Sunteți pe pagina 1din 32

Les Séparés

Doppelgänger 1/3

avec Bruant & Spangaro, Cécile


Dauchez, Koenraad Dedobbeleer,
Karl Holmqvist, David Lamelas,
Claire Fontaine & Karl Holmqvist,
Toshio Matsumoto, Corin Sworn

Commissaire invité : Vincent Romagny


Doppelgänger
Un cycle de trois expositions au CEAAC par Vincent Romagny

Le terme Doppelgänger signifie « sosie » en allemand et renvoie à l’idée du double, mais laisse
planer un doute sur sa réalité : s’il est identique, est-il distinct pour autant ? De plus, rien n’indique
comment ce double est généré. Ce n’est pas un résultat, une fin en soi, c’est un mode de production
de l’œuvre, de nos vies cachées, du monde humain peut-être. De dimension mythologique indécise,
le Doppelgänger est fondamentalement romantique et littéraire : la reprise qu’il implique a ceci
de particulier, par rapport à notion classique de sosie, qu’elle est interne. Du fait de la dimension
intérieure du phénomène de dédoublement, l’individu se perçoit comme autre que soi-même, tout
en étant lui-même. Quoique forcément vécu dans l’intimité, cet effet de dissociation est largement
partagé, au moins dans de faibles occurrences, si ce n’est jusqu’à l’expérience du désordre. Aussi, le
Doppelgänger navigue entre figure de la déstructuration et structure universellement partagée.

Processus presque personnifié, le Doppelgänger est la cause des heurts, constitutif de nos psychés,
de notre subjectivité. Il n’y a de Doppelgänger que dans la solitude, pas dans une répétition aboutie
mais au contraire dans une réitération incomplète, impossible, qui n’abouti ni à l’autre ni au même,
sans cesse repoussée. Et cette « inquiétude » est pourvoyeuse de formes, qu’elles en soient un signe
ou bien encore l’image. Si la question de savoir quels en sont les signes peut vite être résolue -
c’est l’art, la littérature, les conquêtes et les désastres - quelles en seraient les images ? Car le
Doppelgänger est superposition d’opérations contradictoires : dissociation autant que dédoublement,
combinaison d’opérations similaires mais opposées dans leur modus operandi, et qui pourtant
coexistent… Se pourrait-il que des œuvres puissent en être l’image ? Que des expositions tâchent
d’en rendre compte ?
2

Le cycle de trois expositions Doppelgänger proposera d’en croiser plusieurs figures possibles.
Ces trois expositions constituent autant d’hypothèses sur ses modes de formation et d’existence,
qu’on ne saurait imaginer, déconstruire ou induire. Il faudra donc les suivre, en les considérant
comme des guides, relever leurs traces écrites, car peut-être seule la succession des phrases -
le temps - peut en rendre compte.
Les œuvres seront alors un écho, un reflet de textes qu’on tâchera de suivre pour leur capacité
à donner l’indice - plus que la preuve - de l’existence du Doppelgänger, de ses formes secrètes :
Pétrole, le roman inachevé de Pasolini, Les Âmes du peuple noir de W.E.B. Dubois et Les Géorgiques
de Claude Simon. Pour autant qu’ils nous perdront, avant cela même, ces écrits nous permettront
de l’aborder par le biais de quelques distinctions - séparation, dédoublement, multitude - qui ne
survivront jamais à leur statut d’hypothèses puisque très vite chacune de ces opérations appellera
les autres. Les expositions Les Séparés (10 novembre 2012 - 6 janvier 2013), The Souls (9 février -
28 avril 2013) et Les Géorgiques (29 septembre - fin décembre 2013), en feront leur soubassement
à peine caché, l’armature à lire.

LES SÉPARÉS

À sa mort, Pier Paolo Pasolini laissait derrière lui un roman-fleuve inachevé de près de 600 pages et
qu’il prévoyait d’une longueur de 2000 pages. Il en parla dans une interview comme d’une « espèce
de ‘summa’ de toutes [ses] expériences, de tous [ses] souvenirs » (Stampa Sera, 10 janvier 1975).
Cette ultime œuvre est à la fois mythologique (« mon histoire n’est pas une histoire mais
une parabole », (P.P.P., Pétrole, Paris, Gallimard, Coll. « Du monde entier », 2006, p.433) et
quotidienne (un scandale politico-financier lié au pétrole lui inspira le projet et il reprit de
larges extraits à la presse de son époque), esthétique et politique (son inquiétude du retour du
fascime dans la société de consommation est concomitant à l’invention de nouvelles formes
d’écriture), littéraire et cinématographique (des passages des Possédés de Dostoievski sont
3
repris tels quels, son écriture est contemporaine à la réalisation des Mille et Une Nuits et de Salo
ou les 120 journées de Sodome), romanesque et critique : sa décision n’est pas « d’écrire une histoire,
mais de construire une forme » (p.172). Reprenant la distinction du formaliste russe Victor Chlovski,
son roman n’est pas « ’en brochette’, mais à ‘grouillement’ » (p.443), c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas
de faire se suivre les péripéties, mais de les amalgamer pour donner naissance à ce qui relève plus du
« poème » que de la forme strictement romanesque tant le livre est polyphonique et multiple. Pour
atteindre de tels buts, Pasolini a recours à la division en deux du héros, Carlo.
Facteur de « désordre » essentiel, cette séparation binaire sera suivie d’autres multiplications de ses
occurrences, ainsi que de plusieurs changements de sexe d’un des deux personnages. Ici, on l’aura
compris, le Doppelgänger ne relève pas de la réminiscence temporelle, de la copie, du jeu du retour
des formes. Ce n’est pas un résultat, une fin en soi, c’est un mode de production de l’œuvre, dont la
dimension existentielle et vécue est toujours réaffirmée.

En résonance avec la célèbre phrase d’Antonin Artaud, « Je suis séparé », l’exposition « Les Séparés »
tâchera d’évoquer la figure du sujet, et d’une possible dualité originaire, vécue souvent
comme déchirement et facteur de trouble comme de roman : un double né par scission, pas
complètement autre. Un mouvement que l’œuvre enregistre ou transmet, un mouvement qui
la parcours aussi. Les œuvres présentées dans l’exposition « Les Séparés », à l’instar du néon de
Claire Fontaine et Karl Holmqvist, Untitled (The Weeping Wall inside us All), qui accompagnera
le cycle de trois expositions, en sont donc l’indice, le récit, le témoignage, l’effet encore palpable
Images de l’acte même de la séparation (Cécile Dauchez), de possibles structures mentales
ou psychologiques (Koenraad Dedobbeleer, David Lamelas), ou effets de cette séparation
primordiale (Bruant & Spangaro, Corin Sworn, Toshio Matsumoto), les œuvres présentées n’ont
en commun ni médium ni sujet, mais une structure paradoxale : une séparation n’en finissant pas
de se faire, que nulle suture ne saurait résorber, et qui n’aboutit pourtant jamais.

On en retrouvera dans les pages suivantes le relevé : des extraits de l’édition publiée en 1992
dans la collection « Du monde entier » chez Gallimard, traduite par René de Ceccaty. Celle-ci a été
4
été établie « sous la forme exacte qu’avait le manuscrit » (cf. texte de présentation de la quatrième
de couverture). La ponctuation de ce relevé en rend compte.

L’expérience de la lecture et celle de l’œuvre sont incommensurables, sans rapport ni commune


mesure. Pourtant je pense à des livres dans des expositions et remplis mes livres d’images
découpées, cartes postales et cartons d’invitation. En même temps que je notais dans les marges
des passages de Pétrole de Pasolini, je glissais les images des œuvres des artistes. A moins que
je n’ai cherché dans ces écrits la confirmation des intuitions que partageaient les œuvres.
Manière de continuer à épaissir les notes, de prolonger le « brouillement » cher à son auteur.
Doppelgänger
A three exhibition cycle at CEAAC by Vincent Romagny

In German the term Doppelgänger means « a double », while leaving a lingering doubt as to the
figure’s reality: the Doppelgänger is identical, but does this mean it is separate? Moreover, there is
no indication of how this second self is generated. It is not an outcome, an end in itself: it is a mode
of production of the work of art, of our hidden lives, of the human world perhaps. Endowed with
an uncertain mythological dimension, the Doppelgänger is fundamentally romantic and literary: the
recommencing it involves has the particular characteristic, in relation to the classical notion of the
double, of being internal. The interior aspect of the phenomenon of splitting leads the individual
to consider himself as something other, while remaining himself. Necessarily experienced privately,
this dissociation effect is quite common, at least to a limited degree and sometimes to the point
of breakdown. Thus the Doppelgänger fluctuates between being a figure of destructuration and a
universally shared structure.

As an almost personified process, the Doppelgänger is the cause of the clashes making up our psyches,
our subjectivity. The Doppelgänger exists only in solitude: not in a fully achieved repetition, but, on
the contrary, in an unfinished, impossible, endlessly postponed reiteration culminating in neither
otherness nor sameness. This « disquiet » provides forms, which may be a sign or an image of itself.
The question of what those signs are is quickly answered - art, literature, conquests, disasters - but
what of the images? For the Doppelgänger is an overlaying of contradictory operations: dissociation
as much as splitting-off, a combination of operations that are similar but opposed in terms of their
modus operandi, and yet coexistent. Might it be that works of art are its image? And that exhibitions
strive to give an account of this?
5

The three-exhibition Doppelgänger cycle will bring together several possible versions of the
phenomenon. The exhibitions represent three hypotheses regarding its modes of formation and
existence, which cannot be imagined, deconstructed or induced. We must follow them, then, as if
they were guides, picking up their written traces: for perhaps only the succession of sentences - time
- can give an account of them.
Thus the works will be an echo, a reflection of texts we shall try to follow for their ability to provide
the clue - rather than the proof - to the existence of the Doppelgänger in all his secret forms:
Pasolini’s unfinished novel Petrolio, W.E.B. Dubois’ The Souls of Black Folk and Claude Simon’s
The Georgics. Ultimately they will leave us feeling lost, but beforehand these writings will enable us
to address the issue via the practice of various distinctions - separation, splitting, multitude - which
will never outlive their status as hypotheses, for very quickly each of these operations will summon
up the others. The exhibitions The Separate (10 November 2012 - 6 January 2013), The Souls
(9 February - 28 April 2013) and The Georgics (29 September - late December 2013) will use them
as a scarcely hidden underpinning, a framework to be read.

THE SEPARATE

Pier Paolo Pasolini died leaving behind him almost 600 pages of an unfinished roman-fleuve he
saw as running to 2000 pages. In an interview in Stampa Sera of 10 January 1975 he spoke of it
as a compendium of all his experiences and memories. This ultimate work is at once mythological -
« My story is not a story but a parable »; everyday - the project was inspired by a political/financial/
oil industry scandal, and Pasolini draws directly and extensively on the press of the time; aesthetic
and political - his concern about the return of fascism in the consumer society goes hand in hand
with the invention of new forms of writing; literary and cinematic - excerpts from Dostoievsky’s
The Possessed are included word for word, and the work was written while he was making A
Thousand and One Nights and Salo, or the 120 Days of Sodom; and novelistic and critical - he
6
had decided « not to write a story, but to construct a form. » Drawing on the distinction made by
Russian Formalist Victor Shklovski, his novel is not, he says, linear like meat speared and cooked
on a skewer, but a « swarming »: the point is not to create a succession of episodes, but to throw
episodes together and give birth to something which, given the book’s multiple, polyphonic
character, will be closer to poetry than to any strictly novelistic form. To achieve his purposes,
Pasolini resorts to dividing his hero, Carlo, in two. A crucial « disorder » factor, this binary separation
is followed by a host of similar occurrences, among them several changes of sex by one of the
two characters.
Clearly, then, the Doppelgänger is not a matter of temporal recall, of a copying, of the game of the
return of forms. It is not an outcome, an end in itself; it is a mode of production of the work of art
whose existential, experiential aspect is constantly reasserted.

Echoing Antonin Artaud’s famous declaration, « I am separate », the exhibition The Separate will
set out to evoke the figure of the subject and of a possible originary duality often experienced
as a rending and as a factor for disturbance as well as for novelising: a double born of a scission,
incompletely other. A movement the work records or transmits, even as it is permeated by it.
The works making up the The Separate exhibition are, like Claire Fontaine and Karl Holmqvist’s
neon piece Untitled (The Weeping Wall inside us All), which will be present in all three exhibitions,
are the clue, the narrative, the account, the still palpable effect of this movement. Whether images
of the very act of separation (Cécile Dauchez), of possible mental or psychological structures
(Koenraad Dedobbeleer, David Lamelas), or of effects of this primordial separation (Bruant &
Spangaro, Corin Sworn, Toshio Matsumoto), the works have in common neither medium nor
subject, but rather a paradoxical structure: an endlessly ongoing separation that no suturing
can draw together, yet which will never become final.

A round-up of it is presented in the following pages: extracts from the 1992 French edition of
Petrolio published by Gallimard in René de Ceccaty’s translation. This edition is based on « the exact
form of the manuscript » (see the back cover text). The punctuation of this round-up reflects that.

The experience of reading and that of the work of art cannot be compared: they are unrelated 7
and of utterly different proportions. And yet I think of books in exhibitions and I fill my books
with cutout images, postcards and printed invitations. At the same time as I was noting passages
from Pasolini’s Petrolio in the margins, I was slipping in images of the artists’ works. Unless I was
seeking in these writings the confirmation of the intuitions shared by the books. A way of continuing
to bulk out the Notes, of extending the « swarming » so dear to its author.
PÉTROLE (Roman)

Un homme et son double, ou son sosie. Le héros est tantôt l’un tantôt l’autre.
Si A a un sosie B, B a un sosie A, mais dans ce cas lui-même est A.
C’est la dissociation schizoïde qui divise en deux une personne, réunissant en A quelques caractères
et en B d’autres, etc.

A est un bourgeois riche, cultivé, un ingénieur qui s’occupe de recherches pétrolières. Il fait partie du
pouvoir, il est intègre (mais cultivé, avec des ouvertures à gauche, etc. : tout cela implicite)*.

B l’homme aux caractères ‘mauvais’ est au service d’A l’homme aux caractères ‘bons’ : c’est son serviteur,
on lui réserve la basse besogne. Entre les deux dissociés il y a une entente parfaite. Un vrai équilibre.

Renversant la situation, A, l’homme aux caractères mauvais, se sert de B, l’homme aux caractères bons,
pour se justifier envers la société et se garantir une immunité par rapport à la police, la magistrature,
etc.

Partant pour un voyage officiel avec le Chef du Gouvernement qui va dans un pays du Moyen -
Orient - A le bon laisse B le méchant à Rome : mais peu avant de partir, il s’aperçoit que B est une
femme. (Il le (?) par complexe de castration devant les jeunes de 68). Il ne peut différer son départ.
B, l’homme aux caractères ‘mauvais’, et de plus femme, reste seul à Rome, s’adonne à la basse besogne :
mais il ne cherche plus de femmes (soeurs mères etc.), il cherche maintenant des hommes, des sexes
8 masculins. Il se précipite sur cette route dans l’infini, dans l’anomie. Protégé par la solitude et la liberté
totale - signifié par le séjour de son Double en Orient - il parvient à se dégrader sans limites. Son désir
est maintenant de faire l’amour avec vingt hommes, pas un de plus, pas un de moins. Naturellement
il y parvient. La chose, organisée, se réalise dans un terrain vague, sur la boue, pendant qu’il pleut
des trombes, etc.

Les vingt jeunes gens qui ont fait l’amour, un par un ou en groupes, s’en vont. Ils se dirigent vers
les lieux où se déroule habituellement leur vie (très réalistement indiqués ; mais derrière un tournant,
au bout d’une rue, dans le noir d’une cour, dans l’embrasure d’une porte, etc.

C’est-à-dire là où ils disparaissent dans leur vie pour ne plus se présenter à nouveau, comme engloutis
dans le néant - ils sont tués des façons les plus diverses : et toutes prodigieuses : symboles des raisons
véritables pour lesquelles on meurt dans le monde moderne (qu’il s’agisse de mort physique ou d’une
autre mort).
Revenu du Moyen-Orient (devoirs publics, journalistes, résultats économiques et scientifiques) A,
l’homme bon ne retrouve plus B, l’homme méchant devenu femme. Il perd son équilibre et doit
lui-même pourvoir à la basse besogne à laquelle il avait cantonné B : il se dégrade, il affronte avec
sa présence physique et sa conscience ces situations dont il s’était toujours tenu éloigné. Naturellement,
il ne peut poursuivre. Il doit choisir d’être seulement ‘public’ et donc ‘saint’. Politiquement et donc
‘saint’.

Politiquement et socialement, le résultat est qu’il se déplace beaucoup plus à droite, presque jusqu’à
une alliance implicite avec les fascistes. Entre-temps, il est devenu femme lui aussi, et il fait l’amour
avec un jeune fasciste sicilien, qui le contraint à des actes que seul son Double pouvait accomplir, mais
qu’il n’a pas été en mesure de tolérer, etc.

Après avoir fait l’amour avec A, le fasciste va vers chez lui : il meurt lui aussi dévoré par un
Monstre.

A a vaincu, forcé par les circonstances, la pudeur, le lien avec sa conscience bourgeoise, qui l’empêchait
d’être B : il veut répéter l’acte que le jeune fasciste lui a enseigné une fois pour toutes. Sur cette route,
il parvient a l’infini, à l’anomie - comme y était innocemment parvenu B.
Lui aussi, il doit faire l’amour au moins avec vingt hommes pour parvenir à la dégradation extrême,
etc. Il organise la rencontre, avec vingt jeunes gens, etc. : dans une cave dégoûtante d’un faubourg.
Il fait l’amour avec tous*. 9

Quand ils ont fini de faire l’amour, les jeunes gens vont vers leurs maisons : mais ils habitent tous dans
le même quartier : l’un d’eux a décidé de jeter une bombe à la [gare Terminil]**. On ne sait pas trop
si c’est un anarchiste ou un fasciste. Les autres, ivres, et inspirés par des Monstres analogues à ceux qui
ont dévoré leurs compagnons, le suivent.

La bombe a explosé, une centaine de personnes meurent, leurs cadavres restent éparpillés et entassés
dans une mer de sang, qui inonde, dans des lambeaux de chair, les quais et les rails.
B (que nous n’appelons pas A simplement par souci de clarté) a une profonde nostalgie de la vie
timorée et rassurante qu’A lui garantissait. Du petit appartement misérable de banlieue où
il s’était cloîtré pour jouir sans limites de sa solitude, il part à la recherche d’A.
Mais le bel appartement d’A, au centre, est désert B s’appelle inutilement lui-même. Il ne le trouve
pas. Il se demande comment trouver un substitut d’A. L’Eglise et le Parti communiste ne servent plus
à rien. B n’a plus qu’à faire du Pétrole l’idéal de sa vie : il se castre tout seul. Il va prendre sa place au
bureau, où les fascistes avec lesquels A avait noué une tacite politique d’alliance se sont assurés une
plus large part de pouvoir. Avec un homme castré toutefois, les fascistes ne peuvent avoir de rapports
d’amitié et d’estime. Avec leur foncière vulgarité, ils chargent une fille de tenter B, castré, pour pouvoir
ensuite le ridiculiser en public (et le faire chanter pour l’éliminer).

Mais pendant que le pauvre B essaie de se défendre de la cour de la fasciste, arrivent les Monstres
dévoreurs, et ils soufflent une haleine pestilentielle sur les fascistes, les rendant horribles, à demi
putréfiés, infects, pleins de pustules et de pus. Ainsi réduits, ils ne peuvent plus ridiculiser B le castré :
au contraire, ils doivent s’adapter et se résoudre à vivre avec lui, dans le grand immeuble des recherches
pétrolières.

A, pendant ce temps, est allé habiter en pleine campagne, dans une vieille maison rustique, où il
ne voit plus personne : au Moyen-Orient, il avait été initié (par un occidental) aux mystères d’une
religion orphique : il approfondit cette initiation ; il devient un saint ; il est en rapport avec Dieu,
auquel il demande, indifféremment, le bien de tous. Dieu l’exauce.

Un Ange envoyé par le Dieu d’A, inconnu de tous, arrive dans l’immeuble du Pétrole, au cours
10 d’une séance à laquelle assiste également le Ministre des Participations de l’Etat : B le castrat et les
fascistes putréfiés ont donné une merveilleuse impulsion aux recherches scientifiques et l’organisation
économique. Tout marche comme sur des roulettes, malgré leur tragédie. L’ange les guérit. B redevient
un homme et les fascistes des être humains. Maintenant qu’ils sont guéris, ils doivent décider quoi
faire. Ils décident que tout continuera comme avant.

Printemps ou été 1972.

Mes yeux sont tombés par hasard sur le mot « Pétrole »,


dans un petit article, je crois, de I’Unita et ce n’est que
d’avoir pensé au mot « Pétrole » comme titre de livre,
qui m’a poussé à concevoir la trame de ce livre. En
moins d’une heure, cette ‘trace’ a été pensée et écrite.
Note 3
Introduction du thème métaphysique

(...)
Thétis qui est, bien sûr, encore plus pragmatique, comme celui qui veut le mal, et se contente du mal
qu’il peut faire tout de suite - parce qu’il restera toujours beaucoup de temps pour en faire d’autre -
répond sans hésitation : « Toi, prends ce qui est [à toi, et moi je prends ce qui est à moi]. » « À savoir ? »
s’informa, compréhensif, l’ange. « Toi - répond le diable - tu prends ton Corps. Et moi je prends l’autre
corps qu’il y a dedans. »

La proposition du diable est raisonnable ! Polis le regarde comme fasciné. Il se tait et le regarde. Et
pendant qu’il se tait et le regarde, un sourire monte du plus profond de lui, lentement, comme un ciel
sur lequel le vent balaie les nuées et peu à peu le rend parfaitement serein et lumineux : [jusqu’au
moment où le sourire], suscité par la proposition du diable, mais peut-être justifié par des calculs plus
profonds, se [changea en parole] <...> : « J’accepte - dit Polis - prends l’autre Corps. »
Thétis ne se le fit pas répéter deux fois : il sort de ses sordides poches un couteau, il en enfile la pointe
dans le ventre du corps de Carlo et y fait une longue entaille. Puis, avec les mains, il l’ouvre et
de l’intérieur des entrailles, il extrait un fœtus. D’une main, la passant sur les lèvres sanglantes de
la plaie, il soigne et cicatrise la blessure ; de l’autre, il soulève le fœtus vers le ciel, comme une sage-
femme heureuse de son œuvre.

Le fœtus grandit immédiatement, à vue d’œil. Et, à sa plus grande stupeur, à mesure qu’il grandit,
Carlo le reconnaît : c’est lui-même enfant, puis adolescent, puis jeune homme, puis à trente ans tel
qu’il est maintenant, un homme qui a l’air cultivé et formé, paré pour la vie.
Comme le fœtus est devenu adulte, et se tient debout sur le balconnet, prêt de son maître Carlo
11
voit que le corps étendu par terre, sans connaissance, recommence aussi, comme une parturiente,
à revenir à lui. Il le voit ouvrir lentement les yeux, regarder autour de lui, égaré ; remettre ses
lunettes et, prenant appui sur le sol, se relever, jusqu’à ce qu’il soit debout, sur pied, près de Polis :
celui auquel (semble-t-il) il appartient.

Celui qui, en échange de sa vénération, le protègerait. Le Carlo de Thétis et le Carlo de Polis sont
identiques. [Et en effet, ils s’identifient.] <...> Ils font un petit pas l’un vers l’autre, comme pour mieux
se scruter. Et Carlo les voit de profil, immobiles, comme le Christ et Judas dans le tableau de Giotto :
ils sont si prêts qu’ils font le geste de deux personnes sur le point de s’embrasser. Et, en attendant, ils
se fixent si attentivement que leurs yeux paraissent pétrifiés. Un sentiment obscur est au fond de ce
regard, qui les unit étroitement, comme les liant dans une unique tension qui les pousse l’un vers
l’autre.
(...)
12

Cécile Dauchez,
À quoi rêvent les
chiens égyptiens ?,
2010, carreaux de
plâtre, pigments,
110 x 67 x 60 cm,
courtesy de l’artiste
Cécile Dauchez, Nerve Cells Live Double Lives, série en cours depuis 2009,
tirages jet d’encre sur papier Hahnemühle, 41 x 30 cm - courtesy de l’artiste

13
Note 31*

Dans ce récit - là-dessus je dois être brutalement explicite - la psychologie est remplacée massivement
par l’idéologie. Le lecteur, par conséquent, ne doit pas se faire d’illusion : il ne tombera jamais sur ces
personnages qui mystérieusement se développent et évoluent, en se révélant aux autres protagonistes et
au lecteur, à mesure que les événements - dont ils sont la cause ou par lesquels ils sont mis en cause - les
contraignent à une cohérence dramatique. Et ainsi - dans mon récit - il n’y a même pas de figurants
de ce type. Il n’y a donc aucune raison que je décrive des réceptions et je n’y aurais aucun plaisir. Je ne
le nie pas, c’est une excellente excuse pour ne pas décrire ce que je n’aime pas et dont je n’ai pas une
véritable expérience (qui serait, du reste, une expérience linguistique surtout). [Mais il y a encore autre
chose pour] justifier tout cela : dans la psychologie il y a toujours quelque chose d’autre et quelque chose
de plus que la psychologie.

De même que dans la figure sociale il y a quelque chose d’autre et quelque chose de plus que la figure
sociale. Qu’on prête bien attention au fait que je n’aie pas dit ‘en dehors’ ou ‘au-dessus’ de la psychologie
ou de la figure sociale, mais en elles-mêmes. Je ne pourrais pas prétendre ne pas connaître - fût-ce avec
l’aide de la psychanalyse - la psychologie.

<...> [Mais la connaissance] de l’esprit humain est, précisément quelque chose de différent, quelque
chose en plus. De façon analogue, je pourrais dire que - là aussi, fût-ce à travers la culture marxiste -
je connais assez bien la ‘socialité’ d’un individu. Mais, même dans ce cas, la connaissance de l’esprit
humain est quelque chose de plus que cette connaissance sociale. Qu’est-ce que l’esprit humain? <...>
14 C’est une présence ; une réalité ; voilà tout. Il plane à travers l’individu auquel il appartient, et sur
lui, comme un double monumental et en même temps insaisissable. Cette ‘figure planante’ (qui d’une
façon ou d’une autre, si mystérieuse fût-elle est elle aussi physique) ne se trouve que là où elle peut se
trouver. Elle a la propriété des corps. Je ne ferai donc jamais, dans mon récit, de la psychologie ; mais
ma connaissance de l’esprit humain m’empêche certainement de mettre la psychologie au service de
l’idéologie de manière erronée. C’est-à-dire que chaque personnage, j’en suis sûr, ‘sera’ et ‘agira’ comme
il ne peut qu’ ‘être’ et ‘agir’ selon les déductions même de la plus classique des psychologies : aucun ne
sera déplacé, le lecteur peut en être certain.
(...)

Claire Fontaine et Karl Holmqvist,


Untitled (The Weeping Wall inside us all),
néon, transformateur, câble, courtesy des artistes
et Air de Paris, Paris, Galerie Chantal Crousel,
Paris, Galerie Neu, Berlin
15
Note 40
L’art qui réjouit le coeur humain

« Obscurité et solennité sont entièrement déplacés dans l’étude (même la plus rigoureuse) d’un art
originairement destiné à réjouir le coeur humain :

Gravity, a mysterious carriage of the body to conceal the defects of the mind
Laurence Sterne 1. »

Nous sommes arrivés avec un style rapide et synthétique, à la fin de la première des trois parties, qui
constituent ce poème : il ne s’agissait que d’un long prologue, ou d’un flash-back (voilà pourquoi j’ai
pu relativement aller vite). Quand je regarde derrière moi, je ne peux toutefois pas, ici, m’empêcher
de faire une observation qui m’apparaît par ailleurs, quelque peu gênante. Dans quel contexte, sous
quel ‘toit’ culturel, se produisent les rapports entre le Moi de notre héros et son Ça ? Du point de vue
psychanalytique, orthodoxe ou hétérodoxe, freudien ou jungien, frommien ou lacanien, ces rapports
sont si libres qu’ils peuvent être légitimement définis comme arbitraires ou même provocateurs. On a
rarement vu jouer avec autant de désobéissance avec des concepts ‘docilement’ acceptés. Le refoulement
par lequel le Moi de Carlo se libère classiquement, de la responsabilité de l’événement sanglant par
lequel se termine la première partie du poème obéit en réalité à des lois complètement inventées. Je
n’ai pas d’autre explication à donner sinon que les fables sont grossières. Et que, donc, la division
en deux du Moi de Carlo, [place] en réalité chaque fois [le] rapport entre un Demi-Moi et un
Ça entier. Le refoulement est, à moitié refoulement classique, scientifiquement analysable, pour
l’autre moitié c’est simplement une torpeur semblable à celle de certains paralytiques dont seule la
16
moitié du cerveau fonctionne. Il n’y a pas, à cela, obscurité et pesanteur, on doit l’admettre : et toutes
les éventuelles implications allégorique <...> ne peuvent qu’être <...> divertissantes. C’est du moins
ce que j’espère. Et sur cet espoir, je passe à la deuxième partie du poème qui, en réalité est la véritable
première partie.

1. Ezra Pounda. (N.d.A.)


17

Karl Holmqvist, vue de l’exposition The Hours of This Watch is Numbered,


House of Gaga, Mexico, janvier - mars 2012, courtesy de l’artiste et House of Gaga, Mexico
18

Karl Holmqvist, vue de l’exposition The Hours of This Watch is Numbered,


House of Gaga, Mexico, janvier - mars 2012, courtesy de l’artiste et House of Gaga, Mexico
David Lamelas, Double Projection, 1967, projecteurs 16 mm,
socles, dimensions variables, coll. Frac Lorraine

19
Note 71b
Le Merde (Vision : paragraphe trois)

Dans ce troisième paragraphe, l’attention doit être portée sur la Scène Réelle reproduite à partir de
la Scène de la Vision : la première reste à l’intérieur de la deuxième, comme un ‘double ‘, recouvert
complètement par la reproduction, c’est vrai, mais sans un léger déphasage qui permet de le reconnaître
et de le tenir toujours présent. Ce ‘double’, ou Scène Réelle n’est pas contemporain, chronologiquement,
de l’aspect présent ou Scène de la Vision.

En d’autres termes, le carrefour de la via Casilina et de la via di Torpignattara de la Réalité - qui


se tient ‘derrière’ le carrefour de la via Casilina et de la via di Torpignattara de la Vision - est ‘celui
d’autrefois’, c’est-à-dire d’il y a six ou sept ans. On en vient ainsi à ‘instituer’ la possibilité d’une
constante confrontation. Sans cette confrontation, il serait impossible d’interpréter tout ce qui se
déroule dans la Scène de la Vision : gestes, regards, attitudes, faits, lieux et personnes.
La scène du carrefour de la Vision est [faite] entièrement de gros blocs de métal transparent et d’albâtre à
travers lesquels se [répand] violente et régulière, une lumière rouge-grenat, qui est claire, presque blanche,
comme par incandescence, au centre des objets (les murs des maisons, les trottoirs, les rideaux métalliques
des magasins, les arbustes, les poteaux électriques etc.) tandis qu’elle s’assombrit, jusqu’à devenir presque
sanguine, sur les bords. Cette lumière monochrome fait que les choses et les lumières de couleur différentes
se détachent d’une façon optiquement anormale : par exemple, la lumière verte ou orange des feux ou les
vêtement des gens, tous vivement colorés - chemisettes, tuniques, casques, gilets en tissu de jeans, chaussures
de tennis, etc.

20 La scène du carrefour de la Réalité en revanche - qui, à travers un léger déphasage, filtre au fond du
carrefour de la Vision - ne fût-ce que de façon très incertaine, comme par une concentration fortuite et
hallucinatoire du regard sur lui-même - se montre dans toute sa [confusion] éperdue, décolorée, ancienne :
les maisons sont blanchâtres et décrépies ou bien jaunâtre (seuls quelques groupes de gros immeubles
neufs se <...> sur le fond), les portes [délabrées] s’ouvrent sur les petits halls sombres et poussiéreux, les
trottoirs sont défoncés, les arbustes alternent, poussifs et moches, avec les réverbères. Les gens y marchent
confusément, habillés de gris, presque de haillons ; seuls les petits jeunes ont des tricots canailles, blancs
ou rayés de couleurs vives. Il y a un léger vent chaud qui soulève des tourbillons de poussière lourde et
sale ([pleine] toutefois de ces lois, anciennes et oubliées, qui ont toujours animé, depuis que le monde
est monde, l’histoire et le cosmos).

Bruant & Spangaro, bruit de fond, 1995, action,


Galerie Jousse-Seguin, Paris - courtesy des artistes
21
Note 99
L’Epoché : Histoire de mille et un personnages

22
(...)
Mais un seul personnage, cet unique que je connaissais, ne suffisait pas à faire une histoire : il fallait
au moins un partenaire. C’est pourquoi j’ai fait ce que les romanciers ont l’habitude de faire en
général : d’un personnage réel que je connaissais, j’en ai fait deux.

Je ne saurais vous décrire le personnage premier, le Dieu de Saül qui, je le répète m’était apparu
d’abord comme puissant et bon (quelque chose qui tenait du taureau et de la nourrice), ensuite
m’était apparu comme hostile et punitif, me chassant gratuitement, pour une faute que je
ne connaissais pas, du Lieu presque suspendu et aérien où je me trouvais si bien ; et finalement
[il m’était apparu] comme un pauvre diable, à la fois puissant et impuissant, autoritaire et bienfaisant.
Bref, ce personnage, je ne saurais le décrire.

Je peux, en revanche, décrire assez bien les deux personnages dans lesquels mon imagination de
romancier l’a scindé.
(...)
Bruant & Spangaro, Mvt3, sur la rive du fleuve 3, 1993,
action, Sonsbeek, Arnhem, Pays-Bas - courtesy des artistes

23

La figure du Dieu de Saül, une fois reconstituée, je la pris et la démembrai. Comme dans certains
mythes - et <...> ensuite rites - qu’on appelle sauvages, [épars] çà et là, les membres arrachés au corps,
les enterrant comme des graines dans la terre. Bientôt ces graines bourgeonnèrent : et je fus entouré
d’une véritable foule de personnages qui avaient tous ‘quelque chose’ de ce personnage premier :
‘quelque chose’ donc, de partiel, mais qu’ils avaient toutefois développé dans un achèvement qui leur
était propre. Je veux dire que même s’ils étaient communs, mesquins, restreints, rabougris, manchots
(comme sont la plupart des hommes) en tant que partiels, ils contenaient eux aussi en eux-même une
totalité potentielle, précisément qui est aussi mystérieuse et infinie que celle de ‘Dieu’.

Maintenant, toute cette foule de personnages qui étaient à la disposition de mon imagination de
romancier ne pouvaient plus être dits des ‘symboles’. C’étaient des parties fortuites d’un tout, devenues
mystérieusement des totalités, à savoir des hommes. Ils faisaient chaotiquement partie de la réalité, ils
pouvaient être dominés par un esprit ordonnateur, à condition qu’il soit abstrait et général. Ils étaient,
bref, le Désordre.
(…)
24
Note 130
L’Illumination et les calembours
(extrait du « Projet »)*

Souvent dans les rêves de Carlo (comme nous l’avons dit) apparaissait un personnage muet 1.
Au moment où Carlo se réveilla, ce personnage commença soudain à parler (se servant naturellement
de la bouche de Carlo).
Il parla précipitamment sans pause, comme une cataracte qui peut enfin se déverser <...> dans une
frénésie presque aphasique, <...> extrêmement joyeuse : en effet, tout ce que ce personnage disait
à travers Carlo, n’était que « calembours », jeux de mots, plaisanteries linguistiques, néologismes,
faux lapsus, ou amnésies. À Turin, il se rappelle encore cet exploit absolument rare, l’on pourrait
dire épiphanique. À part les définition sublimement amusantes qu’il donna de quelques personnes,
se fondant sur des échanges de syllabes ou des déformations de lieux communs ou de titres d’œuvre
littéraire (à propos de lui-même il parla de « Carriera della Sera ») restèrent imprimés dans la mémoire
de la société turinoise certains aphorismes que Carlo improvisa [durant cette soirée] : « Pendant que
tu es vivant, sois un homme mort », « Celui qui entre dans le royaume de Dieu, doit d’abord entrer
dans sa mère et mourir », « Si la matière est néant nous sommes matérialistes », « Au lieu de la
vanité, l’inanité », « S’étant trouvé sous la forme d’un être humain, il se vida lui-même » (c’était là
une réminiscence de saint Paul, je crois la Lettre aux Philippiens) « Vous devez m’écouter et ne pas me
comprendre », « Ce qui toujours parle en silence est le corps », « C’est l’imbécile Roi Lear qui demande
à ses filles combien elles l’aiment, et c’est celle qui l’aime qui ne parle pas ». Et encore, « à Lifu, une
des îles Loyalty, l’organe sexuel s’appelle sa parole. »
(...)

25
1. « Dans les rêves, le mutisme est souvent une représentation familière de la mort »
(Freud). (N.d.A.)

Corin Sworn, The Lens Prism:


Working Model of a Viewing
Subject, 2011, vidéo HD. 17’,
coll. Frac Alsace
26

Corin Sworn, The Lens Prism: Working Model of a Viewing


Subject, 2011, vidéo HD. 17’, coll. Frac Alsace

Koenraad Dedobbeleer,
To Propel a Certain Ideology, 2012,
métal, laque, vernis et bois, 91 x 162 x 9 cm,
courtesy de l’artiste et Galerie Micheline Swajcer, Anvers
27
28

Koenraad Dedobbeleer, Strategy Of Physical Separation And Visual Connection, 2010,


bois, métal, 102 x 44 x 108 cm, coll. Mu.ZEE, Ostende, Belgique, courtesy de l’artiste
et Galerie Micheline Swajcer, Anvers
Note 131
Nouvelle glose

En gérant - omniscient et même un peu pédant - mon « Legomenon ». (ne fût-ce, du moins en
partie, que grossièrement abandonné à une proximité brute par rapport au « Drômenon »), je suis
ici contraint de prendre les distances nécessaires par ma matière même : et de rapporter donc les faits,
avec cette dose d’incrédulité qui me permettrait de ne pas trop me compromettre avec je ne sais quel
miraculisme que – dès lors - le lecteur pourra percevoir.

En outre, je voudrais conseiller au lecteur de relire la Note 37, intitulée « Quelque chose d’écrit »,
ainsi que, au moins, les notes 22i (« Suite du puzzle, etc. »), 3c (« Préface différée III ») et 103b
(« Prémisse au deuxième bloc politique ») : là où je parle de mon ambition de construire une forme
[avec ses lois s’auto-promouvant] et auto-suffisantes, plutôt que d’écrire une histoire qui s’expliquerait
à travers des concordances, plus ou moins ‘à clés’ avec la très dangereuse réalité. (À ce propos, que le
lecteur se rappelle aussi le récit « Histoire d’un homme et de son corps » qui constitue la Note 98). Ce
n’est pas sans un certain orgueil que je recommande au lecteur ces références à l’intérieur même de
mon œuvre. Ce que je désirais faire se réalise précisément dans ce mouvement où l’œuvre se fait et se
déploie elle-même littéralement même.

Le cas extrême - qui était justifié par la Note 3c - à savoir toute une section de l’œuvre écrite en
caractères grecs, ou néo-grecs, pratiquement illisibles et ne constituant donc, précisément, rien d’autre
que ‘quelque chose d’écrit - maintenant va se répéter. Cette fois, les caractères sont japonais. Ici, la
pure écriture idéogrammatique et l’illisibilité significative sont, de toute évidence, exprimées [encore
mieux]. 29

Mais alors que la première insertion ‘purement écrite’ (néo-grecque) - quoique extrémiste et atypique
par rapport à l’austère normalité d’écriture que je me suis imposée - était toutefois justifiée, cette
seconde insertion (japonaise) l’est certainement moins : elle risque mêm d’être carrément répétitive et
superflue.

Mais le lecteur aura certainement entendu parler de symétrie. Eh bien, je n’ai pas pu résister à
la tentation de construire ce second corps architectonique ‘symétrique’. D’ailleurs, Cathédrale et
Allégories, se fondent sur la symétrie, quand bien même seraient-elles magmatiques, disproportionnées
et énormes 1.

1. Du reste le lecteur cultivé se sera aperqu qu’il existe dans l’œuvre d’autres ‘corps architectoniques
symétriques’ semblables : simplement, il s’agit de textes reportés en italien et en caractères
alphabétiques normaux (cf. Notes x, y, et 129-130). (N.d.A.)
Note 132
Vers Edo : programmation du voyage

Le ‘personnage muet’ des rêves de Carlo se dissocie de Carlo et acquiert un corps - Il acquiert même
un nom : celui, onomasio-logiquement ironique, selon son caractère, de Cornelio - Son ironie typique,
quelque peu ambigüe et ‘coquine’ - Il observe comment Carlo se sait, oui, ‘réveillé’ mais que, toutefois,
il ne sait pas pratiquement quoi faire. - L’Illumination, comme d’habitude, vient quand bon lui
semble - dans le cas de Carlo, elle est venue à quelqu’un qui ne l’avait nullement cherchée ne s’y était
pas du tout préparé - Une fois gratifié de son choix, il ne sait absolument pas comment se comporter
- Lui, Carlo, n’est pas un de ces moines très ennuyeux qui sont là à l’attendre toute leur vie durant
si ça se trouve, et ensuite, quand elle vient, savent tout de suite quoi faire - Éclats de rire (sacrés de
Carlo et Cornelio - Nécessité d’une nouvelle culture et d’un nouveau modèle de comportement pour
Carlo - Cessation de la logique dans les propos de Cornelio - Transfiguré mais toujours rieur, ou plutôt
clignant de l’œil, il indique vers l’endroit où, en ce moment, surgit le soleil - Six heures du matin, à
Turin - Cornelio prononce le mot « Edo » - Cornelio s’éclipse - Méditation de Carlo - Sa désagréable
disposition d’esprit - Impression ‘de retour’ que Cornelio ressemble à un ‘hippy’ drogué et un peu
stupide - Peut-être même très ignorant, et, de surcroît, italien.

(texte japonais)

30

Toshio Matsumoto,
Funeral Parades
of Roses, 1969, 105’
31
C E N T R E E U R O P É E N D ’ A C T I O N S A R T I S T I Q U E S C O N T E M P O R A I N E S

COLOPHON
Exposition au CEAAC
du 10 novembre 2012 au 6 janvier 2013

Gérard Traband
Président du CEAAC

Evelyne Loux
Directrice du CEAAC

Les extraits sont tirés de Pétrole de Pier Paolo Pasolini,


texte établi par Aurelio Roncaglia, traduction
de René de Ceccaty, publié aux éditons Gallimard,
coll. « Du monde entier », Paris, 2006.
© Editions Gallimard

Remerciements : Mathieu Capel, Caroline Dumalin


(galerie Micheline Swajcer, Anvers), Caroline Ferreira,
Marta Fontolan (MD72, Berlin), Emeline Vincent (Fluxus
Fund, Ambassade de France à Londres), Ayelet Yanai
(Dépendance, Bruxelles).

Le sous-titrage du film « The Lens Prism: Working Model


of a viewing Subject » de Corin Sworn a été rendu
possible grâce au soutien de Fluxus Fund, Londres.

La projection de « For the Damages Right Eye » (1968)


et de « Funeral Parade of Roses » (1969) en VOST
de Toshio Matsumoto aura lieu le 22 janvier à 19h,
à l’Auditorium des Musées de la ville de Strasbourg
(Mamcs) en présence de Mathieu Capel, spécialiste
du cinéma japonais et traducteur.

Graphisme : Christophe Kaiser


Traduction : John Tittensor

Imprimé par Chirat, Villeurbanne

7, rue de l’Abreuvoir - 67000 Strasbourg


+33 (0)3 88 25 69 70
info@ceaac.org
www.ceaac.org

LE CEAAC
EST MEMBRE DE

S-ar putea să vă placă și