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Université de Strasbourg

Faculté de droit

Année 2019, amphi AK


Cours : E. Maulin

Fiche n° 4
La chef de l’Etat

Exercice: après une lecture intégrale des documents proposés, commentez la conception du
chef de l'Etat développé par le général de Gaulle dans ses Mémoires d'espoir (document
n°1).

Doc. n° 1 - Le chef d l'Etat


"Les institutions nouvelles sont en place. Du sommet de l'Etat, comment vais-je les façonner ?
Dans une large mesure il m'appartient de le faire… Il est vrai que la Constitution que j'ai fait
adopter par le pays définit les attributions des diverses autorités, mais sans contredire l'idée
que le peuple et moi nous faisons de nos propres obligations… Certes, il existe un
Gouvernement qui détermine la politique de la nation. Mais tout le monde sait et attend qu'il
procède de mon choix et n'agisse que moyennant ma confiance. Certes, il y un Parlement,
dont l'une des deux chambres a la faculté de censurer les ministres. Mais la masse nationale
et moi-même ne voyons rien là qui limite ma responsabilité, d'autant mieux que je suis
juridiquement en mesure de dissoudre, le cas échéant, l'assemblée opposante, d'en appeler
au pays au-dessus du Parlement par la voie du référendum et, dans le cas de péril public, de
prendre toutes les mesures qui paraitraient nécessaires."
De Gaulle, Mémoires d'espoir, I - Renouveau, p. 283.

Document n°2 - Conférence de Presse du 31 janvier 1964


https://www.ina.fr/video/CAF90033365
Une Constitution, c'est un esprit, des institutions, une pratique
[« La nation française est en paix. » Ayant fait remarquer, au début de sa conférence, combien
la chose est nouvelle, le général de Gaulle répond ensuite à une question sur les institutions.
Ces réflexions provoqueront un grand débat sur la nature des institutions de la Cinquième
République, notamment à l'Assemblée nationale, où, le vendredi 24 avril 1964, François

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Mitterrand, Paul Coste-Floret et André Chandernagor notamment s'opposent au premier
ministre, Georges Pompidou.]
Je vous répondrai qu'une Constitution, c'est un esprit, des institutions, une pratique.
Pour ce qui est de la nôtre, son esprit procède de la nécessité d'assurer aux Pouvoirs publics
l'efficacité, la stabilité et la responsabilité dont ils manquaient organiquement sous la
troisième et la quatrième République.
Sans doute, le déclenchement de la réforme, en 1958, a - t - il été déterminé par la secousse
survenue à Alger, étalant l'impuissance du régime d'alors à surmonter un drame où était en
train de sombrer notre unité nationale. D'ailleurs, en 1940, dans des circonstances beaucoup
plus tragiques encore, on avait déjà vu abdiquer un régime semblable. Mais, même en dehors
de ces brutales démonstrations, nul ne doutait, et depuis longtemps, qu'un système qui
mettait le pouvoir à la discrétion des partis, végétait dans les compromis, s'absorbait dans ses
propres crises, était inapte à mener les affaires de notre pays. C'est pourquoi l'esprit de la
Constitution nouvelle consiste, tout en gardant un Parlement législatif, à faire en sorte que le
pouvoir ne soit plus la chose des partisans, mais qu'il procède directement du peuple, ce qui
implique que le chef de l'Etat, élu par la nation, en soit la source et le détenteur. C'est ce qui
fut réalisé au vu et au su de tout le monde quand je repris la direction des affaires, puis quand
j'assumai les fonctions de Président. C'est ce qui a été simplement précisé par le dernier
référendum. Il ne semble pas que, depuis qu'elle s'applique, cette conception ait été
méconnue par les responsables, ni rejetée par le peuple, ni infirmée par les événements.
Quant à la répartition des pouvoirs, elle a été observée suivant ce que prévoit notre
Constitution. Les rôles attribués respectivement : au Président, garant du destin de la France
et de celui de la République, chargé par conséquent de graves devoirs et disposant de droits
étendus ; au gouvernement, nommé par le chef de l'Etat, siégeant autour de lui pour la
détermination et la mise en œuvre de la politique et dirigeant l'administration ; au Parlement,
exerçant le pouvoir législatif et contrôlant l'action du ministère, ont été remplis ainsi que
l'exigeaient la volonté du pays, les conditions où nous nous trouvons, l'obligation de mener
les affaires d'une manière active, ferme et continue.
Il est vrai que, concurremment avec l'esprit et avec le texte, il y a eu la pratique. Celle - ci a
naturellement tenu pour une part aux hommes. Pour ce qui est du chef de l'Etat, il est bien
évident que son équation personnelle a compté et je doute que, dès l'origine, on ne s'y
attendît pas. Quant aux ministres, et d'abord, aux Premiers : successivement Monsieur Michel
Debré et Monsieur Georges Pompidou, ils ont agi avec une évidente efficacité, mais chacun à
sa façon et qui n'était pas la même. Le Parlement a imprimé à sa tâche et à son attitude un
caractère différent, suivant que, dans l'actuel régime, il ait vécu sa première ou sa deuxième
législature. Il faut dire aussi que nos institutions ont eu à jouer, depuis plus de 5 ans, dans des
conditions très variables, y compris à certains moments sous le coup de graves tentatives de
subversion. Mais, justement, l'épreuve des hommes et des circonstances a montré que
l'instrument répond à son objet, non point seulement pour ce qui concerne la marche
ordinaire des affaires, mais encore en ce qui a trait aux situations difficiles, auxquelles la
Constitution actuelle offre, on l'a vu, les moyens de faire face : référendum, article 16,
dissolution de l'Assemblée Nationale.

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Sans doute, cette réussite tient - elle essentiellement à ceci que nos institutions nouvelles
répondent aux exigences de l'époque autant qu'à la nature du peuple français et à ce qu'il
souhaite réellement. Cependant, certains, trouvant peut-être la mariée trop belle, suggèrent
des changements qui, en fait, bouleverseraient le système de fond en comble.
C'est ainsi que quelques-uns préconisent un « gouvernement de législature ». L'Assemblée
nationale, quand elle aurait, une fois, donné sa confiance au ministère, ne pourrait plus le
renverser sans qu'il soit procédé à la dissolution automatique. De cette façon, le chef de l'Etat
— et c'est là, sans doute, le but essentiel du projet — n'aurait pas à intervenir. Mais, par là
même, les partis auraient beau jeu de faire en sorte que la désignation du Premier Ministre
et, au moment choisi par eux, son remplacement en souplesse, la composition du cabinet,
puis ses divisions provoquées du dehors ainsi que ses remaniements, la politique adoptée en
apparence, ensuite ses fluctuations, soient de nouveau les objets de leurs jeux et de leurs
combinaisons, tandis que leur savoir-faire éviterait à volonté qu'une crise en bonne et due
forme n'imposât la dissolution. Ainsi en reviendrait - on au régime d'Assemblée.
D'autres, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, font profession d'accepter l'existence
d'un chef de l'Etat qui en soit un, mais à la condition que le Parlement soit, de son côté, érigé
en citadelle inexpugnable, où les partis retrouveraient leur empire et leur sûreté. Ceux - là
témoignent d'une préférence, assez nouvelle de leur part, en faveur d'un régime qualifié de «
présidentiel » et qui serait analogue à celui des États-Unis. Que le Président, disent - ils, soit
élu par le peuple en même temps que l'Assemblée Nationale et assume en personne le
pouvoir exécutif, mais que, d'autre part, le Parlement exerce intégralement le pouvoir
législatif. Surtout, que chacun des deux, strictement enfermé dans son domaine, n'ait aucune
prise sur l'autre : le Président ne pouvant dissoudre, ni le Parlement renverser. Ainsi, allèguent
ces néophytes, le gouvernement serait concentré entre les mains d'un seul, ce qui obvierait
aux inconvénients d'une autorité divisée entre un Président et un Premier Ministre, tandis que
le Parlement, se trouvant intangible, voterait, ou non, les lois et le budget comme il le jugerait
bon.
On ne saurait méconnaître qu'une Constitution de cette sorte a pu, jusqu'à présent,
fonctionner cahin-caha aux Etats-Unis, c'est-à-dire dans un pays qui, en raison de sa
composition ethnique, de ses richesses économiques, de sa situation géographique, n'a connu
aucune invasion, ni même, depuis un siècle, aucune révolution ; dans un pays qui comprend
deux partis politiques seulement, lesquels ne sont opposés par rien d'essentiel dans aucun
domaine : national, social, moral ou international ; dans un pays fédéral, enfin, où le
gouvernement n'assume que les tâches générales : défense, diplomatie, finances, tandis qu'il
appartient aux 50 Etats de l'Union de pourvoir à tout le reste. Mais comment ce régime
conviendrait - il à la nation française, très fortement centralisée par le long effort des siècles,
victime de toutes les secousses intérieures et extérieures depuis sept générations, toujours
exposée à en subir d'autres, et où les multiples partis politiques, à l'exception de celui qui
pousse au bouleversement, sont divisés et inconsistants ?
Tout d'abord, parce que la France est ce qu'elle est, il ne faut pas que le Président soit élu
simultanément avec les députés, ce qui mêlerait sa désignation à la lutte directe des partis,
altérerait le caractère et abrégerait la durée de sa fonction de chef de l'Etat. D'autre part, il
est normal chez nous que le Président de la République et le Premier Ministre ne soient pas
un seul et même homme. Certes, on ne saurait accepter qu'une dyarchie existât au sommet.
Mais, justement, il n'en est rien. En effet, le Président, qui, suivant notre Constitution, est
l'homme de la nation, mis en place par elle - même pour répondre de son destin ; le Président,

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qui choisit le Premier Ministre, qui le nomme ainsi que les autres membres du gouvernement,
qui a la faculté de le changer, soit parce que se trouve accomplie la tâche qu'il lui destinait et
qu'il veuille s'en faire une réserve en vue d'une phase ultérieure, soit parce qu'il ne
l'approuverait plus ; le Président, qui arrête les décisions prises dans les conseils, promulgue
les lois, négocie et signe les traités, décrète, ou non, les mesures qui lui sont proposées, est le
chef des armées, nomme aux emplois publics ; le Président qui, en cas de péril, doit prendre
sur lui de faire tout ce qu'il faut ; le Président est évidemment seul à détenir et à déléguer
l'autorité de l'Etat. Mais, précisément, la nature, l'étendue, la durée de sa tâche, impliquent
qu'il ne soit pas absorbé, sans relâche et sans limite, par la conjoncture politique,
parlementaire, économique et administrative. Au contraire, c'est là le lot, aussi complexe et
méritoire qu'essentiel, du Premier Ministre français.
Certes, il ne saurait y avoir de séparation étanche entre les deux plans, dans lesquels, d'une
part le Président, d'autre part celui qui le seconde, exercent quotidiennement leurs
attributions. D'ailleurs, les conseils et les entretiens sont là pour permettre au chef de l'Etat
de définir à mesure l'orientation de la politique nationale et aux membres du gouvernement,
à commencer par le premier, de faire connaître leurs points de vue, de préciser leur action,
de rendre compte de l'exécution. Parfois, les deux plans sont confondus quand il s'agit d'un
sujet dont l'importance engage tout et, dans ce cas, le Président procède à la répartition
comme il le juge nécessaire. Mais, s'il doit être évidemment entendu que l'autorité indivisible
de l'Etat est confiée tout entière au Président par le peuple qui l'a élu, qu'il n'en existe aucune
autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne soit conférée et maintenue par
lui, enfin qu'il lui appartient d'ajuster le domaine suprême qui lui est propre avec ceux dont il
attribue la gestion à d'autres, tout commande, dans les temps ordinaires, de maintenir la
distinction entre la fonction et le champ d'action du chef de l'Etat et ceux du Premier Ministre.
Pourtant, objectent parfois ceux qui ne se sont pas encore défaits de la conception de jadis,
le gouvernement, qui est celui du Président, est en même temps responsable devant le
Parlement. Comment concilier cela ? Répondons que le peuple souverain, en élisant le
Président, l'investit de sa confiance. C'est là, d'ailleurs, le fond des choses et l'essentiel du
changement accompli. De ce fait, le gouvernement, nommé par le chef de l'Etat et dont au
surplus les membres ne peuvent être des parlementaires, n'est plus du tout, vis-à-vis des
Chambres, ce qu'il était à l'époque où il ne procédait que de combinaisons de groupes. Aussi,
les rapports entre le ministère et le Parlement, tels qu'ils sont réglés par la Constitution, ne
prévoient la censure que dans des conditions qui donnent à cette rupture un caractère
d'extraordinaire gravité. En ce cas extrême le Président, qui a la charge d'assurer la continuité
de l'Etat, a aussi les moyens de le faire, puisqu'il peut recourir à la nation pour la faire juge du
litige par voie de nouvelles élections, ou par celle de référendum, ou par les 2. Ainsi, y a - t - il
toujours une issue démocratique. Au contraire, si nous adoptions le système américain, il n'y
en aurait aucune. Dans un pays comme le nôtre, le fait que le chef de l'Etat serait aussi Premier
Ministre et l'impossibilité où il se trouverait, dans l'hypothèse d'une obstruction législative et
budgétaire, de s'en remettre aux électeurs, alors que le Parlement ne pourrait le renverser lui
- même, aboutirait fatalement à une opposition chronique entre deux pouvoirs intangibles. Il
en résulterait ou bien la paralysie générale ou bien des situations qui ne seraient tranchées
que par des pronunciamientos, ou bien enfin la résignation d'un président mal assuré qui,
sous prétexte d'éviter le pire, choisirait de s'y abandonner, en se pliant, comme autrefois, aux
volontés des partisans. On peut penser que c'est cette troisième hypothèse que caressent le
plus volontiers les champions imprévus du « régime présidentiel ».

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Notre Constitution est bonne. Elle a fait ses preuves depuis plus de 5 années, aussi bien dans
des moments menaçants pour la République qu'en des périodes de tranquillité. Sans doute,
d'autres circonstances et d'autres hommes donneront - ils plus tard à son application un tour,
un style plus ou moins différents. Sans doute l'évolution de la société française nous amènera
- t - elle, en notre temps de progrès, de développement et de planification, à reconsidérer
l'une de ses dispositions. Je veux parler de celle qui concerne le rôle et la composition du
Conseil économique et social. Mais, en dehors de cette précision, qui ne bouleversera pas
l'économie de la Constitution, gardons celle - ci telle qu'elle est. Assurément, on s'explique
que ne s'en accommodent volontiers ni les nostalgiques, avoués ou non, de la confusion de
naguère, ni cette entreprise qui vise au régime totalitaire et qui voudrait créer chez nous un
trouble politique d'où sa dictature sortirait. Mais le pays, lui, a choisi, et je crois, pour ma part,
qu'il l'a fait définitivement."
Général de Gaulle, extrait de la conférence de Presse du 31 janvier 1964

Document n° 3 – Discours de M. Michel Debré devant le Conseil d'Etat le 27 août 1958


III. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Si vous me permettez une image empruntée à l'architecture, je dirais qu'à ce régime
parlementaire neuf, et à cette Communauté qui commence à s'ébaucher, il faut une clef de
voûte. Cette clef de voûte, c'est le Président de la République.
SES POUVOIRS
Chaque fois, vous le savez, qu'il est question, dans notre histoire constitutionnelle, des
pouvoirs du Président de la République, un curieux mouvement a pu être observé ; une
certaine conception de la démocratie voit, a priori, dans tout Président de la République, chef
de l'Etat, un danger et une menace pour la République. Ce mouvement existe encore de nos
jours. N'épiloguons pas et admirons plutôt la permanence des idéologies constitutionnelles.
Le Président de la République doit être la clef de voûte de notre régime parlementaire. Faute
d'un vrai chef d'Etat, le Gouvernement, en l'état de notre opinion, en fonction de nos querelles
historiques, manque d'un soutien qui lui est normalement nécessaire. C'est dire que le
Président de notre République ne peut être seulement, comme en tout régime parlementaire,
le chef d'Etat qui désigne le Premier ministre, voire les autres ministres, au nom de qui les
négociations internationales sont conduites et les traités signés, sous l'autorité duquel sont
placées l'armée et l'administration. Il est, dans notre France où les divisions intestines ont un
tel pouvoir sur la scène politique, le juge supérieur de l'intérêt national. A ce titre, il demande,
s'il l'estime utile, une deuxième lecture des lois dans le délai de leur promulgation (disposition
déjà p 'vue et qui est désormais classique) ; il peut également (et ces pouvoirs nouveaux sont
d'un intérêt considérable) saisir le Comité constitutionnel s'il a des doutes sur la valeur de la
loi au regard de la Constitution. Il peut apprécier si le référendum, qui doit lui être demandé
par le Premier ministre ou les présidents des assemblées, correspond à une exigence
nationale. Enfin il dispose de cette arme capitale de tout régime parlementaire qui est la
dissolution.
Est-il besoin d'insister sur ce que représente la dissolution ? Elle est l'instrument de la stabilité
gouvernementale. Elle peut être la récompense d'un Gouvernement qui paraît avoir réussi, la

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sanction d'un Gouvernement qui parait avoir échoué. Elle permet entre le chef de l’Etat et la
nation un bref dialogue qui peut régler un conflit ou faire entendre la voix du peuple à une
heure décisive.
Ce tableau rapidement esquissé montre que le Président de la République, comme il se doit,
n'a pas d'autre pouvoir que celui de solliciter un autre pouvoir : il sollicite le Parlement, il
sollicite le Comité constitutionnel, il sollicite le suffrage universel. Mais cette possibilité de
solliciter est fondamentale.
En tant que Président de la Communauté, le Président de la République dispose de pouvoirs
qui ne sont pas de même nature, car il n'est plus, là, le chef d'un Etat parlementaire. II est le
chef d'un régime politique collégial, destiné par l'autorité de son Président, et par l'autorité
des Gouvernements membres, à faciliter la création d'une politique commune. Le Président
de la Communauté représente toute la Communauté et c'est à cet égard que son autorité en
matière de défense nationale et d'affaires étrangères est essentielle. II préside le Conseil
exécutif, il saisit le Sénat de la Communauté.
A ces pouvoirs normaux du chef de l'Etat, soit en tant que Président de la République
parlementaire, soit en tant que Président de la Communauté, le projet de Constitution ajoute
des pouvoirs exceptionnels. On en a tant parlé qu'on n'en parle plus, car, sans doute, certains
esprits s'étaient un peu hâtés de critiquer avant de lire attentivement. Quand des
circonstances graves, intérieures ou extérieures, et nettement définies par un texte précis,
empêchent le fonctionnement des pouvoirs publics, il est normal, à notre époque dramatique,
de chercher à donner une base légitime à l'action de celui qui représente la légitimité. Il est
également normal, il est même indispensable, de fixer à l'avance certaines responsabilités
fondamentales. A propos de cet article, on a beaucoup parlé du passé. On a moins parlé de
l'avenir, et c'est pourtant pour l'avenir qu'il est fait. Doit-on, en 1958, faire abstraction des
formes modernes de guerre ? A cette question, la réponse est claire : on n'a pas le droit, ni
pour ce cas ni pour d'autres, d'éliminer l'hypothèse de troubles profonds dans notre vie
constitutionnelle. C'est pour hypothèse de ces troubles profonds qu'il faut solennellement
marquer où sont les responsabilités, c'est-à-dire les possibilités d'action.
SA DÉSIGNATION
Cette responsabilité normale du chef de l'Etat en régime parlementaire, cette responsabilité
normale du chef de l'Etat à la tête de la Communauté, cette responsabilité exceptionnelle du
chef de l'Etat en période tragique, voilà qui exige que sa désignation soit entourée de soins
particuliers.
Peut-on continuer, selon la tradition depuis 1875, de le faire désigner par les deux chambres
du Parlement ? Nous savons où mène un tel collège électoral ; le Président de la République
est un arbitre entre les partis membres du Parlement, et cet arbitre, quelle que soit sa valeur
morale, éprouve beaucoup de mal à sortir de l'étroit domaine où il est enfermé moins par les
textes que par son mode d'élection. Il faut à la République et à la Communauté une
personnalité lui soit bien plus qu'un arbitre entre les partis et i est peu probable qu'un collège
électoral réduit au seul Parlement visse aboutir au résultat souhaité. Au surplus, le Parlement,
demain, sera la République seule, c'est¬-à-dire la métropole, les départements d'outre-mer,
quelques territoires. Or des représentants de la Communauté doivent être présents si l'on
veut marier au départ la double fonction du Président de la République.

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Le suffrage universel ne donne pas un corps électoral normal dans un régime parlementaire.
Le Président, qui est l'élu du suffrage universel, est un chef politique attaché à l'œuvre
quotidienne du Gouvernement et du commandement : recourir au suffrage universel, c'est
recourir à la Constitution présidentielle qui a été écartée pour les raisons qui ont été dites au
début de cet exposé.
On est alors mené par la force des choses à un collège composé d'élus politiques qui ne soient
pas seulement les parlementaires : les conseillers généraux, les conseillers municipaux. La
seule difficulté de ce collège est constituée par le grand nombre de petites communes et la
représentation relativement faible des grandes villes. Ce problème est un problème politique,
mais il faut bien voir qu'il est posé par une caractéristique nationale que nous devons
admettre à moins de sombrer dans l'idéologie. La France est composée de milliers et de
milliers de communes : ce fait est un fait français, un des aspects fondamentaux de notre
sociologie. Les inconvénients de cette force considérable des petites communes doivent, il est
vrai, être corrigés. Le projet qui vous est soumis accorde aux grandes villes une représentation
équitable en donnant à leurs conseils municipaux la possibilité d'élire des électeurs
supplémentaires proportionnellement à la population ; en réduisant par ailleurs la
représentation des conseils municipaux des communes et des petites villes soit au maire seul,
soit au maire et à ses adjoints, soit à un petit nombre de conseillers municipaux, le projet
rétablit un équilibre raisonnable. En même temps, sur des bases identiques, également très
valables, on peut parvenir à une représentation dans le collège électoral du Président de la
République, des territoires et des futurs Etats de la Communauté.
Pour assurer la légitimité du chef de la République française, il faut donner à son corps
électoral une image aussi conforme que possible de ce qu'est la France politique. Pour assurer
la légitimité du chef futur de la Communauté, il faut assurer une participation raisonnable des
Etats membres à ce collège électoral. Le projet s'est attaché à répondre à cette double
préoccupation ; il n'aboutit donc pas, comme vous le voyez, à un mécanisme qui aurait été
inventé pour faire élire le général de Gaulle, lequel n'a pas besoin d'un tel mécanisme ! Le
projet a pour ambition d'établir l'élection du Président de la République sur des bases telles
qu'il réponde aux nécessités de notre siècle.
CONCLUSION
Réforme du régime parlementaire, effort pour construire une Communauté, enfin, et pour
l'un et pour l'autre, définition des nouvelles fonctions du Président de la République et
désignation précise de son corps électoral, ai-je besoin de vous dire en terminant que cette
tâche a été entreprise dans le respect des principes fixés d'un commun accord entre le
Gouvernement du général de Gaulle et les assemblées parlementaires, accord qui s'est
manifesté par la loi du 3 juin dernier.
Seul le suffrage universel est la source du pouvoir. - Qu'il s'agisse du législatif et de l'exécutif,
cette règle a été respectée. Le collège électoral, le mode de scrutin pour l'élection du
Président de la République ont été précisés dans la Constitution même. En ce qui concerne les
assemblées, nous sommes demeurés dans la tradition républicaine : la loi électorale de l'une
et de l'autre est extérieure à la Constitution. Il est simplement entendu que les députés sont
élus au suffrage universel direct, et que le Sénat assure la représentation des collectivités
territoriales. Les règles fondamentales de la démocratie française sont donc maintenues.
Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés. - De bons esprits
ont fait remarquer que la séparation des pouvoirs était un dogme caduc. S'il s'agit de nous

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apprendre qu'il n'y a pas séparation absolue des pouvoirs mais qu'en fait comme en droit le
pouvoir est « un », je n'ai pas attendu ces bons esprits pour le savoir et l'ai même écrit avant
eux. Mais ce que ces bons esprits ne disent pas, c'est que faute de séparation dans la
nomination et l'organisation des différentes fonctions suivies d'un partage dans les tâches, le
régime vire à la dictature : tout caduc qu'est le dogme de la séparation des pouvoirs, il faut
cependant que les fonctions essentielles du pouvoir soient divisées, si l'on veut éviter
l'arbitraire, et tenter d'associer à la fois autorité et liberté. Le texte qui vous est présenté
établit, pour la première fois dans notre histoire constitutionnelle d'une manière aussi nette,
la séparation des autorités à l'origine de leur pouvoir et leur collaboration pour réaliser l'unité
de pensée et d'action.
Le Gouvernement doit être responsable devant le Parlement. - Ce principe est la ligne directe
du régime parlementaire que le projet a l'ambition d'instituer. Ce principe ne signifie pas que
la responsabilité doit être égale devant les deux chambres. Le Parlement de la République
comprend, comme il se doit, selon notre tradition, une Assemblée nationale et un Sénat, mais
cette seconde chambre (qui reprend son nom ancien) ne doit pas sortir du rôle éminent qui
est le sien, rôle législatif, rôle budgétaire : les attributions politiques sont le fait de l'Assemblée
nationale, et ce n'est qu'à titre exceptionnel que le Sénat peut, à la demande du
Gouvernement, sortir de son rôle normal. La responsabilité du Gouvernement ne signifie pas
davantage qu'elle soit mise en cause d'une manière quotidienne et illimitée : sur ce point, les
meilleurs raisonnements ne valent rien et c'est l'expérience qui l'emporte. La responsabilité
du Gouvernement est établie selon des procédures qui doivent éviter le risque d'instabilité.
L'autorité judiciaire doit demeurer indépendante. - Un titre spécial affirme l'indépendance de
la justice, maintient l'inamovibilité des magistrats du siège, reconstitue un Conseil supérieur
de la magistrature et fait du Président de la République le garant des qualités éminentes du
pouvoir judiciaire. Des lois organiques vous seront prochainement soumises qui appliqueront,
d'une manière plus claire et plus nette qu'il ne le fut jamais, ces principes nécessaires à
l'équilibre du pouvoir démocratique.
La Constitution doit permettre d'organiser les rapports de la République avec les peuples
associés. - De cet immense effort vous avez eu, au moins du point de vue juridique, un aperçu ;
et la politique du Gouvernement, représentée avant toute chose par l'action du général de
Gaulle, manifeste l'orientation donnée à cet effort d'association.
Après ce rappel des principes de la loi du 3 juin, et avant de conclure, j'évoquerai trois articles
du projet qui, du point de vue de la liberté, présentent un intérêt majeur : l'article sur les partis
politiques ; l'article sur la liberté de questionner le Gouvernement reconnue à l'opposition ;
l'article sur l'autorité du pouvoir judiciaire au regard de la liberté individuelle.
[…]
Un article du projet, après avoir, par un premier paragraphe, donné au Gouvernement, une
responsabilité majeure dans la fixation de l'ordre du jour des assemblées, précise ensuite : «
Une séance par semaine est réservée, par priorité, aux questions des membres du Parlement
et aux réponses du Gouvernement ». Cette disposition est la marque décisive du régime
parlementaire et des droits reconnus, dans le régime, à l'opposition. Le Gouvernement
responsable de l'Etat, donc de la législation, est normalement maître de l'ordre du jour des
assemblées. Aucun retard ne doit être toléré à l'examen d'un projet gouvernemental, si ce
n'est celui qui résulte de son étude. La loi, le budget, et toutes les affaires qui sont de la
compétence du Parlement ne sont pas, pour le Parlement, un monopole. L'intervention des

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assemblées est un contrôle et une garantie. Il ne faut pas, cependant, qu'un Gouvernement
accapare les travaux des assemblées au point que l'opposition ne puisse plus manifester sa
présence. Si elle ne doit pas pouvoir faire obstruction, elle doit pouvoir interroger. C'est l'objet
de ce « jour par semaine » réservé aux questions. Il est bien entendu que ces questions ne
peuvent, à la volonté de l'interpellateur, se terminer par une motion de confiance ni de
censure. Seul le gouvernement peut poser la question de confiance et la motion de censure
est soumise à une procédure pour laquelle le nouveau texte constitutionnel s'inspire des
projets qui étaient en cours d'approbation devant l’Assemblée nationale. Mais l'existence
constitutionnelle au droit d'interpeller est une pierre de touche de la liberté parlementaire.
A la fin du titre réservé à l'autorité judiciaire, un article est demeuré à l'abri de la critique
comme de l'éloge. II paraît ne pas avoir été compris. C'est celui qui dit : « Nul ne peut être
arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le
respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». On sait que la disposition du
droit anglo-saxon dite « habeas corpus » est souvent citée en modèle. C'est se rendre
coupable d'injure à la justice de ne pas lui déférer un citoyen dans le jour qui suit son
arrestation. La garantie est grande et elle est la clef de voûte de tout régime qui prétend
respecter la liberté individuelle. La souplesse des règles constitutionnelles anglaises permet
de combiner cet impératif avec un autre impératif, celui de la sécurité de l'Etat. En temps de
guerre, en cas de troubles, un acte du Parlement suspend l'application de l'« habeas corpus ».
Notre système rigide empêche une si heureuse combinaison. Affirmer dans un article le
principe de la compétence judiciaire immédiate et totale, puis donner au gouvernement le
droit, par décret, faut-il soumis à ratification, ce n'est pas, ce ne peut être d'un heureux effet.
Cependant, le Gouvernement du général de Gaulle a voulu, pour affirmer la légitimité libérale
de la France, aller plus loin qu'on ne l'a fait jusqu'à présent. Après le rappel du principe - nul
ne peut être arbitrairement détenu - il donne compétence à la seule justice pour l'appliquer,
et renvoie à la loi. Cette loi sera préparée et promulguée en des termes qui essaieront de
combiner les exigences fondamentales des droits individuels et les droits de l'Etat et d'assurer
la sécurité de la nation comme celle des citoyens. Nous pourrons, à cet égard, faire mieux
encore que le droit anglo-saxon.
Libertés des partis politiques (liberté essentielle de la démocratie), liberté d'interpeller le
Gouvernement (liberté essentielle du régime parlementaire), liberté de chaque citoyen
garantit par le pouvoir judiciaire (liberté essentielle de l'individu) le projet de Constitution est
inspiré par le plus généreux respect de la liberté. Cette réforme constitutionnelle est la
dernière chance donnée aux hommes et aux partis qui pensent que la France peut à la fois
demeurer une des fortes nations du monde, et une démocratie. La dernière chance : c'est le
général de Gaulle qui a prononcé ces mots et il avait le droit de les prononcer, lui sans qui
cette chance ne pourrait être saisie, lui sans qui notre Etat et notre liberté courraient
présentement les plus graves périls.
[…]
Si nous ne voulons pas que la France dérive, si nous ne voulons pas que la rance soit
condamnée, une première condition est nécessaire : un pouvoir. Nous voulons donner un
pouvoir à la République. Nous voulons donner un pouvoir à la Communauté.
Notre ambition ne peut aller plus loin. Une Constitution ne peut rien faire d'autre que
d'appor¬ter des chances aux hommes politiques de bonne foi qui, pour la nation et la liberté,
veulent un Etat, c'est-à-dire, avant toute autre chose, un Gouvernement.

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Document n° 4 – G. Berlia, « Le Président de la République dans la Constitution de 1958 »
RDP, 1958 (extraits)
[…]
II – La Présidence de la République, clef de voûte du système constitutionnel de 1958.
Il va de soi que l'étude générale de tout document constitutionnel doit s'attacher à dégager
les caractères particuliers, inédits si possible, de ce dernier. En ce sens, on se trouve
généralement amené à définir la nature d'un régime politique par l'examen des rapports entre
les pouvoirs publics, plus particulièrement entre l'exécutif et le législatif, qu'aménage le texte
constitutionnel. Sans doute est-on conduit, de ce fait, à remarquer que la Constitution de 1958
règle les rapports entre le Gouvernement et le Parlement selon une procédure dont
l'originalité, par rapport aux errements antérieurs, ne fait qu'accroître l'intérêt qu'il y aura à
en suivre l'application.
Ce n'est point, cependant, en s'attachant à cet aspect de la Constitution que l'on en décèlerait
le mieux l'essence et que l'on en éclairerait les contours les plus susceptibles de permettre
une appréciation d'ensemble.
C'est par l'étude de la Présidence de la République que l'on atteint le plus directement la
conception du pouvoir qu'a voulu réaliser la Constitution de 1958. L'opinion est fort justement
unanime sur ce point.
Le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, M. Michel Debré, présentant et défendant le
projet de Constitution devant l'Assemblée générale du Conseil d'État du 27 août 1958, dira :
« Si vous me permettez une image empruntée à l'architecture, je dirai que, à ce régime
parlementaire neuf, et à cette communauté qui commence à s'ébaucher, il faut une clef de
voûte. Cette clef de voûte, c'est le Président de la République. »
Dans le même sens, le Recteur Prélot écrira :
« Le texte du 4 septembre 1958 donne la première place au Président de la République, qui
du titre V remonte au titre II et supprime le Président du Conseil qui devient Premier Ministre.
Le changement de rang et ce changement de nom correspondent à des modifications de
principe et à des changements de structure qui sont l'un des traits essentiels de la Ve
République. »
Ce n'est pas une opinion différente que soutiendra M. Paul Bastide en précisant :
« Ce qui doit surtout nous retenir, c'est la nature originale de l'autorité confiée au Président.
»
C'est donc sous la garantie de solides cautions que nous nous bornerons à éclairer la clef de
voûte que constitue la Présidence de la République.

III – Les innovations apportées à la fonction présidentielle


Il reste que toutes les innovations qui ont été introduites dans la forme nouvelle qui a été
donnée à l'institution présidentielle, ne sont pas d'égale importance. Le Garde des Sceaux
l'indiquait implicitement dans le discours précité au cours duquel il présentait les « pouvoirs

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» du Chef de l'État avant sa « désignation », substituant ainsi à l'ordre logique des problèmes
celui qu'appelait leur importance respective.
Les modifications apportées à la procédure d'élection du Président sont certainement
d’importance ; elles ont permis au Garde des Sceaux d'évoquer les justes réserves qu'appelait
la procédure antérieure. Elles peuvent même être dites essentielles en ce sens qu'elles étaient
sans doute indispensables pour que puissent être envisagés les changements apportés aux
pouvoirs du Président. Pour autant, cependant, qu'elles permettaient ces derniers, elles ne
les ont pas commandés. Elles ne constituent, en effet, qu'une conséquence, sans doute
nécessaire et non point seulement possible, mais une simple conséquence, néanmoins, de la
réforme des pouvoirs du Chef de l'État. N'évoquant que l'essentiel, nous ne traiterons donc
que de ces derniers et du nouvel aménagement qui est le leur.

IV – Irresponsabilité politique et contreseing.


Les compétences dévolues au Chef de l'État en régime parlementaire sont dominées par la
règle de l'irresponsabilité politique. Traditionnellement, le droit constitutionnel français
énonce le principe sous une forme indirecte en stipulant le caractère exclusivement pénal de
la responsabilité présidentielle. La Constitution de 1958 s'est conformée à l'usage en précisant
dans son article 68 :
« Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ces
fonctions qu'en cas de haute trahison. »
La conséquence essentielle de cette irresponsabilité est la nécessité d'un contreseing des
actes du Président de la République afin de désigner au Parlement et à l'opinion, des
gouvernants portant la responsabilité des dits actes.
La doctrine élaborée sous la IIIe République et dévotieusement maintenue sous la IVe
République, était que l'obligation du contreseing avait une portée générale à laquelle les
principes mêmes du régime représentatif interdisaient qu'une exception fut apportée.
On admettait, tout au plus, que la lettre de démission puisse en être exempte car si l'on peut
jouer au Théâtre Français Le Médecin malgré lui, il était difficile d'imaginer que fût donné sur
la scène politique « le Président malgré lui ». Pour autant, d'ailleurs, on ne formulait pas une
exception à la règle du contreseing, car on sortait de la difficulté en soutenant que la
démission était un acte extérieur à la fonction. La thèse était inadmissible, car c'est une règle
bien assise de notre droit administratif qu'une démission d'agent public n'est effective
qu'après avoir été acceptée, c'est-à-dire, fort évidement, qu'après avoir été envoyée. Ainsi
voyait-on dans le contreseing un rite essentiel du culte.
Or, l'article 19 de la Constitution de 1958 distingue deux sortes d'actes parmi ceux du
Président de la République : ceux qui sont soumis au contreseing et ceux qui en sont
dispensés.
Il stipule, en effet
« Les actes du Président de la République autre que ceux prévus articles 8 (ler alinéa), 11, 12,
16, 18, 54, 56 et 61 sont contresignés par Premier Ministre et, le cas échéant, par les ministres
responsables. »

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Faut-il considérer, avant d'aller plus loin dans l'analyse, que la dispense, du contreseing, dans
son principe même et sans qu'il y ait lieu de recourir à la moindre vérification quant aux actes
bénéficiant de l'exemption constitue une entorse ou une violation aux règles techniques d'un
Gouvernement parlementaire ?

V – Le principe de la dispense du contreseing.


Je ne le crois pas et je pense plutôt que le caractère systématique donne à la règle du
contreseing est une erreur de la doctrine, en particulier de la doctrine républicaine.
L'erreur s'explique par le fait que la théorie du Gouvernement parlementaire a été élaborée
comme si la forme, monarchique ou républicain de l'État devait être dépourvue de toute
conséquence. Des accidents historiques auraient fait s'ébaucher le régime parlementaire sous
la Royauté en France comme en Grande-Bretagne, et se poursuivre en France dans le cadre
d'un État républicain, sans que, pense-t-on, le juriste ait à déduire, des conséquences, sur le
plan de la technique constitutionnelle, d'événements dont l'importance et la signification
politiques restent en dehors de la discussion.
C'est méconnaître la nature des choses.
L'irresponsabilité du Président de la République n'est, historiquement que la transposition de
l'ancienne règle de l'inviolabilité de la personne royale, dont elle n'est d'ailleurs qu'un reflet
affaibli.
Sans doute tendent-elles l'une et l'autre au même but, c'est-à-dire maintenir le Chef de l'État
en dehors du combat politique quotidien mais elles doivent aussi, l'une comme l'autre,
permettre que puisse s'exerce le pouvoir de recommandation et de conseil par lequel s'exerce
la magistrature morale qui appartient au Chef de l'État en régime parlementaire.
Ce sont les conditions d'exercice de cette magistrature morale qui varient suivant qu'il s'agit
d'un État monarchique ou républicain.
Dans un État monarchique, la magistrature morale se fonde sur le loyalisme qui entoure la
dynastie ainsi que sur la durée, généralement assez longue, d'un règne et qui est sans
commune mesure avec celle des gouvernements au destin le plus heureux. L'inviolabilité
suppose le contreseing et, plus exactement, la pratique systématique du contreseing. Il est
grave de « découvrir » le Roi par l'absence d'un contreseing, car c'est tout un règne, c'est toute
une dynastie qui peuvent se trouver « exposés » et l'avenir même du régime qui peut être
compromis. Sans doute, l'exercice de la magistrature suprême usera l'autorité politique du
Roi., comme celle d'un président de la République, mais comme cette autorité est appelée à
s'exercer beaucoup plus longuement que celle d'un Chef d'État élu pour un temps
relativement bref, comme cette autorité pèsera sur les débuts au moins du règne suivant, il
convient de réduire le rythme de cette usure. C'est à cela que correspond le caractère
systématique du contreseing des actes du monarque.
La situation du Chef d'État républicain est sensiblement différente. La durée de son mandat
ne saurait être comparée à la durée moyenne d'un règne et il a fallu toute l'ampleur de notre
instabilité ministérielle chronique pour que nous en soyons venus à évoquer les Chefs d'État
qui restent, en face des gouvernements qui passent. Par ailleurs, le Président ne peut
prétendre, du moins en général, disposer du même capital moral qu'une dynastie en fonction ;
la brièveté de son mandat peut faire accepter pour lui une accélération du coefficient d'usure.

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En résumé, un Président de la République ne dispose pas, pour assumer sa magistrature
morale, des moyens d'action que le processus dynastique met à la disposition du monarque.
La dispense du contreseing pour certains actes de sa fonction peut utilement remédier à cette
infériorité d'autant que la brièveté relative du mandat présidentiel rend, dans ce cas, cette
procédure moins dangereuse.
C'est dire que, en définitive, la solution adoptée par la Constitution de 1958 ne nous paraît
pas choquante dans son principe et demande une analyse de ses applications concrètes. Il
importe, en effet, que la dispense du contreseing soit maniée avec mesure afin de ne pas
aboutir à une dénaturation pure et simple de la fonction présidentielle.

VI – Les modalités de la dispense du contreseing.


L'article 19 de la Constitution énumère les actes du Président de la République qui n'ont pas
à être contresignés. Ce sont ceux relatifs à la nomination du Premier Ministre (art. 8), au
recours au referendum (art. 11), à la dissolution de l'Assemblée Nationale (art. 12), à la
situation de crise que définit l'article 16, aux messages adressés au Parlement (art. 18), à la
saisine du Conseil constitutionnel (art. 54 et 61), aux nominations des membres de ce Conseil
incombant au Président de la République (art. 56 Ces actes sont d'une portée très variable et
il en va de même, par conséquent, de la dispense du contreseing qui les accompagne.
Le contreseing relatif à la nomination du Premier Ministre, « bien qu’ait existé auparavant
était, en fait, illusoire ». Peut-être peut-on faire remarquer, sans insister, que le Premier
Ministre entre en fonctions du fait de la nomination présidentielle et avant de se présenter
devant l'Assemblée Nationale.
Aucune remarque ne semble justifiée par la dispense du contreseing prévue par les articles
54, 56 et 61 concernant la composition du Conseil constitutionnel et sa saisine afin de
vérification de la conformité d'un tex législatif ou de droit international avec la Constitution.
Il est normal en effet, d'habiliter le Président de la République, gardien de la Constitution, à
provoquer la réunion d'un Conseil auquel, en définitive, la décision appartient.
Interviennent ensuite diverses procédures qui permettent au Préside de la République de
s'adresser à l'opinion publique, voire au suffrage universel.
C'est le droit de message que rappelle l'article 18 et qui sous réserve d'être toujours considéré
comme une procédure solennelle, donc relativement exceptionnelle, peut, en effet, s'exercer
utilement, sans contreseing dans le cadre d'une magistrature morale. A la vérité, c'est son
maniement qui peut s'avérer délicat politiquement car, en définitive, il s'agit d'un dialogue
public entre le Président et le Parlement.
C'est encore le recours au referendum que prévoit l'article 11 et qui à raison de l'étroite
limitation de son champ d'action n'appellera pas si commentaires du point de vue qui nous
intéresse.
Restent en cause la procédure de dissolution, parmi celles qui permettent de faire appel au
suffrage universel et la situation du temps de crise auxquelles seront consacrés les
commentaires qui suivent.

VII – Les pouvoirs du Président de la République et la dissolution de l'Assemblée Nationale.

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Il convient de rappeler que l'article 12, qui est énuméré parmi cet bénéficiant de la dispense
du contreseing, est ainsi rédigé :
« Le Président de la République peut, après consultation du Premier Ministre et des Présidents
des assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée Nationale.
Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la
dissolution.
L'Assemblée Nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection. Si cette
réunion a lieu en dehors des périodes prévues pour les sessions ordinaires, une session est
ouverte de droit pour une durée de quinze jours.
II ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l'année qui suit ces élections. »
Le Garde des Sceaux fit allusion à ce texte, dans son discours précité devant l'Assemblée
générale du Conseil d'État, dans les termes suivants.
« Enfin, il (le Président de la République) dispose de cette arme capitale de tout régime
parlementaire qui est la dissolution. »
On ne saurait qu'approuver cette affirmation et louer, en outre, les précautions, d'ailleurs
traditionnelles, que reprend l'article 12 quant à la brièveté des délais qui devront séparer la
dissolution de l'intervention des élections, celles-ci de la réunion de la nouvelle Chambre, ainsi
que la consécration qui est faite de l'adage suivant lequel « dissolution sur disso¬lution ne
vaut ».
Il n'en reste pas moins, fort évidemment, que c'est la dispense du contre¬seing qui fournit
l'élément essentiel d'appréciation de la procédure adoptée. Celle-ci doit être confrontée
d'abord avec ce qu'est l'application classique de la dissolution en régime parlementaire,
ensuite avec les aspects de la dissolution dans notre histoire politique.

VIII – La dissolution de 1958 et la procédure classique de dissolution.


L'histoire anglaise est riche d'enseignements en une matière où son évolution est
particulièrement homogène.
A l'origine, le droit de dissoudre l'Assemblée est une prérogative royale que justifie un
parallélisme des formes élémentaires puisque c'est sur la convocation du souverain que se
réunissent les Communes. Quand le Roi se sent faible, il réunit les parlementaires ; quand il
se sent fort, il les dissout, avec l'espoir de rester longtemps sans les réunir.
Au fur et à mesure que le fonctionnement des institutions représentatives se normalise, le Roi
utilise la dissolution lorsqu'il a le sentiment que la réponse du corps électoral lui sera
favorable. S'il rencontre, dans la Chambre et chez ses ministres, résistances et réticences, il
changera, éventuellement, son gouvernement.
Ultérieurement, ce changement apparaîtra difficile et attentatoire aux droits de la
représentation nationale. Le Roi cherchera alors l'assentiment du Gouvernement en fonction
qu'il n'ose renvoyer. S'ouvre ainsi une période où la dissolution est une compétence comme
indivise, en quelque sorte, entre le souverain et le Premier Ministre et suppose leur accord.

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Cette indivision n'est que provisoire ; le souverain n'aura plus que la possibilité de donner ou
de refuser son assentiment aux propositions du Premier Ministre. Bientôt il ne pourra
qu'acquiescer.
L'évolution se poursuivra, car la dissolution ne restera pas une compétence personnelle du
Premier Ministre. Elle ne sera plus que le droit reconnu au parti au pouvoir, dont le Premier
Ministre n'est que le leader, de choisir la date des élections législatives.
C'est à ce stade que sont parvenues aujourd'hui les institutions britanniques au terme d'une
évolution, qui n'est sans doute pas dépourvue d'éléments hétérogènes contingents, mais dont
ces derniers n'altèrent ni l'unité, ni la cohérence.
Ainsi confrontée avec la procédure en usage dans le pays où est né le régime parlementaire,
celle qui a été imaginée par les constituants de 1958 paraît s'efforcer de remonter le cours du
temps ; elle va systématiquement à contre-courant et apparaît contraire à ce que sont
devenus les impératifs du régime parlementaire.
Faut-il alors comprendre que les auteurs du texte de 1958 se sont appuyés sur des facteurs
particuliers à notre histoire nationale parce que ces derniers leur paraîtraient justifier que l'on
n'en vienne pas, en France, à ce que sont actuellement, ailleurs, les caractéristiques du
Gouvernement parlementaire ?

IX – La dissolution de 1958 et la pratique française de la dissolution.


La malheureuse histoire de notre droit de dissolution est suffisamment connue pour qu'il n'y
ait pas lieu d'insister : de 1815 à 1940, elle est dominée par les tentatives maladroites de 1830
et de 1877 et considérée comme liée à des essais de gouvernement personnel. Lorsqu'on put
penser avoir sorti l'institution de l'ornière, ce fut la dissolution de 1956 où le souci de sauver
l'apparentement a qui n'est pas le dernier mot de la sincérité électorale » jouera un rôle plus
grand que celui d'assurer un bon fonctionnement de nos institutions.
La procédure du texte de 1,958 ne nous paraît guère faire avancer la ques¬tion car, en
définitive, elle risque fort de ressusciter des craintes, dont on peut penser qu'elles étaient mal
fondées, mais qui n'en avaient pas moins mis fort longtemps à s'assoupir. Sans doute
évoquera-t-on la personnalité de l'actuel Président ainsi que l'ampleur de l'assentiment
obtenu par lui au referendum de septembre dernier ; c'est la dialectique couramment
employée, désormais, pour l'interprétation d'un texte dont on oublie ou feint d'oublier qu'il
est une Constitution de la France et que, à ce titre, quoi qu'il doive à ceux qui l'ont conçu et à
celui qui l'a fait aboutir, il les dépasse. Envisagée dans cette perspective apparemment élargie,
mais qui n'en est pas moins celle qui doit être retenue, la procédure de 1958 paraît receler un
péril réel que M. Jean Chatelain a analysé dans des termes auxquels on trouvera profit à se
référer.
« Le péril, écrit-il, est... de mettre en cause la stabilité de l'institution présidentielle et
d'empêcher en même temps d'introduire en France la vraie dissolution parlementaire. Celle-
ci postule, sauf les cas où elle est décidée d'accord entre le Gouvernement et le Parlement, ce
qui est l'hypothèse normale en Grande-Bretagne, un conflit entre ces deux organes. Le
premier demande au Chef de l'État la dissolution ; les élections générales qui suivent donnent
raison à l'un des antagonistes, mais le Chef d'État reste au-dessus de la mêlée et ne peut être
mis en cause, car il est entendu que la dissolution qu'il a prononcée officiellement est en
réalité l'œuvre du Gouvernement. Si, au contraire, il l'a décidée seul - et l'absence de tout

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contreseing autorisera toujours à penser que telle est la réalité - c'est lui-même qui prend
position contre la majorité de l'Assemblée et on ne voit pas comment il pourrait politiquement
se maintenir en place si cette majorité était confirmée aux élections suivantes.
Or l'esprit même du régime parlementaire qui, sous les diverses formes qu'il peut revêtir,
constitue un ensemble logique, est de réserver au Chef de l'État le rôle non d'un organe
politique actif défenseur de certaines conceptions, mais celui d'un arbitre impartial qui
symbolise, au-dessus des luttes partisanes, la continuité et la pérennité de l'État. On peut
craindre que l'octroi d'un pouvoir personnel de dissolution, loin de faciliter cette mission, en
rende l'accomplissement impossible.
C'était, certes, un des défauts des régimes précédents que de limiter à l'excès, en fait ou en
droit, l'usage normal de la dissolution. On peut penser raisonnablement que cette limitation
a contribué à accentuer la faiblesse et l'instabilité gouvernementales. Il est donc
compréhensible qu'on ait songé à faciliter désormais cette dissolution, mais on peut craindre
qu'on soit allé à l'excès inverse. Il serait redoutable pour l'avenir du pays qu'à l'instabilité
ministérielle s'ajoute l'instabilité parlementaire et au-dessus de celle-ci l'instabilité
présidentielle. Il faut souhaiter que, sur ce point particulièrement, l'application du texte
constitutionnel soit sage et strictement mesurée. »
Évoquant récemment la pratique de la dissolution sous les deux Chartes, M. Gérard Lupi
distinguait les dissolutions royales, où la personne du Chef de l'État s'engage dans la bataille
politique, des dissolutions ministérielles, dont elle est absente. La dissolution sans contreseing
c'est le risque du retour à la dissolution royale dont l'auteur précité écrit fort justement
« En somme, l'emploi de la dissolution, comme moyen d'assurer la prééminence royale dans
des conflits où celle-ci se trouvait menacée, n'est justifié que si elle reçoit l'approbation du
corps électoral. »
Sans doute le texte de 1958 pourrait rendre éventuellement des services qui s'expliqueraient
par une utilisation directement contraire à son esprit. Le message du Chef de l'État qui,
vraisemblablement, accompagnerait l'annonce officielle d'un recours à la dissolution, pourrait
être utilisé par son auteur pour se placer délibérément hors de la bataille politique prochaine,
en même temps que le comportement général de la Présidence confirmerait cette attitude. A
la vérité il faudrait que se réalise, à cette fin, un heureux concours de circonstances ; il faudrait
qu'une conjonction des bonnes volontés ne permette pas, même en fait, la formation d'un
parti de l'Élysée, compromettant, fût-ce contre son gré, le Président en fonction. Peut-être
l'expérience des dernières élections législatives montre¬-t-elle combien ce souhait risque de
n'être qu'un vœu destiné à rester platonique... Aussi bien, encore une fois, est-il conforme au
sens du texte de 1958 que se constitue ce parti du Président dont le moindre des paradoxes
et des dangers qu'il entraîne, n'est pas d'être dirigé, apparemment au moins, par un homme
politiquement irresponsable.
Quoi qu'il en soit, replacé dans le cadre de notre pratique nationale de la dissolution, le texte
de 1958 paraît receler des dangers certains qui ne justifient pas que l'on se soit, dans son
élaboration, aussi systématiquement éloigne des règles classiques d'un régime parlementaire.

X – Les pouvoirs du Président de la République en temps de crise


L'article en cause, ici, est l'article 16 de la Constitution dont le libellé est le suivant

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« Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son
territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière
grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels
est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances,
après consultation officielle du Premier Ministre, des Présidents des assemblées, ainsi que du
Conseil Constitutionnel.
Il en informe la Nation par un message.
Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics
constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission. Le Conseil
constitutionnel est consulté à leur sujet.
Le Parlement se réunit de plein droit.
L'Assemblée Nationale ne peut être dissoute pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels.
»
Le juriste considère très volontiers que c'est une forme de son honneur professionnel que de
s'essayer à prévoir l'imprévisible. Ainsi en faut-il des rédacteurs de l'article 16.
Présentant le texte à l'Assemblée générale du Conseil d'État, le Garde des Sceaux indiquait à
son propos.
« On en a tant parlé qu'on n'en parle plus, car, sans doute, certains esprits s'étaient un peu
hâtés de critiquer avant de lire attentivement. Quand des circonstances graves, intérieures ou
extérieures, et nettement définies par un texte précis, empêchent le fonctionnement des
pouvoirs publics, il est normal, à notre époque dramatique, de chercher à donner une base
légitime à l'action de celui qui représente la légitimité. Il est également normal, il est même
indispensable, de fixer à l'avance certaines responsabilités fondamentales. A propos de cet
article, on a beaucoup parlé du passé. On a moins parlé de l'avenir, et c'est pourtant pour
l'avenir qu'il est fait. Doit-on, en 1958, faire abstraction de la guerre atomique ? A cette
question, la réponse est claire ; on n'a pas le droit ni pour ce cas, ni pour d'autres, d'éliminer
l'hypothèse de troubles profonds dans notre vie constitutionnelle. C'est pour l'hypothèse de
ces troubles profonds qu'il faut solennellement marquer où sont les responsabilités, c'est-à-
dire les possibilités d'action. »
Cette déclaration appelle quelques commentaires.
Peut-on concevoir, dans l'état actuel des choses, que le texte de l'article 16 puisse trouver sa
raison d'être dans l'hypothèse d'une guerre atomique ? Les réalisations en la matière étant ce
qu'elles sont actuellement, que pourrait donc faire d'autre, éventuellement, un Président de
la République si ce n'est d'ordonner aux fonctionnaires d'agir au mieux des circonstances
locales ? On aurait scrupule à insister.
Pourquoi récuser toute allusion au passé, alors que tant de déclarations concordent pour
laisser entendre que l'actuel Président de la République souhaitait un texte évitant le retour
de juin 1940 et de ces quatre années de 1940-1944, où son action et le maintien des positions
françaises furent rendus si difficiles parce qu'il avait présenté son Gouvernement, avec un
parfait loyalisme constitutionnel, comme un Gouvernement de fait ?
Par ailleurs, peut-on partager l'optimisme du Garde des Sceaux lorsqu'il affirme que les
circonstances constitutives de la crise se trouvent « nettement définies par un texte précis »?
Sans doute peut-on s'attarder sur la minutieuse répartition des conjonctions « et » et « ou »...

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pour aboutir à constater que les événements du 13 mai dernier et leur prolongement
immédiat seraient tombés, le cas échéant, sous le coup de l'article 16! Ainsi, peut-on toujours,
suivant le précédent fameux, disserter sur le sexe des anges quand l'épreuve brutale des
forces, non seulement menace la cité mais est en cours dans ses rues et ses avenues.
A la vérité lorsqu'une crise revêt un aspect dramatique croissant, le heurt des forces politiques
se dispense de plus en plus de l'utilisation des procédures constitutionnelles et les solutions
qui interviennent doivent assez peu aux textes. En ce sens, nous semble-t-il, l'existence de
l'article 16 n'aurait rien changé, du moins d'important, à la manière dont ont été liquidées les
crises de juin 1940 ou de mai 1958.
Si l'on pense utile d'aménager des procédures de cette sorte, la tradition romaine s'en
remettant aux sages de la République du soin de constater l'existence d'un état de crise, que
l'on renonce à définir par anticipation, serait peut-être susceptible d'apporter moins de
déceptions, à défaut de succès plus tangibles.
En définitive, si l'on excepte des applications anodines du texte qui ne sont pas entièrement à
écarter et pour lesquelles, évidemment, celui-ci n'était pas nécessaire, l'article 16 nous paraît
plus vain que dangereux qu'il aboutisse, un jour, à un coup d'État ou qu'au contraire il
permette d'y faire face et de le surmonter, l'explication du résultat sera, pour un cas comme
pour l'autre, dans le degré de civisme des gouvernants et les sentiments des gouvernés à
l'égard des traditions libérales.
On en vient ainsi à se demander si le texte ne vaut pas surtout comme manifestation
d'intention, relevant alors d'une appréciation générale de la Constitution.
Conclure, en l'espèce, c'est, d'abord, rassembler les éléments d'une appréciation générale du
texte et vérifier, ensuite, s'il est déjà possible de tirer quelques enseignements de l'application
qui en a été faite.
Le Garde des Sceaux, dans son discours devant l'Assemblée générale du Conseil d'État, auquel
nous nous sommes déjà maintes fois référé, indique avec une particulière netteté que le but
poursuivi par les constituants a été d'établir un régime parlementaire.
Quant à la situation générale qu'un régime parlementaire doit assurer au Président, il nous
est indiqué dans le même document
« Un Chef de l'État et un Parlement séparés, encadrant un Gouvernement issu du premier et
responsable devant le second; entre eux un partage des attributions donnant à chacun une
égale importance dans la marche de l'État... »
Sur la situation faite au Président dans le texte de 1958, il est précisé :
« Ce tableau rapidement esquissé montre que le Président de la République, comme il se doit,
n'a pas d'autre pouvoir que celui de solliciter un autre pouvoir; il sollicite le Parlement, il
sollicite le Comité constitutionnel, il sollicite le suffrage universel. Mais cette possibilité de
solliciter est fondamentale. »
C'est là, nous semble-t-il, la défense la plus adroite qui ait été présentée de notre Constitution,
comme il était normal qu'il le fût à raison de la double qualité de celui qui la présentait et de
ceux qui l'entendaient.
Son habileté, d'ailleurs, est faite tout autant de ses silences que de ses affirmations. On
rappelle que l'unité des prérogatives présidentielles réside dans le caractère qui leur est

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commun de solliciter l'intervention d'un autre pouvoir; on n'évoque pas le fait que certaines
de ces compétences s'exercent avec contreseing et d'autres sans contreseing de sorte que
l'unité précédente doit beaucoup à la simple apparence.
De même, a-t-on dit, que le Président est « le juge supérieur de l'intérêt national », en
s'abstenant ainsi de faire écho au terme d'arbitrage qu'emploie l'article 5 de la Constitution.
C'est qu'en effet si l'arbitre surveille le déroulement de la partie et, de ce fait, peut même
l'arrêter, il cesse d'assumer des fonctions arbitrales lorsqu'il participe personnellement au jeu,
comme le Président de la République est appelé à le faire dans le texte de 1958.
Il est exact que la Constitution n'établit pas juridiquement un régime présidentiel mais comme
elle s'efforce d'en recueillir certains reflets sur le plan politique, il reste à souhaiter qu'aucune
méprise n'intervienne ultérieurement.
Une analyse ne portant que sur les textes nous conduit donc à définir la Constitution de 1958
comme une déformation peu heureuse des règles classiques du Gouvernement
parlementaire.
Le rapprochement entre, d'une part, celles des compétences dévolues au Président de la
République pour qu'il les exerce personnellement et, d'autre part, le principe maintenu de
l'irresponsabilité politique de la fonction présidentielle ne satisfait pas au principe de non-
contradiction.
Sans doute la réponse à ces réserves, comme à toutes celles que l'on peut faire sur la
Constitution, est-elle qu'il convient d'apprécier le texte en s'en tenant exclusivement à la
personnalité de celui pour qui il a été conçu, le Général de Gaulle, et il serait aisé de démontrer
la pertinence de la remarque, en se fondant tout autant sur un ouvrage comme Au fil de l'Épée
que sur le discours de Bayeux.
Mais, alors, il conviendrait de rappeler, comme le faisait M. Paul Bastid que «normalement,
les Constitutions ne sont pas faites intuitu persona ». Il y a plus, car il ne suffit pas de constater,
en laissant de côté des considérations de personnes, nécessairement contingentes, qu'ont été
substituées aux outrances de 1946, les outrances de 1958. On est frappé, en effet, du peu de
bénéfice, en quelque sorte, qu'ont tiré les constituants de 1958 de la situation qui leur était
faite : pas de partis politiques, comme en 1946, avec lesquels une transaction aurait dû
intervenir; pas de difficulté dans la recherche d'une majorité populaire qui allait accorder un
chèque en blanc au Chef du Gouvernement pour qu'il résolve la question algérienne, sans
accorder grande attention aux dispositions constitutionnelles.
En définitive, on se défend mal, sans doute le laconisme des travaux préparatoires aidant,
contre le sentiment qu'une occasion a peut-être été perdue.
La mise en place effective du nouveau régime apporte-t-elle quelques enseignements ?
Les conditions dans lesquelles celui-ci était né, l'ont obligé à prendre le loisir de ramener
l'armée à l'ombre du pouvoir civil.
Par ailleurs, le régime, comme tous ceux qui l'ont précédé, comme toutes les nouvelles
majorités parlementaires issues d'une victoire éclatante aux élections générales, a montré,
d'abord, un allègre contentement de soi qui, comme d'habitude, n'a rien facilité. Fort
opportunément, le Président de la République semble avoir voulu y mettre fin par l'un de ses
discours de Toulouse où il a évoqué le chemin parcouru jusqu'ici en matière scientifique, tant
il est vrai qu'à Marcoule comme au Sahara, ou comme à Banlève, il inaugurait ou visitait des

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réalisations qui eussent pu figurer au carnet de route d'un Président de la IVe République. Il
n'est pas jusqu'aux rapports franco-guinéens et au vote de la Guinée aux Nations Unies qui
n'aient modéré fort opportunément certaines critiques excessives du passé et commencé à
recréer un climat plus propice pour l'action et les déceptions qu'elle n'évite malheureusement
jamais.
C'est peut-être avec les négociations internationales, franco-allemandes et franco-anglaises,
que le régime a commencé à prendre figure et la fonction présidentielle à préciser son
importance; mais à la vérité la matière est trop mince pour que l'on puisse argumenter
utilement.
Dans la mesure où les grandes lignes du régime se dessineront, non à raison des textes qui le
régissent mais de l'application qui sera faite de ceux-ci, il est trop tôt pour se prononcer.

Document n° 5, Jean Massot, « Quelle place la Constitution de 1958 accorde-t-elle au


Président de la République ? », Site du Conseil constitutionnel.
http://www.consei-constitutionnel.fr/dossier/quarante/q06.htm

La Constitution de 1958 met le Président de la République au premier rang : c'est la première


institution qu'elle décrit. Certes, beaucoup d'articles qui lui sont consacrés recopient les
Constitutions de 1875 et 1946 dans lesquelles le chef de l'Etat n'exerçait qu'une "magistrature
d'influence". Mais la Constitution de 1958 innove aussi sur des points très importants, pour
faire du Président ce que Michel Debré avait appelé la "clé de voûte" du régime.
L'introduction, par la réforme de 1962, de l'élection présidentielle au suffrage universel est
venue ensuite transformer l'"arbitre au dessus de la mêlée" en "capitaine, chef d'une
majorité". Mais les cohabitations de 1986-88, 1993-95 et 1997... reposent la question de son
véritable rôle.

1) L'héritage du passé : la "magistrature d'influence"


- Selon l'article 6 de la Constitution, le Président de la République est élu pour 7 ans : le
"septennat" a été conservé des IIIè et Ivè Républiques pour montrer que le chef de l'Etat n'est
pas le chef de la majorité parlementaire qui, elle, est élue pour 5 ans.
- Selon l'article 9, le Président de la République préside le Conseil des ministres. La tradition
française a, en effet, toujours associé le chef de l'Etat à la plus importante réunion
gouvernementale ; mais, sous les régimes précédents, cela ne signifiait pas que la décision lui
appartenait.
- Selon l'article 68, le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans
l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. Cette irresponsabilité pénale
s'accompagne d'une irresponsabilité politique au moins partielle, puisque l'article 19 prévoit
que, sauf pour certains actes, le Président de la République ne peut décider qu'avec le
contreseing, c'est-à-dire l'accord du Premier ministre. C'est donc ce dernier qui a la
responsabilité politique des décisions présidentielles, notamment devant l'Assemblée
nationale.

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- Enfin, en vertu d'une tradition, elle aussi héritée des régimes précédents, la Présidence de la
République a un budget propre très limité : les collaborateurs du Président, ses voyages et ses
réceptions sont, en réalité, pris en charge par le Gouvernement.

2) La volonté de rupture de 1958 : la "clé de voûte".


- Dans le texte de 1958, qui s'est appliqué à la première élection du Général de Gaulle, le
Président de la République est élu par 80.000 grands électeurs qui sont en très grande
majorité des délégués des conseils municipaux. On montre ainsi qu'à la différence des
Républiques précédentes, il ne procède pas du seul Parlement.
- Le Président de la République reçoit de très importants pouvoirs pour lesquels il n'a pas
besoin de l'accord du Premier ministre, notamment le droit de dissoudre l’Assemblée
nationale, de saisir le Conseil constitutionnel d'une loi ou d'un traité et de nommer un tiers de
ses membres, enfin d'utiliser les pouvoirs de crise de l'article 16, comme le fit le Général de
Gaulle lors du putsch des généraux en avril 1961.
- Selon l’article 11, le referendum ne peut, certes, être décidé par le Président que sur
proposition du Gouvernement ou des deux assemblées, mais le Général de Gaulle prend
l'habitude d'annoncer ses referendums avant même que le Gouvernement les lui ait proposés
et s'en sert comme d'une question de confiance au peuple, notamment pour sortir de la crise
algérienne.
- Enfin, l'article 8 qui prévoit que le Président de la République nomme le Premier ministre est
immédiatement interprété par le général de Gaulle comme lui permettant de changer de
Premier ministre sans que le Gouvernement ait été renversé par l'Assemblée nationale : c'est
ce qu'il fera en avril 1962 en remplaçant Michel Debré par Georges Pompidou qui n'est même
pas parlementaire.

3) Le tournant de 1962 : "l'arbitre" devient "capitaine".


- La réforme constitutionnelle de 1962 qui conduit à l'élection du Président de la République
au suffrage universel ne s'accompagne, en principe, d'aucun changement dans la définition
des pouvoirs du chef de l'Etat. En réalité, c'est une révolution : l'élection de 1965 (où le
Général de Gaulle n'a que 55% des voix, contre 45% à François Mitterrand) met fin à la fiction
d'un Président au dessus des partis et fait de lui un chef de majorité.
Tant que cette majorité présidentielle coïncide avec la majorité parlementaire, le Président
en tire une puissance accrue et le système fonctionne avec les successeurs du Général de
Gaulle dans le sens souhaité par ce dernier sans que jamais le Parlement songe à se rebeller.
- Le Président tranche en dernier ressort quand la décision doit être prise conjointement par
le Premier ministre et par lui ; il donne ses instructions au Premier ministre quand la décision
appartient au seul Gouvernement.
- Le Président a la responsabilité suprême en matière de défense et de politique étrangère :
c'est ce qu'on appelle le "domaine réservé".

4) Les cohabitations : retour à 1958 ou à 1946 ?

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- Avec le décalage entre la durée du mandat présidentiel (7 ans) et celle du mandat des
députés (5 ans), il était inévitable qu'un jour, le Président de la République trouve en face de
lui une majorité parlementaire opposée. Quand cela se produit au lendemain d'une élection
présidentielle (1981 et 1988), la dissolution permet au Président de retrouver un majorité
parlementaire favorable. Quand cela se produit du fait de l'élection d'une nouvelle Assemblée,
la dissolution n'est pas possible, mais rien n'oblige le président à démissionner : on est alors
en situation de cohabitation.
- En 1986 et 1993, le Président a perdu pendant deux ans les pouvoirs qu'il s'était arrogés avec
le consentement de la majorité parlementaire : il a donc dû cesser d'imposer sa volonté au
Gouvernement. En revanche, il a conservé toutes les prérogatives qui ne dépendent pas de
l'accord du Parlement, notamment en tant que garant de l'indépendance nationale, de
l'intégrité du territoire et du respect des traités (article 5). Le domaine réservé devient
partagé, mais le Président a parfois le dernier mot : c'est le retour à la "clé de voûte" de 1958.
- La question que pose la cohabitation qui a débuté en 1997, en principe pour 5 ans, est de
savoir si l'effacement présidentiel pendant une durée aussi longue ne réduira pas le rôle du
chef de l'Etat à une simple "magistrature d'influence" : ce serait le retour à 1946.

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