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Internet-Zeitschrift für Kulturwissenschaften 17. Nr.

Januar 2010

Sektion 3.4. Literaturen der Migration: Konfrontation und Perturbation als kreativer
Impuls
Sektionsleiterin | Section Chair: Ursula Moser (Universität Innsbruck)

Dokumentation | Documentation | Documentation

L’exil des Juifs de Rome dans les Sonnets de Giuseppe


Gioacchino Belli:
l’objet poétique devient sujet identitaire
Angelo Pagliardini (Universität Innsbruck) [BIO]

Email: angelo.pagliardini@uibk.ac.at

Introduction

Parmi les oppositions qui constituent l'un des moteurs poétiques de G. G. Belli, on peut compter le
contraste entre sa passion pour les voyages et les rencontres avec différentes cultures et la
composition de ses sonnets en dialecte romain(1). Il s'agit de textes profondément enracinés dans les
entrailles de sa ville, d'une poésie qui exprime la voix la plus profonde de ce qu'il appelle la plebe di
Roma (la plèbe de Rome). Le poète reproduit même la langue de ce peuple, ou, pour mieux dire, les
diverses langues, le parler des Romains, comme il le dit lui-même dans son Introduction aux sonnets:

Così, accozzando insieme le varie classi dell'intiero popolo, e facendo dire a ciascun
popolano quanto sa, quanto pensa e quanto opera, ho io compendiato il cumulo del
costume e delle opinioni di questo volgo, presso il quale spiccano le più strane
contraddizioni.(2)
Ainsi en assemblant les différentes catégories qui forment le peuple, et en faisant dire à
chacun ce qu'il sait, ce qu'il pense et ce qu'il fait, j'ai donné un résumé des moeurs et des
idées de ce peuple auprès duquel surgissent les contradictions les plus étranges.

Dans la fantasmagorie des personnages qui figurent dans ses 2279 sonnets, l'on peut trouver des
papes et des prostituées, des artisans et des gardes suisses, et même des Hébreux, et en particulier
les membres de la communauté juive de Rome. Cette communauté constitue un sujet migrateur bien
défini du point de vue social, culturel et religieux, sujet auquel l'on a attribué dans les sonnets de Belli
sa propre identité différant de la population «non juive» de Rome, mais qui en même temps fait
substantiellement partie de la ville(3). La communauté du Ghetto fait partie de l'imaginaire collectif du
peuple de Rome, un imaginaire que Belli a bien représenté dans ses vers où il y a la mise en scène
des discours de chaque individu, au dessous des classes moyennes(4).

Le but du poète est celui d'ériger un monument poétique de la plèbe de Rome: «Io non vo' già
presentare nelle mie carte la poesia popolare, ma i popolari discorsi svolti nella mia poesia.»(5) Il vise
donc, à l’intérieur des sonnets, à donner la voix à un sujet pluriel constitué de la plèbe de Rome. Le
procédé le plus utilisé est celui de construire le sonnet en assemblant des passages de conversation
À
entre des personnages inconnus, identifiés seulement par le prénom ou le pseudonyme.(6) À l’instar
des exemples des véristes, comme Giovanni Verga, même le narrateur ne peut pas être identifié avec
l'auteur, mais plutôt avec un personnage anonyme du peuple ou une voix chorale de ce peuple(7):

209 [209]. Lo Stato der Papa

Come er Papa ha da stà ssenza lo Stato


quann'è vicario lui de Ggesucristo?
M'ha ddetto er Coco a me de San Calisto
che insinente a ddiscorrene è peccato.
[...]

209 [209]. L'État du Pape

Quoi? le Pape doit rester sans son État?


Lui qui est le vicaire de Jésus-Christ?
Le cuisinier de Saint-Calliste me l'a dit:
si seulement l'on parle de cela, c'est déjà un péché.

330 [329]. Chi ccerca trova

[...]
m’impostai cor un zercio e nnun me mossi.
Je fesci fà ttre antri passi, e ar quarto
lo pres’in fronte, e jje scrocchiorno l’ossi.

330 [329]. Qui cherche trouve

[...]
Je me postai, un pavé à la main, et je ne bougeai pas.
Je lui laissai faire encore trois pas, puis, au quatrième,
je le frappai en plein front, et lui brisai les os du crâne.

Dans le premier sonnet le narrateur, appartenant au peuple, est réactionnaire et absolument favorable
au pape ainsi qu’au pouvoir de celui-ci. Son niveau culturel est bien défini par le témoin qu'il cite
comme autorité de droit canonique: le cuisinier du couvent de Saint-Calliste de Rome.(8) Le deuxième
sonnet met en scène une "cavalleria rusticana" en miniature qui se déroule dans la Rome des papes.
Un duel a éclaté pour des motifs futiles, combattu à coups de couteau et de pavés. Celui qui parle a
tué celui auquel il avait répondu brusquement après un salut peu aimable. À ce propos, pour définir le
sujet de l'énonciation des sonnets, Quondam parle de "locuteur secondaire" qui prend le rôle de
lieutenant du poète,(9) parce que celui qui parle ne peut jamais être le poète lui-même, mais l'un des
personnages du peuple.

Il y a ainsi la construction d'une série d'identités momentanées qui sont définies peu à peu au cours
de leur introduction dans le dialogue. Cette formation d'identité narrative dans le dialogue a été
étudiée du point de vue expérimental pour ce qui est de la conversation(10). Dans l'espace du sonnet,
le poète passe la parole à des locuteurs au moyen de certains procédés très raffinés, tel que l'emploi
du dialecte et de différentes variétés d'interlangage situées entre le dialecte et l'italien. On peut
rencontrer l'italien hyper correct des locuteurs peu acculturés, ainsi que le latin de la liturgie avec les
déformations para-étymologiques populaires.(11)

Parmi les langages qui habitent la "voix plurielle" de Belli, il y a aussi le parler des juifs du Ghetto,
cette langue judaïque romaine, qui a des traits particuliers et distincts, surtout à partir du XVIe siècle,
avec l'institution du Ghetto (1555), jusqu'à la chute du pouvoir des papes, en 1870, et la fin du Ghetto.
Cette langue a été le signal évident de l'inclusion ainsi que de l'exclusion des juifs dans le tissu urbain
de la ville éternelle.(12)

Un sujet migrateur exemplaire


À plusieurs points de vue, les juifs de Rome constituent un sujet migrateur exemplaire. Il s'agit d'une
communauté de migrateurs qui a un siège fixe à Rome dès le deuxième siècle av. J.C., mais qui
montre bien une différence qui la distingue et l’identifie par rapport à la ville de Rome.(13) Les faits les
plus importants de son histoire sont sûrement la destruction de Jérusalem en 70 après J.C. avec le
commencement de la Diaspora, et la constitution du Ghetto de Rome, en 1555, avec l'interdiction
pour les juifs de résider en dehors de ce Ghetto. Plusieurs facteurs ont contribué au fait que
l'enfermement des juifs à l'intérieur du Ghetto a apporté une caractérisation identitaire très forte: le
sens d'appartenance culturelle et religieuse; le système socio-économique très articulé à l’intérieur de
la communauté même; la capacité d'action commune, qui est aussi une réponse à l'hostilité de
l'«autre».(14)

En plus du marché, dans le cas de Rome, il y a un autre élément pertinent à considérer. Il s'agit de la
ville où l'autorité politique correspond à l'autorité religieuse: le souverain est aussi le chef de la
chrétienté et, depuis la réforme, de l'Eglise catholique. Dans l'Urbe, plus qu'ailleurs, il était possible de
vivre la contradiction entre les principes de l’humanité de la religion de Jésus-Christ, qu'il fallait
respecter aussi par rapport aux juifs, et l'idée du déicide, d'où la persécution ou du moins
l'émargination des juifs.(15)

Étant donné ces conditions, la communauté juive va se structurer en tant que sujet socio-culturel
déterminé et articulé, au niveau religieux, aussi bien que sur le plan de l’administration et de
l'organisation de la vie quotidienne. Dans le Ghetto, il y a les structures nécessaires pour l'exercice du
culte et les institutions pour la formation culturelle et scolaire de l'hébraïsme. Le Temple s'appelle «Le
cinque Scole» parce que l'on a obligé les juifs à réunir dans le même bâtiment la «Scola Tempio»,
pour les juifs de la ville, la «Scola nova» pour ceux qui venaient des alentours, la «Scola Siciliana»
pour les réfugiés de l'Italie du Sud et la «Scola Catalana» et la «Scola Castigliana» pour les juifs
d'Espagne. Tout cela fait que s’esquisse un tableau de contacts et de relations internationales des
juifs de Rome, en dépit de leur réclusion dans l'espace circonscrit du Ghetto.(16)

La représentation de la communauté juive dans les sonnets de Belli


On peut trouver dans les sonnets de Belli une (auto-)définition identitaire de la communauté juive de
Rome selon plusieurs modalités: (1) définition topographique, (2) attributions collectives structurales
et culturelles, (3) mise en scène de personnages juifs.

Tout d'abord on rélève l'emploi des points de repère topographiques de la ville de Rome en relation
avec les juifs: les lieux où les juifs se sont établis ne sont pas seulement reconnaissables, mais il
s'agit de lieux qui font partie du cœur de la ville de Rome. Voyons l'exemple ci-dessous:

566. Le Case

Sin da cuanno me venne la sdiddetta


vado in giro pe ccase ogni matina:
e nn’averebbe trove una ventina,
ma a tutte cuante sc’è la su’ pescetta.
Cuella che sse sfittò jjeri a Rripetta
è un paradiso, ma nun c’è ccuscina,
l’antra c’ho vvisto mó a la Coroncina
ha una scala a llumaca stretta stretta.

Una a Ppiazza Ggiudia serve ar padrone:


le dua in Banchi nun c’è ttanto male,
ma jje vonno aricresce la piggione.

La tua è ppoca: cuella ar Fico è ttroppa...


Bbasta, nun trovo un búscio pe la quale,
e sto ccome er purcino in de la stoppa;

perché er tempo galoppa,


e ssi ccase sò a Rroma, o bbelle, o bbrutte,
cuante n’ha ffatte Iddio l’ho vviste tutte.

566. Les maisons

Dès le moment où j'ai reçu le congé


je vais tous les matins à la recherche d'une maison:
et j'en aurais déjà trouvé une vingtaine,
mais chacune a sa faute.

Celle qui s'est libérée justement hier à Ripetta,


est un vrai paradis, mais n'a pas de cuisine;
l'autre que je viens de voir à la Coroncina
a un escalier en colimaçon très très étroit.

Il y en a une Place Juive, mais elle sert encore au propriétaire:


les deux qui se trouvent sur les Bancs ne sont pas mal,
mais l'on veut y augmenter le loyer.

La tienne est trop petite: celle sur le Figuier est trop grande.
Assez! je ne trouve aucun trou qui me convienne!
Je suis très embarrassé maintenant;

parce que le temps passe trop vite


et toutes les maisons de Rome, les belles et les laides,
toutes celles que Dieu a créées, je les ai déjà vues.

Dans ce texte le personnage narrateur a été expulsé de chez lui et il décrit son tour de la ville à la
recherche d'une nouvelle maison. Son odyssée passe même par la Piazza Giudea (Place Juive), un
nom de lieu caractérisé par la désignation même, ainsi que par l’endroit en soi car il s'agit de la place
qui se trouve devant l'une des portes du Ghetto.

On peut trouver la même valeur de signification topographique dans le texte suivant :(17)

2278 [2243]. LA MUSICAROLA


[...]
Manni dar corpo una voscetta, manni,
Che, ss'opri bbocca da Piazza Ggiudia,
S'attureno l'orecchie a Ssan Giuvanni.
2278 [2243]. La musicienne.
[...]
Ton corps pousse une voix si faible,
que si tu chantes sur la Place Juive,
le gens doivent se boucher les oreilles jusqu'à Saint Jean.

Afin de décrire la puissance de la voix désagréable de cette femme, qui est appelée comiquement «la
musicienne», l'on choisit la Piazza Giudea et la basilique de San Giovanni comme pôles
topographiques de la ville. Il s'agit de deux lieux qui sont opposés même du point de vue socio-
géographique: l'un rappelle le lieu de la réclusion des juifs, les parias de la société, l'autre le siège
officiel de l'évêque de Rome, le souverain de la ville.(18)

Dans le sonnet suivant le narrateur loue, pour son courage, le petit voleur qui, tout en étant puni sur le
chevalet, ne perd jamais sa contenance:

490. Li du’ coraggi

A tté ffa ttanta spesce de Peppetto,


perché jerammatina a Pponte-Sisto,
come nun fussi fatto suo, l’hai visto
pijja co ttanta grazzia er cavalletto?!

Che ss’avería da dí de Ggesucristo,


cuanno cuer popolaccio mmaledetto
lo legò ccom’un Cristo immezzo ar ghetto
a la colonna, e jje sonò cquer pisto?

490. Les deux courages

Cela t'étonne beaucoup que Peppetto,


hier au matin, à Ponte Sisto,
accepte de bon gré le chevalet,
comme si ça ne le regardait pas, tu l'as vu?!

Qu'est-ce que l'on devrait dire de Jésus-Christ,


quand ce peuple-là, ce mauvais et maudit peuple,
le lia au pilori, comme un Christ, au milieu du Ghetto,
et lui flanqua cette volée de coups?

Dans ce texte on relève un double procédé de superposition de la topographie contemporaine des


juifs de Rome et de la géographie historique des juifs (y compris le juif Jésus). Il y a une identification
entre le Ghetto et le lieu de la flagellation de Jésus-Christ, et en même temps la flagellation de Jésus
est superposée à la scène de la punition au chevalet(19) du petit voleur. Une scène très commune à
l'époque de Belli où, sur le lieu du délit, l'on punissait les coupables par le chevalet.

Les citations topographiques du Ghetto sont d'autant plus importantes que Belli ne nous fournit ni plan
de la ville, ni description des monuments les plus importants de Rome. Les lieux s'avèrent révélateurs
dans sa poésie au fur et à mesure qu'ils deviennent la toile de fond des actions et de la vie de ses
personnages. Tous les lieux qu'il décrit contribuent donc à donner une identité aux personnages plus
ou moins anonymes qui vivent dans ses vers.(20)

Un élément identitaire sous l’angle structural est la langue des juifs de Rome. Les sonnets de Belli
montrent que cette langue était bien connue des Romains et qu'il était normal pour eux de citer les
imprécations et les noms de profession dans cette langue pour caractériser les juifs de Rome.
Voyons un exemple de cela dans le texte ci-dessous où l'on menace un joueur qui ne veut pas payer
ses dettes de jeu, de la peine la plus redoutable, c’est-à-dire celle d’aller dans le Ghetto, d’engager
tous ses biens, et de se dédier au métier le plus méprisable, pour les juifs aussi, c'est à dire à celui de
chiffonnier.(21)

30 [31]. ER GIOCO DE CALABBRAGA(22)


[...]
Ah fugghi, guitto? fugghi? accidentacci!
ssciòo, va´ in Ghetto a impeggnatte er gargaròzzo
Pe ddì stracci ferracci "chiò scherpacci".
19 agosto 1830.

31. Le jeu de "calabbraga"


[...]
Ah! tu t'en fuis, canaille! Tu t'en fuis? Malédiction!
Hors d'ici! va au Ghetto, engager ton gosier,
et crier ta marchandise chiffon, ferraille "chiò scherpacci"

De ces vers l'on peut comprendre que la présence des juifs à Rome était très familière et bien définie
sur le plan social, et même que leur parler était bien reconnaissable aux oreilles des Romains.
L'emploi du dialecte des juifs de Rome correspond à une collocation identitaire très spécifique parce
qu'il s'agit en même temps d'une inclusion et d'une exclusion dans la géographie linguistique de
Rome.(23)

En ce qui concerne les autorités religieuses et institutionnelles, on peut remarquer que ces deux
pouvoirs coïncident dans la ville de Rome aussi bien que dans la communauté du Ghetto. Dans les
sonnets de Belli, il y a, à tous les niveaux, beaucoup d'allusions à ces personnages institutionnels. À
ce propos, le choix de rapprocher (d'une façon caricaturale) la charge la plus haute de l'Église (et de
l'État) au magistrat le plus important de la communauté juive nous semble significatif. En plus, cela se
passe dans le sonnet de Belli en dialecte le plus ancien:

11. Pio Ottavo

Che ffior de Papa creeno! Accidenti!


Co rrispetto de lui pare er Cacamme.
[...]

11. Pie VIII

Quel beau brin de Pape qu'ils ont choisi! Malédiction!


Sauf son respect, il ressemble au Kakkham.
[...]

Dans ce sonnet à cause de sa mine maladive le pape est exposé à la risée. Lors de son élection
papale en 1829, il est comparé au chef rabbin qui avait le titre de kakkham (`maître´). À notre avis ce
texte est significatif, d'une part, parce que le Cacamme apparaît ici comme un personnage
suffisamment populaire pour rappeler ou évoquer des analogies physiques avec le pape, d'autre part
pour la facilité avec laquelle l'on rapproche le chef de l'Église catholique du chef des juifs de Rome.
On trouve donc dans les textes de Belli toute une série de personnalités juives de différents niveaux
sociaux, phénomène qui vise à nous donner une image structurée de la communauté juive.(24)

De l’autre côté, le fait que les premiers saints chrétiens (et le Christ aussi) étaient des juifs produit un
mélange savoureux entre l'hébraïsme et le christianisme dont les effets sur les idées du peuple
romain sont enregistrés par Belli. On verra par exemple le sonnet où l'on remarque l'opposition entre
la circoncision et le baptême de Jésus:
331. LA SCIRCONCISIONE DER ZIGNORE

Sette ggiorni e un po’ ppiú ddoppo de cuello


Che ccor fieno e li scenci inzino ar gozzo
La Madonna tra un bove e un zomarello
Partorí er bon Gesù ppeggio d’un mozzo;

Er padre sputativo poverello


Pijjò in braccio er bambino cor zangozzo;
E annorno ar tempio a fajje fà a l’uscello
Er tajjo d’un tantin de scinicozzo.

Eppoi doppo trent’anni fu pe mmano


De San Giuvanni bbattezzat’a sguazzo
In cuer tevere granne der Giordano.

In cuanto a cquesto è vvero ch’er regazzo


Venne a la fede e sse fesce cristiano:
Ma le ggirelle io nu le stimo un cazzo.

331. La circoncision de Notre Seigneur

Un peu plus de sept jours après que


la Madone, entre un bœuf et un âne,
avait mis au monde le bon Jésus, pire qu'un mousse!
avec du foin et des haillons jusqu'au cou.

Son pauvre père putatif,


Prit dans ses bras l'enfant qui avait le sanglot,
Et ils allèrent au Temple pour lui faire couper
ce petit morceau de chair à son petit oiseau.

Trente ans plus tard, il fut baptisé par immersion


de la main de Saint Jean,
dans ce grand Tibre qui est le Jourdain.

Par rapport à cela l'on ne peut pas nier ce fait,


le garçon se convertit à notre foi et devint chrétien:
mais les renégats je ne les estime point.

Le locuteur populaire remarque cette contradiction: Jésus-Christ appartient au peuple et à la religion


juive, sur ce point il n'y a aucun doute, mais en même temps il a été baptisé, donc pour le peuple il
appartient anachroniquement au christianisme. Jésus avait été soumis à la circoncision, un rite juif qui
excitait sûrement la curiosité des Romains, et après quelques années il avait été baptisé, donc sa vie
religieuse était semblable à celle des peu nombreux juifs du temps de Belli qui allaient se convertir au
christianisme. D'où l'accusation que le Christ ne soit pas fidèle à sa religion. L'allusion à la
communauté du Ghetto est très forte, bien qu’implicite. Le fleuve Jourdain, le lieu du baptême du
Christ, est défini de cette façon: in quel tevere granne ch'è il Giordano (dans ce grand Tibre qui est le
Jourdain). En effet du point de vue géographique si un juif du Ghetto voulait aller chez le Pape à
Saint-Pierre, il devait traverser le Tibre.

Parmi les protagonistes de la Bible et de l'Évangile qui sont présentés en tant que juifs, il y a aussi la
Sainte Famille. Les trois personnages, Jésus, Marie et Joseph, en effet sont décrits dans leur vie
quotidienne comme des juifs du peuple.(25)
Dans le texte suivant le poète présente un juif qui donne l'interprétation juive de la Bible et en
particulier de la fin du monde et du paradis. Dans la conversation entre les deux autres personnages
chrétiens on met en évidence la différence théologique et culturelle des chrétiens et des juifs, à
travers le filtre de la culture populaire, concrète et schématique:

478 [478]. Er Paradiso

No, Rreggina mia bbella, in paradiso


nun perdi tempo co ggnisun lavoro:
nun ce trovi antro che vviolini, riso,
e ppandescèlo, ciovè ppane d’oro.

Là, a ddà udjenza ar giudio, pòzz’èsse acciso!,


nun ce metteno er becco antro che lloro,
come si ttutto-cuanto sto tesoro
fussi fatto pe un cazzo scirconciso.

Ecco che ddisce sto ggiudío scontento:


«Sopra li leggi vecchi, mordivoi,
per vita mia! sta tutto el fonnamento».

Ma llui nun zà che Ggesucristo poi


ner morí fesce un’antro testamento,
e ’r paradiso l’ha llassato a nnoi.

478 [478]. Le Paradis

Mais non, ma belle Regina, dans le paradis


tu ne perdras ton temps avec aucun travail:
tu trouveras seulement des violons, des rires,
et le Pain du Ciel, c'est-à-dire, le pain d'or.

Là-bas, si l'on écoute le juif, que je meurre!


ils veulent y entrer seulement eux-seuls,
comme si tout ce trésor,
pouvait être fait pour un zizi circoncis!

Mais voici ce que dit ce juif toujours insatisfait:


«Dans les vieux livres de la loi, mordivoi,
pour ma vie! c'est là toute la vérité».

Mais il ne sait pas encore qu'après cela


Jésus-Christ, mourant, fit un autre testament,
et le paradis il nous l'a laissé à nous.

Dans la conversation entre le locuteur et une femme qui s’appelle Rreggina, il y a une prise de parole
de la part d'un juif (sto ggiudío scontento), qui énonce une phrase citée à la lettre. Dans cette phrase il
y a une imprécation dans la langue des juifs de Rome (mordivoi) et le mot fonnamento, qui représente
le trait dialectal de l'assimilation du groupe consonantique -nd- (comme dans le mot monno au lieu de
l'italien mondo - monde). Ainsi dans ce cas Belli met en œuvre tous les procédés formels afin que le
juif romain parle de façon vraisemblable. C’est l'expression ppandescelo, une corruption
parétymologique populaire du latin panem de caelo (pain qui descend du Ciel), qui fait pendant à
cette caractérisation du juif dans le parler du locuteur romain. Ce n'est pas par hasard si Belli cite
cette prière(26) à ce moment-là, parce que dans la prière l'on parle de ce pain descendu du Ciel, qui
était ‑ dans le Vieux Testament (et pour les juifs jusqu'à présent) ‑ la manne céleste, la nourriture que
Dieu avait donnée aux juifs dans le désert, tandis que pour les chrétiens il s'agit de l'eucharistie. Mais
la solidarité pour le destin des juifs qui apparaît entre les lignes est bien l'élément le plus remarquable
de ce sonnet. Belli nous montre que le peuple des juifs a été trahi, même par Dieu. L'histoire biblique
et son développement dans l'Évangile sont synthétisés comme un procès testamentaire. Dieu avait
promis dans son testament de laisser son Paradis aux juifs, mais c'était le «vieux testament»: dans un
«nouveau testament» Dieu a tout laissé aux chrétiens. Le sonnet représente d'une façon très efficace
la position de la communauté juive dans la communauté chrétienne de Rome: plus le rapport entre les
deux n'est pas paritaire, plus le poète exprime le sens d'une profonde solidarité avec les juifs qui ne
connaissent jamais les menaces et les dangers que l’avenir va leur apporter (Ma llui nun zà). (27)

Conclusions
Dans une autre communication, présentée au colloque de Turin Italia terra di rifugio,(28) nous avons
repéré dans les sonnets de Belli les coordonnées de l'inclusion de la communauté juive dans le tissu
de la ville de Rome, comme étant un élément hétérogène constitué d'une communauté migrante qui
s'est établie dans un lieu. Dans cet exposé-ci nous avons mis un accent particulier sur les aspects de
l'identité de cette communauté. Dans les sonnets, dans le cadre de la mise en scène, d'un spécimen
représentatif de ce qu'il appelle «la plèbe de Rome», le poète a même introduit le groupe constitué
par la communauté juive. Cela se fait par la description directe de personnages juifs ou par des
allusions aux institutions et aux lieux qui caractérisent cette communauté. La communauté juive se
présente ainsi avec des modules culturels bien caractérisés, et en même temps ces caractéristiques
sont familières à la plupart des Romains. L'étude de la représentation de cette identité, faite par Belli,
en même temps en continuité et en discontinuité par rapport au tissu urbain de Rome, peut nous
donner des indications fécondes relativement à la lecture de la ville multiculturelle contemporaine.

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Vigolo, Giorgio: Il genio del Belli. 2 vol. Milano, Il Saggiatore, 1963.
Young, Robert J.C.: Colonial Desire. Hybridity in Theory, Culture and Race. London, Routledge,
1995.

Remarques:

1 Cf. Muscetta 1981: 57-59. Traductions Angelo Pagliardini.


2 Belli 2005: I, 5.
3 Pour la représentation de la communauté juive de Rome dans les sonnets de Belli, voir aussi Pagliardini (sous presse).
4 Cf. Belli 2005: I, 5.
5 Belli 2005: I, 2 (Je ne veux pas présenter la poésie populaire dans mes écrits, mais je veux développer dans ma poésie les discours du peuple.)
6 On trouve des réflexions sur l'identité fictive du narrateur et sa (auto-)dénomination dans Quondam 1981.
7 C'est Antonio Ragni, dans Ragni 1981: 50-51, qui fait cette comparaison entre Belli et Verga, à propos de la description des traditions
populaires faite du point de vue du peuple.
8 Cette observation est tirée du commentaire de Teodonio à ce texte, dans Belli 2005: I, 228.
9 Quondam 1981: 69-74.
10 L'idée de plusieurs identités passagères qui se forment pendant la conversation a été élaborée dans Lorenzetti / Stame 2004: 83-85.
11 Gibellini 1981, Serianni 1985, De Mauro 1989.
12 Dans Mancini 1987 on analyse des exemples des relations et des échanges entre le dialecte de Rome et la langue des juifs de Rome. On peut
trouver un exemple littéraire de cette langue dans Trifone 1992: 203-207.
13 Pour l'identité et l'hybridité des sujets migrants voir Young 1995. Pour une synthèse de l'histoire des juifs de Rome voir Blustein 1921, Berliner
1992 et Caviglia 1996.
14 Ces critères sont tirés de Sapelli 1988: 54.
15 Migliau / Procaccia 1997.
16 Cf. Milano 1964.
17 Cf. Pagliardini (sous presse).
18 Cf. le commentaire de Teodonio au texte dans Belli 2005: 1167.
19 Il s'agissait d'un plan de bois où l'on faisait monter la victime pour lui donner des coups de bâton ou de fouet comme cela est décrit dans De
Mauro 2000.
20 Merolla 2007: 265.
21 Sur les échanges économiques entre le Ghetto de Rome et la ville même on peut voir Rendina 2003.
22 Il s'agit d'un jeu populaire aux cartes: celui qui ramasse la plus grande partie des cartes est le gagnant (De Mauro 2000).
23 Nous allons donner quelques exemples de mots du dialecte des juifs qui ont été employés dans les sonnets de Belli (avec le numéro du
sonnet et ma traduction en français): badanài, est une imprécation (1543); cacamme "juge de la Sinagogue" (944); calamisvà "chant des juifs"
(1416); cascerro "satisfaisant" (464); ssciangerangà "malchance" (49); ssciattino "tueur d'animaux selon le ritual juif" (401); sscimme sscimme
"bon marché" (1652); sscimminivaghezzi bagatelle (145); tareffe "trompeur" (841); zaggnotte "pute" (848).
24 Par exemple le sonnet 321 [320]. Er prestito de l’abbreo Roncilli parle du banquier hébreux Rotschild, qui donne de l'argent, même au pape,
alors que dans le sonnet 478, que l'on analysera plus bas, il y a un personnage hébreux qui appartient sûrement au peuple.
25 On peut lire à ce propos, par exemple, le sonnet 330 [329]. La Nunziata ou bien le sonnet 335 [332]. Er fugone de la Sagra famijja.
26 Il s'agit de la prière qui fait partie de la liturgie de la Solennité du Corps et du Sang du Christ et qui se récite après le chant Tantum ergo même
à l'occasion de la bénédiction eucharistique: Pane de coelo praestitisti eis alleluia / Omne delectamento in se habente alleluia (Breviarium
Romanum 1774: 351) (Tu leur as donné un pain descendu du Ciel / Un pain qui est délicieux).
27 Cette profonde solidarité de Belli avec le peuple des juifs a été déjà remarquée par Vigolo, dans Vigolo 1963: II, 336-337.
28 Il s'agit de Pagliardini (sous presse).

3.4. Literaturen der Migration: Konfrontation und Perturbation als kreativer Impuls
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For quotation purposes:


Angelo Pagliardini: L’exil des Juifs de Rome dans les Sonnets de Giuseppe Gioacchino Belli: l’objet poétique devient sujet identitaire -. In: TRANS. Internet-
Zeitschrift für Kulturwissenschaften. No. 17/2008. WWW: http://www.inst.at/trans/17Nr/3-4/3-4_pagliardini.htm

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