
n'est qu'en cas de très forte excitation, ou bien là où il est permis à

2 0 . Quand, plongé dans mes pensées, j e passe devant le panonceau d'une entreprise, il peut
arriver que j e le lise tout à fait inconsciemment, pas à haute voix, certes, mais tout de même
avec des mouvements de lèvres (NDA).
2 1 . Comme les formes de notre logique ne font que répéter des associations dictées par
l'expérience ou former des analogies avec ces associations, il va de soi qu'en cas de per-
turbation cérébrale générale les associations logiques acquises sont altérées par les associa-
tions affectives innées. S'il existe une prédisposition constitutionnelle schizophrénique de
l'esprit, le fait que des individus dont la capacité à évoquer la réalité et ses rapports est
faiblement développée doivent être prédisposés à l'autisme devrait entrer en ligne de compte
i c i (NDA).
la subjectivité d'intervenir (jugement de goût), que des opérations lo-
giques sont altérées, tout à fait normalement, dans le sens des souhaits
et des craintes. Mais si la logique est pathologiquement affaiblie, l'effet
des affects empiète même sur des associations de détail claires et for-
tement motivées. On tient ce qu'on souhaite et ce qu'on craint pour
une réalité (voir théorie des idées délirantes).

Dans la schizophrénie, l'effet le plus frappant de l'affectivité est le


barrage. En soi, ce n'est pas un symptôme pathologique. Nous le ren-
controns chez le sujet sain, quand celui-ci est submergé par un élan
affectif, au cours de la peur, de l'angoisse et même, parfois, d'une
joyeuse surprise. Des enfants, des imbéciles, des hystériques, qui, cha-
cun pour un motif différent, se laissent aisément déborder par des af-
fects, présentent facilement des barrages, eux aussi 22 . Là où nous
pouvons observer le début du barrage, chez nos schizophrènes, à tout
coup un complexe a été abordé ou un sentiment désagréable a été
provoqué. La conclusion évidente en est que les barrages généralisés
et permanents des états catatoniques sont une exagération de ce même
phénomène. Nous ne pouvons donc en aucune manière distinguer ces
barrages de ceux qui passent rapidement. Parfois aussi, ils se déve-
loppent sous nos yeux à partir de ces barrages transitoires. La tendance
schizophrénique à la généralisation contribue à coup sûr à la genèse
de ces barrages généralisés, ainsi peut-être que la tendance à la pé-
rennisation de phénomènes quelconques (« stéréotypage ») : Il est fort
habituel que nous voyons les barrages, qui se rapportent d'abord à
certaines pensées, se généraliser rapidement, si bien que l'on ne peut
alors plus rien entreprendre avec le patient. - Kraepelin accorde du
poids au fait que des contre-impulsions peuvent également aboutir à
des barrages, plus dans le domaine de la volonté que dans celui de la
pensée, naturellement. C'est évidemment exact. Mais une contre-im-
pulsion est si fréquemment liée au refus d'une impulsion que ce que
nous y gagnons, c'est plus la mise en relief d'une autre facette du
même processus que quelque chose de nouveau.

On a parfois aussi l'impression que l'indifférence a sa part dans la survenue


de ce symptôme, en entraînant l'arrêt du cours de la pensée dès le premier
obstacle. Dans les catatonies graves avec états à type d'obnubilation, en outre,
d'autres résistances encore semblent inhiber le cours de la pensée d'une ma-

2 2 . L a stupeur émotionnelle, q u i s u r v i e n t q u a n d on ne se sent p a s à la h a u t e u r d ' u n e e x i g e n c e


( R i s c h ) , et s a n s d o u t e a u s s i la c a t a p l e x i e d e s a n i m a u x - d e s a n i m a u x s u p é r i e u r s , tout au
m o i n s - sont q u e l q u e c h o s e d ' a n a l o g u e (NDA).
nière générale ; évidemment, l'effet des affects, c'est-à-dire le barrage, inter-
vient alors avec une facilité double, ou bien les entraves à la pensée se
somment. A l'inverse, le malade peut se comporter transitoirement de façon
normale, sous l'effet d'un effort de volonté, si les processus psychiques sont
en permanence inhibés d'une façon quelconque (intoxication ? hypertension
cérébrale ?). Nous ne serions pas ici devant un barrage général se résolvant
subitement, mais devant son contraire : obstacle surmonté par un affect.
Comme tout ce qui contrarie l'affect est plus fortement réprimé qu'il
n'est normal, et comme ce qui lui correspond est favorisé de façon tout
aussi anormale, on aboutit en fin de compte à ce que ce qui contredit
une idée chargée d'affect ne puisse même plus être pensé : le schizo-
phrène ambitieux ne rêve plus que de ses souhaits ; les obstacles à
leur réalisation n'existent pas pour lui. Ainsi, des complexes d'idées
liées plus par un affect commun que par un enchaînement logique non
seulement se forment, mais même se consolident. Du fait qu'elles ne
sont plus utilisées, les voies associatives conduisant d'un tel complexe
à d'autres idées deviennent moins accessibles, comparativement aux
associations adéquates au complexe, c'est-à-dire que le complexe char-
gé d'affect se démarque de plus en plus et acquiert de plus en plus
d'autonomie (scission de fonctions psychiques).

Mais tous les processus psychiques (normaux et pathologiques), tant af-


fectifs que logiques, présentent aussi, outre la tendance positive à ouvrir
la voie au matériel affilié2'5, cette tendance négative qu'est l'inhibition de
tous les mécanismes psychiques non affiliés. Le résultat le plus connu
de cette tendance est « l'étroitesse de la conscience », c'est-à-dire l'inca-
pacité du sujet sain à penser différentes choses à la fois. Or si les asso-
ciations sont interrompues, de façon primaire par le trouble originaire des
associations et de façon secondaire par les limites du complexe, ce n'est
plus seulement l'influence associative mais aussi l'influence inhibitrice
des diverses idées les unes sur les autres qui est diminuée, voire complè-
tement réprimée. Ainsi pouvons-nous comprendre que plusieurs complexes
puissent fonctionner simultanément dans le même psychisme et que des idées
inconciliables puissent se dérouler côte à côte. (Pendant qu'il pense à quel-
que chose de précis, le patient peut entendre des Voix, avoir des idées
compulsives, commettre des actes qui font partie d'un tout autre complexe
d'idées : il voit en celui qui l'examine à la fois le médecin de l'asile, N.,
et son ennemi X., Y. 24 ).

23. Affilié aux affects, ou éventuellement aux complexes affectifs en jeu, bien sûr (NDT).
24. Dans une conception dynamique des processus psychiques, en ce sens qu'une certaine
quantité « d'énergie psychique » est disponible et emprunte les voies qui lui opposent le
Même dans la schizophrénie, naturellement, il n'y a habituellement
qu'un seul complexe dans la conscience à un moment donné. Néan-
moins, le cours de pensée autistique et le cours de pensée réaliste
peuvent se dérouler simultanément 25 , et nous voyons fort communé-
ment, dans le cours conscient de la pensée, des mélanges intimes
d'idées qui appartiennent à des complexes différents. Nous remarquons
que les complexes fonctionnent dans l'inconscient dans les faits d'ex-
périence qui suivent : ils apparaissent soudain élaborés plus avant, des
systèmes délirants achevés surgissant par exemple subitement dans la
conscience ; à tout instant, ils peuvent être prêts à s'assimiler des ex-
périences (délire de relation) ; ils s'expriment directement au travers
d'hallucinations, de la mimique, d'actes inconscients ou compulsifs et
de stéréotypies. Qu'un complexe soit conscient ou non à un moment
donné est donc vraiment accessoire.
La théorie n'a pas besoin de prendre en compte la présence ou l'absence de
la qualité de conscience des divers complexes. Nous avons des raisons de
supposer qu'une fonction psychique consciente se distingue purement et sim-
plement d'une fonction inconsciente par le fait qu'elle est corrélée sur le
plan associatif avec la personnalité consciente. Si l'on ne prend en compte
le fait qu'il existe des processus inconscients qui, abstraction faite de l'ab-
sence de la qualité de conscience, sont identiques aux processus psychiques
conscients, on peut tout aussi peu comprendre les symptômes schizophréni-
ques que d'autres phénomènes psychiques complexes (73, a).
Si, comme il est probable, il existe aussi dans l'esprit normal des in-
hibitions, en ce sens qu'un matériau associatif disparate ne peut être
mis en œuvre que difficilement, et que le passage à un autre thème
nécessite une énergie toute particulière (affects, distraction d'origine
extérieure), dans la schizophrénie ce type d'inhibitions doit naturelle-
ment être supprimé lui aussi. En tout cas, nous voyons dans les associa-
tions schizophréniques, outre la suppression d'associations normales,
des liaisons en mauvaise place. C'est aussi l'une des raisons pour les-
quelles les pensées empruntent si aisément des voies accessoires, et des
associations tout à fait étrangères peuvent surgir dans un cours d'idées26.
Les divers types d'amalgame d'idées différentes - amalgame qui va par-

moins de résistance pour le moment, dans le contexte donné, l'idée la plus courante, celle
de l'inhibition, devient caduque. En ce cas, notre « explication » devrait se borner à établir
ces deux faits d'observation que la force psychique emprunte des voies inaccoutumées chez
le schizophrène et qu'elle peut se scinder en plusieurs parties dont chacune suit son propre
chemin (NDA).
25. Voir la scission de l'attention (NDA).
26. En outre, l'insuffisance d'élaboration de l'idée directrice et le défaut d'une visée homo-
gène ont, naturellement, part à la production de ce symptôme (NDA).
fois si loin que, souvent, même les complexes chargés d'affect confluent
ou se mêlent les uns aux autres, par bribes, bien qu'ils aient une plus
grande autonomie que chez le sujet sain — deviennent tout à fait compré-
hensibles du fait de ce défaut d'inhibition. Ce qui a été dit plus haut
sur les associations schizophréniques rend évident que l'association
d'idées d'un complexe aux autres complexes n'a pas besoin de se pro-
duire selon des règles logiques. D'où le caractère absurde de tels amal-
games 27 .
La séparation des complexes ne pourrait naturellement pas être abso-
lue, même sans la disparition de ces inhibitions. Tous sont en effet
plus ou moins liés au Moi et peuvent ainsi s'influencer réciproquement,
au moins par le biais de la personnalité.

Et cependant c'est justement par rapport à la personnalité que leur


isolement se manifeste de la façon la plus frappante. Au lieu qu'ils
confluent, formant, comme résultante, une visée cohérente, le Moi schi-
zophrénique est connecté tantôt à l'un et tantôt à un autre des divers
complexes d'idées. Le patient peut avoir une conversation intéressante
avec le médecin pour, l'instant qui suit, pester de façon totalement
illogique contre la persécution que celui-ci lui fait subir ; il peut se
faire du souci pour ses proches et, sitôt après, se répandre en propos
haineux contre eux ou manifester la plus grande indifférence à leur
destin ; à un moment, il peut aspirer aux buts les plus élevés et, à
l'autre, sacrifier son existence à quelque lubie ridicule.

Ainsi les patients apparaissent-ils scindés en diverses personnalités


selon leurs complexes 28 . Néanmoins, le Moi lui-même n'est complète-
ment détruit que dans les cas les plus graves. Habituellement, le pa-
tient sait encore qui il est, il connaît son passé, s'oriente dans le temps
et dans l'espace — tout ceci autant qu'un complexe actuellement en
circuit n'exige pas autre chose. Toutes ces composantes non négligea-
bles de la personnalité ont un certain lien avec les différents
complexes ; si l'on considère ces composantes intellectuelles comme
une part essentielle de la personnalité, on ne peut généralement pas
dire que celle-ci soit scindée ; elle est plutôt comme une balle que se
renverraient les complexes. Mais si l'on considère l'aspiration à un but

2 7 . Ce dernier point représente une différence importante par rapport à l'hystérie. Dans
cette dernière, nous avons aussi une influence exagérée des affects sur les associations.
Mais comme la désintégration primaire de celles-ci y fait défaut, les complexes y sont beau-
coup plus nettement séparés l'un de l'autre et de la réalité (NDA).
2 8 . Wernicke ( 8 9 4 , p. 113) : « Le patient est dans une certaine mesure composé simultané-
ment d'un certain nombre de personnalités différentes. » (NDA).
comme l'élément déterminant du Moi, il est néanmoins vrai que le
schizophrène a autant de personnalités que de complexes, et des per-
sonnalités qui sont plus ou moins indépendantes les unes des autres.
Mais la composante intellectuelle relativement stable de la personnalité
est altérée elle aussi en fonction de la scission. Tant que le patient
vitupère contre le médecin, celui-ci est pour lui son ennemi le cor-
donnier N., alors qu'habituellement il est fort bien orienté sous ce rap-
port. — Si le malade se prend pour l'Empereur, une part essentielle du
passé du patient peut être mise hors circuit et remplacée par des idées
délirantes pendant la connexion du complexe de grandeur au Moi. — Le
cas échéant, des idées réelles et des idées délirantes peuvent se combi-
ner en une explication délirante.
Mais l'orientation correcte fonctionne généralement sans perturbations
même pendant l'aperception délirante, sinon qu'elle est plus ou moins
scindée du Moi. Dès que le malade a fini de pester contre le médecin
qu'il prend pour le cordonnier, il sait fort bien ce que celui-ci a fait,
en tant que médecin, pendant qu'il vitupérait. Pendant des états cré-
pusculaires de longue durée, on peut pourtant, généralement, mettre
encore en évidence une orientation correcte à côté de la méconnais-
sance systématique de l'ensemble de l'environnement, et les malades
peuvent notamment fournir après coup des renseignements étonnam-
ment corrects sur ce qui est réellement arrivé, sans qu'ils puissent se
l'expliquer, tandis que des épileptiques ou des alcooliques ayant pré-
senté un delirium, dont l'ensemble de la personnalité participe à l'illu-
sion, ne peuvent s'expliquer ce qui s'est passé que par une réflexion
consciente, ou doivent être arrachés à leur étal pathologique par un
stimulus et ne peuvent, après leur delirium, reconstituer qu'avec peine
les événements réels, pour autant qu'ils y parviennent.

La scission est la condition préalable de la plupart des manifestations


complexes de la maladie ; elle imprime son sceau particulier à l'ensemble
de la symptomatologie. Mais, derrière cette scission systématique qui ap-
paraît dans certains complexes d'idées, nous avons au préalable un re-
lâchement primaire du tissu associatif qui peut conduire à un clivage
de structures aussi solides que celles des concepts concrets. J'ai voulu,
au moyen du terme de schizophrénie, rendre compte de ces deux types
de scission, dont les effets fusionnent souvent.
La scission schizophrénique n'est, elle aussi, qu'une exagération de processus
physiologiques. Le sujet sain- peut, lui aussi, héberger côte à côte des
complexes différents, plus ou moins indépendants, et même continuer à les
développer dans son inconscient ou en rêve. Sa personnalité devient diffé-
rente sur le plan du contenu également, quand l'affect se modifie. Au cours
d'une conversation, un ami fait une réflexion qui nous est fort désagréable ;
bien rares sont les gens capables de se contenter d'ajouter cette nouvelle
expérience à l'image qu'ils se sont fait de leur ami jusqu'à présent ; ils sont
irrités, ne pensent plus qu'à ses mauvais côtés, et oublient totalement ou
partiellement les bons, ils se laissent entraîner à des actes qu'habituellement
ils ne commettraient pas ; le sujet irrité est devenu « un autre ».
En partant de là, toutes les transitions existent, en passant par les manifes-
tations hystériques, jusqu'à l'autisme, aux états crépusculaires et aux syn-
dromes paranoïdes de la schizophrénie, mais il n'y a nulle part de différence
psychologique fondamentale. Nous devons nous représenter que, lors de telles
fluctuations chez le sujet normal, ce sont disons mille associations - pour ne
pas citer de chiffres d'un ordre de grandeur incommode, qui seraient néan-
moins plus justes - qui sont inhibées ou orientées vers des voies anormales,
tandis que chez le schizophrène irrité ce sont cent mille d'entre elles et, chez
le sujet en état crépusculaire, un million.
Ce que Gross entend par « désagrégation de la conscience » est la même chose
que notre « scission ». Mais la conscience ne peut pas se désagréger, seul son
contenu le peut ; en outre, nous trouvons la scission dans l'inconscient tout aussi
bien que dans la conscience, et le terme « désagrégation » ne peut englober le
lien particulièrement fort de certains complexes associatifs. C'est pourquoi nous
préférons le terme scission. - Le mot « dissociation » a aussi été utilisé depuis
longtemps pour des observations analogues. - Mais il désigne aussi autre chose,
comme la réduction du contenu de la conscience chez les paralytiques généraux,
et il pourrait de ce fait donner lieu à des méprises. - Notre concept de scission
se recoupe en grande partie avec celui de « séjonction » chez Wernicke. Nous
ne pouvons cependant admettre ce terme, parce que le concept de séjonction
est envisagé comme étant anatomo-physiologique, outre qu'il est un peu plus
large. La séjonction conduit par exemple à des stases du chyme psychique, qui
cherche alors d'autres voies, aboutit à des parties inadéquates du cerveau et y
produit des idées délirantes et des hallucinations. Nous aimerions savoir tout
ceci exclu du concept de scission.
Foersterling considère la « scission de la conscience de soi » comme une
intensification des troubles psychomoteurs. Je ne parviens pas bien à me faire
à cette idée.

b) L'affectivité

Tout ce que nous observons dans l'abêtissement affectif peut être rap-
porté à l'exagération de processus qui sont normaux dans notre esprit.
Cependant, nous ne pensons naturellement pas avoir déjà découvert,
dans l'enchevêtrement des fonctions psychiques, tous les facteurs qui
co-déterminent le trouble affectif schizophrénique.
Tout un chacun a déjà observé, naturellement, que les affects ne font pas
complètement défaut, habituellement du moins. C'est pourquoi on pensait
éventuellement à un affaiblissement général plutôt qu'à une annihilation de
cette fonction. Cette conception est contredite par l'observation. Bien que,
cela va de soi, les fonctions supérieures pâtissent un peu plus que les fonc-
tions plus simples, ce qui se passe n'obéit cependant pas à une règle telle
que ce seraient toujours les affects complexes qui disparaîtraient avant les
plus primitifs, ou éventuellement avant les plus anciens sur le plan phylogé-
nétique. On doit également exclure une diminution générale de l'affectivité,
du fait que les affects conservés s'expriment souvent avec une grande éner-
gie ; il suffit de penser à la colère, mais aussi à la gaîté qui se manifeste à
l'occasion, et à la force que développe parfois l'activité pulsionnelle. En ou-
tre, les effets des affects sur les associations sont vraiment plus forts que
chez les sujets sains (voir Jung).

Stransky (748) formule l'hypothèse d'une dissociation partielle, d'une


« ataxie » entre thymo-psychisme et noo-psychisme, dont résulterait une « in-
certitude dans les rapports thymo-noopsychiques », c'est-à-dire l'athymie et
la parathymie. C'est là une description très aisée à comprendre de ce qui se
passe effectivement, mais ce n'est pas une explication 29 .

La tentative de rapporter exclusivement le trouble de l'affectivité au trouble de


la pensée était également voué à l'échec. Forster pensait que les affects su-
périeurs disparaissaient parce que les idées supérieures n'étaient pas élabo-
rées 3 0 . Une telle explication est suffisante dans le cas de la perturbation de
l'affectivité dans les psychoses organiques. Elle ne peut pas rendre compte
correctement de la nature de l'affectivité schizophrénique, car nous voyons
souvent une affectivité relativement bien conservée alors qu'existe un grave
trouble de la pensée, par exemple dans les accès aigus que d'autres écoles
interprètent comme des manies et des mélancolies - et nous voyons à l'inverse
un déficit complet des sentiments chez des gens qui pensent si bien qu'ils
sont capables de persuader non seulement n'importe quel juge, mais même
certains psychiatres de leur bonne santé.

Naturellement, des troubles affectifs provoqués secondairement par la


perturbation de la pensée doivent coexister avec les troubles primaires.
Si les concepts et les idées ne sont pensés que par bribes 31 , si l'activité

29. Outre le fait qu'il entraîne à le considérer comme une explication et à s'en satisfaire,
ce terme a le désavantage de trop présenter comme des fonctions autonomes l'intelligence
et l'affectivité, ces deux facettes d'un processus psychique unique (NDA).
30. Pfersdorff (561) a exprimé une opinion analogue pour une classe particulière d'affects
(NDA).
3 1 . Quand on s'observe soi-même, on voit que des complexes d'idées qui ne sont pas éla-
borés par la pensée s'accompagnent volontiers d'une charge affective minime, voire nulle.
Cela va de soi, car dans la plupart des cas ce ne sont pas les événements en soi qui
conditionnent les affects, mais leur rapport avec d'autres conditions. Si de l'argent est volé,
cela peut paraître indifférent, comique ou triste, ou cela peut simplement blesser le sentiment
idéatoire se perd dans des associations accessoires, si des voies asso-
ciatives complètement erronées sont empruntées, les manifestations af-
fectives ne peuvent être adéquates, mesurées à l'aune de la normale.
Si les pensées sautent d'une idée à l'autre sans la moindre règle, il ne
peut en résulter une humeur homogène. Et si, en fonction de ses pul-
sions, dont chacune correspond à un sentiment, la personnalité malade
se dissout en diverses parties homogènes relativement indépendantes
les unes des autres, aucun de ces sentiments ne peut prendre posses-
sion de l'ensemble de la personnalité. Une tonalité adéquate des idées
délirantes est en outre gênée par le fait qu'existent à leur côté, chez
les patients, des complexes psychiques qui distinguent ce qui est réel
de ce qui est irréel, c'est-à-dire qui taxent les idées délirantes de telles.
Des malades qui s'observent bien donnent parfois eux-mêmes cette ex-
plication pendant leurs rémissions. Les malades autistiques ne réagis-
sent pas à la réalité par des affects, parce qu'ils lui font barrage, non
plus qu'à leurs idées délirantes, parce que quelque chose en eux les
reconnaît pour un jeu de leur imagination. L'essentiel du trouble schi-
zophrénique de l'affectivité s'avère néanmoins indépendant du trouble
de la pensée et revêt un type qui ne peut s'expliquer de cette façon.
Il faut aussi noter que certains troubles de la pensée ne sont que des
conséquences de l'anomalie affective ; ils ne peuvent en être en même
temps la cause.

La prise en compte des caractéristiques suivantes de l'affectivité nor-


male aide à notre compréhension :

1. Les affects possèdent une limite supérieure d'intensité qui ne saurait


être franchie s'ils doivent garder leurs caractères symptomatiques sub-
jectifs et objectifs habituels. Cette limite semble varier de façon sin-
gulièrement importante selon l'individu et les circonstances ; on ne sait
si elle peut être de toute façon atteinte chez tout individu. Les poètes
la connaissent fort bien, et ce depuis toujours. J'emprunte à la littéra-
ture scientifique la belle auto-observation de Baelz à l'occasion d'un
tremblement de terre, celle de Livingstone, qui était entre les griffes
d'un lion, et les constatations du même type, totalement objectives, de
Bremer chez un nombre relativement important de personnes après un
cyclone 3 2 . Peut-être l'analgésie qui se produit d'un seul coup sous la

de justice. Cela ne nous rend triste que si l'on se représente en même temps que, par
exemple, c e qui a été volé était le seul bien d'une mère malade qui voulait s'en servir pour
élever son enfant. Qui ne conceptualise pas ces corrélations en même temps que l'événement
de base, comme un tout, ne peut absolument pas éprouver l'affect correspondant (NDA).
3 2 . Voir aussi d'Abundo (NDA).
torture est-elle du même ordre. Mais il est certain que l'intensité des
affects peut inhiber une grande partie de leurs effets, et notamment la
conscience qu'on en a.
2. Un affect qui a déjà fait son apparition peut être écarté par clivage,
s'il est difficile à supporter. En même temps, le complexe d'idées qui
apparaît porteur de l'affect reste en général difficilement ou pas du
tout accessible au Moi. Bien des gens se tiennent à l'écart de souvenirs
désagréables en les « oubliant ». Et si le rappel à la conscience des
idées pénibles ne peut être évité, elles apparaissent comme quelque
chose d'étranger, de théorique, de non élaboré en ce qui, précisément,
concerne celles de leurs composantes qui provoquent le contact avec
le Moi de la façon la plus intensive. On peut très fréquemment parler
de la perte d'un être cher, qu'il nous serait tout bonnement intolérable
de nous représenter avec précision, sans ressentir à cette occasion quoi
que ce soit qui corresponde à la tonalité affective du complexe dans
son ensemble. Une foule de liens du défunt avec notre propre Moi sont,
en pareille circonstance, soigneusement exclus de l'évocation du souvenir.
L'évitement inconscient de la douleur, quand nous souffrons d'une bles-
sure ou d'un rhumatisme, représente un phénomène analogue, et peut-
être identique. Nous évitons « instinctivement » les mouvements
critiques, sans pour autant éprouver de douleurs actuelles, ni même
nous en représenter consciemment. Du fait de la souffrance précédem-
ment éprouvée, notre esprit reste, pendant quelque temps, orienté de
telle sorte qu'il n'exécute pas certains mouvements. Mais le résultat
peut dépasser le but : dans de nombreux cas, des mouvements qui ne
provoquent pas de douleur ne sont pas exécutés non plus ; chez les
gens nerveux, dans ces conditions, tous les mouvements peuvent même
être altérés.
Mais un nouvel affect peut aussi être inhibé à l'état naissant du fait
de sa qualité désagréable. Avant que l'affect ne se soit développé, il
manœuvre les aiguillages intra-psychiques de telle façon qu'il ne peut
que laisser la personnalité consciente en paix.
3. Les affects isolés de la sorte du Moi conscient ne sont absolument
pas supprimés ; ils restent nettement reconnaissables à leurs effets.
Qui est préoccupé par un événement affectif peut ne présenter ni sub-
jectivement ni objectivement de signes directs de l'affect. Mais il est
cependant incapable, de ce fait, de produire d'autres affects. Ainsi
peut-on sembler indifférent à l'égard tant du malheur passé que de
tous les événements nouveaux. Un affect relativement important peut
transformer durablement l'ensemble de la personnalité, sans que l'on
puisse retrouver cet affect dans les nouvelles caractéristiques ; la per-
sonne atteinte semble avoir elle-même plus ou moins oublié l'affect et
l'événement déclenchant ; il faut de nouveaux événements pour « faire
de nouveau saigner la vieille cicatrice ». Et pourtant, cet individu a
bel et bien gardé d'autres buts existentiels, un autre mode de vie, une
autre humeur de base. Chez les hystériques, l'événement déclenchant
peut être devenu totalement inaccessible à la conscience.
Dans le cadre des associations expérimentales, nous trouvons les signes
complexuels de Jung non seulement avec les idées qui émeuvent pour
le moment le sujet de l'expérience, mais aussi avec d'autres, dont ni
les composantes intellectuelles ni les composantes affectives ne par-
viennent à sa conscience durant l'expérimentation, voire qui n'ont plus
été conscientes depuis de nombreuses années. Le phénomène psycho-
galvanique montre aussi les effets d'affects qui ne sont pas présents à
la conscience.
Dans le rêve des sujets sains, dans les deliriums hystériformes, nous
voyons un événement insupportable - disons l'infidélité d'un amant -
être déconnecté de la conscience au travers de sa tonalité affective,
mais aussi avec sa tonalité affective, et exercer pourtant ses effets, en
ce sens que l'affect oriente et inhibe des associations de telle façon
que la satisfaction du souhait est simulée, tandis qu'aucun affect ne
prédomine dans la conscience, ou alors justement l'affect inverse 33 .
4. Nous en arrivons ainsi au concept d'affects inconscients ou, si l'on
redoute ce terme, d'affects latents.
Ceux-ci peuvent se manifester par la mimique, avec la survenue, par
exemple, d'un rougissement, de certains mouvements, certaines modu-
lations vocales et d'autres phénomènes de ce genre, qui correspondent
à l'affect.

* * *

A la tendance au clivage d'affects qui possèdent certaines intensités


et certaines qualités s'oppose, chez le sujet sain, la tendance à mettre
en œuvre par voie associative, le cas échéant, tout ce qui est important
pour la personnalité. Mais comme les affinités associatives sont réduites
dans la schizophrénie, ceux des affects qui ont de toute façon une ten-

3 3 . Freud, Jung (NDA).


dance au clivage deviennent très souvent réellement latents, que ce soit
après une brève existence ou dès Vétat naissant. Comme ils conservent
pourtant encore une partie de leurs effets, voire peuvent les développer
vraiment sans nulle inhibition sous certains rapports, ils exercent une
influence répressive sur la genèse d'autres affects ; le malade paraît inaf
fectif indifférent d'une façon générale .
34 Le degré de l'inhibition dépend
naturellement de mille facteurs actuels ; c'est pourquoi des affects in-
hibés peuvent réapparaître sans règle apparente. Naturellement, la
constitution affective conditionne sans doute elle aussi de grandes dif-
férences individuelles. Nous voyons tout ceci chez le sujet sain, chez
l'hystérique et, exactement de la même façon, bien qu'énormément am-
plifié sur le plan quantitatif, chez le schizophrène 35 .
Le sujet sain qui est préoccupé donne parfois la même impression qu'un
catatonique. La « stupidité complexuelle » fige ses affects ou le rend tout à
fait irréfléchi, négligent, de volonté faible. - Un collègue très intelligent et
dont les dispositions affectives étaient tout à fait normales, qui se trouva
durant quelques années dans une situation désagréable, présenta pendant
cette période non seulement des affects figés, mais aussi des traits étonnam-
ment impassibles. Une employée cultivée, tout à fait sensible d'habitude, eut
une relation amoureuse que je ne pus tolérer, pour son propre bien. A partir
de ce moment, elle se montra non seulement indifférente à ses obligations,
comme la plupart des filles amoureuses, mais souvent aussi vraiment insen-
sible à tout le reste. Elle me donna motif à lui faire des remontrances fort
sérieuses, mais elle encaissait tout cela avec un visage figé et une attitude
complètement stéréotypée, sans la moindre trace d'affect, et donc sans le
moindre effet. En pareille occasion, j e n'aurais été en aucun cas capable de
la distinguer d'une catatonique. - Jung attire l'attention, dans ce contexte,
sur la « belle indifférence des hystériques 36 », qui n'est en vérité qu'une
réaction à un bouleversement par un affect, mais qui cède habituellement
bientôt la place à une vive irruption d'affect.

Dans le cas de la scission affective, il s'agit naturellement aussi de


proportions relatives. Plus l'affect est fort, et plus la tendance disso-
ciative peut être d'un degré limité pour provoquer une désertification
affective. Ainsi, dans les cas de maladie sévère, ne trouvons-nous à
l'origine d'un abêtissement important que des conflits existentiels tout
à fait banals, tandis que dans des atteintes plus bénignes nous pouvons

34. La « finalité » de tous ces aménagements, la protection contre les affects désagréables,
est ainsi obtenue. Le patient ne souffre plus : il s'est approché d'une sorte de nirvana (NDA).
35. Ainsi notre conception se recoupe-t-elle à peu près avec celle dont Risch a formulé
l'hypothèse pour des états psychogènes. Ses travaux ont paru après que ce qui précède eut
été écrit (NDA).
36. En français dans le texte.
tomber sur des affects extrêmement puissants comme causes déclen-
chantes d'un accès aigu 37 , et il n'est pas rare qu'après une analyse
précise du problème nous devions nous demander si, chez un patient,
nous ne nous trouvons pas tout simplement devant l'effet d'un trauma
psychique particulièrement important sur un être sensible, et nullement
devant une maladie stricto sensu.
L'inaffectivité qui se produit ainsi sera accrue, dans le sens où on l'a
mentionné plus haut, par le trouble de la pensée, qui est de son côté
en partie conditionné par le trouble de l'affectivité, si bien qu'il en
résulte un cercle vicieux.
En outre, l'autisme contribue aussi à renforcer l'anomalie affective.
Avec leurs affects désagréables, les malades éliminent aussi par clivage
les événements qui vont avec eux. En compensation, ils vivent dans
un monde de rêve qui, pour eux, devient réalité. Si le patient ne croit
pas à l'annonce de la mort d'un proche qui lui est cher, il reste natu-
rellement indifférent. Souvent, de telles choses ne sont considérées
comme vraies qu'à demi, dans certaines de leurs composantes, c'est-
à-dire dans celles qui ne sont pas désagréables, naturellement. Mais
là où les malades se sont complètement enfermés dans la chrysalide
de leur autisme, le monde extérieur a tout au plus encore valeur de
réalité dans la mesure où il les dérange dans leurs pensées ; si un
affect accompagne alors un événement extérieur, il ne peut plus s'agir
que d'un affect de « rejet ». L'autosatisfaction, apparemment parathy-
mique, de nombreux schizophrènes n'est absolument pas anormale, de
leur point de vue, car leurs souhaits sont exaucés dans la pensée au-
tislique.
Dans les cas graves, l'autisme a sans doute la part la plus importante
dans la formation du trouble des affects. Dans des cas plus bénins, il
est trop peu apparent, en l'état actuel de nos connaissances, pour qu'on
puisse y faire appel à titre explicatif, si bien que les autres mécanismes
sont au premier plan.
De tout temps, l'indifférence à l'égard de ses propres idées délirantes et
aspirations a particulièrement attiré l'attention. L'émoussement de
toutes les expressions d'affect sous l'effet de l'habitude et la capacité
moindre qu'a une représentation imaginaire, par rapport à la réalité,
de provoquer des affects, doivent être d'importance en cette matière.
Et puis l'idée délirante n'est souvent qu'une expression Irès impropre

3 7 . Voir Stadelmann (NDA).


de certaines aspirations. Un patient se plaint, sur un ton bizarre, que
l'on tue ses enfants : l'affect n'est pas adéquat d'une part parce quelque
chose en lui sait que ce n'est là qu'une représentation imaginaire, et
d'autre part parce que c'est le souhait - et non la crainte - que ses
enfants puissent mourir qui est à l'origine de l'idée délirante. Vraisem-
blablement l'idée délirante exprime-t-elle aussi, souvent, le contraire
de ce à quoi le malade aspire réellement, exactement comme dans les
rêves : un catatonique a des tendances homosexuelles ; il conçoit l'idée
délirante qu'une demoiselle dont la situation est supérieure à la sienne,
et qu'il ne connaît même pas, l'aime, et il prétend l'aimer aussi. 11 est
compréhensible que, dans ces conditions, il n'associe aucun affect à
cette idée délirante : en réalité, il n'aime absolument pas cette jeune
fille, cette idée n'est manifestement que la réaction à la conscience dé-
plaisante de son homosexualité.
Il va de soi que des formes non schizophréniques de défaillance associative
aboutissent beaucoup plus rarement à un blocage affectif. Dans les idioties,
l'affinité associative n'est pas affaiblie ; il ne se forme pas d'associations
complexes, et il n'existe pas d'autres troubles. Dans les psychoses organiques,
certes, les affects acquièrent également un empire anormalement grand sur
les associations ; mais cet empire s'exerce dans une tout autre direction, parce
que la force relative des affinités esl moins diminuée; des choses qui vont
ensemble selon certains points de vue simples sont encore appariées. Ainsi
les aspirations et les affects demeurent-ils eux aussi liés à la personnalité ;
il n'existe pas de clivage de la réalité, et l'autisme ne peut pas se constituer.
Ces réflexions ne suffisent naturellement pas à expliquer toute la différence
qu'il y a entre l'affectivité de la schizophrénie el celle des autres psychoses ;
par contre, la théorie freudienne de l'auto-érotisme et de l'échec du transfert
de la libido sur l'objet pourrait également parvenir à rendre compte de cette
différence. Mais cette théorie est encore trop peu développée et nécessite de
trop rentrer dans une foule de considérations étrangères à notre sujet pour
qu'on la puisse citer ici.
Il reste encore à discuter quelques détails.
Dans certains propos des malades, le manque d'émotion semble souvent
beaucoup plus marqué qu'il n'est habituel, parce qu'un but précis fait
défaut au propos. Si le patient n'écrit une longue lettre que parce qu'il
lui est venu l'idée d'écrire « quelque chose », il est compréhensible
qu'il ne puisse y mettre d'émotion, du moins cohérente, parce cette
situation n'en requiert, justement, absolument aucune (comparer aux
devoirs scolaires).
En fonction de notre conception, il va de soi que certains affects,
comme le sentiment maternel, puissent rester isolément actifs.
L'irritabilité, qui, dans les formes relativement graves, s'exprime sous
la forme d'une tendance à la fureur et à la colère, nécessite une ex-
plication particulière. Nous trouvons la même tendance chez les êtres
humains et chez les animaux quand la situation n'est pas suffisamment
ou pas du tout comprise. (L'irritabilité à la suite d'une trop grande
sensibilité sensorielle, chez les neurasthéniques, est sans doute quel-
que chose d'autre.) L'animal capturé, qui déchaîne sa fureur sans pren-
dre en compte la situation ni sa propre intégrité physique, présente la
face active de cet affect, et le cheval emballé, qui s'enfuit au galop de
façon tout aussi absurde, en présente la face passive. Nous voyons la
même chose chez des enfants et chez des idiots, de même que chez
des gens dont le rapport avec leur environnement est entravé par des
troubles auditifs (voir Helen Keller).
Nous ne rencontrons qu'exceptionnellement un trouble du rapport in-
tellectuel avec l'environnement chez les schizophrènes irrités et fu-
rieux. Ils perçoivent l'environnement autrement que nous, ou du moins
ne sont pas capables de nous comprendre en toutes choses. Une dé-
fense correcte contre des agressions supposées ou réelles est donc im-
possible et, dans tous les cas relativement graves, seul reste le moyen
que représente la fureur aveugle, que ce soit en mots ou en actes.

D'autres facteurs encore participent sans doute à la genèse de cet af-


fect, bien qu'à un moindre degré. Les malades se mettent en cocon
dans leur construction imaginaire ; la réalité ne leur est pas seulement
étrangère mais hostile, dans la mesure où elle tend à les arracher à
leur autisme. Ainsi les causes de l'affect coléreux rejoignent-elles en
partie celles du négativisme.
Le caractère non maîtrisable des affects qui se manifestent, que Jung a
souligné, est une conséquence naturelle de l'insuffisance de réflexion
et est renforcé par l'isolement des différentes aspirations. Mais il ne
me paraît pas suffisant de le faire simplement découler du trouble de
la synthèse du Moi, comme le tente cet auteur ; en effet, c'est l'ensem-
ble de la synthèse associative qui est perturbée, et donc aussi l'équi-
libre entre affectivité et logique.

* * *

La façon dont se comporte l'attention schizophrénique s'explique en ma-


jeure partie par l'affectivité, dont l'attention ne constitue qu'un aspect.
Là où l'ambition et l'intérêt font défaut, l'attention active est minime.
Mais encore faut-il rappeler, dans ce contexte, que les troubles de la
pensée de toutes sortes portent naturellement aussi atteinte tant à l'at-
tention elle-même qu'à son résultat.
La possibilité d'une scission de l'attention est une conséquence évi-
dente de la scission de la personnalité.

* * *

La parathymie s'explique de façon différente. On peut généralement


s'apercevoir, à y regarder de plus près, qu'elle n'est qu'apparente, les
malades réagissant à une autre idée que l'entourage ne l'attend d'eux.
Masselon pense que, quand des malades s'attachent d'une façon frap-
pante à une personne quelconque, au point que celle-ci peut faire d'eux
ce qu'elle veut, il ne s'agit pas d'un attachement affectif mais d'auto-
matismes ou de stéréotypies. Dans les cas que j'ai observés, la per-
sonne ainsi distinguée était en règle le représentant d'un complexe
chargé d'affect. Il est aisé de se tromper dans son interprétation, parce
que les malades peuvent avoir, selon le contexte, tant une représenta-
tion délirante qu'une représentation correcte de cette personne. Quand
un patient croit avoir la nostalgie de son foyer mais ne se réjouit pas,
ou même est contrarié, s'il doit rentrer chez lui, il s'agit de déplace-
ments analogues. En réalité, il n'éprouve absolument aucune nostalgie
mais il a mis quelque autre sentiment de malaise en rapport avec son
enfermement à l'asile. Si la nouvelle de la mort d'un parent aimé le
met d'humeur joyeuse, c'est généralement qu'il n'y croit pas, mais qu'il
en tire pourtant des conséquences agréables (que maintenant on va lui
envoyer des lettres bordées de noir, etc.). Une patiente qui est en proie
à un spasme de sanglot chaque fois qu'on parle de feu prend le feu
pour le symbole de son amour malheureux. Il arrive aussi qu'un affect
corresponde nettement au contraire de la pensée actuelle ; cela pro-
vient sans doute généralement de ce que le schizophrène pense volon-
tiers en même temps le contraire de n'importe quelle pensée (voir
ambivalence et théorie du négativisme). Dans d'autres cas, la parathy-
mie est une conséquence de la persévération de l'affect : le patient est
irrité, il a pesté contre son enfermement, et il passe à présent à des
thèmes tout à fait différents, qui sont traités sur le même ton et avec
le même affect que le premier thème. Des affects qui ne sont pas ac-
tuels pour le moment, non plus que les représentations qui sont en
rapport avec lui, ou qui sont absolument latents, peuvent devenir mani-
festes sous la forme d'une réaction parathymique à l'occasion d'événe-
ments extérieurs qui lui sont apparentés sous un certain rapport mais
qui, habituellement, auraient une charge qualitativement ou quantita-
tivement différente. Quand quelque chose déprime un sujet normal,
l'affect latent accompagne volontiers aussi de petits désagréments, sans
que le processus intellectuel correspondant à cet affect soit devenu
conscient.
Parfois, il apparaît aussi qu'un affect gai remplace un affect refoulé.
Et nous connaissons également chez le sujet sain « l'euphorie super-
ficielle » et l'humour noir, la tendance à jouer les comiques, toutes
manifestations qui renvoient à une affectivité négative réprimée. Nous
rencontrons plus fréquemment encore des parafonctions analogues chez
les hystériques (319).
Il nous a été beaucoup plus rarement possible d'analyser la paramimie.
Néanmoins, on peut parfois observer sa genèse à partir d'une persévé-
ration de la mimique tandis que le contenu de la conscience change.
Si par contre un patient accepte une friandise qu'on lui présente et
l'avale goulûment avec des gémissements de douleur plaintifs, c'est
sans doute toujours parce que quelque chose de triste a été associé,
consciemment ou inconsciemment, à l'événement agréable.
Les combinaisons d'expressions mimiques proviennent aussi (comme
parfois chez les sujets sains) de la simultanéité de deux affects, comme
lorsque le patient a des yeux gaiement énamourés tandis que sa bouche
exprime la tristesse. Mais nous ne comprenons pas encore pourquoi,
dans ce cas précis, ce sont justement les yeux qui doivent exprimer
ce qui est agréable et la bouche ce qui est désagréable, et il nous faut
ajouter que nous sommes loin d'avoir pu rapporter ce type de parami-
mie à un affect mixte dans tous les cas. Nous ne pouvons notamment
absolument pas expliquer encore l'élévation des sourcils qui s'associe
à toutes sortes d'expressions affectives 38 .
On peut aussi mentionner ici l'analgésie, qui a tout à fait le caractère d'un
symptôme psychique (blocage), mais dans la genèse de laquelle on n'a pas
encore pu remonter avec assez de précision.

c) L'autisme

L'autisme est une conséquence directe de la scission schizophrénique


de l'esprit ; le sujet sain a tendance, lors des opérations logiques, à

3 8 . Il est possible que cette élévation exprime l'effort pour restaurer le rapport perdu avec
le monde extérieur. Peritz (APN, vol. 4 5 , p. 7 8 8 ) considère le relèvement des sourcils à la
manière d'un tic comme la réaction au sentiment de pression sur le front (NDA).
recourir à tout le matériel qui s'y rapporte sans prendre en compte la
valence affective de celui-ci. Etant donné le relâchement schizophré-
nique de la logique, il se produit par contre une exclusion de toutes
les associations qui s'opposent à un complexe chargé d'affect. Le be-
soin de trouver dans son imagination un substitut à une réalité peu
satisfaisante, qui ne fait défaut à nul être humain, peut de cette façon
être assouvi sans résistance. Si contradictoires avec la réalité que puis-
sent encore être les produits de l'imagination, ils n'entrent pas en
conflit avec elle dans le cerveau du malade ; ils sont tout au plus mis
en rapport avec elle pour autant qu'ils peuvent être accordés aux be-
soins affectifs du malade. Dans les cas graves, l'ensemble de la réalité,
avec ses stimulus sensoriels qui ne cessent jamais, est interdite d'ac-
cès 3 9 ; elle existe tout au plus dans des contextes banals, lors du repas,
de l'habillage.

Aussi le contenu autistique de la pensée reste-t-il inaccessible à la


critique et acquiert-il pour le malade une valeur de réalité complète,
tandis que la valeur de réalité subjective du monde réel peut descendre
à zéro. Le sujet examiné, qui s'imagine que nous le considérons comme
sain, entend chaque jour de nous le contraire ; il saisit aussi le sens
des mots et peut le restituer, mais sitôt après il recommence pourtant
à présenter son opinion comme étant la nôtre, parce que ce que nous
avons réellement dit n'a pas été mis en contact logique avec ses idées.
Si le monde extérieur lui offre des thèmes en faveur de son opinion,
alors il les utilise néanmoins volontiers. Le cas échéant, il repousse
ou altère la réalité. Ainsi en va-t-il pour le malade qui, à la question
de savoir quand il sera relâché, obtient la réponse : quand il se tiendra
bien ; il objecte : « Mais j e peux marcher à pied ! » Au lieu de la
difficile condition posée, il prend en compte une autre difficulté, sur-
montable celle-ci, celle des frais de voyage.

L'autisme a de tout temps attiré l'attention, notamment chez les Français.


Ceux-ci en ont, par exemple, souligné un versant, sous le nom d'autophilie,
d'égocentrisme, d'hypertrophie du Moi, d'augmentation du sens de la person-
nalité40, tandis qu'ils ont décrit son versant négatif sous le nom de perte du
sens de la réalité41 ou de perte de la fonction du réel42. Pelletier dit que le
malade ne fait plus du tout la différence entre réalité et fantasmes ; « sup-
poser la croyance à leur réalité chez ces malades serait doter leurs états de

39. Abgesperrt.
40. En français dans le texte.
41. En français dans le texte.
42. En français dans le texte.
conscience d'une énergie qu'ils n'ont pas 43 . » Tous ces points de vue ont
quelque chose de juste ; mais, à notre avis, ils ne vont pas au cœur de ce
phénomène.

* * *

L'autisme est lui aussi l'exagération d'un phénomène physiologique. Il existe


une pensée autistique normale44, qui n'a pas besoin de prendre en compte
la réalité et dont l'orientation est déterminée par des affects. L'enfant joue
avec un morceau de bois qui représente pour lui tantôt un bébé et tantôt une
maison. Mais, même sans substrat, la plupart des êtres humains s'imaginent
une histoire dans laquelle leurs souhaits ou leurs craintes sont réalisés (chez
les hystériques, cette imagination peut être exagérée à un degré pathologique ;
voir Pick, 570, a). Une grande partie des belles-lettres, des contes et légendes
prennent leur source dans ce type de pensée. Si quelqu'un essaie de réaliser
semblables souhaits chimériques dans son existence, il connaît des déceptions
qui peuvent mener un être imaginatif jusqu'aux frontières de la maladie. Ainsi
certaines femmes sont-elles déçues par le mariage non seulement parce que
leur mari n'est pas tel qu'elles l'avaient rêvé, mais parce que la vie conjugale
dans son ensemble est différente de ce qu'elles attendaient. Si elles se lais-
sent par trop dominer par leur rêve, elles ne peuvent trouver absolument
aucun plaisir, parce qu'il ne s'agit pas de celui qu'elles attendent, elles res-
tent frigides, exactement de même que le schizophrène reste indifférent quand
ses souhaits sont en apparence exaucés. Nous rencontrons aussi l'insuffisance
ou l'absence de distinction entre imagination et réalité dans l'inattention,
dans le rêve et chez les enfants qui ne disent pas la vérité sans vraiment
mentir, ainsi que chez les « sauvages » (le nègre ne peut comprendre qu'on
soit surpris quand il nie aujourd'hui avec conviction un vol qu'il a lui-même
avoué hier, et qui ne fait nul doute même sans cela).

d) L'ambivalence

Pour le sujet sain aussi, toute chose a deux versants. La rose a ses
épines. Mais dans 9 9 % des cas le sujet normal fait le bilan à partir
de la soustraction des valeurs négatives et positives. Il aime la rose
malgré les épines. Le schizophrène, avec ses liaisons associatives dé-
ficientes, ne recompose pas forcément par la pensée les différents ver-
sants en un tout : il aime la rose pour sa beauté et en même temps la

4 3 . En français dans le texte.


4 4 . Entre autres en tant qu'exercice de la faculté de combinaison, dans le même sens que
le j e u banal (des animaux et des enfants) est un exercice d'habileté corporelle (NDA).
déteste à cause de ses épines. Aussi de nombreux concepts, tant sim-
ples que compliqués, et, notamment, de nombreux complexes ont-ils
chez lui les deux valences affectives, qui se manifestent côte à côte
ou, avec de multiples alternances, l'une après l'autre. Il est vrai qu'il
n'est pas si rare que la synthèse fasse défaut, même dans des conditions
normales ; le sujet sain peut sentir lui aussi deux âmes dans sa poitrine,
et il ne parlerait pas tant de péché si celui-ci n'avait pas quelque
chose de plaisant. Si la double évaluation n'est pas fondée sur l'expé-
rience elle-même mais sur une relation double à celle-ci, la logique
requiert, le cas échéant, le maintien des deux valences : le même temps
est beau ou bon dans une visée donnée, mauvais dans une autre ; il
est beau par rapport à hier, mauvais par rapport à avant-hier, Néan-
moins, en pareil cas, les sujets normaux orientent fidèlement la valence
en fonction de la relation, tandis que les schizophrènes aboutissent à
des évaluations totalement inadéquates.
Une seconde cause de l'ambivalence affective, tout aussi importante,
réside dans le fait que les contraires sont apparentés de plus près que
des caractères hétérogènes. Haine et amour sont incomparablement
plus proches l'un de l'autre que de l'indifférence (« quand une femme
hait, elle aime, a aimé ou aimera »). Ils se transforment souvent l'un
en l'autre chez le sujet normal, et chez le schizophrène ils se mani-
festent fort communément comme deux versants du même affect.

L'ambivalence de la volonté est également présente en germe chez le


sujet sain : c'est précisément ce qu'on ne veut pas penser qui s'impose
à la conscience ; le cycliste débutant roule tout droit vers les obstacles
qu'il veut éviter 45 . Je veux prendre un casier parmi d'autres, je me dis
auparavant que ce n'est pas tel d'entre eux, mais c'est précisément
celui-ci que je saisis. Ainsi, dans le cas d'une intention, le plus im-
portant sur le plan psychologique, et de loin, c'est le fait qu'elle vienne
à l'esprit, plutôt que le fait qu'elle soit pensée de façon positive ou
négative : un patient me déclara - tout à fait honnêtement, avais-je de
bonnes raisons de penser - qu'à présent il ne fuguerait plus, car cela
ne lui apportait que des inconvénients ; j'avertis les infirmiers qu'il
fuguerait bientôt, et c'est ce qui arriva.
De là à l'ambivalence intellectuelle, il n'y a qu'un tout petit pas. Le
concept « blanc » est plus proche du concept « noir » qu'un quel-
conque autre qui n'a rien à voir avec la couleur. La pensée « la neige

45. Cf. p. 1 4 1 , a i n s i q u e p l u s b a s : théorie du négativisme (NDA).


est blanche » contient certes, simultanément, la négation du jugement
« la neige est noire » ; mais c'est justement pour cela que ce dernier
jugement est plus proche si l'on pense la première phrase, que si ni
la neige ni le noir n'entrent du tout en ligne de compte. Les enfants
fournissent souvent des exemples très nets de ce phénomène. Certains
utilisent l'expression « ferme la porte » même quand ils veulent dire
qu'il faut ouvrir la porte ; en effet, le point commun est le mouvement
de la porte ; l'opposition entre ouvrir et fermer passe tellement à l'ar-
rière-plan que l'enfant n'hésite pas à user dans les deux cas de l'ex-
pression qui est la plus courante pour lui. A un âge un peu plus avancé,
les enfants ont besoin d'émettre par jeu n'importe quels jugements,
mais il leur est tout à fait indifférent de les énoncer positivement ou
négativement, et ce pas seulement quand ils veulent plaisanter 46 .
Dans le rêve du sujet sain, l'ambivalence, tant affective qu'intellec-
tuelle, est un phénomène fort commun. Une foule d'idées s'y trouvent
quasi régulièrement exprimées par leur contraire, par exemple un « se-
cret » par l'apparition de beaucoup de gens.
L'ambivalence normale, et notamment l'ambitendance, qui, pour chaque impul-
sion, crée une impulsion contraire ou contraint ainsi à un choix ou à une délibé-
ration, revêt une grande importance dans les mécanismes psychiques. Comme
l'organisme physique, l'esprit régule l'adaptation fine en créant un équilibre
entre des forces antagonistes ; comme l'a dit Ris à l'assemblée des psychiatres
suisses à Berne (1910), c'est le principe de l'aiguille aimantée amortie.

e) La mémoire et l'orientation

Le cas des troubles des autres fonctions relativement simples, comme


ceux de la mémoire et de l'orientation, est facile à régler en fonction
de ce qui vient d'être dit.
La perception 17 et la fixation de ce qui est perçu fonctionnent bien.
Mais le matériel n'est utilisé à bon escient que s'il ne contrarie pas
les complexes. Si le patient travaille, fait un voyage, discute avec nous
de sujets qui ne touchent pas à ses complexes, nous ne notons pas le
moindre trouble. Mais à l'intérieur du cours de pensée autistique, une
évocation 18 conforme aux affects se substitue à l'évocation logique ;

4 6 . Voir aussi Freud, »Gegensinn der Urworte«, Jahrbuch für psychanalytische Forschung,
II, p. 1 7 9 (NDA).
4 7 . J ' u s e ici de ce terme sans prendre en compte le fait de savoir si la perception est
consciente ou inconsciente (NDA).
4 8 . Une évocation mnésique (NDT).
c'est ainsi qu'on aboutit à des erreurs de divers types dans le domaine
de la mémoire4'9. Les amnésies lacunaires ont des genèses diverses,
comme chez d'autres malades et chez les sujets sains. Elles peuvent
correspondre elles aussi à des besoins affectifs (on oublie ce qu'on
souhaiterait ne pas savoir) ; plus d'un état de delirium est si différent
de l'état habituel, tant sur le plan de son contenu qu'en ce qui concerne
les branchements associatifs, que le malade ne peut plus trouver les
mêmes fils associatifs en partant de cet état ; le schizophrène a en
outre en commun avec le sujet sain d'oublier d'une façon générale les
événements intra-psychiques qui se déroulent en désordre, pêle-mêle.

On peut aussi comprendre que le schizophrène ait souvent plus de


matériel mnésique à sa disposition que le sujet sain. Celui-ci trie les
impressions que lui fournissent ses sens ; ce qui est important pour
lui est plus diversement (et peut-être aussi plus intensivement) associé
aux autres idées, pouvant ainsi être réactualisé par des voies nom-
breuses. Le reste du matériel (par exemple les images mnésiques de
tous les gens que nous avons rencontrés en marchant dans la rue) est
maintenu le plus loin possible de la liaison associative et ne peut de
ce fait être rappelé en mémoire que dans des circonstances exception-
nelles. Le schizophrène sans but omet ce tri. Il prête la même attention
à ce qui est important et à ce qui est indifférent ; les liaisons associa-
tives de cette dernière part du matériel ne sont pas inhibées. Il pourra
donc, le cas échéant, tout évoquer aussi bien. - On ne saurait natu-
rellement supposer que ce qui vient d'être dit ait déjà permis de dé-
couvrir toutes les causes des anomalies de la mémoire. Les conditions
citées influencent toutefois forcément le cours des souvenirs, et elles
rendent compréhensible tout ce que nous savons, jusqu'à présent, de
la mémoire schizophrénique.

Par analogie avec les idées freudiennes, Jung pense aussi que les souvenirs
ne subissent pas d'usure parce qu'il ne se produit pas d'abréaction. La persis-
tance inchangée de toutes les traces mnésiques durant l'existence entière me
paraît vraisemblable chez le sujet sain aussi. Pour moi, cette conception ne
pourrait donc entrer en ligne de compte que si l'on disait, au lieu de « traces
mnésiques », « voies de la mémoire d'évocation 50 ». - Si nous savions ce
qu'est la tendance primaire aux stéréotypies, il nous faudrait examiner la
question de savoir dans quelle mesure la mémoire, anormalement forte en

49. V o i r c i - d e s s o u s l e p a r a g r a p h e t r a i t a n t d e s e r r e u r s a n a l o g u e s s u r l a r é a l i t é (NDA).
5 0 . J e ne voudrais pas prétendre par là que les voies de la mémoire d'évocation soient
quelque chose de différent des autres engrammes (NDA).
apparence, des schizophrènes serait en rapport avec elle, ou lui serait éven-
tuellement identique.
L'orientation à l'intérieur des cours de pensée réalistes est indemne,
exactement comme la mémoire, tandis que dans un autre contexte elle
est réorganisée en fonction des besoins complexuels. Naturellement,
c'est l'orientation dans sa propre situation qui est le plus rarement
normale, précisément parce que les phénomènes morbides appartien-
nent au complexe et peuvent rarement être reconnus comme patholo-
giques par le patient ; il se croit injustement enfermé, les médecins
sont ses ennemis. Mais ici aussi tous les intermédiaires existent depuis
la conscience critique presque entière jusqu'à la réinterprétation
complète de toutes les conditions, et ce non seulement d'un patient à
l'autre, mais parfois aussi chez le même patient, le cas échéant d'un
moment à l'autre.

Le « double enregistrement » et la « double orientation » vont de soi,


en fonction de ce qui vient d'être dit. Le matériel d'expérience se met
correctement en dépôt, le cours de pensée réaliste l'utilise de la façon
adéquate, tandis que le cours de pensée autistique l'altère ; mais ces
deux cours de pensée se déroulent côte à côte sans se gêner mutuel-
lement. Le processus ne se complique que là où des altérations sur-
viennent du fait d'illusions et hallucinations proprement dites ; là, les
malades ne peuvent parfois plus tout à fait s'y retrouver. Toujours est-il
qu'il est caractéristique du caractère secondaire des illusions que la
perception correcte existe sans doute encore, aux côtés de la perception
altérée, même dans de telles circonstances, et alors qu'il est impossible
de supposer que le malade ne voie pas vraiment, au lieu de son père,
un diable avec des yeux et des cheveux flamboyants et une queue.

f) La stupidité schizophrénique

Après que nous avons qualifié de secondaires les éléments les plus
importants dont se compose la démence schizophrénique, il est évident
que celle-ci doit être elle-même envisagée pour l'essentiel comme se-
condaire. Sans doute quelques symptômes primaires peuvent-ils avoir
part à ce tableau, certes, mais habituellement nous ne les voyons pas.
Il est aussi fort possible que d'autres méthodes d'observation nous per-
mettent un jour, dans le futur, de distinguer dans les cas graves, der-
rière la stupidité secondaire, une stupidité primaire. Pour le moment,
nous voyons seulement que les malades scindent leurs pensées, qu'ils
bloquent leurs affects, qu'ils se détournent de la réalité. Nous voyons
en outre qu'aucun acquis psychique n'est perdu ; et l'expérience de
nombreux cas individuels rend même vraisemblable que la faculté de
réflexion dans des matières compliquées ne soit pas totalement abolie
dans tous les états chroniques, mais qu'elle ne soit que réprimée se-
condairement, entravée par la scission. Aussi ne pouvons-nous, à aucun
stade, exclure des améliorations transitoires ou persistantes. Le fait
qu'un tiers peut-être des cas d'asile ne sorte que temporairement, ou
même jamais, de la stupidité ne va naturellement pas contre la nature
secondaire de ce phénomène. Il n'est pas rare que des sujets sains
eux-mêmes se fourvoient durablement dans une idée quelconque ;
combien plus fréquemment cela doit-il arriver au schizophrène, qui
bloque systématiquement les influences correctives de la réalité et de
la réflexion, et qui présente déjà par ailleurs une tendance à la per-
pétuation de fonctions psychiques.
Une partie des symptômes les plus marquants de démence ne sont rien
d'autre que des manifestations partielles de l'abêtissement affectif. Là
où les affects font défaut ou sont bloqués, il ne peut pas non plus se
développer d'aspiration à un but. D'autres facteurs encore concourent
au même effet : là où tous les souhaits sont satisfaits dans l'autisme,
ou bien là où ils apparaissent irréalisables, il n'existe plus de raison
d'aspirer à quoi que ce soit. Les déficits intellectuels entravent aussi
l'aspiration à un but : la synthèse des diverses pensées en une idée
qui puisse pousser à l'action est perturbée ; la fixation d'un but à l'acti-
vité est entravée par l'incapacité logique.

Le trouble schizophrénique de l'intelligence au sens strict se compose


pour l'essentiel des éléments suivants : Le trouble associatif à propre-
ment parler conduit à de nombreux résultats erronés. Les barrages ren-
dent de nombreux cours de pensée impossibles. Pour des motifs
affectifs, certaines orientations de la pensée ne peuvent même pas être
empruntées, même sans barrages ; les malades pensent et parlent à
côté, non seulement par négativisme interne et externe, par indifférence
et comme conséquence d'idées inachevées, mais aussi parce que c'est
justement la direction de la représentation actuelle du but qui est mise
hors circuit.

La logique est directement altérée par le fait que des opérations logi-
ques sont remplacées par des associations déterminées par les affects,
puis par le clivage des complexes, qui forment un monde en soi, sans
prendre en compte d'autres idées, et en particulier la réalité. Dans ces
scissions, les affects s'opposent avec une force souvent insurmontable
à l'association d'idées correctives. Le paralytique général fait ses pro-
jets stupides parce qu'il « ne pense pas » à certaines choses ; de l'ex-
térieur, on peut lui rappeler ses erreurs, si bien qu'il lui faut du moins
les compenser par un nouveau paralogisme ; mais un clivage schizo-
phrénique patent n'est que rarement accessible à une correction logi-
que. Dans la paralysie générale, c'est par mégarde qu'une voie' 1 n'est
pas empruntée, dans la schizophrénie la voie est physiquement barrée,
ou bien l'on a peur de l'emprunter. Aussi, dans bien des cas, la critique
n'est pas seulement insuffisante à cause des erreurs de pensée, mais
elle est rendue littéralement impossible du fait que l'idée critique n'est
pas mise en relation avec celle qui doit être corrigée. - Le manque
d'un but aux idées, engendré par le déficit affectif et intellectuel qu'on
a mentionné jusqu'à présent, favorise la dissociation, d'ailleurs déjà
provoquée par les aberrations associatives.

La troisième facette de la stupidité schizophrénique se manifeste dans


la résultante de tous ces processus défectueux, dans l'activité. Par man-
que d'aspiration à un but, les malades agissent tantôt pas du tout,
tantôt sans but, tantôt de façon lunatique. Cette dernière éventualité
vient de ce que des buts variables leur viennent vaguement en tête en
fonction de l'intervention des complexes. Et là où le patient veut agir,
il le fait souvent de façon inadéquate ou proprement absurde à cause
de sa logique erronée. Des associations qui surgissent « fortuitement »
déterminent une activité immotivée, fonction de lubies, et des impul-
sions compulsives provoquent, contre la volonté du malade, des actes
inadaptés.

On a déjà formulé de nombreuses autres théories qui étaient censées expli-


quer la démence schizophrénique. La plupart partent de l'hypothèse d'un
« affaiblissement des fonctions psychiques », ainsi qu'on le devine aisément à
la lecture du concept de stupidité. Beaucoup se représentent cet affaiblisse-
ment comme quelque chose de dynamique. Pierre Janet parle, dans le cas
de malades que nous compterions au nombre des schizophrènes, d'un abais-
sement du niveau mental52, et Lehmann (409) d'une diminution de l'énergie
de la conscience. Nous ne disposons cependant d'aucun critère de mesure de
l'énergie psychique et sommes de ce fait absolument hors d'état de discuter
de théories dynamiques. On ne saurait néanmoins oublier que certains schi-
zophrènes présentent des performances psychiques et extra-psychiques qui
sont très difficilement conciliables avec l'idée d'une diminution générale de
l'énergie psychique.

5 1 . Une voie associative (NDT).


5 2 . En français dans le texte.
D'autres partent de l'observation que la « fonction psychique supérieure » ou
— ce terme étant utilisé dans un sens analogue — la « synthèse psychique » est
affaiblie. Je ne crois pas qu'une telle façon de considérer le problème nous
permette d'avancer. Tant que la « fonction psychique supérieure » restera un
concept tout à fait indéfinissable, ou du moins définissable ad libitum, une
explication de ce type n'apparaît que comme un jeu sur les mots. Il est éga-
lement très osé, sur le plan méthodologique, de vouloir expliquer quelque
chose en partant des fonctions les plus complexes, et donc les moins compré-
hensibles, que l'on puisse connaître.

Il en va un peu mieux avec le concept de « synthèse psychique ». Nous pou-


vons en effet réellement prouver que la synthèse du matériel associatif fait
souvent défaut - mais ce n'est pas toujours le cas - et nous rencontrons déjà
des troubles des associations à un niveau inférieur à celui de cette fonction
complexe, si bien que cette explication serait, au mieux, insuffisante.

Un autre type d'explication dynamique, plus plausible, part de l'attention ou


des affects. Nous voyons réellement qu'à l'état normal un certain nombre de
symptômes schizophréniques apparaissent en cas de préoccupation affective,
de grand manque d'attention, ou encore parallèlement à une forte sollicitation
de l'attention : associations étranges, concepts et idées incomplets, déplace-
ments, erreurs de logique, stéréotypies. Mais la dissociation schizophrénique
va beaucoup plus loin que cette dissociation d'origine affective ; et même
dans l'hystérie, où nous voyons l'influence des affects s'accroître à l'extrême,
cela n'aboutit jamais à des scissions des concepts en état de lucidité de la
conscience, et nous ne rencontrons pas de tableaux schizophréniques dans
d'autres maladies comportant une perturbation de l'attention et un renforce-
ment de l'influence des affects, par exemple dans les psychoses organiques
et dans l'épilepsie. Et les troubles des affects et les anomalies primaires des
associations ne se déroulent du reste nullement de façon parallèle dans la
schizophrénie non plus, le premier de ces types de troubles dépend plutôt
d'événements vécus fortuits, tandis que le second en impose pour une ex-
pression directe du trouble cérébral. S'y ajoute le fait que même des malades
graves peuvent, dans certaines circonstances, avoir une attention fort bonne,
et que les malades peuvent faire les mêmes erreurs qu'en cas de distraction
alors qu'ils sont pourtant attentifs. Peut-être peut-on aussi ajouter que nous
tendons souvent énergiquement notre attention lors du rêve, tout en produi-
sant cependant des cours de pensée schizophréniformes. - Le concept d'at-
tention lui-même est encore fort extensible et mal défini pour la plupart des
psychologues ; sous ce rapport, il rappelle encore fortement l'aperception.
Mais si l'on ne range dans l'attention que ce l'on observe réellement, l'inhi-
bition et la canalisation de certains groupes d'associations sous l'influence
d'affects, un « trouble de l'attention » ne peut être quoi que ce soit de pri-
maire et, de son côté, découle lui aussi nécessairement d'autre chose. De
notre point de vue, il n'est pas difficile de lui trouver une telle origine.
Claus met au premier plan « l'altération des facultés actives » : « la démence
précoce est une maladie qui touche primitivement les facultés actives de
l'esprit. Apathie, aboulie, perte de l'activité intellectuelle, telle est la triade
symptomatique caractéristique de la démence précoce 54 ». Il est trop de schi-
zophrènes qui ont une grande activité (pseudo-écrivains, réformateurs du
monde, malades travailleurs des asiles) pour que l'on puisse admettre cette
réécriture généralisante de certains symptômes. On a aussi parlé de diminu-
tion à propos de fonctions subcorticales, généralement en relation avec la di-
minution de l'énergie psychique. Mais nous ne connaissons jusqu'à présent
pas de raisons de localiser des fonctions psychiques au-dessous du cortex ;
et bien moins encore disposons-nous de signes différentiels de ce qui est
cortical et de ce qui est sous-cortical dans l'esprit. On ne peut donc rien
entreprendre pour le moment avec de telles conceptions.

C'est Wernicke qui a tenté l'explication la plus poussée, en recourant à ses


idées localisatrices. Mais la symptomatologie de la schizophrénie (y compris
les troubles de la motricité) ne nous fournit absolument aucun indice clair
d'une localisation (voir théorie de la motricité).

g) Les altérations de la réalité

Nous n'appréhendons pas le monde extérieur directement par les or-


ganes sensoriels, mais nous devons d'abord le créer en nous par syn-
thèse et conclusions logiques à partir du matériel qui nous est fourni
par nos sens. C'est pourquoi les aberrations du cours de la pensée
entraînent des altérations de l'appréhension de la réalité. Ces altéra-
tions trouvent leur expression la plus nette dans les idées délirantes,
mais aussi dans les erreurs sensorielles et mnésiques. On ne saurait
faire découler les idées délirantes des hallucinations et des illusions
des sens et de la mémoire, en tant que phénomène secondaire. 11 s'agit
de symptômes coordonnés qui sont tous l'expression de la même alté-
ration de la réalité. La malade de Forel, L. S., l'exprime très clairement
en partant du versant subjectif : « Il n'est souvent pas possible de faire
une distinction nette entre idées délirantes, illusions et hallucina-
tions. » Aussi n'est-il pas non plus exact de dire qu'un patient ne bouge
pas parce qu'il craint de tomber dans un abîme hallucinatoire ; immo-
bilité et représentations de l'abîme sont des phénomènes parallèles, et
en pareil cas le fait que le patient n'avale pas non plus sa salive -
mouvement qui serait tout à fait sans danger — pourrait peut-être le

5 3 . En français dans le texte.


5 4 . En français dans le texte.
prouver. Les Voix impératives n'ordonnent rien à quoi le patient n'ait
tendance à obéir pour un motif quelconque, etc.

1. Les idées délirantes


Pour pénétrer la genèse des idées délirantes, nous devons nécessairement
comprendre que nous rassemblons sous ce vocable des choses fort différentes et
d'origine diverse. C'est Specht (731) qui a le premier attiré l'attention sur ce
fait, sans toutefois fournir de classification qui eût pu correspondre aux be-
soins spécifiques en la matière. Je ne considère la formulation des différences
que nous tentons ici que comme très provisoire ; je n'entends lui accorder
aucune validité en dehors de la schizophrénie.
Parmi les différents types d'idées délirantes, il faut tout d'abord mettre
en relief le délire fondamental : le malade est persécuté, puissant, pro-
phète, aimé. Le délire fondamental est porteur de la direction du délire,
généralement de façon concrète : le malade est persécuté par des gens
précis ou dans des circonstances précises, il est puissant dans un do-
maine précis, a une mission religieuse dans un sens très précis, est
aimé par une personne précise. Des développements assez détaillés en
font parfois partie. Comme on l'exposera immédiatement après, le délire
fondamental ne naît que sous des influences affectives et est toujours
égocentrique.
Mais une grande partie des détails du délire sont des applications dé-
lirantes, plus proches, sur le pian logique, des erreurs que du délire
fondamental. Le malade qui a un délire d'empoisonnement présente
une diarrhée ; étant donné l'hypothèse que les médecins en veulent à
sa vie, sa conclusion selon laquelle il y avait du poison dans les ali-
ments est évidente même pour le sujet sain. - Une lettre d'un persécuté
reste sans réponse. On ne s'attend pas à des erreurs de la poste. Le
destinataire est considéré par le patient comme un ami de confiance,
il ne peut pas être coupable ; par contre, le médecin a grand intérêt
à ne pas acheminer les lettres du patient ; donc, c'est lui qui a inter-
cepté la lettre. Sur le plan génétique, il s'agit d'une erreur de logique
qui découle presque nécessairement des prémisses fausses du délire
fondamental, et donc de quelque chose de foncièrement différent de
ce délire fondamental lui-même. Tandis que le délire fondamental est
immuable, une telle erreur peut être, le cas échéant, aisément rectifiée,
même chez des malades ; on peut souvent en discuter avec des patients
lucides 55 , comme avec des gens sains. Les malades ne chargent pas

55. Besonnen. Il s'agit bien sûr ici aussi de la « lucidité de conscience » (NDT).
non plus de façon aussi nette une telle erreur de l'affect qui ac-
compagne le délire fondamental.
On n'est, littéralement, redevable d'un autre type de délire, le « délire
explicatif», qu'au reliquat de saine logique que le patient a parfois
gardé. Le journalier qui s'imagine descendre d'une lignée comtale doit
nécessairement considérer ses parents comme ses parents nourriciers,
s'il est encore capable de tirer cette conséquence.

Un troisième type d'élaboration délirante secondaire, qui peut aussi


être encore considéré comme un délire explicatif, naît du besoin de
causalité ; pourquoi les médecins persécutent-ils le malade ? Appuyé
sur cette prémisse fausse qu'est l'existence de la persécution, le patient
doit se donner des réponses plus ou moins concluantes, comme le sujet
sain devrait le faire lui aussi dans des conditions semblables. Ou en-
core le patient entend des Voix, bien que personne ne soit présent. S'il
éprouve encore un besoin de causalité, il ne lui reste pas d'autre so-
lution que de s'imaginer des machines au moyen desquelles on lui fait
des Voix ou on lui parle de loin, ou alors il lui faut faire l'hypothèse
d'influences surnaturelles. Toutefois, étant donné leur retranchement
de la réalité et leur affaiblissement logique, les schizophrènes peuvent
aller beaucoup plus loin que des sujets sains dans les mêmes condi-
tions ; ils s'imaginent parfois non pas simplement une machine in-
compréhensible pour eux, mais un appareil très précis, qu'ils ont
souvent sous les yeux aussi nettement qu'une hallucination hors champ.

Souvent, c'est du dehors que vient le besoin de causalité : Une patiente


a pris une montre à cause de quelque « lubie » guère compréhensible ;
quand on le lui reproche, elle explique que cette montre appartient à
son mari 56 . - Un patient ne veut ou ne peut manger pour une raison
quelconque ; pour le motiver, il se forge l'idée délirante selon laquelle
cela lui serait interdit. De tels développements délirants sont quelque
chose de commun, ils résultent en partie de besoins logiques, en partie
de besoins affectifs, en partie de « lubies » souvent fondées sur de
vagues analogies.
Étant donnée l'insuffisance de la pensée schizophrénique, des analo-
gies insuffisantes et d'autres erreurs logiques peuvent créer des idées
fausses sans rapport visible avec le délire fondamental. Ou bien de
telles idées peuvent résulter du fait que des idées fournies du dehors,

56. On rencontre de telles explications a posteriori, exactement sur le même mode, après
l'exécution post-hypnotique de suggestions absurdes (NDA).
simultanément mais par hasard, sont mises à mauvais escient en rap-
port logique (exemples p. 65). Nous sommes contraints pour le moment
d'appeler idées délirantes ces faits aussi, parce qu'ils se distinguent
des erreurs des sujets sains par le type pathologique de leur chemi-
nement logique.

Tous ces types de délire ne sont pas nettement séparés, plusieurs


causes pouvant concourir à la genèse de la même idée fausse. Comme
la logique de nos malades est généralement déficiente même en dehors
de l'effet des affects, les erreurs de logique ont aisément partout leur
part, y compris dans les « explications ». L'affect qui a engendré le
délire fondamental continue naturellement à influer sur le développe-
ment de celui-ci. Quand un affect est présent, les malades sont, dans
tous les cas, beaucoup plus enclins à commettre des fautes de logique,
si bien que l'affect favorise lui aussi la genèse d'autres formes de dé-
lire. C'est par la voie d'une conclusion analogique défectueuse qu'un
hébéphrène a eu l'idée que son oncle était malheureux : il est lui-même
pauvre mais heureux ; son oncle est riche, donc malheureux. Vraisembla-
blement ce patient n'aurait-il pas tiré cette conclusion erronée si sa
jalousie à l'égard de son oncle ne l'avait favorisée. Mais parfois l'affect
est si insignifiant qu'il nous apparaît comme un élément accessoire, et
souvent nous ne trouvons pas le moindre affect en relation avec de
telles idées, ni lors de leur survenue, ni par la suite. Les idées délirantes
par déficits purement logiques ne sont, donc pas nécessairement égocen-
triques, ce qui est une grande différence avec le délire fondamental.

Dans certains cas d'idées délirantes, le nucleus du pseudologisme 5, ne


réside absolument pas dans l'idée, mais dans une expérience vécue :
à la suite du clivage de complexes autonomes, le patient ressent sou-
vent une seconde volonté en lui. En fonction de sa conception du
monde, il doit nécessairement conclure à une possession, ou à des in-
fluences hypnotiques, ou à quelque chose d'analogue, étant donné sa
méconnaissance ou son rejet affectif du caractère pathologique de ce
vécu. La sensation de la seconde âme, ou éventuellement de la
contrainte, est quelque chose de primaire, et son explication revêt un
caractère de nécessité pour le patient.

Les idées délirantes primordiales, qui apparaissent entièrement consti-


tuées à la conscience, sans être provoquées par des hallucinations et

57. Das Proton Pseudos. Henri Ey traduisait par « radical délirant », ce qui me paraît con-
testable (NDT).
sans que le patient puisse remonter jusqu'à leur genèse, doivent natu-
rellement être conçues comme des résultats de l'activité inconsciente
de la pensée, qui est à tel point facilitée par l'autonomie des fonctions
clivées. Si elles prennent leur source dans l'un des complexes chargés
d'affect, elles sont obligatoirement égocentriques, dans le cas contraire
ce n'est pas nécessaire.
La forme la plus importante de délire, et souvent la seule prise en
compte, c'est naturellement le délire fondamental avec son développe-
ment et son application dans le détail. Sa genèse est évidente, après
ce que l'on a dit précédemment :
Chez tout être humain, les affects inhibent jusqu'à un certain point les
associations qui sont en contradiction avec eux et favorisent celles qui
vont dans leur sens. C'est pourquoi il n'est pas rare que le sujet sain
se trompe lui aussi sous l'influence des affects, bien qu'en principe il
se représente également comme allant de soi l'inanité d'un souhait ir-
réalisable, en même temps que celui-ci, et, dans le cas d'une simple
crainte, la possibilité qu'elle ne soit pas fondée. Qui est irrité par quel-
qu'un en voit exclusivement les défauts, ou du moins les voit majorés ;
qui souhaite beaucoup quelque chose sous-estime les obstacles ; qui a
peur grossit ces obstacles ; qui appréhende le monde extérieur comme
hostile, pour une raison quelconque, trouve partout matière à méfiance.
Le caractère incorrigible et l'incapacité de discussion, chez des sujets
sains dont l'affectivité est tenace et très forte comparée au pouvoir de
réflexion, entraînent des erreurs et se continuent sans limite nette par
la paranoïa.

Si les affinités logiques sont affaiblies 5 8 , l'influence des affects se ren-


force ; les obstacles à la réalisation d'un souhait ne sont absolument
plus évoqués en rapport avec ce souhait ; de ce fait, celui-ci acquiert
valeur de réalité ; l'altération peut aller jusqu'à des idées délirantes,
qui donc ne se distinguent que quantitativement de ces erreurs du
sujet sain. Du fait de l'importante scission des fonctions psychiques,
l'affect devient seul maître à l'intérieur d'un complexe d'idées donné ;
critique et rectification deviennent impossibles. Ainsi les affects se
créent-ils, dans les complexes clivés, des mondes fantasmatiques qui
ne prennent absolument pas en compte la réalité, à laquelle ils n'em-
pruntent que le matériel qui leur convient. Dans la schizophrénie, ce

5 8 . Cela revient naturellement au même si l'affect est anormalement fort, comme dans la
mélancolie, ou si même les deux anomalies se somment, comme clans la paralysie générale
maniaque et la paralysie générale mélancolique (NDA).
dernier mécanisme leur est rendu particulièrement aisé par la rupture
des voies associatives, qui leur permet de mettre n'importe quel ma-
tériel en relation avec le complexe qui est en permanence fonctionnel-
lement disponible et de l'utiliser dans le sens de celui-ci. La logique,
autant qu'il en est fait usage, se met alors au service des besoins af-
fectifs et du développement du délire.

Ces mondes autistiques se sont formés en tout cas sous la direction de


l'une ou l'autre ou de plusieurs des principales pulsions humaines :
plaisir amoureux, pouvoir, richesse sont les buts auxquels on rêve ;
absence ou inadéquation de l'activité sexuelle, insignifiance du sujet
et persécution sont les craintes qui s'y rattachent.

Cette conception de la genèse du délire fondamental schizophrénique recou-


vre pleinement tous les milliers d'observations. Tous leurs divers éléments
sont des faits d'observation. Que ces faits aboutissent au délire est une
conclusion nécessaire ; seule resterait hypothétique l'idée que d'autres mé-
canismes encore puissent intervenir. Mais nous nous rendons bien compte
que nous ne connaissons pas toutes les fonctions psychiques et qu'ici aussi
certains facteurs inconnus peuvent également jouer un rôle. Ceci ne doit pas
nous empêcher d'étudier les effets de ce que nous connaissons jusqu'à pré-
sent59.
On a prétendu que toutes les idées délirantes se constituaient par la voie de
la logique, en tant qu'explications de sensations corporelles altérées, de per-
ceptions anormales, etc. (Schüle, Berze, Neisser, 518). Il faut objecter à ceci
que chez de nombreux malades nous ne rencontrons absolument pas ces al-
térations60, et qu'en tout cas elles ne sont jamais à l'origine des idées déli-
rantes, et que l'expérience montre que des vérités, des suppositions et des

59. La genèse de ces idées détiranles est décrite de façon plus approfondie dans Bleuler,
« L'Affectivité », où l'on trouve aussi une brève critique des théories qui s'écartent de celle-ci
(NDA).
60. Ne serait-ce que pour cette raison, il faut rejeter toutes les théories qui font découler
toute la maladie d'altérations des sensations corporelles, avec le délire : Marandon de Mon-
tyel qualifie la cénesthésie anormale de phénomène primaire ; Wherry dit textuellement que
le processus morbide se situerait en dehors du cerveau, dont les fonctions seraient seulement
perturbées par des sensations corporelles altérées. Schiile parle également, avec des réfé-
rences à la théorie de la localisation, d'un « dérangement cérébro-spinal », et il interprète
certaines formes de schizophrénie comme une « psychose névralgique » : « des bourgeons
oniriques délirants sur l'arborescence nerveuse spinale, dont ils naissent, chaque représen-
tation délirante sur un nerf sensitif fonctionnant anormalement ». Schiile a aussi trouvé les
origines de la maladie dans la sexualité : il a mieux observé que d'autres, mais il a tenté
d'interpréter ses observations sur le plan physiologique au lieu du plan psychologique.
On a mentionné que, dans le rêve, des hallucinations naîtraient de sensations corporelles
anormales. Mais il ne s'agit là que d'un matériel qui est mis à profit par une tendance
délirante préexistante, d'une façon analogue au délire spécifique d'empoisonnement en cas
de diarrhée, quand il existe un délire général d'empoisonnement. Même en rêve, la tendance
délirante peut ne résulter que de motifs psychiques, et l'expérience montre que ces motifs
sont exclusivement affectifs (NDA).
erreurs sont déduites par voie logique, mais pas des idées délirantes au sens
du délire fondamental. - On a fait naître l'idée délirante de « l'affect de
méfiance » (notamment Specht). Cette idée pourrait tout au plus être valable
pour le délire de persécution, mais pas pour les autres formes. Mais existe-t-il
un affect de méfiance ? Et s'il en existait un, d'où viendrait-il, dans notre
maladie ?
C'est de la conception de Friedmann, qui fait dépendre la valeur de réalité d'une
représentation de sa force, que nous nous rapprochons le plus. Mais, selon cet
auteur aussi, cette force dépend du contexte affectif qui l'accompagne. Nous
pouvons donc accepter la plupart de ses développements, pour autant qu'ils ne
remplacent pas la « représentation chargée d'affect » par le concept, indéfinis-
sable, de « représentation forte ».
Les « relations à soi61 », qui jouent un si grand rôle dans la genèse des idées
délirantes, sont pour nous un symptôme partiel évident qui participe à la
formation des idées délirantes : chez les schizophrènes, le complexe chargé
d'affect fonctionne même pendant d'autres cours de pensée, et est donc prêt
à tout moment à assimiler n'importe quel matériel ; nous n'avons pas besoin
de recourir au renforcement des sensations de Neisser, qui n'est qu'excep-
tionnellement présent. Comme le complexe représente une part importante
du Moi, cette remarque vaut aussi pour les conceptions qui mettent à la base
des idées délirantes une « hypertrophie du Moi » ou quelque chose du même
genre. Ce n'est pas le Moi qui a acquis une importance particulière mais une
partie de celui-ci, c'est-à-dire le complexe.

2. Les erreurs sensorielles

Nous ne savons pas comment les altérations de la réalité peuvent s'ex-


primer par des erreurs sensorielles. L'observation du fait qu'il peut en-
core exister, à côté d'illusions, une observation correcte du même
événement nous incite à situer ce trouble au niveau le plus central
possible. Les analogies qui se présentent dans le cas des erreurs sen-
sorielles ne vont pas si loin qu'on puisse parler pour le moment, comme
dans le cas des idées délirantes, d'une simple différence quantitative ;
il peut néanmoins être bon de ne pas les occulter ; tout un chacun a
des illusions ; tout un chacun peut halluciner, en rêve ou en diverses
autres occasions. La tendance à ces erreurs est donc à coup sûr fort
aisée à comprendre. Nous ne cessons de nous tromper sur la valeur
de réalité de nos perceptions sensorielles. Nous croyons percevoir une
lampe à gaz avec nos sens, alors qu'en réalité nous ne ressentons que
des différences de luminosité et de forme que nous interprétons comme

6 1 . Oie Eigenbeziehungen. Voir glossaire.


une lampe à l'aide des traces mnésiques précédemment engrangées. Dans
la perception réside donc un important processus central qui peut ai-
sément avoir lui aussi à pâtir dans la schizophrénie, et entraîner alors
des illusions. Le pas qui mène de l'illusion à l'hallucination doit être
fort petit, car à l'intérieur même de la norme non seulement il existe
des illusions, mais il est connu qu'en cas d'imagination optique ou
acoustique importante des représentations peuvent « devenir si vi-
vaces » qu'elles équivalent à une perception sensorielle. Cela peut se
produire beaucoup plus aisément encore dans la schizophrénie, où les
différences entre réalité et imagination sont fortement estompées. - La
forme spécifique que représentent les hallucinations réflexes doit trou-
ver son origine dans l'exagération d'un processus normal : la vision
d'un écrit, l'ouïe de pas provoquent souvent une tonalité affective très
vivace, voire même certaines idées qui correspondent à la cause de la
perception, même si l'on n'a pas identifié cette cause à un niveau
conscient.

Les motifs à hallucinations schizophréniques sont de toute façon gé-


néralement de type psychique. Par ailleurs, les erreurs sensorielles
elles-mêmes s'avèrent être des anomalies psychiques et non senso-
rielles, car non seulement leur contenu exprime une idée, mais elles
dépendent aussi de représentations au niveau de leurs détails acces-
soires : on peut prouver que leur localisation s'effectue souvent selon
la direction de l'attention, et quand des Voix agréables se font entendre
comme venant de la droite ou d'en haut et des Voix désagréables de
la gauche ou d'en bas, ceci se fonde en règle non sur l'altération la-
téralisée de l'appareil auditif périphérique ou central mais sur la si-
gnification que revêtent ces directions dans nos représentations.
Naturellement, les hallucinations ne naissent pas nécessairement de
représentations conscientes ; ce que Ziehen dit des illusions vaut éga-
lement pour elles : elles « s'accomplissent tantôt dans le sens de re-
présentations actuelles, tantôt dans celui de représentations latentes »
(840, p. 41). Si elles ont aussi leurs origines dans l'inconscient, elles
forcent souvent l'attention contre la volonté du patient, en vertu de
l'importance affective du complexe causal. Il paraît évident que les
erreurs sensorielles peuvent représenter non seulement les divers
complexes, mais aussi le reliquat normal de la personnalité, avec sa
critique et, éventuellement, sa conscience partielle de la morbidité.

Nous ne sommes pas capables de dire pourquoi ce sont précisément


les erreurs de l'ouïe et des sensations corporelles qui dominent dans
notre maladie. Néanmoins, le fait que dans nulle autre psychose le Moi
et sa position vis-à-vis du inonde, la pensée et le sentiment ne sont
aussi fortement altérés ne saurait être dénué d'importance. L'expression
de la pensée et du sentiment au travers des mots se conçoit si aisément
que l'on a prétendu qu'on ne pensait de toute façon qu'au travers des
mots. En outre, on met volontiers les hallucinations en rapport avec
l'altération du Moi, car les sensations du corps propre forment proba-
blement la base du complexe du Moi 62 ». Sans doute cette théorie a-
t-elle quelque chose de juste ; mais elle n'est pas prouvée. Par contre,
il est certain qu'une grande part des hallucinations corporelles naît de
sensations corporelles déplacées et transformées ; et des douleurs de
la région hépatique simulant une lithiase vésiculaire peuvent s'avérer
être l'expression d'un déplacement des douleurs d'un enfantement ima-
ginaire. - Dans la schizophrénie, nous trouvons les hallucinations vi-
suelles au premier plan, ce qui n'est le cas, ailleurs, que dans les états
de delirium. J e ne voudrais pas prétendre que ceci n'est le cas que
parce que, et seulement parce que, dans des états de plus grande lu-
cidité de la conscience, une correction des hallucinations optiques par
d'autres sens et par la contradiction avec les images visuelles réelles
est trop aisée.

Mais nulle autre maladie n'est aussi propre que la schizophrénie à montrer
de façon vraiment pénétrante que l'essentiel du processus hallucinatoire ré-
side dans l'organe psychique, parce que - en faisant totalement abstraction
de nombreuses autres raisons - les hallucinations n'expriment pas du matériel
sensoriel, mais des pensées, des sentiments et des aspirations, bien que nous
sachions que le déclenchement des hallucinations peut tout aussi bien se pro-
duire à partir des organes sensoriels que par d'autres stimulus.

Konrad a néanmoins trouvé chez des hallucinants une excitabilité relative-


ment importante des nerfs auditifs et visuels ; mais cette observation a encore
besoin d'être contrôlée sur un matériel plus nombreux.

Ce sont également des observations de schizophrènes qui sont à la base de


l'hypothèse de la séjonction de Wernicke ; mais elle est trop mécanique pour
pouvoir expliquer des phénomènes aussi complexes que les erreurs des sens.
La théorie kraepelinienne des « hallucinations perceptives », qui naîtraient
d'une excitation des centres sensoriels, ne rend pas suffisamment compte du
fait que les hallucinations expriment des aspirations dans leur globalité.

6 2 . J e trouve dans 5 6 % de mes cas « le délire d'influence corporelle en tant qu'expression


de la perte de la libre disposition de soi. » Albrecht, p. 6 8 3 (NDA).
3. Les erreurs mnésiques
Qui tient un journal et le relit des décennies plus tard sait qu'il trouve
certaines choses notées différemment de ce qu'il a en mémoire. En
règle, la version du journal est alors la moins agréable. Le souvenir a
donc été remanié dans le sens des souhaits, de l'amour-propre. Chez
les schizophrènes, avec leur déficience logique et l'efficacité excessive
des affects, de tels remaniements ont le champ libre. Des séries d'ex-
périences fort importantes sont altérées ou mises hors circuit par la
mémoire d'évocation, et remplacées par un autre matériel : illusions
mnésiques.
Les hallucinations mnésiques ne sont elles non plus rien de particulier
à la schizophrénie, bien que, chez le sujet sain, nous n'en trouvions
presque exclusivement d'exemple que dans le rêve, mais ici c'est un
phénomène commun. Elles partagent avec les hallucinations et les
idées délirantes schizophréniques leur tendance à surgir subitement de
l'inconscient ; les complexes clivés de la conscience créent un matériel
mnésique qui se met en rapport avec le Moi conscient en une occasion
quelconque.

4. Genèse du contenu des erreurs sur la réalité

Bien que, de tout temps, on ait pu avoir çà et là, dans un cas parti-
culier, un aperçu du mécanisme d'une altération de la réalité, Freud
est cependant le premier à qui nous soyons redevables de ce que la
symptomatologie spécifique de la schizophrénie soit devenue explica-
ble. Pour exposer les faits, nous nous sommes limités à des exemples
simples et avons ignoré les complications. Mais il faut explicitement
souligner que les analyses peuvent être poussées beaucoup plus loin
que ce n'a été le cas ici, et que la formation des divers symptômes
n'est naturellement pas conditionnée par les seuls facteurs mentionnés
ici mais, en outre, par plusieurs autres conjonctures.

Nous ne pouvons pas détailler la technique d'investigation. Par contre,


il est malheureusement nécessaire de défendre globalement la théorie.
On a allégué des motifs éthiques contre les investigations freudiennes ;
ils peuvent se discuter à propos de la thérapie, mais même là on n'est
pas en droit de confondre les mœurs sexuelles du moment avec
l'éthique. Il ne saurait par contre y avoir de motifs éthiques qui s'op-
posent à l'élargissement de nos connaissances, non plus qu'à la justesse
des résultats des recherches. J e n'ai jamais vu jusqu'à présent d'ob-
jections valables contre nos conceptions. Que l'on présente, avec ou
sans raison, certaines « interprétations » comme fantaisistes ne prouve
rien, naturellement. Tout ce flot d'attaques repose, sans exception, sur
une méconnaissance de la nature de la chose que l'on veut combattre.
Cette méconnaissance est compréhensible, car on ne peut se former
de jugement sans une recherche personnelle de plusieurs années. Il est
en effet impossible d'exposer dans les descriptions qu'on en fait ne
serait-ce que le centième de ce dont il s'agit. Les comptes rendus de
psychanalyses les plus précis sont sans valeur sous ce rapport, parce
que les malades nous démontrent les corrélations par leur mimique, le
ton de leur voix, leur respiration, leur rougeur, les mouvements de
leurs mains et de leurs bras, par des tremblements et des barrages,
bref, par leurs manifestations d'affect beaucoup plus que par des mots.
Inconsciemment, chacun réagit très finement à de telles manifestations
expressives. Le journalier inculte, l'enfant d'un an, et même n'importe
quel chien se laissent guider avec une grande sûreté par de telles
expressions de notre humeur. En psychiatrie, il est mal vu pour l'instant
de prendre délibérément cela en considération, tandis qu'on peut lo-
caliser des idées entières dans des cellules données sans provoquer la
moindre indignation.
L'interprétation des symptômes schizophréniques dans le sens de la
symbolique freudienne peut prétendre à l'exactitude pour les motifs
suivants :
Elle explique sans contradiction interne une foule illimitée de faits qui,
sinon, restent totalement inattendus et incompréhensibles. Que ceci soit
un hasard est aussi impensable que l'idée qu'un écrit pourrait consti-
tuer un exposé cohérent et sensé si le sens des lettres était modifié.
Si les interprétations sont justes, il ne se produit pas de contradiction
malgré les nombreux faits qui leur sont subordonnés, tandis qu'une
interprétation fausse choque souvent sous bien des rapports, et peut
aussi, habituellement, être désavouée par le patient. Des interprétations
justes sont habituellement confirmées par les malades, sitôt que les
résistances sont surmontées. De toute façon, la plupart des interpréta-
tions ne viennent absolument pas du médecin mais du patient.
Si les interprétations étaient arbitraires, on devrait pouvoir les utiliser
de la même façon dans n'importe quel autre état pathologique. Mais
elles ne fonctionnent pas, par exemple, dans le delirium tremens et
partout où l'on a à faire à une symptomatologie de même nature. En
outre, on peut les vérifier par les moyens les plus divers : l'étude des
associations expérimentales, la symbolique du rêve, de la poésie, de
la mythologie fournissent exactement les mêmes résultats. La justesse
des résultats est souvent vérifiable, même dans un cas donné, des ex-
périences répétées dans les mêmes conditions fournissant les mêmes
résultats.
Les cas, nullement rares, où les interprétations font conclure à des
événements réels qui s'avèrent exacts après coup, lors de l'examen
objectif, se portent garants de la justesse de celles-ci avec la sûreté
d'une expérience de physique.
Ainsi ai-je pu, dans un cas, prédire à partir du roman d'un écrivain
connu sa séparation avec sa femme, plusieurs années avant que rien
n'ait pu l'indiquer, et avant que l'époux lui-même n'ait été conscient,
autant qu'il est humainement possible de le le savoir, de son détache-
ment progressif. Dans d'autres cas, chez des nerveux comme chez des
malades mentaux, nous avons pu diagnostiquer, à partir de symptômes,
des différends entre époux dont la réalité n'est apparue que par la
suite. On peut conclure à la fellation à partir d'une mimique donnée,
à des remords de conscience liés à la pédérastie à partir d'une idée
délirante, et l'on en a confirmation par le malade sans l'avoir en rien
suggéré. Une foule des événements vécus qui se dégagent de la psy-
chanalyse peuvent aussi être vérifiés objectivement par ailleurs, et ne
sont donc pas, ainsi que le pense Reichhardt, « les produits évidents
d'une imagination paranoïaque 6,5 ».

* * *

Une part essentielle des symptômes schizophréniques provient des


complexes chargés d'affect. Il est difficile de déterminer d'une façon
générale quels sont les complexes spécifiques qui dominent un malade
donné. Des événements qu'il faut bien qualifier de fortuits par rapport
à l'individu et à la maladie ont indubitablement une certaine influence.
Qui est tombé amoureux juste à l'époque où sa maladie débutait sur
le mode aigu reprendra très vraisemblablement ce complexe érotique
dans sa maladie. Qui se préoccupe de quelque chose d'autre, qui lutte
pour son existence économique, par exemple, mettra aisément au pre-
mier plan des idées de possession 64 et de richesse. Des natures tour-
nées vers la religion en viendront naturellement plus facilement que
d'autres à un « délire religieux » ; on attribue souvent la maladie à une
influence religieuse par trop intensive d'autrui ; il est possible qu'une

63. On trouvera une critique plus détaillée des attaques contre Freud, ainsi qu'une critique
partielle des théories freudiennes elles-mêmes, dans Bleuler, « La Psychanalyse de Freud »,
Deuticke, Vienne, 1911, et Jahrbuch für psychanalytische Forschung, II, 1910 (NDA).
64. Besitz : de possession de biens et non de possession surnaturelle (Besessenheit) (NDT).
telle influence puisse déterminer la direction du délire, même chez
une personne qui n'est pas naturellement portée à la religion. Mais j e
n'ai pas encore observé cela d'une façon vraiment prouvée. Les cas
dans lesquels on peut remonter, dans une certaine mesure, jusqu'à l'ori-
gine des idées délirantes religieuses indiquent tous qu'il avait précé-
demment existé une forte préoccupation par ces matières. Si la pulsion
religieuse avait été dès auparavant non seulement particulièrement
forte mais aussi qualitativement anormale, il est vrai qu'il était tentant
d'attribuer déjà l'activité religieuse à la maladie méconnue ; et devant
l'impossibilité de distinguer, dans le cas des pulsions religieuses pré-
cisément, entre importance insolite et anomalie pathologique, il a fallu
laisser la question de la causalité en suspens. Chez les femmes, c'est
l'amour pour un ministre du culte que nous avons le plus souvent trou-
vé quelque part à l'origine du « délire religieux 65 ».
Ainsi la maladie ne se développerait-elle pas à partir du caractère,
comme le pense la conception vulgaire, ses symptômes ne seraient pas
déterminés eux non plus par le caractère, comme l'imagine Tilling, mais
ce qui détermine la symptomatologie, c'est le complexe chargé d'affect
qui, de son côté, dépend néanmoins souvent de penchants innés : seul
celui qui a la pulsion de jouer un rôle donné dans le monde, que ce
soit en politique, dans la religion ou dans la science, peut déterminer
ses symptômes pathologiques par un complexe correspondant. Une ten-
dance pulsionnelle est néanmoins commune à tous les hommes, la
sexualité, qui, avec tout ce qui en dépend, représente une grande part
de notre Moi 66 . C'est pourquoi nous rencontrons le complexe sexuel
dans tous les cas, tantôt seul, tantôt associé à d'autres.

Derrière nombre des divers symptômes de la maladie, il y a donc des


souhaits et des craintes, des aspirations et les obstacles qui s'y opposent.

Sans doute n'est-il pas besoin de prouver cette genèse dans les cas
fréquents où, par exemple, des patients d'asile déclarent soudain, de
façon totalement immotivée mais convaincue : « Mon fils va venir me
chercher aujourd'hui. » Chez un malade, cette idée a surgi subitement,
chez un autre ce sont les Voix qui l'ont dit, le troisième a conclu à
cela à partir d'indices qu'il rapportait à lui-même et interprétait dans

6 5 . Cet amour n'est pas nécessairement primaire. Il peut par exemple se faire que la sexua-
lité insatisfaite en ce bas monde soit d'abord sublimée, et que c e ne soit qu'ensuite que le
ministre du culte soit idolâtré de préférence à tous les autres hommes, en raison des ten-
dances religieuses, le sentiment étant de ce fait partiellement resexualisé (NDA).
6 6 . Plus de la moitié ; car l'autre moitié, c e l l e des pulsions servant à l'auto-conservation,
est atrophiée chez l'homme civilisé (NDA).
le sens de son souhait. Cette interprétation est tout aussi évidente dans
de nombreux autres cas simples : deux femmes croient (sans être en
contact l'une avec l'autre) que l'homme qu'elles aiment se trouve à
proximité, tantôt parce qu'elles entendent sa voix, tantôt sans un tel
indice, bien que ces deux hommes soient en Amérique. Une schizo-
phrène qui a enfanté à l'asile mais n'a pas de lait entend les Voix dire
que son enfant l'a tétée toute la nuit. Un officier qui ne s'est jamais
bien entendu avec sa belle-mère est convaincu qu'elle va être décapi-
tée, ou du moins - sur l'objection qu'on lui fait - condamnée à la
réclusion perpétuelle. Car il l'a accusée devant le Procureur d'avoir
empoisonné une autre femme des années auparavant ; il n'a pas produit
la moindre preuve de ses allégations, mais il éprouve une certitude
absolue.

Dans ces cas, la contradiction avec la réalité est transférée dans l'ave-
nir et le passé. Mais cela ne fait absolument rien aux malades d'entrer
aussi en conflit avec le présent. Un hébéphrène qui commence à se
faire vieux et n'a plus que de méchants chicots se réjouit un matin,
de façon puérile, d'avoir récupéré de nouvelles dents, et montre sa
bouche avec fierté aux médecins et aux infirmiers ; pour arriver à sou-
tenir son assertion à ses propres yeux, il lui faut illusionner la sensation
de nouvelles dents dans sa bouche. Une schizophrène latente dont les
règles s'arrêtent pour la première fois (ménopause) se réveille la nuit
du fait que ses membres se rétractent, elle devient aussi petite qu'un
nouveau-né, trépigne des bras et des jambes et doit être portée par
son mari dans ses bras comme un petit enfant (régénération remplaçant
l'involution - Jung). - Une créature physiquement pitoyable (hydrocé-
phalie dans l'enfance) se croyait aussi merveilleusement bâtie qu'une
statue ; elle a seulement été amaigrie par le bain qu'on lui a donné à
son entrée. Par ailleurs, elle est admise au Ciel, a des relations avec
des Saints ; elle a donc doublement surmonté la misère de ce monde
(Norman 526, p. 279).

Un homme très intelligent, qui joue encore un rôle malgré un premier


accès catatonique et doit souvent parler en public, bégaie et zézaie un
peu. Au cours de son second état crépusculaire catatonique, il a dit
avoir une voix tout à fait claire, « plus claire que jamais ; il peut émet-
tre chaque son avec une extrême précision ». Cette idée l'a ensuite
amené à chanter épouvantablement fort, même lorsqu'il était en visite.
- Un excité sexuel se croit, à l'asile, dans un couvent de femmes et
coïte avec le matelas.
Le souhait de ne pas être dans un asile de fous entraîne une altération
de V'orientation spatiale dans le cas d'une femme tout à fait vigilante
et capable de travailler, qui écrit à son mari : « J e dois t'apprendre en
quelques lignes que j e suis depuis quinze jours dans la maison de
convalescence à côté de l'asile de fous du Burghôlzli, pour des raisons
qui ne me sont pas encore tout à fait claires à ce jour. » Elle est en
réalité dans le Burghôlzli et non à côté, elle reconnaît les autres ma-
lades comme étant mentalement perturbés ; ce qui n'empêche pas l'al-
tération de l'orientation spatiale, qui se voit du reste fort fréquemment
sous cette forme.
Un catatonique qui se repentit pendant un temps d'avoir tué sa mère
et crut sérieusement pouvoir réparer ce malheur à ce stade, ainsi qu'il
l'exprimait lui-même, présente aussi une rupture complète avec la réalité.
Les souhaits ne sont pas toujours si bien motivés et persistants ; des
élans momentanés, qui sont dans l'ensemble tenus en échec par des
sentiments contraires relativement vifs, peuvent être convertis en idées
délirantes. Une jeune fille qui se conduisit de façon inconvenante au
début d'une catatonie, reçut de sa mère un sermon et une gifle ; elle
courut chez les voisins et cria : « Avez vous entendu, papa a abattu
maman » ; sitôt après, elle a demandé pardon à sa mère à genoux.
B. S., analysée par Jung, voit emmener aussitôt dans des corbillards
les gens qui l'ont irrité par quelque vétille, infirmières, médecins ou
même autres malades qui font quelque chose qui lui déplaît ; mon pré-
décesseur l'a vue un beau jour filer subitement, comme emportée par
un boulet de canon.
D'une façon générale, les gens qui meurent dans les idées délirantes des
malades sont toujours, d'une manière quelconque, en travers du chemin
de ceux-ci, ne serait-ce que par leurs relations avec des personnes détes-
tées. Une catatonique ne pouvait pas souffrir les patrons chez qui elle
avait servi quelque temps avant de tomber malade. Or, dans ses idées
délirantes, l'enfant innocent de ses patrons était mort.
Les personnes haïes ne sont pas toujours simplement imaginées mortes.
Un catatonique est brouillé avec ses frères et sœurs ; il a vu deux fois
la Mort entre son frère et lui. Il n'est pas rare que soit exprimée l'idée
de tuer soi-même la personne haïe. Une patiente s'accusa d'avoir tué
son frère. A la question de savoir si elle l'aimait bien, elle répondit
certes oui, mais avec un ton et un sourire qui ne pouvaient que
convaincre tout un chacun que c'était le contraire qui était vrai. Un
fils très avare, dont la mère freinait l'ascension parce qu'il devait l'en-
tretenir, et qui était convaincu d'avoir hérité d'elle son insuffisance
intellectuelle, lui dit : « Je pourrais fort bien t'imaginer étendue de
tout ton long sur le sol avec un petit trou dans le front ! »
En outre, l'idée délirante de meurtre se voit aussi comme symptôme
sexuel, ainsi que nous le verrons plus tard. Jusqu'à présent, nous avons
observé un seul cas où ni l'idée d'écarter quelqu'un de son chemin,
ni l'amour sexuel n'aient pu être mis en évidence en tant que source
de cette idée.
Un revendicateur paranoïde, qui est du reste un paradigme de certains
autres schizophrènes, accomplit ses souhaits d'une façon compliquée.
Il accuse les gens qu'il n'aime pas de divers crimes 67 et s'en fournit les
preuves dans ses hallucinations et ses falsifications mnésiques. Il lui faut
en outre émettre des revendications à l'égard de ces gens. Il prétendit
avoir gagné un procès en diffamation, bien qu'il eût purgé sa peine et
payé une amende et les frais judiciaires, et il s'en tient à sa croyance
même si on lui montre de nouveau le jugement. Alors qu'il était en examen
chez nous, nous lui avons dit en chaque occasion, de la façon la plus
décidée qu'on puisse imaginer, que nous le tenions pour un malade mental
et considérions ses revendications comme délirantes ; mais il ne se laissa
pas convaincre de ce que nous ne l'avions pas déclaré sain dans notre
expertise et ne lui avions pas non plus donné raison dans ses revendica-
tions et ses accusations. - Un jeune homme qui souffrait de paralysie
infantile, de faiblesse générale et de céphalées avait perdu le goût de la
vie ; il se convainquit que sa famille et lui allaient mourir un jour précis.
(Mais une fois qu'il eut survécu à ce jour, il chercha à exaucer ce souhait
par une pulsion suicidaire totalement irrépressible.)

Les souhaits de grandes aptitudes, de richesse, de pouvoir, de distinc-


tion se satisfont dans le délire de grandeur. Celui-ci est considéré
comme un signe de stupidité ; mais les autres accomplissements au-
tistiques de souhaits le sont aussi, exactement dans le même sens.
L'idée délirante que le mari qu'elle n'aime pas a permis, par sa mort,
à une patiente d'avoir une liaison désirée a, par exemple, la même
signification. En réalité, l'affaire se déroule de la façon suivante : Au
début du délire, nous trouvons un souhait auquel le schizophrène peut
penser sans que cela s'accompagne de l'idée de son caractère irréali-
sable, ou - après l'étape suivante - qu'il imagine exaucé. L'ouvrier ne
peut s'imaginer être l'Empereur régnant qu'en faisant le sacrifice
complet de son intelligence ; la femme qui vit jour et nuit avec son

6 7 . Voir aussi plus haut, et plus bas pour la genèse, analogue, du délire de jalousie (NDA).
mari ne peut croire que celui-ci est mort qu'en cas de retranchement
total de la réalité ou de banqueroute complète de la logique. Aussi,
pour des patients relativement lucides, la contradiction permanente entre
le souhait et la réalité doit nécessairement empêcher le délire de s'éla-
borer complètement, et plus encore de dominer l'ensemble de la person-
nalité à partir de son complexe ; il n'est pas mené à son terme, il reste
pour l'essentiel dans l'inconscient ou est déplacé et masqué derrière
des symboles. Les obstacles qui s'opposent à l'accomplissement du sou-
hait ou à l'idée délirante que ce souhait serait exaucé en deviennent
d'autant plus perceptibles : voici pourquoi c'est assez souvent l'idée
de persécution, déjà présente en germe chez tout sujet sain (il est peu
de candidats ayant échoué à un examen qui n'en rejettent la faute, au
moins en partie, sur l'examinateur), qui est d'abord élaborée.
Mais il est des cas où la représentation que le souhait est exaucé ne se
heurte pas à de si grands obstacles : le réformateur du monde malade, le
prophète, le philosophe, le poète, et souvent aussi l'inventeur et d'autres
gens, ne se laissent pas entraîner tout de suite ad absurdum, et souvent
même ils trouvent des adeptes. Ces gens-là peuvent élaborer le délire
de grandeur sans perdre le rapport logique avec la réalité, et le délire
de persécution peut rester absent ou ne débuter que fort tardivement.
Dans toutes les autres formes, les aspirations doivent se cacher derrière
le délire de persécution : elles n'en restent pas moins le phénomène
primaire ; une patiente ne peut pas se défendre d'avoir un enfant du
Dr N. si, d'une façon quelconque, l'idée qu'elle voudrait en avoir un,
ou qu'elle en aurait un, ne lui était venue.
Si donc ces formes de délire qui impliquent une contradiction grossière
avec la réalité, qu'elles aillent dans le sens du délire de grandeur ou
non, apparaissent non fardées et développées, il s'agit nécessairement
à chaque fois d'une rupture très profonde avec la réalité, ou alors d'un
trouble très important de la pensée, ou des deux. Si l'une de ces deux
conditions est remplie au cours d'un état chronique, alors le patient est
habituellement incurable et peut en même temps être considéré comme
atteint d'un haut degré de stupidité, bien qu'il porte des jugements
impeccables sur d'autres situations.
Mais le détachement de la réalité, une perturbation importante de la
logique, le délire de grandeur rendu possible par ces conditions, et
d'autres accomplissements de souhaits 68 peuvent tout aussi bien être

6 8 . Accomplissements dans le délire, il est inutile de le préciser (NDT).


des manifestations partielles de n'importe quel état aigu, et donc être
transitoires. Aussi la conception du délire de grandeur comme étant le
signe de l'abêtissement était-elle une règle pratique comportant de
nombreuses exceptions, qui ne correspondait pas entièrement à la réa-
lité et était par contre quelque peu inexacte.
Des aspirations d'un type quelconque s'associent aisément à des pré-
tentions sexuelles. Un ouvrier qui s'était de tout temps montré très éco-
nome et tenait à ce qu'on le respecte comme il convenait était
apparemment heureux en ménage depuis l'âge de vingt-trois ans. A
31 ans il déclara à sa femme, avec des larmes, qu'il voulait la rendre
heureuse ; il allait épouser certaine jeune fille riche. A l'objection que
ce n'était pas possible, il répondit qu'il allait divorcer. Il reçut des
signes indiquant qu'il devait épouser cette dame, il fit des démarches
en ce sens. Quand des Voix téléphonent à une femme avaricieuse que
des messieurs vont venir lui apporter de l'argent, cela a la même si-
gnification, celle d'une satisfaction simultanée de souhaits sexuels et
économiques. — Une femme du peuple au développement intellectuel
fort bon a épousé, bien qu'elle fasse quelque cas de l'intelligence et
de l'éducation, un homme qui lui paraît intellectuellement déficient.
Certes, elle n'a pas d'autre amoureux, mais à présent elle se venge de
son mari en ceci que les Voix se paient la tête de celui-ci et le raillent,
alors qu'elles la consolent en lui disant qu'elle aurait mérité un sort
meilleur, qu'elle va hériter de 2 0 0 0 0 F.

Le besoin d'amour et d'ascension sociale s'exprime de façon plus


complexe dans le cas qui suit : une paysanne hébéphrène est en relation
« téléphonique » avec des messieurs dans une station thermale ; notam-
ment, un baron (qui en réalité n'existe pas le moins du monde) veut l'é-
pouser. Son mari l'a plaquée (c'est vrai, c'était un voyou). Mais avant
même cela la patiente avait senti en elle la compulsion de se rendre à
minuit dans un village voisin « chez un autre homme » et de lui porter
un contrat de mariage. Par la suite, elle eut fréquemment des hallucina-
tions : de nombreuses gens qui la menacent, un serpent, un dragon mons-
trueux, toutes choses qui sont en rapport avec la sexualité, ainsi que
le montre l'expérience d'autres malades. En même temps, son besoin
de richesse est assouvi : elle se voit dans un grand jardin avec des
fleurs merveilleusement belles, où se trouve un château féerique en-
touré de guirlandes. Comme la maladie progresse, elle voit dans son
champ l'empereur d'Autriche, alors que sa conscience est lucide ; son
petit-fils est un prince héritier d'Autriche ; elle est aussi en contact
avec d'autres hautes personnalités. Elle était également forcée d'aller
compulsivement dans des auberges et d'y commander des côtelettes.
Mais l'antagonisme avec la réalité se manifestait également, comme il
est fréquent, dans les symptômes de la maladie. Par exemple, quand
elle faisait la fière dans les auberges, la Voix lui disait qu'elle était
une carogne, une vicieuse. Par ailleurs, elle pensait que son mari se
l'était attachée par une poudre ou par un sortilège (elle n'est donc pas
responsable d'avoir fait un mariage si malavisé).

L'aversion contre l'époux ou le souhait d'en avoir un autre se révèle


de la façon la plus variée chez nos malades. Il n'est pas rare que les
femmes prétendent qu'elles ne sont absolument pas mariées, ou du
moins que leur mari n'est pas leur époux. Comme d'autres personnes
haïes, les époux sont souvent déclarés morts, avec ou sans lamenta-
tions. L'aversion contre l'époux non aimé se manifesta, très discrète-
ment, chez une femme paranoïde mariée depuis longtemps, par un acte
manqué consistant en ce qu'elle signa une lettre de son nom de jeune
fille, puis en corrigeant avec son nom d'épouse (elle avait en outre une
foule sans cesse croissante d'idées délirantes et d'hallucinations en
grande partie dirigées contre son mari). Cet acte manqué est un joli
transfert de la psychologie de la vie quotidienne de Freud dans le
domaine pathologique.

Une dame K., atteinte d'une catatonie tardive, n'aime pas son mari,
mais une connaissance de jeunesse. Voici qu'elle prétend pendant quel-
que temps qu'il y a « deux K., un blanc et un noir, un bon et un
méchant ». Dans le cas présent, ce symbolisme simple est encore perçu
et expliqué par la patiente elle-même. Quelque temps plus tard, elle
croit qu'elle est mariée avec son ancien amoureux, et que son mari
l'est également avec une ancienne connaissance. Et pour rendre son
bonheur plus complet, tous ses chers disparus sont revenus à la vie et
sont en relations avec elle.
Une robuste paysanne a épousé un homme qui n'est ni physiquement
ni mentalement à son niveau. Elle aimait un ministre du culte. Après
l'éclosion de la catatonie, elle se libère de son mari en croyant qu'il
lui est infidèle et qu'il est fiancé à une autre (idée délirante fort fré-
quente en pareilles circonstances ; voir aussi le cas précédent). Un
jour, elle va demander au bureau d'état-civil si son mari n'est pas
encore inscrit comme fiancé. A l'asile, elle verbigère en criant qu'on
prépare ses organes génitaux pour le ministre du culte. Mais là aussi
la réalité 69 lui donne quelque peu raison, la malade se plaignant sou-

6 9 . C'est très probablement à l'impression de réalité donné par des hallucinations nocturnes,
dans un contexte plus ou moins onirique, que Bleuler fait ici allusion (NDT).
vent que son mari vienne dans son lit la nuit (idée qui n'est pas rare
en pareilles circonstances) ; mais ce n'est pas lui qu'elle voulait, mais
le ministre du culte. Sans doute faut-il aussi voir un autre type d'adap-
tation dans le fait qu'à l'asile, au bout de quelque temps, elle a identifié
le médecin au ministre du culte. Mais le médecin est marié, et un jour
où il vient la voir elle l'accueille en s'exclamant : « Alors, votre femme
est morte ? » Quand ceci est nié, elle poursuit son cours de pensée
comme si on lui avait répondu oui : « Vous retrouverez facilement une
femme, moi par exemple je vous épouserais bien. » Comme sa concur-
rente continue à vivre, elle s'aide un beau jour d'une falsification mné-
sique, ce serait le médecin lui-même qui lui aurait assuré qu'il ne
pouvait pas avoir de rapports sexuels avec sa femme.

Dans les nombreux cas où une femme croyait à tort son mari mort, où
elle croyait ne pas être mariée, ne pas porter le nom de son mari, ou
autre, nous avons sans exception trouvé non seulement un méconten-
tement à cause d'une caractéristique particulière ou d'une action don-
née du mari, mais une insatisfaction plus profonde, dont la malade
n'était cependant pas forcément consciente dans tous les cas. Parmi
les causes alléguées de mécontentement, elles mentionnent aussi que
leur mari ne les satisferait pas sexuellement. Il s'agit rarement là d'im-
puissance. L'inassouvissement est donc sans doute causé, comme il est
habituel, par le manque d'amour de la femme ou par son aversion
partielle contre son mari. Et il n'est pas nécessaire à la genèse de ces
idées délirantes que le mari soit haï au sens commun de ce terme ; la
femme peut avoir une haute estime pour lui, elle peut même l'aimer
d'une certaine manière, mais il est pourtant, de quelque façon, insuf-
fisant ou déplaisant à ses yeux (ambivalence) ; l'insuffisance intellec-
tuelle ou affective (comparativement à l'attente de la femme) semble
notamment être péniblement ressentie. Le bien-aimé a tout aussi peu
besoin de correspondre à tous les souhaits de la patiente ; il est souvent
transformé par le délire ; mais il doit par contre présenter quelque
avantage important par rapport au mari.

Ce que l'on a dit de la femme peut être retrouvé chez l'homme aussi,
mutatis mutandis, mais de façon moins prononcée en moyenne.
L'homme dépend moins de la femme ; il joue plus facilement avec l'idée
du divorce, en pensée ou en action. La chose lui tient aussi moins à
cœur. A côté de sa femme, il peut fort bien avoir aussi telle ou telle
maîtresse dans son délire (ou encore dans la réalité) ; il peut même
vouloir en épouser une autre pour rendre heureuse sa femme, qui par-
tagera alors sa richesse.
L'homme se débarrasse peut être plus facilement que la femme de ses
devoirs à l'égard de son épouse en imaginant qu'elle est infidèle. Cette
origine du délire de jalousie70 n'empêche naturellement pas qu'il ac-
cuse, haïsse et maltraite sa femme à cause de cela, car c'est justement
là le « but » du délire : donner à l'homme le droit d'avoir de tels sen-
timents et de commettre de tels actes.

Souvent, l'impuissance des hommes est prétexte à idées délirantes ;


l'un a honte devant sa femme et est forcé de la déprécier à cause de
cela ; l'autre rejette la faute sur elle, un troisième renonce à sa virilité
et devient femme 71 . Généralement, cependant, le délire est mixte, ces
formes se rencontrant toutes trois chez le même patient, mais l'une
étant au premier plan.

Un impuissant du premier type reproche à sa femme d'être une putain,


d'être enceinte ; puis il lui vient l'idée qu'il lui faut la tuer ; cela lui
fournit la base de l'idée délirante suivante, selon laquelle il aurait voulu
l'étrangler, la poignarder avec une épingle à chapeau, l'empoisonner. Sitôt
après le mariage, il a forcé sa femme à aller chez un médecin et à dire
(faussement) à celui-ci qu'elle était mariée depuis huit semaines et en-
ceinte. Par la suite, il a lui-même cru à cette grossesse.

Un contremaître serrurier ressent douloureusement le fait de ne pas avoir


d'enfants. Mais il n'était pas très performant sur le plan sexuel, et les
derniers temps il était généralement complètement impuissant ou éjacu-
lateur précoce. Il n'était plus capable d'exercer sa profession depuis des
années à cause d'une hébéphrénie ; par contre, il faisait tous les travaux
féminins à la maison, tandis que sa femme tenait un commerce.

La « metamorphosis sexualis paranoica » peut avoir d'autres motifs encore


que l'impuissance, et surtout une homosexualité qui la complique. Dans
un cas que je n'ai pu analyser, j'ai des raisons de supposer que la patiente
se considérait comme un homme parce que ce n'était qu'en tant que tel
qu'elle pouvait espérer réaliser ses aspirations à devenir une savante. A
l'occasion, ce délire est un sous-produit fortuit d'une idée délirante lar-
gement plus développée et transposée : une patiente avait été amoureuse
d'un ministre du culte cinquante ans plus tôt ; à la fin, cette patiente était
le Christ (comme quelques autres en pareil cas), ce qu'elle prouvait en
présentant une hernie crurale comme un scrotum.

70. Il a aussi d'autres origines encore (NDA).


71. Le souhait de S c h r e b e r d'avoir des enfants ne s'est pas réalisé. Il est en train de devenir
femme, il sera fécondé par Dieu et renouvellera l'humanité (NDA).
La pulsion d'avoir des enfants joue un rôle tout aussi important que le
complexe érotique au sens restreint, notamment chez les femmes. Au
début de sa catatonie, une fille très cultivée écrivit à sa sœur qu'elle
n'avait jamais aimé d'homme mais était sur le point d'avoir un enfant
et s'en réjouissait très profondément. (Elle était, au reste, très érotique
au cours de sa maladie).

Les enfants imaginaires sont en règle dotés du père que la patiente


aime réellement. Une femme mariée qui a deux enfants de son mari,
qu'elle n'aime pas, pense en avoir au moins trois de son « fiancé »
dans le ventre et réclame qu'on les extraie par césarienne. Les malades
parviennent souvent à s'accommoder d'une manière originale d'enfants
réels qui ne s'accordent pas tout à fait aux circonstances. Ainsi une
patiente qui avait eu un enfant illégitime avant son mariage déclarait-
elle que ses enfants étaient « surlégitimes » ; c'était pour cela qu'il lui
avait fallu se marier, bien qu'elle fût la Reine du Monde.

Le manque de clarté des concepts permet l'identification du bien-aimé


à l'enfant, si fréquente. Tous deux ont le même nom, sont appelés des
mêmes diminutifs et, d'une manière générale, ne se distinguent d'au-
cune façon. Quand la patiente est en même temps la fille, la fiancée
et la femme du bien-aimé, il s'agit là d'un autre type de confluence
de souhaits différents.

Le caractère de réalité peut être ôté à quelque chose de désagréable


tout aussi bien qu'il est conféré à quelque chose d'agréable. Souvent,
les malades ne se laissent pas convaincre des choses les plus simples,
si celles-ci ne leur conviennent pas. Nous en avons déjà vu un exemple
plus haut, chez un revendicateur. Parfois ce refus passe par plusieurs
stades. Quand l'une de nos hébéphrènes apprit que son mari voulait
divorcer, elle prit ceci au sérieux et pesta sérieusement contre lui ;
mais une fois qu'elle fut réellement divorcée il n'y eut aucune espèce
de possibilité de l'en convaincre, et l'on ne devait pas l'appeler par
son nom de jeune fille, qui était redevenu le sien. On apprit la mort
de son père à une catatonique ; elle déclara que cette nouvelle était
fausse et, à l'appui de cela, entendit aussitôt son père parler, à l'ex-
térieur. Quand elle commença néanmoins à s'en convaincre, elle fit ce
que beaucoup font dans le cas d'un aveu : elle transféra l'événement
déplaisant dans le passé et prétendit que son père était mort de nom-
breuses années auparavant. Quelques minutes plus tard, la réalité l'ac-
cabla complètement, elle versa quelques larmes, puis elle fut de
nouveau comme avant.
Dès que nos souhaits sont imaginés comme étant réalisables ou exau-
cés, des facteurs importants ayant une tonalité affective négative leur
sont associés. Non seulement ils entrent en conflit avec la réalité, qui
n'a en fait pas exaucé le souhait, mais la réalisation du souhait elle-
même s'accompagne de désagréments.

Dans quelques-uns des exemples précédents, nous avons déjà vu la


façon dont le premier de ces faits influence le délire. Mais ce qui est
habituel, c'est que les obstacles engendrent un délire de persécution'2.
Nous rencontrons exactement le même processus dans la mythologie ;
les forces naturelles et les hasards bénéfiques sont personnifiés par
les esprits et les dieux bons, et ceux qui sont indésirables par les êtres
mauvais. Ou bien, là où l'on se réfère plus à l'exemple de la nature,
certains dieux sont à la fois porteurs de caractéristiques bénéfiques et
maléfiques : le dieu du soleil, dans ses versions les plus diverses, ne
dispensait pas seulement la fécondité, il lançait aussi des traits mor-
tels ; parfois, cependant, les personnifications se voient dotées d'autres
noms selon la conception du moment, si bien qu'elles sont presque
totalement ou totalement scindées en deux ou plusieurs êtres. Dans la
mythologie, ces fractionnements de concepts restent tout aussi imprécis
que les fractionnements analogues de la schizophrénie' 3 .

Les preuves que la genèse du délire de persécution schizophrénique


est la même résident en partie dans le fait que celui-ci fait défaut
quand les obstacles à l'accomplissement du souhait ne sont pas perçus,
et aussi, notamment, dans le fait que mille détails montrent que « l'ex-
plication » par la persécution se situe après l'obstacle. Il en va ainsi
quand le malade ne reçoit pas de réponse à sa lettre et accuse alors
le médecin de l'avoir interceptée, ou quand le bien-aimé se transforme
sous nos yeux en persécuteur 74 .

L'origine d'idées délirantes contradictoires apparaît de façon particu-


lièrement nette dans le complexe carcéral, qui est généralement un
symptôme de schizophrénie mais se rencontre sur un mode exactement
identique même en dehors d'elle.

7 2 . L'intensité (et non le contenu) d u délire de persécution peut être a c c r u e du fait que des
malades (comme des sujets sains) s'enivrent parfois littéralement d u sentiment d'être mal
traités (algolagnie ?) (NDA).
73. Voir Abraham (NDA).
74. On peut supposer, mais non prouver, jusqu'à présent, que l'angoisse provoquée par le
refoulement de souhaits sexuels concourt aussi à la constitution du délire de persécution à
partir de souhaits non réalisables. Car chez le sujet normal aussi nous voyons une méfiance
passagère, et même de vagues idées de persécution surgir sur la base de cet affect (NDA).
Dans la poésie et dans la réalité, dans le sommeil et à l'état cle veille,
le prisonnier rêve de sa libération (voir le joli tableau de Schwind 75 ).
Mais cette libération n'est habituellement pas possible si la réalité est
appréhendée telle qu'elle est. Le prisonnier est donc déclaré innocent,
ou la durée de sa peine est expirée depuis longtemps, ou quelque chose
d'analogue. Dans ces conditions, ce ne sont en fait pas des murs et
des barreaux qui l'empêchent de partir, mais des gens qui lui veulent
du mal, ceux qui l'ont enfermé ici, naturellement, les gardiens et le
directeur, éventuellement le procureur qui, dès le procès, est apparu
comme un ennemi du prisonnier. Voici donc les persécuteurs qui jouent
alors leur rôle dans la suite du développement hallucinatoire du délire.
- Dans le cas de deux patients - tous deux Italiens - les idées de libé-
ration étaient remplacées par le fait que les malades pensaient être tenus
par leur entourage pour des envoyés de Dieu, alors qu'eux-mêmes ne se
considéraient que comme des hommes pieux. (A l'asile, certains Italiens
schizophrènes se font volontiers nourrir par sonde).

Conformément aux particularités associatives des schizophrènes, les


ennemis ne sont pas choisis selon des règles logiques, mais ce sont
les affects et le contexte occasionnel qui déterminent pour l'essentiel
les personnes impliquées dans le délire. Aussi sont-ce souvent ceux
qui justifient le moins une telle interprétation qui sont imaginés être
des ennemis : ceux qui sont en réalité les protecteurs et les bienfaiteurs
du malade. L'une de nos schizophrènes, autrefois fortunée mais qui
était entretenue depuis assez longtemps par des amies qui, maintenant
encore, paient à l'asile une taxe afin qu'elle soit dans une meilleure
classe, se considère aussi comme persécutée par ces amies. Ainsi
qu'elle le souhaite, personne ne l'aide. Les seules personnes qu'elle
puisse mettre en rapport avec cette idée d'aide devenue négative sont
les amies, c'est-à-dire que ce sont elles qui colmatent la faille causale,
elles qui sont les persécuteurs responsables de cette absence de toute
aide, et par conséquent aussi de son malheur en général.

Même quand les souhaits du malade sont exaucés par les idées déli-
rantes, il n'en tire que rarement profit. A quoi lui servent la richesse,
la gloire qu'il s'est imaginées s'il est enfermé à l'asile ; et la plupart
ne profitent même pas des joies de l'amour et se repaissent tout aussi
peu des repas qu'ils hallucinent. La honte, l'angoisse et d'autres affects
déplaisants que l'activité sexuelle éveille si aisément ne peuvent guère

75. Moritz von Schwind ( 1 8 0 4 - 1 8 7 1 ) : Peintre et graveur autrichien.


faire défaut. Mais il s'ajoute là encore une note négative ; une activité
sexuelle accompagnée d'un affect négatif devient généralement aussitôt
un viol ; il n'est donc pas étonnant que celui-ci joue un si grand rôle
chez nos malades. En outre, le bien-aimé ne fait rien pour venir en
aide à la malade ; il est donc plus ou moins responsable de tous les
malheurs de la patiente, ou du moins il est mis en relation par asso-
ciation avec tout ce qui lui arrive de désagréable : c'est précisément
quand elle pense à lui que surviennent la plupart des barrages et des
autres états pathologiques. La simple expérience montre donc que le
bien-aimé est aussi un ennemi. Les malades sont ensorcelées, électri-
sées, empoisonnées par leur bien-aimé, le cas échéant celui-ci est
même considéré comme le responsable de leur internement. Habituel-
lement, la représentation positive et la représentation négative coexis-
tent : Une femme fait appeler le bien-aimé de son délire par les Voix
du diable en chef, tandis que visuellement il lui apparaît, à l'occasion,
comme un aigle, « qu'elle pourrait en fait tout aussi bien qualifier
d'ange » (il a réellement un nez franchement en bec d'aigle).

Les tourments hallucinatoires que le complexe sexuel cause d'une fa-


çon générale amènent les malades à s'en plaindre même si c'est pré-
cisément cela qu'elles souhaitent tout à fait consciemment. Un de nos
catatoniques réclame très catégoriquement, presque à chaque visite,
qu'on mette dans son lit des filles données ou des filles en général,
ce qui ne l'empêche absolument pas de se plaindre, en même temps,
qu'il ne veut pas être utilisé comme un étalon reproducteur. — Un autre
est très érotique mais réclame d'être transféré dans une autre chambre
à cause de rêves au contenu impudique' 6 .

Parfois, le caractère désagréable provient de l'élaboration logique des


idées de souhait. Une patiente commence subitement à pester qu'on
n'a pas à lui reprocher d'être une infanticide, qu'elle n'a pas tué d'en-
fant, qu'elle n'en a pas eu non plus, et qu'elle n'est absolument pas
fiancée au médecin de la section. Ici, le souhait qu'elle émet à notre
égard pour la première fois est exprimé sous forme négative. Mais nous
voyons dans cette négation non seulement la réalité qui contrarie le
souhait, mais aussi la crainte qui provient du mélange de souhait et
de réalité ; si la patiente avait un enfant du médecin, ce serait une

7 6 . En vertu de l'analogie avec le rêve, il n'est pas invraisemblable que seuls des complexes
qui sont d'emblée ambivalents donnent lieu à de véritables idées délirantes. L'ambivalence
du délire serait alors causée non seulement par ce facteur, mais aussi, en outre, par une
tendance particulière du complexe délirogène (NDA).
honte, elle devrait tuer cet enfant car « elle n'est pas fiancée avec
lui ». Dans la mesure où elle imagine son souhait réalisé, elle est en
même temps une infanticide, et c'est ce que lui reprochent les Voix.
L'idée d'être une infanticide continue alors à faire son chemin. Dans
son village, il y a bien des années, une fille a tué son enfant naturel :
la malade serait comme elle. Mais les Voix en concluent qu'elle est
vraiment cette personne et, dans son état d'excitation, elle cherche à
prouver qu'elle ne l'est pas. Ici, les persécuteurs sont les représentants
du conflit intérieur.
Il en va de façon tout à fait analogue chez un paranoïde. Sa femme ne
lui suffit pas (ne lui suffit plus). Les Voix lui disent qu'il pourrait en
épouser une plus jeune ; une nièce, notamment, qui n'a cependant que
16 ans, lui a fait de l'impression. Légalement, il ne peut pas avoir de
rapports avec elle ; mais le souhait de le faire de façon illégale est présent.
Les Voix font un compromis entre souhait et réalité et lui disent qu'il l'a
violée. Cela l'ennuie, naturellement. L'idée gagne du terrain, car il est
affecté à un autre poste dans son usine et halluciné que ses nouveaux
camarades de travail ne veulent plus travailler à côté d'un salopard pareil.
A présent, il s'agite et, naturellement, devient aussi désagréable avec sa
femme, qui est en travers de la réalisation de ses souhaits.
L'ambivalence affective ne se manifeste pas seulement par l'inclination
et l'aversion, mais aussi par l'espoir et la crainte. Quand le dernier
ouvrier d'usine cité se retrouva à l'asile, les Voix lui dirent tantôt qu'il
sortirait dans six semaines, tantôt qu'il lui faudrait rester éternellement
interné. Contrairement aux futures réflexions infâmes des camarades
de travail, les Voix lui avaient promis peu avant qu'on le nommerait
contremaître dans l'usine. En guise d'introduction à sa psychose, le
même patient entendit des hypostases beaucoup plus simples de ses
souhaits et de ses craintes : ainsi lui chuchotait-on qu'une fille donnée
voulait l'épouser ; il recevrait beaucoup d'argent avant le soir ; au tir,
tout le club de tir lui a chuchoté qu'il devait bien faire attention, Bon
Dieu, qu'il n'abattrait pas une cible mobile.

Un amant réel a lui aussi ses mauvais côtés ; par exemple, il peut avoir
une moindre valeur morale que Tépoux non aimé. Une patiente eut
l'idée délirante que le voyou dont elle s'était entichée était fou. Sans
doute est-il ainsi plus excusé que puni ; car supposer qu'elle souhai-
terait, par vengeance, qu'il devienne malade mental irait à l'encontre
de tout ce qu'elle ressent.
Des conflits résultent, notamment, des luttes habituelles entre nos di-
verses pulsions, disons les bonnes et les mauvaises. Conformément à
ces conflits, les malades ont des Voix et des impulsions d'agir ; chez
ceux des malades qui en sont pourvus, les élans de conscience s'op-
posent aux pulsions mauvaises. Les bonnes pulsions sont dotées d'une
tonalité affective négative à cause des sacrifices qu'elles supposent de
notre part. Aussi les malades sont-ils souvent poussés tant à faire qu'à
ne pas faire les mêmes choses. Les Voix, notamment, les plongent sou-
vent dans le désespoir, quand elles leur commandent quelque chose
puis, une fois l'acte accompli, leur font les reproches les plus grossiers.
Dans certains cas, le persécuteur n'est autre que la conscience per-
sonnifiée. Un paranoïde qui s'était mal conduit eut, après l'ouverture
du testament de son père, des Voix de son oncle et d'un bon ami de
son père qui lui faisaient des reproches sur son existence de voyou,
lui disaient qu'il ne savait rien faire, qu'il se laissait entretenir au
Burghôlzli. Par la suite, d'autres Voix, qui le persécutaient d'une autre
façon, s'y joignirent aussi.
Peut-être l'ensemble du délire de persécution peut-il résulter, le cas
échéant, d'une mauvaise conscience 7 7 . Dans la schizophrénie, j e ne l'ai
cependant jamais rencontrée sans qu'elle fût associée à des aspirations
déçues, bien qu'il ne soit pas rare qu'un malade dise qu'on s'aperçoit
de son onanisme rien qu'en le regardant, et finisse par développer
l'idée qu'on le regarde à cause de son onanisme.
Il est fréquent que l'ambivalence des sentiments se manifeste par des
Voix contradictoires ; il en est qui consolent le malade, prennent parti
en sa faveur, et d'autres qui le tourmentent et l'accusent, le bien oc-
cupant l'oreille droite et le mal l'oreille gauche.
Selon Freud, les rêves de crainte seraient aussi des souhaits ; ils ne
seraient élaborés négativement qu'à cause des obstacles qui peuvent
s'y opposer. J e ne suis pas convaincu que cette conception soit exacte,
et j e ne vois pas, pour l'instant, pourquoi un affect négatif ne pourrait
pas, tout autant qu'un affect positif, provoquer directement les pensées
qui lui correspondent. Si un patient craint, dans ses rêves, que ses
frères et sœurs ne meurent, c'est qu'il est jaloux d'eux, et sans doute
peut-on donc interpréter ceci comme un souhait auquel se mêle une
composante négative. Mais si une hébéphrène qui n'a plus été capable
de passer l'examen de puéricultrice présente, à l'asile, l'idée délirante
qu'on va distribuer ses cahiers et ses livres aux autres pour se moquer
d'elle, l'interprétation selon laquelle elle a bel et bien honte et que

77. Voir cas 3, in Bleuler (71) (NDA).


c'est ce sentiment désagréable qui s'exprime au travers de l'idée dé-
lirante paraît tout' de même plus naturelle.
Le complexe des enfants donne lieu particulièrement souvent à des
conflits intérieurs. Il est aussi rare que des mères schizophrènes tuent
réellement leurs enfants qu'il est fréquent qu'elles les croient morts,
dans leurs idées délirantes ; souvent, les enfants sont totalement iden-
tifiés à leur père sous ce rapport aussi. Ainsi la femme citée plus haut
croyait-elle que non seulement son mari mais aussi leur fils à tous
deux étaient fous. Une femme enceinte célibataire en détention provi-
soire aime le père de son enfant, et elle éprouvait toujours de la joie
quand on lui parlait de son futur époux. Mais quand son amant hésita
à lui rendre visite, et qu'il donna de toute façon des signes d'infidélité,
elle commença à se lamenter : son enfant disparaissait dans son ventre ;
puis elle le tint pour comme mort. Quelques jours plus tard, comme
justement il n'était pas mort, elle commença à gémir qu'elle ne pourrait
pas le garder ; ou alors il serait aussi malheureux qu'elle ; sans doute
vaudrait-il mieux qu'il meure. Ce qui est fort caractéristique, ici, c'est
la nette équivalence de l'idée délirante de mort et du souhait que l'en-
fant meure. Ce dernier ne fait lui non plus l'objet d'aucune motivation
logique. - Des femmes schizophrènes qui n'aiment pas leur mari se
montrent hostile à leur égard notamment pendant leur grossesse (réelle
ou redoutée).
L'identification du mari à l'enfant apparaît également dans le cas d'une
femme qui, pendant son delirium, crédita son mari de deux femmes et
vit qu'il voulait se noyer, si bien qu'elle se donna tout le mal possible
pour le maintenir hors de l'eau ; leur fils aussi voulait se jeter à l'eau,
pour cacher la faute de son père (tout ceci dans le délire schizophré-
nique). Dans quatre cas que j'ai en mémoire, la mère malade voulait
réellement tuer les enfants de l'époux détesté' 8 : dans l'un de ces cas,
le mari fut alors tué à son tour, du moins dans le délire. Une de ces
femmes, qui avait déjà arrosé son petit garçon d'essence et qu'on sur-
prit alors qu'elle aiguisait un couteau, motivait ainsi sa tentative de
meurtre : « ce n'était pas son enfant, elle voulait sacrifier son petit
chéri à Dieu ». Côte à côte, ces deux motifs sont du reste caractéris-
tiques aussi de la schizophrénie : dans l'un des contextes ce n'est pas
son enfant (mais par contre celui de son mari), et dans l'autre, immé-
diatement juxtaposé au précédent, c'est bel et bien le sien, car c'est

78. Moebius raconte l'histoire d'une cigogne qui, abandonnée par son compagnon, jeta les
œufs couvés hors du nid et remplit celui-ci d'herbe (NDA).
son petit chéri. Une autre femme motivait son intention meurtrière en
disant que ce n'était pas la peine que son mari continue à goûter la
joie que lui procuraient ses enfants. - Un homme voulait épouser une
autre femme pour rendre heureux sa femme actuelle et ses frères et
sœurs, mais il disait aussi qu'on voulait le tuer, que son enfant devait
être immolé afin que sa propre vie soit sauvée par ce sang innocent.
Une patiente dont les enfants sont réellement morts mais qui a l'illusion
mnésique de les avoir tués elle-même exprime en cela sa haine contre
son mari d'une façon apparemment différente, mais tout à fait équiva-
lente. - Une autre catatonique, qui a l'idée délirante que son mari se
serait tué d'une balle, présente encore une autre forme, qui n'est pas
excessivement rare ; elle fournissait des informations fort correctes sur
tout, il n'y avait que la question sur le nombre d'enfants qu'elle avait à
laquelle était incapable de répondre, à cause de barrages insurmontables.

Il peut aussi arriver que l'identification de l'enfant au mari dote, à


l'inverse, l'époux de caractéristiques de l'enfant : Une femme qui
n'était pas tout à fait satisfaite de son mari reportait toute sa fierté sur
son fils : « il est docteur et professeur et savant, il n'a certes que
2 0 ans, mais il est plus âgé par son intelligence ». (Et son mari ?) « Il
n'est rien, j e ne sais pas ce qu'il fait (il s'agit d'un alcoolique) ; c'est
un savant lui aussi ; il est tout à la fois 79 ».

Chez les femmes schizophrènes qui croient être enceintes, on peut pres-
que toujours mettre en évidence le souhait d'avoir des enfants. Dans les
cas les plus rares, elles sont mariées mais sans enfants ; généralement,
elles ont un amoureux qu'elles ne peuvent pas rencontrer (qu'elles soient
mariées ou non), et qui est alors le père de l'enfant. Dans certains cas,
en particulier au début de la maladie, la conscience habituelle 8 " des pa-
tientes ne sait rien de la grossesse (imaginaire). Elles peuvent éprouver
des douleurs d'accouchement qui se renouvellent, ou du moins durent
très longtemps. On fait alors éventuellement le diagnostic d'une affection
pelvienne. Dans un cas de ce type, la patiente élucida elle-même, au bout
de quelque temps, sa péritonite apyrétique en prétendant être devenue
enceinte parce qu'elle avait été forcée de coucher dans le lit de son père
(pendant cette maladie !). - Une autre patiente contracta une « hypo-
condrie » de cette façon. Elle avait été amoureuse d'un officier, mais avait

79. Une femme saine de ma connaissance nuançait nettement le degré de sa tendresse à


l'égard de son mari selon la bonne ou mauvaise conduite des enfants (NI)A).
8 0 . Bleuler oppose ici, manifestement, la « c o n s c i e n c e habituelle » et la conscience lorsque
le Moi est sous l'emprise d'un « complexe » (NDT).
épousé un autre homme à la demande de son père. Bien que cette
femme souffrît manifestement fort tôt déjà de schizophrénie, le mariage
se passa bien, en apparence, pendant de nombreuses années, jusqu'à
ce qu'elle s'avisât que son mari avait à faire avec une autre. A présent
surgit l'idée qu'elle pourrait divorcer et épouser l'officier ; cette idée
ne fut pas développée (c'est-à-dire qu'elle fut refoulée) ; cependant la
patiente se trouva enceinte (en imagination) et éprouva les douleurs de
l'enfantement, mais à l'époque où nous avons été amené à la voir, elle
les avait déplacées vaguement dans la partie supérieure du pelvis, jusqu'à
ce qu'une amie lui suggérât qu'elle avait une lithiase vésiculaire, à la-
quelle elle croit à présent, malgré notre démenti. Elle est à présent in-
capable de travailler à cause de ces douleurs, qui sont tout à fait de type
nerveux, et a consulté une foule de médecins.

Dans un cas, le délire de grossesse est peut-être le produit d'une


crainte pure et simple. Une fille s'était laissée surprendre par un in-
connu qui avait forcé la porte de sa chambre, et se croyait à présent
enceinte malgré tous les examens médicaux et l'absence d'interruption
de ses règles. - Dans un second cas, une veuve s'était laissée séduire
une fois, elle eut une crainte d'être enceinte qui se transforma sous
nos yeux en vives hallucinations douloureuses dans les organes géni-
taux, avec « idées hypocondriaques ». Un peu plus d'un an plus tard,
après quelques prodromes de guérison, les règles se produisirent pour
la première fois depuis ce coït, et quelques jours plus tard la patiente
était de nouveau capable de travailler.

Je n'ai encore jamais observé que les symptômes corporels fussent le


phénomène primaire d'où provînt le délire de grossesse, par exemple
par une « allégorie de la sensation spécifique à partir d'un utérus at-
teint de métrite » (Schiile, Traité, 70). Mais il serait fort possible que
de telles sensations fournissent le prétexte à cette idée délirante ; il en
va ainsi quand, dans un délire d'empoisonnement, une diarrhée fortuite
est interprétée comme un empoisonnement, ou quand une patiente qui,
dès auparavant, avait été reine de Wurtemberg, tint pour un Prince en
gestation un abcès de la paroi abdominale qu'elle s'était provoqué en
tambourinant sans cesse sur son ventre. Mais de tels paralogismes à
partir de prémisses erronées sont quelque chose de bien différent de
la genèse d'un délire à partir de troubles somatiques. Et, du reste, les
malades réagissent aussi beaucoup moins intensément aux simples
mises en application de leur délire qu'aux idées délirantes originelles :
le malade qui s'irrite au plus haut point contre le médecin quand il
se plaint de symptômes d'empoisonnement qu'il halluciné peut se
contenter d'attribuer sa diarrhée pseudo-toxique aux autres empoison-
nements, avec un haussement d'épaules fataliste.
Dans plusieurs cas, Vinterruption des règles était nettement en rapport
avec le souhait d'avoir des enfants ; vraisemblablement ceci est-il
beaucoup plus fréquent qu'on ne peut le constater. A l'inverse, une
partie des agitations menstruelles, si fréquentes, doivent être rapportées
au fait que la preuve de l'absence de grossesse contrarie les patientes.
Naturellement, les indications qu'on a fournies ci-dessus sur l'amour
et le mariage sont loin de rendre un compte exhaustif du rôle de la
sexualité dans la symptomatologie de la schizophrénie 81 . Sans doute
n'est-il pas un schizophrène — pas plus qu'un sujet sain — chez lequel
le complexe sexuel ne joue un grand rôle. Généralement, celui-ci est
tout à fait au premier plan ; chez de nombreux malades, nous avons
pu mettre en évidence exclusivement des complexes sexuels. Quelle
qu'ait pu être notre réticence à cet égard, plus notre expérience s'est
accrue et plus nous sommes pourtant devenu « sexuel » dans notre
conception. Pour réfuter notamment les objections que Von fait souvent,
je dois souligner que nous nous sommes plus que suffisamment gardé
d'entraîner les malades sur le terrain sexuel par nos questions. Néan-
moins, d'autres complexes se manifestent aussi, notamment chez les
hommes, plus rarement chez les femmes, sans que la sexualité y prenne
une autre part que celle qu'elle prend à n'importe quelle idée, qui a
naturellement aussi ses associations avec ce complexe idéo-affectif, le
plus important de tous ; chez certains hommes, le complexe sexuel a
été littéralement repoussé à l'arrière-plan par les autres.

On entend fort souvent objecter à l'interprétation sexuelle des phénomènes


hystériformes que tous les gens ne sauraient être aussi portés sur ces choses
et avoir une implication affective aussi forte en ce domaine que ces théories
ne le supposent. Ceci est directement en contradiction avec la réalité. Dans
le cas des maladies nerveuses, on pourrait effectivement recourir à l'échap-
patoire selon laquelle seules peuvent devenir hystériques, justement, des
filles dont l'activité sexuelle est si développée qu'elles ont des connaissances
et un vécu affectif suffisamment en rapport avec cela. La schizophrénie, qui
a forcément un fondement organique, ne saurait procéder à une telle sélec-
tion. On est purement et simplement contraint de s'accommoder du fait qu'il
n'est aucun schizophrène, qu'il soit homme ou femme, vieux ou jeune, d'un bon
ou d'un mauvais milieu, qui n'en sache et n'en ressente sur la sexualité plus
qu'il n'en faut pour produire des symptômes sexuels. Avec quelle fréquence

8 1 . Lomer (424) donne des pourcentages de présence d'idées et d'hallucinations sexuelles.


J e crois qu'il les sous-estime notablement (NDA).
n'entènd-on pas des parents poser la question étonnée : Où ma fille peut-elle
bien avoir entendu tout cela ? Et bien ces parents, de même que les psy-
chiatres qui posent la même question, s'observent mal eux-mêmes. Qui n'a
rien entendu à propos des choses sexuelles ? J'entends, des choses qui tou-
chent proprement à la reproduction. Personne ; chacun a entendu bien des
choses sur ce sujet au cours de toute son existence. Et en protéger quelqu'un
est tout simplement impossible, à moins de l'éduquer comme Kaspar Hau-
ser 82 . Je ne parlerai même pas de la littérature et des journaux, ni des ser-
viteurs et des servantes, non plus que de ce que chacun entend dans la rue,
non plus que des moineaux, des pigeons, des chiens de la ville et des animaux
domestiques de la campagne. Mais l'histoire, et surtout la religion, telles
qu'on les inculque avec zèle et application aux enfants, regorgent de sujets
qui ne peuvent être saisis qu'avec quelque compréhension de la sexualité la
plus intime. Et les enfants protestants se voient en plus mettre entre les
mains la Bible, qui en parle absolument sans plus de fard que Freud ; les
catholiques font leur culte avec la légende de la Vierge Marie, ils célèbrent
des fêtes en l'honneur de processus sexuels - et les enfants n'en sauraient
rien ? Ils doivent être les pires idiots, car on a aussi une compréhension
phylogénétique naturelle très ancienne de cela, comme le nourrisson de la
tétée et l'enfant d'un an de l'alimentation. Et si tous les enfants bien élevés,
n'en avaient pas une connaissance suffisante, ils devraient tout de même se
rendre compte qu'à l'évidence ils ne comprennent pas toutes ces choses et
devraient poser des questions ; mais ils savent quelles sont les questions
qu'ils ne doivent pas poser, ou qu'ils ne peuvent poser qu'à des camarades
ou des serviteurs, prouvant ainsi combien ils en savent, exactement de même
que celui qui répond à côté et qui, à la question combien font 3 et 2, répond
par tous les chiffres jusqu'à 10, à l'exception de celui qui est juste. Ils savent
aussi très tôt - bien avant l'âge scolaire - ce qu'en gros ils ne doivent pas
faire pour des raisons sexuelles. Nous en avons vécu voici peu un exemple
fort parlant. Une jeune fille de 19 ans, d'une famille extrêmement cultivée
et chrétienne, devint catatonique ; dans son cas, absolument tout ce qu'il
était humainement possible de faire pour la garder « pure » l'a été ; et il était
très aisé de faire quelque chose, plus aisé peut-être que dans la plupart des
autres cas, car cette jeune fille était un peu débile, n'avait absolument aucune
pulsion de se cultiver et de lire, et en même temps était très docile. On peut
être à peu près certain qu'elle n'a rien lu qui n'eût franchi la censure pa-
rentale. D'une façon générale, depuis l'époque de sa scolarité, à laquelle il
fut rapidement mis fin, son éducation a presque exclusivement dépendu de
sa mère. Cette jeune fille vivait aussi le plus retirée possible, elle n'aimait

8 2 . Gaspard Hauser (1812 ? - 1 8 3 3 ) : enfant trouvé qui a défrayé la chronique à la suite de


sa première apparition publique connue en 1 8 2 8 et a été donné pour un prince de Bade ou
un descendant de Napoléon 1 " , alimentant en Allemagne une littérature aussi abondante
que Naundorff en France ( N I ) T ) .
pas la société, ne s'occupait que de la tenue de la maison, de religion, et un
peu de musique. Or au cours de sa catatonie, elle n'en jouit pas moins,
comme n'importe quelle femme au courant de tout, d'un Messie qui lui rendit
visite dans son lit pendant quelque temps, et le fait que ce Messie eût gé-
néralement l'apparence d'un prédicateur qui lui en avait imposé ne la gêna
absolument pas non plus. - Une autre jeune fille, protégée autant qu'il était
possible, ne voulait pas mâcher d'œufs, afin qu'ils arrivent entiers sur le
« Stocklein » (l'ovaire83). Pendant les repas, elle mettait au monde des enfants
par la bouche.
Mais je suis loin d'affirmer que toutes les personnes de sexe féminin qui
prétendent ne rien avoir su de ces choses avant leur mariage fassent les
hypocrites. Au contraire : je sais combien ces choses peuvent être barrées à
la conscience, et je ne doute pas que ce barrage soit nécessairement total et
absolu chez une jeune fille, si quelqu'un qui voit ou risquerait d'une façon
ou d'une autre de voir dans une connaissance sexuelle de sa part quelque
chose d'avilissant pour elle lui pose une question à ce sujet 84 .
Dans la schizophrénie, les anomalies se manifestent plus nettement encore
que dans les névroses, aux côtés de la pulsion normale ; la « composante
homosexuelle », notamment, joue un rôle dont on ne soupçonne pas l'impor-
tance. Mais nous ne nous étendrons pas plus ici sur ces détails.
Dans la schizophrénie, la sexualité se manifeste au premier chef par
le caractère sexuel de la plupart des deliriums, qui peut être mis en
évidence au début de la maladie notamment. Une fille tombe malade
juste après avoir trouvé son idéal en la personne d'un gardien de la
paix. A l'asile, elle a des scènes de delirium avec son amoureux. Elle
lui téléphone que les patrons sont sortis, qu'il peut venir ; elle réclame
que nous lui ouvrions la fenêtre afin de pouvoir parler avec lui ; mais
comme nous ne faisons rien, elle s'en accommode aussitôt, elle parle
avec lui par le radiateur qui, pour elle, représente la fenêtre. Elle ne
nous joue pas une scène bien élaborée ; la mise à exécution de son
idée nous paraît caricaturale ; le contexte temporel n'est pas exacte-
ment fixé, elle remet aussi ses idées en question, renouvelle des exi-
gences auxquelles son amant a déjà satisfait, etc. ; elle en use très
librement avec les représentations spatiales aussi ; cela ne la gêne pas
d'être allongée par terre et de prétendre, en même temps, qu'elle té-
léphone ou parle par la fenêtre ; ses phrases ne sont pas non plus
toujours complètes ou grammaticalement correctes ; mais l'on peut sui-

83. Das Stocklein : diminutif de Stock, pour der Eierstock : l'ovaire (NDT).
84. On peut qualifier ce type d'ignorance de stupeur émotionnelle partielle et comparer ce
phénomène à la stupeur généralisée que présentent, par exemple, des conscrits quand ils
paraissent ne plus rien savoir, si on les interroge d'une certaine façon ( N D A ) .
vre le fil sans la moindre difficulté une fois qu'on l'a décelé. Et l'on
ne pouvait que le déceler, sans poser la moindre question, par une
simple observation patiente de ses actes apparemment absurdes. —
Quand son second accès s'annonce, une dame cultivée va dans le ca-
binet de travail d'un directeur de musique et prétend qu'elle va doré-
navant y travailler. On a dû l'éconduire. Puis éclate un delirium qui
représente un rêve amoureux mis en pratique durant quelques mois.
Elle aime un directeur de musique, bien que ce ne soit pas celui dans
l'appartement duquel elle a fait intrusion, il s'agissait seulement d'une
action symptomatique. Voici que dans son delirium elle est fiancée,
puis mariée avec lui, enceinte de jumeaux : d'un enfant qui lui res-
semble et d'un qui représente son père ; elle finit par accoucher, puis
entre en rémission. Pendant le delirium elle a fait toutes sortes de
choses incompréhensibles, elle a en effet considéré son entourage
comme un obstacle et, conformément à cela, a réagi à son égard de
façon hostile quoique inconséquente, car elle enregistrait néanmoins,
outre le délire, la réalité entière en tant que telle. Quand elle était
satisfaite du médecin, il était inclus dans le système érotique d'une
façon qu'on ne pouvait expliquer dans ses moindres détails - le plus
fréquent, en pareil cas, c'est que le médecin soit identifié partiellement
ou totalement au bien-aimé — mais ses actes étaient très symboliques,
elle lui offrait des vers qu'elle avait composés, enveloppés dans beau-
coup de papiers au cœur desquels se trouvaient en outre un poil pu-
bien, un peu de sang menstruel, parfois aussi un peu d'excréments,
etc. De tels faits se produisaient encore à une époque où elle était
déjà si lucide qu'elle m'était nettement supérieure quant à la finesse
de jugement lors de conversations sur l'art, etc.

De tels deliriums peuvent se poursuivre pendant toute une vie. Je


connais une catatonique qui tomba malade d'une façon analogue en
1874, puis vécuL des années durant avec l'enfant imaginaire de son
bien-aimé, tout en l'identifiant généralement complètement à ce der-
nier, et qui n'est, même à présent, pas encore sortie de ce rêve.
Parfois, la sexualité se manifeste sous une forme moins plaisante. Elle
s'associe fréquemment à des représentations anxieuses, les deliriums
étanl alors également modifiés en fonction de ces dernières. Une pa-
tiente hallucinait que sa mère l'accusait devant son père, puis « son
père la regarda comme ça » ; il lui donna un coup de lance au bas-
ventre, tout en dansant d'une façon singulière ; il était noir et tout nu ;
en d'autres circonstances aussi, il lui apparaissait souvent tout noir
auprès de son lit, parfois aussi sous la forme d'un taureau. La patiente
raconte que son père l'aurait souvent battue - et aurait voulu abuser
d'elle ; il a souvent touché ses organes génitaux et serait même allé
encore plus loin. Ainsi, sa peur de son père devient compréhensible.
Mais, abstraction faite de la fréquente survenue de ces thèmes dans
un contexte sexuel, le fait que l'attentat à la lance était d'ordre sexuel
est prouvé par la mimique complètement sexuelle de la patiente lors
du récit de cette hallucination qui, il est vrai, ne révèle rien par elle-
même : la malade se cacha le visage avec un sourire gêné. Elle raconta
les attentats effectifs de son père avec la même mimique que des sujets
sains relatant de tels faits, sur un ton objectif, un peu gêné, mais pas
avec un érotisme actif.

Un jeune homme a des deliriums du type suivant : il voit sa sœur « dans


la tenue d'une ballerine de grande classe », elle ressemble à Diane ; il y
a auprès d'elle un adolescent merveilleusement beau que le patient a
lui-même créé grâce à la relation qui existe entre sa substance cérébrale
et l'Univers ; « c'est de l'arsénié que j'ai dans mon cerveau, c'est exac-
tement la même chose que l'ambroisie ». L'éphèbe est un pseudo-N. (le
propre nom du patient) ; il lui ressemble également, il a l'apparence d'A-
pollon ; il veut violer cette Diane. Le patient craint qu'elle ne finisse par
lui succomber, il serait alors totalement exclu du monde pour 7000 ans.
Il raconte aussi cette histoire sous une autre forme : il voit sa sœur et lui
au Ciel. Il a avec sa sœur aînée une relation amoureuse (unilatérale) qui
date de sa quatrième année, c'est-à-dire d'une époque où cette jeune fille
arrivait à la puberté. Il ne cesse à présent de s'absorber dans ces thèmes
délirants ; tout événement extérieur qui le dérange en cela le contrarie,
du fait qu'il le détourne de ces pensées, si bien qu'il se considère comme
brimé et devient lui-même désagréable, ne serait-ce que si l'on entre dans
sa chambre.

Une autre malade vit, au cours d'un accès de fureur, Judas Iscariote
la menaçant d'un glaive. De même que, dans le délire précédent,
l'amour du frère et de la sœur était fort bien symbolisé par Apollon et
Diane, Judas représente ici, ainsi qu'il est fréquent, l'amant infidèle.

Le glaive n'est pas si évident que cela à interpréter ; mais, chez cette
patiente, comme chez toutes les autres, il s'avère être équivalent à la
lance dans la main du père de l'exemple cité plus haut, et au couteau
qu'ont en main les « hommes noirs » qui apparaissent aux hystériques
et aux schizophrènes : c'est l'organe sexuel viril agressif 5 '. Dans la

8 5 . Ceci rend probablement compréhensible le « poignard avec certificat de mariage », in


Kraepelin ( 3 8 8 , p. 198) (NDA).
mythologie, le même rôle est joué par le trait d'Apollon qui, aussi bien
en tant que rayon de soleil qu'en tant qu'organe sexuel, féconde, mais
aussi tue. J'ai aussi entendu deux femmes saines parler du glaive et
de la lance en ce sens (tout à fait indépendamment de la défloration).
Ces armes sont toujours citées en relation avec d'autres représentations
sexuelles. « J'ai évité le Docteur, parce qu'il m'a donné des coups de
couteau, toujours dans les meilleures intentions du monde, si bien que
j'ai souvent eu mal et ressenti une brûlure au flanc (ce disant, elle
montre la région génitale, et ne désigne vraiment son flanc que la
seconde fois), et je me suis dit que j e ne pourrais absolument pas
l'aimer » (tout ceci avec une mimique fortement sexuelle 86 ). Très fré-
quemment, ces divers symboles sont qualifiés de « promiscuité
complète 87 ». Une de nos paranoïdes transformait l'épieu ardent dans
son ventre dont elle parlait spontanément en nombreuses aiguilles ar-
dentes, quand on l'interrogeait sur ses hallucinations corporelles ; puis
c'était de nouveau un gros objet qu'on lui enfonçait dans la poitrine
et dans le bas-ventre, et elle manifestait alors énormément d'affect à
propos de son bas-ventre, mais pas de sa poitrine. Il n'est pas rare
non plus que l'aiguille soit rencontrée dans le même sens, et cette
symbolique peut aller si loin que, pendant quelque temps, une jeune
catatonique rougit de honte quand elle voyait une aiguille. Parfois, le
revolver joue aussi un tel rôle ; ainsi une de nos hébéphrènes est-elle
poursuivie par un homme porteur d'un revolver qui exige d'elle quelque
chose d'inconvenant ; on tire dans les jambes d'une autre avec un re-
volver. Chez les hommes aussi nous avons observé le revolver avec le
même sens.
Il est tout à fait caractéristique que ne soient presque exclusivement
pris comme symboles du membre viril ayant une validité relativement
générale que des objets ayant également une charge affective, et en
l'occurrence des objets associés la plupart du temps à un frisson de
crainte 88 . Saucisses, cierges, simples baguettes et autres objets inno-
cents, qu'on rencontre si fréquemment dans la grivoiserie commune
des grands et des petits, semblent, dans la schizophrénie comme dans
le rêve, ne pouvoir représenter les organes génitaux que dans des
contextes bien particuliers. Ainsi la malade B. S. de Jung parle-t-elle

8 6 . U n l i é b é p h r è n e à f o r t e t e n d a n c e h o m o s e x u e l l e a d e s p o l l u t i o n s q u a n d s e s y e u x et son
a n u s s o n t t r a v a i l l é s h a l l u c i n a t o i r e m e n t au c o u t e a u (NDA).
8 7 . Promiskuität : en a l l e m a n d , c e t e r m e d é s i g n e s p é c i f i q u e m e n t l a p r o m i s c u i t é s e x u e l l e , et
p l u s p r é c i s é m e n t d e s r a p p o r t s s e x u e l s s a n s l e n d e m a i n (NDT).
88. L ' a m b i v a l e n c e d e la s e x u a l i t é s ' e x p r i m e d o n c ici a u s s i (NDA).
de saucisses grillées qui, pour acquérir la capacité de servir de sym-
bole, doivent être mises en relation avec le symbole de la bouche en
tant que vagin et de l'alimentation en tant que coït. La baguette ap-
paraît en tant que baguette magique ou en tant que « bois rouge de la
vie ». Ceci est caractéristique du rôle important que joue l'affect dans
toute cette symbolique. L'analogie intellectuelle est souvent accessoire,
l'analogie affective est beaucoup plus importante.
C'est sûrement à cette circonstance que l'un des symboles sexuels les
plus fréquents, le serpent, doit son importance. Nous le rencontrons à
chaque instant dans les hallucinations, et nous n'avons encore jamais
fait de ce symbole une analyse dans laquelle il ne s'avérât pas être
nettement de nature sexuelle. Une vierge dont l'existence est irrépro-
chable éprouve, pendant une poussée bénigne de son hébéphrénie,
« des phénomènes pas désagréables provenant d'un homme noir ou
d'un serpent qui viennent à elle ». Une présénile voit un ange ; « un
serpent arrive, s'enroule autour de lui, et devant ça dépasse vers le
haut comme ça, tout raide (la patiente imite avec son doigt la position
du pénis en érection), c'est pour ça que le serpent ne fait aucun mal ».
Chez une autre malade, le serpent vient boire dans la vulve 89 . Parfois
le serpent est ardent, bien que plus rarement que la lance et le glaive.
Un hébéphrène se plaignait de ce qu'un serpent l'enserrait, la tête
devant sa bouche, dans laquelle il injectait du poison. Les renseigne-
ments fournis par son anamnèse confirmèrent notre soupçon : il était
pédéraste et s'en faisait reproche.
Il n'est pas rare que d'autres animaux soient des symboles sexuels. Et
au premier chef, outre le serpent, le cheval90, que de nombreuses
jeunes filles craignent et intègrent dans leurs rêves anxieux ; et puis
aussi le taureau. Ce dernier est mentionné dans un exemple ci-dessus ;
le cheval peut aussi se voir sous la forme de « deux chevaux à bascule
qui sont dans le lit et qu'on ne voit pas, on les sent seulement cogner
et soulever rythmiquement la couverture ; ce sont N. N. et X. X. (des
connaissances de la patiente auxquelles elle rattache des idées déli-
rantes sexuelles). Chiens et chats, dont tout enfant connaît l'activité
sexuelle, sont également très fréquents ; les patientes les sentent dans
et sur leur ventre, elles voient les chiens les poursuivre, etc. La souris
a à peu près le même usage que le serpent ; il nous est arrivé plus

8 9 . Voir aussi « Premier chant d'amour d'une jeune fille », de Môrike. Dans le rêve du sujet
sain, dans les mythologies, chez Swedenborg, partout le serpent est un symbole sexuel (NI)A).
9 0 . Le cheval est en même temps symbole d'aspirations aristocratiques (NDA).
d'une fois que la même hallucination soit qualifiée tantôt de souris ou
de rat, tantôt de serpent. Parfois aussi, la souris devient un gros rat
sous les yeux de la patiente. Parmi les animaux exotiques, l'éléphant
s'avère aussi être un animal sexuel lors des tests d'images (à l'occasion
de l'examen de la perception), sans doute à cause de sa taille et de
sa trompe ; dans les idées délirantes, j e ne me souviens de l'avoir
rencontré que deux fois comme symbole sexuel net ; une fois, il repré-
sentait un grand médecin auquel la patiente rattachait ses hallucina-
tions sexuelles ; une autre fois, il apparut, au début de la maladie, en
tant qu'hallucination d'une très jeune hébéphrène caractérisée par
toutes sortes de pensées sexuelles. Une patiente se plaignait de nos
« lits à trompes de foin » (foin désigne souvent le pubis, en langage
vulgaire), il y a pas mal d'hommes qui laissent traîner leur trompe de
foin dans son lit (tout ceci avec une mimique indubitablement
sexuelle). De façon fort évocatrice, tous les animaux servant de sym-
boles sexuels étaient spontanément rassemblés sous le vocable « d'ani-
maux de beauté » par une patiente.

Le coït s'exprime, entre autres, à travers le symbole du meurtre91 et


ce tant activement, chez l'homme, que passivement, chez la femme
notamment 92 . Une catatonique est excitée sexuellement par le prêtre ;
à l'église, il la dévisage d'un « regard qui tue » qu'elle ressent dans
tout son corps. En outre, elle a des rêves angoissants au sujet de gens
morts. Mais même quand elle raconte ces rêves elle a un regard dou-
ceâtre et extatique sur lequel on ne saurait se méprendre. Une autre
catatonique est également amoureuse d'un ministre du culte et écrit
dans une lettre : « Le pasteur réformé doit m'écraser ». Parfois, l'infir-
mière doit - faute de mieux 93 - servir d'objet et de sujet d'amour à
cette malade ; en ce sens, elle a dit un jour qu'elle voudrait la serrer
contre elle jusqu'à ce qu'elle devienne toute maigre, puis l'allumer.
Une catatonique verbigère, avec quelques variantes, les mots : « Tue-
moi, salopard, tue-moi », mais les accompagne de baisers frénétiques
sur sa propre main et d'autres gestes sexuels, et les associe à une foule
de mimiques sexuelles. Une autre se réveille de son sommeil avec un

91. Ne pas confondre avec l'usage de ce mot pour lous les types de mauvais traitements -
voir Langage (NDA).
92. « A présent, Henri, j e meurs bien de la douce mort », dit Ottegebe dans Le pauvre
Henri, de Haptmann. - « Défends à ton cœur d'aimer, ô enfant ; car aimer c'est mourir,
l'amour c'est la mort », in Horn, La Belle au Bois Dormant, etc., (NDA) - Comparer avec la
« petite mort », en français (NDT).
93. En français dans le texte.
cri et s'exclame que les meurtriers arrivent, que l'homme fornique avec
les patientes.
La guerre et le duel sont également des symboles du coït. Une de nos
hébéphrènes suivait même avec un intérêt nettement sexuel la guerre
russo-japonaise, qui avait toutefois avec la malade d'autres relations
encore, sur lesquelles j e ne suis pas au clair. (Voir plus bas « Guerre
de religion »).
L'idée délirante d'être soi-même tué pourrait en outre exprimer le sou-
hait de mourir. Bien que l'idée délirante d'être assassiné s'entende sur
le plan sexuel dans de nombreux cas, ce n'est sans doute pas toujours
le cas, quoique nous n'ayons pas encore mis en évidence d'autre origine
avec certitude. Ce serait le plus probable dans le cas d'une jeune fille
qui, abandonnée enceinte par son amant, a volé et souffre principale-
ment d'être en froid avec ses parents ; elle dit n'être à personne et
devoir être tuée. Elle ne vint à bout d'aucune lettre à ses parents à
cause d'une soustraction complète de la pensée, tandis qu'elle écrivait
à son amant.
Etre brûlé ou consumé s'apparente généralement de très près à l'idée
d'être tué, et est souvent totalement identique pour les patientes. Le
feu de l'amour s'exprime tant de cette manière qu'au travers de l'état
d'ignition des épées, épieux et aiguilles ; parfois, un bien-aimé fait lui
aussi ses visites sous la forme d'un homme ardent 94 ; ou encore il apparaît
dans le matelas, « toute la zone génitale rouge feu comme un poêle ».
C'est ainsi qu'il faut l'entendre, quand cette jeune fille éduquée de
façon asexuelle, sans succès, raconte d'une voix douce qu'elle a peur
« d'un couteau d'assassin qui ne cesse de brûler ». - Lors de l'examen,
une catatonique ne répond qu'avec hésitation, par phrases rares et ha-
chées ; à la question : « Qu'en est-il de Conrad ? » (son amoureux),
elle dit aussitôt, avec une mimique animée et une tout autre voix :
« Dois-je être brûlée ? dois-je être tuée ? » - Des patientes se plaignent
qu'on les prenne pour des messieurs, et ajoutent : « Oui, oui, je sais
bien, j e ne me laisse pas brûler », ou quelque chose d'équivalent. Le
feu est également mis en rapport avec l'angoisse : « C'est exactement
comme si j'avais un feu en moi, aussi ai-je peur jour et nuit ». Chez
cette dernière malade, comme chez plus d'une autre, l'idée de feu mène
à celle d'être en enfer, ou d'aller en enfer (la distinction entre les deux
n'étant pas toujours faite). Un patient passe, par une généralisation,

9 4 . Au sens propre (NDT).


de la sensation que ses organes génitaux sont brûlés à celle d'être tout
entier dans un feu. Par la suite, il atténue de nouveau cela et, par
déplacement, n'a plus de chaleur que dans la tête. L'hallucination ori-
ginelle était née de l'excitation sexuelle que provoquait en lui la fille
de sa femme de charge. C'est pourquoi, dans ses hallucinations, elle
le menaçait d'être brûlé, tandis que sa mère, inoffensive, le consolait
en disant qu'il ne serait pas brûlé.
Un paranoïde a l'idée délirante que sa femme serait infidèle et morte ;
on l'accuse de rapports avec sa belle-sœur. Une fois, il entendit un
cri ; cela signifiait que sa femme venait de mourir. En même temps,
c'était comme si on lui arrachait une flamme du cœur. - Un autre se
plaint qu'il y ait sous lui une femme qui veut le séduire pour le tuer
par ignition ; ici, l'ignition est prise dans un autre sens encore ; il veut
dire qu'on l'aurait enduit de pommades irritantes après cette séduction.

L'identification du feu au coït peut aussi se produire en référence à


d'autres personnes ; un mari jaloux prétendait que sa femme avait em-
bauché un homme pour lui 9 ° allumer le lit sous le derrière.

Une femme a l'idée délirante qu'on veut mettre le feu à sa maison, et


elle soupçonne l'un de ses pensionnaires. Exactement sur le même ton,
et comme si elle développait le même sujet, elle raconte qu'elle craint
que ce pensionnaire puisse aller si loin qu'elle en ait un enfant. Ici,
le feu qui consume la maison a en même temps un autre sens encore,
celui qui est habituel quand on parle de « mettre le feu à la baraque ».
Il signifie la suppression de la famille, idée qui, en effet, est généra-
lement provoquée aussi par une sexualité inassouvie. - Une femme
insatisfaite de son mari tomba malade au cours de sa seconde gros-
sesse ; elle devint jalouse, méfiante ; les Voix lui ordonnèrent de mettre
le feu à sa maison pour faire au Seigneur une offrande de fumée 96 .
(Par la suite, elle voulut aussi sacrifier son fils). - Une autre femme,
qui aime un ministre du culte, redoute d'abord que la maison ne doive
partir en fumée ; un jour, elle croit qu'on y met le feu ; elle s'enfuit
de la maison et veut alors voir le Seigneur ; par la suite, elle dit être
mariée avec son bien-aimé. - Une autre femme, dont le mari est un
voyou, vit et entendit des gens mettre le feu à la maison ; son petit
garçon est également mort, dans ses hallucinations. - La femme qui

9 5 . Ihr : s o u s le d e r r i è r e d e s a f e m m e (NDT).
9 6 . Der Rauch : la f u m é e - der Weihrauch : l ' e n c e n s (NDT).
portait en son sein trois enfants de son amant imaginaire avait tenté
de mettre le feu à sa propre maison, la « maison du malheur ».

Le seul de nos cas dans lequel la sexualité n'est pas à coup sûr co-
responsable du feu concerne un catatonique qui avait abattu sa mère
et blessé son père pour les préserver de la pauvreté. La nuit suivante,
il rêva que la maison de ses parents brûlait ; lui-même était tout en
haut du toit, ne faisait rien et se contentait de s'étonner. (Néanmoins,
quelques indices font penser qu'il aurait existé un rapport sexuel uni-
latéral avec sa mère).

L'angoisse a une relation étroite avec les symboles de coït dont nous
avons discuté jusqu'à présent. Voici des décennies déjà, de nombreux
psychiatres savaient qu'il existait un rapport entre sexualité et an-
goisse, l'excitation sexuelle provoquant l'artgoisse et, à l'inverse, une
masturbation impulsive existant souvent dans les états anxieux 9 '. Freud
a ensuite expliqué l'angoisse pathologique en général comme étant une
conversion d'une libido sexuelle refoulée. J e ne vois cependant pas
pourquoi il n'y aurait pas aussi une angoisse en cas de menace sur
l'existence de l'individu, tout aussi bien qu'une angoisse génésique. Il
me faut toutefois constater que, dans les cas pathologiques et dans les
rêves que nous avons pu analyser, seule l'angoisse génésique pouvait
être prouvée avec certitude. En quoi consiste le rapport entre la sexua-
lité et l'angoisse,, cela reste obscur à mes yeux ; le seul point certain,
C est que ce rapport existe .

On peut imaginer que la répression de l'instinct sexuel provoque l'an-


goisse, en tant que préjudice pour l'espèce, de même que le danger
pour l'individu ; ce n'est pourtant qu'une analogie. On sait en outre
que l'excitation sexuelle, notamment chez la femme, mais en un certain
sens aussi chez l'homme, s'associe à des symptômes anxieux, des fris-
sons et un tremblement. On sait que, non seulement chez l'homme mais
chez de nombreux animaux inférieurs et supérieurs, la femelle oppose
à l'accouplement une vive résistance, d'autant plus étonnante qu'elle
prend fréquemment l'initiative dès que le mâle semble battre en re-
traite. On pourrait penser qu'il existe une certaine régulation, deux
contraires interagissant, comme nous le voyons si souvent en physio-

9 7 . Voir par exemple Cullerre (145), Oppenheim ( 5 2 9 a , p. 117), Muthman (502a, p. 4 2 ) et


Bernhard (NDA).
9 8 . Steckel fournir des points de repère en vue de comprendre ce rapport, mais malheu-
reusement pas encore d'explication. Les états anxieux à la suite d'une mauvaise circulation
sanguine ne font pas partie du tableau de la démence précoce (NDA).
logie et en psychologie, et que l'inhibition est justement ce que nous
appelons angoisse ; mais on ne saurait deviner pourquoi elle se mani-
festerait précisément quand l'acte est réprimé.
Quand elle est analysable, nous rencontrons donc toujours l'angoisse
en relation avec des symptômes sexuels. Certes, si l'on considérait
l'homme noir au couteau comme étant le phénomène primaire, l'an-
goisse serait, dans ces cas, une peur pour l'individu. Mais nous
connaissons la signification sexuelle de cet homme, et nous voyons
chaque jour cette même angoisse surgir également quand l'individu
n'est pas menacé. Nous pouvons en outre aisément nous expliquer pour-
quoi le symptôme sexuel doit apparaître, mais non ce que la menace
physique a à faire en pareil cas.
Généralement, l'angoisse évolue sous l'apparence d'une telle menace.
Parfois, on ne rencontre pas cette dernière. Un catatonique qui avait
des accès d'angoisse athématiques demandait une fille avec insistance
au cours des uns, et se masturbait au cours des autres. Une catatonique
avec négativisme assez important se masturbe fort régulièrement quand
on la force à quelque chose, à manger, à s'asseoir, e t c . "

La conversion en sentiments et représentations religieux est un perfection-


nement de l'instinct sexuel connu depuis longtemps (« sublimation »,
Freud). De nombreux malades, tout comme des sujets sains, cherchent
tout à fait consciemment dans la religion un succédané au bonheur
amoureux qui leur a échappé. Mais dès que la maladie commence à
rendre les représentations moins organisées, le complexe érotique re-
foulé ressurgit et se mêle aux représentations religieuses. Ainsi le Ré-
dempteur, ou Dieu, ou quiconque se trouve placé au premier plan de
l'intérêt religieux, présente nettement les caractéristiques du bien-ai-
mé. Une patiente qui était amoureuse d'un ministre du culte dessinait
volontiers le Bon Dieu avec des favoris et un pince-nez ; le Christ était
également doté des traits d'un pasteur protestant. Une fois, une telle
silhouette fut dessinée sur la croix avec un pénis érigé : selon la propre
explication de la patiente, elle représentait l'homme bon ; sur la croix
voisine, il y avait l'homme mauvais avec un pénis flasque. L'une des
premières silhouettes crucifiées identiques avait deux pénis érigés. Par

99. Il est aussi des gens non malades mentaux qui ont des pollutions en cas d'angoisse;
cela arrivait à un jeune monsieur quand il était pressé, par exemple quand il devait vite
aller à la gare et avait encore à se préparer. Les enfants éprouvent une excitation sexuelle
quand ils ont peur de leur instituteur. Voir aussi Krafft-Ebing, Moll. Les rêves d'angoisse
sont de nature sexuelle (Freud). Voici déjà des décennies, Savage connaissait le rapport
entre la mélancolie anxieuse et la sexualité (NDA).
la suite, la malade est carrément mariée au Saint-Esprit. — Une hébé-
phrène (latente) n'aimait plus son mari, et elle obtint le divorce. Le
jour du jugement, elle vit Dieu qui lui promit un million ; mais son
mari lui a volé ce million. Dieu lui dit aussi, entre autres : « Ne re-
nonce pas à ton premier amour, car il tiendra à coup sûr ce qu'il a
promis. » Il parlait saxon, avait des cheveux blonds, un pantalon à
carreaux, bref tout comme un sieur H. que la patiente avait aimé avant
son mari. En même temps, « toute la puissance du Seigneur apparut,
le soleil et les étoiles brillèrent ; mais celui qu'on appelle le Consola-
teur dans le livre de chants religieux, j e le connais dans l'existence,
il a un pantalon et une veste comme le Seigneur et parle saxon. » Le
Christ et les Apôtres sont également représentés dans sa famille. Elle
est elle-même la Jéhovah, elle n'est pas Dieu mais le successeur de
Dieu ; elle siège à sa droite. Monsieur H. est le Roi des Honneurs.
Quand elle parle de ce dernier (même de façon tout à fait profane), elle
y mêle toujours un flot d'expressions bibliques. — Depuis qu'elle ne l'aime
plus, son mari lui est apparu sous les aspects les plus divers, seulement
il avait toujours des cheveux noirs (comme dans la réalité). En parlant
de lui, elle dit généralement « les noirs », elle a divorcé du noir.
Chez les hommes, une sainte peut représenter la bien-aimée. Mais les
hommes schizophrènes ne se gênent nullement non plus pour être ma-
riés à Dieu ou au Christ ; ainsi de notre patient, cité plus haut, dont
les premiers sentiments érotiques étaient liés à sa sœur : le Christ lui
apparaît comme une très belle fille qui a les traits de sa sœur.
Cependant, les hommes sont plus fréquemment actifs en matière reli-
gieuse aussi ; ils deviennent prophètes ou Christ, ou même Dieu, et,
en tant que tels, les plaisirs des différents paradis sont naturellement
à leur disposition. En leur qualité divine, ils peuvent aussi aimer une
mortelle, selon des modèles connus.
Il n'est pas rare que le diable joue le rôle assigné aux bonnes personnes
dans les exemples antérieurs. Une femme qui vit en état d'abstinence
sexuelle est, depuis lors, « tentée » par l'esprit de Dieu, ce qui la fait
jouir de tous les plaisirs ; elle voit et entend le diable, qu'elle identifie
à l'Esprit tentateur, sans que cela soit bien clair dans son esprit. 11 s'agit
plus fréquemment du diable sans aucune adjonction. Une servante voit
le diable avec le visage de son maître, qui lui a fait avec sa baguette
magique toutes sortes de choses qu'elles a senties dans ses organes gé-
nitaux. Souvent aussi, le diable a certaines caractéristiques du bien-aimé,
ou encore d'un autre homme qui excite sexuellement la patiente.

Outre de telles représentations, simples et assez facilement compré-


hensibles, il en est aussi une foule d'autres, plus confuses, qui sont
déformées jusqu'à en être méconnaissables et amalgamées avec divers
éléments. Une patiente a chaque nuit un bel enfant du ministre du
culte N., « car elle est l'expédient pour la guerre de religion ». Quand
on sait que le combat est souvent le symbole du coït, ceci peut devenir
compréhensible. - Une femme sans enfants, qui haïssait son mari, par-
ticulièrement à l'arrêt de ses règles, se lamentait à cette époque de ce
que tant d'enfants aient été tués durant les guerres de religion. - Le
mélange schizophrénique de divers concepts qui n'ont de rapports
qu'en apparence se manifeste au travers des propos d'une malade, qui
disait avec une expression d'excitation sexuelle : « Les infirmières sont
aussi le sang de Jésus, elles pèchent aussi. » Jésus et le péché s'ap-
parient bien, certes, mais pas de cette manière.

La relation associative entre la viande et les organes génitaux, qui n'est


pas rare, provient sans doute aussi d'associations religieuses. Un ca-
tatonique très intelligent qui présentait un délire de péché dit carré-
ment qu'il ne mangeait pas de viande parce que cela évoquait les
choses charnelles 100 . Au cours du test d'associations provoquées, un
hébéphrène associa à « aimer » - « c'est-à-dire un sacrifice charnel ».

Le lien entre péché et sexualité est des plus fréquents, tant dans la vie
que dans la schizophrénie. Dans les auto-accusations, les péchés
sexuels jouent un grand rôle, et ce même là où d'autres choses, que
l'on peut plus facilement dire et penser, sont d'abord alléguées.

Le besoin de propreté et le sentiment d'être sale se classent également


ici. Par le passé, on a déjà noté que de telles idées compulsives se
rencontrent volontiers chez les masturbateurs. Freud a montré qu'il
s'agit d'un transfert du sentiment d'impureté morale vers celui de sa-
lissure physique. Les observations qu'on peut faire clans la schizophré-
nie lui donnent raison. Un patient disait justement : « Je ne peux pas
vous donner la main parce que je me suis masturbé ». Une patiente
qui, entre autres, s'est aussi stimulée sexuellement en se mettant des
chats sur le sexe, souffrait de graves idées compulsives de propreté.
Quand elle voyait un chat, notamment, il lui fallait se laver les mains
« pour ne rien introduire en elle de nuisible, de venimeux 101 ». Dans

100. Er esse kein Fleisch, weil dass an Fleischliches erinnere. Fleisch : viande, chair (NDT).
101. Bien que j e n'aie encore trouvé chez des malades nulle pulsion de lavage autre que
sexuelle, on doit pourtant être prudent avec l'interprétation de ce symptôme ; chez deux
enfants d'un an et deux ans j'ai vu le rejet véhément d'une exigence quelconque s'accompa-
gner constamment de gestes analogues : dans un cas, généralement, un mouvement tournant
des mains exactement comme quand un adulte se lave les mains, et dans l'autre un essuyage
des mains sur les vêtements (NDA).
un contexte analogue, une dame voulait avoir la fenêtre constamment
ouverte à cause de l'impureté de l'air. Chez une dame très sensible et
cultivée, on put prouver expérimentalement cette relation. Souvent, elle
se refusait d'une manière tout à fait négativiste à serrer la main, bien
qu'elle fût très aimable au cours de la conversation. Soit elle ne pouvait
fournir aucune raison, soit elle alléguait qu'elle transpirait des mains,
ce qui n'était que fort modérément le cas. Il s'avéra alors que la peur
de serrer la main survenait toujours alors qu'il s'était présenté, au cours
de la conversation, quelque chose qui avait éveillé son complexe ona-
niste. — Un catatonique était sorti de façon tout à fait absurde par la
fenêtre de sa mansarde et avait démonté et remonté son lit. Il allégua
avoir seulement voulu regarder par la fenêtre (mais il était sorti) ; il
dit qu'il ne savait pas pourquoi il avait démonté son lit, quil était un
pécheur. Cette association entre le démontage du lit et le péché nous
fit soupçonner qu'il s'agissait aussi d'un complexe onaniste de propreté,
ce qui put être prouvé avec certitude dans d'autres associations et à
partir des propos directs du malade.

Ce n'est pas le péché mais la honte de l'onanisme et le sentiment qu'on


lit sa faute sur son visage qui s'exprime parfois par le fait que le
patient ne veuille pas montrer sa face, particularité catatonique fré-
quente qui peut, il est vrai, avoir d'autres motifs encore. Chez une
jeune fille ce fut pendant longtemps, au début de la maladie manifeste,
le seul symptôme apparent ; elle ne pouvait parler à quelqu'un autre-
ment qu'en détournant son visage ou en le cachant ; elle en donnait
elle-même le motif, mais elle ne put se départir de cette « idée compul-
sive » longtemps encore après être entrée en rémission. Une autre se
mettait l'index droit dans l'oreille quand on demandait pourquoi elle
se cachait le visage ou en cas d'allusions sexuelles102.

Des auto-accusations peuvent aussi être l'expression du souhait de coït,


par exemple quand le patient s'accuse d'un attentat sexuel dont il est
innocent, j e n'ai vu que deux fois d'autres transgressions que l'ona-
nisme constituer le contenu principal d'idées de péché. Un hébéphrène
était inconsolable d'avoir volé, dans sa jeunesse, des pommes d'un arbre
précis ; cet arbre fut alors mis en rapport avec toutes les idées délirantes
ultérieures possibles. - Un jeune catatonique a réellement volé des

102. On ne peut encore dire avec certitude pourquoi le complexe onaniste s'impose si sou-
vent avec une force si élémentaire chez les nerveux et chez les schizophrènes. Il est pourtant
d'autres péchés qui sont beaucoup plus graves. Peut-être le « péché » ne doit-il pas être
entendu ici dans un sens religieux ; « l'angoisse de c o n s c i e n c e » serait plutôt l'expression
primaire de l'activité perverse du plus puissant des instincts naturels (NDA).
sardines et des bonbons : dans son délire, il s'agissait de diamants à cause
de la valeur desquels il irait en enfer pour l'éternité. Chez ces deux pa-
tients, nous avions de surcroît matière à soupçonner que, derrière ces
auto-accusations, il y avait tout de même encore le complexe onaniste.
Un autre type de rejet d'idées sexuelles est représenté par le vomisse-
ment (à détermination nerveuse) qui, ainsi que l'a découvert Freud,
représente le dégoût, et généralement le dégoût sexuel 103 . Une patiente
avait fui son mari, qui lui déplaisait. Quand soudain il vint la chercher,
elle eut des vomissements qui durèrent trois semaines. Une autre mala-
de parla pendant un temps de douleurs dans les organes génitaux, as-
sociées à l'idée de soulever ses jupes et de quelque chose de dégoûtant.
Une fois, elle entendit des Voix qui parlaient de soulever ses jupes et
il lui fallut aussitôt vomir alors qu'elle était en plein bien-être. Après
des attentats sexuels, nous avons vu plusieurs fois des vomissements
persistants ou par accès. Une patiente fut violée à 14 ans. Depuis, elle
fait des rêves d'angoisse à propos de lances et de taureaux. A 19 ans
elle tomba amoureuse ; le couple dut se séparer ; sur ces entrefaites,
dépression catatonique avec hallucinations de contenu identique et ex-
citation sexuelle durant un an. Depuis lors, fréquents rêves et hallu-
cinations de même type, quand elle est confrontée à quelque chose de
désagréable, avec en même temps dégoût, éructations, vomissements
et sensation d'être ficelée à l'endroit où le violeur l'a empoignée (Jung).

Freud a également attiré l'attention sur le fait qu'il existe une relation
sexuelle inconsciente entre père et fille et entre mère et fils, relation
qui se manifeste notamment chez les enfants. Nous avons rencontré de
plus en plus fréquemment ce « complexe d''Œdipe » depuis que notre
attention a été attirée là-dessus. C'est aussi un agent important du
choix de l'amoureux chez les sujets sains et chez les malades. Un pa-
tient disait que sa mère avait empoisonné son père. Une fois, il se
réveilla en cours de nuit, il eut une érection, donc sa mère avait fait
des cochonneries avec lui.
Des parents peuvent aussi avoir un complexe d'Œdipe. Une catatonique
repoussa son fils qui lui rendait visite ; elle ressentit une brûlure au
cœur, juste sous la peau, ainsi que les nerfs qui étaient au-dessus,
comme si l'on pouvait toucher ceux-ci avec les doigts. Elle eut un jour
des sensations analogues avec une teneur franchement érotique à
l'égard du médecin, quand il dut se pencher sur elle pour les besoins

103. Voir aussi H. Müller (499a) (NDA).


de l'examen. Elle était jalouse de sa fille (dans ses idées délirantes,
non dans la partie intacte de sa personnalité) parce que celle-ci s'était
fiancée. Ce sont très vraisemblablement ces fiançailles qui ont repré-
senté le motif déclenchant de l'apparition de la maladie. Elle disait
que sa fille avait été chassée de la maison, enceinte, par son mari,
que c'était une putain, qu'elle s'était jetée à l'eau.

Parfois le complexe d'Œdipe n'est généré que secondairement, via


l'identification de l'enfant et de Pamoureux. C'est pour cela que deux
femmes étaient jalouses de leur époux, qui gardait l'enfant à la maison,
et une troisième de Dieu, qui avait appelé l'enfant à ses côtés ; les
trois époux et Dieu lui-même étaient accusés de commettre des per-
versités contre nature avec les enfants. (Transfert transitiviste de leur
propre amour sexuel).

Précédemment déjà, il nous a souvent fallu parler de sexualité là-même


où le profane ne peut pas saisir immédiatement le rapport. Ainsi donc
des sensations et idées sexuelles sont-elles très souvent masquées. Ceci
se produit parfois par déplacement du concept génital, généralement
vers le haut. En premier lieu, les parages des organes génitaux, le
périnée et, notamment, l'anus ont souvent une signification sexuelle.
Un prurit psychogène qui naît dans la vulve se transmet aisément à
l'anus, même s'il n'était à l'origine qu'un symptôme purement sexuel.
Une patiente qui avait d'abord constamment son doigt dans son vagin
le mit ultérieurement toujours dans l'anus, malgré toutes les contre-
mesures. La défécation devient parfois symbole de l'accouchement 1 0 4 .
Une catatonique ne cesse de se toucher la région génitale avec sa main,
puis elle la met sous ses bras, puis dans ou sur sa bouche, puis elle
introduit le bout de son doigt dans son oreille.

Nous avons pu suivre chez deux patientes la façon dont les mouvements
de va-et-vient initiaux du bassin furent déplacés vers le haut, se trans-
formant chez l'une assez directement en mouvements de tête, et chez
l'autre d'abord en mouvements du ventre, puis de la poitrine, et seu-
lement en dernier lieu de la tête.

Le symbole le plus fréquent du vagin est la bouche, tantôt seule, tantôt


en rapport avec d'autres déplacements 1 0 5 . C'est par elle que sont gé-
néralement accouchés les enfants du délire. Une malade à qui le mé-

104. Kaiser ( 3 5 2 ) : « Cette nuit elle a fait des barbouillages avec ses excréments et ce
matin... elle relate : cette nuit j'ai accouché. » (NDA).
105. Voir aussi le cas B. S. de Jung (NDA).
decin voulait faire prendre du lait lui dit : « Vous ne pouvez tout de
même pas m'épouser ». Une patiente voit un ange, qui pour elle re-
présente son mari, « enfoncer la tige de vie rouge dans la bouche » de
sa cousine morte. (On put démontrer avec certitude, à partir d'autres
propos de la patiente, que ceci était censé être un acte sexuel). Une
autre malade qualifie de paniers des sensations sexuelles lors des-
quelles elle ressent aussi une douleur abdominale tandis que quelque
chose de blanc, qu'elle décrit comme du sperme, lui vient au bout des
doigts. Elle a à présent « beaucoup de paniers, de paniers doubles,
qui sortent par en haut, qui sortent par en bas » ; l'orifice supérieur
est identifié à l'orifice inférieur. — Un masturbateur catatonique faisait
aller et venir son doigt dans sa bouche, puis dans son anus. - Une
hébéphrène très légère, âgée de plus de 50 ans, qui ne parvenait pas
encore à évoluer avec une aisance satisfaisante en société, ne laissait
pas le médecin examiner l'intérieur de sa bouche et faisait alors une
mimique de gêne sexuelle, exactement comme quand il devait l'exa-
miner à cause de sa cystite, examen qu'elle cherchait à provoquer plus
qu'il n'était nécessaire.

L'œil vaut également comme symbole de l'organe génital féminin, tandis


que le nez peut être celui de l'organe tant masculin que féminin, y
compris chez un même malade. Des femmes qu'il faut gaver par sonde
nasale s'en plaignent parfois comme si l'on abusait d'elles sexuelle-
ment ; un patient qui, lorsque quelqu'un se touchait le nez, disait que
cela signifiait qu'il (le patient) se masturbait, s'enfonçait des cigarettes
dans le nez, ce qui était pour lui un acte symbolique conscient censé
représenter le coït 106 .

Gavage et injections sont souvent perçus par les hommes et par les
femmes comme des attentats sexuels, avec parfois, il est vrai, de lé-
gères différences d'interprétation. Une catatonique racontait, avec une
mimique indubitablement sexuelle : « Le médecin m'a introduit un
tuyau dans un conduit qui mène au cœur ». - Après l'injection, une
patiente rêva que le médecin lui avait enfoncé un crayon dans le bras
droit (endroit réel de l'injection). Le crayon sortit immédiatement par
le bas-ventre ; elle ne sait pas exactement s'il ne le lui a pas enfoncé

106. Au cours du test d'associations provoquées, un monsieur non malade mental examiné
par Jung associait, sur des choses qui pouvaient être mises en rapport d'une façon quel-
conque avec la sexualité : « Nez ! » Il ne sut tout d'abord pas lui-même pourquoi, bien qu'il
dît souffrir encore des suites d'une infection vénérienne. Ce ne fut qu'au cours de la nuit
qu'il s'avisa qu'à l'école le nez avait souvent été mis en parallèle avec l'organe génital (NDA).
ici aussi. - Conformément à ces représentations, le liquide injecté est
parfois appelé « venin de serpent ».
Le déplacement d'une sensation sexuelle se produit souvent vers d'au-
tres endroits du pelvis. Quand des sujets sains parlent de leur ventre
ou de leur bas-ventre au lieu de leurs organes génitaux, cette expres-
sion n'est pour eux qu'une métaphore, ils ne pensent néanmoins qu'à
ce qui est véritablement en cause. Mais les schizophrènes transfèrent
pour ainsi dire le symbole dans la réalité ; ils ressentent réellement
leurs hallucinations à l'endroit que désigne le mot, et en cela le dépla-
cement va beaucoup plus loin que ne le font des expressions de conve-
nance. Des serpents et des souris montent jusque dans leur tête « à partir
du ventre » ; la région gastrique est souvent montrée comme point de
départ ; ce n'est que si l'on écoute suffisamment longtemps, ou encore si
on les questionne plus, que la région génitale est mentionnée elle aussi,
mais alors généralement avec une charge affective nettement plus mar-
quée. Néanmoins, il n'est nullement rare de voir un déplacement total
vers le haut, si bien que l'hallucination est complètement dissociée de
la zone génitale dont elle est partie initialement. Une patiente avait
une combinaison remarquable : elle « éprouvait des sensations d'amour
dans son appareil auditif, dans son activité intellectuelle » ; elle ne
semblait pas faire allusion à des hallucinations auditives. - Un para-
noïde se plaignait d'être traité au shampooing (imaginaire), c'est-à-dire
d'une friction, ce qui voulait dire masturbation. Un autre parlait des
parties avec lesquelles on pèche et montrait son flanc.

De nombreux états hallucinatoires ont un arrière-plan sexuel. Un de


nos malades rapporte qu'avant que les hallucinations ne démarrent en
cours dé nuit (généralement erreurs perceptives visuelles) il ressent
chaque fois « une sensation agréable dans tout le corps ». Des visions
associées à de l'angoisse et qui deviennent de plus en plus importantes
sont sans doute toujours de nature sexuelle. La plupart des hallucina-
tions des sensations corporelles ont à coup sûr la même origine.
Nous avons déjà décrit la même chose à propos de ce qui est brûlure.
Nous n'avons pas besoin de parler de toutes les abominations sexuelles
dont se plaignent les patients, hommes et femmes ; quand on « enlève
la nature », quand une femme est souillée, etc., c'est évidemment
sexuel. Mais il faut également ranger ici les sensations électriques101,

107. Depuis peu, les rayons Rôntgen remplacent souvent l'électricité. Ainsi abusa-t-on d'une
patiente au moyen de rayons x qu'elle décrivit exactement comme un pénis quant à la
longueur et à la forme (NDA).
si communes, et ce en un double sens. Les unes sont associées à une
« sensation agréable » et sont sans doute la même chose que ce que
les écrivains qualifient de « choc électrique » quand on touche un beau
jour par inadvertance celle qu'on n'a jusqu'alors aimée que de loin.
Un hébéphrène excité sexuellement halluciné un officier qui lui suce
le pénis et l'électrise. Mais des sensations plus irritatives, et qui n'ont
peut-être pas d'équivalent normal, semblent pouvoir être désignées par
la même expression. Du moins ai-je déjà entendu très fréquemment
des plaintes de ce genre dans un contexte sexuel ; les sensations en
cause semblent partir fort souvent de l'occiput. Des sensations
sexuelles encore plus grossières doivent pouvoir se produire ; ainsi un
patient est-il « relié électriquement à une femme ; c'est un tourment
pire que la crucifixion ». Se classent également ici bien des sensations
de tension dans les muscles, de raidissement, que le sujet normal peut
plus facilement comprendre. Ces sensations peuvent se transformer en
troubles de la motricité. Certaines crampes semblent en provenir. L'a-
nalogie de la crise d'épilepsie avec l'orgasme a attiré l'attention dès
l'Antiquité, j e la mentionne ici, sans pouvoir en conclure rien de cer-
tain. Une de nos malades avait assez souvent des accès orgastiques en
cours de nuit, avec gémissements, sensations de paralysie, émission
d'urine, vomissements. Une autre avait, au lit, « des sensations volup-
tueuses, si bien qu'elle doit s'accrocher convulsivement à son lit » ; en
ces occasions, elle devenait froide et raide. Les sensations voluptueuses
lui montent aussi à la tête, elle ne peut alors plus penser, c'est comme
si elle avait un verrou dans l'organe de la pensée (barrages généralisés).
L'opisthotonos hystériforme est aussi un symptôme convulsif sexuel.
Dans un cas, ceci ne se manifestait pourtant que par le fait que la
patiente élevait son pelvis chaque fois que des personnes de sexe mas-
culin s'approchaient d'elle ; dans un autre cas, aux dires de la patiente,
la convulsion se produisait toujours à l'occasion de certaines pensées
concernant son amoureux, qui semblait la tirer vers le haut par les
lèvres 108 .

Des mouvements rythmiques, nous avons déjà vu plus haut qu'ils peu-
vent avoir une signification sexuelles (mouvements de tête). (Voir aussi
les chevaux à bascule dans le lit des malades). Nous avons vu chez
deux femmes, à la suite de la mort de leur mari, des mouvements
rythmiques du bassin qui se communiquaient aussi aux jambes ; mais
seul l'un de ces deux cas était à coup sûr une schizophrénie.

108. Die Labien : les lèvres de la vulve.


Parfois, des mouvements de masturbation deviennent des stéréotypies ;
nous avons déjà mentionné la catatonique qui finit par avoir son doigt
dans l'anus des années durant. Un de nos patients faisait ses mouve-
ments de masturbation de plus en plus haut, si bien qu'à la fin il
approchait de sa bouche. Il prétendait avoir cent organes génitaux, et
n'en avoir jamais fini à cause de cela ; quand il était à proximité de
sa bouche, il s'y associait l'idée qu'il devait remplir sa tête vide, si
bien que les mouvements ont à présent deux significations, en bas celle
de la masturbation, en direction de la bouche celle de remplir ou de
manger.

Ainsi qu'on le savait depuis longtemps, des habitudes comme celle de


barbouiller d'exeréments et d'urine sont aussi des symboles sexuels. Les
femmes malades urinent parfois au cours de l'orgasme, il semble que,
chez elles, cet acte soit, d'une façon générale, aisément mis en relation
avec la sexualité. La défécation peut également être associée à la jouis-
sance chez des schizophrènes (Schreber).

D'autres anomalies de l'instinct sexuel peuvent résulter de déplace-


ments. Qui cherche à coïter avec les autres patients au cours d'une
catatonie n'a pas forcément des tendances homosexuelles (Nacke). Car
les malades peuvent ne pas tenir compte du sexe ou, mieux, illusionner
à leurs fins le sexe nécessaire. - Un monsieur est parti chercher sa
femme (imaginaire). Il regarde alors longuement le médecin, qu'il a
reconnu en tant que tel, et s'exclame : « Mais vous êtes ma bièn-
aimée ! » Ensuite, il demande à un autre médecin s'il est sa fiancée,
ouvre son pantalon. Le jour suivant, il dit à celui-ci : « J e ne sais pas
si vous êtes un représentant d'une demoiselle ; hier il y en avait une
ici qui vous ressemblait. » Quand on attire son attention sur la barbe,
il dévisage longuement ce médecin, puis : « Au théâtre, il arrive aussi
que des femmes jouent des rôles d'hommes. » Quelque temps plus tard,
rayonnant, il saisit la main de ce médecin : « N'êtes vous pas la de-
moiselle à qui je donnais des leçons particulières ? » Plus tard, il se
livra à des attentats sexuels sur des patients dans le même sens. - Un
autre catatonique transféra son amour sur des hommes après avoir été
excité sexuellement par une jeune fille, mais repoussé par elle. Il re-
connaissait cependant encore le sexe de nos collaborateurs et des au-
tres patients qu'il désirait.

La symbolique de l'amour apparaît aussi dans les dessins de nombreux


malades. Ils entrelacent des lettres ou des cercles. Des organes géni-
taux, nets ou non, ne sont pas rares. Qui sait un peu mieux dessiner
va plus loin. Une jeune dame dessina une série de pages avec des
l a n c e s et, afin qu'il ne puisse subsister aucun doute sur leur signifi-
cation, dans deux dessins c e l l e s - c i sortaient d'un pantalon, dans la
position d'un membre viril en érection. La dessinatrice éprise du mi-
nistre du culte finit aussi par identifier son b i e n - a i m é au Saint-Esprit,
ce qui fut l'occasion d'une belle apothéose : elle en Vierge Marie, le
Saint-Esprit en soleil rayonnant là où ses organes génitaux à elle au-
raient dû être, et à côté, à droite et à gauche, deux anges en prières,
stylisés. Ce dessin fut souvent répété, et finalement abrégé j u s q u ' à en
être m é c o n n a i s s a b l e .
L'exemple suivant, quoique très abrégé, peut montrer comment des sensations
el idées sexuelles s'organisent concrètement en un tout :
Une servante se sentait ensorcelée par son maître, qui « dressait » à cette
fin une baguette magique (elle imite avec son doigt la position du pénis en
érection) ; on lui met aussi la baguette magique « ou un serpent » dans la
bouche. Elle a des accès d'opisthotonos avec mouvements de coït et orgasme,
et ce sans la moindre exagération de sa part. La première fois, ce fut pendant
une représentation théâtrale où elle était spectatrice. Un jeune enseignant
qui jouait dans la pièce était assis jambes écartées ; la patiente eut la sen-
sation qu'il la regardait particulièrement (elle avait eu dans le passé une
liaison avec un enseignant) ; quand il heurta l'accoudoir de son coude, elle
ressentit le choc dans tout son corps, elle l'entendit lui dire « qu'elle devait
le lui faire », on lui écarta les jambes el les lèvres de la vulve, elle fut
soulevée par les lèvres ; puis sensation complète de coït. Dès lors, de tels
accès se produisirent fréquemment en cas d'excitation sexuelle, même à
l'asile, un jour où l'on avait mis à côté de son lit un balai-brosse 1 0 9 (le
manche !). Les sensations bizarres avec écartement et traction des lèvres s'ex-
pliquèrent par le fait qu'un amant infidèle avait, des années auparavant, as-
souvi la patiente et lui-même par de telles manipulations. - Elle savait que
ces accès n'étaient pas un véritable coït, mais elle n'en fut pas moins incer-
taine, un jour où elle avait dû fortement pousser aux toilettes, si elle n'avait
pas enfanté, et elle n'osa pas nettoyer la cuvette, ce pour quoi elle fut grondée.

* * *

Tous les propos morbides des schizophrènes ne peuvent être rangés


directement clans la catégorie des souhaits et des craintes. Quand une
patiente déclare qu'elle est la Suisse, ou qu'une autre veut prendre un
bouquet dans son lit, car alors elle ne se réveillera plus, c e l a nous

109. Die Plochburste : ce mot introuvable dans les dictionnaires correspond sans doute au
Plocker souabe, qui désignait au début du siècle un balai-brosse à soies courtes et rigides
utilisé pour astiquer les parquets (NDT).
paraît d'abord totalement incompréhensible. Mais la clé de l'explication
nous est fournie par la connaissance du fait que les malades utilisent
volontiers tant des analogies que des identités et pensent beaucoup
plus par symboles que les sujets sains, et ce sans prendre le moins du
monde en compte si un symbole convient ou non dans tel cas donné" 0 .

Les composantes les plus insignifiantes d'une idée peuvent être utili-
sées en tant que représentants de celle-ci. Dans tout le poème et l'his-
toire des grues d'Ibykos, le mot « libre » (de' tout péché et de toute
faute) joue un rôle très limité. Ce qui n'en fournit pas moins l'occasion
à B. S. de s'identifier aux grues d'Ibykos parce que, bien qu'elle ne
soit pas libre, elle devrait l'être.

Ce dernier exemple montre aussi, en un autre sens, combien les ma-


lades en usent sans égard avec les associations d'idées. La patiente
n'est pas libre, elle devrait seulement l'être ; cela ne l'empêche pas
de s'identifier aux grues d'Ibykos, dont l'idée « libre » est une compo-
sante. Il est également fait totalement abstraction du pluriel ; elle est
les grues, bien que la patiente ne pense absolument pas à elle-même
au pluriel (voir plus haut la patiente dont le mari est appelé « les
noirs »). Et même plus, elle est les grues. Cette copule inadéquate est,
d'une façon générale, quelque chose de très commun chez les malades
les plus divers. Parfois, cependant, un symbole quelconque « signifie »
pour eux quelque chose de différent. Mais la forme logique ou gram-
maticale sous laquelle des concepts sont associés les uns aux autres
de façon pathologique est souvent tout à fait indifférente. Il est alors
très tentant de recourir à la copule ; car ce qu'on doit exprimer en
pareil cas est tout de même, pour l'essentiel, une caractéristique du
sujet ; le malade veut être libre, il est grand, etc. Ainsi la fiancée de
Jéhovah citée plus haut s'exprimait-elle en disant qu'elle était « la Jé-
hovah », mais était-elle encore capable de s'apercevoir de la contra-
diction avec le langage usuel et se corrigeait-elle. Mademoiselle B. S.,
qui est les grues d'Ibykos, a aussi vu celles-ci lors de son entrée à
l'asile ; elles étaient toutes noires, ce qui signifie le deuil à l'occasion
de son internement. Elle voudrait être relâchée de l'asile ; pour elle
comme pour d'autres malades, la clé est symbole de libre passage ;
elle voudrait donc avoir la clé ; elle peut tout aussi bien dire qu'elle
« fournit la clé » concrètement, ou qu'elle « est la clé ». Elle « pos-
sède » aussi la Suisse ; et, dans le même sens, elle dit : « J e suis la

110. Voir Klipstein (NDA).


Suisse. » Elle pourrait aussi dire : « Je suis la liberté », car « Suisse »
ne signifie pour elle rien d'autre que liberté ; en ce sens, des schizo-
phrènes déprimés disent d'eux-mêmes qu'ils sont le péché. La diffé-
rence entre de telles formulations chez des sujets sains et chez des
malades consiste en ce que les premiers les considèrent comme des mé-
taphores, tandis que les patients estompent les limites entre propre et
figuré, si bien que, souvent, ils pensent aussi les choses au sens littéral.
Les analogies de mots jouent un rôle particulièrement important. Un
malade trouve une fibre de textile dans sa nourriture. Le son « lein 111 »
se trouve aussi dans le mot « Feuerlein ». Il connaît une demoiselle
Feuerlein. On a donc voulu lui faire entendre qu'il a eu une liaison
avec elle.
Certains mots désignent plus d'un concept. Ainsi des concepts diffé-
rents peuvent-ils être confondus ou identifiés les uns aux autres via le
mot (« Haus 112 » en tant que bâtiment et en tant que famille,
« Kreuz 113 » en tant que partie du corps, en tant qu'objet et en tant
que figure graphique ; la noirceur symbolique du péché et la noirceur
optique d'un objet visible).
Un paranoïde religieux s'appelle Nâgeli (ce mot est le diminutif de
Nagel 114 en Allemagne du Sud, comme l'est Nelke 115 en Allemagne du
Nord, et il désigne tant la fleur qu'un petit clou). Le Christ a été cloué
à la Croix ; donc Nâgeli est le Christ, il a été cloué lui aussi. Mais,
dit-il, on a aussi besoin de clous pour aimer. Il vénère le clou, non le
trou que fait le clou (il est séparé de sa femme). Le clou est le symbole
de la virilité, et le trou que fait le clou celui de la femme et de l'argent.
C'est pourquoi, dans le langage des fleurs, il s'appelle Nâgeli, l'œillet,
en tant qu'il représente le clou. La femme est représentée par la rose,
cette fleur inconstante qui perd ses pétales. C'est également pourquoi
le président des États-Unis s'appelle « Roosevelt », c'est-à-dire « le
monde de la rose 116 », conformément à l'ordre du monde actuel, qui
vénère la femme. L'homme est aussi Adam, c'est-à-dire Odem"' ou
Morgen 118 (l'analogie limitée de ces deux derniers mots peut sans doute

111. Leinfasen : fibre textile, -lein : suffixe diminutif.


112. Haus : maison, foyer.
113. Kreuz : croix ; reins d'un être humain, croupe d'un cheval.
114. Nagel : clou ; Nâgeli, forme populaire du diminutif Nägelein.
115. Nelke : œillet ; également clou de girofle. Venu du moyen-bas-allemand negelke en
passant par neilke.
1 16. Der Rose die Welt.
117. Odem : haleine.
118. Der Morgen : le matin.
suffire à les identifier, pour un schizophrène), c'est-à-dire le Roi du
Jour ou, dans le langage des fleurs, Nageli. La rose est en même temps
Eve, c'est-à-dire repos vespéral (evening) ou Reine de la Nuit. (Notons
aussi l'identification non seulement du soir à la nuit, mais aussi du
repos vespéral, concept abstrait, et de la Reine de la Nuit). En même
temps, Eva est aussi « ivy », c'est une plante grimpante, c'est-à-dire
un poison, c'est-à-dire une dot 119 . La femme du malade s'appelle Mina,
c'est-à-dire la mienne. C'est spontanément que le patient livre au
mieux toutes ces choses, quand on se contente de ]"écouter.

Le même patient luttait contre l'utilisation abusive de la croix helvé-


tique comme procédé publicitaire. Une fois, il resta plusieurs semaines
au lit à cause de toutes sortes de plaintes hypocondriaques, mais il s'y
trouvait fort bien « car il était allongé sur la croix 1 2 0 ». Une patiente
qui avait des tendances à l'hypocondrie ressentait des maux de reins
quand elle traversait un carrefour 121 . Un paranoïde a cru sentir du
chloroforme dans sa nourriture ; il est persécuté par une silhouette
verte (chloros, forma).

Les sentences bibliques, qui sont prises au sens propre par les malades,
fournissent aussi quotidiennement matière à une symbolique morbide.
Un patient qui s'angoissait à cause de l'avenir financier de sa famille
devient, quand il est d'humeur plus favorable, le négociant en gros F.,
un géant, Rotschild, le monde entier tourne autour de lui ; il voit la
terre et les arbres tourner. Un autre se plaignait que l'infirmier lui ait
porté un coup au visage. L'examen ne montra rien qui fût à la charge
de l'infirmier ; le patient se justifia : quand, pour le baigner, on dés-
habille quelqu'un comme un squelette, c'est bel et bien un coup au
visage. Une patiente rêve qu'on l'a « estampée 122 » de son matelas à
très bas prix (c'est-à-dire qu'elle l'a vendu), puis elle dit : « j'ai tiré
un coup de fusil 123 . » (Noter aussi le changement sans façon du sujet
verbal : c'est effectivement elle qui a vendu, mais l'acheteur l'a « es-
tampée » du matelas », ce devrait donc être lui qui a tiré un coup de
fusil ; tirer = appuyer sur la gâchette). Un schizophrène qui avait envie

1 1 9 . Das Gift : le poison - die Mitgift : la dot. Étymologie commune, de l'ancien-haut-alle-


mand gift, don.
120. Voir supra Kreuz = croix, mais aussi reins.
121. Kreuzschmerzen : maux de reins. Kreuzweg : carrefour, mais aussi chemin de croix !
1 2 2 . Abgedrückt - abdrücken : appuyer sur la gâchette - voir note suivante... - , mais aussi
prendre une empreinte, estamper, prendre un moule et, en argot, « estamper » quelqu'un
(NDT).
123. Ich habe geschossen - schiessen : tirer, mais aussi faire payer le prix fort. « Estamper »
quelqu'un ; voir « coup de fusil » en argot français (NDT).
de se marier a reçu d'une veuve une corbeille ; cela l'ennuie, et il
développe l'idée délirante que c'est un péché que d'avoir demandé cela
à cette femme ; voilà qu'il sent un poids oppressant sur sa poitrine :
c'est comme si quelqu'un était assis sur lui ; il est possible que ce soit
cette femme ; par la suite, il est convaincu que c'est elle. Il sent alors
aussi qu'elle ligote son corps avec l'aide de démons et de spirites.
D'autres patients ont des Voix noires, effrayantes, ils voient leur destin
fondre sur eux comme une nuée noire, ils sont tout noirs, car pécheurs,
ils ont des rêves sucrés (agréables) et acides (désagréables), il leur
vient dans la bouche des « injections à vigne » (eau de chaux et sulfate
de cuivre) si amères qu'ils sont forcés d'émettre des jurons. C'est « de
sucre » qu'une paranoïde « a le plus besoin contre la bilieuse amer-
tume des souffrances du monde ». Un savant se considère comme une
charade, parce qu'il ne comprend pas ce qui lui arrive. Un hébéphrène
(latent) attire notamment l'attention sur lui parce qu'il fait du tapage
quand quelque chose de noir se trouve à proximité, il jure et trépigne
dans son coin : il a voulu épouser une jeune fille catholique, mais « les
corbeaux 124 » l'en ont empêché ; d'où sa haine de tout ce qui est noir.
- Un catholique voit « la social-démocratie en tant que manifestation
fugitive » traverser la pièce (Abraham, information communiquée de
vive voix). - Une paranoïde ne peut pas dormir parce qu'elle a la
maîtresse de son mari sur le dos. - Une hébéphrène se plaint des
malle-postes qui, parties de son cœur, roulent sous sa peau, puis vont
dans la rue et y ont des accidents ; l'une est verte ; la reine d'Angle-
terre, qui lui a donné son Moi, s'y trouve (dans les idées délirantes de
grandeur de nos malades femmes, la reine d'Angleterre joue souvent
le rôle de ce à quoi une femme peut atteindre de plus élevé en ce
monde, rôle joué par la Vierge Marie dans le domaine religieux et
érotique) ; elle a l'espoir de devenir Reine d'Angleterre ; mais celle-ci
a eu un accident et gît encore sur la chaussée. Deux autres voitures
sont jaunes ; dans celles-ci se trouvent deux fausses maîtresses qui ont
un accident près du cimetière et y gisent, mortes. - On a mis de l'argent
dans la caisse d'une malade, c'est-à-dire qu'on lui a « jeté des pièces
d'or dans des façons de parler ». Dans une autre métaphore, elle iden-
tifie aussi les pièces d'or jetées à de la neige, et celle-ci à du sperme
(Danaé). - Une patiente pieuse a l'illusion que l'infirmière est debout
sur la tête ; elle est intervertie, donc convertie, ce que la patiente aussi

124. Die Schwarzen, littéralement les noirs, lerme dépréciatif pour désigner les prêtres -
voir « les corbeaux » - ou, plus généralement, les militants des partis démocrates-chrétiens.
aimerait bien être. - La femme d'un alcoolique s'imagine être en enfer,
il lui faut attiser le charbon pour le Diable.

Une jeune fille assistait à un mariage, mais elle pensait avoir elle-même
des droits sur le fiancé ; elle vit la fiancée, à l'autel, sous la forme d'un
chien ; le prêtre qui procédait à l'union lui a donné quelque chose à
manger dans l'église, c'est pour cela qu'elle ne peut plus travailler. Quand
elle sortit de l'église, elle apostropha des passants : « Nous sommes encore
là tous les deux ! », voulant manifestement marquer par là la persistance
de l'affinité qui existait entre le fiancé et elle. - La seconde femme d'un
veuf était persuadée que la première épouse de son mari vivait encore ;
mais elle ne vivait que dans le cœur de son mari.

Souvent, la composante idéique qui véhicule le symbole n'est pas emprun-


tée au vocable, mais au concept lui-même. Quand un hébéphrène mas-
turbateur qui souhaite des rapports sexuels normaux trouve, en montagne,
le grand alpenstock si « shocking » que cela aboutit à un conflit avec
son camarade et qu'il est forcé de rentrer chez lui, la comparaison ne
peut plus guère être qualifiée de morbide ; mais ce qui est morbide,
c'est l'interprétation de cette comparaison dans le sens d'un véritable
membre viril, et la réaction correspondante. Une représentation analo-
gique se voit entièrement transposée dans la réalité dans le cas d'une
paranoïde qui n'est pas satisfaite de son mari, se sent repoussée par
lui et, à cause de cela, se considère comme Geneviève 12 ' 5 . Pour une
catatonique, les aliments qui lui viennent de chez elle signifient la
liberté, et sont bons à cause de cela ; les aliments de l'asile signifient
l'enfermement et sont mauvais à cause de cela. Un malade suisse se
dispute avec sa femme, qui est berlinoise ; ce qu'il généralise sous la
forme de l'idée délirante que la Suisse entre en guerre avec la Prusse.

Une Allemande a épousé un Suisse qui l'a quittée ; elle gagne son pain
quotidien notamment en se prostituant à des ouvriers italiens. Ce
contexte donne lieu à l'idée délirante que diverses « communautés
ethniques » luttent les unes avec les autres, et que les Italiens prennent
sous leur protection les Allemands qui vivent en Suisse. - Une jeune
fille craint les reproches de ses parents à cause de sa mauvaise
conduite ; voici qu'elle halluciné qu'elle est battue à mort tantôt par
sa mère, tantôt par son père. — Sa liaison avec une catholique donne
à un hébéphrène matière à interpréter une Voix qui lui est incompré-

125. il s'agit de la Geneviève de Brabant de la Légende dorée, injustement accusée d'adul-


tère par son mari (NI)T).
hensible, mais qui lui paraît très sérieuse et pressante, comme une
directive divine l'appelant à surmonter la scission entre catholiques et
protestants, et en particulier à avoir valeur de modèle par son exemple
(alors qu'il se conduisait par ailleurs fort mal). - Quand un mathémati-
cien raconte que le grand géant Denk lui est apparu, cela sonne comme
une allégorie consciente 126 ; Dieu voulait tuer ce géant mais ne l'a pu,
alors le peuple a voulu le tuer : mais peu après il s'est avéré qu'il était
lui-même le géant Denk, car c'est lui qui aurait dû être tué par Dieu
en tant que géant Denk. Dieu « est apparu, très grand ». Mais à ce
moment le patient était tout aussi grand que Dieu, et il l'a vaincu à
l'issue d'une lutte de quatre heures.

Il faut également citer ici le délire d'empoisonnement. Malgré sa fréquence,


nous n'avons découvert son origine que dans quelques cas. La simple
interprétation logique de sensations corporelles désagréables ou de la
contrainte à se trouver à l'asile, « où l'on est abîmé », où la nourriture
n'est pas adaptée aux besoins du patient, et où la prise en charge dans
son ensemble est considérée comme insuffisante ou nocive, n'est pas aussi
évidente pour le schizophrène que la saine logique et les déclarations
quotidiennes des malades ne tendraient à le faire paraître. On n'a jus-
qu'à présent encore jamais trouvé ces idées à la source du délire d'em-
poisonnement, et nous savons qu'un complexe affectif qui touche
beaucoup plus fortement le « Moi » du patient que ces incommodités
est nécessaire au développement du délire. Derrière des idées compul-
sives avec crainte d'empoisonnement, nous trouvons le complexe ona-
niste ; il est tentant de l'appeler à la rescousse ici aussi ; cependant,
il n'est pas rare d'entendre des propos tels que : « les patients se sont
empoisonnés par la masturbation », ou « la chair est empoisonnée par
la débauche », sans qu'il s'agisse là d'un délire d'empoisonnement.

Les cas qui nous ont permis d'avoir un aperçu de certaines modalités de la
genèse du délire d'empoisonnement sont les suivants :
Une paranoïde est jalouse du médecin - qui est une femme. Elle est empoi-
sonnée par celle-ci mais, ajoute-t-elle explicitement, pas dans sa nourriture
mais par des mots. Ici, la jalousie fournit l'affect, et la symbolique des « mots
empoisonnés » le matériel servant à la constitution du délire. - Une autre
malade a une querelle avec sa fille, nous ne savons pas pourquoi. Celle-ci
« lui met du poison dans sa nourriture, parce qu'elle a une sacrée gueule cle
vipère ». Même genèse que ci-dessus, mais la patiente est allée un degré
au-delà et trouve vraiment du poison dans sa nourriture, toutefois la formula-

126. Denk- est la racine des mots pensée, penser.


tion symbolique colle encore à l'idée délirante. - Une hébéphrène avait un
amoureux, quelle aimait mais ne pouvait épouser. Par la suite, un besoin de
richesse s'adjoignit au complexe amoureux ; elle eut l'espoir d'être épousée
par un riche Monsieur qui était négociant en cafés. 11 ne le fit pas et devint
persécuteur. Et voilà qu'elle ne voulut plus boire de café. Mais, bientôt, elle
se plaignit également qu'on empoisonnât son lait, et n'en but plus non plus.
Elle expliquait ceci de deux façons : les gens sont jaloux d'elle parce qu'à présent
elle peut épouser le négociant en cafés, et ils mettent dans son lait un poison
qu'elle sent réellement sur le plan gustatif; mais ils ont également rendu im-
possible son mariage avec son véritable amoureux, par leurs propos venimeux ;
ils ont empoisonné la relation qu'elle avait avec son premier amoureux (le
lait). La malade a fourni d'elle-même ces explications, comme les patientes
citées ci-dessus ; elle ne fait pourtant pas la distinction entre empoisonne-
ment réel et empoisonnement symbolique ; en même temps, elle peut fort
bien travailler et porte des jugements exacts sur les situations et les per-
sonnes, pour autant qu'elles ne sont pas en rapport avec ses idées délirantes.

Un homme avait une liaison avec la femme d'un ami et s'en vit demander
raison. Voilà qu'il se crut calomnié en tous lieux et « aspergé de venin ».

C'est par un cheminement plus logique qu'un autre patient en arrive à l'idée
d'empoisonnement ; il a fondé un commerce concurrent de celui d'un riche
parent, a subi un échec, n'en réclame pas moins de l'aide de ce même parent,
n'en reçoit pas suffisamment ; alors, idée délirante que ce parent aurait tué
son père (qui est mort), parce que celui-ci aurait su que ce parent était un
uraniste. Il se servit de cette idée délirante pour une tentative de chantage
et craignit alors une riposte par armes à feu et poison ; en prison, il refusa
de manger à cause de poison dans les aliments. - L'impuissant déjà cité plus
haut, qui se serait volontiers débarrassé de sa femme, pense que celle-ci veut
le tuer par le poison, entre autres. Il est vrai qu'ici le choix de la méthode
de meurtre peut être un simple hasard.

Dans le cas qui suit, il s'agit aussi d'une idée d'empoisonnement, mais dans
un tout autre sens que dans le cas d'empoisonnement par des ennemis. Cet
exemple montre en même temps comment les déplacements peuvent masquer la
signification d'une idée.

Une patiente mariée est tombée malade après s'être fait une injection de
sublimé dans le vagin, dans l'espoir d'interrompre ainsi une grossesse. Voici
qu'elle ne cesse de prétendre qu'elle est empoisonnée, que c'est un malheur
épouvantable, elle accuse le pharmacien de lui avoir délivré une pareille
quantité de toxique ; il faut qu'il soit puni. Elle a lu dans le dictionnaire
encyclopédique que du sang apparaît dans le rectum en cas d'intoxication
au sublimé ; elle a alors la « stéréotypie » de s'enfoncer sans cesse le doigt
dans le rectum pour se convaincre qu'il n'y a pas de sang ; contre cette
pratique, la bienveillance est tout aussi inefficace que la contrainte. Elle ne
peut pas prouver qu'elle est empoisonnée, elle n'est pas capable d'en fournir
de symptômes ; pourtant, au cours d'une longue thérapie, personne ne peut
la convaincre qu'elle n'est pas empoisonnée. Les plaintes surviennent de fa-
çon complètement stéréotypée, sans autres associations, bien qu'on puisse
par ailleurs discuter de nombreux sujets de façon approfondie avec cette
femme cultivée. L'expression des affects ne s'accorde pas non plus avec l'idée
d'empoisonnement ; elle gémit seulement en utilisant certains termes, mais
l'on ne saisit pas le rapport. Ce qui est constamment associé à l'empoison-
nement, c'est son mari, dont elle fait l'éloge sur le même ton que si elle avait
quelque chose à lui reprocher. Son mari est un très gentil mari, un bon mari,
le meilleur mari - tout ceci sur le même ton que s'il fallait assortir cela d'un
« mais ». Ce n'est cependant pas le « mais » qui suit, mais cette remarque,
jetée d'un ton indifférent : « mon frère ne sort pas le soir. » Le même cours
de pensée se renouvelle plusieurs fois d'une façon complètement stéréotypée.
Si l'on s'en tient à ce thème sans suggérer quoi que ce soit, il s'avère qu'elle
a à dire en affirmation et en mauvaise part de son mari ce qu'elle disait en
négation et en bonne part de son frère ; il finit par en ressortir que son mari
est resté longtemps dehors ces derniers temps, et qu'elle craint qu'il ne lui
soit infidèle. C'est pour cela qu'elle ne voulait pas d'enfant de lui, et non
parce qu'elle craignait un accouchement pénible, ainsi qu'elle l'avait préten-
du. Une fois qu'on l'a amenée au point où l'ensemble de ce complexe est
clair dans sa conscience, et où l'on peut vraiment en discuter avec elle, son
affectivité est tout à fait naturelle et l'on s'aperçoit que des fragments de son
propos sont entrés dans les accusations d'empoisonnement. Qui a vécu et
expérimenté cela plusieurs fois ne peut plus douter que le complexe qui a
entraîné l'éclosion de la maladie, et qui domine ensuite la symptomatologie,
ne soit la crainte de l'infidélité du mari ; et, derrière cette idée, il y a le
sentiment qu'elle n'est pas assez belle pour son époux, et on a quelque raison
de le croire ; elle l'a toujours tenu pour le plus beau des hommes, et de loin,
mais elle n'est elle-même vraiment pas belle et elle a arraché de haute lutte
son mariage avec lui, peut-être un peu grâce à l'argent qu'elle possède. Il
est vrai qu'il serait aussi envisageable que la tentative d'avortement pèse sur
sa conscience, et que ce soit pour cette raison que l'idée d'empoisonnement,
qui est celle qui vient le plus facilement à l'esprit, ait acquis la charge
affective nécessaire pour constituer, en partant de là, une idée délirante aussi
absurde. Mais j e n'ai rien trouvé de tel. Cette femme se sent malheureuse
parce qu'elle ne fait pas confiance à son mari ; il en est résulté d'un côté la
crainte désespérée d'une nouvelle grossesse, et de l'autre cette représentation
insupportable lui est habituellement inaccessible, tandis qu'elle a déplacé la
charge affective sur l'idée délirante d'empoisonnement, plus supportable 127 .

127. Dans sa genèse, ce cas est tout à fait analogue à celui, publié antérieurement, d'une
hystérique qui, au cours d'une grossesse, craignait que son mari ne puisse la quitter, et qui
conçut alors l'idée délirante que son enfant était mort, concentrant toute son affectivité sur
cet événement, tandis que son différend avec son mari avait complètement disparu de son
esprit (72) (NOA).
« L'investissement d'affect128 », comme Freud appelle ce rapport, a donc
été « déplacée » par notre schizophrène de l'infidélité de son mari sur
l'injection de sublimé, ce qui a permis à celle-ci de devenir idée dé-
lirante ; l'idée d'empoisonnement est une « idée-écran » de l'idée d'in-
fidélité.

Du fait des déplacements, les idées délirantes s'éloignent souvent beau-


coup de leur point de départ, et il serait généralement tout à fait im-
possible de discerner encore celui-ci, si les patients ne gardaient pas
toujours l'idée d'origine à côté des nouvelles élaborations qui en sont
faites, ou si l'on ne pouvait en suivre le développement. Toutefois, il est
un bon nombre de cas comportant un haut degré de désagrégation des
associations et dans lesquels nous ne parvenons pas encore à suivre.

Une patiente a le souhait (inconscient) d'avoir des rapports sexuels


avec son père, et l'exprime au travers de l'idée délirante que son père
voudrait la tuer. Elle associe sa mère à son père et la met finalement
à la place de son père. Le souhait originel apparaît donc en dernier
lieu sous la forme de l'idée délirante que sa mère voudrait la tuer. Le
déplacement va beaucoup plus loin chez la patiente précédemment
mentionnée, qui est un homme et a un testicule, ce qui veut dire, via
le Christ, qu'elle aime un ministre du culte. Une autre patiente a la
même idée délirante originelle. Le pasteur est successivement remplacé
par le Saint-Esprit, Dieu le Père et, notamment, le Christ, qui est de
son côté remplacé à son tour par l'agneau. Le bouc va avec l'agneau.
« J e suis un bouc » veut donc dire à l'origine, dans ce cas, « J'ai eu
mon pasteur ». Il n'est pas toujours possible de déterminer jusqu'à quel
point les patients n'utilisent en réalité de telles expressions que sym-
boliquement, pour désigner la première idée délirante. Il est certain
qu'ils prennent souvent au pied de la lettre le nouveau mode d'expres-
sion de l'idée délirante, et qu'ils ont donc formé une nouvelle idée
délirante (en règle sans renoncer à l'ancienne), mais aussi que, chez
la plupart des patients, leurs points de vue varient sous ce rapport, si
bien que l'expression déplacée est utilisée tantôt de façon plutôt sym-
bolique, dans le sens de la première idée, tantôt au sens propre, en
tant que nouvelle idée délirante. Mais, pour le malade, les différences
entre ces deux modes de pensée ne sont pas aussi grandes que pour le
sujet sain.

128. Die Affektbesetzung.


Un type fort fréquent de déplacement est celui qui consiste en ce que,
dans un délire érotique, d'autres personnes soient impliquées en fonc-
tion de certaines analogies ; la malade aime le « directeur » d'une
usine ; à l'asile, celui-ci est remplacé par le « directeur » de l'asile ;
celui-ci est médecin, donc il est remplacé par d'autres médecins de
l'asile. Généralement, ces divers personnages sont en même temps plus
ou moins condensées en un seul ; soit : une jeune fille est amoureuse
d'un étudiant en théologie qui ne paie pas son penchant de retour ;
elle cherche ensuite en vain à épouser un autre théologien, puis finit
par épouser le frère de son premier amoureux, au travers duquel elle
ne fait qu'adorer ce dernier ; elle ne devint franchement schizophrène
que longtemps après 129 .
Il n'est pas rare du tout que le déplacement soit conditionné par des
motifs affectifs, de telle sorte, le plus souvent, qu'une idée extrêmement
désagréable est remplacée par une autre, moins désagréable. Mais mal-
heureusement le patient transfère alors aussi l'affect originel sur cette
nouvelle idée, si bien qu'il tire peu d'utilité de cette modification. Un
de nos catatoniques était tombé malade de façon patente après avoir
sauté dans un train qui s'était déjà mis en marche. Voilà qu'il pensa
être persécuté par les chemins de fer, il interprétait tous les signaux
ferroviaires comme se rapportant à lui, etc. Mais il s'avéra que le pa-
tient avait à se faire d'autres reproches, incommensurablement plus
graves que cette infraction : il s'était commis sexuellement avec des
lapins et, par analogie - bien que celle-ci fût limitée - le nouveau
trauma (« auxiliaire ») avait réveillé l'idée de culpabilité qui était en
sommeil, et s'était installé à sa place. Naturellement, de tels déplace-
ments peuvent aussi se produire après l'éclosion de la maladie. Par
exemple, il s'agit de quelque chose d'analogue quand le patient croit
avoir les mains sales, au lieu de se sentir impur moralement.

La condensation est un autre mode de travestissement des idées délirantes.


Nous avons déjà vu que le bien-aimé fusionne très facilement en un seul
personnage avec l'enfant commun du couple. Ce processus peut aller bien
plus loin encore, un concept délirant quelconque englobant l'ensemble
du système délirant. L'un de nos malades, chez lequel les femmes à che-
veux coupés courts jouent un grand rôle, vil à l'asile une jeune fïLie qui
avait ce type de coiffure et qui attirait d'autant plus l'attention qu'elle
branlait le chef de façon stéréotypée. En peu de temps, tous les person-

1 2 9 . D e tels mariages par déplacement ou, ce qui revient à peu près au même ici, en tant
qu'actes symboliques, ne sont pas rares chez des sujets sains (NDA).
nages de son délire, ainsi que l'échafaudage délirant fort compliqué
qu'il s'était bâti au cours de vingt années environ, se trouvèrent
condensés avec cette jeune fille, si bien qu'elle représentait pour lui,
à la fois, et tous ces personnages et l'ensemble du complexe délirant.
La mise en œuvre des principes d'interprétation freudiens n'est pas
aussi simple que ne pourraient le laisser supposer ces exemples cités
de façon fragmentaire. Par exemple, la « surdétermination » du tableau
psychique constitue souvent une complication. Si un Suisse a un dif-
férend avec sa femme prussienne, il n'est pas encore nécessaire pour
autant qu'il forme l'idée délirante que la Prusse fait la guerre à la
Suisse, l'action d'autres déterminants doit y concourir. Pour définir un
point dans l'espace, il doit être fixé dans trois dimensions. Pour dé-
terminer un tableau psychique de telle sorte que rien d'autre ne puisse
être pensé, il faut une foule incalculable de conditions. La « surdéter-
mination », qui nécessite de nombreuses « interprétations » d'un même
symptôme, a fortement discrédité l'interprétation des rêves de Freud :
elle sera aussi un obstacle à l'acceptation des explications des symp-
tômes schizophréniques, et pourtant elle se révèle être une évidence,
à y regarder de plus près : une foule de « constellations », de tendances
et de motifs circonstanciels doivent être présents pour que ce soit pré-
cisément l'idée à analyser qui vienne au jour dans toutes ses nuances 130 .

Pour montrer les complications de la surdétermination, il faudrait écrire


des monographies sur des cas pathologiques individuels. Outre le petit
nombre d'exemples précédemment cités où la même idée délirante avait
plus d'une origine, nous nous contenterons de rappeler le cas B. S. de
Jung : elle est les grues d'Ibykos non seulement parce que le mot « li-
bre » y apparaît, mais aussi parce que le poème contient l'expression
« l'âme d'une pureté enfantine garde libre de tout péché et de toute
faute », expression qu'elle rapporte à elle-même. (Dans de tels cas,
l'une des interprétations peut aussi avoir été ajoutée après coup à l'idée
originelle par la patiente).

La tendance à la symbolisation se manifeste parfois aussi par des actes


symboliques et, dans la dissociation schizophrénique, il n'est même pas

130. Voir aussi l'ambiguïté, acceptée comme allant de soi, de la symbolique dans l'Église
catholique. D'une façon générale, le mode de pensée médiéval présente de très nombreux
points de comparaison avec la schizophrénie ; il s'était détourné lui aussi de la réalité d'une
façon autistique, pour lui aussi le résultat de la pensée n'était pas l'aboutissement d'une
opération logique, mais il était déterminé à l'avance par l'affectivité, et la logique n'entrait
en jeu qu'autant qu'elle menait à la conclusion souhaitée. « L'Homo Dei » à visage humain
pourrait fort bien être issu des arguties d'un schizophrène moderne (NDA).
nécessaire pour cela que soit exprimé un complexe important pour le
patient. Une malade voulait grimper par-dessus la clôture ; quand on
le lui interdit, elle inventa diverses excuses pour mettre au moins ses
pieds sur la clôture, défit les lacets de ses souliers, etc. 1 3 1
Une autre patiente se dressait sur la pointe des pieds quand elle disait
que telle et telle était vraiment infecte avec elle, qu'elle-même était
trop bien pour faire telle chose, etc. - Une catatonique qui était arrivée
d'un centre de détention préventive avait eu peur de moi ; quand l'oc-
casion s'en présenta, elle expliqua qu'elle ne me craignait plus à pré-
sent, tout en s'approchant de moi le plus possible. - Une catatonique
arrive de permission très affligée que cela ne se soit pas bien passé
au dehors. Quand elle doit aller dans la section, elle dit adieu au
médecin et à la surveillante, au lieu de le dire à sa mère. - Un
complexe important était celé derrière un tel acte (associé toutefois à
une idée-écran) dans le cas d'une catatonique qui cherchait son porte-
monnaie dans toute la pièce en expliquant qu'elle en avait besoin parce
que les gens doivent prendre le train. Mais le véritable motif était sans
doute qu'elle s'inquiétait pour sa fortune car son mari était mourant et
elle était prise en charge à l'asile. Une paranoïde déchira du papier
en petits morceaux et le jeta dans les toilettes ; elle avait par ailleurs
également tendance à faire de petits chiffons ; elle disait que c'était
cela ses pensées.
La tendance à des actes symboliques peut dominer le patient à tel
point qu'il en devient insupportable à l'extérieur. Une de nos hébé-
phrènes dut être conduite deux fois à l'asile parce que, entre autres,
elle coupait les rameaux d'un cognassier pour indiquer qu'elle en était
quitte avec le pasteur 132 ; elle jetait les rameaux dans le ruisseau, ce
sont les péchés, ils sont emportés à la mer ; elle allait chantant à tra-
vers le village, un jupon et d'autres symboles accrochés à un bâton,
pour indiquer à certaines femmes la situation du pasteur 133 , etc.

Rapports de la schizophrénie avec le rêve


Au cours de nos investigations, nous avons rencontré aux endroits les plus
divers des analogies de cette maladie avec le rêve, phénomène qui ne saurait
être sans importance. Dans le rêve, il existe une dissociation tout à fait ana-

131. On rencontre des phénomènes analogues chez les enfants à qui l'on interdit quelque
chose (NÜA).
132. Der Quittenbaum : le cognassier - quitt sein : être quitte.
133. ... das Verhältnis des Pfarrers : l'expression est ambiguë, dans un contexte plus précis
il pourrait convenir de traduire par « l a liaison du pasteur » (NDT).
logue de la pensée : les images symboliques, les condensations, l'empire des
sentiments, qui restent eux-mêmes souvent cachés, les idées délirantes, les
hallucinations, nous trouvons tout cela sur le même mode dans ces deux états.
Cette analogie devient identité dans les cas où les malades traitent leurs
hallucinations oniriques comme si elles étaient réelles, constituent leurs idées
délirantes au cours du rêve et s'y tiennent à l'état de veille 134 . Nous ne savons
pas quel est le nombre d'idées délirantes oniriques qui surviennent au cours
de la schizophrénie ; la seule chose certaine, c'est que des idées délirantes
— mais pas toutes — se constituent au cours du rêve, et que la pensée onirique
et la pensée autistique schizophrénique sont identiques pour l'essentiel, en
l'état actuel de nos méthodes d'investigation13:\
On peut aussi mentionner ici que les rêves des schizophrènes ne se distin-
guent pas de ceux des sujets sains, au point où nous les avons analysés
jusqu'à présent. Il n'y a pas de place ici pour des analyses plus longues,
qu'on peut également entreprendre chez eux ; je veux seulement mentionner
le cas où un hébéphrène encaissa de façon fort débonnaire les taquineries
d'un autre, mais rêva la nuit suivante que son tourmenteur recevait une volée.
Dans certains cas, la signification du rêve parvenait directement à la
conscience des patients ; ils fournissaient spontanément des analyses freu-
diennes. Nous voyons donc ici aussi le mélange de registres différents de
pensées.
La seule différence entre phénomènes schizophréniques et rêve que je sois
en mesure de citer jusqu'à présent consiste en le plus fort clivage de la
réalité des premiers. Le rêveur est généralement entièrement dominé par un
complexe ou par un mélange homogène de complexes. En outre, le schizo-
phrène enregistre en double, ou peut-être même, s'il a plusieurs complexes
autonomes, en multiple dans le sens de la réalité et dans le sens des idées
délirantes. Pour autant que nous sachions, le rêveur n'enregistre pas la réalité
en tant que telle, ou alors seulement par bribes. Mais cette différence n'est
pas forcément fondamentale. Car il est dans la nature du sommeil de se re-
trancher le plus possible du monde extérieur. Et ce retranchement n'est pas
non plus complet. Beaucoup enregistrent mieux le temps durant leur sommeil
qu'à l'état de veille. Une mère se réveille au plus léger soupir de son enfant

1 3 4 . Il arrive que, durant des années, un schizophrène ne produise qu'au cours du rêve des
hallucinations qui s'avèrent pathologiques par leur confirmation et leur contenu homogène,
puis des hallucinations équivalentes en état de demi-sommeil, et également à l'état de veille
au bout de plusieurs années seulement (NDA).
1 3 5 . Il est singulier que Pilez et Lasègue puissent trouver que « des malades paranoïaques »
(généralement des schizophrènes, selon notre nomenclature) ne rêvent pas de leurs repré-
sentations délirantes (Kraepelin 3 8 8 , I, p. 153), alors que nous ne sommes pas seuls à l'avoir
observé : Kahlbaum, Kraepelin, Santé de Sanctis, von Krafft-Ebing ont fait les mêmes ob-
servations que nous, et l'un de nos patients a formulé spontanément c e fait, bien connu
d'autres patients aussi, en ces termes : « L'activité onirique de l'être humain est identique
à la sphère des Voix des malades mentaux. » (NDA).
malade, mais non à d'autres bruits, forts, eux ; elle sélectionne donc, diffé-
rencie des phénomènes qui ont lieu dans la réalité.
Ainsi serait-il bel et bien possible que la symptomatologie secondaire de
la schizophrénie que l'on connaît à ce jour se recoupe entièrement avec
celle du rêve, malgré leur genèse différente, et malgré cette petite dis-
semblance.
On a aussi comparé d'autres deliriums aux rêves. Les Français, notamment,
ont véritablement mis sur pied une classe particulière de « délires oniriques »
et voulu voir en cette classe un groupe étiologique des psychoses toxiques.
Mais le prototype de ces maladies, le delirium tremens, qui a été conçu en
France, il y a déjà des décennies, comme un rêve prolongé, ne peut sans
doute pas être comparé à un rêve, à y regarder de plus près, bien que ces
deux phénomènes soient en apparence dominés par les hallucinations visuelles.
Dans les cas typiques de delirium alcoolique, la symbolique n'est pas re-
connaissable. En outre, le patient qui présente un delirium est trop souvent
simple spectateur des hallucinations, qui l'intéressent plutôt en tant que cu-
riosités mais ne le concernent pas plus que cela 136 . Cela ne se rencontre
sans doute pas dans le rêve. Les différents types de deliriums des pyrexies
paraissent avoir plus d'analogie avec les rêves ; mais ils sont encore trop peu
étudiés pour pouvoir être pris en considération ici. J'ai pu aisément distinguer
de la schizophrénie la plupart des délires des pyrexies que j'ai vus.

h) Les symptômes catatoniques

1. Généralités
11 n'y a jusqu'à présent pas d'explication plausible de la série des symptômes
catatoniques. Il est à vrai dire facile de voir que ceux des actes du sujet sain
qui se déroulent parallèlement à la sphère d'une attention concentrée ont des
analogies avec eux. On tourne un bouton quelconque pendant un discours,
on dessine des figures stéréotypées pendant que l'attention est soutenue ;
absorbé par un problème, Newton resta assis toute une journée au bord de
son lit, un bas à la main. On a tendance à obéir automatiquement à un ordre
simple quand l'attention est fixée dans une autre direction. Dans la schizo-
phrénie, cependant, on ne peut pas rapporter ces symptômes à un simple
trouble de l'attention, ne serait-ce que parce qu'il n'est nullement toujours
possible de mettre un tel trouble en évidence. Il faut mentionner l'étrange
tentative d'Alters d'expliquer une partie des symptômes catatoniques par
« l'effet extincteur de l'attention » (et non pas, donc, par une diminution de

136. Ces commentaires sur la clinique du delirium tremens ne peuvent que laisser perplexe
non seulement un Français, mais quiconque a eu l'occasion de n'en voir ne serait-ce qu'un
cas dans sa vie (NDT).
celle-ci). Selon lui, le négativisme, les automatismes, les stéréotypies sont
déterminés de façon en partie psychique et en partie motrice. Le processus
intra-psychique doit être envisagé de telle sorte que « la congruence entre
la composante spatiale de la perception motrice et celle de la volonté de
mouvement, et par conséquent de l'achèvement correct du mouvement une
fois accompli, normalement affectée d'une forte charge de conscience, ne
devient pas consciente... » - Lundborg pense que les symptômes psychiques
de la catatonie proviennent d'une insuffisance thyroïdienne, et ses symptômes
moteurs d'une insuffisance parathyroïdienne ; pour moi, il n'a même pas fait
apparaître cette conception comme possible, et encore moins vraisemblable.
- Schule (680) met en rapport les accès cataleptiformes (raptus, refus d'ali-
ments, mutisme) avec l'onanisme ou les affections utérines, tandis que l'école
de Wernicke qualifie les psychoses de motilité de type le plus fréquent de
psychose menstruelle. Il n'est sans doute pas invraisemblable que les symp-
tômes catatoniques aient plus de rapports avec la sexualité que d'autres mani-
festations secondaires de la schizophrénie, mais ce n'est pas non plus prouvé.
Il faut supposer que les symptômes catatoniques ne forment pas un
groupe homogène. S'ils sont solidaires, c'est sans doute en partie du
fait que la plupart d'entre eux sont un signe d'assez forte intensité de
la maladie. Pourtant des actes compulsifs, par exemple, se voient aussi
dans des formes tout à fait bénignes ; mais nous ne pouvons pas bien
les distinguer des autres automatismes catatoniques.
Ainsi un point de vue homogène nous fait-il défaut pour envisager la
genèse de tous les phénomènes catatoniques.

2. Stupeur
Comme nous ne considérons pas le tableau apparent de la stupeur comme
un symptôme homogène, on renverra à l'énumération de ses différentes ori-
gines (p. 202). En outre, l'hypertension cérébrale produite par un œdème de
la pie-mère et du cerveau ou par un autre type d'œdème cérébral provoque
des phénomènes de type stuporeux. Mais les explorations de Gross avec le
test d'écriture, citées plus haut, montrent qu'une altération générale des pro-
cessus cérébraux n'est pas nécessairement présente lors d'une stupeur.

3. Le négativisme
Les théories antérieures des phénomènes négativistes sont inexactes
ou insuffisantes, ainsi que j e crois l'avoir démontré 137 . Le négativisme
n'est, par exemple, rien de si simple qu'on puisse l'expliquer par la
motricité, en faisant totalement abstraction du fait que l'existence de

137. Psychiatrisch-neurologische Wochenschrift 1 9 1 0 - 1 9 1 1 (NDA).


troubles moteurs primaires dans la schizophrénie n'est pas encore dé-
montrée. Aussi une théorie complète ne peut-elle être mise sur pied
pour l'instant, mais les remarques qui suivent peuvent servir de maté-
riau pour l'édification d'une telle théorie.
Le rapport des schizophrènes au monde extérieur est devenu différent,
et dans l'ensemble hostile. Les patients vivent dans leur monde autis-
tique. Ainsi peut-on vraiment prouver, dans certains cas, qu'ils ressen-
tent comme des perturbations déplaisantes tous les stimuli en
provenance de l'extérieur auxquels ils ne peuvent pas faire barrage.
De là provient l'attitude négativiste.
Outre le besoin autistique d'être seul avec ses pensées et ses senti-
ments, la souffrance au contact de la blessure existentielle que tout
schizophrène quelque peu grave traîne avec soi favorise le refus de
certaines influences extérieures. Si l'on touche au complexe au cours
de l'analyse, ou de quelque autre façon que ce soit, plus d'un patient
devient négativiste pour assez longtemps. Des questions qui touchent
au complexe reçoivent de la part des malades des réponses négatives
bien plus fréquemment encore que ce n'est le cas chez des sujets sains.
Par analogie avec notre attitude habituelle dans le cas de douleurs
corporelles, on peut considérer comme évident que ce qui est redouté,
ce n'est pas seulement le contact effectif mais aussi la possibilité de
contact, ce qui explique le négativisme permanent. Du reste, nous
voyons aussi des sujets sains, et notamment des enfants, présenter un
négativisme général net quand ils éprouvent une souffrance que l'on
ne peut adoucir.
L'attitude générale de l'entourage incite également à la défensive car,
vue du côté du patient elle est tout à fait hostile (enfermement, non
prise en compte des souhaits les plus importants, etc.) C'est pourquoi
nous voyons le négativisme croître et décroître avec la résistance de
la part de l'entourage.

A ceci s'ajoute que les malades ne comprennent pas suffisamment, en


vertu de leur trouble de la pensée. Ils ont donc le même motif de
résister aveuglément que certains épileptiques en état crépusculaire ou
que des enfants et des animaux effrayés. Dans certains cas, on peut
également nettement voir cette origine du négativisme.

S'il existe vraiment des troubles moteurs schizophréniques, ceux-ci


aussi doivent rendre indésirable tout commerce avec le monde exté-
rieur. Mais il est certain que de nombreux malades sont négativistes
parce toute pensée et toute activité leur est pénible.
La sexualité intervient aussi. Nul affect n'est aussi ambivalent que l'af-
fect sexuel, même à l'état normal (en particulier dans le sexe féminin
chez les êtres humains et les animaux). Et nous voyons aussi fort sou-
vent, dans le cas de phénomènes négativistes, une mimique nettement
sexuelle tantôt associée à de l'indignation, tantôt sur un mode honteux,
selon que la sensation d'approche possède une composante de plaisir
plus ou moins grande.

Le degré qui sépare l'attitude commune de l'attitude négativiste n'ap-


paraît pas si grand, si l'on se rend compte que toute tendance positive
comporte aussi une composante négative et inversement (voir théorie
de l'ambivalence). Il suffit donc d'une prédominance ne serait-ce que
relativement faible pour faire pencher la balance de l'autre côté.

C'est précisément là où nous rencontrons une suggestibilité positive


fortement développée que, par opposition ou en tant que mesure de
protection plus ou moins consciente, la suggestibilité négative est for-
tement développée (enfants, hystériques, séniles). Chez les schizo-
phrènes, nous constatons, dans le cas de l'automatisme sur ordre, un
degré pathologique de suggestibilité, et il faut donc s'attendre à ce
que, chez eux, la suggestibilité négative atteigne elle aussi un haut
degré. Mais les altérations du rapport à l'entourage mentionnées plus
haut veillent à ce que la seconde l'emporte souvent sur la première.

Il est naturel que le négativisme passif se transforme en négativisme


actif ; au contraire, il faut avoir conscience de la torpidité des schizo-
phrènes pour ne pas trouver étonnante la présence fréquente d'un sim-
ple négativisme passif. On répugne à ouvrir la bouche sur commande,
on serre involontairement les mâchoires ; et, même en des matières
compliquées, on fait volontiers, pour de bonnes raisons, tout juste le
contraire de ce à quoi l'on devrait être forcé. A plus forte raison le
négativisme actif dans le sens du passage à l'acte agressif est-il natu-
rellement compréhensible : instinctivement et consciemment, l'attaque
est la meilleure des défenses.

Notre conception rend également compréhensible sans plus amples ex-


plications le fait que le négativisme ne s'exprime souvent qu'à l'égard
de certaines personnes. Ces personnes sont généralement les médecins,
les infirmiers, ou éventuellement des proches dont part la résistance 1 3 8
ou qui sont en rapport avec les complexes. Les autres patients, avec

1 3 8 . La résistance aux souhaits du patient, bien sûr (NDT).


lesquels on est en contact superficiel, n'incitent au négativisme que si
l'on tente de s'enfermer complètement dans sa chrysalide.
De même que la rupture avec le monde extérieur provoque le négativisme
externe, le conflit intérieur provoque le négativisme interne. Chez les
sujets sains déchirés entre diverses pulsions, nous voyons fort nette-
ment ce symptôme. Etant donné Pémiettement de l'esprit schizophré-
nique, cela doit se manifester beaucoup plus souvent et plus
intensément. La patiente peut être si scindée que, tandis qu'elle as-
souvit sans se gêner sa convoitise pour un mets dressé pour d'autres,
elle justifie en même temps en paroles le fait que, selon elle, elle ne
mange rien.
Avec d'autres, nous avons cherché, à l'origine du négativisme purement
intellectuel, une tendance générale aux associations par contraste. Mais
on ne peut la mettre en évidence. Nous avons vu par contre, en dis-
cutant l'ambivalence intellectuelle, combien l'antithèse est proche de
la thèse, et combien il est naturel qu'au lieu d'une pensée ou de cer-
tains mots ce soit leur contraire qui apparaisse, étant donné le malaise
dont de nombreux patients chargent souvent leur propre pensée et la
nécessité pour eux de considérer et de se représenter les choses au-
trement qu'il n'est habituel. Les motifs affectifs cités plus haut favori-
sent l'apparition du contraire à la place de la représentation primaire ;
mais comme ils n'influencent pas aussi fortement les phénomènes in-
tellectuels que la volonté, il est compréhensible que le négativisme
intellectuel soit beaucoup plus rare et, notamment, loin d'être aussi
conséquent que celui de la volonté. J e crois cependant qu'il nous reste
à trouver une de ses causes qui puisse aussi nous expliquer pourquoi,
dans le rêve par exemple, une idée est exprimée par son contraire avec
une véritable prédilection.

Il va de soi que de nombreuses idées délirantes et hallucinations doi-


vent conduire sinon au négativisme, du moins à un comportement né-
gativiste. Toutefois, ce rapport est souvent inversé, des hallucinations,
par exemple, étant déterminées par le négativisme.

4. Les symptômes moteurs


On n'a pas encore publié d'observations qui indiquent nécessairement
une genèse de symptômes moteurs dans des centres cérébraux moteurs
altérés de façon spécifique, non plus qu'en un lieu encore plus péri-
phérique. Aussi les tentatives de localisation, que c'est justement ici
que l'on a faites le plus fréquemment, n'ont-elles aucun fondement
solide. Pour autant que nous le sachions, tous les symptômes moteurs
sont sous la dépendance d'influences psychiques en ce qui concerne
tant leur survenue que leur disparition. Ceux que l'on peut analyser
sont souvent entièrement explicables par voie psychique. On ne saurait
cependant exclure que se produisent, quelque part dans l'appareil mo-
teur, des altérations qui engendrent une partie des symptômes, ou qui
créent les prédispositions nécessaires (pensons à l'hyperexcitabilité de
la musculature).

Mais nous ne sommes pas encore parvenu à en trouver d'indices et,


par exemple, à mettre en évidence la désagrégation primaire des as-
sociations dans la motricité.

Conformément à sa théorie de l'antagonisme des centres supérieurs et infé-


rieurs, Meynert tenait ceux des troubles que l'on peut considérer comme des
symptômes irritatifs pour une conséquence de l'exagération de l'activité de
centres sous-corticaux lors d'une défaillance corticale (473, p. 193). Cette
théorie a été reprise en 1898 par F. Lehmann. En opposition à cela, je dois
souligner que jusqu'à présent, et en faisant totalement abstraction des fai-
blesses de la théorie nutritionnelle de Meynert, on n'a pas encore fourni un
seul motif vraisemblable qui puisse nous amener, dans le cas de notre ma-
ladie, à invoquer l'activité de centres sous-corticaux. Des phénomènes cho-
réiques, athétosiques, tétaniques sont quelque chose de totalement différent
des symptômes moteurs qui appartiennent à la schizophrénie. Je n'ai jamais
confondu non plus les mouvements des idiots avec des mouvements catato-
niques ; ils ont manifestement leur fin propre, ils sont l'expression du plaisir
de bouger qui nous habite tous. Je ne voudrais cependant pas dire que les
mêmes mouvements ne puissent parfois se produire au cours de la schizo-
phrénie, car plus d'un rentier non imbécile a bel et bien la stéréotypie de
se tourner les pouces 139 . Mais de tels mouvements ne font pas partie de la
schizophrénie. Et tout aussi peu les rythmes. Cependant, nos observations
donnent raison à l'opinion de Fauser et Kraepelin (397), selon laquelle la
tendance naturelle aux rythmes peut se manifester sans inhibition dans la
catatonie - mais seulement en ce sens que, justement, le catatonique utilise
parfois des rythmes là où le sujet sain les réprimerait. La symptomatologie
s'oppose très résolument à l'attribution d'une grande partie des phénomènes
moteurs schizophréniques à des mécanismes innés.

C'est Schiile (679) qui a étudié le plus à fond les troubles de la motricité.
Mais, malgré sa brillante description, je ne puis accepter les distinctions qu'il
fait. Je ne rencontre presque jamais quelque chose qu'on pourrait appeler
spasmes ; nous observons certes des mouvements compulsifs, mais ils ne
correspondent pas à la description de Schiile, qui décrit des mouvements que

1 3 9 . Au sens propre (également !), évidemment (NDT).


nous classerions pour la plupart parmi les stéréotypies. Je suis incapable de
distinguer mouvements psycho-réflexes et cérébro-réflexes. Pour moi, une
contracture tonique simple est encore loin d'être un « symptôme musculaire gros-
sier ». Schiile parle aussi d'une altération de la constitution moléculaire muscu-
laire dans la flexibilitas cerea ; je ne sais pas sur quoi repose cette hypothèse.
Schiile et Wernicke font aussi découler certaines bizarreries d'attitude, ou
autres, de paresthésies ou, dans certains cas, de « troubles de la conscience
de la corporalité ». Mais l'on ne peut généralement pas retrouver ces pares-
thésies. Elles peuvent certes être à l'origine de mouvements à type de tics,
mais ceux-ci ne font pas directement partie de la catatonie140.
Wernicke ne parvient pas à mettre les tensions musculaires permanentes en
relation avec l'activité volontaire. Il qualifie certains mouvements de « pseu-
do-spontanés », ce qui ne peut sans doute désigner qu'un concept négatif,
c'est-à-dire quelque chose qui n'est ni spontané, ni automatique. La flexibilité
cireuse est, pour lui, le réflexe cortical spécifique qui répond à des mouve-
ments passifs. Anton (19) met la rigidité catatonique en rapport avec la ri-
gidité lors de l'ablation des hémisphères cérébraux. Alter trouve une affection
spécifique des porteurs de la « stéréopsyché » de Storch141.
Kleist distingue plusieurs types de troubles moteurs, qu'il localise dans des
voies cérébrales particulières. Aussi loin que j'aie pu analyser des troubles
moteurs catatoniques, ils dépendaient toujours d'influences psychiques ; et
quand, ce qui peut arriver, certains symptômes indiquaient une localisation
plus nette du processus dans une partie donnée du cerveau, ces phénomènes
n'avaient jamais un caractère catatonique, mais celui des symptômes focaux
habituels ; tout spécialement, les symptômes linguistiques schizophréniques
(mutisme, verbigération, maniérisme, néologisme) sont fondamentalement dif-
férents des troubles aphasiques. Une fois, j'ai également vu une altération
du « système cerveau frontal - cervelet » apparaître au cours d'une catatonie ;
les cellules de Purkinje avaient été détruites et les noyaux caudés étaient
atrophiés. Mais les troubles moteurs que cela entraînait se distinguaient au
premier coup d'œil de ceux des 400 autres pensionnaires schizophrènes de
l'asile. Je n'ai jamais vu la moindre trace de mouvements « choréiques » qui
relevassent de la schizophrénie, malgré une expérience qui n'est certes pas
mince, tant en profondeur qu'en étendue. Quand l'Ecole de Wernicke parle
de tels mouvements, ce n'est possible que parce qu'elle s'est fait des mou-
vements choréiques une idée qui dépasse ce que l'on voit dans les formes
de la chorée. La localisation dans divers groupes musculaires est loin de
pouvoir être motivée anatomiquement de façon aussi plausible que psychi-
quement, abstraction totalement faite de ce que, dans certains cas, la genèse

140. Kraepelin (388, II, p. 761/2) identifie, parmi les phobies, des tics qui sont des sym-
boles ; ils ont alors les mêmes mécanismes que les stéréotypies catatoniques (N1)A).
141. Voir en outre la critique de Neisser (512) et Roller. (NI)A).
psychique peut être prouvée. Un spasme en groin s'explique mieux comme
un signe de mépris que comme un tonus localisé des protracteurs des lèvres,
et les variations subites d'intensité du zéro au maximum sous des influences
psychiques ne sont tout de même compréhensibles que si au moins le dé-
clenchement du symptôme est psychique.
On a prétendu localiser la catalepsie dans les muscles ; Schtile (680) formule
l'hypothèse d'états pathologiques, infectieux peut-être, de la musculature.
Kahlbaum la qualifie, de façon peu claire, de symptôme cérébro-spinal. Rie-
ger pense que « toute la solution du problème » réside dans le fait que les
muscles antagonistes reçoivent des influx nerveux égaux aux agonistes. Si
seulement elle ne faisait pas défaut dans tant de cas, la difficulté des mou-
vements spontanés parlerait en faveur de cette dernière conception. Et puis
nous ne voyons pas trop ce que sont ces influx nerveux antagonistes, si ce
n'est pas le négativisme qui les conditionne.

Il nous paraît indubitable que ce symptôme est déclenché psychique-


ment, sur la base d'une prédisposition plus générale qui ne nous est
pas encore bien connue. Seule une telle conception peut rendre compte
de sa variation rapide sous des influences psychiques. C'est malheu-
reusement tout ce que nous pouvons dire. Si toutefois nous regardons
où nous rencontrons le prototype physiologique de la catalepsie, il de-
vient probable que ce phénomène ait quelque chose à voir avec le
trouble du déroulement de la pensée. Nous rencontrons des indices de
catalepsie chez le sujet sain quand il est absorbé (Newton !) ou quand
ses idées ne progressent plus, par exemple dans la fatigue. Il arrive
alors qu'on maintienne une position du corps ou d'un membre qui a
été prise par hasard. Dans d'autres psychoses aussi, la catalepsie est
régulièrement associée à une forte perturbation du déroulement de la
pensée. Riklin (612, p. 306) formule l'hypothèse d'un rapport avec le
monoïdéisme.

Une incapacité de mouvement réelle, indépendante de la volonté


consciente ou inconsciente du patient, ou en contradiction directe avec
sa volonté consciente, et survenant avec ou sans accompagnement de
phénomènes cataleptiques, a certainement des causes très diverses.
Dans l'obnubilation organique, la difficulté des mouvements participe
sans doute de l'état cérébral général. Puis il existe sûrement des in-
terruptions de la motricité analogues à celles du sommeil ; elles peu-
vent alors être ressenties, comme dans le cauchemar, ou rester
inconscientes, comme dans le rêve commun. Barrages et influences de
complexes clivés entravent naturellement souvent la motricité, d'une
façon générale. Les hallucinations, les idées délirantes et l'isolement
autistique de l'environnement interdisent souvent les mouvements ou
diminuent les impulsions de bouger. Tous ces facteurs ou plusieurs
d'entre eux peuvent souvent coexister chez le même patient. Il est alors
généralement impossible d'établir la part de chacun d'entre eux dans
la réalisation de l'immobilité.
Les mouvements des catatonies excitées sur le plan moteur, la dépense
physique, le tourbillonnement, les grimaces, etc. ont, pour nous, une
détermination psychique ; leur observation et la discussion avec les
patients à leur propos ne nous ont jusqu'à présent pas fourni matière
à leur soupçonner d'autres causes.
Pour l'échopraxie, la même explication dont on use en d'autres lieux
est sans doute valable dans le cas de la catatonie : toute perception
d'un mouvement provoque un stimulus plus ou moins fort à l'imiter,
mais dans des conditions normales ce stimulus est réprimé par les
autres associations. Mais si les autres associations font défaut ou sont
affaiblies, ce stimulus peut prévaloir. Aussi rencontrons-nous généra-
lement l'échopraxie, ici aussi, en association avec l'obnubilation et des
états analogues ; mais elle se voit parfois ailleurs, ce qui nous montre
que nous ne connaissons pas tout à fait sa genèse. Parfois, la fascina-
tion optique ou acoustique peut donner la prépondérance à la percep-
tion sensorielle et, en même temps, inhiber les autres associations ;
dans d'autres circonstances, le patient peut, plus ou moins consciem-
ment, voir dans un geste qu'on fait devant lui une incitation à l'imiter.
Mais toutes ces hypothèses ne sauraient nous suffire.

Le mutisme142 est souvent une simple manifestation partielle de l'im-


mobilité générale, que celle-ci soit déterminée par une catalepsie ou
par une hypertonie. Mais la raison principale du mutisme chronique
repose certainement sur trois causes fondamentales, qui se recoupent
en partie : le désintérêt - les patients n'ont absolument rien à dire ;
l'autisme - les patients ne veulent absolument aucun rapport avec le
monde extérieur ; et le négativisme - les patients ne veulent pas ce
que normalement l'on attendrait précisément d'eux. D'autres motifs
peuvent s'y associer, comme la difficulté de trouver le mot, que l'on
peut arriver à mettre en évidence en cas d'obnubilation pseudo-apraxi-
que, et puis des idées délirantes.
Sans doute le fait que ce symptôme ait tendance à disparaître le dernier lors
de la résolution des états stuporeux n'est-il pas sans importance pour sa
compréhension.

142. Voir aussi Schule (680) (NDA.


5. Complexes symptomatiques catatoniques

Automatismes. Le clivage des complexes rend les automatismes compré-


hensibles sans plus ample informé. Les aspirations de notre esprit qui
sont à l'œuvre dans l'inconscient, clivées, ont le cas échéant un effet
sur l'activité et la pensée.

Si le patient est accessible à une analyse, on peut presque toujours


trouver le complexe derrière les automatismes. Là où le contexte ne
peut être élucidé, on doit se souvenir que tous les événements fortuits
possibles peuvent être associés au complexe, si bien que dans des cas
très évolués une généralisation du processus peut intervenir, comme
dans le cas des idées délirantes.

Il est en outre possible qu'à certains stades du processus schizophré-


nique la désagrégation de l'activité psychique puisse atteindre un tel
degré que même des complexes peu chargés d'affect, et peut-être des
complexes d'une actualité fortuite, induite du dehors, peuvent devenir
autonomes 1 1 3 .

Des actes qui viennent de l'inconscient doivent naturellement apparaî-


tre au patient qui réfléchit comme quelque chose d'étranger 1 Si elles
sont en contradiction avec le contenu actuel de sa conscience et sont
mises en association avec ce dernier lors de leur exécution et immé-
diatement avant celle-ci, la personnalité consciente y résistera et
éprouvera l'impulsion comme une contrainte. Selon la force de cette
résistance surviendront alors soit des actes compulsifs, soit seulement
des idées compulsives.

Freud dit que, dans le psychisme, la compulsion naît toujours du refoulement.


Chez nos malades, les complexes ne semblent en fait pas toujours refoulés,
et pourtant j e ne voudrais pas encore déclarer, sans plus ample étude, cette
assertion de Freud non valide pour la schizophrénie, et ce en particulier
parce que Friedmann a acquis des vues tout à fait analogues avec sa théorie
des « représentations incomplètes » qui seraient à la base des phénomènes
compulsifs, tandis que Neumann connaissait déjà le rapport entre sexualité
et mysophobie.

1 4 3 . Chez des sujets sains aussi, la stupeur affective peut conduire à des attitudes catato-
niques, à des stéréotypies, et même à la verbigération. « Un sujet sain, qui a parlé auparavant
avec indifférence d'une immersion dans l'huile, est plongé dans l'embarras à cause d'une
erreur de toilettes, ayant rencontré une dame clans l'escalier, environ une demi-heure après
cette conversation. A la suite cle cela, il se surprend à marmonner dans sa barbe : une
immersion dans l'huile - une immersion dans l'huile — une immersion dans l'huile. » -
Loewy, Zeitschrift fur die gesamte Neurologie und Psychiatrie, Orig. I, 3 3 9 (NI)A).
1 4 4 . D'où les différents types de troubles du sentiment de l'activité, etc. Pick (570) (NDA).
Si le clivage est si fort qu'aucun lien associatif avec la personnalité
consciente n'intervient, même lors de l'exécution, nous avons un acte
automatique, dans lequel le patient fonctionne comme un tiers, en tant
que spectateur. Dans des cas intermédiaires, seule la partie motrice
est en relation avec la personnalité. Le patient croit agir de lui-même,
mais ne se rend pas compte de ses motifs, et ne résiste pas non plus 145 .

Ainsi les automatismes doivent-ils être mis absolument sur le même


plan que les hallucinations et les idées délirantes ; ce sont des hallu-
cinations de la pensée, des aspirations et du vouloir, tout aussi bien
qu'il existe des hallucinations de la mémoire. C'est pourquoi il y a des
associations et des formes de passage entre ces divers symptômes. Un
homme marié a des désirs sexuels envers une de ses parentes ; au bout
de quelque temps les Voix l'accusent d'un attentat contre les bonnes
mœurs ; puis elles lui chuchotent qu'il va faire un malheur. Il sent en
lui la compulsion de faire lui-même ce malheur, mais ce n'est que onze
ans plus tard qu'il commet un attentat sexuel, après que la compulsion
se soit transformée en des Voix qui le commandaient. Un autre a des
idées compulsives pendant assez longtemps, puis « on le pousse à un
acte » (« impulsions compulsives 146 »), puis cela en vient à des actes
compulsifs, et une « psychose hyperkinétique de motilité » éclate alors,
psychose après laquelle le malade a été des années durant mieux
qu'auparavant, bien que la catatonie puisse encore être diagnostiquée.
Un hébéphrène avait traité une fois un collègue de « Sale Juif 147 », ce
pour quoi il fut réprimandé. Puis il eut l'idée compulsive qu'il avait
écrit cette injure dans ses lettres, qu'il lui fallut alors relire systéma-
tiquement à haute voix ; par la suite survint la compulsion de prononcer
ces mots, compulsion qui se généralisa avec le temps sous la forme
d'une coprolalie plus vaste.

Chose étonnante, certains auteurs prétendent (au contraire d'autres, Schule


par exemple), que des représentations compulsives ne s'associeraient pas à
des psychoses (par exemple Thomsen). Ce qui est exact, c'est seulement que,
dans le cas des représentations compulsives de la schizophrénie, des symp-
tômes de cette maladie deviennent patents fort tôt déjà, si bien qu'on les met
au premier plan, et peut-être est-il exact aussi que les formes de représen-
tations compulsives pures se combinent très rarement avec de véritables psy-
choses, une fois la schizophrénie exclue.

145. Si le complexe accapare l'ensemble de la personnalité, nous parlons d'états crépuscu-


laires (hyslériformes) (NDA).
146. Classiques obsessions-impulsions en français.
1 4 7 . En f r a n ç a i s dans le texte.
Il faut aussi rappeler que des mouvements tels que grimper à cause de l'idée
d'être un chat peuvent être des transitions vers les automatismes, mais ne
sont nullement forcés d'être des mouvements compulsifs (Decsi, 158), et que,
d'une manière analogue, il existe vis-à-vis de la schizophrénie une tendance
à élargir de façon incongrue le concept de phénomènes compulsifs.

De nombreux auteurs usent, pour les automatismes moteurs, du terme d'actes


pulsionnels. Ce terme devrait être réservé à des pulsions consécutives à des
besoins existants (instinct 1 4 8 de se nourrir, instinct de conservation, pulsion
suicidaire) dont les motifs derniers sont conscients. Malheureusement, nous
n'avons néanmoins pas d'autre mot allemand pour les pyromanies, les clep-
tomanies et d'autres complexes symptomatiques analogues revêtant plusieurs
significations. Pour la schizophrénie, cependant, cette imprécision n'entre pas
en ligne de compte, ses automatismes sont plus ou moins indépendants de
la personnalité, mais ce ne sont pas des actes « pulsionnels » en l'un des
sens mentionnés ci-dessus.

Quand Berze (59), après Wundt, accorde de l'importance au fait que le conte-
nu de la conscience serait modifié en ce sens qu'il n'apparaît pas comme
« voulu activement » mais comme « subi passivement », il s'agit là d'une
bonne description des symptômes automatiques ; mais le symptôme ainsi dé-
crit n'est pas caractéristique d'une paranoïa circonscrite de quelque façon,
alors justement qu'il est quotidien dans le cas de la schizophrénie.

Il n'existe jusqu'à présent pas d'indices à l'appui d'une conception localisa-


trice des automatismes ; un « automatisme dans les centres de la langue 1 4 9 »
(Arnaud, in Ballet, p. 542) est naturellement une explication tout à fait in-
suffisante pour des matières d'une si grande importance affective. La classifi-
cation en automatismes primaires et secondaires cérébraux et cérébro-spinaux
(Brugia et Marzocchi) n'a naturellement aucun fondement solide non plus.
En partant de notre point de vue, nous ne pouvons pas discuter des concep-
tions, analogues, de Schule1::>().

D a n s le c a s d'une partie des lubies bizarres, on peut a i s é m e n t montrer


q u ' e l l e s surgissent s u b i t e m e n t de l ' i n c o n s c i e n t . L e s c o u p l e t s de c h a n -
sons, les versets de la B i b l e , e t c . , qui sont tout à coup dits ou c h a n t é s
à la stupéfaction et l'entourage et, souvent, du patient l u i - m ê m e , ont
toujours des rapports avec les c o m p l e x e s des patients. Il en va de
m ê m e pour d'autres a s s e r t i o n s a b r u p t e s 1 5 1 . L'une de nos m a l a d e s dit

148. Trieb : par exception nous traduisons ici par instinct, pour nous conformer à l'usage
de la langue courante (NDT).
149. En français dans le texte.
150. Les différents types d'automatismes peuvent être provoqués par suggestion post-hypno-
tique (NDA).
151. Comme chez les sujets sains. Voir Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne, et
Jung (344, p. 6 2 ) ( N D A ) .
un jour, sans la moindre suite, « dans la Bible, il est écrit qu'on doit
aller voir la Samaritaine de la Fontaine de Jacob » (Evangile de Jean,
IV). Dans sa maladie, on la tourmentait parce que - comme la Sama-
ritaine - elle avait eu plusieurs hommes, deux qu'elle avait épousés,
et un avant de se marier.
Le symptôme le plus connu de l'activité complexuelle est le rire im-
motivé.
Freud (235, p. 145) attire l'attention sur le fait qu'au cours des analyses
les malades rient souvent quand on touche à un complexe. Nous avons
parfois vu cela dans la schizophrénie ; et nos observations indiquent
que le rire équivoque de nos malades a toujours cette origine ; seule-
ment, la stimulation du complexe ne vient absolument pas toujours de
l'extérieur, mais bien plus souvent de l'intérieur. Les malades ne savent
généralement pas eux-mêmes pourquoi ils rient ; ils ressentent cela
comme une compulsion ; il s'agit donc ici du même phénomène que
dans le cas d'autres modes d'expression des complexes.
Qu'un hébéphrène périodique s'aperçoive à chaque fois, à son rire, qu'un
nouvel accès approche est également en faveur de cette conception : car les
complexes se réactivent à l'approche d'un nouvel accès. Un patient précé-
demment légèrement imbécile et qui ne tomba malade de façon patente qu'à
l'âge de 45 ans n'aurait jamais ri auparavant ; au début de sa maladie, on
remarqua qu'il riait. Dans le cas qui suit, le rapport avec le complexe est
très net : une patiente a développé sous la forme « d'une ou deux poupées
de caoutchouc », qu'elle identifie à son bien-aimé, le cauchemar qui l'a op-
pressée une fois. Son bien-aimé la tourmente à présent avec ces poupées, il
la serre, l'étrangle, lui provoque des battements de cœur, lui comprime la
tête et lui ordonne d'être gaie ; elle est alors forcée de rire tout le jour durant.
Les pleurs immotivés, qui ne sont pas rares non plus, ont naturellement
une cause analogue.

6. Les manières
Les manières et, en partie au moins, les stéréotypies s'expliquent non par
le clivage, mais plutôt par l'effet permanent des complexes. L'être humain
normal a déjà tendance à exagérer, ou du moins à laisser paraître de
façon particulièrement importante celles des manifestations expressives
qui correspondent à ses souhaits. Celui qui est vaniteux le laissera paraître
dans son habillement et dans toute sa conduite, et celui qui est Fier de
sa force physique dans sa démarche et dans tous ses mouvements. Mais
ce ne sont pas seulement ceux qui sont quelque chose qui attirent notre
attention, mais bien plus encore ceux qui veulent être ce qu'ils ne sont
pas. Chez quelqu'un qui est vraiment distingué, l'attitude distinguée, la
distinction se dégage de chacun de ses mouvements, tout naturelle-
ment, c'est une partie de son être, et c'est pourquoi il n'attire pas
l'attention. Chez celui qui affecte la distinction, on remarque le
contraste entre nature et affectation ; les mêmes mouvements sont chez
l'un quelque chose qui fait partie de lui-même, et chez l'autre quelque
chose d'étranger ; qui imite la forme sans comprendre le contenu ne
peut en effet pas adapter la forme au contenu ; par exemple, il attachera
une importance incongrue à des détails singuliers ; qui est doté d'une
culture intellectuelle naturelle manifeste dans tous ses mouvements de
main une plus grande indépendance de ses doigts les uns par rapport
aux autres ; celui qui voudrait faire montre de plus de culture qu'il
n'en a voit seulement que le petit doigt est tenu écarté vers l'extérieur,
et le fait sur un mode extrême en toute occasion, bonne ou mauvaise,
etc. Ainsi en va-t-il aussi chez les schizophrènes ; seulement, là où le
contrôle fait défaut et où les complexes exercent d'une façon générale
une tyrannie bien plus grande que chez le sujet normal, l'exagération
sera beaucoup plus importante encore. D'où le maniérisme catatonique,
le comportement grossier des hébéphrènes, la majesté ridicule des méga-
lomanes. Un hébéphrène m'a même présenté ses néologismes creux,
souhaitant de moi une critique dont il n'attendait à vrai dire que des
louanges. On a considéré le comportement insolent de nombreux hé-
béphrènes, joint à la tendance à faire son important, à aborder les
problèmes les plus élevés, comme un complexe symptomatique que le
patient aurait repris de la puberté. Il est possible que cela y contribue.
Ce n'était sûrement pas le cas chez notre pire représentant des caracté-
ristiques de l'âge ingrat ; tant qu'il était bien portant, il ne présentait
absolument pas ces caractéristiques ; sa maladie ne devint manifeste
qu'au début de la troisième décennie de son existence, alors qu'il avait
depuis longtemps une situation, et il s'agissait d'une catatonie patente.
L'analogie symptomatique de la schizophrénie et de la puberté repose à
coup sûr principalement sur quelque chose de tout autre ; les jeunes gens
aspirent, tout comme certains schizophrènes, à paraître plus qu'ils ne sont
sur le plan social et intellectuel, et ceci se traduit par le fait qu'ils se
moquent des formes et qu'ils veulent s'occuper de choses qui réclament
une intelligence plus grande. Ainsi s'explique aussi, en partie, la tendance
à user de mots étrangers et à leur donner une intonation particulière.
Kraepelin a, par exemple, attiré l'attention sur le fait que de nombreux
catatoniques placent ainsi l'accent tonique sur « Herr Doktor 152 ». C'est

1 5 2 . Il s'agit l à d ' u n déplacement d e l'accent tonique sur l a seconde syllabe, comme en


français, alors q u ' e n a l l e m a n d il est sur la première (NDT).
toujours en relation avec un complexe de distinction et d'importance
que nous avons rencontré de telles singularités.
La tendance aux diminutifs, et le comportement général puéril qui s'y
associe souvent, s'explique aussi d'une façon analogue. Nous avons pu
prouver dans certains cas que cette tendance était l'expression du
complexe d'avoir des enfants 153 . Les malades parlaient d'abord de cette
façon à leurs enfants imaginaires, et généralisaient ensuite cette « ma-
nière », en particulier quand le père de l'enfant était identifié à ce
dernier. Mais la forme diminutive peut aussi persister exclusivement
dans la conversation avec l'enfant 154 . - Le second cas de Hecker parlait
un jargon d'officier, sans doute parce que cette jeune fille avait des
espérances à l'égard d'un officier.

Il n'est pas rare que les malades changent leur « manière » selon le
complexe du moment (voir exemple p. 208).
Les stéréotypies ont aussi leurs équivalents chez le sujet sain, dont il
n'est pas bien rare, quand son attention est distraite, qu'il fasse des
mouvements ou des dessins stéréotypés qui trahissent un complexe caché.

Dans le cas des stéréotypies dont on peut suivre la genèse, on voit très
clairement qu'elles sont en rapport avec un complexe.
La vieille fille qui imite le mouvement d'un cordonnier en a aimé un voici plus
de trente ans. Celle qui se balance a fait la connaissance de son bien-aimé
pendant un quadrille. On annonce la visite de l'amoureux d'une femme qui
est déjà tombée malade ; la patiente verbigère : « c'est, il est » jusqu'à ce
qu'il arrive, puis garde cette habitude ; par la suite elle verbigère : « mon cher »,
et puis aussi, par intermittences : « notre petit bonhomme ». Une schizo-
phrène qu'on peut encore employer comme infirmière dit à tout instant, au
cours de ses conversations avec n'importe quelles personnes : « pas vrai,
Max » ; c'est ainsi que s'appelait son premier amoureux. Même des tentatives
de suicide peuvent être renouvelées de façon stéréotypée après extinction de
l'affect.

Au cours de presque chaque visite, un malade me remet un papier portant


quatre mots censés indiquer combien on l'a mal traité. Des malades qui ne
cessent de tourner les poignées de porte avaient autrefois un désir énergique
de sortir, même s'ils ne savent à présent plus que faire dès qu'on leur ouvre
les portes. Ceux qui embrassent les chaussures des gens présents ou le sol

153. Voir glossaire (NDT).


154. Un comportement infantile pourrait aussi indiquer un rêve ou encore un complexe
datant de l'enfance, comme me l'a fait remarquer Bezzola ; mais j e ne connais pas d'exemple
d'une telle genèse chez des schizophrènes (NDA).
soit ont le complexe de bassesse, soit, parfois aussi, expriment ainsi leur
amour pour une personne quelconque. Le balancement d'un objet dans son
bras, ou le même mouvement sans un tel objet, est ordinairement en rapport
avec le complexe des enfants. Une malade dessine une foule de bouches
stylisées ; celles-ci disent : « louez le Seigneur » ; et il ressort d'autres asso-
ciations que le « Seigneur » est un ecclésiastique dont elle est amoureuse.
L'attouchement stéréotypé des aisselles, de la bouche, des oreilles et des
organes génitaux qu'une jeune fille exécute mille fois par jour est en rapport
avec le complexe onaniste ; de même, chez un homme, pour des mouvements
des mains qui, avec le temps, se sont de plus en plus éloignés des organes
génitaux et rapprochés de la bouche ; les doigts dans la bouche, dans l'oreille,
signifient souvent la même chose, des mouvements de la tête se sont produits
sous nos yeux par déplacement de mouvements de coït. Chez deux patients,
on put prouver que le spasme en groin exprimait le mépris de l'entourage
joint à une grande satisfaction de soi.
Toutes ces interprétations ne sont pas arbitraires, mais elles sont fournies
par les patients eux-mêmes et, pour une part d'entre elles, vérifiées ob-
jectivement ; les patients associent le complexe à la stéréotypie et, inver-
sement, la stéréotypie au complexe. C'est pourquoi il n'est pas rare que
l'approche du patient passe par la stéréotypie. Ainsi la catatonique qui
se balançait était-elle complètement mutique, rigide et négativiste jusqu'à
ce qu'on ait fait avec elle ces mouvements de balancement comme au
cours d'une danse ; d'un seul coup, elle fut comme transformée ; on ne
pouvait presque plus reconnaître la malade en elle ; elle raconta son amour
et l'histoire de sa vie, autant qu'on voulait en savoir, et de façon parfai-
tement claire, comme une femme bien portante. Cette expérience put être
renouvelée quelques fois encore, jusqu'à ce que la progression de cette
catatonie grave l'eût rendue impossible.
Eu égard aux particularités des associations schizophréniques, il ap-
paraît évident que les stéréotypies peuvent s'associer à des pensées
qui leur étaient étrangères à l'origine ; le fait qu'elles se simplifient
généralement avec le temps, et qu'elles subissent aussi, par ailleurs,
des mutations, comme un déplacement de symptômes sexuels vers
le haut, est en rapport avec des caractéristiques générales de notre
esprit.

Aussi la théorie des stéréotypies nous semble-t-elle établie en premier


lieu ainsi : ce sont des actes symptomatiques au sens freudien ; un
complexe qui ne cesse de poursuivre ses effets y trouve son mode
d'extériorisation.

Mais il est toutefois nécessaire d'expliquer ensuite spécifiquement le


fait que les stéréotypies aient la vie si dure. Freud et Jung avancent
que des affects refoulés ne s'épuisent pas ; mais encore faut-il prouver
que cette règle, déduite d'expériences faites sur les nerveux et les su-
jets sains, est également valable pour la schizophrénie. Or voici que
nous constatons qu'ici des stéréotypies peuvent accompagner de nom-
breuses années durant des complexes qui ne semblent pas refoulés.
Lors des rémissions, en outre, des complexes rétrocèdent souvent à tel
point que c'est à peine si l'on peut encore mettre en évidence leur
charge affective. Pour moi, il n'est donc pas encore certain que le
refoulement soit la cause de la persistance des stéréotypies, ni que,
dans la schizophrénie, les affects complexuels ne s'affaiblissent pas,
tout de même, avec le temps. J'ai toutefois observé à suffisance que
des complexes se sont maintenus durant des années avec leurs affects,
inchangés quant à leur contenu et à leur puissance.

Qu'il en soit comme on le veut, l'explication des stéréotypies en tant


que symptômes complexuels pourrait suffire provisoirement, si la ten-
dance aux stéréotypages dans la schizophrénie ne pouvait être mise en
évidence en dehors des complexes aussi.
Il n'est pas rare qu'un mot perçu par hasard soit verbigéré pendant longtemps.
Lors des exercices sportifs libres, certains patients qui ne sont absolument
pas catatoniques ne peuvent en terminer en temps voulu avec des mouvements
répétés ; j'ai observé à plusieurs reprises qu'au piano des malades qui jouent
très bien s'attardent souvent sur un trille ou sur un autre trait répétitif. Dro-
mard rapporte que les patients ne laissent pas tomber leurs membres quand
on cesse de soutenir ceux-ci, et que les mouvements oscillants dont il fait
mention ne cessent pas avec leur cause. Peut-être le fait que la mimique soit
si souvent en retard sur la variation des affects doit-il aussi être rangé ici.
Chez un souffleur, le premier signe de la maladie consista en ce qu'il soufflait
trois à quatre fois la même phrase, et qu'il ne pouvait s'en empêcher quoiqu'il
en eût bien conscience. Un malade se rince la bouche et ne peut plus mettre
fin à ses mouvements, bien qu'il n'ait plus d'eau dans la bouche ; un autre
continue à opiner du bonnet quand il a répondu d'un signe de tête affirmatif
à une question, il secoue le même chiffon à poussière pendant une demi-
heure ; lors de la dénomination d'images, on rencontre de temps à autre des
persévérations à peu près comme dans des maladies cérébrales organiques,
et de même lors de l'écriture. A l'occasion d'une fête, un hébéphrène a fait
un discours à peu près adapté ; trois trimestres plus tard il salue dans un
autre discours le médecin en second qui est de retour en y incorporant de
nombreuses phrases de son premier discours, qui ne sont plus du tout adap-
tées à la circonstance. Sommer (724), lors de la répétition de calculs, a re-
trouvé au bout de 8 jours les mêmes erreurs que la première fois. Lors des
tests de lecture au tambour (Reis, p. 617) et au disque de tir (Busch), on a
trouvé quelque chose d'analogue. Des mouvements imprimés passivement
peuvent parfois persister pendant assez longtemps eux aussi 1 ' 0 . - Dans la
« paranoïa », Wiersma suppose une persistance prolongée des stimulus.

Bien que cette tendance au stéréotypage ne puisse généralement être mise


en évidence que lors des poussées aiguës des catatoniques - nous ne
l'avons jamais trouvée dans les associations des malades chroniques 150 -
on ne peut tout de même pas supposer que cette prédisposition n'ait pas
la moindre influence sur la genèse des stéréotypies. Nous devons donc
présumer que deux causes concourent à la réalisation des stéréotypies :
la tendance générale au stéréotypage correspondrait à la prédisposition ;
l'influence complexuelle serait la cause déclenchante et déterminerait en
même temps le contenu de la stéréotypie.

Sans doute quelque facteur tiers s'y adjoint-il. Kraepelin attire l'attention
sur le fait qu'en cas de trouble de la poursuite méthodique de buts précis,
des impulsions accessoires peuvent se manifester, et qu'en l'absence d'in-
hibition par de nouveaux buts, une action une fois établie aurait une forte
probabilité d'être de plus en plus exercée ; ainsi les stéréotypies seraient-
elles des processus volontaires excitatifs dont le but est déterminé par le
processus qui les a précédées. Et, chez un sujet sain qui est distrait, nous
voyons aussi une grande monotonie de l'activité accessoire. Schiller des-
sinait des feuillets entiers de petits chevaux.

De nombreux auteurs tentent d'expliquer les stéréotypies par la suppression


du cortex cérébral inhibiteur - par exemple Jastrowitz (324), Fauser (215) - ,
par la démence.

Nous ne pouvons pas entrer plus avant ici dans la théorie des stéréotypies,
qui est de la plus grande importance pour l'ensemble de la conception de la
schizophrénie ; je renvoie à Neisser, Heilbronner (293). Pour nous, seuls ont
encore de l'importance les détails qui suivent : le fait que les complexes
inconscients ont tendance à s'exprimer par des stéréotypies apparaît égale-
ment au cours du test associatif (Riklin, 612 a), et puis Ziehen attire aussi

1 5 5 . Des propos qui avaient à l'origine une signification affective peuvent se détacher du
complexe et simuler alors une stéréotypie fortuite : lors de l'examen, une malade répondait
d'abord à chaque fois « cela, justement » quand l'on touchait au complexe. Peu à peu,
toujours au cours d'un même entretien, cette expression était de plus en plus utilisée, et
pour finir c'était la première réponse fournie à toutes les questions. Mais il arrive sûrement
aussi que des propos fortuits soient liés à un complexe sans que nous découvrions de rapport.
Chez cette j e u n e fille qui se balance, la stéréotypie est bel et bien un symbole tout à fait
fortuit du bien-aimé, et étant donné les lois associatives schizophréniques, il est fort possible
que, par exemple, un mot entendu dans une circonstance quelconque se soit définitivement
relié à un complexe. Mais on ne peut guère' formuler l'hypothèse que de tels liens
complexuels fortuits auraient fourni dans tous les c a s , comme dans ceux qu'on a cités ci-
dessus, l'occasion du stéréotypage (NDA).
1 5 6 . Pfenninger a au contraire trouvé, au cours de tests de répétition, un nombre plus élevé
de réactions nouvelles que chez les sujets sains (NDA).
l'attention sur le rapport des stéréotypies avec des « idées prévalentes ». -
Les stéréotypies ont été et sont encore volontiers rapportées à des troubles
sensoriels (correction de certains phénomènes déficitaires pour Wernicke,
trouble de l'auto-perception pour Siemerling). La conception des stéréotypies
du langage de Kahlbaum est tout à fait insuffisante elle aussi. Nous pouvons
à l'extrême rigueur imaginer qu'un spasme tonique des organes du langage
puisse entraîner un mutisme, mais nous ne voyons guère comment un spasme
clonique produirait certains mots et phrases et les adapterait, le cas échéant,
au contexte. Nos observations ne nous fournissent non plus aucun indice en
faveur de nouvelles localisations, plus psychiques, comme celles d'Alters
(« séjonction entre stéréopsyché et pathopsyché », 10a, p. 264) ; mais plus
d'un élément contredit certes l'existence de troubles si élémentaires.

Les stéréotypies sont aussi mises en rapport avec certains phénomènes ana-
logues, et en partie confondues avec ceux-ci ; il s'agit généralement là de
processus tout aussi complexes que la stéréotypie, aussi est-il fort possible
que certaines manifestations partielles se recoupent avec des manifestations
partielles de stéréotypie.

Certains parlent encore de stéréotypie quand, à la suite de Voix ou d'idées


délirantes, la même action ne cesse d'être accomplie ou la même attitude
d'être prise. Si l'on pense que l'idée délirante ou l'hallucination est indépen-
dante de la stéréotypie, comme le font la plupart des psychiatres, une telle
conception est naturellement inexacte, cette anomalie a alors un autre siège,
et la stéréotypie a seulement, sur le plan psychique, la même signification
que des actes répétés fréquemment par des sujets sains pour de bonnes rai-
sons (ouvriers d'usine !), ou bien c'est comme quand un sénile raconte tou-
jours la même histoire du fait de son déficit mnésique. - Cela s'approche
déjà plus de la verbigération quand un malade condense toujours tous ses
souhaits dans les mêmes termes : « soyez assez bon », et prononce ces mots
chaque fois qu'une personne entre dans la salle, chaque fois qu'un patient
change de place. Ce qui est stéréotypé, ici, c'est le souhait et le mode d'ex-
pression ; il ne s'agit pas de verbigération car, justement, le patient veut dire
quelque chose.

Les mouvements professionnels qu'il n'est pas rare que fassent des malades
cérébraux organiques sont quelque chose de tout à fait différent des stéréo-
typies schizophréniques. C'est avec eux qu'il faut également mentionner la
« persévération » (blocage, redoublement), qui n'est pas vraiment distinguée
de la stéréotypie par de nombreux auteurs, bien qu'il s'agisse fondamentale-
ment de choses différentes.

Quand Heilbronner (293) dit que la persévération et la verbigération se dis-


tinguent par le fait qu'une pulsion de parler devrait s'ajouter à la persévé-
ration pour former la verbigération, cela n'est entièrement satisfaisant que
pour les maladies organiques parce que, dans la verbigération schizophréni-
que, l'influence complexuelle entre en jeu en première ligne.
Ragnar Vogt (786) prétend faire un tout psychologique de la persévération,
de la stéréotypie et du concept kraepelinien de suggestion.
Masoin (455) et, notamment, Weygandt (816) mettent les stéréotypies schizo-
phréniques en rapport avec les mouvements stéréotypés des enfants et des
idiots, tandis que Kraepelin distingue deux classes dont l'une, caractérisée
notamment par le caractère rythmique des mouvements, ferait partie des deux
états cités ci-dessus. Mais, dans notre maladie, les stéréotypies automatiques,
indépendantes de l'humeur pour l'essentiel, ont généralement, dès une ob-
servation superficielle, une allure différente des mouvements de balancement
et de vacillement des idiots.

Mentionnons aussi comme une curiosité le fait que Dromard (191) prétend
distinguer les stéréotypies de la démence précoce de celles de la démence
secondaire 1 5 7 .
Les tics, qui ne sont du reste souvent, eux aussi, rien d'autre que des actes sym-
boliques, peuvent être confondus d'une manière analogue avec les stéréotypies.
Les pseudo-stéréotypies des maniaques pauci-idéiques de Ziehen sont souvent
l'occasion de difficultés diagnostiques ; d'après mon expérience, il s'agit gé-
néralement là d'un mélange d'inhibition et de fuite des idées.
Lonomatomanie des Français inclut souvent aussi la verbigération, aux côtés
d'autres symptômes.
Le fait que les stéréotypies ont quelque chose à voir avec des complexes a
déjà attiré l'attention de nombreux auteurs, tels Dromard, Ricci, Mondio.
Schiile qualifie très significativement certaines stéréotypies d'attitudes de
« pensées délirantes devenues plastiques ».

i) Points de vue généraux

Malgré les nombreux détails q u e la p s y c h a n a l y s e a é c l a i r c i s pour nous,


il serait e n c o r e trop risqué de vouloir r a s s e m b l e r l ' e n s e m b l e de la
symptomatologie sous un point de vue homogène. Mais une formulation
provisoire de notre savoir est p e u t - ê t r e de mise.

La symptomatologie qui nous saute aux yeux n'est sûrement en partie


(et peut-être g l o b a l e m e n t ) rien d'autre que l ' e x p r e s s i o n d'une tentative
plus ou moins ratée de sortir d'une situation insupportable. Abstraction
faite des m é c a n i s m e s purement hystériformes, nous c o n n a i s s o n s trois
modalités différentes selon l e s q u e l l e s les m a l a d e s tentent de se tirer
d'affaire.

1 5 7 . C'est-à-dire des formes de psychoses évoluant d'un seul tenant vers le déficit et des
formes de psychoses évoluant secondairement vers le déficit (NDT).
1. Le patient rend la réalité inoffensive en ne la laissant pas parvenir
à lui (autisme) ; il l'ignore, l'écarté par clivage, fuit dans ses pensées.
L'autisme a pour ces patients la même signification que les murs du
cloître pour les moines, le désert pour certains Saints, le cabinet de
travail pour certains types de savants. La différence entre malade et
bien portant n'est ici que quantitative.
2. A la longue, il est rare que cet expédient suffise ; dans la plupart
des cas qui aboutissent à l'asile, les souhaits sont présentés comme
exaucés, les obstacles comme écartés. Ce type de réaction ne peut
néanmoins mener à un succès complet que si la réalité est en même
temps totalement clivée selon la modalité 1, ou si elle est entièrement
remaniée dans le sens des souhaits. C'est ce dernier cas qui se produit
dans l'état crépusculaire, mais celui-ci ne peut généralement être main-
tenu à la longue ; les malades se tirent d'affaire comme le font, en
germe, les rêveurs éveillés et les poètes.

Si la représentation de la réalité ne parvient pas à être entièrement


transformée selon le souhait, elle est toutefois modifiée dans l'imagi-
naire au point que les obstacles apparaissent plutôt comme contingents
et surmontables, du moins en principe (délire de persécution qui con-
vertit les obstacles en machinations dues à des gens).
3. Plus fréquemment sans doute que cela ne nous est connu, la partie
accessible des choses est vraiment remaniée, naturellement pas dans
le sens de l'exaucement complet du souhait - quand ceci est possible,
il n'y a pas de maladie patente - mais dans celui d'une échappatoire,
et les gens deviennent malades de façon patente. Cette fuite dans la
maladie saute aux yeux dans le cas du syndrome de Ganser, de cer-
taines formes hypocondriaques ou de la psychose des pitreries (75a),
et dans les autres formes elle constitue sûrement de temps en temps
le facteur déterminant. Nous la rencontrons notamment, pour des rai-
sons évidentes, dans des conflits purement extérieurs : enquête judi-
ciaire, difficultés économiques, sortie non souhaitée de l'asile 158 .

158. Il n'est nullement rare que des aggravations surviennent quand les malades sont
confrontés à la perspective de leur sortie, voire s'ils doivent seulement être transférés dans
une meilleure section. En règle, on peut en trouver la raison dans le fait que les malades
craignent le retour dans la vie courante. Telle femme ne veut pas être bien portante parce
qu'elle ne supporte pas (encore) de retourner auprès de son époux qu'elle n'aime pas, telle
gouvernante parce qu'elle déteste sa place, tel homme parce qu'il trouve la lutte pour l'exis-
tence (encore) trop dure. Une de nos catatoniques déclara ouvertement que si l'on voulait
la transférer de Suisse (où habite son bien-aimé) dans sa patrie, ce serait rendu impossible
par un nouvel accès. Et elle a tenu parole. Mais cet accès ne se distingua en aucune façon
des précédents. - Dans les cas de Birnbaum, le bénéfice de la maladie est généralement
très net (NDA).
Ces trois modes de réactions, et pas seulement les deux premiers, peu-
vent s'associer selon n'importe quelle combinaison. Ici comme dans
d'autres phénomènes psychiques, plusieurs motifs concourent presque
toujours. En outre, les mécanismes et les résultats de cet eudémonisme
affectif sont presque toujours masqués et caricaturés par les autres
troubles, et surtout par le flou de la pensée et les symptômes acces-
soires.
Chapitre II

La théorie de la maladie

A. L a c o n c e p t i o n de la maladie

La conception de la maladie est établie par la distinction entre symp-


tômes primaires et secondaires. Nous formulons l'hypothèse d'un pro-
cessus qui produit directement les symptômes primaires ; les symptômes
secondaires sont en partie des fonctions psychiques dans le contexte d'une
modification des conditions déterminantes, et en partie les conséquences
de tentatives d'adaptation aux troubles primaires, tentatives qui ont plus
ou moins échoué ou réussi1.
Mais nous devons ajouter que le présupposé d'un processus patholo-
gique organique n'est pas absolument nécessaire. Il est envisageable
que l'ensemble de la symptomatologie soit déterminée psychiquement,
et qu'elle puisse se développer sur de légères déviations quantitatives
de la norme, à peu près de même que, chez certaines personnes, la
tendance à des symptômes hystériques est si grande qu'elles devien-
nent hystériques à l'occasion des difficultés courantes de l'existence,
alors que l'être humain moyen ne peut le devenir qu'en cas de trau-
matismes psychiques tout à fait particuliers.
Aussi les tentatives d'interpréter cette maladie comme étant fonctionnelle ne
manquent-elles pas. Tilling fait proprement un parallèle avec l'hystérie (et la
paranoïa) et pense qu'elle survient en cas de faiblesse d'esprit constitution-
nelle et chez des natures indécises, partagées. Stadelmann s'exprime de façon
analogue.
Même en faisant totalement abstraction des constatations anatomiques
d'autopsie, qui ne correspondent pas à la gravité des symptômes, cer-

1. C'est-à-dire que d'une part le fait que les troubles modifient les conditions dans lesquelles
s'exercent les fonctions psychiques entraîne une altération des résultats de celle-ci (pertur-
bation des conditions d'exercice de celles des fonctions qui sont éventuellement préservées
par les altérations coexistantes d'autres fonctions), et d'autre part le patient produit des
symptômes secondaires qui sont une réaction pour ainsi dire « normale » aux différents autres
troubles primaires, et du reste aussi aux troubles secondaires du premier type (NDT).
tains éléments ne sont pas en défaveur d'une genèse psychique de cette
maladie. Les aggravations et les améliorations ont souvent une déter-
mination psychique. On trouve généralement dans les antécédents des
schizophrènes une introversion à partir de laquelle on peut expliquer
l'autisme et, indirectement, la plupart des autres symptômes. L'impor-
tance des constatations anatomiques, qui ne sauraient être niées, peut
être contestée en tant qu'elle témoignerait soit d'une atrophie par inac-
tivité, selon Schott (667), soit de toxines produites par les affects, selon
Jung. La symptomatologie se distingue fondamentalement de celle de
tous les troubles organiques et toxiques connus 2 , mais si peu de celle
des névroses fonctionnelles, que des schizophrénies bénignes en im-
posent souvent pendant longtemps pour des hystéries ou des neuras-
thénies, et que presque tous les phénomènes ne représentent que
l'exagération de symptômes névrotiques connus ; Jung a montré que
ceux-ci peuvent s'expliquer par une affectivité particulièrement forte
ou stimulée d'une façon particulièrement importante, et éventuellement
par la tendance primaire à l'introversion. On pourrait à la rigueur don-
ner une explication psychique au tremblement, et Ton a même voulu
interpréter ainsi les symptômes maniaques et dépressifs. L'incurabilité
et l'incapacité de la plupart des patients à se calmer par abréaction
pourraient découler de l'exagération de l'introversion qui, une fois
qu'elle existe, rend impossible une pleine réaperception de la réalité.

Mais les constatations d'autopsie cérébrale sont là, et bien que l'inti-
mité de leur rapport avec la psychose soit encore des plus mystérieuses,
les interprétations mentionnées ci-dessus des symptômes que nous qua-
lifions de primaires paraissent forcées. Il est en outre frappant qu'à
une anamnèse plus précise l'on puisse généralement mettre en évi-
dence la maladie dès avant le trauma psychique incriminé comme
cause. Le relâchement des associations atteint un degré que nous ne
rencontrons, chez le sujet normal et chez le névrosé, qu'au cours du
rêve, mais jamais sous le simple effet des affects. Les autres symptômes
primaires, comme le tremblement fin et relativement régulier, une par-
tie des anomalies pupillaires, les symptômes maniaco-dépressifs qui,
là où ils sont présents, paraissent être des parties intégrantes du pro-
cessus morbide, les accès de type organique, tout ceci ne peut pas
vraiment s'intégrer à la conception fonctionnelle. L'introversion ne peut
guère tout expliquer, car ceux des patients qui expriment leurs
complexes et veulent agir en fonction de ceux-ci sont tout aussi incu-

2. Sommer t'a distinguée de ceux-ci sous le nom de « troubles de conduction » (NDA).


rables que les autres. L'évolution elle-même paraît, dans l'ensemble,
et malgré quelques exceptions, spontanée et largement indépendante
des influences psychiques. L'incurabilité foncière de tous les cas, et
le caractère ininfluençable de la plupart d'entre eux, n'ont pas la moin-
dre analogie avec ce qu'on voit dans les troubles fonctionnels. Le fait
que cette maladie se voie tant chez les « sauvages » que chez les peu-
ples civilisés est lui aussi d'importance, bien que les catatonies passent
à l'arrière-plan chez les premiers, selon Kraepelin.

Une conception faisant l'hypothèse d'une perturbation (anatomique ou


chimique) du cerveau, qui évolue de façon généralement chronique
mais avec des poussées aiguës et des stabilisations, et qui détermine
les symptômes primaires (relâchement associatif, éventuellement ten-
dance aux hallucinations et aux stéréotypies, une partie des symptômes
maniaques et dépressifs et des états d'obnubilation, etc.) rend intégra-
lement compte de ces faits ; au cours des exacerbations relativement
graves, des symptômes psychiques tels que certains états de confusion
et de stupeur sont des conséquences directes du processus. Les autres
symptômes psychiques sont provoqués indirectement par les effets
anormaux de mécanismes normaux dans l'esprit perturbé de façon pri-
maire, l'affectivité surtout prenant une prépondérance pathologique sur
les fonctions logiques affaiblies.

En tant que processus psychique, la maladie débute insidieusement en


général, ou peut-être toujours ; elle reste d'abord latente, jusqu'à ce
qu'une poussée aiguë provoque des symptômes primaires apparents ou
qu'un choc psychique entraîne des manifestations secondaires relati-
vement importantes 3 . Il n'y a naturellement pas de rapport d'exclusion
mutuelle entre poussée aiguë du processus cérébral et vécu psychique
déclenchant. Sur une altération cérébrale limitée ou guère évolutive,
seul un trauma psychique grave peut déclencher la maladie patente.
Mais plus le processus progresse rapidement, ou plus grave est l'alté-
ration permanente, et plus des motifs assez minces suffisent à provo-
quer des troubles relativement importants, jusqu'à ce que, finalement,
les difficultés quotidiennes de l'existence puissent perturber cet équi-
libre instable. Ainsi les deux causalités concourent-elles, le plus souvent,
à la création des complexes symptomatiques psychotiques.

3 . Il existe parfois un temps de latence relativement long entre l'événement vécu et le début
aigu, cet événement étant d'abord soumis à une élaboration psychique (NDA).
Après une poussée aiguë, le processus psychotique peut se stabiliser,
ou même rétrocéder jusqu'à un certain point ; c'est cette dernière ex-
plication qu'il faut admettre, par exemple, dans le cas d'œdèmes cé-
rébraux non léthaux. Et puis l'esprit peut aussi se rétablir à un très
haut degré, ou bien une partie des symptômes installés peuvent per-
sister, sous la forme d'un « état résiduel ». Mais, à tout moment, tant
le processus morbide que les symptômes secondaires peuvent aussi
poursuivre leur progression, lentement ou rapidement.

Les améliorations peuvent aussi être provoquées par des influences


psychiques, en partie du dehors, un changement opérant une modifi-
cation quelconque, et en partie du dedans, le patient apprenant à s'ac-
commoder de ses complexes, ou un rêve crépusculaire parvenant à son
terme, ou l'affect s'épuisant. Les modalités de guérison à partir de
processus psychiques internes ne sont pas encore compréhensibles
avec une certitude parfaite, mais il doit toutefois exister des processus
psychiques auto-curateurs quelconques.

L'évolution des symptômes et celle du processus morbide ne sont donc


nullement forcées d'aller de pair.

L'importance de l'adolescence dans la manifestation patente de la ma-


ladie repose sûrement, au moins en partie, sur le fait que les difficultés
de l'existence commencent à cette époque. Surtout, le plus puissant de
tous les complexes s'exprime alors : la sexualité. Aussi, chez un grand
nombre de nos patients, voyons-nous la psychose manifeste éclore entre
15 et 2 5 ans, encore qu'elle ait été présente auparavant à l'état plus
ou moins latent. Il n'est pas absolument nécessaire que d'autres fac-
teurs encore privilégient par ailleurs cette époque de la vie. Mais on
ne saurait naturellement exclure que, par exemple, le processus mor-
bide proprement dit ait aussi une prédilection pour la post-puberté,
ainsi qu'on l'a admis jusqu'à présent.

Selon cette conception, la terminaison est quelque chose qui ne tient


pas seulement à la maladie, mais qui dépend aussi de certaines contin-
gences intérieures et extérieures. A trouble cérébral égal, tel patient
peut guérir et tel autre peut devenir stupide, en cas de constitution
psychique un peu différente, ou de manque de stimulation, ou de trau-
ma psychique d'effet plus important. Mais nous sommes tout aussi peu
capables de rapporter divers modes évolutifs et divers groupes de ma-
ladie tant à la prédisposition psychique ou aux vécus psychiques qu'à
un processus morbide supposé.
Les principales des théories émises jusqu'à présent, qui étaient censées ex-
pliquer pour partie divers symptômes ou groupes de symptômes et pour partie
l'ensemble du tableau de la maladie, sont discutées en détail par Jung, à la
« Psychologie de la Démence Précoce » de qui il me faut renvoyer 4 .

Ne mentionnons ici que ce qui suit :

Nous devons bien comprendre que nous ne saurions supposer que nous trou-
verons la perturbation de base si nous nous contentons de déclarer que la
«fonction psychique suprême » (Gross) ou, ce qui est la même chose, « V(¿per-
ception » au sens de Wundt (Weygandt) est perturbée.

Car toute perturbation générale doit altérer principalement les fonctions les
plus complexes ; tant donc que n'est pas prouvé le mécanisme par lequel,
justement, cette « fonction suprême » est attaquée, nous ne sommes pas re-
levés du devoir de chercher des symptômes élémentaires.

Il n'est pas mieux non plus de mettre en relief, au lieu de la fonction suprême
en général, un aspect seulement de celle-ci, comme l'attention (Tschisch,
d'après Arndt, 24, p. 98), ou la « Fonction du réel 5 », ou la « synthèse du
Moi », ou « l'étendue de la conscience » (P. Janet).

Mais des termes tels que « faiblesse des représentations » (images mentales 6 )
(Sérieux), « diminution de l'activité volontaire et intellectuelle 7 » ou « incapa-
cité de l'effort mental 8 » ne nous disent rien non plus, bien qu'elles soient
censées qualifier une perturbation générale. Tout élément fait défaut pour
envisager la perturbation sur un plan purement quantitatif et dynamique, et
dans certains cas nous voyons bel et bien un grand déploiement d'énergie
psychique. Mais si l'on veut pourtant supposer un « affaiblissement de l'acti-
vité psychique » (Freusberg), cette hypothèse peut expliquer tout, et donc rien ;
c'est un concept trop général. Mais si l'expression « abaissement du niveau
mental 9 » est censée qualifier « l'abaissement » de l'activité consciente à des
fonctions qui sont d'ordinaire inconscientes, cette expression n'inclut aucune
explication, elle formule seulement une partie importante de nos observations
psychologiques sur les schizophrènes en des termes qui, pouvant être aussi
entendus sur le plan dynamique, sont source de méprise.

4. Cet auteur s'y est pris toutefois un peu trop soigneusement avec ses prédécesseurs à mon
goût, à la manière des philosophes. Des théories faites d'un mélange de vrai et de faux sont
plus dangereuses pour la science que des erreurs complètes, et des conceptions qui n'ont
de justification « qu'en un certain sens » font toujours des dégâts, parce ne peut pas toujours
faire la restriction nécessaire. On ne peut se doter de concepts précis qu'en niant sans aucun
ménagement tout ce qui n'y appartient pas, qu'il s'agisse de sujets simples ou de théories
entières (NDA).
5. En français dans le texte.
6. En français dans le texte.
7. En français dans le texte.
8. En français dans le texte.
9. En français dans le texte.
Tous ces termes représentent des pseudo-explications qui ont cependant le
mérite non négligeable de rendre une discussion possible et d'inciter à de
nouvelles observations.
Il existe aussi, pour des tableaux appartenant à la schizophrénie, des théories
qui font l'hypothèse d'une localisation dans certaines parties du cerveau ou
de l'esprit. L'hypothèse de Neisser, qui suppose l'intervention de parties re-
lativement profondes, non génératrices de conscience, du cerveau, est une
très bonne observation plutôt qu'une explication. La seule chose qui reste
hypothétique - et sûrement fausse, aussi - c'est que l'auteur situe les fonc-
tions psychiques inconscientes dans des parties relativement profondes du
cerveau.
Van Erp Taalman Kip pense que le délire 1 0 chronique serait, à la différence
de toutes les autres psychoses, une maladie infra-corticale. - Pfister (564)
tente, dans un cas, de mettre la bizarrerie de l'écriture en relation avec un
trauma du Gyrus angularis I. - Lomer (423) formule même l'hypothèse d'une
contraction des vaisseaux rétiniens dans le cas d'une malade qui vécut un
attentat hallucinatoire et, en cette occasion, vit tout en un vilain vert. S'il
avait eu une pensée quelque peu psychologique et avait fait des recherches,
sans doute aurait-il trouvé ce qui s'exprimait là en vert, en fait de représen-
tation d'un « espoir » non souhaité.
De Huck explique la catatonie par des troubles de la volonté, de l'intégration
supérieure des sentiments d'accompagnement et de la conversion en acte,
fonctions qu'il situe dans les couches profondes du cortex cérébral.
Wernicke (804, p. 4 4 9 ) réalise la transition avec les localisations psychiques,
quand il dit : « les prétendues paralysies hypocondriaques fournissent la
preuve que la mise hors circuit de la volonté peut s'exprimer dans des ter-
ritoires musculaires localisés ». Mais il s'agit non de territoires musculaires
localisés, mais de représentations de territoires musculaires localisés, ce qui
est tout à fait différent.
Naturellement, le terme de Foersterling, « trouble de l'identification autopsy-
chique », est non pas une explication mais le nom d'un groupe symptomatique
spécifique qui se rapporte à la personnalité.

10. Wahnsinn : rappelons que, chez Kraepelin, c e mot s'applique presque spécifiquement à
des délires hallucinatoires, à l'exception d'une forme dite « depressiver Wahnsinn », et il
n'y a aucune raison de penser que Bleuler ne le reprendrait pas dans cette acception (NDT).
B . L e processus m o r b i d e

Ce quest le processus schizophrénique, cela nous ne le savons pas. Dans


les c a s évolués, l'anatomie nous montre une légère atrophie cérébrale
et certaines altérations histologiques 1 1 .

Mais nous ne connaissons pas la signification de c e s constatations.

L'atrophie ne peut expliquer les symptômes, car une réduction diffuse


du cortex cérébral produit de tout autres phénomènes ; des altérations
histologiques, nous ne savons si elles sont les c a u s e s de la psychose
ou seulement des phénomènes parallèles aux symptômes psychiques,
un agent toxique provoquant par exemple d'une part les symptômes
psychiques et d'autre part les altérations anatomiques.

Kahlbaum a mis l'œdème cérébral en relation avec la catatonie. Nous avons


vu nous aussi, dans certains cas graves, mortels, un important œdème cérébral
et une réplétion étonnamment tendue des mailles de l'arachnoïde, et la S y m p -
tomatologie de certains états de confusion et d'obnubilation paraît être en
rapport avec cela 1 2 .

Kernau et Weber (797) ont trouvé des séquelles de méningite générale ou


toxique dans la démence précoce ; j'ai vu moi aussi un nombre étonnant
d'opacifications de la pie-mère et, à plusieurs reprises, de petits nodules
blancs rangés le long des vaisseaux, qui représentaient peut-être les stigmates
de tuberculides méningés dont le potentiel évolutif s'est éteint. Mais il s'agit
rien moins que de résultats constants.

Dans un cas, Doutrebente et Marchand on trouvé un épaississement de la pie-


mère et pensent qu'il s'agirait d'une infériorité de la constitution cérébrale, qui
en serait la conséquence. Ideler (discussion de l'exposé de Knecht, Allgemeine
Zeitschrift für Psychiatrie, 1886, p. 331) pense que la catatonie pourrait être
une paralysie générale atténuée. Klippel et Lhermitte, et al., (Société de psy-
chiatrie de Paris, 21 janvier 1909, N.C.D. 1909, p. 616) mettent la maladie
en rapport avec une atrophie cérébelleuse. Schüle (675a) et Ferrari pensent
à l'atavisme, le premier à cause de la genèse du délire et du mythe, le second
à cause des caractéristiques de l'expression écrite. Whitewell suppose que
la cause de la stupeur résiderait dans une hypoplasie congénitale du système
vasculaire, Meynert incrimine l'hydrocéphalie, une fermeture prématurée des
sutures crâniennes et une légère transsudation des vaisseaux.

11. Voir dans ce Traité (le Traité d'Aschaffenburg) l'anatomie des psychoses, rédigée par
Alzheimer (NDA).
12. Voir aussi Telzner, Reichhardt et Gianelli (NDA).
De nombreux auteurs se représentent la schizophrénie comme étant l'expres-
sion d'une prédisposition cérébrale morbide ab ovo. L'entrée en jeu de l'hé-
rédité, la fréquence de cette maladie chez des imbéciles et après des traumas
crâniens, les tendances caractérielles anormales de nombreux futurs schizo-
phrènes orientent dans cette direction. Mais ce qu'on considère comme une
tendance anormale peut déjà être l'expression de la maladie elle-même. Et
si nous interrogeons la littérature quant à ceux des cerveaux qui auraient
une tendance à de telles maladies mentales, nous sommes confrontés à un
tohu-bohu total. On prétend différencier des cerveaux vigoureux et invalides,
on distingue les dégénérés des non-dégénérés, les psychopathes des normaux,
les psychonévrotiques des dégénérés psychiques - mais ce que l'un prend en
compte en positif, l'autre le décompte en négatif 1 ' 5 ; les maladies individua-
lisées en fonction de ces schémas ne se recoupent absolument pas et, ce qui
est le plus grave, si l'on vérifie ces montages nosographiques sur un matériel
assez nombreux, on ne constate que des contradictions qui ne sauraient s'é-
claircir en inventant alors un nombre presque infini de directions s'écartant
de la normale, et dont aucune ne peut encore, pour le moment, être mise en
rapport avec l'une quelconque des psychoses connues.
La question de savoir lesquels des tableaux morbides pré-kraepeliniens re-
posent sur une mauvaise constitution cérébrale n'a donc pas reçu de réponse,
et elle ne saurait non plus en recevoir si la schizophrénie, qui englobe toutes
ces psychoses, constitue réellement un groupe naturel. Mais la question de
savoir s'il existe une prédisposition cérébrale particulière à la schizophrénie,
et comment elle s'exprime, n'a même pas été prise en compte jusqu'à présent,
si bien que d'elle non plus nous ne savons pas si elle est le moins du monde
soluble.
Actuellement, les théories les plus en faveur sont les théories toxiques, qui
se partagent en théories auto-toxiques et en théories infectieuses.
Les seuls éléments qui étayent la première de ces hypothèses sont constitués
par les expériences de Berger (52), qui a trouvé dans le sang des catatoniques
une substance agissant de façon stimulante sur les centres corticaux moteurs
du chien, substance qui faisait défaut dans d'autres maladies, y compris la
confusion hallucinatoire aiguë. Comme la catatonie ne peut, jusqu'à présent,
être différenciée de cette dernière maladie sur le plan clinique, et que les
expériences sont bien trop peu nombreuses, ces investigations ne permettent
encore absolument aucune conclusion. La toxine en question pourrait aussi
être accidentelle ou secondaire.
Au surplus, les théories toxiques n'ont aucun fondement solide jusqu'à pré-
sent. La thyroïde a été accusée à plusieurs reprises de produire la toxine

13. Outre les nombreux auteurs qui attribuent certaines des formes sous lesquelles la schi-
zophrénie se manifeste à l'invalidité innée ou acquise du cerveau, mentionnons Ossipov
(539a), qui appelle la catatonie « une affection du cerveau sain jusqu'alors ». (NDA).
schizophrénique ou de ne pas la neutraliser. Je ne connais pas le moindre
motif à cette hypothèse ; mais l'absence d'effet de la thyroxine et la survenue
de la maladie indifféremment tant dans des régions à goitre qu'au bord de
la mer vont résolument à son encontre. - Il est moins sûr qu'il faille exclure
un rapport avec une hyperfonction de la thyroïde dans le sens du Basedow 14 ,
notamment parce que la plupart des psychoses basedowiennes, malgré leur
affectivité assez vive, ressemblent tellement à la schizophrénie qu'on ne sau-
rait les en distinguer jusqu'à ce jour. - De tout temps, on a mis cette maladie
en relation avec la fonction sexuelle, et en la matière on a également soup-
çonné les glandes germinales (Lomer, Tschisch). La fréquence avec laquelle
la maladie débute avec et juste après la puberté, les aggravations pendant
les règles, la fréquence de l'onanisme, la prédominance d'idées délirantes
sexuelles semblent effectivement indiquer un rapport avec la fonction géni-
tale. Mais la castration ne guérit pas la maladie (voir Thérapie). Bornstein
pense qu'il pourrait s'agir de l'exagération d'un processus pubertaire, parce
que le métabolisme de l'oxygène est plus élevé chez les enfants et moindre
chez les schizophrènes que chez les adultes sains. Dide (173) n'a rien trouvé
dans les glandes sexuelles qui expliquât la psychose. Haberkant trouve un
rapport génétique entre la démence précoce et l'ostéomalacie, en ceci que
toutes deux dépendraient des glandes génitales et thyroïde.

Les Français considèrent les divers deliriums et états confusionnels, dont la


plupart f o n L partie de la schizophrénie, comme des conséquences d'un effet
toxique. Dercum tient la confusion pour un signe d'intoxication et la systé-
matisation avec comportement rangé pour un signe d'altération cérébrale.
Dans des psychoses qu'il faut ranger dans la schizophrénie, de nombreux
auteurs voudraient attribuer une influence étiologique importante à l'épuise-
ment ou à quelque autre forme de faiblesse physique. Stadelmann suppose qu'une
« constitution asthénique » constituerait la prédisposition à la catatonie. Krafft-
Ebing a exprimé l'idée que le « délire hallucinatoire » surviendrait quand un
cerveau déjà atteint au préalable d'une faiblesse irritative à cause d'une
constitution névropathique spécifiquement héréditaire serait affecté par une
cause entraînant un épuisement. On peut noter, par contre, que Tschisch
insiste à l'inverse sur le fait qu'il a vu des personnes robustes, florissantes,
non tarées être atteintes de catatonie. Dans la réalité, les choses sont sans
doute telles que l'état des forces n'a rien à voir avec la maladie ; l'évolution
ne semble non plus être influencée ni par l'état des forces au moment du
début, ni par l'abstinence ou l'hyperalimentation pendant la maladie (Za-
blocka). Le point de vue de Dide, qui formule l'hypothèse d'une infection
quelconque, par exemple la tuberculose, si fréquente, et qui attribue l'insuf-

14. Après l'achèvement de ce travail, j'ai eu sous les yeux le rapport de Berkley sur des
guérisons par thyroïdectomie partielle et lécithine iodée. Cette constatation a besoin d'être
contrôlée (NDA).
fisance de la détoxication à la stéatose hépatique qu'il a fréquemment ren-
contrée dans la catatonie et l'hébéphrénie, forme la transition vers les théories
infectieuses. Les formes paranoïdes, dans lesquelles il n'a pas trouvé cette
altération hépatique, seraient peut-être, à son avis, des conséquences se-
condaires des processus « toxi-infectieux ».
C'est Bruce qui a conféré le plus de vraisemblance à la théorie infectieuse.
Dans des maladies que nous comptons parmi les accès aigus de schizophrénie,
non seulement il a trouvé des bactéries dans le sang, mais encore il tendrait
à conclure à une maladie infectieuse à partir notamment du comportement
de la leucocytose. Dide et Sacquépée ont aussi mis en avant de tels résultats.
Cette voie est possible, mais tant les résultats bactériologiques que les exa-
mens hématologiques sont tout à fait insuffisants. Quoi qu'il en soit, des pous-
sées fort graves succèdent souvent à une maladie infectieuse aiguë, si bien
que l'idée que la schizophrénie pourrait être une maladie consécutive à cer-
taines infections ne saurait être totalement rejetée. Mais cette maladie pour-
rait aussi être provoquée directement par une ou plusieurs infections à action
spécifique qui se manifestent sur le mode chronique ou sur le mode aigu et
peuvent rester latentes pendant longtemps, mais dont le corps ne peut se
débarrasser totalement que dans des cas d'exception. Si la conception qu'on
a fréquemment, aujourd'hui encore, du rhumatisme articulaire chronique et
aigu est exacte, ces infections nous fournissent un modèle analogique de
l'évolution de la schizophrénie. L'arthrite déformante peut survenir sur le
mode chronique ou aigu ; après une poussée aiguë, il reste souvent des stig-
mates anatomiques dans les articulations ; mais les mêmes altérations peuvent
aussi se constituer sur le mode chronique ; les symptômes aigus, les douleurs,
peuvent se manifester modérément ou vivement, sous la forme d'un simple
pincement qui apparaît de temps en temps dans les articulations ou sous
celle d'un accès paralysant de douleur des extrémités ; ils peuvent cesser
pendant des années, ou encore être ressentis presque chaque jour ou semaine
de nombreuses années durant. Mais si les processus locaux sont intensifs, ils
entraînent à tout coup, avec le temps, certaines altérations des extrémités
qui, dans les cas graves, aboutissent à des rétractions.
C'est exactement ainsi qu'évolue la schizophrénie. Mais je ne prétends, en
partant de ce parallèle, conclure à rien de plus qu'à la possibilité d'une
infection analogue.
Onzième partie

La thérapie

Abstraction faite du traitement des affections purement psychogènes,
la thérapie de la schizophrénie est sans doute la plus gratifiante pour
le médecin qui ne prétend pas attribuer indûment la guérison naturelle
d'une psychose à ses interventions.
Nous ne connaissons certes pas encore de véritable prophylaxie de cette
maladie. Les conditions héréditaires nous indiquent que les membres
de certaines familles lourdement tarées ne devraient pas se marier. Les
enfants d'alcooliques sont plus menacés que d'autres : c'est là une in-
dication de la lutte contre l'alcoolisme. Ce qu'il pourrait y avoir à dire
d'autre se recoupe avec la prophylaxie générale des maladies mentales.
C'est encore pire, jusqu'à présent, en ce qui concerne la prophylaxie
individuelle, car nous ne connaissons pas les causes déclenchantes de
la maladie. On peut recommander en toute bonne conscience d'éviter
l'onanisme, les chagrins d'amour, le surmenage, la peur, parce qu'il
est sûrement bon de se garder de ces choses même sans cela. Mais on
ne saurait prouver qu'une telle prudence ait jamais empêché une schi-
zophrénie d'éclore.
Nous sommes dans une situation un peu plus favorable - en théorie
du moins - vis-à-vis du stade prodromique. Une fois le diagnostic vrai-
semblable ou certain, nul médecin ne se dispensera des mesures gé-
nérales de prudence : le plus d'hygiène corporelle possible, occasions
de sommeil et alimentation suffisantes en faisant notamment partie ;
éviter tous les excitants de nature toxique ou psychique ; car nous sa-
vons qu'il n'est pas rare que de telles nuisances rendent la maladie
patente ou l'aggravent. Mais nous pouvons aller un peu plus loin. Des
affects intenses favorisent l'apparition d'accès aigus. Beaucoup contre-
dire les patients aggrave la maladie ; l'oisiveté favorise l'emprise des
complexes, tandis qu'un travail réglé entretient la pensée normale. Les
exigences qui découlent de cela ne sont pas toujours irréalisables, car
il s'agit bien souvent de malades qui dépendent de leurs parents.
Tous les projets ambitieux doivent être abandonnés. Par contre, on doit
chercher à tenir le malade à une occupation relativement simple dans
laquelle une interruption occasionnelle n'a pas trop d'importance, afin
que l'on n'ait pas besoin d'entrer en conflit avec le malade si une lubie
hébéphrénique le détourne de son travail. Le travail agricole ou hor-
ticole est naturellement le plus approprié, notamment aussi parce que
les malades voient volontiers comme étant thérapeutique une occupa-
tion généralement considérée comme « saine » et se laissent ainsi
convaincre plus facilement que ce n'est le cas pour d'autres change-
ments de métier. Pour les jeunes filles, il faut naturellement recomman-
der les travaux domestiques sous une direction appropriée. Un travail
mécanique de bureau peut avoir un fort bon effet dans certains cas ;
mais l'on doit mettre en garde contre le travail intellectuel autonome,
dès qu'il s'assortit d'une certaine responsabilité ; en effet, on ne peut
que rarement s'attendre à des prestations impeccables, et l'inévitable
remontrance compromettrait par trop tout le plaisir du travail. On ne
peut échapper aux affects en tant que tels ; on doit d'autant plus éviter
des situations qui donnent lieu à des excitations affectives. Chez les
gens non mariés ce sont surtout les relations relativement proches avec
l'autre sexe qui sont dangereuses, et chez les gens mariés les occasions
d'insatisfaction conjugale. Chez les femmes, la survenue d'une gros-
sesse doit être évitée par tous les moyens.

Il est malheureusement nécessaire de faire une mention particulière


du conseil de se marier. Ce ne sont pas seulement les mères et les
tantes qui sont très souvent enclines à une telle mesure, des médecins
s'y fourvoient aussi, étrangement ; et ce pas seulement quand ils peu-
vent fournir « l'excuse » du diagnostic erroné de « nervosité ». Dans
un cas, un médecin recommanda le mariage sous prétexte que les idées
délirantes étaient de nature sexuelle. Les conséquences en sont natu-
rellement des plus fâcheuses, une seconde famille encore étant alors
rendue malheureuse, et peut-être aussi les enfants, puisqu'on ne peut
exclure la transmission héréditaire. Si cette maladie est diagnostiquée
ou suspectée, il faut déconseiller le mariage à tout prix, et avec la der-
nière des énergies.

Il est impératif aussi de mettre en garde contre toutes les cures coû-
teuses. Avec quelle fréquence médecins et non-médecins ne préconi-
sent-ils pas à des patients chroniques toutes les cures nerveuses
possibles ! Les parents proches, et parfois de surcroît les parents éloi-
gnés, sacrifient leur fortune à ce malade incurable, pour tomber ensuite
dans la misère avec lui. Un petit paysan qui avait quelque bien a vu
sa situation économique se dégrader parce que le médecin avait, entre
autres, prescrit à sa fille de façon continue deux bouteilles de C h a m -
pagne quotidiennes. Dans les milieux aisés aussi, il n'est pas rare que
l'éducation des enfants sains ait à pâtir de ce que l'on sacrifie trop à
un malade, tout à fait inutilement. Disons-le fort ouvertement, nous ne
connaissons jusqu'à présent aucun procédé qui puisse amener la maladie
en tant que telle à guérir, ou ne serait-ce qu'à se stabiliser.

Même quand les malades sont amenés à l'asile, on doit encore prendre
en considération la situation de leur famille. Pour bon nombre d'entre
les malades relativement graves, la classe 1 dans laquelle ils sont pris
en charge est totalement indifférente, soit en permanence, soit de façon
transitoire. En pareil cas, qu'on le dise en temps voulu à la famille,
qui n'est que trop encline à sacrifier, par amour mais souvent aussi
par vanité ou à cause des commérages des voisins, des moyens qui
pourraient être utilisés bien plus utilement d'une autre façon.

On a préconisé, tant au stade prodromique que dans la maladie avérée, quel-


ques procédés censés guérir ou tout au moins améliorer. Récemment, on a
naturellement tenté Vorganothérapie (Kraepelin, Sprague et Hill) et donné,
par analogie avec le myxœdème, de la thyroïde ; les malades ont même reçu
de la parathyroïde (Pighini) - sans succès. Ces derniers temps, on préconise
de nouveau l'iode et la thyréolécithine dans la catatonie.

La castration, de nouveau conseillée par Lommer et Rohe, est inutile au pa-


tient lui-même 2 ; mais espérons que la stérilisation pourra bientôt être utilisée
à assez grande échelle pour des motifs d'hygiène raciale 3 , ici comme chez
d'autres porteurs d'une prédisposition pathologique en état de coïter.

Je n'ai pas vu de succès, mais plutôt des inconvénients, du traitement gyné-


cologique, préconisé de temps à autre par tel ou tel (ce qui ne veut naturel-

1. Dans le sens où l'on parle de la l r e ou la 2° classe des chemins de fer ou du métro (NDT).
2. J e me souviens plus précisément de quatre schizophrènes castrés. Un homme s'était lui-
même coupé les testicules ; deux femmes ont été castrées en raison de « plaintes nerveuses »,
c'est-à-dire en fait à cause de leur maladie mentale, et une troisième en raison de processus
inflammatoires de ses organes génitaux internes. Dans aucun de ces cas il n'apparut d'effet
favorable sur l'évolution. Deux fois, l'aggravation, c'est-à-dire la maladie mentale patente,
succéda à la castration, et l'idée de ne plus être un être humain complet constitua une
partie intégrante des symptômes de la maladie. Une castration unilatérale chez un homme
fut également sans effet. Ainsi l'expérience, peu fournie il est vrai, confirme-t-elle l'idée,
évidente, que des pensées sexuelles n'indiquent pas une genèse sexuelle de celte maladie ;
elles font bel et bien partie de l'être humain normal, et leur présence indiquerait donc plutôt
le contraire, c'est-à-dire que la sexualité psychique et physique est normale, ou du moins
potentiellement active (NDA).
3. Notons, dès le début du siècle, l'impact des idées eugénistes qui, sur des bases « scien-
tifiques » rien moins que prouvées, aboutiront un quart de siècle plus tard à la loi de
stérilisation nazie puis, par une dérive abominable, à l'euthanasie des malades mentaux et
aux camps d'extermination (NDT).
lement pas dire que l'on ne doive pas procéder au traitement local des femmes
présentant des affections sexuelles patentes).
Le traitement correspondant des hommes par dilatation à la bougie, toucher,
etc. n'a évidemment pas plus de succès, bien qu'il vise du moins un symptôme
précis, qui est aussi regardé comme une cause, l'onanisme. Comme palliatif
contre ce symptôme, mais non contre la maladie, on peut par contre men-
tionner ici le bromure, qui, dans certains cas, diminue réellement la pulsion
sexuelle et l'onanisme mais, fait caractéristique, n'a pas d'influence sur la
maladie. Hecker prétend aussi avoir, dans un cas, supprimé les connotations
sexuelles des propos par de très faibles doses de bromure.

Le cas échéant, et notamment en pratique privée, on ne s'abstiendra pas non


plus complètement de la lutte contre l'onanisme par la diététique, et l'on
prescrira en outre un lit frais et pas trop mou ; mais je dois ajouter que ces
procédés sont d'une efficacité très problématique dans la schizophrénie et
que, si des motifs particuliers ne l'imposent pas, il n'est guère rentable ici
d'entreprendre cette lutte aux résultats minces contre cette mauvaise habi-
tude.
Là où un nouvel accès semble déclenché par la grossesse, il faut penser à
Vavortement. Dans un cas où celui-ci a été pratiqué pour des motifs gynéco-
logiques et où la peur d'avoir d'autres enfants encore de son mari était le
principal complexe de la malade, j'ai vu une amélioration immédiatement
après. Mais je n'ose pas, en J'état actuel de la législation, recommander cette
intervention pour des motifs psychiques, bien que je considère la mise au
monde d'enfants par une mère schizophrène comme une catastrophe.

On préconise naturellement tous les types de cures diététiques contre cette


maladie ; en Angleterre, notamment, on attache de l'importance au gavage.
Je n'ai vu sortir ni bien ni mal de ces choses, pour autant qu'il ne s'agissait
pas de la suppression de l'alcool.
La transfusion sanguine a été préconisée par Carlo Livi dans la lipemania
stupida. On a aussi tenté des perfusions de chlorure de sodium, mais sans
succès (voir par exemple Psychiatrisch-neurologische Wochenschrift 1904/
1905, p. 490).
L'observation selon laquelle une rémission surviendrait parfois après des ma-
ladies fébriles a amené à provoquer artificiellement de la fièvre (Wagner
von Jauregg). On a été jusqu'à inoculer l'érésipèle et des streptocoques (Ca-
tala, Boeck). Plus récemment, les essais sont pratiqués d'une façon moins
dangereuse, par exemple avec de la tuberculine, des cultures de bacille pyo-
cyanique tué, du sérum anti-streptococcique (Marr). Il n'est pas encore prouvé
que des améliorations ne puissent tout de même être obtenues par cette voie.

Bruce, qui considère une grande partie des psychoses qui font partie de la
schizophrénie comme des psychoses infectieuses, a préconisé des injections
de térébenthine, pour accroître la capacité de résistance par l'augmentation
des lymphocytes ; la valeur de ce traitement est encore problématique4.
On a aussi voulu rapporter des états qui font partie de notre schizophrénie
à des infections à point de départ intestinal et donné des laxatifs, voire dé-
sinfecté l'intestin (Macpherson). On ne possède aucun élément qui permette
de considérer ce point de vue comme fondé.

Une fois la maladie diagnostiquée, la question qu'il faut trancher est :


traitement à l'asile ou non. L'asile en tant que tel ne guérit pas la
maladie. Mais il peut éduquer, et peut faire disparaître des accès aigus
d'excitation provoqués par des influences psychiques. Il entraîne en
même temps le risque que le malade soit rendu par trop étranger à
l'existence normale, et aussi que les proches s'habituent à l'asile. C'est
pourquoi on a souvent les pires difficultés, au bout d'un certain nombre
d'années, à trouver un lieu d'accueil à l'extérieur, même pour des ma-
lades largement améliorés (Kahlbaum, p. 98, Bleuler, 72b).

Toutes choses égales par ailleurs, il faut préférer le traitement dans


des conditions normales et dans l'environnement habituel. Le malade
ne doit pas être admis à l'asile parce qu'il souffre de schizophrénie,
mais seulement quand une indication précise s'en présente. Une telle
indication existe, naturellement, si le malade devient trop gênant ou
dangereux, si des moyens de contention doivent être utilisés, s'il me-
nace de tuer les membres sains de sa famille, s'il ne se laisse plus
influencer. Dans ce dernier cas, l'asile cherchera à éduquer le malade
à un comportement supportable, pour ensuite le relâcher.

La sortie de l'asile s'effectue selon des principes identiques. Il n'est pas


nécessaire d'attendre de « guérison ». Dans l'ensemble, on peut poser
comme règle que ce sont les sorties précoces qui ont les meilleurs résul-
tats. Souvent, des malades apparemment fort graves se comportent subi-
tement fort bien à l'extérieur. Mais l'on doit évaluer attentivement tous
les éléments, et notamment prendre aussi en compte les caractéristiques
des proches, qui peuvent tout aussi bien corrompre le malade que conti-
nuer à l'éduquer. Si l'on dispose d'un travail adéquat pour les patients
améliorés, on hésiLera moins longtemps que dans le cas contraire. Il est
difficile de dire lesquels des malades agités sont propres à une sortie
précoce. La sortie a d'autant moins de chances de réussite que la psychose
paraît plus « organique » et moins psychogène. Le seul critère, souvent

4. Ici, Itten a fait des essais avec des acides nucléiques chez des malades graves, sans le
moindre succès (NDA).
fort utilisable il est vrai, est la capacité des patients à réagir à des
modifications de l'environnement et du traitement'.
J e ne crois pas que des sorties prématurées soient nuisibles par elles-
mêmes chez les schizophrènes, comme chez les maniaco-dépressifs.
Par contre, les conditions peuvent être telles, à l'extérieur, qu'elles
occasionnent une nouvelle rechute (rencontre avec le bien-aimé, conflit
dans la famille, vie en commun avec une sœur heureusement mariée
qui rappelle à la patiente sa propre incapacité à se marier).

Si l'on ne peut pas placer les malades dans leur propre famille, la
prise en charge dans des familles étrangères rend souvent de grands
services ; seulement, ce dernier type de placement requiert naturelle-
ment une surveillance de la part de gens compétents. Sont notamment
propres au placement familial organisé les cas qui ont cessé d'évoluer
et qui, à l'asile, ont appris la discipline, en même temps qu'une cer-
taine liberté de mouvement.

La seule thérapie de la schizophrénie dans son ensemble qu'il faille


prendre au sérieux pour l'instant est la thérapie psychique. Malheureu-
sement, nous n'avons pas, là non plus, dépassé de beaucoup le simple
empirisme. Comme la symptomatologie de la maladie est dominée pal-
les complexes, et qu'on peut souvent pénétrer l'esprit du malade à
partir d'eux, on devrait s'attendre à pouvoir aussi l'influencer en par-
tant de là. Il existe indubitablement aussi des améliorations en réponse
à des influences psychiques, mais nous ne sommes pas capables de
dire ce qu'il faut faire, dans un cas donné, pour provoquer l'améliora-
tion, et nous en sommes donc réduits à tâtonner et, voudrais-je même
ajouter, à offrir des possibilités très nombreuses au hasard, afin qu'il
puisse user de l'une d'entre elles. Mais si l'on fait cela, et au moment
voulu, on peut obtenir vraiment beaucoup.

A l'acmé des poussées morbides proprement dites, on ne peut rien


faire jusqu'à présent. Nous devons attendre l'amélioration. Mais dans
bien des cas il est difficile de diagnostiquer la fin de ce stade. Un
catatonique peut sembler encore gravement malade, être négativiste,

5. Dans les mauvais asiles surpeuplés, qui deviennent de plus en plus rares, les malades,
pour peu qu'ils s'y prêtent, deviennent les esclaves du personnel, qui les traite comme des
sujets sains mal élevés ; dès qu'ils vont un peu mieux, ils doivent être relâchés faute de
place, le médecin étant plus enclin à y prêter la main que là où, s'occupant beaucoup des
malades, on perçoit encore, nettement la maladie. Ainsi empêche-t-on involontairement que
les malades ne s'enferment dans leur chrysalide, et certaines catégories de patients, qui
restent bloqués dans les « bons » (en fonction de certains critères) asiles, sortent « guéris »
de ces mauvais asiles (NDA).
violent, autistique au plus haut point, et pourtant réagir déjà à certaines
influences de son environnement et, à l'occasion d'un transfert chez
lui, donner subitement à ses proches l'impression qu'il est bien portant.
Quelque chose s'ajoute encore à ceci.
Qu'un accès aigu de schizophrénie soit apparu et perdure, que le pro-
cessus morbide proprement dit se poursuive ou s'interrompe ne dépend
généralement pas de notre action. Mais qu'un malade donné veuille se
cogner la tête contre le mur précisément maintenant, qu'il barbouille,
qu'il casse des vitres, qu'il déchire des vêtements, etc., cela n'est pas
déterminé directement par le processus morbide, mais c'est une réac-
tion de ses complexes à des événements vécus intérieurs et, notam-
ment, extérieurs. On a donc toujours, potentiellement, la possibilité
d'influencer les symptômes du malade.

Mais par quelle voie, il est difficile de le dire, tant dans un cas donné
que de manière générale. Il existe des règles qui se contredisent lit-
téralement, et qui sont pourtant exactes, en fonction du cas et de l'en-
vironnement. Ainsi doit-on surtout s'efforcer de ne pas stimuler le
négativisme ; moins il y a chez le personnel de résistance et de contra-
diction, et moins il y a chez le patient de tendance à une résistance
négativiste. D'un autre côté, on peut obtenir beaucoup avec certains
ordres contre lesquels une résistance est inutile. A l'asile de chroni-
ques de Rheinau, j'ai rencontré autrefois une série de patients avec
lesquels on ne savait qu'entreprendre. Le personnel infirmier préten-
dait sérieusement qu'il était, par exemple, impossible de les peigner
ou de les laver, etc. L'observance stricte et inflexible du règlement
intérieur sous ce rapport également eut pour résultat chez tous, en peu
de jours, qu'ils abandonnèrent leur résistance et aussi, chez la plupart,
qu'ils devinrent plus abordables d'une façon générale. Si laisser faire
un patient peut le guérir de sa pulsion suicidaire, que le malade se
rende compte de l'impossibilité absolue de suivre sa pulsion peut, d'au-
tre part, avoir aussi le même effet. De nombreuses mauvaises habitudes
peuvent être éliminées en ne les tolérant point.

Les missions générales du traitement, quant à elles, sont Véducation


et l'instauration du contact avec la réalité, c'est-à-dire la lutte contre
l'autisme.
Souvent, on ne peut satisfaire à ces missions pendant longtemps, jus-
qu'à ce que les malades aient renoncé à leur opposition et se laissent
du moins influencer. Il est très important, en ce domaine, de faire une
tentative de temps en temps. Dans nulle autre maladie que la schizo-
phrénie il n'est aussi nécessaire de modifier de temps en temps les
conditions extérieures. Si les malades restent toujours dans les mêmes
conditions, ils s'enferment aisément de plus en plus dans leur chrysa-
lide et deviennent de moins en moins influençables. D'où aussi le grand
profit des transferts dans d'autres sections, dans d'autres asiles, à la
maison ou, d'une façon générale, dans un autre milieu. Le transfert
dans d'autres asiles, notamment, devrait être plus utilisé dans des cas
devenus chroniques (Riklin, 611). Parfois, même chez des patients agi-
tés, on peut utiliser le transfert dans une meilleure section pour une
sorte de contrat. Par exemple, une malade qui ne peut plus être tenue
qu'isolée, à cause d'un tapage permanent et de violences continuelles,
et qui s'aggrave alors de jour en jour, est transférée à la condition de
se bien tenir, et avec la promesse à plus long terme d'être relâchée le
plus tôt possible. Dès cet instant, elle est calme et en état de sortir.

C'est l'ergothérapie qui satisfait le mieux à toutes ces exigences. Elle


exerce les fonctions normales de l'esprit, fournit une occasion conti-
nuelle de contact actif et passif avec la réalité, exerce la faculté d'adap-
tation, impose au patient l'idée de l'existence normale à l'extérieur, et
surtout le travail offre pratiquement la seule possibilité pour le per-
sonnel infirmier de s'occuper de façon plus poussée des malades ; car,
sans de tels repères extérieurs, il est impossible à qui que ce soit de
rester, à la longue, en contact psychique avec des gens avec lesquels
on n'a aucun rapport mental. Même au stade aigu, l'ergothérapie est
souvent praticable et utile. Tout asile doit être agencé de telle façon
qu'à tout instant du travail puisse être proposé à tout patient. Sous
plus d'un rapport, le travail au grand air est celui qui a l'action la
plus bénéfique. Pour les femmes, les travaux domestiques usuels ren-
dent à peu près les mêmes services. La copie et d'autres tâches de
bureau mécaniques s'avèrent fort adaptées pour certains malades qui
sont, de par leur passé, coutumiers d'une telle occupation. Dans un
grand nombre de cas on ne peut obtenir d'effort intellectuel, et dans
d'autres il est nuisible. Il est très important que le travail soit organisé
de telle sorte qu'il aille vraiment de soi pour le malade. Les malades
doivent alors simplement s'insérer dans un organisme dont il font partie
de par même leur entrée à l'asile ; la participation au travail ne requiert
alors rien qui puisse ressembler à de l'obéissance, et c'est ainsi qu'elle
excite le moins le négativisme.

C'est en tentant l'ergothérapie qu'on décèle les cas dans lesquels elle
n'est pas utilisable. On doit aussi se souvenir que certains malades ont
un sentiment anormal de fatigue et ne peuvent, de ce fait, être maintenus
au travail qu'avec prudence, ou par moments pas du tout. Dans de
rares cas le travail augmente les hallucinations et doit alors être éga-
lement interrompu - mais si possible temporairement seulement.
En cas de pseudo-distinction 6 , où le patient et même, éventuellement,
sa famille ont des objections de principe contre le travail, une occu-
pation artistique peut être un pis-aller qui, dans certains cas, rend de
fort bons services, mais qui doit être surveillée à cause de l'insuffisance
d'obligation de contact avec la réalité. La tendance aux passe-temps
ludiques, aux bizarreries et, dans le cas de la musique notamment, à
la léthargie affective pure et simple, représente un certain danger.
Néanmoins, et pour autant que ce soit possible, on laissera des artistes
professionnels s'occuper dans leur partie pendant l'amélioration.

Le sport peut aussi être considéré comme un succédané au rabais du


travail. Mais il revêt une grande importance à côté du travail au sein
d'une population qui le connaît. En d'autres lieux, des jeux tels que
les cartes, le billard, les quilles doivent rendre le même service.

Des divertissements de toutes sortes, y compris la danse et les prome-


nades, sont souvent très utiles aux malades qui s'y prêtent ; ils main-
tiennent le contact avec la réalité ou le restaurent'. Des cas qui se
sont enfermés dans leur chrysalide de façon chronique peuvent parfois
prendre leur virage vers l'amélioration en une telle occasion 8 .

On veillera aussi particulièrement à ce que le dimanche, qui est dans


l'ensemble un jour défavorable à nos patients, offre suffisamment d'oc-
casions de divertissement. Des lectures doivent être disponibles, même
dans les sections les plus agitées. Il est très bon aussi, si les usages
du pays ne l'interdisent pas, que des malades femmes puissent travail-
ler pour elles-mêmes ce jour-là (par exemple faire de la dentelle au
crochet, ce qui leur rapporte un peu d'argent de poche).

L'éducation des malades doit viser notamment à la maîtrise de soi. Ceci


inclut en même temps la maîtrise de certains symptômes morbides. De
nombreux malades peuvent apprendre à réprimer leurs agitations, à ne
pas donner suite aux hallucinations, à ne pas se laisser exciter par

6. P l u s clairement : au cas où le patienl ou sa famille prennent de grands airs (NDT).


7. Naturellement, il est important de veiller à ce que les occasions de divertissement restent
sans alcool, car sinon les inconvénients l'emportent souvent sur les avantages (NDA).
8. Dans une section dans laquelle j e commençais mes fonctions, j e trouvai une patiente
dans la cellule de qui les infirmières ne pouvaient entrer qu'à quatre à la fois. A Noël, j e
l'emmenai à la cérémonie. A la Saint-Berthold, elle se produisit comme chanteuse, et quel-
ques semaines plus tard elle fut relâchée. Elle s'est maintenue à l'extérieur (NDA).
elles, à renoncer à de mauvaises habitudes. Des gens assez intelligents
et qui ont de bonnes dispositions parviennent dans certains cas à une
maîtrise de soi étonnante. Mais on peut aussi inculquer aux malades
moins bien doués la pulsion d'adapter le plus possible leur comporte-
ment à la normale.
Ici comme dans toute autre éducation, il faut naturellement s'attacher
au premier chef à bien remplir le temps. Comme nombre de schizo-
phrènes ont perdu tout sentiment d'ennui, on doit le remplacer par des
stimulus extérieurs. Mais ceux qui peuvent encore éprouver de l'ennui
doivent se voir offrir la possibilité de le dissiper ; sinon, comme les
sujets sains qui se trouvent dans la même situation, ils font toutes
sortes de frasques.
Chez certains malades dont les penchants sont plus raffinés, on peut
recourir à certains stades à un appel à l'éthique, à l'ambition ; ou du
moins parvient-on à les intéresser à quelque occupation utile. Cepen-
dant, cette voie n'est pas praticable chez les patients dont la maladie
est plus évoluée et la nature moins sensible. Là, on ne pourra se dis-
penser de ce procédé éducatif éprouvé qu'est la carotte et le bâton.
Seulement, autant que possible, le bâton ne consistera pas à infliger
quelque chose de mauvais mais à ne pas accorder de carotte à laquelle
les malades n'aient pas droit. De toute façon, un comportement asocial
entraîne nécessairement des maux qui doivent être compris comme des
punitions, tel notamment un transfert dans une section où, justement,
les autres malades sont également asociaux, et donc désagréables au
patient. Mais j e considère aussi comme un avantage que de ne pas
renoncer complètement aux mesures disciplinaires, encore qu'ici aussi
il vaille bien mieux pécher par défaut que par excès.

On pourrait penser que l'influence religieuse serait un bon procédé édu-


catif. Mais j e n'en ai encore jamais vu nul succès dans la schizophré-
nie. Ceux qui y recourent n'auraient-ils pas trouvé la bonne voie ?

Une tâche particulière de l'éducation asilaire est Vaccoutumance à la


liberté. Dans les asiles, les malades ne peuvent pas diriger eux-mêmes
leur existence. Au bout de quelque temps, beaucoup en perdent la
capacité, si l'on n'y fait pas particulièrement attention. On doit donc
les y accoutumer par l'octroi de libertés, par des sorties en ville 9 , des
permissions, des sorties d'essai 1 0 , et aussi, éventuellement, par un tra-

9. Ausgang: sortie de brève durée, et non Entlassung : sortie définilive (NDT).


10. Probeentlassung.
vail autonome dans l'asile 11 . Même les malades qui restent à l'asile
peuvent apprendre, pour une grande partie d'entre eux, à faire des
promenades le dimanche 12 ; il semble tout de même beaucoup plus
humain que les malades puissent sortir 13 ; mais je dois ajouter que
dans certains cas je me suis souvent demandé si j'avais vraiment rendu
service à un patient de ce type en l'accoutumant à de nouveaux besoins.
Un infirmier particulier représente un moyen éducatif important. Il peut
aussi écarter des autres éléments un malade qui a besoin de surveil-
lance et lui procurer travail et distraction. Là où les moyens financiers
sont un peu justes, nous conseillons souvent aux proches de transférer
le patient dans une classe inférieure et, en contrepartie, de payer un
infirmier.

Nous devons naturellement accorder toute notre attention à la sugges-


tion par le milieu. Un bon entourage a une tout autre influence qu'un
entourage revendiquant ou bruyant. Le secret du succès de bien des
asiles repose sur beaucoup de place, beaucoup de sections ou de larges
possibilités de renvoi permettant de se séparer des éléments antisociaux.
La thérapie suggestive proprement dite n'obtient pas grand-chose dans la
schizophrénie. Certains patients sont néanmoins accessibles à l'hypnose ;
on peut leur suggérer de dormir, écarter des hallucinations pour un temps
limité, les rendre plus calmes pour une fois ; mais les résultats ne sont
pas durables, sauf dans les cas où il se trouve que la maladie régresse
par ailleurs aussi. Cette thérapie ne paie donc que rarement de retour
la peine qu'on prend. Néanmoins, dans un cas à agitations hallucina-
toires fréquentes et d'allure très grave, j'ai poursuivi la thérapie sug-
gestive entreprise par Forel, en ce sens que j'hypnotisais le patient au
début de chacun des états d'agitation ; finalement, on obtint la dispa-
rition complète des agitations, si bien que le patient se maintient à
l'extérieur depuis environ 15 ans. Des tentatives d'interruption du trai-
tement ont montré que l'amélioration n'étaiL pas fortuite.

Par contre, on renoncera tout aussi peu aux procédés de suggestion


dans la schizophrénie que dans d'autres maladies. Bien que ce soit
beaucoup plus rare, il est pourtant possible ici aussi de soulager une
douleur par une suggestion larvée, de provoquer le sommeil au moyen
de poudre de lactose, etc.

11. Dans le cas des sorties d'essai, les proches sont également éduqués à un comportement
adéquat vis-à-vis des malades (NI)A).
12. En particulier quand l'asile n'est pas situé à proximité d'une ville (NI)A).
13. Ausgehen : sortir se promener ou faire des courses (NDT).
Dans les cas relativement graves, la mise au jour des complexes et leur
abréaction a rarement le même succès que dans les névroses. Les pa-
tients n'en sont pas changés. Toutefois, dans les cas assez bénins, tels
qu'il s'en présente plus fréquemment en pratique privée que dans les
asiles, on peut parfois enregistrer de cette manière un franc succès,
qui perdure, le cas échéant, pendant quelques années et ne fait pas
défaut même si Ton est amené à recommencer. Mais, à l'asile, nous
venons aussi tout juste de procurer en quelques jours, par abréaction,
un sommeil normal à un cas assez évolué de schizophrénie qui, ailleurs,
dans plusieurs sanatoriums, n'avait pu être débarrassé de son insomnie.
(Peu importe, pour la thérapie, qu'il existe une abréaction proprement
dite ou qu'il s'agisse seulement d'une autre forme de suggestion larvée.)
Le transfert de l'affection 14 sur les médecins, qu'on peut si bien mettre
à profit dans l'hystérie, n'a généralement pour conséquence, dans la
schizophrénie patente, qu'un « amour » pathologique, avec parfois des
idées de persécution sexuelle consécutives.

J e ne serais guère capable, jusqu'à présent, de procéder à une éduca-


tion systématique de la pensée. Si l'on donne au malade la maîtrise de
ses complexes, on atteint habituellement en même temps le but sou-
haité. On a cependant préconisé aussi une gymnastique intellectuelle,
des cours scolaires (Masselon, récemment, par exemple). Sans doute
le succès n'en est-il pas grand.

Dans bien des cas assez graves, on ne peut plus obtenir de véritable
éducation à un comportement intentionnellement correct. Mais, là en-
core, il est possible d'obtenir un résultat qu'on ne saurait qualifier à
bon escient autrement qu'en usant du terme, de réputation quelque
peu douteuse, de « dressage ». Les malades peuvent être amenés à faire
mécaniquement ou par habitude ce qui est correct. Ils maîtrisent dans
une certaine mesure leurs impulsions pathologiques, font peu ou pas
de mal, mangent seuls, s'habillent et se déshabillent, et souvent sont
encore capables d'un travail mécanique. Ce sont là des résultats thé-
rapeutiques qu'il ne faut nullement sous-estimer, eu égard au compor-
tement antisocial des malades négativistes graves.

Comment doit-on agir dans un cas donné ? Cela, il faut le laisser à


l'appréciation du médecin. Il faut prendre en compte non seulement
l'individualité du patient, mais aussi celle du médecin ; un procédé
qui a fait ses preuves entre les mains de tel médecin peut, utilisé par

14. Die Zuneigung : l'inclinalion.


un autre, n'entraîner que des échecs. Le principal est de n'abandonner
complètement aucun malade, mais d'être toujours prêt à intervenir, à
lui offrir l'occasion de sortir de son cours de pensée pathologique ; le
principal, c'est aussi qu'il y ait suffisamment d'argent et de personnel
pour faire le nécessaire et, notamment, que les asiles disposent d'assez
de place pour pouvoir fournir à tout malade, en temps et en heure,
l'environnement et le traitement qui sont, à ce moment, les meilleurs
pour lui. Ces derniers points sont des vœux pieux qu'on ne doit jamais
oublier. L'alitement thérapeutique et Visolement doivent être discutés
spécifiquement.

L'alitement thérapeutique est ce qui convient à de nombreux cas aigus.


Ainsi, c'est au lit que certains malades agités peuvent être le mieux
contenus. L'alitement et le fait d'être sans vêtements constituent en soi
une suggestion pas trop méprisante de se comporter avec calme. En
outre, le lit lui-même, avec ses couvertures et ses draps, fournit dans
certains cas du matériel en vue d'une sorte d'occupation inoffensive.
Chez les malades faibles, qui ne s'alimentent pas, le repos au lit est
également nécessaire, pour des raisons physiques. Mais je dois souli-
gner que, dans l'ensemble, l'alitement thérapeutique ne vaut pas l'er-
gothérapie. Ne relèvent du lit que les malades qui, pour une raison
quelconque, ne peuvent pas travailler. Naturellement, l'alitement thé-
rapeutique a été un grand progrès par rapport au « laisser aller 1 ' »
pratiqué autrefois en de nombreux endroits. Car il a notamment l'avan-
tage de rapprocher personnel infirmier et patients, de forcer le premier
à s'occuper de ses malades, ce qui est tellement important pour les
deux parties en présence. Mais le travail remplit encore mieux ce même
but. Et il est rare aussi que des malades se plaignent du travail, tandis
qu'en 12 ans à l'asile, j e ne suis pas arrivé à ce que de nombreux
malades ne considèrent pas le lit comme une très grande punition 16 .

Ces derniers temps, on préconise aussi l'alitement thérapeutique en plein air,


qui a naturellement ses avantages, qu'on ne doit pas sous-estimer : le chan-
gement ; la nécessité d'une surveillance scrupuleuse ; puis les effets hygié-
niques et psychiques du décubitus à la lumière et à l'air. Mais je n'ai
malheureusement pas encore l'expérience de cette « méthode de traitement ».
Quant à Visolement, les expériences que j'en ai ne concordent pas non
plus tout à fait avec les principes qui ressortent de la littérature mo-

i s . En français dans le texte.


16. D'après Schiile et Anton (20), l'alitement thérapeutique favoriserait les crampes du mol-
let. J e ne l'ai pas constaté (NDA).
derne. C'est, pour bien des raisons, un mal, mais dans certains cas un
mal nécessaire, et dans de nombreux cas un mal bien moindre que
ceux qu'il permet d'éviter. Mais il a aussi beaucoup de bon. Si l'on
aime ses malades, on doit souvent isoler du fait qu'un seul patient
agité peut, la nuit, ravir le sommeil à toute une salle pleine de malades
et, le jour, lui rendre l'existence pénible, et qu'il fait toutes sortes de
suggestions pendables à ses camarades, empêchant ainsi les autres de
se calmer.
Mais l'isolement peut être un procédé éducatif excellent pour le malade
lui-même. Et ce bien moins du côté du bâton que de celui de la ca-
rotte ; l'éloignement de tous les stimulus est très souvent ressenti
comme un bienfait, par les schizophrènes précisément. Des malades
qui présentent des agitations soudaines et ne sont pas encore suffisam-
ment capables de se contenir peuvent à chaque fois être isolés immé-
diatement avec grand succès, à condition de veiller, en revanche, à ce
qu'ils considèrent cela comme une nécessité et non comme une puni-
tion. Beaucoup peuvent être éduqués à réclamer eux-mêmes l'isolement
à l'approche de l'agitation. A ce stade, ils ont déjà acquis un peu de
maîtrise de soi, et il devient alors facile de laisser les portes de la
chambre d'isolement ouvertes, si bien que les malades décident eux-
mêmes du moment où ils sonL de nouveau aptes à la vie en société.
Cela aussi, c'est un procédé éducatif à partir duquel certains accèdent
à une maîtrise de soi parfaite, ou tout au moins plus grande 1 '. - Cu-
rieusement, on ne se rend souvent pas compte, de nos jours, qu'une
grande partie des schizophrènes préfèrent, tout comme les sujets sains,
dormir dans une chambre individuelle plutôt qu'en une compagnie qui
n'est généralement pas précisément sociable. J e suis bien loin d'avoir
entendu les malades se plaindre autant de l'isolement que de l'alite-
ment. Et, à l'asile de chroniques, j'ai souvent été contraint d'associer
l'isolement à un désagrément quelconque afin que certains patients ne
me l'extorquent pas.

Mais c'est justement dans la schizophrénie que l'isolement présente


des risques tels qu'on n'en rencontre pas dans une autre psychose. Le
schizophrène qui est abandonné à lui-même s'enferme volontiers plus
profondément dans la chrysalide de son autisme, il acquiert toutes
sortes d'habitudes déplaisantes, et notamment le barbouillage.

17. Le propos de Roller (p. 3 5 ) : « L'isolement apporte souvent rapidement le calme à des
malades excités » reste toujours de saison (NDA).
Qui use de l'isolement à bon escient ne verra nul inconvénient de ce
genre. Je connais fort bien les « produits d'isolement cellulaire », pres-
que imperfectibles, de plusieurs asiles. Mais j e puis aussi ajouter que
je n'en ai plus vu survenir aucun, et pourtant l'isolement demeure tou-
jours en usage chez nous, quoique bien plus rarement aujourd'hui que
par le passé. Naturellement, on ne prolongera pas l'isolement un instant
de plus qu'il n'est nécessaire, mais l'essentiel consiste à tâcher de tou-
jours garder le contact, même avec les malades isolés. Ainsi, ils ne res-
tent pas isolés psychiquement ; ils peuvent formuler leurs plaintes ;
nous pouvons interrompre l'isolement au moment opportun, ou exercer
quelque autre influence sur les malades. S'ils se mettent à avoir de
mauvaises manières, on doit entreprendre aussitôt un autre traitement.

Les accès aigus représentent les indications les plus importantes, mais
aussi les plus difficiles de la thérapie palliative. De nombreux schizo-
phrènes sont extrêmement excités au cours des états hallucinatoires,
et ce sont de surcroît les malades les moins influençables qui entrent
à l'asile. Leur comportement auto-agressif, la destruction de tout ce
qui se trouve à leur portée, les agressions physiques contre le person-
nel, tout ceci exécuté avec la plus grande adresse et la plus grande
brutalité, sont les pires ennemis du no-restraint. Un véritable no-res-
traint représenterait ici, dans la majorité des cas, la destruction de
tout ce qui est destructible, y compris le personnel. Qui pense s'en
tirer sans coercition utilise le mot coercition dans un autre sens que
ne le requiert l'usage.

La façon d'employer le restraint nécessaire dépend des installations de


l'asile, de l'expérience et un peu aussi de la personnalité du médecin-
directeur. On tentera d'abord l'alitement thérapeutique. S'il échoue,
c'est du bain prolongé qu'il faut attendre le plus. Le travail ne peut
naturellement être utilisé que dans les cas les plus bénins, et avec
prudence ; le pourcentage des malades auxquels on peut appliquer un
traitement relativement léger dépend de la qualité des installations, du
type des autres paLients, de l'état d'esprit propre à l'asile, de l'aptitude
et de la sensibilité des médecins et du reste du personnel, et de ce j e
ne sais quoi qui est également lié à la personnalité mais qui ne peut
être perçu avec précision et se manifeste à côté du savoir-faire et de
la sensibilité. Même les schizophrènes agités peuvent être influencés
par l'entourage, encore que de nombreux cas se gaussent par moments
de tous les procédés disponibles pour agir intentionnellement sur eux.

Si l'on n'obtient rien de cette manière, l'isolement d'essai - avec ou


sans surveillance par un infirmier - peut montrer si la séparation des
autres malades est susceptible d'avoir un effet. Si oui, il faudrait re-
courir à un isolement temporaire. Si non, il ne reste comme ultimes
recours que Venveloppement humide et les narcotiques, seuls ou combi-
nés. Qui recourt à l'enveloppement humide même dans les cas relative-
ment bénins pourra souvent laisser les bras libres. J e trouve cependant
qu'il n'est qu'exceptionnellement nécessaire dans de tels cas. L'enve-
loppement complet est le pire restraint que je connaisse ; c'est pourquoi,
souvent, j e n'y ai pas eu recours des années durant ; dans des cas
chroniques, il n'est presque jamais nécessaire non plus. A l'asile de
soins actifs, il est des cas clans lesquels je ne peux malheureusement
pas éviter ce procédé ; mais j e suis conscient que j e n'aurais presque
jamais à en user si nous disposions de plus de place et d'argent.

Dans le cas de pulsion auto-destructrice irrépressible, mieux vaut recourir


à la contention par sangles au lit, qui peut être utilisée plus facilement
et ne cherche pas à préserver les apparences d'une mesure médicale,
apparences que tant le malade que le personnel percent bel et bien à
jour. On voit à cette occasion que la sédation qui intervient en cas d'en-
veloppement ne doit absolument pas être toujours portée au crédit de
l'enveloppement humide, mais bien de la contrainte physique au repos,
qui amène souvent en peu de temps le patient le plus agité à dormir.

Contrairement à ce que la littérature récente laisserait supposer, la coer-


cition physique n'a pas seulement une influence nocive mais, dans quel-
ques cas, une influence bénéfique également. La pire agitation avec
pulsion suicidaire peut connaître une sédation définitive après l'utilisation
de la contention par sangles au lit pendant une demi-heure. Par répu-
gnance à l'égard d'une telle coercition, il nous est arrivé de traiter inu-
tilement pendant des mois, par tous les moyens et avec un grand
gaspillage de personnel et d'hypnotiques, une jeune fille qui, après la fin
de la poussée aiguë proprement dite, ne put se libérer de la pulsion de
se nuire de toutes les manières possibles. Dès que la sangle eut été fixée
de telle façon que tous ses efforts pour continuer à se blesser étaient
vains, la patiente capitula, se comporta normalement, et put être rapide-
ment relâchée en si bon état qu'il nous fallut même la dégager de sa
tutelle. Ce cas est en même temps typique de la façon dont des séquelles
psychiques de la maladie peuvent simuler cette maladie elle-même. Si
donc l'on ne peut rien obtenir par la gentillesse et la plus grande bien-
veillance, j e suis d'avis qu'il vaut encore mieux tenter une telle coercition
plutôt que de laisser le patient aller à sa perte.

Dans la schizophrénie, j e considère en tout cas la coercition par un moyen


physique comme meilleure que le maintien à la force des bras, qui stimule
et augmente le négativisme, et qui épuise plus le malade, y compris
physiquement, à cause de ses tentatives permanentes de résistance.
L'usage cVhypnotiques n'est pas seulement important en tant que res-
traint chimique mais, chez les schizophrènes comme chez d'autres ma-
lades, c'est souvent un moyen de soulagement dont la simple humanité
interdit de les priver. Celui qui souffre psychiquement a tout autant
droit, dans les limites de l'innocuité, à une médication sédative que
celui qui souffre dans son corps. Il est vrai qu'il est difficile de dire
où se situe la limite de l'utilisation nocive. Mais, même avec des doses
fort élevées de divers hypnotiques, on n'a pas l'impression que l'abê-
tissement en soit favorisé, si bien qu'on est en droit d'en conclure à
l'innocuité des tranquillisants raisonnablement employés en quantités
usuelles. - Dans de très nombreux cas, les hypnotiques ont aussi une
valeur éducative. Des malades qu'on ne pourrait sinon accoutumer au
travail, au lit, au bain, à des relations normales, peuvent être progres-
sivement éduqués sous l'effet d'un peu de sulfonal, et doivent leur
amélioration à ce produit. Naturellement, on ne donne aucun hypnoti-
que de façon continue.

Une troisième raison en faveur de l'usage d'hypnotiques est le respect


des autres malades. Je préfère donner des narcotiques au perturbateur
au cas où, sinon, un bon nombre d'autres malades seraient privés de
sommeil ou agités à cause de lui.
Je n'ai pas encore constaté de véritables nuisances des narcotiques.
La plus grande contre-indication à leur utilisation consiste en ce que
c'est précisément dans les cas les plus graves qu'on y recourt inutile-
ment. Les quantités de divers hypnotiques que peuvent absorber, iso-
lément ou en association, certains schizophrènes sans que cela les
calme sont surprenantes 18 . Peut-être devrait-on cependant donner,
même dans de tels cas, des doses qui agissent. Mais qui voudrait ex-
périmenter si c'est le collapsus ou une sédation inoffensive qui survient
en premier lieu lors de l'augmentation des doses ?
Uapomorphine est un procédé chimique de coercition d'un type particulier.
On peut couper immédiatement court à certaines agitations aiguës par injec-
tion d'une dose émétisante d'apomorphine. La sédation est souvent si durable
que, dans des accès qui ne dépassent pas quelques jours, l'agitation est dé-
finitivement supprimée.

18. Et c e tant dans des agitations purement psychiques que dans celles dont la détermination
est apparemment organique. Pour autant que j e sache, la théorie du sommeil et celle des
narcotiques ont ignoré jusqu'à présent ce fait, dont l'importance est sûrement extrême (NDA).
L'apomorphine agit en même temps comme procédé éducatif en laissant les
patients conscients tandis qu'ils sont plus calmes, et les entraîne ainsi à
mieux se comporter. Je me dois de citer cette méthode, sans pourtant oser la
préconiser, pour des raisons morales, mais je souhaiterais demander s'il n'est
pas plus immoral de laisser maltraiter toute une salle pleine de malades par
un patient agité que de faire vomir celui-ci une fois. Pour autant que j'ai vu
user de cette méthode, les malades ne se plaignaient pas non plus, et nous
n'avons perdu le contact avec aucun ; les patients eux-mêmes s'en gaussaient
généralement, encore qu'ils eussent un certain respect pour sa rapidité
d'action. Je n'en ai pas l'expérience dans des cas de confusion complète où
les patients n'étaient absolument plus capables de discuter 19 .
Il n'existe pas de traitement médicamenteux de la schizophrénie. Dans la
« neurasthénie hypochondriaque », Ziehen (840, p. 543) croit avoir souvent
prévenu par l'opium le passage à la « mélancolie hypochondriaque ». Mais
je ne peux guère imaginer que nos connaissances pronostiques justifient cette
croyance. Toutes les autres données ne valent même pas qu'on en parle.
Dans les psychoses périodiques dont, d'après les exemples qu'il en donne,
nos schizophrénies périodiques font aussi partie, Hitzig a préconisé l'atropine
pour couper court aux accès. Ce procédé semple réellement avoir au début
l'effet souhaité ; mais je ne l'ai employé que clans peu de cas, parce que les
malades n'y réagissent plus au bout de quelque temps et rattrapent après
coup le vacarme qu'ils n'ont pas suffisamment fait avant.

Les divers symptômes de la maladie sont traités selon les principes ha-
bituels. Mentionnons seulement, ici, que l'on peut souvent supprimer
ou atténuer les barrages pour quelques heures avec l'alcool (ce qui
peut être mis à profit pour un examen, par exemple), et qu'il est bon
de réprimer les bizarreries qu'adoptent si volontiers les malades. Les
couronnes en papier, les épées en bois et les enfants faits de chiffons
qu'on ramasse ont disparu de nos asiles, et ce à l'avantage de nos
malades. Ce qui ne veut cependant pas dire qu'il ne faille pas laisser
aux patients, dans certains cas, un bien qui est en rapport avec leurs
complexes ; mais ce ne doit être fait qu'en pesant toutes les conditions,
parce que ces choses favorisent l'autisme.

Il en va à peu près de même des plaintes hypochondriaques et hystéri-


formes au sujet de maux corporels. Dans l'ensemble, le mieux sera d'ha-

19. En certains endroits, c e procédé semble être vu d'un mauvais œil, parce qu'on en a eu
des déboires. Sans doute ne l'a-t-on pas employé, là, uniquement chez des patients adéquats.
Il ne peut naturellement être utile que chez les malades, assez rares, avec lesquels on a
suffisamment de contact pour leur faire comprendre cette mesure, et qui sont en même temps
encore capables de réagir dans le bon sens, et non dans celui du négativisme, à une mesure
de coercition de la part des médecins (NDA).
bituer le patient à s'accommoder de ces symptômes, et au fait que les
ignorer est leur seul remède. Il peut cependant y avoir aussi des cas
où l'on recourt à un procédé de suggestion quelconque. Mais on sera
prudent, afin de ne pas y accoutumer le malade. En prenant en charge
une section, je me suis aperçu qu'une patiente devait prendre en même
temps 13 médicaments contre un mal totalement inexistant. Quand ces
choses lui furent supprimées, on put bien mieux s'entendre avec elle.

Le refus d'aliments est traité par les méthodes usuelles. Ce sont jus-
tement des schizophrènes qu'on peut amener à manger en leur laissant
voler des aliments apparemment destinés à d'autres malades, ou en
allant d'une autre façon au devant de leur négativisme ou de leurs
idées délirantes. Mais je ne vois pas très bien ce que l'on y gagne ;
dans les cas qui sont en train de devenir chroniques, en tout cas, on
y perd souvent beaucoup en discipline et en possibilité de contact. Je
crois qu'on fait mieux - exception faite, peut-être, de cas très particu-
liers - de s'en tenir strictement au règlement ; si un malade ne mange
alors vraiment pas pendant 8 jours, on peut recourir au gavage, mais
on doit toujours l'interrompre périodiquement, afin de donner au pa-
tient l'occasion de manger de lui-même. Ainsi la sonde ne restera-t-elle
presque jamais longtemps en usage. Si l'on est forcé de s'écarter de
ce principe dans des asiles privés, ce n'est pas à cause du patient
mais de ses proches, qui ont malheureusement moins pitié de lui si
on le tourmente pendant des mois avec la sonde que s'il jeûne quelques
jours. Je n'ai pas observé que le jeûne ou la bonne alimentation, dans
les limites admissibles, influencent l'évolution de la maladie.

On s'opposera aussi vite et aussi énergiquement que possible à d'autres


singularités encore, notamment au barbouillage, etc., si l'on ne veut pas
être confronté au bout de quelque temps à des stéréotypies ininfluençables.
En ce domaine, bien des choses dépendent du savoir-faire du personnel.
L'ordre de veiller à mener le patient à la chaise percée ou de lui faire un
lavement quotidien exactement au moment prescrit est loin d'être toujours
suffisant dans le barbouillage. A cause du négativisme, il est bon dans bien
des cas d'exécuter la mesure aussi impersonnellement que possible, comme
une nécessité physique ; chez d'autres malades on peut, à l'inverse, se livrer
à un certain marchandage ; mais en tout cas, contre de tels symptômes
spécifiques aussi, il faut changer souvent les conditions extérieures (trans-
fert, etc.). On peut souvent remédier à de petites habitudes indésirables par
des moyens fort simples ; ainsi une caLatonique qui vivait dans une maison
privée se mit-elle à jeter le papier des toilettes dans la cuvette ; il suffit de
suspendre le distributeur de papier, qui se trouvait sur le siège, un demi-
pied plus haut pour mettre fin pour toujours à ce désagrément. Il est
important aussi de priver le malade de l'occasion de pratiquer ses bi-
zarreries. Dans des cas anciens, il n'est pas rentable de partir en guerre
contre certaines manières. Kahlbaum pense qu'il est nécessaire de lut-
ter contre l'arrachage des cheveux afin d'éviter la calvitie définitive.
Mais on peut laisser arracher des cheveux pendant quelques décennies
sans dommage ; dès que le patient les laisse tranquilles, ils repoussent.
Dans la schizophrénie, le plus déplaisant de tous les symptômes est
la pulsion suicidaire. J e le mentionne afin de dire nettement, une bonne
fois, que l'ordre social actuel exige du psychiatre, en ce domaine, une
grande cruauté fort déplacée. On force à continuer de vivre des gens
qui sont, pour de bonnes raisons, dégoûtés de l'existence ; c'est déjà
assez grave. Mais il est tout à faiL déplorable de rendre par tous les
moyens l'existence encore plus insupportable à ces malades en les sou-
mettant à une surveillance pénible. La majeure partie des pires de nos
mesures de coercition seraient inutiles si nous n'étions pas obligés de
préserver l'existence de malades pour qui elle n'a, comme pour d'au-
tres, qu'une valeur négative. Et si encore cela servait à quelque chose !
Mais j e suis convaincu, avec Savage, que, dans la schizophrénie, la
pulsion suicidaire est précisément éveillée, accrue et entretenue par
la surveillance. Ce n'est qu'exceptionnellement qu'un de nos malades
mettrait fin à ses jours, si nous lui en laissions la possibilité. Et même
s'il devait y en avoir quelques autres à périr — est-il bon, pour un tel
résultat, de tourmenter des centaines de malades et d'aggraver leur
maladie ? Pour le moment, nous autres psychiatres avons le triste de-
voir d'obéir aux idées cruelles de notre société ; mais nous avons aussi
le devoir de faire tout notre possible pour que ces idées changent bientôt.
Bibliographie
Bibliographie

Abréviations
AMP : Annales médico-psychologiques.
AN : Archives de neurologie.
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JMS : Journal of mental science.
JPN : Jahrbücher für Psychiatrie und Neurologie, Deuticke, Leipzig und Vienne.
MS... : Monatschrift ...
MSPN : Monatschrift für Psychiatrie und Neurologie, S. Karger, Berlin.
NCB : Neurologisches Centraiblatt, Veit und Komp, Leipzig.
Réf. : Cité dans ... (Si la revue n'est pas précisée, il s'agit de l'Allgemeine Zeitschrift
für Psychiatrie).
PNWS : Psychiatrisch-neurologische Wochenschrift, Halle, Marhold.
WS... : Wochenschrift
(*) : Suit le chiffre indiquant la page du rapport bibliographique de l'Allgemeine
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Henry Ey

La conception
d'Eugen B l e u l e r

Nous a d r e s s o n s nos plus vifs r e m e r c i e m e n t s à M a d a m e Ey, qui a bien


voulu a c c e p t e r que le t e x t e « L a c o n c e p t i o n d ' E u g e n B l e u l e r », de
H e n r i Ey, soil publié d a n s c e livre.
En 1925, j'entrepris la traduction de ce fameux ouvrage.
C'est ainsi que j'appris la psychiatrie. Là et dans les dis-
cussions qui, à propos de cette initiation, commencèrent dé-
jà à m'opposer et à me lier à mon maître Paul Guiraud. Nous
avons publié ensemble en 1926 un petit travail sur la
conception de Bleuler jusque-là peu connue ou mal connue
en France.
De son côté, Eugène Minkowski dans une série d'articles et
dans sa thèse (1926) fit connaître son interprétation de la
notion de schizophrénie de Bleuler.
Il existe une traduction de l'ouvrage en langue anglaise par
Zinkin, Edition International University Press, New York,
1950.
Comme il y a peu de chance que ce chef-d'œuvre de la
psychiatrie contemporaine soit jamais traduit en français, je
me décide à refaire à l'usage des élèves du Cercle d'études
psychiatriques le résumé que j'avais fait en 1926 et que
j'avais fait ronéotyper en 1945 (avec la collaboration de
S. Follin).
HENRI EY
La conception
d'Eugen Bleuler 1
Les travaux du maître de Zurich constituent à mes yeux le chef-d'œuvre
psychiatrique du siècle. Son étude des états schizophréniques repré-
sente à elle seule une vaste et fondamentale conception de psychopa-
thologie générale que quatre grands ouvrages ultérieurs sont venus
compléter 2 .
La pièce maîtresse de l'œuvre la plus connue, la plus originale, c'est
naturellement son ouvrage sur la Démence précoce ou groupe des schi-
zophrénies. Nous nous contenterons ici d'en extraire ce qui fait le triple
intérêt de la théorie de Bleuler en matière de psychologie générale :
les notions nosographiques nouvelles - la pathogénie des signes pri-
maires et secondaires - la notion d'autisme.

Conception nosographique

On a souvent reproché à Bleuler, particulièrement chez nous, d'avoir


trop étendu le cadre de « la schizophrénie ». Certes, l'extension d'une
telle « entité clinique » apparaît en effet hautement abusive non seu-
lement quand elle dépasse la limite des états psychopathiques groupés
par Kraepelin sous le nom de « démence précoce », mais même dans
le champ de cette démence précoce dont bien des formes ou des degrés
ont de la peine à s'adapter aux descriptions et analyses bleulériennes.

1. Ce texte a été écrit pour une série de conférences que j e fis de septembre à novembre
1940 sur les tendances contemporaines de la psychiatrie.
2. L'œuvre d'E. Bleuler comprend principalement le volume du traité d'Aschaffenburg consa-
cré à la Dementia Praecox oder Gruppe der Schizophrenien (1911) ; Das autistische undiszipli-
nierte Denken in der Medizin (1921), I vol., 4 e éd., Berlin, Springer, 1927, 2 1 0 p. ; son Lehr-
buch der Psychiatrie (1916), 5 e éd., 1930, 5 2 6 p. ; son livre Naturgeschichte der Seele (1921),
2 e éd., 1932, 2 6 8 p. ; sa monographie Die Psychoïde, 1 vol., Berlin, Springer, 1925, 152 p. ;
et son ouvrage Mnemismus-Mechanicismus-Vitalismus, 1 vol., Berlin, Springer, 1931, 148 p.
L'étude de Bleuler, cependant, a été, selon nous, bien mal comprise
par ceux-là qui ont voulu y voir la description d'une entité. En fait,
comme l'indique le titre même de l'ouvrage, il s'agit de la « Démence
précoce » kraepelinienne envisagée comme un groupe d'états de struc-
ture schizophrénique et n'ayant pas la valeur d'une « entité » clinique.
Lorsqu'il parle de « La schizophrénie », Bleuler a soin de préciser une
fois pour toutes (p. 5 * ) : « Pour la commodité j'emploie le mot au sin-
gulier bien que le groupe comprenne vraisemblablement plusieurs ma-
ladies. » Et, lorsqu'il tente de définir ce qu'il entend par schizophrénie,
il déclare : « Il s'agit d'un groupe de psychoses évoluant soit chronique-
ment, soit par poussées, de telle façon que ne peut en résulter une
restitutio ad integrum. Il est caractérisé par la dissociation des fonc-
tions psychiques, par des troubles associatifs, par des troubles affectifs
et des troubles du contact avec le monde » (p. 6). Ce qu'il cherche à
décrire, c'est une certaine forme de réaction psychopathique commune
à un certain nombre d'états morbides évolutifs et se différenciant « spé-
cifiquement » d'un certain nombre d'autres évolutions. C'est dans ce
sens qu'il a pu dire : « La démence précoce embrasse à peu près la
plupart des psychoses que l'on désignait comme fonctionnelles »
(p. 221). S'il ne pense pas que le groupe des schizophrénies constitue
une maladie dans le sens propre du terme, il se défend il est vrai de
n'avoir voulu décrire qu'un simple assemblage symptomatique (p. 2 2 2 -
224). Ce qu'il appelle « schizophrénie » est cependant plutôt un genre
qu'une espèce, un genre un peu analogue à un autre genre, « les psy-
choses organiques » (p. 228). Tout cela revient à dire que le « groupe
des schizophrénies » doit être considéré comme une certaine forme de
réaction psychopathique commune à un certain nombre de maladies
mais distincte en tant que telle des autres formes de réaction qui, plus
directement symptomatiques de lésions organiques, offrent une struc-
ture différente (par exemple, la paralysie générale, les états confusion-
nels, les états d'arriération, etc.) ou qui, moins directement encore
symptomatiques de lésions organiques, provoquent des troubles moins
accentués (hystérie, paranoïa). Tel est le véritable sens de la conception
de Bleuler au point de vue nosographique.

On voit donc clairement que l'étude de Bleuler sur les états schizo-
phréniques, qui englobent près de la moitié de tous les états psycho-
pathiques, constitue une véritable étude de psychopathologie générale.
Comment ses élèves, ses commentateurs, ses critiques ou lui-même en

* La pagination renvoie à l'édition originale (A. Vialtard).


sont venus à considérer la schizophrénie comme line entité clinique
serait une trop longue histoire à raconter et nous entraînerait à des
développements inutiles ici.
Quoi qu'il en soit, il suffit de lire attentivement le livre pour être assuré
que Bleuler a étudié une forme structurale psychopathique et non une
maladie.
Et c'est là que réside le premier et immense intérêt de son œuvre au
point de vue psychopathologique. A la notion de « maladie mentale »
à signes pathognomoniques 3 , véritable entité morbide, Bleuler a subs-
titué la notion non pas d'un simple agrégat symptomatique mais d'une
forme structuralement spécifique au point de vue évolutif et pathogé-
nique. Comme nous allons le voir, le mécanisme pathogénique qu'il a
ainsi mis en évidence constitue une sorte de mécanisme-clé dans le
domaine de la psychopathologique générale.

Distinction fondamentale
des signes primaires et secondaires.
Pathogénie du processus organique

« 11 y a des symptômes qui correspondent directement au processus


morbide, d'autres sont secondaires, ils résultent de la réaction de l'es-
prit malade aux événements externes ou internes. Dans Postéomalacie
le signe direct qui correspond au processus de décalcification, c'est le
manque de résistance de l'os. La fracture ou la déformation sont des
signes secondaires en ce sens que, pour se produire, ils exigent l'in-
tervention d'un facteur externe. Les symptômes primaires sont les
manifestations nécessaires d'une maladie. Les secondaires peuvent
manquer ou varier sans que se modifie en même temps le processus
morbide (p. 284). A peu près toute la symptomatologie décrite jusqu'à
présent de la démence précoce est une symptomatologie secondaire et
en quelque sorte fortuite. Aussi la maladie peut exister longtemps sans
signes. Les signes primaires comprennent vraisemblablement une partie
de troubles associatifs avant tout. Ces troubles se renforcent dans les
phases aiguës (p. 285), nous les tenons pour primaires dans la mesure
où il s'agit d'une faiblesse des affinités associatives. Les états de tor-

3. Il n'y a pas de signes pathognomoniques, écrit-il p. 2 2 3 .


peur, d'agitation, de mélancolie (p. 286), la disposition qui conditionne
l'activité hallucinatoire et un certain nombre de signes physiques et
catatoniques font partie également des signes primaires (p. 287). Quant
aux signes secondaires, ils dépendent des troubles associatifs primitifs,
leur subordination à un état psychique indique leur nature secondaire
(p. 288). Des ruptures, des condensations, des généralisations, des as-
sociations par assonance, des fragmentations conceptuelles et des
comparaisons illogiques se produisent (p. 2 8 9 ) et réalisent l'ensemble
des phénomènes de dislocation (Spaltung). Cette Spaltung se réalise
en fonction des complexes affectifs principalement. De telle sorte que
dans la mentalité du malade coexistent deux systèmes idéiques inconci-
liables. Le Moi est en relation tantôt avec l'un, tantôt avec l'autre. Les
malades paraissent ainsi disloqués en diverses personnalités corres-
pondant à leurs complexes. Du point de vue de la synthèse des élé-
ments représentatifs, on ne peut pas dire à proprement parler que le
malade soit découpé en plusieurs personnalités. »

« Mais si au contraire on accorde plus d'importance au système des


tendances comme critère du Moi, le schizophrène a autant de person-
nalités que de complexes, personnalités indépendantes les unes des
autres (p. 19). La Spaltung est la condition des manifestations les plus
compliquées de la maladie. Elle imprime à toute la symptomatologie
sa marque spéciale. Cette Spaltung est formée elle-même de deux pro-
cessus, un trouble primaire ou relâchement primitif du processus as-
sociatif, qui peut être tel que se fragmentent des concepts aussi solides
que sont les données de l'expérience et la distribution des associations
en complexes affectifs qui constituent une dislocation de la personna-
lité. » « Sous le nom de schizophrénie j'ai voulu », ajoute expressément
Bleuler, « atteindre ces deux formes de dislocation qui se .confondent
souvent dans leur action » (p. 296). Une fois ceci donné, toute la symp-
tomatologie apparaît en rapport avec cette forme spéciale de vie psy-
chique morbide que Bleuler appelle l'autisme, c'est-à-dire qu'elle est
essentiellement secondaire. En ce qui concerne la nature organique du
processus fondamental, Bleuler admet « un processus fondamental qui
produit directement les symptômes primaires, les symptômes se-
condaires constituant en partie des fonctions psychiques modifiées, en
partie des conséquences plus ou moins avortées ou même des tentatives
d'adaptation aux troubles primaires » (p. 373). « Certes, l'hypothèse
d'un processus physique n'est pas absolument nécessaire. On peut ima-
giner que toute la symptomatologie est conditionnée psychiquement et
qu'elle pourrait se développer sur de simples oscillations de l'état nor-
mal (p. 373). Mais il y a un état cérébral que révèlent les troubles
primaires. D'ailleurs, une anamnèse suffisante montre qu'un état céré-
bral préexistait aux traumatismes psychiques. Le relâchement associatif
est tel qu'on n'en trouve l'équivalent chez les normaux et les névrosés
que dans le rêve et jamais par seule influence affective (p. 374). L'in-
troversion ne peut pas tout expliquer puisqu'il y a des malades qui
extériorisent leurs complexes et sont aussi incurables que les autres.
L'évolution même paraît se faire indépendamment des facteurs psychi-
ques, son incurabilité et son "ininfluençabilité" ne sont pas d'une ma-
ladie fonctionnelle. Une conception qui admet un trouble anatomique
ou chimique dans le cerveau et évoluant chroniquement par poussées
se trouve justifiée sans restriction par les faits (p. 374). Il semble bien
que la maladie évoluant par poussées laisse surtout des séquelles qui
constituent à elles seules presque toute la symptomatologie de la ma-
ladie. » C'est ce que Bleuler souligne dès les premières lignes de son
livre : « La pathologie générale nous fournit l'exemple de maladies ai-
guës, des séquelles qui constituent des tableaux cliniques secondaires,
incurables. Il en est de même en psychiatrie où les maladies aiguës
peuvent laisser des traces profondes » (p. 3). En fait « il n'y a pas de
parallélisme nécessaire entre le processus morbide et la symptomato-
logie » (p. 375).

Comme on le voit, l'exposé que nous venons de mettre sous les yeux
du lecteur n'est ni très systématique, ni peut-être très clair. La pensée
profonde et originale de Bleuler s'y trouve cependant condensée sous
son aspect le plus authentique. Nulle part on ne trouve dans ce grand
ouvrage une démonstration théorique parfaitement construite. Mais il
y a mieux dans le livre de Bleuler : il y a l'esprit qui l'anime et qui
lui fait pénétrer à l'aide de certains exemples cliniques la pathogénie
des états schizophréniques.

Les formules et propositions que nous venons de citer rendent compte


d'ailleurs suffisamment des principes fondamentaux d'une explication
théorique qui, jaillie de tant d'analyses concrètes, cherche encore sa
formulation exacte et bien ordonnée. L'intérêt qui s'attache à une telle
conception - intérêt si différent de celui qu'on lui attribue ou qu'on
lui nie généralement - réside précisément en ce que, parvenu à une
grande profondeur d'analyse, Bleuler atteint la substance des états psy-
chopathiques dans son centre et sa plus secrète nature. Sous la surface
froide, sous le vide apparent, sous la dislocation clastique*, il trouve

* Faute de frappe probable : « classique » paraît mieux convenir au contexte (A. Viallard).
un autre côté des troubles. Tout n'est pas détruit. Il y a dans ces men-
talités démentielles (spezifische Verblödung), chaotiques, du détruit et
du non détruit. Tout ce que nous voyons, tout ce que nous entendons
et qui vient de ces malades, c'est ce qui n'est pas encore détruit. Ce
qui est détruit, ce sont les pouvoirs, les capacités, les facultés, les
fonctions de synthèse et d'unification intellectuelles. Tout cela même
n'est pas détruit, tout cela n'est que relâché, perturbé sous l'influence
de la maladie. Mille travaux de phénoménologie auxquels nous avons
précédemment fait allusion ont, depuis les premières études de Bleuler,
approfondi encore et restitué pour nous, observateurs, l'état d'âme, les
perspectives psychiques, l'atmosphère de la dislocation schizophréni-
que. C'est un des chapitres de la psychopathologie générale les plus
vivants et les plus passionnants, celui peut-être où l'esprit de pénétra-
tion et de « sympathie » du psychiatre, du vrai psychiatre, se révèle
avec le plus de sûreté.

Mais c'est dans une autre direction encore que nous voudrions situer
l'intérêt primordial des études de Bleuler, par quoi elles se placent au
sommet de l'orientation psychiatrique du siècle. Ce que Bleuler a dé-
couvert, c'est la valeur multidimensionnelle des états psychopathologi-
ques, la nécessité de placer l'activité psychique morbide dans la double
perspective des altérations qu'elle subit et des réactions qu'elle crée.
La distinction des troubles primaires et secondaires est capitale car
elle est de nature à poser correctement le problème de la pathogénie
organique des états psychopathiques. Ce qui est primaire, ce sont les
altérations, les destructions plus ou moins importantes qui proviennent
de la maladie elle-même (anatomique ou chimique). Ce qui est se-
condaire, c'est le reste (c'est-à-dire presque tout), ce sont les fonctions
psychiques subsistantes, d'autant plus tyranniques qu'elles ne sont plus
elles-mêmes dirigées, qu'elles se trouvent libérées, émancipées.

Les maladies endocriniennes cérébrales, toxiques ou infectieuses, ne


créent pas ces pensées, ces actes, ces mouvements qui constituent les
symptômes des « maladies mentales ». Les maladies ne font que dé-
truire l'édifice fonctionnel existant, elles causent directement des
signes « primaires », rares, et seulement indirectement, par l'activité
psychique sous-jacente, la plupart des autres symptômes, qui sont « se-
condaires ». Si nous nous permettions de préciser la pensée de Bleuler,
nous pourrions dire (comme nous le dirons en essayant de tirer des
principes jacksonniens notre propre conception de psychopathologie
générale) que la maladie est la cause directe des troubles négatifs, de
déficit (signes primaires) et la cause indirecte des troubles positifs,
expression de la part des fonctions psychiques subsistantes. Nous in-
sisterons, pour notre propre compte, sur l'importance de ce que nous
appellerons le principe de l'écart organo-clinique, et c'est là, dans
l'œuvre de Bleuler, qu'il se trouve le plus formellement indiqué. Un
tel principe, si contraire aux thèses mécanicistes dans leur essence,
délie au maximum les relations du symptôme et de la maladie, inter-
pose entre l'action primaire directe, immédiate et « négative » du pro-
cessus morbide et la symptomatologie « positive » indirecte et médiate,
toute l'épaisseur de l'activité psychique subsistante. Le mérite de cette
conception appartient en premier à Bleuler. Le corollaire de ce principe
est également essentiel dans sa conception, à savoir que l'intervalle
entre le processus et le tableau clinique n'est pas seulement décelable
dans l'analyse des troubles mais encore dans la succession chronolo-
gique des symptômes : la symptomatologie ne dépend pas toujours im-
médiatement du processus actuel, elle peut dépendre encore d'un
processus passé. C'est ce que Bleuler souligne deux fois en notant dans
les premières lignes de son livre que les troubles schizophréniques
doivent être considérés comme des séquelles chroniques d'un processus
s'opérant par poussées et en faisant remarquer que lors des poussées
aiguës les signes primaires (les troubles négatifs) sont plus importants.

Cette façon si nettement anti-mécaniciste de concevoir les troubles psy-


chopathiques a particulièrement heurté, chez nous, la plupart des psy-
chiatres, traditionnellement mécanicistes. C'est la raison la plus
profonde du peu de faveur dont ont joui les études de Bleuler en
France. De nombreuses critiques ont été formulées sur ce point ; toutes
reprochent plus ou moins clairement à Bleuler d'introduire un inter-
valle psychique entre le processus morbide et les symptômes4. Certains
sont allés si loin dans cette critique qu'ils ont méconnu le véritable
sens de la psychopathologie bleulérienne : ils ont pensé qu'elle était
presque purement psychogénétiste. Certes quelques passages de son
ouvrage peuvent le laisser supposer mais, dans l'ensemble, ce que nous
avons cité de lui comme essentiel suffit à montrer le caractère orga-
nogéniste de la conception de Bleuler. Il est vrai de dire que nous
nous en tenons à la forme primitive - la seule importante à notre sens -
de la théorie, mais que dans la suite, en assimilant les signes primaires

4. Mon premier travail a été consacré, avec mon maître Paul Guiraud (« Remarques critiques
sur la schizophrénie de Bleuler », AMP 1926), à adresser à Bleuler le reproche de ne pas
étendre suffisamment les signes primaires de la schizophrénie à de multiples autres aspects
cliniques. On peut en effet discuter selon son expérience personnelle la grandeur de l'in-
tervalle psychique, de l'écart organo-clinique, mais il semble nécessaire de l'admettre.
à une sorte de tendance constitutionnelle schizoïde, Bleuler a prêté
davantage le flan à cette critique. Le fait que E. Minkowski a vulgarisé
et amplifié lui-même en France ce second aspect de la doctrine bleu-
lérienne n'a pas peu contribué au reproche d'être purement et simple-
ment psychogénétiste que l'on n'a cessé d'adresser au maître de Zurich.
C'est autour de ce point que les discussions se sont déroulées chez
nous, rendant en fin de compte sinon nécessaire tout au moins prati-
quement séduisante la distinction introduite par Claude entre les états
de démence vraie « organique » et les états schizophréniques consti-
tutionnels. Mais j e tiens à le répéter et à le préciser, la doctrine de
Bleuler est avant tout organogénétiste et non psychogénétiste. Relisons
encore ce qu'il a écrit 15 ans après son premier ouvrage et que la
plupart des psychiatres français réunis au fameux congrès de Genève
de 1926 ont pu entendre - en vain, semble-t-il - de la bouche même
de Bleuler : « Dans tous les cas prononcés de schizophrénie on constate
des modifications anatomo-pathologiques dans le cerveau... L'intensité
de ces modifications correspond à peu près à la gravité des symptômes
primaires » (p. 5). Il va même jusqu'à dire (s'éloignant ainsi de sa
conception nosologique primitive, que nous tenons pour bien meil-
leure) : « La schizophrénie est ainsi non seulement une entité clinique,
mais en même temps une entité anatoinopathologique » (p. 5). Et plus
loin encore ceci : « L'origine organique de la schizophrénie se laisse
aujourd'hui démontrer avec toute l'évidence voulue... Du point de vue
clinique il est à retenir que la majorité des accès aigus se produisent
sans aucun motif psychique apparent et que toute l'évolution chronique
vers la démence est également indépendante de la situation psychi-
que » (p. 17). C'est en introduisant la notion de troubles de la vie des
instincts d'une constitution schizoïde qu'il a prêté à la confusion si-
gnalée plus haut. Tandis qu'en 1911 il écrivait textuellement : « Beau-
coup conçoivent la schizophrénie comme une disposition morbide de
l'œuf. L'intervention de l'hérédité... le caractère anormal des individus
qui deviendront schizophrènes penchent en faveur de cette hypothèse.
Mais ce que l'on considère comme une disposition anormale peut être
déjà la maladie même. Et lorsque nous demandons quels cerveaux in-
clinent à de telles maladies mentales, nous sommes en présence d'un
véritable tohu-bohu. On veut distinguer des cerveaux robustes et fra-
giles, des dégénérés et des non dégénérés, des psychopathes et des
normaux ; mais ce que l'un juge positivement un autre le jugera néga-
tivement. De pareilles conceptions aboutissent à des incohérences »
(p. 377). Telle est la condamnation formelle qu'il a prononcée lui-même
contre la théorie constitutionnaliste de la schizophrénie qu'il a par la
suite adoptée et que tant de psychiatres ont adoptée ou lui ont repro-
chée. En fait, l'ouvrage de 1911 forme un tout puissant et cohérent.
C'est à lui qu'il faut se référer, me semble-t-il, quand on veut parler
de la conception bleulérienne de la schizophrénie. Et c'est en nous y
référant que nous pouvons vraiment affirmer que la doctrine de Bleuler
est forcément organogénétiste. Ce n'est pas une raison parce qu'elle
est dynamiste, anti-mécaniciste, pour le contester. Son originalité et sa
fécondité résident précisément en ceci que pour la première fois elle
pose correctement non pas seulement dans le domaine de la schizo-
phrénie (dont la délimitation nosologique importe peu) mais de la psy-
chopathologie générale, le problème pathogénique essentiel. Nous
pouvons dire avec lui : une maladie organique est à la base du pro-
cessus morbide. Le processus morbide engendre directement des signes
primaires de déficit. La plupart des symptômes observés sont cepen-
dant des signes secondaires qui ne dépendent pas directement du pro-
cessus mais de l'activité psychique intacte, émancipée, non contrôlée,
sous-jacente. Voilà l'essentiel.

L'activité psychique sous-jacente — L'autisme

Si l'on analyse le tableau clinique de la masse des états groupés sous


le nom de schizophrénie, on se trouve donc en présence d'une pensée
morbide conditionnée par l'action du processus et des troubles pri-
maires qu'il engendre.
Cette pensée morbide se déploie en mouvements, attitudes, comporte-
ments, expressions émotionnelles, constellations affectives, idéation ex-
travagante, etc., qui constituent les symptômes les plus fréquents, les
plus pittoresques, les plus apparents de la maladie. Loin d'être des
mouvements et des pensées fortuits, sans signification et sans lien entre
eux, ce sont les expressions de ce qui reste de la personnalité décou-
ronnée, dégradée, plus ou moins diminuée de ses formes supérieures
d'organisation, de cohérence, et de discipline. Tel est le champ im-
mense qui se présente à l'investigation psychologique et que le génie
de Bleuler a exploré dans ses arcanes les plus obscures au cours de
son prodigieux travail. Renoncer à voir chez tel ou tel malade une
simple mosaïque de symptômes mécaniques, pénétrer dans la profon-
deur de leur vie pour déterminer les modalités de leur être psychique,
s'efforcer de trouver l'humain sous le pathologique, épier les mouve-
ments et comme les ombres de leur sensibilité, vivre l'étrange vie de
leur obscurcissement, de leur amoindrissement, participer avec eux au
travail bizarre par quoi ils s'assurent, en deçà de leur martyre, les
effroyables satisfactions de leur besoin de vivre, de leurs instincts de
conservation et de préservation, telle est la tâche magnifique à laquelle
ce grand médecin de la folie a consacré sa vie. On connaît les admi-
rables raisons de sa patience et de son action, et combien plus respec-
tables encore apparaissent, par elles, ses efforts, ses luttes.^ Nous
vivons, en psychiatrie, le regard fixé sur une sublime image d'Epinal,
le geste de Pinel délivrant les aliénés de leurs chaînes. Peut-être pou-
vons-nous lui en juxtaposer une autre, celle de Bleuler éclairant l'obs-
cure existence de ces êtres encore vivants quand ils paraissent déjà
morts. C'est d'un véritable assassinat nosographique qu'il les a délivrés.

Mais ce n'est pas seulement une leçon de déontologie que nous devons
tirer de l'enseignement de Bleuler, c'est avant tout un principe essentiel
de la psychopathologie générale : les maladies « mentales » ayant une
symptomatologie psychique, c'est du psychisme des malades que dé-
pend en grande partie l'élaboration, ce que nous appellerons la « part
positive » des symptômes. Cette « grande découverte » a l'air d'un
truisme. Mais pour qui sait, comme nous, après avoir étudié l'histoire
des idées en psychiatrie et le développement de ces étranges théories
classiques que sont les conceptions mécanicistes, ce retour au bon sens
et à la nature des choses constitue tout simplement une révolution !
En veut-on une preuve ?

Il n'est que de suivre attentivement les réactions qu'une telle affirma-


tion a provoquées : c'est de la psychologie - c'est de la psychogenèse -
c'est une théorie de la contingence du contenu des psychoses, etc.
Comme si la pathogénie des troubles mentaux ne comportait pas né-
cessairement essentiellement une participation active et formatrice du
psychisme. De deux choses l'une, ou l'on doit admettre cela et par
conséquent la conception de Bleuler, ou ne pas admettre la conception
de Bleuler et alors ne pas admettre cela. Ce « truisme » n'était donc
pas sans opportunité. Il est même, à mon avis, d'importance décisive
dans l'orientation contemporaine de la psychopathologie Cela vaut la
peine d'être étudié de près.

Nous avons déjà vu que la dislocation (,Spaltung) de la personnalité


était à la fois un effet direct des troubles primaires (troubles associatifs)
et l'effet cíe l'organisation affective des complexes plus ou moins
conscients. L'autisme est lui-même une conséquence pour ainsi dire
au second degré de la dislocation (Spaltung) : « Il n'y a plus de
contrainte logique, les complexes peuvent se satisfaire sans difficulté
comme cela est le cas pour le besoin commun à tous les hommes de
rechercher dans l'imagination un dédommagement de la médiocre réa-
lité. Pour si extravagantes qu'elles soient, les fantasmagories de l'ima-
gination n'entrent pas, dans l'esprit des malades, en conflit avec la
réalité dans la mesure même où elles sont d'accord avec leurs ten-
dances affectives. Dans les cas graves toute la réalité est "bloquée",
elle n'existe que pour des associations habituelles (manger, s'habiller).
La pensée autistique prend la valeur de la réalité » (p. 304). Les alté-
rations de la réalité, les erreurs des sens, les hallucinations ne sont
qu'un aspect de ce trouble. A l'égard des hallucinations Bleuler est
très net : « Aucun malade n'est aussi propre qu'un schizophrène à prou-
ver que l'essentiel dans le processus hallucinatoire réside dans l'organe
psychique parce que - mises à part beaucoup d'autres raisons — les
hallucinations expriment non pas un matériel sensoriel mais sa pensée,
les sentiments et les tendances » (p. 317). Les erreurs et les illusions
fie la mémoire procèdent du même mécanisme. La chose est de toute
évidence pour les délires. Ils expriment les désirs et les craintes latents
ou inconscients selon les mécanismes freudiens. « Généralement les
gens qui viennent dans le délire des malades sont des gens qui leur
portent ombrage. Les délires de meurtre ont une signification sexuelle.
Les désirs de jouissances, de fortune, de pouvoir se satisfont dans les
délires mégalomaniaques. Les idées de persécution expriment les obs-
tacles qui s'opposent à l'épanouissement des tendances. Les désirs se
réalisent avec une particulière facilité chez les "psychistes", "philo-
sophes", "poètes", "inventeurs" qui sont si loin de la réalité qu'ils ne
peuvent y trouver d'obstacles. Chez certains malades il n'y a pas de
différence entre le désir d'avoir et avoir. Quand les constructions dé-
lirantes sont très poussées, pures et achevées, il s'agit soit d'une dis-
sociation très avancée du réel, soil d'un trouble intellectuel très
marqué. Des aspirations de toutes sortes sont liées aux désirs sexuels.
Les délires de persécution et d'empoisonnement et tous les thèmes
délirants en général sont l'expression d'un symbolisme sexuel »
(p. 317-356). Le caractère symbolique de la pensée schizophrénique
autistique l'apparente naturellement au rêve : « C'est une apparence
qui n'est peut-être pas sans signification. 11 y a dans le rêve une dis-
location analogue : symbolisme, condensation, prédominance affective
de sentiments qui restent eux-mêmes cachés, hallucinations. L'analogie
devient complète lorsque les malades prennent leurs hallucinations oni-
riques pour de la réalité ou qu'ils constituent leur délire dans le rêve
et le gardent pendant la veille. Les pensées oniriques et autistiques
sont essentiellement identiques pour nos moyens d'investigation ac-
tuels. L'unique différence que j e vois réside dans la plus grande dis-
location de la personnalité. Le dormeur est dominé par un complexe
ou un système unique de complexes. Le schizophrène enregistre dou-
blement, dans le sens de son complexe et dans celui de la réalité. La
différence ne vise donc rien de fondamental. Malgré la genèse diffé-
rente et cette petite différence, il se pourrait que la symptomatologie
secondaire de la schizophrénie actuellement connue coïncide exacte-
ment avec celle du rêve » (p. 356). « Les troubles du langage, l'oubli
ou la perte des mots justes, des formes adéquates du langage, l'usage
des néologismes, les verbigérations, les troubles syntaxiques, en un
mot l'ensemble de l'incohérence verbale schizophrénique relève du
même processus autistique de détachement des valeurs de réalité et
s'intègre dans la pensée autistique » (p. 1 2 1 - 1 3 2 ) . Les troubles mo-
teurs, et notamment le syndrome catatonique, procèdent de la même
pathogénie. La catalepsie n'est pas une hypertonie musculaire. Ce que
l'on décrit sous ce nom, ce sont des phénomènes complexes à déter-
mination psychique totale ou prépondérante. L'influence psychique se
fait sentir jusque dans les cas très accusés (p. 151). La stupeur, les
hyperkinésies et surtout les stéréotypies, le maniérisme, le négativisme,
les actes automatiques ou impulsifs (p. 1 5 1 - 1 7 0 ) sont conditionnés en
partie par des facteurs psychologiques, en partie par des facteurs mo-
teurs (p. 358) et interprétés comme des manifestations de l'activité au-
tistique (p. 3 5 8 - 3 7 2 ) . En fin de compte, « la symptomatologie qui se
dresse devant nos yeux n'est probablement pas autre chose que l'ex-
pression d'une tenlative plus ou moins heureuse pour échapper à une
situation intolérable. Nous connaissons, mis à part le mécanisme hys-
térique, trois modalités de cette tentative :
- le malade rend la réalité inoffensive en ne la laissant pas parvenir
jusqu'à lui (autisme). Il l'ignore et se réfugie dans ses pensées. L'au-
tisme joue donc le même rôle que la claustration, la solitude pour
certains saints, le cabinet d'études pour maint intellectuel. La diffé-
rence entre malades et bien portants est seulement quantitative ;
- clans les cas d'asile ce moyen ne suffit pas. Les désirs sont considérés
comme réalisés, les obstacles sont considérés comme écartés. C'est un
remaniement de la réalité en même temps qu'un éloignement. Il se
forme un état crépusculaire cle la conscience qui ne peut d'ailleurs
être maintenu longtemps comme chez les poètes et les rêveurs ;
- les malades s'évadent dans la maladie. Cette fuite dans la maladie
saute aux yeux dans les bouffonneries du syndrome de Ganser et quel-
ques formes hypocondriaques. Mais extérieurement les mécanismes et
les conséquences de cette eudémonie affective sont recouverts eL ca-
ricaturés par les autres troubles, surtout l'incohérence de la pensée et
les symptômes accessoires » (p. 371-372).
Il est facile de voir, notamment dans le « coup d'œil d'ensemble » que
je viens de citer dans les dernières lignes précédentes, que Bleuler
s'est laissé entraîner lui-même par le mouvement propre de sa psycho-
pathologie. Considérant surtout la part psychique active dans le déter-
minisme des symptômes, il en est venu à envisager la maladie
elle-même comme l'expression d'une finalité profonde. Cette vue « psy-
chogénétiste » - la seule que beaucoup ont aperçue - est cependant,
ne l'oublions pas, nous, corrigée, tempérée par sa conception du pro-
cessus pathogénique organique qui conditionne la symptomatologie.
Certes, il y a ainsi dans sa théorie une ambiguïté, mais cette ambiguïté
vient de la nature des choses telle que nous la reflètent ses analyses.
Pour tout dire avec lui-même (congrès de Genève, 1926, p. 17) : « La
schizophrénie est une affection physiogène, c'est-à-dire à base organi-
que. Elle prend cependant une telle structure psychogène que la grande
majorité des symptômes manifestes de cette affection, comme les hallu-
cinations, les idées délirantes ainsi que toute la façon de se comporter
des malades, relèvent de facteurs et de mécanismes psychologiques. »
C'est à cette part psychique du mécanisme de la maladie que s'appli-
que la notion de finalité, de désir de s'éloigner de la réalité. Mais ce
désir n'est pas la cause, c'est déjà un effet de la maladie, c'est une
réaction contre le processus envahissant et destructeur.

Tous les travaux de Bleuler depuis 1911 n'ont rien apporté de bien
nouveau aux principes fondamentaux de sa psychopathologie. Tout ce
qu'il a écrit depuis est cependant un élargissement de sa conception
dans un sens biologique.
Tout d'abord, il a intégré les recherches de biotypologie et de carac-
térologie dues à Kretschmer dans sa propre théorie des schizophrènes.
Il a accepté de voir, avec toute la psychiatrie allemande, parmi les
« psychoses endogènes » un certain antagonisme entre deux types fon-
damentaux de réactions psychopathiques : les dispositions cyclothymi-
ques et les dispositions schizothymiques. Ainsi l'ensemble des troubles
qui constituent le fond sur lequel se déroule l'évolution des schizo-
phrénies représente des dispositions caractérielles qui soudent pour
ainsi dire la maladie à l'individualité somato-psychique du malade.
C'est dans ce sens que le concept de schizophrénie est devenu un
concept biologique, l'expression d'une certaine finalité de la sphère
des instincts, des tendances, des besoins, des propriétés génétiques de
l'être tout entier. Nous avons déjà eu l'occasion de parler de l'inclina-
tion toute naturelle qui a toujours porté les « psychostructuralistes »
vers la biotypologie, la caractérologie 5 . Nous avons, notamment, souli-
gné les principes de la méthode de Kurt Schneider, qui envisage les
personnalités psychopathiques sous un angle totalitaire en coulant les
réactions psychopathiques dans le moule des dispositions caracté-
rielles, constitutionnelles, héritées ou congénitales.
Mais l'esprit de Bleuler, toujours plus avide d'approfondir les rapports
somato-psychiques, s'est évertué de 1 9 2 0 à 1 9 3 9 à préciser la nature
de ces rapports. Son activité s'est trouvée ainsi dirigée vers la construc-
tion d'une psychobiologie dont nous avons déjà vu le reflet dans la
Medizinische Psychologie de Kretschmer. Lui-même donnait, si j'en
crois une lettre qu'il adressait à ce sujet en 1932, plus de prix à ces
études qu'à son fameux travail sur les schizophrénies. C'est qu'il avait
touché ainsi aux problèmes les plus difficiles de notre spécialité et
qu'il avait essayé de rencontrer les terribles apories du problème des
rapports du physique et du moral. Nous aurons l'occasion de revenir
plus loin sur ses ouvrages, et notamment sur le dernier. Mais, pour
l'instant, pour donner une idée de la psychopalhologie générale de
Bleuler, il nous suffira d'indiquer les thèmes essentiels de ses ré-
flexions sur ces questions ardues et essentielles.

Fout d'abord dans sa Naturgeschichte der Seele (dont la première édition


date de 1921 et la deuxième édition de 1932), il a voulu exposer les
principes d'une psychologie biologique. La thèse principale en est le
monisme psycho-physiologique à travers la théorie des « mnèmes » de
Hering et Semon. La fonction somato-psychique fondamentale est la
mémoire. Tout ce qui a été vécu est fixé sous forme d'engramme. L'en-
gramme (si analogue aux fameuses « traces » de la psychologie classi-
que) est une propriété physique du cerveau qui dure aussi longtemps
que lui. L'activité de l'engramme est à la base de toute opération psy-
chique, notamment de l'inconscient. L'ecphorie de l'engramme (qui
correspond sur le plan psychique à l'évocation du souvenir) est soumise
à la fois à des facteurs affectifs et à des facteurs physiques. Tout l'ap-
pareil psychique est basé sur cette fonction mnémonique. Il existe

5. L'appi ¡cation de ses premières études sur la pensée autistique des schizophrénies, Bleuler
l'a faite à la caractérologie et à la pensée normale dans son opuscule Das autistische undis-
ziplinierte Denken in der Medizin und seine Überwindung, 1 vol., 4 e éd., Berlin, Springer,
1927, 2 1 0 p.
d'abord une première élaboration du matériel formé par les en-
grammes : la sensibilité, la perception, les processus d'abstraction et
de représentation assurent cette élaboration dans les fonctions percep-
tives. La pensée, l'intelligence constituent encore des élaborations
d'engrammes. De même que la représentation n'est qu'une survivance
de perceptions, la pensée est une ecphorie de la survivance des per-
ceptions, des relations entre les choses. La forme principale d'activité
de la pensée est de type associatif. Tous les modes de pensée normale
se réduisent au jeu associatif. C'est celui-ci qui est troublé dans la
« pensée déréelle » (das dereistische Denken6). L'intelligence avec ses
catégories de causalité et ses normes temporo-spatiales relève encore
de la psychologie de l'engramme. Quant aux « ergies » psychiques et
notamment l'affectivité, elles se prêtent moins à une interprétation
« mnémiste », mais Bleuler les fait dériver du mécanisme spécifique,
des besoins, des tendances dynamiques de l'espèce et elles plongent
leurs racines profondes dans la substance physique du corps quelles
que soient leurs qualifications respectives. L'équilibre résultant du jeu
de toutes ces ergies est la volonté. Telle est la structure de l'appareil
psychique, émanation des forces matérielles de la substance vivante.
Dans une telle perspective moniste l'âme est une fonction du cerveau.
Il n'y a en effet aucune limite entre la psyché et l'activité nerveuse et
notamment les diverses fonctions du système nerveux central.

Certes une telle psychologie reste essentiellement atomiste, associa-


tionniste et, somme toute, assez peu intéressante. Aussi les critiques
n'ont-elles pas été ménagées. On connaît la sévère analyse que Jaspers
a faite de cet ouvrage. Mais le monisme bleulérien est cependant de
caractère nettement dynamiste et on peut dire à cet égard qu'il consiste
moins à réduire la psyché au cerveau qu'à faire pénétrer la psyché
dans l'organisation même du cerveau.

Son ouvrage Die Psychoïde als Prinzip der organischen Entwicklung


(1925) éclaire complètement ce point du vue. Cette étude du dévelop-
pement d'un principe psychique d'organisation est d'inspiration nette-
ment vitaliste. C'est d'ailleurs à Driesch qu'il a emprunté le terme,
sinon la notion7, qui s'apparente d'ailleurs avec les autres notions du

6. Concept qui est équivalent à pensée autistique. Il explique (p. 144 de la 2 e édition) que
le terme de pensée autistique ayant été si mal compris (notamment par Jaspers !) il préfère
lui substituer celui-ci...
7. Driesch, Philosophie der Organisation, 2 e éd., 1921. Ce qui sépare la notion de psychoïde
chez Driesch et chez Bleuler, c'est que pour celui-ci (p. 11) l'inconscient fait partie de la
psyché et non de la psychoïde.
« plan d'organisation », « d'entéléchie » et, plus généralement, de fi-
nalité. Tout se passe comme si la matière vivante, au contraire de la
matière inanimée, renfermait une finalité immanente d'organisation.

Cette finalité se déploie dans les lois de l'hérédité (gènes), dans l'ins-
tinct de formation et de construction du corps, dans la structuration
matérielle et l'évolution ontologique du système nerveux et de l'appa-
reil réflexe. C'est ce principe d'organisation que Bleuler appelle la
« psychoïde ». Il souligne spécialement les analogies qui existent entre
la psychoïde et la psyché. La psychoïde est un principe de choix et
d'intégration des fonctions et des parties isolées dans le tout, comme
la psyché se déploie en une série d'actes électifs et synthétiques d'in-
tégration. L'engramme est l'unité commune à l'une et à l'autre. Quant
à la constitution de cette psychoïde, elle est essentiellement fonction-
nelle. On la retrouve dans chaque partie du corps, dans chaque cellule.
C'est une sorte d'esprit de l'ensemble du corps (eine Art einheitlicher
Seele des ganzen Kôrpers, p. 141). On ne saurait cependant la considé-
rer comme une personnalité ni lui attribuer nettement une conscience,
mais elle possède déjà en germe la puissance d'unité et de conscience
qui se développeront dans la personnalité et la conscience de la psy-
ché, car elle possède la mémoire et l'engramme qui sont la condition
de l'une et de l'autre. Elle n'est ni quelque chose de corporel, ni sta-
tique, c'est un complexe fonctionnel de la matière vivante. Le groupe
des engrammes psychoïdes actifs accumule les fonctions d'excitation
actuelles en vue de l'action future, et ce jeu mnésique fondamental est
l'embryon de la psyché, de cette psyché humaine qui s'élèvera sur
l'obscur courant de la psychoïde. Telle est la conception dynamiste de
la vie organique par quoi Bleuler corrige son atomisme psychologique.
On comprend que, critiqué pour son atomisme et pour son vitalisme,
il ait éprouvé le besoin de préciser sa position à l'égard de ces pro-
blèmes biopsychologiques.

C'est ce qu'il a fait dans son livre Mechanismus, Vitcilismus, Mnesismus


(1931). Cet ouvrage est consacré en effet à l'examen des questions de
biologie générale envisagées, selon les conceptions, en « mécanisme »
et en « vitalisme ». Contre le mécanisme, Bleuler fait valoir tous les
arguments communs qui se ramènent en dernière analyse à l'impossi-
bilité d'attribuer au hasard la création, l'organisation, la durée et, pour
tout dire, la vie des organismes. L'idée d'une juxtaposition, d'une mo-
saïque d'éléments ne peut pas atteindre le fonctionnement du corps
agissant comme un tout. Quant au vitalisme, que Bleuler affecte de
définir pour mieux le critiquer, une conception du corps par l'intro-
duction d'un principe vital hétérogène à la matière vivante, il déclare
que le mnéinisme le rend inutile. En fait, c'est une théorie mnémiste
qui doit, selon lui, rendre compte des rapports de la psyché et du
soraa. Nous avons déjà vu comment la notion de psychoïde fait plonger
jusque dans les profondeurs de l'organisation végétative et réflexe les
racines de la psyché, comment c'est une propriété de la matière vivante
elle-même que de s'organiser selon un « plan », de se structurer en
vue d'une fin, et surtout d'accumuler dans chaque organisme, dans
chaque système fonctionnel, par la fonction du mnème, les événements
passés. Le développement de la psyché représente seulement un per-
fectionnement de cette propriété de la mémoire. Tout le système ergé-
tique de la psyché se déploie dans un système de forces qui prennent
des directions vitales sous forme d'attention, de complexes affectifs,
de choix volitionnels, comme dans la psychoïde les engrammes consti-
tuent les foyers de forces qui dirigent l'organisation anatomo-physiolo-
gique et l'édification de l'appareil réflexe.

** *

Tel est, fixé dans ses grands traits, le système bleulérien. On voit quel
hiatus sépare son étude psychopathologique proprement dite, celle des
états schizophréniques, et sa conception empruntée à Hering et à Semon,
sorte de compromis entre le mécanisme et le vitalisme dont ce dernier
sort vainqueur. Si nous avons désiré placer dans sa psychopathologie
générale cette partie importante de l'oeuvre de Bleuler - encore moins
connue en France que son ouvrage sur les schizophrénies - c'est qu'elle
est de nature à jeter un jour nouveau sur l'organo-dynamisme bleulé-
rien. La conception de Bleuler n'est pas, en effet, répétons-le, psycho-
dynamique. Cela n'a pas de sens dans un système psychobiologique
moniste comme le sien. Il faut regretter qu'il n'ait pas appliqué sa
conception à la pathologie mentale tout entière 8 , et qu'il n'ait pas eu
l'audace de nous présenter un système général de pathologie mentale
où il aurait pu faire la synthèse de ses travaux sur la schizophrénie et
de ses spéculations psychobiologiques. Mais ce travail qu'il n'a pas
fait, il ne serait peut-être pas difficile de le faire et de montrer comment,
pour lui, la décomposition schizophrénique de la pensée est insépara-

8. Son Lehrbuch dont nous n'avons guère parlé dans cet exposé, reste en effet très en deçà
de ses remarquables études sur les schizophrénies et n'utilise pour ainsi dire jamais sa
conception mnémiste des rapports du soma et de la psyché.
ble d'une atteinte de la structure organique de cette pensée. Mais il
est essentiel, dans une telle perspective, de souligner le caractère glo-
bal du trouble qui atteint le fondement même de toute la construction
psychique, de souligner aussi que la maladie, selon le vieux principe
hippocratique, dénature la totalité fonctionnelle tout en laissant sub-
sister, agir encore les forces vitales qui, pour avoir perdu leur direction,
n'en gardent pas moins leur activité. C'est dans une telle conception
que l'autisme schizophrénique de Bleuler prend sa véritable et féconde
signification. Ce n'est évidemment pas par hasard que nous terminons
l'exposé des tendances actuelles de la psychopathologie par la concep-
tion de Bleuler. Nous avons suivi dans cet exposé le chemin qui nous
a paru conduire du moins probable au plus probable, marquant ainsi
notre opposition aux théories mécanicistes et nos préférences, parmi
les doctrines anti-mécanicistes, pour les théories organo-dynamistes
contre les conceptions psychodynamistes. Avant d'aborder pour notre
propre compte l'élaboration d'une psychopathologie générale, l'exposé
de l'œuvre de Bleuler servira de modèle à notre entreprise. Sa position,
notamment devant le problème des rapports du physique et du moral,
deviendra la nôtre, telle qu'elle est impliquée d'ailleurs dans toute
conception biodynamiste. Si en effet le cartésianisme tel qu'il est géné-
ralement compris pose la séparation radicale de la pensée et de l'éten-
due, de l'âme et du corps et permet ainsi à beaucoup de spiritualistes
de se montrer résolument mécanicistes dans leur pathologie psychia-
trique et aux matérialistes de considérer le psychisme comme un épi-
phénomène, c'est le propre de toutes les conceptions anti-mécanicistes
de se donner l'âme et le corps dans une unité substantielle qui retire
au mécanicisme toute signification. Dans une doctrine moniste des rap-
ports de l'âme et du corps, comme l'a très bien vu Bleuler en penchant,
sous le couvert du « mnémisme », vers le vitalisme, il est essentiel de
considérer en effet le corps comme pénétré, vivifié, organisé, formé
par un principe vital de direction, celui-là même qui s'épanouit dans
la finalité de l'activité psychique. Cette position philosophique est la
seule qui permet l'établissement d'une psychopathologie qui ne se
heurte à chaque pas à la position des rapports du physique et du moral
sous la forme de l'alternative de « l'organique » ou du « psychique ».
L'organicisme de Bleuler est, à notre sens, le véritable, également éloi-
gné du mécanicisme et du psychogénisme pur. Nous tâcherons d'en
faire notre profit.
Glossaire
Glossaire

Ce glossaire rend compte des termes les plus fréquemment utilisés


pour traduire certains mots allemands, soit que le terme allemand n'ait
pas de correspondant usuel dans le vocabulaire psychiatrique français,
soit que le terme français usuel le plus proche ne semble pas rendre
compte correctement du terme allemand dans le contexte considéré.
En particulier, il faut tenir compte du fait qu'en l'absence de traduction
intégrale antérieure du texte de Bleuler, on risquerait d'avoir tendance
à utiliser un seul terme français pour rendre des mots allemands de
sens voisin mais comportant néanmoins des nuances particulières.
D'autre part, certains usages ont tendu à prévaloir à certaines époques,
certains termes en supplantant d'autres, parfois mal à propos à notre
avis.
Dans certaines traductions de textes allemands, un mot est traduit uni-
formément par le même mot français, quel que soit le contexte. Il ne
nous paraissait pas justifié de reprendre dans notre propre traduction
les usages (les abus ?) qui ont pu s'installer à partir de tels procédés.
Ce glossaire a donc pour but de fournir des éclaircissements sur les
choix qui ont été faits dans la présente traduction et de les justifier.

Ablenkbarkeit - Rendu par « aptilude à laisser détourner son attention », désigne la


capacité de porter son attention sur un nouveau thème à la suite d'une intervention
extérieure.
abspalten - Joint à l'idée de scission impliquée par la racine spalt- celle de séparation
de quelque chose, donc l'idée d'écarter par clivage. A été traduit soit par « écarter
par clivage », essentiellement quand ce qui est écarté est la réalité dans son en-
semble, soit simplement par « cliver ».
Abspaltung - Substantif correspondant à abspalten, a été traduit par « clivage ».
a b s p e r r e n - Verbe correspondant chez Bleuler à l'idée d'empêcher, de barrer l'accès
à la conscience d'un élément de réalité ou d'un processus psychique. Traduit tantôt
par « bloquer », tantôt par « interdire d'accès à la conscience ». Le participe ab-
gesperrt est traduit par « bloqué par un barrage ».
Amentia - Terme désignant des tableaux recoupant à peu près, mais pas exactement,
la confusion aiguë de Chaslin.
Anlage - C'est le terme qui correspond à la « constitution » physique ou psychique.
Il ne convient cependant de le traduire par ce mot que lorsqu'il s'agit manifestement
du patrimoine génétique ou de la constitution individuelle en tant qu'ensemble.
Dans les cas où il s'agit d'une prédisposition à un symptôme ou un comportement
spécifiques, il est préférable d'utiliser les autres termes possibles, comme tendance,
disposition ou prédisposition.
Anstalt - L'établissement, l'institution, terme correspondant historiquement à notre
« asile », et que nous traduisons par ce terme.
Parmi les composés, il faut distinguer:
- Irrenanstalt : littéralement « asile de fous », qui désigne l'institution asilaire sans
autre précision ;
- Heilanstalt : asile ou partie d'asile vouée aux soins plus actifs, à visée proprement
thérapeutique ; nous traduisons par « asile de soins actifs » ;
- Pflegeanstalt : asile ou partie d'asile vouée à la prise en charge et au nursing
des pathologies très chroniques ; nous traduisons par « asile de chroniques ».
Auffassung - Terme aux sens multiples, désignant aussi bien la compréhension, la
conception qu'on a de quelque chose, l'entendement, que l'intégration des percep-
tions, l'appréhension de la réalité, l'aperception.
- Auffassung der eigenen Persönlichkeit - Terme préféré par Bleuler à Selbstbewußt-
sein - « conscience de soi », terme usité notamment par l'École de Heidelberg -
c'est la perception, la compréhension qu'on a de sa propre personnalité.
A u f z ä h l u n g - Enumération d'objets ou de personnes qui ne sont pas forcément pré-
sents dans l'environnement actuel du malade (à la différence de la Benennung).
B e g e h r e n - La traduction par « désir » est légitime dans ce cas. Voir Wunsch.
b e n e n n e n - Désigner (en psychopathologie, itérativement) des choses ou des personnes
par leur nom. Traduit par « dénommer », pour distinguer du terme aufzählen, qui
ne désigne pas exactement la même chose : benennen consiste, pour un malade, à
dénommer des objets ou personnes qui se trouvent autour de lui, tandis que auf-
zählen s'emploie à propos de personnes ou d'objets qu'il cite sans que ceux-ci soient
forcément présents.
B e n e n n e n , B e n e n n u n g - En tant que symptôme, c'est la désignation itérative de
choses ou de personnes par leur nom. Nous avons traduit par « dénomination ».
B e n o m m e n h e i t - Ey traduit par « obtusion ». J'ai préféré « obnubilatoti », dans la
mesure où c'est le terme utilisé pour désigner les étals d'obnubilation organique
commune.
B e s o n n e n h e i t , besonnen - Traduit par « lucidité », « lucide ». Il ne s'agit naturelle-
ment pas de sens critique mais de lucidité de conscience, opposée aux différentes
altérations de la conscience : états crépusculaires, obnubilations, etc.
B e z i e h u n g s w a h n - Délire de relation, c'est-à-dire délire où le malade établit une
relation entre deux événements ou personnes qui n'ont objectivement aucun rapport.
Ces derniers temps, la traduction « délire de référence » a connu un certain succès.
Elle me paraît partiellement inappropriée. En effet, la « relation » établie par le
délirant de relation peut être soil une relation entre un événement extérieur et
lui-même - die (Eigen-)Beziehung, « la relation (à soi) » - cas où la traduction par
« référence » est le moins critiquable (tel événement extérieur est en relation avec
le malade, donc, peut-on dire en général, sinon toujours, fait référence à lui), soit
une relation entre deux événements extérieurs en fait indépendants (un rapport de
causalité est imaginé entre tel événement et tel autre), et dans ce dernier cas la
traduction de Beziehung par « référence » paraît pour le moins sujette à caution.
Dans le cas du délire sensitif de relation, il est vrai, la relation délirante qu'établit
le malade fait, le plus souvent. « référence à lui ». Dans le « délire primaire de
relation » des schizophrènes (Gruhle, Mayer-Gross), par contre, le terme est assez
souvent aussi utilisé pour désigner une relation entre deux événements totalement
extérieurs au malade : « que telle personne porte des vêtements jaunes annonce
que la guerre va éclater ». Sauf cas particulier, je traduirai donc systématiquement
Beziehungswahn par « délire de relation ».
- Par contre, on rencontre aussi dans le texte in Bezug auf, qui est traduit à bon
droit par « en référence à ».
doppelte B u c h f ü h r u n g - « Comptabilité double ». Terme désignant le phénomène qui
consiste en ce que les schizophrènes enregistrant parallèlement leur matériel déli-
rant et les événements réels.
doppelte Registrierung - « Enregistrement double ». Synonyme de doppelle Buchfüh-
rung.
Eigenbeziehung - La « relation à soi » délirante. Voir Beziehungswahn.
Einsicht - Littéralement « compréhension », « discernement », correspond générale-
ment à peu près à la « critique » des auteurs français encore qu'il arrive aussi à
Bleuler d'utiliser le mot Kritik. A généralement été traduit par « critique » ou par
« sens critique ».
E n t ä u ß e r u n g - Les deux sens indiqués dans les dictionnaires sont soit « renoncia-
tion », en langage choisi, soit « aliénation » (d'un bien), en langage juridique. Mani-
festement, Bleuler emploie ce terme dans un sens différent, dérivant directement
de la racine äussern, extérioriser, et du préfixe ent-, qui renforce l'idée de séparation.
La traduction correcte est donc manifestement soit « extériorisation », soit même
« passage à l'acte », selon le contexte.
E r f a h r u n g - « Expérience ». Lorsque ce terme désigne un événement, il s'agit toujours
d'un événement extérieur.
Erlebnis - « Le vécu », « l'expérience vécue ». L'accent est généralement mis ici plus
sur la façon dont le patient vit et ressent l'événement que sur les faits objectifs -
une expérience délirante ou hallucinatoire est considérée comme Erlebnis. Traduit
tantôt par « vécu », lorsqu'il ressort clairement du contexte que seul un vécu psy-
chique est en cause, tantôt par « événement vécu » lorsque le contexte implique
qu'il peut s'agir soit d'un vécu purement intérieur, soit d'un vécu directement en
rapport avec un événement extérieur.
Fesselung - Substantif dérivé de fesseln, au sens propre ligoter, c'est le (ait d'être
captivé, la fascination. Pour ne pas faire double emploi avec die Bannung, a été
traduit par assujettissement (à quelque chose).
Gedächtnisfälschung - Altération du souvenir avec remaniement allant dans le sens
des complexes. Traduit par « falsification mnésique ».
Gedächtnistäuschung - Traduit par « erreur mnésique », par parallélisme avec « er-
reur sensorielle ». Recouvre les illusions et les hallucinations mnésiques. Fa dis-
tinction entre les deux repose sur le caractère prégnant, à type « d'importunité
hallucinatoire », des secondes.
Gedankenentzug — Soustraction de la pensée.
G e d a n k e n l a u t w e r d e n - La traduction littérale utilisée ici est « sonorisation de la
pensée ». Ce terme correspond en fait à « l'écho de la pensée » de la littérature
française, mais la traduction littérale a été préférée dans la mesure où Bleuler
insiste d'emblée, dans le chapitre II de la première partie, sur le fait qu'il n'y a
pas là de redoublement, d'écho de la pensée, mais que la pensée devient simplement
audible.
I n h a l t - Le contenu, par opposition à la forme ou structure (Gestalt) ou à la fonction.
Dans le cas d'un délire, son contenu thématique. Traduit ici généralement par
« contenu », parfois par « thème » ou « thématique ».
K i n d e r k o m p l e x - Tel qu'en use Bleuler, ce terme ne saurait en aucun cas être traduit
par « complexe infantile ». Chaque fois qu'il est utilisé, le contexte indique fort
clairement qu'il s'agit du souhait d'avoir des enfants, ou d'hallucinations ou d'idées
délirantes selon lesquelles la patiente, ou éventuellement le patient a des enfants.
La traduction par « complexe des enfants », littérale, a été préférée à « complexe
puerpéral », dans la mesure où, en français, c e dernier terme évoque essentiellement
l'accouchement et la périnatalité.
S i n n e s t ä u s c h u n g - Littéralement : « l'illusion sensorielle », « l'erreur sensorielle ».
Terme désignant l'ensemble des troubles psychopathologiques de la perception, hal-
lucinations ou illusions. Parfois utilisé comme synonyme d'hallucinations, if est en
règle bien moins précis, englobant les hallucinations et les illusions. L'accent est
mis ici sur l'erreur dans la perception de la réalité, c'est pourquoi j'ai préféré
traduire par erreur sensorielle, d'autanl que les auteurs allemands utilisent par ail-
leurs couramment les termes Halluzination, réservé aux hallucinations vraies sine
materia, et Illusion, désignant la perception déformée d'un stimulus réel.
S p a l t u n g - La « schisis » schizophrénique. Traduit par « scission ».
S p e r r u n g — Le barrage.
S p r a c h v e r w i r r t h e i t - Littéralement : « confusion du langage ». La traduction usuelle
par « incohérence du langage » a été conservée ici.
Stillstand - Ce terme peut désigner soit la stabilisation du tableau clinique, soit la
suspension de l'évolutivité du processus organique causal supposé. Il a été traduit
par « suspension », excepté dans les cas où il désigne sans équivoque possible
l'interruption de l'évolution du processus organique.
S t r e b e n - L'aspiration à un but.
ü b e r t r a g e n - Transférer.
Ü b e r t r a g u n g - Le transfert (phénomène psychique).
U m s e t z u n g - La conversion (phénomène psychique).
u n t e r d r ü c k e n - « Réprimer », à la rigueur « refouler », mais le terme spécifique pour
refouler est verdrängen. Toutefois, Bleuler ne semble pas faire clairement la diffé-
rence entre Unterdrückung, répression consciente ou semi-consciente d'un affect ou
d'un souvenir, et Verdrängung, refoulement inconscient.
U n t e r d r ü c k u n g - La répression (d'un affect, etc.)
v e r b l ö d e n d e P s y c h o s e n - Psychoses déficitaires. Traduit par « psychoses d'abêtisse-
ment ». Voir Verblödung.
Verblödung - Le déficit - ou pseudo-déficit, selon Bleuler - au sens schizophrénique
du terme. Traduit par « abêtissement » : en effet, ce terme est beaucoup plus précis
que Defizit, qui peut s'appliquer à d'autres pathologies, tandis que Verblödung est
réservé de façon de plus en plus spécifique aux schizophrénies (et, dans la dernière
édition du Traité de Kraepelin, aux paraphrénies également).
Verblödungspsychose - Psychose déficitaire. Désigne spécifiquement la démence pré-
coce. Traduit par « psychose d'abêtissement ».
verdrängen - Refouler.
Verdrängung - Le refoulement. Voir Unterdrückung.
Verlegung - 1. Déplacement « géographique » d'un symptôme d'un point du corps à
un autre. - 2. Transfert d'un lieu dans un autre.
Verschiebung - Déplacement, dans le sens de déplacement de sens.
Verwirrung - La confusion.
Verwirrtheit - Synonyme de Verwirrung. Toutefois, Sprachverwirrtheit a été traduit, de
la façon la plus traditionnelle, par « incohérence du langage ».
Verworrenheit - Bleuler semble avoir réservé ce terme pour qualifier la pseudo-confu-
sion schizophren ¡que sans désorientation temporo-spatiale vraie. Traduit par « pseu-
do-confusion ».
Wahnsinn - C'est le délire hallucinatoire, c'est-à-dire un tableau où une production
délirante très active est au premier plan.
W a n d e r z u s t a n d - La traduction par « état déambulatoire » se justifie du fait qu'il
s'agit de déambulations ayant des causes et des motivations diverses, et qu'on ne
peut donc purement et simplement identifier aux « états dromomaniaques » de la
littérature française.
Wunsch - Généralement traduit par désir dans les traductions de Freud ou dans la
traduction abrégée de Bleuler par Henri Ey. J'ai préféré « souhait », comme les
auteurs de la traduction intégrale de Freud en cours , dans la mesure où le terme
allemand est souvent utilisé dans dçs contextes où le mot désir rend mal compte
de l'aspect de scénario imaginaire dont il s'agit.
Par contre « désir » convient pour des mots tels que Begierde, Begehren (désir im-
médiat de quelque chose), ou Gelüste (désir violent, convoitise).
Wirklichkeitsfälschung - Altération de la réalité.
Zerspaltung - Terme à peu près synonyme de Spaltung, avec néanmoins une idée
plus forte d'éclatement. Traduit par « fission ».

t. Collection des PUK, dirigée par J. Laplanche, A. Bourguignon et P. Colet.


Table des matières

Préface 9
Avant-propos 37

Introduction 39
Historique 39
L e nom de la maladie 43
La définition 45

P r e m i è r e partie - L a Symptomatologie 51
Introduction 53

Chapitre premier - Les symptômes fondamentaux 55

A. Les fonctions simples 55


I. Les fonctions simples altérées 55
a) Les associations 55
b) L'affectivité 8 5

c ) L'ambivalence 100
II. Les fonctions « intactes » 103
a) La sensation et la perception 104
b) L'orientation 106
c ) L a mémoire 107
d) La c o n s c i e n c e HO
e) La motricité I H

B. Les fonctions complexes H-


a) Le rapport à la réalité. L'autisme 112
b) L'attention H 7

c ) La volonté 110
d) La personnalité 121
e) La « d é m e n c e » schizophrénique 121
f) L'activité et le comportement 141

Chapitre I I - L e s s y m p t ô m e s a c c e s s o i r e s 147
a) Les erreurs sensorielles 147
b) Les idées délirantes 172
c) Les troubles accessoires de la mémoire 196
d) La personnalité 201
e) Langage et écriture 205
f) Les symptômes corporels 222
g) Les symptômes catatoniques 245
1. La catalepsie 245
2. La stupeur 249
3. L'hyperkinésie 250
4. Les stéréolypies 251
5. Les manières 256
6. Le négativisme 257
7. L'automatisme sur ordre et l'échopraxie 264
8. Les automatismes 266
9. L'impulsivité 272
h) Syndromes aigus 273
1. États mélancoliques 275
2. Étals maniaques 277
3. Etats catatoniques 279
4. Le délire hallucinatoire 283
5. Les étals crépusculaires 284
6. Obnubilation 289
7. Confusion. Incohérence 291
8. Accès de colère 292
9. Agitations anniversaires 293
10. La stupeur 293
11. Deliriums 293
12. États déambulatoires 294
13. Dipsomanie 294

Seconde partie - Les sous-groupes 295


Introduction 297
A. La paranoide 298
B . L a catatonie 302
C. L'hébéphrénie 304
D. Schizophrenia simplex 306
E . Groupes spéciaux 310
I. Périodiques 310
II. Groupes selon l'âge 311
III. Groupes étiologiques 313
IV. Groupes selon l'intensité des phénomènes pathologiques 314

Troisième partie - L'évolution 317


A. L'évolution dans le temps 319
B . Le début 325
C. L'issue 329
I. La mort 329
II. Degré de l'abêtissement. Possibilités de guérison 329
D. Les états terminaux 338

Quatrième partie - Combinaisons de la


schizophrénie avec d'autres psychoses 341
a) Idiotie 343
b) Psychoses organiques 343
c) Alcoolisme 345
d) Folie maniaco-dépressive 346
e) Epilepsie 346
1) Hystérie. Neurasthénie. Paranoïa 347
g) Deliriums fébriles 347

Cinquième partie - Le concept nosologique 349

Sixième partie - Le diagnostic 375


A. Généralités 37 1
B . L'importance des divers symptômes pour le diagnostic différentiel.... 381
C. Le diagnostic différentiel 388
a) Folie maniaco-dépressive 398
b) Psychoses organiques 396
c) Idioties
d) Paranoïa 401
e) Epilepsie 402
f) Psychoses alcooliques 404
g) Amenda, etc 406
h) Hystérie. Neurasthénie 407
i) Folie dégénérative 413
j) Psychose du Basedow 414
k) Simulation 414

Septième partie - L e pronostic 415

Huitième partie - F r é q u e n c e et diffusion 425

Neuvième partie - Les causes 429


A. Hérédité 431
B. Age 435
C. Prédispositions individuelles et causes déclenchantes 436

Dixième partie - L a théorie 443

Chapitre premier - La théorie des symptômes 445

A. Les symptômes primaires 447

B. Les symptômes secondaires 450


I. Les divers symptômes 450
II. La genèse des symptômes secondaires 452
a) Déroulement de la pensée. Scission 453
b) L'affectivité 462
c) L'autisme 472
d) L'ambivalence 474
e) La mémoire et l'orientation 476
f) La stupidité schizophrénique 478
g) Les altérations de la réalité 482
1. Les idées délirantes 483
2. Les erreurs sensorielles 488
3. Les erreurs mnésiques 491
4. Genèse du contenu des erreurs sur la réalité 491
h) Les symtômes catatoniques 547
1. Généralités 547
2. Stupeur 548
3. Le négativisme 548
4. Les symptômes moteurs 551
5. Complexes symptômaliques catatoniques : Automatismes 556
6. Manières. Stéréotypies 559
i) Points de vue généraux 566

Chapitre II - L a t h é o r i e de la maladie 569

A. La conception de la maladie 569


B. Le processus morbide 575

Onzième partie — La thérapie 579

Bibliographie 603

Henri Ey — La conception d'Eugen Bleuler 639

Glossaire 659
Fabrication

TRANSFAIRE S A
F - 0 4 2 5 0 T u r n e r s , 9 2 5 5 1 8 14

I m p r e s s i o n et f a ç o n n a g e : i m p r i m e r i e F r a n c e Q u e r c y , C a h o r s
D é p ô t légal 3 1 0 7 1 F F - o c t o b r e 1993
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