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Revue des Deux Mondes

LA PREMIÈRE DES VERTUS


Author(s): PHILIPPE SOLLERS and Michel Crépu
Source: Revue des Deux Mondes, (JUILLET-AOÛT 2004), pp. 117-121
Published by: Revue des Deux Mondes
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/44190461
Accessed: 31-12-2019 15:51 UTC

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LA PREMIÈRE D

. PHILIPPE SOLLERS .

Philippe Sollers - Céline me paraît bien situer le problème


Revue dans Philippe
dans cetteDesformule
cette Sollers
admirable,
Deux formule
historiquement
Mondes justifiée
- Céline admirable,
: - À me votre paraît avis, historiquement bien la discrétion situer le ?
« Quand on a pu s'échapper vivant d'un abattoir international en
folie, c'est tout de même une référence sous le rapport du tact et
de la discrétion. »

Cela étant dit, on peut aller un peu aux sources. Dans dis-
crétion, il y a « discerner », le « discernement », c'est-à-dire séparer,
distinguer. Aussi bien, avoir le pouvoir de décider. Exemple : « Je
peux m'en remettre à votre discrétion. » Avant de jouer la réserve
et la retenue, c'est un terme, une qualité, par laquelle on discerne
et on juge. On disait autrefois, « l'âge de discrétion », ce qui voulait
dire : « l'âge de raison ». Voltaire parle quelque part d'un « innocent
qui n'a pas encore l'âge de discrétion ». Molière, de son côté, note
que personne « n'est plus discret que les morts ». On peut penser
aussi à une signification religieuse : les « discrets » sont ceux qui
participent aux conseils supérieurs. Voyons les mathématiques : on

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LE POUVOIR DE LA DISCRÉTION
La première des vertus

y parle de quantités discrètes, c'est-à-dire séparées. Ainsi, les nom-


bres sont-ils des éléments discrets, contrairement à l'étendue, qui
est une quantité continue.
Alors bien sûr, comme nous vivons une époque d'indiscré-
tion généralisée, il est intéressant de se demander pourquoi la
pression de cette indiscrétion, instrumentalisée comme telle désor-
mais, sous une forme tout à fait autre que celle prévue par
Dostoïevski, fait que nous sommes rentrés dans le programme
d'une surveillance de tous par tous : nous subissons le règne de
l'indiscrétion.
Rien n'est en train de devenir plus rare que la discrétion. Ou
si vous voulez, rien n'est en train de devenir plus rare que le dis-
cernement. Le contraire de jaser, de bavarder pour ne rien dire : le
« on dit » heideggerien au sein duquel tout se propage. Affaire de
langage, donc.
La Rochefoucauld dit quelque part que l'« homme discret
parle quelquefois pour ne rien dévoiler par son silence ». La dis-
crétion ne consiste donc pas forcément à se retenir, à se taire.
Certes, on ne parle pas de ce dont il s'agit mais on parle pour que
le silence ne soit pas révélateur : c'est-à-dire qu'on pourrait être à
la fois extraordinairement prodigue de parole, de visibilité ou de
signes ostensibles sans que cela nuise à une discrétion fondamen-
tale. Il y a une façon de parler qui peut être désinformatrice par
rapport à l'essentiel, aussi bien qu'une façon de se taire : j'ai une
grande expérience de ces deux régimes conjoints. Mettons que je
suis un schizophrène à peu près adapté aux circonstances.

Revue des Deux Mondes - Vous dites que le discret est du côté
de la discontinuité. Ce qui signifie quoi ?
Philippe Sollers - En effet, j'insiste sur le fait que la discré-
tion vise à renforcer le discontinu. Étanchéités diverses, pas seule-
ment spatiales d'ailleurs, mais aussi temporelles : c'est l'accent mis
sur la question de l'instant. L'instant privilégié comme forme d'ex-
périence fondamentale du temps. Là bien sûr, attention particulière
à porter aux femmes qui sont quand même, dans le préjugé géné-
ral, porteuses de l'indiscrétion. Au point que chez « des » femmes,
des « unes » femmes, on peut tirer beaucoup d'enseignement, si
cela est possible. Ce qui n'est pas évident.

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LE POUVOIR DE LA DISCRÉTION
La première des vertus

Par rapport à cela, il existe bien des manières de traiter la


question.
Personnellement, je crois que la meilleure, pour notre
époque, consiste à jouer du présent-absent, du visible-invisible,
etc. C'est une façon d'entraîner une suite de masques qui masque
mieux que le fait d'avoir à préserver je ne sais quel visage authen-
tique, identique à lui-même. Là-dessus, il y a polémique...

Revue des Deux Mondes - La raison profonde de cette pous-


sée générale à l'indiscret ?
Philippe Sollers - L'indiscrétion est constante tout simplement
parce qu'elle porte sur quelque chose d'essentiel, je dirai au sens
nietzschéen : le ressentiment, l'esprit de vengeance. Dit autrement :
le puritanisme à l'œuvre qui ne peut pas supporter qu'il y ait du sec-
ret. Et attention, pas n'importe quel genre de secret : du secret que
l'on présume heureux. Ce qui n'est pas toléré, c'est qu'il y ait, dans
l'espace, dans le temps, un tel secret, soupçonné d'être heureux.
C'est là où nous pouvons nous reporter au commentaire que
je donne dans mon livre le Cavalier du Louvre, Vivant Denon
(1747-1825) au chapitre intitulé « Une leçon de nuit » qui traite
précisément du récit publié par Denon en 1777 (puis réécrit en
1812) : Point de lendemain. J'y introduisais (il y a dix "ans !) une
polémique avec Milan Kundera qui publiait la Lenteur... Kundera
se demandait alors si l'idéal de l'hédonisme est réalisable, s'il y a
un espoir, une lueur d'espoir pour qu'il se réalise... Il était plutôt
pessimiste, et moi non.
La réponse se trouve dans l'ouvrage de Denon. Je cite : « La
discrétion est la première des vertus, on lui doit bien des instants
de bonheur. » Trouvez-moi une phrase plus XVIIIe siècle que celle-
là !... Il faut bien convenir que cela ne va pas de soi, vous vous
souvenez de Balzac, je crois, dans la Duchesse de Langeais : « Rien
n'est plus calomnié en ce bas monde que Dieu et le XVIIIe siècle. »
Il se trouve que l'idée d'un dieu discret, discontinu, m'intéresse. Le
continu, c'est en effet, parler pour ne rien dire. Or quand le langage
est chargé de sens, de pensée, d'intensité, il se présente sous une
forme discontinue : par exemple l'aphorisme. Pas seulement.
Fondamentalement, il s'agit de la possibilité de saisir l'instant, c'est
l'enjeu de Point de lendemain.

[iii

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LE POUVOIR DE LA DISCRÉTION
La première des vertus

Nous approchons de la scène centrale du récit. Le narrateur


et madame de T. se sont beaucoup rapprochés, ils vivent mainte-
nant dans une intimité certaine et nous allons entrer dans ce
fameux cabinet qui intrigue tant le narrateur. C'est précisément à
ce moment que madame de T. lui dit ceci : « Souvenez-vous [...]
que vous serez censé n'avoir jamais vu, ni même soupçonné l'asile
où vous allez être introduit. Point d'étourderie ; je suis tranquille
sur le reste. » La suite (« la discrétion est la première des vertus,
etc. »), aborde, si on peut dire, le fond des choses.
Premier constat : si la discrétion est « la première des ver-
tus », on peut dire que l'indiscrétion est le premier des vices : on
lui doit le continu du temps malheureux. L'indiscrétion est la néga-
tion de l'instant comme saisie du bonheur : négation à quoi tout le
monde s'acharne par angoisse, ressentiment, esprit de vengeance.
Je continue ma lecture : « Tout cela avait l'air d'une
initiation », note le narrateur. Et il entre dans ce cabinet paradi-
siaque : « On ne voyait intérieurement aucune lumière ; une lueur
douce et céleste pénétrait, selon le besoin que chaque objet avait
d'être plus ou moins aperçu ; des cassolettes exhalaient de déli-
cieux parfums ; des chiffres et des trophées dérobaient aux yeux
la flamme des lampes qui éclairaient d'une manière magique ce
lieu de délices. . . »
Au bout d'un moment, madame de T. prend une couronne
qu'elle pose sur sa tête et lui dit : « Eh bien ! aimerez-vous jamais
la comtesse autant que moi ? » (Il faut savoir que la comtesse est la
maîtresse du narrateur et l'amie intime de madame de T.)
Je souligne au passage ce point qui n'a pas été assez souli-
gné : c'est en se mettant à la place d'une autre femme qu'une
femme peut éventuellement connaître des sensations qu'elle n'a
pas connues jusque-là. On ne peut pas être plus précis.
Cela veut dire quoi ?
Que la discrétion est nécessaire à toute expérience fonda-
mentale du plaisir pour le plaisir et l'indiscrétion un poison socia-
lement distillé pour que cela ne puisse pas avoir lieu.
Confirmation au passage : une femme qui a joui est discrète.
Bien entendu, cela laisse ouverte la question de savoir si cela a
lieu ou pas, fréquemment ou non. Je crois que c'est rare. C'est tel-
lement vrai, d'ailleurs, que Denon prend la précaution de faire

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LE POUVOIR DE LA DISCRÉTION
La première des vertus

intervenir à la fin l'amant officiel de madame de T. Il arrive au


petit matin et il nous apprend que madame de T. est « de
marbre » : dans le langage du temps, on sait ce que cela veut dire.
Pour le narrateur, au contraire, « elle a tous les genres ».
Deuxième constat : Point de lendemain est un traité de
physiologie très poussé qui n'a l'air de rien et tout le monde n'y
vu que du feu. On sait qu'en 1829, Balzac recopie Point de lende-
main dans sa Physiologie du mariage, censurant la scène du cabi
net, expliquant qu'il a recopié les éléments de cette narration due
semble-t-il, à Dorât, etc.
C'est donc bien sur ce sujet que se joue la question de la
discrétion. Si cela a eu lieu - une jouissance, une saisie de
l'instant - alors on est dans le discret. Si cela a eu lieu sans vrai-
ment avoir lieu, alors nous passons à l'indiscret, autrement à la
« boutique » dans ses variantes spectaculaires et aussi de petite
psychologie : le social, en somme. Non plus l'acte (gratuit) mais la
transaction. Non plus l'usage, mais l'échange. Non plus le nombre,
mais le numéraire.
Vivant Denon termine son récit par cette phrase : « Je cher-
chai bien la morale de toute cette aventure, et... je n'en trouvai
point. »
En effet, nous ne sommes plus dans la morale, alors même
que l'indiscrétion peut se parer d'une couverture morale dans son
fanatisme anti-aristocratique. Je prononce le mot dans son sens
nietzschéen. Si le récit de Denon est aristocratique, c'est parce
qu'il n'est pas possible d'en tirer une morale quelconque : une
morale est faite pour être partagée et, ici, chacun est renvoyé à
soi, rien qu'à soi.

Propos recueillis par Michel Crépu

■ Philippe Sollers est né à Bordeaux. Il fonde, en 1960, la revue et la collection « Tel


quel » ; puis, en 1983, la revue et la collection « L'Infini ». Il a notamment publié
les romans et les essais suivants : Paradis, Femmes, Portrait du Joueur, la Fête à
Venise, le Secret, la Guerre du goût, le Cavalier du Louvre, l'Étoile des amants.

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