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Les rosiers entre horticulture et science au XIXe siècle

Cristiana Oghina-Pavie
Maitre de conférences en histoire contemporaine
Centre de recherches historiques de l’Ouest, UMR 6258 Université d’Angers

Résumé :
Horticulteurs, jardiniers et botanistes du XIXe siècle ont rédigé des milliers de pages
concernant la culture des rosiers, la description des variétés et leur classification. Manuels de
culture, Almanach du Bon Jardinier, annales des sociétés d’horticulture, mais aussi ouvrages
de botanique ou monographies, tous ces écrits permettent de saisir la place qu’occupent les
rosiers dans la circulation des connaissances entre le monde des praticiens de l’horticulture et
le monde savant.
Pourquoi les rosiers cultivés sont-ils si différents des rosiers spontanés ? Quelles
graines semer et dans quelles conditions pour obtenir des rosiers portant les caractères
souhaités ? Comment favoriser l’apparition dans les semis de fleurs doubles, panachées,
parfumées ? Toutes ces questions soulevées par la pratique de l’obtention trouvent écho dans
les problématiques théoriques de l’époque : Comment expliquer l’hérédité et les mutations ?
Quelles sont les limites des espèces ? Quelle est la différence entre une espèce et une variété ?
Cette communication présentera les rosiers comme un objet d’observation,
d’expérimentation et de conceptualisation dans le dialogue entre l’horticulture et la botanique
au XIXe siècle.

Abstract :
Horticulturists, gardeners and botanists of the 19th century have written thousands of
pages dedicated to the cultivation of roses, the description of varieties and their classification.
These sources, which included technical textbooks, Almanach du Bon Jardinier, annals of
horticultural societies, botanical books or monographs of roses, shed light on the place of
roses in the circulation of knowledge between the world of horticultural practitioners and the
scientific world.
Why are cultivated roses so different from the spontaneous ones? What seeds to sow
in order to obtain roses with the desired characters? How can the appearance of double,
variegated and scented flowers be determined? All the issues raised by the practice of
horticultural selection resonate in the theoretical issues of the time: How to explain heredity
and mutations? What are the limits of species? What is the difference between a species and a
variety?
This paper presents roses as an object of observation, experimentation and
conceptualization in the dialogue between horticulture and botany in the 19th century.

Mots clés: histoire des rosiers, variabilité, hérédité, obtention.

Introduction
Au XIXe siècle, les rosiers occupent une place singulière parmi les plantes horticoles.
Cela est dû à leur succès commercial, qui incite des horticulteurs à rechercher une très grande
diversité variétale par l’obtention et l’introduction dans la culture des variétés possédant des
caractères distinctifs nouveaux. Amateurs éclairés de jardinage et pépiniéristes généralistes ou
spécialisés procèdent ainsi à des semis, choisissent les plantes présentant les caractères les
plus recherchés ou les plus originaux, rassemblent de vastes collections, cherchent à l’étranger

1
des espèces ou variétés inconnues, observent, décrivent et classent un nombre toujours
croissant de rosiers. Ces opérations ne sont pas des problématiques purement pratiques ou
techniques. Au contraire, elles soulèvent des questions d’ordre scientifique qui rejoignent les
préoccupations les plus fondamentales de la physiologie végétale, de l’hérédité et de la
classification.
Les plantes horticoles et plus particulièrement les rosiers concentrent des savoirs
théoriques et pratiques qui structurent un monde composite, formé de savants, de praticiens et
d’amateurs éclairés intéressés par les végétaux. La circulation de ces savoirs n’est pas
unilatérale : les horticulteurs font référence aux débats scientifiques, les observations et les
exemples issus de la pratique sont évoqués comme des arguments dans les ouvrages
théoriques. Dictionnaires, monographies, publications périodiques des sociétés savantes,
comptes rendus, traités théoriques, ouvrages pratiques de jardinage, almanachs, revues,
catalogues… la production écrite qui concerne les plantes horticoles est extrêmement riche au
XIXe siècle.
Ici, nous nous intéresserons aux écrits qui ont pour objet principal les rosiers, ainsi
qu’à ceux qui mentionnent seulement les rosiers parmi d’autres plantes horticoles, afin de
relever la manière dont les problématiques de la pratique et celles des interrogations
scientifiques se rencontrent et s’enrichissent mutuellement. Dans cette vaste littérature, nous
avons choisi seulement quelques aspects qui nous permettent d’argumenter l’intérêt
épistémologique et historique de l’étude des rosiers comme exemple significatif du dialogue
entre horticulture et botanique.
Ainsi, la distinction relative entre rosiers sauvages et rosiers cultivés, leur capacité à
varier par le semis, l’influence des techniques culturales sur les caractères hérités ou acquis et
sur les processus physiologiques de la fécondation, de la germination, du développement, de
la floraison ou de la nutrition, et enfin les limites de l’espèce et de la variété dans la
conception des théories de l’évolution sont des questionnements nourries par le dialogue entre
la pratique horticole et les science de la vie au XIXe siècle1.

Rosiers cultivés vs rosiers sauvages


Horticulteurs et botanistes s’accordent sur le constat d’une différence considérable
entre les rosiers cultivés et ceux qui poussent spontanément, et qu’ils dénomment
couramment comme étant des rosiers « sauvages ». La distinction est courante, mais pour le
rosier elle prend des accents radicaux, opposant les êtres « naturels » aux « monstres crées
par l’art et se perpétuant artificiellement par la greffe »2 qui peuplent les jardins. Le
premier caractère sur lequel est fondée cette distinction est la présence des fleurs doubles dans
les jardins, tandis qu’elles sont exceptionnelles à l’état spontané. L’apparition des fleurs
doubles est expliquée autant par les effets de la culture - surabondance de nourriture, qualité
du sol - que par des propriétés botaniques, notamment la présence d’organes sexuels
nombreux, ce qui favorise la transformation des étamines en pétales3. C’est un écart par
rapport à la norme, ce qui sous entend que la forme normale est celles des plantes spontanées.


1
« Actes du colloque « Horticulture et sciences de la vie. Construction d’un espace épistémologique »,
Bulletin d’histoire et d’épistémologie des sciences de la vie, vol 18, Nr. 2, Paris, Kimé, 2011.
2
Boitard P., Manuel complet de l’amateur de roses, leur monographie, leur histoire et leur culture,
Paris: Librairie encyclopédique Roret. 1836, p. 90.
3
Lindley J., Esquisses des premiers principes d’horticulture, traduit de l’anglais et augmenté de notes
explicatives additionnelles par Charles Morren, Bruxelles, H. Dumont, 1835, p. 86.

2
Le « type normal » serait spontané tandis que les formes cultivées seraient des variants, des
variations ou de variétés4, ainsi que des hybrides.
« La fleur pleine est le but vers lequel tendent les soins du Fleuriste, dont les intérêts sont à
tous égards séparés de ceux du Botaniste. Le premier, en effet, plus jaloux de jouir que de
connaitre, appelle continuellement l’art au secours de la nature, pour exciter celle-ci à des
efforts inconnus, et ménager à l’œil des surprises par la nouveauté des couleurs te par le luxe
pompeux des ornements : il sacrifie tout au brillant et à l’apparence ; il néglige l’espèce en
faveur de quelques individus qu’il a adoptés, auxquels il prodigue ses soins, et qu’il
transforme en de nouveaux êtres, qui, sous les dehors de la fécondité et de l’abondance,
cachent une dégradation réelle.
Le Botaniste, au contraire, uniquement attentif à étudier, à épier la Nature, se plaît à la
contempler dans cette naïve simplicité, plus précieuse dans doute que ces agréments dont on
ne l’embellit que par la contrainte : il n’adopte les nuances qu’autant qu’elles n’altèrent point
d’une manière sensible la constance des fleurs primitives ; en un mot, l’individu qui s’offre à
lui dans ses recherches, n’est point à ses yeux un individu isolé ; il y vit comme le type et le
modèle de l’espèce entière, et il aime à y retrouver ces traits unis, mais vrais, que la Nature a
fidèlement prononcés dans les productions qui lui appartiennent toutes entières.
Une grande partie des fleurs qui naissent à l’aide de la culture sont donc de véritables montres
végétaux5. »
Cette séparation relative entre les rosiers spontanés et les rosiers cultivés influence les
classifications opératoires dans le monde savant et dans le monde horticole et leurs
interférences. Selon Pierre Boitard, « Un rosier, trouvé à l’état sauvage avec des fleurs
doubles, est pour tout physiologiste une simple variété accidentelle, ou ce n’est plus un rosier
puisqu’il a plus de cinq pétales.6 »
Il devient dès lors difficile de concevoir un système cohérent, englobant tous les
rosiers connus. Comment appliquer les principes de la systématique à des accidents et
monstruosités ? Comment intégrer les variétés horticoles dans les catégories de la botanique ?
Pour John Lindley, les confusions dans les classifications des rosiers proviennent en partie du
fait que les horticulteurs accordent une attention démesurée à des caractères morphologiques
qui sont, certes, importants pour le commerce, mais qui n’ont pas d’intérêt botanique. Ce sont,
selon lui, des caractères insignifiants, que seul l’œil exercé du praticien peut saisir, pour
décider de la différence entre une variété et une autre. Ainsi, Lindley établit sa classification
en laissant entièrement en dehors les roses cultivées qui sont « plus proprement dans le
domaine du cultivateur que du botaniste ». Il propose toutefois en annexe une liste succincte
de roses cultivées, arrangées méthodiquement, pour l’usage des fleuristes7. Cependant,
l’augmentation rapide du nombre de variétés cultivées rend cette séparation
cultivés/spontanés insatisfaisante. Dans la traduction de l’ouvrage de Lindley en français,
Pronville remanie entièrement les catégories de l’édition anglaise, pour introduire des
regroupements plus conformes avec la pratique des cultivateurs8.

4
Desportes N.H.F., Rosaetum Gallicum, ou, Énumération méthodique des espèces et variétés du genre
rosier: indigènes en France ou cultivées dans les jardins avec la synonymie française et latine,
Pesche, 1828, p. IV.
5
Lamarck J.B.P.A. de M. de et A.P. de Candolle, Flore française, ou, Descriptions succinctes de
toutes les plantes qui croissent naturellement en France, disposées selon une novelle méthode
d’analyse, et précédées par un exposé des principes élémentaires de la botanique, Paris, Desray, 1815,
p. 136-137.
6
Boitard, op.cit. p. 92.
7
Lindley, J., Rosarum Monographia; or a botanical history of roses, to wich is added an appendix for
the use of cultivators, in which the most remarkable garden varieties are systematically arranged.
London, James Ridgeway, 1820, p. 153.
8
Monographie du genre rosier, traduit de l’anglais de M. J. Lindley, avec des notes de M. L. Joffrin,
et des changements importants, suivie d’un appendice sur les roses cultivées dans les jardins de Paris

3
L’interférence entre approche botanique et commerce horticole est également présente
dans la dénomination des rosiers. La pratique des amateurs et des horticulteurs professionnels
s’attache aux noms qui suivent des logiques commerciales, évocatrices des qualités de la
plante (couleur, parfum, allure) ou d’une personne, qu’elle soit familière (fille, épouse,
filleule) ou publique (personnage historique, politique, militaire, notable local). Les noms
commerciaux font appel à l’émotion et jouent très probablement un rôle important dans la
différenciation commerciale. Les éditions de l’Almanach du Bon jardinier dans les années
1830-1840 citent une phrase de Pronville qui établit un lien entre ces noms évocateurs de
personnages historiques et les collections de rosiers : « Les jeunes gens qui parcourent avec
un jardinier la collection de rosiers, se rappellent à chaque nom les études de leur enfance, et,
par l’extension de la pensée, un parc de roses est un nouveau cours d’histoire9 ». Dans cette
recherche d’un émotion évocatrice se situe une des raisons de la synonymie, soit délibérée
soit fortuite.
Cependant, l’identification d’une variété, donc d’un individu par un nom n’est pas
uniforme. Persistent encore, jusque dans les années 1860, les noms à consonance botanique,
notamment pour les rosiers considérés dans diverses classifications comme étant le type d’une
« espèce ». Là où la nomenclature se complique considérablement c’est dans l’attribution de
ces noms, calqués sur la nomenclature binominale, à des rosiers auxquels on attribue l’origine
d’un groupe horticoles. Rosa noisettiana pour le rosier de Louis Noisette en est un exemple.
D’autres noms construits sur le même modèle sont attribués en tant que noms commerciaux,
donc à une variété (rosa spectabilis). Les exemples sont très nombreux et varient selon les
auteurs. Cela augmente encore davantage l’impression, largement partagée au XIXe siècle,
que toute classification des rosiers est une tache d’une difficulté insurmontable. Le « Le latin
burlesque des cultivateurs »10 incite également, devant la multiplication des noms créés par les
horticulteurs, à l’élaboration de la loi de la nomenclature botanique11.
La tension entre classifications botaniques et classifications horticoles persiste tout au
long du XIXe siècle12. Sans détailler la teneur de cette problématique, bien trop vaste pour
être exposée ici, il convient toutefois d’en apporter quelques précisions.
Premièrement, les botanistes et les horticulteurs ne se concentrent pas sur le même
niveau de classification. L’espèce est le seul niveau significatif pour les premiers, tandis que
la variété est le niveau principal d’intérêt pour les horticulteurs. Les catalogues des
pépiniéristes proposent à la vente des variétés, identifiées par un nom commercial, décrites
selon les caractéristiques horticoles (date de floraison, remontée de floraison, port, couleur,
feuillage, etc.). Les jardiniers plantent, cultivent, multiplient des variétés. Ils utilisent le mot
« espèce » tantôt dans un sens botanique, tantôt dans un sens trivial : une espèce est, pour la
plupart des praticiens, une « sorte » de rosier. Pour contourner la question difficile de la
distinction espèce/variété, ils emploient souvent le syntagme composite et non expliqué :


et environs, par M. de Pronville, Paris, Audot, 1824. Pronville est d’ailleurs lui même auteur de
plusieurs classifications, dont Nomenclature raisonnée des espèces, des variétés, et sous variétés du
genre rosier, observées au Jardin royal des plantes, dans ceux de Trianon, de Malmaison, et dans les
Pépinières des environs de Paris, Paris, Huzard, 1818.
9
Poiteau, A., Vilmorin, Ph., Le Bon jardinier, Almanach pour 1840, Paris, Audot, 1840, p.906
10 Boitard, P, op.cit., p. 91
11
Candolle de, A., Lois de la nomenclature botanique adoptées par le Congrès international de
botanique, Genève, H. Georg, 1867. Voir également, Valéry Malécot, « Les règles de nomenclature –
Histoire et fonctionnement » Biosystema, Société française de systématique, p. 41-76, 2008 <hal-
0072970>.
12
Voir la communication et l’article de Valéry Malécot dans la présente publication.

4
« des espèces et variétés »13. La référence à des ouvrages de botaniques ou des dictionnaires
dans l’emploi de la distinction espèce/variété n’est pas éclairante, puisque ces mêmes
ouvrages intègrent dans leur approche théorique des ambigüités sémantiques14.
Deuxièmement, les divisions (espèce, famille, tribu, groupe horticole) sont pensées
comme étant des ensembles qui partagent des caractères communs et une origine commune.
Les logiques qui président à la constitution des groupes horticoles fusionnent les deux
approches. Les rosiers Noisette sont à la fois les rosiers qui ressemblent au premier rosier
Noisette et des rosiers supposés comme étant issus de la descendance de ce premier rosier
Noisette. Il s’agit donc des lignées, établies non pas sur la traçabilité des graines, mais sur la
ressemblance avec une tête de groupe qui a le même rôle de référence que les types des
botanistes. La logique botanique des divisions systématiques est ainsi importée dans le monde
horticole, où elle est appliquée à des variétés, et plus précisément à des individus multipliés
végétativement, et non à des espèces et des populations. La superposition des deux niveaux
n’est pas explicite, ce qui contribue à augmenter les confusions. Elle véhicule donc un modèle
de pensée biologique sans tenir compte des différences de niveaux et de nature entre les objets
sur lesquels portent ces classifications.
La troisième précision concerne la notion d’hybride15. Le qualificatif hybride désigne
chez les botanistes et les zoologistes le résultat stérile de la fécondation entre deux individus
d’espèces différentes. Les cas sont rares16 et évoqués comme argument de la limite entre les

13
Oghina-Pavie C., « Les variétés horticoles au XIXe siècle : commerce, obtentions et
représentations », dans Camille Maréchal et ali (éd), La protection du végétal et ses enjeux
économiques, Paris, Editions Economica 2012, p. 3-13.
14
Par exemple, plusieurs praticiens font référence à la rédaction de Bosc d’Antic concernant le mot
« espèce » dans le Nouveau cours complet d’agriculture : « Espèce : Les naturalistes et les cultivateurs
ne sont pas d’accord sur l’application qu’il faut donner à ce mot. Les premiers appellent espèce les
individus qui se ressemblent par toutes leurs parties, ou qui n’offrent que des différences peu
importantes, et qui se perpétuent les mêmes par le semis de leurs gaines. Les seconds, négligeant cette
dernière considération, confondent avec les véritables espèces les variétés que leur art forme et
multiplie, soit par le même moyen, soit plus sûrement par marcottes, par boutures, par greffes, etc.
(…) Selon moi, une variété est un individu ou une succession d’individus s’écartant de l’espèce par un
ou plusieurs caractères, qui peuvent disparaître l’année suivante, et qui ne se propagent pas
constamment par la génération. Lorsqu’on lit des ouvrages sur la culture, il faut donc faire attention
au sens que l’auteur donne à ce mot. Dans cet ouvrage, j’ai eu soin d’appeler espèces les véritables
espèces, et variétés les variétés : cependant j’ai pu quelquefois, par l’effet de la circonstance, prendre
le mot espèce dans l’acception vulgaire ; je puis aussi avoir employé le mot espèce jardinière,
proposé par quelques écrivains, comme synonyme de variété. D’ailleurs, j’ai pu aussi me tromper ;
car, quelque habitué que je sois à observer les plantes, il est un grand nombre de cas où l’application
des principes se trouve difficile. Un botaniste qui n’a étudié les plantes que dans l’état naturel
distingue facilement les espèces et les variétés ; mais l’influence de la culture est telle, qu’il est telle
variétés de choux, de laitue, de pêche, de poire, de raisin, etc., qui diffère plus du type de son espèce
que telle espèce de ses congénères. » Nouveau cours complet d’agriculture théorique et pratique
contenant la grande et la petite culture, l’économie rurale et domestique, la médecine vétérinaire, etc.
ou Dictionnaire raisonné et universel d’agriculture, Nouvelle édition, Tome VI : EFF-FOU, Paris,
chez Déterville, 1821, p. 160-161.
15
Oghina-Pavie C., « Rose and Pear Breeding in Nineteenth Century France: the Practice and Science
of Diversity » in Denise Philips, Sharon Kingsland (dir.), New perspectives on the Histiry of Life
Siences and Agriculture, Berlin, Springer, 2015, p. 57-77.
16
Une quarantaine d’hybrides spontanés connus en 1844, selon Godron, D.-A., De l’hybridité dans les
végétaux. Thèse de physiologie végétale présentée à la faculté des sciences de Strasbourg, Nancy,
Raybois, 1844.

5
espèces car les hybrides, descendants stériles, ne pouvant se reproduire et ils ne peuvent pas
créer à leur tour des nouvelles espèces intermédiaires. Pour les horticulteurs, est hybride le
résultat, fertile ou stérile, issu du croisement entre deux sortes de plantes, que ce soit des
espèces, variétés, races, groupes, tribus ou autre division de la classification. Pour cette
raison, le mot « hybridation » tend à remplacer les expressions « fécondation artificielle » ou
« croisement » à partir des années 1840. Toute nouvelle plante issue de semis n’est cependant
pas désignée comme un d’hybride. Les praticiens réservent en effet ce qualificatif à l’individu
résultat d’une fécondation, qui a l’apparence d’un être composé et qu’ils ne peuvent pas
classer dans les catégories déjà établies parce qu’il présente une addition de caractères qui
étaient jusqu’alors considérées comme dichotomiques entre ces catégories. Cette acception
horticole de l’hybridité est ambiguë. Elle exprime, d’une part, une idée de transmission de
caractères, car la présence des caractères composés indique l’origine mixte de l’hybride. Elle
exprime, d’autre part, l’idée d’un continuum, car les hybrides forment des catégories
intermédiaires dans la classification. L’idée d’une fusion ou d’une addition des caractères
hérités permet à l’obtenteur de présumer de l’origine du nouveau rosier. Par ailleurs, la
question de la stérilité ne se pose pas véritablement. Ce sont des individus que l’on peut
multiplier végétativement, dont leur stérilité ou fécondité passe au second plan, jusqu’à
disparaître complètement des critères qui permettent de qualifier une plante d’hybride. Dans
la pratique, il s’agit donc d’une qualification a posteriori des hybrides, plantes stériles ou
fertiles, par analogie des caractères observés. Certains rosiers présentent un mélange de
caractères de plusieurs variétés. Certains (A. Poiteau) en déduisent qu’il s’agit des cas
d’hybridation entre les variétés : rosa perpetuosissima hybride de damas, de l’Ile Bourbon, de
Noisette, de majalis, de bengale, de thé et de cent feuilles17. D’autres auteurs, davantage
préoccupés à clarifier les limites que l’espèce impose à l’hybridation, comme Pierre Boitard,
considèrent qu’il s’agit d’un abus dans l’emploi du mot hybride chez les horticulteurs :
« Ils sèment des graines de cent-feuilles, ils obtiennent des rosiers qui ont de
l’analogie avec les damas, les alba etc. Aussitôt ils décident que ces rosiers sont hybrides de
cent-feuilles et de damas, d’alba etc. C’est aller un peu vite ! D’autres, cependant, sont encore
plus expéditifs : ils sèment des graines cueillies au hasard, puis quand les individus qui en
proviennent sont en fleurs, ils les étudient, et les classent arbitrairement parmi les hybrides de
telle ou telle espèces, parce qu’ils croient leur reconnaître les caractères spécifiques de ces
deux espèces : or, il peut arriver, et il arrive même fréquemment, que ces prétendus hybrides
sont provenus d’une graine qui n’appartenait ni à l’une ni à l’autre de deux espèces dont ils
portent les caractères18. »
Alexandre Boreau, directeur du jardin botanique de la ville d’Angers, s’insurge contre
la forte réduction du nombre d’espèces de rosiers. Pour lui, chacun des caractères qui
distinguent les rosiers les uns des autres sont mineurs, pris séparément : forme et direction des
aiguillons, forme des folioles, dentelures, état glabre ou velu, etc. L’extrême facilité avec
laquelle le rosier « joue dans nos jardins » montre le peu de fixité des caractères, mais ne
prouve pas la non existence des espèces. Selon Boreau, il serait erroné de réunir des formes
aussi diverses sous « le vain titre de variétés »19. A la suite de Boreau, le botaniste Alfred
Déséglise (1823-1883) effectue plusieurs classifications du genre Rosa, multipliant lui aussi le
nombre d’espèces20. Il s’élève contre les hybridolâtres qui voient dans l’hybridation la

17
Poiteau, P.-A., « Le désespoir des amateurs », Annales de la société d’horticulture de Paris et
journal spécial de l’état et des progrès du jardinage, 13, Paris, Huzard, 1833, p. 325–326.
18
Boitard, P., op.cit., p. 75.
19
Boreau, A., « Notes sur quelques espèces de plantes françaises », Bulletin de la société industrielle
d’Angers et du département de Maine-et-Loire, N° 1,2 et 3, 15e Année, Angers : Cosnier et Lachèse,
p.53.
20
Déséglise, A., Essai monographique sur cent cinq espèces de rosiers appartenant à la flore de la
France, Angers, 1861, p.8.

6
production de formes intermédiaires entre les espèces, donc une transformation. Si ces formes
sont constantes, c’est à dire qu’elles se reproduisent par la graine, elles constituent des
espèces. Sinon, il ne s’agit que des accidents passagers. Cette « école stationnaire » cherche à
identifier dans la flore spontanée toutes les espèces auxquelles peuvent se rattacher les rosiers
cultivés. Elle s’est opposée à « l’école progressiste » pour laquelle les plantes des jardins sont
issues de quelques types originaux qui se sont successivement transformés21. Dans ce débat
entre transformistes et fixistes, l’hybridité serait « la clef du genre ». Selon les fixistes, il sera
alors très facile d’appréhender la diversité des rosiers cultivés, en observant les critères qui
distinguent les rosiers sauvages22.
La question de l’hybridation gagne en importance vers le milieu du XIXe siècle. Elle
est mise en débat par les sociétés d’horticulture et les congrès d’horticulture et de botanique23
et le nombre de publications concernant ce sujet se multiplient. L’augmentation du nombre
d’hybrides horticoles, chez le rosier et d’autres végétaux, peut expliquer cet intérêt croissant.
Cependant, l’explication vient surtout de la formulation progressive des questionnements
théoriques concernant la transformation des espèces. En effet, les hybrides sont un des points
cruciaux dans les controverses attenantes au transformisme. François Crépin, botaniste belge,
auteur en 1894 d’un ouvrage sur les roses (sauvages) hybrides conclut ainsi son étude : « j’ai
la conviction que l’hybridité jouera un rôle considérable dans les travaux de systématique et
nous donnera l’explication de bien des faits qui touchent à l’évolution des espèces24.
En effet, à travers le problème de la classification transparaissent les enjeux
conceptuels complexes concernant l’origine, la définition, les limites et l’évolution des
espèces. Les rosiers, par la différence visible entre les formes spontanées et les formes
cultivées, sont un des exemples les plus parlants de la difficulté de penser les végétaux dans
leur généralité, en tant qu’organismes vivants, malgré les cas singuliers et les effets de la
pratique jardinière, à l’échelle celle du vivant, dans son état présent et dans son histoire.

Variation, diversité et transformation


La diversité toujours croissante des rosiers cultivés au XIXe siècle est la conséquence
de la propension biologique à la variation qui caractérise les rosiers et de la capacité des
horticulteurs à en tirer profit dans leur pratique d’obtention. La compréhension des
mécanismes de la variation préoccupe en égale mesure les botanistes et les horticulteurs.
Dans leur course à la nouveauté, les horticulteurs sont très attentifs à l’apparition des
formes nouvelles, insolites, originales et curieuses, que les botanistes considèrent comme
étant des monstruosités. Comme dans d’autres domaines de la botanique, de la zoologie et de
l’anatomie humaine, pendant la première moitié du XIXe siècle l’observation malformations,
accidents et monstruosités est liée à la préoccupation pour la compréhension de la formation
des organes. Sont décrits les processus physiologiques de la morphogenèse, développement et
de croissance aux cours desquels des organes situés à proximité fusionnent, se soudent entre-
eux ou se transforment les uns dans les autres. Cela peut être un processus régulier ou

21
Matagne, P, « Les botanistes de l’ouest et les faiseurs d’espèces », Bulletin d’épistémologie et
d’histoire des sciences de la vie 18 (2), Paris, Editions Kimé, 2011 157–168.
22
Jordan, A., Observations sur plusieurs plantes nouvelles, rares ou critiques de la France, 6e
fragment, Paris, 1847, p.77.
23
Bulletin du Congrès international de botanique et d’horticulture, réuni à Amsterdam les 7, 8, 10 et
11 avril 1865, en coincidence avec l’exposition Universelle d’horticulture: 1865, Mostert, 1866, p.
440-451. Voir aussi Oghina-Pavie Cristiana, « Science et culture du végétal. Les congrès de botanique
et horticulture dans la deuxième moitié du XIXe siècle », Bulletin d’histoire et d’épistémologie des
sciences de la vie 19/2, 2012, Editions Kimé Paris, p. 191-202
24
Crépin, F., Rosae hybridae. Etudes sur les roses hybrides, Gand, impr. C. Anoot-Braeckman, 1894,
p. 149.

7
exceptionnel. C’est, par exemple, le cas des roses prolifères, quand l’axe de la fleur continue à
végéter et se prolonge par une branche qui peut à son tour porter une deuxième fleur. Rosa
Damascena Celsiana, décrite par Thory et Redouté, en est un exemple, « venu de graine dans
un lieu de l’entassement de terreau et d’autres engrais »25. Ce qui prime dans cette description
c’est la situation concrète dans laquelle cette forme inhabituelle a pris naissance. Ni
l’obtenteur, Cels, ni l’auteur de la description, Thory, n’établissent pas un lien de cause à effet
entre la nature du terreau et les caractères hors norme de ce rosier prolifère. Ils laissent
cependant supposer que ce lien existe ou, du moins, que ces circonstances culturales ont
favorisé la monstruosité.
Appelée après 1830 « tératologie », la science des monstres n’a de cesse de s’emparer
des exemples jardiniers26 parmi lesquels figurent de nombreux cas de rosiers. Les exemples
horticoles sont connus car longuement décrits. L’apparition d’un caractère nouveau - rosiers
mousseux, rosiers « œillets » dont les pétales sont courts et recourbés, rosiers verts, rosiers
nains, toutes sortes de panachures, etc., attirent l’intérêt des amateurs. Ce sont des curiosités
qui se vendent cher, que les amateurs aiment avoir dans leur collection et que les horticulteurs
s’empressent de multiplier. Pour les botanistes s’intéressant à ces modifications, ce ne sont
pas les conditions de l’apparition de l’anormalité qui sont importants, mais l’information que
cette anomalie peut apporter pour comprendre la morphogenèse. Ainsi la rose prolifère est
régulièrement invoquée comme une preuve de la théorie selon laquelle les calices sont
constitués des feuilles florales soudées27 tandis que la rose sans pétales serait un exemple de
transformation des pétales en étamines28.
Ces écarts de la nature, accidents, sports ou variations par bourgeons sont attribués
par les horticulteurs à des causes mystérieuses, non prévisibles et non reproductibles. Les
horticulteurs sont à l’affut de ces « présents de la nature » et observent que certains rosiers,
comme les cent-feuilles, donnent « le plus d’exemples de ces jeux de la nature »29. La
prédisposition à la variation spontanée, signe d’instabilité, serait une perturbation due à la
culture intensive et très ancienne, qui provoquerait des dégénérescences diverse, y compris
celles qui induisent des modification morphologiques sur un des rameaux de la plante.
Ce n’est qu’une des sources de variation, la plus aléatoire. Pour obtenir des variétés
nouvelles, les amateurs et les pépiniéristes pratiquent le semis, fondant leurs espoirs sur la
capacité des rosiers à varier par la génération. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, il s’agit de
semis du hasard ou des semis ordonnés (appelés aussi « semis intelligents »), c’est à dire des
semis de graines choisies en fonction des qualités de la plante-mère. Si la technique est
simple, elle requiert du temps, de la patience et l’art de sélectionner les variétés prometteuses.
Pour donner plus de chances à l’obtenteur dans « cette sorte de loterie », les praticiens
prodiguent des conseils sur le choix des graines, la manière de les récolter, de les conserver,
de les semer, ainsi que sur les soins à donner aux jeunes plants dans les premières années de
leur vie. Ces conseils sont le reflet de l’expérience des obtenteurs, dont certains, comme
Noisette ou Vibert sèment des milliers de graines tous les ans.
Ces conseils pratiques ne sont pas cependant dénués d’une portée théorique. Si les
rosiers varient dans les jardins, les causes de la variation sont liées aux conditions de culture.

25
Thory, C.A., Redouté, P.-J., , Les roses, T 3, Didot, 1824, p. 13
26
Moquin-Tandon A., Eléments de tératologie végétale, ou histoire abrégée des anomalies de
l’organisation dans les végétaux, Paris, P. -J. Loss, 1841.
27
Par exemple chez Goethe J.W. von, Essai sur la métamorphose des plantes, Barbezat, 1829, p. 71-
72.
28
Nouveau cours complet d’agriculture théorique et pratique: contenant la grande et la petite culture,
l’économie rurale et domestique, la médecine vétérinaire, etc., ou Dictionnaire raisonné et universel
d’agriculture, Chez Deterville, 1809, p. 253-254.
29
Vibert, J.-P., Essai sur les Roses. Paris: Huzard.1824, p.25.

8
Autrement dit, certains caractères sont hérités tandis que d’autres sont le résultat des
techniques de culture qui interférent avec les processus physiologiques. Par exemple, la
duplicature serait due à un excès de nourriture, ce qui expliquerait l’absence de rosiers
doubles dans la flore spontanée. Chaque caractère serait en partie hérité et en partie modifié
par la culture jardinière. Par exemple, les graines des rosiers semi-doubles donnent plus
souvent des rosiers semi-doubles ou doubles. Mais la duplicature se retrouve de manière
irrégulière dans la descendance : seulement une partie des graines de rosiers doubles
donneront des rosiers à fleurs doubles. Cette transmission, aussi irrégulière qu’elle soit,
dépend de la constance des conditions qui ont provoquée la variation. En suivant cette
logique, en l’absence d’une nourriture surabondante, il n’y aurait pas de rosiers doubles dans
le semis.
L’analyse de toutes ces indications pratiques pour obtenir des rosiers « améliorés » fait
état d’une construction progressive, dans la première moitié du XIXe siècle, d’une pensée qui
associe étroitement physiologie et caractères hérités30. Pour preuve, les horticulteurs évoquent
les exemples de rosiers qui dégénèrent, c’est à dire qu’ils perdent les caractères distinctifs de
leur variété ou de leur espèce. Noisette cite des rosiers mousseux qui sont devenues glabres au
bout de quelques années de culture ainsi que des changements de couleur de la fleur ou du
feuillage31. Pour saisir l’acculturation du concept d’hérédité naturelle qui se profile dans les
sciences de la vie à partir des années 1830-1840, il est intéressant d’observer la manière dont
les praticiens adoptent la fécondation artificielle.
Les exemples de fécondations artificielles opérées sur des espèces diverses se
multiplient dans les premières décennies du XIXe siècle et ils attirent l’attention des praticiens
et des amateurs-expérimentateurs. Les travaux de T.A. Knight, J.G. Kölreuter, C.-F. Gaertner
ou G. Gallesio sont connus en France et discutés notamment par Augustin Sageret, auteur de
deux mémoires sur les cucurbitacées en 1826 et d’une Pomologie physiologique en 1830 où il
étudie la production d’hybrides et promeut la fécondation artificielle comme le moyen de
« faire naître des espèces et des variétés nouvelles et d’en diriger la création »32. Pour les
rosiers, la première expérience de fécondation artificielle est discutée à la Société
d’horticulture de Paris en 1831. Jean-Pierre Vibert présente la communication qu’il a reçue
d’un correspondant allemand (qu’il ne nomme pas) sur la fécondation artificielle des rosiers.
En croisant un rosier bengale avec un centfeuilles mousseux, ce correspondant aurait obtenu
un bengale mousseux. Pour Vibert, il s’agit d’un fait extraordinaire dont il relève
l’importance : le centfeuilles mousseux est doté d’une singularité apparue accidentellement
(la mousse qui couvre le pédoncule et le calice) et qui lui est particulière. Par la fécondation
artificielle, l’obtenteur allemand a réussi à la « transporter sur une autre espèce ». Vibert
insiste sur le fait que cette expérience est le signe d’une grande révolution dans le monde des
roses et la garantie que, dans un avenir plus ou moins lointain, les amateurs des roses pourront
disposer de tous les caractères recherchés réunis sur la même plante33. Cependant, aucune
mention dans les nombreux écrits de Vibert ne laisse supposer qu’il aurait pratiqué lui-même
la fécondation artificielle.

30
Gayon, J., « Entre force et structure: genèse du concept naturaliste de l'hérédité », dans Gayon, J.,
Wunenburger, J.-J., (dir), Le paradigme de la filiation, Paris : L’Harmattan, 1995, p. 61-65
31
Noisette, L., Manuel complet du jardinier maraîcher, pépiniériste, botaniste, fleuriste et paysagiste
par M. Louis Noisette. Tome premier, paris, Rousselon, 1825, p. 454-459.
32
Sageret, A. Des fécondations étrangères spontanées et artificielles et de la production des hybrides
considérées dans leurs rapports avec l’amélioration des fruits, Extrait du Journal des connaissances
usuelles et pratiques, Paris, Delanchy, 1840
33
« Note sur la fécondation artificielle des Roses, communiquée à la Société d’Horticulture, le 5
janvier, par M. Vibert », dans Annales de la société d’horticulture de Paris et journal spécial de l’état
des progrès du jardinage, T VIII, Paris, 1831, p. 68-71.

9
En 1845, un autre ouvrage très remarqué par les horticulteurs est celui d’Henri
Lecoq34, professeur de botanique à Clermont-Ferrand, qui explique de manière détaillée
comment procéder aux fécondations artificielles pour différentes plantes cultivées, y compris
pour le rosier. Il présente la fécondation artificielle comme une imitation de la nature qui
permet de diminuer la part de hasard : « On ne doit plus maintenant compter sur l’inconstance
d’une chance plus ou moins favorable ou sur le vol d’un insecte pour créer de nouvelles roses,
c’est le pinceau qui doit les produire, c’est le goût, aidé de l’expérience et de l’intelligence qui
doit les diriger35 ».
L’esprit de cette affirmation de Lecoq est souvent partagé par les horticulteurs. Ils
considèrent qu’ils imitent la nature, ils la secondent dans son œuvre, ils accélèrent ses
productions, en créant des conditions favorables à la variation. La variation reste
fondamentalement un phénomène biologique, dont ils ne peuvent assurer la maitrise
complète36. Selon eux, si les rosiers des jardins sont davantage prédisposés aux variations que
les rosiers spontanés, ceci est l’effet de plusieurs facteurs. D’abord, la variation est due à la
réunion, dans les jardins et dans les collections, d’espèces et variétés qui ne se retrouvent pas
à proximité les unes des autres à l’état sauvage. Ces rassemblements favoriseraient des
fécondations qui, sans être artificielles, ne sont pas non plus entièrement naturelles
puisqu’elles ne se produisent pas dans la nature. La variation est due également à l’ancienneté
de la culture, qui rendrait des variétés anciennes plus aptes à dégénérer, à produire des formes
monstrueuses ou à retourner, par atavisme à des formes sauvages. Elle peut également être
due à l’intervention de l’horticulteur, qui, par des semis répétés, par la transplantation sous
des climats différents de ceux d’origine, par la modification des conditions de vie, fait perdre
au végétal son habitude, ébranle la stabilité de l’organisme et perturbe ainsi son hérédité37.
Ainsi, Charles Darwin accorde aux rosiers quelques pages de la Variation des plantes
et des animaux sous l’influence de la domestication38. Dans la perspective de son
raisonnement général, il associe la variation spontanée (bud variation) et la variation par
semis. Fondant son raisonnement sur les écrits des horticulteurs (publiés dans Gardener’s
Chronicle et Transactions of the Horticultural Society, des écrits de jardinage ainsi que sur sa
correspondance avec des horticulteurs et botanistes), Darwin décrit l’origine attestée ou
supposée de certaines variétés de rosiers. Il met en évidence le fait qu’un sport, variété issue
d’une modification subite d’une partie d’un rosier, peut être multiplié par la greffe ou la
bouture, ce qui est généralement pratiqué dans l’horticulture. Le caractère modifié peut
toutefois être également transmis par le semis. Autrement dit, les caractères apparus
accidentellement peuvent être hérités par la descendance. Il argumente ainsi, par un exemple
horticole, un des schémas explicatifs de la variation avec modification qui intervient dans la
sélection naturelle et la transformation des espèces.
Question pratique, la variation est aussi un problème fondamental dans la construction
du concept d’hérédité naturelle et dans le transformisme. Les rosiers, qui offrent les exemples

34
Drouin, J.-M., Fox, R., « Corolles et crinolines. Le mélange de genres dans l’œuvre de Henri Lecoq
(1802-1871) », Revue de synthèse, Octobre-Décembre 1999, volume 120, issue 4, p. 581-599.
35
Lecoq, H., De la fécondation naturelle et artificielle des végétaux et de l’hybridation, considérée
dans ses rapports avec l’horticulture, l’agriculture et la sylviculture ou étude sur le croissement des
plantes des principaux genres cultivés dans les jardins d’ornements, fruitiers et maraîchers, sur les
végétaux économiques et de grande culture, les arbres forestiers, etc. Contenant les moyens pratiques
d’opérer l’hybridation et de créer facilement des variétés nouvelles, Paris, Audot, 1845 p.115.
36
Tirard, S, « La sélection variétale: Maîtriser l’évolution biologique? » in Camille Maréchal et ali
(éd), La protection du végétal et ses enjeux économiques, Paris, Editions Economica 2012, p. p. 15-24.
37
Lecoq H., op.cit., p. 184.
38
Darwin, C. R. 1868. The variation of animals and plants under domestication. London, John
Murray. First edition, first issue. Volume 1, p. 365-368 ; 378-381.

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les plus divers de variation spontanée (par bourgeon) et de variation par génération (par
semis) se trouvent ainsi intégrés dans un « espace épistémologique de l’hérédité »39 dans
lequel les observations des hybrideurs, horticulteurs amateurs ou professionnels40, sont des
faits positifs, des exemples à partir desquels le monde vivant peut être pensé dans sa diversité,
dans son histoire et dans son devenir.

Conclusions
L’histoire des rosiers au XIXe siècle est partagée entre l’histoire de la pratique
horticole et celle des sciences de la vie. Elle ne peut être comprise qu’en prenant en compte la
circulation des idées entre les praticiens et les botanistes. Cette circulation n’est pas
unilatérale, allant du monde savant vers le monde horticole. Au contraire, science et pratique
sont dans un dialogue permanent, facilité par la nature composite des milieux sociaux et
intellectuels qui s’intéressent aux végétaux. Ce dialogue est fait d’influences et de partage,
mais aussi de malentendus, parfois d’animosités et de critiques réciproques.
Dans ce dialogue, l’exemple des rosiers est significatif car il met en évidence les
questionnements suscités par la diversité des végétaux. La systématique, l’hérédité, la
physiologie et enfin la théorie de l’évolution sont intimement entremêlées avec les gestes les
plus courants du jardinage et de l’horticulture. Ce qui confère une particularité aux rosiers est
leur singulière complexité, en tant qu’êtres vivants et en tant qu’objets de la production et du
commerce horticole. La conjonction entre cette double complexité et les problématiques qui
animent les botanistes et les horticulteurs au XIXe siècle, rend les rosiers un modèle d’étude
historique particulièrement intéressant pour comprendre le rôle de l’horticulture dans une
construction historique des savoirs biologiques.

Note : Cette recherche a été réalisée dans le cadre du programme FloRHiGe – Facteurs de succès de
l'innovation variétale du rosier au XVIIIe et XIXe siècles en France : démarche interdisciplinaire
génétique et historique financé par la Région des Pays de la Loire (2013-2016).


39
Müller-Wille, S., Rheinberger, H.-J., Introduction in id. (ed.), Heredity Produced, At the Crossroad
of Biology, Politics, and Culture, 1500-1870, The MIT Press, Cambridge, etc, 2007, 5-9.
40
Falk, R., Genetic Analysis. A History of Genetic Thinking, Cambridge, 2009, p. 21.

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