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DEMENTIA PRAECOX OU
GROUPE DES SCHIZOPHRÉNIES
Suivi de
Henri Ey
L A CONCEPTION D'EUGEN B L E U L E R
E . P . Ei . T i.
G. R. E. C.
© E . P . E . L . , 29, rue Madame, 75006 Paris
I S B N : 2-908855-11-9
© G . R . E . C . , 12, rue Fanny, 92110 Clichy
I S B N : 2-907789-06-6
Distribution Distique
Dépôt légal 31 071 FF, octobre 1993
DEMENTIA PRAECOX
OU
G R O U P E DES S C H I Z O P H R É N I E S
Aux éditions E . P . E . L .
Marguerite, ou VAimée de Lacan
Jean ALLOUCH
L'incomplétude du symbolique
De René Descartes à Jacques Lacan
Guy LE GAUFEY
La main du prince
Michele B E N V E N G A , Tomaso COSTO,
préface de S . S . N I G R O ,
traduction de M. B L A N C - S A N C H E Z
La folie Wittgenstein
Françoise DAVOINE
La folie héréditaire
Ian DOWBIGGIN
Aux éditions du G . R . E . C .
Le délire des persécutions
L E G R A N D DU S A U L L E
DEMENTIA PR/ECOX OU
GROUPE DES SCHIZOPHRÉNIES
Suivi de
Henri Ey
LA CONCEPTION D'EUGEN B L E U L E R
E.P.E.L.
G. R. E. C.
HANDBÜCH DER PSYCHIATRIE.
UNTER MITWIRKUNG VON
HERAUSGEGEBEN VON
SPEZIELLER TEIL.
4. ABTEILUNG, 1. HÄLFTE.
PROFESSOR E. B L E U L E R .
FRANZ DEUTICKE.
1911.
Préface
Bleuler,
e n t r e psychiatrie
et psychanalyse ?
B. RANCHER, J.-P. R O N D E P I E R R E ,
A. VIALLARD, G. ZIMRA
1. Henri Ey avait réalisé en 1926 une traduction abrégée de 130 pages dactylographiées, qui
a été rediffusée sous forme de polycopiés en 1964 par le Cercle d'Etudes Psychiatriques, sous
le titre Dementia praecox oder Gruppe der Schizophrenien, suivie de « La conception d'Eugen
Bleuler » et « Des principes de Hughlinghs Jackson à la Psychopathologie d'Eugen Bleuler ».
Bleuler dans l'histoire
de la classification psychiatrique
Avant Kraepelin :
de la psychose unique à la « méthode clinique »
Les années K r a e p e l i n
C'est sans doute après son arrivée à Heidelberg que Kraepelin se fa-
miliarise avec l'hébéphrénie de Hecker-Kahlbaum. Son approche des
syndromes qui seront englobés dans la future démence précoce se cen-
trera essentiellement, au moins dans un premier temps, sur l'aspect
déficitaire. Le groupe précurseur de la démence précoce, celui des
« processus psychiques de dégénérescence 4 », apparaît dès la qua-
trième édition du Traité (1893). Kraepelin y distingue la démence pré-
cocecorrespondant à peu près à l'hébéphrénie de Hecker, la
catatonie, qui ne garde de la catatonie de Kahlbaum que les cas à
évolut ion déficitaire, et la démence paranoïde, formée de cas précé-
demment rangés clans la paranoïa et dont Kraepelin insiste sur l'évo-
lution étonnamment rapide vers le déficit.
C'est dans la septième édition (tome II, 1904) que la démence précoce
kraepelinienne connaît sa plus grande extension. Elle reste divisée en
trois groupes : formes hébéphréniques, formes catatoniques, formes pa-
ranoïdes. Si l'on se penche sur les symptômes principaux que décrit
Kraepelin, on trouve essentiellement la dissociation, qui va « d'une dis-
traction et d'une versatilité exagérée de la pensée » à « une incohé-
rence du langage avec néologismes, appauvrissement de la pensée et
stéréotypies ». Le jugement des malades est « gravement perturbé dès
qu'ils sortent des sentiers battus ». Les idées délirantes et les halluci-
nations, quasi constantes pour Kraepelin, témoignent rapidement de la
même dissociation que la pensée en général. Le déficit affectif, Y abê-
tissement affectif, est un signe capital et absolument constant. La vo-
lonté est perturbée par des « barrages » faisant que toute incitation à
un acte volontaire est contrariée par une autre, de sens inverse et plus
forte, ou par des « impulsions transverses » aboutissant à un autre acte,
sans rapport avec celui projeté, d'où les troubles du comportement et
de l'activité portant la marque du négativisme et de l'automatisme.
6. Zerfahrenheit ou Dissoziation, qui seront utilisés comme synonymes pour désigner ce trouble.
7. Voir Ian Dowbiggin, La folie héréditaire, Paris, EPEL, 1993.
Dans l'ensemble, tous les symptômes portent le sceau de la perte de
l'unité intérieure (terme emprunté à E. Stransky par Kraepelin) des
prestations intellectuelles, affectives et volontaires. La perte de son
libre-arbitre parvient souvent à la conscience du malade sous la forme
d'un vécu d'influence.
Bleuler
ou la négation de la nosographie kraepelinienne ?
10. Idem. Jung reprendra cette hypothèse à son compte « L'idée m'est tout à fait sympathique
qu'il y a peut-être une sécrétion "interne" qui cause les troubles, et que ce sont peut-être
les glandes sexuelles qui sont productrices des toxines », Correspondance Freud-Jung, voir
plus loin, lettre 12 J du 8 janvier 1907.
psychoses, voire de la pathologie mentale déclarée, par le biais des
notions de schizophrénie latente, schizophrénie asymptomatique dans
laquelle « seule une observation patiente et prolongée peut déceler
quelques défauts de la pensée » : « De tels malades légèrement atteints
sont considérés comme des nerveux de tout type, comme des dégénérés,
etc. 11 », et, surtout, de schizophrénie simple.
2 2 . L'analogie entre rêve et autisme est soutenue tant par Bleuler que par Jung.
2 3 . « L'autisme est à peu près ce que Freud nomme auto-érotisme ». Voir Bleuler E., De-
mentia praecox, note p. 112.
Bleuler, F r e u d , J u n g , A b r a h a m
Les années 1 9 0 0 - 1 9 1 0
Carl-Gustav Jung
Dans une première lettre, Freud remercie Jung de l'envoi de ses études
diagnostiques d'association 2 '. Il y trouve, non sans satisfaction, une
confirmation scientifique à son hypothèse du déterminisme psychique.
Freud fera allusion aux travaux de Jung pour la première fois en public
deux mois après, dans une conférence destinée à des juristes et inti-
24. Sir Francis Galton ( 1 8 2 2 - 1 9 1 1 ) , cousin de Darwin, fut également un des pionniers de
l'eugénisme.
25. Ellenberger H.-F., A la découverte de l'inconscient, SIMEP, p. 6 5 5 - 6 5 6 .
26. Alexander F., Selesnick S. T., Freud-Bleuler Correspondence, Los Angeles, Archives of
psychiatry, January 1965.
27. Correspondance Freud-Jung, lettre 1 F, 11 avril 1906, Gallimard, 1992.
tulée « La psychanalyse et l'établissement des faits en matière judi-
ciaire 2 8 ».
A la même époque, Jung publie sa Psychologie de la démence précoce
(1906) . Etre honnête avec Freud, déclare-t-il dans la préface de cet
2 9
2 8 . Freud S., « L'établissement des faits par voie diagnostique et la psychanalyse », in L'in-
quiétante étrangeté et autres essais, Paris, N R F Gallimard, 1 9 8 5 .
29. Jung C.-G., "Psychology of dementia praecox", in The psychogenesis of mental disease,
Londres, Routledge, 1 9 8 1 , p. 4.
3 0 . Certains auteurs avancèrent l'hypothèse d'une hystérie dégénérative.
3 1 . Jung C.-J., "Psychology of dementia praecox", op. cit., p. 3 6 - 3 7 , paragraphes 7 5 - 7 6 .
3 2 . Correspondance Freud-Jung, op. cit., lettre 11 F, 1 janvier 1 9 0 7 .
livrent ces complexes sans résistance et qu'ils ne sont pas accessibles
au transfert 33 . »
Ainsi, quelques semaines plus tard, Freud adresse-t-il à Jung un ex-
posé précis et détaillé de ses conceptions métapsychologiques sur la
paranoïa. Sa spéculation aurait pour ambition de rendre compte d'un
point clinique précis : qu'en est-il de cette projection spécifique à la
paranoïa, selon laquelle un fantasme de désir refusé à l'intérieur ré-
apparaît à l'extérieur sur le mode hallucinatoire, investi de l'affect
contraire ? Il nous faut supposer, dit Freud, au premier temps, un re-
foulement particulier par lequel l'investissement libidinal est retiré au
représentant mnésique de l'objet de la pulsion (retrait de l'amour d'ob-
jet), laquelle retourne au stade auto-érotique, c'est-à-dire anobjectal.
Dès lors la représentation désinvestie peut régresser à l'extrémité per-
ceptive : « Ce que la représentation d'objet a perdu en investissement
lui est tout d'abord restitué sous forme de croyance 34 . » Tel est le retour
par projection, alors que la libido devenue libre investit désormais le
moi, d'où la mégalomanie.
Eugen Bleuler
Karl Abraham
Son écrit princeps sur la démence précoce est de 1908, mais il est
précédé de deux autres publications de moindre importance datées de
1907 : « Significations des traumatismes sexuels juvéniles dans la symp-
tomatologie de la démence précoce » et « Les traumatismes sexuels
comme forme d'activité sexuelle infantile ». Nous faisons l'hypothèse
que ces trois textes appartiennent à une même série. De nombreux
extraits de la correspondance avec Freud en confirment la cohésion.
Le premier écrit prend la forme d'un manifeste en faveur de la doctrine
freudienne. L'auteur tient pour acquis que les théories sexuelles de
Freud seraient à même de rendre compte de la clinique de la démence
précoce comme elles le sont pour l'hystérie. Il y ai analogie entre dé-
mence précoce et hystérie quant au contenu des symptômes. Les événe-
ments de type sexuel, Ííaumatisme réel ou impression moins violente, ne
sont pas à l'origine de la maladie, ne sont pas cause jde l'apparition des
idées délirantes et des hallucinations mais leur fournissent un contenu
individuel. Il faut donc supposer une prédisposition individuelle spé-
cifique, primaire, qui consisterait en une apparition prématurée de la
libido, ou bien en une imagination accrue préoccupée par la sexualité 43 .
Thèse constitutionnaliste, donc : la spécificité de la démence précoce
tiendrait à une anomalie prédisposante de la sexualité infantile.
Les années 1 9 1 0 - 1 9 1 3
Freud, d'autre part, s'appuie sur le cas Schreber pour distinguer dé-
mence précoce et paranoïa. S'il est vrai que, dans les deux affections,
on assiste au « détachement de la libido du monde extérieur et à sa
régression vers le moi », certains caractères différentiels seraient à pré-
ciser. La paranoïa irait vers la « reconstruction », alors que dans la
démence précoce « la régression ne se contente pas d'atteindre le stade
du narcissisme (qui se manifeste dans le délire des grandeurs), elle va
jusqu'à l'abandon complet de l'amour objectai et au retour à l'auto-
érotisme infantile 56 ». La fixation prédisposante serait donc, en ce qui
concerne la démence précoce, plus en arrière que celle de la paranoïa,
quelque part au début de l'évolution primitive qui va de l'auto-érotisme
à l'amour objectai. Il s'ensuit que les symptômes paranoïaques peuvent
évoluer jusqu'à la démence précoce, ou bien que les phénomènes pa-
ranoïaques et schizophréniques peuvent se combiner « dans toutes les
proportions possibles », jusqu'à constituer un tableau tel que celui de
Schreber, qui mérite le nom de « démence paranoïde 57 ».
1 9 1 3 - 1 9 1 5 : la rupture
64. Freud S., « Pour introduire le narcissisme », in La vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, p. 82, 88.
6 5 . Freud S., « L'inconscient », 1 9 1 5 , in Das Unbewußte, supplément à L'Unebévue n° 1, Pa-
ris, E P E L , 1 9 9 2 .
attitude que nous pouvons nommer narcissisme ». Dans la paraphrénie
ou la paranoïa, la libido qui s'est retirée des objets investit le moi
(d'où délire des grandeurs), mais elle ne parvient plus à retrouver le
chemin qui conduit aux objets et c'est cette diminution de la mobilité
de la libido qui devient pathogène. Ce processus serait, selon Freud,
à rapprocher du refoulement. Dans sa phase finale, la démence précoce
retourne au narcissisme primaire et les points de fixation des névroses
narcissiques « correspondent à des phases de développement beaucoup
plus précoces que dans l'hystérie ou la névrose obsessionnelle ». Tou-
tefois, les symptômes de la démence précoce ne sont pas seulement
liés au détachement de la libido des objets mais aussi aux efforts de
celle-ci pour les réinvestir, ce qui correspondrait à une tentative de
guérison. Ainsi, cette distinction « de la libido du moi a permis d'é-
tendre aux névroses narcissiques les données que nous avait fournies
l'étude des névroses de transfert 66 ». Sur cette tentative de réinvestis-
sement de l'objet, Freud apporte quelques « éclaircissements ». Il op-
pose les névroses de transfert aux névroses narcissiques. Dans les
premières il y a séparation des représentations de choses et des repré-
sentations de mots. Dans les secondes, il y a retrait de la libido des
représentations de choses inconscientes, ce qui est un trouble bien
plus profond. « C'est pourquoi la démence précoce commence par
transformer le langage et traite dans l'ensemble les représentations de
mots de la même manière que l'hystérie traite les représentations de
choses, c'est-à-dire qu'elle leur fait subir le processus primaire avec
condensation, déplacement et décharge, etc. 67 »
6 8 . Freud relève que « dans la schizophrénie les mots sont soumis au même procès qui
fabrique des images du rêve, procès que nous avons appelé processus psychique primaire.
Ils sont condensés et transforment leurs investissements sans reste les uns aux autres par
déplacement. Ce procès peut aller si loin qu'un seul mot qui y est apte par de multiples
relations se charge de tenir lieu de toute une chaîne de pensées ».
6 9 . Freud S., « L'inconscient », in Supplément à l'Unebévue, p. 35, 3 6 , 37, 3 9 , 4 1 .
3. Freud propose bien un modèle métapsychologique qui rendrait
compte d'un placement libidinal particulier à la schizophrénie.
Le texte n'aurait-il pas valeur de réplique à Dementia praecox ou
groupe des schizophrénies, où Bleuler retrouve, dans le langage des schi-
zophrènes, des mécanismes que Freud a découverts par la psychana-
lyse, ce qui l'amène à mettre en parallèle l'autisme et le rêve, que
Freud, pour sa part, distingue 70 ?
Bleuler, rappelons-le, prétend repérer dans les troubles du langage des
schizophrènes la marque d'un phénomène bien particulier, la tendance
primaire au relâchement des associations, effet direct du processus or-
ganique, de sorte que la pensée autistique en tant qu'elle est dominée
par les complexes chargés d'affect prend le pas sur une pensée logique,
c'est-à-dire empirique. Néanmoins, pour lui, la plupart des néoforma-
tions verbales des patients ont une signification, ce qui le démarque
radicalement d'un Hecker 71 ou d'un Kahlbaum' 2 , qui faisaient du lan-
gage « insensé » de leurs hébéphrènes ou de leurs catatoniques l'ex-
pression directe d'une altération organique 73 . Critiquant la conception
de Richard von Krafft-Ebing (1840-1902), il affirme : « Chez nos ma-
lades, les mots étranges ne sont absolument pas des enveloppes vides,
mais des enveloppes qui recèlent un contenu différent du contenu ha-
bituel ». Les troubles du langage sont à référer aussi à la signification,
ou plus précisément aux altérations de celle-ci. La valeur que Bleuler
accorde aux associations dépend de l'emprise respective de la logique
et des affects : seraient de peu de valeur les associations dictées par
les complexes affectifs, et où l'on retrouve l'empreinte des altérations
des concepts. C'est ainsi que le concept de Zielvorstellung serait à
entendre comme idée directrice, une association « superficielle » en
traduisant la défaillance. Pour Freud, au contraire, une association
« choquante et superficielle », comme il l'exprime dans la Traumdeu-
tung, est l'effet du travail de la censure.
70. Freud proposera un repérage métapsychologique précis qui permette de distinguer l'au-
tisme du rêve dans Compléments métapsychologiques à la doctrine du rêve.
71. Hecker E., « L'hébéphrénie », in L'évolution psychiatrique, tome 50, 2, Toulouse, Privât,
1985, p. 3 3 3 - 3 3 4 .
72. Kahlbaum K., « La catatonie », in L'évolution psychiatrique, tome 52, 2, Toulouse, Privât,
1987, p. 3 8 2 - 3 8 5 .
73. Ainsi Kahlbaum écrivait-il dans La catatonie : « La logorrhée et la verbigération de-
vraient alors être comparés au spasme clonique, et le mutisme au spasme tonique. »
fall). Il emploie le terme de Zielvorstellung pour qualifier des représen-
tations tant inconscientes (représentation de but ou représentation-but)
que préconscientes ou conscientes (représentation du but), le cours de
pensées n'étant jamais indéterminé, que la finalité y soit manifeste ou
non. Par contre, chez Bleuler, la Zielvorstellung semble être purement
préconsciente ou consciente (représentation du but), si bien que, quand
elle disparaît, de l'indéterminé peut apparaître dans la psyché.
On conçoit que l'hypothèse bleulérienne du trouble organique primaire
ait fait fonction d'enjeu dans la confrontation théorique des deux au-
teurs' 1 . On sait, aussi bien, que Freud n'a pas accepté le concept de
schizophrénie sans une extrême réticence. La critique la plus aiguë
qu'il en fait se trouve dans l'écrit sur Schreber : « Le terme de schi-
zophrénie ne nous paraît bon qu'aussi longtemps que nous oublions
son sens littéral' ". » Freud ne se départira pas de son point de vue :
sans méconnaître l'apport des Zurichois sur la question de la démence
précoce, il estime que ceux-ci auraient échoué à décrire un mécanisme
qui fût spécifique de la psychose 76 .
74. Voir Correspondance Freud-Jung, op. cit., Introduction à la psychanalyse, op. cit., et
« Contribution à l'histoire du mouvement psychanalytique », in Cinq leçons sur la psycha-
nalyse, Paris, Payot, 1 9 8 1 .
75. Freud S., Cinq psychanalyses, op. cit., p. 3 1 9 .
76. Cf. Pour introduire le narcissisme, op. cit., « Contribution à l'histoire du mouvement
psychanalytique », in op. cit., et Ma vie et la psychanalyse, Paris, Gallimard.
77. Roazen P., La saga freudienne, Paris, PUF, 1 9 8 6 , p. 2 2 1 .
quant à lui, se dira toujours « immensément plus proche [des] concepts
[de Freud] que de ceux de Jung 78 ». Sans aucun doute, et malgré les
divergences et les malentendus, il n'est pas si étonnant qu'il se soit
mieux accommodé des idées de Freud, dans les théories duquel il re-
connaît un savoir scientifique parmi d'autres, que de celles de Jung.
Il n'en reste pas moins que, dans sa théorie, la pertinence de la psy-
chanalyse se borne au champ des symptômes secondaires, cette sorte
de superstructure qui recouvre l'essence véritable de la schizophrénie,
le processus organique X. En 1911, Bleuler exprime cependant ses
espoirs quant aux possibilités thérapeutiques offertes par la psychana-
lyse, tout en avançant déjà que le négativisme des malades constituerait
dans de nombreux cas une entrave à la psychothérapie des schizo-
phrènes. Quinze ans plus tard, en 1926 / 9 , il ancre de nouveau, et dé-
finitivement, la schizophrénie dans le seul champ de l'organicité 80 :
non seulement la schizophrénie relève d'un processus cérébral anato-
mique, comme il l'a toujours dit, mais il ne place plus aucun espoir
dans la psychanalyse et considère dorénavant cette « maladie » comme
ayant un pronostic foncièrement mauvais.
Conformément à cet étal de fait, les divers thèmes ont dû être traités
inégalement. Ce qui est, en principe, compréhensible à tout psychiatre
devrait pouvoir être simplement présenté, tandis que des choses moins
connues nécessitent, quant à elles, une introduction, une explication
et une confirmation par des exemples. J e n'ai eu d'autre choix que de
sacrifier les buts esthétiques aux buts pratiques. - Des redites ne peu-
vent non plus être évitées, car la complexité de l'esprit place les mêmes
processus dans les contextes les plus divers.
Toute l'idée de la démence précoce vient de Kraepelin ; c'est aussi presque
uniquement à lui qu'on doit la classification et la mise en relief des
divers symptômes. Il serait trop fastidieux de souligner spécialement
ses mérites à chaque fois. Cette remarque devrait suffire une fois pour
toutes. Une part importante de la tentative d'approfondir plus avant la
pathologie n'est rien d'autre que l'application à la démence précoce des
idées de Freud. J e pense que tout ce que nous devons à cet auteur
sera d'emblée évident à chaque lecteur, même si j e ne cite pas son
nom partout. Je dois en outre remercier mes collaborateurs du Bur-
gholzli, dont, pour ne citer qu'eux, Riklin, Abraham, et surtout Jung.
Il n'est pas possible d'individualiser tout ce qui revient à tel ou tel
d'entre nous en fait d'observations ou d'idées.
Citer intégralement la littérature serait sans valeur et, en même temps,
impossible, car il faudrait mentionner une grande partie de la littéra-
ture psychiatrique puisque, par exemple, presque tous les travaux sys-
tématiques touchent à ce que l'on peut à présent appeler le problème
de la démence précoce. Seules les publications relativement récentes
ont une certaine valeur1 ; même parmi celles-ci, beaucoup ne sont in-
téressantes que dans la mesure où elles montrent comment l'on peut
concevoir de façon erronée un si beau concept. Dans le cas des travaux
moins accessibles aux Allemands, j'ai cité de surcroît, la plupart du
temps, une référence plus commodément accessible, même quand j e
connais l'original. Mais j'ai généralement jugé inutile de lire dans le
texte original des choses insignifiantes.
Je considère comme une absence d'égards vis-à-vis du lecteur d'établir
des priorités en des matières relativement peu importantes. C'est en
fonction de cela que j'ai agi.
Ce travail a été achevé à l'été 1908 ; mais des publications postérieures
ont donné lieu à des ajouts et à des modifications.
Les nombres entre parenthèses se réfèrent aux numéros de l'index
bibliographique.
Historique
Il s'est avéré en outre que toutes les formes d'abêtissement qui sur-
viennent de façon plus ou moins insidieuse, sans stade aigu, ont aussi
les mêmes symptômes et ne peuvent à aucun moment être distinguées
des formes « secondaires ». On devrait donc classer ici aussi ces ma-
ladies, qui avaient été répertoriées sous des noms divers, tels que « stu-
pidité primaire », « paranoïa abêtissante ».
En 1863 il a attiré l'attention sur des états comme la catatonie, dans sa Classi-
fication des maladies psychiques1, mais ce n'est qu'au cours des années sui-
vantes qu'il a décrit cette maladie sous ce nom avec plus de précision, et en
1874 qu'il l'a enfin fixée dans une monographie. Selon lui, la catatonie passe,
(sur le modèle de sa vesania typica) par les stades de mélancolie, de manie, de
stupescence, de confusion et enfin de démence. Mais chacun de ces états pouvait
faire défaut, et la maladie pouvait guérir à chacun d'entre eux (à l'exception du
dernier). Elle se caractérisait en outre, à peu près comme la paralysie générale,
2. Ou héboïdophrénie (NDT).
tandis que les apparences sont relativement préservées et que le processus
s'arrête rapidement. Ce n'est que trois ans plus tard qu'il réunit sous le nom
de démence précoce l'ensemble du groupe des abêtissements. La catatonie
conserva à peu près son étendue ; ce qui avait précédemment été dénommé
démence précoce se trouva alors en majeure partie qualifié d'hébéphrénie,
tandis que - et c'est le pas le plus important - même les formes antérieure-
ment appelées Paranoia hallucinatoria ou phantastica étaient incluses dans
le concept sous le nom de formes paranoïdes de la démence précoce.
L e n o m de la m a l a d i e
C'est encore bien pis pour l'expression « démence précoce ». Sans doute
n'est-il nul psychiatre qui n'ait déjà entendu dire souvent que de nombreuses
catatonies et d'autres cas qui devraient être rangés dans la démence précoce
de Kraepelin ne sont pourtant pas abêtis ; on en déduit que la conception
entière serait erronée. De même croit-on s'être débarrassé du problème en
prouvant que quelqu'un s'est abêti non pas précocement mais à un âge rela-
tivement avancé, ou bien l'on identifie le concept de démence précoce à celui
de folie juvénile et l'on a alors beau jeu de prouver qu'il existe différentes
affections de la puberté, et donc qu'il serait erroné de les rassembler en un
seul et même concept. C'est en Angleterre que c'est le pis, où, pour autant
que je suis au courant des discussions, la grande majorité des psychiatres se
cramponnent purement et simplement au terme de démence précoce et ne
connaissent même pas le concept, ou l'ignorent.
Aussi ne restait-il pas d'autre choix que de désigner ici cette maladie d'un nom
qui prête moins à confusion. Je sais les faiblesses de l'expression proposée, mais
j e n'en connais pas de meilleure, et en trouver une tout à fait bonne pour un
concept qui est encore en mutation ne me paraît absolument pas possible. J'ap-
pelle la démence précoce schizophrénie parce que, comme j'espère le montrer,
la scission des fonctions psychiques les plus diverses est l'un de ses caractères
les plus importants. Pour des raisons de commodité, j'emploie ce mot au singulier,
bien que ce groupe comprenne vraisemblablement plusieurs maladies.
^ ^ ^
4. C'est pourquoi nous ne pouvons, ne serait-ce que pour cette raison, reprendre des ap-
pellations telles que « démence primitive » (Italiens, Sommer), « dementia simplex » (Rie-
ger), « dementia apperceptiva » (Weygandt). J e me méfierais aussi de la « paradementia »
de Brugia (NDA).
ajoute le fait que le concept de séjonction, chez Wernicke, n'est pas tout à
fait défini dans le sens où il devrait l'être pour désigner correctement cette
maladie, et qu'il est envisagé dans un sens beaucoup plus imprécis par d'au-
tres auteurs (Gross, justement, et après lui Weber, 798, p. 922), si bien que
la porte serait de nouveau grande ouverte à d'autres discussions infécondes.
Paris a proposé la dénomination de « psychose catatonique dégénérative 5 ».
Comme il nous faut rejeter le concept de dégénérescence dans ce contexte,
et que les symptômes catatoniques ne sont pas essentiels, nous ne pouvons
non plus accepter ce terme. Le nom de « dementia paratonica progressiva »
ou « paratonia progressiva », préconisé par Bernstein, et « l'amblythymia »
ou « amblynoia simplex et catatonica » d'Evensen (211) nous paraissent aussi
trop étroits. « Adolescent insanity » (Conaghey) et « folie juvénile » sont na-
turellement inadéquats sous tous rapports. — Wolff a récemment proposé
« dysphrénie ». Mais ce terme a déjà été utilisé dans un autre sens, il est si
aisé à comprendre et sa signification est si large que la tentation de lui
attribuer indûment un sens impropre est trop grande.
L a définition
Dans les cas les plus graves, on ne perçoit même plus de manifestations
d'ajfect. Dans les cas relativement légers, on note seulement que les
degrés d'intensité des réactions affectives à divers événements ne sont
pas dans un rapport mutuel adéquat ; ainsi l'intensité peut-elle aller de
l'absence totale d'expression d'affect dans le cas de l'un des complexes
idéiques jusqu'à une réaction affective exagérée dans le cas d'un autre
de ces complexes. Les affects peuvent aussi paraître qualitativement
anormaux, c'est-à-dire être inadéquats aux processus intellectuels.
L a Symptomatologie
Introduction
Les symptômes
fondamentaux
Les symptômes fondamentaux sont constitués par le trouble schizophré-
nique des associations et de l'affectivité, par une tendance à placer sa
propre fantaisie au-dessus de la réalité et à se retrancher de celle-ci
(autisme). On peut en outre y ajouter l'absence des symptômes qui
jouent un grand rôle dans certaines autres maladies, par exemple les
troubles primaires de la perception, de l'orientation, de la mémoire,
etc.
A. L e s f o n c t i o n s simples
a) Les associations
Vue d'ensemble
Les associations perdent leur cohérence. Parmi les mille fils conduc-
teurs de nos pensées, la maladie en interrompt d'une façon irrégulière
tantôt quelques-uns, tantôt plusieurs, tantôt une grande partie. Ceci
rend le résultat de la pensée insolite, et souvent faux sur le plan lo-
gique. En outre, les associations empruntent de nouvelles voies, dont
les suivantes nous sont actuellement connues : deux idées se ren-
contrant par hasard sont réunies en une pensée, la forme logique de
leur combinaison étant déterminée là par les circonstances. Les asso-
ciations par assonance acquièrent une importance inaccoutumée ; de
même les associations indirectes. Deux ou plusieurs idées sont conden-
sées en une seule. La tendance au stéréotypage fait que le cours de
la pensée reste bloqué sur une idée, ou que le malade ne cesse de
revenir à la même idée. D'une façon générale, il y a fréquemment une
pauvreté idéique allant jusqu'au monoïdéisme ; souvent, une idée
conçue d'une façon quelconque domine le cours de la pensée sous la
forme d'une fascination, d'une énonciation, d'une échopraxie. La pos-
sibilité de détourner le cours de la pensée du patient n'est pas pertur-
bée d'une façon homogène dans les différents états schizophréniques.
Si les troubles schizophréniques des associations atteignent un haut
degré, ils aboutissent à la confusion.
* * *
La cohésion des idées est donc assurée ici par une sorte de concept
générique, mais non par une représentation de la direction ou du but.
Aussi semble-t-il qu'on ait jeté dans une marmite et mélangé des
concepts d'une catégorie donnée - se rapportant dans le premier cas
à l'Orient et dans le second à l'histoire ancienne - pour ensuite les
en tirer selon les caprices du hasard en les reliant par des formes
grammaticales et quelques représentations accessoires. Néanmoins cer-
tains des concepts qui se succèdent ont un lien commun un peu plus
étroit, mais pourtant bien trop lâche pour représenter une séquence
utilisable sur le plan logique (manœuvres navales - batailles navales
- frégate cuirassée ; Acropole - occupants perses - brûler - torches
vivantes - Néron ; prêtre - druide - fête du Saint-Sacrement - Dieu-
Soleil Baal, etc.)
Ce ne sont pas seulement les représentations de but mais aussi les concepts
considérés comme beaucoup plus simples avec lesquels nous opérons habi-
tuellement qui sont formés de composantes multiples qui changent selon le
contexte : le concept d'eau est tout à fait différent selon qu'il est utilisé en
rapport avec la chimie, la physiologie, la navigation, un paysage, une inon-
dation ou comme une source d'énergie, etc. Chacun de ces concepts spéci-
fiques est relié par des fils tout à fait différents aux autres idées ; nul être
normal ne pense à l'eau cristallisée quand l'eau emporte sa maison, et per-
sonne, voulant étancher sa soif avec de l'eau, ne pense à la poussée qui
permet aux bateaux de flotter.
Tous les fils conducteurs associatifs indiqués ici peuvent demeurer sans
effet dans la schizophrénie, isolément ou selon des combinaisons quel-
conques. Quelques autres exemples pourront l'expliquer :
Chère Maman !
Aujourd'hui je me sens mieux qu'hier. Je ne suis en fait pas du tout en
disposition d'écrire. Mais pourtant j e t'écris très volontiers. Je peux bien m'y
prendre à deux reprises. Je me serais tellement réjoui hier dimanche si toi
et Louise et moi avions eu la permission d'aller dans le parc. On a une si
belle vue de la Stephansburg. C'est vraiment très beau au Burghôlzli. Louise
écrit Burghôlzli sur les deux dernières lettres, j e veux dire sur les - couverts,
non, enveloppes, que j'ai reçues. Mais j'ai écrit Burghôlzli là où j'ai mis la
date. Il y a aussi au Burgholzli des patients qui disent Hôlzliburg. D'autres
parlent d'une usine. On peut aussi le considérer comme un établissement de
cure.
J'écris sur du papier. La plume que j'utilise à cette fin est d'une usine qui
s'appelle Perry et Co. L'usine est en Angleterre. Je le suppose. Derrière le
nom Perry Co est griffonnée la ville de Londres ; mais pas la ville. La ville
de Londres est en Angleterre. Je le sais par l'école. J'y ai toujours aimé la
géographie. Mon dernier professeur de cette matière était le professeur Au-
guste A. C'est un homme aux yeux noirs. J'aime bien les yeux noirs aussi.
Il y a également des yeux bleus et gris, et d'autres encore. J'ai déjà entendu
dire que le serpent aurait les yeux verts. Tous les êtres humains ont des yeux.
Il y en a aussi qui sont aveugles. Les aveugles sont alors guidés par le bras
par un garçon. Ce doit être très terrible de ne rien voir. Il y a aussi des gens
qui ne voient rien, et d'autres encore qui n'entendent rien. Mais j'en connais
aussi quelques-uns qui entendent trop. On peut entendre trop. On peut aussi
voir trop. Il y a beaucoup de malades au Burgholzli. On dit d'eux : patients.
L'un m'a bien plu. Il s'appelle E. Sch. Il m'a appris ceci : Il y a quatre
catégories au Burgholzli, des patients, des pensionnaires, des garde-malades.
— Et puis il y a également des gens qui ne sont pas du tout ici. Ce sont tous
des gens étranges...
Une hébéphrène veut mettre son nom au bas d'une lettre comme d'habitude :
« B. Graf. » Elle écrit Gra ; il lui vient alors à l'esprit un autre mot, qui
commence par Gr ; elle corrige le a en o, y ajoute ss et répète alors le mot
« Gross » deux fois encore. De toute la masse de représentations sur les-
quelles se fonde la signature, toutes sont devenues d'un seul coup inopérantes
sur la malade, à l'exception des lettres Gr. - Ainsi les patients peuvent-ils
se perdre dans les associations annexes les plus insignifiantes, et l'on n'a-
boutit pas au développement d'un cours de pensée homogène. On a aussi
appelé ce symptôme « pensée à côté4 ».
A la question « Qu'était votre père ? », un patient répond : « Johann Frie-
drich ». Il a saisi qu'il s'agissait de son père, mais la question sur la profes-
sion n'a pas eu d'influence sur sa réponse, par contre il répond à la question
sur le nom qui n'a pas été posée. Si l'on examine de plus près de tels cas,
il s'avère la plupart du temps que les malades ont saisi la question en tant
que telle, mais qu'ils n'ont pas élaboré la représentation qui y est adéquate.
Un hébéphrène requiert du gouvernement sa libération de l'asile sous la forme
suivante :
« Vous êtes invité à procéder à ma désincarcération et à procéder à la publi-
cation au moyen d'annonces dans le journal de mai 1905, sinon vous serez
révoqué de vos fonctions en vertu de mes droits traditionnels.
Vous expédierez les affaires courantes jusqu'aux nouvelles élections.
Avec mes salutations... »
Cet homme, qui a siégé au conseil municipal dans le passé, n'a au demeurant
nullement l'idée délirante qu'il pourrait donner des ordres au gouvernement
ou même le renverser ; seulement, tandis qu'il écrit ceci, tout ce qui ne s'ac-
corde pas à cet instant avec cette représentation est absent de sa pensée.
Un hébéphrène écrit : « La montagne qui se dessine dans les boursouflures
de l'oxygène est admirable. » Il s'agissait de la description d'une promenade,
avec laquelle ce concept chimique ne cadre pas. Manifestement, quelque
chose se rapportant au « bon air sain » lui est venu à l'esprit, car dans la
phrase suivante le patient parle de façon tout à fait abrupte de sa santé.
- Exemple analogue : Avez-vous des soucis ? « Non. » La situation vous pèse-
t-elle ? « Oui, le fer est pesant. » Tout d'un coup, pesant est pris au sens
physique.
On enlève la table qui est à côté du patient. Il dit : « Salut, je suis le Christ »,
se renverse en arrière comme un mourant et incline le chef. Nous avons la
représentation partielle selon laquelle quelque chose s'éloigne de nous lors
de la disparition d'un être humain comme lors de l'enlèvement d'une table.
Pour un sujet normal, les différences de ces deux processus sont prégnantes ;
mais seul influe sur les associations du patient le troisième terme de la
comparaison, le départ, représentation qui n'est pas du tout adéquate au cas
présent. L'adieu - sans doute en relation avec l'image de la table - éveille
en lui la représentation de Jésus ; les différences énormes entre les adieux
de Jésus et l'adieu du patient à sa table n'ont aucun poids dans cette asso-
4. Dont les « réponses à côté », classiques dans la littérature française, sont la traduction
(NDT).
ciation. Non seulement l'association Jésus se produit, mais l'analogie minime
entre la situation du patient et celle du Christ suffit à identifier pour un court
moment le patient au Christ. Ici aussi, une série de représentations différen-
ciant les adieux de Jésus à ses disciples et le dernier adieu sur la Croix
n'ont cependant pas été prises en compte non plus. (On n'a pu mettre en
évidence dans le cas présent les autres facteurs conjoncturels qui ont fait
surgir spécifiquement l'idée de Jésus).
« Il faut bien qu'on se soit levé au moment voulu, alors il y a aussi « l'ap-
pétit » nécessaire à cela. L'appétit vient en mangeant5 », dit le Français. - //
Avec le temps et avec les années l'être humain devient si à l'aise dans la
vie publique qu'il n'est même plus capable d'écrire. - Sur une telle feuille
de papier on met de très nombreuses lettres 6 si l'on fait bien attention à ne
pas dépasser d'une « chaussure carrée ». Il Par un temps si magnifique on
devrait pouvoir se promener dans la forêt. Pas seul, naturellement, mais
Avec7 ! Il A la fin d'une année on fait toujours un bilan de fin d'année. - Il
Ce n'est que maintenant que le soleil est dans le ciel et il n'est pas encore
plus de dix heures. — Au Burghôlzli aussi ? — ? Cela, je ne le sais, car je
n'ai pas de montre sur moi comme avant ! - Après le manger « On va p...8 » !
Il y a aussi suffisamment de distractions pour les gens qui ne font pas partie
de cet asile de fous et n'en ont jamais fait partie. Car faire des « bêtises »
avec « de la chair humaine » n'est pas permis en « Suisse » ! ! Il — La foi9
das Heu, L'herb10 das Gras, morder11 = beissen etc. etc. etcetera usw. und so
weiter 12 ! - R... K... - En tout cas il vient beaucoup de « maarchandise » de
Zurich, sinon nous ne serions pas forcés de rester au « lit » jusqu'à ce que
celui-ci ou celui-là ait la « complaisance » de « dire » qui est responsable du
fait quon ne peut plus sortir prendre l'air. O A // 1000 demi-quintaux II Atta-
chement pour les glands ! ! !
A. les Eschèlles. d'un homme, qui ne peut plus aller au pièg.-XII Vous
connaissez ça ? En « Allemagne : Die Eicheln und das heisst auf französisch :
Au Maltrâitage ». — // T A B A K . (Ich habe dir so schön gesehen.) // Wenn auf
jede Linie etwas geschrieben ist, so ist es recht. « Jetzt ischt albi elfi grad 13 .
Der Andere. - // Hü, Hü, Hüst umme nö hä ? ! - // Zuchthäuslerverein : Bur-
ghôlzli. - // Ischt nanig à près le Manger ! ?- ! ? ! - Meine Frau war eine
vermögliche gewesen14'. »
Tous les troubles cités peuvent varier du maximum, qui correspond à une
confusion complète, jusqu'à la quasi-absence. Toute association d'idées
n'a pas ce caractère, chez un schizophrène ; mais tandis que dans les
cas graves les associations erronées sont tout à fait dominantes, seule
une observation patiente et prolongée peut déceler quelques défauts
de la pensée de ce type dans une démence précoce « guérie » ou la-
tente.
15. En fait cet écrit n'identifie pas formellement le sexe de son auteur, seul le propos délirant
« j e suis la religieuse » pouvant évoquer le sexe féminin dans le texte allemend (NDT).
dans le Rhin. » — On peut avoir comme réponse à une incitation à aller
au travail :. « Pourquoi laissez-vous tomber ça ? // Le soleil est dans le
ciel. // Pourquoi laissez-vous tomber ça ? » (Personne n'a rien laissé tom-
ber.) - Mis à part les sautes d'idées marquées par II, la première phrase
ne se rattache déjà pas le moins du monde à l'incitation qui a été donnée.
Ceci est quelque chose de tout à fait habituel ; souvent, ce qui est répliqué
à une question n'a d'une réponse que la forme, tandis que le contenu n'a
strictement rien à voir avec ce qui était demandé.
On demande à une patiente qui devait aider aux tâches ménagères pourquoi
elle ne travaille pas. Sa réponse — « Mais j e ne connais pas le français » -
n'a de rapport logique ni avec la question, ni avec la situation.
Pour examiner le sens stéréognosique, on met une clé dans la main d'une
patiente capable de travailler, dont le comportement est tout à fait bon et qui
coopère au test. A la question « Qu'est-ce que c'est ? » on obtient comme
réponse « Un conseiller municipal ».
Au cours d'un test, le mot encre provoque les associations : « Tache d'encre ;
// On veut tout de même hériter de ça. »
Là même où seule une partie des fils conducteurs sont interrompus entrent
en jeu, à la place des directives logiques, d'autres influences, qu'on ne
remarque pas dans des conditions normales. Pour autant que nous le
sachions jusqu'à présent, ce sont généralement les mêmes directives
que celles qui déterminent le nouveau point de départ après une rup-
ture complète de la pensée : des associations d'idées que le hasard a
stimulées, des condensations, des associations par assonance, des as-
sociations indirectes et une trop longue persistance d'idées (tendance
à la stéréotypie). Toutes ces associations d'idées ne sont pas étrangères
non plus à l'esprit normal ; mais elles n'y surviennent que de façon
exceptionnelle et accessoire, tandis que dans la schizophrénie elles
sont exagérées jusqu'à la caricature et, souvent, dominent littéralement
le cours de la pensée.
Ce qu'on observe le plus souvent, c'est que deux idées sans rapport
étroit qui préoccupent en même temps le malade sont purement et sim-
plement mises en relation. La forme logique de la corrélation dépend
des circonstances accompagnatrices : si l'on demande quelque chose,
le patient fournit en guise de réponse l'idée qui lui vient à l'esprit à
ce moment précis ; s'il cherche une raison, les idées acquièrent une
relation de causalité. S'il présente une exagération pathologique du
Moi, ou à l'inverse s'il se sent lésé, il rapporte la nouvelle idée direc-
tement à son Moi, dans le sens de ce complexe chargé d'affect.
16. Complexe : expression abrégée pour complexe de représentations qui est si fortement
investi d'affect qu'il influence (en p e r m a n e n c e ) les processus psychiques sur le plan théma-
tique. L'influence normale de l'affectivité sur les associations entraîne que le complexe a,
d é j à chez le sujet bien-portant, une certaine tendance à se délimiter, à a c q u é r i r une certaine
autonomie ; il devient une structure plus résistante, à l'intérieur de la masse changeante des
représentations (NDA).
Et puis des associations par assonance sont fréquentes : Kopf - Tropf ;
Frosch - Rost - rostig ; sauber - Tauber - (wilder - böser - starker -
Kerl) ; geschlagen - betrogen - betroffen - beklagen 1 7 . De telles asso-
ciations ressemblent certes aux associations par assonance de la fuite
des idées ; cependant, l'association Frosch - Rost serait déjà étonnante
de la part d'un maniaque, et une production telle que « betrogen -
betroffen » ou « Diamant - Dynamo » serait tout à fait rare ; car l'asso-
nance est tout de même trop limitée. Nous paraissent encore plus inso-
lites : Pauline - Baum - Raum ; See - Säuhund ; Tinte - Gige (= Geige) ;
Nadel - Nase 1 8 . Pour Tinte - Gige, l'assonance est à peine ressentie
par un bien-portant ; l'i de Tinte est bref et a une autre consonance
que l'i long de Gige. Mais quand on entend associer « schon - ein
Paar Schuhe 1 9 », et tout de suite après « Krieg — das ist die Schön-
heit 20 », personne, pour peu qu'il connaisse les associations maniaques
et normales, ne cherchera dans la seule assonance la relation entre
Schuh et Schönheit. Et pourtant, bien des centaines de combinaisons
de ce genre nous ont appris avec certitude que l'identité, voire l'ana-
logie d'un seul son suffit à co-déterminer la direction des associations.
Ainsi une patiente nous dit-elle qu'un calendrier était une vente de rochers,
parce qu'un rocher était nu 2 1 . On parle du marché aux poissons en présence
d'une catatonique. Elle gémit ; « Oui, moi aussi j e suis un tel requin ! » Elle
use d'une association par assonance tout à fait étrange et, à l'état de veille,
absolument impossible à tout autre être humain qu'un schizophrène (« Fisch-
markt — Haifisch »), pour exprimer qu'elle est tout à fait mauvaise, ignorant
la totale impossibilité de cette identification.
17. Têle - goutte ; grenouille - rouille - rouillé ; propre - sourd - (sauvage - méchant -
fort - gars) ; battu - trompé - touché - déplorer.
18. Pauline - arbre - espace ; mer - salopard ; encre - violon ; aiguille - nez.
19. Déjà - une paire de chaussures.
20. Guerre — c'est la beauté.
21. Kalendar : calendrier - Kahl : chauve, dénudé (arbre, rocher).
entendant ce reproche, la patiente avait pensé consciemment ou inconsciem-
ment au terme habituel en pareil cas chez des gens peu cultivés, mais dont
le médecin n'avait pas fait usage, « Sauordnung 22 » (prononcé « za-ou » ou
« zou ») ; ainsi les mots - et les concepts - Sou, Surberli et Suter sont-ils
partiellement déterminés, tandis que la forme négative de la phrase exprime
que la patiente ne veut pas être considérée comme désordonnée (Riklin). -
Une patiente modifia la formule stéréotypée qu'elle présentait depuis trente
ans, « es ist mir nicht wohl 23 » en remplaçant « wohl » par diverses expres-
sions dialectales, et finalement par le mot anglais « well ». Et à partir de ce
dernier mot, cela devint un beau jour « es ist mir nicht Velo » (= Fahrrad 24 ).
C'est ce processus qui était en jeu dans la formation de l'idée citée plus
haut, « Notre-Seigneur Dieu est le navire du désert », deux choses complè-
tement différentes et relevant de deux complexes d'idées différents étant réu-
nies en une pensée. Un catatonique associa à « voile » « vapeur-voile »,
composé des deux associations qui s'étaient imposées, « bateau à vapeur »
et « bateau à voile 2 7 ». La condensation participe de façon éminente à la
formation d'idées délirantes et de symboles, et elle est aussi cause d'une
foule de néologismes : « trauram » pour « traurig » et « grausam 28 »,
« schwankelhaft », composé de fragments des trois mots « wankelmutig »,
« schwankend », « nicht standhaft 29 ».
A l'occasion, une idée précise est aussi éclairée par des associations débri-
dées dans tous les sens possibles : « C'est pourquoi j e vous souhaite une
année joyeuse heureuse, saine, bénie et riche en fruits et encore beaucoup
d'autres années viticoles, ainsi que de bonnes et saines années de pommes
de terre ainsi que de choucroute et de chou blanc et de bonnes années de
citrouille et de graine. Une bonne année d'œufs et aussi une bonne année
de fromage » etc. etc. - Un patient dont la fille est devenue catholique lui
écrit que le chapelet est une « multiplication de prières, et de son côté cette
multiplication est une prière de multiplication, qui n'est elle-même rien d'au-
tre qu'un moulin à prières, et celui-ci est une machine à prières de moulin,
42. Bleuler use du néologisme Ausassoziieren, qui évoque une idée d'associations débridées
et sans but (NDT).
4 3 . Amour : Liebe — avoir : haben. La série d'associations sera citée en allemand, en raison
du rôle prépondérant qu'y jouent les assonances (NDT).
4 4 . « Amour, voleurs, don, dame, avoir, amour, voleurs, dons, dame, avoir, amour, voleurs,
repris, repris, repris, repris, avoir,... »
et celle-ci de son côté est une minoterie de machines à prières », et ainsi de
suite sur deux pages in-folio.
45. Certains auteurs comptent ces manifestations au nombre des anomalies motrices ; ainsi
en est-il, par exemple, de Kleist, sous le nom « d'actes en court-circuit » (NDA).
46. J e ne comprends pas pourquoi von Leupoldt (413) parle à ce propos d'une compulsion,
bien qu'il dise lui-même qu'il ne s'agirait pas d'une compulsion stricto sensu. Cela risque
d'être d'autant moins juste dans tous les cas qu'il suppose que le fondement de ce symptôme
réside dans un défaut de capacité à saisir les complexes. Son propre patient concevait la
photo de l'inauguration d'un monument, « dans l'ensemble », comme une procession (NDA).
Tout à fait analogue est le « palper47 », également décrit par von Leu-
poldt, et qui consiste en ce que les malades suivent les contours des
objets qu'ils peuvent atteindre. En pareil cas, c'est le mouvement d'ac-
compagnement qui est associé, au lieu de l'énonciation des objets.
* * *
Dans la lettre qui suit, le cours de pensée ne peut généralement plus être
analysé ; tout nous y apparaît comme un bavardage « confus » et incohérent.
Une connaissance complète des complexes chargés d'affect de la patiente
nous permettrait néanmoins d'expliquer certaines choses.
Burgholzli, le 2 0 novembre 1905.
Honorée Famille Fridöri et Famille Comte ou Oreilles Schmidli !
Ca ne va pas bien, ici au Schmiedtenhaus. Il n'y a pas ici d'église, de pres-
bytère pas non plus d'hospice mais il y a ici toute l'année du bruit, de la
fureur 50 , des mûres sauvages 51 = soleils = bruit du ciel ; plus d'un grand et
petit agriculteur, Humel, Surbeck, Armtrunk de Thalweil, Adlisweil, d'Albis
de Sulz, de Seen, de Rorbach, de Rorbas a quitté sa maison, n'est plus revenu,
ainsi « entaucht 5 2 » un garçon boucher, Siegrist, le paysan Vorsängers, aussi
un Meier administrateur de biens, Messner Jakob, assez vieux, jeunes soldats
suisses, aussi Ernst, de Ernst, qui s'est coupé 2 doigts en l'an mil neuf cen-
tième mois d'août, ainsi que son père Konrad et sa femme sont divorcés. Car
les hommes et femmes dévideurs de soie ont quotidiennement la tentation de
tuer les visites, parce qu'elles attendent si longtemps, jusqu'à ce que les
patients sortent en se bagarrant, ils n'ont pas non plus de bon lait, « hol-
len 5 3 », les garde-malades ne sont rien d'autre non plus que des folles des
« capsuleuses », qui vous transpercent le cœur, il y en a assez de tricoter
des jupons, des petits sous-vêtements, des chaussettes, le jour, il leur faut
en plus causer du trouble aux hôtes du ciel et de la terre la nuit....
50. Kollder, sans doule pour Koller ou Kolder (suisse alémanique) : accès de colère, fureur ( N D T ) .
51. Brumberen, sans doute pour Brombeeren (NDT).
52. Néologisme peut-être traduisible par « surgit », de ent- privatif et tauchen (plonger), ou
encore contamination intraduisible de enltâuschl (déçu), par tauchen (NDT).
53. Sans cloute allusion à la fée Holle des contes, qui répand la neige... blanche comme le
lait ( N D T ) .
Les miens n'existent plus.
Si la Direction Foreli 54 sont bien morts, si seulement le Roi à Biïhl nous
ramenait à la maison sur une voiture, car le chemin de fer ne fait que nuire,
si l'abeille faisait le détour de Wyl Hiintwangen jusqu'à Neuhausen, jetaient
les wagons de chemin de fer dans une fosse de gravier et les recouvraient
de terre. Un petit cœur de femme ne peut faire grand-chose. Un cœur
d'homme est tout de même plus fort.
Nous ne savons encore pour ainsi dire rien des conditions temporelles
du déroulement schizophrénique des associations, il est possible
qu'elles n'aient rien de caractéristique. Naturellement, nous avons un
déroulement « a c c é l é r é » dans le sens de la fuite des idées en cas
d'états maniaques intercurrents, et un ralentissement en cas de dépres-
sion ; nous sommes en outre en droit de supposer que, dans certains
états stuporeux qui peuvent être considérés comme l'expression d'exa-
cerbations du processus cérébral schizophrénique lui-même, les asso-
Les barrages dans le cours de la pensée sont perçus par les patients
eux-mêmes, et décrits sous les noms les plus variés. Généralement,
mais pas toujours, ils les ressentent comme désagréables. Une catato-
nique intelligente était forcée de rester assise immobile pendant des
heures « pour retrouver sa pensée ». Une autre n'était capable de rien
en dire d'autre que : « Parfois j e peux parler, parfois non. » Un malade
« s'engourdit » (Abraham), un autre a un « handicap de pensée », un
troisième devient « figé dans sa tête, comme si on serrait sa tête. » Un
quatrième dit « qu'on jette soudain un sac de caoutchouc sur lui » ; et
une paysanne s'exprime ainsi : « On m'envoie une charge contraire,
comme tout un chargement (elle fait un geste comme si quelque chose
arrivait contre sa poitrine) ; c'est comme si on me fermait la bouche,
comme si on me disait : ferme ta gueule. » Cette dernière description
inclut le barrage de la fonction motrice d'élocution, décrite par un
patient de Rust dans les termes suivants : on lui arrête le langage.
D'une façon générale, il est très fréquent que les barrages soient attri-
bués par les patients à une influence étrangère. Ainsi faisons-nous chanter
des chansons par un de nos patients ; soudain, il ne peut plus continuer ;
les Voix lui disent alors : « Tu vois, tu l'as encore déjà oublié » ; mais
à son avis, ceux qui parlent sont ceux qui lui font oublier.
Nous questionnons une jeune fille sur son existence antérieure ; elle fournit
de fort bonnes informations chronologiques sur son passé. D'un seul coup,
elle ne poursuit pas ; nous demandons ce qui est arrivé ensuite ; on ne peut
plus rien en apprendre. Ce n'est que longtemps après, amenée à cela par
toutes sortes de détours, qu'elle laisse échapper qu'elle a connu son bien-aimé
à cette époque. — Un enseignant qui avait mis toute son énergie à réclamer
une augmentation de salaire répond, à la question de savoir s'il a obtenu
cette augmentation : « Qu'est-ce qu'une augmentation de salaire ? » Il ne pou-
vait pas comprendre ce terme parce que le complexe de salaire avait été
barré chez lui. - De nombreux malades réclament d'entretenir le médecin
d'une affaire importante ; quand il est là, ils ne savent que lui dire.
58. J e préfère traduire Gedankenentzug par « soustraction de pensée » plutôt que par le
terme usuel en français, « vol de la pensée », car il apparaît bien ici que ce symptôme, tel
que l'entend Bleuler, n'est pas obligatoirement attribué par le patient à une influence exté-
rieure (NDT).
elles ; les personnes « possédées » sont celles qui sont impliquées dans
ses idées délirantes.
Les barrages ne sont pas absolus et insurmontables dans tous les cas ;
par un questionnement persévérant, par des stimulations de toute
sorte 59 , et notamment par la distraction, on peut souvent les rompre ou
les contourner. Mais souvent les malades ont alors une sensation dé-
sagréable ; après avoir répondu, une patiente fut littéralement saisie
d'effroi, comme si elle avait fait quelque chose de mal.
Ainsi la volonté, ou du moins le souhait du patient n'est-il pas toujours
sans avoir part à la survenue du barrage. Un hébéphrène appelait le
complexe symptomatique des barrages (relié à des idées délirantes et
à d'autres produits pathologiques) le « timbreposteur » ; il l'enclenchait
souvent aussi quand on voulait lui donner une tâche indésirable ; le
patient avait alors un barrage à l'égard de tout, et l'on ne pouvait plus
rien obtenir de lui. Il va de soi que toutes les transitions existent depuis
un tel comportement jusqu'au non-vouloir délibéré et à toutes les
formes de simulation. De même, la frontière entre les barrages et le
négativisme n'est nette ni sur le plan théorique, ni sur le plan symp-
tomatologique. Ces deux manifestations se transforment l'une en l'autre,
et le négativisme passif pourrait même s'expliquer par une combinaison
de barrages.
* * *
7. Mais ce qui est le plus frappant, ce sont les associations bizarres dont on
a donné les exemples p. 22 et p. 24, puis les associations apparemment ou
réellement totalement incohérentes, dans lesquelles le mot-stimulus ne repré-
sente rien de plus que le signal de prononcer n'importe quel mot. (Nommer
n'importe quel meuble qui se trouve dans le champ visuel, etc.)
8. Il n'est pas rare qu'on ne puisse trouver aucun rapport, même avec l'aide
du patient. Dans ces cas il s'agit sans doute généralement, sinon toujours,
de connexions avec un complexe d'idées chargé d'affect déjà présent. Quand
j e dis « déjà présent », j e ne veux pas dire « déjà présent à la conscience »,
car le malade lui-même ne peut en effet fournir aucune information là-dessus.
C'est ainsi qu'un patient apparemment tout à fait rangé, et encore très intel-
ligent même à présent, associait, sans savoir pourquoi, le mot « court » à
beaucoup de concepts qui touchaient ses sentiments d'une façon quelconque.
La solution de cette énigme résidait en ce qu'il était lui-même très petit et
que cet élément faisait aussi partie de ses complexes.
* * *
Ziehen (817) a aussi testé les associations rétrogrades et trouvé une altération
de la reproduction rétrograde de séries dans des états que nous rangeons
dans la schizophrénie. Mais il est si difficile de distinguer là les troubles de
l'association de ceux de l'attention, du bon vouloir, etc., que j e ne me ha-
sarderai pas à conclure à un résultat définitif à partir de la courte publication
de cet auteur.
* * *
* * *
Les troubles des associations sont insuffisamment décrits ici, dans la mesure
où l'on prend peu en compte les états aigus. Jusqu'à présent, nous n'avons
toutefois pas trouvé de nouvelles caractéristiques qualitatives dans de tels
syndromes, mais éventuellement des exagérations de ce qui a déjà été décrit.
(Naturellement, nous faisons abstraction des signes des états maniaques, mé-
lancoliques, ou d'inhibition organique).
Ce que je ressens plutôt comme une carence, c'est que nous n'ayons déduit la
plupart des anomalies que des déclarations verbales et écrites des malades ; les
b) L'affectivité
Ce qui frappe le plus, c'est que certains patients, notamment les plus
âgés, manifestent également la même indifférence à l'égard de leurs
idées délirantes, qui les occupent pourtant constamment.
Dans des cas plus légers, cette indifférence peut faire défaut ou être
masquée. Au début de la maladie, nous voyons souvent vraiment une
certaine hypersensibilité, si bien que les malades s'isolent consciem-
ment, pour échapper à toute occasion d'affects, et ce même quand ils
ont encore de l'intérêt pour l'existence. Des schizophrènes latents peu-
vent paraître tout à fait labiles dans leurs affects, sanguins. Mais la
profondeur de l'affect fait alors défaut. A y regarder de plus près, on
trouve généralement aussi dans de tels cas une indifférence partielle
à l'égard de tel ou tel des intérêts qui n'étaient habituellement pas
étrangers au patient ; mais j e ne voudrais pas prétendre que ceci soit
également le cas chez les patients qui n'aboutissent jamais chez le
psychiatre. Il existe en outre d'assez nombreux schizophrènes qui ont
en permanence des affects assez vifs, tout au moins dans certaines
directions : ce sont ceux d'entre eux qui sont actifs, les écrivains, les
réformateurs du monde et de la santé, les fondateurs de religions. Ces
gens ont une pensée partiale et qu'aucune considération n'arrête ; il
est difficile de dire si leurs affects ne sont pas également pathologi-
quement partiaux en soi.
Nous voyons souvent des thymies de base nettes, si bien qu'on peut
difficilement parler d'indifférence générale. L'humeur peut être eupho-
rique, triste, anxieuse. Nous rencontrons la transition de l'humeur eu-
phorique à l'humeur indifférente, ou un mélange des deux, dans l'état
affectif, très fréquent chez les schizophrènes, de « Wurstigkeit », que
les Français appellent, d'une façon plus imagée encore, « je-m'en-fi-
chisme 6 2 ». Alors, bien qu'ils ne soient pas heureux, les malades sont
pourtant satisfaits d'eux-mêmes et du monde ; ce qui arrive d'indési-
rable n'est pas ressenti comme désagréable. Leurs réponses deviennent
alors très facilement impertinentes, leurs associations inexactes leur
fournissant un matériel très favorable à cela. - D'autres humeurs en-
core s'expriment d'une façon analogue. Une de nos malades est quali-
fiée depuis plus de vingt ans dans son observation de « cordialement
dérangée », car présentant toutes ses plaintes insensées avec une cer-
taine bonhomie et avec force sourires.
Dans les cas aigus que l'on qualifiait autrefois de manies et de mé-
lancolies, l'affectivité ne fait naturellement pas défaut ; mais elle revêt
un timbre spécifique qui, en soi, permet souvent déjà le diagnostic de la
maladie. A la place des affects clairs et profondément ressentis de la
folie maniaco-dépressive, nous avons l'impression d'un mouvement af-
fectif qui ne va pas en profondeur. Surtout, l'homogénéité de l'expression
Toutes ces choses sont plus aisées à sentir qu'à décrire. Ce qu'on peut
le mieux mettre en relief dans la description, c'est le manque d'adap-
tation aux variations du contenu des idées, le déficit de la capacité de
modulation affective. L'humeur du schizophrène maniaque ne suit que
très peu ou pas du tout les changements de contenu de la pensée.
Tandis que le maniaque accompagne comme un sujet normal les
nuances affectives des pensées exprimées par des modifications qua-
litatives et quantitatives adéquates des expressions d'affectivité, nous
ne voyons que peu ou pas du tout de telles modulations chez le schi-
zophrène avéré, qu'il raconte une blague, qu'il se plaigne de son en-
fermement ou qu'il parle de son existence 64 . Une catatonique se plaint
que son mari soit en prison. Je lui assure qu'il est en liberté, ce à
quoi elle répond : « Ah, c'est bien. » Mais elle dit cela sur un ton
plaintif, absolument inchangé, exactement comme si je lui avais confir-
mé l'incarcération de son mari.
Dans certains cas nous voyons tout de même des oscillations affectives
nettes qui peuvent tout à fait se rapprocher de la norme. Une certaine
rigidité affective peut cependant se trahir alors, du fait que quelque
chose de difficilement descriptible reste commun à l'expression des
humeurs les plus diverses. Pour recourir à une image de coloriste, c'est
comme si toute la mimique était plongée dans la même sauce ; ces
gens pleurent avec une voix analogue ou identique à celle avec laquelle
ils rient ; et bien qu'ils tirent leur commissure labiale vers le haut dans
le cas d'un de ces affects et vers le bas dans l'autre, les deux modes
d'expression mimique ont tout de même quelque chose qui leur est
nettement commun.
Dans les états aigus les expressions affectives les plus diverses peuvent
pourtant alterner aussi les unes avec les autres au cours d'une période
très brève, par exemple pendant une présentation clinique, même sans
humeur basale durable. A l'occasion d'une quelconque association for-
tuite, le patient entre d'une seconde à l'autre dans la plus grande agi-
tation coléreuse, il invective, vocifère, saute en l'air, pour se montrer
au bout de quelques minutes érotiquement joyeux de la même façon
excessive, puis pleurer de tristesse, etc. Dans ces cas, l'ensemble de
la personnalité change en même temps que l'affect. Ici, contrairement
à la stase de certaines composantes des expressions affectives anté-
rieures qu'on a mentionnée plus haut, les affects précédents ne pro-
longent à l'inverse même pas autant leur effet qu'ils devraient
normalement le faire ; de façon tout à fait subite, c'est à un registre
totalement nouveau qu'il est fait appel. L'aspect de ce brusque chan-
gement et la rigidité affective différencient généralement facilement
c e s c a s d'une pathologie organique.
Cette labilité affective est sûrement en rapport, pour une petite part,
avec l ' i n c a p a c i t é des malades à saisir certains événements importants
en tant que tels. Des pensées sans importance ne parviennent guère à
captiver même un sujet sain ; il est donc c o m p r é h e n s i b l e que le schi-
Même quand les affects changent, cela se passe pourtant plus lente-
ment en général que chez le sujet sain. Les affects sont souvent litté-
ralement à la traîne derrière les idées. Lors d'un examen, on avait
montré à de nombreuses reprises à une patiente la photo d'un enfant ;
ce n'est qu'un quart d'heure après qu'apparut l'affect triste approprié.
A l'occasion de fêtes, on voit aussi combien les schizophrènes ont be-
soin de plus longtemps que les sujets sains pour se mettre dans l'am-
biance. On constate, avec exactement la même fréquence chez les gens
bien portants que chez les schizophrènes, que la colère et la contrariété
démarrent souvent très rapidement, bien qu'ils aient tendance à ne
disparaître que lentement. On ne doit pas interpréter cela comme une
labilité particulière des patients. Mais une persistance pathologique de
l'affect se manifeste indubitablement au travers de la tendance, habi-
tuelle aux schizophrènes, à persévérer dans leur colère ou à l'amplifier
pendant assez longtemps encore, même quand il n'y a plus aucune
raison à cela.
Les affects viennent parfois aussi au jour quand une atrophie cérébrale
débute, si bien que certains de ces malades ne se distinguent plus
guère des séniles ordinaires, « qui peuvent pleurer et rire quand ils
veulent ». A Rheinau, j'ai observé pendant dix ans une catatonique
qui, abstraction faite des premiers temps, ne m'avait dit rien que des
injures et était restée assise en face de moi, négativiste, la langue tirée
de côté. Quand j e la revis dix ans après mon départ de Rheinau, elle
se précipita vers moi, me serra dans ses bras avec émotion, comme on
peut faire à un vieil ami. - Une paranoïde dont j e connaissais l'indif-
férence depuis près de trente ans fit une apoplexie. Comme elle attirait
beaucoup de mouches avec des sucreries, j e lui demandai un jour, en
matière de plaisanterie, si les mouches n'allaient pas la manger. Elle
se prêta joyeusement à la plaisanterie : « Il en vient toujours de si
grosses, si grosses, et elles veulent me manger. » Pendant la première
partie de la phrase, elle riait, et pendant la seconde, en vraie sénile,
elle était déjà tellement accablée par l'idée d'être mangée qu'elle pleu-
rait plaintivement.
C'est pourquoi nous ne devons pas nous étonner de voir des affects
conservés même dans des cas graves. Mais lesquels nous rencontrons,
voilà qui dépend généralement du « hasard ». Cependant certains sen-
timents ont de plus grandes chances de se manifester que d'autres.
Comme nous l'avons vu plus haut, les émotions érotiques (dans le bon
sens), par exemple, se laissent parfois déterrer. Mais, quand on peut
suivre les rêveries éveillées des malades, on trouve souvent aussi des
sentiments délicats, et ce chez des patients qui, extérieurement, ne
présentent rien d'autre que violence et malpropreté.
Même une empathie artistique n'est pas si rare. Des poètes et musiciens
légèrement schizophrènes de tout niveau présentent cette faculté. Une
catatonique aiguë était capable, au cours d'une stupeur apparemment
des plus graves, de danser en musique, et ce avec des mouvements
qu'elle inventait elle-même et qui exprimaient d'une façon étonnam-
ment fine et esthétique le sentiment éveillé par cette musique. Une de
nos catatoniques chroniques est, à part une irritabilité presque perma-
nente avec tendance à la violence, totalement indifférente à l'environ-
nement, indécente et malpropre au plus haut degré. Elle peut pourtant
non seulement danser mais s'adapter très exactement à toutes les
nuances de la musique et des mouvements de son danseur.
* * *
68. Vergleichgiiltiget.
69. Information fournie de vive voix (NDA).
L'absence de fluctuations du volume des membres, de modifications du pouls
et de la respiration sous l'effet de stimulus douloureux et froids qu'ont trouvée
Bumke et Kehrer (Archiv fur Psychologie, vol. XLVII, p. 9 4 5 ) a probablement
une signification analogue (Comparer aussi aux réflexes pupillaires).
* * *
c) L'ambivalence
Ainsi peut-on également constater, aussi souvent qu'on le veut, que les
patients ne remarquent même pas la contradiction quand on prend dans
un sens positif leur réponse négative. J e demande à un malade : « Avez-
vous des Voix ? » Il le nie avec assurance. Je poursuis : « Que disent-
elles donc ? » « — Oh, toutes sortes de choses. » Ou même c'est un
exemple précis qui est fourni en réponse. - Plus souvent encore, il
ressort des propos et du comportement des malades qu'ils pensent une
idée positivement et négativement en même temps, bien que cela ne
saute pas toujours autant aux yeux que dans la série de propositions
suivantes : « Elle n'avait pas de mouchoir ; elle l'a étranglé avec son
mouchoir. » Le fait qu'une idée soit exprimée par son contraire doit
être classé ici : Un patient se plaint de ce qu'on lui ait enlevé la clé
principale, alors qu'il veut réclamer qu'on la lui donne. Dans la « lan-
gue fondamentale » de Schreber, cela donne « récompense » : « puni-
tion » ; « poison » : « aliment », etc.
Les trois formes de l'ambivalence ne peuvent pas être être nettement
distinguées, ainsi qu'il ressort déjà des exemples qui précèdent. Af-
fectivité et volonté ne sont en effet que des facettes d'une fonction
homogène ; mais les antinomies intellectuelles ne peuvent souvent pas
être non plus disjointes des antinomies affectives. Le mélange de délire
de grandeur et de persécution résulte du souhait et de la crainte, ou
du fait que le malade tantôt affirme sa propre valeur et tantôt la nie.
Le patient est particulièrement puissant, et en même temps il est sans
pouvoir ; il est tout à fait banal que l'amoureux ou les protecteurs de-
viennent aussi les persécuteurs, sans abandonner le premier de ces
rôles. Il est plus rare que des ennemis deviennent des bienfaiteurs
(une paranoïde catholique était devenue vieille-catholique 70 ; elle eut
alors l'idée délirante qu'elle était persécutée par le Pape, mais celui-ci
finit par vouloir lui offrir bien des millions). C'est à peu près la même
chose quand de nombreux malades se plaignent, certes, d'une persé-
cution, mais pensent que celle-ci doit servir à les instruire, à les amé-
liorer, ou comme étape préparatoire à leur élévation.
70. Secte catholique constituée en église indépendante après avoir refusé le dogme de l'in-
faillibilité pontificale en 1 8 7 0 (NDT).
I I . Les fonctions intactes
Souvent, des troubles sont simulés par le fait que l'examinateur et le patient
ne parlent pas le même langage. Le patient prend dans un sens symbolique
ce que le médecin entend au sens propre. Ainsi un malade prétend-il ne pas
pouvoir voir, être aveugle, alors qu'il y voit fort bien mais ne perçoit pas les
objets « comme une réalité ». S'entendant demander depuis quand elle était
là, une patiente qui avait fourni par ailleurs de nombreuses preuves
d'orientation temporelle exacte et séjournait à l'asile depuis quatre semaines
affirma avec une grande certitude être là depuis trois jours. Mais cette dé-
termination d'une durée de trois jours était pour elle identique avec celle de
« toute ma vie ». Elle expliqua alors elle-même que le premier jour avait été
celui où elle avait commis une faute morale dans sa prime jeunesse, le second
celui où, devenue adulte, elle avait fait la même chose, et le troisième n'était
pas encore parvenu à sa fin ; cette dernière allégation se référait indubita-
blement au fait qu'elle avait reporté son amour sur le médecin de la section.
L'inverse se voit tout aussi souvent ; une tournure figurée quelconque est
prise au pied de la lettre par le patient.
Il est particulièrement important de savoir que les malades ont une compta-
bilité double71 sous de nombreux rapports. Ils connaissent tant les conditions
exactes que les conditions falsifiées et, selon les circonstances, répondent
dans le sens de l'un ou de l'autre type d'orientation - ou des deux en même
temps, cette dernière modalité étant notamment fréquente dans le cas de
fausses reconnaissances de personnes : le médecin est là maintenant en tant
que Docteur N. (c'est-à-dire qu'à d'autres moments il est l'ancien amoureux).
a) La sensation et la perception
Busch et Kraepelin ont trouvé que les schizophrènes font plus de fautes, et
notamment d'omissions, au disque de tir' 2 et au tambour' 3 que les sujets
sains. Chez certains malades, le nombre des lectures exactes est un peu di-
minué, mais se situe dans les limites de la normale. Naturellement, ce sont
les malades aigus, notamment stuporeux, qui ont les pires résultats. Mais les
tests montrent nettement que l'on n'a pas à faire, pour l'essentiel, à un trouble
de la perception, mais à des troubles de l'attention et de l'intérêt supérieur.
La tendance aux stéréotypies joue aussi un rôle dans certains cas. Il en va
de même de la difficulté à distinguer représentations et perceptions. Lors des
erreurs de lecture, les malades ont un plus grand sentiment de certitude de
ce qu'ils ont saisi de façon erronée que les sujets sains. Ce qui est caracté-
ristique, c'est que les auteurs ont trouvé chez une patiente qu'ils considé-
raient comme hystérique les mêmes troubles que chez les schizophrènes.
Ailleurs (388, vol. II, p. 177), Kraepelin mentionne que des stimulus d'action
très brève sont en règle perçus très incomplètement. Nous n'avons pas pu
vérifier les tests avec des appareils précis. Mais l'observation de la réaction
aux stimulus extérieurs, lors du jeu, des bagarres, l'examen en montrant des
images le plus brièvement possible ne nous ont encore montré, chez des pa-
tients faisant montre de bonne volonté et d'une attention correcte (et en l'ab-
b) L'orientation
c) La mémoire
La mémoire en tant que telle n'est pas altérée non plus dans cette
maladie. Les patients évoquent aussi bien que les sujets sains leurs
vécus de l'époque tant antérieure que postérieure à l'affection - et ces
derniers, dans de nombreux cas, mieux encore que les sujets bien por-
tants, en enregistrant comme une caméra photographique, qui fixe tout
aussi bien ce qui est accessoire que ce qui est important. Aussi peu-
vent-ils souvent fournir plus de détails qu'un sujet normal n'en ra-
conterait, ce qui peut être un avantage, par exemple lors de l'examen
anamnestique à l'asile. Souvent les malades fixent aussi les dates et
autres bagatelles de ce genre d'une façon étonnamment tenace, et cer-
tains paranoïdes, en particulier, sont même capables de donner la date
de tous les événements qu'ils relatent dans leurs longues requêtes 74 .
« J e connais des cas de paranoïa dans lesquels l'attention est attirée
par une altération singulière de la mémoire, qui a presque l'allure d'une
hyperfonction (hypermnésie). Les paranoïaques en question se souvien-
nent de chacun des moindres détails d'un événement datant d'un passé
lointain 75 ...
7 4 . On notera dès à présent que l e s paranoïdes qu'évoque ici B l e u l e r sont des paranoïaques
dans toute autre c l a s s i f i c a t i o n que la s i e n n e . Voir note suivante à c e propos (NDT).
7 5 . Berze ( 5 8 , p. 4 4 3 ) . Cet auteur range notre forme paranoïde dans la paranoïa (NDA).
l'exercice des articulations et des muscles doit jouer un rôle peuvent
être soudain réutilisées après de nombreuses années d'interruption,
comme si elles avaient toujours été exercées. Une catatonique qui
n'avait pour ainsi dire pas fait un mouvement normal pendant trente
ans, et qui n'avait plus touché un piano depuis des années, peut jouer
subitement un quelconque morceau difficile sur le plan technique, cor-
rectement et avec expression.
Ziehen trouve lui aussi une altération de la mémoire dans tous ses
« états déficitaires », bien que pas aussi nette au début que dans la
paralysie générale 77 .
Cette contradiction apparente peut être levée très aisément. Ce qui est
bon, dans la schizophrénie, c'est l'enregistrement du matériel fourni par
l'expérience sensible et la conservation des traces mnésiques. Mais l'évoca-
tion du vécu peut être perturbée à un moment donné, ce qui paraît évident,
si l'on songe qu'elle doit se produire par la voie des associations, qu'elle
est influencée par l'affectivité, et que ce sont justement ces deux fonc-
tions qui sont particulièrement atteintes dans la schizophrénie.
76. Masselon dit aussi (p. 110) qu'aucun détail ne peut être répété ; ceci aussi est faux.
Quand il mentionne eri outre qu'une élève sage-femme aurait perdu toutes les connaissances
acquises durant sa scolarité mais se souviendrait de son enfance, il s'agit là d'un hasard
qui doit reposer soit sur les complexes des patients, soit encore sur le mode de question-
nement. Par contre, quand Masselon trouve une « stéréotypie de la mémoire », l'observation
est juste : il arrive effectivement souvent que les opérations mnésiques se stéréotypent elles
aussi, comme d'autres fonctions, si bien que quand on aborde, fût-ce de loin seulement, un
certain thème, le même matériel mnésique ne cesse d'être évoqué, souvent même avec les
mêmes mots (NDA).
77. J e n'ai pas encore rencontré non plus d'altération de la mémoire respectivement dans
l'idiotie et l'imbécillité, quoique d'autres auteurs encore que Ziehen l'y décrivent aussi. Nos
conceptions de la « mémoire » doivent diverger. 11 me paraît évident qu'un idiot peut tout
aussi peu garder en mémoire un propos ou un événement qu'il n'a pas compris que moi un
opéra chinois ; cependant il est beaucoup d'imbéciles qui gardent en mémoire plus de détails
qu'ils n'ont pas compris que la plupart des sujets normaux (table de multiplication, sermons
entiers) et qui évoquent avec une grande expressivité, des décennies plus tard, les événe-
ments qu'ils ont compris, même s'ils disposent à peine de la parole. Je n'appelle un examen
examen de la mémoire que s'il se rend aussi indépendant que possible d'autres troubles tels
que le manque de compréhension dans l'idiotie, les barrages, le désintérêt et la paresse à
penser dans la schizophrénie (NDA).
Les barrages sont fort fréquents lors de l'évocation des souvenirs durant
l'examen médical, et empêchent par moments la reviviscence des traces
mnésiques, surtout celles des complexes chargés d'affect. Les dérail-
lements des associations produisent une foule de réponses erronées :
le désintérêt, ou même des tendances négativistes, empêchent une ré-
flexion correcte et favorisent réponses irréfléchies et propos à côté.
Il est donc naturel que nous ne recevions très fréquemment aucune
réponse, ou des réponses erronées, quand nous interrogeons les schizo-
phrènes ; que la réponse nécessite une opération mnésique ou une réfle-
xion, le résultat est en règle à peu près le même ; les malades répondent
également tout aussi inexactement s'ils doivent commenter quelque chose
d'actuel. Ceci nous montre que nous ne sommes pas en droit de situer
cette perturbation au niveau de la mémoire. Naturellement, des fonctions
complexes et peu exercées courent plus de risques d'achopper sur un de
ces écueils que des fonctions simples et quotidiennes, si bien que Mas-
selon a raison sous un certain rapport. Mais si l'on observe la proportion
numérique entre l'échec des opérations simples et celui des opérations
complexes, on acquiert nécessairement la conviction que les activités
psychiques élémentaires sont tout autant touchées par le processus pa-
thologique que les fonctions complexes ; l'influence de la maladie de-
vient seulement plus souvent manifeste dans le cas de ces dernières,
exactement de la même façon que l'influence de l'usure normale de la
mémoire lèse moins le souvenir du lieu où l'on est allé à l'école que,
par exemple, celui des aventures d'Alexandre le Grand.
d) La conscience
78. « Conscience » signifie d'abord cette propriété (non descriptible) des processus psychi-
ques qui distingue l'être sensible des automates. Ou cette conscience est présente, ou elle
fait défaut ; et cette dernière éventualité non pas dans les psychoses, mais dans le coma,
dans l'évanouissement profond. Il n'existe pas de trouble qui aille dans le sens d'une para-
fonction de la conscience. Tout au plus peut-on imaginer qu'elle soit altérée quantitativement,
dans la mesure où plus ou moins de processus psychiques peuvent être conscients au même
moment et où ces processus doivent avoir une plus ou moins grande intensité pour devenir
conscients. Mais ces idées ne peuvent être mises en pratique : la « conscience » d'un idiot
a sûrement souvent bien moins de contenu que celle d'un épileptique en état crépusculaire
ou d'un rêveur intelligents, et pourtant nous qualifions la première de normale et la seconde
de troublée. Et en ce qui concerne l'intensité nécessaire des stimulus, un stimulus minimal,
qui ne serait même pas pris en compte à l'état normal par la même personne, peut fort bien
devenir conscient dans un « état crépusculaire » (Etat crépusculaire hystérique !). Les sti-
mulus intrinsèques sont aussi très conscients, en général, dans les états crépusculaires, sans
que nous ayons de raison de supposer qu'ils aient une intensité particulière. Car nous ne
savons absolument rien de la dynamique des processus psychiques. Le mot « conscience »
revêt une signification tout à fait différente si l'on parle déjà d'une « conscience perturbée »
en cas d'orientation défectueuse et de rapport insuffisant avec le monde extérieur ; il y a
même des gens qui parlent d'un trouble de la conscience si des idées délirantes se mani-
festent. Parfois, le souvenir a posteriori fut aussi considéré comme indice de la présence de
la conscience à un moment donné. - Il devrait être clair qu'on ne saurait rien tirer d'une
telle notion. - Tout aussi impropre est le concept de conscience de soi, qui a donné lieu à
beaucoup de confusion. Qui a une conscience ne se confond sûrement pas lui-même avec
le monde extérieur, et doit donc avoir aussi conscience de soi, au sens où l'entendent les
psychologues. Sans doute sa conscience de soi ne peut-elle donc pas être altérée non plus.
Mais si l'on entend par là la compréhension de sa propre personnalité, alors nous utiliserons
de préférence cette dernière expression, plus claire, pour désigner ce phénomène (NDA).
Car la « conscience du temps et du lieu » n'est rien d'autre que l'orien-
tation dans le temps et l'espace. Quoi qu'il en soit, dans le cas des
anomalies de la conscience (« troubles du sensorium »), il s'y ajoute
généralement encore un trouble primaire, non seulement dans la syn-
thèse des impressions sensorielles en une représentation figurative du
temps et du lieu, mais aussi sous la forme d'une altération de la sen-
sation et de la perception ; les stimulus sensoriels ne sont en grande
partie (mais jamais tous !) même pas enregistrés, ou alors ils sont trans-
formés dans un sens illusoire par l'interprétation ; par contre, l'esprit
se crée de l'intérieur son propre monde, qui est projeté vers l'extérieur.
Nous parlons alors d'états crépusculaires.
La conscience, en ce sens que les patients perdraient le rapport sensoriel
avec l'environnement, n'est donc pas altérée dans les états chroniques de
la schizophrénie ; sous ce rapport, les schizophrènes se comportent comme
des sujets bien portants. Par contre, il y a bien souvent des syndromes
aigus qui sont tout à fait analogues à un état crépusculaire hystérique,
ainsi que des états confusionnels d'origines les plus diverses. En outre,
ce symptôme permanent qu'est l'autisme (voir chapitre suivant) peut
en un certain sens être qualifié de trouble de la conscience.
e) La motricité
Les schizophrènes les plus graves, qui ne cultivent plus aucune rela-
tion, vivent dans un monde en soi ; ils se sont enfermés dans leur
chrysalide avec leurs souhaits, qu'ils considèrent comme exaucés, ou
avec les souffrances de leur persécution, et ils limitent le contact avec
le monde extérieur autant qu'il est possible.
Nous appelons autisme80 ce détachement de la réalité combiné à la
prédominance relative ou absolue de la vie intérieure.
Dans des cas moins prononcés, la réalité a seulement perdu plus ou
moins d'importance sur le plan affectif ou sur le plan logique. Les
malades sont encore impliqués dans le monde extérieur, mais ni l'évi-
80. L'autisme est à peu près la même chose que ce que Freud appelle autoérotisme. Mais
comme la libido et l'érotisme sont pour cet auteur des concepts beaucoup plus larges que
pour d'autres Ecoles, ce terme ne peut guère être utilisé ici sans donner lieu à de nombreuses
méprises. Le terme autisme dit pour l'essentiel, en positif, la même chose que ce que P. Janet
(321) qualifie, en négatif, de « perte du sens de la réalité ». Mais nous ne pouvons accepter
sans autre forme de procès cette dernière expression, parce qu'elle prend ce symptôme d'une
façon beaucoup trop générale. Le « sens de la réalité » ne fait pas totalement défaut au
schizophrène, il échoue seulement pour les choses qui se sont précisément mises en oppo-
sition avec ses complexes. Nos patients d'asile, qui sont tout de même relativement graves,
peuvent saisir et retenir très correctement la majeure partie de ceux des événements de
l'asile qui sont sans importance pour leurs complexes. On peut en obtenir des anamnèses
détaillées qui se confirment, etc., bref, ils montrent tous les jours que le sens de l'appré-
hension de la réalité n'a pas disparu chez eux, mais que cette faculté n'est inhibée et altérée
que dans certains contextes. Le même malade qui ne s'est pas soucié de sa famille durant
des années peut énumérer tout à coup une foule de motifs justes pour lesquels sa présence
à la maison serait nécessaire, s'il s'agit pour lui d'échapper à ses persécuteurs de l'asile.
Mais cela ne l'empêche pas de ne pas tirer les autres conséquences de ses réflexions. S'il
est réellement relâché, ou si l'on met des conditions aisées à remplir à sa sortie, il ne lui
vient à l'esprit que dans de fort rares cas de faire quelque chose pour la réalisation de ses
« souhaits » pour sa famille (NDA).
dence ni la logique n'ont d'influence sur leurs souhaits ni leur délire.
Tout ce qui est en contradiction avec les complexes n'existe tout sim-
plement pas pour leur pensée ni pour leur sensibilité.
Une dame intelligente, prise à tort pour une neurasthénique durant de
nombreuses années, a « construit un mur autour d'elle, si étroit qu'elle
avait souvent l'impression d'être dans une cheminée ».
Une patiente par ailleurs tout à fait présentable chante dans un concert,
mais ne peut alors plus s'arrêter. Le public commence à siffler et à
faire toutes sortes de bruits ; elle ne s'en soucie pas, continue à chanter,
et se sent très satisfaite quand elle a terminé. Une demoiselle cultivée,
de la maladie de laquelle on ne remarque presque rien, dépose soudain
ses fèces au milieu du salon, devant témoins, et ne comprend absolu-
ment pas l'indignation de son entourage. Depuis dix ans, un patient
me donne de temps en temps des billets sur lesquels sont toujours
écrits les quatre mêmes mots, qui signifient qu'il est interné abusive-
ment ; cela ne lui fait rien de me donner une demi-douzaine de ces
billets à la fois ; il n'en comprend pas l'absurdité, quand on lui de-
mande des explications. Pourtant, ce malade porte un bon jugement
sur les autres et travaille de façon autonome dans la section. De façon
habituelle, les schizophrènes nous donnent souvent aussi une multitude
de lettres sans attendre de réponse, ou bien ils nous reposent oralement
la même question une douzaine de fois de suite, sans même nous laisser
le temps d'une réponse. Ils prophétisent un événement quelconque pour
un jour précis. Que ce qu'ils ont prédit n'arrive pas les trouble si peu
que, dans de nombreux cas, ils ne cherchent même pas d'échappatoire.
8 1 . Voir glossaire.
le médecin de « Permettez, Monsieur le Docteur ». Si on lui demande ce qu'il
souhaite, il est tout étonné et ne sait que dire 82 . Pendant des semaines, une
mère réclame de voir son enfant, usant de tous les artifices ; si on lui en
donne la permission, elle préfère un verre de vin. Une femme réclame le
divorce pendant des années ; une fois qu'elle est enfin divorcée, elle n'y croit
pas du tout et se met en fureur si on ne l'appelle pas par son nom de femme
mariée. De nombreux malades se consument d'angoisse à l'idée de la mort,
mais n'ont eux-mêmes pas le moindre égard pour la préservation de leur
existence et restent totalement insensibles à des menaces réelles.
8 2 . Une patiente qui avait fait venir le médecin parvint, après quelques instants de per-
plexité, à exprimer son souhait en montrant son anneau nuptial (NDA).
vide ; ou bien ils bouchent leurs orifices sensoriels, remontent leur
tablier ou leur couverture sur leur tête ; et la position recroquevillée,
qui était très fréquente jadis, alors qu'on abandonnait plus les malades
à eux-mêmes, semble même indiquer qu'ils s'efforcent d'isoler le plus
possible du monde extérieur toute leur surface cutanée sensible.
Les patients ne peuvent pas rectifier, ou difficilement seulement, les
malentendus qui résultent du cours autistique des idées.
Une hébéphrène est allongée (de mauvaise humeur) sur un banc. En me
voyant, elle veut se lever. Je la prie de ne pas se déranger. Elle répond d'un
ton irrité que si seulement elle pouvait rester assise, elle ne s'allongerait
pas ; c'est-à-dire qu'elle s'est imaginé que j e lui faisais un reproche parce
qu'elle était couchée sur le banc. Je lui renouvelle à plusieurs reprises, en
termes différents, mon invitation à ce qu'elle reste tranquillement allongée ;
mais elle n'en devient que plus irritée. Tout ce que j e dis est interprété de
façon erronée dans le sens de son cours de pensée autistique.
Pour les malades, le monde autistique est tout autant réalité que le
monde réel, encore que ce soit parfois une autre sorte de réalité. Ils ne
peuvent souvent pas distinguer ces deux sortes de réalité, même quand
ils les différencient en principe. Un patient a entendu parler du docteur
N. ; aussitôt après, il demande si ça a été une hallucination, ou si nous
avons vraiment parlé du docteur N. Busch a démontré par ses tests de
lecture la mauvaise distinction entre représentation et perception.
8 3 . L a p r é o c c u p a t i o n , si f r é q u e n t e c h e z d e j e u n e s h é b é p h r è n e s , p o u r l e s « p r o b l è m e s m a -
j e u r s » , c ' e s t - à - d i r e c e u x où l ' o n n e p e u t t r a n c h e r , o ù la r é a l i t é n ' i n t e r f è r e p a s , n ' e s t r i e n
d ' a u t r e q u ' u n e a c t i v i t é a u t i s t i q u e . - F r e u d a p p e l l e d o u t e et i n c e r t i t u d e un p r e m i e r d e g r é d e
son auto-érotisme ( J a h r b u c h fur Psychanalyse, vol. I, p. 410) (NDA).
logiques ordinaires, tant que cela lui convient ; mais il n'est absolument
pas lié par eux. Il est dirigé par des besoins affectifs. En outre, il
pense par symboles, par analogies, par concepts incomplets, par asso-
ciations fortuites. Si un même patient se tourne vers la réalité, il peut,
le cas échéant, penser de nouveau avec précision et logique. Il nous
faut donc distinguer une pensée réaliste et une pensée autistique, et ce
côte à côte, chez le même patient. Dans la pensée réaliste, le malade
s'oriente tout à fait bien dans le temps et dans l'espace réels ; il dirige
ses actions en fonction de cela, autant qu'elles nous apparaissent nor-
males. De la pensée autistique proviennent les idées délirantes, les
manquements grossiers à la logique et à la bienséance, et autres symp-
tômes morbides. Les deux formes sont souvent bien distinctes, si bien
que le patient peut penser de façon tantôt tout à fait autistique, tantôt
tout à fait normale ; dans d'autres cas, elles se mêlent jusqu'à complète
interpénétration, ainsi qu'on l'a vu plus haut.
Les malades ne sont pas forcément conscients de ce qu'il y a de spécial,
de différent de l'expérience antérieure dans la pensée autistique. Mais
des patients suffisamment intelligents peuvent ressentir pendant des
années, généralement douloureusement, plus rarement agréablement,
la différence par rapport à avant. Ils se plaignent de ce que la réalité
ait une autre apparence qu'autrefois ; les objets et les personnes ne sont
en fait plus du tout tels qu'on les qualifie ; ils sont autres, étrangers, ils
n'ont plus de rapports avec le patient. Une patiente qu'on avait fait sortir
« errait comme dans un tombeau ouvert, tellement le monde lui pa-
raissait étranger ». Une autre « a commencé à entrer par la pensée
dans une existence tout à fait différente ; alors, quand elle comparait,
tout était totalement différent ; même son amoureux n'est pas du tout
tel qu'elle se le représente ». — Une patiente encore très intelligente
considérait comme une modification bénéfique que de pouvoir se met-
tre à volonté dans un état où elle éprouvait la plus grande félicité
(sexuelle et religieuse) et voulait nous apprendre à faire comme elle.
b) L'attention
L'attention passive est altérée d'une façon tout à fait différente : certes,
il va de soi que les patients qui ont perdu tout intérêt ou qui sont
enkystés de façon autistique prêtent fort peu attention au monde exté-
rieur. Mais, à côté de cela, un nombre étonnamment grand d'événe-
ments dont les patients ne se soucient pas sont enregistrés. Le
processus de sélection qu'opère l'attention parmi les stimulus senso-
riels peut être abaissé à zéro, si bien que presque tout ce qui parvient
aux sens est enregistré. Le caractère tant préparatoire qu'inhibiteur de
l'attention est donc perturbé de la même façon.
Des événements survenus dans la section et qui n'avaient pas touché les
malades, des nouvelles tirées des journaux et dont ils n'avaient entendu parler
qu'incidemment peuvent être encore évoqués avec tous les détails, des années
plus tard, par des patients qui semblaient totalement préoccupés d'eux-
mêmes, qui regardaient apparemment toujours le même coin de la pièce, si
bien qu'on ne peut absolument pas saisir comment ils ont pu même avoir
vent de ces choses. Après une amélioration, une de nos catatoniques qui,
durant des mois, ne s'était occupée qu'à faire des pitreries contre les murs,
se montra orientée sur ce qui s'était passé entre-temps au cours de la guerre
des Boers ; elle doit avoir saisi au passage quelques remarques de son en-
tourage complètement stupide et les avoir retenues de façon organisée. Une
autre, qui n'avait ni dit un mot sensé ni fait une action sensée pendant de
nombreuses années (elle n'avait même pas mangé seule), connaissait le nom
du nouveau Pape plusieurs années après le début de son pontificat, bien
qu'elle vécût dans un entourage protestant où l'on ne se souciait pas de Rome.
8 4 . Une partie du concept de vigilance recouvre celui d'aptitude à laisser détourner son
attention (voir p. 7 3 ) (NDA).
Le résultat de la concentration de l'attention est très variable. Il peut
être normal. D'un autre côté, les patients ne peuvent souvent pas vrai-
ment se concentrer, même s'ils s'y efforcent : l'intensité de l'attention
est perturbée. Généralement, son étendue est alors atteinte également :
les malades ne sont pas capables de rassembler toutes les associations
nécessaires à une réflexion. Ces troubles pourraient être co-déterminés
par des entraves primaires encore inconnues dans les processus psy-
chiques ; mais, en dehors des affects, ce sont naturellement les troubles
des associations qui influencent le plus le résultat de l'attention. Si le
cours des idées est totalement désagrégé, une idée juste sera de toute
façon impossible sans un effort anormalement intense. La tendance gé-
nérale de certains cas à la fatigue fait aussi rapidement décroître l'at-
tention ; mais la plupart des patients chroniques présentent une
capacité de maintenir leur attention concentrée normale ou supérieure
à la normale, pour autant qu'ils en viennent à une attention active.
c) La volonté
85. Wünsche und Begehren. Ce qui confirme l'opportunité de traduire Wunsch par souhait
plutôt que par désir. Voir glossaire (NDT).
86. Déficit de la volonté est pris ici tant dans le sens de manque de puissance de la force
motrice (apathie) que dans celui de manque de ténacité et d'homogénéité de la volonté
(lubies, insouciance) et dans celui de défaut d'inhibition (NDA).
leur appareil moteur. Quand de tels barrages de la volonté perdurent,
nous nous trouvons devant une forme de stupeur catatonique.
Dans d'autres circonstances encore, des actes compulsifs, des actes
automatiques et les formes de Vautomatisme sur ordre peuvent égale-
ment se voir. Mais ces phénomènes relèvent d'un autre chapitre (voir
plus loin, « symptômes catatoniques »).
d) La personnalité
e) La démence sehizophrénique
Il faut d'abord retenir que, même dans une schizophrénie très grave,
toutes les fonctions de base jusqu'à présent accessibles à l'examen sont
potentiellement conservées. Alors que dans l'idiotie les relations concep-
tuelles et associatives complexes ne sont absolument pas élaborées,
alors que dans les psychoses organiques bien des choses ont été per-
dues, sinon sur le plan cérébral du moins sur celui de leur utilisation
par l'esprit, même le schizophrène le plus stupide est capable de réa-
liser tout à coup, dans des conditions favorables, une prestation de très
haut niveau (tentative d'évasion « rusée »). La stupidité schizophrénique
grave est caractérisée (en dehors de l'important manque d'intérêt et
d'activité) par le fait qu'il y a numériquement beaucoup d'échecs parmi
toutes les pensées et les actes ; qu'une tâche donnée soit difficile ou non
est là d'une importance secondaire. Par contre, la démence des formes
les plus bénignes se caractérise par le fait que ces gens agissent habi-
tuellement de façon tout à fait sensée mais sont potentiellement capables
de n'importe quelle sottise. Le paralytique général ou l'imbécile légers
font leurs incongruités là où une réflexion trop compliquée pour eux
serait nécessaire ; en des matières plus simples ils agissent normale-
ment. Seulement, chez ces patients, on peut évaluer le degré de la
démence d'après le niveau des performances possibles et, là aussi, lors
d'un examen prudent et en prenant en compte le contexte, l'humeur,
la fatigue, les particularités individuelles, etc. Qui, parmi ces patients,
n'est pas capable de faire une multiplication pourra encore moins venir
à bout d'une division ; qui ne saisit pas le sel d'une fable ne compren-
dra pas un roman, et, à l'inverse, une histoire plus simple ne causera
pas de difficultés à qui comprend l'ensemble des tenants et aboutis-
sants d'un roman. Il en va tout autrement dans la schizophrénie : un
malade qui, à un moment donné, ne peut pas additionner 17 et 14
même en faisant de sérieux efforts résout tout à coup un calcul difficile
ou tient avec succès un discours bien construit. Un schizophrène peut
juger avec un esprit critique clair les actes, l'état pathologique des
autres patients et le bien-fondé des mesures prises à leur égard, et en
même temps ne pas comprendre qu'il est lui-même invivable, hors de
Le fait que des concepts simples puissent être perturbés tout autant
ou presque que des concepts compliqués et difficiles à saisir, est une
caractéristique des altérations conceptuelles de la schizophrénie. Ce
qui est déterminant, c'est au premier chef l'appartenance à un
complexe chargé d'affect, qui tantôt facilite et tantôt entrave la forma-
tion d'un concept. En outre, le trouble varie avec les fluctuations de
la maladie, qui tantôt touchent la plus grande partie de la pensée et
tantôt se limitent de nouveau à quelques fonctions élémentaires.
(Que disent les Voix?) - J'ai aussi deux enfants. (On répète la question.)
- On dit beaucoup de choses, ici. (On répète la question.) - Pas grand-chose.
(On répète la question.) - De toute façon, j e ne parle pas beaucoup. (On
répète la question.) - Oui, pas grand-chose. (On répète la question.) - Oui,
j e ne peux pas le dire. (Pourquoi pas ?) - J e ne sais pas. (Que disent les
Voix ?) - Oui, on parle plus ou moins ensemble, j e ne parle pas trop.
9 3 . Pour diverses raisons, la fable suivante a bien répondu à notre attente comme texte pour
des tâches simples : L'âne chargé de sel / Un âne chargé de sel dut traverser un fleuve à
gué. Il tomba et resta quelques instants confortablement allongé dans le flot frais. E n se
relevant, il se sentit soulagé d'une grande part de son fardeau, c a r le sel s'était dissout dans
l'eau. Maître Grandes Oreilles nota cet avantage et l'utilisa dès le j o u r suivant, quand il
traversa le même fleuve, chargé d'épongés. / Cette fois, il fit exprès de tomber, mais il fut
amèrement déçu. Car les éponges avaient absorbé l'eau et étaient devenues notablement
plus lourdes qu'avant. Le fardeau était si lourd qu'il s u c c o m b a . / Un moyen ne convient pas
dans tous les cas (NDA).
bien des malades qui font les plus grosses bêtises ou colportent les
idées les plus absurdes. Généralement, cependant, de telles tâches sont
un échec complet dans le cas de patients d'asile, ou bien la morale
est détournée dans le sens des complexes ou tirée d'une association
fortuite. Ainsi un patient tire-t-il de la fable-test la morale suivante :
il ne faut pas être effrayé si l'on se voit attribuer une lourde tâche.
Certains malades racontent, au lieu de ce qu'ils ont lu, de tout autres histoires
d'âne ou de sel, etc. D'autres mettent dans un nouveau contexte, voisin, des
fragments de l'idée qui leur a été fournie : ainsi avons-nous entendu plusieurs
fois « qu'un âne a voulu se noyer ». Ou encore des fragments sont répétés
sans cohérence, avec souvent aussi des ajouts schizophréniques : « Un âne a
été lourdement chargé de sel et est parti avec son chargement - dans le
désert ». A l'occasion, les malades remarquent l'incohérence ou la confusion
de leur récit. (Après deux lectures) : « Un âne a emporté du sel avec lui et
a dû entrer dans le fleuve ; une éponge est alors venue - j e ne sais pas si
c'est une éponge - ou un cygne - ou une oie 9 4 ... » (Ici, la patiente s'est
aperçu qu'une éponge pouvait difficilement venir, et a alors changé l'éponge
- Schwamm - en un cygne - Schwan.) Dans des cas plus graves, les concepts
de l'histoire sont mélangés pêle-mêle et reliés grammaticalement les uns aux
autres : « Un âne a franchi à gué un fleuve dans lequel il y avait des éponges,
et alors le fardeau a été trop lourd pour lui. » Si, à l'inverse, le rapport de
causalité est particulièrement souligné, voire même complété par des ajouts
inutiles, il s'agit en règle d'une complication par Valcoolisme : « Un âne por-
tait un chargement d'épongés ; il avait soif, il est entré dans un fleuve pour
boire de l'eau... »
94. La première association s'est faite par assonance : Schwamm (éponge) - Schwan (cygne)
(NDT).
elle dit « fosse » ; quand on lui fit remarquer que c'était dans un fleuve, elle
dit « oui, une fosse avec de l'eau ». Abstraction faite de tels cas, nous voyons
dans la schizophrénie étonnamment peu de références à soi-même lors de la
lecture des fables, tandis que les déprimés organiques rapportent en règle à
eux-mêmes l'histoire de l'âne noyé ou surchargé, et la plupart des alcooliques,
eux aussi, voient dans l'eau une allusion à leur défaut.
Lors des bonnes rémissions, les idées délirantes sont reconnues comme
telles bien que, presque sans exception, on puisse encore en retrouver
quelque chose dans certaines associations. Les malades « guéris » peu-
vent aussi qualifier de morbide et d'absurde leur comportement durant
la maladie : mais là aussi la pleine critique fait généralement défaut.
J'ai vu une catatonique qui, dans un asile, était très violente envers
elle-même et envers autrui, barbouillait, refusait la nourriture, qui fut
ensuite reprise par son père alors qu'elle était dans la plus grande
excitation, tint le ménage de celui-ci dès le premier jour de sa sortie,
et rédigea ses mémoires. Elle se souvenait de tous les détails de son
séjour à l'asile, pouvait même qualifier de morbide tel ou tel de ses
symptômes, mais elle considérait pourtant qu'elle avait été enfermée à
tort, et elle crut pouvoir écarter mes prudentes objections, selon les-
quelles ses violences et son refus de nourriture n'avaient tout de même
pas été signes de bonne santé, en disant qu'elle avait voulu « perturber
la marche de l'asile, où on la traitait si injustement ».
Ceci n'exclut pas que, dans un autre cas, un patient qui avait été
gravement catatonique pendant quelques années, et qui souffre main-
tenant d'une paranoïa hallucinatoria patente, commence tout d'un coup
à apprendre l'anglais et y arrive si bien, à l'asile, en autodidacte, qu'il
peut vendre ses traductions.
La capacité d'étude, mesurée à l'habileté à additionner, serait normale,
selon Specht (733). Selon Reis, elle s'avère un peu diminuée dans
divers types d'examen psychologique du progrès dans l'étude ; elle était
totalement absente dans un cas. De plus amples examens, chez des
malades dont la maladie est avancée, seraient toutefois souhaitables ;
car l'attention, la bonne volonté, etc. influencent naturellement très
fortement le résultat.
La capacité de calculer est légèrement altérée dans les cas assez
graves, mais elle peut se restaurer à tout moment, si les patients sont
assez cohérents pour avoir une vue d'ensemble d'un problème de cal-
cul. Des méprises de toute sorte, telles qu'on en voit dans la perplexité
et le manque d'attention, sont naturellement très fréquentes chez les
patients d'asile ; il s'y ajoute, de surcroît, que souvent ils n'ont pas la
volonté de répondre correctement ; même des schizophrènes très sensés
ne se gênent pas le moins du monde pour dire, lors d'une présentation
clinique, que 3 fois 1/4 font 100. Mais des cas relativement bénins, au
stade chronique, sont parfois tout à fait aptes à des travaux comptables
de bureau. Ils ne prêtent attention à rien d'autre, ne pensent à rien
d'autre et peuvent travailler à longueur d'année comme une machine,
avec la plus grande conscience ou, disons, la plus grande « précision ».
Dans les jeux de toute sorte, les malades se comportent comme dans
d'autres activités intellectuelles, c'est-à-dire de façon extrêmement di-
verse. Beaucoup ne présentent pas la moindre trace d'un besoin quel-
conque de se divertir. Ceux qui ont un penchant à jouer consacrent
souvent une attention totale à cette occupation, comme quelqu'un de
sain ; et ce ne sont pas seulement des cas chroniques qui peuvent jouer
aux jeux habituels, notamment aux cartes, avec raffinement et en pe-
sant tous les éléments, mais même un catatonique au stade aigu, qui
paraît franchement confus, peut nous surprendre en jouant aux échecs
comme un virtuose. Parmi les jeux de société, ceux qui demandent de
l'esprit ne peuvent naturellement pas être faits avec la plupart des
patients.
L'imagination des schizophrènes est en règle fortement atteinte. La plu-
part n'ont aucun penchant à penser quelque chose de nouveau, et ils
en ont tout aussi peu la capacité. Leurs pensées nouvelles consistent
souvent en des assemblages étranges du stock idéique existant, mais
elles se forment sans qu'il y ait de but intellectuel, et c'est pourquoi
elles ne produisent que des bizarreries mais ne créent pas d'idées à
proprement parler. Un paralytique général à forme maniaque peut pro-
duire plus d'idées neuves en un jour que toute une section pleine de
schizophrènes en plusieurs années.
Les capacités esthétiques sont généralement anéanties, ou du moins for-
tement endommagées par la maladie. Car la suite dans les idées fait
défaut, ainsi que le jugement, le soubassement affectif, et surtout l'ini-
tiative et la capacité productive. La faculté de jouir des œuvres d'art
est généralement absente aussi.
Les artistes qui pratiquent les arts plastiques sont généralement grave-
ment atteints par la maladie ; ici, la bizarrerie des idées, de la tech-
nique et de l'exécution sautent généralement immédiatement aux yeux.
11 va de soi que la productivité en souffre ; mais il est des peintres
qui répètent une infinité de fois une idée donnée, pendant longtemps 95 .
Souvent, l'art sert de moyen d'expression des idées délirantes et peut
être reconnu comme pathologique au premier coup d'œil.
Ces vers publiés par Stawitz montrent la banalité des pensées et de la forme :
Der Chorgesang
Stärker als die Sprache der Natur
von bekannten Sängern schallte nur,
eines Tags ein Lied mir zu.
Manch Träne, die mein Herz verbarg,
schaffte so der Seele Ruh !
Mehr noch schätze ich das Singen
als vorher : es gab ja Schwingen
Meinem Rückblick in die Zeit.
Meinem Ohr' ward es zur Weid.
La bizarrerie s'exprime dans les vers suivants, dont je ne suis plus capable
de citer Tauteur :
Dans les états aigus, une forme de productivité pathologique peut même
se développer. La patiente de Forel était habituellement incapable de
faire des vers ; au stade prodromique de la maladie, les vers en gésine
la « pourchassaient » littéralement.
f) L'activité et le comportement
Ainsi un patient de Kraepelin pouvait-il encore fort bien dessiner, mais non
faire des courbes. Un autre pouvait copier avec exactitude, mais non utiliser
correctement les signes de ponctuation. D'une façon générale, les patients ne
font guère montre de faculté de variation dans le travail non plus ; chez un
très grand nombre d'entre eux, le travail doit être fait comme ça leur passe
par la tête, même quand c'est tout à fait inadéquat. On sent très nettement
le manque de faculté de réflexion. Un enseignant pensionné réclame d'être
réembauché, mais dans le même courrier il invective les autorités. Un mé-
decin placé à l'asile en raison de menaces ayant un caractère de dangerosité
publique dit, avec le plus grand sérieux, pouvoir obtenir toute la liberté qu'il
veut en me faisant un procès ; je serais alors son adversaire et n'aurais plus
le pouvoir de lui imposer des limites en tant qu'expert et directeur d'asile.
On voit quotidiennement des malades apparemment lucides faire des tenta-
tives de fugue tout à fait irréfléchies, soit sous les yeux des infirmiers, soit
sous forme de fuite d'une pièce dans un corridor au-delà duquel il y aurait
encore quelques portes fermées à franchir.
Les buts que les patients se sont fixés contrastent souvent grossière-
ment non seulement avec leurs capacités actuelles, mais avec leurs
facultés intellectuelles en général. Réforme du monde, poésie, philan-
thropie sont les activités de prédilection de certains schizophrènes.
Néanmoins, beaucoup disent en tous domaines des vérités auxquelles
quelqu'un de sain ne pense pas.
Ils peuvent apparaître vraiment inconsidérés et arrogants même sur de
minces sujets, comme quand un patient inculte donne à un médecin
de bons conseils sur la façon de traiter un de ses (du médecin) parents,
ou quand des conseils sur le savoir-vivre en bonne compagnie sont
donnés à une patiente stupide. Ce n'est guère mieux quand un autre
patient écrit pour un journal un article sur la valeur formatrice du
cirque pour le public zurichois. Au niveau des apparences, une co-
quetterie excessive et pouvant aller jusqu'à une extravagance carica-
turale se manifeste parfois. Il est toutefois plus fréquent "que les
malades finissent par être sales et négligés sous tous rapports.
Une dame cultivée écrit une foule de lettres, met les adresses, les pourvoit
de la mention « recommandé », mais ne les envoie pas. Un enseignant ré-
clame tout à coup un poste à 2 0 0 0 F de traitement et quitte la place qu'il
avait. Un être inculte veut étudier la théorie musicale. Un commis fait chaque
nuit dans les deux sens le trajet Romanshorn-Genève, parce qu'il a entendu
dire qu'il serait déjà arrivé que des gens se fiancent fort bien dans des trains
de nuit. Un homme se déshabille dehors en plein hiver et traverse le village
tout nu pour aller se baigner dans le fleuve, qui est à une demi-heure de
marche. Une jeune fille coud des bas sur un tapis.
Les rapports avec les autres personnes ne sont pas seulement perturbés
par l'irritabilité et les bizarreries. Dans leur autisme, ils peuvent se
comporter comme s'ils étaient seuls dans une salle de travail bondée ;
tout ce qui concerne autrui n'existe pas pour eux. Dans les sections,
* * *
Tels sont les cas qui sont encore capables d'agir et d'avoir des relations
avec les gens. Si l'autisme prend le dessus, il donne finalement lieu
à un repli total sur l'esprit malade. Les schizophrènes les plus graves
vivent comme en rêve dans les salles qui leur sont dévolues, tantôt se
déplaçant comme des machines ou, sinon, bougeant sans but apparent,
tantôt muets et immobiles, réduisant le contact avec le monde extérieur
à un minimum imperceptible. Si, à un stade quelconque, des symp-
tômes accessoires apparaissent sur le devant de la scène, ce sont alors
eux qui déterminent l'activité et le comportement apparent.
Chapitre II
Les symptômes
accessoires
Il n'est pas fréquent que les symptômes fondamentaux soient si forte-
ment développés qu'ils mènent le patient à l'asile. Ce ne sont que les
phénomènes accessoires qui lui rendent impossible de séjourner dans
sa famille, ou ce sont eux qui rendent la psychose manifeste et amènent
à réclamer une aide psychiatrique. Ils peuvent être présents durant
toute l'évolution, ou seulement au cours de périodes tout à fait quel-
conques de celle-ci. Ils impriment généralement leur sceau au tableau
apparent de la maladie, si bien qu'avant Kraepelin on avait cru pouvoir
délimiter des maladies particulières d'après ces symptômes et leur
groupement.
Les plus connus sont les hallucinations et les idées délirantes. A leurs
côtés, les troubles de la mémoire et les altérations de la personnalité
ont été relativement peu pris en compte. Le langage parlé et écrit et
une série de fonctions corporelles sont parfois altérés, d'une façon tout
à fait irrégulière mais typique. Depuis Kahlbaum, on réunit sous le
nom de symptômes catatoniques un groupe particulier de phénomènes.
Tous ces troubles peuvent être transitoires ou de longue durée. Mais
il existe en outre certains complexes aigus de symptômes, qui se compo-
sent des manifestations citées et d'autres encore, et qui ont donné
l'impression de psychoses aiguës autonomes. Pour nous, ce sont des
épisodes ou des exacerbations survenant au cours d'une évolution plus
longue.
Ce qui est quotidien, c'est que les Voix menacent, invectivent, criti-
quent et consolent en mots hachés ou en courtes phrases ; que les
malades voient des persécuteurs ou des personnages célestes, certains
types d'animaux, du feu et de l'eau, et puis quelque environnement
souhaité ou craint : le paradis, l'enfer, un château, une caverne de
brigands ; qu'ils sentent de l'ambroisie ou un poison ou un immondice
quelconque dans leur nourriture ; qu'ils soient environnés de vapeurs
toxiques ou d'un merveilleux parfum qui les emplit de béatitude ; qu'ils
éprouvent le plaisir d'amour ou les tourments d'un corps profané par
toutes les influences physiques.
Ce sont toujours les mêmes souhaits et les mêmes craintes qui s'ex-
priment par de tels moyens. L'ambitieux perçoit des allusions qui lui
font miroiter pouvoir et argent, mais qui dévoilent aussi les manœuvres
de ses adversaires ; le malade enfermé entend des Voix qui lui pro-
mettent qu'il sera bientôt libre, et d'autres qui disent que sa séques-
tration sera éternelle, etc.
2. Voici peu, une de nos patientes a entendu un c h a n t . Son mari paranoïde avait prophétisé
une promotion s o c i a l e pour l u i - m ê m e et pour elle ; des masses populaires viendraient alors
l e s c h e r c h e r avec des c h a n t s s o l e n n e l s (NDA).
l'ensemble de l'altération de leur rapport au monde extérieur. Elles
procurent au mégalomane l'accomplissement de ses souhaits, au malade
religieux la relation avec Dieu et ses anges, elles annoncent au déprimé
tout le malheur imaginable, elles menacent et injurient jour et nuit le
persécuté. La lettre et le sens des Voix deviennent, pour le patient
comme pour l'infirmier, le représentant des puissances pathologiques
ou hostiles en général : les Voix ne se contentent pas de parler, elles
électrisent aussi les malades, les frappent, les enraidissent, leur pren-
nent leur pensée. Elles sont souvent hypostasiées, en partie sous forme
de personnes, en partie sur un mode très étrange : par exemple, il y
a une Voix sur chacune des oreilles du malade ; l'une est un peu plus
grande que l'autre, mais toutes deux sont à peu près de la taille d'une
noisette, elles ont une grande gueule et c'est tout.
Sur le plan de leur contenu, ce sont les menaces et les invectives qui
sont les plus fréquentes chez nos malades.
Jour et nuit, elles proviennent de l'entourage, des murs, d'en bas, d'en haut,
du souterrain et du toit, du ciel et de l'enfer, de près et de loin. Mais les
patients entendent aussi leurs proches ou leur libérateurs venir, être repous-
sés ou faits prisonniers par les médecins, être torturés. Quand le patient
mange, on dit à chaque bouchée : « il y a du vol là-dedans » ; quand il laisse
tomber quelque chose, il entend : « si seulement on t'avait coupé le pied. »
Parfois les Voix ne se situent pas dans le corps mais dans les vête-
ments ; une de nos hébéphrènes secouait continuellement un nombre
incalculable de « petites âmes parlantes » de ses jupes ; chez une au-
tre, les Voix se croisent au-dessus de ses épaules. Les objets parlent
aussi : la limonade cause, le nom du patient est prononcé dans le lait ;
les meubles lui parlent. Que les patients entendent, dans le silence,
des Voix venant d'un endroit quelconque, pour ensuite les localiser
dans ce même endroit dès qu'il y a un bruit, montre combien la dif-
férence entre illusions et hallucinations est mince. Magnan rapporte
que quand de bonnes Voix et de mauvaises Voix ont une localisation
différente, les bonnes viennent d'en haut et les mauvaises d'en bas.
Cette circonstance n'est pas si rare, et correspond bien à nos concep-
tions religieuses ; mais on ne peut guère l'ériger en règle, parce que
les exceptions sont trop nombreuses. Quand un malade entend les Voix
venir d'en haut dans la section des patients calmes, et d'en bas dans
la section des agités, cela a la même signification ; il redoute tout
particulièrement les Voix d'en bas.
Il peut également arriver que les deux partis qui s'occupent du patient
se partagent entre ses deux côtés. Il n'est notamment pas bien rare
que les hallucinations auditives soient agréables « d'une oreille », dé-
sagréables de l'autre ; mais j e n'ai pas toujours pu observer la préfé-
rence particulière des bonnes Voix pour le côté droit que certains
auteurs prétendent avoir trouvée ; toutefois, de façon symbolique, le
Saint-Esprit parlait dans l'oreille droite d'une de nos malades, et le
serpent dans son oreille gauche.
Parfois aussi, les Voix ne sont qu'unilatérales ; souvent, mais pas tou-
j o u r s , on en trouve la raison dans une affection de l'oreille en c a u s e ,
si bien qu'il s'agit sans doute d'interprétation de bruits auriculaires
dans le sens d'illusions.
Tous les organes peuvent être le siège de vives douleurs ; la tête devient si
sensible que le plus léger attouchement des cheveux fait épouvantablement
mal 4 ; tout le squelette est douloureux. Les patients sont frappés, brûlés, on
leur enfonce des aiguilles brûlantes, des poignards, des piques dans le corps ;
on leur démet les bras et on les remet en place ; on leur retourne la tête vers
l'arrière ; on leur raccourcit les jambes, on leur arrache les yeux, si bien
que, dans le miroir aussi, ils les voient complètement sortis de la tête ; on
leur comprime la peau ; leur corps est devenu comme un accordéon, il se
morcelle et se réassemble ; ils ont de la glace dans la tête, on les a entière-
ment plongés dans une chambre froide ; il y a de l'huile bouillante dans leur
corps ; il y a plein de pierres sur leur peau ; ça scintille dans les yeux, ça
vibre dans le cerveau ; une boule se déplace en spirale sur le crâne, de la
base au sommet ; on met les patients en charpie, comme le crin d'un matelas.
Il y a une sensation dans l'estomac, comme si les aliments n'étaient pas restés
à l'intérieur, on le gonfle ; les poumons sont gonflés comme si un gros mon-
sieur avait été enfoncé par le sexe jusque dans la poitrine à travers le ventre ;
il y a un faux battement de cœur dans le nombril ; les battements du cœur
sont tantôt ralentis et tantôt accélérés, la respiration est entravée, l'urine est
prélevée ou retenue. Tous les organes sont retirés, découpés en petits mor-
ceaux, tiraillés, retournés ; l'un des testicules est gonflé ; les nerfs, les mus-
cles, tous les organes possibles sont tendus.
Même des sensations corporelles incompréhensibles à un sujet normal se pré-
sentent en foule. Si quelqu'un veut du bien à un de nos paranoïdes, ça le
« touche doucement », si quelqu'un lui veut du mal, « ça le frappe ». Il ne
ressent pas cela sur sa peau, plutôt dans sa tête ; cela se communique alors
à son corps, sa posture se modifie.
4 . D'une façon s a n s doute analogue à l ' e x a c e r b a t i o n des voix lors d'un bruit (NDA).
naturellement co-halluciner. Dans les états oniroïdes, il peut arriver
que les malades fassent des mouvements incoordonnés, cômme des épi-
leptiques, tandis qu'ils croient se battre ou vivre une scène d'amour.
Le cas échéant, on leur fait subir toutes les dislocations possibles, on
les jette en l'air, on les met sur la tête. Il peut aussi arriver que les
malades croient que certains de leurs membres sont mûs, alors qu'ob-
jectivement on ne peut rien en percevoir. Un de nos paranoïdes sent
des mouvements de la tête et des épaules mais les tient pour ceux
d'une personne qu'il halluciné. D'une façon analogue, un malade dit
(526) : « Quand les Voix remuent leur langue, j e le sens dans ma
bouche. » Il est rare que les malades perçoivent des mots comme des
signes graphiques moteurs dans leurs mains (38, p. 153).
Les erreurs sensorielles kinesthésiques des organes phonatoires sont
sans doute les plus fréquentes. Les malades croient parler sans que
l'on en puisse objectivement rien noter 5 . Naturellement, on ne saurait
ramener sans plus ample informé des hallucinations auditives à des
hallucinations de la sensibilité musculaire phonatoire ; mais les hallu-
cinations kinesthésiques mériteraient pourtant d'être de nouveau étu-
diées 6 .
Les visions d'animaux ne sont pas très fréquentes, sauf si l'alcool co-déter-
mine les symptômes. Néanmoins, les animaux sexuels (serpents, éléphants,
chevaux, chiens) ne sont pas trop rares, bien qu'ils soient plus souvent res-
sentis que vus. Une malade a vu que ses propres os étaient un chien.
Des scènes entières ne sont pas vues bien fréquemment, en dehors des épisodes
crépusculaires aigus, mais elles sont courantes dans cette dernière éventualité
- animées par des hallucinations d'autres sens. Un hébéphrène déprimé vit
en plein jour un troupeau de moutons sans berger dans une région inconnue.
Trois morts sont allongés là, dans des positions données, et en même temps
la mère du patient est présente pour le protéger. Des couvre-lits sont étendus
sur le toit du voisin ; la maison voisine brûle ; un serpent s'enroule autour
de la veilleuse ; un monsieur ne cesse d'être guillotiné ; des hommes et des
femmes sont groupés autour de la lumière. Les cousins d'une très jeune ca-
tatonique se battent, à la grande joie des malades, ils se tiennent sur leur
tête ; il y a une foule de gens sur la tête du médecin, au premier rang les
bons, derrière les méchants, dont les parents de la patiente (que celle-ci
craint, à juste titre). Les cieux se sont ouverts ; les anges, les saints et No-
tre-Seigneur Dieu lui-même ont commerce avec le malade. - Ce qui apparaît
le plus fréquemment, ce sont de terribles personnages issus de l'enfer, des
brigands qui menacent le patient. - Des mots écrits dans une langue quel-
conque ne sont pas rares, des phrases entières peuvent éventuellement se
voir, parfois en un éclair, comme la matérialisation d'une lubie. Ainsi un
paranoïde auquel l'infirmier donnait un médicament vit-il soudain, en l'air,
le mot « poison ».
Les malades sentent dans leur nourriture le goût de sperme, de sang, d'ex-
créments, de tous les poisons possibles ; il y a du savon dans les nouilles,
du suif dans le café ; l'air leur apporte quelque chose de poussiéreux, au
goût amer ; des odeurs et des poisons leur sont administrés par la bouche,
si bien qu'il ne leur reste plus qu'à se bourrer la bouche de laine ou de
chiffons, à en devenir bleus. « La viande pue comme si l'on avait écrasé un
œuf pourri dessus » ; ça sent le cadavre, le chloroforme dans la pièce ; ça
sent la poix, la « vapeur de serpent » ; le lit sent, il a été souillé de rondelles
d'oignon et de tabac. Un patient sent sa masturbation. Dans les états d'extase,
on rencontre aussi toutes sortes d'odeurs agréables ; une malade sent un par-
fum céleste dans sa bouche et son nez quand elle se trouve à l'église, auprès
d'un prêtre donné.
Les hallucinations tactiles sont rares et, même quand elles surviennent,
elles apparaissent généralement fort pauvres, notamment si on les
compare à celles du delirium tremens.
A l'occasion, les malades sentent des animaux qui grouillent sur leur corps ;
ce sont notamment des serpents, mais aussi d'autres petits animaux qui sont
ainsi hallucinés. Une patiente est « dans un nid de fourmis ou un nid de
serpents ». Des objets hallucinatoires sont aussi saisis, écartés, etc.
* * *
On peut passer ici sur les illusions des sensibilités inférieures, qui ne
se distinguent du reste pas vraimenl des hallucinations. Les illusions
auditives sont beaucoup plus importantes, par contre ; tout ce qui peut
être perçu sur le mode hallucinatoire peut aussi survenir sous forme
d'illusions ; il faut en outre attirer tout particulièrement l'attention sur
le fait que les mots réellement prononcés sont très fréquemment trans-
formés à l'audition sur le mode d'illusions ; des remarques tout à fait
incidentes, un salut, une conversation avec d'autres malades, tout ceci
peut être compris par le patient dans le sens de son délire. Parfois,
seule la localisation d'une perception est changée ; ainsi une malade
entendait-elle les propos réels d'une autre patiente comme venant de
sa propre poitrine.
Un malade voit tout rouge, un autre tout blanc ; l'infirmier apparaît comme
un Noir, le réverbère est l'œil d'un fantôme ; les tasses à café se mettent à
tressauter ; une patiente voit chaque personne avec deux têtes, une autre voit
doubles de petits objets tels que des doigts ou des clés, et elle trouve à
chaque page de la Bible le nom du médecin sur lequel elle a transféré son
amour ; un malade en frappe un autre parce que celui-ci va à la fenêtre,
l'empêchant ainsi de lire les mots chargés de sens que forme le canevas du
grillage. Les médecins apparaissent comme des diables ; toutes les personnes
de l'entourage sont blanches et dansent ; toutes les nuits, on place de nou-
velles silhouettes ; deux hommes portant de longues chemises arrivent, la
patiente fait un signe à l'un, car il s'agit de la patiente H. Les autres patients
ont leur visage qui change quand on les regarde.
Un paranoïde qui est toujours tout à fait capable de travailler a fait la des-
cription suivante : il sent que son occiput est mobile au point qu'il pourrait
le basculer vers l'avant, que sa tête est tournée vers la droite ou vers la
gauche ; il voit partout des têtes, grandes, petites, mobiles, fixes, noires, rou-
geâtres, transparentes, opaques. Il sent des odeurs généralement désagréables,
rarement agréables : pétrole, ammoniac, odeurs de bouche et d'oreilles ; il
sent un goût « comme le chagrin et la contrariété » (= amer) ; il entend en
lisant des remarques sur l'orthographe. Il entend qu'on va lui donner une
tape, et sent cette tape. Il entend des mots dans le bruit de la scie, sent un
appendice dans sa tête, un goitre liquidien ; un côté de sa poitrine fait pro-
trusion ; il sent des corps mobiles dans son cou, des douleurs crucifiantes ;
il voit et sent, en se baignant, un os qui saille de sa jambe, « couleur d'eau »,
des corps étrangers dans ses testicules, son pénis engorgé, agrandi. Des Voix
partent du larynx et se dirigent vers l'occiput. Les Voix lui tordent le crâne,
lui dévient la bouche, les yeux, il sent une Voix dans sa narine gauche, on
le traite avec des Voix : « ça a une action stimulante, mais ça devrait bientôt
passer ».
Dans deux cas, j'ai vu des hallucinations auditives n'apparaître que quand
les patients étaient couchés. Brierre de Boismont cite aussi un cas dans lequel
Il n'est pas rare que l'usage modéré ou immodéré d'alcool provoque des hal-
lucinations de toute sorte.
Netteté. Parfois, tout ce qui est perçu est désagréablement clair et net.
Puis les malades n'entendent de nouveau plus qu'un murmure, un mar-
monnement confus, ou ne voient plus que quelque chose de nébuleux,
des silhouettes indistinctes qu'il leur faut d'abord interpréter plus ou
moins consciemment comme étant une apparition donnée. Une patiente
ne comprenait pas les Voix mais réalisait, au vacarme qu'elles faisaient,
qu'elle devait être tuée ; deux patientes de Pfersdorff (560, p. 742) en-
tendaient vitupérer en français, bien qu'elles ne comprissent pas cette
langue ; « les mots ne sont généralement pas nettement compris, mais
le sens » (ibidem, p. 743). Aussi, très fréquemment, les patients ne
racontent-ils pas mot à mot ce qu'ils ont entendu, mais des propos
généraux : « les voisins ont éprouvé de la haine et de l'envie à leur
égard », « c'était une risée et une moquerie générales ». La patiente a
senti .« une répugnante odeur de vipère ». A l'objection qu'elle ne sait
pas quelle est l'odeur des vipères, elle rétorque : « on peut aussi dire
une odeur de morphine ». L'efficience subjective n'est pas le moins du
monde affectée par de telles imprécisions ; les patients croient bel et
bien à leurs interprétations, qu'ils tiennent pour des perceptions.
Ce qui est le plus frappant, ce sont les conditions de la projection sur
l'extérieur. De nombreuses hallucinations sont projetées sur l'extérieur
exactement comme les perceptions réelles et ne peuvent être différen-
ciées de celles-ci sur le plan subjectif. Les hallucinations des sensa-
tions des organes occupent toutefois une place apparemment
particulière ; dans leur cas, c'est le corps qui est ce qu'habituellement
on appelle le monde extérieur. On peut généralement fort bien les dis-
tinguer des simples paresthésies d'autres maladies, parce qu'elles sont
parallèles sous tous les rapports aux hallucinations des autres sens.
Elles ne sont pas appréhendées comme des sensations qui attirent notre
attention sur une anomalie quelconque au niveau du corps ; l'halluci-
nant n'éprouve pas une douleur à type de brûlure ou de piqûre, mais
il est brûlé, piqué. Ainsi la cause, du moins, est-elle totalement projetée
sur l'extérieur. Dans le cas d'erreurs sensorielles combinées, ces sen-
sations corporelles représentent, parmi les autres composantes hallu-
cinatoires, un élément d'égale valeur.
Bien que ce soient les hallucinations auditives qui sollicitent le plus l'atten-
tion, même des malades intelligents ne sont souvent pas capables de dire
s'ils entendent les Voix ou s'ils sont juste forcés de les penser ; ce sont « des
pensées tellement vivaces », mais qui sont pourtant appelées Voix par le pa-
tient lui-même ; ou encore ce sont « des pensées à haute voix », des « voix
atonales », deux expressions qui désignent peut-être la même chose, ou en
tout cas quelque chose de très proche. Un de nos schizophrènes déclare ne
pas entendre les mots, pour lui c'est seulement comme si sa propre voix les
prononçait (transition vers les hallucinations de la sensibilité musculaire des
organes phonatoires), pourtant les mots lui paraissent plus « sonores » quand
il fait un effort physique. Un autre patient n'a plus de véritables Voix, mais
« seulement un truc bizarre sur les lèvres ». Un autre malade a la Voix tantôt
« dans la mémoire », tantôt « derrière les oreilles ». L'indépendance de l'é-
prouvé sensoriel véritable est formulée de façon très expressive par un patient
de Koepp : « Je pourrais être sourd comme un pot et entendre tout de même
les Voix ». Pour les malades, c'est parfois « comme s'ils entendaient », ce qui
n'empêche qu'ils répondent cent fois par jour à une telle sollicitation en
ouvrant la fenêtre, ou que l'un fasse spécialement un voyage vers le Rhin
pour se jeter à l'eau. Ce dernier patient décrit ainsi ses sensations : « Pour
moi, c'était comme si quelqu'un me montrait du doigt en disant va et noie
toi ; c'était comme quand nous parlons ; j e ne l'entends pas dans les oreilles,
j'éprouve cette sensation dans la poitrine, pourtant c'est comme si j'entendais
un son ». Tout à fait singulière est cette formulation, que l'on rencontre par-
fois : les Voix me sont « comme exsufflées des oreilles », ou encore « comme
si on parlait avec moi par mes oreilles ». Il semble que ces patients aient
une certaine conscience du fait que les Voix sont émises de l'intérieur vers
l'extérieur. Un malade expliquait qu'avant on lui parlait « superficiellement »,
on lui parlait dans les oreilles ; en plus il fallait « prendre la direction de
son oreille ». Ce patient « entendait aussi un tressaillement dans ses
jambes », par exemple, juste au moment de l'examen, « ça dit tais-toi, ou
quelque chose de ce genre ». Ici, la pensée qu'il ferait mieux de se taire est
donc déclenchée (ou exprimée ?) par le tressaillement dans la jambe du pa-
lient. Le patient croit entendre cette pensée dans sa jambe ; mais la compo-
sante acoustique est si vague qu'il n'est même pas capable de dire quels
mots emprunte cette pensée. Les plus proches des perceptions réelles sont
sans doute les phonèmes « qui ne sont pas des Voix à proprement parler,
mais seulement des imitations de voix de parents défunts ».
Imagine-toi, papa, je suis devenue une enfant miracle. De mes mignons petits
yeux bleus sortent beaucoup de choses, par exemple des draps impeccable-
ment repassés, des oreillers avec tout leur duvet, blancs ou de couleur, un
bois de lit, une commode, etc., des corbeilles, des fils, des bas de toutes les
couleurs, complètement terminés, des vêtements, du plus simple au plus élé-
gant, et enfin des gens en sortent, pas nus, fort heureusement, mais complè-
tement habillés...
Les hallucinations hors champ, qui n'ont j u s q u ' à présent été observées
avec certitude, dans la schizophrénie, que dans le domaine visuel (vi-
sions en dehors du champ visuel), représentent une localisation tout à
fait étrange.
Pendant que nous parlons avec lui, un hébéphrène intelligent voit soudain
le diable derrière lui, et ce avec une telle netteté qu'il peut le dessiner. A
notre objection, il répond qu'il a bel et bien le don de voir vers l'arrière à
travers sa tête. Comme nous parlons de « représentations », il proteste vive-
ment : ce n'est pas une représentation, mais une vision réelle 1 3 . Il voit aussi,
de la même façon, des paysages entiers et des choses analogues. Ainsi cer-
tains patients ne peuvent-ils échapper à des visions effrayantes, bien que la
place de celles-ci ne change pas ; les malades tentent de tourner le dos aux
apparitions, rampent en même temps sous le sommier, mais voient pourtant
l'image terrifiante devant les fenêtres. Cette vision peu habituelle ne frappe
pas le moins du monde certains d'entre eux comme pouvant être quelque
chose de particulier. - Quand un patient, à travers un plancher qui ne lui
paraît pas transparent, voit des têtes qui lui font des grimaces, il faut sans
doute considérer cela aussi comme une hallucination hors champ. Et quand
un patient « ressent » (et non pas sent) derrière sa tête qu'il a une exhalaison
particulière, sans doute s'agit-il d'un intermédiaire entre la représentation
simple et l'hallucination olfactive hors champ.
13. Dans mes cas il ne s'agit pas, comme le dit Kraepelin (Psychiatrie, 8 e édition, I, 225),
de représentations visuelles vivaces « qui n'ont absolument pas le caractère de perceptions
sensorielles », mais de manifestations qui sont mises, par des malades intelligents et capables
de discuter, absolument sur le même plan que les perceptions (NDA).
La localisation des hallucinations clans une autre personnalité repré-
sente une manifestation partielle de transitivisme. De nombreux schi-
zophrènes ne croient pas seulement que leur entourage doit entendre
les Voix aussi bien qu'eux-mêmes, ils pensent aussi que des personnes
éloignées les perçoivent. Il n'y a plus qu'un petit pas de là aux hal-
lucinations transitives, dont le patient suppose qu'une tierce personne
les entend, tandis que lui-même n'en est informé que par quelque voie
mystérieuse 14 . Parfois « il les fait » à un tiers, en pensant volontaire-
ment à quelque chose que celui-ci doit entendre. C'est la même chose,
dans le domaine optique, quand l'infirmier « doit » voir ce que le pa-
tient se représente. L'idée fort répandue chez les schizophrènes, selon
laquelle on connaît leurs pensées, est une continuation de ces phéno-
mènes.
* * *
14. Séglas (in Ballet, 218), appelle « écho de la pensée » le symptôme qui consiste en ce
que les malades croient que leurs pensées sont entendues par autrui (NDA).
d'autres gens, bien qu'elles naissent dans les propres oreilles des pa-
tients ; un malade explique la genèse des phonèmes par analogie avec
le bruit que l'on entend quand on se met un coquillage contre l'oreille,
mais il considère pourtant ce qu'il entend comme étant une réalité.
Dans les états d'agitation et les états crépusculaires, même la contra-
diction la plus grossière des hallucinations avec la réalité n'est que
rarement ressentie. Cette dernière est interprétée dans un sens illu-
soire, ou bien les malades vivent, sur le plan optique aussi, dans deux
mondes à la fois, sans les mettre en relation l'un avec l'autre.
Dans le domaine visuel, ce sont les « pseudo-hallucinations vraies » de
Kandinsky qui se voient le plus fréquemment, c'est-à-dire des visions
nettes et complètement projetées sur l'extérieur, mais reconnues comme
étant des hallucinations. Sans doute se différencient-elles des hallucina-
tions communes plus par la critique qui les accompagne que par un ca-
ractère particulier de l'éprouvé sensoriel 10 . Dans la schizophrénie, elles
semblent être à l'arrière-plan par rapport aux autres hallucinations.
On mentionnera également ici les hallucinations négatives (anesthésie
systématique de Lôwenfeld). Elles semblent rares, pour autant qu'on ne
voudrait pas y inclure le fait, induit par les barrages, que soudain les
malades ne voient ni n'entendent plus certains événements, voire même
tout ce qui se passe autour d'eux.
Un patient de Jôrger (p. 52) se croyait toujours désavantagé par l'infirmier
lors de la distribution des repas ; à ce moment, il priait et, sur ces entrefaites,
voyait son morceau de viande ne cesser de grossir, tandis que les parts des
autres ne cessaient de rapetisser jusqu'à ce qu'on ne puisse plus rien voir
du tout dans leurs assiettes. Schreber raconte que, plus d'un matin, il avait
vu son infirmier « devenir tous », c'est-à-dire disparaître progressivement, si
bien que le lit de celui-ci était vide. D'après la description qui en est faite,
il s'agissait d'une hallucination négative, mais peut-être aussi de la dispa-
rition de l'hallucination positive d'un infirmier.
* * *
15. L e s pseudo-hallucination de Hagen sont un concept pas tout à fait clair, et elles incluent
l e s « hallucinations psychiques » (NDA).
à des additifs mis dans l'air ou dans les aliments, et les hallucinations
corporelles à des influences physiques ou chimiques. Dans certains
cas, ils se rendent compte qu'il s'agit de quelque chose de pathologi-
que ; notamment, de nombreux malades prennent plus ou moins
conscience de ce que ces phénomènes sont en rapport avec - ou tirent
leur origine de - leurs propres pensées.
Ils « n'ont pas de Voix, mais seulement des pensées que d'autres n'ont pas »,
ou bien « ils ont des Voix au lieu de pensées », « toutes leurs pensées de-
viennent soudain des Voix ». Le flou de la composante acoustique peut être
exprimé par la phrase : « Les Voix ne sont pas comme parlées mais comme
pensées. » Un autre, qui avait entendu la voix du Christ, s'exprime comme
suit : « Quand on est empli de l'esprit de Dieu, on sait ce qu'on a à faire.
Ce n'est pas vraiment une voix sonore, ça devient — (barrage) — par l'esprit ;
on ne le remarque pourtant pas, on ne pourrait pas non plus le dire ; mais
l'esprit, je le sens dans mon cœur, et puis ça monte dans le cerveau et alors
on appelle ça des pensées, et dans le cœur on appelle ça des plans, des images,
des représentations que l'on peut exposer. »
Les malades se font les idées les plus diverses sur la façon dont nais-
sent les hallucinations. L'affaire est fort simple là où elles sont attri-
buées à des gens et des appareils situés dans le monde extérieur. C'est
qu'il y a des gens, là, dans la même pièce, derrière les portes, dans
des passages secrets dans les murs, sur le toit, dans un souterrain
inaccessible ; ou bien qu'il y a, en ces mêmes endroits, les appareils
les plus perfectionnés dûs à la technique moderne, inventés et installés
pour parler à distance, faire des images, dénommer, électriser ; c'est
« par le téléphone à air, l'invention la plus récente », qu'une patiente
a entendu des gens entrer dans la cave et la voler.
Un autre patient s'étonne seulement d'être forcé de parler fort avec les gens
de sa famille (absents), alors qu'il les entend même quand ils parlent dou-
cement. D'autres sont « rétro-entendants », car ils entendent parler de tous
les côtés. Si une patiente a lu quelque chose sur de grands hommes, ensuite
elle les voit par faveur spéciale de Dieu. « Chacun a un talent et un don,
j'ai le talent de pouvoir entendre quelque chose » dit un patient qui « en-
tend » aussi des images, c'est-à-dire qu'il désigne ses visions au moyen de
l'expression acoustique la plus courante. Une nuit, on a « soufflé » la nouvelle
de la mort de son mari à une patiente ; les Voix sont enlevées de la tête
d'une dame de connaissance et on les fait suivre au patient à l'asile ; un
malade a dans son cou et sa poitrine les voix d'autres gens, qui parlent par
son truchement. C'est un étrange point de vue que celui qu'exprima une
patiente de Ziehen (840, p. 34), dont le bourdonnement d'oreilles préexistant
à la maladie fut « souillé par les Voix ». On lit les pensées d'un de nos
hébéphrènes avant qu'il ne les exprime ; il a un certain pouvoir d'attraction,
il attire d'autres gens, et d'autres l'attirent ; quand il pense à une question,
il s'attire aussitôt une réponse, ou bien il attire des Voix. Le pain lui dit par
qui il a été cuit ; ça vient du fluide nerveux que tous les gens ont aux mains ;
ils le reportent sur les objets, et c'est ainsi que la réponse lui parvient. D'au-
tres entendent par « tension nerveuse », ou bien ils « entendent par la pers-
pective ». On entend une foule de formulations de cette sorte, qui sont plus
des déclarations liminaires que des explications : « la machine à parler fonc-
tionne toujours » ; le malade « est accordé » ; il a la « guerre » ; ces deux
dernières expressions qualifient des hallucinations de tous les sens.
Bien que de très nombreux schizophrènes se plaignent sans cesse des
importunités hallucinatoires, il n'est pas toujours facile du tout d'ob-
tenir des renseignements précis sur le contenu des erreurs sensorielles.
En premier lieu, on se heurte quotidiennement à la réponse : « Vous
le savez mieux que moi ! » Il semble plausible que les malades trouvent
« trop bête » de fournir des renseignements sur des choses que celui
qui les interroge connaît, selon eux, mieux qu'eux-mêmes, voire a lui-
même provoquées. Mais il est d'autres obstacles encore. Il semble par-
fois que les malades soient gênés de parler ; et ils allèguent souvent
explicitement qu'ils craignent de dévoiler leurs vécus, parce qu'on tien-
dra bel et bien ceux-ci pour pathologiques, et eux-mêmes pour « fous ».
Un malade répond d'abord promptement, bien que pas toujours claire-
ment. A la question « Qu'ont dit les Voix ? », sa mimique change sou-
dain du tout au tout, il penche la tête et remue sa chaise, comme s'il
lui fallait se tortiller dans tous les sens sous une forte pression : « Je
ne dis rien des Voix, on ne parle absolument pas d'elles. » Parfois la
gêne à raconter a un caractère nettement sexuel ; des femmes, notam-
ment, font souvent des grimaces gênées quand on les interroge sur des
hallucinations qui n'ont en soi rien de sexuel, ni pour l'observateur
inexpérimenté, ni pour les patientes. Mais sûrement de nombreux ma-
lades ne peuvent-ils fournir sur le contenu de leurs hallucinations que
des renseignements insuffisants, ou pas de renseignements du tout ;
dans des cas récents plus encore que dans d'anciens, on observe quo-
tidiennement des barrages généraux ou partiels quand on interroge les
malades sur le contenu des erreurs sensorielles.
Des patients anciens savent souvent fort bien que les hallucinations
échappent à leur mémoire. « Quand les Voix me quittent, je ne sais
plus rien d'elles ; je ne peux en parler que quand j e suis en train de
les entendre », « les Voix sont si fugaces. » Un malade, extrêmement
agité, vitupère contre ses Voix ; elles disent des choses qu'il n'ose
même pas penser. A la question « que disent-elles donc ? », il ne sait
que répondre. Parfois l'on n'obtient d'informations, qui peuvent ensuite
être vérifiées sur des points de détail, que par des questions sugges-
tives. Souvent, l'examen clinique des hallucinations peut être introduit
à peu près sur ce mode : - Que disent les Voix ? « Rien. » — Vous font-
elles des reproches ? « Oui », etc.
J 6 . S c h r e b e r , p. 5 6 (NDA).
Le comportement à l'égard des hallucinations présente la plus grande
variété. De nombreux malades, notamment aux stades aigus, y réagis-
sent comme s'il s'agissait d'une réalité ; c'est pourquoi ils apparaissent
dès l'abord comme complètement « dérangés ». Dans d'autres cas ex-
trêmes, les patients ne se soucient absolument pas de leurs erreurs
sensorielles, que ce soit par un self-control avisé ou par simple indif-
férence. Souvent, les malades ne se défendent pas seulement contre le
contenu des hallucinations, mais aussi contre cette atteinte à leur per-
sonnalité en général ; ils inventent des mesures de protection contre
elles, depuis certaines qui paraissent fort raisonnables (se boucher les
oreilles), jusqu'aux pitreries les plus insensées et à des conjurations
cabalistiques, en passant par divers procédés qui ne sont que partiel-
lement compréhensibles aux gens normaux. D'autres encore recher-
chent leur hallucinations, soit par intérêt hostile, soit parce qu'elles
leur sont franchement agréables. — (« Monsieur le Docteur, j'ai de si
beaux rêves. ») - La scission partielle de l'esprit permet souvent aux
patients un contact normal, tant centripète que centrifuge, avec le
monde extérieur pendant même leurs hallucinations (et même lors des
tests psychologiques de perception objectifs, Bostroem).
Tout ce que l'on souhaite et tout ce que l'on redoute peut également
trouver à s'exprimer dans les idées délirantes, ainsi que d'autres choses
encore - du moins en l'état actuel de nos connaissances - et peut-être
tout ce qui est susceptible d'être ressenti et pensé. Ici aussi, cependant,
certains types, et même certains petits éléments spécifiques, sont sans
cesse retrouvés, de façon remarquable, d'un patient à l'autre.
Parmi les classes thématiques connues d'idées délirantes, ce sont les
idées de persécution que nous rencontrons le plus fréquemment.
« Il n'est pas un domaine de la corruption humaine dans lequel on n'ait péché
contre moi », dit une de nos paranoïdes.
Les malades sont chassés de leurs emplois par la calomnie et, notamment,
par toutes les chicanes possibles. On leur donne un travail particulièrement
difficile, on leur abîme le matériel, on fait toutes sortes d'allusions infamantes
ou qui les blessent de quelque autre façon. Avant que le patient n'arrive dans
un village, son arrivée est annoncée et il est injurié par tout le monde : on
veut le déporter en Sibérie, le vendre. En face de chez lui habitent deux
putains qui, chaque fois qu'il veut manger, crient des choses si écœurantes
qu'il ne peut rien avaler. On le vole, infirmiers et malades portent ses vête-
ments. Il est utilisé comme conduit de vidange des cabinets.
Des schizophrènes plus lucides pensent être victimes d'une « bande de meur-
triers » donnée, avec laquelle ils mettent en relation tous les phénomènes
désagréables. Des francs-maçons, des jésuites, « les juifs noirs », les em-
ployés de l'établissement dans lequel travaillait le malade, des lecteurs de
pensées, des « faiseurs de spiritisme », des ennemis inventés ad hoc se don-
nent toutes les peines du monde pour l'anéantir, ou tout au moins pour le
tourmenter et l'angoisser en permanence. Partout où il se trouve, ils sont en
rapport hostile avec lui, soit qu'ils l'accompagnent dans ses changements de
lieu sous leur forme habituelle, dans les murs, dans des pièces annexes, dans
un souterrain, dans les airs, soit qu'ils observent de loin ses actes et ses
pensées avec des « miroirs de montagne », par voie électrique, et l'influencent
avec toutes sortes d'appareils et de magie, lui fassent des Voix, lui provoquent
toutes les sensations intenables qu'on peut imaginer, l'enraidissent, lui sous-
traient ses pensées ou lui fassent des pensées. La patiente ne peut plus aller
aux cabinets parce qu'on l'observe non seulement à travers les murs, mais
même par le conduit de vidange. Tout le voisinage a assisté à son dernier
accouchement.
Le médecin leur enfonce des Voix en couteau dans les yeux, on les découpe,
les frappe, les brûle, les électrise, on leur scie le cerveau, on leur enraidit
les muscles, on leur a installé dans la tête un appareil qui fonctionne en
permanence. On leur a mis quelque chose dans le conduit lacrymal, on les
a dotés d'yeux de vieilles femmes ; on les endort, on donne à entendre à une
patiente femme qu'on ferait d'elle de belles côtelettes de veau qu'ensuite les
loups mangeraient ; on leur coupe les organes sexuels, et on expose ceux-ci
dans une ville voisine. On leur a retourné les entrailles ; des éléphants et
toutes sortes de bêtes habitent leur corps. Une malade a dans ses doigts des
gens qui veulent la tuer et lui sucent le sang. On leur enlève leur force, leur
beauté, pour en doter autrui.
Le délire d'empoisonnement est fréquent :
On administre aux malades du poison par les aliments, par des vapeurs, par
l'eau qui sert à la toilette, par leurs vêtements ; on le leur injecte à distance,
dans la bouche ou dans d'autres orifices corporels. On leur a « donné à manger
de l'acide chlorhydrique de première classe, du pain de poils et de l'urine ».
Outre du poison, il y a généralement aussi toutes les choses écœurantes pos-
sibles dans leur nourriture. La soupe a été faite avec de l'eau de bain de
pieds, on leur pompe du purin dans l'estomac.
Le concept d'empoisonnement est souvent généralisé. Le malade est
« ensorcelé » ; « quand on peut parler en pensées sonores, c'est justement
l'ensorcellement qu'on jette sur quelqu'un, quelque chose de totalement inex-
plicable. On a dit qu'il s'agirait d'un poison composé de cadavres de gens et
d'animaux, naturellement c'est un secret du Vatican. Mais il est sûr qu'on
est abominablement torturé par ce moyen. Ils parlent le langage des pensées
et ne remuent pas leurs lèvres ; on les écoute au moyen de l'ensorcellement ;
c'est le brutal ensorcellement d'interrogatoire, l'ensorcellement criminel. »
Le délire de persécution s'étend facilement à d'autres personnes, notam-
ment aux proches. Les membres de la famille sont enfermés dans l'asile,
tourmentés de toutes les manières, assassinés. Si le malade reste ici
« plus d'un an et 87 semaines », on arrachera une jambe à son père.
Le délire de grandeur ne se soucie lui non plus ni des faits, ni du
caractère possible ou imaginable de l'accomplissement des souhaits
humains.
Parfois, certes, tout semble fort plausible : le malade a un don pour les ma-
thématiques, il va combler les lacunes de son éducation et devenir un grand
mathématicien ; son père fait de très bonnes affaires, il sera bientôt riche ;
une dame en vue est tombée amoureuse de lui ; chaque jour arrive un paquet
de cigares pour lui. - Mais généralement la soif de grandeur d'un type quel-
conque atteint la démesure : le malade reçoit « autant d'argent qu'il a neigé
de flocons, il devient Roi d'Angleterre, on lui construit un palais d'or et de
pierres précieuses. Son patron est Notre-Seigneur Dieu. Il a rendu saines
toutes ces pauvres bêtes (il veut dire les patients). Il doit avoir "trois bon-
heurs" : premièrement, sortir se promener à cheval avec Monsieur Oskar,
deuxièmement être son serviteur, troisièmement, tout sera à sa disposition et
à celle de Monsieur Oskar ». Toutes ces idées viennent du même malade et
montrent que chaque souhait est considéré comme exaucé pour son propre
compte, même quand il est déjà implicitement contenu dans un autre. Qu'un
autre malade « dispose en tant que Seigneur Dieu de tout l'or et tout l'argent »
a une apparence de justification. Les patients ne se font pas de souci pour
l'élaboration de leurs idées, ils peuvent être, alternativement ou simultané-
ment, non seulement Roi de Grande-Bretagne, mais aussi la Grande-Bretagne
elle-même. Un autre malade est Empereur d'Autriche et Pape et Prince hé-
ritier de Bavière, et en même temps l'époux d'une truie (c'est vraiment à
l'animal qu'il pense). — Parfois, le délire de grandeur est plus ou moins mas-
qué : une malade tient son infirmière pour Blanche-Neige, c'est-à-dire
qu'elle-même est reine. - L'intelligence des patients est grandiose. Le malade
« n'a jamais été classé aussi haut qu'il le méritait à l'école ». Il est l'inventeur
d'à peu près toutes les machines et appareils qu'on a construits depuis 50 ans
(que lui-même n'ait qu'un peu plus de 2 0 ans ne le trouble pas, quand on
le lui fait remarquer). Il veut « inventer le mouvement perpétuel, devenir
soldat et conquérir tout l'univers ». Il possède un remède contre les maladies
de la moelle épinière, il peut voler, et il ne mange pas parce qu'il reçoit des
mets célestes.
17. La poésie connaît aussi c e l a depuis longtemps. Ainsi, dans « Ursula », de Gottfried
Keller, l'ange G a b r i e l devient-il à la fois l'amant et le fils d'Ursula ; dans « l'Assomption
de H a n n e l e » (G. Hauptmann), l'instituteur q u ' e l l e adore devient le Sauveur (NDA).
Divers complexes sont satisfaits en même temps, si « quatre choses sont of-
fertes au patient : Dieu, l'esprit, le diable et l'invocation, c'est plus que n'a
reçu n'importe quel être humain ». Ou encore « tous les meurtriers de la terre
m'attendent ; ils ne peuvent pas mourir sans moi (le patient a fait en vain
des tentatives de suicide) ; j'ai plus d'intelligence que n'importe quel être
humain ; tous les rois m'apportent des présents et ne peuvent rien me faire
(le patient est en détention préventive) ; j e ne suis pas né, mais j'étais là de
tout temps ». Un malade dit : « Solog Charles Napoléon Premier, parce qu'il
est accompagné de la social-ologie 18 . Comme tel, il est aussi infaillible, et
ses souhaits sont promptement exaucés. Ne le relâchons pas, ainsi tout ce
qu'on peut qualifier de malheur se répandra sur l'asile, comme un Venusberg
en action, crachant du feu 1 9 ». Objectivement, la grandeur rêvée n'est souvent
pas aussi élevée qu'il semble au malade, ou bien elle s'exprime de façon si
étrange qu'elle ne peut que donner une impression de ridicule. Un hébé-
phrène est « Deus », il peut vivre deux jours durant de pain et d'eau, et le
troisième de rien du tout. A un prophète est apparue une brillante étoile, qui
l'a accompagné et raccompagné trois fois de son lit aux cabinets ; en outre,
il a le pouvoir de pardonner aux autres leurs péchés. Un professeur de ma-
thématiques doit construire des ponts avec la force de Dieu, 2 Dieu 20 , 3 Dieu,
etc. Un schizophrène sauve une dame de la maladie en se masturbant tout
en pensant à elle, etc.
Plus fréquemment, le grand homme est seul, tandis qu'une bande inté-
ressée l'empêche par tous les moyens d'obtenir la gloire qui lui est due.
On vole au patient ses inventions dans sa tête, pendant son sommeil ; un infirmier
militaire lui a pris une invention du corps en le touchant ; on le renvoie ou on
le fait fuir en le tracassant, afin de l'empêcher de réaliser ses idées. Le
malade est si important qu'en le retenant à l'asile on tarit la source originelle
de la Vie ; on anéantit les organismes brillants qu'il a dans les yeux.
Le schizophrène amoureux croit qu'une fille qu'il n'a plus rencontrée depuis
l'époque de l'école, ou qu'il n'a vue qu'une seule fois, de loin, est éprise de
lui ; il monte dans la voiture d'une princesse pour l'embrasser, attend, en
pleine lucidité de conscience, la reine de Hollande dans son lit d'asile, qu'il
orne de fleurs pour l'occasion.
Le délire de jalousie, qui n'est néanmoins pas très fréquent dans les
schizophrénies non compliquées d'alcoolisme, et qui peut avoir d'autres
origines encore, constitue une autre forme d'expression négative du
délire érotique.
Une malade garde le lit depuis des années, elle a des plaintes épouvantables,
généralement causées de l'extérieur. Elle fait des rechutes parce qu'elle est
restée au lit 20 minutes au lieu de 15, parce qu'on a fait un vacarme si
épouvantable en déchargeant des pommes de terre. Un peu de pommade à
l'iodure de potassium provoque une avalanche de plaintes qui persistent long-
temps ; elle a « une crampe de sang ». - D'autres se sentent faibles, leur
esprit se dérobe, elles ne seront plus là le soir même ; elles ont une tumeur
dans la tête, un système osseux liquide ; leur cœur est de pierre (pris au
pied de la lettre, en partant du sens symbolique) ; elles ne peuvent pas se
noyer, car rien d'autre n'est vivant que leur tête ; sa femme ne doit rien
cuisiner avec des œufs, sinon des plumes vont pousser au patient. Des poils
lui poussent dans le dos ; il n'a plus de nez ; c'est une boule de caoutchouc.
Il n'a pas d'organes génitaux, ils ont brûlé, sa moelle épinière s'écoule sous
forme de sperme.
Les malades croient aussi être des objets inanimés. Le patient est une
boîte ; il était un dessin dans un livre, maintenant il en est sorti et est
venu à l'asile. Il est une machine.
D'autres personnes sont transformées. Les malades assez abêtis trouvent
souvent à l'asile une foule d'anciennes connaissances, de camarades
de classe, qui leur sont indifférents, pour autant que nous sachions, et
aussi, en partie, des gens qui jouent un rôle dans leurs autres idées
délirantes.
Le médecin est le bien-aimé untel ; un autre patient est le roi Guillaume ;
une patiente est tendrement embrassée, en tant que fille. Souvent, notamment
lors d'une erreur plus indifférente sur les personnes 21 , l'idée délirante est
déclenchée par des analogies plus ou moins importantes. Souvent, tout son
entourage semble au patient transformé, « déguisé ». D'autres personnes sont
modifiées même dans leurs attributs et leur situation : la sœur de la patiente
est fiancée ; le médecin est divorcé de sa femme, et l'infirmière est un homme
« madamisé ». La mère, morte, du patient continue à vivre dans son étable
sous la forme d'un taureau.
Bien d'autres idées délirantes sont malaisées à classer dans les catégories
habituelles. Néanmoins, si un malade « est dans une association où l'on dé-
pèce vifs les gens », ce peut être en rapport avec un délire de persécution.
Quand un autre paranoïde scie du bois, il scie les mariages et les lits conju-
gaux. Une autre malade prophétise, sans plus de cohérence, « du feu et des
crues ». Les malades considèrent aussi comme des persécutions qu'il se mette
à pleuvoir chaque fois qu'ils parlent du temps, qu'un chien aboie régulière-
ment à certaines de leurs actions, que d'autres écrivent aussi quand eux-
mêmes se mettent à écrire. Ce dernier événement était attribué à « des
relations souterraines ».
Des idées de grandeur pointent sous les remarques qui suivent : « On peut
refaire des arbres à partir de vieux meubles en traitant la cendre par le
courant électrique ». Le patient « dort de façon plus concentrée », 30 ans en
une nuit, il se trouve en deux endroits à la fois, dans son ancien lieu de
soins et dans son appartement. A l'asile, l'un des infirmiers est une infirmière
de son précédent séjour, transformée. Le patient va « creuser un trou dans
le sol, puis se précipiter dedans à cheval sur sa bêche et ressortir de l'autre
côté de la terre ». Une catatonique en état crépusculaire ne veut pas avaler,
parce qu'à chaque fois elle avale le monde entier. Un paranoïde note, dans
les journaux, toutes les citations en langue étrangère pour les « analyser et
les interpréter conformément à la puissance de l'esprit ». Une hébéphrène à
tendances religieuses « tire le Saint-Esprit avec l'aiguille quand elle coud ;
en même temps que de l'eau, elle boit le diable des autres malades ; quand
elle hache des haricots, elle broie Notre-Père ». Un paranoïde considère les
pommes de terre comme méchantes ; les merles sont des animaux méchants
(au sens religieux du terme) ; il dit parler à la perfection de nombreuses
langues étrangères, mais il ne connaît que quelques bribes de deux d'entre
elles.
La création d'un autre monde s'exprime dans le délire d'un Russe pour lequel
on avait construit exprès un « Burghôlzli russe » tout à fait identique. C'est
quelque chose d'analogue quand le Burghôlzli est escamotable et se trouve
tantôt sur terre, tantôt sous terre.
Un patient qui vient de se masturber ne veut pas serrer la main du médecin,
parce que cela pourrait faire des enfants du côté féminin ; un autre doit
empêcher sa famille de penser ; un troisième a enlevé au médecin des vis-
cères par la bouche et en a fait un autre être humain ; un quatrième trouve
triste que tant d'eau coule dans l'urinoir.
2 2 . M ê m e ici, à vrai dire, des hypothèses erronées ne c e s s e n t généralement pas d'être for-
m u l é e s ; ainsi des idées pathologiques de relation à soi peuvent-elles servir pendant des
d é c e n n i e s à poursuivre le développement d'un système délirant (NDA).
plus que le naevus (que le véritable propriétaire a sur le visage), il va se le
faire « en image », et alors il sera S.
Délire et réalité non seulement se succèdent au cours d'états de
conscience divers, mais aussi coexistent en pleine lucidité de
conscience, même là où ils devraient s'exclure.
Un monsieur regarde la patiente, « alors, j e sais que c'est l'instituteur, bien
qu'en fait ce ne soit pas lui ». Le lit d'une catatonique est un ours blanc,
« j e me suis couchée dessus, alors c'était comme un lit, mais c'était pourtant
un ours blanc ». Une hébéphrène écrit : « Ces créatures ne sont rien d'autre
que les personnes sus-nommées (médecins, etc.), et elles finiront comme elles
sont nées » ; ici, les « créatures » peuvent finir, mais pas les personnes aux-
quelles elles sont identifiées. « Une ou deux » poupées de caoutchouc ima-
ginaires (qui sont nées d'un incube) sont identifiées à l'amoureux qui domine
complètement la patiente.
Nombre de ces idées sont tout à fait imprécises, nébuleuses.
Qu'il soit pape ou empereur peut être indifférent à un schizophrène ; des
exigences de 100 0 0 0 francs ou de 10 francs peuvent être identiques pour
lui. L'empoisonné a remarqué qu'on a mis une poudre brune dans sa soupe ;
mais, au cours de la discussion, il dit que ça pouvait aussi être un liquide.
« Le cuisinier l'a mis dans la nourriture », (« nous n'avons pas de cuisinier »),
« la cuisinière », (« elle ne sait rien de vous »), « c'est dans la section qu'on
la met, à chacun la sienne ». L'idée qui se cache derrière « la poudre brune »
est très vague. - Un paranoïde : « J'ai en moi quelque chose comme une
double tête ; c'est intérieur, comme si j'étais le Christ » ou « les disciples au
Mont des Oliviers ; 26 disciples du Mont des Oliviers sont dans mon bras.
Il y a dans ma tête un carreau de faïence qui vient de l'Empereur Guil-
laume ». - Un hébéphrène va à la gare pour accueillir « quelqu'un ». Un
autre commande « dix gros livres de Droit ».
Souvent, des idées différentes sont réunis dans un ordre tout à fait
confus.
« La France a tout de même raison : en France on m'a dit soudain qu'il n'y
avait pas de Trinité, ce sont quatre hommes qui ont fait Dieu. Maintenant,
j e me suis rendu compte que c'était vrai, c'est pourquoi j e veux avoir ma
sortie pour le 24 avril ».
Il n'est pas rare que les idées délirantes soient scindées de la person-
nalité, en ce sens qu'elles n'apparaissent pas au patient comme le ré-
sultat de sa propre pensée, mais comme le produit d'un esprit étranger ;
elles lui sont « inspirées », on les lui « fait », mais il y croit tout de
même.
Souvent, néanmoins, ils agissent dans le sens de leur délire, mais sans
la moindre adéquation à la réalité, qu'ils prennent pourtant encore en
compte par ailleurs. Le persécuté donne une gifle à un passant quel-
conque, qu'il n'a absolument pas inclus dans son délire ; le pécheur
demande avec le plus grand sérieux qu'on le tue, sans prêter attention
à l'objection évidente selon laquelle les médecins s'enverraient ainsi
eux-mêmes en prison. Un paranoïde pieux voulait s'asseoir sur le poêle
brûlant et y lâcher un vent, afin de chasser le mauvais esprit qu'il
disait se trouver dans le poêle.
La scission de l'esprit en âmes différentes conduit aussi aux plus
grandes inconséquences. A sa sortie de l'asile, une persécutée encore
très intelligente prend congé de façon touchante, et avec une réelle
affectivité, de sa principale persécutrice, qui en voulait à sa vie. Les
malades nous donnent tranquillement à expédier des lettres dans les-
quelles ils nous accusent des crimes les plus abominables et, en plus,
de retenir systématiquement leur courrier. Ils nous injurient avec les
mots les plus crus, nous qui les empoisonnons, pour, l'instant qui suit,
nous signaler quelque mal à soigner ou nous demander une cigarette.
Souvent, les mesures prises à la suite des idées délirantes sont aussi
illogiques que le délire. Les malades inventent toutes sortes de procé-
dés magiques, ne reculant ni devant ce qu'il y a de plus absurde, ni
devant ce qu'il y a de plus répugnant. Les actes et les mots les plus
bizarres doivent, en tant que « rites conjuratoires », protéger des in-
fluences hostiles.
Dans certains cas, notamment dans des états aigus d'agitation, nous
ne trouvons plus aucun rapport entre le délire et les actes. Un catato-
nique se met subitement à crier : « j e suis Dieu, j e suis Dieu », et il
frappe autour de lui avec une fureur aveugle, veut se jeter la tête la
première contre le mur.
Dans les états pathologiques graves, les idées délirantes ont tendance
à se généraliser.
Un patient est empoisonné ; puis l'eau du lac au bord duquel il habite est
empoisonnée aussi. Les fiançailles d'un protestant on été rompues parce que
sa fiancée était catholique ; à présent, il se croit persécuté par cette fille,
mais aussi par les infirmiers catholiques ; puis par tous les infirmiers en
général. Un ouvrier est traité d'espion par un de ses camarades de travail
qui a été licencié ; bientôt, il pense que tout son entourage le considère
comme un espion, puis tout le monde, même son frère. Une femme se sent
persécutée par un monsieur, puis par tous les messieurs, et enfin par les
femmes également. L'amour aussi peut être reporté sur des personnes de plus
en plus nombreuses ; une vieille fille aime un de ses supérieurs, puis à l'asile
le médecin actuellement en charge de la section, et elle est tellement au
clair sur le caractère impersonnel de son amour qu'elle écrit à l'un de ces
bien-aimés : « A présent, je te resterai fidèle jusqu'à ce que j e connaisse
l'autre ».
L'hébéphrène qui entendait des Voix de « chant d'oiseau » savait que cela
renvoyait à son onanisme, il était lui-même le chant d'oiseau. Puis il entend
ce mot même en d'autres circonstances, le « chant d'oiseau » veut le tuer, et
est d'une façon générale l'incarnation de ses persécutions. — Une catatonique
a des pensées fulgurantes qui lui paraissent étrangères ; ultérieurement, l'idée
est mise en relation avec la sensation d'être percée à jour : des éclairs lu-
mineux lisent dans les yeux et volent les pensées.
Parfois, c'est sur une analogie que se fonde une telle association :
Le patient est attaché : il est le Christ. 11 peste contre la police et sent qu'il
est le dernier des Bourbons ; un autre patient peste aussi contre la police.
Idée délirante : c'est aussi un Bourbon.
Ces dernières idées délirantes n'ont en soi rien à voir avec le Moi de
la patiente : l'erreur de compréhension du nom n'est devenue une idée
délirante que parce qu'elle s'est raccordée fortuitement à une idée dé-
lirante. C'est de cette manière que naissent les idées délirantes excen-
triques, qui n'ont pas de lien direct avec les complexes du malade.
2 4 . Piet Arnoldus Cronje ( 1 8 3 5 - 1 9 1 1 ) : général Boer ; fait prisonnier par les Anglais, fut
lui aussi captif à Sainte-Hélène ( N D T ) .
été volé ; un autre, son voisin, aurait une certaine somme à la banque (tout
ceci sans relation à soi décelable). Bien sûr, on peut dire que de telles idées
ne seraient pas des idées délirantes mais des erreurs ; mais c'est donner à
ces deux concepts de nouvelles limites ad hoc.
2 5 . Cet exemple montre bien pourquoi il faut préférer traduire Beziehungswahn par délire
de relation plutôt que par délire de référence, terme devenu à la mode c e s dernières années,
mais trop restrictif. Ici, l'enfant « ne fait pas référence » au patient, mais une relation dé-
lirante est établie entre c e dernier et lui (NDT).
2 6 . Brotlos, sans pain, signifie aussi sans emploi (NDT).
2 7 . S p e c h t la considère comme un affect (NDA).
sécution encore assez imprécis, et qui ne prend une tournure plus pré-
cise que par la suite. Une de nos patientes écrit : « De toute façon, j e
ressens toute amabilité comme quelque chose de désagréable ; cela fait
croître ma méfiance, et j e nourris cette méfiance contre tout et tous. »
Une autre s'exprime de façon encore plus frappante : « On ne peut se
fier à sa propre chemise. » La sensation de malaise en toute cir-
constance, si fréquente (« les murs de ma propre maison voulaient me
bouffer »), peut exciter la méfiance à un degré plus ou moins important.
Au début, les mégalomanes n'ont souvent que de grands espoirs et
prennent de grandes allures, sans qu'il y ait d'idées précises. Malgré
tout, j e ne souhaite pas ériger en règle la genèse du délire à partir de
« sentiments » imprécis. Des idées imprécises et des sentiments intel-
lectuels morbides peuvent survenir à tout moment, même tardivement
au cours de l'évolution (les exemples de méfiance donnés ci-dessus
émanent de malades assez anciens) et sont quelque chose de tout à
fait commun au cours des rémissions.
A l'inverse, des représentations apparues subitement et formulées de
façon nette peuvent être les premiers symptômes que l'on perçoit de
la maladie. Les idées délirantes se développent souvent aussi en par-
tant de quelque chose de précis pour aller vers quelque chose d'im-
précis et de confus : A la puberté, une catatonique se croyait fiancée
à un médecin ; plus tard, elle est la fille de deux autres médecins, dit
qu'elle voulait étudier la médecine ; puis elle se sent propriétaire de
l'hôpital et de l'école polytechnique, et l'on peut mettre en évidence
que, derrière cette pensée, se cache encore l'idée qu'elle voudrait épou-
ser un médecin.
Il est encore totalement impossible de formuler des règles de la genèse
du délire schizophrénique. Certaines directions peuvent être trouvées
dans les développements du souhait.
Un homme de tout temps avide d'argent et d'honneurs veut épouser une fille
riche, et rendre ainsi sa famille heureuse ; pour cela, il lui faut divorcer de
sa femme, et il doit sacrifier (au sens propre) son fils, puis il sera Jésus, puis
Dieu ; puis il sera aussi possesseur de la Habsburg et de la Kyburg 28 . Au
cours de son premier accès, un savant menait des luttes et faisait de grandes
inventions en l'honneur de sa bien-aimée ; quelques années plus lard, au
cours du second accès, son cœur lui disait que sa bien-aimée n'était pas
mariée (ce qui était faux). Un commis a de grandes aspirations ; une dame
est aimable avec lui ; il veut l'épouser ; on lit beaucoup de choses sur la
Chez les femmes, il n'est pas inhabituel qu'elles aient tout d'abord
l'idée délirante d'être aimées, puis épousées, puis enceintes ; beaucoup
ont même des enfants de leur bien-aimé. Ce développement ne néces-
site que quelques semaines au cours d'un état crépusculaire, contre
de nombreuses années chez des malades lucides. Si l'objet de leur
passion est un membre du clergé, le délire se développe généralement,
en plus, dans un sens religieux.
Cette dernière éventualité peut aussi apparaître dans l'analyse des rêves, qui
doit être faite, ici, selon les mêmes règles que chez les sujets sains. Une de
nos paranoïdes eut pendant assez longtemps des rêves de souhait non dégui-
sés. Si quelque chose de désagréable lui était arrivé (rebuffade dans ses
aspirations érotiques, etc.), elle rêvait le contraire la nuit suivante et s'en
tenait ensuite fermement à cela, sous la forme d'une idée délirante 2 9 .
Pendant les accès aigus eux-mêmes, il n'est pas aisé de tester la mé-
moire. Là où il n'y a pas de « confusion » à proprement parler, on peut
néanmoins se convaincre souvent qu'elle est fort bonne, bien que des
altérations allant dans le sens des idées délirantes brouillent fréquem-
ment le souvenir. Je n'ai constaté d'amnésie antérograde nette, non
déterminée par les complexes, qu'une seule et unique fois, chez une
hébéphrène qui était en plus légèrement alcoolique. Elle arriva dans
un état d'assez forte excitation, elle était légèrement obnubilée, et elle
avait oublié la plus grande partie des événements des jours précédents.
Mais elle crut qu'un examen médical assez long avait eu lieu Pavant-
veille, et non la veille comme c'était le cas.
Certains trouvent imprimé tout ce qu'ils ont pensé ; ils ont inventé
eux-mêmes l'histoire qu'ils viennent de lire, et l'ont racontée il y a
longtemps déjà à leur frère, ils ont fait toutes les inventions et peint
certains tableaux il y a 6 0 0 ans. Ce type de paramnésies 31 n'est pas
rare dans la schizophrénie et n'a pas de limite nette avec les erreurs
d'identification mnésiques. Un de nos hébéphrènes crut pendant long-
temps avoir vécu exactement un an auparavant tout ce qui arrivait.
« Ce même visiteur, dans ces mêmes vêtements, était ici il y a aujour-
d'hui un an, et a dit la même chose ». Un autre prétendit, lors de son
admission, s'être déjà trouvé ici une fois ; puis il se souvint subitement
s'y être trouvé deux fois, en 1893 pendant 10 minutes, puis en 1895,
et y avoir cette fois passé la nuit ; mais ce n'était pas l'asile de fous
mais la caserne de la Marine. En même temps, il prétendait déjà
connaître le médecin, ce qui montre à quel point de nombreuses fausses
reconnaissances sont peu différentes des erreurs d'identification mné-
siques.
d) La personnalité
Le Moi peut pâtir des altérations les plus diverses. La perte du senti-
ment d'activité et, notamment, l'incapacité de diriger les pensées le
privent de composantes essentielles. Le processus associatif emprunte
des voies inaccoutumées. Tout peut apparaître différent, la propre per-
sonne du malade tout comme le monde extérieur, et ce, généralement,
d'une façon tout à fait confuse, si bien que le patient ne sait plus du
tout comment s'y reconnaître par rapport à lui-même et à l'extérieur.
Des paresthésies des sensations corporelles peuvent aussi rendre plus
difficile l'orientation auto-psychique. Ainsi advient-il qu'un malade très
intelligent ait besoin de plusieurs heures de travail psychique intense
« pour trouver son propre Moi pour quelques courts moments » ; les
patients « ne se suivent pas eux-mêmes », ils « ont perdu le Soi indi-
viduel ». Un malade devait chercher son propre corps à côté de lui.
Comme n'importe quelles parties du Moi peuvent être scindées, et que,
d'autre part, des représentations tout à fait étrangères peuvent lui être
incorporées, les patients deviennent « dépersonnalisés », la personna-
lité « perd ses limites dans l'espace et dans le temps ». Les malades
peuvent se sentir identiques à quelque autre personne, voire à des
choses : à une chaise, à la Suisse 3 3 ; à l'inverse, ils perdent leur rapport
avec eux-mêmes ; certaines idées ou pulsions chargées d'affect acquiè-
rent une certaine autonomie, si bien que la personnalité se désagrège.
Ces parties peuvent coexister côte à côte et occuper alternativement le
principal de la personnalité, la part consciente du malade. Mais le ma-
lade peut aussi être définitivement un autre à partir d'un moment donné.
Dans des cas plus bénins, les malades ont alternativement tantôt une
personnalité imaginaire, tantôt, de nouveau, la vraie ; la personnalité
imaginaire peut être toujours la même ou revêtir, de son côté, des
formes diverses. Certains malades sont si conséquents et si complets
tantôt dans l'une et tantôt dans l'autre de leurs personnalités que,
quand ils sont dans un rôle, ils ne pensent plus à l'autre ; à chaque
fois, c'est celle des personnalités qu'ils sont en train de représenter
qui leur paraît alors évidente. D'autres malades prennent conscience
de l'alternance. Une patiente est « réglable, tantôt vierge, tantôt
34. J e ne range naturellement pas ici les cas où il ne s'agit que d'une figure de style (NI)A).
f e m m e ». Une autre est « B a u m a n n , un homme, et puis de nouveau
moi ». Mais en général les divers points de vue se c o m b i n e n t de façon
irrégulière, parfois même dans la m ê m e phrase.
Une patiente a des trous dans les mains et se croit souvent à demi aveugle ;
et voici qu'elle prétend que l'infirmière a des trous dans les mains et est à
demi aveugle. De nombreux malades croient que leurs proches sont malades
mentaux ou tout au moins, plus fréquemment encore, enfermés à l'asile ; ces
proches sont alors électrisés comme les malades. Un patient se frappe souvent
vingt fois de suite lui-même, avec l'idée qu'il frappe ses ennemis ; un autre
crie, mais pense que c'est son voisin qui crie. La patiente s'embrouille mais
invective le médecin en disant qu'il n'est même pas capable de parler cor-
rectement. On lui donne des lunettes qui ne lui vont pas et elle rabroue le
médecin : « Qu'est-ce que c'est que ces stupides lunettes que vous portez ! »
Souvent, les malades accusent les infirmières ou leur entourage de ce qu'ils
ont eux-mêmes fait. Une patiente maltraite la tête d'une infirmière et proteste
en criant : « Oh ! ma petite tête ! » Une autre voit une infirmière et s'écrie :
« C'est la Gretchen à la lanterne sourde ; j e suis la Gretchen à la lanterne
sourde. » - Il en va un peu différemment quand les malades croient que
d'autres personnes empruntent leur nom et se comportent comme eux-mêmes.
Il y a aussi une composante transitiviste dans la réponse, très fréquente quelle
qu'ait été la question : « Je ne vous demande rien. » Quand le patient ne sait
pas si les gens et ses hallucinations agissent sur lui ou si c'est lui qui agit
sur eux, il s'agit d'un demi-transitivisme ; peu lui importe du reste ce qu'il
en est ; la direction de l'activité partant de lui et venant vers lui, et du même
coup les personnes, se recoupent.
Un hébéphrène dit que quand il fait quelque chose, par exemple quand il se
gratte le visage, ce n'est absolument pas lui qui le fait mais une autre per-
sonne, et en l'occurrence toujours une de celles qu'il a justement en face de
e) Langage et écriture
39. Dans ce chapitre, la traduction n'est pas toujours aisée. Dans le cas des néologismes,
notamment, j e tâcherai de rendre compte des textes intraduisibles par des équivalences
approximatives en français, tout en donnant le texte allemand en note de bas de page (NDT).
40. Comme toute autre activité, la parole peut se poursuivre automatiquement ou de façon
compulsive. Son contenu est alors généralement pathologique lui aussi ; la coprolalie, par
exemple, n'est pas rare ( N D A ) .
très signes d'affect prouvent la compréhension. Certains remuent sou-
vent un peu les lèvres, sans proférer un son. Il peut aussi arriver,
notamment dans les états aigus, que des malades mutiques répondent
par gestes ou par écrit, voire même expriment spontanément des sou-
haits de cette manière. Mais, le plus souvent, les malades mutiques
sont en même temps négativistes.
Dans le cas du mutisme, il ne s'agit jamais d'une mutité absolue, bien
qu'il existe des patients qui ne profèrent aucun son durant des années.
La plupart des malades parlent de temps en temps, par intermittences ;
ils peuvent notamment vitupérer de façon audible ; parfois ils chantent.
La motricité du langage est habituellement intacte. Les troubles arthriques
au sens propre ne font pas partie du tableau de la schizophrénie. Mais,
naturellement, des barrages généraux peuvent aussi se manifester dans la
fonction du langage. Celle-ci a néanmoins une certaine autonomie. Sa
perturbation est souvent plus forte ou — plus fréquemment encore — moin-
dre que celle du reste de la motricité ; le langage peut aussi, respective-
ment, soit rester seul normal, soit être seul atteint de barrages.
Il n'est pas rare qu'on ait l'impression que le lien entre le concept et
l'expression verbale est relâché, et à ce propos il est très frappant que
le degré de ce trouble n'ait pas forcément le moindre rapport avec les
autres relâchements associatifs, et notamment avec l'état de ce que nous
appelons intelligence. Il est des malades qui peuvent s'exprimer fort
correctement, mais dont les capacités intellectuelles sont affaiblies au
plus haut degré, et d'autres, à l'inverse, qui ne prononcent pas une seule
phrase compréhensible mais effectuent encore impeccablement des
tâches relativement complexes, comme la distribution du linge dans
une section. Dans la schizophrénie aussi, l'incohérence du langage doit
donc être distinguée de l'incohérence des concepts, bien qu'on les ren-
contre parfois toutes deux simultanément. Il faut noter, en particulier,
les cas, pas si rares, où les malades ne s'expriment clairement que par
oral ou par écrit, tandis que leur production est confuse sous l'autre
forme. Un de nos hébéphrènes, avec lequel, depuis des années, on ne
pouvait s'entendre par oral que sur les choses les plus simples, écrivait
encore des lettres correctes. Dans de tels cas il ne s'agit sans doute
pas seulement d'un « laisser-aller » et d'une « prise sur soi » dans des
occasions précises, mais d'une attitude différente selon les circonstances.
J'utilisais certains mots... pour exprimer un tout autre concept que celui qu'ils
désignent en fait... ainsi en allait-il aussi pour « teigneux », que j'employais
fort tranquillement pour « branlant »... Si j e ne trouvais pas aussitôt le mot
convenable pour les idées qui se bousculaient avec rapidité, je leur donnais
libre cours à ma manière... par exemple « Wuttas 41 » pour « colombes ».
La tournure rhétorique figurée est utilisée dans une large mesure, notamment
l'expression « assassiner », qu'on retrouve pour toutes les formes possibles
de tourment, et dans les combinaisons les plus diverses. Mais dans de nom-
breux cas il est clair que les patients oublient souvent, ici, qu'ils usent d'une
figure de rhétorique ; le concept « d'être tourmenté » est pour eux si fort
qu'ils ne peuvent le désigner que par ce mot, et que dans certains contextes
ils croient vraiment être assassinés. Naturellement, les expressions emphati-
ques sont privilégiées quand ils accusent, et les expressions lénifiantes quand
ils se défendent. — Si absurdes qu'elles paraissent, des locutions telles que
« J'ai été la patience du Christ », ont leurs équivalents normaux, par exemple
dans « Je suis la Vérité et la Vie. »
Souvent, l'analogie conceptuelle qui mène aux confusions de mots est très
limitée, et elle présuppose vraiment des cours de pensée qui ne font nulle-
ment partie du concept qui doit être exprimé : une malade a une « filiale de
Notre-Seigneur Dieu », c'est-à-dire qu'elle a le droit de faire de l'argent. Tout
aussi lointaine est la comparaison dont use une malade qui se plaint de ne
pas avoir « d'écoulement de marchandises », comparant l'activité amoureuse
à celle d'un magasin.
Le cas échéant, l'analogie ne porte pas du tout sur les concepts mais sur les
mots, et l'on peut alors aboutir à de fades jeux de mots, comme lorsqu'un
malade est « entre bourgeois », voulant ainsi dire qu'il est au Burghôlzli.
Une foule de néologismes doivent être formés par les malades pour désigner
de nouveaux concepts, pour lesquels notre langue ne dispose en effet pas de
mots. Notamment les persécutions, les hallucinations, et tout ce qui s'y as-
socie, doivent pouvoir être désignés au moyen d'un mot par les malades, qui
ne cessent en effet de s'en préoccuper. Ainsi « transengueuler » veut-il dire
parler à travers les murs ; une patiente de Jung appelait ses néologismes
« mots de pouvoir » ; elle parlait du « doublepolytechnique », qui était pour
elle l'incarnation de toutes ses capacités et des récompenses qu'elles méri-
taient 5 0 . Une patiente crache du « bouillon-de-temps-de-cage » sur le plan-
cher, c'est-à-dire qu'elle est forcée de tellement cracher parce qu'elle a du
temps-de-cage, parce qu'elle est enfermée. - La sœur d'une femme médecin
étend le concept de confraternité au travers de relations familiales : « elle
est confrère avec les médecins par l'intermédiaire de sa sœur ». La formule
« Le Prince d'Angleterre est dans le Moi d'aujourd'hui de mon oncle » ex-
prime l'idée, impossible à un sujet sain, que l'oncle a été transformé en le
Prince d'Angleterre (« il n'est pas devenu Prince d'Angleterre, mais il a vrai-
ment pris la personnalité du Prince d'Angleterre »).
46. Wahrliigereien.
47. Bemillionàrt.
48. Stiiblichheit.
49. Erhabrechtlich.
50. De nombreux néologismes de ce type désignent donc une idée complexe, et certains
même tous les vécus morbides d'une longue période. C'est pourquoi on les a aussi appelés
ellipses, et considérés comme le signe d'une maladie de durée déjà longue. Ce dernier point
n'est cependant pas tout à fait juste ; les patients peuvent forger de tels concepts et de tels
mots même au début de la psychose (NDA).
De nouvelles expressions sont aussi créées par condensation. Mais l'on
doit distinguer la condensation conceptuelle, qui amalgame plusieurs
concepts en un seul et les exprime par un mot, et la condensation
verbale, qui rassemble plusieurs termes, soit que ces mots désignent
le même concept, soit que la combinaison de mots corresponde aussi
à une combinaison de concepts.
Dans « il n'y a pas en moi de présence d'absence dans l'esprit », une idée
est exprimée d'une façon anormale, mais non erronée. Une formation de mot
erronée se trouve à la base de l'expression « j'étais dès l'enfance un appar-
tement 56 » (quelque chose d'à part). De même pour l'expression « je suis
51. Le néologisme original est händeklar, qui renvoie à deux expressions signifiant «CO.c'est
évident, c'est manifeste » : es liegt auf der Hand (littéralement : c'est sur la main) et es ist
Sonnenklar (littéralement : c'est clair comme le soleil) (NDT).
52. Zäh : endurant.
53. Beschwerung.
54. Beschwörung : invocation, incantation.
55. Les condensations, notamment dans les locutions symboliques, sont une faute fréquente
dans les devoirs d'écoliers (NDA).
56. Ein Appartement (etwas apportes).
successoral 5 ' pour trois millions » (j'ai hérité de trois millions). Une patiente
qui a des « douleurs catholiques insinuantes » veut dire que les infirmières
catholiques lui provoquent des douleurs. Le persécuteur d'un patient « souffre
de délire de persécution », ce terme-étant utilisé ici au sens actif, au lieu
de son sens passif habituel. Le patient qui « en est réduit à la charité de
l'État jusqu'au moment d'une acquisition ingénieuse 5 8 » utilise mal à propos
l'adjectif verbal ; la catatonique « à qui appartient le lac de Constance » ex-
prime de façon impropre, par « appartenir », l'idée qu'elle devrait se noyer
dans le lac de Constance.
D'une façon analogue à « appartenir » dans ce dernier exemple, l'auxiliaire
est souvent utilisé mal à propos : « j e suis l'Angleterre » signifie « l'Angle-
terre m'appartient » ; « j e suis le soleil » équivaut par le sens à « j e suis le
Seigneur et Créateur du soleil », etc. Mais, dans tous ces exemples, la pensée
qui en forme la base n'est sûrement pas aussi clairement définie que quel-
qu'un de sain ne le pense.
Comme l ' a s s o c i a t i o n des idées entre e l l e s , la relation entre le c o n c e p t
et le mot peut aussi être tout à fait fortuite, et se maintenir par la
suite. Un paranoïde utilisait p r e s q u e tous les mots étrangers qu'il en-
tendait pour désigner s e s idées de persécution ou une partie d'entre
e l l e s : « il fut p e r s é c u t é par la voie de d o s s i e r s 5 9 », on lui provoqua
des douleurs dans les organes génitaux « par la voie du C o s m u s 6 0 ».
Dans de tels c a s , les m a l a d e s p e n s e n t vraiment avoir exprimé leurs
i d é e s c o r r e c t e m e n t , et de façon c o m p r é h e n s i b l e pour autrui.
57. Erbschaftlich.
58. ... der »bis zur Zeit eines findigen Erwerbes auf Staatswohltat angewiesen ist«.
59. Auf dem Dossierwege.
60. Auf dem Kosmusweg.
61. Schwanzenmörder.
62. Névralgie : Neuralgie - Alger : Algier.
un autre, de sonorité analogue, et continue du plus à associer dans le sens
du premier mot. Le malade analysé par Riklin 6 3 , qui parle et écrit comme
suit, utilise de nouvelles tournures de langage et des abréviations :
« Centralleuropa undt Centraleuropaaera Nr 3258 Eernst Gisler Trauungg auch
dder Schlüsel ddurch Herr Pfarrer Dr. Studer Kaiser DDes Titt. Standdenbank
pprr p 96 oder Postbrief 3 vvia Kaiserlichen undt Königlichen auch Kaiserlich
Königlichen Gewerbes Titt, Rheinau. Mo work Badd ggut 3/8 Herr dr. hc. 30/7
Bern 27/7 DD 18/7 kurz 30/7 3/8 Aa 1906 Datum. Ssssie Zahlen geegen Voor-
weisen eeines Billetes Frkn Achttausendt in Banknotenn auch Titt. Berner Kan-
tonalbank in Bern oder B K B. Frkn 8000 baar Bestände à Zehn Prozente Frkn
8.800 ieddenfals Frkn 800 maal Zehn à Eeilf : Titte. Begierungs kanzllei Aaltdorf
weegen Schadenersatze ddurch Herrn aalt Missionar u Gasthhof Inhabber Dr
Christaller im Bellevue Andter madtim Paag Frkn e zwölff Halboktav Beiswerk
Reiswerk = Procès Verbal qa 29/9 Ao 1889 Zeitungsdatumm dden Nneuen Z
Zürcher Zeitungg. Soll Forel Steinheil Guggenbuel 330 Frkn b = und Frkn Haf
Dho Grob st 15 auch addirt nach 139 Wartjahren an Herr Oberwärter u. Minister
dr hc Vegetarianer Steeiger Bro 64. »
Il m'a été impossible jusqu'à présent de prendre une salade de mots entière
en sténo. Dans le texte qui suit, la construction de la phrase est encore
préservée en majeure partie : A Apell, suivant les États de l'Église le peuple
a pris en partie les us et coutumes selon la foi de Glos 6 8 c'est pourquoi le
père voulait entrer dans une situation purement f. nouvelle car ils croyaient
que le père n'avait une Comediatio de Babeli 6 9 qu'avec une pièce musicale.
C'est pourquoi ils allèrent sur la haute Osetion sur le charbon de terre de
Stud et de toutes sortes d'autres méchancetés : et contre ce qui est bon. Et
justement viennent à point sur votre Osetion inverse et Ugauhskil sera en
train le père est aussi le Juste. (Hébéphrénie).
Les anomalies de style proprement dites sont fort communes chez les
patients d'asile. Le mode d'expression, notamment, est volontiers am-
poulé, et pas seulement dans les passages qui doivent être écrits avec
emphase ou sentiment ; « les malades disent des trivialités avec un
mode d'expression hautement tarabiscoté, comme s'il s'agissait des in-
térêts supérieurs de l'humanité 75 . » Souvent, les termes en sont fort
maladroitement choisis, si bien qu'on croit entendre un écolier qui veut
faire le précoce ; il s'y joint une prédilection pour des dictons de toute
sorte, qui sont souvent amenés de façon stéréotypée à tous les endroits
possibles et imaginables. A part le style télégraphique, nous trouvons
chez d'autres malades encore une tendance à des développements sans
fin, dans lesquels les idées les plus diverses se trouvent souvent four-
rées n'importe comment. Quand des choses qui vont de soi sont lon-
guement explicitées dans des lettres, il s'agit d'une bizarrerie tant du
style que de la pensée : « Le signataire des lignes qui suivent prend
la liberté de vous faire parvenir celles-ci par la poste et sous enve-
loppe... » Les malades polyglottes mêlent volontiers des langues diffé-
rentes, ou privilégient une langue qui ne leur est pas courante.
à 1'
Des contractions, telles que « icht » au lieu de « ich nicht », ne sont pas
rares dans ces mêmes cas. Sans doute faut-il ranger ici aussi le phéno-
mène qui consiste en ce que des mots et des lettres ne sont pas complè-
tement écrits, ou sont omis (« Wärtin » au lieu de « Wärterin », « nih »
au lieu de « nicht ») ; néanmoins, ces troubles peuvent aussi avoir d'autres
causes, et notamment en cas de barrages d'apparition soudaine.
8 0 . Les recherches sur les poèmes dédiés par Lenz à Frédérique Brion, par exemple, ont
été rendus plus difficiles de ce fait (NDA). Jakob-Michael-Reinhold Lenz ( 1 7 5 1 - 1 7 9 2 ) : poète
et auteur dramatique allemand, un des promoteurs du mouvement littéraire Sturm und Drang,
lié d'amitié avec Goethe à Strasbourg. Frédérique Brion ( 1 7 5 2 - 1 8 1 3 ) : fille d'un pasteur
protestant d'Alsace. Un amour de jeunesse de Goethe (NDT)-
nérale, les passages complexuels se distinguent, chez les schizo-
phrènes, par des signes beaucoup plus marquants que chez les sujets
sains (irrégularités de toute sorte, écarts de la ligne, etc.).
Quand des catatoniques autistiques, qui ont complètement perdu tout rap-
port avec la réalité, sont pressés d'écrire, ils ont d'abord souvent des
difficultés à prendre correctement la plume dans leur main, puis c'est
comme si la plume ne marquait pas vraiment. Habituellement, ils font
alors des traits en l'air, finalement ils en tracent sur le papier, et notam-
ment des lignes entrelacées, etc. Si l'on a vraiment beaucoup de patience,
on peut voir la façon dont des lettres se forment peu à peu à partir de
ces lignes, lettres d'abord assemblées d'une manière incompréhensible,
pour finalement former un mot écrit sinon correctement, du moins d'une
façon compréhensible, voire même éventuellement une phrase. On peut
généralement montrer, après coup, que des éléments du mot étaient déjà
contenus dans les gribouillages initiaux, que l'on n'avait pas compris.
L'écriture se développe donc exactement de la même façon que dans le
cas de l'écriture automatique, seulement plus vite, en général, en une
seule « séance ». Par contre, l'acquis est de nouveau complètement perdu
jusqu'à la tentative suivante 81 .
Dans les états aigus, on rencontre des symptômes psychiques qui rap-
pellent la compression cérébrale. Sur le plan corporel également, des
mouvements trémulants et incertains permettent de conclure à une per-
turbation cérébrale générale assez grossière. Selon Reichhardt, on peut
trouver un poids cérébral trop important proportionnellement au crâne,
voire même de petites plages de ^congestion82. Il faut aussi mentionner
ici les troubles pupillaires.
Reichhardt (p. 32) a trouvé jusqu'à 5 pour mille d'albumine dans les
urines au cours d'états stuporeux. Nous avons aussi pu en voir transi-
toirement des quantités moindres au cours de divers états catatoniques.
On ne saurait encore déterminer s'il existe une corrélation entre ce
symptôme et la psychose.
84. Il ne faut pas- confondre avec le ptyalisme la particularité qu'ont certains catatoniques
„ de ne pas avaler leur salive mais de la garder aussi longtemps que possible dans leur bouche
ou de la laisser s'écouler (NDA).
f a c t e u r s p s y c h i q u e s ; souvent, délire d'empoisonnement, négativisme,
autisme, agitation, etc. entravent ou rendent plus difficile la prise d'ali-
ments, qui peut c e p e n d a n t s ' a c c r o î t r e par intermittences j u s q u ' à la bou-
l i m i e , étant donnée la variabilité de c e s états. Dans nulle autre maladie
p s y c h i q u e que la s c h i z o p h r é n i e on ne rencontre si fréquemment et si
d u r a b l e m e n t de refus d'aliments c o m p l e t . Dans les états catatoniques
d'un degré relativement é l e v é , notamment, l ' a b s t i n e n c e plus ou moins
c o n s é q u e n t e est la règle. Une de nos malades ne put être nourrie qu'à
la sonde durant 1 6 ans, c ' e s t - à - d i r e j u s q u ' à sa mort.
Le sucre dans l'urine ne semble pas jouer de rôle, et selon d'Ormea la quantité
de substances réductrices dans l'urine serait au contraire moindre que chez
le sujet normal ; par contre, une certaine albuminurie semble pouvoir se pro-
duire parfois dans des états délirants que, pour notre part, nous rangerions
dans la schizophrénie (voir aussi, plus haut, l'albuminurie dans la stupeur).
Dans les états c h r o n i q u e s , la quantité d'urine s e m b l e être dans un rap-
port normal avec la prise d'aliments et d'eau. Mais de grandes irrégu-
larités peuvent se produire au cours des p o u s s é e s . Tantôt les malades
évacuent de grandes quantités d'urine, tantôt il existe une oligurie ;
j ' a i même constaté une anurie complète de deux j o u r s chez une j e u n e
fille catatonique (à l'aide de cathéter). E n pareil c a s , des fluctuations
rapides du poids corporel ne sont pas étonnantes. Chez un malade,
Arndt ( 3 0 ) a trouvé à c h a q u e survenue de la c a t a l e p s i e une salivation
et une polyurie.
Une rétention consciente d'urine est également très fréquente ; mais elle
n é c e s s i t e rarement une intervention thérapeutique.
Kahlbaum (346, p. 52) a presque constamment trouvé dans ses cas de cata-
tonie un haut degré d'anémie ou de chlorose. D'autres, il est vrai, comme
Tschich, ont trouvé un état nutritionnel particulièrement bon, l'hématopoïèse
en faisant également partie. D'après mes expériences, qui ne s'appuient pas
sur des recherches au moyen d'instruments de mesure, les schizophrènes se
comportent, sous ce rapport, comme d'autres gens. - Whitmore Steele prétend
avoir trouvé trop peu de globules rouges et trop peu d'hémoglobine (71 % en
moyenne, pour cette dernière) chez ses mélancoliques, au nombre desquels
il compte aussi, naturellement, des schizophrènes déprimés, tandis que
Schultz (681) trouve vraisemblable, dans la catatonie, « une certaine tendance
à la baisse du nombre des érythrocytes du sang qui se trouvent dans les
principaux vaisseaux sanguins » et une teneur en hémoglobine presque nor-
male. Vorster a trouvé que le poids spécifique et la teneur en hémoglobine
étaient trop bas dans la melancholia attonita et le délire hallucinatoire aigu,
mais aussi dans d'autres psychoses aiguës. - Pighini et Paoli prétendent avoir
trouvé des formes jeunes d'hématocytes (augmentation de taille et ombilica-
tion) - mais comparer avec Muggia. - Obici et Bonon, ainsi qu'Agostini, ont
observé une diminution de l'isotonie des globules sanguins dans la démence
précoce comme dans d'autres maladies mentales (notamment au début). Dans
les états chroniques, parmi lesquels la schizophrénie vient en première ligne,
selon Pugh, et dans la catatonie, selon Schultz, l'alcalinité n'est pas modifiée.
Selon Bruce, le sang coagulerait plus difficilement dans la catatonie et dans
la manie aiguë. Il est surprenant que cela ne se remarque pas à l'occasion
des blessures et opérations, qui sont fréquentes.
Ce sont surtout les recherches sur le comportement des globales blancs, où des
anomalies certaines ont été constatées, qui méritent notre attention. Bruce, no-
tamment, étaie ainsi sa théorie de l'origine infectieuse de maladies que nous
qualifierions, pour leur plus grande part, d'états aigus de schizophrénie. Tou-
tefois, ses recherches nécessitent encore une vérification approfondie.
87. Trépsat (771) croit que le « pseudo-œdème », comme l'a appelé Dide, pourrait être
constaté dans presque tous les cas, à la seule condition de pouvoir observer les malades
suffisamment longtemps. - Fuhrmann croit que l'œdème facial n'a pas encore été décrit et
l'appelle pachydermia facialis. - Les Anglais appellent la eomplexion luisante de la peau,
quelque peu succulente et de toute façon lisse et sans rides (peut-être par manque de mou-
vement ?) : varnished skin (NDA).
88. Trépsat décrit, chez des déments catatoniques, respectivement un pemphigus et un ulcère
de jambe, et il attribue cette affection à des troubles trophiques. Mais il est douteux qu'il
faille supposer un rapport avec la psychose (NDA).
aussi survenu lors d'un lavage de la propre main du patient ; dans un autre
cas, le patient pressait constamment son oreille à cause des Voix, provoquant
ainsi le saignement. La tendance aux saignements peut être très transitoire
ou durer relativement longtemps. La mort par hémorragie cérébrale ne semble
pas particulièrement fréquente.
Les troubles de la sécrétion sudorale ne font pas partie du tableau habituel,
mais ils ne sont cependant pas rares du tout dans les diverses formes. L'in-
hibition de cette fonction est difficile à établir, étant donnée la grande éten-
due de ses variations physiologiques ; tout au plus peut-on remarquer que
les malades s'allongent sous le soleil le plus chaud sans transpirer. Une sé-
crétion sudorale anormalement importante est par contre fréquente, tantôt à
la suite d'excitations psychiques, tantôt en rapport avec des accès, et notam-
ment de ceux qui sont représentatifs d'excitations sexuelles, tantôt aussi sans
cause connue. Une catatonique se masturba de nombreuses semaines durant
d'une façon tout à fait convulsive, par croisement de ses cuisses l'une sur
l'autre, tout en transpirant tellement que sa consommation de linge devint
une calamité. Une autre catatonique avait un fort accès de sudation une de-
mi-heure après chacun des gavages par sonde (qui se passaient sans résis-
tance de sa part).
Nous voyons, plus fréquemment encore que chez d'autres gens nerveux, des
sudations localisées qui peuvent toucher n'importe quelle zone du corps. De
temps en temps, ces sudations sont hémilatérales. Vraisemblablement une
partie de ces phénomènes sont-ils en rapport avec des complexes, et en tout
cas très certainement avec des excitations psychiques.
Hoche (309, p. 231) mentionne aussi une forte sécrétion des glandes sébacées.
On peut en outre citer le cas, publié en son temps par Forel (229 a), d'une
catatonique dont les cheveux devinrent gris pendant la période d'affects dé-
pressifs au début de la maladie, mais reprirent leur couleur noire après mo-
dification de l'état psychique 8 9 . - Bertschinger mentionne (p. 303) une ma-
lade dont la couleur des cheveux alternait, tous les six mois environ, entre
brun-châtain foncé et blond clair. - Chez une de nos malades, les cheveux
furent crépus, un temps, en état d'excitation, et lisses lors de la rémission.
9 2 . Il s'agit bien sûr de l'enregistrement des associations des patients au cours du test
d ' a s s o c i a t i o n s provoquées (NDT).
9 3 . Petit instrument métallique utilisé autrefois pour la percussion médiate (NDT).
On note des soubresauts musculaires, notamment dans la musculature
faciale, où la « fulguration 94 » était considérée depuis longtemps déjà
comme signe d'une maladie en cours de chronicisation. Plus rares sont
des soubresauts de muscles entiers, ou même de toutes les masses
musculaires d'un membre.
Parmi les réflexes, les réflexes cutanés sont, comme dans la plupart des
psychoses, si difficiles à explorer indépendamment de l'esprit que nous
n'en savons rien de précis. Séglas (in Ballet, p. 109) écrit que les ré-
flexes cutanéo-muqueux seraient diminués dans les formes secondaires
de stupidité. D'après Maillard (Société de psychiatrie, Paris, 16 dé-
cembre 1909, Neurologisches Centralblatt 10.623), le réflexe cutané
plantaire fait défaut dans 7 5 % des cas de démence précoce (41 %
dans les autres psychoses). L'exagération du réflexe rotulien avec ab-
sence de cutané plantaire se rencontre dans 70 % des cas de démence
précoce, et dans 15 % des cas dans les autres psychoses. Tout praticien
sait que le réflexe pharyngé et, d'une façon générale, tout réflexe nau-
séeux, est absent dans les cas tant récents qu'anciens. Des larmes et
une érythrose des joues peuvent prouver la conservation de la sensi-
bilité, tandis que dans d'autres cas un attouchement intensif du pha-
rynx et même de la muqueuse bronchique ne provoque pas de
sensations désagréables. On voit des phtisies qui évoluent sans toux
jusqu'à la mort.
Le cas échéant, le réflexe conjonctival, voire cornéen, sont également
totalement absents, mais ce seulement dans les cas de catatonie grave,
autant que j e l'ai vu. Les réflexes profonds, c'est-à-dire ostéo-tendineux,
sont en règle exagérés, comme dans tous les cas où les hémisphères
cérébraux relâchent leur contrôle. On obtient parfois une série de sou-
bresauts d'allure clonique au niveau de la rotule ; parfois, l'exagération
se manifeste de telle sorte que le début d'extension stimule les flé-
chisseurs, si bien que la jambe est ramenée en arrière comme un res-
sort ; dans l'un de nos cas, toute la musculature homolatérale de la
tête, du cou et du torse tressautait lors de la percussion de l'angle du
maxillaire. L'exagération unilatérale des réflexes tendineux ferait éga-
lement partie de la schizophrénie (Kleist, 366, p. 76).
Le renforcement des réflexes tendineux n'est pas en rapport avec le
tonus de la musculature. Je me souviens d'une catatonie fraîche (de
degré léger) qui avait une énorme hypotonie de la musculature ; pour-
tant les réflexes tendineux étaient augmentés.
J'ai trouvé des réflexes diminués dans un seul et unique cas, sans que
l'on ait pu mettre en évidence d'erreur d'examen. Kleist (p. 43) a ren-
contré des réflexes tendineux diminués avec hypotonie.
Les réflexes pupillaires ont été souvent étudiés, et avec succès. La réac-
tion de fermeture des paupières de Piltz se rencontrera dans environ la
moitié des cas. Bumke et Hubner ont prouvé que l'instabilité pupillaire,
la mydriase lors de l'attention, de la frayeur, etc. ainsi que des stimulus
sensitifs (notamment désagréables) font souvent défaut dans la schizo-
phrénie. Bumke se croit en droit de supposer que ceci serait un phé-
nomène régulier à l'acmé d'un état catatonique, tandis que le second
auteur n'a trouvé de réaction ni psychique ni sensitive chez 75 % de
ses schizophrènes, mais a pu en constater avec certitude chez 8 %
d'entre eux. Mais ces pourcentages n'ont encore que peu de valeur,
car le mode d'examen, l'instrument, l'intensité de la lumière, ainsi que
la conception qu'on a de la systématique des maladies doivent entraîner
de fortes différences (voir Wassermeyer). Mais il est certain que les
réflexes psychiques ne sont nulle part aussi souvent absents ou dimi-
nués que dans la schizophrénie 96 .
Outre l'absence de réaction, on trouve parfois une réaction étonnam-
ment forte à des stimulus psychiques, exactement comme dans le cas
des manifestations d'affectivité.
Lors des excitations catatoniques de tout type, les pupilles sont très
souvent fortement dilatées, mais elles réagissent aux variations de lu-
minosité. Dans les états psychiques les plus divers, elles sont souvent
inégales, sans que leur réaction soit diminuée ; ce phénomène a sou-
vent donné lieu, dans le passé, à un diagnostic infondé de paralysie
générale. Mais, à la différence de cette maladie, l'inégalité est rarement
permanente, elle se modifie souvent au bout de peu d'heures, les pu-
pilles devenant égales, ou l'inégalité s'inversant. j e n'ai vu que deux
fois des pupilles en tête d'épingle dans la schizophrénie.
A l'occasion, on voit aussi des curiosités telles que les deux qui suivent. Un
catatonique avait, à son entrée à l'asile, des pupilles égales, étroites, qui
n'étaient pas bien rondes et réagissaient à peine. Au bout de 10 minutes
elles étaient largement dilatées et réagissaient normalement. Chez une fille
catatonique, nous avons vu, alors qu'elle était totalement calme, des élargisse-
ments et rétrécissements spontanés des pupilles sans modifications de lumi-
nosité ni d'accommodation. De temps en temps, de telles anomalies semblent
être en rapport avec le contexte psychique, bien qu'on ne puisse que rarement
le prouver par réitération. Ainsi l'un de nos catatoniques eut-il un jour, pen-
dant environ une heure, alors qu'il parlait avec ardeur de ses idées délirantes,
des pupilles élargies et qui ne se rétrécissaient pas à la lumière97.
On connaît depuis fort longtemps le « regard paranoïde », qui apparaît quand
les patients pensent à des complexes donnés. Chez certains malades, cette mani-
festation peut être momentanément provoquée puis amenée à disparaître par
l'abord d'un thème différent. Je ne sais pas sur quoi elle repose. Elle reste
souvent reconnaissable quand l'on ne voit que l'œil, à travers un masque.
Parmi les troubles sensoriels que nous pourrions ranger parmi les symp-
tômes corporels, on trouve très fréquemment la céphalée, notamment
dès l'anamnèse. Nombre de nos patients avaient, dès leur jeunesse,
9 6 . Voir l'important travail de Weiler, in Zeitschrift fur die gesamte Neurologie und Psychia-
trie, Or. 1910, II, p. 101 (NDA).
97. Leeper (Journal of mental sciences, 1904, p. 5 2 0 ) a trouvé des pupilles larges le matin,
étroites le soir. Au cours de la présentation clinique qui a lieu le soir, j'ai très souvent pu
montrer des pupilles dilatées. - Dide et Assicot ont même trouvé un Argyll-Robertson, mais
plus souvent encore le phénomène inverse. Souvent, la réaction à la lumière ou à l'accommo-
dation était diminuée. Blin prétend avoir trouvé un Argyll-Robertson dans 13,8 % des cas
ce qui est étonnant. - A. Westphal a décrit des pupilles irrégulières et ovales ; j'en ai vu
moi aussi, de façon transitoire (NDA).
souffert de céphalée ; pendant la maladie patente, on retrouve souvent
ce symptôme sous les formes les plus diverses : pression dans toute la
tête, derrière le front et, avec une particulière fréquence, à l'occiput ;
douleurs déchirantes, térébrantes, à type de traction, de brûlure, qui
irradient généralement à toute la tête à partir d'un endroit quelconque.
Ce symptôme peut aussi avoir un caractère migraineux, et pourtant
disparaître par la suite, si bien que l'on n'est pas en droit de le consi-
dérer comme une simple complication.
Nous ne connaissons pas de causes déclenchantes à cette céphalée,
pour autant qu'il s'agirait d'une manifestation appartenant à la schizo-
phrénie. La douleur occipitale doit avoir un rapport quelconque avec
la sexualité.
98. Ou, conformément à la prédilection pour ce qui est exotique, pour un nénuphar (NDA).
ques), un épi de maïs grandeur nature pour un épi de blé, et ici c'est
en première ligne la dimension qui est négligée, etc.
On range aussi parmi les symptômes corporels les divers « accès » qui
peuvent survenir au cours de la schizophrénie. Il est vrai que nombre
d'entre eux sont à coup sûr indépendants de l'esprit ; d'autres, à l'in-
verse, ont un déclenchement psychique, et sont psychiques dans tous
leurs symptômes, et il faut là, bien sûr, compter au nombre des symp-
tômes psychiques les manifestations d'accompagnement des affects au
niveau du cœur, des vaisseaux, et éventuellement de l'activité intesti-
nale et rénale, bien qu'il s'agisse de phénomènes à expression corpo-
relle. Entre les deux, il existe une foule d'intermédiaires, dans lesquels
soit c'est l'état cérébral permanent qui crée la prédisposition, mais c'est
un événement psychique qui déclenche l'accès, soit, à l'inverse, il survient
un accès somatique, mais la symptomatologie psychique en est détermi-
née par les complexes présents". Par « somatique », nous entendons na-
turellement ici une altération de l'activité cérébrale physiologique,
qu'elle soit conditionnée par une intoxication ou par des spasmes vas-
culaires, ou par quoi que ce puisse être.
99. Certains accès représentent un acte sexuel transformé, voir Abraham, in Jahrbuch für
psycho-analytische Forschung, vol. Il, p. 2 9 (NDA).
resta à plusieurs reprises, quelques jours durant, dans un coma au
cours duquel il présentait même un signe de Babinski.
100. Tetzner rapporte un cas de mort par accès convulsifs itératifs ; il semble s'agir là d'une
catatonie, en prenant c e mot au sens que nous lui donnons ( N D A ) .
dans ce contexte, les accès de vitupérations et de confusion à déclen-
chement psychique, qui forment la transition vers la simple réaction
de l'esprit schizophrène.
Comme tous les autres symptômes hystériformes, les accès typiquement
hystériformes ne sont pas rares chez nos malades. Toutes les formes
qu'on peut voir dans l'hystérie, nous les rencontrons ici aussi. De la
grande crise jusqu'aux simples tremblements spasmodiques de certains
membres, on peut tout voir. Ils peuvent alterner avec des accès d'autres
types ou rester seuls. Ils sont généralement isolés, ou du moins peu
fréquents, alors toutefois que des ébauches plus légères et des accès
abortifs se voient fréquemment. Une de nos malades prophétisa qu'elle
mourrait dans la nuit ; elle resta alors un moment comme sans connais-
sance, mais respirant paisiblement dans son lit ; puis elle se mit sou-
dain à crier et à trembler. Amélioration immédiate après application
d'une hydrothérapie.
101. Juron universel en suisse alémanique, qui signifie littéralement « cul de cheval » et
revêt encore, dans le sentiment populaire, une signification religieuse en tant que réminis-
c e n c e de vieilles croyances germanique (NDA).
tions sur ses pieds. Pupilles variables ; pouls bien frappé, environ 80. Durée
environ 2 heures, puis obnubilation, reste allongée, comme dormant, mais
peut encore agir, par exemple aller à la chaise percée ; mais, ce faisant,
titube. Ensuite souvenir entier. - Un hébéphrène eut deux accès identiques :
secousses et rotation des membres, révulsion des yeux, visage complètement
blafard, écume aux lèvres ; durée de plusieurs heures ; amnésie totale. - Ca-
tatoni.e périodique avec périodes maniaques : subitement, lors du repas, se-
cousses des bras et du cou ; bras fléchis, se rejoignent cloniquement ; la tête
s'incline et a des mouvements convulsifs. Pas de perte de connaissance. Du-
rée une demi-heure. Par la suite, encore des soubresauts irréguliers, ne vou-
lait pas aller à table parce qu'il laissait facilement tomber la vaisselle.
Ensuite, de nouveau comme avant. — Catatonique : secousses cloniques de
toutes les extrémités, mais conserve pendant un moment les positions qu'on
lui imprime passivement (n'était pas cataleptique avant l'accès). Pleurs vé-
héments, forte érythrose du visage. Durée d'une demi-heure. - Hébéphrène :
début par des grognements et des éructations, puis mouvements croissants
du corps, se tient convulsivement à son lit avec ses mains. - Paranoïde : à
table, se mit soudain à rire, puis piétinement ; s'endormit ; se réveilla au
bout de quelque temps et recommença à taper d'un pied, tenait fermement
son bras sur les yeux, si bien qu'on ne pouvait le bouger passivement. Pas
d'amnésie, elle dit n'avoir pu répondre, avoir dû agir ainsi. Par la suite, elle
eut par moments la tête rouge et se crut alors persécutée pendant ce temps.
- Une hébéphrène a « des accès de tremblement des jambes, étant alors
agitée intérieurement et ne pouvant plus travailler ». Une autre présente des
secousses cloniques irrégulières des extrémités et de la face. — Une catato-
nique révulse ses yeux, tape des pieds, a de l'écume aux lèvres. Durée ap-
proximative deux minutes. Amnésie totale. - Les accès peuvent aussi se
produire pendant le sommeil. Une de nos malades fut réveillée du fait que
son corps se redressait. - Un hébéphrène a soudain la tête rouge, il s'emporte
alors et vitupère.
* * *
Wintersteiner a trouvé des altérations innées du fond d'œil dans les deux tiers
de ses « paranoïas » (au sens de l'école de Vienne).
Nombreux sont ceux qui citent aussi, dans ce contexte, le goitre. Il est
indubitable qu'on trouve dans les régions à goitres plus de grands goi-
tres chez les schizophrènes que dans la population saine. Il arrive aussi
que le goitre enfle et désenfle avec les états d'agitation (Bertschinger,
p. 301). Mais ces relations peuvent aussi n'être qu'une apparence. (Les
goitres de nos malades ne sont traités que s'ils menacent d'être dou-
loureux ; le fait de crier peut les amener à gonfler.) En tout cas, il
nous manque la preuve que le goitre fasse partie de la schizophrénie
ou de la prédisposition sehizophrénique.
g) Les symptômes catatoniques
1. La catalepsie
Le visage figé des malades donne parfois l'impression qu'ils ont les
traits contractés ; des positions forcées maintenues de façon prolongée
semblent aussi indiquer une rigidité musculaire ; lors des mouvements
passifs, nous sentons souvent une résistance, qui peut être véritable-
ment invincible dans des cas graves.
Mais en vérité nous ne connaissons pas encore, dans la schizophrénie,
ce qu'on pourrait appeler des états hypertoniques des muscles, au sens
propre. Ce qui est décrit, ce sont des phénomènes complexes ayant en-
tièrement, ou du moins de façon prépondérante, une genèse psychique.
Il n'est toutefois pas bien rare qu'on se trouve confronté au fait qu'un
patient adopte des mois durant une position donnée et semble égale-
ment complètement rigide quand on veut mouvoir passivement ses
membres. Cela peut aller si loin que l'on peut remuer tout son corps
de la main ou du pied comme s'il se composait d'un seul morceau de
bois, sans que la position relative des membres en soit modifiée. Mais
si l'on y regarde de plus près, en pareil cas, sans doute peut-on toujours
constater que les muscles se contractent à tout moment, en proportion
de la force appliquée de l'extérieur, exactement aussi fort qu'il est
nécessaire pour tenir la position. En cela, le dosage est singulièrement
précis, le maintien de la position des membres est presque absolu. Un
sujet sain ne parviendrait qu'exceptionnellement à réaliser le même
type de résistance, et pas durablement. La preuve me manque jusqu'à
présent que les muscles soient plus fortement bandés, à un moment
quelconque, qu'il n'est nécessaire pour conserver la position à l'en-
contre de la pesanteur ou d'autres influences extérieures. Par contre,
on peut constater dans certains cas l'extension de la tension à des
muscles qui ne sont pas directement engagés - exactement comme dans
les efforts de sujets sains.
Ballet (38, p. 105) a appelé catatonisme cette tendance aux tensions
et supposé (avec d'autres ) que certains groupes musculaires, tels
102
La façon dont un tel malade bouge son membre n'est pas totalement indiffé-
rente ; souvent, la catalepsie ne se manifeste que si l'on amène un peu brus-
quement le membre dans sa nouvelle position, comme si l'on indiquait qu'il
devrait être là. Mais ce qui est efficace, ce n'est pas la suggestion au sens
habituel du terme : il n'est pas nécessaire que le patient pense qu'on attend
de lui la conservation d'une position donnée. Je recherche souvent avec suc-
cès la catalepsie en tâtant le pouls du patient et en tenant ce faisant son
bras en l'air, comme par hasard, pour le lâcher purement et simplement après
avoir compté jusqu'au bout. A l'inverse, on peut traiter n'importe quels autres
patients et sujets sains de la même façon que celle dont on use habituellement
pour rechercher la catalepsie sans que ce phénomène se manifeste.
2. La stupeur
1 0 5 . Souvent, les Voix qui interdisent les mouvements et la dégradation motrice pourraient
être des conséquences parallèles d'une seule et même cause (NDA).
systématique du monde extérieur, transportent complètement les ma-
lades dans un monde de fantaisie.
Naturellement, ces diverses formes de stupeur se combinent volontiers les
unes aux autres, plusieurs causes étant simultanément présentes.
La stupeur n'est pas nécessairement complète. Certains stuporeux sont
seulement somnolents, mais peuvent encore participer à certaines
conversations simples ou travailler un peu. L'un de nos malades voulait
regarder quelque chose derrière une botte de foin, il alluma une allu-
mette à cet effet, ce qui enflamma le foin. Il s'était encore montré
capable, au cabaret, de mettre la main à la pâte en faisant ce que la
patronne lui ordonnait ; mais il n'était plus capable de penser suffi-
samment pour avoir de lui-même l'idée qu'il était dangereux de faire
du feu à proximité immédiate de paille et de foin, puis pour y apporter
la prudence nécessaire, et enfin pour éteindre le feu à son début.
Sans doute toutes les formes de stupeur, à l'exception peut-être de
celle que l'on appelle obnubilation, peuvent-elles se dissiper totale-
ment ou partiellement sous des influences psychiques. Si l'on touche
aux complexes des malades, on voit souvent une réaction nette soit
dans la tension musculaire, soit dans la vasomotricité. Donc, les ma-
lades perçoivent et élaborent encore. Le catatonique stuporeux de Rik-
lin (612) ne répondait qu'aux idées et ne lisait que les mots qui se
rapportaient très directement à ses souhaits pathologiques. Une malade
totalement figée et négativiste serre les dents dès que j e lui dis qu'elle
est trop maigre pour avoir volé de la nourriture, comme elle le soutient.
Une malade immobile éclate franchement de rire quand une autre
laisse tomber du beurre d'un papier. Des stuporeux peuvent tout à coup
jouer correctement aux échecs, faire des mouvements rapides en écri-
vant, jouer du piano, etc. Beaucoup peuvent être complètement « ré-
veillés » par les visites de leurs proches.
Sur le mutisme, qui est souvent décrit comme une manifestation par-
tielle de la stupeur catatonique, voir plus haut, p. 206.
3. L'hyperkinésie
Aux symptômes akinétiques que sont la stupeur et la flexibilité cireuse
s'opposent les hyperkinésies catatoniques. Elles ont été présentées par
l'école de Wernicke comme une maladie particulière comportant des
phénomènes psychomoteurs irritatifs. Mais la preuve qu'il ne s'agit pas
ici aussi d'une manifestation partielle de l'état psychique général de
la catatonie fait défaut jusqu'à présent ; les mouvements « pseudo-
spontanés » paraissent être, comme d'autres mouvements des catatoni-
ques, un assemblage composite de mouvements volontaires, de mouve-
ments automatiques et de mouvements stéréotypés. Comme ils compo-
sent souvent à eux seuls le tableau apparent de l'agitation catatonique,
on les décrira plus en détail avec les complexes symptomatiques aigus.
4. Les stéréotypies
106. Das Verlangen : terme évoquant un désir impérieux, voire une exigence (NDT).
et conquièrent littéralement de haute lutte ce lieu s'il leur est contesté par
hasard ou intentionnellement, soit qu'ils fassent toujours les mêmes bizarre-
ries à un endroit déterminé, par exemple frapper toujours trois fois contre le
mur en passant à un endroit donné du couloir.
Des actes qui ne sont pas absurdes en soi sont répétés sans relâche, toujours
avec une similitude photographique. Le malade entre dans son lit et en sort
toujours exactement de la même façon et à la même place ; en marchant dans
le jardin, il décrit le même cercle ou le même carré, si bien qu'on est en
permanence forcé d'aplanir sa trace ; des années avant que sa maladie ne
devienne manifeste, un médecin fit un creux profond dans le parquet de bois
dur de sa chambre à force de tourner sur ses talons exactement à la même
place ; les murs et les meubles des asiles présentent souvent les traces de
tels actes stéréotypés.
Très souvent, naturellement, les différents types de stéréotypies s'associent
au sein de configurations complexes. Tandis qu'elle tricote, la patiente est
assise à une place donnée, avec une orientation et une position précises ;
lors de l'interruption du travail, elle va dans le corridor et s'y poste, front
contre la porte de la salle à manger, jusqu'à ce que le repas soit servi, puis
elle mange celui-ci d'une façon également bien particulière.
Les mouvements mimiques peuvent aussi être stéréotypés. L'un ricane, l'autre
fait un visage triste, et peu importe son humeur. Des beuglements, des cris
et des glapissements stéréotypés ont souvent la même signification ; il en va
de même de la protrusion des lèvres (« spasme en groin »). Les stéréotypies
musicales peuvent également être citées ici ; une malade joua des années
durant, souvent des milliers de fois de suite, tantôt un certain trille, tantôt
encore un petit air de peu de notes. Plus fréquemment, la même chanson ou
le même passage d'une chanson ne cesse d'être chanté, d'une voix désagréa-
blement criarde par un malade, discrètement par un autre. N'importe quelle
mélodie connue ou inventée par le malade peut être greffée sur tous les textes
possibles, et même sur les réponses à des questions ; il peut en aller de
même d'un rythme que le malade conserve en parlant.
La plupart des malades graves ont, pour autant qu'ils parlent, tendance à
réutiliser sans fin les mêmes formules à des passages soit adéquats, soit ina-
déquats. Parfois, sans la moindre cohérence, voire même sans nulle intention
de communiquer, les mêmes mots et phrases sont proférés d'innombrables
fois de suite sur le ton habituel, ou bien en criant, en chuchotant ou en
chantant ; l'expression d'affect est, ce faisant, souvent absente ; si elle est
présente, elle est généralement tout à fait artificielle, exagérée, inadéquate
au contenu du discours (verbigération). Ainsi un patient ne cessait-il de ré-
péter la phrase : « Tu extorques le droit du Sauveur », et un autre : « I thank
you, Sir ». Certaines patientes usent mal à propos du mot « amour » pour
verbigérer ; des combinaisons de sons complètement dépourvues de sens,
telles que « gekreuzigter Krex in e Umkrexhaus » (Kraepelin), ne sont pas
rares. Généralement le contenu n'est pas stéréotypé dans ses moindres dé-
tails ; une malade cite les noms de ses enfants, un catatonique des noms de
localités dans le désordre le plus complet. Fräulein Müller compte : « 21
Herr Müller, 22 Herr Müller », etc. Une autre compte d'une voix sonore : « 1
fois 4 fait 90, 2 fois 3 fait 7, 2 fois 1 fait 24, 2 fois 2 fait 28 », et. Un autre
dit à mi-voix : « a, o, u, e, e, a, u, e, a, o », etc., avec diverses variantes ;
une autre : « je pense, je veux » et, entre deux, elle conjugue le présent
d'aimer. Parfois, les gens progressent tout de même un peu dans le thème
abordé : « bababababa, s, s, s, s, ce sont des gens bien, s, s, s, s, ce sont
des gens bien, gens bien, gens bien, gens bien, bababababa, hmhmhmhm
mais j'ai dormi, mais j'ai dormi ... et qu'est-ce que c'est que ça, qu'est
ce que c'est que çaçaçaçaçaça ? babababa . » Une de nos malades faisait
chaque jour, des heures durant, des variations sur l'un d'entre quelques
thèmes peu nombreux, par exemple « concierge », décrivant alors tous les
gardiens d'immeubles qu'elle connaissait, les détails de leur loge, etc.
La verbigération aussi peut se combiner à d'autres stéréotypies, comme chez
le malade de Neisser qui verbigérait « prends pitié » et inclinait à chaque
fois le tronc en avant et en arrière.
Sans doute ne peut-on pas ranger dans la verbigération des stéréotypies du
langage telles que celles qui suivent : insertion de mots stéréotypés (« Es-tu là,
cher petit protecteur, plumps, es-tu là ? plumps »), ou même seulement de sons
quelconques, qui ne font pas nécessairement partie du langage (une de nos pa-
ranoides faisait suivre d'un grognement chaque son permettant une pause
dans l'élocution). Il s'agit d'autre chose encore quand un patient ne répond
à toutes les questions que par le mot « beau », sur des tons divers. Des excla-
mations qui ne sont pas répétées aussitôt à la suite sont également amenées
sur le tapis de façon stéréotypée et tout à fait indépendante de leur sens. Ainsi,
une malade dit-elle à chaque instant, depuis trente ans, « Je ne me sens pas
bien », aussi bien en signe de joie que pour exprimer quelque chose de dé-
sagréable, ou encore alors que son humeur est apparemment tout à fait in-
différente ; parfois, elle en traduit une partie en une autre langue (well, bene).
109. Les manières sont des remaniements frappants d'actes ordinaires. Ziehen les a appelées
« stéréotypées de remaniement ». Mais toutes les manières ne se stéréotypent pas nécessai-
rement (NDA).
Les manifestations proprement expressives sont également altérées. On ren-
contre tous les gestes affectés possibles ; les malades hurlent, criaillent, piail-
lent aux moments les plus inopportuns. La main est tendue à l'envers, ou
toute raide, ou seul le petit doigt est tendu pour saluer ; ou bien la main est
avancée rapidement et aussitôt retirée. Haussements d'épaules, grimaces de
toutes sortes, mouvements étranges de la langue et des lèvres, mouvements
des doigts, mouvements brusques sont cause de ce qu'on a aussi parlé, mais
à tort, de mouvements choréiformes et tétaniformes dans la catatonie. Par
contre, certains de ces mouvements ne peuvent sans doute pas être nettement
distingués de tics.
6. Le négativisme
Quand les malades devraient se lever, ils veulent rester au lit ; quand ils
devraient rester au lit, ils veulent se lever. Ils ne veulent, sur ordre ou confor-
mément au règlement de l'asile, ni s'habiller, ni se déshabiller, ni venir aux
repas, ni partir après les repas, bref, ils s'opposent à tout et à chacun, et
c'est pourquoi cela les rend fort difficiles à traiter 110 . Ils refusent l'ali-
mentation normale mais mangent voracement ce qu'ils obtiennent de façon
illégitime, par exemple ce qu'ils peuvent enlever aux autres. Ou bien encore
ils ne mangent qu'en cachette, ou uniquement à des moments indus. Ils se
plaignent de la nourriture, mais à la question de savoir ce qu'ils voudraient
ils ne sont capables de répondre que « Quelque chose d'autre, mais en tout
cas pas ce qu'on a ». Ils ne vont pas spontanément au cabinet ; si on les y
conduit, ils ne font pas leurs besoins, mais souillent leur lit ou leurs vête-
ments aussitôt qu'ils sont sortis du lieu qui convient à ces fonctions. Us se
détournent quand on leur parle, ferment leurs yeux ; une patiente les fermait
si fort qu'à chaque fois la paupière supérieure était en éversion partielle,
alors que d'habitude on ne pouvait noter d'anomalie de cette paupière. Les
patients répondent à « bonjour » par « adieu », font leurs travaux à l'envers,
cousent les boutons du mauvais côté des vêtements, mangent leur soupe avec
la fourchette ou la cuiller à dessert et le dessert avec la cuiller à soupe, ne
cessent de s'asseoir à une place qui n'est pas la leur, vont dans tous les lits
et pas seulement dans le leur, appellent nos enfants par leur second prénom,
qu'ils ont péché on ne sait où, au lieu de leur prénom usuel. Un hébéphrène
Le négativisme est aussi l'une des causes des réponses à côté schizo-
phréniques.
Souvent, des questions qui touchent aux complexes reçoivent d'abord, sans
réflexion, une réponse négative, et ce même quand celui qui est interrogé
n'a absolument aucun motif conscient de ne pas répondre correctement et
fournit bien volontiers des renseignements après coup. Mais nous rencontrons
aussi ce symptôme chez des schizophrènes non négativistes et, dans une moin-
dre mesure, chez des sujets sains. Il y a dans bien des complexes quelque
chose qui complique leur exploration, et donc simule le négativisme, ou en-
core le favorise.
Des malades qui ne répondent pas par négativisme réagissent parfois à des
questions qui sont posées à d'autres ; elles donnent par exemple le nom de
leur propre mari quand une de leurs voisines devrait dire le nom de son
époux à elle.
Et il existe aussi des processus qu'il nous faut ranger dans le négati-
visme et dans lesquels ce n'est pas le monde extérieur mais les aspi-
rations et les sentiments du malade lui-même qui sont niés
(« négativisme interne »). Le symptôme bien connu selon lequel on
considère toujours comme incorrect ce qu'on a obtenu et fait se ren-
contre très fréquemment et de façon très exagérée chez les schizo-
phrènes négativistes. Voici une malade qui a œuvré à ses fiançailles
avec toute son ardeur ; une fois qu'elle les a menées à bien, elle se
reproche d'avoir agi de façon précipitée, et sa maladie devient alors
manifeste. Un hébéphrène « ne sait pas, quand il est dehors, pourquoi
il est sorti, et, quand il est à l'intérieur, pourquoi il est resté à l'inté-
rieur ». Il se dit : « Voilà que ce veau est encore dedans, au lieu d'être
dehors ». Quand la porte est ouverte, il la regarde fixement ; quand
elle est fermée, il s'irrite de ne pas avoir profité de cette bonne occa-
sion de sortir. Le même symptôme peut aussi s'exprimer sous forme
de compulsion : une malade, quand elle a tricoté un ouvrage donné,
doit le défaire ; ou encore le malade « dit toujours ce qu'il ne veut pas
dire » ; aussi certains en arrivent-ils à récuser aussitôt après ce qu'ils
viennent d'affirmer : « Ich muss das verrujenieren und nicht verke-
geln » (expression néologique 113 ) ; « ich muss das verkegeln und nicht
verrujenieren ». « Je suis monsieur le papa et non madame la maman ;
j e suis madame la maman et non monsieur le papa ». Ou encore : « Je
suis venu au Burghôlzli pour avoir un certificat. Non, je ne veux pas
de certificat, absolument pas ». Dans les deux premiers cas il s'agissait
d'une verbigération, et dans le dernier d'un entretien qui aurait dû
exprimer les souhaits du patient. Dans les deux cas les patients par-
laient énormément de cette manière (négativisme intellectuel, voir aussi
ambivalence intellectuelle).
113. I n t r a d u i s i b l e (NDT).
ture pharyngée. De cette façon, certains négativistes semblent incapa-
bles de certains actes si quelqu'un contre qui le négativisme s'exprime
les observe, de même que des sujets sains ne peuvent mener à bien
certaines choses en présence de spectateurs.
Parfois, le trouble négativiste du langage a un siège plus central, si
l'on peut s'exprimer ainsi ; les organes phonatoires obéissent correcte-
ment aux influx, mais des propos négatifs sont tenus contre la volonté
du patient, si bien que c'est le contraire de ce qu'il veut dire qui est
prononcé. Une malade devait monter sur le podium pour la présenta-
tion. Elle ne cesse de protester qu'elle ne veut pas y « descendre ».
Mais dans certains cas des formulations négatives sont utilisées là où,
sur le plan formel, de positives seraient adéquates, sans que le sens
en soit changé.
Une catatonique disait, par exemple, « pas vilain » au lieu de beau. Au bout
de quelque temps, « pas vilain » revêtit pour elle un sens global positif ; elle
dit alors, au lieu de vilain, « pas pas vilain ». Cette expression se figea ra-
pidement, elle aussi, en une formule dans laquelle elle ne percevait plus la
négation, et beau devint alors « pas pas pas vilain ». Quand l'affaire se pour-
suivit encore (non seulement pour cette expression, mais pour d'autres en-
core), la malade s'embrouilla un peu, utilisant un nombre pair au lieu d'un
nombre impair de négations s'annulant les unes les autres, ou l'inverse, ou
n'arrivant plus du tout à s'y retrouver ; elle accusa alors son entourage de
l'embrouiller.
Des cas dans lesquels seule une partie des muscles travaillent dans le
sens de l'action voulue, tandis que d'autres grèvent le résultat ou l'em-
pêchent par une contraction contraire, représentent une transition entre
le négativisme commun et de tels symptômes pseudo-apraxiques. Le
malade de Meschede, quand il voulait diriger son regard vers la gauche,
ne tournait que la tête dans cette direction, et les yeux de l'autre côté.
J'ai souvent vu la même chose, en réponse à l'invite à jouer du piano.
Les patients se mettaient à faire le mouvement nécessaire avec leurs
bras, souvent avec beaucoup d'élan et une énergie évidente, mais ils
fléchissaient en même temps leurs mains au maximum vers le haut, si
bien que, malgré tout, les doigts n'entraient pas en contact avec les
touches.
Le négativisme intellectuel peut même s'étendre à l'appréhension de
l'environnement, à l'orientation. Ainsi un malade prétendait-il que le
Zurichberg était autrefois situé à l'ouest et l'Uetli à l'est (en réalité,
ces deux monts sont inversement situés).
Les réflexions ne jouent pas non plus de rôle primaire dans les phé-
nomènes négativistes. Si des idées délirantes ou des points de vue
erronés sont cause du refus, on ne se trouve pas en présence d'un
négativisme mais d'un comportement normal dans des conditions anor-
males. Cela n'empêche pas que les actes négativistes se voient souvent
motiver par des idées délirantes. Souvent, naturellement, idées déli-
rantes et négativisme s'influencent et s'exacerbent réciproquement.
8. Les automatismes
Des impulsions internes peuvent aussi conduire à des actes automati-
ques. Généralement, seuls des actes relativement simples se produisent
sur ce mode.
De petits mouvements, lever les bras, prendre la position du Crucifié, frapper
les murs avec ses pieds, tourner en rond, se tapir, crier, imiter des voix
d'animaux, etc. Une grande partie des stéréotypies de mouvement se déroule
automatiquement. Parmi les actes à proprement parler, donner des gifles, dé-
chirer, casser des carreaux, barbouiller sont des modes d'extériorisation 114
fort fréquents chez les pensionnaires d'asile. Des patients en liberté peuvent
commettre un meurtre (472, p. 11) ou allumer un incendie. A vrai dire, cela
n'en vient généralement pas à l'accomplissement de tels méfaits, malgré l'im-
pulsion. Les malades se comportent souvent si maladroitement en ces occa-
sions qu'ils n'atteignent pas leur but, et que l'on a parfois l'impression qu'ils
ne prennent pas vraiment cela au sérieux, ou qu'une résistance intérieure les
empêche d'exécuter correctement ces actes.
Les automutilations réussissent plus fréquemment que les crimes, encore que
la majorité des tentatives de suicide n'atteignent pas leur but. Il semble que
certaines fugues (voir ci-dessous : syndromes aigus) fassent aussi partie des
automatismes ; mais la plupart sont sans doute hystériformes.
Il existe divers degrés d'automatisme, selon le nombre et le type des
associations scindées.
1. Le malade déchire ses vêtements, en pleine conscience de ce qu'il
fait ; il croit vouloir lui-même cet acte, mais n'en connaît pas les motifs.
114. Entäusserung : de ent-, qui implique une idée de séparation et äussern qui évoque une
extériorisation, une expression. « Modes d'extériorisation paraît, avec « passages à l'acte »,
la seule façon dont on puisse traduire ici, tel qu'en use Bleuler, ce mol que le Duden définit
en fait comme ( 1 ) renoncement (moral), (2) aliénation (de biens) ( N D T ) .
Il ne sait ni pourquoi ni dans quel but il l'a fait. Le passage de l'idée
à l'action et l'ensemble de la partie centrifuge du processus se dérou-
lent par contre en association avec le Moi conscient.
2. Au second degré, le malade sait aussi, certes, qu'il casse un carreau,
mais en fait il ne veut pas le faire ; cet acte lui apparaît comme quelque
chose d'extérieur à sa volonté. Ici, non seulement le motif mais aussi
le passage à l'action restent sans lien véritable avec la personnalité
consciente. Mais celle-ci est encore si influencée que l'acte lui semble
indifférent. Le patient fait quelque chose qu'en vérité il ne veut pas
faire, mais à quoi il ne résiste pas non plus 115 . Il n'oppose pas sa
personnalité à l'impulsion, elle est encore trop liée à celle-ci.
3. Au troisième degré, le patient se défend contre l'impulsion qui sur-
git ; il la ressent comme une compulsion. La personnalité oppose sa
volonté et son discernement à l'impulsion. Les impulsions compulsives
deviennent, si elles sont plus fortes que la personnalité, des actes
compulsifs. Ces derniers sont très à l'arrière-plan par rapport aux idées
compulsives et aux actes simplement non voulus, qui sont ceux dont
la survenue est la plus fréquente.
4. Une catatonique cultivée qui avait commis de nombreuses absurdités
pendant ses états d'agitation dit qu'elle se souvenait de tout comme
d'un rêve ; mais ce qu'elle avait fait avait été pour elle un commande-
ment, une loi morale, pas une véritable compulsion ; tout lui avait paru
parfaitement raisonnable. Ici, l'impulsion a influencé la réflexion, dé-
ficiente lors de l'état semi-onirique ; les impulsions lui apparaissaient
encore comme quelque chose d'étranger (« un commandement »), mais
elles étaient si liées au Moi et influençaient tellement la pensée
consciente que la patiente ne pouvait pas raisonner à leur sujet.
5. Dans certains cas l'on observe que les malades, certes, mangent ou
tendent la main conformément à leur intention, comme des gens normaux,
mais ont la sensation que leurs membres exécutent l'acte voulu sans leur
participation : « Ce n'est pas moi du tout qui le fais, la main se tend à
vous toute seule ». Ici, toute l'impulsion d'agir est normalement liée au
Moi ; mais le passage de la volonté aux voies centrifuges se produit sans
lien avec le complexe du Moi. Les patients enregistrent l'action de
leurs membres avec leurs yeux, et généralement aussi avec leur sen-
sibilité kinesthésique. D'après mon expérience, de tels cas s'observent
le plus souvent aux stades subaigus, mais pas très fréquemment.
116. Ich Liebe dich, mich reizt deine schöne Gestalt. Und bist du nicht willig, so brauch'ich
Gewalt : citation du roi des Aulnes de Goethe (NDT).
Des processus affectifs peuvent aussi donner subjectivement une im-
pression d'automatisme, de compulsion, d'étrangeté. Certains malades
sont gais ou tristes sans savoir pourquoi, et ressentent pour cette raison
leur humeur comme « faite » de l'extérieur. Des mimiques sans affect
peuvent se produire ainsi : le rire immotivé schizophrénique, et parfois
aussi le pleurer spasmodique, sont souvent des automatismes. Le mou-
vement du rire, et non l'acte en tant que tel, peut aussi être seul res-
senti ; le rire fait alors au malade l'effet d'une action musculaire à
déclenchement périphérique (« le rire qui tire »). Parfois le rire se pro-
duit quand le complexe du patient est touché par une allusion ; dans
certains cas, les malades décèlent eux-mêmes un rapport entre le
complexe et le rire schizophrénique.
Des fonctions centripètes ont aussi la tonalité de quelque chose
d'étranger, voire de forcé ; cela est connu en ce qui concerne les hal-
lucinations ; « on rendait mal à Taise par contrainte » l'une de nos
catatoniques.
Même les rêves peuvent apparaître aux patients comme le produit d'une
influence étrangère et avoir, sur le plan subjectif, le même caractère
que la pensée compulsive.
* * *
9. L'impulsivité
h) Syndromes aigus
Nous ne sommes pas encore capables de faire ressortir tous les tableaux
aigus différents de cette maladie ; c'est pourquoi l'on ne peut pas faire
entrer tous les cas dans les catégories que nous allons mentionner.
Mais nous rendons compte ainsi de la plupart des tableaux existants.
Les accès surviennent un peu plus souvent au cours des premières
années de la maladie que de la suite de son évolution. Ils peuvent
apparaître avec ou sans prodromes (dysthymies et autres symptômes psy-
chiques, troubles vasomoteurs tels qu injection des sclérotiques, tremor,
etc.). La durée des accès peut aller de quelques heures à des années.
Le souvenir des accès après coup est très divers. Il est dans la nature
des états crépusculaires que les malades ne se souviennent ensuite pas
bien ou pas du tout des événements vécus. (Toutefois, à la différence
de l'hystérie et de l'épilepsie, une amnésie totale est fort rare.) Après
des états d'obnubilation il existe aussi une amnésie plus ou moins pro-
noncée. Dans les syndromes maniaques et mélancoliques, c'est une
bonne capacité de remémoration qui prédomine ; dans les syndromes
catatoniques et paranoïdes, la mémoire se comporte de façon fort di-
verse. Là où il n'y a pas d'amnésie, on est surpris de l'exactitude avec
laquelle le patient peut fournir des informations sur les événements
vécus intérieurs et extérieurs, même de nombreux mois plus tard. Il
arrive aussi, dans les états les plus divers, que - apparemment sans
règle - une certaine partie des événements vécus, quelques semaines,
quelques mois, soient oubliés tandis que le reste peut être remémoré.
1. Etats mélancoliques
En outre, certains cas font penser à une complication par la folie ma-
niaco-dépressive. Sur le plan symptomatologique, nous n'avons pour le
moment pas encore de points de repère qui nous permettent de distin-
guer ces deux dernières formes l'une de l'autre.
La dépression a tous les caractères divers qui nous sont connus de par
d'autres maladies : sentiment pénible simple indépendant des événe-
ments vécus, anxiété pouvant s'accroître jusqu'à l'angoisse panique,
plus rarement pleurs, mais souvent cris sonores et gémissements de
désespoir, ainsi qu'inhibition dépressive pouvant aller jusqu'à l'immo-
bilité. De nombreux malades prétendent aussi être totalement inaffec-
tifs et s'en plaignent.
2. États maniaques
3. Etats catatoniques
Des symptômes catatoniques s'ajoutent en règle aux états maniaques
et mélancoliques, le cas échéant à un si haut degré qu'ils dominent le
tableau et qu'on peut parler d'une catatonie maniaque ou mélancolique.
La vieille melancholia attonita, pour autant qu'elle méritait ce nom, en
faisait partie. Mais dans ce qui suit il ne sera question que de celles
des accumulations aiguës de symptômes catatoniques qui ne peuvent
être attribuées à l'une des psychoses affectives dans le vieux sens du
terme. Il s'agit d'un certain nombre de tableaux, très divers non seu-
lement dans leur apparence mais aussi dans leur mécanisme psycho-
logique. Ils ne se rapprochent que par les phénomènes catatoniques,
qui peuvent se grouper de façon fort diverse.
Le tableau apparent de ces formes peut être décrit au mieux sous deux
formes extrêmes, qui correspondent à peu près aux psychoses de mo-
tilité akinétiques et hyperkinétiques de Wernicke.
On connaissait depuis fort longtemps les états akinétiques d'attonité,
de stupeur et de flexibilité cireuse. Les malades restent assis, accroupis
ou couchés dans une position quelconque, généralement avec prépon-
dérance des fléchisseurs ; dans les cas les plus marqués, les mouve-
ments sont presque réduits à néant ; la salive n'est même pas avalée,
elle coule des commissures labiales ou est accumulée aussi longtemps
que possible dans la bouche ; les autres réflexes influençables par le
psychisme ne fonctionnent eux aussi qu'exceptionnellement ; c'est ici
que l'on rencontre le plus fréquemment et avec le plus de ténacité les
différentes irrégularités d'évacuation de la vessie et du colon. Souvent,
les aliments ne sont pas avalés mais doivent être donnés par sonde,
généralement en surmontant une vive résistance. Il est difficile de dis-
cerner avec quelle fréquence surviennent d'authentiques troubles di-
gestifs ; une langue chargée, voire fuligineuse, n'est pas rare au cours
d'états catatoniques avec confusion.
Sinon, l'état somatique est habituellement peu altéré ; la plupart de ces
malades ont cependant un aspect un peu bouffi, même quand ils mai-
grissent, et la couleur de leur peau est d'une lividité ébauchée ou
franche. Le sommeil est généralement perturbé ou totalement absent.
Or tous les intermédiaires existent entre ces cas avec réaction diminuée
et les cas hyperkinétiques. L'akinésie n'est aussi complète qu'on l'a dé-
crite plus haut que dans des cas relativement rares : certains mouve-
ments, ou même, le cas échéant, certains travaux, sont encore exécutés,
les malades peuvent encore changer de place, lentement, en hésitant,
en chancelant, sur la pointe des pieds, dans quelque position courbée
ou tassée ; beaucoup mâchent les aliments qu'on leur met dans la
bouche ; on obtient parfois aussi des réponses, à voix basse, lentement.
Les symptômes catatoniques actifs mettent souvent eux aussi de la vie
dans le tableau ; le malade verbigère à voix haute ou basse, fait des
mouvements stéréotypés, se défend fort copieusement contre tout chan-
gement de position (tandis qu'il reste sans réaction à des piqûres d'ai-
guille et à des sensations beaucoup plus désagréables encore).
Les mouvements ou les actes spontanés des malades, qui témoignent dans
l'ensemble d'une motricité diminuée, ont un caractère typiquement catatoni-
que. Toute l'activité d'un malade consista pendant de nombreuses semaines
à aller de son lit à la chaise percée et retour, ce pourquoi il lui fallait des
demi-heures et des heures entières. Il y va lentement, soulève le couvercle
de la chaise, le referme sans avoir fait ses besoins, recule un peu et répète
cela de nombreuses fois, jusqu'à ce qu'enfin il se serve de la chaise. S'il est
troublé dans cette activité, ou même spontanément, il recroqueville convul-
sivement ses orteils comme des griffes et va et vient ainsi, la tête toujours
baissée, les yeux fermés convulsivement, mais à demi seulement. Il se tient
debout comme un héron qui s'ennuie dans une volière. Il a la goutte au nez.
Si on le dérange, il s'écarte avec irritation. Mais si on l'en empêche ou si
on le suit, il pousse alors un cri perçant, près d'un coin précis du lit, et se
met à pleurer comme s'il était profondément malheureux.
Parfois, le c a l m e est rompu par un raptus catatonique. Le patient se
lève d'un bond, c a s s e q u e l q u e c h o s e , attaque quelqu'un avec beaucoup
d ' a d r e s s e et de f o r c e , ou range dans la p i è c e un objet q u e l c o n q u e au-
trement qu'il n'était. Un c a t a t o n i q u e sort de sa rigidité, fait du vélo en
c h e m i s e trois heures durant, tombe et reste allongé dans le fossé, c a -
taleptique. Des r é a c t i o n s fort promptes et qui ne sont pas absurdes
peuvent répondre tout à coup à des i n f l u e n c e s extérieures ; une ré-
ponse, un propos s'insérant dans une conversation de tiers stupéfient
soudain les personnes p r é s e n t e s . Un aubergiste qui se trouve dans la
« stupeur » la plus prononcée r a m a s s e un bouchon qui est tombé. Dans
c e r t a i n s c a s , on peut obtenir de m a l a d e s mutiques des réponses
é c r i t e s ; ou même ils écrivent spontanément des pages e n t i è r e s .
Ils grimpent partout, font des culbutes, sautent par-dessus les lits, tapent
vingt fois sur la table, puis contre le mur, se balancent, font des génuflexions,
se jettent en l'air, frappent, détruisent, coincent leurs bras derrière les ra-
diateurs dans la position la plus tordue possible, insoucieux des brûlures, ils
crient, chantent, verbigèrent, vitupèrent, rient, pleurent, crachent autour
d'eux, font des grimaces tristes, horribles, joyeuses, prennent n'importe quel
objet dans leurs mains, le remuent d'une façon quelconque, le replacent dans
une autre position et font mille autres mouvements, parmi lesquels un malade
donné se limite toutefois à quelques-uns. Ces mouvements ont toujours quel-
que chose d'anormal. Si les malades soulèvent un objet, alors ils le font d'une
façon particulière, comme on ne le fait pas d'ordinaire ; ils montent dans leur
lit la tête la première et avec des allures sportives tout à fait insolites, ou
ils s'y laissent tomber, etc. Souvent, les mouvements sont faits avec une
grande force, en astreignant des groupes musculaires inutiles ; la brutalité
envers soi-même semble parfois aussi grande que celle envers l'environne-
ment vivant et inanimé. Ils ont perdu la mesure quant à la force et à l'ampleur
de leurs mouvements. Dans les cas stuporeux, cataleptiques, les mouvements
sans énergie prédominent. Puis tout est de nouveau exécuté trop vigoureuse-
ment ; un simple geste qui accompagne un propos est volontiers répété, et
ce de façon de plus en plus énergique et ample ; une explication sans im-
portance, une tournure de langage indifférente prononcées par les malades
deviennent rapidement une clameur bruyante au cours de la répétition cata-
tonique. Des mouvements accomplis une seule fois sont souvent aussi exé-
cutés en utilisant la force maximale. Les autres signes de la catatonie,
répétitions stéréotypées, verbigération, expression mimique caricaturale, pa-
thos creux, etc. ne font jamais défaut. Ils parlent moins que les maniaques
en état d'agitation comparable, souvent ils sont véritablement mutiques. Cer-
taines parties de leurs actes peuvent avoir un certain sens en apparence, par
exemple imitation d'un prédicateur, d'un militaire, d'une jeune fille timide.
Mais l'on ne voit pas d'interprétations complètes d'un rôle. Même là où une
telle idée ne cesse de ressurgir, elle est constamment interrompue par d'autres
actes. Une finalité quelconque de l'acte est rarement esquissée : les malades
se barricadent d'étrange façon derrière des pièces de literie, se font une ca-
verne de leur literie, assemblent quelque matériel dont ils peuvent se saisir
d'une façon précise mais vraiment étrange. De tels actes se répètent alors
volontiers de la même façon.
Dans certains cas, le tableau revêt une certaine unité, abstraction faite
des incessantes réitérations, dans la mesure où tout est traversé par
un affect — schizophréniquement faible, il est vrai. Un certain nombre
de ces malades sont nettement maniaques (avec une fuite des idées
démontrable), d'autres sont mélancoliques, d'autres encore irrités ou
anxieux et se sentent persécutés. Mais de nombreux catatoniques s'af-
fairent en tous sens sans véritable affect, comme des machines, ou bien
changent à chaque instant d'expressions caricaturales d'affectivité. Des
hallucinations accompagnent très fréquemment les accès, mais pas tou-
jours ; des idées délirantes ne sont pas forcément toujours présentes
non plus.
4. Le délire hallucinatoire
Outre les états crépusculaires proprement dits, il existe une foule in-
finie d'attitudes diverses de l'esprit selon le même schéma, qui n'atti-
rent l'attention que si elles sont très prononcées, et, notamment, si
différents états de ce type alternent rapidement. Elles ont des transi-
tions de tous côtés.
Un homme qui, hébéphrène latent, vagabonda de nombreuses années durant,
arriva à l'asile avec les états suivants, d'assez longue durée : le plus souvent
il était négativiste, prenait son entourage pour des diables, parlait avec des
Voix, se signait, commettait des actes étranges. Par intermittences, critique,
sinon que la maladie est « un attouchement par des esprits malins » ; souvenir
sommaire du premier état. Puis de nouveau accessible, fausses reconnais-
sances agréables : i'asile est une caserne de marins. Le médecin est le dieu
de la guerre. Le patient parle avec les étoiles, en partie en italien, en partie
dans un idiome de sa composition qui est censé être de l'italien.
6. Obnubilation
C'est dans l'obnubilation que l'échopraxie semble être la plus fréquente, mais
on ne la rencontre pas uniquement là.
L'intégration des impressions venues de l'extérieur est très insuffisante ; quel-
que chose de compliqué ne peut absolument pas être saisi. Même sur des
images, seuls certains éléments peuvent être pris en compte. L'orientation
peut devenir difficile, si bien que les malades ne s'y retrouvent plus dans
leur chambre pour peu que l'aménagement en ait un peu changé. Même l'his-
toire la plus simple n'est pas saisie à la lecture ; le malade continue en lisant
l'histoire suivante sur le même ton, sans s'apercevoir qu'il aboutit à quelque
chose de nouveau. Il fait des fautes en lisant, « Fuss » au lieu de « Fluss »,
« angefogen » au lieu de « angesogen », il s'arrête au beau milieu de mots
simples, lit aussi les virgules, etc. - Une malade ne fut capable de rien
raconter du tout sur « l'âne chargé de sel ». A la question de savoir de quoi
il était question, elle répondit finalement : « D'une bergère ». (Et d'un élé-
phant ?) « Oui. » (Ou d'un cheval ?) « Oui. » (D'un âne ?) « Oui, oui. » Elle
finit donc par s'en souvenir, quand l'âne fut mentionné. Des choses antérieu-
rement connues ne peuvent non plus être remémorées et répétées que par
bribes, pas à pas. Un patient rencontre à l'asile une connaissance qui a, voici
peu, abattu d'un coup de feu une autre connaissance du patient. Il se souvient
qu'il le connaît. (Qu'en est-il donc de lui ?) « II a eu aussi un accès. » (Après
une assez longue réflexion cela lui vient à l'esprit.) « Il a abattu quelqu'un. »
Puis : « Il connaissait 0. » (celui qui a été abattu)... « Il paraît que c'était
son voisin. » Pas une seule fois cette importante histoire ne parvint dans son
ensemble à l'esprit du malade.
7. Confusion. Incohérence
La plupart des troubles associatifs mènent à la confusion, si leur degré
est important. Les états confusionnels qui ne sont qu'une conséquence
pure et simple de la rupture associative sehizophrénique méritent une
mention particulière. Dans ce type d'incohérence, il s'agit presque tou-
jours de syndromes aigus. Les patients parlent de façon totalement
8. Accès de colère
9. Agitations anniversaires
Il s'agit d'un groupe étiologique. Certaines agitations apparaissent à
des jours précis du calendrier. Les malades célèbrent par des agitations
de tout type des jours auxquels il s'est produit quelque chose qui est en
rapport avec leurs complexes : plus grande irritabilité, hallucinations, stu-
peur, etc. Un hébéphrène apte au travail avait des hallucinations ol-
factives, était forcé de se masturber de façon compulsive et développait
souvent de véritables idées délirantes, chaque fois aux alentours du
17 du mois ; il était né un 17. La raison de leur dysthymie n'est pas
toujours claire pour les patients avant qu'on ait fait une analyse avec
eux. Les jours auxquels une patiente a rencontré ou perdu son mari
ou son bien-aimé, l'anniversaire de mariage de la sœur, et même les
jours auxquels les malades ont célébré des orgies pécheresses devien-
nent ainsi occasion d'états d'excitation. Ceux-ci peuvent passer avec
la journée, mais aussi être de plus longue durée, après avoir démarré
au jour critique. Généralement, les états d'excitation diminuent au bout
de quelques répétitions, peu nombreuses. Jusqu'à présent, je n'ai pu
en suivre sur une durée relativement longue que dans deux cas.
10. La stupeur
Dans la description que donnent certains auteurs, la stupeur aiguë
prend une place importante. Mais comme la stupeur n'est de toute
façon pas un symptôme homogène mais la manifestation apparente de
nombreuses altérations fort diverses de la volonté, elle ne peut pas
trouver ici de place particulière. Pour une liste des anomalies qui peu-
vent se manifester sous la forme d'une stupeur, voir p. 2 0 2 .
11. Deliriums
Le nombre d'états hallucinatoires de la schizophrénie qui peuvent être
appelés deliriums est arbitraire, étant donné le sens peu précis de ce
terme. Mais il faut rappeler que des états analogues aux deliriums des
pyrexies se voient au stade terminal de catatonie mortelle. Cependant,
les patients ne réagissent alors presque plus à leur environnement, si
bien que l'investigation et la caractérisation de ces états n'est pas pos-
sible pour l'instant.
' • 124
12. Etats déambulatoires
Des états intercurrents d'excitation peuvent aussi prendre la forme de
fugues. Des malades habituellement tout à fait dignes de confiance, ou
qui végètent sans énergie ni volonté, s'enfuient tout à coup, souvent
très loin. Dans d'assez rares cas ils reviennent d'eux-mêmes au bout
de quelque temps ; généralement on les rattrape. Les états les plus
divers sont également à la base de ce symptôme. Parfois, il ne s'agit
de rien d'autre que du fait que les patients en ont subitement assez
de l'asile, avec ou sans motif apparent ; ils s'en enfuient alors sans
s'attarder à réfléchir sur ce qui pourrait arriver ; ils ne savent pas où
ils vont, l'essentiel est de partir. Souvent, ce sont de véritables dys-
thymies avec grand malaise ou véritable angoisse qui poussent les pa-
tients à partir. Il y a un petit pas de là jusqu'aux états d'excitation
hallucinatoire, au cours desquels les patients reçoivent l'ordre, ou du
moins le conseil de prendre la poudre d'escampette. Il s'agit parfois
d'une simple lubie pathologique. Des états crépusculaires se trouvent
à la base d'autres fugues encore, tandis que, dans une dernière caté-
gorie, la fuite est un acte compulsif ou quelque autre action automa-
tique.
13. Dipsomanie
Certains schizophrènes, bien qu'ils soient rares, ont des accès dipso-
maniaques. Ils ont une certaine conscience de leur état, du moins en
ce qui concerne la boisson ; ils prennent même de bonnes résolutions,
s'ils ne sont pas gravement malades ; mais ils sont atteints de temps
en temps de dysthymies anxieuses qui les contraignent à se procurer
de l'alcool par tous les moyens, jusqu'à ce qu'ils restent affalés quelque
part au bout de quelques jours, gravement ivres et épuisés.
L e s sous-groupes
Introduction
Parfois, à l'inverse, ce sont les idées délirantes stricto sensu qui font
défaut, et il n'y a que des hallucinations qui, dans bien des cas, se
limitent totalement ou presque à l'ouïe. Alors que les patients n'y réa-
gissent d'abord, en général, que par une modification de leur attitude,
laissant souvent leur entourage dans l'ignorance de leurs processus
psychiques pendant des années, ils éclatent tôt ou tard en invectives ;
selon leur caractère, ce peuvent aussi être des pleurs incessants ou
par accès, ou encore une tentative de suicide ou une destruction fu-
rieuse d'objets qui rendent la maladie manifeste. Dans les cas graves,
ces patients sont très longtemps incapables de travailler, même à
l'asile ; dans les cas les plus bénins, ils arrivent à s'accommoder de
leurs Voix ; ils vont se mettre à part quand ils veulent pester, ou bien
ils répriment plus ou moins leur réaction. Tous les intermédiaires exis-
tent entre ces extrêmes. Dans les asiles, sont notamment fréquents ceux
qui travaillent tout à fait correctement mais sont par moments saisis
subitement, pour quelques minutes à quelques jours, de leurs accès
d'agitation « à cause des Voix ». Dès que les Voix cessent, les patients
sont calmes, et souvent tout à fait normaux en apparence. Mais ce qui
est également très frappant, en pareil cas, c'est le naturel avec lequel
ils acceptent leur situation.
Le délire érotique3 et le délire de grandeur présentent exactement les
mêmes variantes. Les malades se croient aimés d'une personne, géné-
ralement d'un rang plus élevé que le leur, ils veulent lui donner l'oc-
casion d'avoir des relations avec eux, l'importunent de toutes les façons
possibles, reportent éventuellement leur amour sur d'autres personnes,
qui sont alors traitées de même. Les mégalomanes ont fait des inven-
tions, sont prophètes, philosophes, réformateurs du monde, mais ils ne
font des adeptes que dans des cas relativement rares, car ils sont trop
confus et se comportent trop maladroitement pour cela.
* * *
* * *
B. La catatonie
C. L ' h é b é p h r é n i e
Parfois, l'excitation est très légère, ou elle fait totalement défaut. Dans
ce dernier cas, les malades échouent simplement, perdent leur effi-
cience, deviennent négligents, ne tiennent compte de rien, font des
bêtises. Il en est beaucoup parmi eux qui sont considérés pendant des
5. Jahrmàrker (326) mentionne lui aussi des cas avec comportement puéril et niais qui sont
tombés malades au cours de la cinquième et de la sixième décennie de leur existence (NDA).
années comme des neurasthéniques ou, si ce sont des femmes, comme
des hystériques. Une tonalité nettement hypocondriaque constitue sou-
vent la transition vers les formes paranoïdes. Etant donné la grande
importance pratique d'un diagnostic en temps voulu, Kraepelin a tout
à fait raison d'insister particulièrement sur cet « abêtissement hypo-
condriaque ». « Au premier plan, on y rencontre un sentiment de plus
en plus marqué d'incapacité psychique et physique avec toutes sortes
de sensations morbides, qui amène peu à peu les malades à renoncer
en permanence à toute activité. En même temps, ils deviennent apa-
thiques sur le plan affectif, indifférents, veules, sans erreurs senso-
rielles ni productions délirantes marquées. »
L'hébéphrénie revêt donc n'importe laquelle des formes de l'abêtisse-
ment schizophrénique. Elle peut évoluer en permanence de façon chro-
nique ou présenter des syndromes aigus, au début ou ultérieurement.
Hallucinations, idées délirantes absurdes, et à l'occasion symptômes
catatoniques, compliquent le tableau sans le dominer.
D. S c h i z o p h r e n i a simplex 6
Autre type, avec irritabilité : une jeune fille normale, intelligente, se marie
à vingt ans et vit heureuse en ménage pendant plus de cinq ans. Très pro-
gressivement, elle devient plus irritable, gesticule de façon spectaculaire en
parlant ; cela s'accrut, elle ne put plus garder de bonnes, entra en conflit
avec les habitants de l'immeuble, et à l'intérieur de sa famille elle était
devenue un insupportable dragon domestique qui ne se connaissait que des
droits, mais pas de devoirs. Elle n'était plus capable de tenir le ménage,
parce qu'elle faisait des achats totalement inadéquats et, d'une façon géné-
rale, prenait tout en main d'une façon dépourvue de sens pratique. A l'asile,
même comportement durant de nombreuses années, seulement à un degré
croissant, si bien qu'on ne peut la mettre, dans la section, que dans sa cham-
bre et, dehors, que là où il y a peu de gens. Mais après plus de dix ans de
séjour elle est encore capable de sortir librement en permission, quoiqu'elle
cause bien des désagréments par ses commérages. Totalement indifférente à
l'égard de choses importantes, comme ses relations avec sa famille ; aucun
amour pour ses enfants ; n'est pas capable de se maîtriser, bien qu'elle sache
qu'elle pourrait avoir une belle vie si elle braillait moins. Pas de symptômes
paranoïdes ou catatoniques.
Un très grand nombre de gens seront suspects de schizophrénie, à y
regarder de plus près, sans qu'on puisse être certain du diagnostic à
ce moment donné. Mais très souvent cette présomption se confirme
longtemps après, si bien qu'il est tout à fait indubitable que vaquent
en liberté de nombreux schizophrènes dont les symptômes ne sont pas
assez marqués pour permettre de diagnostiquer la maladie mentale.
Quand on observe les membres de la famille de nos patients, on trouve
souvent chez eux des traits qui sont, sur le plan qualitatif, tout à fait
identiques à ceux des patients eux-mêmes, si bien que la maladie n'ap-
paraît que comme une intensification quantitative des anomalies qui
sont présentes chez les frères et sœurs et chez les parents.
E. Groupes spéciaux
I . Périodiques
Tant dans le cas de ces périodes brèves que dans celui des longues,
il ne s'agit pas toujours de symptômes maniaco-dépressifs. Tous les
types d'agitation peuvent alterner avec tous les types de marasme de
l'activité psychique. Nâcke (505, p. 645) appelle de tels cas Katatonia
alternans ; l'un de ses malades était tour à tour environ 2 5 heures en
état d'excitation et environ 29 heures en état de stupeur (voir aussi
Schubert).
Les modifications du tableau dans lesquelles les malades, généralement
sous l'effet d'influences psychiques, tantôt vivent complètement dans
leurs idées délirantes, et tantôt s'en tiennent de nouveau à la réalité,
sont singulières. Toutefois, l'alternance entre les diverses phases est
généralement si brève qu'on préfère parler d'un tableau d'état unique
d'aspect varié, par exemple quand une catatonie tardive présente deux
états qui peuvent alterner au cours d'une seule et même conversation.
Dans un cas, à titre d'exemple, le premier état était caractérisé par
une orientation dans l'environnement et une certaine critique ; dans le
second de ces états, la patiente tenait le médecin pour le diable, trans-
formait tout son environnement dans le même sens, et se glissait crain-
tivement sous sa couverture.
Il faudrait naturellement distinguer nettement les cas dont la périodi-
cité est endogène des autres, qui ne présentent d'états tantôt d'agitation
et tantôt de calme que sous l'effet d'influences psychiques. Mais, ainsi
qu'il ressort déjà des indications qui précèdent, on ne peut pas vrai-
ment opérer une telle distinction, non seulement parce que nous
sommes loin de toujours connaître les causes des diverses phases, mais
aussi, notamment, parce que ces deux ordres de causes doivent souvent
concourir au déclenchement de l'accès ou à sa fin.
En tout état de cause, ces conditions doivent pouvoir être modifiées par
l'importance du processus morbide, et éventuellement aussi par l'intensité
de facteurs psychiques. Car nous voyons des paranoïdes tomber malades
même à l'âge de la puberté, et surtout nous savons qu'il existe aussi des
catatonies tardives. Kraepelin a d'abord attiré l'attention sur les cas, non
rares, qui sont atteints à la période de Vinvolution par une mélancolie
apparemment commune mais présentent ensuite des symptômes catatoni-
ques et passent finalement à l'abêtissement catatonique. Il faut ajouter
qu'à toute époque de l'âge mûr peuvent apparaître les mêmes formes que
plus tôt dans l'existence. Nous ne sommes pas encore à même de déter-
miner s'il s'agit de récidives ou d'exacerbations d'une atteinte anté-
rieure ; mais nous n'avons encore vu aucun cas dans lequel nous ayons
été en droit d'exclure formellement un début antérieur.
I I I . Groupes étiologiques
7. A noter que ce que Kraepelin décrivait sous le nom de psychose carcérale était spécifi-
quement une psychose de la détention préventive, l'incertitude sur son sort étant considéré
comme un facteur étiologique majeur (NDT).
salut, qu'il identifie au salut de l'humanité en général ; après plusieurs
jours de vécus qui surpassent l'Apocalypse, il est finalement admis en
grande pompe au septième ciel - la détention peut également déclencher
un état de Ganser ou un syndrome des pitreries. - Naturellement, le
« complexe carcéral » peut aussi demeurer sans effet chez des détenus
schizophrènes ; la schizophrénie en cause a alors le même aspect que
n'importe quelle autre sous ce rapport également.
Il peut aussi arriver que, comme chez d'autres psychopathes, la haine
contre la société et l'échec complet de tout dérivatif conduisent à un
accès de rage destructrice (clash pénitentiaire). Des gens de cette der-
nière catégorie peuvent se retrouver au bout de quelques heures dans
leur état de calme antérieur, qui survient particulièrement facilement
après le sommeil dû à l'épuisement.
Les « psychoses menstruelles » méritent aussi une mention particulière.
Les cas relativement graves habituels des asiles sont, pour une part
notable d'entre eux, plus fortement agités pendant les règles. Des cas
tout à fait légers peuvent, de nombreuses années durant, n'apparaître
malades que pendant la période menstruelle. De tels états se voient à
titre résiduel après des accès aigus, comme précurseurs de manifes-
tations plus graves, mais aussi sans autres complications ; dans ce der-
nier cas, ils peuvent guérir, notamment à la ménopause.
J'ai connu une femme habile dans son ménage et son commerce qui eut pen-
dant plus de dix ans, à chaque menstruation, des dysthymies nettement schi-
zophréniques avec un peu de délire de persécution, de pulsion suicidaire, de
cours de la pensée schizophrénique et de réaction schizophrénique à sa ma-
ladie. Elle est indemne de symptômes manifestes depuis quelques années.
Dans ce cas, la confusion avec la folie maniaco-dépressive était très aisée.
L'évolution
A. L'évolution dans le temps
3. J e n'ai vu les syndromes associés à une obnubilation avoir une évolution grave que dans
des cas peu nombreux, depuis que j e les mets à part des autres ( N D A ) .
Commerçant. Céphalées à 2 0 ans. Anxiété à 21 ans. Idée qu'il devenait ma-
lade mental ; mais travaillait impeccablement. Amélioration. A 22 ans, les
mêmes symptômes qu'auparavant, mais plus intenses ; à présent incapable
de travailler.
Ouvrière d'usine. Peu après ses premières règles, maniaque durant quelques
semaines. Puis bien portante, seulement irritable, repliée sur elle-même, se
sentait tournée en dérision, riait toute seule. A 21 ans délire hallucinatoire
maniaque stupide ; relâchée guérie ; mais ne resta plus dans ses emplois. Au
bout de cinq ans environ, constitution progressive d'une confusion halluci-
natoire, agitée, n'était plus capable de travailler à l'asile non plus.
Valet de ferme. A 2 0 ans, idée qu'il hériterait d'une grande fortune ; boit ;
fait des néologismes. A 4 9 ans accès de fureur immotivé, au cours duquel il
casse tout. Asile de fous. Relâché au bout de quelques semaines, apte au
travail.
Excellent élève. A partir de l'âge de 16 ans, de plus en plus mauvais et
irrégulier au fil des ans. Cependant bon baccalauréat à 19 ans ; dépression
agitée à la suite d'une gonorrhée. De nouveau mieux, mais réclama un métier
manuel. Peu après, catatonie grave, abêtissement définitif.
Femme. A l'asile de fous à l'âge de 10 ans. A 2 0 ans, « dérangée » à la suite
d'un viol, puis apparemment bien portante. A 71 ans de nouveau à l'asile
(Bertschinger 295).
Femme. Catatonie dépressive après la puberté. Fut ensuite considérée comme
bien portante. Se maria, eut des enfants. Puis accès mélancolico-schizophré-
nique passé soixante-dix ans.
Médecin. A 2 9 ans neurasthénie cérébrale. A 31 ans catatonie, après un
typhus. Guéri à 47 ans ; reprend bientôt un cabinet, mariage. Bien portant
depuis deux ans (Schäfer, Monatschr., X X I I , fasc. complém., p. 72).
Dans tous les types évolutifs peuvent survenir à tout moment des exa-
cerbationes, soit que l'état chronique s'aggrave, soit que des symptômes
accessoires apparaissent, ou encore que des épisodes aigus d'un type
quelconque apparaissent. De telles aggravations peuvent être endo-
gènes, mais aussi être déclenchées par des influences physiques telles
qu'une intoxication alcoolique, et surtout par des causes psychiques à
effet soit lent, soit à type de choc.
Si les aggravations sont des répétitions d'épisodes aigus, ou si elles
surviennent après de larges rémissions, nous les appelons récidives.
Celles-ci copient fréquemment plus ou moins les accès antérieurs, mais
elles peuvent aussi revêtir un caractère nouveau.
Une fois un état relativement stable atteint, les poussées ne sont plus
fréquentes. Chez environ 2 0 0 malades de l'asile de chroniques de Rhei-
nau, qui avaient généralement dès leur entrée de nombreuses années
de maladie derrière eux, j'en ai trouvé au bout de 10 ans moins d'une
douzaine qui se fussent substantiellement aggravés.
Mais il me semble que des stabilisations complètes ne sont pas si fré-
quentes dans le matériel de nos asiles. Bien que l'on ne note généra-
lement rien qui soit de l'ordre d'une progression de l'abêtissement tant
qu'on est en contact quotidien avec ses malades, on remarque habi-
tuellement une aggravation si on les examine de nouveau après ne plus
les avoir eus en observation pendant de nombreuses années. Cette pro-
gression de la maladie est décelable à l'extérieur aussi. La plupart des
patients de notre asile de chroniques n'ont été admis qu'au cours de
la quatrième ou cinquième décennie de leur existence, longtemps donc
après être tombés malades. Le motif doit en être aussi l'accroissement
progressif des caractéristiques asociales, et pas seulement les cir-
constances apparentes (que leur entourage se lasse d'eux, que leurs
parents meurent, etc.). L'issue d'un accès ou d'un séjour à l'asile donnés
n'est donc en aucune façon équivalente à la terminaison de la maladie.
D'autre part, il est certain qu'une grande partie des cas relativement
légers qui gagnent leur vie à l'extérieur ne s'aggravent pas non plus
au fil des décennies.
De véritables stabilisations peuvent survenir à tout moment, mais elles
ne se remarquent naturellement pas autant dans les états chroniques
que dans les états aigus. Si même un certain nombre de symptômes
rétrocèdent pendant une stabilisation, nous comptons celle-ci au nom-
bre des rémissions4.
* * *
B . L e début
Pour autant que nous le sachions, tous les symptômes peuvent inau-
gurer le tableau.
Sur le modèle de conceptions plus anciennes, Kahlbaum pensait que la ca-
tatonie commençait en règle par une mélancolie. Mais dans ses 22 observa-
tions de malades nous ne trouvons que neuf fois quelque chose qu'on puisse
8. Nous ne parlons pas de « prodromes ». On peut distinguer des prodromes d'un accès
aigu, et, d'une façon générale, des manifestations intercurrentes d'un a c c è s constitué. - Mais
j e ne puis m'imaginer de prodromes d'une maladie. Ce qui est qualifié de tel, ce sont de
premiers symptômes que l'on ne sait pas encore interpréter correctement ( N D A ) .
interpréter comme une mélancolie. Il dit néanmoins (p. 29) : « Tandis qu'il
est évident que, dans ce cycle à trois phases principales, la mélancolie occupe
le premier degré du développement ascendant et la manie constitue l'acmé,
on pourrait se demander quelle place revient à l'attonité ». Le terme « évi-
dent » montre sous un jour cru la façon dont une idée préconçue a pu obs-
curcir la vision de ce pionnier de la psychiatrie lui-même.
Ce n'est pas entièrement à bon droit que l'on range ici aussi les idées
et impulsions compulsives, qui précèdent souvent de plusieurs années
les autres manifestations ; elles sont en effet d'origine tout aussi sou-
vent schizophrénique que neurasthénique.
C. L'issue
I . La mort
Pour pouvoir s'exprimer sans risque de malentendu sur l'issue des cas qui
restent en vie, il est nécessaire de clarifier le concept de « guérison ». Krae-
pelin fait sortir une partie de ses patients « guéris » ; mais il sait que, d'or-
dinaire, des reliquats de la maladie peuvent cependant être encore mis en
évidence. Aschaffenburg, qui avait vu à l'époque les mêmes patients que
Kraepelin, ne qualifie aucun cas de guéri.
10. Dans les cas chroniques, la tendance aux infections à la suite de blessures semble
étonnamment restreinte. Dans les cas aigus, et notamment lors des états confusionnels, elle
peut être augmentée (NDA).
11. Chez nous, il n'est pas mort plus de schizophrènes de phtisie que dans la population
environnante. Selon certains auteurs, cette maladie semblerait être une complication parti-
culièrement fréquente de la démence précoce (NDA).
12. Kemer, « Mortalité de la démence précoce », Psych.-neurologische Wochenschrift, 1910-
1911 (NDA).
En premier lieu, guérison pratique13 et guérison théorique sont deux choses
tout à fait différentes. Qui peut de nouveau circuler à l'extérieur de façon
autonome est, en un certain sens, guéri. Mais de telles gens peuvent avoir
reporté de leur maladie dans leur existence une foule d'étrangetés et de sus-
ceptibilités. Du point de vue scientifique, on n'est pas en droit de les déclarer
guéris ; car un concept de guérison clair nécessite une restitutio ad integrum
ou, le cas échéant, le statu quo anteli.
Dès lors qu'on ne qualifie pas exclusivement de guérison le retour à l'état
antérieur, le degré et le nombre des symptômes résiduels dans le cas desquels
on fera l'hypothèse d'une guérison est purement arbitraire ; et si l'on prend
la réadaptation sociale comme critère, des facteurs extérieurs au patient en-
trent en jeu, un valet de ferme pouvant être encore capable d'agir et de
travailler, même avec un déficit assez important, tandis qu'une toute petite
cicatrice psychique rendra un grand commerçant ou un banquier incapable
d'être à la hauteur de sa tâche. Le degré de susceptibilité de l'entourage
devrait aussi déterminer, le cas échéant, s'il y a guérison ou non. Un tel
concept de guérison n'est pas utilisable sur le plan psychopathologique. La
guérison sociale englobe, outre les véritables guérisons, pour autant qu'il en
existe, une grande partie des améliorations.
Mais même le concept de guérison dans le sens de la restauration de l'état
antérieur, clair en théorie, nous crée des difficultés. L'accès qui amène le
patient à l'asile n'est généralement absolument pas le véritable début de la
maladie ; celle-ci a débuté insidieusement depuis longtemps ; on a méconnu
ses ombres, mais aussi ses particularités caractérielles. Or tout état crépuscu-
laire schizophrénique n'entraîne pas nécessairement d'aggravation à sa suite ;
un retour à l'état antérieur à l'accès n'est donc pas rare du tout. Mais ceci
ne guérit pas la maladie qui, précédemment déjà, a fait du patient un original
misanthrope ou un instable irritable. Prendre l'état antérieur au véritable dé-
but de la maladie est très souvent impossible, parce que la schizophrénie a
commencé de façon insidieuse à l'époque du remaniement psychique le plus
rapide, voire même dans l'enfance. Nous nous trouvons de nouveau là devant
la difficile question : qu'est-ce qui est de l'ordre d'une particularité du ca-
ractère et qu'est-ce qui est de l'ordre d'un symptôme schizophrénique ?
Dans un cas donné, la constatation de la guérison dépend de la compétence
psychologique et surtout du temps dont dispose le psychiatre pour observer et
examiner le malade en état de sortir. On ne peut pas diagnostiquer directement
la bonne santé ; on la suppose, quand on ne trouve pas de signes de maladie
malgré une recherche minutieuse. Qui n'a pas le temps d'examiner minutieu-
17. Bien qu'il eût été restauré dans ses fonctions et ses dignités, il pensait qu'un serpent
avait été envoyé dans sa chambre par son médecin, pour les besoins d'une expérience (NDA).
18. Wille recense six cas dans lesquels la maladie a eu apparemment un effet favorable
(NDA).
d'autre ; la relation des vécus pathologiques avec le Moi actuel fait défaut.
Cette situation apparaît nettement quand l'on peut confronter de tels cas à
des mélancolies guéries ; ici, une expression spontanée avec évocation des
éléments affectifs ; là, un rappel laborieux des vécus, qui sont qualifiés en
quelques phrases de délirants et sont accompagnés d'un affect qui ne corres-
pond nullement à la situation de celui qui est délivré de ce délire. Le mon-
sieur cité plus haut comme « amélioré par sa maladie » parlait de son accès
aigu comme d'une expérience vécue particulièrement réussie. Il s'agit d'une
critique « froide, intellectuelle » (Jung), qui influence fort peu ou pas du tout
l'activité affective du malade, et nous avons également vu plus haut que nous
ne pouvons guère constater de rectification complète des idées délirantes
schizophréniques.
Si nous donnons des chiffres pour ces catégories, nous devons avertir
de ne pas leur accorder trop d'importance. Leur signification est dimi-
nuée non seulement par des critères tout de même quelque peu sub-
jectifs, mais plus encore par le fait que ce sont en première ligne les
conditions d'admission et de sortie d'un asile qui sont déterminantes
pour le pronostic moyen de la maladie. Si l'on a par exemple de longues
listes d'attente, les cas légers, c'est-à-dire favorables, seront bien moins
nombreux à être admis que si l'on a de la place pour chaque signale-
ment. Ces chiffres ne valent donc pas pour la schizophrénie en tant
que telle, mais pour les schizophrènes admis dans un asile donné. Les
très nombreux patients qui ne viennent jamais dans un asile et qui,
naturellement, amélioreraient foncièrement le pronostic échappent
complètement aux décomptes.
1 9 . C'est-à-dire que les formes avec accès aigus seraient soit bénignes, soit très évolutives,
mais rarement de gravité moyenne (NDT).
Nous ne pouvons constater d'influence de l'âge que dans la mesure où
les formes qui ne perdent pas toute contenance malgré de fortes idées
délirantes deviennent un peu plus fréquemment manifestes passé 30 ans 20 .
L'état des forces à l'époque de l'installation de la maladie paraît sans
importance pour notre propos, malgré les cas d'amentia qu'y rangent
d'autres Écoles. On ne peut pour le moment rien dire d'autre non plus
des autres symptômes somatiques de la maladie elle-même ; seule l'iné-
galité pupillaire a, compte tenu de notre matériel limité, un pronostic
moyen un peu aggravé.
Par contre, d'après notre matériel, les caractères anormaux ont des
terminaisons plus graves que d'autres patients. Mais cette constatation
ne pourra être interprétée tant que l'on entendra sous cette dénomina-
tion différentes déviations de la norme-type, et parmi elles également
des schizophrénies latentes.
Nous nous étions attendu à ce que les motifs déclenchants aient un
certain rapport avec le pronostic, dans la mesure où des affections qui
paraissent déclenchées par un choc psychique, par exemple les états
crépusculaires, en reviennent presque toujours à l'état antérieur. Mais
nos chiffres ne montrent pas de rapport entre la terminaison et ce que
nous concevons actuellement tant comme causes somatiques que
comme causes psychiques.
Mais le fait que les schizophrènes, non rares, qui arrivent secondaire-
ment à l'asile pour alcoolisme ne présentent pas de mauvaises pers-
pectives pronostiques mérite une mention particulière. Leur tendance
à s'isoler les protège des tentations, leur autisme les rend moins sen-
sibles aux séductions et aux tracasseries de la société.
On peut diagnostiquer une tendance aux récidives quand on peut mettre
en évidence le type maniaco-dépressif de la maladie. Par ailleurs,
2 0 . Selon Herzer, les affections de personnes d'un certain âge ont un meilleur pronostic
(voir aussi Lugaro) (NDA).
l'examen de toutes les conditions prises en compte jusqu'à présent
donne des chiffres tout à fait identiques chez les récidivistes et chez
les non-récidivistes.
D. L e s états t e r m i n a u x
Ce qui reste à demeure dans les asiles présente les mêmes caractéris-
tiques, mais celles-ci sont plus marquées, et des symptômes acces-
soires rendant les malades incapables de vivre en liberté s'y sont
habituellement joints : les phénomènes catatoniques, parmi lesquels,
notamment, le négativisme est, dans les asiles, aussi fréquent que dé-
plaisant, puis les idées délirantes et les hallucinations avec leurs états
d'agitation et leurs conflits secondaires avec l'entourage.
Ces états terminaux graves présentent eux aussi une infinie multitude
de variantes, que l'état de nos connaissances ne permet pas de déli-
miter les unes par rapport aux autres. C'est aussi Kraepelin qui a fourni
la meilleure description des terminaisons, en distinguant neuf types :
1. « Guérison ».
2. « Guérison avec déficit », c'est-à-dire améliorations (sans doute l'is-
sue la plus fréquente).
3. Abêtissement simple.
4. Faiblesse d'esprit avec incohérence du langage. Le tableau s'est
constitué assez rapidement après une dépression initiale et reste alors
inchangé pendant longtemps. Des idées délirantes n'en sont jamais ab-
sentes, des erreurs sensorielles sont présentes au moins au début 21 .
Après une longue période, cette forme peut aboutir elle aussi à la
stupidité simple. Elle n'est pas particulièrement fréquente.
5. Bien plus fréquente est la terminaison dans la faiblesse d'esprit hal-
lucinatoire. Les erreurs sensorielles et les idées délirantes persistent
sur un mode parfaitement monotone, avec fréquemment des aggrava-
tions périodiques, mais elles n'acquièrent pas davantage d'influence
sur la pensée et le comportement, les malades restent en permanence
lucides et, dans l'ensemble, rangés dans leur comportement.
6. Dans un petit nombre de cas, la production délirante ne cesse de
progresser, sans que soient atteintes les formes graves d'abêtissement.
Les idées délirantes sont lentement développées plus avant mais, ce-
pendant, de plus en plus décousues. Il s'agit sans exception d'un délire
d'influence corporelle, souvent associé à un délire de grandeur. Selon
Kraepelin, l'appellation qui conviendrait le mieux à ces formes serait
dérangement hallucinatoire.
7. Démence paranoïde (voir ci-dessus p. 302).
8. Abêtissement radoteur. « Il est dominé, outre les manifestations de
la faiblesse d'esprit la plus profonde, par des reliquats pathologiques
qui correspondent à peu près à ceux de l'excitation catatonique. » Dans
les formes maniérées, c'est la bizarrerie qui est au premier plan, sous
la forme de manières et de stéréotypies de mouvement ; dans les formes
excitées, c'est principalement l'impulsivité, outre une tendance mono-
tone au mouvement. La pseudo-confusion dans le domaine de l'expres-
sion linguistique et la dissociation de l'activité sont communes à ces
deux formes.
9. La forme la plus importante est l'abêtissement apathique. Outre un
émoussement affectif d'un degré élevé, nous y trouvons les reliquats
du négativisme ou de l'automatisme sur ordre. « Ceci produit d'une
part une inaccessibilité craintive, figée, et d'autre part cette aboulie
apathique et anidéique qui donne leur cachet bien particulier aux
grandes sections de chroniques. Certains de ces malades peuvent être
encore des travailleurs mécaniques fort utilisables. »
La transmissibilité héréditaire
Jusqu'à présent, on n'a pas suivi l'évolution respective de la maladie
et de la prédisposition en aval de l'individu. Les recherches sur l'hé-
rédité remontent toujours dans le temps en partant du patient. Mais ce
serait un travail fort bienvenu que de suivre le destin de la descen-
dance de nos malades. Les 6 4 7 malades examinés par Wolfsohn
avaient, à l'époque de leur entrée à l'asile, 4 0 4 enfants, dont 10 %
étaient atteints de maladies mentales et nerveuses : 11 souffraient d'im-
bécillité, 11 de « maladies mentales », 14 de nervosité, 2 d'épilepsie,
1 était sourd-muet et 1 avait commis un suicide. La plupart de ces
enfants n'avaient naturellement pas encore dépassé l'âge auquel appa-
raît la schizophrénie. Si ces chiffres devaient être confirmés à la lu-
mière d'un matériel plus nombreux, ils réclameraient une grande
attention.
Quatrième partie
Combinaisons
de l a schizophrénie
avec d'autres psycho
a) La schizophrénie peut surgir sur le terrain de la faiblesse d'esprit
congénitale (hébéphrénie greffée). Les symptômes de ces deux maladies
s'additionnent alors, encore qu'il faille vraiment beaucoup de patience,
de la part tant du médecin que du malade, pour assigner toutes les
manifestations à l'une ou à l'autre de ces maladies. Dans le cas de
certains symptômes, ce n'est parfois même pas possible. Ainsi peut-il
exister, dans le cas d'une stupidité (congénitale) assez importante, un
flou conceptuel que rien ne permet jusqu'à présent de distinguer du
manque de clarté conceptuelle dans la schizophrénie.
Au surplus, ces cas ne présentent rien dont on ne puisse se douter a
priori ; des formes graves et bénignes se côtoient.
La schizophrénie se voit aussi, comme dans les autres formes d"idiotie,
dans le crétinisme, que celui-ci soit total ou seulement somatique. La
maladie ne présente alors pas non plus la moindre particularité qui
n'aille de soi.
b) Parmi les maladies cérébrales organiques, les diverses formes d'a-
trophie sénile du cerveau compliquent très fréquemment la schizophré-
nie ; néanmoins, il n'est pas de règle que la démence sénile se
manifeste de façon marquée dans notre effectif de schizophrènes de-
venus vieux. Dans cette complication aussi, les symptômes des deux
maladies s'additionnent de façon nette. Des troubles de la mémoire des
stimulus récents, de l'orientation, de la compréhension s'ajoutent à la
stupidité schizophrénique. L'énergie des idées délirantes et de l'activité
diminue, pour autant qu'il en subsiste. Les hallucinations ne dispa-
raissent pas nécessairement ; mais parfois surviennent des deliriums
hallucinatoires séniles. La seule chose frappante, c'est la façon dont
se comportent les affects. Dans certains cas, il est vrai, on ne peut
plus tirer grand-chose des malades étant donné la double stupidité.
Mais parfois la psychose organique débloque les affects, les malades
redeviennent plus abordables, plus « débonnaires ».
Il est en outre des cas de stupidité sénile d'évolution lente qui ont, de
façon tout à fait constante jusqu'à la fin, des symptômes catatoniques,
généralement appariés à un type quelconque d'agitation. Voici une pa-
tiente qui verbigère en permanence comme une schizophrène, fait du
tapage, est malpropre et ne se préoccupe jamais vraiment de son en-
vironnement. Une autre est d'abord « mélancolique », mais d'une façon
étonnamment figée quant à ce qui touche à l'affectivité, et monotone,
pauvre dans tous ses modes d'expression. Elle a des pulsions suici-
daires automatiques, même après que son affectivité semble s'être épui-
sée ; elle se force violemment un passage vers l'extérieur dès qu'une
porte s'ouvre, chuchote constamment entre ses dents des reliquats sté-
réotypés d'anciennes plaintes. Une troisième, légèrement déprimée,
présente, outre cet affect superficiel, des changements d'humeur
complètement immotivés et des symptômes hystériformes caricaturaux.
Une quatrième ne cesse de se forcer le passage à travers les portes,
est toujours en mouvement, a un type singulier de négativisme qui
ressemble à du nihilisme, la malade exprimant tout sur le mode négatif
dans son discours. Une relation affective réciproque n'est pas possible
avec elle. Dans tous les cas, l'orientation est indemne. Des années
durant, la mémoire n'est pas franchement perturbée. On fait d'emblée
le diagnostic de démence sénile, mais on ne sait pas vraiment pourquoi,
et pourtant l'autopsie donne raison à ce diagnostic. Cette affection dé-
marre au cours de la cinquantaine ou de la soixantaine. Avant, ces
gens n'étaient pas tout à fait comme les autres, mais l'interrogatoire
ne permet pas de certifier une schizophrénie dans tous les cas. Il n'est
pas impossible qu'il s'agisse toujours, ici aussi, de schizophrénies la-
tentes qui ne deviennent manifestes que du fait de l'atrophie cérébrale
incipiens. Chez ces malades opposants, nous ne sommes encore jamais
parvenus à faire une analyse plus précise, qui puisse apporter la clarté.
1. J e n'ai pas fait le diagnostic de celte combinaison aussi rarement que cela (NDA).
Dans ces cas, l'alcoolisme doit sans doute être envisagé comme une
complication de la schizophrénie. Je n'ai encore jamais vu que cette
dernière ne soit survenue qu'après coup chez un alcoolique.
Le c o n c e p t nosologique
La démence précoce englobe la majorité des psychoses jusqu'à présent
qualifiées de fonctionnelles. Ce concept implique un type particulier
de conception systématique des psychoses. C'est pourquoi il n'est pas
possible d'en discuter sans prendre amplement en considération d'au-
tres concepts nosologiques.
Avant Kraepelin, on ne distinguait dans ce grand groupe de psychoses
que des tableaux d'état ou des complexes symptomatiques. La démence
précoce se veut une maladie au sens de Kahlbaum. Elle est par prin-
cipe autre chose qu'un « délire hallucinatoire aigu », une « manie » et
une « mélancolie » (au sens pré-kraepelinien), une « paranoïa aiguë »,
une « confusion mentale » de l'école de Vienne. On ne peut pas deman-
der si un cas appartient à la paranoïa aiguë ou à la schizophrénie (l'un
n'exclut pas l'autre), et ce tout aussi peu qu'on est en droit de se
demander si une maladie oedémateuse est une hydropisie ou une né-
phrite. Non seulement les termes mais aussi les concepts d'hydropisie
(des anciens auteurs), de paranoïa aiguë, de confusion ont été forgés
d'après le symptôme le plus frappant pour l'observateur de l'époque.
C'est pourquoi une véritable délimitation de tels tableaux pathologiques
est impossible. Outre des symptômes tels que la confusion ou le trouble
paranoïaque de l'intelligence, on trouve dans chaque cas d'autres manifes-
tations encore, variables en nombre et en intensité. Si de tels « symp-
tômes accessoires » deviennent particulièrement nets, ou si le « symp-
tôme cardinal » rétrocède quelque peu, l'appellation devient incertaine
et le concept se volatilise ou doit être délimité arbitrairement pour le
cas en question. Une telle modification du tableau peut certes survenir
chez un patient donné, qui avait même été considéré comme un cas
typique, mais plus fréquemment encore il s'agit de nombreux cas patho-
logiques analogues, qu'il est possible d'ordonner en une série continue
et dont les premiers maillons appartiennent par exemple à la mélan-
colie simple, les suivants à la mélancolie hallucinatoire et les derniers
à la paranoïa hallucinatoire aiguë, sans qu'on puisse mettre nulle part
de frontière en évidence. Quand on tenait l'hydropisie pour une mala-
die, on savait aisément s'arranger du décalage du tableau : à la maladie
originelle s'ajoutaient une hydropisie abdominale, une hydropisie thora-
cique et une hydropisie cardiaque. Mais dans le cas des psychoses le
tableau de la maladie semble trop homogène pour que l'on ait souvent
entrepris de telles adjonctions ; au lieu de cela, on fait se transformer
une maladie en une autre 1 . Le défenseur le plus extrême de cette
conception est Wernicke ; quand un nouveau complexe symptomatique
passe au premier plan, il se trouve en face d'une autre maladie ; la
psychose de motilité d'un jour est, le lendemain, une paranoïa.
Pour beaucoup, il est très important de savoir si, dans une maladie
mentale, la perturbation atteint l'intelligence ou l'affectivité de façon
primaire. Mais, outre d'autres difficultés, deux faits rendent ce critère
totalement inutilisable : nous ne savons absolument pas s'il existe des
troubles primaires de l'un de ces domaines qui laissent l'autre intact,
et devant un cas concret nous sommes encore bien moins capables de
dire ce qui est primaire et ce qui est secondaire. C'est ainsi que, dans
la psychose affective « manie », même la fuite des idées et l'exaltation
de l'humeur ne se présentent pas comme dépendant l'une de l'autre,
4. Deliriende : le terme renvoie plus aux patients atteints de delirium qu'aux délirants dans
leur ensemble (NDT).
5. Stransky, Pilez (NDA).
mais comme des corrélations (à preuve, les états mixtes). Et ainsi, dans
la « psychose de l'intelligence par excellence », la paranoïa, dispute-
t-on vivement si la perturbation primaire n'est tout de même pas celle
de l'affectivité. Il s'agit donc ici d'un critère qui n'existe peut-être
même pas, et en tout cas qui n'a encore été prouvé par personne.
* * *
Je me suis longtemps refusé à ranger toutes les formes paranoïdes dans la dé-
mence précoce ; la démence précoce au sens étroit du terme, notamment, avec
son tableau symptomatique et évolutif si aisé à circonscrire et si particulier, a
été l'objet constant de mes souhaits particularistes. Mais d'une part l'approfon-
dissement de la psychopathologie a montré partout les mêmes phénomènes fon-
damentaux, et d'autre part l'étude plus précise de nos cas pathologiques a montré
tellement de similitudes, tellement de transitions, et une absence si totale de
toute limite perceptible avec nos moyens actuels que je n'ai pu faire autrement
que de me rallier à Kraepelin qui, il est vrai, soupçonne de nouveau depuis peu,
comme je l'avais fait auparavant, l'existence d'un groupe intermédiaire entre la
paranoïa et la schizophrénie. Je ne puis plus le suivre en cela, parce que je ne
trouve nulle part de limite en direction de la paranoïa, mis à part le concept
restreint de paranoïa kraepelinienne.
15. Des tableaux qui sont dénommés « au mieux » - ou « du mieux possible » - et dans lesquels
ce « mieux » - ce « mieux possible » - ne porte que sur des symptômes sans importance (NDT).
16. Chaslin (118) dénombre 3 1 appellations pour les seuls états hallucinatoires aigus qui,
tous, se voient justement le plus souvent dans la démence précoce (NDA).
Le concept n'est toutefois pas encore bien individualisé dans deux di-
rections, à savoir par rapport à la paranoïa et par rapport aux psychoses
alcooliques.
A la paranoïa kraepelinienne font défaut les troubles des affects et des asso-
ciations en dehors du système délirant, ainsi que toutes les anomalies gros-
sières telles que les symptômes catatoniques. Ainsi ne pouvons-nous pas
mettre en évidence la moindre maladie chez le paranoïaque, en dehors de
ses idées délirantes. Aussi le pronostic est-il également tout à fait différent :
les paranoïaques ne s'abêtissent pas (à moins qu'une démence sénile ne
complique le tableau), bien qu'ils puissent s'appauvrir intellectuellement,
comme tous les gens qui n'ont plus qu'un mode de pensée étriqué.
17. Un alcoolisme associé peut de toute façon conférer une cohérence logique aux syndromes
aigus de la schizophrénie ; tandis qu'à l'inverse, sous l'influence schizophrénique des
complexes, les erreurs sensorielles fugaces du delirium tremens sont ordonnées en un tableau
de contenu et de déroulement plus cohérents, dont les patients se souviennent incompara-
blement mieux que des détails peu cohérents du delirium tremens commun. De ce fait, et
en raison de la prépondérance des hallucinations verbales, des formes de transition entre
delirium tremens et délire hallucinatoire alcoolique prennent naissance sur un terrain schi-
zophrénique (NDA).
Mais la schizophrénie prédispose aussi au delirium. tremens lui-même. Je n'ai
rencontré de delirium tremens à un âge juvénile (jusqu'à environ 2 5 ans) et
après peu d'années d'excès alcooliques que chez des schizophrènes.
18. Autant que j ' a i pu en juger, le délire de jalousie purement alcoolique régresse de nou-
veau en cas d'abstinence (NDA).
19. Le Traité de Pilez (p. 9 6 ) ne peut mentionner, pour le diagnostic différentiel du délire
alcoolique et de sa paranoïa vraie (c'est-à-dire de la schizophrénie), que la preuve anam-
nestique d'un début aigu chez un alcoolique chronique. Si on le suit, il n'y a donc absolument
aucune différence, car de nombreuses schizophrénies deviennent manifestes sur un mode
aigu chez un alcoolique chronique. Schroder (673) non plus ne peut « pas répondre avec
certitude dans un sens affirmatif » à la question de l'existence des psychoses alcooliques
chroniques. Voir aussi Chotzen (124, p. 4 7 5 ) (NDA).
J e n'ai pas encore vu de stupeur alcoolique20, qui setait fréquente en Europe
de l'Est, par contre j'ai parfois vu des stupeurs chez des schizophrènes qui
buvaient trop.
Je ne connais pas non plus par expérience personnelle la faiblesse d'esprit
hallucinatoire des buveurs hraepelinienne. Malheureusement, j e n'ai pas eu
non plus l'occasion de voir de tels cas que d'autres avaient diagnostiqués.
Je ne suis donc pas en droit de mettre son existence en doute, et j'ai encore
une autre raison pour rester sur ma réserve. L'abus d'alcool finit par entraîner
une atrophie cérébrale, donc une forme de faiblesse d'esprit. En cas d'absti-
nence, le processus cérébral se stabilise et les troubles fonctionnels sont plus
ou moins compensés. Aussi peut-il parfois devenir impossible de mettre en
évidence l'origine organique de la faiblesse d'esprit. Des hallucinations peu-
vent se rencontrer partout, alors pourquoi pas chez certains alcooliques at-
teints d'atrophie cérébrale ? Néanmoins, les descriptions de Kraepelin et de
Schroder ne prouvent pas encore la nécessité de détacher de la schizophrénie
une faiblesse d'esprit hallucinatoire alcoolique. Une plus ample observation
est nécessaire pour déterminer si un Korsakow grave peut entraîner un tableau
schizophréniforme chronique, ou si un Korsakow qui semble se transformer
en une schizophrénie était d'emblée une schizophrénie qui s'est compliquée
d'un Korsakow. Dans deux cas que j'ai observés, c'est cette dernière hypo-
thèse qui était vraisemblable, et ce notamment parce que les malades avaient
mené une existence si insensée à partir d'un moment donné que cela s'ex-
plique mieux par une démence précoce que par un alcoolisme pur et simple.
20. En tant que maladie et non sous forme de stupeur émotionnelle chez un alcoolique (NDA).
latifs - absolus en ce sens que, si les critères sont constatés, le dia-
gnostic est assuré dans tous les cas.
Ceci apparaît notamment dans l'évolution. Une fois le diagnostic posé,
il n'a plus besoin d'être modifié ; il n'apparaît plus de symptômes qui
ne fassent partie de la maladie ; il ne peut arriver que la démence
précoce judicieusement diagnostiquée soit du jour au lendemain une
paralysie générale ou une épilepsie ; la maladie se maintient toujours
à l'intérieur des mêmes groupes de symptômes.
Naturellement, tous les symptômes ne sont pas forcément présents dans
chacun des cas, de même qu'une hémorragie intestinale ne se produit
pas dans chaque typhus. Évidemment, il peut aussi arriver dans des
cas légers de schizophrénie, comme dans toutes les autres maladies,
qu'on ne puisse mettre en évidence avec nos méthodes actuelles un
symptôme qui est présent.
L'objection selon laquelle des cas pathologiques dont les uns guérissent et
les autres aboutissent à la stupidité ne sont pas de la même famille mérite
déjà plus d'attention. Cette objection vaudrait cependant encore bien plus
pour les anciens concepts de maladie que pour la démence précoce avec son
Semper aliquid haeret21, et elle ne conviendrait ici que s'il était prouvé que
la progression de l'abêtissement représentait un constituant essentiel du
concept de cette maladie. Mais c'est le contraire qui est vrai. C'est comme
si on voulait attaquer le concept de tuberculose pulmonaire parce que la
plupart des cas guérissent, il est vrai, mais que beaucoup deviennent chro-
niques ou récidivent, et qu'un bon nombre de patients en meurent.
Mais il y a aussi des psychiatres qui, à l'inverse, ne veulent pas classer selon
la terminaison et récusent le concept précisément pour cette raison. Bruce
dit que toutes les maladies seraient identiques au regard d'une différenciation
selon la terminaison, parce que toutes se termineraient finalement par la
mort. Seulement, ce qui est essentiel dans le concept de démence précoce,
ce n'est pas la terminaison mais la direction dans laquelle elle se fait. Et
quand Pilez dit que des processus différents peuvent sans doute conduire
néanmoins à la même issue, il faut lui objecter qu'en y regardant de plus
près nous pouvons justement trouver les éléments de l'abêtissement spécifi-
que ultérieur à chaque stade de la schizophrénie, mais non dans d'autres
maladies. Que l'on puisse donner raison à cet auteur ou non est donc affaire
d'examen et d'expérience. Notre propre expérience lui donne totalement tort.
21. Traduction possible : « qui reste toujours dans une certaine mesure en suspens », ou
« qui reste toujours dans une certaine mesure indécise » (NI)T).
nie ». S'il avait correctement lu Kraepelin, il se serait rendu compte que,
chez lui, ces deux mots ne désignent pas des concepts purement étiologique
et purement symptomatologique mais des modes de manifestation d'une ma-
ladie dans son ensemble avec, en même temps, tous ses concepts partiels.
On parle aussi de la « psychose unique catatonique 22 », faisant ainsi reproche
de l'extension du concept. Il me faut répondre à cette objection, car même
Kraepelin, en personne, et Aschaffenburg 2,5 trouvent regrettable que ce
concept englobe tant de choses. Mais, sur le plan scientifique, il s'agit de
savoir si le concept est élaboré correctement, et je ne trouve vraiment pas
que ce serait moins dommage si le rhume et le typhus, ou les chevaux et les
éléphants, étaient à peu près aussi fréquents ou nombreux. Il n'existe certes
dans le monde entier nulle raison qui s'oppose à l'hypothèse selon laquelle
une seule psychose serait incomparablement plus fréquente que les autres.
Au contraire, dans le cas de la maladie qui entre ici en ligne de compte, on
a de tout temps, partout où ces patients s'accumulaient, ressenti le besoin,
ancré dans la nature de la chose, du grand fourre-tout dont seule l'étiquette
changeait avec le temps.
Étendue du concept
24. Kraepelin et Weygandt inclinent à ranger la schizophrénie elle-même parmi les maladies
qui peuvent provoquer l'idiotie. Comme le terme d'idiotie qualifie seulement une insuffisance
mentale qui survient intra-utero ou au cours de la prime jeunesse et que la schizophrénie
peut aussi se déclarer au cours des premières années de l'existence, il n'y a aucune objection
de principe à opposer à cette façon de présenter les choses. Il me faut seulement faire
remarquer que j e n'ai encore vu aucun idiot de ce type. Selon mon expérience, aucun des
cas de schizophrénie infantile n'étaient des idiots. Les stéréotypies des idiots sont quelque
chose de fondamentalement différent des stéréotypies catatoniques (NDA).
mélancolique des auteurs allemands font néanmoins partie de notre
schizophrénie 25 . Dans cette direction, il nous faut donc délimiter cette
maladie par rapport à la folie maniaco-dépressive et à la mélancolie
(d'involution), pour autant que cette dernière serait véritablement une
maladie sui generis. D'après ce qui a été dit plus haut, cela ne pose
pas de difficultés théoriques.
Puis la schizophrénie englobe la plupart des cas dont les appellations
mettent au premier plan l'agitation ou la confusion hallucinatoires,
amenda et paranoïa hallucinatoire incluses. De ce côté, les frontières
sont difficiles à déterminer, parce que les maladies sans doute assez
diverses mais pas très fréquentes qui entrent en ligne de compte, indé-
pendamment de la schizophrénie, ne sont pas encore connues du tout.
Mais il existe des états hallucinatoires et confusionnels aigus qui survien-
nent au cours de maladies fébriles, d'une insuffisance rénale, bref, dans
des circonstances qui laissent supposer une sorte d'effet toxique. L'amen-
tia de Kraepelin est née de la seule et unique tentative de décrire de tels
états d'une façon claire. Mais, sur les dernières 4 0 0 0 admissions et plus,
je n'ai pas pu mettre en évidence une seule amentia de ce type et c'est
pourquoi je commence à douter qu'elle ait l'importance que l'auteur lui
attribue. Les autres parmi les deliriums toxiques au sens large se sont
malheureusement perdus dans les concepts généraux des maladies dé-
nombrées ici, si bien qu'ils n'ont pas encore de symptomatologie spéci-
fique. Dans ces cas, on devrait pouvoir rapporter la « confusion » à
d'autres symptômes élémentaires que dans la démence précoce.
2 5 . D e notre point de vue, une toute petite partie du délire hallucinatoire aigu (mélancolique
et maniaque) fait partie de la folie maniaco-dépressive (NDA).
2 6 . Il est très vraisemblable qu'il existe encore d'autres maladies cérébrales qui laissent
une cicatrice psychique. Mais elles n'ont pas encore été décrites (pas même sous la forme
des conceptions antérieures de l'amentia) et n'ont presque pas d'importance numérique (NDA).
Parmi les tableaux pathologiques moindres, mentionnons l'hypocondrie,
qui joue maintenant encore un grand rôle chez beaucoup de psychia-
tres. La plupart des hypocondriaques (incurables) sont des schizo-
phrènes dont les idées délirantes portent justement sur leur propre
corps. Après examen plus précis, et notamment après avoir eu connais-
sance de quelques cas analogues tout à fait clairs, j e dois maintenant
considérer aussi comme schizophrène la femme décrite dans mon « Af-
fectivité » (p. 133). Mais de nombreux médecins appelleront aussi
hypocondriaques des malades que nous qualifierions de neurasthéni-
ques, hystériques, etc. Peut-être des hypocondriaques peuvent-ils être
eux aussi de véritables paranoïaques avec des idées délirantes portant
sur leur état de santé. Nous ne connaissons pas de tableau pathologique
propre à l'hypocondrie.
Des « nerveux » qui tiennent souvent des discours tout à fait absurdes,
refusent les aliments et ont des idées de jalousie ne sont, selon notre
expérience, ni des neurasthéniques ni des narcoleptiques 28 mais des
catatoniques.
27. Verrückte : rappelons que ce terme était l'appellation coutumière de la paranoïa chez les
psychiatres allemands. Voir glossaire (NDT).
28. Schott (666) (NDA).
Une grande partie des formes très graves d'états obsessionnels, de ru-
minations obsédantes, d'actes impulsifs, mais pas toutes, font indubita-
b l e m e n t partie de la schizophrénie. G é n é r a l e m e n t , les signes nets de
la maladie de b a s e apparaissent alors tôt ou tard. Les tableaux patho-
logiques désignés par les termes de pyromanie, kleptomanie, etc. sont
parfois des schizophrénies.
Notre position par rapport aux psychoses juvéniles est évidente, d'après
c e qui p r é c è d e . L a schizophrénie c o m m e n c e le plus souvent entre 15
et 2 5 ans ; elle est en même temps la psychose la plus fréquente ; il
s'ensuit qu'elle est également la psychose j u v é n i l e la plus fréquente.
Mais en dehors d'elle surviennent aussi à cet âge toutes les autres
p s y c h o s e s , à l'exception des formes involutives, pour autant que de
telles formes existent, et des maladies séniles. Pour nous, il n'existe
donc pas de psychose j u v é n i l e c a r a c t é r i s t i q u e ou de psychose de la
puberté.
Un troisième concept, plus précis, qu'on peut faire ressortir du bourbier gé-
néral qu'a été jusqu'à présent le concept de dégénérescence, est celui d'une
fragilité cérébrale de l'individu, innée ou acquise dans la prime jeunesse, et
sur le terrain de laquelle prennent alors naissance des maladies particulières.
Comme beaucoup de schizophrénies remontent à la prime jeunesse et que
des gens peu doués sont tout aussi souvent atteints par cette maladie que
des gens normaux, il va de soi que l'on rencontre souvent ce type de dégé-
nérescence clans la schizophrénie. Mais nous n'avons jusqu'à présent pas
d'éléments qui nous permette de différencier la schizophrénie de dégénérés
de cette sorte de celle du cerveau sain. Tous les critères, et notamment ceux
de Schule, n'ont pas résisté à la vérification que j'ai effectuée.
3 1 . L'ensemble de tous ceux de nos cas qui ont apparemment une étiologie psychique don-
nern le même pronostic que les autres. Des états psychogènes de dégénérés ne peuvent donc
pas se trouver parmi eux en nombre notable (NI)A).
32. Schäfer (635) aussi décrit les faibles d'esprits (moraux) de telle sorte que les hébé-
phrènes légers, entre autres, rentrent dans ce cadre. - Kirn admet une « faiblesse d'esprit
morale » qui aboutit par la suite au délire hallucinatoire (NI)A).
En outre, d'après notre expérience, de fort nombreuses psychoses carcérales
aiguës ne sont autres que des poussées d'une schizophrénie qui existait gé-
néralement déjà auparavant et qui a été cause du comportement anti-social.
Voir aussi Riïdin, Siefert.
* * *
Le diagnostic
A. Généralités
C'est ainsi que, dans les considérations qui suivent, il faut toujours pré-
sumer que le lecteur est capable de prendre en compte les circonstances
concomitantes et l'ensemble de la constellation psychique, sans qu'il soit
nécessaire d'attirer à chaque fois son attention sur les possibilités infi-
niment nombreuses.
2. J'espère néanmoins que l'on finira par apprendre à distinguer la scission conceptuelle
schizophrénique, et peut-être aussi la scission associative générale, de phénomènes analo-
gues qui s'accomplissent hors du champ de l'attention normale (NDA).
symptômes permettent le diagnostic de schizophrénie. La même chose
vaut pour le diagnostic différentiel : des épilepticjues peuvent symbo-
liser, confondre l'un avec l'autre des concepts tels qu'homme et femme,
faire des néologismes, mais seulement quand ils sont dans un état cré-
pusculaire. Des hystériques peuvent être très rigides sur le plan affec-
tif, mais seulement au moment précis où ils sont dominés par un
complexe. Des malades de toutes sortes (de même que des sujets sains)
peuvent répondre à côté de la question, quand ils ont justement une
raison d'avoir une attitude de refus. Seuls des schizophrènes présentent
ces phénomènes en dehors de ces états psychiques globaux.
Les généralisations des symptômes sont souvent déterminants pour le
diagnostic. Le barrage que présente un sujet sain ne touche, pour au-
tant qu'on ne peut mettre en évidence de stupeur émotionnelle, que
les objets qui sont précisément chargés d'affect. Le schizophrène étend
souvent les barrages à toutes les autres idées possibles - dans les cas
intenses, l'ensemble de son esprit peut même être barré en perma-
nence. Tout un chacun peut parfois produire des concepts et des idées
confus et des erreurs de logique, en particulier quand il se trouve dans
un état inhabituel tel qu'un affect ou l'épuisement. Mais la confusion
apparaîtra et disparaîtra avec la cause déclenchante, tandis que dans
la schizophrénie elle peut se rendre indépendante de ces états.
Aussi est-il évident que les cas dans lesquels la maladie s'est arrêtée aux
premiers stades sont habituellement méconnus par les profanes et par les
psychiatres. On se dispute avec des ménagères schizophrènes une vie durant ;
on prend toutes les mesures punitives possibles contre des « fils qui ont mal
tourné » ; ou bien, si l'on veut user de la contrainte à leur égard, on échoue
parce que le médecin qui les expertise ne veut fournir aucun certificat faisant
état d'une maladie mentale, ou parce que, quand il en a délivré un, un di-
recteur d'asile renvoie parfois le malade, déclaré sain ou guéri, aux parents
qui désespèrent ; on laisse ces gens, considérés comme hystériques ou mieux
encore neurasthéniques, faire toutes les cures possibles, y sacrifiant souvent
les biens de la famille inquiète ; on admet les malades dans les hôpitaux
avec le diagnostic de rein flottant, alors qu'ils ont des douleurs hallucinatoires
d'enfantement ; on considère quelques déviations gynécologiques par rapport
à la norme établie dans les livres comme une maladie et l'on traite le petit
bassin ; on abandonne les patients à la police et aux tribunaux, c'est-à-dire
aux instances les plus inadaptées pour un traitement psychiatrique ; on les
prend au sérieux et on les laisse fonder une association contre quelque cancer
de la société découvert par eux ou par d'autres, et sans doute fait-on avec
eux encore bien d'autres choses qu'il vaudrait mieux ne pas faire.
4 . Mais un débile n'est pas devenu autre quand il commence à traînasser dans un nouvel
environnement, après s'être conduit d'une façon modèle sous l'aile protectrice de ses parents,
ou bien lorsqu'il subit la transformation inverse. 11 ne s'agit pas d'une modification du ca-
ractère si, en fonction de circonstances intérieures ou extérieures, l'un puis l'autre de deux
instincts qui se combattent en un être humain prennent le dessus, ce qui se manifeste sous
la forme d'une conversion ou d'une éclatante apostasie. Si l'on se garde de telles méprises,
la modification du caractère fournit des indications très importantes (NI)A).
rage hystérique d'un barrage schizophrénique. En outre, il ne faut pas
confondre la stupeur émotionnelle, qui peut durer des semaines, no-
tamment chez les imbéciles, avec ce symptôme pathologique.
Les scissions systématiques, qui touchent par exemple la personnalité,
se rencontrent dans beaucoup d'états psychotiques, ainsi que chez les
hystériques, où elles sont beaucoup plus prononcées encore que dans
la schizophrénie (personnalités multiples). Mais sans doute ne ren-
contre-t-on de scission franche que dans notre maladie, en ce sens que
les différents fragments de la personnalité existent côte à côte alors
que l'orientation dans l'environnement est bonne.
L'autisme ne peut être utilisé en soi pour le diagnostic, car il se voit
notamment dans les états crépusculaires hystériques mais, sous un cer-
tain rapport, domine aussi les idées délirantes de la paralysie générale,
par exemple. Dans les cas non schizophréniques, ce symptôme a certes
une autre allure, mais il est difficile de décrire les différences. Les
épileptiques et les malades organiques se replient simplement sur
eux-mêmes quand ils adoptent une attitude analogue à l'attitude au-
tistique, tandis que les schizophrènes se placent en opposition et en
contradiction avec la réalité. Chez les non-schizophrènes, le retran-
chement du monde extérieur est aussi beaucoup moins complet ; le
cas échéant, ils ne se préoccupent certes pas activement de la réalité,
mais ils entrent aussitôt en rapport avec elle quand, par exemple, on
leur adresse la parole.
Sur le plan du contenu, l'idée délirante que tout un chacun sait déjà
tout ce que pense le patient est pratiquement pathognomonique.
C'est chez les schizophrènes que les stéréotypies sont les plus fré-
quentes, mais elles ne font pas non plus défaut chez d'autres malades
- ni chez des gens normaux. Mais leur caractère absurde, inadéquat
8. Die Befehlsautomalie : symptôme très frappant, déjà décrit par Kraepelin, et qui consiste
en ce qu'un patient répète de façon automatique un acte qu'on lui ordonne, même si celui-ci
doit avoir des conséquences pénibles pour lui. Kraepelin le mettait en évidence en faisant tirer
répélitivement la langue à ses malades et en y enfonçant une aiguille à chaque fois... ( N D T ) .
aux idées et aux sentiments du patient, permet généralement de dis-
tinguer les stéréotypies catatoniques des autres stéréotypies. Pourvu
que l'on pense à la possibilité de ces différents symptômes, la verbi-
gération est généralement aisée à distinguer de la pauvreté idéique et
de la persévération (chez les malades organiques), qui sont toutes deux
causes de répétitions de mots. Ce sont les stéréotypies d'attitude chez
les paralytiques généraux qui prêtent le plus souvent à confusion avec
des symptômes catatoniques.
Dans le cas des « manières », il faut aussi prêter attention à leur ca-
ractère outré, inadapté aux circonstances. Il n'est pas rare, en effet,
qu'elles se voient à un certain degré chez des sujets sains et chez des
malades mentaux. On les distinguera en général facilement des tics, à
condition d'y être attentif. Si les manières sont très marquées, elles
constituent un signe différentiel important par rapport à d'autres ma-
ladies.
La stupeur, qui se voit également dans des maladies cérébrales orga-
niques, dans la folie maniaco-dépressive, dans Pépilepsie, dans l'hys-
térie, n'est utilisable en tant que telle à des fins diagnostiques que
quand on peut en prouver ou en exclure une genèse schizophrénique
(barrage, autisme, etc.). En outre, une stupeur au cours de laquelle le
malade paraît lucide et observe bien son environnement sera sans doute
toujours schizophrénique. L'observation de Gross, qui n'a trouvé de
trouble de l'aperception ni d'inhibition motrice chez aucun de ses stu-
poreux catatoniques, est également importante.
Parmi les symptômes moteurs, les réflexes ostéo-tendineux, qui sont en
règle exagérés, peuvent étayer le diagnostic. Le phénomène facial, no-
tamment, est rare chez les sujets sains et dans certaines autres psy-
choses 9 .
Il faudrait aussi examiner l'excitabilité neuro-musculaire.
Selon Ziehen (840, p. 347/348), il existe dans la melancholia attonita 10 une
tension générale qui la différencie de l'atonie de la melancholia passiva.
Gaupp (255) trouve aussi, plus volontiers que dans d'autres maladies, une
tension dans la stupeur catatonique.
9. Dunton Will. Rusch dit que quand on effleure légèrement la joue des malades, devant
l'oreille, avec un marteau à réflexes, il se produit des mouvements de l'orbiculaire palpébral,
notamment dans les cas récents. J e ne sais pas si ce réflexe cutané a une signification
d i a g n o s t i q u e (NDA).
10. Melancholia attonita, ou melancholia con stupore : tableau, décrit au XIXe siècle, de
mélancolie avec s t u p e u r et p h é n o m è n e s moteurs anormaux, que Kahlbaum a assimilé au
s t a d e d e s t u p e u r c a t a t o n i q u e d e s a f o l i e t o n i q u e ou c a t a t o n i e (NDT).
Paresthésies : Kahlbaum (p. 52) pense que la céphalée occipitale serait fré-
quente dans la catatonie, rare dans d'autres maladies ; d'autres céphalées se
comporteraient à l'inverse. Jusqu'à présent, je n'ai rien pu voir qui soit à
coup sûr caractéristique dans les paresthésies. Naturellement, elles sont gé-
néralement schizophréniques quand elles sont « faites » par des tiers.
Les examens métaboliques (examen des urines, etc.) ne sont pas (encore) uti-
lisables sur le plan diagnostique. Il est seulement d'un certain intérêt de
savoir que de grandes oscillations du poids corporel sans cause décelable se
voient avec une extrême fréquence au cours de notre maladie, et que, de
même, la prise de poids sans amélioration psychique à l'occasion d'un accès
aigu est très probablement en faveur de la schizophrénie.
Les anomalies de la sécrétion gastrique (Pilez), elles aussi, ont encore gran-
dement besoin d'être explorée dans le futur sur un matériel plus vaste avant
de pouvoir être utilisables à des fins diagnostiques.
Dans les accès aigus des types les plus divers, on fait le diagnostic
sur la présence des symptômes spécifiques schizophréniques. L'impres-
sion d'ensemble peut cependant souvent permettre sans plus ample
informé le diagnostic de schizophrénie au praticien expérimenté ; cette
maladie est en effet si fréquente que le risque est minime, moyennant
une certaine prudence. Cependant, avec de tels diagnostics on se prive
de la possibilité de découvrir à temps des états d'excitation plus rares,
qui ne s'intègrent pas encore dans le cadre d'une des maladies qui
nous sont connues ; et l'on n'acquiert alors d'entière certitude que par
la mise en évidence de symptômes décisifs. Je n'ai vu jusqu'à présent
11. Voir plus loin la signification des autres anomalies pupillaires, dans le diagnostic dif-
férentiel avec la paralysie générale (INI)A).
que dans la seule schizophrénie ces rémissions subites au milieu d'un
accès aigu, au cours desquelles le malade, bien qu'il se souvienne, fait
comme si rien ne s'était passé. - Les états d'obnubilation sont natu-
rellement difficiles à examiner ; ils sont schizophréniques, si l'on peut
prouver que le degré de ce que nous appelons obnubilation n'est nul-
lement en rapport avec l'inhibition de la pensée proprement dite, les
malades observant et enregistrant bel et bien tout.
Il n'existe pas de symptômes pathognomoniques négatifs qui excluraient
la présence d'une schizophrénie. On a voulu considérer le fait qu'une
maladie soit influençable par voie psychique comme représentant un
tel signe (Specht, 732, p. 554, et Gaupp). Mais nous voyons très fré-
quemment que même ce que nous appelons abêtissement schizophré-
nique est amélioré ou aggravé à un haut degré par des influences
psychiques.
Si des signes d'une autre psychose, paralysie générale par exemple,
sont présents, on abandonnera généralement le diagnostic de schizo-
phrénie, pour des raisons pratiques. Par contre, cela ne prouve jamais
qu'il n'existe pas, outre la maladie cérébrale organique, une démence
précoce. En effet, nous ne pouvons exclure chez quiconque une schizophrénie
latente, et ce tout aussi peu qu'une tuberculose pulmonaire latente.
C. L e diagnostic différentiel
Les difficultés et les signes distinctifs spécifiques par rapport aux au-
tres maladies seront seuls abordés ici. Si les signes généraux de schizo-
phrénie mentionnés précédemment sont présents de façon suffisamment
accusée, le diagnostic va de soi.
Pour l'instant, il n'est malheureusement pas encore possible de discuter
du diagnostic différentiel de la schizophrénie sans s'étendre sur la
symptomalologie des autres psychoses, dans la description desquelles
ce dont il est précisément question ici est insuffisamment pris en
compte.
a) La distinction symptomatologique de la schizophrénie et de la folie
maniaco-dépressive ne peut être faite qu'au moyen des symptômes schi-
zophréniques spécifiques ; ce qu'on observe dans la folie maniaco-dé-
pressive peut aussi se voir dans notre maladie ; ce qui est déterminant,
c'est seulement la présence ou l'absence de symptômes schizophréniques.
Une exaltation maniaque, une dépression mélancolique, et aussi une
alternance de ces deux états, n'ont donc encore aucune signification
diagnostique. On ne peut conclure à la folie maniaco-dépressive que
quand une observation suffisante n'a rien montré de schizophrénique.
D'une façon générale, le besoin d'activité est l'un des signes de manie
qui ne fait presque jamais défaut (abstraction faite des « cas mixtes »
de Weygandt), tandis que nous en voyons très peu dans les excitations
de la démence précoce. Brosius, déjà, a attiré l'attention sur le compor-
tement frappant du patient en cours d'abêtissement qui, après une
scène de destruction, reste debout, inactif, sur les débris, tandis que
le maniaque s'occupe activement à utiliser le matériel démoli. Ce n'est
que chez le schizophrène que sa façon de grimper, de tournoyer, de
détruire en permanence nous paraît totalement dépourvue de sens.
Dans le cas du maniaque, nous savons en règle à quoi il pense en le
faisant.
I l n'est pas toujours possible de distinguer du premier coup d'œil la fuite des
idées de l'incohérence schizophrénique, car ces deux anomalies ont quelque
chose de sans but. Il faut noter que la fuite des idées n'est pas dépourvue
de ligne directrice, mais que celle-ci change à chaque instanl. Comme, dans
le cas des sautes d'idées de la schizophrénie, tous les fils ne sont pas forcé-
ment rompus, nous avons souvent, dans cette perturbation, des associations qu'il
faut comparer à celles, superficielles, tonales et motrices 12 , de la fuite des idées,
et qui peuvent être identiques à elles dans certains cas. Mais le diagnostic peut
tout de même être fait dans la plupart des cas avec relativement peu de
matériel, parce qu'il peut manquer aux associations schizophréniques des fils
directeurs beaucoup plus nombreux qu'aux associations maniaques. D'où leur
bizarrerie, leur caractère insensé sans nul scrupule, tandis que la fuite des
idées met au jour des associations qui non seulement sont compréhensibles
même à un être normal, mais même surviennent fort fréquemment chez lui,
tout en étant alors habituellement réprimées (rime, mots complétés). Ainsi
des associations telles que « Absicht - in der Nacht », « Bitte - Bidet »,
« Ziegelboden - Zigeuner », « Schuh - Schonheit 13 » ne seront-elles possi-
bles, dans la manie, que dans des contextes tout à fait particuliers.
12. C'est-à-dire basées sur des assonances et sur des analogies phonatoires (NDT).
13. Il s'agit là d'associations par a s s o n a n c e pure, non explicables par le sens : « intention -
la nuit on ne voit rien », « demande - bidet », « carrelage - tzigane », « chaussure - beauté »
(NDT).
ment à cause du non-sens que représente le fait que le patienl veuille l'al-
lumer avec une cloche mais aussi, entre autres, parce qu'il y introduit sur
un ton cérémonieux le « 2 5 courant » commercial.
15. Association par assonance entre wonnig, délicieux, et wenig, peu (NDT).
16. Ou associations provoquées (NDT).
maniaque agit, plus d'un schizophrène excité ne fait que remuer ses
membres.
La distinction de l'inhibition et du barrage nous permet de séparer des
états schizophréniques les états stuporeux et dépressifs de la folie ma-
niaco-dépressive qu'autrefois on confondait avec eux. Les barrages ne
jouent aucun rôle dans ces derniers. Dans l'inhibition, altération et
ralentissement général des mouvements et de la pensée, avec affect
triste ; dans le barrage, fluctuations de la force et de la rapidité des
mouvements et de la pensée. Sur injonction, l'inhibé fait des mouve-
ments (tourner ses mains l'une autour de l'autre, compter) lentement,
sans énergie, incomplètement, en faiblissant rapidement ; celui qui a
des barrages n'obéit tout d'abord absolument pas, dans les cas pronon-
cés ; mais une fois la résistance surmontée, force et vitesse sont alors
généralement normales. Mais étant donnée l'aréactivité des formes hau-
tement stuporeuses de ces deux maladies, la distinction peut être pres-
que impossible, dans de rares cas. Le signe indiqué par Wernicke (804,
p. 4 4 8 ) peut alors être encore de quelque secours : les « mélancoli-
ques », même quand ils ne répondent pas, regardent généralement en-
core celui qui les interroge, tandis que les schizophrènes ne donnent
absolument aucun signe de compréhension, ou se détournent franche-
ment. Parfois aussi le barrage se différencie nettement de l'inhibition
en disparaissant aussitôt qu'il est possible d'attirer l'attention du ma-
lade sur un thème éloigné de ses complexes, tandis que l'inhibition se
manifeste même si on détourne l'attention, sauf dans des cas bénins.
* * *
17. J e ne peux pas encore caractériser de façon positive l'incohérence des états confusion-
nels de la paralysie générale et des troubles paralytiques généraux du langage (NDA).
tions les plus frappantes se produisent du côté des pulsions, ou des
affects, ce qui est la même chose. Le paralytique général, qui aimerait
bien faire de grandes choses, ne voit plus que les potentialités favo-
rables, les mauvaises n'existent plus pour lui. Aux stades plus tardifs,
il veut s'approprier un objet quelconque dans sa section ; il le vole
avec une mine circonspecte et le cache soigneusement sous ses vête-
ments... sous les yeux des infirmiers et des autres patients, qui à ce
moment n'existent pas pour lui. Le vieillard voudrait assouvir son ins-
tinct sexuel ; en l'enfant, il ne voit plus qu'une femme, il ne pense
plus à toutes les raisons morales qui s'opposent aux relations sexuelles
avec des enfants, et abuse du premier enfant qu'il rencontre. Ainsi est
également touchée, notamment, l'aperception d'événements qui se si-
tuent hors du champ de l'attention du patient, et donc l'orientation.
Il en va tout autrement chez le schizophrène. Ses associations sont éga-
lement limitées, mais du côté de complexes qui n'ont nul besoin d'être
actuels au moment présent. Une foule de pensées sont clivées et tout à
fait incapables d'entrer en contact associatif avec certaines autres. Mais
en dehors des voies barrées, les associations ne sont pas entravées ; plu-
sieurs complexes associatifs peuvent se dérouler côte à côte. C'est ainsi
que l'aperception inconsciente est tout à fait excellente1'®.
D'une façon générale les malades organiques sont des gens affectifs,
avec lesquels on a un rapport continu, qu'il soit hostile ou amical.
C'est ainsi qu'il font également montre d'une suggestibilité excessive
vis-à-vis de quiconque sait les prendre, ce qui contraste grandement
avec les schizophrènes.
* * *
* * *
c) Le diagnostic différentiel avec les idioties est très aisé dans la plu-
part des cas. Certes, il en est qui sont d'un autre avis, que Masoin
(454) exprime de la façon la plus drastique, puisqu'il conçoit la schi-
zophrénie comme une idiotie tardive et prétend que sans l'anamnèse
il ne serait pas possible de distinguer un hébéphrène au stade terminal
d'un idiot. Pourtant, la seule analogie de ces maladies est, en tout et
pour tout, que la pensée s'avère déficiente dans les deux cas.
De véritables difficultés surviennent quand la schizophrénie est peu
prononcée ou, comme il est si fréquent, quand elle se combine à l'im-
bécillité.
Chez les idiots, les associations qui nécessitent une réflexion complexe
ou qui sont inhabituelles ne sont pas formées. Un imbécile qui ne peut
pas additionner pourra encore moins soustraire ou même diviser, et
celui qui ne peut pas former le concept de parents à partir des deux
composantes père et mère sera sûrement incapable aussi de se repré-
senter quelque chose de clair sous le mot « patrie ». Le schizophrène,
par contre, peut tout aussi bien échouer dans des tâches intellectuelles
simples que complexes. Le barrage interrompt les voies selon de tout
autres lois. Ainsi le schizophrène, pour autant qu'il s'exprime par la
parole ou par l'action, peut-il toujours montrer encore qu'il a appris à
comprendre beaucoup de choses inaccessibles à l'idiot. Ses mouve-
ments, son langage, etc. n'ont absolument rien de commun non plus
avec l'idiotie.
L'affectivité des idiots et des imbéciles (je cite aussi ces derniers dans
ce contexte, en contradiction consciente avec les conceptions erronées
de Sollier) n'a pas d'analogie avec celle des schizophrènes. Certes, elle
fluctue dans de larges limites, mais elle n'est pas inhibée. Le médecin
a avec les idiots de son asile la relation d'un père avec ses enfants ;
mais la plupart des schizophrènes lui demeurent aussi étrangers que
des oiseaux qu'il nourrit.
Les agitations des idiots sont soit des accès de rage ou des excitations
hystériformes déclenchés par des situations qui lui sont incompréhen-
sibles, soit, sinon, des états crépusculaires analogues à l'épilepsie, avec
céphalées, symptômes vasomoteurs, etc., toutes choses qui n'ont rien
à voir avec la schizophrénie.
* * *
Parmi les sentiments, seuls font défaut dans l'idiotie morale les senti-
ments éthiques, mais ce de façon constante ; la stabilité du caractère
depuis la prime jeunesse prouve le trouble congénital ; on ne peut
naturellement rencontrer ici de signes proprement schizophréniques.
^ ^ ^
* * *
2 0 . C'est-à-dire avec des formes intégrées dans la paranoïa avant le démembrement de celle-
ci par Kraepelin (NDT).
de même, malgré les difficultés à se détacher d'une idée une fois
qu'elle a été abordée, et malgré la tendance aux répétitions. De plus,
l'épileptique agit dans le sens d'une représentation délirante 21 , tandis
que le comportement du schizophrène crépusculaire paraît fréquem-
ment dépourvu de finalité, el loujours inconséquent.
Le diagnostic différentiel ne devient difficile que quand les malades
ne se laissent pas examiner; ainsi en va-l-il dans l'irritabilité post-épi-
leptique, dans laquelle les patients restent allongés, inactifs, se retran-
chent de Penvironnemeni, répondent aux propos qu'on leur adresse par
des invectives ou des violences. Un tel tableau ne peut parfois pas
être immédiatement distingué du négativisme schizophrénique. Les ac-
cès de flexibilité cireuse en Lant que telle sont également communs aux
deux maladies. Il est toutefois important de savoir que ces accès ne
durent généralement que peu de temps dans l'épilepsie, d'un quart
d'heure à quelques jours au plus 22 , et dans la schizophrénie plusieurs
semaines ou mois en général.
Souvent, les épilepliques se replient eux aussi de plus en plus sur eux-
mêmes. Mais l'égocentrisme de leur mode de pensée se distingue tout de
même notablement de l'autisme des schizophrènes. On en arrive rarement
à une dénaturation de la réalité chez l'épileptique, et seulement dans des
conditions bien particulières, dans un cas donné, comme aussi chez d'au-
tres gens qui se laissent entraîner par leurs affects. (Il n'est pas question
ici des états crépusculaires.) L'épileptique replié sur lui-même prête peu
d'attention à la réalité, mais il n'entre pas en conflit de logique avec lui.
- L'entêtement épileptique n'est naturellement pas non plus un autisme.
2 1 . En cas de forte obnubilation, par exemple pendant et immédiatement après des crises,
la coordination motrice peut être si fortement perturbée que l'intention est difficile à établir
(NDA).
2 2 . Du moins n'ai-je pas vu, en ce qui me concerne, de flexibilité épileptique cl une duree
plus longue (NDA).
ment distingué des barrages. L'imprécision de l'aperception, le flou des
concepts difficiles et le trouble de la mémoire dans les cas évolués
sont d'autres différences par rapport à la schizophrénie.
Tout aussi différente est l'affectivité de ces deux maladies. Au lieu du
blocage schizophrénique des affects, nous voyons dans l'épilepsie des
sentiments faciles à provoquer et étonnamment persistants et profonds.
Nous ne trouvons d'indifférence qu'autant que les malades ne compren-
nent pas les situations, mais jamais à l'égard de leurs intérêts person-
nels, qui sont au contraire généralement beaucoup plus chargés d'affecl
que normalement. Il faut aussi rappeler l'amour objectai exagéré des
épileptiques, tandis que chez le schizophrène une indifférence souvent
extrême vis-à-vis de leurs possessions, petites et grandes, est de règle.
Aschaffenburg pense que l'on, est en droit de supposer qu'on peut ren-
contrer dans la démence précoce également les mêmes fluctuations af-
fectives que dans l'épilepsie, puisqu'on peut aussi observer des crises
d'épilepsie dans la première de ces maladies. Mais cette conclusion
n'est pas obligatoire car les crises d'épilepsie, correspondant à un mé-
canisme préformé, peuvent survenir dans les circonstances pathologi-
ques les plus diverses. Néanmoins, des dysthymies endogènes sont très
fréquentes dans la schizophrénie également - avec ou sans crises d'é-
pilepsie, et il est aussi des états qui se caractérisent par l'association
de symptômes des deux maladies.
Certains épileptiques peuvent parfois halluciner en dehors même des états
crépusculaires, visuellement notamment. Ce fait est parfois prétexte à confu-
sion avec la schizophrénie. - Des mouvements automatiques se voient dans
l'épilepsie aussi, et même le sentiment que les pensées du malade lui sont
faites de l'extérieur.
Je n'ai encore jamais vu le maniérisme des schizophrènes imiter cette
prononciation faisant traîner les syllabes accessoires (« chantante ») et
hésitante qui - quand elle est présente - est si caractéristique de l'é-
pilepsie ; de même, la prolixité pathologique fait défaut aux premiers 2 ' 1 .
* * *
2 3 . Il faut noter que Hecker insistait au contraire sur le souci du détail insignifiant et la
prolixité inconsistante de ses hébéphrènes (NDT).
Mais dans l'alcoolisme simple nous voyons des sentiments superficiels
et qui s'enflamment aisément, une euphorie, une tendance à se montrer
communicatif, une loquacité, un flou de la narration de ce qui a été
vécu ou lu, avec le besoin d'insérer dans le récit des commentaires
sur la causalité, tous symptômes qui sont étrangers à la schizophrénie.
Si l'alcoolisme s'est constitué sur fond de schizophrénie, les symptômes
de ces deux maladies s'associent. L'alcoolique replié sur lui-même,
avec lequel il est totalement impossible de discuter, qui traîne dans la
section sans nous exposer en toute occasion qu'il est à présent guéri
et qu'il lui est nécessaire de retrouver sa liberté, est un hébéphrène,
si des motifs particuliers et qu'on peut logiquement comprendre ne
l'induisent pas à ce comportement.
* * *
* * *
Mais ce qui nous paraît bizarre et est, de ce fait, souvent déterminant pour
notre diagnostic peut aussi être conditionné par les prédispositions ethniques
et par des conceptions de l'existence d'un type particulier. Par exemple, des
hystéries originaires de l'Orient nous paraissent parfois aussi bizarres que
des schizophrénies indigènes patentes.
* * *
* * *
* * *
Le pronostic
Puisque la schizophrénie peut se stabiliser à chacun de ses stades,
progresser ou présenter des syndromes aigus à tout moment, il est im-
possible de porter un pronostic spécifique précis. Des améliorations
sont théoriquement toujours possibles, même dans des états chroni-
ques ; il faut s'y attendre pour autant que les agitations chroniques
s'atténuent elles aussi avec le temps ; mais un accroissement de l'abê-
tissement s'y associe fréquemment. Sinon, des améliorations substan-
tielles d'états chroniques sont rares, et ne doivent donc pas être
escomptées. Les états aigus sont naturellement transitoires, mais ils
diminuent souvent notablement le niveau intellectuel.
En fait de règles qui nous permettraient, dans un cas donné, de dé-
terminer avec quelque certitude le degré futur de l'abêtissement, nous
ne connaissons que les suivantes, utilisables dans des cas relativement
peu nombreux :
Des symptômes catatoniques chroniques, s'ils sont marqués et apparaissent
alors que la lucidité de conscience est complète, font attendre un abêtisse-
ment définitif et grave. Dans des cas qui ont connu une ou plusieurs bonnes
rémissions, un abêtissement relativement important est rare. Font exception
à cette dernière règle les syndromes très aigus se répétant périodiquement,
qui finissent généralement par aboutir à un abêtissement très important.
Les cas d'obnubilation que j'ai observés ont tous eu une évolution très
grave.
Les petites différences de pronostic des divers sous-groupes sont citées
dans la partie qui traite de « l'évolution ».
L'hérédité, au sens large qu'a jusqu'à présent ce terme, l'âge, le sexe,
l'intelligence 1 , le nombre de signes de dégénérescence, la robustesse,
1. Néanmoins, les imbéciles deviennent plus facilement invalides socialement, par combi-
naison avec une « hébéphrénie greffée », que ceux qui ont toute leur intelligence. A l'asile
de Rheinau, au moins un cinquième de l'ensemble des schizophrènes sont notablement im-
b é c i l e s (NDA).
les diverses formes de la maladie, les divers symptômes et leurs dif-
férentes combinaisons ont un rapport si minime avec le trajet que la
maladie parcourra en direction de l'abêtissement que tous ces éléments
ne peuvent guère être pris en compte pour établir le pronostic. C'est
pourquoi nous devons nous contenter, au lieu du pronostic de trajet,
du diagnostic de trajet ; c'est-à-dire qu'il nous faut déterminer jusqu'à
quel point l'abêtissement « incurable » a déjà progressé, et combien
d'entre les symptômes actuels peuvent encore se résorber. Nous déter-
minons ainsi un degré minimum d'abêtissement. On ne peut plus s'at-
tendre à ce qu'une rétrocession de ce degré minimum entraîne une
amélioration. Mais un accroissement de l'abêtissement ne saurait ja-
mais être exclu.
Pour juger de la possibilité de rétrocession, il faut en premier lieu
garder présent à l'esprit le fait que le même symptôme a une significa-
tion plus grave s'il est une manifestation partielle d'un état chronique,
s'il a lui-même une évolution chronique, et s'il survient sur fond de lu-
cidité de la conscience.
Ces trois conditions ne se recoupent pas entièrement. Dans un état chronique,
tel ou tel symptôme, ou plusieurs d'entre eux, peuvent par moments apparaître
et disparaître de nouveau sur le mode aigu ; pendant un état aigu, des symp-
tômes peuvent persister, datant d'une période antérieure, ou apparaître alors
seulement, d'une manière extrêmement insidieuse. Le plus difficile est de
définir ce que j'appelle, avec Kraepelin, « lucidité », par manque d'un terme
adapté. Des crépusculaires, des confus, des maniaques, des mélancoliques
ne sont naturellement pas « lucides ». Mais, même quand ils sont agités en
permanence, des hallucinants chroniques se distinguent de façon tout à fait
essentielle de tels malades en ayant, sous certains rapports, un contact normal
avec leur environnement et en saisissant et évaluant correctement des sé-
quences cohérentes d'expériences. Chez eux, seule une partie de leur per-
sonnalité n'est pas lucide, et chez les patients de l'autre type c'est la
personnalité dans son ensemble. Un patient négativiste et autistique peut
n'avoir de nombreuses années durant de rapports avec son entourage qu'au-
tant qu'il prend la nourriture, les vêtements, etc. qui lui sont présentés, et à
côté de cela il peut être complètement mutique ; mais l'image qu'il a du
monde extérieur n'est altérée que pour autant que ses idées délirantes entrent
en jeu ; de même pour son cours de pensée, qui, en dehors des relations
complexuelles, n'est erroné que çà et là, du fait de la perturbation générale
schizophrénique des associations, mais n'est pas systématiquement altéré. Un
malade dont le langage est incohérent peut se déplacer normalement dans la
section et, d'une façon générale, montrer qu'il est orienté dans la situation
d'ensemble. Ce n'est que quand l'ensemble de la personnalité, ou tout au
moins sa partie de loin la plus importante, est impliquée sur le plan affectif
ou intellectuel dans l'état pathologique que le malade n'est pas lucide, en
ce sens du terme. Chez des patients habituellement lucides, la lucidité peut
en outre disparaître transitoirement du fait d'états d'excitation importante,
qu'ils soient déterminés de façon endogène ou exogène, par l'alcoolisme ou
autre.
Pour évaluer le pronostic des états aigus, il suffit d'utiliser ce qui vient
d'être mentionné. Ce qui est aigu est transitoire. D'où le bon pronostic
des états crépusculaires, des formes délirantes hallucinatoires aiguës, et
surtout des diverses psychoses affectives, tant que peu de symptômes pro-
prement schizophréniques s'y associent. Nous ne pouvons dire si l'abê-
tissement progressera pendant leur évolution ou immédiatement après.
Nous savons seulement que les états crépusculaires et certains états
d'agitation n'indiquent pas forcément une poussée de la maladie et, de
ce fait, sont généralement suivis du statu quo ante, tandis que les autres
Dans le sens négatif, Vanamnèse peut fournir des indicateurs très im-
portants. On peut en effet tabler avec assez de vraisemblance sur le
fait que le malade ne sera pas mieux après l'accès aigu qu'avant ;
généralement, il paraîtra ensuite plus stupide ou plus « dérangé ». Un
état grave au long cours avant l'accès exclut donc une issue favorable
avec passablement de certitude.
Que le sens du tact fasse encore défaut au cours d'un état qui permet-
trait de s'attendre à des relations naturelles avec des gens corrects est
aussi un signe grave. De la malpropreté, un laisser-aller chez des pa-
tients de la bonne société, voire des obscénités chez une femme pré-
cédemment convenable, sont des indices sûrs d'une profonde altération.
Si la fin de l'accès aigu est confirmée par une prise de poids, celui-ci
doit évoluer de façon à peu près parallèle à l'amélioration psychique
dans les cas favorables.
Dans les états chroniques, le diagnostic de l'état d'abêtissement est plus
simple, parce que celui-ci n'est pas masqué par des symptômes contin-
gents. Néanmoins, on peut aisément confondre l'isolement conscient
d'un malade de son entourage avec un désintérêt 3 ; une attitude hostile
consécutive à des idées délirantes simule souvent une aperception gé-
nérale erronée de l'environnement.
C'est quand des malades abêtis restent tout à fait identiques quelques
années durant, ne présentent pas de symptômes aigus, et ne réagissent
pas à un changement de traitement et d'environnement qu'une amélio-
ration me semble le plus sûrement exclue. Tant que les états se mo-
difient, on ne peut exclure de larges améliorations. Mais si un patient
périodique passe à une autre phase, il ne faut pas concevoir cela
comme une modification de son état.
Des jeunes gens qui traînent, inactifs et sans ressort, qui présentent
une très mauvaise innervation vasculaire 4 , qui ne sont pas capables de
souscrire aux reproches qu'on leur fait sur leur comportement et, de
toute façon, n'en ont cure, doivent sans doute être tous considérés
comme perdus, bien qu'ils puissent encore devenir capables d'un tra-
vail subalterne à l'intérieur d'un asile quelques années plus tard. D'une
façon générale, on a souvent l'impression, chez des schizophrènes qui
nous sont amenés quelques années après le début (de la maladie), que
les cas à début extrêmement insidieux sont particulièrement défavora-
bles. Mais si l'on explore le passé des légères atteintes tardives qu'un
F r é q u e n c e et diffusion
La démence précoce est la maladie mentale la plus fréquente, abstrac-
tion faite du groupe des idioties dans leur ensemble.
Albrecht en a trouvé 2 9 % sur 6 9 3 malades mentaux, Wolfsohn 30 %
sur 2 2 1 5 admissions du Burgholzli (23 % chez les hommes et 3 9 %
chez les femmes). Au cours de ces dernières années, la proportion de
schizophrènes s'est encore élevée de quelques pour cent, les conditions
s'étant un peu modifiées (mise en service de nouveaux bâtiments dans
l'asile de chroniques). Le nombre absolu de schizophrènes hommes
admis est dans un rapport de 47/53 à celui des femmes ; la grande
différence entre les sexes par rapport aux autres psychoses provient
donc non tant d'un moindre nombre de schizophrènes que d'un surplus
de paralytiques généraux et d'alcooliques chez les hommes.
Comme les schizophrènes sont incurables pour une assez grande part
d'entre eux, qu'ils tombent malades jeunes et qu'ils meurent vieux, ils
sont encore plus prédominants dans l'effectif des asiles de fous que
parmi les admissions ; dans notre asile de soins actifs, ils représentent
71 % des hommes et 79 % des femmes - soit 75 % de l'ensemble des
malades. Dans l'asile de chroniques, leur pourcentage baisse à 50 %
du fait des idiots.
Aussi l'importance sociale de cette maladie est-elle tout à fait énorme ;
elle attire cependant moins l'attention que la paralysie générale, parce
qu'elle atteint la plupart des malades avant qu'ils ne se soient fait une
situation dans l'existence. Un schizophrène qui doit être pris en charge
de son adolescence à sa mort coûte souvent à sa famille toute sa for-
tune. Cette maladie apparaît sous un jour encore plus funeste si Ton
songe qu'un grand nombre de psychopathes non considérés comme des
malades mentaux qui tiennent en haleine leurs familles et la société
et de névropathes qui occupent les médecins sans trouver la guérison
sont des schizophrènes latents. J'ai motif à supposer que ces schizo-
phrènes non décelés sont bien plus nombreux encore que les malades
mentaux patents.
Nous ne connaissons pas encore de différences de réceptivité à cette
affection entre les diverses races, encore que celles chez lesquelles la
sélection naturelle n'est pas entravée comptent bien moins de malades
mentaux. Chez les Malais (Kraepelin), les Japonais (Miyake), les Cen-
trasiatiques (Urstein), la schizophrénie est la psychose prépondérante,
comme chez nous.
On ne sait pas encore dans quelle mesure la race et les conditions extérieures
influencent la forme que revêt la maladie. Si notre conception de la genèse
des symptômes est juste, on doit pouvoir trouver des différences sous ces
rapports. Ziehen a remarqué que sa dementia hebephrenica se rencontrerait
beaucoup plus fréquemment en Hollande qu'en Thuringe. Kraepelin a (d'après
une communication orale) trouvé plus rarement des formes catatoniques mar-
quées et plus fréquemment l'abêtissement radoteur chez les Malais que chez
nous. Il est certain par ailleurs que des caractéristiques raciales s'expriment
au travers de la maladie. Les Anglais sont plus calmes que les Irlandais, les
gens de Haute-Bavière plus violents que les Saxons ; il est même facile de
constater une différence entre les Bernois et les Zurichois, qui sont apparen-
tés de si près.
Neuvième partie
Les c a u s e s
A. La pathologie de la schizophrénie ne nous donne pas de points de
repère nous indiquant où nous devons chercher les causes de cette
maladie. La recherche directe de facteurs de causalité spécifiques nous
a également fait faux bond. Nous savons pourtant que des « maladies
mentales » sont plus fréquentes dans les familles de schizophrènes
que dans celles de sujets sains ; il est fréquent aussi que nous
voyons la majeure partie des membres d'une famille nombreuse tom-
ber malades. Mais si un « infectionniste » veut dire qu'en fait de
cause commune il n'y a pas, dans la schizophrénie, d'hérédité mais
seulement une infection, ou si quelqu'un suppose que l'ensemble
des événements vécus psychiques ou physiques serait cause de ces
augmentations de fréquence de la maladie chez ceux qui vivent avec
les patients, nous ne pouvons pas lui fournir de preuve du contraire.
De tels sceptiques peuvent ajouter que, dans de nombreux cas, on
ne peut mettre en évidence ni constitution héréditaire, ni prédisposi-
tion individuelle (telle qu'un caractère renfermé), malgré des investi-
gations tout à fait minutieuses.
2 . Les d o n n é e s se rapportent toujours aux père et mère et à leurs frères et sœurs, aux
grands-parents et aux frères et sœurs des malades. - Les chiffres portant sur la schizophrénie
sont empruntés au travail de Wolfsohn, en partie sous une forme r e m a n i é e pour nos besoins,
il est vrai (NDA).
3 . Pour Diem, sont « sains » les non-malades mentaux, déduction faite des nerveux ou des
psychopathes compris dans c e dernier groupe (NDA).
4 . 1 8 à 1 9 % seulement selon K r a e p e l i n ( 3 8 8 , p. 2 7 0 ) (NDA).
5. C ' e s t - à - d i r e en ligne c o l l a t é r a l e et en ligne directe (NDT).
Pour l'incidence héréditaire d'autres facteurs, les différences de mode
de comptabilisation chez Diem et chez Wolfsohn revêtent sans doute
une plus grande importance ; les chiffres de Diem doivent être trop
faibles, selon nous.
Il n'est pas certain qu'on puisse arguer avec certitude de cette hérédité
névrotique en faveur de l'existence d'une hérédité hétérogène, c'est-à-
dire d'une prédisposition familiale pouvant s'extérioriser sous la forme
d'une névrose aussi bien que d'une schizophrénie. Car il est vraisem-
blable qu'une grande partie de ces anomalies qualifiées de maladies
nerveuses étaient des schizophrénies latentes.
6. B e r t s c h i n g e r (p. 2 7 0 ) trouve d a n s 2 4 9 c a s un a l c o o l i s m e d e m e m b r e s d e l a f a m i l l e en
général, chez 151 patients dont 2 5 ont en o u t r e u n e hérédité marquée par u n e maladie
m e n t a l e (NI)A).
7. Fuhrmann (p. 8 1 7 ) pense que l'alcoolisme des géniteurs occasionnerait chez leurs des-
cendants des troubles qui seraient analogues aux psychoses alcooliques mais conduiraient
ensuite rapidement à l'abêtissement (NDA).
On a trouvé des caractères anormaux dans la parentèle de schizo-
phrènes dans 22 % des cas, dont 7 % en tant que seul et unique facteur
héréditaire, mais chez respectivement 10,4 % et 10,1 % des non-ma-
lades mentaux et des sujets sains de Diem.
L'apoplexie et la démence sénile ne peuvent avoir de signification en
tant que signes d'une hérédité schizophrénique, car ces anomalies sont
présentes en plus petit nombre dans l'ensemble des maladies mentales
que chez les sujets sains, et la schizophrénie représente une part im-
portante de l'ensemble des maladies mentales.
La prédisposition héréditaire joue donc sûrement un rôle important par-
mi les causes de la schizophrénie. Mais nous ne savons pas en quoi
consiste cette prédisposition, ni de quelle façon elle pourrait s'exprimer
par ailleurs ; elle semble être spécifique de la schizophrénie.
Existe-t-il, à présent, des schizophrénies sans constitution héréditaire ?
Vraisemblablement. En tout cas, dans environ 10 % des cas l'on ne
peut mettre en évidence aucune prédisposition malgré une connais-
sance apparemment précise de l'histoire familiale jusqu'à la troisième
génération ou même au-delà. A ceci s'ajoute qu'une part notable des
malades tenus pour « tarés » ne le sont absolument pas par la prédis-
position schizophrénique.
On a, notamment en France, mis les maladies mentales, et donc la schizophrénie,
en rapport avec d'autres prédispositions familiales, telles que la prédisposition
rhumatismale et la prédisposition scrofuleuse. Il suffira d'attirer l'attention, ici,
sur le fait que de telles conceptions n'ont absolument aucun fondement solide
pour le moment. Lomer (p. 390) suppose qu'il est possible qu'en cas de potentiel
de transmission héréditaire spécifiquement psychopathique relativement impor-
tant du père ce soit principalement le complexe catatonique qui se constitue, et
qu'en cas de potentiel semblable de la mère ce soit principalement le complexe
hébéphrénique. Selon lui (p. 389), une combinaison de maladie mentale et d'al-
coolisme des père et mère prédispose aussi à la catatonie (voir ci-dessus Fuhr-
mann), et une combinaison de maladie mentale et de neurasthénie à
l'hébéphrénie. Je n'ai pas d'opinion sur l'importance du potentiel de transmission
héréditaire strictement psychopathique. En revanche, nos observations nous ont
montré que l'hérédité n'a, selon les principes actuels, aucune relation décelable
avec la forme sous laquelle se manifeste la maladie.
Il est singulier que, dans son délire chronique, qu'il nous faut ranger dans la
schizophrénie, Magnan n'ait pas trouvé de dégénérescence, concept chez lui
inséparable de l'hérédité psychotique.
Peut-être existe-t-il aussi une prédisposition qui serait défavorable à l'éclo-
sion de la schizophrénie. D'après certaines compilations, des « maladies ner-
veuses » se voient plus rarement dans les familles schizophréniques que dans
la parentèle de sujets sains (Koller : comparer aussi Wagner von Jauregg).
Tant que le concept de maladies nerveuses et la statistique elle-même seront
aussi mouvants qu'ils le sont, on fera sans doute bien de garder la plus grande
prudence en formulant de telles hypothèses.
8. La maladie devient rarement manifeste pendant l'enfance. Il est cependant des cas que
l'on doit faire remonter jusqu'aux premières années de l'existence, sous le nom de schizo-
phrénie originaire (NDA).
Chez Kraepelin, 6 0 % des cas sont tombés malades avant l'âge de 25
ans ; chez nous 4 4 % seulement. Mais j e ne souhaite pas accorder
d'importance à ces différences, ne serait-ce que parce que de tels chif-
fres sont fonction, entre autres, des conditions de l'admission et de
l'exactitude des anamnèses. C'est pourquoi j e ne cite pas d'autres re-
cherches.
La seule chose qui me paraisse encore digne d'être notée, c'est que
dans le matériel de Wolfsohn la courbe des hommes décroît régulière-
ment du maximum à la cinquième décennie de l'existence, tandis que
celle des femmes présente, entre 4 5 et 50 ans, une petite augmentation
d'autant plus significative que les deux lustres qui suivent sont encore
plus fortement pourvus que chez les hommes. Sans doute s'agit-il de
l'influence du retour d'âge, qui est plus prévalente dans l'esprit féminin
que chez l'homme, qui n'a pas encore besoin de faire des renonce-
ments, même à cet âge.
Les divers groupes de la maladie se comportent inégalement, 72 % des
formes hébéphréniques simples, 6 8 % des formes catatoniques et seu-
lement 4 0 % des formes hébéphréniques se déclarant (selon Kraepelin)
avant l'âge de 2 5 ans.
C. On peut se demander s'il existe une prédisposition individuelle. Bien
des futurs schizophrènes sont, à n'en pas douter, « singuliers », en re-
trait, autistiques dès leur jeunesse. Mais il est impossible pour le mo-
ment de déterminer si ce comportement est l'expression d'une
prédisposition ou de la maladie elle-même, débutant insidieusement.
L'intelligence n'est en tout cas pas en rapport avec la prédisposition.
Elmiger et Lugano ont constaté un nombre véritablement étonnant de
bonnes dispositions, tandis que nous avons nous-même pu exclure tout
au moins une prédominance d'intelligences inférieures.
Bertschinger a remarqué qu'il y aurait de nombreuses personnes ché-
tives et petites parmi les malades. J'ai eu moi aussi la même impres-
sion, depuis longtemps déjà ; mais on peut aisément se tromper devant
ces personnages apathiques, en retrait, et une recherche authentique
nous fait défaut.
La schizophrénie semble être indépendante des circonstances exté-
rieures. Elle se voit dans la pauvreté et dans l'abondance, dans toutes
les conditions, réglées et déréglées, heureuses et malheureuses. Ville
et campagne l'hébergent de la même façon (Gaupp 258). Il y a aussi
des schizophrènes sous tous les climats. Sur l'influence de la race, voir
p. 427.
Soukhanoff trouve une « constitution idéo-obsessive » chez les « dégénérés ».
Sans doute n'y a-t-il pas grand-chose à tirer de cette notion.
On a aussi dit, depuis des décennies, que des gouvernantes, notamment, de-
viendraient facilement schizophrènes. On a carrément parlé d'une « psychose
des gouvernantes », ou bien l'on a prétendu que les gouvernantes étaient
atteintes avec une particulière gravité (et sous une forme déplaisante). Sans
doute y aura-t-il un peu de vrai là-dedans, dans la mesure où des jeunes
filles qui veulent s'élever au-dessus de leur condition et n'y parviennent ce-
pendant pas, et dont beaucoup doivent être prédisposées à la schizophrénie,
deviennent volontiers gouvernantes, et où la façon dont on traite ces per-
sonnes donne bien souvent suffisamment motif à déterminer une schizophré-
nie9. Néanmoins, encore faudrait-il d'abord déterminer si les gouvernantes
tombent vraiment malades en plus grand nombre que des membres d'autres
professions.
Sans doute la masturbation a-t-elle été de tout temps l'une des causes les
plus fréquemment citées des « psychoses juvéniles ». On prétend même mettre
certaines formes de notre maladie en rapport avec cela. Il est certes vrai que
presque tous nos malades se masturbent ou se sont masturbés. Mais si l'on
y regarde de plus près, on ne trouve aucun rapport avec le déroulement de
la maladie. Des masturbateurs tout à fait excessifs, qui se masturbent pour
ainsi dire en permanence, guérissent pourtant de leurs accès aigus ou en
restent des décennies durant au même degré d'abêtissement. La castration
n'a pas d'influence directe sur la maladie. Nous devons donc concevoir la
masturbation comme un symptôme et non comme une cause de la maladie,
pour autant qu'elle aurait un rapport avec elle. A vrai dire, la première chose
qui entre en ligne de compte, c'est qu'étant donné le manque de pudeur la
masturbation existante parvient beaucoup plus rapidement à la connaissance
de l'observateur qu'il n'est habituel. Mais, en second lieu, la chute des in-
hibitions favorise directement l'onanisme, et surtout c'est l'autisme qui
contraint les malades à l'autosatisfaction. Ce n'est que dans le domaine sexuel
qu'il est possible d'exaucer dans une certaine mesure ses souhaits d'une façon
autistique ; pour le malade, sa bien-aimée imaginaire est plus qu'une maî-
tresse réelle, c'est pourquoi la relation sexuelle normale est relativement si
peu recherchée 10 , et c'est pourquoi l'activité sexuelle des malades, même peu
avancés dans leur évolution pathologique, se cantonne presque exclusivement
dans le domaine de l'assouvissement onaniste.
11. Pour autant que c'est le retour de couches qui est pris en considération, on peut aisément
prouver que Reichhardt a tort : la puerpéralité dure environ le dixième de la grossesse. Mais
il arrive à l'asile peut-être dix fois plus de psychoses puerpérales que de psychoses gravi-
diques ; el il n'y a pourtant pas plus de puerpéralités que de grossesses (NDA).
12. Roubinowitch et Levaditi ont récemment trouvé trois cas de Wassermann positif dans
le sérum de 15 schizophrènes (NDA).
Un « surmenage » est très fréquemment cité comme cause d'une schi-
zophrénie, même par des psychiatres prudents. Je n'ai jusqu'à présent
jamais rien vu qui fût en faveur d'une telle corrélation. Des paresseux
tombent tout aussi bien malades que des gens laborieux. Mais il arrive
souvent que des schizophrènes, au premier stade de la maladie, déve-
loppent une ardeur au travail qui ne prend en compte ni les cir-
constances ni l'efficience, ou que ce soit justement la baisse de
l'efficience qui rende un plus grand effort nécessaire. Le « surmenage »
est alors un symptôme, et non une cause de la maladie. Il est néan-
moins beaucoup plus fréquent qu'il ne soit qu'une excuse de la maladie
et de la constitution familiale, de la part des proches, ou une excuse
pour l'ignorance des causes, de la part du médecin.
D'une façon analogue, certaines tendances, certains modes de vie, cer-
taines « passions » se voient imputer la genèse de la maladie. L'un
serait tombé malade parce qu'il a embrassé la trépidante carrière d'ac-
teur, l'autre parce qu'il a mené une existence si déréglée, parce qu'il
n'a cessé de changer de métier, le troisième parce qu'il est passionné
de voyages. Si l'on y regarde de plus près, on ne trouve pas la moindre
raison qui justifie une telle hypothèse. Les schizophrènes tiennent
moins compte de la réalité, pour le meilleur comme pour le pire, leur
autisme les rend plus indépendants dans leur pensée et dans leur ac-
tivité ; ils sont plus facilement enclins à mettre une idée à exécution
que d'autres, qui en sont empêchés par de bonnes et mauvaises raisons,
par esprit grégaire, par suggestibilité vis-à-vis du mode de pensée de
la majorité et, d'une façon générale, par une capacité d'adaptation au
milieu tel qu'il est supérieure. Tous les mouvements nouveaux attirent
d'abord dans leurs rangs les schizophrènes latents, et sont à la fois
promus et mis en danger par eux. Ainsi peut-on expliquer que plusieurs
des adeptes du « Sturm und Drang u » soient « devenus » malades men-
taux, mais non pas parce que leur participation à ce mouvement les
aurait rendus malades.
13. Mouvement littéraire allemand (vers 1 7 6 5 - 1 7 9 0 ) tirant son nom du titre d'un drame de
Klinger et marqué par l'influence de Rousseau et la réaction contre le rationalisme.
On ne saurait encore déterminer avec certitude s'il existe même des
causes psychiques de la schizophrénie ; mais vraisemblablement faut-il
répondre par la négative. Si les anamnèses sont bien faites, on trouve
d'une façon si régulière des signes de la maladie antérieurement au
trauma psychique qu'il devient difficile d'accorder à celui-ci une valeur
causale. Et dans la plupart des cas il est également évident d'emblée
que la relation amoureuse malheureuse, la rétrogradation d'emploi, etc.
étaient la conséquence et non la cause de la maladie, pour autant qu'il
y aurait le moindre rapport.
Nous supposons donc non pas qu'une chute dans l'eau ait été la cause
de la schizophrénie qui a suivi mais, si cette chute ne constituait pas
déjà un symptôme, que la peur a entraîné l'esprit déjà altéré à une
réaction anormale 15 .
14. Ici, la séquence est donc décrite sous la forme : conditions anormales + réaction normale
—» résultat anormal, d'où symptôme pathologique secondaire (NDT).
15. Nouvelle contradiction apparente avec le paragraphe précédent. En fait Bleuler appelle
« réaction » tantôt le mécanisme de la réaction, qu'il estime être normal, et tantôt son résultat,
c'est-à-dire le symptôme pathologique (NDT).
Il en va de même si la maladie manifeste apparaît après une rencontre
fortuite avec l'ancienne fiancée et réapparaît ensuite à la même occa-
sion, après quelques années de bonne rémission.
Il nous faut aussi concevoir de la même façon la plupart ou l'ensemble
des psychoses carcérales schizophréniques, dans le cas desquelles une
authentique poussée de la maladie est sans doute, il est vrai, fort sou-
vent co-déterminante.
La façon dont les motifs psychiques peuvent agir apparaît, par exemple, dans
un cas où un médecin a été atteint d'un accès de catatonie respectivement
pendant ses deux examens de propédeutique et avant son examen final. Un
homme considéré comme normal a été atteint à quatre reprises de légères
idées délirantes à l'occasion de son service militaire. Un ingénieur a présenté
des accès hallucinatoires quand il a été coffré pour des motifs politiques, et
des accès identiques quand sa femme a divorcé. Une dame qui était encore
en état de rester chez elle présentait un état d'agitation à chaque fois qu'on
lui refusait quelque chose, par exemple prendre part à un bal ou à une réu-
nion en société. Ce dernier cas montre la transition avec les états d'agitation
passagers à l'occasion d'une contrariété quelconque, si fréquents à l'asile.
L'induction mérite une attention particulière. Un jour, on a amené au
Burghôlzli quatre frères et sœurs qui avaient les mêmes idées persé-
c u t é e s et religieuses. Il s'avéra qu'une des sœurs, la plus intelligente
des quatre, était d'abord tombée malade et avait communiqué ses idées
délirantes aux autres. Elle s'abêtit de façon assez importante et pré-
senta par la suite des symptômes catatoniques. La deuxième sœur par-
vint à sortir mais dut être réadmise par la suite. Les deux frères se
maintinrent à l'extérieur après leur sortie. Il est indubitable que les
deux sœurs souffrent d'une authentique schizophrénie ; mais nous
avons aussi une bonne raison de supposer que les deux frères sont
également schizophrènes, non seulement parce qu'ils n'ont pas complè-
tement guéri par la suite, mais aussi parce que la façon dont ils me-
naient leur existence, même auparavant, l'indiquait déjà. Dans une
autre famille, la mère a transmis ses idées de grandeur à ses deux
filles, dont l'une était nettement schizophrène et l'autre se laissa
convaincre de la fausseté de ses idées puis ne présenta plus de symp-
tômes pathologiques.
Nous devons donc envisager la possibilité qu'un malade énergique
puisse suggérer ses idées délirantes à d'autres membres de la famille,
si elles sont à l'unisson des complexes (souhaits et craintes) de ceux-ci.
Mais cela n'aboutira à la constitution d'une schizophrénie que si cette
maladie est par ailleurs présente chez l'individu. L'induction n'a en ce
cas pas déterminé la maladie en tant que telle, mais ses idées déli-
rantes, et par là-même, peut-être, l'éclosion manifeste de la maladie
également.
Naturellement, on a décrit tous les événements possibles dans une existence
humaine comme étant des causes des psychoses à présent rangées dans la
schizophrénie. On nous adresse « une manie religieuse, causée par une af-
fection utérine », et il suffit de noter que nous n'avons pas l'ombre d'un
indice qui nous permette de mettre la schizophrénie en rapport direct avec
l'affection génitale (sous réserve de la voie psychique, telle qu'on l'a exposée
plus haut). - Le respect du lecteur interdit d'entrer dans des considérations
telles que celle selon laquelle la maladie proviendrait de ce que les jeunes
gens n'arrivent plus à suivre (Journal of mental sciences, 1904, p. 272).
Dixième partie
La théorie
Chapitre premier
La théorie
des symptômes
Sans doute la psychopathologie de la schizophrénie est-elle l'une des
plus attrayantes, car elle permet les aperçus les plus variés sur les
rouages de l'esprit, tant malade que sain. Certes, il est tout aussi peu
possible ici que dans le cas d'autres psychoses de se tirer d'affaire
sans hypothèses. Afin d'éviter la prolixité, on doit cependant s'en re-
mettre au lecteur, dans l'exposé qui suit, pour y ajouter à chaque fois
par la pensée les réserves nécessaires ; j'espère ne pas lui avoir rendu
cette tâche trop ardue. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que,
même dans le cas où nos hypothèses seraient justes, seul un petit nom-
bre d'entre tous les mécanismes qui concourent à la symptomatologie
de la maladie seraient connus. A l'inverse, il va de soi que nul ne
peut prétendre expliquer dès à présent l'ensemble des symptômes, ni
même la majeure partie d'entre deux.
1. Versetzung : il s'agit d'un transfert d ' u n e section dans une autre ou d'un asile dans un
autre (NDT).
2. Il est certes des gens qui s'imaginent qu'un stimulus cérébral quelconque pourrait exciter
les systèmes (ou, horribile dictu, les diverses cellules) dans lesquels la représentation des
jésuites ou d'une menace précise serait « stockée ». Ceci est à peu près aussi vraisemblable
que si l'on voulait faire entendre un poème par stimulation mécanique du nerf acoustique
(NDA).
A. Les symptômes p r i m a i r e s
6. Et chez les schizophrènes la différence entre réalité et représentation est de toute façon
diminuée - souvent jusqu'au degré zéro - par la scission de l'esprit (NI)A).
7. Il existe cependant dans la migraine une inégalité pupillaire dans le cas de laquelle point
n'est besoin d'envisager un fondement organique (NI)A).
naces et le vertige qui accompagnent souvent la maladie et, plus sou-
vent encore, la précèdent.
Les anomalies du système vasomoteur pourraient avoir un déclenche-
ment secondaire. Mais elles n'ont souvent aucun rapport avec les trou-
bles de l'affectivité, ou encore elles se cantonnent à certaines parties
du corps seulement, si bien qu'on a l'impression qu'une partie d'entre
elles seraient un symptôme direct d'un trouble siégeant dans le système
nerveux central.
Il faut concevoir les œdèmes de la même façon. Une partie d'entre eux
semblent être directement conditionnés par le processus morbide.
Certains accès catatoniques paraissent avoir aussi une détermination or-
ganique, en particulier s'ils sont suivis d'une parésie de certains groupes
musculaires. Une origine psychogène semble exclue dans bon nombre
d'entre eux, si l'on fait totalement abstraction du fait que les accès sont
souvent impossibles à distinguer des attaques d'épilepsie et d'apoplexie.
Avec ces hypothèses probables, sans doute a-t-on dit tout ce que nous
savons des symptômes primaires de la schizophrénie.
8. Le fait qu'un symptôme dépende de l'état psychique n'est pas une preuve de sa genèse
secondaire dans tous les cas : au cours des états d'agitation, les hypnotiques ont une action
médiocre ou nulle ; une narcose est influencée par l'état psychique. Qui est ivre peut devenir
subitement lucide, après s'être rendu compte du désastre qu'il a causé (NI)A).
où les fonctions complexes et moins utilisées dépérissent plus volon-
tiers que les autres. Bien qu'un tel comportement puisse être mis en
évidence dans certains cas aigus, et parfois 9 , en observant très minu-
tieusement, dans des états chroniques, c'est pourtant une tout autre
scission qui saute bien plus souvent aux yeux : des choses tant simples
que complexes sont décomposées sans aucune règle apparente ; le cas
échéant, les associations les plus évidentes sont réprimées, alors qu'à
côté de cela des fonctions telles que la compréhension de problèmes
scientifiques se déroulent impeccablement. Ce type de scission a ses
lois, purement psychiques : sont perturbées les fonctions qui entrent en
conflit avec certains besoins affectifs du patient.
Dans les cas de moyenne gravité, l'affectivité est perturbée d'une façon
qui ne saurait correspondre à un affaiblissement général de la fonction :
certains affects sont présents, les autres non, et le choix en est tel que
la présence des uns ne peut s'expliquer qu'à partir de causes psychi-
ques. Tant les divers affects que l'état global de l'affectivité se modi-
fient aussi au fil du temps, en fonction de la constellation psychique
et des stimulations.
9. Zweiten, dans l'édition dont j e dispose, sans doute coquille typographique pour zuweilen
(NDT).
10. Dans la faiblesse mnésique sénile, nous voyons d'une façon analogue la remémoration
échouer d'abord et le plus souvent là où elle est chargée de sentiments désagréables. De
même, tel paralytique général peut encore fort bien s'orienter, à part le seul fait qu'd consi-
dère le fatal asile de fous comme un hôtel, malgré toutes les preuves contraires. - Un léger
état irritatif du larynx n'entraîne pas forcément une toux. Celle-ci n'est déclenchée que par
l'inspiration d'un air impur ou par une situation psychique désagréable (NDA).
Dans les cas légers, nous voyons souvent un hyperfonctionnement de
l'affectivité, et non seulement une susceptibilité, mais aussi une émo-
tivité globale.
Une étude plus précise de l'affectivité en général, chez les êtres hu-
mains et chez les animaux, chez les gens sains et chez les malades,
semble exclure à coup sûr une annihilation isolée d'une fonction aussi
primaire.
Il est absolument évident que les troubles de la mémoire et de l'orien-
tation que l'on connaît et qui, pour autant que cela se produit, se
manifestent exclusivement dans le sens de certains complexes, sont
secondaires. Il en va de même pour les automatismes (y compris les
idées compulsives), qui ne peuvent survenir que sur la base d'une cer-
taine autonomie.
Il n'est pas davantage nécessaire de prouver que les troubles des fonctions
complexes de l'intelligence (stupidité et idées délirantes), de la synthèse de
la personnalité, du rapport à la réalité (autisme) et de iaspiration à un
but (imprévisibilité, aboulie) ne sont compréhensibles qu'en relation avec
les symptômes secondaires déjà cités, et sont donc eux-mêmes, pour leur
plus grande part, des phénomènes secondaires. Le négativisme est sûre-
ment, lui aussi, un phénomène secondaire fort complexe.
Comme on l'a exposé plus haut, il y a encore un certain nombre de
symptômes dont la genèse nécessite certains mécanismes secondaires,
mais dans le cas desquels nous sommes en outre forcés, pour le mo-
ment, de présumer une autre cause, qu'on ne saurait qualifier que de
tendance primaire : en font partie les hallucinations, les stéréotypies,
la catalepsie.
Nous ne pouvons certes pas encore faire découler avec une impérieuse
nécessité la grande majorité des symptômes secondaires du trouble des
associations conçu comme étant primaire, mais nous pouvons pourtant
les rassembler provisoirement selon des points de vue homogènes.
Dans la schizophrénie, les voies associatives acquises ont perdu de leur
solidité : des associations que l'on fait habituellement de façon régulière
n 'ont pas lieu ; à leur place est associé un matériel qui, normalement,
n'est pas en rapport avec l'idée de départ. Des relations aussi rigou-
reuses que celles qui existent entre les diverses parties d'un concept
peuvent rester inutilisées ; à leur place, des voies tout à fait nouvelles
peuvent être (mais pas forcément) employées : dans un contexte donné,
le père pense être lui-même la mère de ses enfants, ignorant des at-
1], Et peut-être aussi par des besoins affectifs dans le sens de la censure du rêve de Freud
(NDA).
12. Voir glossaire.
tributs nécessaires de sa personne et les remplaçant par des attributs
de sa femme. Les différences existant dans l'affinité associative ne sont
cependant jamais totalement suspendues. Même dans les cas les plus
graves, la majorité des associations suivent leurs voies usuelles ; car,
toujours, d'innombrables concepts et fragments d'idées à peu près
exacts se forment encore. Nous ne savons qu'en partie sous quelles
influences et selon quelles règles naissent ces anomalies : bien des
associations schizophréniques nous paraissent « fortuites ». Nous
voyons cependant que des effets systématiques des affects rompent de
nombreux fils associatifs et en nouent d'autres. Au lieu des concepts
et des idées, ce ne sont souvent que certains de leurs fragments, ou
encore des conglomérats de tels débris, incorrectement assemblés, qui
guident le cours de la pensée. C'est pourquoi celui-ci doit nécessaire-
ment dérailler dans de nombreuses directions.
De la même façon, des concepts qui ont seulement une petite partie
en commun peuvent être confondus l'un avec l'autre : Une patiente
trouve que, quand elle humecte du fil à coudre avec sa bouche, c'est
comme si elle envoyait des baisers.
13. Chez les enfants, Lobsten a démontré que des allitérations telles que « Federkasten -
Flasche » (« plumier - bouteille ») donnaient souvent lieu à des associations solides. Néan-
moins, que de telles associations absurdes surgissent au cours d'un test qui ne fournit aucun
autre contexte ou au cours de la pensée habituelle fait une grosse différence. - Les allité-
rations de la poésie en vieil allemand doivent avoir eu une puissance analogue à celle de
la rime moderne (NDA).
14. Ceci est plus fréquent encore chez les enfants et au cours du rêve que dans la schizo-
phrénie. Un enfant peut confondre les mots « Italiener » (« italien ») et « Laterne » (« lan-
terne »). Une fois, j'ai rêvé l'idée : « Mach nur nicht zu viel » (« N'en fais surtout pas trop »),
idée qui fut exprimée par les mots « /Warandon de Montyel » (naturellement il a fallu d'autres
facteurs conjoncturels encore pour déterminer le choix de ce nom précis) (NDA).
seul pris en compte 15 , par exemple différentes amoureuses, différents
lieux de séjour du malade.
Nécessairement, de toute façon, des concepts et des idées qui ne sont
que partiellement pensés deviennent facilement flous. C'est sans doute
l'une des causes de la tendance schizophrénique aux généralisations et
à l'extension d'un symptôme. D'autres causes en sont probablement
l'absence des inhibitions qu'une fonction psychique devrait exercer sur
d'autres mécanismes psychiques, inadéquats, ainsi que la facilitation
de l'usage de voies inaccoutumées.
D'autres troubles des associations ont encore bien d'autres causes, ou-
tre l'absence d\me représentation du but. Les associations débridées1',
par exemple, sont aussi favorisées, entre autres, par le « sentiment
d'incomplétude 18 », qui survient aisément quand la pensée est in-
complète. — La dénomination et Vassujettissement de la pensée19 peuvent
s'expliquer, le cas échéant, par le fait que les pensées ne progressent
pas, ce qui, de son côté, peut naturellement avoir des causes diverses,
15. Ce phénomène est, lui aussi, quelque chose d'habituel au cours du rêve (NDA).
16. Ces symptômes ne sont naturellement nullement pathologiques en soi. L'enfant doit
d'abord apprendre lesquelles des relations qui lui sont présentées sont « fortuites » dans leur
simultanéité et dans leur succession. Un enfant de deux ans renverse de l'eau alors que j e
lui pose une question sur quelque chose de tout à fait différent, et répond alors de façon
totalement inadéquate : « à cause de l'eau ». La mythologie aussi, avec ses personnifications,
ses condensations et ses disparitions (*) représente une mine d'analogies avec le cours de
pensée schizophrénique. Le lapin de Pâques pond des œufs, parce que tant les lapins que
les œufs sont sacrés en tant que symboles de la fécondité et des Pâques. La Trinité a été
constituée parce que l'on eut besoin d'honorer chacune des trois personnes qui y sont re-
présentées après que l'idée du Dieu unique s'était déjà imposée (NDA). [(*) Die Auflösung:
le fait de s'évanouir comme par enchantement (NDT).]
17. Ausassoziieren.
18. En français dans le texte.
19. Die Gebundenheit.
par exemple l'inaffectivité ou l'obnubilation 20 . Les associations indi-
rectes peuvent aussi se produire de diverses manières. Ce qui est sans
doute important, ici aussi, outre l'absence de représentation analogique
du but du sujet sain, c'est le trouble de l'attention.
2 0 . Quand, plongé dans mes pensées, j e passe devant le panonceau d'une entreprise, il peut
arriver que j e le lise tout à fait inconsciemment, pas à haute voix, certes, mais tout de même
avec des mouvements de lèvres (NDA).
2 1 . Comme les formes de notre logique ne font que répéter des associations dictées par
l'expérience ou former des analogies avec ces associations, il va de soi qu'en cas de per-
turbation cérébrale générale les associations logiques acquises sont altérées par les associa-
tions affectives innées. S'il existe une prédisposition constitutionnelle schizophrénique de
l'esprit, le fait que des individus dont la capacité à évoquer la réalité et ses rapports est
faiblement développée doivent être prédisposés à l'autisme devrait entrer en ligne de compte
i c i (NDA).
la subjectivité d'intervenir (jugement de goût), que des opérations lo-
giques sont altérées, tout à fait normalement, dans le sens des souhaits
et des craintes. Mais si la logique est pathologiquement affaiblie, l'effet
des affects empiète même sur des associations de détail claires et for-
tement motivées. On tient ce qu'on souhaite et ce qu'on craint pour
une réalité (voir théorie des idées délirantes).
23. Affilié aux affects, ou éventuellement aux complexes affectifs en jeu, bien sûr (NDT).
24. Dans une conception dynamique des processus psychiques, en ce sens qu'une certaine
quantité « d'énergie psychique » est disponible et emprunte les voies qui lui opposent le
Même dans la schizophrénie, naturellement, il n'y a habituellement
qu'un seul complexe dans la conscience à un moment donné. Néan-
moins, le cours de pensée autistique et le cours de pensée réaliste
peuvent se dérouler simultanément 25 , et nous voyons fort communé-
ment, dans le cours conscient de la pensée, des mélanges intimes
d'idées qui appartiennent à des complexes différents. Nous remarquons
que les complexes fonctionnent dans l'inconscient dans les faits d'ex-
périence qui suivent : ils apparaissent soudain élaborés plus avant, des
systèmes délirants achevés surgissant par exemple subitement dans la
conscience ; à tout instant, ils peuvent être prêts à s'assimiler des ex-
périences (délire de relation) ; ils s'expriment directement au travers
d'hallucinations, de la mimique, d'actes inconscients ou compulsifs et
de stéréotypies. Qu'un complexe soit conscient ou non à un moment
donné est donc vraiment accessoire.
La théorie n'a pas besoin de prendre en compte la présence ou l'absence de
la qualité de conscience des divers complexes. Nous avons des raisons de
supposer qu'une fonction psychique consciente se distingue purement et sim-
plement d'une fonction inconsciente par le fait qu'elle est corrélée sur le
plan associatif avec la personnalité consciente. Si l'on ne prend en compte
le fait qu'il existe des processus inconscients qui, abstraction faite de l'ab-
sence de la qualité de conscience, sont identiques aux processus psychiques
conscients, on peut tout aussi peu comprendre les symptômes schizophréni-
ques que d'autres phénomènes psychiques complexes (73, a).
Si, comme il est probable, il existe aussi dans l'esprit normal des in-
hibitions, en ce sens qu'un matériau associatif disparate ne peut être
mis en œuvre que difficilement, et que le passage à un autre thème
nécessite une énergie toute particulière (affects, distraction d'origine
extérieure), dans la schizophrénie ce type d'inhibitions doit naturelle-
ment être supprimé lui aussi. En tout cas, nous voyons dans les associa-
tions schizophréniques, outre la suppression d'associations normales,
des liaisons en mauvaise place. C'est aussi l'une des raisons pour les-
quelles les pensées empruntent si aisément des voies accessoires, et des
associations tout à fait étrangères peuvent surgir dans un cours d'idées26.
Les divers types d'amalgame d'idées différentes - amalgame qui va par-
moins de résistance pour le moment, dans le contexte donné, l'idée la plus courante, celle
de l'inhibition, devient caduque. En ce cas, notre « explication » devrait se borner à établir
ces deux faits d'observation que la force psychique emprunte des voies inaccoutumées chez
le schizophrène et qu'elle peut se scinder en plusieurs parties dont chacune suit son propre
chemin (NDA).
25. Voir la scission de l'attention (NDA).
26. En outre, l'insuffisance d'élaboration de l'idée directrice et le défaut d'une visée homo-
gène ont, naturellement, part à la production de ce symptôme (NDA).
fois si loin que, souvent, même les complexes chargés d'affect confluent
ou se mêlent les uns aux autres, par bribes, bien qu'ils aient une plus
grande autonomie que chez le sujet sain — deviennent tout à fait compré-
hensibles du fait de ce défaut d'inhibition. Ce qui a été dit plus haut
sur les associations schizophréniques rend évident que l'association
d'idées d'un complexe aux autres complexes n'a pas besoin de se pro-
duire selon des règles logiques. D'où le caractère absurde de tels amal-
games 27 .
La séparation des complexes ne pourrait naturellement pas être abso-
lue, même sans la disparition de ces inhibitions. Tous sont en effet
plus ou moins liés au Moi et peuvent ainsi s'influencer réciproquement,
au moins par le biais de la personnalité.
2 7 . Ce dernier point représente une différence importante par rapport à l'hystérie. Dans
cette dernière, nous avons aussi une influence exagérée des affects sur les associations.
Mais comme la désintégration primaire de celles-ci y fait défaut, les complexes y sont beau-
coup plus nettement séparés l'un de l'autre et de la réalité (NDA).
2 8 . Wernicke ( 8 9 4 , p. 113) : « Le patient est dans une certaine mesure composé simultané-
ment d'un certain nombre de personnalités différentes. » (NDA).
comme l'élément déterminant du Moi, il est néanmoins vrai que le
schizophrène a autant de personnalités que de complexes, et des per-
sonnalités qui sont plus ou moins indépendantes les unes des autres.
Mais la composante intellectuelle relativement stable de la personnalité
est altérée elle aussi en fonction de la scission. Tant que le patient
vitupère contre le médecin, celui-ci est pour lui son ennemi le cor-
donnier N., alors qu'habituellement il est fort bien orienté sous ce rap-
port. — Si le malade se prend pour l'Empereur, une part essentielle du
passé du patient peut être mise hors circuit et remplacée par des idées
délirantes pendant la connexion du complexe de grandeur au Moi. — Le
cas échéant, des idées réelles et des idées délirantes peuvent se combi-
ner en une explication délirante.
Mais l'orientation correcte fonctionne généralement sans perturbations
même pendant l'aperception délirante, sinon qu'elle est plus ou moins
scindée du Moi. Dès que le malade a fini de pester contre le médecin
qu'il prend pour le cordonnier, il sait fort bien ce que celui-ci a fait,
en tant que médecin, pendant qu'il vitupérait. Pendant des états cré-
pusculaires de longue durée, on peut pourtant, généralement, mettre
encore en évidence une orientation correcte à côté de la méconnais-
sance systématique de l'ensemble de l'environnement, et les malades
peuvent notamment fournir après coup des renseignements étonnam-
ment corrects sur ce qui est réellement arrivé, sans qu'ils puissent se
l'expliquer, tandis que des épileptiques ou des alcooliques ayant pré-
senté un delirium, dont l'ensemble de la personnalité participe à l'illu-
sion, ne peuvent s'expliquer ce qui s'est passé que par une réflexion
consciente, ou doivent être arrachés à leur étal pathologique par un
stimulus et ne peuvent, après leur delirium, reconstituer qu'avec peine
les événements réels, pour autant qu'ils y parviennent.
b) L'affectivité
Tout ce que nous observons dans l'abêtissement affectif peut être rap-
porté à l'exagération de processus qui sont normaux dans notre esprit.
Cependant, nous ne pensons naturellement pas avoir déjà découvert,
dans l'enchevêtrement des fonctions psychiques, tous les facteurs qui
co-déterminent le trouble affectif schizophrénique.
Tout un chacun a déjà observé, naturellement, que les affects ne font pas
complètement défaut, habituellement du moins. C'est pourquoi on pensait
éventuellement à un affaiblissement général plutôt qu'à une annihilation de
cette fonction. Cette conception est contredite par l'observation. Bien que,
cela va de soi, les fonctions supérieures pâtissent un peu plus que les fonc-
tions plus simples, ce qui se passe n'obéit cependant pas à une règle telle
que ce seraient toujours les affects complexes qui disparaîtraient avant les
plus primitifs, ou éventuellement avant les plus anciens sur le plan phylogé-
nétique. On doit également exclure une diminution générale de l'affectivité,
du fait que les affects conservés s'expriment souvent avec une grande éner-
gie ; il suffit de penser à la colère, mais aussi à la gaîté qui se manifeste à
l'occasion, et à la force que développe parfois l'activité pulsionnelle. En ou-
tre, les effets des affects sur les associations sont vraiment plus forts que
chez les sujets sains (voir Jung).
29. Outre le fait qu'il entraîne à le considérer comme une explication et à s'en satisfaire,
ce terme a le désavantage de trop présenter comme des fonctions autonomes l'intelligence
et l'affectivité, ces deux facettes d'un processus psychique unique (NDA).
30. Pfersdorff (561) a exprimé une opinion analogue pour une classe particulière d'affects
(NDA).
3 1 . Quand on s'observe soi-même, on voit que des complexes d'idées qui ne sont pas éla-
borés par la pensée s'accompagnent volontiers d'une charge affective minime, voire nulle.
Cela va de soi, car dans la plupart des cas ce ne sont pas les événements en soi qui
conditionnent les affects, mais leur rapport avec d'autres conditions. Si de l'argent est volé,
cela peut paraître indifférent, comique ou triste, ou cela peut simplement blesser le sentiment
idéatoire se perd dans des associations accessoires, si des voies asso-
ciatives complètement erronées sont empruntées, les manifestations af-
fectives ne peuvent être adéquates, mesurées à l'aune de la normale.
Si les pensées sautent d'une idée à l'autre sans la moindre règle, il ne
peut en résulter une humeur homogène. Et si, en fonction de ses pul-
sions, dont chacune correspond à un sentiment, la personnalité malade
se dissout en diverses parties homogènes relativement indépendantes
les unes des autres, aucun de ces sentiments ne peut prendre posses-
sion de l'ensemble de la personnalité. Une tonalité adéquate des idées
délirantes est en outre gênée par le fait qu'existent à leur côté, chez
les patients, des complexes psychiques qui distinguent ce qui est réel
de ce qui est irréel, c'est-à-dire qui taxent les idées délirantes de telles.
Des malades qui s'observent bien donnent parfois eux-mêmes cette ex-
plication pendant leurs rémissions. Les malades autistiques ne réagis-
sent pas à la réalité par des affects, parce qu'ils lui font barrage, non
plus qu'à leurs idées délirantes, parce que quelque chose en eux les
reconnaît pour un jeu de leur imagination. L'essentiel du trouble schi-
zophrénique de l'affectivité s'avère néanmoins indépendant du trouble
de la pensée et revêt un type qui ne peut s'expliquer de cette façon.
Il faut aussi noter que certains troubles de la pensée ne sont que des
conséquences de l'anomalie affective ; ils ne peuvent en être en même
temps la cause.
de justice. Cela ne nous rend triste que si l'on se représente en même temps que, par
exemple, c e qui a été volé était le seul bien d'une mère malade qui voulait s'en servir pour
élever son enfant. Qui ne conceptualise pas ces corrélations en même temps que l'événement
de base, comme un tout, ne peut absolument pas éprouver l'affect correspondant (NDA).
3 2 . Voir aussi d'Abundo (NDA).
torture est-elle du même ordre. Mais il est certain que l'intensité des
affects peut inhiber une grande partie de leurs effets, et notamment la
conscience qu'on en a.
2. Un affect qui a déjà fait son apparition peut être écarté par clivage,
s'il est difficile à supporter. En même temps, le complexe d'idées qui
apparaît porteur de l'affect reste en général difficilement ou pas du
tout accessible au Moi. Bien des gens se tiennent à l'écart de souvenirs
désagréables en les « oubliant ». Et si le rappel à la conscience des
idées pénibles ne peut être évité, elles apparaissent comme quelque
chose d'étranger, de théorique, de non élaboré en ce qui, précisément,
concerne celles de leurs composantes qui provoquent le contact avec
le Moi de la façon la plus intensive. On peut très fréquemment parler
de la perte d'un être cher, qu'il nous serait tout bonnement intolérable
de nous représenter avec précision, sans ressentir à cette occasion quoi
que ce soit qui corresponde à la tonalité affective du complexe dans
son ensemble. Une foule de liens du défunt avec notre propre Moi sont,
en pareille circonstance, soigneusement exclus de l'évocation du souvenir.
L'évitement inconscient de la douleur, quand nous souffrons d'une bles-
sure ou d'un rhumatisme, représente un phénomène analogue, et peut-
être identique. Nous évitons « instinctivement » les mouvements
critiques, sans pour autant éprouver de douleurs actuelles, ni même
nous en représenter consciemment. Du fait de la souffrance précédem-
ment éprouvée, notre esprit reste, pendant quelque temps, orienté de
telle sorte qu'il n'exécute pas certains mouvements. Mais le résultat
peut dépasser le but : dans de nombreux cas, des mouvements qui ne
provoquent pas de douleur ne sont pas exécutés non plus ; chez les
gens nerveux, dans ces conditions, tous les mouvements peuvent même
être altérés.
Mais un nouvel affect peut aussi être inhibé à l'état naissant du fait
de sa qualité désagréable. Avant que l'affect ne se soit développé, il
manœuvre les aiguillages intra-psychiques de telle façon qu'il ne peut
que laisser la personnalité consciente en paix.
3. Les affects isolés de la sorte du Moi conscient ne sont absolument
pas supprimés ; ils restent nettement reconnaissables à leurs effets.
Qui est préoccupé par un événement affectif peut ne présenter ni sub-
jectivement ni objectivement de signes directs de l'affect. Mais il est
cependant incapable, de ce fait, de produire d'autres affects. Ainsi
peut-on sembler indifférent à l'égard tant du malheur passé que de
tous les événements nouveaux. Un affect relativement important peut
transformer durablement l'ensemble de la personnalité, sans que l'on
puisse retrouver cet affect dans les nouvelles caractéristiques ; la per-
sonne atteinte semble avoir elle-même plus ou moins oublié l'affect et
l'événement déclenchant ; il faut de nouveaux événements pour « faire
de nouveau saigner la vieille cicatrice ». Et pourtant, cet individu a
bel et bien gardé d'autres buts existentiels, un autre mode de vie, une
autre humeur de base. Chez les hystériques, l'événement déclenchant
peut être devenu totalement inaccessible à la conscience.
Dans le cadre des associations expérimentales, nous trouvons les signes
complexuels de Jung non seulement avec les idées qui émeuvent pour
le moment le sujet de l'expérience, mais aussi avec d'autres, dont ni
les composantes intellectuelles ni les composantes affectives ne par-
viennent à sa conscience durant l'expérimentation, voire qui n'ont plus
été conscientes depuis de nombreuses années. Le phénomène psycho-
galvanique montre aussi les effets d'affects qui ne sont pas présents à
la conscience.
Dans le rêve des sujets sains, dans les deliriums hystériformes, nous
voyons un événement insupportable - disons l'infidélité d'un amant -
être déconnecté de la conscience au travers de sa tonalité affective,
mais aussi avec sa tonalité affective, et exercer pourtant ses effets, en
ce sens que l'affect oriente et inhibe des associations de telle façon
que la satisfaction du souhait est simulée, tandis qu'aucun affect ne
prédomine dans la conscience, ou alors justement l'affect inverse 33 .
4. Nous en arrivons ainsi au concept d'affects inconscients ou, si l'on
redoute ce terme, d'affects latents.
Ceux-ci peuvent se manifester par la mimique, avec la survenue, par
exemple, d'un rougissement, de certains mouvements, certaines modu-
lations vocales et d'autres phénomènes de ce genre, qui correspondent
à l'affect.
* * *
34. La « finalité » de tous ces aménagements, la protection contre les affects désagréables,
est ainsi obtenue. Le patient ne souffre plus : il s'est approché d'une sorte de nirvana (NDA).
35. Ainsi notre conception se recoupe-t-elle à peu près avec celle dont Risch a formulé
l'hypothèse pour des états psychogènes. Ses travaux ont paru après que ce qui précède eut
été écrit (NDA).
36. En français dans le texte.
tomber sur des affects extrêmement puissants comme causes déclen-
chantes d'un accès aigu 37 , et il n'est pas rare qu'après une analyse
précise du problème nous devions nous demander si, chez un patient,
nous ne nous trouvons pas tout simplement devant l'effet d'un trauma
psychique particulièrement important sur un être sensible, et nullement
devant une maladie stricto sensu.
L'inaffectivité qui se produit ainsi sera accrue, dans le sens où on l'a
mentionné plus haut, par le trouble de la pensée, qui est de son côté
en partie conditionné par le trouble de l'affectivité, si bien qu'il en
résulte un cercle vicieux.
En outre, l'autisme contribue aussi à renforcer l'anomalie affective.
Avec leurs affects désagréables, les malades éliminent aussi par clivage
les événements qui vont avec eux. En compensation, ils vivent dans
un monde de rêve qui, pour eux, devient réalité. Si le patient ne croit
pas à l'annonce de la mort d'un proche qui lui est cher, il reste natu-
rellement indifférent. Souvent, de telles choses ne sont considérées
comme vraies qu'à demi, dans certaines de leurs composantes, c'est-
à-dire dans celles qui ne sont pas désagréables, naturellement. Mais
là où les malades se sont complètement enfermés dans la chrysalide
de leur autisme, le monde extérieur a tout au plus encore valeur de
réalité dans la mesure où il les dérange dans leurs pensées ; si un
affect accompagne alors un événement extérieur, il ne peut plus s'agir
que d'un affect de « rejet ». L'autosatisfaction, apparemment parathy-
mique, de nombreux schizophrènes n'est absolument pas anormale, de
leur point de vue, car leurs souhaits sont exaucés dans la pensée au-
tislique.
Dans les cas graves, l'autisme a sans doute la part la plus importante
dans la formation du trouble des affects. Dans des cas plus bénins, il
est trop peu apparent, en l'état actuel de nos connaissances, pour qu'on
puisse y faire appel à titre explicatif, si bien que les autres mécanismes
sont au premier plan.
De tout temps, l'indifférence à l'égard de ses propres idées délirantes et
aspirations a particulièrement attiré l'attention. L'émoussement de
toutes les expressions d'affect sous l'effet de l'habitude et la capacité
moindre qu'a une représentation imaginaire, par rapport à la réalité,
de provoquer des affects, doivent être d'importance en cette matière.
Et puis l'idée délirante n'est souvent qu'une expression Irès impropre
* * *
* * *
c) L'autisme
3 8 . Il est possible que cette élévation exprime l'effort pour restaurer le rapport perdu avec
le monde extérieur. Peritz (APN, vol. 4 5 , p. 7 8 8 ) considère le relèvement des sourcils à la
manière d'un tic comme la réaction au sentiment de pression sur le front (NDA).
recourir à tout le matériel qui s'y rapporte sans prendre en compte la
valence affective de celui-ci. Etant donné le relâchement schizophré-
nique de la logique, il se produit par contre une exclusion de toutes
les associations qui s'opposent à un complexe chargé d'affect. Le be-
soin de trouver dans son imagination un substitut à une réalité peu
satisfaisante, qui ne fait défaut à nul être humain, peut de cette façon
être assouvi sans résistance. Si contradictoires avec la réalité que puis-
sent encore être les produits de l'imagination, ils n'entrent pas en
conflit avec elle dans le cerveau du malade ; ils sont tout au plus mis
en rapport avec elle pour autant qu'ils peuvent être accordés aux be-
soins affectifs du malade. Dans les cas graves, l'ensemble de la réalité,
avec ses stimulus sensoriels qui ne cessent jamais, est interdite d'ac-
cès 3 9 ; elle existe tout au plus dans des contextes banals, lors du repas,
de l'habillage.
39. Abgesperrt.
40. En français dans le texte.
41. En français dans le texte.
42. En français dans le texte.
conscience d'une énergie qu'ils n'ont pas 43 . » Tous ces points de vue ont
quelque chose de juste ; mais, à notre avis, ils ne vont pas au cœur de ce
phénomène.
* * *
d) L'ambivalence
Pour le sujet sain aussi, toute chose a deux versants. La rose a ses
épines. Mais dans 9 9 % des cas le sujet normal fait le bilan à partir
de la soustraction des valeurs négatives et positives. Il aime la rose
malgré les épines. Le schizophrène, avec ses liaisons associatives dé-
ficientes, ne recompose pas forcément par la pensée les différents ver-
sants en un tout : il aime la rose pour sa beauté et en même temps la
e) La mémoire et l'orientation
4 6 . Voir aussi Freud, »Gegensinn der Urworte«, Jahrbuch für psychanalytische Forschung,
II, p. 1 7 9 (NDA).
4 7 . J ' u s e ici de ce terme sans prendre en compte le fait de savoir si la perception est
consciente ou inconsciente (NDA).
4 8 . Une évocation mnésique (NDT).
c'est ainsi qu'on aboutit à des erreurs de divers types dans le domaine
de la mémoire4'9. Les amnésies lacunaires ont des genèses diverses,
comme chez d'autres malades et chez les sujets sains. Elles peuvent
correspondre elles aussi à des besoins affectifs (on oublie ce qu'on
souhaiterait ne pas savoir) ; plus d'un état de delirium est si différent
de l'état habituel, tant sur le plan de son contenu qu'en ce qui concerne
les branchements associatifs, que le malade ne peut plus trouver les
mêmes fils associatifs en partant de cet état ; le schizophrène a en
outre en commun avec le sujet sain d'oublier d'une façon générale les
événements intra-psychiques qui se déroulent en désordre, pêle-mêle.
Par analogie avec les idées freudiennes, Jung pense aussi que les souvenirs
ne subissent pas d'usure parce qu'il ne se produit pas d'abréaction. La persis-
tance inchangée de toutes les traces mnésiques durant l'existence entière me
paraît vraisemblable chez le sujet sain aussi. Pour moi, cette conception ne
pourrait donc entrer en ligne de compte que si l'on disait, au lieu de « traces
mnésiques », « voies de la mémoire d'évocation 50 ». - Si nous savions ce
qu'est la tendance primaire aux stéréotypies, il nous faudrait examiner la
question de savoir dans quelle mesure la mémoire, anormalement forte en
49. V o i r c i - d e s s o u s l e p a r a g r a p h e t r a i t a n t d e s e r r e u r s a n a l o g u e s s u r l a r é a l i t é (NDA).
5 0 . J e ne voudrais pas prétendre par là que les voies de la mémoire d'évocation soient
quelque chose de différent des autres engrammes (NDA).
apparence, des schizophrènes serait en rapport avec elle, ou lui serait éven-
tuellement identique.
L'orientation à l'intérieur des cours de pensée réalistes est indemne,
exactement comme la mémoire, tandis que dans un autre contexte elle
est réorganisée en fonction des besoins complexuels. Naturellement,
c'est l'orientation dans sa propre situation qui est le plus rarement
normale, précisément parce que les phénomènes morbides appartien-
nent au complexe et peuvent rarement être reconnus comme patholo-
giques par le patient ; il se croit injustement enfermé, les médecins
sont ses ennemis. Mais ici aussi tous les intermédiaires existent depuis
la conscience critique presque entière jusqu'à la réinterprétation
complète de toutes les conditions, et ce non seulement d'un patient à
l'autre, mais parfois aussi chez le même patient, le cas échéant d'un
moment à l'autre.
f) La stupidité schizophrénique
Après que nous avons qualifié de secondaires les éléments les plus
importants dont se compose la démence schizophrénique, il est évident
que celle-ci doit être elle-même envisagée pour l'essentiel comme se-
condaire. Sans doute quelques symptômes primaires peuvent-ils avoir
part à ce tableau, certes, mais habituellement nous ne les voyons pas.
Il est aussi fort possible que d'autres méthodes d'observation nous per-
mettent un jour, dans le futur, de distinguer dans les cas graves, der-
rière la stupidité secondaire, une stupidité primaire. Pour le moment,
nous voyons seulement que les malades scindent leurs pensées, qu'ils
bloquent leurs affects, qu'ils se détournent de la réalité. Nous voyons
en outre qu'aucun acquis psychique n'est perdu ; et l'expérience de
nombreux cas individuels rend même vraisemblable que la faculté de
réflexion dans des matières compliquées ne soit pas totalement abolie
dans tous les états chroniques, mais qu'elle ne soit que réprimée se-
condairement, entravée par la scission. Aussi ne pouvons-nous, à aucun
stade, exclure des améliorations transitoires ou persistantes. Le fait
qu'un tiers peut-être des cas d'asile ne sorte que temporairement, ou
même jamais, de la stupidité ne va naturellement pas contre la nature
secondaire de ce phénomène. Il n'est pas rare que des sujets sains
eux-mêmes se fourvoient durablement dans une idée quelconque ;
combien plus fréquemment cela doit-il arriver au schizophrène, qui
bloque systématiquement les influences correctives de la réalité et de
la réflexion, et qui présente déjà par ailleurs une tendance à la per-
pétuation de fonctions psychiques.
Une partie des symptômes les plus marquants de démence ne sont rien
d'autre que des manifestations partielles de l'abêtissement affectif. Là
où les affects font défaut ou sont bloqués, il ne peut pas non plus se
développer d'aspiration à un but. D'autres facteurs encore concourent
au même effet : là où tous les souhaits sont satisfaits dans l'autisme,
ou bien là où ils apparaissent irréalisables, il n'existe plus de raison
d'aspirer à quoi que ce soit. Les déficits intellectuels entravent aussi
l'aspiration à un but : la synthèse des diverses pensées en une idée
qui puisse pousser à l'action est perturbée ; la fixation d'un but à l'acti-
vité est entravée par l'incapacité logique.
La logique est directement altérée par le fait que des opérations logi-
ques sont remplacées par des associations déterminées par les affects,
puis par le clivage des complexes, qui forment un monde en soi, sans
prendre en compte d'autres idées, et en particulier la réalité. Dans ces
scissions, les affects s'opposent avec une force souvent insurmontable
à l'association d'idées correctives. Le paralytique général fait ses pro-
jets stupides parce qu'il « ne pense pas » à certaines choses ; de l'ex-
térieur, on peut lui rappeler ses erreurs, si bien qu'il lui faut du moins
les compenser par un nouveau paralogisme ; mais un clivage schizo-
phrénique patent n'est que rarement accessible à une correction logi-
que. Dans la paralysie générale, c'est par mégarde qu'une voie' 1 n'est
pas empruntée, dans la schizophrénie la voie est physiquement barrée,
ou bien l'on a peur de l'emprunter. Aussi, dans bien des cas, la critique
n'est pas seulement insuffisante à cause des erreurs de pensée, mais
elle est rendue littéralement impossible du fait que l'idée critique n'est
pas mise en relation avec celle qui doit être corrigée. - Le manque
d'un but aux idées, engendré par le déficit affectif et intellectuel qu'on
a mentionné jusqu'à présent, favorise la dissociation, d'ailleurs déjà
provoquée par les aberrations associatives.
55. Besonnen. Il s'agit bien sûr ici aussi de la « lucidité de conscience » (NDT).
non plus de façon aussi nette une telle erreur de l'affect qui ac-
compagne le délire fondamental.
On n'est, littéralement, redevable d'un autre type de délire, le « délire
explicatif», qu'au reliquat de saine logique que le patient a parfois
gardé. Le journalier qui s'imagine descendre d'une lignée comtale doit
nécessairement considérer ses parents comme ses parents nourriciers,
s'il est encore capable de tirer cette conséquence.
56. On rencontre de telles explications a posteriori, exactement sur le même mode, après
l'exécution post-hypnotique de suggestions absurdes (NDA).
simultanément mais par hasard, sont mises à mauvais escient en rap-
port logique (exemples p. 65). Nous sommes contraints pour le moment
d'appeler idées délirantes ces faits aussi, parce qu'ils se distinguent
des erreurs des sujets sains par le type pathologique de leur chemi-
nement logique.
57. Das Proton Pseudos. Henri Ey traduisait par « radical délirant », ce qui me paraît con-
testable (NDT).
sans que le patient puisse remonter jusqu'à leur genèse, doivent natu-
rellement être conçues comme des résultats de l'activité inconsciente
de la pensée, qui est à tel point facilitée par l'autonomie des fonctions
clivées. Si elles prennent leur source dans l'un des complexes chargés
d'affect, elles sont obligatoirement égocentriques, dans le cas contraire
ce n'est pas nécessaire.
La forme la plus importante de délire, et souvent la seule prise en
compte, c'est naturellement le délire fondamental avec son développe-
ment et son application dans le détail. Sa genèse est évidente, après
ce que l'on a dit précédemment :
Chez tout être humain, les affects inhibent jusqu'à un certain point les
associations qui sont en contradiction avec eux et favorisent celles qui
vont dans leur sens. C'est pourquoi il n'est pas rare que le sujet sain
se trompe lui aussi sous l'influence des affects, bien qu'en principe il
se représente également comme allant de soi l'inanité d'un souhait ir-
réalisable, en même temps que celui-ci, et, dans le cas d'une simple
crainte, la possibilité qu'elle ne soit pas fondée. Qui est irrité par quel-
qu'un en voit exclusivement les défauts, ou du moins les voit majorés ;
qui souhaite beaucoup quelque chose sous-estime les obstacles ; qui a
peur grossit ces obstacles ; qui appréhende le monde extérieur comme
hostile, pour une raison quelconque, trouve partout matière à méfiance.
Le caractère incorrigible et l'incapacité de discussion, chez des sujets
sains dont l'affectivité est tenace et très forte comparée au pouvoir de
réflexion, entraînent des erreurs et se continuent sans limite nette par
la paranoïa.
5 8 . Cela revient naturellement au même si l'affect est anormalement fort, comme dans la
mélancolie, ou si même les deux anomalies se somment, comme clans la paralysie générale
maniaque et la paralysie générale mélancolique (NDA).
dernier mécanisme leur est rendu particulièrement aisé par la rupture
des voies associatives, qui leur permet de mettre n'importe quel ma-
tériel en relation avec le complexe qui est en permanence fonctionnel-
lement disponible et de l'utiliser dans le sens de celui-ci. La logique,
autant qu'il en est fait usage, se met alors au service des besoins af-
fectifs et du développement du délire.
59. La genèse de ces idées détiranles est décrite de façon plus approfondie dans Bleuler,
« L'Affectivité », où l'on trouve aussi une brève critique des théories qui s'écartent de celle-ci
(NDA).
60. Ne serait-ce que pour cette raison, il faut rejeter toutes les théories qui font découler
toute la maladie d'altérations des sensations corporelles, avec le délire : Marandon de Mon-
tyel qualifie la cénesthésie anormale de phénomène primaire ; Wherry dit textuellement que
le processus morbide se situerait en dehors du cerveau, dont les fonctions seraient seulement
perturbées par des sensations corporelles altérées. Schiile parle également, avec des réfé-
rences à la théorie de la localisation, d'un « dérangement cérébro-spinal », et il interprète
certaines formes de schizophrénie comme une « psychose névralgique » : « des bourgeons
oniriques délirants sur l'arborescence nerveuse spinale, dont ils naissent, chaque représen-
tation délirante sur un nerf sensitif fonctionnant anormalement ». Schiile a aussi trouvé les
origines de la maladie dans la sexualité : il a mieux observé que d'autres, mais il a tenté
d'interpréter ses observations sur le plan physiologique au lieu du plan psychologique.
On a mentionné que, dans le rêve, des hallucinations naîtraient de sensations corporelles
anormales. Mais il ne s'agit là que d'un matériel qui est mis à profit par une tendance
délirante préexistante, d'une façon analogue au délire spécifique d'empoisonnement en cas
de diarrhée, quand il existe un délire général d'empoisonnement. Même en rêve, la tendance
délirante peut ne résulter que de motifs psychiques, et l'expérience montre que ces motifs
sont exclusivement affectifs (NDA).
erreurs sont déduites par voie logique, mais pas des idées délirantes au sens
du délire fondamental. - On a fait naître l'idée délirante de « l'affect de
méfiance » (notamment Specht). Cette idée pourrait tout au plus être valable
pour le délire de persécution, mais pas pour les autres formes. Mais existe-t-il
un affect de méfiance ? Et s'il en existait un, d'où viendrait-il, dans notre
maladie ?
C'est de la conception de Friedmann, qui fait dépendre la valeur de réalité d'une
représentation de sa force, que nous nous rapprochons le plus. Mais, selon cet
auteur aussi, cette force dépend du contexte affectif qui l'accompagne. Nous
pouvons donc accepter la plupart de ses développements, pour autant qu'ils ne
remplacent pas la « représentation chargée d'affect » par le concept, indéfinis-
sable, de « représentation forte ».
Les « relations à soi61 », qui jouent un si grand rôle dans la genèse des idées
délirantes, sont pour nous un symptôme partiel évident qui participe à la
formation des idées délirantes : chez les schizophrènes, le complexe chargé
d'affect fonctionne même pendant d'autres cours de pensée, et est donc prêt
à tout moment à assimiler n'importe quel matériel ; nous n'avons pas besoin
de recourir au renforcement des sensations de Neisser, qui n'est qu'excep-
tionnellement présent. Comme le complexe représente une part importante
du Moi, cette remarque vaut aussi pour les conceptions qui mettent à la base
des idées délirantes une « hypertrophie du Moi » ou quelque chose du même
genre. Ce n'est pas le Moi qui a acquis une importance particulière mais une
partie de celui-ci, c'est-à-dire le complexe.
Mais nulle autre maladie n'est aussi propre que la schizophrénie à montrer
de façon vraiment pénétrante que l'essentiel du processus hallucinatoire ré-
side dans l'organe psychique, parce que - en faisant totalement abstraction
de nombreuses autres raisons - les hallucinations n'expriment pas du matériel
sensoriel, mais des pensées, des sentiments et des aspirations, bien que nous
sachions que le déclenchement des hallucinations peut tout aussi bien se pro-
duire à partir des organes sensoriels que par d'autres stimulus.
Bien que, de tout temps, on ait pu avoir çà et là, dans un cas parti-
culier, un aperçu du mécanisme d'une altération de la réalité, Freud
est cependant le premier à qui nous soyons redevables de ce que la
symptomatologie spécifique de la schizophrénie soit devenue explica-
ble. Pour exposer les faits, nous nous sommes limités à des exemples
simples et avons ignoré les complications. Mais il faut explicitement
souligner que les analyses peuvent être poussées beaucoup plus loin
que ce n'a été le cas ici, et que la formation des divers symptômes
n'est naturellement pas conditionnée par les seuls facteurs mentionnés
ici mais, en outre, par plusieurs autres conjonctures.
* * *
63. On trouvera une critique plus détaillée des attaques contre Freud, ainsi qu'une critique
partielle des théories freudiennes elles-mêmes, dans Bleuler, « La Psychanalyse de Freud »,
Deuticke, Vienne, 1911, et Jahrbuch für psychanalytische Forschung, II, 1910 (NDA).
64. Besitz : de possession de biens et non de possession surnaturelle (Besessenheit) (NDT).
telle influence puisse déterminer la direction du délire, même chez
une personne qui n'est pas naturellement portée à la religion. Mais j e
n'ai pas encore observé cela d'une façon vraiment prouvée. Les cas
dans lesquels on peut remonter, dans une certaine mesure, jusqu'à l'ori-
gine des idées délirantes religieuses indiquent tous qu'il avait précé-
demment existé une forte préoccupation par ces matières. Si la pulsion
religieuse avait été dès auparavant non seulement particulièrement
forte mais aussi qualitativement anormale, il est vrai qu'il était tentant
d'attribuer déjà l'activité religieuse à la maladie méconnue ; et devant
l'impossibilité de distinguer, dans le cas des pulsions religieuses pré-
cisément, entre importance insolite et anomalie pathologique, il a fallu
laisser la question de la causalité en suspens. Chez les femmes, c'est
l'amour pour un ministre du culte que nous avons le plus souvent trou-
vé quelque part à l'origine du « délire religieux 65 ».
Ainsi la maladie ne se développerait-elle pas à partir du caractère,
comme le pense la conception vulgaire, ses symptômes ne seraient pas
déterminés eux non plus par le caractère, comme l'imagine Tilling, mais
ce qui détermine la symptomatologie, c'est le complexe chargé d'affect
qui, de son côté, dépend néanmoins souvent de penchants innés : seul
celui qui a la pulsion de jouer un rôle donné dans le monde, que ce
soit en politique, dans la religion ou dans la science, peut déterminer
ses symptômes pathologiques par un complexe correspondant. Une ten-
dance pulsionnelle est néanmoins commune à tous les hommes, la
sexualité, qui, avec tout ce qui en dépend, représente une grande part
de notre Moi 66 . C'est pourquoi nous rencontrons le complexe sexuel
dans tous les cas, tantôt seul, tantôt associé à d'autres.
Sans doute n'est-il pas besoin de prouver cette genèse dans les cas
fréquents où, par exemple, des patients d'asile déclarent soudain, de
façon totalement immotivée mais convaincue : « Mon fils va venir me
chercher aujourd'hui. » Chez un malade, cette idée a surgi subitement,
chez un autre ce sont les Voix qui l'ont dit, le troisième a conclu à
cela à partir d'indices qu'il rapportait à lui-même et interprétait dans
6 5 . Cet amour n'est pas nécessairement primaire. Il peut par exemple se faire que la sexua-
lité insatisfaite en ce bas monde soit d'abord sublimée, et que c e ne soit qu'ensuite que le
ministre du culte soit idolâtré de préférence à tous les autres hommes, en raison des ten-
dances religieuses, le sentiment étant de ce fait partiellement resexualisé (NDA).
6 6 . Plus de la moitié ; car l'autre moitié, c e l l e des pulsions servant à l'auto-conservation,
est atrophiée chez l'homme civilisé (NDA).
le sens de son souhait. Cette interprétation est tout aussi évidente dans
de nombreux autres cas simples : deux femmes croient (sans être en
contact l'une avec l'autre) que l'homme qu'elles aiment se trouve à
proximité, tantôt parce qu'elles entendent sa voix, tantôt sans un tel
indice, bien que ces deux hommes soient en Amérique. Une schizo-
phrène qui a enfanté à l'asile mais n'a pas de lait entend les Voix dire
que son enfant l'a tétée toute la nuit. Un officier qui ne s'est jamais
bien entendu avec sa belle-mère est convaincu qu'elle va être décapi-
tée, ou du moins - sur l'objection qu'on lui fait - condamnée à la
réclusion perpétuelle. Car il l'a accusée devant le Procureur d'avoir
empoisonné une autre femme des années auparavant ; il n'a pas produit
la moindre preuve de ses allégations, mais il éprouve une certitude
absolue.
Dans ces cas, la contradiction avec la réalité est transférée dans l'ave-
nir et le passé. Mais cela ne fait absolument rien aux malades d'entrer
aussi en conflit avec le présent. Un hébéphrène qui commence à se
faire vieux et n'a plus que de méchants chicots se réjouit un matin,
de façon puérile, d'avoir récupéré de nouvelles dents, et montre sa
bouche avec fierté aux médecins et aux infirmiers ; pour arriver à sou-
tenir son assertion à ses propres yeux, il lui faut illusionner la sensation
de nouvelles dents dans sa bouche. Une schizophrène latente dont les
règles s'arrêtent pour la première fois (ménopause) se réveille la nuit
du fait que ses membres se rétractent, elle devient aussi petite qu'un
nouveau-né, trépigne des bras et des jambes et doit être portée par
son mari dans ses bras comme un petit enfant (régénération remplaçant
l'involution - Jung). - Une créature physiquement pitoyable (hydrocé-
phalie dans l'enfance) se croyait aussi merveilleusement bâtie qu'une
statue ; elle a seulement été amaigrie par le bain qu'on lui a donné à
son entrée. Par ailleurs, elle est admise au Ciel, a des relations avec
des Saints ; elle a donc doublement surmonté la misère de ce monde
(Norman 526, p. 279).
6 7 . Voir aussi plus haut, et plus bas pour la genèse, analogue, du délire de jalousie (NDA).
mari ne peut croire que celui-ci est mort qu'en cas de retranchement
total de la réalité ou de banqueroute complète de la logique. Aussi,
pour des patients relativement lucides, la contradiction permanente entre
le souhait et la réalité doit nécessairement empêcher le délire de s'éla-
borer complètement, et plus encore de dominer l'ensemble de la person-
nalité à partir de son complexe ; il n'est pas mené à son terme, il reste
pour l'essentiel dans l'inconscient ou est déplacé et masqué derrière
des symboles. Les obstacles qui s'opposent à l'accomplissement du sou-
hait ou à l'idée délirante que ce souhait serait exaucé en deviennent
d'autant plus perceptibles : voici pourquoi c'est assez souvent l'idée
de persécution, déjà présente en germe chez tout sujet sain (il est peu
de candidats ayant échoué à un examen qui n'en rejettent la faute, au
moins en partie, sur l'examinateur), qui est d'abord élaborée.
Mais il est des cas où la représentation que le souhait est exaucé ne se
heurte pas à de si grands obstacles : le réformateur du monde malade, le
prophète, le philosophe, le poète, et souvent aussi l'inventeur et d'autres
gens, ne se laissent pas entraîner tout de suite ad absurdum, et souvent
même ils trouvent des adeptes. Ces gens-là peuvent élaborer le délire
de grandeur sans perdre le rapport logique avec la réalité, et le délire
de persécution peut rester absent ou ne débuter que fort tardivement.
Dans toutes les autres formes, les aspirations doivent se cacher derrière
le délire de persécution : elles n'en restent pas moins le phénomène
primaire ; une patiente ne peut pas se défendre d'avoir un enfant du
Dr N. si, d'une façon quelconque, l'idée qu'elle voudrait en avoir un,
ou qu'elle en aurait un, ne lui était venue.
Si donc ces formes de délire qui impliquent une contradiction grossière
avec la réalité, qu'elles aillent dans le sens du délire de grandeur ou
non, apparaissent non fardées et développées, il s'agit nécessairement
à chaque fois d'une rupture très profonde avec la réalité, ou alors d'un
trouble très important de la pensée, ou des deux. Si l'une de ces deux
conditions est remplie au cours d'un état chronique, alors le patient est
habituellement incurable et peut en même temps être considéré comme
atteint d'un haut degré de stupidité, bien qu'il porte des jugements
impeccables sur d'autres situations.
Mais le détachement de la réalité, une perturbation importante de la
logique, le délire de grandeur rendu possible par ces conditions, et
d'autres accomplissements de souhaits 68 peuvent tout aussi bien être
Une dame K., atteinte d'une catatonie tardive, n'aime pas son mari,
mais une connaissance de jeunesse. Voici qu'elle prétend pendant quel-
que temps qu'il y a « deux K., un blanc et un noir, un bon et un
méchant ». Dans le cas présent, ce symbolisme simple est encore perçu
et expliqué par la patiente elle-même. Quelque temps plus tard, elle
croit qu'elle est mariée avec son ancien amoureux, et que son mari
l'est également avec une ancienne connaissance. Et pour rendre son
bonheur plus complet, tous ses chers disparus sont revenus à la vie et
sont en relations avec elle.
Une robuste paysanne a épousé un homme qui n'est ni physiquement
ni mentalement à son niveau. Elle aimait un ministre du culte. Après
l'éclosion de la catatonie, elle se libère de son mari en croyant qu'il
lui est infidèle et qu'il est fiancé à une autre (idée délirante fort fré-
quente en pareilles circonstances ; voir aussi le cas précédent). Un
jour, elle va demander au bureau d'état-civil si son mari n'est pas
encore inscrit comme fiancé. A l'asile, elle verbigère en criant qu'on
prépare ses organes génitaux pour le ministre du culte. Mais là aussi
la réalité 69 lui donne quelque peu raison, la malade se plaignant sou-
6 9 . C'est très probablement à l'impression de réalité donné par des hallucinations nocturnes,
dans un contexte plus ou moins onirique, que Bleuler fait ici allusion (NDT).
vent que son mari vienne dans son lit la nuit (idée qui n'est pas rare
en pareilles circonstances) ; mais ce n'est pas lui qu'elle voulait, mais
le ministre du culte. Sans doute faut-il aussi voir un autre type d'adap-
tation dans le fait qu'à l'asile, au bout de quelque temps, elle a identifié
le médecin au ministre du culte. Mais le médecin est marié, et un jour
où il vient la voir elle l'accueille en s'exclamant : « Alors, votre femme
est morte ? » Quand ceci est nié, elle poursuit son cours de pensée
comme si on lui avait répondu oui : « Vous retrouverez facilement une
femme, moi par exemple je vous épouserais bien. » Comme sa concur-
rente continue à vivre, elle s'aide un beau jour d'une falsification mné-
sique, ce serait le médecin lui-même qui lui aurait assuré qu'il ne
pouvait pas avoir de rapports sexuels avec sa femme.
Dans les nombreux cas où une femme croyait à tort son mari mort, où
elle croyait ne pas être mariée, ne pas porter le nom de son mari, ou
autre, nous avons sans exception trouvé non seulement un méconten-
tement à cause d'une caractéristique particulière ou d'une action don-
née du mari, mais une insatisfaction plus profonde, dont la malade
n'était cependant pas forcément consciente dans tous les cas. Parmi
les causes alléguées de mécontentement, elles mentionnent aussi que
leur mari ne les satisferait pas sexuellement. Il s'agit rarement là d'im-
puissance. L'inassouvissement est donc sans doute causé, comme il est
habituel, par le manque d'amour de la femme ou par son aversion
partielle contre son mari. Et il n'est pas nécessaire à la genèse de ces
idées délirantes que le mari soit haï au sens commun de ce terme ; la
femme peut avoir une haute estime pour lui, elle peut même l'aimer
d'une certaine manière, mais il est pourtant, de quelque façon, insuf-
fisant ou déplaisant à ses yeux (ambivalence) ; l'insuffisance intellec-
tuelle ou affective (comparativement à l'attente de la femme) semble
notamment être péniblement ressentie. Le bien-aimé a tout aussi peu
besoin de correspondre à tous les souhaits de la patiente ; il est souvent
transformé par le délire ; mais il doit par contre présenter quelque
avantage important par rapport au mari.
Ce que l'on a dit de la femme peut être retrouvé chez l'homme aussi,
mutatis mutandis, mais de façon moins prononcée en moyenne.
L'homme dépend moins de la femme ; il joue plus facilement avec l'idée
du divorce, en pensée ou en action. La chose lui tient aussi moins à
cœur. A côté de sa femme, il peut fort bien avoir aussi telle ou telle
maîtresse dans son délire (ou encore dans la réalité) ; il peut même
vouloir en épouser une autre pour rendre heureuse sa femme, qui par-
tagera alors sa richesse.
L'homme se débarrasse peut être plus facilement que la femme de ses
devoirs à l'égard de son épouse en imaginant qu'elle est infidèle. Cette
origine du délire de jalousie70 n'empêche naturellement pas qu'il ac-
cuse, haïsse et maltraite sa femme à cause de cela, car c'est justement
là le « but » du délire : donner à l'homme le droit d'avoir de tels sen-
timents et de commettre de tels actes.
7 2 . L'intensité (et non le contenu) d u délire de persécution peut être a c c r u e du fait que des
malades (comme des sujets sains) s'enivrent parfois littéralement d u sentiment d'être mal
traités (algolagnie ?) (NDA).
73. Voir Abraham (NDA).
74. On peut supposer, mais non prouver, jusqu'à présent, que l'angoisse provoquée par le
refoulement de souhaits sexuels concourt aussi à la constitution du délire de persécution à
partir de souhaits non réalisables. Car chez le sujet normal aussi nous voyons une méfiance
passagère, et même de vagues idées de persécution surgir sur la base de cet affect (NDA).
Dans la poésie et dans la réalité, dans le sommeil et à l'état cle veille,
le prisonnier rêve de sa libération (voir le joli tableau de Schwind 75 ).
Mais cette libération n'est habituellement pas possible si la réalité est
appréhendée telle qu'elle est. Le prisonnier est donc déclaré innocent,
ou la durée de sa peine est expirée depuis longtemps, ou quelque chose
d'analogue. Dans ces conditions, ce ne sont en fait pas des murs et
des barreaux qui l'empêchent de partir, mais des gens qui lui veulent
du mal, ceux qui l'ont enfermé ici, naturellement, les gardiens et le
directeur, éventuellement le procureur qui, dès le procès, est apparu
comme un ennemi du prisonnier. Voici donc les persécuteurs qui jouent
alors leur rôle dans la suite du développement hallucinatoire du délire.
- Dans le cas de deux patients - tous deux Italiens - les idées de libé-
ration étaient remplacées par le fait que les malades pensaient être tenus
par leur entourage pour des envoyés de Dieu, alors qu'eux-mêmes ne se
considéraient que comme des hommes pieux. (A l'asile, certains Italiens
schizophrènes se font volontiers nourrir par sonde).
Même quand les souhaits du malade sont exaucés par les idées déli-
rantes, il n'en tire que rarement profit. A quoi lui servent la richesse,
la gloire qu'il s'est imaginées s'il est enfermé à l'asile ; et la plupart
ne profitent même pas des joies de l'amour et se repaissent tout aussi
peu des repas qu'ils hallucinent. La honte, l'angoisse et d'autres affects
déplaisants que l'activité sexuelle éveille si aisément ne peuvent guère
7 6 . En vertu de l'analogie avec le rêve, il n'est pas invraisemblable que seuls des complexes
qui sont d'emblée ambivalents donnent lieu à de véritables idées délirantes. L'ambivalence
du délire serait alors causée non seulement par ce facteur, mais aussi, en outre, par une
tendance particulière du complexe délirogène (NDA).
honte, elle devrait tuer cet enfant car « elle n'est pas fiancée avec
lui ». Dans la mesure où elle imagine son souhait réalisé, elle est en
même temps une infanticide, et c'est ce que lui reprochent les Voix.
L'idée d'être une infanticide continue alors à faire son chemin. Dans
son village, il y a bien des années, une fille a tué son enfant naturel :
la malade serait comme elle. Mais les Voix en concluent qu'elle est
vraiment cette personne et, dans son état d'excitation, elle cherche à
prouver qu'elle ne l'est pas. Ici, les persécuteurs sont les représentants
du conflit intérieur.
Il en va de façon tout à fait analogue chez un paranoïde. Sa femme ne
lui suffit pas (ne lui suffit plus). Les Voix lui disent qu'il pourrait en
épouser une plus jeune ; une nièce, notamment, qui n'a cependant que
16 ans, lui a fait de l'impression. Légalement, il ne peut pas avoir de
rapports avec elle ; mais le souhait de le faire de façon illégale est présent.
Les Voix font un compromis entre souhait et réalité et lui disent qu'il l'a
violée. Cela l'ennuie, naturellement. L'idée gagne du terrain, car il est
affecté à un autre poste dans son usine et halluciné que ses nouveaux
camarades de travail ne veulent plus travailler à côté d'un salopard pareil.
A présent, il s'agite et, naturellement, devient aussi désagréable avec sa
femme, qui est en travers de la réalisation de ses souhaits.
L'ambivalence affective ne se manifeste pas seulement par l'inclination
et l'aversion, mais aussi par l'espoir et la crainte. Quand le dernier
ouvrier d'usine cité se retrouva à l'asile, les Voix lui dirent tantôt qu'il
sortirait dans six semaines, tantôt qu'il lui faudrait rester éternellement
interné. Contrairement aux futures réflexions infâmes des camarades
de travail, les Voix lui avaient promis peu avant qu'on le nommerait
contremaître dans l'usine. En guise d'introduction à sa psychose, le
même patient entendit des hypostases beaucoup plus simples de ses
souhaits et de ses craintes : ainsi lui chuchotait-on qu'une fille donnée
voulait l'épouser ; il recevrait beaucoup d'argent avant le soir ; au tir,
tout le club de tir lui a chuchoté qu'il devait bien faire attention, Bon
Dieu, qu'il n'abattrait pas une cible mobile.
Un amant réel a lui aussi ses mauvais côtés ; par exemple, il peut avoir
une moindre valeur morale que Tépoux non aimé. Une patiente eut
l'idée délirante que le voyou dont elle s'était entichée était fou. Sans
doute est-il ainsi plus excusé que puni ; car supposer qu'elle souhai-
terait, par vengeance, qu'il devienne malade mental irait à l'encontre
de tout ce qu'elle ressent.
Des conflits résultent, notamment, des luttes habituelles entre nos di-
verses pulsions, disons les bonnes et les mauvaises. Conformément à
ces conflits, les malades ont des Voix et des impulsions d'agir ; chez
ceux des malades qui en sont pourvus, les élans de conscience s'op-
posent aux pulsions mauvaises. Les bonnes pulsions sont dotées d'une
tonalité affective négative à cause des sacrifices qu'elles supposent de
notre part. Aussi les malades sont-ils souvent poussés tant à faire qu'à
ne pas faire les mêmes choses. Les Voix, notamment, les plongent sou-
vent dans le désespoir, quand elles leur commandent quelque chose
puis, une fois l'acte accompli, leur font les reproches les plus grossiers.
Dans certains cas, le persécuteur n'est autre que la conscience per-
sonnifiée. Un paranoïde qui s'était mal conduit eut, après l'ouverture
du testament de son père, des Voix de son oncle et d'un bon ami de
son père qui lui faisaient des reproches sur son existence de voyou,
lui disaient qu'il ne savait rien faire, qu'il se laissait entretenir au
Burghôlzli. Par la suite, d'autres Voix, qui le persécutaient d'une autre
façon, s'y joignirent aussi.
Peut-être l'ensemble du délire de persécution peut-il résulter, le cas
échéant, d'une mauvaise conscience 7 7 . Dans la schizophrénie, j e ne l'ai
cependant jamais rencontrée sans qu'elle fût associée à des aspirations
déçues, bien qu'il ne soit pas rare qu'un malade dise qu'on s'aperçoit
de son onanisme rien qu'en le regardant, et finisse par développer
l'idée qu'on le regarde à cause de son onanisme.
Il est fréquent que l'ambivalence des sentiments se manifeste par des
Voix contradictoires ; il en est qui consolent le malade, prennent parti
en sa faveur, et d'autres qui le tourmentent et l'accusent, le bien oc-
cupant l'oreille droite et le mal l'oreille gauche.
Selon Freud, les rêves de crainte seraient aussi des souhaits ; ils ne
seraient élaborés négativement qu'à cause des obstacles qui peuvent
s'y opposer. J e ne suis pas convaincu que cette conception soit exacte,
et j e ne vois pas, pour l'instant, pourquoi un affect négatif ne pourrait
pas, tout autant qu'un affect positif, provoquer directement les pensées
qui lui correspondent. Si un patient craint, dans ses rêves, que ses
frères et sœurs ne meurent, c'est qu'il est jaloux d'eux, et sans doute
peut-on donc interpréter ceci comme un souhait auquel se mêle une
composante négative. Mais si une hébéphrène qui n'a plus été capable
de passer l'examen de puéricultrice présente, à l'asile, l'idée délirante
qu'on va distribuer ses cahiers et ses livres aux autres pour se moquer
d'elle, l'interprétation selon laquelle elle a bel et bien honte et que
78. Moebius raconte l'histoire d'une cigogne qui, abandonnée par son compagnon, jeta les
œufs couvés hors du nid et remplit celui-ci d'herbe (NDA).
son petit chéri. Une autre femme motivait son intention meurtrière en
disant que ce n'était pas la peine que son mari continue à goûter la
joie que lui procuraient ses enfants. - Un homme voulait épouser une
autre femme pour rendre heureux sa femme actuelle et ses frères et
sœurs, mais il disait aussi qu'on voulait le tuer, que son enfant devait
être immolé afin que sa propre vie soit sauvée par ce sang innocent.
Une patiente dont les enfants sont réellement morts mais qui a l'illusion
mnésique de les avoir tués elle-même exprime en cela sa haine contre
son mari d'une façon apparemment différente, mais tout à fait équiva-
lente. - Une autre catatonique, qui a l'idée délirante que son mari se
serait tué d'une balle, présente encore une autre forme, qui n'est pas
excessivement rare ; elle fournissait des informations fort correctes sur
tout, il n'y avait que la question sur le nombre d'enfants qu'elle avait à
laquelle était incapable de répondre, à cause de barrages insurmontables.
Chez les femmes schizophrènes qui croient être enceintes, on peut pres-
que toujours mettre en évidence le souhait d'avoir des enfants. Dans les
cas les plus rares, elles sont mariées mais sans enfants ; généralement,
elles ont un amoureux qu'elles ne peuvent pas rencontrer (qu'elles soient
mariées ou non), et qui est alors le père de l'enfant. Dans certains cas,
en particulier au début de la maladie, la conscience habituelle 8 " des pa-
tientes ne sait rien de la grossesse (imaginaire). Elles peuvent éprouver
des douleurs d'accouchement qui se renouvellent, ou du moins durent
très longtemps. On fait alors éventuellement le diagnostic d'une affection
pelvienne. Dans un cas de ce type, la patiente élucida elle-même, au bout
de quelque temps, sa péritonite apyrétique en prétendant être devenue
enceinte parce qu'elle avait été forcée de coucher dans le lit de son père
(pendant cette maladie !). - Une autre patiente contracta une « hypo-
condrie » de cette façon. Elle avait été amoureuse d'un officier, mais avait
83. Das Stocklein : diminutif de Stock, pour der Eierstock : l'ovaire (NDT).
84. On peut qualifier ce type d'ignorance de stupeur émotionnelle partielle et comparer ce
phénomène à la stupeur généralisée que présentent, par exemple, des conscrits quand ils
paraissent ne plus rien savoir, si on les interroge d'une certaine façon ( N D A ) .
vre le fil sans la moindre difficulté une fois qu'on l'a décelé. Et l'on
ne pouvait que le déceler, sans poser la moindre question, par une
simple observation patiente de ses actes apparemment absurdes. —
Quand son second accès s'annonce, une dame cultivée va dans le ca-
binet de travail d'un directeur de musique et prétend qu'elle va doré-
navant y travailler. On a dû l'éconduire. Puis éclate un delirium qui
représente un rêve amoureux mis en pratique durant quelques mois.
Elle aime un directeur de musique, bien que ce ne soit pas celui dans
l'appartement duquel elle a fait intrusion, il s'agissait seulement d'une
action symptomatique. Voici que dans son delirium elle est fiancée,
puis mariée avec lui, enceinte de jumeaux : d'un enfant qui lui res-
semble et d'un qui représente son père ; elle finit par accoucher, puis
entre en rémission. Pendant le delirium elle a fait toutes sortes de
choses incompréhensibles, elle a en effet considéré son entourage
comme un obstacle et, conformément à cela, a réagi à son égard de
façon hostile quoique inconséquente, car elle enregistrait néanmoins,
outre le délire, la réalité entière en tant que telle. Quand elle était
satisfaite du médecin, il était inclus dans le système érotique d'une
façon qu'on ne pouvait expliquer dans ses moindres détails - le plus
fréquent, en pareil cas, c'est que le médecin soit identifié partiellement
ou totalement au bien-aimé — mais ses actes étaient très symboliques,
elle lui offrait des vers qu'elle avait composés, enveloppés dans beau-
coup de papiers au cœur desquels se trouvaient en outre un poil pu-
bien, un peu de sang menstruel, parfois aussi un peu d'excréments,
etc. De tels faits se produisaient encore à une époque où elle était
déjà si lucide qu'elle m'était nettement supérieure quant à la finesse
de jugement lors de conversations sur l'art, etc.
Une autre malade vit, au cours d'un accès de fureur, Judas Iscariote
la menaçant d'un glaive. De même que, dans le délire précédent,
l'amour du frère et de la sœur était fort bien symbolisé par Apollon et
Diane, Judas représente ici, ainsi qu'il est fréquent, l'amant infidèle.
Le glaive n'est pas si évident que cela à interpréter ; mais, chez cette
patiente, comme chez toutes les autres, il s'avère être équivalent à la
lance dans la main du père de l'exemple cité plus haut, et au couteau
qu'ont en main les « hommes noirs » qui apparaissent aux hystériques
et aux schizophrènes : c'est l'organe sexuel viril agressif 5 '. Dans la
8 6 . U n l i é b é p h r è n e à f o r t e t e n d a n c e h o m o s e x u e l l e a d e s p o l l u t i o n s q u a n d s e s y e u x et son
a n u s s o n t t r a v a i l l é s h a l l u c i n a t o i r e m e n t au c o u t e a u (NDA).
8 7 . Promiskuität : en a l l e m a n d , c e t e r m e d é s i g n e s p é c i f i q u e m e n t l a p r o m i s c u i t é s e x u e l l e , et
p l u s p r é c i s é m e n t d e s r a p p o r t s s e x u e l s s a n s l e n d e m a i n (NDT).
88. L ' a m b i v a l e n c e d e la s e x u a l i t é s ' e x p r i m e d o n c ici a u s s i (NDA).
de saucisses grillées qui, pour acquérir la capacité de servir de sym-
bole, doivent être mises en relation avec le symbole de la bouche en
tant que vagin et de l'alimentation en tant que coït. La baguette ap-
paraît en tant que baguette magique ou en tant que « bois rouge de la
vie ». Ceci est caractéristique du rôle important que joue l'affect dans
toute cette symbolique. L'analogie intellectuelle est souvent accessoire,
l'analogie affective est beaucoup plus importante.
C'est sûrement à cette circonstance que l'un des symboles sexuels les
plus fréquents, le serpent, doit son importance. Nous le rencontrons à
chaque instant dans les hallucinations, et nous n'avons encore jamais
fait de ce symbole une analyse dans laquelle il ne s'avérât pas être
nettement de nature sexuelle. Une vierge dont l'existence est irrépro-
chable éprouve, pendant une poussée bénigne de son hébéphrénie,
« des phénomènes pas désagréables provenant d'un homme noir ou
d'un serpent qui viennent à elle ». Une présénile voit un ange ; « un
serpent arrive, s'enroule autour de lui, et devant ça dépasse vers le
haut comme ça, tout raide (la patiente imite avec son doigt la position
du pénis en érection), c'est pour ça que le serpent ne fait aucun mal ».
Chez une autre malade, le serpent vient boire dans la vulve 89 . Parfois
le serpent est ardent, bien que plus rarement que la lance et le glaive.
Un hébéphrène se plaignait de ce qu'un serpent l'enserrait, la tête
devant sa bouche, dans laquelle il injectait du poison. Les renseigne-
ments fournis par son anamnèse confirmèrent notre soupçon : il était
pédéraste et s'en faisait reproche.
Il n'est pas rare que d'autres animaux soient des symboles sexuels. Et
au premier chef, outre le serpent, le cheval90, que de nombreuses
jeunes filles craignent et intègrent dans leurs rêves anxieux ; et puis
aussi le taureau. Ce dernier est mentionné dans un exemple ci-dessus ;
le cheval peut aussi se voir sous la forme de « deux chevaux à bascule
qui sont dans le lit et qu'on ne voit pas, on les sent seulement cogner
et soulever rythmiquement la couverture ; ce sont N. N. et X. X. (des
connaissances de la patiente auxquelles elle rattache des idées déli-
rantes sexuelles). Chiens et chats, dont tout enfant connaît l'activité
sexuelle, sont également très fréquents ; les patientes les sentent dans
et sur leur ventre, elles voient les chiens les poursuivre, etc. La souris
a à peu près le même usage que le serpent ; il nous est arrivé plus
8 9 . Voir aussi « Premier chant d'amour d'une jeune fille », de Môrike. Dans le rêve du sujet
sain, dans les mythologies, chez Swedenborg, partout le serpent est un symbole sexuel (NI)A).
9 0 . Le cheval est en même temps symbole d'aspirations aristocratiques (NDA).
d'une fois que la même hallucination soit qualifiée tantôt de souris ou
de rat, tantôt de serpent. Parfois aussi, la souris devient un gros rat
sous les yeux de la patiente. Parmi les animaux exotiques, l'éléphant
s'avère aussi être un animal sexuel lors des tests d'images (à l'occasion
de l'examen de la perception), sans doute à cause de sa taille et de
sa trompe ; dans les idées délirantes, j e ne me souviens de l'avoir
rencontré que deux fois comme symbole sexuel net ; une fois, il repré-
sentait un grand médecin auquel la patiente rattachait ses hallucina-
tions sexuelles ; une autre fois, il apparut, au début de la maladie, en
tant qu'hallucination d'une très jeune hébéphrène caractérisée par
toutes sortes de pensées sexuelles. Une patiente se plaignait de nos
« lits à trompes de foin » (foin désigne souvent le pubis, en langage
vulgaire), il y a pas mal d'hommes qui laissent traîner leur trompe de
foin dans son lit (tout ceci avec une mimique indubitablement
sexuelle). De façon fort évocatrice, tous les animaux servant de sym-
boles sexuels étaient spontanément rassemblés sous le vocable « d'ani-
maux de beauté » par une patiente.
91. Ne pas confondre avec l'usage de ce mot pour lous les types de mauvais traitements -
voir Langage (NDA).
92. « A présent, Henri, j e meurs bien de la douce mort », dit Ottegebe dans Le pauvre
Henri, de Haptmann. - « Défends à ton cœur d'aimer, ô enfant ; car aimer c'est mourir,
l'amour c'est la mort », in Horn, La Belle au Bois Dormant, etc., (NDA) - Comparer avec la
« petite mort », en français (NDT).
93. En français dans le texte.
cri et s'exclame que les meurtriers arrivent, que l'homme fornique avec
les patientes.
La guerre et le duel sont également des symboles du coït. Une de nos
hébéphrènes suivait même avec un intérêt nettement sexuel la guerre
russo-japonaise, qui avait toutefois avec la malade d'autres relations
encore, sur lesquelles j e ne suis pas au clair. (Voir plus bas « Guerre
de religion »).
L'idée délirante d'être soi-même tué pourrait en outre exprimer le sou-
hait de mourir. Bien que l'idée délirante d'être assassiné s'entende sur
le plan sexuel dans de nombreux cas, ce n'est sans doute pas toujours
le cas, quoique nous n'ayons pas encore mis en évidence d'autre origine
avec certitude. Ce serait le plus probable dans le cas d'une jeune fille
qui, abandonnée enceinte par son amant, a volé et souffre principale-
ment d'être en froid avec ses parents ; elle dit n'être à personne et
devoir être tuée. Elle ne vint à bout d'aucune lettre à ses parents à
cause d'une soustraction complète de la pensée, tandis qu'elle écrivait
à son amant.
Etre brûlé ou consumé s'apparente généralement de très près à l'idée
d'être tué, et est souvent totalement identique pour les patientes. Le
feu de l'amour s'exprime tant de cette manière qu'au travers de l'état
d'ignition des épées, épieux et aiguilles ; parfois, un bien-aimé fait lui
aussi ses visites sous la forme d'un homme ardent 94 ; ou encore il apparaît
dans le matelas, « toute la zone génitale rouge feu comme un poêle ».
C'est ainsi qu'il faut l'entendre, quand cette jeune fille éduquée de
façon asexuelle, sans succès, raconte d'une voix douce qu'elle a peur
« d'un couteau d'assassin qui ne cesse de brûler ». - Lors de l'examen,
une catatonique ne répond qu'avec hésitation, par phrases rares et ha-
chées ; à la question : « Qu'en est-il de Conrad ? » (son amoureux),
elle dit aussitôt, avec une mimique animée et une tout autre voix :
« Dois-je être brûlée ? dois-je être tuée ? » - Des patientes se plaignent
qu'on les prenne pour des messieurs, et ajoutent : « Oui, oui, je sais
bien, j e ne me laisse pas brûler », ou quelque chose d'équivalent. Le
feu est également mis en rapport avec l'angoisse : « C'est exactement
comme si j'avais un feu en moi, aussi ai-je peur jour et nuit ». Chez
cette dernière malade, comme chez plus d'une autre, l'idée de feu mène
à celle d'être en enfer, ou d'aller en enfer (la distinction entre les deux
n'étant pas toujours faite). Un patient passe, par une généralisation,
9 5 . Ihr : s o u s le d e r r i è r e d e s a f e m m e (NDT).
9 6 . Der Rauch : la f u m é e - der Weihrauch : l ' e n c e n s (NDT).
portait en son sein trois enfants de son amant imaginaire avait tenté
de mettre le feu à sa propre maison, la « maison du malheur ».
Le seul de nos cas dans lequel la sexualité n'est pas à coup sûr co-
responsable du feu concerne un catatonique qui avait abattu sa mère
et blessé son père pour les préserver de la pauvreté. La nuit suivante,
il rêva que la maison de ses parents brûlait ; lui-même était tout en
haut du toit, ne faisait rien et se contentait de s'étonner. (Néanmoins,
quelques indices font penser qu'il aurait existé un rapport sexuel uni-
latéral avec sa mère).
L'angoisse a une relation étroite avec les symboles de coït dont nous
avons discuté jusqu'à présent. Voici des décennies déjà, de nombreux
psychiatres savaient qu'il existait un rapport entre sexualité et an-
goisse, l'excitation sexuelle provoquant l'artgoisse et, à l'inverse, une
masturbation impulsive existant souvent dans les états anxieux 9 '. Freud
a ensuite expliqué l'angoisse pathologique en général comme étant une
conversion d'une libido sexuelle refoulée. J e ne vois cependant pas
pourquoi il n'y aurait pas aussi une angoisse en cas de menace sur
l'existence de l'individu, tout aussi bien qu'une angoisse génésique. Il
me faut toutefois constater que, dans les cas pathologiques et dans les
rêves que nous avons pu analyser, seule l'angoisse génésique pouvait
être prouvée avec certitude. En quoi consiste le rapport entre la sexua-
lité et l'angoisse,, cela reste obscur à mes yeux ; le seul point certain,
C est que ce rapport existe .
99. Il est aussi des gens non malades mentaux qui ont des pollutions en cas d'angoisse;
cela arrivait à un jeune monsieur quand il était pressé, par exemple quand il devait vite
aller à la gare et avait encore à se préparer. Les enfants éprouvent une excitation sexuelle
quand ils ont peur de leur instituteur. Voir aussi Krafft-Ebing, Moll. Les rêves d'angoisse
sont de nature sexuelle (Freud). Voici déjà des décennies, Savage connaissait le rapport
entre la mélancolie anxieuse et la sexualité (NDA).
la suite, la malade est carrément mariée au Saint-Esprit. — Une hébé-
phrène (latente) n'aimait plus son mari, et elle obtint le divorce. Le
jour du jugement, elle vit Dieu qui lui promit un million ; mais son
mari lui a volé ce million. Dieu lui dit aussi, entre autres : « Ne re-
nonce pas à ton premier amour, car il tiendra à coup sûr ce qu'il a
promis. » Il parlait saxon, avait des cheveux blonds, un pantalon à
carreaux, bref tout comme un sieur H. que la patiente avait aimé avant
son mari. En même temps, « toute la puissance du Seigneur apparut,
le soleil et les étoiles brillèrent ; mais celui qu'on appelle le Consola-
teur dans le livre de chants religieux, j e le connais dans l'existence,
il a un pantalon et une veste comme le Seigneur et parle saxon. » Le
Christ et les Apôtres sont également représentés dans sa famille. Elle
est elle-même la Jéhovah, elle n'est pas Dieu mais le successeur de
Dieu ; elle siège à sa droite. Monsieur H. est le Roi des Honneurs.
Quand elle parle de ce dernier (même de façon tout à fait profane), elle
y mêle toujours un flot d'expressions bibliques. — Depuis qu'elle ne l'aime
plus, son mari lui est apparu sous les aspects les plus divers, seulement
il avait toujours des cheveux noirs (comme dans la réalité). En parlant
de lui, elle dit généralement « les noirs », elle a divorcé du noir.
Chez les hommes, une sainte peut représenter la bien-aimée. Mais les
hommes schizophrènes ne se gênent nullement non plus pour être ma-
riés à Dieu ou au Christ ; ainsi de notre patient, cité plus haut, dont
les premiers sentiments érotiques étaient liés à sa sœur : le Christ lui
apparaît comme une très belle fille qui a les traits de sa sœur.
Cependant, les hommes sont plus fréquemment actifs en matière reli-
gieuse aussi ; ils deviennent prophètes ou Christ, ou même Dieu, et,
en tant que tels, les plaisirs des différents paradis sont naturellement
à leur disposition. En leur qualité divine, ils peuvent aussi aimer une
mortelle, selon des modèles connus.
Il n'est pas rare que le diable joue le rôle assigné aux bonnes personnes
dans les exemples antérieurs. Une femme qui vit en état d'abstinence
sexuelle est, depuis lors, « tentée » par l'esprit de Dieu, ce qui la fait
jouir de tous les plaisirs ; elle voit et entend le diable, qu'elle identifie
à l'Esprit tentateur, sans que cela soit bien clair dans son esprit. 11 s'agit
plus fréquemment du diable sans aucune adjonction. Une servante voit
le diable avec le visage de son maître, qui lui a fait avec sa baguette
magique toutes sortes de choses qu'elles a senties dans ses organes gé-
nitaux. Souvent aussi, le diable a certaines caractéristiques du bien-aimé,
ou encore d'un autre homme qui excite sexuellement la patiente.
Le lien entre péché et sexualité est des plus fréquents, tant dans la vie
que dans la schizophrénie. Dans les auto-accusations, les péchés
sexuels jouent un grand rôle, et ce même là où d'autres choses, que
l'on peut plus facilement dire et penser, sont d'abord alléguées.
100. Er esse kein Fleisch, weil dass an Fleischliches erinnere. Fleisch : viande, chair (NDT).
101. Bien que j e n'aie encore trouvé chez des malades nulle pulsion de lavage autre que
sexuelle, on doit pourtant être prudent avec l'interprétation de ce symptôme ; chez deux
enfants d'un an et deux ans j'ai vu le rejet véhément d'une exigence quelconque s'accompa-
gner constamment de gestes analogues : dans un cas, généralement, un mouvement tournant
des mains exactement comme quand un adulte se lave les mains, et dans l'autre un essuyage
des mains sur les vêtements (NDA).
un contexte analogue, une dame voulait avoir la fenêtre constamment
ouverte à cause de l'impureté de l'air. Chez une dame très sensible et
cultivée, on put prouver expérimentalement cette relation. Souvent, elle
se refusait d'une manière tout à fait négativiste à serrer la main, bien
qu'elle fût très aimable au cours de la conversation. Soit elle ne pouvait
fournir aucune raison, soit elle alléguait qu'elle transpirait des mains,
ce qui n'était que fort modérément le cas. Il s'avéra alors que la peur
de serrer la main survenait toujours alors qu'il s'était présenté, au cours
de la conversation, quelque chose qui avait éveillé son complexe ona-
niste. — Un catatonique était sorti de façon tout à fait absurde par la
fenêtre de sa mansarde et avait démonté et remonté son lit. Il allégua
avoir seulement voulu regarder par la fenêtre (mais il était sorti) ; il
dit qu'il ne savait pas pourquoi il avait démonté son lit, quil était un
pécheur. Cette association entre le démontage du lit et le péché nous
fit soupçonner qu'il s'agissait aussi d'un complexe onaniste de propreté,
ce qui put être prouvé avec certitude dans d'autres associations et à
partir des propos directs du malade.
102. On ne peut encore dire avec certitude pourquoi le complexe onaniste s'impose si sou-
vent avec une force si élémentaire chez les nerveux et chez les schizophrènes. Il est pourtant
d'autres péchés qui sont beaucoup plus graves. Peut-être le « péché » ne doit-il pas être
entendu ici dans un sens religieux ; « l'angoisse de c o n s c i e n c e » serait plutôt l'expression
primaire de l'activité perverse du plus puissant des instincts naturels (NDA).
sardines et des bonbons : dans son délire, il s'agissait de diamants à cause
de la valeur desquels il irait en enfer pour l'éternité. Chez ces deux pa-
tients, nous avions de surcroît matière à soupçonner que, derrière ces
auto-accusations, il y avait tout de même encore le complexe onaniste.
Un autre type de rejet d'idées sexuelles est représenté par le vomisse-
ment (à détermination nerveuse) qui, ainsi que l'a découvert Freud,
représente le dégoût, et généralement le dégoût sexuel 103 . Une patiente
avait fui son mari, qui lui déplaisait. Quand soudain il vint la chercher,
elle eut des vomissements qui durèrent trois semaines. Une autre mala-
de parla pendant un temps de douleurs dans les organes génitaux, as-
sociées à l'idée de soulever ses jupes et de quelque chose de dégoûtant.
Une fois, elle entendit des Voix qui parlaient de soulever ses jupes et
il lui fallut aussitôt vomir alors qu'elle était en plein bien-être. Après
des attentats sexuels, nous avons vu plusieurs fois des vomissements
persistants ou par accès. Une patiente fut violée à 14 ans. Depuis, elle
fait des rêves d'angoisse à propos de lances et de taureaux. A 19 ans
elle tomba amoureuse ; le couple dut se séparer ; sur ces entrefaites,
dépression catatonique avec hallucinations de contenu identique et ex-
citation sexuelle durant un an. Depuis lors, fréquents rêves et hallu-
cinations de même type, quand elle est confrontée à quelque chose de
désagréable, avec en même temps dégoût, éructations, vomissements
et sensation d'être ficelée à l'endroit où le violeur l'a empoignée (Jung).
Freud a également attiré l'attention sur le fait qu'il existe une relation
sexuelle inconsciente entre père et fille et entre mère et fils, relation
qui se manifeste notamment chez les enfants. Nous avons rencontré de
plus en plus fréquemment ce « complexe d''Œdipe » depuis que notre
attention a été attirée là-dessus. C'est aussi un agent important du
choix de l'amoureux chez les sujets sains et chez les malades. Un pa-
tient disait que sa mère avait empoisonné son père. Une fois, il se
réveilla en cours de nuit, il eut une érection, donc sa mère avait fait
des cochonneries avec lui.
Des parents peuvent aussi avoir un complexe d'Œdipe. Une catatonique
repoussa son fils qui lui rendait visite ; elle ressentit une brûlure au
cœur, juste sous la peau, ainsi que les nerfs qui étaient au-dessus,
comme si l'on pouvait toucher ceux-ci avec les doigts. Elle eut un jour
des sensations analogues avec une teneur franchement érotique à
l'égard du médecin, quand il dut se pencher sur elle pour les besoins
Nous avons pu suivre chez deux patientes la façon dont les mouvements
de va-et-vient initiaux du bassin furent déplacés vers le haut, se trans-
formant chez l'une assez directement en mouvements de tête, et chez
l'autre d'abord en mouvements du ventre, puis de la poitrine, et seu-
lement en dernier lieu de la tête.
104. Kaiser ( 3 5 2 ) : « Cette nuit elle a fait des barbouillages avec ses excréments et ce
matin... elle relate : cette nuit j'ai accouché. » (NDA).
105. Voir aussi le cas B. S. de Jung (NDA).
decin voulait faire prendre du lait lui dit : « Vous ne pouvez tout de
même pas m'épouser ». Une patiente voit un ange, qui pour elle re-
présente son mari, « enfoncer la tige de vie rouge dans la bouche » de
sa cousine morte. (On put démontrer avec certitude, à partir d'autres
propos de la patiente, que ceci était censé être un acte sexuel). Une
autre malade qualifie de paniers des sensations sexuelles lors des-
quelles elle ressent aussi une douleur abdominale tandis que quelque
chose de blanc, qu'elle décrit comme du sperme, lui vient au bout des
doigts. Elle a à présent « beaucoup de paniers, de paniers doubles,
qui sortent par en haut, qui sortent par en bas » ; l'orifice supérieur
est identifié à l'orifice inférieur. — Un masturbateur catatonique faisait
aller et venir son doigt dans sa bouche, puis dans son anus. - Une
hébéphrène très légère, âgée de plus de 50 ans, qui ne parvenait pas
encore à évoluer avec une aisance satisfaisante en société, ne laissait
pas le médecin examiner l'intérieur de sa bouche et faisait alors une
mimique de gêne sexuelle, exactement comme quand il devait l'exa-
miner à cause de sa cystite, examen qu'elle cherchait à provoquer plus
qu'il n'était nécessaire.
Gavage et injections sont souvent perçus par les hommes et par les
femmes comme des attentats sexuels, avec parfois, il est vrai, de lé-
gères différences d'interprétation. Une catatonique racontait, avec une
mimique indubitablement sexuelle : « Le médecin m'a introduit un
tuyau dans un conduit qui mène au cœur ». - Après l'injection, une
patiente rêva que le médecin lui avait enfoncé un crayon dans le bras
droit (endroit réel de l'injection). Le crayon sortit immédiatement par
le bas-ventre ; elle ne sait pas exactement s'il ne le lui a pas enfoncé
106. Au cours du test d'associations provoquées, un monsieur non malade mental examiné
par Jung associait, sur des choses qui pouvaient être mises en rapport d'une façon quel-
conque avec la sexualité : « Nez ! » Il ne sut tout d'abord pas lui-même pourquoi, bien qu'il
dît souffrir encore des suites d'une infection vénérienne. Ce ne fut qu'au cours de la nuit
qu'il s'avisa qu'à l'école le nez avait souvent été mis en parallèle avec l'organe génital (NDA).
ici aussi. - Conformément à ces représentations, le liquide injecté est
parfois appelé « venin de serpent ».
Le déplacement d'une sensation sexuelle se produit souvent vers d'au-
tres endroits du pelvis. Quand des sujets sains parlent de leur ventre
ou de leur bas-ventre au lieu de leurs organes génitaux, cette expres-
sion n'est pour eux qu'une métaphore, ils ne pensent néanmoins qu'à
ce qui est véritablement en cause. Mais les schizophrènes transfèrent
pour ainsi dire le symbole dans la réalité ; ils ressentent réellement
leurs hallucinations à l'endroit que désigne le mot, et en cela le dépla-
cement va beaucoup plus loin que ne le font des expressions de conve-
nance. Des serpents et des souris montent jusque dans leur tête « à partir
du ventre » ; la région gastrique est souvent montrée comme point de
départ ; ce n'est que si l'on écoute suffisamment longtemps, ou encore si
on les questionne plus, que la région génitale est mentionnée elle aussi,
mais alors généralement avec une charge affective nettement plus mar-
quée. Néanmoins, il n'est nullement rare de voir un déplacement total
vers le haut, si bien que l'hallucination est complètement dissociée de
la zone génitale dont elle est partie initialement. Une patiente avait
une combinaison remarquable : elle « éprouvait des sensations d'amour
dans son appareil auditif, dans son activité intellectuelle » ; elle ne
semblait pas faire allusion à des hallucinations auditives. - Un para-
noïde se plaignait d'être traité au shampooing (imaginaire), c'est-à-dire
d'une friction, ce qui voulait dire masturbation. Un autre parlait des
parties avec lesquelles on pèche et montrait son flanc.
107. Depuis peu, les rayons Rôntgen remplacent souvent l'électricité. Ainsi abusa-t-on d'une
patiente au moyen de rayons x qu'elle décrivit exactement comme un pénis quant à la
longueur et à la forme (NDA).
si communes, et ce en un double sens. Les unes sont associées à une
« sensation agréable » et sont sans doute la même chose que ce que
les écrivains qualifient de « choc électrique » quand on touche un beau
jour par inadvertance celle qu'on n'a jusqu'alors aimée que de loin.
Un hébéphrène excité sexuellement halluciné un officier qui lui suce
le pénis et l'électrise. Mais des sensations plus irritatives, et qui n'ont
peut-être pas d'équivalent normal, semblent pouvoir être désignées par
la même expression. Du moins ai-je déjà entendu très fréquemment
des plaintes de ce genre dans un contexte sexuel ; les sensations en
cause semblent partir fort souvent de l'occiput. Des sensations
sexuelles encore plus grossières doivent pouvoir se produire ; ainsi un
patient est-il « relié électriquement à une femme ; c'est un tourment
pire que la crucifixion ». Se classent également ici bien des sensations
de tension dans les muscles, de raidissement, que le sujet normal peut
plus facilement comprendre. Ces sensations peuvent se transformer en
troubles de la motricité. Certaines crampes semblent en provenir. L'a-
nalogie de la crise d'épilepsie avec l'orgasme a attiré l'attention dès
l'Antiquité, j e la mentionne ici, sans pouvoir en conclure rien de cer-
tain. Une de nos malades avait assez souvent des accès orgastiques en
cours de nuit, avec gémissements, sensations de paralysie, émission
d'urine, vomissements. Une autre avait, au lit, « des sensations volup-
tueuses, si bien qu'elle doit s'accrocher convulsivement à son lit » ; en
ces occasions, elle devenait froide et raide. Les sensations voluptueuses
lui montent aussi à la tête, elle ne peut alors plus penser, c'est comme
si elle avait un verrou dans l'organe de la pensée (barrages généralisés).
L'opisthotonos hystériforme est aussi un symptôme convulsif sexuel.
Dans un cas, ceci ne se manifestait pourtant que par le fait que la
patiente élevait son pelvis chaque fois que des personnes de sexe mas-
culin s'approchaient d'elle ; dans un autre cas, aux dires de la patiente,
la convulsion se produisait toujours à l'occasion de certaines pensées
concernant son amoureux, qui semblait la tirer vers le haut par les
lèvres 108 .
Des mouvements rythmiques, nous avons déjà vu plus haut qu'ils peu-
vent avoir une signification sexuelles (mouvements de tête). (Voir aussi
les chevaux à bascule dans le lit des malades). Nous avons vu chez
deux femmes, à la suite de la mort de leur mari, des mouvements
rythmiques du bassin qui se communiquaient aussi aux jambes ; mais
seul l'un de ces deux cas était à coup sûr une schizophrénie.
* * *
109. Die Plochburste : ce mot introuvable dans les dictionnaires correspond sans doute au
Plocker souabe, qui désignait au début du siècle un balai-brosse à soies courtes et rigides
utilisé pour astiquer les parquets (NDT).
paraît d'abord totalement incompréhensible. Mais la clé de l'explication
nous est fournie par la connaissance du fait que les malades utilisent
volontiers tant des analogies que des identités et pensent beaucoup
plus par symboles que les sujets sains, et ce sans prendre le moins du
monde en compte si un symbole convient ou non dans tel cas donné" 0 .
Les composantes les plus insignifiantes d'une idée peuvent être utili-
sées en tant que représentants de celle-ci. Dans tout le poème et l'his-
toire des grues d'Ibykos, le mot « libre » (de' tout péché et de toute
faute) joue un rôle très limité. Ce qui n'en fournit pas moins l'occasion
à B. S. de s'identifier aux grues d'Ibykos parce que, bien qu'elle ne
soit pas libre, elle devrait l'être.
Les sentences bibliques, qui sont prises au sens propre par les malades,
fournissent aussi quotidiennement matière à une symbolique morbide.
Un patient qui s'angoissait à cause de l'avenir financier de sa famille
devient, quand il est d'humeur plus favorable, le négociant en gros F.,
un géant, Rotschild, le monde entier tourne autour de lui ; il voit la
terre et les arbres tourner. Un autre se plaignait que l'infirmier lui ait
porté un coup au visage. L'examen ne montra rien qui fût à la charge
de l'infirmier ; le patient se justifia : quand, pour le baigner, on dés-
habille quelqu'un comme un squelette, c'est bel et bien un coup au
visage. Une patiente rêve qu'on l'a « estampée 122 » de son matelas à
très bas prix (c'est-à-dire qu'elle l'a vendu), puis elle dit : « j'ai tiré
un coup de fusil 123 . » (Noter aussi le changement sans façon du sujet
verbal : c'est effectivement elle qui a vendu, mais l'acheteur l'a « es-
tampée » du matelas », ce devrait donc être lui qui a tiré un coup de
fusil ; tirer = appuyer sur la gâchette). Un schizophrène qui avait envie
124. Die Schwarzen, littéralement les noirs, lerme dépréciatif pour désigner les prêtres -
voir « les corbeaux » - ou, plus généralement, les militants des partis démocrates-chrétiens.
aimerait bien être. - La femme d'un alcoolique s'imagine être en enfer,
il lui faut attiser le charbon pour le Diable.
Une jeune fille assistait à un mariage, mais elle pensait avoir elle-même
des droits sur le fiancé ; elle vit la fiancée, à l'autel, sous la forme d'un
chien ; le prêtre qui procédait à l'union lui a donné quelque chose à
manger dans l'église, c'est pour cela qu'elle ne peut plus travailler. Quand
elle sortit de l'église, elle apostropha des passants : « Nous sommes encore
là tous les deux ! », voulant manifestement marquer par là la persistance
de l'affinité qui existait entre le fiancé et elle. - La seconde femme d'un
veuf était persuadée que la première épouse de son mari vivait encore ;
mais elle ne vivait que dans le cœur de son mari.
Une Allemande a épousé un Suisse qui l'a quittée ; elle gagne son pain
quotidien notamment en se prostituant à des ouvriers italiens. Ce
contexte donne lieu à l'idée délirante que diverses « communautés
ethniques » luttent les unes avec les autres, et que les Italiens prennent
sous leur protection les Allemands qui vivent en Suisse. - Une jeune
fille craint les reproches de ses parents à cause de sa mauvaise
conduite ; voici qu'elle halluciné qu'elle est battue à mort tantôt par
sa mère, tantôt par son père. — Sa liaison avec une catholique donne
à un hébéphrène matière à interpréter une Voix qui lui est incompré-
Les cas qui nous ont permis d'avoir un aperçu de certaines modalités de la
genèse du délire d'empoisonnement sont les suivants :
Une paranoïde est jalouse du médecin - qui est une femme. Elle est empoi-
sonnée par celle-ci mais, ajoute-t-elle explicitement, pas dans sa nourriture
mais par des mots. Ici, la jalousie fournit l'affect, et la symbolique des « mots
empoisonnés » le matériel servant à la constitution du délire. - Une autre
malade a une querelle avec sa fille, nous ne savons pas pourquoi. Celle-ci
« lui met du poison dans sa nourriture, parce qu'elle a une sacrée gueule cle
vipère ». Même genèse que ci-dessus, mais la patiente est allée un degré
au-delà et trouve vraiment du poison dans sa nourriture, toutefois la formula-
Un homme avait une liaison avec la femme d'un ami et s'en vit demander
raison. Voilà qu'il se crut calomnié en tous lieux et « aspergé de venin ».
C'est par un cheminement plus logique qu'un autre patient en arrive à l'idée
d'empoisonnement ; il a fondé un commerce concurrent de celui d'un riche
parent, a subi un échec, n'en réclame pas moins de l'aide de ce même parent,
n'en reçoit pas suffisamment ; alors, idée délirante que ce parent aurait tué
son père (qui est mort), parce que celui-ci aurait su que ce parent était un
uraniste. Il se servit de cette idée délirante pour une tentative de chantage
et craignit alors une riposte par armes à feu et poison ; en prison, il refusa
de manger à cause de poison dans les aliments. - L'impuissant déjà cité plus
haut, qui se serait volontiers débarrassé de sa femme, pense que celle-ci veut
le tuer par le poison, entre autres. Il est vrai qu'ici le choix de la méthode
de meurtre peut être un simple hasard.
Dans le cas qui suit, il s'agit aussi d'une idée d'empoisonnement, mais dans
un tout autre sens que dans le cas d'empoisonnement par des ennemis. Cet
exemple montre en même temps comment les déplacements peuvent masquer la
signification d'une idée.
Une patiente mariée est tombée malade après s'être fait une injection de
sublimé dans le vagin, dans l'espoir d'interrompre ainsi une grossesse. Voici
qu'elle ne cesse de prétendre qu'elle est empoisonnée, que c'est un malheur
épouvantable, elle accuse le pharmacien de lui avoir délivré une pareille
quantité de toxique ; il faut qu'il soit puni. Elle a lu dans le dictionnaire
encyclopédique que du sang apparaît dans le rectum en cas d'intoxication
au sublimé ; elle a alors la « stéréotypie » de s'enfoncer sans cesse le doigt
dans le rectum pour se convaincre qu'il n'y a pas de sang ; contre cette
pratique, la bienveillance est tout aussi inefficace que la contrainte. Elle ne
peut pas prouver qu'elle est empoisonnée, elle n'est pas capable d'en fournir
de symptômes ; pourtant, au cours d'une longue thérapie, personne ne peut
la convaincre qu'elle n'est pas empoisonnée. Les plaintes surviennent de fa-
çon complètement stéréotypée, sans autres associations, bien qu'on puisse
par ailleurs discuter de nombreux sujets de façon approfondie avec cette
femme cultivée. L'expression des affects ne s'accorde pas non plus avec l'idée
d'empoisonnement ; elle gémit seulement en utilisant certains termes, mais
l'on ne saisit pas le rapport. Ce qui est constamment associé à l'empoison-
nement, c'est son mari, dont elle fait l'éloge sur le même ton que si elle avait
quelque chose à lui reprocher. Son mari est un très gentil mari, un bon mari,
le meilleur mari - tout ceci sur le même ton que s'il fallait assortir cela d'un
« mais ». Ce n'est cependant pas le « mais » qui suit, mais cette remarque,
jetée d'un ton indifférent : « mon frère ne sort pas le soir. » Le même cours
de pensée se renouvelle plusieurs fois d'une façon complètement stéréotypée.
Si l'on s'en tient à ce thème sans suggérer quoi que ce soit, il s'avère qu'elle
a à dire en affirmation et en mauvaise part de son mari ce qu'elle disait en
négation et en bonne part de son frère ; il finit par en ressortir que son mari
est resté longtemps dehors ces derniers temps, et qu'elle craint qu'il ne lui
soit infidèle. C'est pour cela qu'elle ne voulait pas d'enfant de lui, et non
parce qu'elle craignait un accouchement pénible, ainsi qu'elle l'avait préten-
du. Une fois qu'on l'a amenée au point où l'ensemble de ce complexe est
clair dans sa conscience, et où l'on peut vraiment en discuter avec elle, son
affectivité est tout à fait naturelle et l'on s'aperçoit que des fragments de son
propos sont entrés dans les accusations d'empoisonnement. Qui a vécu et
expérimenté cela plusieurs fois ne peut plus douter que le complexe qui a
entraîné l'éclosion de la maladie, et qui domine ensuite la symptomatologie,
ne soit la crainte de l'infidélité du mari ; et, derrière cette idée, il y a le
sentiment qu'elle n'est pas assez belle pour son époux, et on a quelque raison
de le croire ; elle l'a toujours tenu pour le plus beau des hommes, et de loin,
mais elle n'est elle-même vraiment pas belle et elle a arraché de haute lutte
son mariage avec lui, peut-être un peu grâce à l'argent qu'elle possède. Il
est vrai qu'il serait aussi envisageable que la tentative d'avortement pèse sur
sa conscience, et que ce soit pour cette raison que l'idée d'empoisonnement,
qui est celle qui vient le plus facilement à l'esprit, ait acquis la charge
affective nécessaire pour constituer, en partant de là, une idée délirante aussi
absurde. Mais j e n'ai rien trouvé de tel. Cette femme se sent malheureuse
parce qu'elle ne fait pas confiance à son mari ; il en est résulté d'un côté la
crainte désespérée d'une nouvelle grossesse, et de l'autre cette représentation
insupportable lui est habituellement inaccessible, tandis qu'elle a déplacé la
charge affective sur l'idée délirante d'empoisonnement, plus supportable 127 .
127. Dans sa genèse, ce cas est tout à fait analogue à celui, publié antérieurement, d'une
hystérique qui, au cours d'une grossesse, craignait que son mari ne puisse la quitter, et qui
conçut alors l'idée délirante que son enfant était mort, concentrant toute son affectivité sur
cet événement, tandis que son différend avec son mari avait complètement disparu de son
esprit (72) (NOA).
« L'investissement d'affect128 », comme Freud appelle ce rapport, a donc
été « déplacée » par notre schizophrène de l'infidélité de son mari sur
l'injection de sublimé, ce qui a permis à celle-ci de devenir idée dé-
lirante ; l'idée d'empoisonnement est une « idée-écran » de l'idée d'in-
fidélité.
1 2 9 . D e tels mariages par déplacement ou, ce qui revient à peu près au même ici, en tant
qu'actes symboliques, ne sont pas rares chez des sujets sains (NDA).
nages de son délire, ainsi que l'échafaudage délirant fort compliqué
qu'il s'était bâti au cours de vingt années environ, se trouvèrent
condensés avec cette jeune fille, si bien qu'elle représentait pour lui,
à la fois, et tous ces personnages et l'ensemble du complexe délirant.
La mise en œuvre des principes d'interprétation freudiens n'est pas
aussi simple que ne pourraient le laisser supposer ces exemples cités
de façon fragmentaire. Par exemple, la « surdétermination » du tableau
psychique constitue souvent une complication. Si un Suisse a un dif-
férend avec sa femme prussienne, il n'est pas encore nécessaire pour
autant qu'il forme l'idée délirante que la Prusse fait la guerre à la
Suisse, l'action d'autres déterminants doit y concourir. Pour définir un
point dans l'espace, il doit être fixé dans trois dimensions. Pour dé-
terminer un tableau psychique de telle sorte que rien d'autre ne puisse
être pensé, il faut une foule incalculable de conditions. La « surdéter-
mination », qui nécessite de nombreuses « interprétations » d'un même
symptôme, a fortement discrédité l'interprétation des rêves de Freud :
elle sera aussi un obstacle à l'acceptation des explications des symp-
tômes schizophréniques, et pourtant elle se révèle être une évidence,
à y regarder de plus près : une foule de « constellations », de tendances
et de motifs circonstanciels doivent être présents pour que ce soit pré-
cisément l'idée à analyser qui vienne au jour dans toutes ses nuances 130 .
130. Voir aussi l'ambiguïté, acceptée comme allant de soi, de la symbolique dans l'Église
catholique. D'une façon générale, le mode de pensée médiéval présente de très nombreux
points de comparaison avec la schizophrénie ; il s'était détourné lui aussi de la réalité d'une
façon autistique, pour lui aussi le résultat de la pensée n'était pas l'aboutissement d'une
opération logique, mais il était déterminé à l'avance par l'affectivité, et la logique n'entrait
en jeu qu'autant qu'elle menait à la conclusion souhaitée. « L'Homo Dei » à visage humain
pourrait fort bien être issu des arguties d'un schizophrène moderne (NDA).
nécessaire pour cela que soit exprimé un complexe important pour le
patient. Une malade voulait grimper par-dessus la clôture ; quand on
le lui interdit, elle inventa diverses excuses pour mettre au moins ses
pieds sur la clôture, défit les lacets de ses souliers, etc. 1 3 1
Une autre patiente se dressait sur la pointe des pieds quand elle disait
que telle et telle était vraiment infecte avec elle, qu'elle-même était
trop bien pour faire telle chose, etc. - Une catatonique qui était arrivée
d'un centre de détention préventive avait eu peur de moi ; quand l'oc-
casion s'en présenta, elle expliqua qu'elle ne me craignait plus à pré-
sent, tout en s'approchant de moi le plus possible. - Une catatonique
arrive de permission très affligée que cela ne se soit pas bien passé
au dehors. Quand elle doit aller dans la section, elle dit adieu au
médecin et à la surveillante, au lieu de le dire à sa mère. - Un
complexe important était celé derrière un tel acte (associé toutefois à
une idée-écran) dans le cas d'une catatonique qui cherchait son porte-
monnaie dans toute la pièce en expliquant qu'elle en avait besoin parce
que les gens doivent prendre le train. Mais le véritable motif était sans
doute qu'elle s'inquiétait pour sa fortune car son mari était mourant et
elle était prise en charge à l'asile. Une paranoïde déchira du papier
en petits morceaux et le jeta dans les toilettes ; elle avait par ailleurs
également tendance à faire de petits chiffons ; elle disait que c'était
cela ses pensées.
La tendance à des actes symboliques peut dominer le patient à tel
point qu'il en devient insupportable à l'extérieur. Une de nos hébé-
phrènes dut être conduite deux fois à l'asile parce que, entre autres,
elle coupait les rameaux d'un cognassier pour indiquer qu'elle en était
quitte avec le pasteur 132 ; elle jetait les rameaux dans le ruisseau, ce
sont les péchés, ils sont emportés à la mer ; elle allait chantant à tra-
vers le village, un jupon et d'autres symboles accrochés à un bâton,
pour indiquer à certaines femmes la situation du pasteur 133 , etc.
131. On rencontre des phénomènes analogues chez les enfants à qui l'on interdit quelque
chose (NÜA).
132. Der Quittenbaum : le cognassier - quitt sein : être quitte.
133. ... das Verhältnis des Pfarrers : l'expression est ambiguë, dans un contexte plus précis
il pourrait convenir de traduire par « l a liaison du pasteur » (NDT).
logue de la pensée : les images symboliques, les condensations, l'empire des
sentiments, qui restent eux-mêmes souvent cachés, les idées délirantes, les
hallucinations, nous trouvons tout cela sur le même mode dans ces deux états.
Cette analogie devient identité dans les cas où les malades traitent leurs
hallucinations oniriques comme si elles étaient réelles, constituent leurs idées
délirantes au cours du rêve et s'y tiennent à l'état de veille 134 . Nous ne savons
pas quel est le nombre d'idées délirantes oniriques qui surviennent au cours
de la schizophrénie ; la seule chose certaine, c'est que des idées délirantes
— mais pas toutes — se constituent au cours du rêve, et que la pensée onirique
et la pensée autistique schizophrénique sont identiques pour l'essentiel, en
l'état actuel de nos méthodes d'investigation13:\
On peut aussi mentionner ici que les rêves des schizophrènes ne se distin-
guent pas de ceux des sujets sains, au point où nous les avons analysés
jusqu'à présent. Il n'y a pas de place ici pour des analyses plus longues,
qu'on peut également entreprendre chez eux ; je veux seulement mentionner
le cas où un hébéphrène encaissa de façon fort débonnaire les taquineries
d'un autre, mais rêva la nuit suivante que son tourmenteur recevait une volée.
Dans certains cas, la signification du rêve parvenait directement à la
conscience des patients ; ils fournissaient spontanément des analyses freu-
diennes. Nous voyons donc ici aussi le mélange de registres différents de
pensées.
La seule différence entre phénomènes schizophréniques et rêve que je sois
en mesure de citer jusqu'à présent consiste en le plus fort clivage de la
réalité des premiers. Le rêveur est généralement entièrement dominé par un
complexe ou par un mélange homogène de complexes. En outre, le schizo-
phrène enregistre en double, ou peut-être même, s'il a plusieurs complexes
autonomes, en multiple dans le sens de la réalité et dans le sens des idées
délirantes. Pour autant que nous sachions, le rêveur n'enregistre pas la réalité
en tant que telle, ou alors seulement par bribes. Mais cette différence n'est
pas forcément fondamentale. Car il est dans la nature du sommeil de se re-
trancher le plus possible du monde extérieur. Et ce retranchement n'est pas
non plus complet. Beaucoup enregistrent mieux le temps durant leur sommeil
qu'à l'état de veille. Une mère se réveille au plus léger soupir de son enfant
1 3 4 . Il arrive que, durant des années, un schizophrène ne produise qu'au cours du rêve des
hallucinations qui s'avèrent pathologiques par leur confirmation et leur contenu homogène,
puis des hallucinations équivalentes en état de demi-sommeil, et également à l'état de veille
au bout de plusieurs années seulement (NDA).
1 3 5 . Il est singulier que Pilez et Lasègue puissent trouver que « des malades paranoïaques »
(généralement des schizophrènes, selon notre nomenclature) ne rêvent pas de leurs repré-
sentations délirantes (Kraepelin 3 8 8 , I, p. 153), alors que nous ne sommes pas seuls à l'avoir
observé : Kahlbaum, Kraepelin, Santé de Sanctis, von Krafft-Ebing ont fait les mêmes ob-
servations que nous, et l'un de nos patients a formulé spontanément c e fait, bien connu
d'autres patients aussi, en ces termes : « L'activité onirique de l'être humain est identique
à la sphère des Voix des malades mentaux. » (NDA).
malade, mais non à d'autres bruits, forts, eux ; elle sélectionne donc, diffé-
rencie des phénomènes qui ont lieu dans la réalité.
Ainsi serait-il bel et bien possible que la symptomatologie secondaire de
la schizophrénie que l'on connaît à ce jour se recoupe entièrement avec
celle du rêve, malgré leur genèse différente, et malgré cette petite dis-
semblance.
On a aussi comparé d'autres deliriums aux rêves. Les Français, notamment,
ont véritablement mis sur pied une classe particulière de « délires oniriques »
et voulu voir en cette classe un groupe étiologique des psychoses toxiques.
Mais le prototype de ces maladies, le delirium tremens, qui a été conçu en
France, il y a déjà des décennies, comme un rêve prolongé, ne peut sans
doute pas être comparé à un rêve, à y regarder de plus près, bien que ces
deux phénomènes soient en apparence dominés par les hallucinations visuelles.
Dans les cas typiques de delirium alcoolique, la symbolique n'est pas re-
connaissable. En outre, le patient qui présente un delirium est trop souvent
simple spectateur des hallucinations, qui l'intéressent plutôt en tant que cu-
riosités mais ne le concernent pas plus que cela 136 . Cela ne se rencontre
sans doute pas dans le rêve. Les différents types de deliriums des pyrexies
paraissent avoir plus d'analogie avec les rêves ; mais ils sont encore trop peu
étudiés pour pouvoir être pris en considération ici. J'ai pu aisément distinguer
de la schizophrénie la plupart des délires des pyrexies que j'ai vus.
1. Généralités
11 n'y a jusqu'à présent pas d'explication plausible de la série des symptômes
catatoniques. Il est à vrai dire facile de voir que ceux des actes du sujet sain
qui se déroulent parallèlement à la sphère d'une attention concentrée ont des
analogies avec eux. On tourne un bouton quelconque pendant un discours,
on dessine des figures stéréotypées pendant que l'attention est soutenue ;
absorbé par un problème, Newton resta assis toute une journée au bord de
son lit, un bas à la main. On a tendance à obéir automatiquement à un ordre
simple quand l'attention est fixée dans une autre direction. Dans la schizo-
phrénie, cependant, on ne peut pas rapporter ces symptômes à un simple
trouble de l'attention, ne serait-ce que parce qu'il n'est nullement toujours
possible de mettre un tel trouble en évidence. Il faut mentionner l'étrange
tentative d'Alters d'expliquer une partie des symptômes catatoniques par
« l'effet extincteur de l'attention » (et non pas, donc, par une diminution de
136. Ces commentaires sur la clinique du delirium tremens ne peuvent que laisser perplexe
non seulement un Français, mais quiconque a eu l'occasion de n'en voir ne serait-ce qu'un
cas dans sa vie (NDT).
celle-ci). Selon lui, le négativisme, les automatismes, les stéréotypies sont
déterminés de façon en partie psychique et en partie motrice. Le processus
intra-psychique doit être envisagé de telle sorte que « la congruence entre
la composante spatiale de la perception motrice et celle de la volonté de
mouvement, et par conséquent de l'achèvement correct du mouvement une
fois accompli, normalement affectée d'une forte charge de conscience, ne
devient pas consciente... » - Lundborg pense que les symptômes psychiques
de la catatonie proviennent d'une insuffisance thyroïdienne, et ses symptômes
moteurs d'une insuffisance parathyroïdienne ; pour moi, il n'a même pas fait
apparaître cette conception comme possible, et encore moins vraisemblable.
- Schule (680) met en rapport les accès cataleptiformes (raptus, refus d'ali-
ments, mutisme) avec l'onanisme ou les affections utérines, tandis que l'école
de Wernicke qualifie les psychoses de motilité de type le plus fréquent de
psychose menstruelle. Il n'est sans doute pas invraisemblable que les symp-
tômes catatoniques aient plus de rapports avec la sexualité que d'autres mani-
festations secondaires de la schizophrénie, mais ce n'est pas non plus prouvé.
Il faut supposer que les symptômes catatoniques ne forment pas un
groupe homogène. S'ils sont solidaires, c'est sans doute en partie du
fait que la plupart d'entre eux sont un signe d'assez forte intensité de
la maladie. Pourtant des actes compulsifs, par exemple, se voient aussi
dans des formes tout à fait bénignes ; mais nous ne pouvons pas bien
les distinguer des autres automatismes catatoniques.
Ainsi un point de vue homogène nous fait-il défaut pour envisager la
genèse de tous les phénomènes catatoniques.
2. Stupeur
Comme nous ne considérons pas le tableau apparent de la stupeur comme
un symptôme homogène, on renverra à l'énumération de ses différentes ori-
gines (p. 202). En outre, l'hypertension cérébrale produite par un œdème de
la pie-mère et du cerveau ou par un autre type d'œdème cérébral provoque
des phénomènes de type stuporeux. Mais les explorations de Gross avec le
test d'écriture, citées plus haut, montrent qu'une altération générale des pro-
cessus cérébraux n'est pas nécessairement présente lors d'une stupeur.
3. Le négativisme
Les théories antérieures des phénomènes négativistes sont inexactes
ou insuffisantes, ainsi que j e crois l'avoir démontré 137 . Le négativisme
n'est, par exemple, rien de si simple qu'on puisse l'expliquer par la
motricité, en faisant totalement abstraction du fait que l'existence de
C'est Schiile (679) qui a étudié le plus à fond les troubles de la motricité.
Mais, malgré sa brillante description, je ne puis accepter les distinctions qu'il
fait. Je ne rencontre presque jamais quelque chose qu'on pourrait appeler
spasmes ; nous observons certes des mouvements compulsifs, mais ils ne
correspondent pas à la description de Schiile, qui décrit des mouvements que
140. Kraepelin (388, II, p. 761/2) identifie, parmi les phobies, des tics qui sont des sym-
boles ; ils ont alors les mêmes mécanismes que les stéréotypies catatoniques (N1)A).
141. Voir en outre la critique de Neisser (512) et Roller. (NI)A).
psychique peut être prouvée. Un spasme en groin s'explique mieux comme
un signe de mépris que comme un tonus localisé des protracteurs des lèvres,
et les variations subites d'intensité du zéro au maximum sous des influences
psychiques ne sont tout de même compréhensibles que si au moins le dé-
clenchement du symptôme est psychique.
On a prétendu localiser la catalepsie dans les muscles ; Schtile (680) formule
l'hypothèse d'états pathologiques, infectieux peut-être, de la musculature.
Kahlbaum la qualifie, de façon peu claire, de symptôme cérébro-spinal. Rie-
ger pense que « toute la solution du problème » réside dans le fait que les
muscles antagonistes reçoivent des influx nerveux égaux aux agonistes. Si
seulement elle ne faisait pas défaut dans tant de cas, la difficulté des mou-
vements spontanés parlerait en faveur de cette dernière conception. Et puis
nous ne voyons pas trop ce que sont ces influx nerveux antagonistes, si ce
n'est pas le négativisme qui les conditionne.
1 4 3 . Chez des sujets sains aussi, la stupeur affective peut conduire à des attitudes catato-
niques, à des stéréotypies, et même à la verbigération. « Un sujet sain, qui a parlé auparavant
avec indifférence d'une immersion dans l'huile, est plongé dans l'embarras à cause d'une
erreur de toilettes, ayant rencontré une dame clans l'escalier, environ une demi-heure après
cette conversation. A la suite cle cela, il se surprend à marmonner dans sa barbe : une
immersion dans l'huile - une immersion dans l'huile — une immersion dans l'huile. » -
Loewy, Zeitschrift fur die gesamte Neurologie und Psychiatrie, Orig. I, 3 3 9 (NI)A).
1 4 4 . D'où les différents types de troubles du sentiment de l'activité, etc. Pick (570) (NDA).
Si le clivage est si fort qu'aucun lien associatif avec la personnalité
consciente n'intervient, même lors de l'exécution, nous avons un acte
automatique, dans lequel le patient fonctionne comme un tiers, en tant
que spectateur. Dans des cas intermédiaires, seule la partie motrice
est en relation avec la personnalité. Le patient croit agir de lui-même,
mais ne se rend pas compte de ses motifs, et ne résiste pas non plus 145 .
Quand Berze (59), après Wundt, accorde de l'importance au fait que le conte-
nu de la conscience serait modifié en ce sens qu'il n'apparaît pas comme
« voulu activement » mais comme « subi passivement », il s'agit là d'une
bonne description des symptômes automatiques ; mais le symptôme ainsi dé-
crit n'est pas caractéristique d'une paranoïa circonscrite de quelque façon,
alors justement qu'il est quotidien dans le cas de la schizophrénie.
148. Trieb : par exception nous traduisons ici par instinct, pour nous conformer à l'usage
de la langue courante (NDT).
149. En français dans le texte.
150. Les différents types d'automatismes peuvent être provoqués par suggestion post-hypno-
tique (NDA).
151. Comme chez les sujets sains. Voir Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne, et
Jung (344, p. 6 2 ) ( N D A ) .
un jour, sans la moindre suite, « dans la Bible, il est écrit qu'on doit
aller voir la Samaritaine de la Fontaine de Jacob » (Evangile de Jean,
IV). Dans sa maladie, on la tourmentait parce que - comme la Sama-
ritaine - elle avait eu plusieurs hommes, deux qu'elle avait épousés,
et un avant de se marier.
Le symptôme le plus connu de l'activité complexuelle est le rire im-
motivé.
Freud (235, p. 145) attire l'attention sur le fait qu'au cours des analyses
les malades rient souvent quand on touche à un complexe. Nous avons
parfois vu cela dans la schizophrénie ; et nos observations indiquent
que le rire équivoque de nos malades a toujours cette origine ; seule-
ment, la stimulation du complexe ne vient absolument pas toujours de
l'extérieur, mais bien plus souvent de l'intérieur. Les malades ne savent
généralement pas eux-mêmes pourquoi ils rient ; ils ressentent cela
comme une compulsion ; il s'agit donc ici du même phénomène que
dans le cas d'autres modes d'expression des complexes.
Qu'un hébéphrène périodique s'aperçoive à chaque fois, à son rire, qu'un
nouvel accès approche est également en faveur de cette conception : car les
complexes se réactivent à l'approche d'un nouvel accès. Un patient précé-
demment légèrement imbécile et qui ne tomba malade de façon patente qu'à
l'âge de 45 ans n'aurait jamais ri auparavant ; au début de sa maladie, on
remarqua qu'il riait. Dans le cas qui suit, le rapport avec le complexe est
très net : une patiente a développé sous la forme « d'une ou deux poupées
de caoutchouc », qu'elle identifie à son bien-aimé, le cauchemar qui l'a op-
pressée une fois. Son bien-aimé la tourmente à présent avec ces poupées, il
la serre, l'étrangle, lui provoque des battements de cœur, lui comprime la
tête et lui ordonne d'être gaie ; elle est alors forcée de rire tout le jour durant.
Les pleurs immotivés, qui ne sont pas rares non plus, ont naturellement
une cause analogue.
6. Les manières
Les manières et, en partie au moins, les stéréotypies s'expliquent non par
le clivage, mais plutôt par l'effet permanent des complexes. L'être humain
normal a déjà tendance à exagérer, ou du moins à laisser paraître de
façon particulièrement importante celles des manifestations expressives
qui correspondent à ses souhaits. Celui qui est vaniteux le laissera paraître
dans son habillement et dans toute sa conduite, et celui qui est Fier de
sa force physique dans sa démarche et dans tous ses mouvements. Mais
ce ne sont pas seulement ceux qui sont quelque chose qui attirent notre
attention, mais bien plus encore ceux qui veulent être ce qu'ils ne sont
pas. Chez quelqu'un qui est vraiment distingué, l'attitude distinguée, la
distinction se dégage de chacun de ses mouvements, tout naturelle-
ment, c'est une partie de son être, et c'est pourquoi il n'attire pas
l'attention. Chez celui qui affecte la distinction, on remarque le
contraste entre nature et affectation ; les mêmes mouvements sont chez
l'un quelque chose qui fait partie de lui-même, et chez l'autre quelque
chose d'étranger ; qui imite la forme sans comprendre le contenu ne
peut en effet pas adapter la forme au contenu ; par exemple, il attachera
une importance incongrue à des détails singuliers ; qui est doté d'une
culture intellectuelle naturelle manifeste dans tous ses mouvements de
main une plus grande indépendance de ses doigts les uns par rapport
aux autres ; celui qui voudrait faire montre de plus de culture qu'il
n'en a voit seulement que le petit doigt est tenu écarté vers l'extérieur,
et le fait sur un mode extrême en toute occasion, bonne ou mauvaise,
etc. Ainsi en va-t-il aussi chez les schizophrènes ; seulement, là où le
contrôle fait défaut et où les complexes exercent d'une façon générale
une tyrannie bien plus grande que chez le sujet normal, l'exagération
sera beaucoup plus importante encore. D'où le maniérisme catatonique,
le comportement grossier des hébéphrènes, la majesté ridicule des méga-
lomanes. Un hébéphrène m'a même présenté ses néologismes creux,
souhaitant de moi une critique dont il n'attendait à vrai dire que des
louanges. On a considéré le comportement insolent de nombreux hé-
béphrènes, joint à la tendance à faire son important, à aborder les
problèmes les plus élevés, comme un complexe symptomatique que le
patient aurait repris de la puberté. Il est possible que cela y contribue.
Ce n'était sûrement pas le cas chez notre pire représentant des caracté-
ristiques de l'âge ingrat ; tant qu'il était bien portant, il ne présentait
absolument pas ces caractéristiques ; sa maladie ne devint manifeste
qu'au début de la troisième décennie de son existence, alors qu'il avait
depuis longtemps une situation, et il s'agissait d'une catatonie patente.
L'analogie symptomatique de la schizophrénie et de la puberté repose à
coup sûr principalement sur quelque chose de tout autre ; les jeunes gens
aspirent, tout comme certains schizophrènes, à paraître plus qu'ils ne sont
sur le plan social et intellectuel, et ceci se traduit par le fait qu'ils se
moquent des formes et qu'ils veulent s'occuper de choses qui réclament
une intelligence plus grande. Ainsi s'explique aussi, en partie, la tendance
à user de mots étrangers et à leur donner une intonation particulière.
Kraepelin a, par exemple, attiré l'attention sur le fait que de nombreux
catatoniques placent ainsi l'accent tonique sur « Herr Doktor 152 ». C'est
Il n'est pas rare que les malades changent leur « manière » selon le
complexe du moment (voir exemple p. 208).
Les stéréotypies ont aussi leurs équivalents chez le sujet sain, dont il
n'est pas bien rare, quand son attention est distraite, qu'il fasse des
mouvements ou des dessins stéréotypés qui trahissent un complexe caché.
Dans le cas des stéréotypies dont on peut suivre la genèse, on voit très
clairement qu'elles sont en rapport avec un complexe.
La vieille fille qui imite le mouvement d'un cordonnier en a aimé un voici plus
de trente ans. Celle qui se balance a fait la connaissance de son bien-aimé
pendant un quadrille. On annonce la visite de l'amoureux d'une femme qui
est déjà tombée malade ; la patiente verbigère : « c'est, il est » jusqu'à ce
qu'il arrive, puis garde cette habitude ; par la suite elle verbigère : « mon cher »,
et puis aussi, par intermittences : « notre petit bonhomme ». Une schizo-
phrène qu'on peut encore employer comme infirmière dit à tout instant, au
cours de ses conversations avec n'importe quelles personnes : « pas vrai,
Max » ; c'est ainsi que s'appelait son premier amoureux. Même des tentatives
de suicide peuvent être renouvelées de façon stéréotypée après extinction de
l'affect.
Sans doute quelque facteur tiers s'y adjoint-il. Kraepelin attire l'attention
sur le fait qu'en cas de trouble de la poursuite méthodique de buts précis,
des impulsions accessoires peuvent se manifester, et qu'en l'absence d'in-
hibition par de nouveaux buts, une action une fois établie aurait une forte
probabilité d'être de plus en plus exercée ; ainsi les stéréotypies seraient-
elles des processus volontaires excitatifs dont le but est déterminé par le
processus qui les a précédées. Et, chez un sujet sain qui est distrait, nous
voyons aussi une grande monotonie de l'activité accessoire. Schiller des-
sinait des feuillets entiers de petits chevaux.
Nous ne pouvons pas entrer plus avant ici dans la théorie des stéréotypies,
qui est de la plus grande importance pour l'ensemble de la conception de la
schizophrénie ; je renvoie à Neisser, Heilbronner (293). Pour nous, seuls ont
encore de l'importance les détails qui suivent : le fait que les complexes
inconscients ont tendance à s'exprimer par des stéréotypies apparaît égale-
ment au cours du test associatif (Riklin, 612 a), et puis Ziehen attire aussi
1 5 5 . Des propos qui avaient à l'origine une signification affective peuvent se détacher du
complexe et simuler alors une stéréotypie fortuite : lors de l'examen, une malade répondait
d'abord à chaque fois « cela, justement » quand l'on touchait au complexe. Peu à peu,
toujours au cours d'un même entretien, cette expression était de plus en plus utilisée, et
pour finir c'était la première réponse fournie à toutes les questions. Mais il arrive sûrement
aussi que des propos fortuits soient liés à un complexe sans que nous découvrions de rapport.
Chez cette j e u n e fille qui se balance, la stéréotypie est bel et bien un symbole tout à fait
fortuit du bien-aimé, et étant donné les lois associatives schizophréniques, il est fort possible
que, par exemple, un mot entendu dans une circonstance quelconque se soit définitivement
relié à un complexe. Mais on ne peut guère' formuler l'hypothèse que de tels liens
complexuels fortuits auraient fourni dans tous les c a s , comme dans ceux qu'on a cités ci-
dessus, l'occasion du stéréotypage (NDA).
1 5 6 . Pfenninger a au contraire trouvé, au cours de tests de répétition, un nombre plus élevé
de réactions nouvelles que chez les sujets sains (NDA).
l'attention sur le rapport des stéréotypies avec des « idées prévalentes ». -
Les stéréotypies ont été et sont encore volontiers rapportées à des troubles
sensoriels (correction de certains phénomènes déficitaires pour Wernicke,
trouble de l'auto-perception pour Siemerling). La conception des stéréotypies
du langage de Kahlbaum est tout à fait insuffisante elle aussi. Nous pouvons
à l'extrême rigueur imaginer qu'un spasme tonique des organes du langage
puisse entraîner un mutisme, mais nous ne voyons guère comment un spasme
clonique produirait certains mots et phrases et les adapterait, le cas échéant,
au contexte. Nos observations ne nous fournissent non plus aucun indice en
faveur de nouvelles localisations, plus psychiques, comme celles d'Alters
(« séjonction entre stéréopsyché et pathopsyché », 10a, p. 264) ; mais plus
d'un élément contredit certes l'existence de troubles si élémentaires.
Les stéréotypies sont aussi mises en rapport avec certains phénomènes ana-
logues, et en partie confondues avec ceux-ci ; il s'agit généralement là de
processus tout aussi complexes que la stéréotypie, aussi est-il fort possible
que certaines manifestations partielles se recoupent avec des manifestations
partielles de stéréotypie.
Les mouvements professionnels qu'il n'est pas rare que fassent des malades
cérébraux organiques sont quelque chose de tout à fait différent des stéréo-
typies schizophréniques. C'est avec eux qu'il faut également mentionner la
« persévération » (blocage, redoublement), qui n'est pas vraiment distinguée
de la stéréotypie par de nombreux auteurs, bien qu'il s'agisse fondamentale-
ment de choses différentes.
Mentionnons aussi comme une curiosité le fait que Dromard (191) prétend
distinguer les stéréotypies de la démence précoce de celles de la démence
secondaire 1 5 7 .
Les tics, qui ne sont du reste souvent, eux aussi, rien d'autre que des actes sym-
boliques, peuvent être confondus d'une manière analogue avec les stéréotypies.
Les pseudo-stéréotypies des maniaques pauci-idéiques de Ziehen sont souvent
l'occasion de difficultés diagnostiques ; d'après mon expérience, il s'agit gé-
néralement là d'un mélange d'inhibition et de fuite des idées.
Lonomatomanie des Français inclut souvent aussi la verbigération, aux côtés
d'autres symptômes.
Le fait que les stéréotypies ont quelque chose à voir avec des complexes a
déjà attiré l'attention de nombreux auteurs, tels Dromard, Ricci, Mondio.
Schiile qualifie très significativement certaines stéréotypies d'attitudes de
« pensées délirantes devenues plastiques ».
1 5 7 . C'est-à-dire des formes de psychoses évoluant d'un seul tenant vers le déficit et des
formes de psychoses évoluant secondairement vers le déficit (NDT).
1. Le patient rend la réalité inoffensive en ne la laissant pas parvenir
à lui (autisme) ; il l'ignore, l'écarté par clivage, fuit dans ses pensées.
L'autisme a pour ces patients la même signification que les murs du
cloître pour les moines, le désert pour certains Saints, le cabinet de
travail pour certains types de savants. La différence entre malade et
bien portant n'est ici que quantitative.
2. A la longue, il est rare que cet expédient suffise ; dans la plupart
des cas qui aboutissent à l'asile, les souhaits sont présentés comme
exaucés, les obstacles comme écartés. Ce type de réaction ne peut
néanmoins mener à un succès complet que si la réalité est en même
temps totalement clivée selon la modalité 1, ou si elle est entièrement
remaniée dans le sens des souhaits. C'est ce dernier cas qui se produit
dans l'état crépusculaire, mais celui-ci ne peut généralement être main-
tenu à la longue ; les malades se tirent d'affaire comme le font, en
germe, les rêveurs éveillés et les poètes.
158. Il n'est nullement rare que des aggravations surviennent quand les malades sont
confrontés à la perspective de leur sortie, voire s'ils doivent seulement être transférés dans
une meilleure section. En règle, on peut en trouver la raison dans le fait que les malades
craignent le retour dans la vie courante. Telle femme ne veut pas être bien portante parce
qu'elle ne supporte pas (encore) de retourner auprès de son époux qu'elle n'aime pas, telle
gouvernante parce qu'elle déteste sa place, tel homme parce qu'il trouve la lutte pour l'exis-
tence (encore) trop dure. Une de nos catatoniques déclara ouvertement que si l'on voulait
la transférer de Suisse (où habite son bien-aimé) dans sa patrie, ce serait rendu impossible
par un nouvel accès. Et elle a tenu parole. Mais cet accès ne se distingua en aucune façon
des précédents. - Dans les cas de Birnbaum, le bénéfice de la maladie est généralement
très net (NDA).
Ces trois modes de réactions, et pas seulement les deux premiers, peu-
vent s'associer selon n'importe quelle combinaison. Ici comme dans
d'autres phénomènes psychiques, plusieurs motifs concourent presque
toujours. En outre, les mécanismes et les résultats de cet eudémonisme
affectif sont presque toujours masqués et caricaturés par les autres
troubles, et surtout par le flou de la pensée et les symptômes acces-
soires.
Chapitre II
La théorie de la maladie
A. L a c o n c e p t i o n de la maladie
1. C'est-à-dire que d'une part le fait que les troubles modifient les conditions dans lesquelles
s'exercent les fonctions psychiques entraîne une altération des résultats de celle-ci (pertur-
bation des conditions d'exercice de celles des fonctions qui sont éventuellement préservées
par les altérations coexistantes d'autres fonctions), et d'autre part le patient produit des
symptômes secondaires qui sont une réaction pour ainsi dire « normale » aux différents autres
troubles primaires, et du reste aussi aux troubles secondaires du premier type (NDT).
tains éléments ne sont pas en défaveur d'une genèse psychique de cette
maladie. Les aggravations et les améliorations ont souvent une déter-
mination psychique. On trouve généralement dans les antécédents des
schizophrènes une introversion à partir de laquelle on peut expliquer
l'autisme et, indirectement, la plupart des autres symptômes. L'impor-
tance des constatations anatomiques, qui ne sauraient être niées, peut
être contestée en tant qu'elle témoignerait soit d'une atrophie par inac-
tivité, selon Schott (667), soit de toxines produites par les affects, selon
Jung. La symptomatologie se distingue fondamentalement de celle de
tous les troubles organiques et toxiques connus 2 , mais si peu de celle
des névroses fonctionnelles, que des schizophrénies bénignes en im-
posent souvent pendant longtemps pour des hystéries ou des neuras-
thénies, et que presque tous les phénomènes ne représentent que
l'exagération de symptômes névrotiques connus ; Jung a montré que
ceux-ci peuvent s'expliquer par une affectivité particulièrement forte
ou stimulée d'une façon particulièrement importante, et éventuellement
par la tendance primaire à l'introversion. On pourrait à la rigueur don-
ner une explication psychique au tremblement, et Ton a même voulu
interpréter ainsi les symptômes maniaques et dépressifs. L'incurabilité
et l'incapacité de la plupart des patients à se calmer par abréaction
pourraient découler de l'exagération de l'introversion qui, une fois
qu'elle existe, rend impossible une pleine réaperception de la réalité.
Mais les constatations d'autopsie cérébrale sont là, et bien que l'inti-
mité de leur rapport avec la psychose soit encore des plus mystérieuses,
les interprétations mentionnées ci-dessus des symptômes que nous qua-
lifions de primaires paraissent forcées. Il est en outre frappant qu'à
une anamnèse plus précise l'on puisse généralement mettre en évi-
dence la maladie dès avant le trauma psychique incriminé comme
cause. Le relâchement des associations atteint un degré que nous ne
rencontrons, chez le sujet normal et chez le névrosé, qu'au cours du
rêve, mais jamais sous le simple effet des affects. Les autres symptômes
primaires, comme le tremblement fin et relativement régulier, une par-
tie des anomalies pupillaires, les symptômes maniaco-dépressifs qui,
là où ils sont présents, paraissent être des parties intégrantes du pro-
cessus morbide, les accès de type organique, tout ceci ne peut pas
vraiment s'intégrer à la conception fonctionnelle. L'introversion ne peut
guère tout expliquer, car ceux des patients qui expriment leurs
complexes et veulent agir en fonction de ceux-ci sont tout aussi incu-
3 . Il existe parfois un temps de latence relativement long entre l'événement vécu et le début
aigu, cet événement étant d'abord soumis à une élaboration psychique (NDA).
Après une poussée aiguë, le processus psychotique peut se stabiliser,
ou même rétrocéder jusqu'à un certain point ; c'est cette dernière ex-
plication qu'il faut admettre, par exemple, dans le cas d'œdèmes cé-
rébraux non léthaux. Et puis l'esprit peut aussi se rétablir à un très
haut degré, ou bien une partie des symptômes installés peuvent per-
sister, sous la forme d'un « état résiduel ». Mais, à tout moment, tant
le processus morbide que les symptômes secondaires peuvent aussi
poursuivre leur progression, lentement ou rapidement.
Nous devons bien comprendre que nous ne saurions supposer que nous trou-
verons la perturbation de base si nous nous contentons de déclarer que la
«fonction psychique suprême » (Gross) ou, ce qui est la même chose, « V(¿per-
ception » au sens de Wundt (Weygandt) est perturbée.
Car toute perturbation générale doit altérer principalement les fonctions les
plus complexes ; tant donc que n'est pas prouvé le mécanisme par lequel,
justement, cette « fonction suprême » est attaquée, nous ne sommes pas re-
levés du devoir de chercher des symptômes élémentaires.
Il n'est pas mieux non plus de mettre en relief, au lieu de la fonction suprême
en général, un aspect seulement de celle-ci, comme l'attention (Tschisch,
d'après Arndt, 24, p. 98), ou la « Fonction du réel 5 », ou la « synthèse du
Moi », ou « l'étendue de la conscience » (P. Janet).
Mais des termes tels que « faiblesse des représentations » (images mentales 6 )
(Sérieux), « diminution de l'activité volontaire et intellectuelle 7 » ou « incapa-
cité de l'effort mental 8 » ne nous disent rien non plus, bien qu'elles soient
censées qualifier une perturbation générale. Tout élément fait défaut pour
envisager la perturbation sur un plan purement quantitatif et dynamique, et
dans certains cas nous voyons bel et bien un grand déploiement d'énergie
psychique. Mais si l'on veut pourtant supposer un « affaiblissement de l'acti-
vité psychique » (Freusberg), cette hypothèse peut expliquer tout, et donc rien ;
c'est un concept trop général. Mais si l'expression « abaissement du niveau
mental 9 » est censée qualifier « l'abaissement » de l'activité consciente à des
fonctions qui sont d'ordinaire inconscientes, cette expression n'inclut aucune
explication, elle formule seulement une partie importante de nos observations
psychologiques sur les schizophrènes en des termes qui, pouvant être aussi
entendus sur le plan dynamique, sont source de méprise.
4. Cet auteur s'y est pris toutefois un peu trop soigneusement avec ses prédécesseurs à mon
goût, à la manière des philosophes. Des théories faites d'un mélange de vrai et de faux sont
plus dangereuses pour la science que des erreurs complètes, et des conceptions qui n'ont
de justification « qu'en un certain sens » font toujours des dégâts, parce ne peut pas toujours
faire la restriction nécessaire. On ne peut se doter de concepts précis qu'en niant sans aucun
ménagement tout ce qui n'y appartient pas, qu'il s'agisse de sujets simples ou de théories
entières (NDA).
5. En français dans le texte.
6. En français dans le texte.
7. En français dans le texte.
8. En français dans le texte.
9. En français dans le texte.
Tous ces termes représentent des pseudo-explications qui ont cependant le
mérite non négligeable de rendre une discussion possible et d'inciter à de
nouvelles observations.
Il existe aussi, pour des tableaux appartenant à la schizophrénie, des théories
qui font l'hypothèse d'une localisation dans certaines parties du cerveau ou
de l'esprit. L'hypothèse de Neisser, qui suppose l'intervention de parties re-
lativement profondes, non génératrices de conscience, du cerveau, est une
très bonne observation plutôt qu'une explication. La seule chose qui reste
hypothétique - et sûrement fausse, aussi - c'est que l'auteur situe les fonc-
tions psychiques inconscientes dans des parties relativement profondes du
cerveau.
Van Erp Taalman Kip pense que le délire 1 0 chronique serait, à la différence
de toutes les autres psychoses, une maladie infra-corticale. - Pfister (564)
tente, dans un cas, de mettre la bizarrerie de l'écriture en relation avec un
trauma du Gyrus angularis I. - Lomer (423) formule même l'hypothèse d'une
contraction des vaisseaux rétiniens dans le cas d'une malade qui vécut un
attentat hallucinatoire et, en cette occasion, vit tout en un vilain vert. S'il
avait eu une pensée quelque peu psychologique et avait fait des recherches,
sans doute aurait-il trouvé ce qui s'exprimait là en vert, en fait de représen-
tation d'un « espoir » non souhaité.
De Huck explique la catatonie par des troubles de la volonté, de l'intégration
supérieure des sentiments d'accompagnement et de la conversion en acte,
fonctions qu'il situe dans les couches profondes du cortex cérébral.
Wernicke (804, p. 4 4 9 ) réalise la transition avec les localisations psychiques,
quand il dit : « les prétendues paralysies hypocondriaques fournissent la
preuve que la mise hors circuit de la volonté peut s'exprimer dans des ter-
ritoires musculaires localisés ». Mais il s'agit non de territoires musculaires
localisés, mais de représentations de territoires musculaires localisés, ce qui
est tout à fait différent.
Naturellement, le terme de Foersterling, « trouble de l'identification autopsy-
chique », est non pas une explication mais le nom d'un groupe symptomatique
spécifique qui se rapporte à la personnalité.
10. Wahnsinn : rappelons que, chez Kraepelin, c e mot s'applique presque spécifiquement à
des délires hallucinatoires, à l'exception d'une forme dite « depressiver Wahnsinn », et il
n'y a aucune raison de penser que Bleuler ne le reprendrait pas dans cette acception (NDT).
B . L e processus m o r b i d e
11. Voir dans ce Traité (le Traité d'Aschaffenburg) l'anatomie des psychoses, rédigée par
Alzheimer (NDA).
12. Voir aussi Telzner, Reichhardt et Gianelli (NDA).
De nombreux auteurs se représentent la schizophrénie comme étant l'expres-
sion d'une prédisposition cérébrale morbide ab ovo. L'entrée en jeu de l'hé-
rédité, la fréquence de cette maladie chez des imbéciles et après des traumas
crâniens, les tendances caractérielles anormales de nombreux futurs schizo-
phrènes orientent dans cette direction. Mais ce qu'on considère comme une
tendance anormale peut déjà être l'expression de la maladie elle-même. Et
si nous interrogeons la littérature quant à ceux des cerveaux qui auraient
une tendance à de telles maladies mentales, nous sommes confrontés à un
tohu-bohu total. On prétend différencier des cerveaux vigoureux et invalides,
on distingue les dégénérés des non-dégénérés, les psychopathes des normaux,
les psychonévrotiques des dégénérés psychiques - mais ce que l'un prend en
compte en positif, l'autre le décompte en négatif 1 ' 5 ; les maladies individua-
lisées en fonction de ces schémas ne se recoupent absolument pas et, ce qui
est le plus grave, si l'on vérifie ces montages nosographiques sur un matériel
assez nombreux, on ne constate que des contradictions qui ne sauraient s'é-
claircir en inventant alors un nombre presque infini de directions s'écartant
de la normale, et dont aucune ne peut encore, pour le moment, être mise en
rapport avec l'une quelconque des psychoses connues.
La question de savoir lesquels des tableaux morbides pré-kraepeliniens re-
posent sur une mauvaise constitution cérébrale n'a donc pas reçu de réponse,
et elle ne saurait non plus en recevoir si la schizophrénie, qui englobe toutes
ces psychoses, constitue réellement un groupe naturel. Mais la question de
savoir s'il existe une prédisposition cérébrale particulière à la schizophrénie,
et comment elle s'exprime, n'a même pas été prise en compte jusqu'à présent,
si bien que d'elle non plus nous ne savons pas si elle est le moins du monde
soluble.
Actuellement, les théories les plus en faveur sont les théories toxiques, qui
se partagent en théories auto-toxiques et en théories infectieuses.
Les seuls éléments qui étayent la première de ces hypothèses sont constitués
par les expériences de Berger (52), qui a trouvé dans le sang des catatoniques
une substance agissant de façon stimulante sur les centres corticaux moteurs
du chien, substance qui faisait défaut dans d'autres maladies, y compris la
confusion hallucinatoire aiguë. Comme la catatonie ne peut, jusqu'à présent,
être différenciée de cette dernière maladie sur le plan clinique, et que les
expériences sont bien trop peu nombreuses, ces investigations ne permettent
encore absolument aucune conclusion. La toxine en question pourrait aussi
être accidentelle ou secondaire.
Au surplus, les théories toxiques n'ont aucun fondement solide jusqu'à pré-
sent. La thyroïde a été accusée à plusieurs reprises de produire la toxine
13. Outre les nombreux auteurs qui attribuent certaines des formes sous lesquelles la schi-
zophrénie se manifeste à l'invalidité innée ou acquise du cerveau, mentionnons Ossipov
(539a), qui appelle la catatonie « une affection du cerveau sain jusqu'alors ». (NDA).
schizophrénique ou de ne pas la neutraliser. Je ne connais pas le moindre
motif à cette hypothèse ; mais l'absence d'effet de la thyroxine et la survenue
de la maladie indifféremment tant dans des régions à goitre qu'au bord de
la mer vont résolument à son encontre. - Il est moins sûr qu'il faille exclure
un rapport avec une hyperfonction de la thyroïde dans le sens du Basedow 14 ,
notamment parce que la plupart des psychoses basedowiennes, malgré leur
affectivité assez vive, ressemblent tellement à la schizophrénie qu'on ne sau-
rait les en distinguer jusqu'à ce jour. - De tout temps, on a mis cette maladie
en relation avec la fonction sexuelle, et en la matière on a également soup-
çonné les glandes germinales (Lomer, Tschisch). La fréquence avec laquelle
la maladie débute avec et juste après la puberté, les aggravations pendant
les règles, la fréquence de l'onanisme, la prédominance d'idées délirantes
sexuelles semblent effectivement indiquer un rapport avec la fonction géni-
tale. Mais la castration ne guérit pas la maladie (voir Thérapie). Bornstein
pense qu'il pourrait s'agir de l'exagération d'un processus pubertaire, parce
que le métabolisme de l'oxygène est plus élevé chez les enfants et moindre
chez les schizophrènes que chez les adultes sains. Dide (173) n'a rien trouvé
dans les glandes sexuelles qui expliquât la psychose. Haberkant trouve un
rapport génétique entre la démence précoce et l'ostéomalacie, en ceci que
toutes deux dépendraient des glandes génitales et thyroïde.
14. Après l'achèvement de ce travail, j'ai eu sous les yeux le rapport de Berkley sur des
guérisons par thyroïdectomie partielle et lécithine iodée. Cette constatation a besoin d'être
contrôlée (NDA).
fisance de la détoxication à la stéatose hépatique qu'il a fréquemment ren-
contrée dans la catatonie et l'hébéphrénie, forme la transition vers les théories
infectieuses. Les formes paranoïdes, dans lesquelles il n'a pas trouvé cette
altération hépatique, seraient peut-être, à son avis, des conséquences se-
condaires des processus « toxi-infectieux ».
C'est Bruce qui a conféré le plus de vraisemblance à la théorie infectieuse.
Dans des maladies que nous comptons parmi les accès aigus de schizophrénie,
non seulement il a trouvé des bactéries dans le sang, mais encore il tendrait
à conclure à une maladie infectieuse à partir notamment du comportement
de la leucocytose. Dide et Sacquépée ont aussi mis en avant de tels résultats.
Cette voie est possible, mais tant les résultats bactériologiques que les exa-
mens hématologiques sont tout à fait insuffisants. Quoi qu'il en soit, des pous-
sées fort graves succèdent souvent à une maladie infectieuse aiguë, si bien
que l'idée que la schizophrénie pourrait être une maladie consécutive à cer-
taines infections ne saurait être totalement rejetée. Mais cette maladie pour-
rait aussi être provoquée directement par une ou plusieurs infections à action
spécifique qui se manifestent sur le mode chronique ou sur le mode aigu et
peuvent rester latentes pendant longtemps, mais dont le corps ne peut se
débarrasser totalement que dans des cas d'exception. Si la conception qu'on
a fréquemment, aujourd'hui encore, du rhumatisme articulaire chronique et
aigu est exacte, ces infections nous fournissent un modèle analogique de
l'évolution de la schizophrénie. L'arthrite déformante peut survenir sur le
mode chronique ou aigu ; après une poussée aiguë, il reste souvent des stig-
mates anatomiques dans les articulations ; mais les mêmes altérations peuvent
aussi se constituer sur le mode chronique ; les symptômes aigus, les douleurs,
peuvent se manifester modérément ou vivement, sous la forme d'un simple
pincement qui apparaît de temps en temps dans les articulations ou sous
celle d'un accès paralysant de douleur des extrémités ; ils peuvent cesser
pendant des années, ou encore être ressentis presque chaque jour ou semaine
de nombreuses années durant. Mais si les processus locaux sont intensifs, ils
entraînent à tout coup, avec le temps, certaines altérations des extrémités
qui, dans les cas graves, aboutissent à des rétractions.
C'est exactement ainsi qu'évolue la schizophrénie. Mais je ne prétends, en
partant de ce parallèle, conclure à rien de plus qu'à la possibilité d'une
infection analogue.
Onzième partie
La thérapie
c£
Abstraction faite du traitement des affections purement psychogènes,
la thérapie de la schizophrénie est sans doute la plus gratifiante pour
le médecin qui ne prétend pas attribuer indûment la guérison naturelle
d'une psychose à ses interventions.
Nous ne connaissons certes pas encore de véritable prophylaxie de cette
maladie. Les conditions héréditaires nous indiquent que les membres
de certaines familles lourdement tarées ne devraient pas se marier. Les
enfants d'alcooliques sont plus menacés que d'autres : c'est là une in-
dication de la lutte contre l'alcoolisme. Ce qu'il pourrait y avoir à dire
d'autre se recoupe avec la prophylaxie générale des maladies mentales.
C'est encore pire, jusqu'à présent, en ce qui concerne la prophylaxie
individuelle, car nous ne connaissons pas les causes déclenchantes de
la maladie. On peut recommander en toute bonne conscience d'éviter
l'onanisme, les chagrins d'amour, le surmenage, la peur, parce qu'il
est sûrement bon de se garder de ces choses même sans cela. Mais on
ne saurait prouver qu'une telle prudence ait jamais empêché une schi-
zophrénie d'éclore.
Nous sommes dans une situation un peu plus favorable - en théorie
du moins - vis-à-vis du stade prodromique. Une fois le diagnostic vrai-
semblable ou certain, nul médecin ne se dispensera des mesures gé-
nérales de prudence : le plus d'hygiène corporelle possible, occasions
de sommeil et alimentation suffisantes en faisant notamment partie ;
éviter tous les excitants de nature toxique ou psychique ; car nous sa-
vons qu'il n'est pas rare que de telles nuisances rendent la maladie
patente ou l'aggravent. Mais nous pouvons aller un peu plus loin. Des
affects intenses favorisent l'apparition d'accès aigus. Beaucoup contre-
dire les patients aggrave la maladie ; l'oisiveté favorise l'emprise des
complexes, tandis qu'un travail réglé entretient la pensée normale. Les
exigences qui découlent de cela ne sont pas toujours irréalisables, car
il s'agit bien souvent de malades qui dépendent de leurs parents.
Tous les projets ambitieux doivent être abandonnés. Par contre, on doit
chercher à tenir le malade à une occupation relativement simple dans
laquelle une interruption occasionnelle n'a pas trop d'importance, afin
que l'on n'ait pas besoin d'entrer en conflit avec le malade si une lubie
hébéphrénique le détourne de son travail. Le travail agricole ou hor-
ticole est naturellement le plus approprié, notamment aussi parce que
les malades voient volontiers comme étant thérapeutique une occupa-
tion généralement considérée comme « saine » et se laissent ainsi
convaincre plus facilement que ce n'est le cas pour d'autres change-
ments de métier. Pour les jeunes filles, il faut naturellement recomman-
der les travaux domestiques sous une direction appropriée. Un travail
mécanique de bureau peut avoir un fort bon effet dans certains cas ;
mais l'on doit mettre en garde contre le travail intellectuel autonome,
dès qu'il s'assortit d'une certaine responsabilité ; en effet, on ne peut
que rarement s'attendre à des prestations impeccables, et l'inévitable
remontrance compromettrait par trop tout le plaisir du travail. On ne
peut échapper aux affects en tant que tels ; on doit d'autant plus éviter
des situations qui donnent lieu à des excitations affectives. Chez les
gens non mariés ce sont surtout les relations relativement proches avec
l'autre sexe qui sont dangereuses, et chez les gens mariés les occasions
d'insatisfaction conjugale. Chez les femmes, la survenue d'une gros-
sesse doit être évitée par tous les moyens.
Il est impératif aussi de mettre en garde contre toutes les cures coû-
teuses. Avec quelle fréquence médecins et non-médecins ne préconi-
sent-ils pas à des patients chroniques toutes les cures nerveuses
possibles ! Les parents proches, et parfois de surcroît les parents éloi-
gnés, sacrifient leur fortune à ce malade incurable, pour tomber ensuite
dans la misère avec lui. Un petit paysan qui avait quelque bien a vu
sa situation économique se dégrader parce que le médecin avait, entre
autres, prescrit à sa fille de façon continue deux bouteilles de C h a m -
pagne quotidiennes. Dans les milieux aisés aussi, il n'est pas rare que
l'éducation des enfants sains ait à pâtir de ce que l'on sacrifie trop à
un malade, tout à fait inutilement. Disons-le fort ouvertement, nous ne
connaissons jusqu'à présent aucun procédé qui puisse amener la maladie
en tant que telle à guérir, ou ne serait-ce qu'à se stabiliser.
Même quand les malades sont amenés à l'asile, on doit encore prendre
en considération la situation de leur famille. Pour bon nombre d'entre
les malades relativement graves, la classe 1 dans laquelle ils sont pris
en charge est totalement indifférente, soit en permanence, soit de façon
transitoire. En pareil cas, qu'on le dise en temps voulu à la famille,
qui n'est que trop encline à sacrifier, par amour mais souvent aussi
par vanité ou à cause des commérages des voisins, des moyens qui
pourraient être utilisés bien plus utilement d'une autre façon.
1. Dans le sens où l'on parle de la l r e ou la 2° classe des chemins de fer ou du métro (NDT).
2. J e me souviens plus précisément de quatre schizophrènes castrés. Un homme s'était lui-
même coupé les testicules ; deux femmes ont été castrées en raison de « plaintes nerveuses »,
c'est-à-dire en fait à cause de leur maladie mentale, et une troisième en raison de processus
inflammatoires de ses organes génitaux internes. Dans aucun de ces cas il n'apparut d'effet
favorable sur l'évolution. Deux fois, l'aggravation, c'est-à-dire la maladie mentale patente,
succéda à la castration, et l'idée de ne plus être un être humain complet constitua une
partie intégrante des symptômes de la maladie. Une castration unilatérale chez un homme
fut également sans effet. Ainsi l'expérience, peu fournie il est vrai, confirme-t-elle l'idée,
évidente, que des pensées sexuelles n'indiquent pas une genèse sexuelle de celte maladie ;
elles font bel et bien partie de l'être humain normal, et leur présence indiquerait donc plutôt
le contraire, c'est-à-dire que la sexualité psychique et physique est normale, ou du moins
potentiellement active (NDA).
3. Notons, dès le début du siècle, l'impact des idées eugénistes qui, sur des bases « scien-
tifiques » rien moins que prouvées, aboutiront un quart de siècle plus tard à la loi de
stérilisation nazie puis, par une dérive abominable, à l'euthanasie des malades mentaux et
aux camps d'extermination (NDT).
lement pas dire que l'on ne doive pas procéder au traitement local des femmes
présentant des affections sexuelles patentes).
Le traitement correspondant des hommes par dilatation à la bougie, toucher,
etc. n'a évidemment pas plus de succès, bien qu'il vise du moins un symptôme
précis, qui est aussi regardé comme une cause, l'onanisme. Comme palliatif
contre ce symptôme, mais non contre la maladie, on peut par contre men-
tionner ici le bromure, qui, dans certains cas, diminue réellement la pulsion
sexuelle et l'onanisme mais, fait caractéristique, n'a pas d'influence sur la
maladie. Hecker prétend aussi avoir, dans un cas, supprimé les connotations
sexuelles des propos par de très faibles doses de bromure.
Bruce, qui considère une grande partie des psychoses qui font partie de la
schizophrénie comme des psychoses infectieuses, a préconisé des injections
de térébenthine, pour accroître la capacité de résistance par l'augmentation
des lymphocytes ; la valeur de ce traitement est encore problématique4.
On a aussi voulu rapporter des états qui font partie de notre schizophrénie
à des infections à point de départ intestinal et donné des laxatifs, voire dé-
sinfecté l'intestin (Macpherson). On ne possède aucun élément qui permette
de considérer ce point de vue comme fondé.
4. Ici, Itten a fait des essais avec des acides nucléiques chez des malades graves, sans le
moindre succès (NDA).
fort utilisable il est vrai, est la capacité des patients à réagir à des
modifications de l'environnement et du traitement'.
J e ne crois pas que des sorties prématurées soient nuisibles par elles-
mêmes chez les schizophrènes, comme chez les maniaco-dépressifs.
Par contre, les conditions peuvent être telles, à l'extérieur, qu'elles
occasionnent une nouvelle rechute (rencontre avec le bien-aimé, conflit
dans la famille, vie en commun avec une sœur heureusement mariée
qui rappelle à la patiente sa propre incapacité à se marier).
Si l'on ne peut pas placer les malades dans leur propre famille, la
prise en charge dans des familles étrangères rend souvent de grands
services ; seulement, ce dernier type de placement requiert naturelle-
ment une surveillance de la part de gens compétents. Sont notamment
propres au placement familial organisé les cas qui ont cessé d'évoluer
et qui, à l'asile, ont appris la discipline, en même temps qu'une cer-
taine liberté de mouvement.
5. Dans les mauvais asiles surpeuplés, qui deviennent de plus en plus rares, les malades,
pour peu qu'ils s'y prêtent, deviennent les esclaves du personnel, qui les traite comme des
sujets sains mal élevés ; dès qu'ils vont un peu mieux, ils doivent être relâchés faute de
place, le médecin étant plus enclin à y prêter la main que là où, s'occupant beaucoup des
malades, on perçoit encore, nettement la maladie. Ainsi empêche-t-on involontairement que
les malades ne s'enferment dans leur chrysalide, et certaines catégories de patients, qui
restent bloqués dans les « bons » (en fonction de certains critères) asiles, sortent « guéris »
de ces mauvais asiles (NDA).
violent, autistique au plus haut point, et pourtant réagir déjà à certaines
influences de son environnement et, à l'occasion d'un transfert chez
lui, donner subitement à ses proches l'impression qu'il est bien portant.
Quelque chose s'ajoute encore à ceci.
Qu'un accès aigu de schizophrénie soit apparu et perdure, que le pro-
cessus morbide proprement dit se poursuive ou s'interrompe ne dépend
généralement pas de notre action. Mais qu'un malade donné veuille se
cogner la tête contre le mur précisément maintenant, qu'il barbouille,
qu'il casse des vitres, qu'il déchire des vêtements, etc., cela n'est pas
déterminé directement par le processus morbide, mais c'est une réac-
tion de ses complexes à des événements vécus intérieurs et, notam-
ment, extérieurs. On a donc toujours, potentiellement, la possibilité
d'influencer les symptômes du malade.
Mais par quelle voie, il est difficile de le dire, tant dans un cas donné
que de manière générale. Il existe des règles qui se contredisent lit-
téralement, et qui sont pourtant exactes, en fonction du cas et de l'en-
vironnement. Ainsi doit-on surtout s'efforcer de ne pas stimuler le
négativisme ; moins il y a chez le personnel de résistance et de contra-
diction, et moins il y a chez le patient de tendance à une résistance
négativiste. D'un autre côté, on peut obtenir beaucoup avec certains
ordres contre lesquels une résistance est inutile. A l'asile de chroni-
ques de Rheinau, j'ai rencontré autrefois une série de patients avec
lesquels on ne savait qu'entreprendre. Le personnel infirmier préten-
dait sérieusement qu'il était, par exemple, impossible de les peigner
ou de les laver, etc. L'observance stricte et inflexible du règlement
intérieur sous ce rapport également eut pour résultat chez tous, en peu
de jours, qu'ils abandonnèrent leur résistance et aussi, chez la plupart,
qu'ils devinrent plus abordables d'une façon générale. Si laisser faire
un patient peut le guérir de sa pulsion suicidaire, que le malade se
rende compte de l'impossibilité absolue de suivre sa pulsion peut, d'au-
tre part, avoir aussi le même effet. De nombreuses mauvaises habitudes
peuvent être éliminées en ne les tolérant point.
C'est en tentant l'ergothérapie qu'on décèle les cas dans lesquels elle
n'est pas utilisable. On doit aussi se souvenir que certains malades ont
un sentiment anormal de fatigue et ne peuvent, de ce fait, être maintenus
au travail qu'avec prudence, ou par moments pas du tout. Dans de
rares cas le travail augmente les hallucinations et doit alors être éga-
lement interrompu - mais si possible temporairement seulement.
En cas de pseudo-distinction 6 , où le patient et même, éventuellement,
sa famille ont des objections de principe contre le travail, une occu-
pation artistique peut être un pis-aller qui, dans certains cas, rend de
fort bons services, mais qui doit être surveillée à cause de l'insuffisance
d'obligation de contact avec la réalité. La tendance aux passe-temps
ludiques, aux bizarreries et, dans le cas de la musique notamment, à
la léthargie affective pure et simple, représente un certain danger.
Néanmoins, et pour autant que ce soit possible, on laissera des artistes
professionnels s'occuper dans leur partie pendant l'amélioration.
11. Dans le cas des sorties d'essai, les proches sont également éduqués à un comportement
adéquat vis-à-vis des malades (NI)A).
12. En particulier quand l'asile n'est pas situé à proximité d'une ville (NI)A).
13. Ausgehen : sortir se promener ou faire des courses (NDT).
Dans les cas relativement graves, la mise au jour des complexes et leur
abréaction a rarement le même succès que dans les névroses. Les pa-
tients n'en sont pas changés. Toutefois, dans les cas assez bénins, tels
qu'il s'en présente plus fréquemment en pratique privée que dans les
asiles, on peut parfois enregistrer de cette manière un franc succès,
qui perdure, le cas échéant, pendant quelques années et ne fait pas
défaut même si Ton est amené à recommencer. Mais, à l'asile, nous
venons aussi tout juste de procurer en quelques jours, par abréaction,
un sommeil normal à un cas assez évolué de schizophrénie qui, ailleurs,
dans plusieurs sanatoriums, n'avait pu être débarrassé de son insomnie.
(Peu importe, pour la thérapie, qu'il existe une abréaction proprement
dite ou qu'il s'agisse seulement d'une autre forme de suggestion larvée.)
Le transfert de l'affection 14 sur les médecins, qu'on peut si bien mettre
à profit dans l'hystérie, n'a généralement pour conséquence, dans la
schizophrénie patente, qu'un « amour » pathologique, avec parfois des
idées de persécution sexuelle consécutives.
Dans bien des cas assez graves, on ne peut plus obtenir de véritable
éducation à un comportement intentionnellement correct. Mais, là en-
core, il est possible d'obtenir un résultat qu'on ne saurait qualifier à
bon escient autrement qu'en usant du terme, de réputation quelque
peu douteuse, de « dressage ». Les malades peuvent être amenés à faire
mécaniquement ou par habitude ce qui est correct. Ils maîtrisent dans
une certaine mesure leurs impulsions pathologiques, font peu ou pas
de mal, mangent seuls, s'habillent et se déshabillent, et souvent sont
encore capables d'un travail mécanique. Ce sont là des résultats thé-
rapeutiques qu'il ne faut nullement sous-estimer, eu égard au compor-
tement antisocial des malades négativistes graves.
17. Le propos de Roller (p. 3 5 ) : « L'isolement apporte souvent rapidement le calme à des
malades excités » reste toujours de saison (NDA).
Qui use de l'isolement à bon escient ne verra nul inconvénient de ce
genre. Je connais fort bien les « produits d'isolement cellulaire », pres-
que imperfectibles, de plusieurs asiles. Mais j e puis aussi ajouter que
je n'en ai plus vu survenir aucun, et pourtant l'isolement demeure tou-
jours en usage chez nous, quoique bien plus rarement aujourd'hui que
par le passé. Naturellement, on ne prolongera pas l'isolement un instant
de plus qu'il n'est nécessaire, mais l'essentiel consiste à tâcher de tou-
jours garder le contact, même avec les malades isolés. Ainsi, ils ne res-
tent pas isolés psychiquement ; ils peuvent formuler leurs plaintes ;
nous pouvons interrompre l'isolement au moment opportun, ou exercer
quelque autre influence sur les malades. S'ils se mettent à avoir de
mauvaises manières, on doit entreprendre aussitôt un autre traitement.
Les accès aigus représentent les indications les plus importantes, mais
aussi les plus difficiles de la thérapie palliative. De nombreux schizo-
phrènes sont extrêmement excités au cours des états hallucinatoires,
et ce sont de surcroît les malades les moins influençables qui entrent
à l'asile. Leur comportement auto-agressif, la destruction de tout ce
qui se trouve à leur portée, les agressions physiques contre le person-
nel, tout ceci exécuté avec la plus grande adresse et la plus grande
brutalité, sont les pires ennemis du no-restraint. Un véritable no-res-
traint représenterait ici, dans la majorité des cas, la destruction de
tout ce qui est destructible, y compris le personnel. Qui pense s'en
tirer sans coercition utilise le mot coercition dans un autre sens que
ne le requiert l'usage.
18. Et c e tant dans des agitations purement psychiques que dans celles dont la détermination
est apparemment organique. Pour autant que j e sache, la théorie du sommeil et celle des
narcotiques ont ignoré jusqu'à présent ce fait, dont l'importance est sûrement extrême (NDA).
L'apomorphine agit en même temps comme procédé éducatif en laissant les
patients conscients tandis qu'ils sont plus calmes, et les entraîne ainsi à
mieux se comporter. Je me dois de citer cette méthode, sans pourtant oser la
préconiser, pour des raisons morales, mais je souhaiterais demander s'il n'est
pas plus immoral de laisser maltraiter toute une salle pleine de malades par
un patient agité que de faire vomir celui-ci une fois. Pour autant que j'ai vu
user de cette méthode, les malades ne se plaignaient pas non plus, et nous
n'avons perdu le contact avec aucun ; les patients eux-mêmes s'en gaussaient
généralement, encore qu'ils eussent un certain respect pour sa rapidité
d'action. Je n'en ai pas l'expérience dans des cas de confusion complète où
les patients n'étaient absolument plus capables de discuter 19 .
Il n'existe pas de traitement médicamenteux de la schizophrénie. Dans la
« neurasthénie hypochondriaque », Ziehen (840, p. 543) croit avoir souvent
prévenu par l'opium le passage à la « mélancolie hypochondriaque ». Mais
je ne peux guère imaginer que nos connaissances pronostiques justifient cette
croyance. Toutes les autres données ne valent même pas qu'on en parle.
Dans les psychoses périodiques dont, d'après les exemples qu'il en donne,
nos schizophrénies périodiques font aussi partie, Hitzig a préconisé l'atropine
pour couper court aux accès. Ce procédé semple réellement avoir au début
l'effet souhaité ; mais je ne l'ai employé que clans peu de cas, parce que les
malades n'y réagissent plus au bout de quelque temps et rattrapent après
coup le vacarme qu'ils n'ont pas suffisamment fait avant.
Les divers symptômes de la maladie sont traités selon les principes ha-
bituels. Mentionnons seulement, ici, que l'on peut souvent supprimer
ou atténuer les barrages pour quelques heures avec l'alcool (ce qui
peut être mis à profit pour un examen, par exemple), et qu'il est bon
de réprimer les bizarreries qu'adoptent si volontiers les malades. Les
couronnes en papier, les épées en bois et les enfants faits de chiffons
qu'on ramasse ont disparu de nos asiles, et ce à l'avantage de nos
malades. Ce qui ne veut cependant pas dire qu'il ne faille pas laisser
aux patients, dans certains cas, un bien qui est en rapport avec leurs
complexes ; mais ce ne doit être fait qu'en pesant toutes les conditions,
parce que ces choses favorisent l'autisme.
19. En certains endroits, c e procédé semble être vu d'un mauvais œil, parce qu'on en a eu
des déboires. Sans doute ne l'a-t-on pas employé, là, uniquement chez des patients adéquats.
Il ne peut naturellement être utile que chez les malades, assez rares, avec lesquels on a
suffisamment de contact pour leur faire comprendre cette mesure, et qui sont en même temps
encore capables de réagir dans le bon sens, et non dans celui du négativisme, à une mesure
de coercition de la part des médecins (NDA).
bituer le patient à s'accommoder de ces symptômes, et au fait que les
ignorer est leur seul remède. Il peut cependant y avoir aussi des cas
où l'on recourt à un procédé de suggestion quelconque. Mais on sera
prudent, afin de ne pas y accoutumer le malade. En prenant en charge
une section, je me suis aperçu qu'une patiente devait prendre en même
temps 13 médicaments contre un mal totalement inexistant. Quand ces
choses lui furent supprimées, on put bien mieux s'entendre avec elle.
Le refus d'aliments est traité par les méthodes usuelles. Ce sont jus-
tement des schizophrènes qu'on peut amener à manger en leur laissant
voler des aliments apparemment destinés à d'autres malades, ou en
allant d'une autre façon au devant de leur négativisme ou de leurs
idées délirantes. Mais je ne vois pas très bien ce que l'on y gagne ;
dans les cas qui sont en train de devenir chroniques, en tout cas, on
y perd souvent beaucoup en discipline et en possibilité de contact. Je
crois qu'on fait mieux - exception faite, peut-être, de cas très particu-
liers - de s'en tenir strictement au règlement ; si un malade ne mange
alors vraiment pas pendant 8 jours, on peut recourir au gavage, mais
on doit toujours l'interrompre périodiquement, afin de donner au pa-
tient l'occasion de manger de lui-même. Ainsi la sonde ne restera-t-elle
presque jamais longtemps en usage. Si l'on est forcé de s'écarter de
ce principe dans des asiles privés, ce n'est pas à cause du patient
mais de ses proches, qui ont malheureusement moins pitié de lui si
on le tourmente pendant des mois avec la sonde que s'il jeûne quelques
jours. Je n'ai pas observé que le jeûne ou la bonne alimentation, dans
les limites admissibles, influencent l'évolution de la maladie.
Abréviations
AMP : Annales médico-psychologiques.
AN : Archives de neurologie.
APN : Archiv für Psychiatrie und Nervenkranheiten, Hirschwald, Berlin.
AZP : Allgemeine Zeitschrift für Psychiatrie, Georg Brenner, Berlin.
CBN : Centraiblatt für Nervenheilkunde und Psychiatrie, Barth, Leipzig.
D. : Dementia, dement, démence, dément, demenza, etc.
D.P. : Dementia praecox, démence précoce, déments précoces, demenza precoce,
etc.
JB : Jahrbücher über die Leistungen und Fortschritte auf dem Gebiete der Neuro-
logie und Psychiatrie, S. Karger, Berlin.
JMS : Journal of mental science.
JPN : Jahrbücher für Psychiatrie und Neurologie, Deuticke, Leipzig und Vienne.
MS... : Monatschrift ...
MSPN : Monatschrift für Psychiatrie und Neurologie, S. Karger, Berlin.
NCB : Neurologisches Centraiblatt, Veit und Komp, Leipzig.
Réf. : Cité dans ... (Si la revue n'est pas précisée, il s'agit de l'Allgemeine Zeitschrift
für Psychiatrie).
PNWS : Psychiatrisch-neurologische Wochenschrift, Halle, Marhold.
WS... : Wochenschrift
(*) : Suit le chiffre indiquant la page du rapport bibliographique de l'Allgemeine
Zeitschrift für Psychiatrie sur l'année de publication de l'ouvrage.
A
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1908, p. 5 2 1 .
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Y , Z
La conception
d'Eugen B l e u l e r
Conception nosographique
1. Ce texte a été écrit pour une série de conférences que j e fis de septembre à novembre
1940 sur les tendances contemporaines de la psychiatrie.
2. L'œuvre d'E. Bleuler comprend principalement le volume du traité d'Aschaffenburg consa-
cré à la Dementia Praecox oder Gruppe der Schizophrenien (1911) ; Das autistische undiszipli-
nierte Denken in der Medizin (1921), I vol., 4 e éd., Berlin, Springer, 1927, 2 1 0 p. ; son Lehr-
buch der Psychiatrie (1916), 5 e éd., 1930, 5 2 6 p. ; son livre Naturgeschichte der Seele (1921),
2 e éd., 1932, 2 6 8 p. ; sa monographie Die Psychoïde, 1 vol., Berlin, Springer, 1925, 152 p. ;
et son ouvrage Mnemismus-Mechanicismus-Vitalismus, 1 vol., Berlin, Springer, 1931, 148 p.
L'étude de Bleuler, cependant, a été, selon nous, bien mal comprise
par ceux-là qui ont voulu y voir la description d'une entité. En fait,
comme l'indique le titre même de l'ouvrage, il s'agit de la « Démence
précoce » kraepelinienne envisagée comme un groupe d'états de struc-
ture schizophrénique et n'ayant pas la valeur d'une « entité » clinique.
Lorsqu'il parle de « La schizophrénie », Bleuler a soin de préciser une
fois pour toutes (p. 5 * ) : « Pour la commodité j'emploie le mot au sin-
gulier bien que le groupe comprenne vraisemblablement plusieurs ma-
ladies. » Et, lorsqu'il tente de définir ce qu'il entend par schizophrénie,
il déclare : « Il s'agit d'un groupe de psychoses évoluant soit chronique-
ment, soit par poussées, de telle façon que ne peut en résulter une
restitutio ad integrum. Il est caractérisé par la dissociation des fonc-
tions psychiques, par des troubles associatifs, par des troubles affectifs
et des troubles du contact avec le monde » (p. 6). Ce qu'il cherche à
décrire, c'est une certaine forme de réaction psychopathique commune
à un certain nombre d'états morbides évolutifs et se différenciant « spé-
cifiquement » d'un certain nombre d'autres évolutions. C'est dans ce
sens qu'il a pu dire : « La démence précoce embrasse à peu près la
plupart des psychoses que l'on désignait comme fonctionnelles »
(p. 221). S'il ne pense pas que le groupe des schizophrénies constitue
une maladie dans le sens propre du terme, il se défend il est vrai de
n'avoir voulu décrire qu'un simple assemblage symptomatique (p. 2 2 2 -
224). Ce qu'il appelle « schizophrénie » est cependant plutôt un genre
qu'une espèce, un genre un peu analogue à un autre genre, « les psy-
choses organiques » (p. 228). Tout cela revient à dire que le « groupe
des schizophrénies » doit être considéré comme une certaine forme de
réaction psychopathique commune à un certain nombre de maladies
mais distincte en tant que telle des autres formes de réaction qui, plus
directement symptomatiques de lésions organiques, offrent une struc-
ture différente (par exemple, la paralysie générale, les états confusion-
nels, les états d'arriération, etc.) ou qui, moins directement encore
symptomatiques de lésions organiques, provoquent des troubles moins
accentués (hystérie, paranoïa). Tel est le véritable sens de la conception
de Bleuler au point de vue nosographique.
On voit donc clairement que l'étude de Bleuler sur les états schizo-
phréniques, qui englobent près de la moitié de tous les états psycho-
pathiques, constitue une véritable étude de psychopathologie générale.
Comment ses élèves, ses commentateurs, ses critiques ou lui-même en
Distinction fondamentale
des signes primaires et secondaires.
Pathogénie du processus organique
Comme on le voit, l'exposé que nous venons de mettre sous les yeux
du lecteur n'est ni très systématique, ni peut-être très clair. La pensée
profonde et originale de Bleuler s'y trouve cependant condensée sous
son aspect le plus authentique. Nulle part on ne trouve dans ce grand
ouvrage une démonstration théorique parfaitement construite. Mais il
y a mieux dans le livre de Bleuler : il y a l'esprit qui l'anime et qui
lui fait pénétrer à l'aide de certains exemples cliniques la pathogénie
des états schizophréniques.
* Faute de frappe probable : « classique » paraît mieux convenir au contexte (A. Viallard).
un autre côté des troubles. Tout n'est pas détruit. Il y a dans ces men-
talités démentielles (spezifische Verblödung), chaotiques, du détruit et
du non détruit. Tout ce que nous voyons, tout ce que nous entendons
et qui vient de ces malades, c'est ce qui n'est pas encore détruit. Ce
qui est détruit, ce sont les pouvoirs, les capacités, les facultés, les
fonctions de synthèse et d'unification intellectuelles. Tout cela même
n'est pas détruit, tout cela n'est que relâché, perturbé sous l'influence
de la maladie. Mille travaux de phénoménologie auxquels nous avons
précédemment fait allusion ont, depuis les premières études de Bleuler,
approfondi encore et restitué pour nous, observateurs, l'état d'âme, les
perspectives psychiques, l'atmosphère de la dislocation schizophréni-
que. C'est un des chapitres de la psychopathologie générale les plus
vivants et les plus passionnants, celui peut-être où l'esprit de pénétra-
tion et de « sympathie » du psychiatre, du vrai psychiatre, se révèle
avec le plus de sûreté.
Mais c'est dans une autre direction encore que nous voudrions situer
l'intérêt primordial des études de Bleuler, par quoi elles se placent au
sommet de l'orientation psychiatrique du siècle. Ce que Bleuler a dé-
couvert, c'est la valeur multidimensionnelle des états psychopathologi-
ques, la nécessité de placer l'activité psychique morbide dans la double
perspective des altérations qu'elle subit et des réactions qu'elle crée.
La distinction des troubles primaires et secondaires est capitale car
elle est de nature à poser correctement le problème de la pathogénie
organique des états psychopathiques. Ce qui est primaire, ce sont les
altérations, les destructions plus ou moins importantes qui proviennent
de la maladie elle-même (anatomique ou chimique). Ce qui est se-
condaire, c'est le reste (c'est-à-dire presque tout), ce sont les fonctions
psychiques subsistantes, d'autant plus tyranniques qu'elles ne sont plus
elles-mêmes dirigées, qu'elles se trouvent libérées, émancipées.
4. Mon premier travail a été consacré, avec mon maître Paul Guiraud (« Remarques critiques
sur la schizophrénie de Bleuler », AMP 1926), à adresser à Bleuler le reproche de ne pas
étendre suffisamment les signes primaires de la schizophrénie à de multiples autres aspects
cliniques. On peut en effet discuter selon son expérience personnelle la grandeur de l'in-
tervalle psychique, de l'écart organo-clinique, mais il semble nécessaire de l'admettre.
à une sorte de tendance constitutionnelle schizoïde, Bleuler a prêté
davantage le flan à cette critique. Le fait que E. Minkowski a vulgarisé
et amplifié lui-même en France ce second aspect de la doctrine bleu-
lérienne n'a pas peu contribué au reproche d'être purement et simple-
ment psychogénétiste que l'on n'a cessé d'adresser au maître de Zurich.
C'est autour de ce point que les discussions se sont déroulées chez
nous, rendant en fin de compte sinon nécessaire tout au moins prati-
quement séduisante la distinction introduite par Claude entre les états
de démence vraie « organique » et les états schizophréniques consti-
tutionnels. Mais j e tiens à le répéter et à le préciser, la doctrine de
Bleuler est avant tout organogénétiste et non psychogénétiste. Relisons
encore ce qu'il a écrit 15 ans après son premier ouvrage et que la
plupart des psychiatres français réunis au fameux congrès de Genève
de 1926 ont pu entendre - en vain, semble-t-il - de la bouche même
de Bleuler : « Dans tous les cas prononcés de schizophrénie on constate
des modifications anatomo-pathologiques dans le cerveau... L'intensité
de ces modifications correspond à peu près à la gravité des symptômes
primaires » (p. 5). Il va même jusqu'à dire (s'éloignant ainsi de sa
conception nosologique primitive, que nous tenons pour bien meil-
leure) : « La schizophrénie est ainsi non seulement une entité clinique,
mais en même temps une entité anatoinopathologique » (p. 5). Et plus
loin encore ceci : « L'origine organique de la schizophrénie se laisse
aujourd'hui démontrer avec toute l'évidence voulue... Du point de vue
clinique il est à retenir que la majorité des accès aigus se produisent
sans aucun motif psychique apparent et que toute l'évolution chronique
vers la démence est également indépendante de la situation psychi-
que » (p. 17). C'est en introduisant la notion de troubles de la vie des
instincts d'une constitution schizoïde qu'il a prêté à la confusion si-
gnalée plus haut. Tandis qu'en 1911 il écrivait textuellement : « Beau-
coup conçoivent la schizophrénie comme une disposition morbide de
l'œuf. L'intervention de l'hérédité... le caractère anormal des individus
qui deviendront schizophrènes penchent en faveur de cette hypothèse.
Mais ce que l'on considère comme une disposition anormale peut être
déjà la maladie même. Et lorsque nous demandons quels cerveaux in-
clinent à de telles maladies mentales, nous sommes en présence d'un
véritable tohu-bohu. On veut distinguer des cerveaux robustes et fra-
giles, des dégénérés et des non dégénérés, des psychopathes et des
normaux ; mais ce que l'un juge positivement un autre le jugera néga-
tivement. De pareilles conceptions aboutissent à des incohérences »
(p. 377). Telle est la condamnation formelle qu'il a prononcée lui-même
contre la théorie constitutionnaliste de la schizophrénie qu'il a par la
suite adoptée et que tant de psychiatres ont adoptée ou lui ont repro-
chée. En fait, l'ouvrage de 1911 forme un tout puissant et cohérent.
C'est à lui qu'il faut se référer, me semble-t-il, quand on veut parler
de la conception bleulérienne de la schizophrénie. Et c'est en nous y
référant que nous pouvons vraiment affirmer que la doctrine de Bleuler
est forcément organogénétiste. Ce n'est pas une raison parce qu'elle
est dynamiste, anti-mécaniciste, pour le contester. Son originalité et sa
fécondité résident précisément en ceci que pour la première fois elle
pose correctement non pas seulement dans le domaine de la schizo-
phrénie (dont la délimitation nosologique importe peu) mais de la psy-
chopathologie générale, le problème pathogénique essentiel. Nous
pouvons dire avec lui : une maladie organique est à la base du pro-
cessus morbide. Le processus morbide engendre directement des signes
primaires de déficit. La plupart des symptômes observés sont cepen-
dant des signes secondaires qui ne dépendent pas directement du pro-
cessus mais de l'activité psychique intacte, émancipée, non contrôlée,
sous-jacente. Voilà l'essentiel.
Mais ce n'est pas seulement une leçon de déontologie que nous devons
tirer de l'enseignement de Bleuler, c'est avant tout un principe essentiel
de la psychopathologie générale : les maladies « mentales » ayant une
symptomatologie psychique, c'est du psychisme des malades que dé-
pend en grande partie l'élaboration, ce que nous appellerons la « part
positive » des symptômes. Cette « grande découverte » a l'air d'un
truisme. Mais pour qui sait, comme nous, après avoir étudié l'histoire
des idées en psychiatrie et le développement de ces étranges théories
classiques que sont les conceptions mécanicistes, ce retour au bon sens
et à la nature des choses constitue tout simplement une révolution !
En veut-on une preuve ?
Tous les travaux de Bleuler depuis 1911 n'ont rien apporté de bien
nouveau aux principes fondamentaux de sa psychopathologie. Tout ce
qu'il a écrit depuis est cependant un élargissement de sa conception
dans un sens biologique.
Tout d'abord, il a intégré les recherches de biotypologie et de carac-
térologie dues à Kretschmer dans sa propre théorie des schizophrènes.
Il a accepté de voir, avec toute la psychiatrie allemande, parmi les
« psychoses endogènes » un certain antagonisme entre deux types fon-
damentaux de réactions psychopathiques : les dispositions cyclothymi-
ques et les dispositions schizothymiques. Ainsi l'ensemble des troubles
qui constituent le fond sur lequel se déroule l'évolution des schizo-
phrénies représente des dispositions caractérielles qui soudent pour
ainsi dire la maladie à l'individualité somato-psychique du malade.
C'est dans ce sens que le concept de schizophrénie est devenu un
concept biologique, l'expression d'une certaine finalité de la sphère
des instincts, des tendances, des besoins, des propriétés génétiques de
l'être tout entier. Nous avons déjà eu l'occasion de parler de l'inclina-
tion toute naturelle qui a toujours porté les « psychostructuralistes »
vers la biotypologie, la caractérologie 5 . Nous avons, notamment, souli-
gné les principes de la méthode de Kurt Schneider, qui envisage les
personnalités psychopathiques sous un angle totalitaire en coulant les
réactions psychopathiques dans le moule des dispositions caracté-
rielles, constitutionnelles, héritées ou congénitales.
Mais l'esprit de Bleuler, toujours plus avide d'approfondir les rapports
somato-psychiques, s'est évertué de 1 9 2 0 à 1 9 3 9 à préciser la nature
de ces rapports. Son activité s'est trouvée ainsi dirigée vers la construc-
tion d'une psychobiologie dont nous avons déjà vu le reflet dans la
Medizinische Psychologie de Kretschmer. Lui-même donnait, si j'en
crois une lettre qu'il adressait à ce sujet en 1932, plus de prix à ces
études qu'à son fameux travail sur les schizophrénies. C'est qu'il avait
touché ainsi aux problèmes les plus difficiles de notre spécialité et
qu'il avait essayé de rencontrer les terribles apories du problème des
rapports du physique et du moral. Nous aurons l'occasion de revenir
plus loin sur ses ouvrages, et notamment sur le dernier. Mais, pour
l'instant, pour donner une idée de la psychopalhologie générale de
Bleuler, il nous suffira d'indiquer les thèmes essentiels de ses ré-
flexions sur ces questions ardues et essentielles.
5. L'appi ¡cation de ses premières études sur la pensée autistique des schizophrénies, Bleuler
l'a faite à la caractérologie et à la pensée normale dans son opuscule Das autistische undis-
ziplinierte Denken in der Medizin und seine Überwindung, 1 vol., 4 e éd., Berlin, Springer,
1927, 2 1 0 p.
d'abord une première élaboration du matériel formé par les en-
grammes : la sensibilité, la perception, les processus d'abstraction et
de représentation assurent cette élaboration dans les fonctions percep-
tives. La pensée, l'intelligence constituent encore des élaborations
d'engrammes. De même que la représentation n'est qu'une survivance
de perceptions, la pensée est une ecphorie de la survivance des per-
ceptions, des relations entre les choses. La forme principale d'activité
de la pensée est de type associatif. Tous les modes de pensée normale
se réduisent au jeu associatif. C'est celui-ci qui est troublé dans la
« pensée déréelle » (das dereistische Denken6). L'intelligence avec ses
catégories de causalité et ses normes temporo-spatiales relève encore
de la psychologie de l'engramme. Quant aux « ergies » psychiques et
notamment l'affectivité, elles se prêtent moins à une interprétation
« mnémiste », mais Bleuler les fait dériver du mécanisme spécifique,
des besoins, des tendances dynamiques de l'espèce et elles plongent
leurs racines profondes dans la substance physique du corps quelles
que soient leurs qualifications respectives. L'équilibre résultant du jeu
de toutes ces ergies est la volonté. Telle est la structure de l'appareil
psychique, émanation des forces matérielles de la substance vivante.
Dans une telle perspective moniste l'âme est une fonction du cerveau.
Il n'y a en effet aucune limite entre la psyché et l'activité nerveuse et
notamment les diverses fonctions du système nerveux central.
6. Concept qui est équivalent à pensée autistique. Il explique (p. 144 de la 2 e édition) que
le terme de pensée autistique ayant été si mal compris (notamment par Jaspers !) il préfère
lui substituer celui-ci...
7. Driesch, Philosophie der Organisation, 2 e éd., 1921. Ce qui sépare la notion de psychoïde
chez Driesch et chez Bleuler, c'est que pour celui-ci (p. 11) l'inconscient fait partie de la
psyché et non de la psychoïde.
« plan d'organisation », « d'entéléchie » et, plus généralement, de fi-
nalité. Tout se passe comme si la matière vivante, au contraire de la
matière inanimée, renfermait une finalité immanente d'organisation.
Cette finalité se déploie dans les lois de l'hérédité (gènes), dans l'ins-
tinct de formation et de construction du corps, dans la structuration
matérielle et l'évolution ontologique du système nerveux et de l'appa-
reil réflexe. C'est ce principe d'organisation que Bleuler appelle la
« psychoïde ». Il souligne spécialement les analogies qui existent entre
la psychoïde et la psyché. La psychoïde est un principe de choix et
d'intégration des fonctions et des parties isolées dans le tout, comme
la psyché se déploie en une série d'actes électifs et synthétiques d'in-
tégration. L'engramme est l'unité commune à l'une et à l'autre. Quant
à la constitution de cette psychoïde, elle est essentiellement fonction-
nelle. On la retrouve dans chaque partie du corps, dans chaque cellule.
C'est une sorte d'esprit de l'ensemble du corps (eine Art einheitlicher
Seele des ganzen Kôrpers, p. 141). On ne saurait cependant la considé-
rer comme une personnalité ni lui attribuer nettement une conscience,
mais elle possède déjà en germe la puissance d'unité et de conscience
qui se développeront dans la personnalité et la conscience de la psy-
ché, car elle possède la mémoire et l'engramme qui sont la condition
de l'une et de l'autre. Elle n'est ni quelque chose de corporel, ni sta-
tique, c'est un complexe fonctionnel de la matière vivante. Le groupe
des engrammes psychoïdes actifs accumule les fonctions d'excitation
actuelles en vue de l'action future, et ce jeu mnésique fondamental est
l'embryon de la psyché, de cette psyché humaine qui s'élèvera sur
l'obscur courant de la psychoïde. Telle est la conception dynamiste de
la vie organique par quoi Bleuler corrige son atomisme psychologique.
On comprend que, critiqué pour son atomisme et pour son vitalisme,
il ait éprouvé le besoin de préciser sa position à l'égard de ces pro-
blèmes biopsychologiques.
** *
Tel est, fixé dans ses grands traits, le système bleulérien. On voit quel
hiatus sépare son étude psychopathologique proprement dite, celle des
états schizophréniques, et sa conception empruntée à Hering et à Semon,
sorte de compromis entre le mécanisme et le vitalisme dont ce dernier
sort vainqueur. Si nous avons désiré placer dans sa psychopathologie
générale cette partie importante de l'oeuvre de Bleuler - encore moins
connue en France que son ouvrage sur les schizophrénies - c'est qu'elle
est de nature à jeter un jour nouveau sur l'organo-dynamisme bleulé-
rien. La conception de Bleuler n'est pas, en effet, répétons-le, psycho-
dynamique. Cela n'a pas de sens dans un système psychobiologique
moniste comme le sien. Il faut regretter qu'il n'ait pas appliqué sa
conception à la pathologie mentale tout entière 8 , et qu'il n'ait pas eu
l'audace de nous présenter un système général de pathologie mentale
où il aurait pu faire la synthèse de ses travaux sur la schizophrénie et
de ses spéculations psychobiologiques. Mais ce travail qu'il n'a pas
fait, il ne serait peut-être pas difficile de le faire et de montrer comment,
pour lui, la décomposition schizophrénique de la pensée est insépara-
8. Son Lehrbuch dont nous n'avons guère parlé dans cet exposé, reste en effet très en deçà
de ses remarquables études sur les schizophrénies et n'utilise pour ainsi dire jamais sa
conception mnémiste des rapports du soma et de la psyché.
ble d'une atteinte de la structure organique de cette pensée. Mais il
est essentiel, dans une telle perspective, de souligner le caractère glo-
bal du trouble qui atteint le fondement même de toute la construction
psychique, de souligner aussi que la maladie, selon le vieux principe
hippocratique, dénature la totalité fonctionnelle tout en laissant sub-
sister, agir encore les forces vitales qui, pour avoir perdu leur direction,
n'en gardent pas moins leur activité. C'est dans une telle conception
que l'autisme schizophrénique de Bleuler prend sa véritable et féconde
signification. Ce n'est évidemment pas par hasard que nous terminons
l'exposé des tendances actuelles de la psychopathologie par la concep-
tion de Bleuler. Nous avons suivi dans cet exposé le chemin qui nous
a paru conduire du moins probable au plus probable, marquant ainsi
notre opposition aux théories mécanicistes et nos préférences, parmi
les doctrines anti-mécanicistes, pour les théories organo-dynamistes
contre les conceptions psychodynamistes. Avant d'aborder pour notre
propre compte l'élaboration d'une psychopathologie générale, l'exposé
de l'œuvre de Bleuler servira de modèle à notre entreprise. Sa position,
notamment devant le problème des rapports du physique et du moral,
deviendra la nôtre, telle qu'elle est impliquée d'ailleurs dans toute
conception biodynamiste. Si en effet le cartésianisme tel qu'il est géné-
ralement compris pose la séparation radicale de la pensée et de l'éten-
due, de l'âme et du corps et permet ainsi à beaucoup de spiritualistes
de se montrer résolument mécanicistes dans leur pathologie psychia-
trique et aux matérialistes de considérer le psychisme comme un épi-
phénomène, c'est le propre de toutes les conceptions anti-mécanicistes
de se donner l'âme et le corps dans une unité substantielle qui retire
au mécanicisme toute signification. Dans une doctrine moniste des rap-
ports de l'âme et du corps, comme l'a très bien vu Bleuler en penchant,
sous le couvert du « mnémisme », vers le vitalisme, il est essentiel de
considérer en effet le corps comme pénétré, vivifié, organisé, formé
par un principe vital de direction, celui-là même qui s'épanouit dans
la finalité de l'activité psychique. Cette position philosophique est la
seule qui permet l'établissement d'une psychopathologie qui ne se
heurte à chaque pas à la position des rapports du physique et du moral
sous la forme de l'alternative de « l'organique » ou du « psychique ».
L'organicisme de Bleuler est, à notre sens, le véritable, également éloi-
gné du mécanicisme et du psychogénisme pur. Nous tâcherons d'en
faire notre profit.
Glossaire
Glossaire
Préface 9
Avant-propos 37
Introduction 39
Historique 39
L e nom de la maladie 43
La définition 45
P r e m i è r e partie - L a Symptomatologie 51
Introduction 53
c ) L'ambivalence 100
II. Les fonctions « intactes » 103
a) La sensation et la perception 104
b) L'orientation 106
c ) L a mémoire 107
d) La c o n s c i e n c e HO
e) La motricité I H
c ) La volonté 110
d) La personnalité 121
e) La « d é m e n c e » schizophrénique 121
f) L'activité et le comportement 141
Chapitre I I - L e s s y m p t ô m e s a c c e s s o i r e s 147
a) Les erreurs sensorielles 147
b) Les idées délirantes 172
c) Les troubles accessoires de la mémoire 196
d) La personnalité 201
e) Langage et écriture 205
f) Les symptômes corporels 222
g) Les symptômes catatoniques 245
1. La catalepsie 245
2. La stupeur 249
3. L'hyperkinésie 250
4. Les stéréolypies 251
5. Les manières 256
6. Le négativisme 257
7. L'automatisme sur ordre et l'échopraxie 264
8. Les automatismes 266
9. L'impulsivité 272
h) Syndromes aigus 273
1. États mélancoliques 275
2. Étals maniaques 277
3. Etats catatoniques 279
4. Le délire hallucinatoire 283
5. Les étals crépusculaires 284
6. Obnubilation 289
7. Confusion. Incohérence 291
8. Accès de colère 292
9. Agitations anniversaires 293
10. La stupeur 293
11. Deliriums 293
12. États déambulatoires 294
13. Dipsomanie 294
Bibliographie 603
Glossaire 659
Fabrication
TRANSFAIRE S A
F - 0 4 2 5 0 T u r n e r s , 9 2 5 5 1 8 14
I m p r e s s i o n et f a ç o n n a g e : i m p r i m e r i e F r a n c e Q u e r c y , C a h o r s
D é p ô t légal 3 1 0 7 1 F F - o c t o b r e 1993
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