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bibliolycée

Poésies
Arthur Rimbaud
Livret pédagogique
correspondant au livre de l’élève n° 75

établi par Françoise AUGER-CODACCIONI,


agrégée de Lettres modernes,
professeur en lycée
Sommaire – 2

SOMMAIRE

B I L A N D E L E C T U R E ................................................................................................. 3

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S ........................................................................................ 5  
La dénonciation de la guerre (p. 83, v. 1 à 14) .......................................................................................................................................... 5  

Un élan vers la liberté (p. 91, v. 1 à 14) .................................................................................................................................................... 6  

Un voyage poétique (pp. 110-111, v. 1 à 36) ........................................................................................................................................... 8  

Une autobiographie intellectuelle (p. 140, l. 1 à 20) ................................................................................................................................ 9  

Le récit d’une illumination (p. 166, l. 1 à 17) .......................................................................................................................................... 10  

S U J E T S D ’ É C R I T ................................................................................................... 1 3  
Sujet 1 (pp. 220 à 224) ........................................................................................................................................................................... 13  

Sujet 2 (pp. 225 à 230) ........................................................................................................................................................................... 16  

C O R P U S S U P P L É M E N T A I R E ....................................................................................... 2 0  

P I S T E S P É D A G O G I Q U E S ........................................................................................... 2 4  

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E .............................................................................. 2 5  

Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays.


© Hachette Livre, 2017.
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Poésies d’Arthur Rimbaud – 3

BILAN DE LECTURE
1. Pourquoi le recueil Les Cahiers de Douai s’appelle-t-il ainsi ? Dans quelles circonstances a-t-il été écrit ?

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2. Quels poèmes font référence à l’amour dans ce recueil ?

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3. Comment apparaît la Vénus dans le poème « Vénus anadyomène » ?

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4. Quel poème fait référence à une tragédie de Shakespeare ?

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5. Quelle image de l’empereur se dessine dans « Rages de Césars » et dans « L’Éclatante Victoire de
Sarrebrück » ?

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6. Quels poèmes évoquent le plaisir de l’errance et la joie du vagabondage ?

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7. Quel poème critique explicitement la religion ?

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8. Dans quel poème Rimbaud dénonce-t-il à la fois la guerre et la religion ?

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9. Quelles sont les cibles de la satire dans le poème « À la musique » ?

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10. Dans le poème « Le Forgeron », à qui ce forgeron s’adresse-t-il ? Pourquoi peut-on dire qu’il s’agit là d’un poème
engagé ?

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Bilan de lecture – 4

◆ Corrigé du questionnaire de lecture


1. Ce recueil s’intitule Les Cahiers de Douai car Arthur Rimbaud a recopié les poèmes qu’il contient lors de son
séjour à Douai chez les tantes de son professeur et ami Georges Izambard. La plupart des 22 poèmes du recueil
ont été écrits entre avril et octobre 1870 lors des fugues du jeune Arthur.
2. Les poèmes dont le thème principal est l’amour sont « Les Reparties de Nina », « Première Soirée »,
« Sensation », « Soleil et Chair » et « Rêvé pour l’hiver ».
3. Il s’agit d’une Vénus hideuse et malade. Rimbaud s’amuse à parodier l’art du blason en écrivant un contre-blason
parodique.
4. Il s’agit du poème « Ophélie », où Rimbaud met en scène ce personnage féminin figurant dans la tragédie Hamlet
de Shakespeare.
5. Dans ces deux poèmes, Rimbaud se moque de l’empereur Napoléon III et de sa dépendance au cigare.
L’empereur y apparaît comme un tyran « éreinté » par la liberté. C’est un personnage rigide, ridicule et grotesque,
« raide, sur son dada ».
6. Le plaisir du vagabondage et la joie de l’errance sont particulièrement présents dans « Ma Bohème » et « Au
Cabaret-Vert » qui montrent le « je » poétique en accord avec la nature et les éléments qui l’entourent.
7. Il s’agit du poème intitulé « Le Châtiment de Tartufe » qui critique l’hypocrisie des religieux. On observe, ici, une
intertextualité certaine avec la pièce de théâtre du même nom, dans laquelle Molière critique l’hypocrisie des faux
dévots.
8. Dans le poème « Le Mal », Rimbaud dénonce la barbarie de la guerre, notamment grâce à l’emploi du registre
épique. Il dénonce aussi l’indifférence de Dieu face aux malheurs des hommes.
9. Dans ce poème, Rimbaud critique les bourgeois dont il moque les traits de caractère (mesquinerie, étroitesse
d’esprit) et les attitudes.
10. Dans le poème « Le Forgeron », le personnage éponyme s’adresse à Louis XVI. Rimbaud s’inspire d’un fait réel :
le boucher Legendre avait interpellé le roi Louis XVI et l’avait obligé à se coiffer du bonnet phrygien.
Poésies d’Arthur Rimbaud – 5

RÉPONSES AUX QUESTIONS

L a d é n o n c i a t i o n d e l a g u e r r e
( p . 8 3 , v . 1 à 1 4 )

UN CADRE IDYLLIQUE
u Dans ce sonnet, Rimbaud décrit un lieu agréable (v. 1 : « verdure »), où un jeune homme semble dormir (v. 7 : « est
étendu dans l’herbe »). La nature paraît accueillante : c’est « un petit val » (v. 4) charmant, « où chante une rivière »
(v. 1) et « où le soleil […] luit » (v. 2-3). Le poème dresse donc, en apparence, une image de la nature où l’on peut se
détendre : « le frais cresson bleu » (v. 6), « la nue » (v. 7). La nature est présentée comme une figure maternelle (v. 11 :
« berce-le chaudement »).
v De nombreux sens sont convoqués dans le poème : l’odorat (v. 12 : « Les parfums ») ; le toucher rafraîchissant et
bienfaisant (v. 6 : « le frais cresson bleu », v. 8 : « où la lumière pleut ») ; l’ouïe (v. 1 : « chante ») ; et enfin la vue, grâce
au champ lexical des couleurs – le vert (v. 1 : « verdure », v. 2 : « herbes », v. 4 : « val », v. 7 : « herbe », v. 8 : « lit
vert »), l’« argent » (v. 3), le jaune (v. 3 : « soleil », v. 5 : « rayons »), le bleu (v. 6 : « frais cresson bleu »), le rouge
(v. 14 : « deux trous rouges »), ainsi que les couleurs des « glaïeuls » (v. 9).
w Le champ lexical de la lumière est très présent : « haillons d’argent » (v. 2-3), « soleil » (v. 3 et 13), « luit » (v. 4),
« qui mousse de rayons » (v. 4) , « lumière » (v. 8). Ainsi, la nature apparaît lumineuse et vivante. La lumière est, ici,
symbole de vie, de paix, de calme, de beauté.

LA DESCRIPTION DU « DORMEUR »
x Le poème se présente comme un tableau avec différents plans. Chaque strophe est consacrée à une description
précise.
Le premier quatrain est consacré à la nature. Rimbaud utilise un plan large sur la vallée encaissée entre deux
montagnes (« soleil », « montagne », « val »…).
Le second quatrain fait apparaître le personnage du soldat. Le regard s’attarde sur sa position (couchée) et sur son
visage. Le poète insiste aussi sur les détails du décor (« cresson », « herbe »…). Peu à peu, par un procédé de
grossissement, on passe à un plan rapproché.
Le premier tercet propose une description fragmentaire des extrémités du jeune homme. Aux « pieds » du vers 9
s’oppose le visage (v. 9-10 : « souriant comme sourirait un enfant malade »). La description du soldat est fragmentaire,
morcelée.
Le second tercet décrit encore le visage mais en s’arrêtant sur un détail, passant de la « narine » (v. 12) à la « poitrine »
(v. 13).
Rimbaud utilise donc un effet de zoom. Le poème passe d’une description générale de la vallée et du soldat à une
description plus précise, mouvement qui va d’un plan large à un plan rapproché.
y Le personnage apparaît dans le second quatrain. Il semble dormir. Cf. le champ lexical du sommeil/repos : « Dort »
(v. 7), « il dort » (v. 9), « il est étendu » (v. 7), « fait un somme » (v. 10), « berce-le » (v. 11), « tranquille » (v. 14).
U Cette description n’est pas vraiment précise mais plutôt schématique : Rimbaud décrit une silhouette allongée, un
visage, des pieds et, en dernier lieu, la poitrine, qui révèle le destin tragique du jeune homme. La description reste
assez sommaire. Le soldat est un jeune homme parmi d’autres. En gardant cette description volontairement vague,
Rimbaud donne une portée universelle à ce soldat qui représente tous les jeunes hommes morts de façon prématurée
et tragique au front.

L’HORREUR DE LA GUERRE
V Le dernier vers nous apprend qu’il s’agit, en fait, d’un soldat mort à la guerre : « Il a deux trous rouges au côté droit »
(v. 14). Ce final crée un effet de surprise horrifiée pour le lecteur face aux conséquences de la guerre. Il s’agit donc d’un
sonnet à chute car le dernier vers bouleverse le sens général du poème.
W Lors d’une relecture attentive, certains indices suggèrent que la nature n’est pas aussi positive et paisible que la
lecture initiale le laissait penser. En premier lieu, on remarque que le sonnet opère une sorte de boucle funeste, puisque
le terme « trou » introduit d’emblée (« trou de verdure ») le thème de la mort tragique et prématurée et vient également
clore le poème. De même, l’adverbe « follement » (v. 2) suggère la folie meurtrière de la guerre. Au vers 4, « le petit val
Réponses aux questions – 6

qui mousse » rappelle le sang sur la blessure. Enfin, la présence des « glaïeuls » (v. 9), fleurs traditionnellement
utilisées lors des enterrements, est, ici aussi, signifiante.
A posteriori, on se rend compte, en outre, que la description du soldat n’a rien de paisible mais annonce plutôt un sort
funeste : il a la « bouche ouverte » (v. 5) et la « tête nue » (v. 5 – la perte de sa coiffe militaire représente la chute du
jeune homme), il est « pâle » (v. 8), il ressemble à « un enfant malade » (v. 10) et « il a froid » (v. 11) ; ses sens sont
anesthésiés, puisque « les parfums ne font pas frissonner sa narine » (v. 12).
Rimbaud a donc parsemé son texte d’indices discordants suggérant la mort.
X Ce sonnet provoque l’effroi du lecteur ainsi qu’un sentiment de compassion pour le jeune homme. Rimbaud veut
aussi susciter un sentiment de révolte face à l’absurdité et à l’abomination que représente une guerre, notamment grâce
à l’utilisation de termes réalistes et abrupts, dont les sonorités désagréables agressent l’oreille (« deux trous rouges »).
« Le Dormeur du Val » est donc un poème engagé, dans lequel Rimbaud dénonce la violence de la guerre.
at Le tableau représente un jeune homme grièvement blessé, voire en train de mourir. Comme dans le poème de
Rimbaud, il est étendu au cœur d’un cadre verdoyant et porte un trou rouge à la poitrine, et, si l’on ne prête pas
attention au titre et aux détails, on pourrait penser qu’il s’agit d’un homme endormi. On pourra faire remarquer que,
dans cet exemple, l’écrivain parvient, grâce à un usage habile des mots, à ménager un suspense avec lequel le peintre
ne peut pas rivaliser.
ak Suggestions pour l’organisation du commentaire :
Problématique : « En quoi ce sonnet permet-il à Rimbaud de dénoncer la violence et l’absurdité de la guerre ? »
I. Un tableau bucolique
A. Un décor agréable et lumineux (questions 1 et 3)
B. Une nature sensuelle (question 2)
C. Un jeune homme endormi (question 5)
II. Un sonnet engagé contre la guerre
A. Le dévoilement progressif de la vérité (questions 4 et 7)
B. La contamination de la nature (question 8)
C. La visée argumentative / les effets sur le lecteur (questions 6 et 9)

U n é l a n v e r s l a l i b e r t é
( p . 9 1 , v . 1 à 1 4 )

LE LYRISME DE LA PAUVRETÉ
u Définitions des termes :
– « Bohème » : vie d’artiste marquée par l’insouciance et une certaine précarité financière ;
– « Fantaisie » : qui n’est pas sérieux ; doit aussi être pris au sens d’« œuvre soustraite à des règles fixes où
l’imagination se donne libre cours ».
Il s’agit donc d’un poème traitant de la pauvreté et de l’insouciance des artistes, dont la vie sera en partie idéalisée.
v Présence massive du « je » qui renvoie au poète (v. 1, 3, 4, 6, 9, 10 et 13), complétée par des déterminants
re
possessifs de la 1 personne (v. 1, 2, 5, 6, 7, 8, 11 et 14). Cette présence très forte du « je » poétique place d’emblée le
poème dans le registre lyrique. Le poète exprime des sentiments personnels.
w Le champ lexical de la pauvreté est très présent : le poète est à pied (verbe aller) ; les « poches crevées » (v. 1) ; ses
vêtements sont usés (v. 2 en entier : voir note explicative sur « idéal » ; v. 5, en particulier « unique culotte » et « large
trou » ; v. 14 : « souliers blessés ») ; il vit dehors (v. 7 : « mon auberge était à la Grande-Ourse » + champ lexical de
l’errance).
La pauvreté, en tant que libération des contraintes matérielles, est associée à la liberté. Le poète est un marginal, mais
cette marginalité et cette pauvreté sont assumées, comme l’indique le terme « Petit Poucet » au vers 7.
x La nature est, ici, protectrice et maternelle. Le poète semble vivre en communion avec elle, il se l’approprie (v. 8 :
« mes étoiles »). La nature est accueillante : elle est son auberge (v. 7) ; les étoiles produisent un « doux frou-frou »
(v. 8), donc un son agréable qui peut rappeler les jupes maternelles ; Rimbaud évoque « Ces bons soirs de
septembre » (v. 8) ; la nature permet de se ressourcer et de récupérer de l’énergie (v. 9 : « rosée […] comme un vin de
vigueur »). La nature est donc associée à une figure maternelle : ses principales caractéristiques sont la douceur, la
chaleur ; elle est agréable, accueillante, positive…
Poésies d’Arthur Rimbaud – 7

UN SONNET À LA GLOIRE DE LA JEUNESSE


y Les termes et les sonorités qui renvoient à l’enfance sont nombreux et divers : « culotte » (v. 5, référence aux
culottes courtes portées par les enfants qui n’accédaient aux pantalons qu’à l’adolescence) ; « frou-frou » (v. 8, terme
enfantin qui évoque, par ses sonorités, le bruit des jupes maternelles) ; « Petit Poucet » (v. 6, référence au conte).
Au vers 14, Rimbaud écrit : « un pied près de mon cœur ». C’est une image poétique surprenante, mais aussi une
position qui requiert de la souplesse ; or la souplesse est surtout l’apanage de la jeunesse.
Les sonorités du poème sont douces et évoquent la nostalgie de l’enfance (en tant qu’univers protégé) : on observe de
nombreuses allitérations en [l] et [m] (v. 1, 2, 3, 12, 13 et 14), consonnes liquides qui symbolisent la douceur.
U Dans ce poème, la ponctuation est très marquée (on parle alors de « ponctuation forte ») et expressive. On observe
la présence de points d’exclamation, de tirets et de points-virgules qui expriment l’enthousiasme et l’énergie de la
jeunesse. Les tirets cassent le rythme de l’alexandrin et traduisent la force parfois mal canalisée de la jeunesse.
Le rythme rapide et saccadé du sonnet mime la marche rapide et décidée du jeune poète. Cette attitude frondeuse est
caractéristique de l’adolescence. Le refus des normes bourgeoises est indiqué dès le titre et le sous-titre du poème.
Même le lexique est irrégulier : on remarque une alternance de termes enfantins et d’un lexique précis et soutenu
(« féal » au vers 3…).
V La révolte est présente dès le vers 1 : « les poings dans mes poches crevées » (serrer les poings est un geste de
défi et de révolte). Elle se manifeste aussi dans la langue, avec le refus des expressions figées qui se traduit par la
transformation de l’expression « les mains dans les poches ».
Le personnage est en fuite, comme le souligne l’imprécision du verbe aller (v. 1 et 3). C’est un vagabond « assis au
bord des routes » (v. 9).
Toutefois, le « je » poétique continue de croire dans les vertus de la poésie : « rêvées » (v. 4), « rêveur » (v. 6),
« amours splendides » (v. 4 : le pluriel indique qu’il s’agit de l’avenir, des amours possibles).
Cette opposition entre révolte et espoir se construit sur la revendication de la marginalité du poète et le refus des codes
(de la société et de la poésie), qui vont de pair avec les rêves et l’espoir du poète-rebelle. Les deux sont indissociables :
c’est justement parce que le poète est en marge qu’il peut espérer un avenir différent, à la fois poétique et réel.

UN ÉLOGE DE LA LIBERTÉ
W Les écarts de langage sont nombreux : ainsi, au vers 4, « Oh ! là ! là ! » est une marque d’oralité ; au vers 3, le poète
s’adresse directement à la Muse en l’apostrophant.
L’alexandrin est malmené. On note la présence d’enjambements et de rejets : le rejet du vers 7 (« Des rimes »)
notamment crée un effet d’insistance et un effet de surprise, car il associe un terme concret (« égrenait ») avec un
élément abstrait (« Des rimes ») ; on observe aussi un rejet au vers 11 (« De rosée ») et un enjambement aux vers 13-
14. Le poète prend donc des libertés avec les règles de l’alexandrin.
Le rythme du sonnet est capricieux : Rimbaud s’ingénie à briser la régularité de l’alexandrin, évitant de placer la coupe
principale à l’hémistiche dans plusieurs vers comme le veut pourtant la tradition (cf. v. 1, 3, 4, 7, 12 et 13).
X Le champ lexical du voyage est très présent dans ce sonnet. On relève la répétition du verbe aller (v. 1 et 3 : noter la
valeur de l’imparfait qui exprime la durée). D’autres termes évoquent aussi le voyage et l’errance : « course » (v. 6),
« auberge » (v. 7), « au bord des routes » (v. 9), « souliers » (v. 14). Le poète est un voyageur prêt à conquérir le
monde (« le ciel », « Mes étoiles », « ombres fantastiques »).
at « Ma Bohême » est une fantaisie d’abord par son thème : l’errance insouciante et inspirée d’un jeune poète, la
métamorphose « fantastique » (v. 12) que son imagination impose au paysage.
Rimbaud refuse les contraintes poétiques traditionnelles :
– Il s’amuse avec des rimes insolites et des jeux phonétiques : par exemple, dans la rime « fantastique »/« élastique »
ou dans la multiplication des rimes en [ou] (« trou »/« frou-frou », « course »/« ourse », « gouttes »/« routes ») ; le
froissement soyeux des étoiles est rendu par le triple [ou] de « doux frou-frou » ; et que dire du pluriel « des lyres »
(délires) ?
– Il mélange les niveaux de langue : familier (« culotte », « élastique », « paletot »…) et soutenu (« féal », « amours
splendides », « Muse », « lyre »…).
– Il crée des images insolites : pour les images hardies qui associent des registres différents (comparaison des
« élastiques » avec des « lyres ») ou le concret à l’abstrait (« égrenait / Des rimes », « paletot idéal »).
ak Suggestion pour l’organisation du commentaire :
Problématique : « En quoi ce texte est-il un autoportrait d’un jeune poète révolté, en quête de sa muse poétique ? »
I. Le portrait d’un poète jeune et révolté
A. Un sonnet qui exalte l’énergie de la jeunesse (questions 5 et 6)
Réponses aux questions – 8

B. La vie de bohème (questions 1 et 3)


C. Le lyrisme de la révolte et de la marginalité (questions 2 et 7)
II. Le récit d’une quête poétique
A. La présence du thème du voyage (question 9)
B. La nature comme refuge et source d’inspiration (question 4)
C. Ce sonnet : une « Fantaisie » poétique (question 10)

U n v o y a g e p o é t i q u e
( p p . 1 1 0 - 1 1 1 , v . 1 à 3 6 )

L’IVRESSE DU VOYAGE
u Le poème commence par une libération, car les « haleurs » sont des marins qui guident et donc entravent le bateau
à l’aide de cordages, comme le suggère Rimbaud au vers 2. Or ces marins ont été faits prisonniers (v. 3-4). Par
conséquent, le bateau n’est plus entravé, il est libre de ses mouvements.
v Le champ lexical du voyage est très présent dans cet extrait du poème : « Fleuves », « équipages », « marées »,
« Péninsules », « la Mer », « les cieux »… On relève aussi de nombreux verbes de mouvement : « je descendais » ;
« guidé » ; « descendre » ; « Je courus » ; « j’ai dansé » ; « Me lava, dispersant » ; « je me suis baigné ». Tous ces
termes insufflent un climat de joie et de liberté.
w Le locuteur semble ravi d’être libéré de ses entraves et impatient (« Je courus ») à l’idée de découvrir le monde.
Cette course souligne l’ivresse de joie du bateau qui se présente comme « insoucieux de tous les équipages », donc
délivré de ses problèmes. Cette insouciance et ce sentiment de liberté sont très marqués au vers 14 : « Plus léger qu’un
bouchon, j’ai dansé sur les flots ».

UN UNIVERS AUX ÉLÉMENTS DÉCHAÎNÉS


x L’océan est présenté dans sa violence et dans sa force destructrice. Si le navire quitte d’abord « des Fleuves
impassibles » (v. 1), donc immobiles, il est très vite confronté à des éléments météorologiques agités : « clapotements
furieux des marées » (v. 9), dont les sons agressent les sens (v. 12 : « tohu-bohus »). Le poème évoque une
« tempête » (v. 13) capable de tuer, puisque « un noyé » (v. 24) s’y trouve. Le poème montre aussi « les cieux crevant
en éclairs, et les trombes / Et les ressacs et les courants » (v. 29-30).
L’océan est donc potentiellement dangereux. C’est une force très puissante. Cela souligne que le navire fait face à de
réels dangers.
y Le poème insiste sur la beauté des paysages et la capacité d’émerveillement qu’ils suscitent. Le locuteur est
admiratif : « les bleuités » (v. 25) du ciel et « les azurs verts » de l’océan sont soulignés, ainsi que les « azurs verts »
(v. 23). Le paysage est idéalisé grâce à la métaphore des vers 21-22 : « le Poème / De la mer ». On observe une
allégorie de l’aube au vers 31 représentée comme « un peuple de colombes ». Les paysages sont merveilleux : ils font
appel au rêve et à l’imaginaire.
U Le bateau quitte le fleuve pour entrer dans la mer. Cette entrée symbolise l’apprentissage de la vie (l’indépendance,
les avantages et les dangers de la liberté) et le passage à l’âge adulte. Elle est présentée de manière sacrée : « La
tempête a béni mes éveils maritimes » (v. 13). La mer semble avoir purifié le bateau à la façon d’un rituel : « L’eau verte
pénétra ma coque de sapin / Et des taches de vins bleus et des vomissures / Me lava » (v. 18-20). L’insistance sur la
purification opérée par la mer est soulignée par la position de rejet du groupe verbal « Me lava » au vers 20. C’est
seulement après ce rite initiatique que le bateau a accès aux paysages sublimes et au « Poème / De la Mer » (v. 21-
22).

LE VOYAGE COMME MÉTAPHORE DE L’EXPÉRIENCE POÉTIQUE


V Le « je » est ambigu dans ce poème. Au début, on pense que le bateau s’exprime par le biais d’une prosopopée.
Mais cette personnification du bateau demeure problématique car ce dernier représente aussi le poète notamment à
partir du vers 20 lorsque le bateau se baigne dans « le Poème / De la mer » et que la mer devient poème. Au vers 27,
le terme « lyres » renvoie aussi à la poésie. Le « je » apparaît donc double : il désigne à la fois le bateau et le poète.
W Le poème nous surprend grâce à des hypallages dès le premier vers (« Fleuves impassibles ») et au vers 36 (les
« frissons de volets »). Le champ lexical de la nouveauté se marque aussi avec le terme « éveils » au vers 13. L’image
de « L’Aube exaltée » au vers 31 souligne cette idée de renouveau. Autre signe de ce renouveau : Rimbaud utilise des
Poésies d’Arthur Rimbaud – 9

mots rares ou des néologismes tels que « bleuités » (v. 25). Le monde auquel le bateau accède est tellement inédit qu’il
en devient indicible et ne peut être dépeint qu’avec des comparaisons. C’est ainsi que les « rousseurs amères de
l’amour » ne sont pas décrites ; nous apprenons juste qu’elles sont « Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos
lyres » (v. 27). Ce langage et ces images inédits ouvrent un univers poétique nouveau, très moderne, parfois obscur,
mais résolument poétique par ses rythmes et ses sonorités.
X À partir du vers 21, le poème s’attarde sur les visions du navire. Le bateau accède à un monde composé d’éléments
naturels exceptionnels par leur esthétique et leurs « couleurs ». Le terme « couleurs » est déjà présent au vers 1. On
observe « l’eau verte » et les « azurs verts », mais aussi les « taches de vins bleus », le « Poème / De la mer […]
lactescent », « les rousseurs amères », les « figements violets »… L’expérience poétique se déroule en une succession
de visions hallucinatoires : « les flots » (v. 14) ; « les cieux crevant en éclairs, et les trombes » (v. 29) ; « le soleil bas,
taché d’horreurs mystiques » (v. 33). Ces visions s’enchaînent rapidement, comme en témoigne l’usage répété de la
conjonction « et » (v. 19, 21, 24, 26, 29, 30 et 32). Le poète insiste sur la puissance de ces visions avec l’anaphore « j’ai
vu » aux vers 32 et 33. Ces visions se transforment en connaissance avec la présence du « je sais » au vers 29.
at Suggestion pour l’organisation du commentaire :
Problématique : « En quoi le voyage apporte-t-il au poète une connaissance d’un ordre supérieur ? »
I. Une aventure exaltante et dangereuse
A. Le récit d’un voyage extraordinaire (questions 2 et 5)
B. L’euphorie du départ (questions 1 et 3)
C. Un océan dangereux (question 4)
II. Le voyage comme métaphore de l’aventure poétique
A. Une expérience initiatique (question 6)
B. L’ambiguïté du « je » (question 7)
C. Le renouveau de la langue et des images poétiques (questions 8 et 9)

U n e a u t o b i o g r a p h i e i n t e l l e c t u e l l e
( p . 1 4 0 , l . 1 à 2 0 )

UNE AUTOBIOGRAPHIE SURPRENANTE


u Il s’agit d’un poème en prose, c’est-à-dire sans strophes, ni rimes, ni vers. Le caractère poétique du texte se marque
par le rythme, les sonorités et les figures de style.
v L’autobiographie est un texte rétrospectif (récit « après coup » dans lequel le narrateur raconte des événements
passés) en prose, qui, selon la définition de Philippe Lejeune, pose une identité entre auteur, narrateur et personnage.
« Alchimie du verbe » est bien un texte rétrospectif en prose : le « je » narratif représente Rimbaud, et l’on y observe
l’emploi des temps du passé – imparfait (« je me vantais ») et passé simple (« ce fut »).
w Ce poème retrace un parcours intellectuel. Rimbaud ne raconte pas sa vie privée mais ses influences culturelles,
littéraires et poétiques. On observe la présence de verbes faisant référence à l’intellect : « J’inventais », « Ce fut d’abord
une étude », « j’écrivais ». Cette autobiographie se place du côté de l’art et de la poésie.
L’extrait étudié se nomme « Alchimie du verbe », mais le terme « verbe » est à prendre, ici, au sens de « langage ».
x D’emblée, le titre évoque une science occulte et magique (« Alchimie ») et plonge le lecteur dans un univers
inquiétant. Ensuite, le narrateur annonce qu’il va présenter « l’histoire d’une de [s]es folies » (l. 1). Rimbaud évoque, à
la ligne 13, sa croyance « à tous les enchantements ». Le terme est à prendre au sens étymologique
d’« ensorcèlement » : le poète n’est plus maître de ses pensées ni de ses actions. On retrouve cette idée de folie et
d’angoisse à la fin du passage avec la formule énigmatique « je fixais des vertiges » et la mention de « l’inexprimable ».
Le reste du poème multiplie les allusions à la folie (« hallucination », « désordres de mon esprit », « fièvres »…). Ce
champ lexical de la folie transforme la création poétique en expérience extrême et dangereuse.

LA CRÉATION D’UN NOUVEAU LANGAGE POÉTIQUE


y Le titre « Alchimie du verbe » est étrange et surprenant. L’alchimie est une science occulte du Moyen Âge mêlant
chimie et magie qui cherchait à fabriquer de l’or à partir de métaux communs. Comme l’alchimiste qui transforme
l’ordinaire en extraordinaire, Rimbaud assigne au poète la fonction de transformer le langage commun en acte poétique.
En cela, il se place dans la lignée de Baudelaire qui écrivait, dans Les Fleurs du Mal : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai
fait de l’or. »
Réponses aux questions – 10

U Rimbaud n’a pas honte d’avouer sa préférence pour la culture populaire, voire la culture de masse. Il préfère « les
peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature
démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de
l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rhythmes naïfs ». Il confesse aussi son absence d’intérêt pour « les célébrités de
la peinture et de la poésie modernes ». Disant cela, il insiste sur sa singularité et sa différence. On peut également
interpréter cette « profession de foi » comme une provocation, le petit génie de la poésie française reniant toute culture
classique. Ceci est une posture de la part de Rimbaud qui avait lu ses classiques et fait ses humanités.
V Rimbaud aborde, ici, l’expérience du voyant déjà évoquée dans les deux lettres dites « du voyant ». Il rappelle la
théorie des correspondances baudelairiennes mises en œuvre dans le poème « Voyelles » : « J’inventai la couleur des
voyelles ! – A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. »
Il rappelle aussi son rêve d’un langage poétique neuf : « Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et,
avec des rhythmes instinctifs, je me flattai d’inventer un verbe poétique accessible. » Ce langage poétique ne serait plus
seulement une représentation du réel mais une vérité brute, « instinctive » comme les rythmes qu’il évoque, capable
d’exprimer la quintessence de l’être dans sa globalité en mêlant sensations réelles et sensations rêvées.
Il s’agit d’une expérimentation poétique mais aussi d’une folie, car Rimbaud mentionnait, dans ses lettres, la nécessité
du « dérèglement de tous les sens » pour devenir voyant.
La suite d’« Alchimie du verbe » (non reproduite dans notre ouvrage) présente cette expérience de la voyance comme
caduque et en souligne, la percevant comme une descente aux enfers : « la vieillerie poétique avait une bonne part
dans mon alchimie du verbe. Je m’habituai à l’hallucination simple ».
W Sur la sculpture, Rimbaud tient négligemment la lettre A dans sa main et d’autres voyelles s’égrènent. Le fait qu’il ne
cherche pas à retenir ces lettres rejoint le sens de ce poème qui, dans un récit rétrospectif qui s’apparente à une
autocritique, dégage les limites de l’expérience du voyant pour, finalement, se contenter de « saluer la beauté »
(derniers mots du poème « Alchimie du verbe »).
X Suggestion pour l’organisation du commentaire :
Problématique : « En quoi cet extrait constitue-t-il le début d’une autobiographie intellectuelle ? »
I. Un poème autobiographique
A. Une confession poétique (questions 1 et 2)
B. Un univers étrange et fascinant (question 4)
C. Le récit d’une trajectoire intellectuelle et artistique (question 3)
II. Un manifeste poétique
A. L’affirmation radicale de goûts peu orthodoxes (question 6)
B. Le retour sur les expériences poétiques passées (question 7)
C. Les fonctions du langage poétique (questions 5 et 8)

L e r é c i t d ’ u n e i l l u m i n a t i o n
( p . 1 6 6 , l . 1 à 1 7 )

LA DESCRIPTION D’UN MONDE ENDORMI


u Le poème s’intitule « Aube », ce moment où la lumière, petit à petit, envahit la nature. C’est un temps intermédiaire
entre la nuit et le jour où les hommes, les plantes et les animaux s’éveillent peu à peu et sortent de leur
engourdissement. C’est un temps étrange entre rêve et réalité, sommeil et éveil.
v Le mot aube vient du latin alba, cas du nominatif et de l’accusatif féminin singulier de l’adjectif alb, qui signifie
« blanc » : son étymologie rappelle la pureté et l’innocence de l’enfance. En plus de décrire une scène de renouveau,
ce poème insiste sur la pureté du paysage et des êtres à l’aube. Cette dernière contribue au cycle du jour et
s’apparente à une renaissance quotidienne.
w Il s’agit d’un paysage immobile (l. 2 : « Rien ne bougeait »), figé (l. 2 : « L’eau était morte »). C’est aussi un paysage
sombre (l. 3 : « Les camps d’ombres »), un environnement silencieux (l. 5 : « sans bruit »). La nature décrite est donc
un décor encore endormi et engourdi.
x La figure de style utilisée s’appelle « une personnification ». Elle consiste à attribuer à un élément non humain
(plante, objet, animal, etc.) des caractéristiques humaines comme la parole, des sentiments, etc.
L’aube est, bien sûr, personnifiée dès la première ligne (« J’ai embrassé l’aube d’été »). Elle est représentée sous la
forme d’une femme (peut-être la Salomé biblique avec ses « voiles », l. 10 et 15) que le poète peut tenir dans ses bras
Poésies d’Arthur Rimbaud – 11

(sens étymologique du verbe dénoncer). « L’aube et l’enfant tomb[ent] » (l. 16) ensemble comme deux personnes
enlacées.
L’eau aussi est personnifiée par l’adjectif « morte » (l. 2), ainsi que les « pierreries » dotées de la vue (l. 4). D’autres
éléments de la nature le sont également, notamment parce que le poète leur confère le don de parler : c’est « la fleur
qui [lui] dit son nom » (l. 7) et le « coq » à qui il a « dénonc[é] » (l. 11) la déesse.

LA COURSE DU POÈTE APRÈS L’AUBE


y Bien qu’il s’agisse d’un poème en prose, « J’ai embrassé l’aube d’été » et « Au réveil, il était midi » sont tous deux
des octosyllabes. Ces vers courts qui encadrent le texte contribuent à créer un effet de vitesse, de rapidité, et à donner
l’impression d’une course du poète après l’aube, comme si le « je » poétique était à l’origine de ce phénomène naturel
et immuable qu’est l’aube.
U Le poète est surtout associé à des verbes de mouvement : « J’ai marché » (l. 3-4), « en agitant les bras » (l. 10-11),
« courant » (l. 12), « tombèrent » (l. 16). Le poète est aussi sujet de verbes d’action : « réveillant » (l. 4), « ris » (l. 8),
« levai » (l. 10), « je l’ai entourée » (l. 14). Le poète est ici actif, « en marche », à l’image de Rimbaud, infatigable
marcheur.
V Le texte est écrit aux temps du passé. Le premier vers (« J’ai embrassé »), qui est, en fait, la conclusion du poème,
est au passé composé, temps utilisé pour exprimer une action accomplie, donc achevée, révolue.
À partir de la ligne 2, commence le récit rétrospectif de la course du poète qui se mêle à la description du paysage qui
l’entoure. Pour cela, Rimbaud utilise les 2 temps du récit au passé : l’imparfait et le passé simple.
La description est, bien sûr, à l’imparfait : « Rien ne bougeait » (l. 2), « L’eau était morte » (l. 2), « Les camps d’ombres
ne quittaient pas » (l. 3).
Le récit de cette course-poursuite entre l’aube et le poète se fait, sans surprise, au passé simple : « Je ris » (l. 8), « je
levai » (l. 10), « tombèrent » (l. 16), mais aussi, de façon plus inattendue, à l’imparfait : « elle fuyait […], je la chassais »
(l. 12-13), comme si le poème suggérait que cette course s’éternisait (imparfait duratif) ou qu’elle se renouvelait chaque
jour (imparfait d’habitude ou de répétition).
W Ligne 1 : situation finale.
Ligne 2 : situation initiale. Paysage de ville (« des palais ») endormi.
Ligne 3 à 5 : élément déclencheur. Le poète se met en marche. Début de la chasse à l’aube.
Lignes 6 à 15 : péripéties. Succession de verbes d’action qui révèlent les étapes de cette course avec les rencontres et
échanges successifs avec les différents éléments naturels : « une fleur » (l. 5), le « wasserfall » (l. 7), le « coq » (l. 9)…
Ligne 16 : élément de résolution.
Ligne 17 : élément final. Il s’agit d’un rêve, puisque l’enfant dormait.

UN « JE » POÉTIQUE ET DES INTERPRÉTATIONS AMBIGUËS


X Ce poème est lyrique car on observe une présence massive du « je » dès la première ligne. C’est le premier mot du
texte ; il est souvent placé en début de phrase et repris par le pronom personnel objet « me » (l. 7). Ce « je » poétique
exprime des sentiments comme la joie (l. 8 : « Je ris ») ou le triomphe (l. 14-15 : « je l’ai entourée avec ses voiles
amassés, et j’ai senti un peu son immense corps »). Le « je » disparaît dans l’avant-dernière phrase, où il devient un
« enfant ». Il s’efface complètement avec la dernière phrase « Au réveil, il était midi », dont la tournure est
impersonnelle.
at Le « je » poétique peut communiquer avec les éléments naturels : « une fleur [lui] dit son nom » (l. 7) ; il dénonce
l’aube « au coq » (l. 11). Il se présente comme celui qui est à l’origine de l’aube, qu’il pourchasse et qu’il attrape (« je l’ai
entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps »)…
Le « je » poétique est donc présenté comme ayant le pouvoir d’éveiller la nature qui est personnifiée (cf. question 4).
L’aube est aussi personnifiée comme une « déesse » (v. 9) ou comme une figure emblématique de la cruauté (cf. la
Salomé biblique à l’origine de la décapitation de saint Jean-Baptiste).
ak Le poème commence dans un cadre urbain somptueux et luxueux (« palais », « pierreries »). Le poète et l’aube
fuient la ville pour un cadre plus bucolique mais qui s’apparente au merveilleux (le « wasserfall […] qui s’échevela », la
fleur qui parle, « les quais de marbre »). D’une part, le décor est fastueux et évoque le luxe ; d’autre part, les frontières
entre villes et campagnes s’annulent. Les éléments sont présentés par le biais de synecdoques (cf. « les clochers et les
dômes »…).
al L’explication la plus simple est celle suggérée par le poème : il s’agit purement d’un rêve, d’un songe poétique
(v. 17 : « Au réveil, il était midi »).
Réponses aux questions – 12

Ce poème met également en scène une expérience poétique selon un schéma onirique (de rêve). Il s’agit bien d’une
illumination, car le poète et le lecteur s’ouvrent à un univers esthétique fait de visions et d’images qui mêlent rêve et
réalité, un univers de visions lumineuses. L’aube comme la poésie ne se laissent pas attraper : elles échappent
indéfiniment et transforment le poète en « mendiant » (v. 13) ; elles l’invitent à une course permanente, car le langage
et les images poétiques se dérobent.
am Suggestion pour l’organisation du commentaire :
Problématique : « En quoi ce poème est-il le récit d’une illumination ? »
I. L’aube comme illumination du jour
A. Un moment de transition entre nuit et jour (questions 1 et 3)
B. Un symbole de renouveau (question 2)
C. La fugacité de l’instant : illumination (questions 4 et 5)
II. Le récit d’une illumination poétique
A. La personnification de l’aube (question 6)
B. Une expérience poétique (questions 7 à 9)
C. L’accession au monde merveilleux de la poésie et du langage (questions 10 à 12)
Poésies d’Arthur Rimbaud – 13

SUJETS D’ÉCRIT

S u j e t 1
( p p . 2 2 0 à 2 2 4 )

◆ Question préliminaire
Remarques liminaires : la question comporte une sous-question qui sert à la préciser mais qui, à cause justement de
cette précision, peut nuire à l’esprit de synthèse propre à l’exercice. En outre, chaque auteur évoque des expériences
différentes. Le risque, pour le candidat, est de traiter les textes séparément sans les confronter.
Arthur Rimbaud, Blaise Cendrars et René Char sont trois poètes français qui écrivent respectivement entre 1870 et
1950. Ces 3 textes ont pour thèmes communs l’adolescence et les émotions exacerbées qui accompagnent les
premières expériences de liberté et d’autonomie. Les 3 poèmes évoquent des expériences adolescentes diverses,
allant de l’expérience de la liberté heureuse et insouciante chez Rimbaud à la douloureuse expérience de la
maltraitance physique chez René Char.
Arthur Rimbaud et Blaise Cendrars mettent en évidence le thème du voyage ou de l’errance, que celle-ci soit proche
géographiquement pour Rimbaud (« sous les tilleuls verts de la promenade ») ou très éloignée pour Cendrars (« à
16 000 lieues du lieu de ma naissance », « à Moscou »). Cette appréhension du monde « en solitaire », en tout cas en
tant qu’individu sans la présence étouffante de la famille, est vécue par Rimbaud sous le signe de la joie, celui de l’éveil
à de multiples sensations (l’odeur des tilleuls, la douceur de l’air…) et permet la découverte de l’amour (« Vous êtes
amoureux »). Cette thématique de l’errance ou du voyage prend un aspect plus sérieux chez Cendrars, qui lui accorde
le pouvoir de comprendre le monde. Pour Rimbaud et Cendrars, les voyages contribuent à forger la jeunesse.
Le champ lexical de la violence est très présent dans les 3 textes, qui racontent des expériences paroxystiques et
extrêmes propres à l’adolescence : Rimbaud découvre la sensualité et le désir (« on sent aux lèvres un baiser qui
palpite »), ainsi que la liberté et le plaisir de l’errance (« Le cœur fou Robinsonne ») ; Blaise Cendrars, lui, expérimente
la révolte adolescente lors de ses voyages, révolte qui le pousse à un désir de destruction et d’anéantissement (« et
tous les vers / J’aurais voulu les boire et les casser » ; « et j’aurais voulu broyer tous les os / Et arracher toutes les
langues »). Dans le poème de René Char, le jeune poète n’éprouve pas le désir de violence mais subit cette dernière.
Le texte raconte un déferlement de violence et « d’iniquité » envers un adolescent (est-ce lui plus jeune ?) « souffleté »
et roué de « coups ». Cette découverte de la brutalité et de l’injustice permet, paradoxalement, au jeune homme du
poème de mûrir, de se préparer « au moment où […] il se tiendrait droit et attentif parmi les hommes, à la fois plus
vulnérable et plus fort ».
Ces expériences ont en commun leur valeur d’événement fondateur, de passage initiatique à l’âge adulte, et leur
intensité ; elles ont marqué les poètes et sont à l’origine de l’écriture.

◆ Commentaire
Introduction
e
Rimbaud est un poète majeur de la fin du XIX siècle qui a marqué son époque et la postérité par le génie et la brièveté
de son œuvre. C’est un poète enfant qui a cessé d’écrire à l’âge de 20 ans. Le poème « Roman » est issu des Cahiers
de Douai. Arthur Rimbaud brosse, dans ce recueil, le portrait d’un adolescent de 17 ans à la découverte du monde et du
désir amoureux. Dans le poème étudié, les sentiments de joie, de liberté et d’insouciance dominent. Dans quelle
mesure l’aventure amoureuse racontée est-elle liée à l’évocation des sensations du poète ? Nous analyserons d’abord
l’importance des sensations dans ce poème, puis les caractéristiques des premiers émois amoureux.

1. L’importance des sensations dans les lieux évoqués


Ce poème est une véritable ode à la sensualité et fait coïncider les lieux décrits avec les sensations de l’adolescent
émerveillé par la nature et l’amour.
A. Un cadre spatio-temporel à la fois urbain et bucolique
L’éveil à la sensualité et au désir de l’adolescent s’épanouit aussi bien dans un cadre urbain (v. 3 : « des cafés
tapageurs aux lustres éclatants », v. 7 : « la ville »…) que dans un cadre plus rural (v. 2 : « les tilleuls », v. 14 : « la
sève »…). Les deux univers ne s’opposent pas mais s’unissent dans une harmonie olfactive comme au vers 8 : « a des
parfums de vigne et des parfums de bière ».
Sujets d’écrit – 14

B. La convocation de tous les sens


• Le poème convoque avant tout la vue, très sollicitée notamment à travers les notations de lumière (v. 3 : « lustres
éclatants », v. 18 : « la clarté d’un pâle réverbère »…), mais aussi grâce à quelques éléments de couleur (v. 4 : « tilleuls
verts », v. 11-12 : « étoile […] blanche »…).
• Le texte fait également appel à l’ouïe : le bruit des « cafés tapageurs » est annoncé dès le premier quatrain, auquel
font écho le « rire » (v. 26) de la demoiselle et les « cavatines » (v. 24) avortées du poète.
• On observe aussi la présence de l’odorat (v. 8 : « parfums ») et du goût (v. 2 : « bocks », « limonade », v. 14 :
« champagne »…).
• Le toucher n’est pas en reste avec l’évocation du « chiffon » (v. 9), des « frissons » (v. 12) et du « baiser » (v. 15).
C. Des lieux propices à la sensualité
Le poème est majoritairement écrit en alexandrins réguliers. Cela lui confère un rythme lent et doux, comme un
balancement (v. 5 : « Les tilleuls sentent bons dans les bons soirs de juin ! ») ; les sonorités douces renforcent cette
atmosphère sensuelle. La description des lieux est propice à l’éclosion de la sensualité (v. 6 : « l’air est parfois si
doux », v. 9 : « Nuit de juin ! »). L’ambivalence des lieux, entre ville et campagne, et des moments, entre jour et nuit,
souligne que ce poème met en scène une expérience cruciale, une sorte de passage initiatique de l’enfance à
l’adolescence.

2. L’insouciance des premiers émois amoureux


La découverte du désir et de la sensualité n’est, dans ce poème, aucunement liée à l’angoisse ni une source
d’inquiétude. Le poète adolescent semble vivre tout cela avec légèreté et même avec une certaine distance teintée
d’humour et d’ironie.
A. Un adolescent naïf et ingénu
Le texte insiste sur la jeunesse et le manque d’expérience du jeune gandin en quête de sensations fortes (v. 1 et 31 :
« dix-sept ans »), ainsi que sur sa naïveté (v. 21 : « immensément naïf ») soulignée par la demoiselle, pourtant elle-
même fort jeune. L’adolescent ne contrôle rien mais se laisse guider, voire diriger, par ses émotions (v. 17 : « Le cœur
fou Robinsonne »).
B. L’idéalisation de la demoiselle
L’apparition de la jeune fille est théâtralisée car elle est retardée. Elle ne commence qu’au vers 19 (« passe une
demoiselle »), et la description restera parcellaire et incomplète, seulement marquée par des expressions affectueuses
(v. 22 : « petites bottines »). Le sujet postposé crée un effet d’insistance sur cette demoiselle comme surgie de la nuit
mais qui reste inabordable à cause de la figure effrayante « du faux col terrifiant de son père » (v. 20).
C. La prise de distance ironique
Tout d’abord, le titre du poème (« Roman ») indique qu’il s’agit également d’une romance sans suite. Le poète, lorsque
« l’adorée a daigné [lui] écrire » (v. 28), au lieu de lui répondre ou de relire cent fois sa lettre, s’est précipité à nouveau
dans les cafés. La construction cyclique du poème avec le retour au lieu et aux actions initiaux indique que rien de
fondamental n’a changé. L’adolescent a toujours « dix-sept ans » et reste marqué par son absence de « sérieux » et de
constance. La jeune fille, présentée avec le déterminant « une », n’était pas l’unique mais une parmi tant d’autres…

Conclusion
En écrivant « Roman », Rimbaud renouvelle le topos de la rencontre amoureuse et joue d’une double énonciation pour
décrire à la fois les émois sincères mais fugaces d’un adolescent, aussi prompt à tomber amoureux qu’à oublier l’objet
de son émoi, et la distance ironique d’un adulte qui observe et dépeint ces « romances » avec une bienveillance un peu
amusée.

◆ Dissertation
Introduction
La poésie lyrique, en particulier sous l’impulsion d’Orphée, consiste à exprimer les sentiments du « je » poétique. Les
poèmes lyriques se portent aussi bien sur les joies que les peines du poète et évoquent de vastes sujets comme
l’amour, la mort, le deuil impossible.
Toutefois, la poésie ne consiste-t-elle qu’à écrire sur soi ? Nous analyserons d’abord que la poésie s’attache souvent
aux sentiments du « je » poétique, puis nous verrons que c’est bien à travers l’expression de sentiments intimes que se
dessine un lyrisme universel. Enfin, nous montrerons que la poésie ne se limite pas à l’expression de sentiments.
Poésies d’Arthur Rimbaud – 15

1. La poésie : le genre de prédilection de l’expression des sentiments


A. Le poète raconte son vécu dans ses textes
• Arthur Rimbaud évoque ses expériences de découverte adolescente dans « Au Cabaret-Vert » et « Sensation »
notamment, où les premiers émois amoureux sont étroitement liés au cadre bucolique qui les entoure.
e
• Déjà au XVI siècle, Clément Marot, dans L’Adolescence clémentine (cf. « L’Épître des jartières blanches »), exprime la
toute-puissance de la Dame dans l’amour courtois qui voudrait porter les couleurs du poète sans lui accorder ses
faveurs.
• Blaise Cendrars transpose, dans La Prose du Transsibérien, son voyage en Russie et les sentiments d’indépendance
et de liberté qu’il a alors éprouvés.
B. Le poète partage ses émotions
Louise Labé : « Je vis, je meurs », célèbre sonnet dans lequel la poétesse exprime les sentiments extrêmes dus à
l’amour (désespoir et joie intense).
C. Le poète : un être doté d’une sensibilité hors du commun
• Figure romantique du poète et notion de « poète élu », déchiffreur et traducteur du monde sensible cher aux poètes
symbolistes.
• Synesthésies baudelairiennes (poème « Correspondances »).

2. L’universalité du lyrisme
A. Dimension universelle des sentiments et des expériences
Victor Hugo, préface des Contemplations : « Ah ! Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le
sentez-vous pas ? Ah ! Insensé qui croit que je ne suis pas toi ! »
B. Possibilité de s’identifier
• Dans le sonnet « À une passante », Charles Baudelaire raconte une rencontre bouleversante avec une inconnue.
• Dans « L’Adolescent souffleté », René Char évoque la maltraitance entre jeunes, malheureusement universelle et
intemporelle.
C. Les poèmes s’adressent à autrui et « parlent » d’autrui
Sonnets pour Hélène de Ronsard où il imagine le dépit et les regrets de la belle Hélène dans quelques décennies.

3. La poésie : un art irréductible et polymorphe


En effet, la poésie n’est pas forcément lyrique.
A. La poésie engagée
La poésie et le langage comme armes pour soutenir une noble cause ou dénoncer des actes inadmissibles : poèmes
« Rages de Césars » ou « Le Dormeur du val » de Rimbaud.
B. La poésie comme jeu sur les mots et les sonorités
Jeu du langage : exemple des calligrammes, des jeux des surréalistes (Queneau, etc.)…
C. La poésie comme moyen de réinventer le monde
Francis Ponge joue avec les qualités physiques des objets (Le Parti pris des choses), crée des « objeux ».

Conclusion
La poésie, si elle tend à exprimer les sentiments du poète, est aussi et avant tout un moyen de rendre universels les
sentiments les plus intimes ; elle permet à la fois l’épanchement du locuteur et l’identification du lecteur. Certains poètes
refusent cette fonction de la poésie et préfèrent les jeux poétiques. La poésie n’est-elle pas, en premier lieu, pour tout
écrivain, une autre manière de signifier le monde ?

◆ Sujet d’invention
2 textes de natures très différentes sont attendus : un texte poétique, qui laisse une certaine liberté formelle, et un texte
argumentatif plus académique, avec des arguments et des connecteurs logiques.
Pour le premier d’entre eux, il faut veiller à ne pas trop s’inspirer des poèmes du corpus mais bien à raconter une
expérience caractéristique de l’adolescence sous une forme poétique (vers, vers libres, poème en prose). On attend un
effort sur les rythmes, les sonorités, les images poétiques (figures de style) et – pourquoi pas ? – sur la mise en pages.
Le second texte doit justifier le premier tant sur la forme que sur le fond. On attend une argumentation rigoureuse avec
des paragraphes, des connecteurs logiques, des arguments et des exemples.
Sujets d’écrit – 16

S u j e t 2
( p p . 2 2 5 à 2 3 0 )

◆ Question préliminaire
e e
Remarques liminaires : le corpus comporte 4 textes poétiques, du XVI siècle à la fin du XIX . Du Bellay critique
l’hypocrisie et la lâcheté des courtisans ; un siècle plus tard, La Fontaine dénonce les abus du pouvoir en place ;
Verlaine s’essaie, quant à lui, à l’éloge paradoxal ; et Rimbaud dresse un portrait féroce des bêtises bourgeoises.
En quoi ces textes relèvent-ils de la poésie satirique ? Nous étudierons d’abord en détail les cibles de leur critique et ce
que les auteurs leur reprochent, puis nous analyserons par quels procédés la satire s’exprime ici.
e e
Du Bellay et La Fontaine, qui écrivent respectivement au XVI et au XVII siècle, visent les « grands » de ce monde, ceux
qui ont le pouvoir ou qui gravitent autour. La fable de La Fontaine, à travers la figure du Lion brutal et autoritaire,
dénonce l’absolutisme royal de Louis XIV. Le Lion, « Seigneur du voisinage » (v. 2), est présenté comme un souverain
inique et cruel qui règne par la terreur (v. 18 : « je l’étranglerai tout d’abord »). Déjà au siècle précédent, la crainte de
déplaire au souverain – et donc de s’attirer des ennuis – était mise en évidence dans le sonnet de Du Bellay qui
présentait des courtisans serviles et flatteurs (v. 2 : « Ces vieux singes de cour »), vidés de leur substance dans
l’unique dessein de s’attirer les faveurs du monarque. Chez Du Bellay, ils se montrent capables des pires bassesses,
jusqu’au déni de la réalité (v. 8 : « la lune en plein midi, à minuit le soleil »), et imitent mécaniquement les attitudes des
gouvernants (v. 3 : « Sinon en leur marcher les princes contrefaire »).
Verlaine et Rimbaud, contemporains et intimes, préfèrent diriger leur plume acérée vers les bourgeois « poussifs »
(v. 3) et les gens du peuple (v. 11 : « Les croque-morts au nez rougis par les pourboires »). Ils dressent une galerie de
portraits satiriques qui rassemble des « héritiers resplendissants », des « épiciers », des « notaires pendus à leurs
breloques », des « bureaux bouffis »… La critique est souvent virulente et s’exprime à l’aide de traits cinglants
(cf. « officieux cornacs » dans le poème de Rimbaud pour désigner les épouses obèses par la métaphore de
l’éléphant). Rimbaud insiste sur le physique et les allures ridicules et grotesques des personnages qu’il croise tout au
long de son poème/promenade, mais il critique également le caractère grotesque et vide des bourgeois aussi arrogants
qu’inintéressants (v. 16 : « En somme »). Cette ironie grinçante pour souligner la vacuité des discours bourgeois était
déjà présente dans le poème de Verlaine avec « les beaux discours concis » du vers 12.
Maintenant que les cibles de la satire et les reproches des auteurs sont bien identifiés, observons attentivement les
procédés d’écriture qui rendent leur plume si vive et leur critique si pertinente et si cruelle à la fois.
Du Bellay, La Fontaine et même Rimbaud utilisent la déshumanisation et l’animalisation pour mieux rabaisser leurs
cibles. Chez Du Bellay, les courtisans sont comparés à des « singes » ; il file la métaphore en insistant sur l’attitude
mimétique et insensée de ces courtisans. La Fontaine se sert des animaux pour éviter la censure, mais les rôles sont
clairs : le Lion représente le roi, et les autres animaux, ses sujets. Il peut ainsi dénoncer la spoliation des biens du
peuple par le pouvoir et la menace continue envers ceux qui tenteraient de se rebeller. Rimbaud, comme nous l’avons
déjà mentionné, insiste sur l’obésité des bourgeois avec la référence aux éléphants.
Les quatre auteurs ont aussi recours aux figures de style, notamment celles d’insistance et d’opposition, pour nourrir
leur satire. Ils recourent à des hyperboles pour qualifier les cibles qu’ils y exposent, tel Du Bellay qui déclare que les
courtisans ne savent « rien faire » (v. 2), hormis flatter et plaire, comme en témoigne l’anaphore en « si » (v. 5, 6, 9 et
11). Verlaine use aussi de l’anaphore (v. 10, 12 et 13 : « et puis ») pour créer un effet de gradation burlesque jusqu’aux
« héritiers resplendissants » (v. 14) que la cupidité fait rayonner. Les poètes du corpus utilisent également des figures
d’opposition pour souligner le comportement peu adapté de ceux qu’ils caricaturent. Ainsi, Du Bellay emploie un
chiasme au vers 8 et une antithèse au vers 10 pour souligner le mensonge et la duplicité des courtisans. La
monopolisation de la parole au style direct par le Lion de la fable révèle son arrogance et le peu de cas qu’il fait de son
peuple.
Grâce à leur ironie et à la virulence de leurs critiques qui cherchent à ridiculiser leurs cibles, les 4 textes présentés
relèvent alors de la satire et démontrent que la poésie est un art susceptible de dénoncer les travers de la société.

◆ Commentaire
Introduction
e
Verlaine est un écrivain de la seconde moitié du XIX siècle plus connu pour ses poèmes mélancoliques et son
obsession de la musicalité que pour sa verve satirique. Toutefois, le sonnet de « L’Enterrement » constitue une
exception réussie, prouvant que le « poète saturnien » est aussi capable d’exceller dans la poésie satirique. En effet,
dans cette œuvre, Verlaine dépeint un enterrement à la fois pittoresque, réaliste, paradoxal et grinçant pour dénoncer
Poésies d’Arthur Rimbaud – 17

les travers des bourgeois et faire rire son lecteur. En quoi le récit décalé de cette scène permet-il à la satire de
s’exercer ? Nous montrerons d’abord que ce sonnet fait la description atypique d’un enterrement, puis nous montrerons
qu’il constitue une scène satirique à part entière.

1. La vision décalée d’un enterrement


A. Une cérémonie en apparence traditionnelle
Le poète suit tous les rites traditionnels et présente les personnages typiques d’un enterrement (prêtre, enfant de
chœur, fossoyeur, défunt, croque-morts, héritiers…), mais aussi les étapes chronologiques (inhumation, discours,
chants) et les lieux communs (éloge funèbre…).
B. Mais en réalité un éloge paradoxal
• En effet, Verlaine présente l’enterrement comme quelque chose de gai et de plaisant. Il en fait un éloge inattendu et
paradoxal.
• Champs lexicaux de la joie (« allègrement », « gai », « charmant »…) et du confort (« douillettement », « mol
éboulement », « édredon »…). Certains termes sont choquants : le « trou » (v. 6) désigne la fosse ; le mort est qualifié
d’« heureux drille », et le fossoyeur chante ; les rimes sont provocantes (« enterrement »/« allègrement ») et
antithétiques.
C. La présence singulière du poète
Présence du « je » poétique qui vient commenter et installer une distance ironique avec la gravité et la solennité du
sujet traité (v. 1 : « je » et v. 9 : « me »). Le « je » poétique introduit un écart par son insistance désinvolte sur la gaieté
(v. 1) et l’aspect « charmant » des enterrements. On observe également une certaine oralité du poème avec l’anaphore
commençant par « Et puis » (v. 10, 12 et 13) ou les expressions « tout cela » et « en vérité », qui confèrent au texte le
ton d’une conversation commune. Des expressions étranges comme « un bon mort » ou des termes surprenants ici
(« rondelets », « douillettement ») achèvent de former un spectacle incongru.
Ainsi, bien que tous les éléments traditionnels de l’enterrement soient convoqués dans ce sonnet, l’atmosphère de
gaieté qui s’en dégage de même que la présence et la voix décalées du poète confèrent une étrangeté certaine à cette
cérémonie. Toutefois, une lecture plus approfondie révèle que celle-ci est surtout un prétexte pour dénoncer avec
e
humour les travers de la société codifiée et hypocrite du XIX siècle.

2. Une scène satirique


Ce sonnet n’est pas, à proprement parler, un poème engagé visant à dénoncer un état de fait, mais plutôt une critique
et un constat amers et désabusés de Verlaine qui analyse, avec une lucidité effrayante, l’indifférence réelle de ses
contemporains face à la mort et au deuil.
A. Une structure poétique signifiante
• Dernier vers : « Les héritiers resplendissants ». L’ironie est à son comble. Verlaine blâme l’indifférence des héritiers,
leur absence de peine et de chagrin, mais surtout leur cupidité face à l’imminence de la succession. Le fait que ce
dernier vers, que l’on appelle « la pointe » du sonnet, soit écrit en octosyllabes crée un effet d’insistance et de contraste
et révèle le véritable sens du poème : il ne s’agit pas seulement de réaliser un exercice de style appelé « éloge
paradoxal », mais encore de dénoncer une société superficielle et sans cœur.
• L’usage du présent de narration donne au lecteur l’impression que la scène se déroule sous ses yeux.
B. Le règne de l’argent et des apparences
En apparence, le protocole et la solennité de l’enterrement sont respectés. Mais le champ lexical de l’argent contamine
le sonnet dès le premier quatrain (v. 2 : « la pioche qui brille » comme une pièce de monnaie, v. 11 : « pourboires »,
v. 13-14 : « fronts où flotte une gloire / Les héritiers resplendissants »). Chacun pense aux bénéfices qu’il va retirer de
cette cérémonie au lieu de se recueillir et de réfléchir à la mort.
C. La dénonciation des travers de la société du XIXe siècle
• Hypocrisie générale : le fossoyeur, le prêtre, l’enfant de chœur et les croque-morts, tous ces « professionnels » de la
mort sont joyeux car il fait beau (cf. « la pioche qui brille » au soleil). Les croque-morts sont particulièrement visés : on
comprend que les enterrements sont très rentables pour eux et leur permettent de satisfaire leur gourmandise (v. 10 :
« rondelets ») et leur alcoolisme (v. 11 : « au nez rougi par les pourboires »). Il est intéressant de noter que
« pourboire » est, ici, à prendre au sens étymologique de « pour boire ».
• Mais les apparences sont maintenues : le prêtre est en « blanc surplis », les croque-morts portent un « frac », et les
héritiers font de « beaux discours ».
• Les discours des héritiers sont « concis ». Le champ lexical de la vitesse (« concis », « lançant », « allègrement »…)
souligne la « volonté de ne pas s’attarder » (cf. l’enterrement du Père Goriot chez Balzac). Leur description finale
(« cœurs élargis ») semble montrer qu’ils sont en extase à l’idée du pactole à partager.
Sujets d’écrit – 18

Conclusion
Dans ce poème en apparence léger et joyeux, Verlaine s’essaie à un éloge paradoxal. Au-delà de la provocation et
sous la satire pointent les véritables sentiments de l’auteur, à la fois choqué et en colère contre l’hypocrisie et la cupidité
de ses contemporains, mais aussi angoissé par la mort, révélant ainsi sa sensibilité de poète face aux grands thèmes
existentiels. Ces mêmes thématiques étaient déjà présentes chez Balzac, notamment dans son roman Le Père Goriot
(1835) qui se clôt sur l’enterrement du personnage éponyme dans la solitude et l’indifférence les plus extrêmes puisque
même les filles du défunt n’ont pas daigné s’y montrer.

◆ Dissertation
Introduction
La poésie, du grec poien qui signifie « faire, créer », permet donc étymologiquement de produire un discours différent
sur le monde et/ou le langage. Certains auteurs considèrent qu’elle est une arme unique et exceptionnelle pour critiquer
la société et ses travers. Pour autant, la poésie, si elle peut s’avérer un outil efficace de contestation sociale, n’a-t-elle
pas d’autres visées plus spécifiques ? Nous verrons, dans un premier temps, dans quelle mesure la poésie peut
constituer une arme redoutablement efficace pour critiquer la société, puis nous montrerons que, si la poésie engagée
existe, elle ne constitue toutefois qu’une part infime des rôles que peut endosser le langage poétique.

1. La poésie comme outil de contestation sociale


De nombreux auteurs choisissent la poésie pour exprimer leur colère et leur indignation sur des faits de société et pour
affirmer leurs choix politiques.
A. L’engagement réel du poète
• Lutte de Victor Hugo contre Napoléon III, qui lui vaut un exil à Guernesey pendant vingt ans.
• Prise de position de Rimbaud en faveur des communards.
• Engagement de René Char dans la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale.
B. La puissance du langage poétique
• La force et l’aspect envoûtant du slam. Cf. le poème « T’as tes papiers ? » de Sissy B (Anthologie du slam, Nathan,
pp. 33-34) : texte qui dénonce le racisme ordinaire en France où les individus sans papiers sont tolérés pour réaliser les
tâches subalternes que personne ne veut faire mais rejetés en tant qu’individus.
• La puissance évocatoire de la poésie en général et du slam en particulier, grâce à la musicalité qu’ils génèrent, permet
donc au genre poétique de sensibiliser les lecteurs à des faits de société ou à des sujets politiques.
C. Le poète, être doué d’une conscience sociale
• La dénonciation des injustices sociales :
– Charles Baudelaire, « Le Crépuscule du matin » (Les Fleurs du Mal) : description d’un « sombre Paris », regard du
poète qui redonne une dignité et une existence à tous les malheureux (« les pauvresses, traînant leurs seins maigres et
froids ») ;
– Victor Hugo, « Melancholia » (Les Contemplations) : dénonciation du travail des enfants (« ils s’en vont travailler
quinze heures sous des meules ») ; poème qui, par ses figures de style, ses rimes, son rythme, touche et persuade le
lecteur ; effets sur ce dernier bien plus efficaces qu’un discours théorique contre le travail des enfants.
• L’engagement politique :
– l’engagement de Rimbaud contre la guerre dans « Le Dormeur du val » ;
– les poètes de la Résistance : Desnos, René Char, Tardieu (« Oradour ») ;
– les poètes de la négritude : Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire.
Le poète peut, certes, s’engager pour dénoncer des faits de société et prendre des positions politiques, mais ce ne sont
pas les fonctions premières de la poésie qui vise, avant tout, à exprimer les sentiments et la vision du poète.

2. Les autres fonctions de la poésie


La poésie est un terrain d’expérimentation du langage privilégié, mais elle est aussi, et peut-être avant tout, un lieu
d’expression de ses sentiments et de sa vision du monde.
A. La poésie comme art du langage
Parfois, les poètes ne cherchent pas à dénoncer ou critiquer quoi que ce soit, ni à exprimer leurs sentiments
personnels. Ils envisagent, avant tout, la poésie comme un jeu sur le langage, un moyen, comme le disait Verlaine,
d’exprimer « de la musique avant toute chose ».
• Recherche de « l’art pour l’art » : Théodore de Banville, les poètes parnassiens.
• Recherches poétiques sur le signifiant/signifié : Stéphane Mallarmé.
Poésies d’Arthur Rimbaud – 19

• Jeux poétiques, calligrammes, etc. : Guillaume Apollinaire, Raymond Queneau.


• Poètes surréalistes : découvertes esthétiques, exploration du thème du rêve, libération du langage et de l’imaginaire
(cadavres exquis…).
B. La poésie lyrique comme expression de ses sentiments
• Louise Labé, « Je vis, je meurs » : célèbre sonnet qui évoque les contradictions de l’état amoureux entre espoir et
désespoir, tristesse et joie…
• Paul Verlaine, « Ô triste, triste était mon âme / À cause, à cause d’une femme » (Romances sans paroles) : poème qui
témoigne des souffrances et des passions (au sens étymologique) ressenties par Verlaine qui s’éloigne de son épouse
Mathilde du fait de son attirance pour Rimbaud.
• Paul Eluard, Capitale de la douleur : le poète rend hommage à Gala, sa muse/épouse, et chante les beautés de la
femme et de l’amour.
La poésie lyrique exprime donc des sentiments amoureux, heureux ou malheureux. Elle touche à l’intime, sans
s’attacher à son époque.
C. La poésie comme célébration du monde
Le poète peut aussi choisir de porter son regard et donc ses mots sur le monde qui l’entoure et célébrer la beauté de la
nature ou l’aspect fascinant des villes. Souvent, le paysage reflète les pensées et les émotions du poète et devient ainsi
un « paysage mental ».
• Alphonse de Lamartine, « Le Lac » (Méditations poétiques) : l’évocation de ce lieu chargé en émotions permet au
poète de rassembler ses souvenirs et de se lamenter sur la fuite du temps et l’imminence de la mort (thèmes chers aux
poètes romantiques).
• Charles Baudelaire, « L’Invitation au voyage » : la description d’un lieu idyllique se mêle à l’évocation d’un amour idéal
(« Là tout n’est qu’ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté »).
• Émile Verhaeren, Les Villes tentaculaires : dans ce recueil, le poète symboliste belge offre une vision puissante et
originale de l’univers urbain de son époque. Toutefois, ici, il ne s’agit pas seulement de critiquer mais surtout de
présenter un univers fascinant (cf. « Les Usines » : si le poème semble commencer par une critique sociale [v. 6 : « Et
la misère en pleurs de ces faubourgs »], il s’achève, en réalité, sur une recréation poétique [v. 30 à 33 : « L’âpre effort
s’interrompt, mais demeure en arrêt […] Et l’ombre, au loin, parmi les carrefours, paraît / De la brume d’or qui
s’allume » ; la position de contre-rejet du groupe nominal « brume d’or » ainsi que sa position finale créent un effet
d’insistance sur cette image poétique et féerique). Le poète est donc bien aussi et avant tout celui qui « donne à voir »
autrement.
• Francis Ponge, Le Parti pris des choses : dans ce recueil, le poète donne à voir différemment les objets du quotidien
(ex. : « Le Cageot », « Le Pain »…).

Conclusion
Si, depuis toujours, les poètes utilisent leur art pour dénoncer les situations qui les révoltent ou pour s’engager
politiquement ou socialement, la critique n’est cependant pas la fonction première de la poésie qui est aussi et d’abord
un art du langage et un moyen, pour un poète, d’exprimer ses sentiments et sa vision du monde.
D’autres genres comme le théâtre social, le roman, le conte philosophique et l’apologue sont plus à même de critiquer
la société.

◆ Sujet d’invention
Il s’agit d’écrire un dialogue argumentatif entre deux critiques littéraires. Le dialogue doit clairement présenter une
divergence de point de vue et d’opinion. L’un des protagonistes doit soutenir que la fonction première de la poésie est
son utilité sociale, alors que son contradicteur doit prouver que la poésie possède de nombreuses autres fonctions.
On attend une certaine cohérence dans les propos et les postures des deux interlocuteurs. Celui qui défend l’utilité de la
poésie doit se caractériser par son engagement social et politique, un certain dogmatisme dans les propos et un
manque de souplesse dans le dialogue (donc des verbes de parole assertifs et catégoriques : affirmer, trancher,
couper, asséner…). L’autre interlocuteur doit être plus conciliant dans son ton et ses propos et chercher un consensus
par des arguments logiques.
Corpus supplémentaire – 20

CORPUS SUPPLÉMENTAIRE

CORPUS
Texte A : Aloysius Bertrand, « La Ronde sous la cloche » (Gaspard de la Nuit)
Texte B : Arthur Rimbaud, « Les Ponts » (Illuminations)
Texte C : Arthur Rimbaud, « Aube » (Illuminations)

Texte A : Aloysius Bertrand, « La Ronde sous la cloche »


« C’était un bâtiment lourd, presque carré, entouré de ruines, et dont la tour principale,
qui possédait encore son horloge, dominait tout le quartier. »
Fenimore Cooper
1
Douze magiciens dansaient une ronde sous la grosse cloche de Saint-Jean . Ils évoquèrent l’orage l’un après l’autre, et
2
du fond de mon lit je comptai avec épouvante douze voix qui traversèrent processionnellement les ténèbres.
Aussitôt la lune courut se cacher derrière les nuées, et une pluie mêlée d’éclairs et de tourbillons fouetta ma fenêtre,
tandis que les girouettes criaient comme des grues en sentinelle sur qui crève l’averse dans les bois.
3
La chanterelle de mon luth, appendu à la cloison, éclata ; mon chardonneret battit de l’aile dans sa cage ; quelque
esprit curieux tourna un feuillet du Roman de la Rose qui dormait sur mon pupitre.
Mais soudain gronda la foudre au haut de Saint-Jean. Les enchanteurs s’évanouirent frappés à mort, et je vis de loin
leurs livres de magie brûler comme une torche dans le noir clocher.
Cette effrayante lueur peignait des rouges flammes du purgatoire et de l’enfer les murailles de la gothique église, et
prolongeait sur les maisons voisines l’ombre de la statue gigantesque de Saint-Jean.
Les girouettes se rouillèrent ; la lune fondit les nuées gris de perle ; la pluie ne tomba plus que goutte à goutte des
bords du toit, et la brise, ouvrant ma fenêtre mal close, jeta sur mon oreiller les fleurs de mon jasmin secoué par l’orage.
Aloysius Bertrand, « La Ronde sous la cloche », Gaspard de la Nuit, 1842.

1. Saint-Jean : nom de la cathédrale de Dijon. Par ailleurs, saint Jean est l’auteur de L’Apocalypse, dernier livre de la Bible, qui décrit la
fin du monde. 2. processionnellement : à la façon d’un cortège. 3. chanterelle : corde la plus fine et la plus aiguë d’un instrument à
cordes et à manche.

Texte B : Arthur Rimbaud, « Les Ponts »


1
Des ciels gris de cristal. Un bizarre dessin de ponts, ceux-ci droits, ceux-là bombés, d’autres descendant ou obliquant
en angles sur les premiers, et ces figures se renouvelant dans les autres circuits éclairés du canal, mais tous tellement
longs et légers que les rives, chargées de dômes[,] s’abaissent et s’amoindrissent. Quelques-uns de ces ponts sont
2 3
encore chargés de masures . D’autres soutiennent des mâts, des signaux, de frêles parapets . Des accords mineurs se
4
croisent, et filent, des cordes montent des berges. On distingue une veste rouge, peut-être d’autres costumes et des
instruments de musique. Sont-ce des airs populaires, des bouts de concerts seigneuriaux, des restants d’hymnes
publics ? L’eau est grise et bleue, large comme un bras de mer. – Un rayon blanc, tombant du haut du ciel, anéantit
cette comédie.
Arthur Rimbaud, « Les Ponts », Illuminations, 1874-1875.
1. obliquant : tournant, allant de travers. 2. masures : maisons délabrées, taudis. 3. parapets : petits murs de protection. 4. cordes :
instruments à cordes.

Texte C : Arthur Rimbaud, « Aube »


J’ai embrassé l’aube d’été.

1
Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois.
J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.

2
La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.

3
Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.
Poésies d’Arthur Rimbaud – 21

Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au coq. À la
grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la
chassais.

En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son
immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois.

Au réveil il était midi.


Arthur Rimbaud, « Aube », Illuminations, 1874-1875.

1. au front : au fronton, sur la façade. 2. La première entreprise : la première à qui je m’adressai. 3. wasserfall : chute d’eau (en
allemand).

I. Après avoir lu tous les textes du corpus, vous répondrez à la question suivante (4 points) :
Comment justifiez-vous que ces textes appartiennent à la poésie ? Montrez qu’ils sont tous construits selon une
progression comparable.

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des sujets suivants (16 points) :
Commentaire
Vous commenterez le texte « Aube » d’Arthur Rimbaud (texte C).
Dissertation
Dans « Les Ponts » (texte B), Arthur Rimbaud met un terme à sa vision par cette phrase : « – Un rayon blanc, tombant
du haut du ciel, anéantit cette comédie. »
En vous appuyant sur les textes du corpus et les poèmes que vous avez lus ou étudiés en classe, vous vous
demanderez si la poésie nous éloigne du réel ou nous fait mieux percevoir la réalité.
Sujet d’invention
Vous avez composé un recueil de poèmes, en prose ou en vers, faisant une large part au rêve et à l’imaginaire, à la
manière d’Aloysius Bertrand. Vous écrivez à un éditeur pour le convaincre de publier cet ouvrage et défendre votre
démarche poétique.

◆ Question préliminaire
e
Le corpus se compose de 3 poèmes en prose écrits par deux auteurs du XIX siècle : le premier, « La Ronde sous la
cloche », est un poème d’Aloysius Bertrand qui raconte une scène apocalyptique de déluge où se mêlent fantasme et
réalité. Les 2 courts poèmes en prose d’Arthur Rimbaud appartiennent au recueil Illuminations : « Les Ponts » décrit un
paysage urbain hallucinatoire et dynamique où les ponts semblent doués de vie et « Aube » narre la course effrénée du
« je » poétique après l’aube personnifiée. Malgré une absence de rimes et de vers, ces 3 extraits appartiennent bien au
genre poétique. D’abord, nous étudierons la structure de ces textes, puis nous analyserons en quoi le travail sur le
langage « poétise » ces extraits et, enfin, nous verrons comment la transfiguration du réel, propre au genre poétique,
est à l’œuvre dans chaque texte.
Si les textes du corpus n’apparaissent pas sous la forme de poèmes traditionnels, avec des rimes, des vers et des
retours à la ligne, il faut noter que la présentation en paragraphes plus ou moins morcelés n’appartient pas à la prose
ordinaire. Le texte A présente de nombreux paragraphes plutôt équilibrés. Chez Rimbaud, l’usage du paragraphe n’est
pas figé : dans « Les Ponts », le poète choisit le bloc unique, invitant ainsi à lire le poème d’une traite, alors que le
poème « Aube » multiplie les paragraphes et les blancs de séparation. La structure originale du poème en prose prend
son sens grâce à la liberté formelle du paragraphe et à sa disposition, en elle-même déjà matériau poétique.
Ce qui rend ces extraits poétiques, c’est aussi le travail sur la langue. Les deux auteurs font la part belle aux figures de
style et aux effets de sonorité qui contribuent au caractère poétique de leurs œuvres : c’est le cas de la personnification
de la lune dans le texte A, comme celle de l’aube dans le texte C. Le langage est, ici, particulièrement soigné, comme
en témoigne l’antéposition de l’adjectif dans le texte A (« gothique église ») ou dans le texte C (« de frais et blêmes
éclats »). On observe aussi des comparaisons (texte A : « brûler comme une torche dans le noir clocher » ; texte B :
« comme un bras de mer »).
Enfin, l’ensemble du corpus présente des univers imaginaires (presque) autonomes grâce à la transfiguration du réel
qu’ils opèrent (la cathédrale de Dijon pour Aloysius Bertrand, les ponts pour Rimbaud). Chaque poème procède, peu ou
prou, de la même façon avec une description initiale ou un ensemble d’éléments descriptifs, qui précède cette
Corpus supplémentaire – 22

transfiguration. Le lexique des sensations et des perceptions présent dans le corpus crée la transformation et indique le
passage à l’état de rêve. Les poèmes s’achèvent brusquement, avec un retour au réel dans tous les cas.
Bien que l’ensemble du corpus soit surprenant au premier abord, tous les textes appartiennent bien au genre poétique,
tant par leur forme que par leur travail sur la langue ou la création d’un univers singulier.

◆ Commentaire
Voir le corrigé du poème (plan du commentaire suggéré dans la question 13).

◆ Dissertation
Introduction
La poésie est un genre ancien et complexe, comprenant de multiples formes dont les plus connues, telles que le sonnet
ou l’ode, sont étroitement liées au lyrisme, c’est-à-dire à l’expression de sentiments personnels. Ainsi, on associe
souvent la poésie à l’épanchement et à la confession, l’éloignant de la réalité pour la concevoir comme la construction
de l’univers intime du poète. Toutefois, la poésie peut aussi devenir discours sur le réel, la transfiguration poétique
jouant le rôle de révélateur, au sens chimique du terme, de ce réel.
La poésie nous éloigne-t-elle de la réalité ou nous permet-elle de mieux la percevoir, la comprendre, l’appréhender ?
Nous montrerons que, si la poésie semble nous éloigner du réel par la transfiguration qu’elle opère sur lui, elle permet
surtout la création de nouvelles visions et, en cela, nous rapproche de la réalité par l’attention qu’elle lui accorde et le
regard neuf qu’elle nous invite à poser sur elle.

1. La métamorphose du réel opérée par la poésie


A. Le mirage baroque
Le baroque, mot qui vient du portugais barroco (« perle irrégulière »), désigne un courant artistique qui privilégie l’excès,
l’illusion et l’audace d’un imaginaire valorisé. Par exemple, dans La Mer, Tristan L’Hermite nous décrit une mer
déchaînée : le réel est transfiguré et la mer apparaît comme un élément dangereux et inquiétant, qui abrite des figures
mythologiques.
B. La poésie crée une autre réalité grâce aux images innovantes du langage poétique
Paysage mental des romantiques (« Le Lac » de Lamartine). La poésie nous montre un aspect différent du réel (ici, le
paysage), car celui-ci est « contaminé » par la subjectivité poétique.
C. Le voyage poétique : un enchantement ?
• La poésie transforme le réel en n’en gardant que les aspects qui intéressent le poète : Baudelaire, « L’Invitation au
voyage » ; Rimbaud, « Rêvé pour l’hiver ».
• La poésie s’empare du réel pour l’éclairer sous un jour nouveau, nous en montrer des aspects oubliés ou négligés.

2. La création d’un univers poétique singulier


A. La poétique de l’insignifiant
• Certains poètes partent du réel le plus banal, le plus ordinaire, pour en faire un objet poétique : Francis Ponge, « Le
Pain », « Le Cageot », « L’Huître », etc. ; Jacques Prévert, « Le désespoir est assis sur un banc ».
• La poésie invite donc à interroger le réel et déclenche une réflexion sur les rapports que l’homme entretient avec lui.
B. La poésie explore l’imaginaire et le langage
La poésie s’intéresse à des aspects de l’humanité que la société néglige, tels que le langage, les jeux entre signifié et
signifiant :
– Expériences surréalistes : Raymond Queneau, « Bon Dieu de bon dieu que j’ai envie d’écrire un petit poème »
(L’Instant fatal, 1948), poème dans lequel l’écrivain s’amuse à se moquer de son inspiration et de son « objet-poème ».
– Stéphane Mallarmé : « Un coup de dé jamais n’abolira le hasard », poème obscur et mystérieux dans lequel le poète
travaille sur la forme du poème qui mime un lancer de dé, et qui véritablement éloigne du réel ou plutôt façonne un
univers propre à la poésie, autonome, avec ses propres règles.

Conclusion
La poésie est, avant tout, un changement de perspective. Grâce à la musicalité, aux figures de rhétorique, elle crée une
autre réalité ou nous permet d’appréhender autrement ce que nous connaissons. La relation de la poésie au réel n’est
pas aussi binaire que le sujet le laissait entendre, puisque ce ne sont pas forcément deux entités distinctes. La poésie
est une forme de réel qui s’attache à rendre immortelle « la petite seconde d’éternité » (Jacques Prévert, « Le Jardin »,
Paroles, 1946) de réel que le poète veut exprimer.
Poésies d’Arthur Rimbaud – 23

◆ Sujet d’invention
La forme générale de cette production écrite devra garder les codes de la lettre officielle. Le vouvoiement sera de
rigueur.
Pour ce sujet d’invention, il faut absolument utiliser toutes les ressources de l’argumentation (convaincre et persuader).
Il est donc indispensable d’employer des connecteurs logiques et des arguments pour convaincre l’éditeur de vous
publier. Il faut également utiliser des arguments d’autorité et se placer dans la lignée d’Aloysius Bertrand en prouvant à
l’éditeur en quoi vous en êtes l’héritier ou l’héritière (thèmes, figures de style, construction du poème, etc.). Il faut aussi
user de persuasion grâce aux figures de style et à la ponctuation expressive destinées à toucher votre correspondant.
Il faudra justifier le choix des poèmes en prose ou en vers à l’aide d’arguments solides. Vous devrez justifier le choix de
la prose par un désir de renouvellement poétique, une aspiration à une liberté formelle absolue, mais aussi l’intention de
toucher un public plus large qui, ainsi, ne sera pas rebuté par l’artifice de la rime et du vers. Inversement, vous
défendrez le choix du recueil en vers en vous plaçant dans la lignée d’une prestigieuse tradition littéraire versifiée, en
insistant sur la dimension esthétique (visuelle et sonore) du poème en vers, en montrant (par exemple) à quel point le
sonnet permet une exactitude absolue dans la description des sentiments du fait de sa concision…
Pistes pédagogiques – 24

PISTES PÉDAGOGIQUES
• Il serait intéressant de comparer le poème « Ophélie » de Rimbaud avec l’extrait de Hamlet (acte IV, fin de la scène 7,
disponible sur Internet dans sa traduction française) et le tableau d’Eugène Delacroix intitulé La Mort d’Ophélie (1844)
que l’on peut voir au Louvre ou sur Internet.

• Il est également possible de comparer les visions de l’amour dans un corpus de poèmes amoureux.

Texte A : Théophile Gautier, « À deux beaux yeux » (La Comédie de la mort, 1838)
Vous avez un regard singulier et charmant ;
Comme la lune au fond du lac qui la reflète,
Votre prunelle, où brille une humide paillette,
Au coin de vos doux yeux roule languissamment ;

Ils semblent avoir pris ses feux au diamant ;


Ils sont de plus belle eau qu’une perle parfaite,
Et vos grands cils émus, de leur aile inquiète,
Ne voilent qu’à demi leur vif rayonnement.

Mille petits amours, à leur miroir de flamme,


Se viennent regarder et s’y trouvent plus beaux,
Et les désirs y vont rallumer leurs flambeaux.

Ils sont si transparents, qu’ils laissent voir votre âme,


Comme une fleur céleste au calice idéal
Que l’on apercevrait à travers un cristal.

Texte B : Paul Verlaine, « Mon Rêve familier » (Poèmes saturniens, 1866)


Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon cœur, transparent


Pour elle seule, hélas ! cesse d’être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? – Je l’ignore.


Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,


Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

Texte C : Arthur Rimbaud, « Première Soirée », 1870 (pp. 55 à 57 du livre de l’élève)

Texte D : Robert Desnos, « Non, l’amour n’est pas mort » (Corps et Biens, Gallimard, 1930 – reproduit page 363
nde
du manuel L’Écume des lettres, classe de 2 , Hachette)
Poésies d’Arthur Rimbaud – 25

BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE
– René Étiemble, Le Mythe de Rimbaud : genèse du mythe (1869-1949), Gallimard, 1954.
– Marcelin Pleynet, Rimbaud en son temps, Gallimard, 2005.
– Collectif, Rimbaud ailleurs, Fayard, 2004.

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