Mardi 22 décembre 2015 ­ 72e année ­ No 22062 ­ 2,20 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.

fr ― Fondateur : Hubert Beuve­Méry ­ Directeur : Jérôme Fenoglio

DOUTES
Après les élections, l’Espagne SUR L’ÉTAT
en quête d’une coalition inédite D’URGENCE
Matignon entend inscrire l’état
d’urgence dans la Constitution,
en dépit de nombreuses critiques

LES DÉRIVES D’UNE

POLICE SANS CONTRÔLE
▶ Les humiliations, les erreurs
et les plaintes se multiplient en
raison des perquisitions de nuit

UN BILAN MITIGÉ
POUR LE PARLEMENT
▶ S’agit­il de maintien de l’ordre
ou de lutte contre le terrorisme ?,
s’interrogent les députés

L’INQUIÉTUDE
DES JURISTES
▶ La grande juriste Mireille
Delmas­Marty s’inquiète
d’un état d’exception permanent

NE PAS SE RÉSOUDRE
À L’EXCEPTION

Pablo Iglesias, chef de file

de Podemos, à Madrid,
dimanche 20 décembre.
SERGIO PEREZ / REUTERS
R éviser la Constitution,
comme l’a proposé Fran­
çois Hollande au lende­
main des attentats de novembre,
pour y intégrer l’état d’urgence et
la déchéance de nationalité, est
une décision grave, dont on doit
mesurer avec calme les enjeux, la
▶ Le premier ministre ▶ Podemos, le nouveau ▶ Aucune des quatre for­ ▶ Il sera très difficile pour
nécessité, les conséquences.
conservateur, Mariano parti de gauche, talonne mations n’obtient le Parti populaire, arrivé Légiférer sous le coup de l’émo­
Rajoy, est arrivé en tête des avec 20,6 % le Parti à elle seule la majorité, en tête, de former une tion comporte bien des risques.
élections législatives, mais socialiste espagnol (22 %), et ces législatives signent coalition avec Ciudadanos,
n’obtient que 28,7 % des qui connaît le pire résultat l’éclatement de quarante le nouveau parti du centre → LIR EL A S U IT E PAGE 3 0
voix, contre 44,6 % en 2011 de son histoire ans de bipartisme → LIR E PAGE S 2 - 3 E T PAGE S 8 - 1 1 , 1 8 - 1 9

LE SUCCÈS
ÉCONOMIE
S tar Wars, La Reine des nei­
ges, les Minions... Les jouets
sous licence représentent
une part toujours plus impor­
les enfants et garantit une visibi­
lité maximale dans les semaines
qui précèdent Noël, et dans les se­
maines qui suivent, au moment
SPORTS
PLATINI ET BLATTER
SUSPENDUS
astron
la première montre
DES JOUETS tante des catalogues et des ventes où les enfants dépensent l’argent gps solaire au monde.
SOUS LICENCE
réalisées pendant la période de
Noël. L’avantage, pour les fabri­
reçu pendant les fêtes. Les mon­
tants peuvent être considérables : POUR HUIT ANS
cants de jouets ? En échange de la franchise Star Wars pourrait re­
royalties âprement négociées, ils présenter 3 milliards de dollars → LIR E PAGE 6
bénéficient de la notoriété de la dans le monde fin 2015. p
marque. La licence attire en effet → LIR E PAGE 1 4
ÉCONOMIE
LE REGARD DE PLANTU CAC 40 : KLÉPIERRE
REMPLACE EDF
→ LIR E PAGE 1 5

CULTURE
LA MORT
DE KURT MASUR
→ LIR E PAGE 2 3

FRONT NATIONAL
« ET MAINTENANT ? »
LA CHRONIQUE
DU MÉDIATEUR
DU « MONDE »
→ LIR E PAGE 2 0
Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF,
Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 10,50 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA
2 | international
Espagne :
la victoire
impossible de
Mariano Rajoy
Arrivé en tête lors des élections
législatives, le premier ministre devra
former une coalition très hypothétique
madrid - correspondance
Q
uand Mariano Rajoy
est apparu, peu après
minuit, avec les prin-
cipaux cadres de son
parti sur une grande
estrade, à peine quelques centai-
nes de militants l’ont reçu avec
une timide ovation. Ils avaient
pourtant attendu patiemment,
bercé par des chansons de Noël
de Michael Bublé et de Frank Si-
natra. Mais dans la rue Genova, à
Madrid, on était loin des grands
soirs de victoire.
Si le premier ministre espagnol
conservateur a remporté les lé-
gislatives du dimanche 20 dé-
cembre, le Parti populaire (PP) a
perdu sa majorité absolue et n’est
absolument pas certain de pou-
voir continuer de gouverner. « Je
suis un peu inquiète, je ne crois
pas que le dialogue avec les autres
partis soit réellement possible »,
lâchait Chelo Rodriguez, 58 ans,
femme au foyer, en agitant son
petit drapeau bleu avec les sigles
du PP.
Eclatement du bipartisme
« Nous commençons une nouvelle
étape qui ne va pas être facile », a
reconnu M. Rajoy devant ses par-
tisans. « Il faudra parler, beau-
coup dialoguer et parvenir à des
accords. C’est ce que je vais essayer
de faire », car l’Espagne, a martelé
le responsable conservateur, « a
besoin de stabilité, de sécurité, de
certitude et de confiance ». Si le PP
reste le premier parti d’Espagne
(28,72 % des voix), avec 123 dépu-
tés sur un total de 350 au Parle-
ment, il est loin de sa confortable
majorité actuelle de 186.
Mais, plus que cette perte de
majorité, c’est l’éclatement de
quarante ans de bipartisme espa-
gnol qui marque ces législatives
Avec ce vote,
les Espagnols ont
voulu tourner
la page de
la crise qui
heurte le pays
depuis 2009
qui font entrer le pays dans une
période de grande incertitude.
Derrière le PP, le Parti socialiste
ouvrier espagnol (PSOE) doit se
contenter de 22,01 % des voix et
tombe à 90 sièges, contre 110 ga-
gnés en 2011, qui était déjà le pire
résultat de son histoire. La forma-
tion emmenée par Pedro San-
chez, 43 ans, a pu en plus compter
sur la complexité de la loi électo-
rale pour avantager ses listes au
Congreso, le Parlement espagnol.
Arrivé troisième avec 20,66 %
des voix, le parti de gauche radi-
cale Podemos et ses alliés régio-
naux entrent certes pour la pre-
mière fois au Parlement et font
une percée historique, mais ils
doivent se contenter de 69 siè-
ges. Les centristes de Ciudadanos
(13,93 %) obtiennent, eux, 40 dé-
putés, alors qu’il y a quelques se-
maines, certains sondages
l’avaient imaginé deuxième
force nationale et faiseur de roi
potentiel. La formation d’un gou-
vernement sera une gageure
dans ce nouveau paysage politi-
que morcelé. Il n’existe aucun
précédent. Depuis 1977, aucun
parti n’a remporté des législati-
ves avec moins de 30 % des voix.
C’est le PP de l’ancien premier
ministre José Maria Aznar qui
avait fait le plus mauvais score
en 1996, avec 156 sièges. Il avait
dû alors pactiser avec les partis
régionalistes.
Ciudadanos a déjà annoncé
qu’il ne pactisera pas avec le Parti
populaire. « Nous n’allons soute-
nir ni M. Rajoy ni M. Sanchez [le
chef des socialistes] », a répété di-
manche soir Albert Rivera, sa tête
de file. Afin « d’éviter une impasse
constitutionnelle » et la tenue de
nouvelles élections, il a toutefois
estimé « possible de gouverner en
minorité et de conclure des pactes
ponctuels, mais pour ça, il faut
avoir du cran et je ne sais pas si M.
Rajoy sera à la hauteur ». Les con-
servateurs, eux, préféreraient
une alliance plus stable. « Nous
avons vu ce qu’ont donné les pac-
tes à géométrie variable du gou-
vernement de José Luis Rodriguez
Zapatero [socialiste, 2004-2011],
ce n’est pas la meilleure option », a
déclaré au Monde un haut res-
ponsable du PP.
Quant à la gauche, elle est trop
fragmentée. Un bloc PSOE-Pode-
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015
L E S É L E C T I O N S E N E S PA G N E
mos-Unidad Popular (écolos- également montré « favorable à mations ont trouvé leurs référen-
communistes) ne recueillerait la tenue d’un référendum en
Il s’agit aussi d’un ces, en s’érigeant en véritables hé-
que 161 sièges alors qu’il en faut Catalogne ». échec personnel ritières de la Constitution de
176 pour arriver à la majorité ab- 1978… pour mieux demander à la
solue. « Il appartient à la force qui Tremplin politique
pour Mariano changer. Pablo Iglesias s’est pré-
a reçu le plus de voix d’essayer de Podemos, qui n’existait pas il y a Rajoy, dont la senté comme le Felipe Gonzalez,
former un gouvernement », s’est deux ans, a su faire des revendica- leader historique du PSOE devenu
limité à déclarer le leader du tions des « indignados », qui
communication premier ministre en 1982, qui re-
PSOE, Pedro Sanchez, qui a tou- en 2011 demandaient une démo- n’a jamais vendiquait el cambio (« le change-
jours refusé d’envisager une cratie plus représentative, un for- ment »), avant de rester presque
grande coalition avec le PP. Avant midable tremplin politique. « Une
été le fort quatorze ans au pouvoir. Albert Ri-
même de commencer à négocier, nouvelle Espagne est née », a dé- vera, lui, a souvent parlé d’Aldolfo
Pablo Iglesias, chef de file de Po- claré M. Iglesias lors de la seule Suarez, premier chef du gouverne-
demos, le grand vainqueur de ce fête électorale de la soirée, célé- partis, les Espagnols ont voulu ment de la démocratie (1976-1981),
scrutin, a déjà posé ses condi- brée devant le musée Reina Sofia tourner la page de la crise qui chef de l’Union du centre démo-
tions. Devant ses militants, il a de Madrid. Et ce n’est plus L’Estaca, heurte le pays depuis 2009. Tout cratique (UCD), figure emblémati-
exigé des réformes « indispensa- du chanteur catalan Lluis Llach, au long de la campagne, il a beau- que de la transition.
bles » : « blindage des droits so- l’un des hymnes officieux de la ré- coup été question d’« espoir », de Les scandales de corruption qui
ciaux », en particulier celui du sistance au franquisme qui, « renouveau », de « tournant histo- ont touché l’ensemble de l’esta-
droit au logement ; « réforme du comme lors de ses premiers mee- rique » et d’une « nouvelle transi- blishment, les politiques d’austé-
système électoral » ; reconnais- tings, a accueilli M.Iglesias, mais la tion », en référence à l’étape post- rité sans précédent, un chômage
sance du caractère « plurinatio- musique du film SOS Fantômes. franquiste de la fin des années qui demeure à un niveau dramati-
nal » de l’Espagne. Il s’est Avec ce vote pour des nouveaux 1970. C’est là que les nouvelles for- que (21 %) et qui touche particuliè-
L’entrée en masse des « gens normaux » au Parlement
« nous sommes des gens normaux qui ques, à l’image de leur chef de file, Pablo « Comme moi, beaucoup de gens qui en ont
font des choses extraordinaires », clamait Iglesias, et de ses proches, Iñigo Errejon ou marre de la corruption ont décidé de fran-
Podemos. « Nous ne voulons pas de politi- Carolina Bescansa. chir le pas et de se lancer dans la politique
ciens professionnels mais des profession- Fidèle à ses origines – le mouvement des pour y apporter capacité de gestion, trans-
nels qui font de la politique », entonnait « indignés », qui, en 2011, avait occupé les parence et une bouffée d’air frais et de crédi-
Ciudadanos. places publiques pour demander « une dé- bilité », résumait récemment au Monde Vi-
Dans les faits, ces slogans de campagne mocratie réelle maintenant » –, il va offrir cente Ten, contrôleur des impôts et tête de
vont se traduire par l’irruption, le 13 jan- un siège à de nombreux activistes, liste de Ciudadanos à Valence. Son mandat
vier, lors de la constitution du nouvel hé- comme Irene Montero, 27 ans, diplômée politique a une date de péremption : huit
micycle espagnol, de près d’un quart de dé- en psychologie et militante du droit à un ans, la durée maximale fixée par le parti
putés qui n’ont jamais exercé la politique logement digne, ou l’ancien directeur de afin de limiter « la création de réseaux
dans des institutions auparavant. Greenpeace en Espagne, Juan Lopez de clientélistes propices à la corruption ».
Ils sont souvent jeunes, pas toujours, et Uralde, 52 ans. « Nous avons souffert toutes ces années
ne se sont engagés que récemment au sein d’une sorte de franquisme sociologique qui
de ces deux formations émergentes, même « Marre de la corruption » nous a éloignés de la chose publique et in-
si Podemos compte dans ses rangs quel- Des juges spécialisés dans la corruption fantilisé, qui nous a fait croire que la politi-
ques anciens de la Gauche unie (écolo- comme Juan Pedro Yllanes ou Victoria Ro- que n’était pas pour nous, résumait jeudi
communistes) et que Ciudadanos a récu- sell, porte-parole de l’association Juges 16 décembre à un débat avec des citoyens
péré un certain nombre d’élus du PP ou pour la démocratie, siégeront également Tania Sanchez, 36 ans, numéro six de Pode-
d’UPyD, un parti centriste né en 2008 au Parlement, mais aussi des professeurs, mos à Madrid, ex-député régionale pour IU.
d’une scission du PSOE. des fonctionnaires, des artistes, des ingé- Le mouvement des “indignés” a provoqué
Podemos, parti né dans les salles des pro- nieurs, des économistes, des chômeurs ou un réveil citoyen à la politique. Il nous fallait
fesseurs de la faculté de sciences politiques travailleurs précaires. des mécanismes pour participer. Nous les
de l’université Complutense de Madrid, va Le Parlement espagnol, rénové, n’aura avons créés. » p
ainsi faire entrer au Parlement une bonne plus grand-chose à voir avec ce que les Es- s. m.
poignée de professeurs de sciences politi- pagnols ont connu jusqu’à présent. (madrid, correspondance)
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015 international | 3

Avec la percée historique de Podemos,

la gauche plus divisée que jamais
S’ils veulent gouverner, les socialistes du PSOE devront conclure des accords très larges

madrid - correspondance
Le nouveau visage du Parlement Dans plusieurs

A u siège du Parti socialiste

ouvrier espagnol (PSOE),
rue Ferraz, à Madrid, ré-
gnait dimanche 20 décembre une
ambiance étrange, entre soulage-
RÉSULTATS DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES ESPAGNOLES,

Parti socialiste
EN NOMBRE DE SIÈGES

rement les 16­24 ans (49 %) ont été
autant d’éléments qui ont contri­
bué au ras­le­bol des Espagnols. La
reprise économique semble se
consolider, avec une croissance de
3,1 % attendue cette année, mais
elle n’est pas ressentie par tous.
Le chef du
gouvernement
espagnol, Mariano
Rajoy, salue ses
partisans après les
élections législatives,
le 20 décembre,
à Madrid. PAUL WHITE/AP
ment et douleur. Un peu comme
si la formation avait évité la mort,
mais avait perdu une jambe…
Avec 22 % des voix et 90 députés,
le parti réalise le pire score de son
histoire, perd 20 sièges et près de
1,5 million de voix par rapport aux
élections de 2011, qui avaient déjà
été un séisme pour la formation.
Et pourtant, dimanche soir, dans
les bureaux des cadres socialistes,
on respirait nettement mieux que
le matin, quand des sondages offi-
cieux donnaient la gauche alter-
native de Podemos en deuxième
position, en voix et en sièges. « Ça
aurait pu être pire », résume un
membre du PSOE. Pris en étau en-
tre Podemos à gauche et Ciudada-
nos au centre droit, le PSOE a ré-
sisté, mais il a souffert. Centrant sa
campagne sur l’idée qu’il était la
seule alternative possible à
Mariano Rajoy, appelant au vote
utile, comme si l’Espagne répon-
dait encore aux schémas du bipar-
tisme, il n’a pas éveillé d’enthou-
siasme. Conscient du risque,
Pedro Sanchez, son chef de file,
peinant jusqu’alors à transmettre
ses convictions politiques, est de-
venu plus agressif en fin de cam-
pagne, allant jusqu’à qualifier le
chef du gouvernement d’« indé-
cent » lors d’un débat particulière-
ment tendu. Sa survie politique
était en jeu.
Il n’est pas encore tout à fait sûr
que M. Sanchez, contesté au sein
du PSOE, résiste aux pressions de
sa rivale, la présidente socialiste
de l’Andalousie, Susana Diaz, qui
n’a pas manqué de rappeler que
c’est sur ses terres que le PSOE a
fait, encore une fois, son meilleur
score, avec « cinq des sept provin-
ces dans lesquelles il est arrivé pre-
mier ». S’il n’arrive pas à sceller de
pactes avec les forces de la gauche
pour pouvoir gouverner, ses
jours pourraient être comptés à
(PSOE)
Podemos
(Parti anti-
austérité) 90
Majorité
absolue 176
ERC-
Catsi*
69
350
9 sièges
*Gauche républicaine de Catalogne
la tête du parti.
Car dans plusieurs régions, la
chute des socialistes est vertigi-
neuse. Il n’est plus que le qua-
trième parti à Madrid, derrière le
PP, Podemos et Ciudadanos, après
avoir perdu un quart des voix ré-
coltées en 2011. Il est troisième en
Catalogne, où il a perdu plus d’un
tiers des voix, derrière Podemos et
les indépendantistes de la Gauche
républicaine (ERC). Tout comme
au Pays basque, où Podemos ob-
tient deux fois plus de voix que le
PSOE. Dans la ville de Valence, il
arrive en quatrième position.
« Le fantôme de Zapatero »
Le tournant de la rigueur pris
en 2010 par le précédent président
du gouvernement José Luis Rodri-
guez Zapatero avait marqué une
première rupture entre le PSOE et
une partie de son électorat. Sa dé-
cision de convoquer des élections
anticipées, en 2011, avait été per-
çue comme un aveu d’échec et
une incapacité à affronter la crise
économique. Depuis, le PSOE ne
cesse de perdre des voix à chaque
élection. « Notre principal adver-
saire est le fantôme de Zapatero »,
avoue un membre du parti. Affai-
bli par un scandale de détourne-
ment présumé de fonds destinés
aux chômeurs, boudé par les jeu-
Ciudadanos
(Centristes)
Parti populaire
(PP)
40
123
Autres
19
SOURCE : EL PAIS
nes, il craignait de devenir rési-
duel, comme le Pasok grec. Il a fi-
nalement résisté à la vague Pode-
mos, mais devra encore mener la
bataille des pactes s’il veut ravir le
pouvoir à Mariano Rajoy. « Pode-
mos s’est cogné contre le mur
qu’est encore le PSOE », se félicite
José Manuel Albares, conseiller
aux affaires étrangères et mem-
bre de l’équipe de campagne de
Pedro Sanchez.
Mais le parti de gauche radical
n’a pas, lui-même, les mains libres
sur toutes les questions. Pour l’em-
porter, il a dû sceller des alliances
compliquées avec des partis et pla-
tes-formes régionales. En Catalo-
gne, avec Barcelona en comu, de la
maire Ada Colau, l’accord prévoit
la tenue d’un référendum sur l’in-
dépendance. A Valence, où il s’est
allié avec la coalition anticorrup-
tion et régionaliste Compromis,
celle-ci a déjà annoncé qu’elle
composerait un groupe propre au
Parlement afin de conserver son
indépendance. En Galice, avec les
Mareas (marées), plus radicales
que le parti de Pablo Iglesias, l’en-
tente est complexe.
Malgré cela, Podemos se sent as-
sez fort pour faire désormais pres-
sion sur le PSOE. Alors que cer-
tains avaient voulu l’enterrer trop
vite, M. Iglesias a montré qu’il
régions, la chute
du PSOE est
vertigineuse.
Il n’est plus que
le quatrième
parti à Madrid
était capable, encore une fois, de
créer la surprise. Il y a quelques
mois, le parti avait chuté à 13 %,
voire 11 % dans certains sondages,
alors qu’il n’avait pas de pro-
gramme et que son alliance avec
les écolo-communistes de la Gau-
che unie (IU) échouait. Porté par le
soutien d’Ada Colau, la très popu-
laire maire de Barcelone et an-
cienne activiste du droit au loge-
ment, après être parvenu à asso-
cier l’économiste Thomas Piketty
à l’élaboration de son pro-
gramme, il a réussi dans le dernier
mois à opérer sa « remontada »
(remontée), sorte de mot-valise
employé pour redonner de l’éner-
gie aux troupes.
« Je ne pensais pas voter Pode-
mos. Je ne suis pas d’accord avec
leur manichéisme, leur discours
sur la caste. Mais j’ai pris ma déci-
sion avant-hier : je me suis dit que
si je vote PSOE comme d’habitude,
je vais le regretter toute ma vie, car
c’est l’opportunité ou jamais de
changer ce pays », expliquait di-
manche, à deux pas du siège de
PSOE, Inés, coach de 36 ans qui
préfère ne pas donner son nom.
Ce changement est toutefois
conditionné à un accord de la gau-
che qui reste largement hypothé-
tique. Pour espérer gouverner, le
PSOE devra en effet non seule-
ment s’entendre avec Podemos,
mais aussi avec les écolo-commu-
nistes, les nationalistes basques et
les régionalistes canariens… Et il
faudra que les nationalistes cata-
lans s’abstiennent. De quoi ren-
dre tout accord particulièrement
fragile. p
sandrine morel

Absence de dialogue
Il s’agit aussi d’un échec person­
nel pour Mariano Rajoy. La com­
munication n’a jamais été son
fort. Le premier ministre n’est pas
très expansif. On le lui a souvent
reproché, même dans son propre
parti. « J’aurais préféré voter pour
Soraya [Saenz de Santamaria, la vi-
ce-présidente], c’est elle qui aurait
dû être la candidate », affirme un
jeune militant du PP, Guillermo
Garcia, 27 ans, venu célébrer les ré-
sultats devant le siège du parti.
M. Rajoy a tenté de se débarrasser
de son image distante en visitant
dix-neuf provinces pendant la
campagne, encaissant même,
sans perdre son calme, un coup de
poing d’un jeune de 17 ans à Ponte-
vedra, la ville de Galice où il a com-
mencé sa carrière politique.
Mais pendant son mandat, il a
omis de dialoguer avec les autres
partis et n’a cherché aucun con-
sensus, en particulier sur le dos-
sier catalan. « Même s’il reste au
pouvoir, il ne pourra plus imposer
sa volonté, il devra écouter les
autres », remarque Jose Luis de
Andrés, 58 ans, chômeur, sympa-
thisant de Ciudadanos, au QG de
la formation, un hôtel de luxe du
nord de la capitale. Si M. Rajoy
n’arrive pas à former un gouver-
nement, il sera le seul premier mi-
nistre espagnol à ne pas parvenir
à se faire réélire depuis 1982. Il y a
tout juste quatre ans, lors de son
discours d’investiture, le leader
conservateur avait annoncé
qu’« au sortir de la crise, nous ne vi-
vrons plus dans le même monde.
Les règles auront changé ». Il ne
pensait pas si bien dire. p
isabelle piquer
Camouflet pour Artur Mas
et les indépendantistes catalans
Le président du gouvernement régional obtient à peine 15 % des voix
madrid - correspondance
E n s’alliant avec les indépen-
dantistes de la Gauche ré-
publicaine (ERC) lors des
élections régionales de septem-
bre 2015, le président du gouver-
nement catalan, Artur Mas, ne dé-
fendait pas seulement l’idée que
la liste commune Junts pel si
(« Ensemble pour le oui »), sépara-
tiste, était indispensable pour
faire du scrutin une sorte de vote
sur l’indépendance. Il cherchait
aussi à masquer la chute de son
parti, Convergence démocratique
de Catalogne (CDC).
Faute d’accord avec l’ERC, il n’a
finalement pas eu d’autre choix
que de se présenter seul aux élec-
tions législatives. Il a pris soin,
auparavant, de changer le nom de
son parti pour « Liberté et démo-
cratie » et d’y associer quelques
représentants de la société civile.
Mais il n’a pas pu empêcher que
s’impose l’évidence : depuis qu’il
s’est engagé sur la voie de l’indé-
pendance, en 2011, Artur Mas a
fait plonger son parti.
Par rapport aux élections de
2011, auxquelles il s’était présenté
avec la traditionnelle coalition
Convergence et Union (CiU), qui
s’est rompue au printemps 2015, il
a perdu la moitié des voix, pas-
sant de première à quatrième
force politique en Catalogne avec
à peine 15 % des suffrages.
C’est l’alliance entre Podemos et
la plate-forme citoyenne Barce-
lona en Comú de la maire de Bar-
celone, Ada Colau, qui est arrivée
en première position en Catalo-
gne avec 24,7 % des suffrages. Elle
défend un référendum d’indé-
pendance mais sans donner de
consigne de vote.
Investiture paralysée
Cette coalition est suivie de l’ERC
qui, avec 16 % des voix, le double
qu’en 2011 et trois fois plus de dé-
putés (9), est le parti qui a réelle-
ment bénéficié de la montée in-
dépendantiste : contrairement à
CDC, qui avait toujours défendu
plus d’autonomie pour la Catalo-
gne mais dans un cadre espagnol,
il n’est pas un nouveau converti
au séparatisme. Quitte à voter in-
dépendantiste, les Catalans ont
préféré l’original à la copie.
Le Parti socialiste catalan passe
de la deuxième à la troisième po-
sition, avec 15,7 % des suffrages,
"#$!
soit une chute de dix points. Le
Parti populaire obtient à peine
11,1 % des voix et passe de troi-
sième à cinquième force politi-
que, derrière Ciudadanos (13 %).
Les partis unionistes rassem-
blent donc près de 40 % des voix,
sans compter Podemos. Tandis
que les forces indépendantistes ar-
rivent à peine à 31 %. Artur Mas ne
sortira sans doute pas indemne de
ce revers, alors que son investiture
est paralysée depuis le mois d’oc-
tobre par le petit parti anticapita-
liste et europhobe CUP. Celui-ci re-
fuse son investiture à cause de la
politique d’austérité qu’il a menée
ces dernières années en Catalogne
et des affaires de corruption qui
touchent son parti, et exige de
Junts pel si un autre candidat.
Arrivée derrière l’ERC, cette liste
pourrait exiger de M. Mas qu’il
fasse un pas de côté pour permet-
tre qu’un autre que lui gouverne
la Catalogne avec le soutien de la
CUP et applique la feuille de route
sécessionniste. A moins que
l’éclatement de l’alliance n’accé-
lère la chute de la coalition et pro-
voque la tenue de nouvelles élec-
tions en Catalogne. p
s. m.
4 | international
L’inquiétude des réfugiés syriens du New Jersey
Le gouverneur Chris Christie a menacé de couper les aides sociales après les attentats de Paris et San Bernardino
REPORTAGE
new york - correspondant
I
ls ne sont que quelques cen­
taines, mais en quelques se­
maines tous les regards aux
Etats­Unis se sont tournés
vers eux. Les 2 200 réfugiés sy­
riens qui sont arrivés depuis 2011
sont subitement devenus un en­
jeu électoral en pleine campagne
présidentielle. Les attentats du
13 novembre à Paris avaient
poussé 31 gouverneurs à refuser
l’installation de réfugiés syriens
dans leur Etat. L’attaque terroriste
de San Bernardino a encore un
peu plus raidi les positions.
Considéré jusque­là comme un
modéré vis­à-vis des communau-
tés musulmanes, le gouverneur
du New Jersey et candidat à l’inves-
titure républicaine, Chris Christie,
a opéré un net changement de ton.
Il a menacé de couper les aides des
services sociaux si le FBI ne pou­
vait pas lui garantir que les réfu­
giés ne sont pas des terroristes. « Je
ne fais pas confiance à ce gouverne-
ment pour contrôler efficacement
les gens qui sont censés venir [aux
Etats­Unis] pour assurer la sécurité
des Américains, donc je ne donne-
rais pas l’autorisation d’entrer », a­
t­il déclaré.
Depuis, les associations caritati­
ves locales sont en émoi. « Le gou-
verneur a considérablement com-
plexifié les défis pour accueillir ces
personnes », s’est indigné le révé­
rend Seth Kaper­Dale de l’Eglise ré­
formée de Highland Park, une pe­
tite commune en bordure de la Ra­
ritan River. Depuis une quinzaine
de jours, il a pris la tête d’une asso-
ciation d’aide aux réfugiés, le Cen-
tral New Jersey Interfaith Refugee
Resettlement Coalition. « Com-
ment, demande-t-il, prouver que
mon voisin n’est pas un terroriste,
comment éviter d’avoir des centai-
nes de caméras dans mon quartier
parce qu’un gouverneur républi-
cain a décidé d’instrumentaliser
politiquement la situation ? »
Avec plus de 160 000 musul-
mans sur un peu moins de 9 mil-
lions d’habitants, le New Jersey est
l’Etat qui en compte le plus, der-
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Sandy Khabbazeh, réfugiée syrienne, à Oakland (New Jersey), le 22 novembre. CARLO ALLEGRI/REUTERS
rière le Michigan. Aussi, Mohamed
Younes, président de l’Union mu-
sulmane américaine, association
basée dans le North Jersey, a du
mal à cacher sa déception face aux
récentes positions du gouverneur.
« Apaiser les radicaux »
« Ce que j’entends aujourd’hui, ça
n’est pas lui », estime-t-il. Maire
d’origine syrienne de Prospect
Park, Mohamed Khairullah, s’est
dit, lui, « consterné et dégoûté »
par les propos de Chris Christie,
« en particulier quand il a dit qu’il
ne permettrait même pas à un or-
phelin de 5 ans de venir aux Etats-
Unis », s’est-il offusqué sur la ra-
dio NPR. Et d’ajouter : « Dans sa
quête pour apaiser les radicaux de
droite, il met tous les Syriens dans
le même sac du terrorisme. »
Un avis partagé par Shadi Mar-
tini, un réfugié syrien de 43 ans ar-
rivé en 2013 aux Etats-Unis avec sa
femme et ses deux enfants âgés de
7 et 15 ans. « C’est une mauvaise dé-
cision. Je comprends les effets de ce
qui s’est passé à Paris et à San Ber-
nardino, mais ce type de décision
vise les mauvaises personnes. Les
Syriens ne se confondent pas avec
l’organisation Etat islamique [EI]. Il
faut expliquer qui nous sommes
vraiment. » Ancien gestionnaire
d’hôpital, Shadi Martini a été em-
bauché il y a un an au sein de l’as-
sociation Multifaith Alliance for
Syrian Refugees, où il aide les nou-
veaux arrivants. « J’ai eu beaucoup
Au Sénégal, les propos de Lamine Diack
provoquent une tempête politique
L’ancien président de l’IAAF dit avoir financé l’opposition grâce à des fonds venus de Russie
I l y a dans les aveux de Lamine
Diack de quoi nourrir un scan-
dale d’Etat au Sénégal. En re-
connaissant devant des enquê-
teurs français, comme l’a révélé Le
Monde vendredi 18 décembre,
qu’il avait couvert des athlètes rus-
ses soupçonnés de dopage en con-
trepartie de financements des
campagnes de l’opposition séné-
galaise en 2009 puis en 2012 par
Moscou, l’ancien président de la
Fédération internationale d’athlé-
tisme (IAAF) ne pouvait ignorer
l’impact de ses déclarations à Da-
kar. Il s’est d’ailleurs gardé de citer
nommément les dirigeants politi-
ques bénéficiaires de ces actes de
corruption.
Dans les heures qui ont suivi la
publication d’extraits de son audi-
tion, le vieil homme de 82 ans,
passé par de hautes fonctions poli-
tiques au Sénégal avant de prendre
la tête de l’athlétisme mondial puis
de se retrouver mis en examen le
3 novembre pour « corruption pas-
sive » et « blanchiment aggravé »,
s’est employé à calmer la polémi-
que et à dédouaner Macky Sall, au
pouvoir depuis sa victoire de 2012
sur Abdoulaye Wade. « En dehors
du président en exercice, il y avait 13
autres candidats. Il y avait des jeu-
nes qui s’étaient mobilisés et j’ai
de chance. Je me demandais com-
ment nous allions survivre.
Aujourd’hui, mes enfants se sont
adaptés, ils ont des amis et vont à
l’école. Je fais un travail que j’aime. »
Aussi quand les politiques poin-
tent des failles dans la sécurité du
système d’accueil, il ne comprend
pas : « Les réfugiés qui arrivent aux
Etats-Unis sont contrôlés pendant
plus de deux ans, c’est très sélectif,
cela n’a rien à voir avec ce qui se
passe en Europe. Tout cela est
nourri par la campagne électorale,
ça n’a aucun sens. » Le révérend
Seth Kaper-Dale ajoute que « la
plupart des Syriens qui arrivent aux
Etats-Unis ont quitté leur pays
avant que l’EI prenne cette ampleur.
Ils ont d’abord fui le régime d’Assad
misé sur eux. Je les ai financés (…).
Mais je n’ai pas financé un candidat
particulier. (…) Je ne suis le copain de
personne. Le président Macky Sall,
je ne l’ai vu qu’après sa victoire con-
tre Wade, pas avant », a déclaré La-
mine Diack sur RFM, une radio lo-
cale. Ce dernier, contrairement à ce
que plusieurs médias – dont Le-
monde.fr dans un résumé erroné –
ont affirmé, n’a pas mentionné la
campagne de M. Sall comme béné-
ficiaire de ces versements.
Démentis
A l’en croire, ce sont tout d’abord
« 400-450 000 euros pour la cam-
pagne » des élections municipales
de 2009 marquées par la défaite de
Karim Wade, le fils et héritier puta-
tif d’Abdoulaye Wade, puis « envi-
ron 1,5 million d’euros » pour la pré-
sidentielle et les législatives de
2012 qui sont venus « nécessaire-
ment du gouvernement » russe.
Les démentis en provenance de
Moscou ou de la présidence à Da-
Nul doute
qu’Abdoulaye
Wade savoure
en silence
pour ensuite se retrouver dans des
camps en Turquie ou en Jordanie ».
« Accueillir 100 000 réfugiés »
Arrivé le 16 juin à l’aéroport de
Newark, Hussam Al-Roustam, a
passé deux ans dans deux camps
en Jordanie après avoir fui les
bombardements sur Homs, dé-
but 2012. Avec ses deux enfants de
3 et 1 an, il a fui l’enfer syrien avant
de rejoindre « un camp sans élec-
tricité, sans eau courante et
300 personnes pour une salle de
bains ». Il a ensuite été questionné
pendant des mois par le FBI, le Dé-
partement d’Etat et les services
d’immigration pour vérifier ses
antécédents et détecter d’éven-
tuels liens avec le djihadisme.
kar n’ont été d’aucun effet sur le
Parti démocratique sénégalais
(PDS), qui n’attendait pas
meilleure occasion pour attaquer
le pouvoir sur le terrain de l’argent
sale. Le parti « libéral » vit toujours
dans l’ombre tutélaire d’un Wade
père bientôt nonagénaire et se bat
pour la libération de son fils con-
damné en mars à six ans de prison
pour « enrichissement illicite ».
« Nous demandons à Macky Sall
qu’il nous dise s’il fait partie des op-
posants financés par l’argent du do-
page et de la corruption », somme
l’ancien ministre de la justice
Amadou Sall, sans oublier de faire
le détail de la déclaration de patri-
moine de « ce chef d’Etat qui a pro-
mis une gestion vertueuse et trans-
parente et qui a, avec son épouse, 35
véhicules immatriculés, une di-
zaine de villas dont un apparte-
ment à Houston ».
Oumar Sarr, le secrétaire général
adjoint du PDS, a été interpellé sa-
medi matin après avoir porté des
accusations du même ordre et
Massamba M’baye, le directeur du
groupe D-Média, qui avait orga-
nisé un débat sur le sujet vendredi,
a passé la journée suivante aux
mains de la police. Nul doute
qu’Abdoulaye Wade, depuis son
pavillon versaillais où il s’est retiré,
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015
« Le processus d’entrée aux Etats-
Unis est incroyablement compli-
qué, c’est ce qui explique que nous
en avons accueilli si peu depuis que
la guerre a éclaté en Syrie, explique
Seth Kaper-Dale. Je n’ai pas la
moindre inquiétude à propos de la
sécurité du dispositif. » Son asso-
ciation pousse pour accueillir
plus de réfugiés. Ils étaient plus de
80 à débarquer dans le New Jersey
depuis le début de l’année. L’ad-
ministration Obama s’est fixé un
objectif de 10 000 en 2016, mais
pour le révérend, « il est possible
d’en accueillir 100 000. Chaque
communauté dans le New Jersey
doit prendre sa part », ajoute-t-il.
Reste ensuite à ces réfugiés de
tenter de refaire leur vie. « Le New
Jersey est un Etat où le coût de la
vie est très élevé. C’est pourquoi
nous devons être encore plus pré-
parés pour les accueillir parce
qu’ils n’ont pas les moyens de vivre
ici », souligne Seth Kaper-Dale.
Les aides fédérales se montent à
925 dollars (852 euros) par réfugié,
mais chacun doit rembourser par
traites son billet d’avion aux auto-
rités. Les associations comme la
Refugee Resettlement Coalition
ou le Church World Service pren-
nent ensuite le relais. « L’Office
d’accueil des réfugiés prend en
charge les deux premiers mois de
loyer, détaille le révérend. Mais
l’urgence, c’est de trouver un tra-
vail et de suivre des cours d’an-
glais. »
Comme le rappelle le maire Mo-
hamed Khairullah : « Des milliers
de Syriens contribuent positive-
ment à la communauté du New
Jersey. Il y a des policiers qui sont
Syriens, des médecins, des ensei-
gnants. C’est un plus pour l’Etat. »
C’est le cas d’Hussam Al-Roustam,
qui désormais travaille la nuit
dans une boulangerie.
« Même si le sentiment antimu-
sulman prend de l’ampleur, glisse
Shadi Martini, on voit en même
temps beaucoup de personnes
nous soutenir. Dans toutes les reli-
gions, il y a des fruits pourris. Notre
devoir, c’est de faire savoir qui nous
sommes vraiment. » p
stéphane lauer
savoure en silence.
Si les propos de Lamine Diack
sont avérés, reste une question : à
qui ont profité les fonds en prove-
nance de Russie ? Les options sont
peu nombreuses, selon le politolo-
gue et éditorialiste Babacar Justin
Ndiaye : « Poutine n’aurait pas
voulu soutenir un second couteau
et il n’y avait que quatre ténors de
l’opposition en 2012 : Macky Sall,
Ousmane Tanor Dieng, Moustapha
Niasse et Idrissa Seck. » Les trois
derniers cités ont soutenu le pre-
mier lors du second tour.
« Rétrospectivement, il apparaît
que les électeurs avaient le choix
(cornélien) entre une dynastie des
Wade qui creuse la tombe de la dé-
mocratie et une alternative qui éva-
pore la souveraineté nationale »,
analyse-t-il encore sur le site Daka-
ractu.com.
Selon les documents auxquels Le
Monde a eu accès, à la question du
juge Van Ruymbeke : « Avez-vous
fait part de cette décision d’aide aux
opposants ?
– Oui, en leur disant que l’aide ve-
nait des Russes », a répondu La-
mine Diack.
« Ont-ils reçu l’aide ?
– Oui. » p
cyril bensimon
(avec yann bouchez)
5 3 AV E N U E M O N TA I G N E PA R I S
6 | international
La mort en Syrie d’un symbole du Hezbollah
La mort de Samir Kantar dans la banlieue de Damas a été attribuée à un raid des forces israéliennes
beyrouth - correspondance
L
a libération de Samir Kan­
tar en 2008 des prisons is­
raéliennes avait été une
forme de « post-scriptum »
au conflit entre Israël et le Hezbol-
lah qui avait ravagé le Liban deux
ans plus tôt, selon le journaliste
britannique David Hirst. En relâ-
chant ce milicien libanais de 53 ans
lors d’un échange de détenus et de
dépouilles avec l’organisation li-
banaise, l’Etat hébreu avait subi
une « ultime humiliation ».
La mort de Kantar en Syrie, sa-
medi 19 décembre, dans un raid
attribué par le Hezbollah aux for-
ces israéliennes, sonne comme
un point final : les autorités israé-
liennes avaient assuré que, sorti
de prison, celui que Al-Manar, la
télévision du Hezbollah, qualifiait
de « plus ancien prisonnier arabe »
en Israël, restait une cible.
C’est à Jaramana, banlieue druze
de Damas, que Samir Kantar,
druze lui-même, a été tué. Et non
dans la région de Kuneitra, une
zone syrienne frontalière du Li-
ban et du Golan occupée par Is-
raël, dont le milicien était un « vi-
siteur régulier » et un recruteur de
combattants, selon une source
prorégime.
Al-Manar avance qu’il a été tué
par quatre missiles longue portée,
tirés par des avions israéliens de-
puis l’espace aérien syrien. L’atta-
que n’a pas été revendiquée par
l’Etat hébreu, mais plusieurs per-
sonnalités israéliennes n’ont pas
caché leur satisfaction à l’an-
nonce de la mort de cette figure
pro-Hezbollah.
Entre Kantar et Israël, le conten-
tieux est ancien. En 1979, Samir
Kantar n’a que 16 ans lorsque,
Des frappes russes font 32 morts à Idlib
Des frappes attribuées à l’aviation russe ont tué au moins 32 per-
sonnes et en ont blessé plus d’une centaine, dimanche 20 décem-
bre dans le centre d’Idlib, dans le nord de la Syrie. Selon les servi-
ces de secours et des habitants, au moins six frappes ont visé
notamment un marché fréquenté du centre-ville et des quartiers
résidentiels. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme,
basé à Londres, elles visaient des locaux de l’Armée de la con-
quête, une alliance de rebelles modérés, islamistes et djihadistes
qui tient l’essentiel de la province, cible privilégiée des frappes
russes entamées le 30 septembre.
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6;*3(;157 !3(/,;/% %7 <3(7&% $ #?/(;91 1,3 85'%&54&58
Le « parti de
Dieu » a promis
que l’assassinat
de Samir Kantar
ne restera
pas impuni
membre du Front de libération de
la Palestine, il débarque sur une
plage israélienne. Avec son com-
mando, il veut enlever des soldats
pour les échanger contre des déte-
nus libanais et palestiniens.
L’opération tourne au carnage :
un policier ainsi qu’un père et sa
fille de 4 ans sont abattus. La mort
de la fillette provoque un choc im-
mense en Israël. A l’encontre de
l’enquête, Samir Kantar démen-
tira en prison avoir tué l’enfant.
L’ex-premier ministre Ehud
Olmert le qualifie à sa libération
de « bête humaine ».
« Infrastructure terroriste »
Condamné en 1980 à purger une
peine de prison de cinq cent qua-
rante-deux ans, le détenu druze
est devenu, au début des années
2000, un symbole pour le Hezbol-
lah chiite, ennemi juré d’Israël.
Son chef, Hassan Nasrallah, pro-
met qu’il le fera sortir de prison.
Lorsque des combattants du Hez-
bollah enlèvent deux soldats is-
raéliens, le 12 juillet 2006, l’opéra-
tion doit viser à obtenir la libéra-
tion de Kantar et de miliciens chii-
tes. La suite est connue : c’est la
« guerre de trente-trois jours » en-
tre Israël et le Hezbollah.
Après avoir été accueilli à son re-
tour au Liban en 2008 en « héros »
par le Hezbollah, mais aussi par
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Des Druzes manifestent, dimanche 20 décembre, dans un village du plateau du Golan, après la mort de Samir Kantar. ARIEL SCHALI/AP
les représentants de l’Etat liba-
nais, Samir Kantar se fait plus dis-
cret. On le retrouve toutefois au
premier rang des cérémonies de
la formation chiite dans la ban-
lieue sud de Beyrouth. Etait-il
membre de la branche armée ? La
chaîne Al-Manar se contente
d’une vague formule, affirmant
que Kantar, qui s’était peut-être
converti au chiisme, « travaillait
dans les rangs de la résistance »,
après avoir « repris son djihad »
en 2008.
Avec l’entrée du Hezbollah en Sy-
rie – officiellement, à partir de
2013 – aux côtés du régime, Samir
Kantar fait de nouveau parler de
lui. Selon une source druze sy-
rienne proche de l’opposition, il
sillonne les villages druzes de la
région de Kuneitra et du mont
Affaires de la FIFA : huit ans de suspension
pour Sepp Blatter et Michel Platini
La décision fragilise encore un peu plus la candidature du Français à la présidence de la FIFA
M ichel Platini et Joseph
Blatter ont été suspen-
dus pour huit ans,
lundi 21 décembre, par le comité
d’éthique de la Fédération inter-
nationale de football (FIFA) de
toute activité liée au football.
Cette suspension a été assortie
d’une amende de 80 000 francs
suisses (74 000 euros) pour M.
Platini et 50 000 francs suisses
pour M. Blatter. Telle est la déci-
sion prise par le magistrat alle-
mand Hans-Joachim Eckert, pa-
tron de la chambre de jugement
dudit comité, alors que les deux
dirigeants encouraient un ban-
nissement à vie. Dans l’attente du
jugement, les deux hommes
avaient été radiés, le 8 octobre,
pour quatre-vingt-dix jours.
Cette sanction faisait écho à
l’ouverture par le ministère public
de la Confédération helvétique
(MPC), fin septembre, d’une procé-
dure pénale à l’encontre de Joseph
Blatter à la suite d’un « paiement
déloyal » effectué, en février 2011 à
Michel Platini, « prétendument
pour des travaux » réalisés par ce
dernier entre 1999 et 2002.
Hermon pour y recruter des com-
battants pro-Assad et jouit d’un
« pouvoir de décision ». Les mili-
ciens participent à des attaques
contre les rebelles et les djihadis-
tes syriens, en guerre contre le ré-
gime. Le chercheur Tobias Lang af-
firme que Samir Kantar recrute
également des candidats pour des
« activités contre Israël ». La zone
constitue, pour le Hezbollah, un
nouveau front potentiel avec l’Etat
hébreu, moins direct que le Liban.
Les mouvements de ces recrues,
non loin du Golan occupé, sont
suivis de près par Tsahal : fin
juillet, un raid attribué aux Israé-
liens fait plusieurs victimes du
côté syrien du Golan. Des ru-
meurs donnent Samir Kantar
pour mort – avant d’être démen-
ties. A l’automne, Washington
M. Platini
devrait saisir
la commission
des recours
de la FIFA
A l’époque, l’ex-numéro 10 des
Bleus – entendu par le MPC
comme « personne appelée à don-
ner des renseignements » – officiait
comme « conseiller football » du
patron de la FIFA. Le Suisse était
également poursuivi pour avoir si-
gné, en 2005, « un contrat défavo-
rable à la FIFA » avec l’Union cari-
béenne de football, présidée alors
par Jack Warner. Ledit contrat, rési-
lié par la FIFA en 2011, octroyait les
droits télévisés des Mondiaux
2010 et 2014 au CFU pour
600 000 dollars (536 000 euros).
Si M. Blatter a été entendu du-
rant huit heures par le juge Eckert,
le 18 décembre, M. Platini a boy-
cotté cette audition, dénonçant
un « procès politique » et laissant
son avocat le représenter. « Tout
inscrit le Libanais sur sa liste des
« terroristes internationaux », l’ac-
cusant d’avoir participé à la « mise
en place d’une infrastructure terro-
riste sur le plateau du Golan ».
Représailles « inéluctables »
Le « parti de Dieu » a promis que
l’assassinat de Samir Kantar ne
restera pas impuni. Pour la spécia-
liste Aurélie Daher, auteure de Le
Hezbollah, mobilisation et pouvoir
(PUF, 2014), les représailles sont
d’autant plus inéluctables que
« l’attaque qui vient de tuer Kantar
s’inscrit dans une longue liste d’ini-
tiatives israéliennes depuis 2013, en
territoire syrien ou à la frontière
syro-libanaise, perçues par le Hez-
bollah comme autant de provoca-
tions et de tests destinés à détermi-
ner où se situent ses lignes rouges ».
est joué d’avance », soufflait un
membre de son équipe de défense
avant l’annonce de la décision du
comité d’éthique et alors que la
candidature de l’ex-capitaine des
Bleus à la présidence de la FIFA
était gelée. De son côté, le Suisse a
multiplié les interventions mé-
diatiques, ne cessant de protester
de son honnêteté et comparant
l’enquête à son égard à « l’Inquisi-
tion ». « Je n’ai jamais de ma vie fait
quelque chose que je devrais me re-
procher », a-t-il ainsi assuré il y a
une semaine à nos confrères de
Libération, de la Gazzetta dello
Sport et de Mundo Deportivo.
Course contre la montre
Alors que l’élection est prévue le
26 février, Michel Platini devrait
saisir la commission des recours
de la Fédération internationale
avant de faire appel, le cas
échéant, devant le Tribunal arbi-
tral du sport (TAS). « Ce parcours
contentieux est loin d’être fini », as-
sure l’un de ses conseillers.
Le président de l’UEFA com-
mence une course contre la mon-
tre. Car il doit être définitivement
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015
Signe de la volatilité de la fron-
tière, dimanche en début de soi-
rée, trois roquettes ont été tirées
du Liban vers le nord d’Israël. L’at-
taque n’a pas été revendiquée. Peu
après, des roquettes israéliennes
visaient à leur tour la région liba-
naise de Tyr.
Le Hezbollah devrait organiser
lundi les funérailles de « [son]
martyr » dans la banlieue sud de
Beyrouth, avant que ne s’exprime
en soirée son chef, Hassan Nasral-
lah. On ne sait s’il répondra à la
question qui agite le Liban : l’ar-
mée russe, qui soutient le régime
syrien et qui a établi un canal de
communication avec son homo-
logue israélienne sur leur activité
aérienne en Syrie, était-elle au
courant de l’opération ? p
laure stephan
blanchi par le TAS d’ici au 26 jan-
vier, soit un mois avant l’élection,
pour espérer faire valider par la
commission électorale de la FIFA
sa candidature à la présidence.
« Cela va être très serré et compli-
qué pour Platini », confie un ob-
servateur avisé des instances
mondiales.
Dès l’annonce de la décision du
juge Eckert, Joseph Blatter a, lui,
convoqué la presse près de l’an-
cien siège de la Fédération inter-
nationale, sur la colline zuri-
choise du Sonnenberg. Pour ré-
gler ses comptes ? « Il n’aurait ja-
mais pensé que le comité d’éthique
se retourne contre lui, analyse son
ancien conseiller Guido Tognoni.
Il s’en servait surtout pour radier
ses adversaires. »
Elu à sa tête à cinq reprises de-
puis 1998, l’Helvète quitte ainsi
par la petite porte la FIFA, dont il
était salarié depuis 1975. Sepp
Blatter laisse derrière lui une or-
ganisation richissime (une ré-
serve financière de 1,4 milliard
d’euros en 2015), mais minée par
les scandales de corruption. p
rémi dupré
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015 planète | 7

Chine: Shenzhen
engloutie par
une immense
coulée de boue
L’accident, dû notamment
à des erreurs humaines, épingle le Lundi
21 décembre,
modèle de développement chinois des secouristes
cherchent
d’éventuels
survivants
pékin - correspondant de guerre pour secourir des victi- après
mes : 1 500 sauveteurs ont bataillé l’effondrement

L
es vidéos amateurs diffu­
sées par la télévision chi­
noise montrent l’am­
pleur du désastre qui a
frappé, dimanche 20 décembre
vers midi, un parc industriel de
Shenzhen, le berceau de l’ouver­
ture économique chinoise, dans
le sud du pays : une coulée de
boue s’avance vers un immeuble
de trois étages et le fait s’effondrer
comme s’il avait été dynamité. Au
loin, un geyser de boue haut de
plusieurs dizaines de mètres
s’élève vers le ciel – possiblement
dû à la rupture d’un des princi-
paux gazoducs qui alimentent
Hongkong en gaz naturel.
Cette catastrophe n’a rien de na-
turel : la boue provient d’une an-
cienne carrière qui accueillait de-
puis des années les déchets des
excavations des sites de construc-
tion de la région, jusqu’à former
une colline artificielle de près de
100 mètres de hauteur. Elle a fini
par basculer, peut-être sous l’im-
pact de fortes pluies.
Près de 900 personnes ont pu
être évacuées à l’approche de la
coulée, mais au moins 91 autres
sont à ce stade comptabilisées
comme disparues. Trente-trois
bâtiments ont été détruits sur
près de 100 000 mètres carrés. Les
autorités locales sont sur le pied
dans la nuit de dimanche à lundi
en quête de signes de vie, tandis
que le président chinois Xi
Jinping a appelé à tout faire pour
retrouver des survivants.
Dans un témoignage cité par le
quotidien cantonais Nanfang,
Cheng Yiquan, un travailleur mi-
grant originaire de la province du
Hunan, raconte avoir été tiré du lit
par sa femme, dans son dortoir
pour ouvriers de la construction,
et avoir pris ses jambes à son cou :
« On a couru pendant plusieurs mi-
nutes, c’était comme dans un film
catastrophe. »
Anarchie urbaine
He Weiming, un éboueur de
36 ans originaire du Henan, a ex-
pliqué à l’agence Xinhua ne plus
avoir de nouvelles de ses parents,
son fils, sa femme et plusieurs
Trente-trois
bâtiments ont été
détruits sur près
de 100 000 m2
et au moins
91 personnes
ont disparu
autres membres de la famille,
après avoir retrouvé sa maison
engloutie par le torrent de boue à
son retour du travail avec son
frère : « Quand on est revenus, on
ne voyait même pas le toit de la
maison qui fait pourtant quatre
mètres de haut. » Il a tenté d’appe-
ler les siens des dizaines de fois au
téléphone, sans succès, et ne sait
pas s’ils ont pu s’échapper à
temps. Une partie des habitations
touchées regroupait des familles
de récupérateurs de déchets, ori-
ginaires de provinces de l’inté-
rieur de la Chine.
Le parc de Hengtaiyu, où a eu
lieu l’incident, dans le nouveau
district de Guangming, à une
trentaine de kilomètres au nord-
ouest de Shenzhen, appartient au
patchwork de zones industrielles
qui constitue la périphérie de la
mégapole : usines et ateliers de
sous-traitance y côtoient des
champs et des villages convertis
en dortoirs pour migrants.
Y règne une anarchie urbaine
souvent bien loin de l’image de
hub high-tech que projette la célè-
bre « zone économique spéciale »,
où sont installés les grands noms
de l’électronique chinoise et mon-
diale et où vivent près de 20 mil-
lions de personnes. Shenzhen, et
la ville voisine de Dongguan, affi-
chent les symptômes d’un déve-
loppement trop rapide, oublieux
des lourdes séquelles écologiques
et sanitaires qu’il provoque.
Des signaux d’alerte avaient
pourtant été donnés. Selon le site
d’information chinois Sohu, une
étude d’impact environnemental
a prévenu en janvier que la dé-
charge de Hengtaiyu était un site à
risque en raison d’une érosion des
sols de la carrière susceptible de
conduire à des effondrements.
Déjà, plusieurs médias chinois se
sont mis en quête de responsabili-
tés, avant que la censure ne les en
empêche. Le magazine d’informa-
tion Caixin avance ainsi que le site
a été créé par une société locale de
gestion d’immeubles (l’équivalent
d’un syndic), la Shenzhen Lü Wei
Housing Management Company,
qui a reçu en février 2015 le feu
vert du gouvernement du district
de Bao’an pour l’utiliser comme
décharge temporaire pour des dé-
chets de construction.
Cette accumulation d’erreurs
humaines et de failles en matière
d’application des normes va de
nouveau braquer les projecteurs
sur le modèle de développement
chinois. Elles rappellent bien sûr
la catastrophe de Tianjin d’août
de plusieurs
bâtiments
à Shenzhen.
AP
dernier : un entrepôt de produits
toxiques avait explosé, provo-
quant des dégâts colossaux. Les
normes en matière de stockage et
de comptabilité des produits
avaient été grossièrement vio-
lées.
Dans son éditorial du 20 dé-
cembre, le quotidien Global Times
pointe les défis que présente
l’adoption de mesures de sûreté
plus strictes dans le secteur ma-
nufacturier à un moment où
l’économie ralentit. Celle-ci pour-
rait toutefois être un bienfait dé-
guisé, car elle « répond à la straté-
gie de transformer la Chine “usine
du monde” en une nation indus-
trielle avancée d’ici à 2025 ». p
brice pedroletti

Malgré la croissance, les inégalités

freinent le développement de l’Inde
Selon l’ONU, la dixième économie mondiale doit améliorer l’accès à la
santé et à l’éducation et réduire la discrimination envers les femmes

new delhi - correspondance qui grèvent le développement en femmes en Inde est pire que chez
Inde, et qui feraient perdre au pays ses voisins comme le Bangladesh

B onne ou mauvaise nou-

velle pour l’Inde ? Au clas-
sement 2015 de l’Indice de
développement humain (IDH), pu-
blié lundi 14 décembre par les Na-
tions unies, la 10e économie mon-
diale se place à la 130e position sur
188, gagnant une place par rapport
à l’année précédente. L’IDH évalue
le bien-être humain en fonction de
la possibilité de vivre longtemps et
en bonne santé, d’acquérir des
connaissances et d’avoir un ni-
veau de vie décent.
Entre 1990 et 2014, la perfor-
mance de l’Inde est indiscutable.
Sa progression du point de vue de
l’IDH est la 18e plus rapide au
monde. L’espérance de vie a bondi
de 10 ans. La sous-nutrition ne
frappe plus que 39 % des enfants
âgés de moins de 5 ans contre 46 %
il y a 8 ans. Puis la progression de
l’IDH a marqué le pas. Elle attei-
gnait, en rythme annuel, 1,49 % en-
tre 1990 et 2000, et 1,67 % entre
2000 et 2010, avant de chuter à
0,97 % entre 2010 et 2014 alors que
la croissance indienne s’est pour-
suivie sur la même trajectoire,
avec un léger fléchissement. La
hausse du PIB ne s’est donc pas tra-
duite par une amélioration dans
les mêmes proportions des indica-
teurs de développement.
Le rapport des Nations unies sur
l’IDH pointe les fortes inégalités
près du tiers de son IDH. Elles sont
d’abord scolaires. Seuls 42 % des
jeunes de moins de 25 ans ont
poursuivi leurs études jusqu’au
secondaire. Et ils sont bien plus
nombreux à ne savoir ni lire ni
écrire.
Si l’Inde a construit des établis-
sements scolaires, inscrit dans la
loi le « droit à l’éducation » ou aug-
menté le salaire des instituteurs,
beaucoup d’enfants ne ressortent
pas de l’école beaucoup plus édu-
qués qu’ils n’y sont rentrés. Le
prochain défi de l’Inde, dans ce
domaine, consiste à améliorer la
qualité de l’enseignement, dans
les villes comme dans les campa-
gnes. Les inégalités scolaires qui
minent le pays sont celles de l’ap-
prentissage.
Le PIB ne fait pas de miracles
Pour expliquer ces inégalités, il y a
bien sûr la stratification de la so-
ciété indienne en castes, encore
forte dans les zones rurales, et la
discrimination à l’égard des fem-
mes. S’il n’y avait que des femmes
en Inde, le pays chuterait de 30 pla-
ces, pour finir en bas du classe-
ment. Le tiers d’entre elles ont ac-
cès à Internet, soit moitié moins
que les hommes. Huit sur 10 n’ont
pas accès à des comptes bancaires
et elles n’occupent que 12 % des siè-
ges au Parlement. La condition des
ou le Pakistan.
La correction des inégalités dans
l’accès à la santé ou à l’éducation
passe par une amélioration des
services publics, à savoir une
hausse des dépenses sociales et A STORY OF BROTHERS*
une meilleure gouvernance.
Autrement dit, le PIB à lui seul ne
peut pas faire de miracles. Après
avoir lancé dans les années 2000
de nombreux programmes so- * UNEHISTOIRE
ciaux ambitieux, comme celui qui DE FRERES
garantit au moins 100 jours d’em- Colin Scott, maître
plois aux familles rurales, New assembleur, et Graeme
Mitchell, responsable
Delhi a réduit ses ambitions. des chais de vieillissement,
Dans le budget de l’année fiscale reproduisent chaque jour
2015-2016 le gouvernement a ré- les gestes des frères
JAMES & JOHN CHIVAS,
duit les budgets consacrés à l’édu- deux entrepreneurs
cation et à la santé de respective- accomplis qui ont défini
ment 16 % et 15 %, même si la part l’art de l’assemblage
selon CHIVAS REGAL.
dévolue aux Etats fédéraux a aug-
menté. Cette année, l’Etat a dé-
pensé plus d’argent pour cons-
truire des routes que pour soigner
la population. Des centaines de
milliers d’Indiens tombent ainsi
sous le seuil de pauvreté chaque
année pour faire face à leurs dé-
penses de santé. Or une popula-
tion mieux soignée, éduquée et
formée contribuerait à une hausse
de la croissance. Selon les calculs
du Programme des Nations unies
pour le développement, la créa-
tion d’un filet social minimum ne
coûterait que 4 % du PIB indien. p L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.
julien bouissou
8 | france 0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015

É TAT D ’ U R G E N C E

Etat d’urgence : questions après l’unanimité

Réforme constitutionnelle, renforcement des pouvoirs de la police… Plusieurs textes sont en préparation

L
a France vit depuis plus
de cinq semaines sous le
régime de l’état d’ur-
gence. Décrété par le gou-
vernement dans la nuit du 13 au
14 novembre, alors même que
l’assaut contre les terroristes du
Bataclan n’était pas donné, et le
bilan sanglant de cette furie
meurtrière n’était, par la force de
choses, pas établi, cet état d’excep-
tion a fait l’unanimité. Classe poli-
tique et opinion publique, trau-
matisées par les 130 morts de ces
attentats, ont appuyé sans la
moindre hésitation la mesure dé-
cidée par François Hollande et
Manuel Valls.
Très vite, le président de la Répu-
blique a voulu aller bien au-delà
dans la réponse politique et juridi-
que à la menace terroriste. Après
la prorogation de l’état d’urgence
pour trois mois et l’élargissement
des mesures à la discrétion du mi-
nistre de l’intérieur pendant cette
période, votés à l’unisson les 19 et
20 novembre par l’Assemblée na-
tionale et le Sénat, trois autres tex-
tes majeurs sont en préparation :
une réforme de la Constitution,
dont le texte sera soumis dès mer-
credi 23 décembre au conseil des
ministres ; un nouveau projet de
loi renforçant encore les pouvoirs
de police pendant l’état d’ur-
gence ; et un projet de loi sur la
procédure pénale destiné à accroî-
tre les moyens légaux et techni-
ques de la police et du parquet
dans la lutte antiterroriste, hors
état d’urgence.

« Pas de juge, pas de droit »

Une inflation législative sans pré-
cédent autour d’un même objec-
tif, la lutte contre le terrorisme dji-
hadiste. Il est trop tôt pour mesu-
rer l’efficacité de cet arsenal. En re-
vanche, « quelques semaines
auront suffi à faire prendre cons-
cience de quantités d’effets collaté-
raux tout à fait nuisibles à la cohé-
sion nationale », s’alarme Chris-
tine Lazerges, présidente de la
Commission nationale consulta-
tive des droits de l’homme. « Le
discours porté par le gouverne-
ment, selon lequel pour être plus
efficace contre le terrorisme il faut
laisser l’administration sans con-
trainte et se passer du juge, est ex-
trêmement inquiétant et dange-
reux, dénonce Patrice Spinosi,
avocat de la Ligue des droits de
l’homme. Quand il n’y a pas de
juge, il n’y a pas de droit. »
L’état d’urgence n’est pas le con-
traire de l’Etat de droit. Le principe
inscrit dans la loi de 1955, initiale-
ment destinée à être appliquée en
Les ministres de l’intérieur et de la justice, Bernard Cazeneuve et Christiane Taubira, à l’Elysée, le 14 novembre. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH POLITICS POUR « LE MONDE »
Algérie au début de la guerre d’in-
dépendance, est de suspendre
temporairement certains droits
prévus par la Constitution,
comme le contrôle judiciaire de
mesures de police, et d’autoriser
des perquisitions administratives
et des assignations à résidence dé-
cidées par le ministre de l’inté-
rieur. La Convention européenne
des droits de l’homme prévoit ex-
pressément la possibilité pour les
Etats de déroger temporairement
et sous condition au respect de
certaines libertés fondamentales
comme le droit d’aller et venir ou
le droit à la vie privée.
L’état d’urgence a également été
instauré en Nouvelle-Calédonie
en 1985 et dans vingt-cinq dépar-
tements métropolitains en 2005
après les émeutes de banlieue. La
loi autorise le gouvernement à le
le Conseil constitutionnel l’un
des avocats des militants qui ont
été assignés à résidence le temps
de la COP21. Saisie d’une question
prioritaire de constitutionnalité,
l’institution présidée par Jean-
Louis Debré va décider mardi
22 décembre si elle juge l’article de
loi sur les assignations à rési-
dence conforme à la Constitution.
Les dérapages relevés par l’Ob-
servatoire de l’état d’urgence sur
LeMonde.fr font état de perquisi-
tions ou d’assignations abusives
avec parfois des erreurs manifes-
tes dans le choix des cibles. Or, la
justice administrative, censée
contrôler ces mesures, est jus-
qu’ici peu saisie. Moins de qua-
rante recours devant les tribu-
naux administratifs ont été enre-
gistrés au 15 décembre sur 360 as-
signations à résidence et 2 700
rieur et non par le juge adminis-
tratif, qui ne semble pas en me-
sure de contrôler grand-chose.
De quoi faire hurler les magis-
trats. Virginie Duval, présidente
de l’Union syndicale des magis-
trats (majoritaire), souligne que
son syndicat n’est pas opposé à
l’état d’urgence, mais s’inquiète
que le contrôle judiciaire soit à ce
« Quelques
semaines
auront suffi
à faire prendre
conscience
des effets
collatéraux »
point écarté. « Pourquoi ne pas
prévoir comme dans le droit des
étrangers qu’au-delà de cinq jours
d’assignation à résidence, c’est au
juge judiciaire de statuer ? », inter-
roge-t-elle.
« Interrogations manifestes »
Au sujet de la dissolution des as-
sociations, élargie pour permet-
tre notamment de fermer les
mosquées dans lesquelles serait
prêché un appel au djihad, la défi-
nition retenue par la loi du 20 no-
vembre va bien au-delà. La loi vise
« les associations ou groupements
de fait qui participent à la commis-
sion d’actes portant une atteinte
grave à l’ordre public ou dont les
activités facilitent cette commis-
sion ou y incitent ». Une mesure
qualifiée de « dangereuse » par le
constitutionnaliste Olivier Duha-
Landes et qui aurait dégénéré »
(Le Monde daté 12 décembre).
Il n’est guère étonnant, dans ces
conditions, que certains mem-
bres importants de la majorité
commencent à faire entendre
leur différence. Jean-Jacques Ur-
voas, président de la commission
des lois de l’Assemblée, qui a mis
en place un contrôle parlemen-
taire volontariste de l’état d’ur-
gence, a ainsi publiquement fait
part le 16 décembre d’« interroga-
tions manifestes sur la justifica-
tion de certaines mesures indivi-
duelles ou générales ».
Prochaine étape, le projet de ré-
forme de la Constitution afin d’y
inscrire l’état d’urgence et la dé-
chéance de nationalité. Toute la
difficulté va être de préparer la
sortie. Un vrai dilemme, car l’état
d’urgence ne peut pas, en soi, éra-

LE CONTEXTE décréter pour douze jours « soit en

cas de péril imminent résultant
d’atteintes graves à l’ordre public,
soit en cas d’événements présen-
perquisitions administratives in-
tervenues depuis le 13 novembre.
présidente de la Commission
Les « erreurs » ont jusqu’ici été re-
connues par le ministère de l’inté-
CHRISTINE LAZERGES
nationale consultative des
droits de l’homme
mel, car elle permettrait « d’inter-
dire un parti qui par exemple
aurait appelé à une manifestation
interdite du type Notre-Dame-des-
diquer la menace terroriste. Et sa
prolongation trahirait son es-
sence temporaire. p
jean-baptiste jacquin

À LA JUSTICE
DE S’ADAPTER
C’est un fait, l’état d’urgence
tient le juge judiciaire à l’écart
du contrôle des mesures admi-
nistratives décidées pendant
cette période. Mais le dispositif
va plus loin. Lorsqu’une assigna-
tion à résidence décidée par le
ministre de l’intérieur est en con-
tradiction avec une mesure de
contrôle judiciaire dont la per-
sonne visée ferait déjà l’objet,
c’est à la justice de s’adapter.
Dans une note diffusée aux pro-
cureurs le 11 décembre, la direc-
tion des affaires criminelles et
des grâces du ministère de la jus-
tice leur explique ainsi que c’est
au ministère public de se livrer
« à un examen attentif de la situa-
tion ». Si par exemple les horaires
de pointage ou le lieu d’assigna-
tion à résidence ne sont pas
compatibles avec un contrôle ju-
diciaire déjà en place ou une sur-
veillance sous bracelet électroni-
que, ce sera à la justice de faire
modifier ses propres mesures.
tant, par leur nature et leur gravité,
le caractère de calamité publi-
que ». Seul le Parlement peut en
prolonger la durée.
Le piège de la déchéance de nationalité
Dérapages
La loi du 20 novembre, votée dans
une atmosphère de surenchère
sécuritaire après les attentats, a
sensiblement élargi les moyens
du gouvernement dans les deux
principaux domaines où il sou-
haitait agir vite et fort : les assi-
gnations à résidence et la dissolu-
tion d’associations cultuelles. La
loi de 1955 autorisait le ministre
de l’intérieur à assigner à rési-
dence une personne « dont l’acti-
vité s’avère dangereuse pour la sé-
curité et l’ordre publics ».
Désormais, il n’est plus néces-
saire de démontrer une quelcon-
que activité dangereuse. Est visée
toute personne « à l’égard de la-
quelle il existe des raisons sérieuses
de penser que son comportement
constitue une menace pour la sé-
curité et l’ordre publics ». Une défi-
nition trop floue « qui autorise les
procès d’intention et l’arbitraire »,
a dénoncé le 17 décembre devant
mais pourquoi donc François Hollande
s’est-il mis dans une telle galère ? Quoi qu’il
décide sur la déchéance de nationalité, cela
lui sera vertement reproché, que ce soit par
les partisans d’une telle mesure symboli-
que, s’il l’abandonne, ou ses opposants, s’il
la maintient. En annonçant devant le Parle-
ment réuni en Congrès à Versailles le 16 no-
vembre, sa décision d’étendre la déchéance
de nationalité aux binationaux nés fran-
çais, et de l’inscrire dans la Constitution, le
président de la République faisait sienne
une mesure venue de la droite, marquant
ainsi clairement sa volonté de faire l’unité
nationale.
En quelques semaines, cette mesure à la-
quelle personne ne prête une quelconque
utilité dans la lutte contre le terrorisme dji-
hadiste est devenue un encombrant sym-
bole. D’une droitisation du gouvernement
d’abord, de ses hésitations ensuite, de son
absence de cap enfin.
La gauche n’a pas bronché sur le mo-
ment, mais les voix discordantes n’ont pas
tardé à se faire entendre. Au sein du gou-
vernement, Christiane Taubira, viscérale-
ment opposée à une telle mesure qui re-
met en cause le droit du sol, s’est tue.
Comme d’autres, elle espérait que le projet
transmis le 1er décembre au Conseil d’Etat
serait retoqué pour des problèmes de con-
formité avec les engagements internatio-
naux de la France, au premier rang des-
quels la Convention européenne des droits
de l’homme. Bernard Cazeneuve a pour sa
part exprimé ses réticences sur la faisabi-
lité pratique d’une telle disposition et donc
sur son intérêt.
Exclure les auteurs de délit
Mais la haute institution administrative
laisse le gouvernement prendre ses res-
ponsabilités. Elle exprime des réticences à
l’égard d’une telle disposition, mais estime
qu’elle n’est « contraire à aucun engage-
ment international ou européen auquel la
France est partie ». Bref, si le gouvernement
veut une telle disposition, une loi risque-
rait d’être inconstitutionnelle et c’est donc
bien dans la Constitution qu’il faut l’intro-
duire. Le Conseil d’Etat recommande, dans
son avis consultatif, d’en réduire le champ
« aux auteurs des crimes les plus graves con-
tre la vie de la nation » et d’en exclure les
auteurs de délit.
La déchéance de nationalité a été intro-
duite dans le droit français dès le milieu du
XIXe siècle. C’est le régime de Vichy qui y a
eu le plus recours, en l’occurrence contre
des juifs d’origine étrangère. Il est possible
aujourd’hui de la prononcer à l’encontre de
personnes naturalisées, ayant conservé
leur ancienne nationalité, mais pas pour
des binationaux français de naissance. Cer-
tains estiment justement que l’extension
aux binationaux nés français mettrait fin à
une discrimination à l’égard des naturali-
sés. Pour le gouvernement, « il s’agit pour la
communauté nationale de pouvoir décider
de sanctionner ceux qui par leur comporte-
ment visent à détruire le lien social ».
Au final, la décision de François Hollande
et de Manuel Valls risque de dépendre sur-
tout de leur analyse des conséquences sur
la majorité, droite et gauche confondues,
qu’ils cherchent à réunir au Congrès pour
faire voter la réforme constitutionnelle. p
j.-b. j.
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015 france | 9

Des doutes député des Yvelines, les discus-

sions sur cette réforme constitu-
tionnelle et le discours sur le terro-
Observer les perquisitions
sur le projet
risme ne doivent pas empêcher la
majorité de réfléchir aux autres
axes de sa politique. « La question
et assignations à résidence
sécuritaire sature le débat public,
regrette-t-il. Il n’y a aucun projet
Sur Lemonde.fr, un blog raconte au quotidien l’état d’urgence
de réforme de positif mobilisateur pour la nation
mais presque exclusivement un dis-
cours sur la menace, sur l’ennemi
intérieur et extérieur. » QUI SONT-ILS, ces assignés et ces perqui- destinées à lutter contre le terrorisme.

la Constitution Sans surprise, l’opposition la

plus ferme à la prolongation de
l’état d’urgence devrait se trouver à
la gauche du PS. Ecologistes et
Le président de la commission communistes avaient pourtant
voté à une très large majorité en fa-
des lois de l’Assemblée, M. Urvoas, veur de sa mise en place le 19 no-
vembre. Mais l’union sacrée qui
exprime ses réserves sur le texte avait suivi les attentats a vécu.
Chez les députés écologistes, une
bonne partie devrait s’élever con-
tre la prolongation de l’état d’ur-
gence et son inscription dans la
sitionnés ? Au fond, la question qui a
donné naissance à notre Observatoire de
l’état d’urgence, installé sur Lemonde.fr
depuis le 23 novembre, est assez simple.
Rapidement, les témoignages spontanés,
la lecture attentive de la presse régionale,
qui assure un suivi détaillé du sujet, nous
ont permis de déceler des points com-
Que se cache-t-il derrière les bilans chiffrés
volontiers communiqués par le ministre de
muns, une ambiance générale, un con-
texte : l’improvisation dans l’action, l’exa-
l’intérieur, Bernard Cazeneuve, et même
par le premier ministre, Manuel Valls, pour
gération dans la communication, la
brutalité de certaines opérations. Les ré-
afficher leur réactivité après les attentats
du 13 novembre : tant de perquisitions,
cits que nous avons recueillis ne préten-
dent pour autant ni à l’exhaustivité ni à
tant d’assignations à résidence, tant d’ar- la représentativité. Ils racontent simple-
mes saisies, tant de drogue confisquée. ment le quotidien d’un pays en état d’ur-
De la drogue… On pensait pourtant que gence inédit dans son ampleur. En voici

F
rançois Hollande n’a plus
que quelques heures pour
mettre la dernière main
au projet de réforme cons-
titutionnelle, qui doit être pré-
senté en conseil des ministres
mercredi 23 décembre. Le chef de
l’Etat n’a pas encore indiqué s’il al-
lait enterrer définitivement la dé-
chéance de nationalité, évoquée
lors de son discours devant le Con-
grès le 16 novembre, trois jours
après les attaques terroristes à Pa-
ris et à Saint-Denis. Mais tout
laisse à penser que cette mesure,
qui fait tousser la gauche, sera
abandonnée. Cette concession de-
vrait permettre de plaider plus fa-
cilement auprès de sa majorité
pour un toilettage de la loi de 1955
qui permettra de prolonger l’Etat
d’urgence, mis en place depuis un
mois. Mais si celui-ci avait été
adopté pour trois mois à la quasi-
unanimité des parlementaires, le
19 novembre – six députés avaient
voté contre et un s’était abstenu –,
le débat risque d’être plus compli-
qué la prochaine fois.
L’exécutif devra convaincre la
droite de voter sa réforme, pour at-
teindre les trois cinquièmes du
Parlement, mais devra aussi faire
le plein à gauche. L’état d’esprit
d’union nationale, qui prévalait
parmi les élus après les attentats,
avait quelque peu occulté les dis-
cussions au sein de la majorité sur
la question. Mais entre-temps, la
vie démocratique a repris dans le
pays et les élections régionales se
sont déroulées. Plusieurs voix
commencent à s’élever à gauche
pour appeler à examiner les faits
avant de voter une prolongation
sans condition.
Jean-Jacques Urvoas, député (PS)
du Finistère et président de la
commission des lois à l’Assemblée
nationale, a fait part de ses réser-
ves le 16 décembre : « Des interro-
gations manifestes existent sur la
justification de certaines mesures
individuelles (perquisitions, assi-
gnations à résidence) ou générales
(interdictions de manifester). » Ce
proche de Manuel Valls a mis en
place le 2 décembre une commis-
sion d’enquête parlementaire,
pour surveiller les conditions
d’application de l’état d’urgence.
Certaines mesures prises pour
empêcher des manifestants de
s’exprimer lors de la COP21 parais-
sent totalement décalées. M. Ur-
voas appelle donc à réfléchir à « la
finalité et au périmètre de l’état
d’urgence » : « Doit-il veiller au
maintien de l’ordre public dans son
ensemble ou être concentré sur la
seule lutte contre le terrorisme ? »
La gauche du PS, qui était restée
assez silencieuse lors du vote du
19 novembre, commence de son
côté à s’interroger à voix haute.
Christian Paul, député de la Nièvre
et meneur des frondeurs, appelle à
faire le « bilan de l’efficacité opéra-
tionnelle, des difficultés et des fau-
tes commises » avant d’envisager
une prolongation de l’état d’ur-
gence, qui ne « peut pas devenir un
outil de droit commun de gestion
de la justice ». Pour l’ancien minis-
tre de l’éducation Benoît Hamon,
Une bonne partie
des députés
écologistes
devraient s’élever
contre la
prolongation de
l’état d’urgence
Constitution, comme l’a indiqué
dimanche 20 décembre Cécile Du-
flot lors du « Grand Rendez-vous »
Europe 1/Le Monde/i-Télé.
« Eviter des complications »
Si la coprésidente du groupe éco-
logiste à l’Assemblée nationale a
jugé utile l’état d’urgence « pen-
dant les premières semaines pour
identifier les cellules dormantes, les
armes », elle a cependant plaidé
pour que « ça s’arrête ». L’ancienne
ministre n’est pas non plus favora-
ble à l’inscription dans la Constitu-
tion de l’état d’urgence, et met en
garde contre la mise en place d’un
« état d’exception ».
Les votes ne devraient cepen-
dant pas être homogènes chez les
écologistes, désormais partagés
en deux sous-groupes à l’Assem-
blée nationale. « Si le fait de consti-
tutionnaliser peut permettre d’évi-
ter des complications, la majorité
d’entre nous y est favorable », ex-
plique de son côté Barbara Pom-
pili, l’autre coprésidente du
groupe, qui représente la branche
pro-gouvernement.
L’exécutif ne devrait en revan-
che trouver aucun soutien du côté
du Front de gauche. « On demande
déjà depuis un moment à ce que
l’état d’urgence soit levé, ce n’est
pas pour le constitutionnaliser »,
explique Eliane Assassi, la prési-
dente du groupe Communiste, ré-
publicain et citoyen au Sénat. La
prolongation de l’état d’urgence
avait déjà suscité beaucoup de dé-
bats chez les communistes en in-
terne et les votes s’étaient parta-
gés entre approbation et absten-
tion. Selon la sénatrice de Seine-
Saint-Denis, cette fois, ce sera
résolument un vote contre. p
raphaëlle besse desmoulières
et nicolas chapuis
les mesures liées à l’état d’urgence étaient
Perquisition
à Carcassonne
(Aude), le
20 novembre
CLAUDE BOYER/
PHOTOPQR/MAXPPP
Un catholique assigné à
résidence pour… salafisme
Mickaël L., 30 ans, a été le premier à se voir
notifier une assignation à résidence en
Haute-Garonne, le 16 novembre, car il est
suspecté d’appartenir à « un réseau terro-
riste et salafiste ». Seul problème : le jeune
homme est catholique. Dès le lendemain
de la notification de son assignation, il se
rend au commissariat de Blagnac pour
prouver sa bonne foi. Aux policiers, il dé-
voile un énorme tatouage sur son bras droit
représentant une grande main tenant un
chapelet. « Je suis catholique pratiquant. Le
tatouage, je l’ai depuis environ quatre mois.
Je suis même allé à Lourdes avec mes en-
A Rennes, le juge
administratif recommande
de sécher les cours
Le juge des référés du tribunal administratif
de Rennes ne croit que ce qu’il voit, et en-
core. Le 30 novembre, il a rejeté cinq requê-
tes en référé-liberté contre des assignations
à résidence prises par le ministre de l’inté-
rieur dans le cadre de la COP21. Pas d’ur-
quelques extraits.
fants il y a trois semaines. J’adore visiter les
églises et j’y vais souvent avec les gamins
pour leur montrer. » Ce matin du 4 décem-
bre, alors que nous quittons le commissa-
riat avec lui, nous croisons par hasard dans
la rue un officier de police judiciaire qui
connaît Mickaël : « Comment ça va, (…) ? »
« Très mal, heureusement que vous avez été
sympa avec moi, mais la justice ne veut rien
entendre », répond Mickaël. Le policier est
gêné : « C’est le bordel entre les services. La
DGSI nous envoie des dossiers comme on les
jette à la poubelle. Je comprends votre dé-
sarroi. » Le ministre de l’intérieur a finale-
ment annulé l’arrêté le 14 décembre. p
philippe gagnebet
(toulouse, correspondance)
Pour une autre militante, c’est l’extrait d’un
contrat de travail produit « qui ne présente
pas un caractère suffisamment probant ».
Et pour un dernier militant, le juge démon-
tre enfin une vision libérale de l’assiduité
universitaire. « Considérant qu’une absence
ponctuelle à quelques cours universitaires,
pour lesquels au demeurant aucune obliga-
tion d’assiduité n’est démontrée, ne caracté-
rise pas une urgence particulière rendant né-
cessaire l’intervention dans les quarante-

Le premier magistrat de France inquiet gence, selon lui. Exit ainsi l’entretien d’em-
bauche de A., qui avait fourni l’e-mail du
potentiel employeur comportant tous les
huit heures d’une mesure destinée à la
sauvegarde d’une liberté fondamentale. »
Les ordonnances du tribunal de Rennes

du pouvoir croissant du Conseil d’Etat détails du rendez-vous et les coordonnées

de son contact.
Exit aussi les obligations familiales de B. et
ont finalement été annulées par le Conseil
d’Etat, qui a reconnu l’urgence mais a
maintenu les assignations sur le fond. p
Bertrand Louvel déplore la mise à l’écart de l’autorité judiciaire C., parents d’un enfant de 4 ans scolarisé. laurent borredon

Pour la police,

B ertrand Louvel, premier

président de la Cour de cas-
sation, et à ce titre premier
magistrat de France, a dit vendredi
18 décembre tout le mal qu’il pen-
la magistrature (CSM), mais c’est le
ministère de la justice qui a auto-
rité sur tout le fonctionnement
des juridictions : « Si un juge veut
passer du tribunal de Paris à celui
juges. « Ainsi, paradoxalement, les
spécificités de la magistrature, con-
çues comme une garantie essen-
tielle des droits et libertés du ci-
toyen, notamment à l’encontre de
une perquisition
tient en trois lignes

Le procès-verbal est lapidaire. Dans la

sait de la mise à l’écart de l’autorité
judiciaire, tant dans la loi rensei-
gnement que dans le cadre de
l’état d’urgence. La démarche est
rare et notable, mais la proverbiale
réserve du haut magistrat a un
peu assourdi la vigueur de sa criti-
que : il n’est pas certain que ce dis-
cret coup de tonnerre bouleverse
les pouvoirs publics.
« Le principe de la séparation des
pouvoirs veut que la justice soit
rendue par une autorité distincte
du pouvoir politique, a déclaré Ber-
trand Louvel lors d’un colloque
sur le statut du magistrat. La jus-
tice statue sur les droits et libertés
du citoyen. » Mais la France, « en-
core très imprégnée de son an-
cienne culture monarchique, peine
à installer un système judiciaire
authentiquement indépendant ».
L’indépendance des juges est ga-
rantie par un Conseil supérieur de
de Lille, il doit en faire la demande
au ministre. »
Un système hybride et peu satis-
faisant, qui « tend à entretenir dans
l’esprit des juges une culture de dé-
pendance », résume fortement le
premier président. De surcroît,
c’est le Conseil d’Etat, le juge de
l’administration, qui fixe la fron-
tière entre l’activité du juge judi-
ciaire et le service public de la jus-
tice. C’est même lui qui contrôle
les avis du CSM sur la nomination
des magistrats : « Le Conseil supé-
rieur de la magistrature, protecteur
de la déontologie judiciaire, se
trouve ainsi directement soumis au
plein contrôle du juge de l’adminis-
tration », déplore M. Louvel.
L’agacement réciproque entre la
Cour de cassation et le Conseil
d’Etat est ancien, mais il semble
aujourd’hui que la juridiction ad-
ministrative ait pris le pas sur les
l’administration, sont aujourd’hui
progressivement transférées dans
la sphère de contrôle du juge de
l’administration, au fur et à mesure
que le périmètre de l’organisation
du service public de la justice
s’étend au détriment du fonction-
nement proprement dit de l’auto-
rité judiciaire. »
C’est désormais le juge adminis-
tratif qui est chargé du conten-
tieux de la loi renseignement et de
celui de l’état d’urgence – le juge
judiciaire a été mis sur la touche.
« N’est-il pas temps que notre Parle-
ment se saisisse de cette impor-
tante question, demande poli-
ment le premier président, pour
promouvoir une justice au service
du public et non une justice service
public, simple rouage de l’adminis-
tration générale de l’Etat sous
l’autorité du pouvoir exécutif ? » p
franck johannès
marge, à la mention « Affaire », il est sobre-
ment indiqué : « Perquisition administra-
tive ». Dans le corps du texte, comme pour
n’importe quelle perquisition, on trouve
d’abord la date, le 21 novembre 2015, et
l’heure, 5 heures 35 du matin. Les policiers
présents sont ensuite cités, bien sûr : offi-
ciers de police judiciaire, deux membres de
la cellule technique opérationnelle de la sû-
reté départementale, spécialisée dans
l’ouverture des portes, des « conducteurs cy-
nophiles », accompagnés « des chiens de dé-
tection explosifs, armes et munitions et stu-
péfiants ». Viennent l’adresse et le nom du
couple qui occupe l’appartement toulou-
DR
sain visité par les policiers, ce 21 novembre,
et leurs deux enfants de 4 et 6 ans. Puis le
clou du PV : « Disons que nos opérations per- rien n’est détaillé : ni le déroulé des événe-
mettent la découverte de : aucun élément ments, ni les pièces visitées, ni les fouilles
susceptible de nous orienter vers un cadre particulières effectuées. Et c’est tout ce que
juridique différent. » Traduction : les poli- la police et, plus globalement, les autorités
ciers repartent bredouilles, sans aucune in- garderont comme souvenir de leur passage
fraction à signaler. Contrairement aux pro- dans l’appartement des A., à Toulouse. p
cès-verbaux de perquisitions judiciaires, l. b.
10 | france
A l’Assemblée nationale, l’inquiétude émerge
La commission des lois tente de contrôler en temps réel la mise en place de la procédure d’exception
L’
atmosphère, mercredi
16 décembre, dans la
salle de la commission
des lois de l’Assemblée
nationale, avait un petit côté
gueule de bois. Comme si les dé-
putés réunis pour un premier bi-
lan de l’état d’urgence réalisaient,
doucement, les conséquences de
ce dernier. Bien loin des débats
vite troussés et martiaux sur sa
prorogation ou de la concorde
autour du discours sécuritaire de
François Hollande au congrès, le
22 novembre.
« Les personnes perquisitionnées
ont la terrible impression d’avoir
subi une humiliation, s’est inquiété
Erwann Binet (PS, Isère), à propos
des perquisitions administratives.
Ainsi, dans ma circonscription, une
famille a été perquisitionnée pour
des raisons auxquelles elle avait
très peu à voir. Certes, la perquisi-
tion s’est déroulée dans des condi-
tions assez respectueuses, mais, en
province, dans un petit quartier, ce
n’est évidemment pas discret, et
cela laisse des traces. »
Quelques instants auparavant,
le président de la commission des
lois de l’Assemblée nationale,
Jean-Jacques Urvoas, avait fait un
premier « point » sur le contrôle de
l’état d’urgence mis en place le
2 décembre. Un point d’interroga-
tion, pourrait-on dire, notam-
ment après l’utilisation des assi-
gnations à résidence et des per-
quisitions à l’encontre de mili-
tants écologistes avant la COP21 :
« Plus généralement, ces mesures
préventives doivent nous permet-
tre d’interroger sur la finalité et le
périmètre de l’état d’urgence :
doit-il veiller au maintien de l’ordre
public dans son ensemble ou être
concentré sur la seule lutte contre
le terrorisme ? »
La commission des lois s’est do-
tée, pour la première fois de la
Ve République, des pouvoirs d’in-
vestigation d’une commission
d’enquête. Son contrôle s’effectue
donc en temps réel, mais un pan
entier reste pour l’instant invisi-
ble, par souci de confidentialité
sur les cas évoqués mais aussi par
simple respect des règles de fonc-
tionnement des commissions
d’enquête parlementaire.
Pour s’informer, la commission
Première mise en examen pour terrorisme depuis le 14 novembre
Une vidéo d’allégeance à l’Etat islamique a été retrouvée chez un Tchétchène de 27 ans soupçonné de s’être rendu en Syrie
I l aura fallu attendre un mois
d’état d’urgence, 360 assigna-
tions à résidence et plus de
2 700 perquisitions administrati-
ves pour que les services de lutte
antiterroriste mettent la main sur
leur premier djihadiste présumé.
Vendredi 18 décembre, Issa K., un
ressortissant tchétchène de 27 ans,
a été mis en examen pour associa-
tion de malfaiteurs en relation
avec une entreprise terroriste et
placé en détention provisoire.
La nouvelle est à la fois rassu-
rante et inquiétante. Rassurante,
car elle vient rappeler que les hom-
mes susceptibles de mener des at-
taques en France constituent un
venant
de choc
« Les personnes
perquisitionnées
ont la terrible
impression
d’avoir subi
une humiliation »
ERWANN BINET
député PS, Isère
d’enquête a envoyé 60 courriers
au ministre de l’intérieur. Ils con-
cernent des cas répartis dans plus
de 35 départements : perquisi-
tions, assignations, six mesures
de police administrative. Seize
courriers attendent encore une
réponse, mais Bernard Cazeneuve
a promis de remédier à cette situa-
tion. « Si nous avons senti de la part
des administrations concernées, ici
ou là, des tentatives de comporte-
ments dilatoires, les ministres se
sont chargés de rappeler la dispo-
nibilité du gouvernement », a as-
suré M. Urvoas.
Grande disparité
Comment la commission trouve-
t-elle les cas sur lesquels elle de-
mande « des précisions » ? Par une
« lecture attentive des publications
dans la presse », par le Défenseur
des droits, et enfin par des avocats
ou des relais associatifs. Sur la du-
rée, les « trente associations, syndi-
cats et organisations non-gouver-
nementales qui siègent » à la Com-
mission nationale consultative
des droits de l’homme (CNCDH),
ont également été sollicités. Cette
dernière, de son côté, rendra un
avis le 15 février 2016 sur l’état d’ur-
gence. La commission des lois est
également allée sur le terrain,
dans le Val-de-Marne ou à Lyon.
Elle va continuer à le faire et
même « quotidiennement » pen-
dant les vacances de Noël.
La commission a également ob-
tenu de la chancellerie un bilan
des suites judiciaires des perquisi-
tions. Il dévoile une grande dispa-
rité. Sur le ressort des cours d’ap-
pel de Lyon, Nîmes, Grenoble,
Rouen ou encore Colmar, le taux
tourne autour de 30 %, alors qu’il
ne dépasse pas les 10 % à Metz,
groupe sans doute assez restreint.
Inquiétante, car le faible ratio en-
tre perquisitions et mises en exa-
men souligne la difficulté que ren-
contrent les services antiterroris-
tes à les identifier ou du moins à
matérialiser leurs intentions.
Ce jeune homme domicilié à
Tours, arrivé en France à l’adoles-
cence avec sa famille, était connu
des services de renseignement en
raison d’un déplacement en Tur-
quie courant 2013. Faute d’élé-
ments à charge – la réalité de son
passage en Syrie n’ayant pu être
établie –, il avait fait l’objet de sim-
ples vérifications sans être in-
quiété par la justice. Les services
É TAT D ’ U R G E N C E
Bourges, Agen et Chambéry. Au
plan national, 20 % des perquisi-
tions ont donné lieu à des procé-
dures judiciaires. M. Urvoas a sou-
ligné la « dynamique vertueuse en-
tre les préfets et les parquets ».
Enfin, la commission avait de-
mandé au ministère de l’intérieur
de fournir des données détaillées
sur chaque perquisition. Seules
500 sur 2 700 ont déjà été rensei-
gnées, parfois de manière incom-
plète. Des « compléments d’infor-
mation » seront réclamés. Concer-
nant les nombreux cas litigieux
relayés par les médias, des « diffé-
rences significatives » entre les
faits rapportés par les journalistes
et la version fournie par les auto-
rités sont apparues : « Les faits
souvent spectaculaires relayés pu-
bliquement n’apparaissent pas
d’enquête, qui l’avaient tout de
même gardé à l’œil, ont profité de
l’état d’urgence pour l’assigner à
résidence.
Sans lien avec les attentats
C’est lors d’une perquisition admi-
nistrative à son domicile, le 2 dé-
cembre, que les policiers décou-
vrent une vidéo d’allégeance à
l’Etat islamique tournée par ses
soins. Selon une source proche de
l’enquête, le jeune homme aurait
alors ouvertement menacé les
fonctionnaires présents dans son
appartement : « Je saurai vous re-
connaître. » Les policiers découvri-
ront quelques jours plus tard que
dans les réponses ministérielles. Je
pense notamment au non-respect
des sommations, aux brutalités de
l’investissement dans des locaux
ou encore de la prise à partie d’oc-
cupants qui peuvent être mi-
neurs. » « Qu’en conclure ? Est-ce
que nous devons aller plus loin
dans nos investigations ? », s’est
interrogé M. Urvoas.
Le député PS du Finistère a offert
des pistes de réflexion qui vont
guider la poursuite des travaux de
la commission. « Des interroga-
tions manifestes existent sur la jus-
tification de certaines mesures in-
dividuelles – perquisitions, assi-
gnations à résidence – ou généra-
les – interdictions de manifester –
prises dans le cadre d’urgence », a-
t-il expliqué, en dénonçant un ris-
que de « routinisation de certaines
cette vidéo avait été envoyée à des
contacts djihadistes, ainsi que
l’existence d’une seconde vidéo
postée sur Internet dans laquelle le
jeune homme menace la police.
Le 11 décembre, le parquet anti-
terroriste ouvre une enquête et
saisit la Direction générale de la sé-
curité intérieure. « L’envoi des vi-
déos d’allégeance à des tiers est
parfois une étape annonciatrice
d’un passage à l’acte », explique
une source proche des services.
Le 14 décembre, Issa K. aurait en
outre menacé une policière de
Tours à l’occasion d’un de ses poin-
tages quotidiens au commissariat,
rapporte une source policière.
nicolas demorand
le 18/20
15 un jour dans le monde
18:15 mond
19:20 le téléphone sonne
Jean-Jacques Urvoas, président de la commission
des lois, et Manuel Valls, à l’Assemblée nationale,
le 19 novembre. ALBERT FACELLY/DIVERGENCE
La commission
des lois
travaille à partir
d’informations
de la presse,
du Défenseur
des droits,
des avocats ou
des associations
mesures dérogatoires au droit
commun ». En clair, la commis-
sion des lois sera vigilante face à
une utilisation des mesures de
l’état d’urgence par simple conve-
nance, ou commodité.
Le jeune homme est interpellé le
lendemain, mardi 15 décembre.
Lors de sa garde à vue, il reconnaît
la production des vidéos mais as-
sure n’avoir aucune intention de
mener des attaques en France. Il a
été mis en examen à l’issue de ses
quatre jours de garde à vue.
Aucun lien n’a pu être établi avec
les attentats du 13 novembre.
La procédure visant ce ressortis-
sant tchétchène est l’une des trois
enquêtes antiterroristes ouvertes
à la suite de perquisitions depuis
l’instauration de l’état d’urgence.
Deux d’entre elles, mises en place
après la découverte de documents
de propagande djihadiste, sont
d’Arnaud Leparmentier
dans un jour dans le monde
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015
M. Urvoas l’a réaffirmé : « L’un
des buts du contrôle parlemen-
taire est bien de chercher à mesu-
rer l’efficacité des mesures excep-
tionnelles. Le contrôle doit ainsi
chercher à identifier leur plus-va-
lue par rapport à l’efficacité du
droit commun face au terro-
risme. » Mais tout cela ne peut se
faire en deux semaines. « Nous
sommes là pour préparer le jour
d’après, c’est-à-dire le 26 février. Si
le gouvernement devait nous de-
mander la prorogation de l’état
d’urgence au-delà de cette date,
notre devoir serait, à notre sens, de
fournir à l’Assemblée nationale
une grille de lecture de ce qui s’est
passé pendant ces trois mois d’état
d’urgence », a précisé le président
de la commission des lois. p
laurent borredon
toujours à l’état d’enquête prélimi-
naire. Issa K. est le premier à avoir
été mis en examen et écroué.
Les quelque 2 700 perquisitions
administratives réalisées depuis
un mois ont donné lieu à 488 pro-
cédures judiciaires, la plupart
pour des infractions à la législa-
tion sur les armes (187 procédures)
et sur les stupéfiants (167). Près de
la moitié (209 procédures) sont
terminées, aboutissant à 73 ren-
vois en comparution immédiate,
50 convocations devant les tribu-
naux correctionnels et 58 con-
damnations. 279 procédures sont
toujours en phase d’enquête. p
soren seelow
avec les chroniques
et d’Alain Frachon
de 18 :15 à 19 :00
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015
La justice d’exception,
une tradition française
La dérogation au droit commun aune longue histoire,
de la Cour de sûreté de l’Etat aux juges antiterroristes
L
a justice d’exception,
dont l’état d’urgence
n’est qu’une variante ju-
ridique, fait partie inté-
grante de l’histoire républicaine.
Elle est même « une institution
centrale du système punitif et pé-
nal français », considère la poli-
tiste Vanessa Codaccioni, auteur
de Justice d’exception (CNRS édi-
tions, 2015). Les tribunaux d’ex-
ception, et le plus fameux d’en-
tre eux, la Cour de sûreté de
l’Etat, ont laissé la place aux « ju-
ridictions spécialisées », notam-
ment dans le dispositif antiter-
roriste, qui en ont gardé les prin-
cipales caractéristiques.
Sous la monarchie, la « justice
retenue » est exercée directe-
ment par le roi ou ses agents.
Voltaire lui-même en fait deux
fois les frais et passe onze mois à
la Bastille en 1717 à cause d’une
satire désagréable pour le ré-
gent. Sous la Révolution, la jus-
tice d’exception s’incarne dans
les commissions militaires, les
tribunaux criminels militaires,
les conseils de guerre du Direc-
toire ou le tribunal révolution-
naire de 1793. La seconde Restau-
ration met en place des cours
prévôtales présidées par un colo-
nel, le Consulat et l’Empire mo-
bilisent des commissions mili-
taires ; les conseils de guerre et
des commissions mixtes siègent
ensuite sous le Second Empire.
Après une accalmie sous la
IIIe République – la Cour de jus-
tice sénatoriale s’avère incompé-
tente pour juger Marcel Cachin,
l’un des fondateurs du PCF, dans
un arrêt de 1923 qui marque
l’échec de l’exécutif à éliminer
son opposition politique –, les
juridictions d’exception réappa-
raissent sous Vichy. Avec les sec-
tions spéciales pour les commu-
nistes et les anarchistes, la cour
martiale de Gannat, qui con-
damne à mort les militaires de la
France libre, la cour suprême de
Riom, pour les politiques. Le Tri-
bunal d’Etat et les cours martia-
En 1955, « Le Monde » dénonce
« des moyens autoritaires »
Le quotidien jugeait « un peu inquiétants » les textes instaurant
l’état d’urgence en avril 1955, pour faire face aux attentats en Algérie
L’ Assemblée institue l’“état
d’urgence” et l’établit pour
six mois en Algérie. » En ce
2 avril 1955, ce long titre barre la
double page que Le Monde consa-
cre au vote par les députés d’un
projet de loi créant ce nouveau
statut, à mi-chemin entre le droit
commun et l’état de siège.
Quelques jours plus tôt, le quo-
tidien a fait part de ses interroga-
tions, sous la plume de son rédac-
teur en chef, André Chênebenoît.
A la « une » de l’édition du
24 mars, il signe un article dans
lequel il juge les textes fraîche-
ment rédigés au ministère de l’in-
térieur « un peu inquiétants » de
par « leur portée extrêmement gé-
nérale » : « Ils permettent de met-
tre en œuvre, en tout temps, des
moyens d’une ampleur telle qu’on
peut précisément se demander si
l’on ne braque pas le canon pour
écraser une mouche. »
La mouche, en ce début de prin-
temps, ce sont ces « attentats »
menés sur le sol algérien par ceux
que la presse appelle des « terro-
ristes ». Le phénomène est encore
les se succèdent ainsi pendant
quatre ans.
La Libération prend le relais
avec des juridictions spécialisées
dans l’épuration, qu’il s’agisse de
cours martiales des FTP et FFI ou
des cours de justice, des cham-
bres civiques et de la Haute Cour
de justice, toutes instituées
en 1944. C’est cependant la
guerre d’Algérie qui instaure le
plus grand éventail de juridic-
tions exceptionnelles. Le Haut
Tribunal militaire, puis le Tribu-
nal militaire spécial, suivi de la
Cour militaire de justice, les
cours martiales d’Alger et
d’Oran, le Tribunal de l’ordre pu-
blic, ou les tribunaux perma-
nents des forces armées, compé-
tentes dès la loi d’état d’urgence
de 1955 pour les atteintes à la sû-
reté de l’Etat.
Bras judiciaire du chef de l’Etat
Cette multiplicité de juridictions
doit se comprendre « comme un
effort continu de rationalisation
de la politique d’exception étati-
que », observe Vanessa Codac-
cioni. Si leur diligence à traiter
les affaires ou leur manque de
sévérité déplaît au pouvoir cen-
tral, elles sont remplacées par
des juridictions plus efficaces. Le
Haut Tribunal militaire est ainsi
supprimé pour son incapacité à
condamner à mort le général Sa-
lan, et immédiatement remplacé
par la Cour militaire de justice.
Toutes ces juridictions ont été
mises en place en vertu des pou-
« La caste des
juges a toujours
été moralement
incapable
de juger
des menaces
contre l’Etat »
LE GÉNÉRAL DE GAULLE
jeune – il date de la « Toussaint
rouge » de novembre 1954 –, mais
les pouvoirs publics ont com-
mencé à constater l’inefficacité
des moyens ordinaires de
répression.
Certes, « il est possible que le code
pénal n’ait pas prévu des mesures
aptes à réprimer rapidement cette
forme d’atteinte à l’ordre qui n’est
pas la révolte, encore moins la
guerre », admet Le Monde. Mais
des mesures telles que l’élargisse-
ment de « la compétence des tribu-
naux militaires » ou la suspension
de « tout recours en cassation con-
tre les décisions des juridictions
d’instruction » l’alarment.
Toujours plus instable
En 1955, la IVe République n’a pas
encore dix ans et voit se succéder
des gouvernements toujours plus
instables. Dans cette France où les
changements de majorité, voire
de régime, sont encore monnaie
courante, André Chênebenoît
s’inquiète de « l’usage que pour-
raient faire de pareils textes un
gouvernement et une Assemblée
voirs du président de la Républi-
que, par application de l’arti-
cle 16 de la Constitution pour le
Haut Tribunal militaire ou du
Tribunal militaire spécial, ou par
le référendum de 1962 pour la
Cour militaire de justice. La jus-
tice d’exception est bien le bras
judiciaire du chef de l’Etat. « Sou-
venez-vous toujours de ceci, di-
sait le général de Gaulle en 1963 à
son garde des sceaux, Jean Foyer.
Il y a d’abord la France, il y a en-
suite l’Etat et enfin, dans la me-
sure où il est possible de préserver
les intérêts majeurs des deux pre-
miers, il y a le droit. »
La Cour de sûreté de l’Etat, qui
clôt la série de juridictions de la
guerre d’Algérie, est la matrice de
ce droit d’exception. Bras armé
du gouvernement, elle est créée
en 1963, en plein état d’urgence,
pour juger des crimes de l’OAS,
alors même que « les grands
chefs séditieux » ont tous été déjà
condamnés. C’est que la Cour a
un autre objet : transposer en
temps de paix les techniques ju-
diciaires du temps de guerre,
afin de légaliser la raison d’Etat,
en écartant le juge judiciaire.
« En France, la caste des juges a
toujours été moralement incapa-
ble de juger des menaces contre
l’Etat », disait de Gaulle (Alain
Peyrefitte, C’était de Gaulle,
Fayard).
La Cour de sûreté a été suppri-
mée en 1981, mais ses caractéristi-
ques sont venues insensiblement
s’inscrire dans le code pénal, con-
tre le terrorisme : la centralisation
à Paris, un tribunal spécifique, la
cour d’assises spéciale, la garde à
vue de six jours, les perquisitions
de nuit et des juges « spécialisés »,
les juges antiterroristes. Qui,
comme les conseillers de la Cour
de sûreté, touchent une indem-
nité spéciale et disposent d’infrac-
tions spécifiques assez larges,
comme l’association de malfai-
teurs en relation avec une entre-
prise terroriste. p
franck johannès
dans une situation actuellement
hors de prévision ».
Mais ces enjeux mobilisent peu
les parlementaires. « Il n’y a pas eu
de débat », déplore le quotidien, le
2 avril : « La discussion des articles a
donné lieu à un spectacle surpre-
nant. En dépit de l’importance du
sujet, l’hémicycle était vide plus
qu’aux trois quarts. L’absentéisme
sévissait particulièrement sur les
bancs des radicaux et des modérés.
(…) A la fin, vingt-cinq députés res-
taient en séance, et les huissiers
votaient pour certains groupes. »
Au motif d’une situation excep-
tionnelle, l’ensemble du cadre juri-
dique républicain se trouve désor-
mais altéré. « Une innovation
importante de notre droit, tou-
chant à nos libertés publiques es-
sentielles, a été votée cette nuit
après une discussion improvisée,
dénonce, en « une », André Chêne-
benoît. (…) Il semble que plus un
Etat sent fuir son autorité et plus il
cherche à parer aux conséquences
de sa faiblesse par des moyens
autoritaires. » p
alexis delcambre
« C’est pas grave ce qui vous
est arrivé ! »
Dans la nuit du 23 au 24 novembre, Hélène
est seule à son domicile : son ex-conjoint,
dont elle est séparée depuis 2010, est venu
chercher leur fils avant le dîner pour
qu’il passe la nuit chez lui.
« J’ai été réveillée par un grand “boum”.
On tapait violemment contre ma porte et
j’ai aperçu des torches », raconte Hélène.
« Ça a duré plusieurs minutes et puis ils ont
fini par rentrer. Je me suis retrouvée face à
six ou sept hommes armés. L’un des poli-
ciers m’a alors tendu un papier en disant :
“Lisez ça, si vous savez lire.” » Le papier –
un ordre de perquisition – mentionne le
nom et le prénom de son ex-conjoint. « Je
leur ai alors expliqué que je vivais seule
avec mon fils de 9 ans et demi en situation
de handicap mais l’un d’eux m’a dit : “De
toute façon, on est en état d’urgence, on
fait ce qu’on veut.” »
Les jours suivants, Hélène attend en vain le
retour du serrurier censé lui apporter le de-
vis de réparation de sa porte. Elle se tourne
alors vers le commissariat. « A l’accueil, on
m’a répondu : “Mais Madame, il ne faut pas
vous mettre dans ces états-là, c’est pas
grave ce qui vous est arrivé.” »
Le 26 novembre, le commissariat laisse un
message sur son répondeur, que Le Monde
a pu écouter : « Compte tenu que vous
LUC LEROUX
Trois semaines d’assignation
à résidence : une « méprise »
« Une méprise commise sur la base d’une in-
formation qui était assez inquiétante » : le
ministère de l’intérieur a reconnu son erreur
en ces termes et a abrogé, le 8 décembre,
l’arrêté qui assignait à résidence depuis le
15 novembre un père de famille des
Bouches-du-Rhône. Dans son arrêté d’assi-
gnation, le ministère assurait que Nacer,
40 ans, ancien employé d’une station de
traitement des eaux de Veolia, La Pioline,
Un assigné dénoncé à tort
par un ancien collègue
On l’appellera Zinédine. Il préfère rester
anonyme car il a réussi à ne pas éveiller la
curiosité de son nouvel employeur, malgré
ses départs à un horaire un peu plus
avancé que d’habitude depuis quelques se-
maines. La raison ? Depuis le 23 novembre,
il devait aller pointer au commissariat deux
fois par jour dans le cadre d’une assigna-
tion à résidence. Son recours devait être
examiné par le Conseil d’Etat, lundi 14 dé-
cembre à 15 heures. Mais quelques heures
seulement avant l’audience, il a reçu un
nouvel arrêté du ministère de l’intérieur
annulant la mesure.
Les motivations de l’arrêté d’assignation ?
« L’intéressé s’est brutalement radicalisé,
s’isolant et refusant toute vie sociale en de-
hors de la mouvance islamiste ; il a mani-
festé le souhait de rejoindre les rangs de
YANN BOUCHEZ
« S’ils sont venus chez vous,
c’est qu’il y a quelque chose »
Le 22 novembre, Lucien rentre chez lui
après une soirée avec des amis. Il est tard,
« vers onze heures et demie, minuit ». Il se
fait rapidement à manger. Puis, alors qu’il
s’apprête à aller se coucher, il entend la
sonnette de son appartement. « Je me suis
approché de la porte d’entrée, j’ai vu qu’elle
était pliée en deux. Puis j’ai vu un monsieur
casqué, cagoulé, avec une arme, qui m’a
france | 11
DR
hébergez ou avez hébergé le monsieur qui
était mis en cause, vous n’avez le droit à
aucune indemnisation. Voilà, c’est très bien
[sic]. Au revoir, Madame. » p
élisabeth pineau
d’Aix-en-Provence, s’était « rendu sur le site
sensible (chimie pour le traitement des eaux)
où il avait travaillé, sous un prétexte falla-
cieux, et [s’était] beaucoup intéressé aux
lieux de stockage des produits sensibles et à
leur mise en œuvre et utilisation ». Qui a dé-
noncé Nacer ? L’entreprise a confirmé au
Monde être à l’origine du signalement : « Il
s’est présenté le 20 août et a annoncé qu’il
allait récupérer des affaires. Il a cherché à
avoir des informations sur la sécurité du site.
Le responsable du site en a informé le com-
missariat de police d’Aix-en-Provence. »
Les explications de Nacer ont fini par
convaincre les policiers. Le « prétexte falla-
cieux » qui l’a ramené à La Pioline ? Un banc
de musculation à récupérer dans un local
abandonné. Quant à son intérêt pour les
produits chimiques… Depuis 2011, Nacer
est en arrêt de travail, en raison d’une mala-
die contractée durant son activité à la sta-
tion d’épuration. Dans le cadre de la procé-
dure de reconnaissance de sa maladie, il a
cherché : « produits chimiques pour traite-
ment des eaux » sur Internet. A peu de chose
près, l’expression de l’arrêté du ministre :
« chimie du traitement des eaux ». p
luc leroux
(marseille, correspondant)
Daech en Syrie ; il pratique un art martial
aux fins de s’aguerrir dans une logique dji-
hadiste. » Quand ce Tunisien de 28 ans a été
assigné à résidence le 23 novembre et en a
découvert les motifs, « il a tout de suite
compris de qui venait ces accusations sans
fondement, explique Me Quentin Dekimpe,
son avocat. Un ancien collègue de travail,
avec qui les relations étaient mauvaises ».
« Brutalement radicalisé » ? Zinédine
reconnaît ne pas s’être montré « Charlie »
après les attentats de janvier et en avoir
discuté avec ce collègue. Lisant l’arabe, il se
fait également tancer par son voisin de bu-
reau dès qu’il va sur un site Internet d’infor-
mation écrit en arabe : « Ah, c’est pour ap-
prendre à faire des bombes ? » En juillet, il
trouve un autre emploi et démissionne.
« De là est née l’accusation de rupture de
toute vie sociale et la suspicion d’un départ
en Syrie », poursuit Me Dekimpe. p
jean-baptiste jacquin
dit : “Allongez-vous !” Tout de suite, je me
suis allongé par terre. Ils sont rentrés, m’ont
mis les menottes, m’ont levé et m’ont mis
dans la salle de bains. Ils criaient beaucoup.
Ils m’ont mis à genoux devant la baignoire.
Ils parlaient entre eux et il y en a un, je l’ai
entendu, qui a dit : “Eh, c’est pas la direction
de La Mecque, ça !” »
L’appartement est « totalement dévasté »,
déplore le locataire, photos à l’appui.
« Quel est l’intérêt de casser ces choses ?
Pourquoi mettre des coups de couteau dans
des habits ? Ils ont gagné quoi à arracher
mes rideaux ? » D’autant que la perquisition
nocturne n’a rien donné.
« A la fin, une dame est venue me voir. Elle
m’a dit : “Il faut que vous signiez la feuille.”
Je lui ai demandé : “Madame, je peux la
lire ?” Elle m’a dit “oui”. J’ai lu dans les gran-
des lignes, j’ai vu qu’il y avait mon nom, que
ça parlait de l’état d’urgence, de suspicions
terroristes et tout ça… J’ai demandé : “Il y a
un double pour moi ?” Elle a répondu que
non. “Ben, je ne signe pas, madame.” Elle
m’a dit : “Si vous ne signez pas, merci, au re-
voir.” Je n’ai rien signé et ils sont repartis
comme ils sont venus. » p
yann bouchez
12 | france 0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015

Des Afghans
s’installent à
République pour
être plus visibles Des migrants
manifestent
Une centaine de réfugiés, à Paris le
19 décembre.
pour la plupart demandeurs d’asile, FERDI LIMANI POUR
« LE MONDE»

attendent toujours un hébergement

REPORTAGE gons de gendarmes l’ont rappelé

dimanche soir. Sans doute les for-

A
force de dormir de- ces de l’ordre ignoraient-elles que
hors, ils ne savent plus cette centaine d’hommes dor-
ce qu’est un sommeil ment sans toit, fût-il de toile, de-
réparateur. Dimanche puis des mois. Même si la plupart
20 décembre, quelque 80 Afghans d’entre eux sont demandeurs
ont émergé de leurs couvertures d’asile et devraient être hébergés. marades d’infortune. Noor ignore Depuis des mois, Noor, Ali, Ah- formant un immense tapis mul-
bigarrées, place de la République, Noor Agha est l’un d’entre eux. que la France est hors-la-loi lors- mid et les autres se faisaient dis-
Les policiers ticolore. Jeudi, la fraîcheur et l’en-
à Paris. La veille, à l’issue de la ma- Le jeudi 17 décembre a été une qu’elle met quarante jours à enre- crets, croyant inutile de revendi- venaient à dix nui avaient incité les 150 hom-
nifestation de soutien aux mi- bonne journée pour lui. « J’ai enfin gistrer sa demande d’asile alors quer un dû au pays des droits mes à se glisser sous les couver-
grants qui a réuni un bon millier obtenu mon récépissé de deman- qu’elle doit légalement le faire en l’homme. Mais ils ont été obligés
chaque matin tures, ne laissant visibles que des
de personnes dans les rues de la deur d’asile », confie-t-il le soir trois jours. En revanche, Noor sait de changer de stratégie. Si la pré- pour déloger visages prématurément vieillis.
capitale, une partie des 150 même, un sourire dans ses yeux désormais que le pays sous la pro- sence de leur campement place Certains comme Rahim, 27 ans,
Afghans de la place Raoul-Folle- tristes. « J’avais déclaré le 10 no- tection duquel il souhaite se pla- Raoul-Follereau a été longtemps
les campeurs semblaient hypnotisés par les
reau, non loin de la gare de l’Est, vembre vouloir demander le statut cer s’est engagé à héberger ses de- tolérée par des résidents peu en- photos de sa vie d’avant, consi-
dans le Xe arrondissement, en France, j’ai même dormi sur le mandeurs d’asile. clins à « chasser des migrants », la gnées sur son téléphone. Un crè-
avaient décidé de se délocaliser trottoir en face de France Terre peur a finalement gagné le lieu, l’Hôtel de ville, une réunion a eu ve-cœur d’avoir laissé là-bas ses
dans l’espoir de devenir enfin visi- d’asile pour avoir vite mon rendez- « Les Sanisettes débordent » au point que les policiers ve- lieu. Le ministère de l’intérieur petites jumelles de 2 ans, si jolies
bles. vous. Et je viens d’avoir le papier », Or, square Raoul-Follereau, la très naient à dix chaque matin délo- comme la préfecture d’Ile-de- en robe rose de fête.
Durant leur première nuit sur ce raconte le maçon de 27 ans, arrivé grande majorité de ses 150 cama- ger les campeurs. Et que la zizanie France, responsables des deman- Ces soirées et ces nuits
lieu devenu emblématique des at- il y a trois mois après un voyage rades ont comme lui déjà de- s’est installée entre des habitants. deurs d’asile, ne se sont pas dé- s’ouvrent sur des journées qui
tentats de janvier et de novembre, de cinq mois depuis Kaboul. mandé refuge, ou sont en attente Michèle Malandry, présidente de placés. Pas plus qu’ils n’ont ré- n’en finissent pas. « On va à la
trois cars de CRS sont venus poser Fièrement, il sort de son sac le d’un enregistrement de leur dos- l’association des résidents du pondu aux sollicitations du mosquée, à la distribution de re-
des conditions : dormir « oui », récépissé qui n’a encore rien sier. Mais ils restent les oubliés quartier Valmy-gare de l’Est, a Monde. La Ville de Paris a déclaré, pas gare de l’Est, et on revient »,
monter une tente ou déployer changé à ses nuits à la belle étoile. d’une capitale pourtant membre même été plusieurs fois verbale- elle, le sujet « prioritaire ». ajoute, fataliste, Khan, un maçon
une banderole « non ». Sept four- Et c’est la même chose pour ses ca- de l’association des villes refuges. ment agressée par des locataires de 25 ans, en France depuis trois
excédés. Une mosaïque de misère mois. Jusqu’à samedi, leur uni-
Ce n’est pas une nouveauté dans Tellement « prioritaire » que, au vers tenait dans ce périmètre his-
cet ensemble résidentiel des an- moment où la réunion se con- torique des Afghans de Paris : le
nées 1980, explique Paulo Rodri- cluait sans engagement, le cam- square Villemin, la gare de l’Est,
gues, le gardien, arrivé là en 2010. pement des Afghans reprenait sa la copropriété Raoul-Follereau.
« On a toujours eu quelques mi- forme nocturne. Comme chaque Samedi 19, ils ont décidé de sor-
grants. Une trentaine jusqu’en 2013. soir depuis des mois, un grand tir de cette impasse qui les can-
Puis, 80 ou 100, et aujourd’hui, ado perché sur un local associatif tonnait dans l’invisibilité. Pour
150 », explique-t-il. « C’est en train balançait au sol matelas et sacs- faire enfin respecter leurs droits,
de devenir un vrai campement », poubelle remplis de couvertures. ils ont laissé leurs matelas pour
renchérit son épouse, Arminda, Le toit servant de consigne l’humidité des nuits à même le
désolée que « les Sanisettes débor- diurne pour la literie, afin que les sol, sous l’œil de Marianne et des
dent » et que « la fontaine du jardin services municipaux ne la jettent passants. La mort d’un des leurs,
soit utilisée pour faire la lessive ». pas. dans la rue, une semaine aupara-
Jeudi 17 décembre, après que les Jusqu’à samedi soir, ces lits de vant, les a motivés à se faire en-
résidents ont insisté auprès de la fortune occupaient toutes les ar- tendre rapidement. p
mairie d’arrondissement et de cades de l’ensemble résidentiel, maryline baumard

FO R M U L E
I N T ÉG R A L E
6 MOI S Fausse alerte à la bombe sur un vol
LE QUOTIDIEN ET SES SUPPLÉMENTS
+ M LE MAGAZINE DU MONDE
d’Air France entre l’île Maurice et Paris
+ L’ACCÈS À L’ÉDITION ABONNÉS DU MONDE.FR
7 JOURS/7
Des passagers ont été interrogés au Kenya, où l’avion
s’était posé en urgence samedi

169 AU LIEU DE
390€
€
L es passagers du vol AF 463,
parti samedi 19 décembre
de l’île Maurice à destina-
tion de Roissy-Charles-de-Gaulle,
sont finalement arrivés à Paris
lundi, à 6 heures 45.
Samedi, une demi-heure après
qui prévoit toutefois « des mesu-
res de sécurité complémentaires »
pour les prochains vols depuis
l’île Maurice.
Au Kenya, entre deux et six per-
sonnes ont été interrogées tout
l’après-midi de dimanche. Dans le
donner davantage de précisions.
Une discrétion propice à l’imagi-
nation : des photos d’une suppo-
sée bombe ont ainsi circulé sur
Twitter et les réseaux sociaux
toute la journée, sans être authen-
tifiées ou non.
le décollage, l’un des 459 passa- même temps, les médias locaux Un discours sur la sécurité du
gers découvre dans les toilettes déploraient la volonté de créer pays devait être organisé, lundi
du Boeing 777 un objet qui res- une « panique dans les airs », tout 21 décembre, par les autorités ké-
semble à une bombe, dans un pe- en ignorant si les personnes inter- nyanes. Donnant l’impression
B U L L E T I N D’A B O N N E M E N T tit placard situé derrière un mi-
roir . Le pilote décide alors de dé-
rogées s’apprêtaient à être consi-
dérées comme suspectes, et rester
d’être prises de court, celles-ci
A compléter et à renvoyer à : Le Monde - Service Abonnements - A1100 - 62066 Arras Cedex 9 auront attendu près de dix-
152EMQA6M
router l’appareil d’Air France vers au Kenya, ou être envoyées à l’île sept heures pour communiquer
OUI, je m’abonne à la Formule Intégrale du Monde Nom :
l’aéroport international de Mom- Maurice ou en France. la découverte de la boîte en carton
Le quotidien chaque jour + tous les suppléments
Prénom :
+ M le magazine du Monde + l’accès à l’édition abonnés basa, au Kenya. Les passagers quit- et du minuteur.
du Monde.fr pendant 6 mois pour 169€ au lieu de 390,00€*
soit 50% de réduction sur le prix kiosque
Adresse : tent l’appareil grâce aux tobog- Rumeurs d’arrestation Cette nouvelle alerte survient
gans de secours. Jusqu’à la prise de parole d’Air dans un contexte anxiogène, un
**Sous réserve de la possibilité pour nos porteurs de servir votre adresse

Code postal :
Je règle par :
Localité : En réalité, l’objet découvert n’est France, des rumeurs d’arrestation mois après les attentats à Paris et
Chèque bancaire à l’ordre de la Société éditrice du Monde
Carte bancaire : Carte Bleue Visa Mastercard qu’« un ensemble composé de car- ont circulé toute la journée, lais- à Saint-Denis revendiqués par
E-mail :
N° : tons et d’une espèce de minuteur sant dans le flou l’identité, les mo- l’organisation Etat islamique, qui
@
Expire fin : Date et signature obligatoires J’accepte de recevoir des ofres du Monde OUI NON
(…) qui ne représentait pas un ca- tivations et la nationalité des indi- a également revendiqué le crash ,
Notez les 3 derniers chifres ou de ses partenaires OUI NON ractère dangereux », comme l’a vidus suspectés d’avoir causé cette dans le Sinaï égyptien, le 31 octo-
figurant au verso
de votre carte : Tél. : précisé dimanche Frédéric Gagey, fausse alerte. Vers midi, l’autorité bre, d’un avion russe chargé de
IMPORTANT : VOTRE JOURNAL LIVRÉ CHEZ VOUS PAR PORTEUR** le PDG d’Air France, lors d’une des aéroports du Kenya indiquait 224 passagers. Outre la fausse
conférence de presse, évoquant même sur Facebook qu’il s’agissait alerte du vol AF 463, Air France a
Maison individuelle Interphone : oui non Dépôt chez le gardien/accueil Dépôt
« un acte de malveillance » ou bien d’une bombe, sans qu’aucun indiqué avoir subi en deux se-
*Prix de vente en kiosque

Immeuble Boîte aux lettres : Bât. N° spécifique

Digicode N° Nominative Collective Escalier N° le week-end « quelque chose qui s’apparente- membre du gouvernement ne maines trois fausses alertes à la
rait à une mauvaise plaisanterie », vienne infirmer ni confirmer. bombe dans ses avions, sur le ter-
SOCIÉTÉ ÉDITRICE DU MONDE SA - 80, BOULEVARD AUGUSTE-BLANQUI - 75013 PARIS - 433 891 850 RCS Paris - Capital de 94 610 348,70€. Ofre réservée aux « Rien à ce stade ne permet de Le ministre de l’intérieur ké- ritoire américain. p
nouveaux abonnés et valable en France métropolitaine jusqu’au 31/12/2015. En application des articles 38, 39 et 40 de la loi Informatique et Libertés du 6 janvier
1978, vous disposez d’un droit d’accès, de rectification et de radiation des informations vous concernant en vous adressant à notre siège. Par notre intermédiaire, dire qu’il y a eu une faille dans le nyan, Joseph Nkaissery, s’est con- adrien pécout et
ces données pourraient êtres communiquées à des tiers, sauf si vous cochez la case ci-contre.
dispositif de sûreté à l’escale de tenté d’une apparition devant les bruno meyerfeld
l’île Maurice », a déclaré M. Gagey, caméras en fin de matinée, sans (nairobi, correspondance)
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015
« Le système est à bout
de souffle »
Pascal Perrineau, ex-directeur du Cevipof, analyse
le paysage politique de l’après-régionales
ENTRETIEN
P
rofesseur à Sciences Po,
ancien directeur du Cen-
tre de recherches politi-
ques de Sciences Po (Ce-
vipof), Pascal Perrineau est spé-
cialiste de sociologie électorale et
auteur de nombreux ouvrages
consacrés à l’extrême droite, dont
La France au Front (Fayard, 2014).
Que retenez-vous des régiona-
les, la forte poussée du FN au
premier tour ou la force de mo-
bilisation du front républicain
au second ?
Pour moi, le fait marquant, c’est
la poussée du Front national qui,
entre les départementales de mars
et les régionales de décembre, a
progressé de près de 3 points, alors
qu’il s’était déjà hissé à un niveau
très élevé : 25,2 %. Le FN est devenu
le premier parti de France en ter-
mes de pénétration électorale, et,
dans certaines régions, il a fallu
une coalition dépassant le clivage
gauche-droite au second tour pour
lui faire barrage. C’est un choc con-
sidérable.
Comment en est-on arrivé là ?
La première raison est structu-
relle : année après année, le FN
structure l’électorat de la crise éco-
nomique, sociale et politique. En
dehors des personnes âgées, des
cadres supérieurs et des profes-
sions libérales, aucune catégorie
sociale n’échappe désormais à sa
force de pénétration. Le FN do-
mine chez les ouvriers et les em-
ployés, progresse dans le salariat
intermédiaire et s’étend dans les
trois fonctions publiques, notam-
ment la fonction publique hospi-
talière. Enfin, son ancrage électoral
chez les jeunes lui offre des pers-
pectives d’avenir.
La deuxième raison est conjonc-
turelle. Les attentats de novembre
ont incontestablement donné un
sérieux coup de pouce au FN : in-
terrogés après le 13 novembre dans
le cadre d’une étude Ipsos-Cevi-
pof-Le Monde, 51 % des Français di-
sent avoir éprouvé de la « haine » :
c’est un sentiment extrêmement
violent, qui entre en résonance
avec tout ce sur quoi joue le FN de-
puis des années.
En outre, ce parti développe de-
puis toujours un discours prédictif
et apocalyptique que les faits ont,
d’une certaine façon, validé auprès
de son électorat. Soudain, des me-
sures comme la déchéance de la
nationalité ou la fermeture des
frontières, qui appartenaient au
vocabulaire de Marine Le Pen, ont
été reprises par les pouvoirs pu-
blics : cela a pu avoir l’effet d’une
« dédiabolisation » qui est la stra-
tégie de Marine Le Pen depuis 2011
mais, cette fois, de l’extérieur.
Depuis huit jours, il est beau-
coup question de « recomposi-
tion » de la scène politique. Un
reclassement de l’électorat
est-il en train de s’opérer ?
POLI T I QU E
Bernard Tapie fait le coup
du retour
Deux semaines après avoir été
condamné à rembourser les
404 millions d’euros qui lui
avaient été octroyés dans le
« litige Adidas » l’opposant au
Crédit lyonnais, Bernard Tapie
annonce son retour en politi-
que.
Dans un entretien au Journal
du dimanche du 20 décembre,
l’homme d’affaires, âgé de
72 ans, prétend vouloir mettre
sur pied « d’ici fin janvier » un
« Les attentats
de novembre ont
incontestablement
donné un sérieux
coup de pouce
au FN »
Oui, je le crois. Non que le clivage
gauche/droite soit devenu obso-
lète mais, depuis les années 1970, il
en existe un autre, qui travaille en
profondeur le pays : l’opposition
entre partisans d’une « société
ouverte » et partisans d’un « recen-
trage national ». Dans le camp du
recentrage national, on trouve des
formations différentes, comme le
PCF, le Front de gauche, une petite
partie des socialistes, les souverai-
nistes de droite mais aussi le FN,
qui est parvenu à se positionner à
l’avant-garde en forçant le trait de
cette volonté de repli.
Dans l’autre camp figure le reste
des formations politiques du cen-
tre droit au centre gauche. Les
deux camps se sont jaugés lors des
référendums européens de 1992 et
2005. Depuis, ce clivage hante cha-
que scrutin, et Marine Le Pen tente
d’en faire le nerf de la guerre en
parlant de la bataille des « patrio-
tes » contre les « mondialistes » et
en focalisant le débat non pas tant
sur l’immigration que sur l’opposi-
tion à l’islam et à ses dérives, ce qui
est plus audible dans une société
qui a déjà beaucoup utilisé dans le
passé la mobilisation antireli-
gieuse.
Peut-elle gagner ?
Il lui faut pour cela trouver un
partenaire. Aucun parti, sous la
Ve République, n’a été assez fort
pour conquérir le pouvoir seul.
C’est tout le problème de Marine
Le Pen, qui reste enfermée dans
une culture de l’ennemi, ce qui
l’empêche de chercher le compro-
mis avec d’autres forces politiques.
En réalité, ce qui la menace, c’est ce
qui est arrivé au Parti communiste
sous la IVe République, un parti qui
était à la fois très fort mais ne ser-
vait à rien en termes de construc-
tion d’une alternative crédible.
Pensez-vous que Marine Le Pen
peut être élue présidente
en 2017 ?
Je ne dirais pas cela, mais tout ne
dépend pas que d’elle. La présiden-
tielle, c’est d’abord une offre, et, si
l’offre se résume à des revenants
– Sarkozy, Hollande, Bayrou, Mé-
lenchon –, alors oui je crois qu’on
court un grand risque car, en réa-
lité, le système est à bout de souffle
et que, face au FN, la gauche et la
droite peuvent être dans des situa-
tions très délicates.
C’est-à-dire ?
La gauche, on le voit, est en fin de
cycle. La vieille idée selon laquelle
plan de remise en activité de
tous les jeunes.
Bayrou sceptique sur un
pacte pour l’emploi
Le président du MoDem, Fran-
çois Bayrou, a fait part de son
« scepticisme », dimanche
20 décembre sur BFMTV, à pro-
pos de l’hypothèse d’un « pacte
républicain pour l’emploi » en-
visagée par Jean-Pierre Raffa-
rin et reprise au bond par Ma-
nuel Valls. « Cette histoire est
un leurre, un jeu de dupes », a
déclaré le maire de Pau.
il n’y a pas d’ennemi à gauche et
que l’ennemi commence au centre
ne tient plus quand le total des
voix de gauche au premier tour est
nettement inférieur à 40 %,
comme on le voit aux dernières
élections. Du coup, la gauche, pour
espérer devenir majoritaire, doit
envisager de se rapprocher du cen-
tre droit. C’est ce que souhaite au
fond Manuel Valls. Mais ça ne sera
pas simple du tout, car cela revient
pour la gauche à abandonner le lo-
giciel qui la structure depuis cin-
quante ans.
La droite, quant à elle, est totale-
ment tiraillée entre ceux qui pour-
raient être tentés par un rappro-
chement avec le FN et ceux pour
qui c’est inconcevable. On est en
présence d’un camp qui a rare-
ment eu autant de difficultés à
avoir une position commune. Et je
ne parle même pas des rivalités de
personnes qui aggravent encore
cette fragmentation.
Dans une récente enquête,
« Fractures françaises », vous
mettiez en évidence une mon-
tée des sentiments antidémo-
cratiques, notamment dans la
jeunesse. Qu’en est-il ?
Il n’y a pas une mais des jeunes-
ses. Il y a la jeunesse étudiante, di-
plômée, qui manifeste, que l’on
voit dans les médias. Et puis, il y a
la jeunesse dont on ne parle pas,
celle qui travaille ou qui cherche à
entrer sur le marché du travail. Au
sein de cette jeunesse souvent peu
diplômée, le FN fait des scores bien
supérieurs à sa moyenne natio-
nale. On est ici en présence d’une
génération de jeunes travailleurs
très exposés à la mondialisation et
aux délocalisations, qui est très
différente des générations post-
1968.
Cette jeunesse-là, contraire-
ment à ses aînés, ne rêve pas
d’autogestion et de démocratie
pour tous. Ce sont des enfants de
la crise qui, pour une part non
négligeable, dans leur colère ra-
dicale contre le monde politique,
en viennent à envisager qu’il
faut, comme ils disent, “faire pé-
ter le système”. Et effectivement,
on observe chez une partie de ces
jeunes une demande d’hommes
forts et la tentation de solutions
radicales, comme la fermeture
des frontières ou l’expulsion des
immigrés.
En 2007, le politologue Guy
Hermet avait publié un très beau
livre intitulé L’Hiver de la démo-
cratie (Armand Colin). Il expli-
quait que la démocratie plura-
liste et parlementaire telle qu’on
la connaît est fragile, qu’il peut y
avoir des retours en arrière
même là où elle semble le plus
solide. Je ne sais pas si nous som-
mes dans l’hiver de la démocra-
tie, mais il se peut bien que nous
approchions déjà de
l’automne. p
propos recueillis par
françoise fressoz et
thomas wieder
FAI T D I VERS
Un 45e meurtre en
Guadeloupe en 2015
Un homme de 23 ans,
connu des services de police,
a été tué par balles, samedi
19 décembre, à Capesterre-
Belle-Eau, commune proche
de Basse-Terre (Guadeloupe).
Il s’agit du quarante-
cinquième homicide
enregistré depuis le début
de l’année en Guadeloupe
et à Saint-Martin, pour une
population de moins de
450 000 habitants.
france | 13
CommunIqué
Accès aux médicaments innovants et coûteux
URGENCE 2016 : DEFENSE
DES PERSONNES MALADES
Cancers : pourrons-nous tous être soignés en 2016 ?
Lettre ouverte aux pouvoirs publics et aux industriels de santé
Aujourd’hui, notre système de santé est en péril et avec lui un grand nombre
de personnes malades atteintes de cancers.
Les médicaments anticancéreux, s’ils sont innovants et eicaces, sont en
France d’un coût tel pour l’Assurance maladie qu’il ne sera plus possible très
rapidement pour celle-ci d’en supporter le poids.
Un cynisme purement libéral
Ce coût pratiqué par les industriels du médicament n’a d’autre justiication
que celle, cynique, de ce qu’un marché national peut supporter. Ainsi, il n’est
pas rare pour certaines molécules innovantes de connaître des variations de
prix de 1 à 100 en fonction des pays de distribution !
Des vies humaines sont en jeu
Les médicaments qui sauvent des vies ou qui participent à en améliorer la
qualité ne sont pas des biens de consommation comme les autres ! Il est donc
vital de les soustraire à toute logique de marché.
L’Assurance maladie en péril
Il en va de la préservation d’un système de santé garantissant l’équité d’ac-
cès aux médicaments innovants et la solidarité dues à toutes les personnes
malades !
Il faut donner la parole aux personnes malades
Alors que l’industrie du médicament pourrait conisquer à son proit toute dis-
cussion sur ces enjeux majeurs économiques, sanitaires, sociaux et politiques,
il est urgent que la population et les pouvoirs publics s’emparent sans délai,
dès le début 2016, de toutes les questions relatives aux coûts des médica-
ments anticancéreux innovants et à la garantie d’un accès équitable à ceux-ci.
C’est pourquoi, face à l’urgence, la Ligue contre le cancer, association apoli-
tique, non confessionnelle, indépendante et reconnue d’utilité publique, exige,
dès 2016 :
des industriels du médicament qu’ils mettent in à leur pratique de tarii-
cation ixée de manière opaque ! Pour cela, la Ligue exige la transparence
totale dans la ixation des prix et la suppression de tout lien ou conlit d’in-
térêt en particulier, entre les industriels, les prescripteurs et les décideurs.
la participation de représentants de patients à la déinition des règles de
ixation des prix et de remboursement des médicaments anticancéreux in-
novants (présence active des associations agréees de patients au Comité
Economique des Produits de Santé (CEPS).
Dans le même temps, la Ligue contre le cancer exhorte les pouvoirs publics
à organiser les conditions d’un débat public et les appelle à mettre en place
en 2016, des Etats généraux du médicament auxquels elle participera pleine-
ment notamment en sa qualité de représentant des personnes malades at-
teintes de cancer.
La Ligue demande la création d’un observatoire indépendant de l’équité
d’accès aux médicaments innovants et coûteux en cancérologie et la mise en
place d’outils d’informations actualisées (site internet par exemple) expliquant
la décomposition du prix de chaque médicament innovant en cancérologie.
Sans attendre, dès aujourd’hui, la Ligue propose un espace de débat ouvert
à tous et de pétition pour que l’ensemble de ses revendications recueille le
plus large soutien : www.ligue-cancer.net
Avec ces questions, se joue l’avenir de l’Assurance maladie, la garantie pour
chacun d’accéder aux meilleurs traitements, la sanctuarisation de la santé
dans un univers concurrentiel et le risque de coniscation du débat nécessaire
qui doit mobiliser le plus largement la société française.
« La cure de Sofosbuvir® (qui guérit 90% des malades atteints du virus de
l’hépatite C, notamment potentiel précurseur de cancers du foie) coûte
67 000 dollars aux Etats-Unis, 41 000 euros en France, l’équivalent de 4 000
euros en Thaïlande et 700 euros en Egypte(1). Ainsi, le prix est déterminé par
ce que « le marché intérieur » peut tolérer (pour la France, notre Assurance
maladie !). Ces prix sont totalement déconnectés des dépenses engagées
par les industriels du médicament. Ces prix sont injustiiables, injustes et
nous ne pouvons pas l’accepter » explique le professeur Jacqueline Godet,
présidente de la Ligue contre le cancer. « Accepterions-nous que les fabri-
cants d’airbag dans les voitures ixent le prix de leur produit en fonction
du nombre de vie sauvées ? Au nom des personnes malades et de tous les
Ligueurs, j’en appelle à une mobilisation de chacune et de chacun ! »
À propos de la Ligue contre le cancer : 1er inanceur associatif indépendant de la recherche contre le cancer, la Ligue
contre le cancer est une organisation non-gouvernementale indépendante reposant sur la générosité du public et
sur l’engagement de ses militants. Forte de près de 640 000 adhérents et 13 000 bénévoles, la Ligue est un mou-
vement populaire organisé en une fédération de 103 Comités départementaux. Ensemble, ils luttent dans quatre
directions complémentaires : chercher pour guérir, prévenir pour protéger, accompagner pour aider, mobiliser pour
agir. Aujourd’hui, la Ligue fait de la lutte contre le cancer un enjeu sociétal rassemblant le plus grand nombre possible
d’acteurs sanitaires mais aussi économiques, sociaux ou politiques sur tous les territoires. En brisant les tabous et les
peurs, la Ligue contribue au changement de l’image du cancer et de ceux qui en sont atteints. Pour en savoir plus :
www.ligue-cancer.net
(1) Même avec un prix de 700 €, les bénéices restent importants car le prix de production est inférieur à 150 € (il y a
13 millions de porteurs de l’Hépatite C en Egypte). Les coûts de recherche et développement de l’industrie phar-
maceutique varient généralement entre 10 et 30% du chifre d’afaires, soit à peu près le montant des dépenses
de marketing et administratives.
14 | économie & entreprise
Des jouets par milliers… sous licence
La Reine des neiges ou Star Wars sont déclinés sous toutes les formes imaginables. Et les ventes suivent
Y
aura-t-il assez de place,
dans la hotte du Père
Noël, pour les innom-
brables sabres laser de
Jedi et les kilomètres de robes bleu
criard de la Reine des neiges ? Pour
les Lego Star Wars et les poupées
chantantes Elsa ? Bref, pour toutes
ces merveilles qui font saliver les
petits, et que l’on appelle, dans le
monde moins poétique du mar-
keting, des jouets sous licence.
Sous licence, parce que leurs fabri-
cants signent un accord avec les
détenteurs des droits de diffusion
des marques et des héros. Le pari ?
Vous payez le droit d’utiliser les
personnages préférés des enfants
et vos ventes explosent.
Un pari a priori peu risqué ces
temps-ci. Pas moins de dix pages
du catalogue de Noël du groupe-
ment coopératif JouéClub ont été
consacrées cette année à la Reine
des neiges, huit à Star Wars (tous
deux chez Disney) et six aux Mi-
nions. « Les jouets sous licence
constituent 20 % de notre catalo-
gue », indique Alain Bourgeois-
Muller, PDG de JouéClub, et ils de-
vraient représenter « au moins
50 % des ventes de jouets ce Noël »,
ajoute Olivier Donval, directeur
des collections de l’enseigne.
Même le Monopoly sera dé-
cliné, cette année, en version
Reine des neiges, Minions, Star
Wars, ou encore Game of Thrones.
Et le fameux Dobble (de l’éditeur
Asmodée) aura bientôt sa version
Star Wars. « Trente-cinq marques
de jouets sont cette année licenciées
Star Wars. C’est presque trois fois
plus que d’habitude, et cela corres-
pond à 400 références en France »,
indique Franck Mathais, directeur
des ventes de La Grande Récré.
Rude bataille
Peu dynamique ces dernières an-
nées faute d’égérie, le segment des
jouets sous licence a repris depuis
deux ans, et connaît un essor sen-
sible cette année : entre le 1er jan-
vier et le 6 décembre, selon les
chiffres de l’institut NPD, ils repré-
sentaient près de 23,5 % des ventes
du secteur, contre 21,6 % en 2014
sur la même période en France. En
juin, NPD prévoyait d’ailleurs que
Star Wars, « déjà meilleure vente de
jouets sous licence en 2014, en
France, pulvérise son propre record
pour atteindre 70 millions d’euros
en 2015 dans l’Hexagone ».
Tous les magasins le disent : une
licence à forte notoriété, c’est bon
pour les ventes, « car cela crée une
forte actualité, bien relayée en télé-
vision, estime Frédéric Carré, di-
recteur adjoint des achats de
Toys’R’Us en France. « Nous de-
vrions vendre autant de Star Wars
au premier trimestre 2016 qu’à la
fin de cette année, car les enfants re-
La réorganisation du travail, un défi majeur pour la SNCF en 2016
Guillaume Pepy, le patron du transporteur public, a indiqué qu’il fallait « renégocier la façon de faire les trente-cinq heures » dans la société
L’ année 2016 a déjà com-
mencé à la SNCF.
Guillaume Pepy, le prési-
dent du directoire de la société, a
présenté, dimanche 20 décembre,
lors du « Grand Jury » RTL-Le Fi-
garo-LCI, les enjeux sociaux d’une
année cruciale. D’ici à la fin juin,
les organisations patronales et
syndicales ferroviaires doivent
négocier un nouveau cadre social
pour l’ensemble du secteur, que
cela concerne le fret ou le trans-
port de passagers. Il s’agit du der-
nier volet de la réforme ferro-
viaire, votée en août 2014.
Cela devrait se traduire par une
convention collective nationale,
dont les premières réunions de
négociation ont déjà eu lieu entre
l’Union des transports publics
(UTP, réunissant la SNCF et l’en-
Un magasin
La Grande Récré,
à Boulogne-
Billancourt
(Hauts-de-Seine),
en novembre.
RGA/REA
viendront avec les sous qu’ils ont
eus à Noël », ajoute-t-il.
Ces précieuses licences font l’ob-
jet d’âpres négociations. « Sou-
vent, elles sont signées pour des
durées de un à trois ans, et attri-
buées pour des catégories de pro-
duits et des territoires (Europe/
France/Monde) », explique Anne
Guilbaud, responsable marketing
chez Lansay. La marque est, cette
année, sous licence Reine des nei-
ges pour certains de ses produits
phares, comme les feutres aéro-
graphes Blopens et son métier à
tisser. « L’an dernier, nous avions
eu la licence des Disney Princesses,
poursuit-elle. Disney aime avoir
des acteurs mondiaux comme par-
tenaires, et c’est toute la difficulté
pour nous qui sommes une société
familiale française. »
En général, aux termes du con-
trat, « le fabricant doit payer un
minimum garanti par an, même
en cas de fiasco commercial, et re-
verser des royalties correspondant
à un pourcentage sur les ventes »,
ajoute Mme Guilbaud.
Le taux de royalties moyen du
secteur se situe entre 10 % et 13 %,
explique-t-on chez TF1 Licences.
semble des sociétés privées) et les
syndicats. Concernant la SNCF,
Guillaume Pepy a indiqué, di-
manche, qu’il fallait « renégocier
la façon de faire les trente-
cinq heures » des 148 000 chemi-
nots, et « remettre à plat l’organi-
sation du travail » pour baisser les
coûts et préparer le groupe à
l’ouverture totale à la concur-
rence.
En clair, poursuit le patron, la
SNCF doit « faire tomber un cer-
tain nombre de tabous et, parmi
ces tabous, il y a le fait que l’organi-
sation du travail serait figée, qu’on
ne pourrait pas réformer la SNCF ».
Pour l’instant, M. Pepy se refuse à
chiffrer publiquement « l’écart »
de productivité entre cheminots
SNCF et salariés du fret privé. « Je
crois au dialogue social, et le dialo-
Chez TF1, on est des deux côtés de
la barrière. D’un côté, donc, TF1 Li-
cences, qui gère les droits dérivés
d’un catalogue de plus d’une qua-
rantaine de marques (Hello Kitty,
Barbapapa…) avec plus de 300
contrats de licence en cours. Et, de
l’autre, TF1 Games-Dujardin, édi-
teur de jeux de société qui a ra-
cheté Dujardin (Mille Bornes, Le
Cochon qui rit…) en 2007, et qui
commercialise des jeux sous li-
cence Barbapapa, T’choupi, Hello
Kitty…
Mattel aussi a la double cas-
quette. D’un côté, il est « licen-
cieur » auprès d’une centaine de
fabricants. C’est le cas de Lexi-
book, qui fait des guitares à l’effi-
gie de Barbie Royal. De l’autre, il
est « licencié », c’est-à-dire qu’il
conçoit des jouets avec des per-
sonnages de Cars et de Star Wars
(Disney), ou de Dora l’exploratrice
(Nickelodeon).
Les groupes sont avares de don-
nées économiques, mais quel-
ques études d’analystes finan-
ciers ont estimé que la franchise
Star Wars pourrait générer 3 mil-
liards de dollars dans le monde
en 2015 en produits dérivés, et
gue social, ça se fait aussi par le
respect, donc je ne lance pas d’ana-
thème en donnant des chiffres ou
lançant des ultimatums » aux syn-
dicats, indique-t-il.
Cet écart est connu. Entre la so-
ciété publique et les sociétés pri-
vées qui opèrent dans le fret de-
puis 2006, il existe un différentiel
de 30 % de productivité. Bref, la
SNCF est près d’un tiers plus
chère que ses concurrents. Il ne
s’agit pas ici d’une différence de
salaires des cheminots, mais d’un
différentiel d’organisation ainsi
que d’avantages obtenus histori-
quement.
En moyenne, un cheminot rou-
lant de la SNCF dispose de 38 jours
de congés payés (entre les congés
et les jours fériés) et de 22 jours de
repos complémentaires au titre
Les fabricants
les plus hésitants
y sont venus
car le produit
sous licence
se vend tout seul
5 milliards de plus fin 2016. Les
enjeux financiers sont, en tout
cas, suffisamment importants
pour déclencher des rivalités. En-
tre Hasbro et Mattel, par exemple,
c’est la guerre des poupées man-
nequins. A la fin du premier tri-
mestre 2016, la licence mondiale
de fabrication de poupées man-
nequins Disney (Disney Princes-
ses et Reine des neiges) passera
des mains de l’américain Mattel à
celles de son compatriote Hasbro.
Si la bataille est rude, c’est avant
tout parce que la licence agit
comme un exhausteur de saveur
auprès des enfants. Elle les attire
vers les produits d’un fabricant, et
ils sont ensuite plus susceptibles
de piocher dans son catalogue.
Lorsque, en 2009, le Mille Bornes
des trente-cinq heures, tandis
qu’un agent roulant dans le privé
dispose de 35 jours de congés
payés et aucun repos complé-
mentaire.
« Il ne faut pas pousser »
Mais un ensemble de règles con-
cernant les cheminots – le
RH 0077 qui précise l’amplitude
horaire de travail, les règles de re-
pos journalier ou périodiques –
complexifient l’organisation du
travail de la SNCF par rapport à ses
concurrents. Par exemple, si un
conducteur termine son service
après 20 heures, il ne peut être re-
mis sur le planning dès le lende-
main. Cela demande donc d’im-
portants effectifs pour avoir des
trains qui roulent tous les jours.
Selon une note d’étude de l’UTP
Cars a été lancé, il s’en est écoulé
100 000 exemplaires, et dans le
même temps, la version classique
s’est vendue à 91 250 exemplaires,
bien plus que les 72 500 de 2008.
« Cela ne cannibalise pas le jeu ini-
tial, le Mille Bornes Classique, au
contraire. Cela permet de toucher
un public supplémentaire », dit-on
chez TF1 Games-Dujardin.
Même les fabricants plus hési-
tants y sont venus, presque mal-
gré eux. Parce qu’une licence, c’est
à la fois la garantie d’une visibilité
meilleure et de moindres frais de
communication, car le produit se
vend tout seul. « C’est incontour-
nable pour donner un nouveau
souffle à certains produits », es-
time Lorraine Foulongne, chef de
produits chez Goliath, où trois
jeux (Triomino junior, No Panic et
Domino Express) seront sous li-
cence Disney pendant deux ans.
Mais le système a aussi ses in-
convénients. Notamment le peu
de place laissée à la créativité, et la
nécessité de tout faire valider par
le détenteur des droits. Pour tra-
vailler avec Disney, il faut accepter
que « chaque pièce du jeu soit ap-
prouvée », explique un fabricant.
de 2014, il faut en moyenne 30 %
de personnels de moins au privé
pour offrir le même service de
transport de fret que la SNCF. De
même, pour offrir le même ser-
vice de transport de passagers, les
sociétés privées auraient besoin
de moins de personnel que la
SNCF, la différence se situant en-
tre 15 % et 18 %.
Si les syndicats de la SNCF enten-
dent ces arguments, ils estiment
cependant que c’est le secteur
privé qui devrait s’aligner sur l’or-
ganisation de la compagnie ferro-
viaire. Cette perspective horrifie
les acteurs privés. « Beaucoup
mettraient la clé sous la porte, con-
firme l’un d’eux. Nous sommes
prêts à un compromis avec la SNCF
sur beaucoup de choses, mais il ne
faut pas pousser… »
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015
D’ailleurs, « Disney a imposé une
nouvelle charte graphique pour les
produits dérivés utilisant sa li-
cence Reine des neiges à partir
d’avril 2016, où les couleurs seront
davantage dans le rose et le violet,
et non plus le bleu », explique
M. Donval, chez JouéClub. Plus
compliqué alors, pour les fabri-
cants, d’écouler les jouets aux an-
ciennes couleurs.
Chez Sentosphère, société fran-
çaise spécialiste des jeux olfactifs,
la créatrice, Véronique Debroise, a
jusqu’à présent refusé les propo-
sitions des licencieurs. « Je préfère
la création et travailler avec des
équipes d’illustrateurs, explique-t-
elle. Et certains de mes distribu-
teurs, comme Oxybul Eveil et Jeux,
ne veulent pas de produits sous li-
cence. De plus, il faut s’engager sur
des quantités vendues très impor-
tantes, que je ne pourrai sans
doute pas atteindre avec mon ré-
seau de distribution. » Un rare
exemple de résistance. Nul doute,
cependant, que sous le sapin, les
Luke Skywalker sous toutes leurs
formes ont encore de beaux jours
devant eux. p
cécile prudhomme
Selon Guillaume Pepy, « tout le
monde, y compris les syndicats de
cheminots, a intérêt à ce que la
SNCF réussisse. Si on ne réussissait
pas, cela voudrait dire qu’au mo-
ment où la concurrence va arriver,
la SNCF serait perdante et perdrait
des postes ». L’ouverture de la con-
currence dans le transport voya-
geur est prévue au plus tôt
en 2020 pour les grandes lignes et
2026 pour les trains régionaux.
Alors que les syndicats du
groupe public sont encore froissés
par les annonces du budget 2016,
qui prévoit 1 400 suppressions
nettes d’emplois, ils devront rapi-
dement se positionner sur ce su-
jet. Beaucoup prédisent déjà une
grande grève au printemps pour
défendre les acquis cheminots. p
philippe jacqué
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015
Le CAC 40 accueille la méconnue Klépierre
La société foncière spécialisée dans les centres commerciaux remplace EDF
K
lépierre : c’est un nom
inconnu du grand pu-
blic qui fait son entrée
au CAC 40 lundi 21 dé-
cembre. La société foncière, qui
possède et exploite de nombreux
centres commerciaux en Europe,
remplace le poids lourd EDF, exclu
de l’indice phare de la place de Pa-
ris le 7 décembre en raison d’un
cours de Bourse flanchant et de la
faible part de capital flottant – né-
gociable au jour le jour.
LES DATES
1990
Naissance de la Compagnie
foncière qui s’adjoint, en 1998,
lors de la fusion des banques
BNP et Paribas, le nom Klépierre.
2000
Vraie naissance de Klépierre,
avec l’achat de 160 galeries com-
merciales à Carrefour qui, regret-
tant cette opération, reprendra
126 de ces galeries, pour 2 mil-
liards d’euros, en avril 2014.
2012
Début du retrait de BNP Paribas
et arrivée de Simon Property
Group au capital.
2015
Entrée au CAC 40 le 21 décembre.
Bercy réclame des « efforts »
à Vallourec, sidérurgiste en déroute
Emmanuel Macron demande au président du groupe
une baisse des dividendes et des rémunérations des dirigeants
L e dossier Vallourec prend
un tour politique. Le sidé-
rurgiste français en grande
difficulté était déjà chahuté par les
investisseurs, qui ont fait chuter sa
valeur en Bourse de 90 % en cinq
ans. Emmanuel Macron met lui
aussi la pression ; le ministre de
l’économie réclame à l’entreprise
des « efforts ».
Au moment où celle-ci supprime
2 000 postes dans le monde, l’Etat
lui demande de réduire les divi-
dendes des actionnaires et la ré-
munération des dirigeants. Un
rendez-vous avec le président du
directoire, Philippe Crouzet, était
prévu lundi 21 décembre pour
faire passer le message.
M. Macron a d’autant plus voix
au chapitre que l’Etat est l’action-
naire qui pèse le plus en assemblée
générale, avec 11,5 % des droits de
vote. En dehors des 7,5 % du per-
sonnel, le reste du capital est éclaté
depuis que l’homme d’affaires
français Vincent Bolloré a vendu
l’essentiel de ses actions.
Les élus locaux comme les dé-
putés du Nord Christian Bataille
(PS) et Alain Bocquet (PCF), mobi-
lisés par les syndicats, sont aussi
très présents. Ce sont eux qui, au
lendemain des élections régiona-
les, ont interpellé le gouverne-
ment sur la façon dont il comptait
« s’opposer » à la « liquidation pro-
grammée » de Vallourec, un « fleu-
ron industriel » né dans la région
et toujours présent sur place avec
l’aciérie de Saint-Saulve (Nord).
Le sort de cette usine de 350 sa-
lariés est d’ailleurs le premier su-
jet de préoccupation de M. Ma-
cron. « On ne va pas fermer l’acié-
rie », avait-il promis sur place le
29 juin. Depuis, le site continue ef-
fectivement à tourner, mais seu-
lement quinze jours par mois,
faute de demande. Avec la chute
L’entrée de Klépierre à « l’acadé-
mie » du CAC 40, huit ans après
une autre foncière au profil très
proche, Unibail-Rodamco, consa-
cre le savoir-faire français en ma-
tière de centres commerciaux. Les
deux entreprises figurent en effet
dans le trio de tête des foncières
européennes, en compagnie de
British Land Securities.
« Cela démontre que l’immobilier
est au cœur de l’économie mo-
derne avec le mouvement de mé-
tropolisation en cours et les gains
promis par les économies d’éner-
gie et les emplois qu’elles indui-
sent », se réjouit Guy Marty, direc-
teur de l’Institut d’épargne immo-
bilière et foncière (IEIF).
Klépierre s’est débarrassée de
ses derniers bureaux en 2014,
mais aussi de ses 131 petits centres
commerciaux jugés moins straté-
giques, pour se concentrer sur les
grands équipements, temples de
la consommation. Elle en possède
une centaine en France, dont le
centre commercial de la gare
Saint-Lazare, à Paris – « le plus ren-
table d’Europe », se félicite Laurent
Morel, président du directoire –,
et, en région parisienne, Le Millé-
naire à Aubervilliers, Val d’Europe
à Marne-la-Vallée Euro Disney
(16,5 millions de visiteurs par an),
Créteil Soleil (19,3 millions de visi-
teurs), ou encore, à Marseille, Le
Grand Littoral.
« Notre stratégie est de choisir
des emplacements centraux, près
des nœuds de transport, de fournir
une infrastructure agréable et effi-
cace pour gérer les flux de millions
de visiteurs par an, et, surtout, de
Aucun
prévisionniste ne
prédit un rebond
rapide des cours
du pétrole
qui donnerait
de l’espoir
au groupe
des cours du pétrole, le marché
des tubes de forage dont Vallourec
est l’un des spécialistes mon-
diaux s’est écroulé. Au troisième
trimestre, les tonnages qu’il expé-
die à travers le monde ont plongé
de 44 %, et aucun prévisionniste
ne prédit un rebond rapide des
cours du baril qui donnerait de
l’espoir au groupe.
Plan d’économies
Pour réduire ses surcapacités, Val-
lourec cherche depuis des mois
un partenaire qui achèterait la
majorité de Saint-Saulve. « Nous
continuons à nous battre pour
qu’il y ait des repreneurs indus-
triels qui viennent au tour de ta-
ble », a affirmé M. Macron le
16 décembre. Le français Ascomé-
tal et au moins un autre candidat
sont sur les rangs pour acheter
l’aciérie, largement modernisée
ces dernières années. La direction
de Vallourec, qui conserverait
20 % du capital, pense conclure
un accord rapidement.
Deuxième point sensible : la ré-
munération des actionnaires. En
février, Vallourec a maintenu le di-
vidende au même niveau que l’an-
née précédente, soit une dépense
d’environ 160 millions d’euros,
alors même que les résultats tom-
baient spectaculairement dans le
Klépierre,
qui possède par
exemple Créteil
Soleil, dans
le Val-de-Marne,
se concentre
désormais
sur les grands
équipements
créer une offre commerciale at-
tractive, sachant se renouveler,
grâce aux grandes enseignes, nos
locataires », explique M. Morel.
Ce ne sont plus, aujourd’hui, les
grandes surfaces alimentaires ou
les espaces culturels de type Fnac
qui aimantent la clientèle, mais la
beauté et la mode qui assurent, à
elles seules, 33 % des loyers encais-
sés par Klépierre. Tout centre di-
gne de ce nom doit proposer des
marques connues, comme Zara,
H&M, Sephora, Yves Rocher, qui
joueront les locomotives. Mais
aussi aller chercher de nouvelles
enseignes, pour ne pas lasser le
consommateur européen. Par
exemple, Primark, l’anglais spé-
cialiste de la mode à petit prix, le
japonais Uniqlo ou l’italien Kiko
(maquillage bon marché), que
Klépierre se vante d’avoir été le
premier à implanter.
Pour Michel Clair, prédécesseur
de Laurent Morel, aux comman-
des de Klépierre de 1998 à 2012, « il
ne faut cependant pas négliger les
rouge. Un signe envoyé aux inves-
tisseurs pour qu’ils gardent con-
fiance. Vallourec dégage encore un
peu de trésorerie, mais le durcisse-
ment de la crise et la perte nette
(1,5 milliard en douze mois) ont
bouleversé la donne. Il devient fi-
nancièrement et politiquement
ardu de continuer à rémunérer les
actionnaires comme avant. « Il est
probable qu’il n’y aura pas de divi-
dende versé au titre de 2015 », con-
fie un proche. M. Macron devrait
pousser en ce sens.
Le ministre entend aussi obte-
nir un geste sur les salaires des di-
rigeants. En 2014, M. Crouzet a eu
droit à une rémunération totale
évaluée à 2 millions d’euros, dont
800 000 euros de fixe. « Son fixe a
été augmenté de 5 % seulement de-
puis sa nomination en 2009, il ne
fait pas partie des patrons qui s’en
mettent plein les poches », plaide
son entourage. Néanmoins, les di-
rigeants « feront des efforts », pro-
mettent-ils.
Marié à Sylvie Hubac, ancienne
directrice du cabinet de François
Hollande à l’Elysée, M. Crouzet
sait l’importance d’envoyer des si-
gnaux politiques s’il veut faire
passer les mesures sociales en
cours. Le plan d’économies lancé
en février 2015 prévoit de suppri-
mer 1 500 postes en Europe dont
550 en France. Sur le Vieux Conti-
nent, la capacité de production
devrait être amputée d’un tiers.
Ces dernières années, le groupe
a souffert d’investissements mal
maîtrisés, et il a tardé à prendre
les mesures d’adaptation néces-
saires, estiment nombre d’analys-
tes. Aujourd’hui, il réduit la voi-
lure au maximum, et espère que
le rebond cyclique interviendra
en 2017 ou 2018. Toute la question
est de savoir si cela suffira. p
denis cosnard
économie & entreprise | 15
petits centres de proximité en zo-
nes denses, qui sont parmi les plus
rentables ». « Avec l’importance
prise par les achats en ligne, nous
croyons, bien sûr, à l’avenir des cen-
tres commerciaux, mais à condi-
tion qu’ils soient moins nombreux,
très bien situés et aménagés, Inter-
net et la vente en magasin se renfor-
çant l’un l’autre », insiste M. Morel.
« Une excellente nouvelle »
Comme Unibail, Klépierre est pré-
sente dans toutes les grandes vil-
les d’Europe continentale, avec
trente-sept centres en Italie, cinq
aux Pays-Bas et vingt en Scandi-
navie, dont un, Emporia, à l’archi-
tecture spectaculaire, implanté à
Malmö, au débouché du pont re-
liant la Suède au Danemark. Sans
oublier la Pologne, la Hongrie,
Berlin, Madrid… Le récent rachat
(pour 344 millions d’euros), mi-
décembre, du complexe Oslo City,
au cœur de la capitale norvé-
gienne, qui draine un chiffre d’af-
faires parmi les plus élevés d’Eu-
rope, illustre sa stratégie : « C’est
un pays que nous connaissons
bien, avec l’un des pouvoirs d’achat
les plus élevés du monde, où le PIB
par ménage est de 80 000 euros,
contre 26 000 euros en France en-
tière et 40 000 euros en région pa-
risienne », détaille Laurent Morel.
Au plan financier, l’entrée de Klé-
pierre au CAC 40 consacre une mu-
tation entamée en 2012, lorsqu’elle
était encore une quasi-filiale de
BNP, qui en détenait 51 %. La ban-
que actionnaire s’est, depuis, re-
pliée par étapes, dégageant au pas-
sage une plus-value d’environ un
« L’école des femmes : Apprendre et s’épanouir aux quatre coins du monde »
Un photoreportage de Camille Devars, 20 ans, étudiante à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, Prix Puressentiel « Nature et Environnement » 2015
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GR ÈC E
Alexis Tsipras
ne veut plus du FMI
Alexis Tsipras, le premier mi-
nistre grec, a déclaré dans un
entretien au Financial Times
du 21 décembre ne pas sou-
haiter que le Fonds monétaire
international prenne pas part
milliard d’euros. Le retrait de BNP au troisième plan d’aide inter-
permet à Klépierre de disposer national (86 milliards d’euros
d’un capital flottant de 66,1 %, l’un sur trois ans) accordé à son
des éléments qui ont convaincu pays cet été.
Euronext de l’introniser.
La foncière a, aujourd’hui, deux J APON
actionnaires référents : Simon Toshiba supprime
Property, spécialiste américain 6 800 emplois
des centres commerciaux (20,3 %), Le conglomérat nippon
et APG, fonds de pension des fonc- Toshiba, qui tente de se re-
tionnaires néerlandais (13,6 %). mettre d’un scandale de falsi-
L’entrée d’APG au capital est le ré- fications comptables, a an-
sultat de la fusion, en mars 2015, de noncé lundi 21 décembre la
Klépierre et de Corio, foncière suppression de 6 800 postes.
néerlandaise de même nature, Il s’attend à une perte nette
propriétaire d’importants centres
commerciaux en Europe, notam-
annuelle record de 550 mil-
liards de yens (4,2 milliards
ment du Nord. Ce mariage a eu d’euros) pour l’exercice
pour conséquence de faire chan- d’avril 2015 à mars 2016.
ger Klépierre de taille, lui appor-
tant d’un coup 7 milliards d’euros PR ÉC I S I ON
d’actifs venant s’ajouter aux La SNCF n’a pas
14 milliards déjà en sa possession, à rembourser
autre argument décisif aux yeux d’aides publiques
d’Euronext. La rivale Unibail avait A la suite de la décision de la
d’ailleurs, quelques années plus Cour de justice de l’Union
tôt, en 2007, choisi la même forme
de développement en s’alliant à
européenne sur les aides pu-
bliques versées au transpor-
Rodamco, elle aussi néerlandaise. teur Sernam (Le Monde du
« L’arrivée de Klépierre au CAC 40 19 décembre), la SNCF, son
est une excellente nouvelle pour le ancienne maison mère, as-
secteur immobilier coté, qui sera sure que cette décision n’aura
ainsi plus visible, ce qui incitera pour elle aucune consé-
sans doute les investisseurs à s’inté- quence financière. Elle est
resser à ses autres acteurs », se ré- condamnée à « récupérer,
jouit Dorian Kelberg, délégué gé-
néral de la Fédération des sociétés
auprès des sociétés Sernam
privatisées, les sommes mises
immobilières et foncières (FSIF), à leur disposition à l’occasion
une quarantaine d’entreprises do- de leur privatisation et des dif-
tées d’un statut fiscal attrayant et férentes restructurations du
dont la capitalisation cumulée at- Sernam ». Ce qu’elle a entre-
teint, désormais, sur la place de Pa-
ris, de 50 à 60 milliards d’euros. p
pris en 2012 en faisant ins-
crire la créance au passif de la
isabelle rey-lefebvre liquidation de Sernam.
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16/LE MONDE/MARDI 22 DÉCEMBRE 2015 REPRODUCTION INTERDITE

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*Source AudiPresse Premium 2014, LNM
REPRODUCTION INTERDITE MARDI 22 DÉCEMBRE 2015/LE MONDE/17

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butions suivantes : Au total, ce sont plus de 30 000 personnes qui logent
la planiication stratégique et le suivi de sa mise en œuvre
les procédés de production, l’expertise règlementaire, le /&"/)3*/+ dans le parc de l’ofice.
contrôle interne et le suivi des risques de la société
la recherche de reinancement sur fonds publics et sur fonds .6,"%&" 656&2/# *6 #/2-/#2-/ Metz Habitat Territoire relève du statut d’Ofice Public de l’Habitat
(OPH) depuis 2007. Son budget de fonctionnement annuel est de
privés des engagements de la CADEC
l’ordre de 49 millions d’euros et ses effectifs sont de
l’animation des réseaux de prescripteurs, la détection, le
200 personnes (dont 60 % travaillent sur le terrain, au sein
inancement et l’accompagnement de projets d’investisse-
ments
l’information comptable et inancière.
"#$+')(! ()*(%&) d’agences délocalisées et qui assurent le lien avec les locataires).

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du 13 novembre 2014 relatif au contrôle de l’honorabilité et de
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avant le 31 décembre 2015, par voie postale uniquement à :
Monsieur le Président de la CADEC, 6 Avenue de Paris,
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4' 2-/#2-/7#" (-!.0
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Sous l’autorité de la Présidente et du Conseil d’Administration, le
Directeur Général sera chargé de déinir les moyens de mise en œuvre
de la stratégie décidée par le conseil , de porter et de mettre en
œuvre le projet d’entreprise de l’OPH en tenant compte des enjeux
territoriaux et des ressources internes. Les attentes sont fortes en
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> CADRES <

Retour des opportunités en 2016

L’anticipation d’un retour de la croissance même lente et graduelle par l’INSEE devrait renforcer les Les
plans de recrutement de cadres en 2016. Une bonne nouvelle qui aura des conséquences en termes de
mobilité et de perspectives pour les jeunes diplômes qui auront été avec les seniors les grands sacriiés
du marché de l’emploi ces dernières années.
Après des années de marasme tentions de recrutement de cadres en premier job: un tiers des parcheminés tionnel trio des postes commerciaux,
C hiffres

et de doute, le marché de
l’emploi donne enin des
signes de reprise consolidée. Le retour
de perspectives positives de l’activité
économique dans le sillage des perfor-
mances américaines où le plein emploi
est solidement installé devrait déblo-
quer les craintes des recruteurs. Plu-
sieurs facteurs militent pour ce regain
d’optimisme. En premier lieu le facteur
rattrapage: la France est le seul des
grands pays de l’OCDE à n’avoir pas
encore enclenché la spirale positive des
embauches. Si les évolutions de l’Alle-
magne, de la Grande Bretagne mais
aussi de l’Espagne et de l’Italie sont de
quelque indication, nous devrions à
notre tour enregistrer une vague de re-
crutements en 2016. Cette option est
confortée par l’annonce d’une progres-
sion assez nette des investissements des
entreprises et par une consommation
des ménages qui reste soutenue. Le pou-
voir d’achat dans l’hexagone est globale-
ment toujours à la hausse grâce notam-
ment à la baisse du prix de l’énergie et
des matières premières et à l’affectation
d’une partie des crédits d’impôt compé-
titivité-emploi à des hausses de salaires.
Tous ces signaux sont bien perçus par
les entreprises qui annoncent des in-
hausse. L’augmentation des offres de
postes publiés était déjà plus importante
in 2015. C’est au tour des perspectives
de recrutements de progresser. Selon
les prévisions de l’APEC, il devrait y
avoir 200000 recrutements de cadres en
2016. Le record d’embauches établi en
2007 serait ainsi dépassé.
la reprise va relancer les recrutements de
proils expérimentés.
À l’examen, on devrait aussi consta-
ter un renforcement des tendances
à l’œuvre depuis le début de la crise.
D’abord un marché de l’emploi duel.
Avec une priorité donnée à la lexibilité.
Ce qui signiie un recours plus accen-
tué aux contrats à durée déterminée. Et
une demande essentiellement orientée
vers les proils ayant de 3 à 10 ans d’ex-
périence. En phase de reprise, les entre-
prises ne veulent pas prendre de risque
et souhaitent optimiser immédiatement
l’apport des nouveaux collaborateurs.
En clair la situation des jeunes diplômés
restera toujours très délicate. Ils auront
encore des dificultés à décrocher leur
niveau Master pointent à Pole emploi
un an après la in de leurs études et
un autre tiers est en CDD. Selon les
experts, les recrutements de jeunes
diplômés ne devraient pas atteindre la
barre des 40000. Ce qui signiie qu’il
manquera toujours environ 15000
embauches nouvelles pour retrouver les
niveaux d’avant la crise.
Dans un marché où le chômage des
cadres ne dépasse pas 4,5 % et souffre
même de tensions très fortes dans cer-
tains métiers, les DRH évoquent sou-
vent une guerre des talents. Ce n’est pas
faux. Mais dans les faits, leur préoccu-
pation majeure demeure la idélisation
des collaborateurs les plus prometteurs.
Ce sera d’autant plus vrai qu’en 2016 la
reprise va redonner du soufle à la mobi-
lité des cadres.
Quant aux seniors, ils resteront toujours
les grands oubliés de l’emploi. Sur le
plan des métiers et des expertises les
plus demandées, il n’y aura en revanche
que peu de bouleversements: le tradi-
informatiques et comptabilité-inance
continue de représenter la majorité des
postes à pourvoir. Dans ces spécialités
4,5%
le taux de chômage des cadres
où la pénurie de talents est parfois mar-
quée, à l’exemple des programmeurs
toutes catégories confondues
conirmés, des ingénieurs maîtrisant
les nouvelles technologies et analyses
des bases de données, des actuaires, ou
des cadres commerciaux bilingues, la
200 000
le nombre prévisionnel de
possibilité de bénéicier de hausses de
salaires s’annonce réelle. recrutements de cadres en 2016.
Le pouvoir de négociation de ces pro-
ils est certain reconnaissent les DRH.
Les recruteurs revoient déjà nettement
les rémunérations d’une nouvelle caté-
15 000
gorie de cadres, celle des Chief Digital le nombre de postes pour jeunes
diplômés qui devraient manquer
Oficers. Ces cadres dotés de plus de 10
en 2016
ans d’expérience rentrent actuellement
en force dans les Comités de direction
et leur territoire d’inluence ne cesse de
s’élargir.
Enin, ce ne sera pas dans l’industrie où
Retrouvez
les offres d’emploi sur
les entreprises vont continuer de détruire
des postes, mais principalement dans le Emploi
tertiaire que le marché de l’emploi des
www.lemonde.fr/emploi
cadres va aficher son dynamisme.
L.PM
18 | débats
Faut-il constitutionnaliser l’état
d’urgence ?
Le projet de révision de la Constitution, qui
a reçu, avec des réserves, l’aval du Conseil
d’Etat, doit être examiné mercredi
en conseil des ministres. Le texte suscite
de vives inquiétudes chez les juristes
La séparation des
pouvoirs mise à mal
L’état d’urgence est un régime administratif, à la main
du gouvernement. Doté des pleins pouvoirs policiers
par bastien françois
L
e projet de révision qui
« constitutionnalise » l’état
d’urgence comporte quatre
volets. Une définition qui re-
prend curieusement les ter-
mes larges et alambiqués de
la loi de 1955, qui permettaient à l’épo-
que de masquer le fait qu’on faisait la
guerre au FLN en criminalisant l’insur-
rection algérienne. Une attribution de
compétences (un décret en conseil des
ministres, puis éventuellement une
autorisation parlementaire) articulée à
une temporalité (stricte pour l’exécutif,
sans bornes pour le Parlement). Un ré-
gime juridique : un cadre législatif (« la
loi fixe »), non militaire (« les autorités ci-
viles ») et non judiciaire (« les mesures de
police administrative »), sous le contrôle
(a posteriori) du juge administratif. En-
fin, et c’est la principale nouveauté par
rapport à la loi de 1955, des modalités de
« sortie » : une fois qu’a cessé le péril
ayant conduit à instaurer l’état d’ur-
gence et face « au risque d’acte de terro-
risme » – étrange litote pour décrire un
danger permanent –, la possibilité
d’ajouter six mois supplémentaires
d’état d’urgence. Autrement dit, quand
il n’y a plus d’urgence, il y a encore un
état d’urgence…
Cette constitutionnalisation de l’état
d’urgence est-elle nécessaire ? Elle l’est
dans le meilleur des mondes juridiques
possibles. Quand on prévoit de déroger
à la légalité ordinaire en mettant en
œuvre un état d’exception, fût-il tempo-
raire, il vaut mieux que le principe et le
cadre de cette dérogation soient prévus
au sommet de la hiérarchie des normes.
Cette constitutionnalisation est-elle
urgente ? Non. L’état d’urgence s’appli-
que actuellement sans avoir rencontré
d’obstacle constitutionnel, et le principe
de l’existence d’un tel état d’exception a
été validé dans le passé par le Conseil
constitutionnel (1985) et le Conseil
d’Etat (2005). La lutte contre le terro-
risme – qui peut croire le contraire ? –
n’est pas subordonnée à une révision
constitutionnelle. Ou alors il faudrait
dire clairement quelle disposition cons-
titutionnelle est un obstacle à l’action
des forces de police et de renseigne-
ment.
Cette constitutionnalisation sécurise-
t-elle sur le plan juridique les disposi-
tions législatives, actuelles ou à venir,
encadrant l’état d’urgence ? Absolu-
ment pas. Ce n’est pas parce que la Cons-
titution fixe un cadre que les lois qui le
¶ « toute société dans laquelle la garantie
Bastien François est professeur
de science politique à l’université
Paris-I-Panthéon-Sorbonne
mettent en œuvre ne doivent pas être
conformes à l’ensemble des droits fon-
damentaux garantis par la Constitu-
tion. La loi de 1955 modifiée, ou toute loi
prise sur le fondement du futur arti-
cle 36-1, pourra être contestée devant le
Conseil constitutionnel. Le premier mi-
nistre a lui-même reconnu la fragilité
constitutionnelle de certaines disposi-
tions de la loi de 1955. Cette révision
constitutionnelle n’y changera rien.
UN GARDE-FOU LIMITÉ
Cette constitutionnalisation permet-
elle de « limiter les risques de déborde-
ment », comme l’espère Pierre Rosanval­
lon ? L’inscription dans la Constitution
d’un contrôle par le juge administratif
est une garantie non négligeable, mais
c’est un garde­fou limité. La révision
aurait pu prévoir un encadrement strict
des risques liberticides inhérents à un
état d’exception, en mettant en place
par exemple un véritable contrôle parle-
mentaire ou, mieux, en judiciarisant les
opérations antiterroristes passé un bref
délai. Malheureusement elle fait le con-
traire en instaurant une zone grise
d’état d’urgence après l’urgence, durant
laquelle – mais comment peut­on ins­
crire de tels truismes dans une Constitu­
tion ? – la loi pourra permettre « aux
autorités civiles de prendre des mesures
générales pour prévenir [le] risque [de
terrorisme] ».
Cette constitutionnalisation, on le
voit, n’est pas utile dans l’immédiat.
Comment les plus hautes autorités de
notre pays n’ont­elles pas compris qu’on
ne réforme pas la Constitution dans
l’émotion et l’urgence, mais aussi que la
démocratie ne doit pas combattre ceux
qui nient ses valeurs en prenant le ris­
que d’y renoncer ? Parce que le plus
grave ici n’est pas ce qu’instaure la révi­
sion constitutionnelle, mais ce qu’elle
fait disparaître temporairement : la sé-
paration des pouvoirs. En effet ce « ré-
gime civil d’état de crise » dont parlait le
président devant le Congrès s’exerce
sans les garanties apportées par l’inter­
vention du juge judiciaire. Ce juge qui,
comme le rappelle la Constitution, est le
gardien des libertés individuelles, est ici
mis totalement sur la touche. Ce régime
civil est un régime administratif, à la
main donc du gouvernement. En pé-
riode d’état d’urgence, le voilà doté en
quelque sorte des pleins pouvoirs poli-
ciers. Si l’on ajoute à cela que, comme
l’expérience nous l’enseigne, le droit
d’exception, très souvent, devient la rè­
gle, on voit l’atteinte durable qui peut
être portée au principe même qui fonde
l’idée de Constitution. Car, comme
l’énonce l’article 16 de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen de 1789,
des droits n’est pas assurée, ni la sépara-
tion des pouvoirs déterminée, n’a point
de Constitution ». p
La France risque de devenir
un cas isolé parmi les démocraties
Seule l’Egypte a un
régime d’état d’urgence
fondé sur une décision
du seul président.
Peu d’Etats occidentaux
souhaitent aller aussi
loin que la France
par catherine haguenau-moizard
L e Conseil d’Etat a donné le
17 décembre un avis favorable à
la révision constitutionnelle
voulue par l’exécutif. Sur l’état d’ur-
gence, il relève que la modification en­
visagée « donne un fondement incon-
testable aux mesures de police admi-
nistrative prises par les autorités civiles
pendant l’état d’urgence ». C’est l’effet
recherché. François Hollande avait af­
firmé que la révision constitution­
nelle devrait « permettre aux pouvoirs
publics d’agir, conformément à l’Etat
de droit, contre le terrorisme de
guerre ». Il s’agit surtout d’éviter la
contestation en justice de futures lois
sur l’état d’urgence et donc de remet­
tre en cause l’Etat de droit.
La loi du 20 novembre facilite les
perquisitions. Le ministre de l’inté­
rieur et les préfets sont autorisés à or-
donner des perquisitions en tout lieu.
Ces perquisitions ne sont pas subor-
données à l’autorisation d’un juge.
Certes, elles doivent être réalisées en
présence d’un officier de police judi-
ciaire, et le procureur de la République
doit en être informé, mais cela n’équi-
vaut pas à une autorisation judiciaire.
La jurisprudence du Conseil constitu-
tionnel est pourtant parfaitement
claire. Le Conseil laisse une grande li-
berté au législateur dans la concilia-
tion entre la protection de l’ordre pu-
blic et les libertés constitutionnelles.
Il a toutefois jugé, y compris à propos
de lois sur le terrorisme, que les per-
quisitions non autorisées par un juge
portaient atteinte à la liberté indivi-
duelle protégée par la Constitution.
La loi sur l’état d’urgence permet
aussi au ministre de l’intérieur de pro-
noncer des assignations à résidence. Le
motif est vague et la proportionnalité
de la restriction à la liberté sujette à
caution.
Peu d’Etats vont aussi loin que la
France. Le législateur britannique,
après avoir fortement réduit le con­
trôle judiciaire sur les mesures antiter­
roristes, l’a rétabli en 2011, non sans
avoir été condamné par la plus haute
juridiction britannique et par la Cour
européenne des droits de l’homme.
En Allemagne, l’état de défense est
constitutionnalisé et peut être déclaré
en cas d’agression armée, pas pour lut-
ter contre le terrorisme. Il est précisé
que les pouvoirs de la Cour constitu-
tionnelle ne sont pas affectés. En Israël,
où l’état d’urgence est permanent de-
puis 1948, les mesures prises sont sus-
ceptibles de contrôle judiciaire et font
effectivement l’objet d’un contrôle.
UNE QUESTION PRIORITAIRE
Seule l’Egypte, qui vit sous le régime de
l’état d’urgence de manière quasi per­
manente depuis 1981, a un régime
d’état d’urgence fondé sur un acte du
président et mis en œuvre par le seul
président. Ce bref tour d’horizon per­
met de constater que, depuis le 20 no­
vembre, la France constitue une excep­
tion parmi les démocraties. Ne consti­
tutionnalisons pas cette exception
française peu reluisante.
Le Conseil d’Etat a transmis le 11 dé­
cembre au Conseil constitutionnel
une question prioritaire de constitu­
tionnalité sur les assignations à rési-
dence. La réponse doit intervenir dans
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015
un délai de trois mois. Espérons que
les juges constitutionnels ne vont pas
céder à l’ambiance politique et qu’ils
vont maintenir leur attachement au
principe de la liberté individuelle.
Si le régime de l’état d’urgence est
inscrit dans la Constitution, la consti-
tutionnalité des lois déclarant l’état
d’urgence sera difficile à remettre en
question et les décisions prises en ap-
plication de ces lois également. Les in-
cantations gouvernementales autour
de l’Etat de droit masquent la volonté
de substituer à l’Etat de droit un état
d’urgence pérenne. Le Conseil d’Etat a
suggéré de ne pas autoriser le main-
tien des mesures prises après la fin de
l’état d’urgence, comme le prévoyait
le projet gouvernemental, et a souli­
gné que l’état d’urgence devait répon­
dre à une situation de crise. Il n’en de-
meure pas moins que la constitution-
nalisation de l’état d’urgence entérine
la mise à l’écart du juge judiciaire pen-
dant la durée de l’état d’urgence, qui
peut être prorogé par le Parlement.
Ainsi, le Conseil d’Etat est resté dans
les limites de l’interprétation juridi-
que. Or, la décision de réviser la Cons-
titution est de nature politique. Le
pouvoir constituant peut librement
modifier la Constitution. C’est au
pouvoir politique de prendre la déci-
sion de maintenir les principes de
l’Etat de droit. C’est au pouvoir politi-
que de ne pas se laisser guider par la
peur. C’est à lui de montrer que l’Etat
de droit est un principe qui ne cède
pas face aux menaces et aux craintes
électorales. p
¶
Catherine Haguenau-Moizard
est professeure de droit public
à l’université de Strasbourg
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015
Une manœuvre de triangulation du PS
Plutôt qu’une révision hasardeuse qui sert les calculs
de la gauche hollandiste, il faudrait consacrer dans la loi
suprême le contrôle de l’état d’urgence par la justice
administrative pour laisser travailler les policiers
par guillaume larrivé
L e débat politico-juridique ouvert
par le président de la République
à Versailles est enveloppé d’un
épais brouillard. Tâchons d’y mettre un
peu de clarté. L’état d’urgence est, ni
plus ni moins, un renforcement tempo-
raire des pouvoirs de police administra-
tive, dans les mains du ministre de l’in-
térieur et des préfets, sous le contrôle
du juge administratif. Il est régi par la loi
du 3 avril 1955, modifiée en dernier lieu
par la loi du 20 novembre 2015.
Tout démontre que, dans son prin-
cipe, le régime de l’état d’urgence est
conforme à la Constitution. Car c’est
l’essence même du droit public à la fran-
çaise que de permettre à l’Etat, dont
c’est le métier, de sauvegarder l’ordre
public en conciliant cette exigence avec
l’exercice des libertés. C’est ce raisonne-
ment très classique qu’a retenu le Con-
seil constitutionnel (CC), en 1985, lors-
qu’il a jugé que la Constitution de 1958
n’avait pas abrogé le régime de l’état
d’urgence. Et il faut préciser que, depuis
la révision de 2008, la Constitution
mentionne explicitement, à ses arti-
cles 42 et 48, la notion d’« état de crise »,
qui inclut l’état d’urgence. Ce dernier
est, au demeurant, compatible avec la
Convention européenne des droits de
l’homme – qui prévoit une « dérogation
en cas d’état d’urgence » –, comme l’a
jugé le Conseil d’Etat en 2006.
Il est vrai que, dans sa version issue de
la loi de 2015, la loi de 1955 n’a pas été
contrôlée in extenso par le CC : per-
sonne ne peut affirmer que, dans tous
ses éléments, elle est conforme à la
Constitution. Mais précisément, c’est le
chef de l’Etat qui a choisi de ne pas sou-
mettre la loi au CC, ce qui aurait permis
Un projet recevable,
mais qui doit être réécrit
L’état d’urgence doit renvoyer non à une simple loi, mais à
une loi organique contrôlée par le Conseil constitutionnel.
Il faut rétablir l’autorité du Parlement, qui doit siéger de
plein droit, et restaurer le contrôle de l’autorité judiciaire
par dominique rousseau
D epuis les attentats du 13 novem-
bre, les esprits sont complète-
ment tourneboulés. Les uns
soutiennent que la cause des attaques est
l’intervention militaire française contre
l’organisation Etat islamique, d’autres
que c’est la haine du mode de vie occi-
dental. Les uns y voient la conséquence
de la radicalisation de l’islam, d’autres de
l’islamisation de la radicalité. Les uns
pensent qu’il faut combattre le terro-
risme par plus de démocratie, d’autres
par plus d’autorité. Les uns dénoncent la
constitutionnalisation de l’état d’ur-
gence, d’autres l’approuvent. Si le juriste
n’est pas à l’abri de ce tourbillon d’expli-
cations contradictoires, il peut apporter
la distance de son savoir et doit, surtout
en ces circonstances, rappeler quelques
principes simples qui font une société
démocratique.
Le premier, fondamental, est que, lors-
qu’on diminue les libertés pour avoir
plus de sécurité, on est sûr d’avoir moins
de libertés, mais on n’est jamais certain
d’avoir plus de sécurité. C’est pourquoi la
liberté est toujours et doit toujours rester
la première des sécurités.
Le deuxième principe est que, vu que
la Constitution est la garantie de la li-
berté des citoyens, elle doit prévoir tou-
tes les situations qui pourraient y porter
atteinte. C’est pourquoi la constitution-
de vider complètement le débat. Il a pré-
féré se lancer dans une révision consti-
tutionnelle hypothétique et hasar-
deuse, alors même que le CC s’apprête à
se prononcer ponctuellement sur cer-
taines mesures d’application de l’état
d’urgence, après avoir été saisi au titre
d’une question prioritaire de constitu-
tionnalité. Autrement dit, l’Elysée a mis
la charrue avant les bœufs.
COMPRENNE QUI POURRA…
A quoi peut donc servir, dès lors, ce pro-
jet de loi constitutionnelle improvisé,
tel qu’il a été transmis par Matignon,
pour avis, au Conseil d’Etat ? Il se borne,
en réalité, à énoncer les modalités de
déclaration et de prolongation de l’état
d’urgence en recopiant a minima les
dispositions procédurales prévues par
la loi de 1955 : cela relève, au mieux, de
l’esthétisme juridique et ne consolide
en rien, au plan matériel, les mesures
d’application de l’état d’urgence.
Le projet de révision envisage en
outre, assez bizarrement, de créer un ré-
gime dégradé qui, sans être l’état d’ur-
gence, le prolongerait provisoirement
et partiellement, lorsqu’il n’y a plus de
péril imminent mais qu’il y a quand
même un risque de terrorisme pendant,
au plus, six mois – comprenne qui
pourra ! Les conditions de ce nouveau
régime sont si byzantines que l’assem-
blée générale du Conseil d’Etat a préféré
le disjoindre, conseillant ainsi poliment
au gouvernement de jeter sa copie à la
corbeille. Au total, le projet de révision
ne donne à l’Etat aucun nouveau pou-
voir pour mieux protéger les Français et
ne crée aucune garantie nouvelle pour
mieux assurer l’exercice des libertés.
La seule vraie question est esquissée
par l’avis que vient de rendre le Conseil
d’Etat : « Si la menace qui est à l’origine
nalisation de l’état d’urgence est, a
priori, recevable, puisqu’elle a pour ob-
jet de ne pas laisser hors des garanties le
mode de gouvernement pendant cette
période.
Dans notre texte fondateur de la Ve Ré-
publique, deux hypothèses de crise sont
prévues, celle des pouvoirs exception-
nels à l’article 16 et celle de l’état de siège
à l’article 36. Ces deux articles ne répon-
dent à aucune actualité et doivent donc
être supprimés lors de la révision. Le
nouvel article doit seulement poser le
principe de l’état d’urgence et prévoir la
consultation du Conseil constitutionnel
avant sa prolongation législative, et au
bout de trente jours, pour apprécier le
bien-fondé de son maintien.
LA DÉMOCRATIE DOIT RESTER L’URGENCE
Le reste, c’est-à-dire les modalités du ré-
gime juridique de l’état d’urgence, ne
doit pas figurer dans la loi fondamen-
tale. Il doit être renvoyé non pas à une
loi ordinaire comme le prévoit le projet
gouvernemental, mais à une loi organi-
que. Pourquoi une loi organique et pas
une simple loi ? Parce que les lois organi-
ques sont obligatoirement soumises au
contrôle du Conseil constitutionnel, qui
devra ainsi vérifier si les mesures de po-
lice autorisées en état d’urgence portent
ou non une atteinte excessive aux liber-
tés et droits fondamentaux.
Le troisième principe est que, confor-
mément au préambule de la Déclaration
de l’état d’urgence devient permanente,
c’est alors à des instruments de lutte per-
manents qu’il faudra recourir en leur
donnant, si besoin est, un fondement
constitutionnel durable. » Le gouverne-
ment n’y répond en rien.
Pour ma part, je suis convaincu que
nous avons besoin d’instruments de
police administrative très puissants
pour neutraliser pendant plusieurs an-
nées, avec constance, les terroristes qui
veulent nous détruire. C’est le combat
d’une génération.
C’est alors l’article 66 de la Constitu-
tion [qui instaure l’autorité judiciaire,
comme gardienne de la liberté indivi-
duelle] qu’il conviendrait d’amender. Le
principe resterait que l’autorité judi-
ciaire est la gardienne de la liberté indi-
viduelle. Mais un nouvel alinéa précise-
rait que, par exception, « le respect en est
assuré par la justice administrative lors-
que, dans des conditions régies par la loi,
des mesures de police administrative
sont impérieusement nécessaires afin de
protéger la nation contre une menace
grave pour l’ordre public ou la sécurité
publique ». Une telle révision autorise-
rait durablement des mesures de per-
quisition, d’assignation, de placement
sous surveillance électronique et de ré-
tention. Cela permettrait, en particulier,
de ne pas libérer à leur sortie de prison
des terroristes déjà condamnés, mais de
les placer dans des centres surveillés.
La révision de la Constitution est une
affaire trop sérieuse pour être l’objet
d’une manœuvre de triangulation, con-
sistant, pour la gauche hollandiste, à
faire semblant de parler comme la droite
sarkozyste. Sortons du trompe-l’œil. Re-
levons, sans détour, les défis qui enga-
gent l’avenir de la nation. p
¶ pour la sécurité et l’ordre publics » ou
Guillaume Larrivé est député (LR) de
l’Yonne et membre de la commission des
lois. Il a été conseiller juridique de Nicolas
Sarkozy à la présidence de la République
de 1789, il y a des droits « sacrés », c’est-à-
dire des droits indérogeables même – et
surtout – en période de crise. Et, parmi
ces droits, celui des citoyens de pouvoir
toujours « réclamer » contre les décisions
des pouvoirs publics. Pour ce faire, la loi
organique relative à l’état d’urgence de-
vra reconnaître et garantir deux libertés :
la liberté de la presse, qualifiée par le
Conseil constitutionnel de droit le plus
précieux car « son exercice est l’une des
garanties essentielles du respect des
autres droits et libertés », et qui, dans no-
tre cas précis, permet un regard perma-
nent et public sur l’exercice par les auto-
rités policières de leurs pouvoirs ; la li-
berté du Parlement, qui doit être réuni
en permanence et, le cas échéant, de
plein droit, afin qu’il puisse demander au
gouvernement de rendre compte en con-
tinu et publiquement de ses décisions et
engager sa responsabilité politique s’il
estime que les décisions sont dispropor-
tionnées ou que l’état d’urgence dure
trop longtemps.
Le quatrième principe est celui de la
compétence incontournable du juge ju-
diciaire. Le risque inhérent à cet état d’ex-
ception est le glissement progressif de
l’Etat de droit vers l’Etat policier. Sous la
pression d’une opinion abreuvée d’ima-
ges épouvantables et chauffée par les
partis politiques, qui pensent en tirer un
profit électoral, la tentation peut, en ef-
fet, être grande de faire durer une situa-
tion où le policier l’emporte sur le juge,
où la sécurité l’emporte sur la liberté.
Il faut, pourtant, savoir résister à cette
tentation, en rappelant que la Constitu-
tion, dans son article 66, fait du juge judi-
ciaire le gardien de la liberté individuelle.
Il doit le rester en état d’urgence. Et, par
conséquent, non seulement la présence
d’un officier de police judiciaire doit être
prévue lors des perquisitions adminis-
tratives, non seulement le procureur de
la République doit être immédiatement
informé et être destinataire des procès-
verbaux, mais, surtout, les décisions des
autorités administratives et policières –
assignations, perquisitions – doivent
pouvoir être contestées devant le juge ju-
Refuser un état
d’exception permanent
Le projet ne vise pas
à encadrer les pouvoirs
exorbitants de l’exécutif
et malmène les principes
de l’Etat de droit
collectif
Q uelques semaines après les
attentats du 13 novembre, il
est proposé d’inscrire l’état
d’urgence dans la Constitu-
tion. C’est pourquoi il faut rappeler ce
que signifient, dans une société dé-
mocratique, les principes d’un Etat
de droit : toute restriction des libertés
doit être strictement nécessaire à la
protection de l’ordre public, propor-
tionnée aux troubles qu’elle entend
empêcher et accompagnée de con-
trôles ; celui du gouvernement par la
représentation nationale et celui des
autorités administratives et policiè-
res par des juridictions dotées de
pouvoirs effectifs.
Rappeler ces principes ne signifie
pas que le droit doit ignorer les situa-
tions exceptionnelles. Mais toute
mesure d’exception doit rester fidèle
à ces principes, au risque de basculer
dans un régime non démocratique.
L’état d’urgence permet, sur la base
de simples soupçons policiers, des
assignations à résidence qui insti-
tuent une véritable rétention admi-
nistrative à domicile, ainsi que des
perquisitions sans autorisation judi-
ciaire. Il ne vise pas seulement des
personnes soupçonnées de terro-
risme, mais les suspects de « menace
d’« atteinte grave à l’ordre public ». En
outre, il a permis d’interdire des ras-
semblements, alors que des manifes-
tations commerciales ou sportives
débats | 19
LA LIBERTÉ
EST TOUJOURS
ET DOIT
TOUJOURS RESTER
LA PREMIÈRE
DES SÉCURITÉS
diciaire et non devant le juge administra-
tif. Plus la liberté individuelle est mena-
cée – et elle l’est évidemment en état
d’urgence –, plus le juge judiciaire doit
être compétent.
Dans la forme actuelle de leur rédac-
tion, les propositions de révision du gou-
vernement ne répondent à aucun de ces
principes. Le Conseil d’Etat a rendu sur ce
texte un avis mitigé. Mais comment des
conseillers d’Etat pourraient-ils en con-
tredire d’autres qui ont participé à la ré-
daction de ce projet de révision, qui leur
donne compétence pour juger des mesu-
res de police prises pendant l’état d’ur-
gence ! Au moins aurait-il fallu qu’il dé-
conseille fortement l’inscription dans la
Constitution – à l’article 3 ou à l’article 34
– de la déchéance de nationalité. Car, s’il
inventait, pour l’occasion, un principe
fondamental reconnu par les lois de la
République, selon lequel il serait interdit
de priver les Français de naissance de
leur nationalité, un étudiant en droit
pourrait reprendre la célèbre interroga-
tion du professeur Jean Rivero : quelle
loi ? quelle République ? quel principe ?
Même en état d’urgence, la démocratie
doit rester l’urgence. p
¶
Dominique Rousseau est professeur
à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne
restaient autorisées, et il a facilité des
gardes à vue de citoyens sur lesquels
ne pèse nul soupçon de terrorisme.
Le projet d’inscrire l’état d’urgence
dans la Constitution ne vise pas à
mieux encadrer les pouvoirs exorbi-
tants accordés à l’exécutif – notam-
ment en rappelant les limites résul-
tant des droits « indérogeables » énu-
mérés par la Convention européenne
des droits de l’homme –, mais à ren-
forcer ces pouvoirs, en leur donnant
une base constitutionnelle qui les
mette à l’abri d’une éventuelle cen-
sure du Conseil constitutionnel. Tout
comme l’inscription dans la Constitu-
tion de la déchéance de nationalité
pour les Français de naissance vise à
contourner les fondements républi-
cains du droit de la nationalité.
Nous appelons la représentation
nationale à refuser la pérennisation
de l’état d’urgence ; à préserver les
principes de nécessité et de propor-
tionnalité de toute limitation des
droits fondamentaux et libertés pu-
bliques ; et à renforcer les garanties
d’un contrôle démocratique sur les
décisions gouvernementales et d’un
contrôle juridictionnel effectif sur
leur mise en œuvre.
Enfin, nous appelons les citoyens à
résister à la tentation de la peur qui
paralyse et à s’unir pour la défense
des libertés, sans lesquelles le souci
de la sécurité pourrait se transfor-
mer en règne de l’arbitraire. p
¶
Véronique Champeil-Desplats,
Jacques Chevallier, Mireille
Delmas-Marty, Jean-Pierre Dubois,
Stéphanie Hennette-Vauchez,
Geneviève Koubi, Christine Lazerges,
Danièle Lochak, Yves Mény,
Serge Slama, Catherine Teitgen-Colly
sont juristes universitaires
20 | médiateur
Et maintenant ?
La poussée du Front national aux élections
régionales et l’édito du directeur du « Monde »,
Jérôme Fenoglio, « Agir avant la catastrophe »,
dans le journal du daté 15 décembre,
n’ont pas laissé les lecteurs indifférents.
Certains demandent au quotidien
d’aller plus loin
f r anck nouch i
A
en juger par votre courrier, Xavier
Bertrand a été le responsable politi-
que qui, dimanche 13 décembre,
peu après 20 heures, a su trouver les
mots les plus justes pour dire ce qui venait de
se passer. S’exprimant dans la grande salle du
Palais de Fervaques, à Saint-Quentin (Aisne), le
nouveau président LR de la région Nord-Pas-
de-Calais-Picardie a déclaré : « Ici, les Français
ont donné une leçon de rassemblement, de cou-
rage et d’honneur aux dirigeants politiques.
L’Histoire retiendra que c’est ici que nous avons
stoppé la progression du Front national. Mais le
résultat de ce soir nous oblige à rester humbles.
Je ne pourrai jamais oublier ce que j’ai vécu du-
rant cette campagne. Cela changera à jamais
ma façon de faire de la politique .»
« Je n’oublie pas non plus les résultats du pre-
mier tour, a ajouté Xavier Bertrand. Ils ont cla-
qué comme un coup de tonnerre. Sans doute le
dernier coup de tonnerre avant qu’un jour peut-
être le Front national n’accède au pouvoir (…)
Cela fait trente ans, trente années, que la classe
politique, dont je fais partie, explique qu’elle a
reçu le message, qu’elle a tout compris, que plus
rien ne sera comme avant, et, pourtant, qu’a-t-
elle fait, cette classe politique ? »
S’achevant par « C’est notre dernière
chance ! », l’intervention du nouveau président
de région allait trouver un prolongement, dès
le lendemain, dans les colonnes du Monde du
daté 15 décembre, sous la plume de Jérôme Fe-
noglio. Sous le titre « Agir avant la catastro-
phe », le directeur du journal mettait en garde
« le personnel politique » contre la tentation du
retour au « business as usual », autrement dit à
« la préparation de l’élection présidentielle,
échéance obsessionnelle de notre système élec-
toral ».
Détaillant l’« enchevêtrement de désenchan-
tements », qui avait conduit à ce vote massif en
faveur des listes du Front national, Jérôme Fe-
noglio énumérait les « chantiers immenses »
qui permettraient, peut-être, de sortir de « la
crise démocratique » dans laquelle la France ne
cesse de s’enfoncer.
Vous avez été très nombreux à réagir aux ré-
sultats de ces élections régionales, ainsi qu’à
l’éditorial du directeur du Monde. Si beaucoup
d’entre vous ont approuvé le sens et l’engage-
ment de ce texte, d’autres, moins nombreux il
est vrai, ont souhaité aller plus avant, en de-
mandant au Monde de ne pas s’exonérer de
toute responsabilité dans la montée du Front
national. « Quittez votre piédestal et sortez de
votre tour d’ivoire pour aller écouter la France
d’en bas (comme Florence Aubenas vient de le
faire dans un article mis en ligne ce matin), écrit
ainsi Pierre Kouteynikoff, un fidèle lecteur de
Garches (Hauts-de-Seine), en faisant allusion à
un reportage publié dans Le Monde (daté 15 dé-
cembre), dont le titre était « Une revanche con-
tre les “élites parisiennes” », et le sous-titre :
« Dans l’Aisne, les électeurs de Xavier Bertrand
décrivent une colère de fond prête à éclater. »
« Même si elle vote mal, formez des argumen-
taires pour convaincre cette France-là, plutôt
que de continuer à prêcher dans le vide auprès
de vos lecteurs, qui sont déjà convaincus. Au
boulot, Le Monde ! », concluait M. Koutey-
nikoff. D’autres lettres allaient dans le même
sens, quand est arrivé, par l’intermédiaire des
« social media editors » du Monde.fr, un cour-
riel d’un autre genre. « Salut, Le Monde !» :
ainsi nous interpellait Stéphane Hardel, 47 ans,
consultant en stratégie numérique.
« FAIRE DAVANTAGE DE REPORTAGES »
Habitant à Pantin (Seine-Saint-Denis), notre
internaute poursuivait ainsi son adresse au
Monde : « Pourquoi ne jouerais-tu pas un vrai
rôle dans le débat public comme certains de tes
confrères l’ont fait aux Etats-Unis, par exemple ?
Je pense aux dernières élections. Au lieu de re-
layer des discours lénifiants (c’est aussi ton rôle,
certes), tu pourrais prendre la main. Rien de
moins. Et lancer un grand référendum (ou pro-
position républicaine) pour une rénovation
complète de la politique de la France. Au nom de
la République. Avant que cela dérape. Tu as
toute légitimité pour le faire. Ce référendum se-
rait créé sous forme d’un manifeste pour un re-
nouveau complet de la politique française. En-
tre autres : pour que la politique ne devienne pas
une rente/pour que le changement soit la règle
dans les partis/pour que ceux qui perdent chan-
gent de voie et laissent la place/pour que ceux
qui ont été sanctionnés par la justice ne puissent
plus jamais se présenter/pour le non-cumul des
mandats/pour la transparence des comptes/
pour la fin des avantages insensés dont certains
bénéficient pendant et après leur mandat… Et
pour tout ce qui te semble devoir être rénové
pour que la démocratie reste la démocratie et
que les partis extrêmes n’aient plus grand-chose
à se mettre sous la dent. Tu pourrais aussi re-
cueillir l’avis de tes lecteurs et non-lecteurs pour
retranscrire les propositions qui te semblent les
plus intéressantes dans une logique participa-
tive. Tu pourrais aussi créer un baromètre de ce
Extraits d’articles
parus dans
« Le Monde » du daté
4 décembre (à gauche)
et 15 décembre
(ci-dessus),
et de l’éditorial
du directeur
du journal dans
le daté 15 décembre.
qui a été ou non appliqué au fil du temps par les
différents partis (sous forme de tableaux sim-
ples et immédiats à lire, hébergé sur un mini-
site, ou pourquoi pas une application). Je ne suis
qu’un anonyme, aussi je n’ai aucune illusion
quant à ton écoute, mais je retraduis ici ce que la
plupart d’entre nous pensons et tu ferais – cher
Monde – œuvre de service public en prenant ce
sujet à bras-le-corps. Merci de ton écoute et la
bise à toi, Le Monde. »
Ce genre de missive, votre médiateur n’en re-
çoit pas tous les jours. Outre un ton particuliè-
rement aimable, il y a, dans ce texte, une vo-
lonté d’agir – de ne surtout pas en rester aux
vains mots – qui m’a incité à aller voir Jérôme
Fenoglio et Luc Bronner, respectivement direc-
teur et directeur des rédactions du Monde. Non
pas pour leur communiquer ce texte, ils le dé-
couvriront comme vous dans cette chronique,
mais pour les interroger sur ce que Le Monde
compte faire durant la période qui nous sépare
de ce sacro-saint scrutin présidentiel, en 2017.
Quelques mots, tout d’abord, sur la couver-
ture de la campagne électorale, endeuillée,
chacun s’en souvient, par les attentats de Paris
et de Saint-Denis, le 13 novembre. Un très gros
dispositif rédactionnel était prévu, qu’il a fallu
revoir à la baisse. « Cela a été, explique Luc
Bronner, une campagne très étrange, à la fois
très courte et très marquée par un sentiment
d’angoisse collective. »
Malgré tout, preuve – s’il en fallait – que les
Français demeurent passionnés par la politi-
que, les audiences du site Lemonde.fr ont été
énormes et les ventes en kiosques du journal
excellentes (multipliées par deux par rapport à
un jour normal au lendemain des deux tours).
Quelques jours plus tard, pourtant, « l’effet
élections » s’est estompé. Sans doute nos lec-
teurs souhaitent-ils passer à autre chose après
ce mois d’information continue, rythmé par
une actualité aussi anxiogène que tragique.
Reste « la » question : passé les fêtes de fin d’an-
née, qu’allons-nous faire ? Du journalisme,
tout d’abord. « Notre devoir, résume Jérôme Fe-
noglio, est de promouvoir la bonne informa-
tion. Je veux dire une information à la fois fiable
et qui prend en compte la complexité. Rien à voir
avec ce qui pourrait apparaître comme la dé-
fense d’une thèse. » « Dans cette France que l’on
dit réelle, même si je n’aime pas ce mot, il va
nous falloir faire davantage de reportages,
poursuit Luc Bronner. Songez que le Front na-
tional est arrivé en tête dans près de 20 000
communes ! »
Par ailleurs, Le Monde va continuer à publier
des enquêtes d’opinion. « Nous allons poursui-
vre notre travail avec [l’institut] Ipsos et le Cevi-
pof [Centre de recherches politiques de Scien-
ces Po], précise Luc Bronner. Ainsi que nous
avons commencé à le faire avant le premier tour
des régionales, nous allons suivre, jusqu’en
juin 2017, un panel de 25 000 Français, de 1 000
« NOUS ALLONS, SANS
RELÂCHE, CONTINUER
À DÉMÊLER LE VRAI DU
FAUX DU PROGRAMME
DU FRONT NATIONAL,
TRAQUER
ET DÉMONTER
LES RUMEURS »
LUC BRONNER
directeur des rédactions
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015
jeunes âgés de 16 à 18 ans et de 2 500 personnes
non inscrites sur les listes électorales. Au total,
nous les interrogerons seize fois durant ces
vingt mois. » Remarquons que cette méthodo-
logie a fait ses preuves : l’enquête publiée par
Le Monde (daté 4 décembre), quelques jours
avant le premier tour, donnait une idée très
précise de ce qui allait se produire le diman-
che 13.
« EXPERTISE, PROJECTION HISTORIQUE »
Continuer à suivre le Front national et à dissé-
quer son programme figure également au
menu de la période qui s’ouvre. En outre,
ajoute Luc Bronner, « nous allons, sans relâche,
continuer à démêler le vrai du faux, traquer et
démonter les rumeurs. Ce sera en particulier le
travail de l’équipe des Décodeurs du Monde. »
Dans son éditorial, Jérôme Fenoglio insistait
sur la nécessité de « restaurer ces vertus publi-
ques qui ne cessent de s’étioler : le sens du com-
promis, le goût de la complexité, le respect du
dialogue, le souci du long terme ». Comment Le
Monde compte-t-il s’y prendre pour jouer un
rôle constructif dans cette nécessaire restaura-
tion ? Une « Revue des idées » remplacera, en
février 2016, le cahier « Culture & Idées ». « Ce
sera le lieu non seulement de la confrontation
des points de vue, mais aussi de la complexité,
de l’expertise et de la projection historique », as-
sure Luc Bronner.
Par ailleurs, forts de notre expérience en ma-
tière d’organisation de festivals et autres fo-
rums, « nous allons, conclut le directeur des ré-
dactions du Monde, mettre en place une série de
débats, un peu partout en France, qui traiteront
de sujets aussi essentiels que la modernisation
de la vie politique, la réforme des institutions, la
refondation de la politique d’intégration, l’école,
etc. Suivront, à chaque fois, une série de proposi-
tions concrètes, qui seront évidemment discu-
tées dans nos colonnes et versées au débat pu-
blic ». Nul doute que des lecteurs comme Sté-
phane Hardel voudront s’associer à de telles
initiatives. De la même manière qu’ils seront
intéressés par la troisième édition du « Monde
Festival » qui, en 2016, aura lieu les 16, 17 et
18 septembre à Paris, plus précisément à
l’Opéra Bastille, au Palais Garnier et au Théâtre
des Bouffes du Nord. Le thème retenu ? « Agir ».
Il n’est que temps.
Post-scriptum : Vous avez été très nombreux
à saluer le Mémorial du Monde aux victimes
des attentats du 13 novembre. De la part de
toute la rédaction, soyez-en très chaleureuse-
ment remerciés. p
nouchi@lemonde.fr
Twitter : @FranckNouchi
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015 éclairages | 21

L’introuvable alternative à la stratégie d’Obama contre l’EI

ANALYSE coalition internationale). Pour défendre cette
gilles paris
stratégie qui privilégie la patience par rapport
washington - correspondant à la force contre une menace qui n’est pas jugée
existentielle, M. Obama a, selon la presse amé-
ricaine, présenté la facture qu’impliquerait un
ricaines, pointant leurs rôles néfastes selon lui
en Libye, en Irak et en Egypte.
Le poids électoral de M. Paul est marginal. Pas
celui du magnat de l’immobilier Donald
Trump, dont l’avance en termes d’intentions
aux musulmans. Jeb Bush, lui, a au contraire
souligné combien elle fragiliserait Washing-
ton sur ce point crucial. « Cela va écarter de
nous le monde musulman au moment même
où nous devons au contraire nous réengager

A
ttaqué de toutes parts sur les limites
de sa stratégie visant à éliminer l’or-
ganisation Etat islamique (EI), le
président des Etats-Unis, Barack
LES PROFONDES Obama, a contre-attaqué avant de partir sur
DIVERGENCES son archipel natal d’Hawaï où il a pris l’habi-
tude de passer les fêtes de fin d’année. Il s’est
DES CANDIDATS donc rendu ostensiblement le 14 décembre au
Pentagone puis le 17 décembre au National
RÉPUBLICAINS Counterterrorism Center, pendant que la di-
À LA MAISON plomatie américaine œuvrait aux Nations
unies contre les circuits financiers de l’EI et
BLANCHE pour l’adoption d’une résolution en faveur
d’une sortie de crise politique en Syrie.
PROTÈGENT Entre ses deux déplacements, le président a
reçu pendant deux heures un petit groupe de
LE PRÉSIDENT dix journalistes triés sur le volet auxquels il a
DÉMOCRATE concédé avoir tardé à prendre la mesure de
l’anxiété suscitée par l’attentat meurtrier de
D’UNE VÉRITABLE San Bernardino (Californie), qui a fait 14 morts
le 2 décembre, lié à l’EI. Leur échange devait
REMISE EN CAUSE théoriquement rester confidentiel, mais le
chroniqueur diplomatique du Washington
Post, David Ignatius, lui a évidemment consa-
cré un article le surlendemain, dépourvu ce-
pendant de la moindre citation présidentielle.
Les Etats-Unis suivent un plan en trois points
face à l’EI (bombardements aériens, en appui à
des troupes locales au sol, dans le cadre d’une
déploiement de troupes américaines non seu-
lement aux confins de l’Irak et de la Syrie mais
aussi partout où l’organisation djihadiste tente
de prendre pied.
Le coût pour les Etats-Unis d’un retour à un
rôle de gendarme régional que David Ignatius
décrit comme le poste de « gouverneur du Sun-
nistan » s’élèverait mensuellement à
100 morts, 500 blessés et 10 milliards de dol-
lars (9,2 milliards d’euros). Les chiffres avancés
ont pour objectif d’obliger ses critiques à en-
dosser le prix d’une rhétorique maximaliste.
Son corollaire presque magique est le « tapis de
bombes » vanté par le sénateur du Texas Ted
Cruz qui fera disparaître les djihadistes. Ces dis-
cours ne contestent cependant aucun des trois
points de M. Obama.
Unis pour dénoncer « la mauviette incapa-
ble » en poste à la Maison Blanche, selon le gou-
verneur du New Jersey Chris Christie, les prin-
cipaux candidats républicains sont divisés sur
tout le reste, comme l’a montré leur dernier dé-
bat télévisé, le 15 décembre. A commencer par
le principe même d’un rôle américain au Pro-
che-Orient. Fidèle à ses convictions libertarien-
nes qui sont souvent dépeintes comme une
tentation isolationniste, Rand Paul, sénateur
du Kentucky, exprime le plus grand scepti-
cisme sur le bien-fondé des interventions amé-
de vote (encore virtuelles pour l’instant) s’est
accrûe après les attentats de Paris et de Califor-
nie. Tout en faisant l’apologie d’une « force »
qu’il estime incarner mieux que quiconque, fa-
vorable à des bombardements indiscriminés,
M. Trump a exposé lui aussi ses doutes, rappe-
lant son opposition ancienne au renverse-
ment de Saddam Hussein en 2003 et les
« trillions » de dollars dépensés en pure perte
selon lui alors qu’ils auraient été mieux em-
ployés dans les infrastructures américaines.
PROPOSITION CONTROVERSÉE
A l’opposé de ces candidats à la fois vindicatifs
et favorables au maintien en place de régimes
autoritaires, Marco Rubio, sénateur de Floride,
a défendu une stratégie plus élaborée qui ne
varie cependant qu’en intensité avec celle de
M. Obama. Comme ce dernier, il estime que le
maintien au pouvoir du président Bachar Al-
Assad empêchera le règlement du conflit et fa-
vorise l’EI ; comme M. Obama, encore, il relati-
vise l’efficacité des bombardements aériens ;
comme le président, enfin, M. Rubio butte sur
la question des indispensables troupes au sol.
Manifestement par électoralisme, M. Rubio
s’est curieusement gardé de critiquer
M. Trump à propos de sa proposition très con-
troversée d’interdire l’accès des Etats-Unis
avec eux pour être capables d’élaborer une
stratégie permettant de détruire » l’EI, a pro-
testé l’ancien gouverneur de Floride.
Ces divisions n’épargnent d’ailleurs pas les
moyens accordés à la lutte contre le radica-
lisme sur le sol américain. Elles sont réappa-
rues, béantes, le 15 décembre lorsque M. Chris-
tie et M. Rubio ont estimé que la réforme de la
collecte des métadonnées téléphoniques par la
NSA (autrefois automatique) avait privé les
Etats-Unis d’un outil efficace, ou lorsque
M. Trump a proposé de fermer « certaines par-
ties » d’Internet. Ils se sont heurtés cependant
au sénateur du Kentucky, défenseur intraitable
des libertés individuelles, qui a estimé, tout
comme M. Cruz, que cette collecte massive et
indifférenciée « détournait » l’attention des vé-
ritables menaces.
Ces profondes divergences protègent pour
l’instant M. Obama contre une véritable re-
mise en cause. A l’heure où l’offensive russe
aux côtés des troupes syriennes semble mar-
quer le pas, David Ignatius, sans l’attribuer au
président, n’envisage qu’un seul cas de figure
susceptible de modifier l’engagement de
Washington : celui d’une opération terroriste
de grande ampleur sur le sol américain. p
paris@lemonde.fr

LE GRAND RENDEZ-VOUS EUROPE 1, « LE MONDE », I-TÉLÉ

Cécile Duflot : « La déchéance de nationalité serait une faute »
Dans un entretien au « Monde »,
mardi 15 décembre, vous avez dit
vouloir « tendre la main » au prési-
dent de la République en proposant
une « coalition de transformation »
qui unirait les socialistes, les écolo-
gistes et les communistes. François
Hollande vous a-t-il répondu ?
On est souvent en contact, mais sur ce
point je n’ai pas de réponse de sa part.
Jean-Marie Le Guen, le secrétaire
d’Etat aux relations avec le Parle-
ment, a, lui, publiquement réagi en
qualifiant votre positionnement de
« semi-gauchiste ». Quelle est votre
¶ réaction ?
Cécile Duflot Jean-Marie Le Guen dit n’importe
Députée Europe Ecolo- quoi. Je ne sais pas en quelle année il est
gie-Les Verts de Paris né, mais il est assez révélateur d’une gé-
Le Grand Rendez-Vous nération qui n’a jamais eu de problè-
avec « Le Monde » mes pour trouver du travail et qui
est diffusé chaque donne des leçons alors que la situation
dimanche de est très douloureuse. Ce que je défends,
10 heures à 11 heures c’est un autre modèle qui nous em-
sur Europe 1 et i-Télé. mène vers l’avenir, un triptyque autour
Version intégrale de la jeunesse, de l’écologie et des liber-
sur Europe1.fr tés, parce que je refuse de considérer
et Lemonde.fr que notre pays souffre uniquement de
deux maux : les questions identitaires
et les questions d’autorité.
Après le choc des régionales,
Jean-Pierre Raffarin a appelé
à un pacte républicain pour lutter
contre le chômage. Vous lui dites
« banco » ?
Si Jean-Pierre Raffarin était devenu
écologiste, cela se saurait ! Ce qu’il pro-
pose, c’est la baisse du coût du travail,
un truc à l’ancienne qui n’a jamais mar-
ché. Il y a vingt mois, on a fait un chè-
que de 40 milliards d’euros aux entre-
prises et ça n’a rien donné. Si on consa-
crait ne serait-ce que la moitié de cet ar-
gent à des emplois jeunes pour l’avenir,
orientés autour de la transition écologi-
que, des questions numériques et des
questions d’égalité sociale, on aurait un
tout autre chemin.
Mais le président de la République a
toujours dit qu’il continuerait à faire
le pacte de responsabilité !
Si François Hollande considère que sa
politique fonctionne, très bien, mais le
seul changement politique majeur
qu’on a constaté c’est la hausse considé-
rable de l’extrême droite. Et moi, cela
me donne le vertige.
Le projet de loi constitutionnelle vi-
sant à introduire l’état d’urgence
dans la Loi fondamentale doit être
examiné mercredi en conseil des
ministres. Le voterez-vous ?
A ce stade, je ne vois absolument pas
l’intérêt de modifier la Constitution. Et
je suis résolument hostile à un disposi-
tif exceptionnel qui pourrait perdurer
après la fin de l’état d’urgence car cela
nous ferait entrer dans l’état d’excep-
tion.
Quand faut-il lever l’état d’urgence ?
Le plus vite possible. Il faudrait qu’à la
mi-janvier, on puisse revenir à un fonc-
tionnement normal de nos institu-
tions.
Même si la menace terroriste
ne faiblit pas ?
Qu’est ce que l’état d’urgence ? La pos-
sibilité d’interdire des manifestations,
de perquisitionner et d’assigner à rési-
dence des gens sans décision judiciaire.
Depuis le 13 novembre, des abus ont été
commis. Je le regrette. On crée un cli-
mat qui peut être facteur de menace
pour la démocratie.
La déchéance de nationalité pour
les binationaux nés en France et
condamnés pour terrorisme fait
débat au sein même du gouverne-
ment. Y restez-vous hostile ?
Oui, c’est plus qu’une ligne rouge. Ce
serait une faute parce que la nationalité
se constate. Nous sommes égaux de-
vant elle. Quand un de nos concitoyens
commet une faute, on le pourchasse, on
le juge, on le condamne. C’est la même
règle pour tous.
Est-il responsable d’envisager une « POUR 2017,
candidature écologiste à la présiden-
tielle, alors que le Front national est
IL FAUT UNE
aussi haut ? CANDIDATURE
Nous n’avons jamais hésité à soutenir
celui ou celle qui pourrait battre l’ex- QUI INCARNE
trême droite parce qu’il y a une hiérar-
L’ÉCOLOGIE,
chie dans la dangerosité. Mais je ne
veux pas considérer qu’aujourd’hui le LA JEUNESSE ET
jeu est fait. Et surtout, je dis qu’après
2017, il y a la suite. Notre responsabilité LES LIBERTÉS »
est de défendre un projet. Donc je vais
défendre pour 2017 l’idée qu’il faut une
candidature qui incarne l’écologie, la
jeunesse et les libertés. Nous avons be-
soin de donner de l’énergie, du souffle,
de l’envie. p
propos recueillis par
jean-jérôme bertolus,
françoise fressoz
et alexandre kara

Le terrorisme comme concept global

LIVRE DU JOUR chir de la pression djihadiste. Résultat : si la
méthode se veut globale et les approches pluri-
gaïdz minassian
dimensionnelles, l’organisation du livre et les
contributions sont inégales.
France, dénonce la double myopie des Occiden-
taux : ils ne répondent que tactiquement – frap-
pes aériennes – aux agressions des terroristes
et ne comprennent rien à leur stratégie. Tant

I
l faut tout revoir, tout reprendre. Depuis
les attentats du 13 novembre à Paris, plus
rien n’est comme avant dans notre rap-
port au terrorisme et à l’antiterrorisme
en France, explique Jacques Delga, coordina-
teur d’un ouvrage collectif sur ce type de vio-
lence politique qui fascine autant qu’il in-
quiète les opinions.
Il s’agit d’un premier livre d’envergure sur le
terrorisme paru depuis la tragédie du Bataclan.
D’autres suivront sans aucun doute et celui de
Jacques Delga, avocat de formation, a ceci de
particulier qu’il appréhende le terrorisme sous
l’angle de la pluridisciplinarité : psychologues,
journalistes, juristes, criminologues, histo-
riens, sociologues, militaires, professeurs de
Un hors-série du «Monde» - 100 pages - 7,90 € gestion, agents secrets et même sexologues.
Tous les regards sont autorisés pour compren-
Chez votre marchand de journaux dre ce phénomène. Approche globale oblige,
et sur Lemonde.fr/boutique les auteurs annoncent leur intention de dépas-
ser le volet religieux du terrorisme, mais tribu-
taires de l’actualité, ils ont eu du mal s’affran-
La première partie consacrée à l’histoire du
terrorisme et de l’antiterrorisme est traitée trop
vite par rapport aux deux autres, les auteurs
partant du principe que le terrorisme est diffi-
cile à définir avant sa dimension moderne da-
tant de la Terreur de 1793.
RÉORGANISER DE TOUTE URGENCE
La deuxième partie répond à l’ambition des
auteurs. La plupart des contributions signées
par des responsables de services de sécurité
frappent par leur pondération. Nul paradoxe
ici, car les hommes de l’ombre savent qu’une
seule réponse policière ne suffira pas à mettre
un terme aux professionnels des attentats.
La contribution de Jean-Pierre Pochon, ex-
haut responsable des services secrets français,
se veut modeste, mais, à lire entre les lignes, ce
professeur associé à Sciences Po appelle à une
réorganisation de toute urgence de l’antiterro-
risme en France. Celle de Jacques Baud, un des
meilleurs spécialistes du renseignement en
que les choses resteront en l’état, les djihadistes
auront une longueur d’avance sur les services
de sécurité et de renseignement.
Quant à la dernière partie de l’ouvrage con-
sacrée au lien entre « terrorisme et sexualité »,
le lecteur risque d’être quelque peu désem-
paré. Si l’urologue Béatrice Cuzina, qui inter-
vient sur des théâtres de guerre, revient à juste
titre sur les violences sexuelles comme prati-
ques terroristes, la perplexité nous envahit
quand l’animatrice radio Brigitte Lahaie assi-
mile « le pervers narcissique » à un « terroriste
de l’amour ». Manipulateur certes, mais terro-
riste non ! Ce comportement tordu ne relève
pas encore du délit, sinon cela ferait beaucoup
de fiche S en France. Et à force de vouloir tout
repenser, attention à ne pas confondre globa-
liser et banaliser le terrorisme. p
Penser et repenser le terrorisme,
sous la coordination de Jacques Delga,
MA Editions, 418 p., 22 euros
22 | les attaques terroristes à paris
Des projets plein la tête
Anne Guyomard
Sur le bureau de sa fille Anne, à Saint-
Germain-en-Laye (Yvelines), Elisabeth
Cornet a trouvé un carnet de notes neuf,
et comme une invitation imprimée sur la
couverture : « Tuer le temps en écrivant
n’est pas un crime. » A quoi, à qui, était-il
destiné ? Anne Guyomard, la jeune
femme au sourire éclatant, y aurait-elle
consigné avec soin ses projets pour « Les
petits mousses », la crèche où elle tra-
vaillait à Chatou – à l’image de ce jardin
potager, en germe dans un autre ca-
hier ? Y aurait-elle noté tous les concerts
avec son mari, Pierre-Yves, son ancien
professeur à l’Ecole supérieure de réali-
sation audiovisuelle ?
Le 30 novembre, elle devait aller écou-
ter la chanteuse Yael Naim, avec son
amie Emilie ; le 16 décembre, avec Pier-
re-Yves, c’était les Foo Fighters, un
groupe de rock américain, et en janvier
les Muse, avec sa nièce Ilona. Elle allait à
l’opéra, elle aimait Eric Serra.
Vendredi 13 novembre, Anne et son
mari ont perdu la vie au Bataclan. Le
carnet noir est resté vide. Cette fille gaie
et franche, amatrice de Guinness,
friande d’escapades à Londres et en Ir-
lande, avait trouvé sa voie après avoir
compris qu’elle ne supporterait pas le
stress du métier d’« ingé son ». Anne,
tout elle, avait proposé à ses parents de
rembourser ses études. Pas question !
Son père, Jean, dit d’une voix étranglée :
« Elle savait faire ce dont peu de gens
sont capables : dire aux autres qu’elle les
aimait. »
« Nanou » le signifiait de mille maniè-
res. « Nous, les cadeaux de Noël on les
fait le 23 décembre, elle, c’était le 23 oc-
tobre », sourit Emilie, qui a tant pleuré.
Les colis continuent à arriver dans l’ap-
partement, les commandes d’Anne par
Internet, pour les uns et les autres. Tou-
jours la première à souhaiter les anni-
versaires : à minuit pile, tous les ans, le
message pour Alexandra – qui recevait
aussi un SMS affectueux chaque matin.
Anne est née le 16 décembre, Alexandra
le 11 et Emilie le 14. Cette année est
celle de leurs 30 ans.
La jeune femme était descendue dans
la rue pour Charlie. Maintenant, les siens
sont là pour elle. Son frère Renaud, tout
pâle, qui lui avait agrippé in extremis le
poignet dans les vagues mortelles de
Guyane, et sa sœur aînée, Stéphanie.
Alexandra, amie de toujours à Ville-Hou-
dlémont, en Lorraine. A 10 ans, elles
avaient déposé une lettre chez leurs pa-
rents pour se promettre d’être témoin
au mariage de l’autre. Serment tenu. Ca-
role, collègue et amie de la crèche qui
veillera ce printemps sur le nouveau po-
tager. Et tant d’autres, dont les parents
d’Anne ont découvert le nombre, dans
son téléphone portable. Elisabeth se
l’est promis, elle remplira le carnet
noir. p
béatrice gurrey
La boule de l’amour
Julien Galisson
A force, on avait oublié son prénom. Ju-
lien avait tant d’amis qui s’appelaient
Julien que tout le monde l’appelait Ga-
liss, comme les deux premières syllabes
de son nom, Galisson. Lors de ses funé-
railles, il y avait beaucoup de Julien et
d’amis de tous les prénoms qui ne se
connaissaient pas tous et s’étonnaient :
comment Galiss avait-il des journées as-
sez longues pour être aimé et intime de
tant de gens ? L’une de ses proches, Ca-
thy, a trouvé la réponse. « Julien, ce
n’était que de la gentillesse. Il était très
attentionné pour tout le monde. Ce n’est
pas parce qu’il n’est plus là que je vous
dis ça, je le répétais souvent, même
avant. »
Il avait instauré ce qui est devenu une
tradition chez ses copains : « la boule de
l’amour ». A chaque occasion de retrou-
vailles, lors d’une soirée, il criait « la
boule de l’amour ! », et tous conver-
geaient vers lui pour « un câlin géant ».
Julien avait grandi à Orvault, dans les
faubourgs de Nantes, où il faisait du
saxo, du sport et la fête. « Dès qu’on a su
le jour de ses funérailles, raconte Cathy,
nous, les copains, on s’est tous dit : il faut
qu’on fasse une boule de l’amour gigan-
tesque. C’était évident pour Julien. Un
beau symbole. » Ses amis étaient sa fa-
mille, son bonheur, sa vie.
Galiss avait 32 ans, il était souriant,
toujours de bonne humeur, très grand et
tenait le record du « plus grand mangeur
de pâtes et de céréales du monde », se-
lon les témoins. La scolarité n’était pas
son truc, il n’était pas allé jusqu’au bac
et enchaînait les petits boulots. Un CDI
lui était proposé et il était bien embar-
rassé car Julien, célibataire délibéré,
aimait sa liberté. Il n’avait jamais de pro-
jets, c’était un grand enfant.
Il était fan de foot, de hockey sur glace
et de concerts de rock. Dans sa cham-
bre, on a retrouvé un bon millier de tic-
kets d’entrée. Et aussi un chapeau
pointu bariolé qu’il portait en concert
comme une mascotte. Le 13 novembre,
pour aller écouter les Eagles, il l’avait
oublié. Il est allé au Bataclan avec une
amie à qui il a sauvé la vie en s’allon-
geant sur elle pour prendre les balles à
sa place. « Ça le représente bien. Il
l’aurait fait pour n’importe lequel d’entre
nous », dit Cathy.
Voyager était l’autre passion de Julien.
Il partait tout seul et avait le chic pour
attirer les rencontres et se retrouver
dans des situations insolites. Même bê-
tement lors d’un passage à Paris, il
s’était fait enfermer par mégarde dans la
gare Montparnasse et les agents de la
sécurité ont vu apparaître sur leurs ca-
méras ce piéton égaré dans la gare vide.
A son retour, il racontait à ses copains
ses histoires toujours extraordinaires.
« C’est la seule chose qui nous a réconfor-
tés, conclut son amie. Même s’il est mort
jeune, Galiss a eu une vie très rem-
plie. » p
marion van renterghem
Mémorial du 13novembre
« Au top de sa vie »
Stéphane Albertini
Dans le restaurant Le Livio, petite insti-
tution à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-
Seine), impossible d’échapper à son
sourire. Son visage angélique vous re-
garde tout droit, depuis les clichés qui
ornent encore les murs de la trattoria.
Stéphane Albertini, directeur du restau-
rant, a été tué au Bataclan le 13 novem-
bre, aux côtés de son associé et ami
d’enfance, Pierre Innocenti, gérant du Li-
vio. Tous deux « fauchés au top de leur
vie », dit Marie, sa femme.
Stéphane, le Corse, avait rejoint le res-
taurant italien en 2002. En un an et
demi, il avait gravi tous les échelons, de
commis à responsable de salle, puis di-
recteur. « Il était bon, résume Charles,
son ami, frère de Pierre et copropriétaire
du Livio. C’était plus qu’un directeur, on
l’aimait comme notre frère, il avait les
clés du restau et du coffre. C’est lui que
les clients réclamaient le plus, on nous
demandait toujours où est Stéphane, où
est Stéphane… » C’était un homme
aimé, Stéphane ; pour évoquer sa per-
sonnalité, ses proches dressent une liste
infinie de qualités : sa gentillesse, sa gé-
nérosité, son humour fou, sa finesse, son
charme, sa gaieté, sa fidélité, sa soli-
dité…
Sa culture aussi. C’était un littéraire,
« le genre à lire des pavés de 1 100 pa-
ges », se souvient Marie. Avant de se lan-
cer dans la restauration, pendant cinq
ans, il a déniché, lu, estimé et vendu des
livres anciens aux collectionneurs. Sa
nouvelle vie au Livio ne l’a pas complè-
tement éloigné de sa passion. En sep-
tembre, il s’était inscrit à un cours de
one-man-show. Il voulait écrire, faire
rire. Lors de son dernier cours, Stéphane
n’avait rien préparé. Il s’était improvisé
en torero végétarien, qui en avait assez
de tuer et voulait tout plaquer. Brillant,
de l’avis de son prof, qui s’était demandé
quel niveau il atteindrait s’il travaillait
vraiment son personnage, la prochaine
fois.
Avec ses deux acolytes du Livio, Sté-
phane était sur le point de monter une
autre affaire, une épicerie fine italienne,
qu’il aurait gérée. Il voulait se libérer du
rythme effréné de la restauration pour
consacrer plus de temps à sa famille :
son épouse et compagne depuis qua-
torze ans, Marie, et un petit garçon qui
lui ressemble, Léon. Son fils de 4 ans
était « sa joie et sa fierté », assure Marie.
Il le gâtait de petites voitures, l’emme-
nait dès qu’il le pouvait au Jardin d’ac-
climatation, et jouait des heures à se ba-
garrer avec lui. « En rentrant de l’école,
Léon passait toujours voir son père au
restaurant. A chaque fois, il fallait voir les
yeux de Stéphane s’illuminer quand il le
voyait entrer ! », se rappelle la mère.
Pour Léon, son père est monté au ciel,
« dans une fusée ». p
angela bolis
« Le Monde » publie chaque jour des portraits
des victimes des attentats, afin de conserver, avec l’aide
de leurs proches, la mémoire de ces vies fauchées
La glisse et l’adrénaline
Pierre Innocenti
« C’était un beau mec, sympa, brillant… Il
avait beaucoup de qualités, mon fils. » Al-
fio, attablé dans le restaurant Le Livio, à
Neuilly-sur-Seine, a encore « du mal à
réaliser » ce qui s’est passé, ce 13 no-
vembre, quand son aîné Pierre Innocenti
est tombé sous les balles au Bataclan,
aux côtés de son ami d’enfance et asso-
cié, Stéphane Albertini.
Avec son frère Charles, Pierre avait re-
pris cette trattoria italienne fondée
en 1964 par leur grand-père, puis tenue
par leur père et leur oncle – une adresse
réputée, qui attire familles et célébrités,
des Sarkozy aux joueurs du PSG. Cet en-
fant de la restauration a étudié à l’Ecole
hôtelière de Lausanne, puis à l’Institut
de management international de l’uni-
versité de Cornell, à New York. « Pierre,
c’était le mec qui foutait rien, et qui était
meilleur que tout le monde », raconte
Charles. Il entre au Livio en l’an 2000, en
ressort en 2006, passe six ans dans la fi-
nance et les voyages et y revient
en 2012.
Mais, à côté du restaurant, Pierre
mène une vie parallèle, faite de glisse et
d’adrénaline. Dès 10 ans, le skate, puis le
snowboard, qu’il pratique bientôt « à un
niveau quasi pro », et, surtout, le surf.
« C’était un homme de l’océan, il était un
peu malheureux à Paris, il avait besoin
de partir tout le temps », dit Charles. La
mer étant trop éloignée de Neuilly pour
emplir ses week-ends, Pierre se met au
parachutisme. Il fait du free fly. Saute
toujours plus haut, déplie sa voile tou-
jours plus bas. Il devait partir au Kam-
chatka, se faire déposer en hélicoptère
sur les sommets pour dévaler les pentes
vierges. « Il n’était pas inconscient, mais il
aimait flirter avec la mort. Deux jours
avant le Bataclan, j’avais écrit sur mon
carnet : testament Pierre », se souvient
Charles.
De ses diverses échappées, Pierre
garde un cercle d’amis de tous bords et
du monde entier. Il était une tempête de
joie et de désordre, et il aimait la fête.
« En soirée, il faisait n’importe quoi, des
sauts périlleux, se roulait par terre, per-
dait son pantalon, rit son frère. Il était
hyperactif, complètement solaire, mais
gentil, gentil, gentil… » « C’était un grand
ado, mais pas de manière malsaine, il
voulait continuer à profiter même si les
copains s’étaient plus rangés », se rap-
pelle Marie, veuve de son ami Stéphane.
Cet été, Pierre était allé au festival Bur-
ning Man, aux Etats-Unis. Il avait rencon-
tré quelqu’un. « Les filles, ça a toujours
été compliqué. Mais, depuis l’été, il com-
mençait à s’accepter, à vouloir vivre sa
vie tel qu’il était, sans être jugé », rap-
porte Charles. Au bar du Bataclan, quel-
ques minutes avant sa mort, il disait à
ses amis, eux-mêmes miraculés : « Je ne
me serais jamais vu comme ça à 40 ans,
sans femme et sans enfant, insouciant…
Mais je n’ai jamais été aussi heureux de
ma vie. » p
a. bs
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015
Titi parisien
René Bichon
Aussi cruelle et injuste fut-elle, la fin de
René Bichon s’apparente finalement à
un saisissant raccourci de sa vie. Fauché
à l’âge de 62 ans par les balles des djiha-
distes, alors que cet amateur de bons
restos passait la soirée attablé à la ter-
rasse de La Belle Equipe, chaleureux bis-
tro si typique de la rue de Charonne.
Au cœur de ce 11e arrondissement de
Paris dont il avait fait, depuis une qua-
rantaine d’années, son bastion. Accom-
pagné de l’un de ses meilleurs copains,
dans les bras duquel il a rendu son der-
nier souffle, lui qui plaçait l’amitié au-
dessus de tout. Et c’est grâce à l’une de
ses anciennes compagnes que ce Don
Juan repose désormais au cimetière du
Père-Lachaise, dont il était voisin…
Ceux qui l’ont côtoyé sont unanimes :
René Bichon, c’était d’abord la gen-
tillesse incarnée. Céline, qui a long-
temps partagé sa vie, témoigne : « René
était un vrai gentil, au sens le plus noble
du terme. Il aimait les gens, tout simple-
ment… Je ne l’ai jamais entendu pronon-
cer une parole méchante ou même néga-
tive sur qui que ce soit, toutes religions,
origines ou convictions confondues. Il
était d’une tolérance totale. Il adorait tel-
lement la vie, qui n’avait pas toujours été
tendre avec lui. »
Originaire de Saint-Amand-Montrond
(Cher), René Bichon avait en effet perdu
très jeune sa mère. Un CAP de serrurier
en poche, il décida de tenter sa chance à
Paris, aux débuts des années 1970, trou-
vant un gîte dans un foyer de jeunes tra-
vailleurs de la rue de la Roquette. Il ne
quittera plus jamais le nord-est de la ca-
pitale, au point de devenir le prototype
même du titi parisien.
Mi-poulbot, mi-dandy, ce blagueur in-
vétéré à la gouaille contagieuse maîtri-
sait parfaitement l’argot de « Ménilmu-
che »… « Il avait un formidable sens de
l’humour », dit encore Céline. Son car-
diologue, le docteur Pierre Setbon, qui
le connaissait depuis une vingtaine d’an-
nées, renchérit : « René était un homme
vraiment très drôle, doublé d’un bon vi-
vant, ce qui lui assurait un grand succès
auprès des femmes. » Longtemps déco-
rateur pour le théâtre, René Bichon, du
fait de ses soucis de santé, s’était recon-
verti ces dernières années dans l’immo-
bilier. S’il appréciait la compagnie des
enfants, il n’a jamais fondé de famille.
Etait-il trop marqué par son enfance ?
« Ce n’était pas le genre de type à
s’épancher », note Pierre Setbon. « Son
histoire personnelle était suffisamment
douloureuse pour ne pas l’ennuyer avec
ça. De toute façon, plutôt que revenir sur
le passé, il regardait toujours vers l’ave-
nir », ajoute Céline. Les terroristes ont
pris la vie de René Bichon, mais pas son
jardin secret. p
fabrice lhomme
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015
Kurt Masur
Chef d’orchestre allemand
K
urt Masur avait an-
noncé publiquement,
en 2012, qu’il souffrait
depuis quelques an-
nées de la maladie de Parkinson.
C’est des complications de cette
pathologie que le chef d’orchestre
allemand est mort, samedi 19 dé-
cembre, à l’hôpital de Greenwich,
dans l’Etat du Connecticut, aux
Etats-Unis, à l’âge de 88 ans.
Kurt Masur était une figure mu-
sicale connue en France, où il a
été, de 2002 à 2008, directeur mu-
sical de l’Orchestre national de
France (ONF), l’une des deux for-
mations symphoniques de Radio
France. Mais sa stature d’artiste,
internationalement reconnue en
dépit de longues années passées
derrière le « rideau de fer », était
dépassée par l’aura qu’il avait ga­
gnée en participant activement à
la chute du régime de la RDA, en
octobre 1989, à Leipzig (Saxe), où
il était directeur musical du fa-
meux Orchestre du Gewandhaus.
Né le 18 juillet 1927 à Brieg, en
Basse-Silésie – aujourd’hui Brzeg
en Pologne –, le jeune musicien se
destine au piano et à l’orgue. Mais
une déficience des tendons de la
main droite l’empêche de mener
ce projet à bien. Son père, ingé-
nieur, l’oblige d’ailleurs à suivre
un apprentissage d’électricien. A
17 ans, l’armée hitlérienne le mo-
bilise : il combat au sein d’une di-
vision où il manque de perdre la
vie – il est l’un des 27 survivants
d’un groupe de 130 soldats. Au
sortir de la guerre, il suit des étu-
des de direction d’orchestre et de
composition à Leipzig ; à partir de
1948, il devient répétiteur puis
chef d’orchestre dans de petites
maisons d’opéra, à Halle (Saxe-
Anhalt), Erfurt (Thuringe), Leip-
zig, etc. De 1960 à 1964, Kurt Ma-
sur est le directeur de la musique
de l’Opéra comique de Berlin-Est.
De 1967 à 1972, il est chef de l’Or-
chestre philharmonique de
Dresde (Saxe), puis accède,
en 1970, à la tête de l’Orchestre du
Gewandhaus de Leipzig.
Artisan de la réunification
En 1972, il est responsable d’un ac-
cident de voiture qui cause la
mort de sa deuxième épouse et
d’autres personnes. Ainsi que le
rappelait le documentaire Kurt
Masur, politicien malgré lui, de Til-
man Jens, diffusé par Arte en sep-
tembre 2002, les circonstances de
ce tragique événement resteront
mystérieuses, « couvertes »
– terme que récusera toujours
Masur – par un régime soucieux
de ne pas écorner la réputation
d’un artiste devenu emblémati-
que de l’Allemagne de l’Est. Al-
cool ? « Non, un grand stress », jus-
tifiera Masur.
Alors qu’un visa pour l’Ouest lui
avait été longtemps refusé, on le
laisse désormais diriger des for-
mations étrangères, en Europe et
aux Etats-Unis. Masur, qui aurait
pu rejoindre le camp de la dissi-
dence exilée, rentre chaque fois
au pays. S’il n’a jamais adhéré au
Parti communiste, le chef entre-
tient d’habiles relations avec le ré-
gime : sans se compromettre – ce
qu’ont confirmé des témoins –, il
parvient, par son aura artistique
et personnelle, à obtenir des fa-
veurs du régime, dont la construc-
tion d’une nouvelle salle de con-
cert, qu’il supervise de 1977 à son
inauguration en 1981.
Alors que la crise de son pays at-
teint un point de non-retour
en 1989, Kurt Masur devient, avec
cinq autres personnalités – dont
des représentants du Parti et un
théologien –, un acteur clé de la
transition démocratique, faisant
de sa salle de concert un lieu de
débat qu’on nomme « Nouveau
Forum ».
Une manifestation, le 9 octo-
bre 1989, rassemble quelque
70 000 personnes qui défilent de-
vant le siège de la Stasi, la police
politique, à Leipzig. Alors que le
pouvoir encore en place avait
songé à une riposte armée sur le
modèle chinois de la place de Tia-
nanmen quatre mois plus tôt, les
messages de Masur et de son
groupe, diffusés à la radio et sur
des haut-parleurs dans la ville, ap-
pellent à « un dialogue pacifique ».
Le bain de sang est évité.
Plus tôt dans la journée, 7 000 à
8 000 personnes avaient assisté à
l’une des « prières pour la paix »
organisées depuis 1982 à l’église
Saint-Nicolas. Kurt Masur y diri-
gera, le soir de ce que le pasteur de
l’église appellera « un miracle de
dimension biblique », la Deuxième
Symphonie de Brahms.
Le 22 octobre, la salle du
Gewandhaus accueille un nou-
veau débat filmé par les caméras
de télévision. « Les responsables
locaux du Parti sont interpellés sur
des questions allant de la suppres-
sion de l’enseignement obligatoire
du russe à l’école jusqu’à la dissolu-
tion de la Stasi, la police politique,
en passant bien sûr par de vives cri-
tiques sur l’approvisionnement
des magasins », ainsi qu’en ren-
dait compte Le Monde du 24 octo-
bre 1989. La débâcle du pouvoir
est-allemand, lâché par Moscou,
18 JUILLET 1927
Naissance à Brieg
(Basse-Silésie)
1967 Directeur de
l’Orchestre philharmonique
de Dresde
1970 Directeur
de l’Orchestre du
Gewandhaus de Leipzig
1991 Directeur de
l’Orchestre philharmonique mène à l’ouverture des frontières
de New York et à la chute du Mur de Berlin, le
2002 Directeur de 9 novembre 1989.
l’Orchestre national Plébiscité par les citoyens, qui
de France viennent en masse déposer des
19 DÉCEMBRE 2015 bougies sur l’immense et sinistre
Mort à Greenwich place Karl-Marx, devant la salle de
(Connecticut, Etats-Unis) concert, Kurt Masur aurait sûre-
ment pu alors devenir une figure
centrale du nouveau pouvoir poli-
tique en devenant, ce qui fut envi-
sagé, le président du pays. Mais il
se refuse à endosser un tel rôle. Ce
qui ne l’empêchera pas de dialo-
guer avec le président français
François Mitterrand, lors de sa vi-
site à Leipzig, le 21 décembre 1989.
« Il craignait que la Grande Alle-
magne ne réveille la germanopho-
bie des Français », dira-t-il au
Monde (10 septembre 2003), ajou-
tant : « La réunification de l’Alle-
magne était devenue une nécessité
absolue. Les gens auraient fini par
s’entre-tuer. »
« La vérité de la musique »
Masur, son devoir citoyen et hu-
maniste accompli, s’envole pour
l’Amérique, où l’attend l’Orchestre
philharmonique de New York
dont il sera, de 1991 à 2002, le di-
recteur musical. De cette période,
il dira au Monde : « Quand je suis
disparitions | 23
arrivé à New York, je ne sortais pas
du trou du monde pour entrer
dans la Ville Lumière. J’avais déjà
dirigé plus de 150 concerts à
l’étranger. Mais j’avais beaucoup à
apprendre du mode de vie et des
mentalités américaines, beaucoup
à faire aussi dans un pays où rè-
gnent à la fois une grande liberté et
une réelle impossibilité à identifier
clairement les responsabilités poli-
tiques. J’ai donc ignoré les “lois”, et
ça s’est très bien passé. La vérité de
la musique, comme la vérité tout
court, ne passe pas par la diploma-
tie. »
Il continue, entre 1992 et 1996, à
faire la navette entre New York et
Leipzig, où il a conservé son poste.
Mais, en 1996, en désaccord avec
la nouvelle politique artistico-fi-
nancière de la ville de Leipzig, le
Kapellmeister claque la porte –
alors que son contrat le menait
jusqu’à 1999. A New York, son en-
tente avec les musiciens est sans
nuages, mais une partie de la criti-
que ne l’apprécie pas. Alors que sa
nomination est rendue publique
en 1990, un critique du New York
Times ironise sur sa présence à
New York, parlant de « Leipzig-on-
the-Hudson ». En 1997, un autre
article du quotidien fait scandale
En 1997.
FRANS JANSEN/
HOLLANDSE HOOGTE/
RUE DES ARCHIVES
en accusant Masur d’être « alle-
mand dans une New York inflexi-
blement non germanique » et le
traitant d’« invité de passage ».
Masur connaît des relations dif-
ficiles avec l’administration de
l’orchestre, notamment en 1998,
au moment du renouvellement
de son contrat. « J’ai eu maille à
partir avec la directrice exécutive
de l’Orchestre philharmonique de
New York, avant qu’elle ne parte
pour Los Angeles, confiera-t-il au
Monde du 11 avril 2002. Un mem-
bre du conseil d’administration
s’est permis de faire des remarques
publiques de mauvais goût sur
mon prétendu goût du pouvoir “à
l’allemande”. Dans un orchestre,
c’est le directeur musical qui doit
avoir le vrai pouvoir, le pouvoir ar-
tistique, qu’il partage avec ses mu-
siciens. »
En 1999, alors que son nom est
pressenti pour prendre la tête de
l’Orchestre national de France, il
devient chef principal de l’Orches-
tre philharmonique de Londres.
En mars 2000, Radio France con-
firme néanmoins sa nomination
à l’ONF en tant que « directeur
musical désigné » jusqu’à la date
officielle, en septembre 2002, de
sa prise de fonctions de « direc-
teur musical ».
Colosse héroïque
L’ONF, qui sort des dix années de
règne sans éclat du chef suisse
Charles Dutoit, voit d’un très bon
œil la venue de Masur. Le chef al-
lemand n’a certes pas le génie des
plus grands, mais il a redonné de
l’éclat à l’Orchestre philharmoni-
que de New York, également en
grande incertitude artistique
après treize années passées avec
Zubin Mehta. C’est un musicien
exigeant, rigoureux, dont la maî-
trise du répertoire classico-ro-
mantique germanique est admi-
rée. Il remet l’ONF au travail et sur
pied avec une intégrale des sym-
phonies de Beethoven.
Les débuts de leur collaboration
sont difficiles et Masur gardait un
souvenir mitigé des orchestres
français. Avec son franc-parler
bien connu, il avait déclaré au
Monde, en 2002 : « Il y a plus de
trente ans, j’étais venu à Paris diri-
ger l’Orchestre philharmonique
[de Radio France]. On préparait un
concert qu’une grève menaçait
d’annuler. Beaucoup de musiciens
jouaient mal, avachis sur leurs
chaises, n’étaient pas attentifs. Ils
disaient tous : “Ce soir, on jouera.”
J’ai commencé à diriger de ma-
nière imperceptible et les cuivres,
au fond, m’ont demandé de faire
des gestes plus grands. J’ai ré-
pondu : “Ce soir, je dirigerai.” Tout
le monde a ri, et cela a remis les
choses en place. » Et il ajoutait :
« La vie musicale française n’est
plus la même, elle a beaucoup pro-
gressé. [L’Orchestre national est]
capable de progrès fulgurants. No-
tre première répétition, il y a quel-
ques mois, a très mal commencé.
La suivante était formidable. »
Lorsqu’il quitte son poste pari-
sien en 2008, Kurt Masur est
nommé « directeur musical ho-
noraire ». Il reviendra régulière-
ment diriger l’ONF, jusqu’en 2014,
poursuivant une relation qui
aura mené à l’un des hauts mo-
ments artistiques de cette forma-
tion, marquée par une affection
et une admiration indéfectibles
des musiciens envers cet héroï-
que colosse. p
renaud machart
24 | culture
En Colombie, la famille
cinéphile s’agrandit
Primée à Cannes, en lice pour les Oscars, une nouvelle
génération de cinéastes, menée par Ciro Guerra
et César Acevedo, explore avec finesse les blessures du pays
REPORTAGE
bogota - envoyée spéciale
O
n y va danser, on y va
bruncher, mais sur-
tout, on y va voir du
cinéma. Colombien et
d’auteur, de préférence. Au cœur
de Bogota, Tonala est le lieu où
s’agitent les cinéphiles et les ci-
néastes. César Acevedo, 31 ans, y
est plus à l’aise que sous le crépi-
tement des flashes cannois. Après
des années à tenir un câble ou
une lumière pour quelques pe-
sos, son premier long-métrage,
La Terre et l’Ombre, récolte une
moisson de prix. Mais le réalisa-
teur continue à se fondre dans la
masse des spectateurs de la capi-
tale colombienne, la manche de
chemise négligemment roulée
au-dessus du coude, lui qui con-
somme jusqu’à trois films par
jour. Avant Noël, l’effervescence
est à son comble avec le festival de
courts-métrages Bogoshorts.
L’événement est tellement couru
que Tonala le prolonge toute l’an-
née, chaque mardi. La projection
gratuite des courts-métrages
s’étend dans la nuit, avec des DJ, et
quelques pas de danse sur les par-
quets laqués entre spectateurs et
équipes de production.
Jusqu’alors discret sur la mappe-
monde de la cinéphilie, le cinéma
colombien a des raisons de faire la
fiesta. Le pays se redécouvre à tra-
vers une génération de cinéastes
trentenaires, qui raflent les ré-
compenses de festivals en céré-
monies de prix. Au printemps, La
Terre et l’Ombre est devenu le pre-
mier film colombien à être triple-
ment primé à Cannes : Caméra
d’or, prix SACD et Révélation
France 4 de la Semaine de la criti-
que. A force de pugnacité, César
Acevedo a pu montrer sa Colom-
bie, celle des paysans empoison-
nés par les champs de canne à su-
cre dans la région de Cali, d’où il
est originaire. Quant à son com-
père Ciro Guerra, 34 ans, son ob-
session était de révéler le « pou-
mon du monde », cette jungle que
même les Colombiens mécon-
naissent. En salles le 23 décembre
en France, son troisième long-mé-
trage, L’Etreinte du serpent, a lui
aussi été primé en mai à Cannes, à
la Quinzaine des réalisateurs, et fi-
gure parmi les neuf films encore
en course pour l’Oscar 2016 du
meilleur film étranger.
Apprendre ensemble
Des liens solides unissent ces jeu-
nes cinéastes, amis depuis les
bancs de la fac. Avec pour décor
une école collée à un ancien stade,
la joyeuse troupe a pris des cours,
assise sur la pelouse du campus.
Entre les graffitis révolutionnai-
res de l’université publique et les
imposantes collines de Bogota, ils
se sont promis de faire des films,
des vrais, en s’entraidant. « C’était
comme dire qu’on voulait être cos-
monaute », se souvient Ciro
Guerra. « On avait à peine accès à
une caméra, on apprenait surtout
l’histoire de l’art et l’esprit criti-
que », confirme Cristina Gallego,
son ancienne camarade, désor-
mais productrice et compagne.
Les murs décrépits de l’école
sont recouverts d’affiches de
films de Federico Fellini et de
Jean-Luc Godard. Dernier arrivé
au panthéon des étudiants, le
poster du premier long-métrage
de Ciro Guerra, L’Ombre de Bo-
gota (2004). Réalisé entre copains,
ce tout premier succès a inspiré la
troupe de Bogota – et bien au-delà.
César Acevedo se rappelle encore
la conférence qu’était venu don-
ner Ciro Guerra à sa fac de Cali :
« L’ É T R E I N T E D U S E R P E N T »
« C’était très fort, ce mec était
jeune et avait réussi à faire ce film
avec sa bande de potes. »
Alors âgés d’une petite ving-
taine d’années, ils créent le col-
lectif Le Tricycle, avec l’ambition
d’apprendre à tourner comme
des grands, ensemble, contraire-
ment à la génération précédente
qui s’était mis des bâtons dans les
roues. « En Colombie, on ne pro-
nonce pas le mot syndicat, les lea-
ders sont blacklistés, voire tués.
Même notre petite association
était vue comme subversive », re-
grette Diana Bustamante, qui fut
membre du Tricycle. Productrice
de La Terre et l’Ombre, elle est res-
tée la grande amie de Cristina
Gallego, et a relu le scénario de
L’Etreinte du serpent. Les deux
femmes partagent le même pro-
ducteur exécutif, Miguel Zan-
guña, qui a fini le tournage en
Amazonie un samedi, pour re-
partir dans les cannes à sucre le
lundi. A peine le temps de se
changer pour celui qui refuse
l’étiquette de cinéphile : « J’ai raté
un module de mon cursus d’ingé-
nieur électronique et j’ai essayé le
ciné pour m’occuper le temps du
rattrapage. J’ai surtout été em-
ballé par l’esprit du groupe. »
Il ne l’a jamais quitté, et même si
« Avant 2003,
deux films
colombiens
sortaient par an.
Cette année, il y
en a trente-six. »
CLAUDIA TRIANA
conceptrice
de la « loi du cinéma »
la médiathèque de leur école
compte toujours plus de VHS que
de DVD sur les étagères, le retard
technique n’a pas été un handi-
cap, compensé par l’expérience
de terrain. César Acevedo aussi
vient de l’université publique, où
il a étudié le journalisme avant de
se laisser tenter par le cinéma.
Originaire de Cali, il suit les bri-
sées de Caliwood, ce groupe my-
thique de réalisateurs qui « appre-
nait, partageait, créait, baisait »
dans une ambiance rock’n’roll, de
1971 à 1991, ainsi que le retrace un
documentaire de Luis Ospina.
Ce dernier a été le premier pro-
fesseur de cinéma de l’université
de Cali. Pourtant, la passation de
savoir-faire a été gelée pendant
presque vingt ans, prisonnière de
l’extrême violence du narcotrafic,
de la guérilla et des paramilitai-
res. Jusqu’à ce que, à Cali comme à
Bogota, la glace se brise et laisse
place à un bouillonnement de
culture, « comme l’Espagne après
Franco, libérée de sa chape de
plomb », analyse Antoine Sebire,
ancien attaché audiovisuel de
l’ambassade de France à Bogota.
Cette renaissance doit beau-
coup à l’entrée en vigueur,
en 2003, de la « loi du cinéma ».
Son principe est simple : une par-
tie du prix du ticket finance la
production de films colombiens.
Sa conceptrice, Claudia Triana, se
souvient : « Pour convaincre le
président de la République et dé-
montrer que ce n’était pas une idée
de hippies, nous avons fait des étu-
des prouvant que promouvoir le
cinéma aurait un impact positif
sur l’économie du pays. » En l’oc-
currence, la Colombie revient de
loin, souligne Claudia Triana : « Il
a déjà fallu créer un ministère de la
culture en 1997, nous n’en avions
pas ! Mais les résultats sont là :
serpent », de Ciro Guerra.
avant 2003, deux films colom-
biens sortaient par an. Cette an-
née, il y en a trente-six. »
Les marques de reconnaissance
à l’étranger n’ont pas tardé.
En 2017, une saison culturelle
France-Colombie verra ainsi le
jour : « Il y aura des rétrospectives
en France pour apprécier l’in-
croyable créativité de cette nou-
velle génération colombienne,
souligne la commissaire de ce
partenariat, Anne Louyot. C’est
un pays en plein essor, dans un
moment particulier de son his-
toire. » Puis des acteurs de l’in-
dustrie cinématographique fran-
çaise viendront en Colombie, et
pas seulement à Bogota.
« Un attachement très spécial »
Car, grâce à ces nouveaux finan-
cements internationaux, les réali-
sateurs colombiens peuvent en-
fin s’attaquer aux thèmes qui leur
tiennent à cœur, loin de la capi-
tale : « La plupart des conflits en
Colombie viennent de la terre »,
avance César Acevedo. Il ne s’agit
pas que du déplacement des po-
pulations, expulsées tour à tour
par les narcotrafiquants et la gué-
rilla. Mais aussi de « l’attache-
ment, très spécial, des Colombiens
à leur terre ». Dans son film, une
vieille dame s’entête à rester dans
sa ferme, étouffée par les cendres
des cannes à sucre brûlées avant
d’être coupées à la machette.
« Nous avons besoin de récupérer
notre mémoire, notre passé oc-
culte, couvert de mensonges », ap-
prouve Ciro Guerra.
Pour ce faire, il est allé tourner
au cœur de l’Amazonie. Il était le
premier à s’y risquer depuis trente
ans. Son personnage principal, un
chaman, partage ses savoirs an-
cestraux et le respect pour les élé-
ments avec deux scientifiques oc-
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015
Jan Bijvoet interprète
l’ethnologue allemand
Theodor Koch-Grunberg
dans « L’Etreinte du
DIAPHANA
cidentaux. « Il y a urgence, ajoute
César Acevedo. Il faut éviter l’indif-
férence provoquée par tant de con-
flits et récupérer l’émotion. »
Chacun dans son style, les deux
hommes ont réussi à conquérir
les jurys internationaux. En re-
vanche, séduire les spectateurs
colombiens est une autre paire de
manches. « Ici, 80 % des films vien-
nent d’Hollywood, les entrées na-
tionales ne représentent que 5 % »,
avance Claudia Triana. Mais, là
aussi, l’espoir est de mise. Si La
Terre et l’Ombre n’a totalisé que
55 000 entrées, Diana Bustamante
n’avait parié que sur 8 000 ! Quant
à Claudia Triana, elle assure que
l’éducation à l’image est la nou-
velle « obsession » du Fonds pour
le développement cinématogra-
phique, qui étudie actuellement
divers modèles pour attirer le pu-
blic vers la production nationale.
« Beaucoup de Colombiens rêvent
de vivre à Miami. Il faudrait com-
mencer par récupérer l’amour pour
notre pays », dit-elle.
Et cette « aliénation », comme
dit Ciro Guerra, vient de loin.
Dans le musée de Caliwood, on
présente avec fierté le premier
film tourné à Cali en 1899, quel-
ques années à peine après celui
des frères Lumière. Mais on ad-
met aussi que tous les superbes
projecteurs exposés viennent
des Etats-Unis. Les Colombiens
aisés en rapportaient de leurs va-
cances à Miami et les délais-
saient, faute de savoir s’en servir.
Aujourd’hui, c’est Carlos Santiago
qui les manie avec dévotion pour
que les visiteurs du musée fas-
sent l’expérience de quelques pel-
licules projetées à l’ancienne. Il
confie avoir abandonné son acti-
vité d’assistant du curé pour un
nouveau culte, celui du cinéma. p
camille lavoix
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015
Jan Bijvoet, visage, malgré lui, de la force obscure
Révélé au cinéma par « Alabama Monroe », de Felix Van Groeningen, le comédien, qui tient le rôle principal
de « L’Etreinte du serpent », de Ciro Guerra, incarne souvent des personnages habités, attachants et effrayants
PORTRAIT
anvers (belgique) - envoyé spécial
I
l a l’œil bleu délavé des ciels
du Nord, les cheveux en épis
au-dessus d’une barbe de far-
fadet. Il est arrivé en vert
comme de juste, un large bonnet
enfoncé sur les oreilles, vélo
oblige. De voiture, il n’a pas. Aucun
bien quelconque. A 48 ans, une vie
d’ascète. Qu’il mène jusqu’au
bout. « Jusqu’au bout » comme
une marque de fabrique. Jan Bi-
jvoet, l’explorateur fiévreux du
film de Ciro Guerra, L’Etreinte du
serpent, a, hors champ, dans sa
bonne ville d’Anvers, le même re-
gard intense. En 2006, lui qui fai-
sait du théâtre « 24 heures sur 24 » a
décidé qu’il voulait arrêter (« Parce
que j’aimais trop ça ») ; en 2007, sa
femme et lui se séparent ; en 2008,
il stoppe tout : « Plus d’alcool, plus
de tabac, plus de sexe… Je n’ai ja-
mais été aussi indépendant, je n’ai
jamais eu d’aussi bonnes relations
avec les femmes que le jour où j’ai
arrêté le sexe, dit-il. C’est extrême.
Aujourd’hui je suis moins comme
ça, j’ai compris ce que les gens vou-
laient dire par “équilibre” ».
Aujourd’hui, le cinéma l’a rattrapé.
Jan Bijvoet a donné rendez-vous
au Viggo’s, place De Conninck, der-
rière le quartier chinois d’Anvers.
Le comédien Matthias Schoe-
naerts (De rouille et d’os, Loin de la
foule déchaînée, Maryland…)
traîne souvent ici aussi. Tous
Le Vieux et le Nouveau Monde à
la dérive, au cœur de l’Amazonie
Ciro Guerra filme avec une ampleur stupéfiante l’entreprise coloniale
L’ÉTREINTE DU SERPENT
pppv
C’ est peu de dire que, lors
du dernier Festival de
Cannes, le troisième
long-métrage du cinéaste colom-
bien Ciro Guerra (né en 1981) fit
vive impression, non seulement
par la solidité de son propos histo-
rique, mais aussi par l’ampleur de
son ambition formelle. Inspiré des
carnets de voyage, dans l’Amazo-
nie colombienne, des scientifi-
ques Theodor Koch-Grünberg et
Richard Evans, L’Etreinte du ser-
pent se présente comme une eni-
vrante dérive sur le fleuve Ama-
zone. Il aurait pu n’être qu’un film
d’exploration de plus s’il n’était
sous-tendu par une idée particu-
lièrement forte de la rencontre, se
déployant dans les temporalités de
l’histoire, de la conscience indivi-
duelle et de la mémoire collective.
Cette rencontre, c’est évidem-
ment celle, éternellement rejouée,
du Vieux et du Nouveau Monde,
de l’Europe et de l’Amérique, des
Blancs et des autochtones rebapti-
sés du nom d’« Indiens ». Elle ne se
produit pas, ici, selon la modalité
d’un premier contact empreint de
virginité, mais quand tout est déjà
perdu, souillé depuis bien long-
temps par l’entreprise de conquête
et d’exploitation qu’ont perpétuée
les derniers arrivants. C’est donc
avec une colère légitime que, un
beau jour de 1909, le chaman Kara-
makate, dit le « bougeur de mon-
des », dernier représentant de son
peuple, reçoit l’ethnologue alle-
mand Theo, frappé d’une forte fiè-
vre, pour l’embarquer sur le fleuve
à la recherche d’une fleur sacrée,
aux vertus thérapeutiques et hal-
lucinogènes, la yakruna. Voyage
qu’il reproduira quarante ans plus
tard, plus âgé et plus résigné, en
deux, comme Johan Heldenbergh
(La Merditude des choses, Alabama
Monroe), font partie de cette géné-
ration d’acteurs fabriqués dans
l’argile du théâtre flamand – labo-
ratoire d’avant-garde – qui
aujourd’hui prennent leur envol
sur les écrans.
Etrangeté inquiétante
A quoi tient cette force que l’on
ressent ? Cette « passion » – au
sens christique – qui lui fait inter-
préter depuis Borgman, d’Alex
van Warmerdam (en sélection of-
ficielle à Cannes en 2013), les mê-
mes rôles habités, attachants et
effrayants dans le même temps.
L’être maléfique de Borgman, le
scientifique au bout du rouleau
de L’Etreinte du serpent, l’ex-tau-
lard toxico des Ardennes de Robin
Pront (sortie en France annoncée
pour mars 2016), comme les per-
sonnages qu’il interprète dans
deux séries anglaises (« Le Tun-
nel » et « Peaky Blinders ») ont
tous en commun cette étrangeté
inquiétante, à la violence conte-
nue. « Je ne sais pas pourquoi on
me caste pour la face obscure,
dit-il, amusé. Pourtant, au théâtre,
j’ai joué tout ce qu’il est possible
d’imaginer. A 35 ans, j’interprétais
des femmes qui en avaient le dou-
ble. Au théâtre, tu peux tout faire…
Peut-être est-ce parce que j’ai le vi-
sage émacié, les yeux enfoncés, si
tu fais un cadrage serré, même si je
ne fais aucun effet, cela donne ce
compagnie d’un jeune botaniste
américain, qui souhaiterait, grâce
à la plante rare, faire pour la pre-
mière fois l’expérience du rêve.
Le récit oscille entre ces deux
époques et les deux âges du cha-
man, entre-tissés d’une traversée
où les souvenirs affleurent, tantôt
dans un coude du fleuve, tantôt
par un échange de regards. D’où la
forme à la fois picaresque et mné-
monique, l’exploration ne se ré-
duisant pas à la succession linéaire
de ses étapes, mais résonnant
aussi dans les profondeurs du
temps. L’image, d’un noir et blanc
dense, solidement contrasté, con-
tribue à fondre les époques dans
une même minéralité tellurique,
où l’eau s’écoule comme des flots
de mercure et les nuits gonflent
comme un nuage de charbon.
Stigmates de la colonisation
A chaque étape, ce sont de nou-
veaux stigmates de la colonisation
qui se déclarent, sur différents
plans : industriel (la culture du
caoutchouc), religieux (la christia-
nisation des populations), politi-
que (les conflits armés entre indi-
gènes et colombiens), écologique
(la déforestation), ethnique (l’ex-
tinction des peuplades), corporel-
les (les sévices et mutilations).
Mais de 1909 à 1949, le film ne s’en
tient pas à cet unique relevé (quel-
que peu scolaire), il met en pers-
pective une dynamique du colo-
nialisme : sa progression désas-
treuse, comme une essence délé-
tère qui se répand inexorablement
sur une terre condamnée.
Lors d’une scène, l’une des plus
glaçantes du film, l’équipage fait
escale dans une mission catholi-
que, où des enfants indigènes
obéissent à la loi de fer d’un moine
capucin. Quarante ans plus tard,
dans la même mission, devenue
Il n’a aucun bien.
A 48 ans, une vie
d’ascète. Qu’il
mène jusqu’au
bout. « Jusqu’au
bout », comme
une marque
de fabrique
résultat, non ? »
Quand Jan Bijvoet entreprend
quelque chose, il ne le fait pas à
moitié. Du tournage de L’Etreinte
du serpent en Colombie, il dit :
« Oui, j’ai pensé que cela pouvait
être dangereux. Mitu est un tout
petit bourg qui avait été attaqué il
y a quelques années par les FARC
dont la seule économie est le kid-
napping. De Mitu, on a fait quatre
heures de route par des chemins
extraordinairement défoncés jus-
qu’à une base militaire, et de là,
deux heures de pirogue jusqu’au
tournage. Quand j’ai vu sur CNN,
depuis la base militaire, qu’un
camp avait été attaqué à quelques
kilomètres de là, je me suis dit
qu’ils auraient tort de ne pas m’en-
lever. On parlait de moi dans tous
les journaux locaux… »
Le visage grimace sans cesse, de
rire, de joie, d’inquiétude, de ré-
flexion, de tristesse. Des parents
hippies. La mère est peintre ; le
secte, le christianisme a dégénéré
en un mélange monstrueux de
croyances bibliques et de rites
païens, sous la férule d’un gourou
blanc qui se prend pour le messie.
Episode ahurissant, qui décrit l’im-
plantation coloniale comme une
forme de délire emphatique.
Peu à peu, le film glisse sur un
versant hallucinatoire, piste à la-
quelle il ne se livre pourtant pas
complètement. Certes, le mixage
de puissantes sonorités immersi-
ves (les eaux intempestives, les
mille bruissements de la jungle)
comme les onctueux phrasés
d’une caméra qui épouse toutes
les sinuosités du territoire accen-
tuent le décentrement perceptif
du spectateur et font partager
quelque chose de l’expérience
sensorielle de ses personnages –
qui consomment régulièrement
des décoctions stupéfiantes. Mais
Ciro Guerra, en « bon élève », se
préoccupe trop de quadriller son
propos politique pour vraiment
frayer avec les limites perceptives
du monde sensible – à l’exception
d’un trip visionnaire, la seule
scène en couleurs de l’ensemble.
Pour un film qui s’inscrit dans la
lignée du réalisateur allemand
Werner Herzog, c’est un peu dom-
mage, mais cela n’entache en rien
ses nombreux sortilèges, ni la
belle idée qu’il met en scène. A sa-
voir que, entre la civilisation de
l’écrit et les derniers tenants
d’une tradition orale, quelque
chose peut encore se transmet-
tre : une image capable de sauver
la mémoire de tout un peuple. p
mathieu macheret
L’Etreinte du serpent, film
colombien de Ciro Guerra,
avec Jan Bijvoet, Brionne Davis,
Nilbio Torres, Antonio Bolivar,
Yauenkü Migue (2 h 05).
père, de quinze ans seulement
son aîné, restaure des timbres.
C’est la grande époque de l’amour
libre, ils marchent pieds nus dans
la rue, vivent de substances illici-
tes et tiennent un bar fameux, le
Jan Paddock, fermé rapidement
pour usage de stupéfiants. Le
gosse s’élève comme il peut. Une
douzaine de demi-frères et sœurs.
Une seule qui soit du même père
et de la même mère que lui, mais
elle a été confiée à des parents
adoptifs. Il avait 4 ans ; elle, trois
de moins. Ils se sont retrouvés
vingt ans plus tard. Barbara était
devenue Sarah. « On s’est donné
rendez-vous à la gare de Bruxelles.
Une foule immense. Et on s’est re-
connus. » Lui-même ne porte pas
le nom de son père, mais celui du
premier mari de sa mère…
De tout ça, il ne revendique
aucune révolte, aucune revanche
à prendre. S’il dit : « Mes parents,
c’était le chaos », il explique : « Je
n’ai jamais été structurellement
en colère. » Comme Matthias
Schoenaerts, il a troqué la psy-
chanalyse contre le métier d’ac-
teur. Deux enfants de la rue.
« Matthias est très bon pour les
graphes, raconte Jan Bijvoet. Son
père, Julien Schoenaerts, est un ac-
teur culte ici, engagé, hippie lui
aussi, ils se connaissaient avec
mes parents. Quand, plus tard, on
a commencé à le dire fou, Mat-
thias s’en est énormément oc-
cupé. »
& DOMINIQUE CARDON
sur
Comme Jan : quand son père –
salement abîmé par la tubercu-
lose qui l’a attaqué dans sa jeu-
nesse – décide d’en finir avec la
souffrance, il demande à cet
« ami » qu’est son fils d’organiser
ses funérailles. Quelques années
plus tard, c’est encore Jan Bijvoet
qui accompagne sa mère dans sa
demande d’euthanasie. Elle a
72 ans. Souffre d’emphysème pul-
monaire. Les inhalations de sol-
vants dans son atelier de peintre
ont achevé le travail entamé par
les paradis artificiels. Il ne pleure
pas. Pas le genre. « Quand j’ai du
chagrin, j’étouffe, mon cou
s’étrangle. » Il mime. Son sourire
se fixe dans l’éternité d’une mé-
lancolie.
Amoureux du théâtre
C’est sur Facebook que les produc-
teurs et le réalisateur de L’Etreinte
du serpent ont trouvé sa trace
pour le contacter après l’avoir vu
dans Borgman au Festival de To-
ronto. Il est homme de peu de car-
rière. Acteur dans ses tripes plus
que dans sa volonté. « Je n’ai ja-
Il est homme de
peu de carrière.
Acteur dans ses
tripes plus que
dans sa volonté
Un rendez-vous mensuel de débats
et d’échanges sur les grandes
mutations économiques.
Retrouvez le compte rendu des
interventions des invités de la
séance du 18 décembre
JEAN-BAPTISTE
RUDELLE
Président-directeur général de Critéo
Sociologue au département Sense
d’Orange Labs, professeur à
l’université Paris-Est Marne-la-Vallée
lemonde.fr/le-club-de-l-economie
culture | 25
mais voulu être acteur. Petit, je
voulais faire du judo ou danser. A
7 ans, je regardais avec fascination
les photos de danseurs russes…
Mais je pensais que ce n’était pas
pour moi. » Le voici en école
d’électronique. Cela le passionne,
il joue de la guitare dans des grou-
pes de rock, fabrique lui-même
son ampli. Il cherche sa voie,
tombe sur le flyer de l’école de
théâtre, tout l’intéresse là-dedans,
sauf de faire l’acteur. Il est pris,
pourtant. « Je n’allais jamais au
théâtre, je n’avais lu aucun livre, je
ne savais rien… »
Au bout de quatre ans, il est viré,
travaille pendant trois ans ici et là,
veut arrêter, n’est toujours pas
convaincu que ce soit son désir.
Jusqu’à ce qu’il rencontre le met-
teur en scène Eric De Volder. On
est en 1993 à Gand. Ils improvi-
sent pendant des heures. C’est là
qu’il tombe amoureux du théâ-
tre. Il collaborera longuement
avec Eric De Volder, avec Luk Per-
ceval, dans des collectifs… « au
Zuidpool, à l’Olympic dramatik, au
Tonnelhuis ». Cette liberté semble
son biotope. « En France, en Alle-
magne, il y a une grosse tradition
théâtrale. C’est une bénédiction,
mais aussi un carcan. Nous, en
Flandres, nous n’avons rien,
aucune histoire du théâtre, aucun
texte, nous pouvons faire ce que
nous voulons. » Et cela s’imprime
sur l’écran. p
laurent carpentier
26 | culture 0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015

L’HISTOIRE DU JOUR
A Genève, le choc des cultures
dégénère
Dans la « jungle » de Calais,
genève (suisse) - correspondance
l’art pousse comme une liane
Du 17 au 20 décembre, un parcours artistique traversait le camp
D imanche 20 décembre, au matin, la « cité de Calvin » of-
fre un visage inhabituel. La façade du Grand Théâtre,
d’ordinaire tout en sobriété, est barbouillée de taches de
peinture noire et colorée sur toute sa largeur. Les murs de la ville
sont couverts d’inscriptions révoltées : « Bute ce flic qui est dans ta REPORTAGE L’art comme une liane pour faire Sous le pont en dessous de
tête », « Bouffons les riches » ou encore « Amour et anarchie ». Et découvrir la jungle. « Le but de l’autoroute, quatre Soudanais par-
« C’est bien de
calais - envoyée spéciale
une vingtaine de vitrines, dont celles de nombreuses banques, l’opération est de faire venir des tagent un repas autour d’un feu de s’aérer la tête de

S
sont brisées. Pour la presse helvétique, Genève est « défigurée ». ur le chemin des Dunes, gens qui ne seraient pas venus camp. Sur le mur, derrière eux, l’un
Ces dégradations se sont produites dans la nuit de samedi à di- un petit groupe patiente autrement », soutient Corine Pa- des graffitis que Banksy a réalisés il
temps en temps »
manche, en marge d’une manifestation qui comptait environ près du point d’informa- gny. Pari réussi ? Bérengère Baude, y a quelques jours : il représente MIKIAS GIZAM
450 personnes. Ce rassemblement « sauvage », annoncé dès le tion, à l’entrée de la jungle Calaisienne et institutrice à la re- Steve Jobs, « le fils d’un immigré sy- jeune Ethiopien
17 décembre par le site Internet libertaire Renversé.ch, avait pour de Calais. En face du camp qui traite, y vient pour la première rien », ainsi que le légendait l’ar-
but de dénoncer les pressions des autorités sur les lieux culturels s’étend aux abords de l’autoroute fois. « Les politiques ont installé ce tiste britannique sur son site Inter-
alternatifs. « Nous prenons la rue parce que l’Etat de Genève sub- et où s’entassent 4 500 migrants – camp à l’écart de la ville pour qu’on net. Le groupe arrive au « Good
ventionne en majorité le Grand Théâ- le plus grand bidonville de puisse passer à Calais sans les voir, Chance Theater », dôme de bois et dans la jungle. Au même endroit,
tre, un lieu de culture bourgeoise prati- France –, des photos ont été accro- analyse-t-elle. Quant au sentiment de toile où s’organisent des mani- Séverine Sajous, une photogra-
LES MANIFESTANTS quant des tarifs inaccessibles aux plus chées sur le grillage : des portraits “anti-migrants” qui se développe festations culturelles et des débats phe de Barcelone, montre les car-
nombreux », était-il mentionné. Dans en noir et blanc des habitants du en ville, il rappelle que Calais est depuis trois mois. Sous les peintu- tes postales réalisées par son
AVAIENT « LE VISAGE les rangs du cortège, l’ambiance lieu. Du 17 au 20 décembre, à l’occa- une ville sinistrée. » res suspendues pour l’occasion, groupe de réfugiés photographes.
MASQUÉ, LEUR n’était pas bon enfant, a relevé le re-
porter de La Tribune de Genève, qui y a
sion de la Journée internationale
des migrants, l’opération « Art in « Utopiste et innovant »
Ahmed, 12 ans, chante un chant
pachtoun en s’accompagnant à la
Dans la cour de l’église ortho-
doxe érythréenne, construction
PROPRE SERVICE assisté. Les manifestants avaient « le the Jungle », parrainée par le pion- Peinture, photographie, musi- guitare. A l’entrée, le programme de fortune, Robert Hooker peint
visage masqué, leur propre service d’or- nier de l’art urbain Ernest Pignon- que : pendant quatre jours, une liste diverses activités : yoga, radio une icône sur une planche de
D’ORDRE » ET DES dre » et des marteaux à la main. Les Ernest, propose de faire découvrir cinquantaine d’artistes français « live » vers l’Angleterre, concert bois. Surpris, cet enlumineur bri-
MARTEAUX À LA MAIN nes dégâts s’élèveraient à plusieurs dizai-
de milliers de francs suisses.
le camp autrement, à travers un
parcours artistique.
et étrangers font découvrir le quo-
tidien de la jungle. Un projet dé-
« Music Against Border »…
L’opération « Art in the Jungle »
tannique en vacances à Calais
n’était pas au courant de l’événe-
Pierre Maudet, le ministre chargé de Angélique, guide bénévole, en- crit comme « utopiste et inno- aura réussi à mettre en lumière ment du week-end. « J’imagine
la sécurité dans le canton de Genève, s’est dit « furieux et scanda- file son gilet fluorescent. Sur- vant » par Françoise, professeure ces projets artistiques qui fleuris- que j’en fais partie malgré moi,
lisé ». Pour lui, « on a affaire à une bande de casseurs “profession- chaussés de sacs plastiques, les vi- à l’école d’art d’Alpha. Mais chan- sent depuis plusieurs mois dans la preuve que c’était une idée évi-
nels”, à l’image de ce que Berne et Zurich ont récemment connu ». siteurs s’enfoncent dans la jungle : gera-t-il quelque chose à la situa- jungle. Près de « l’école laïque », la dente », dit-il en riant.
Une enquête a été ouverte afin d’identifier les auteurs des dépré- ici, la boue est partout. Un premier tion des migrants dans le camp ? fanfare Le Petit Orphéon se fait ap- A la fin de la journée, Corine Pa-
dations. Une trentaine de personnes seraient suspectées. Alors arrêt nous introduit à l’école « arts « Cela ne résoudra pas notre pro- plaudir par un public métissé de gny se dit satisfaite : s’il est diffi-
que Genève est en état d’alerte depuis une semaine, la presse hel- et métiers ». « Le point de départ, ça blème principal, mais c’est bien de migrants et de visiteurs. Olivier cile d’estimer le nombre de visi-
vétique s’étonne que les forces de l’ordre n’aient pas été en me- a été Alpha », explique Corine Pa- s’aérer la tête de temps en temps », Vanderaa est parmi eux. Depuis teurs quotidiens, les guides béné-
sure de contenir les casseurs. La manifestation n’ayant pas été of- gny, artiste et initiatrice du projet. répond Mikias Gizam, un jeune septembre, ce poète bruxellois or- voles évoquent plus de 200 per-
ficiellement autorisée, les agents ont mis plus d’une heure à in- Alpha, un peintre mauritanien ar- Ethiopien, feutre à la main. ganise régulièrement des sessions sonnes. Dans l’école d’art, une
tervenir. rivé à Calais il y a six mois, a ouvert Entre les restaurants et les épice- de slam, devenues par la force des dame demande où est le Darfour.
A la tête de la police genevoise, Monica Bonfanti s’est défendue cette école en septembre. « Quand ries de fortune qui fleurissent le choses des « séances de parole ». Un Iranien entre derrière elle et
dimanche, sur les ondes de la Radio télévision suisse, en expli- j’ai vu son travail, je me suis dit qu’il long de l’artère principale, les visi- A deux pas, dans la bibliothè- interroge : « Est-ce que cet endroit
quant qu’il était hors de question d’aller à l’affrontement avec les fallait faire quelque chose, pour- teurs s’arrêtent parfois pour pren- que, l’artiste peintre Boban est ouvert à tous ? » Avant de préci-
casseurs. « Nous avons craint de créer encore plus de dégâts avec suit-elle. L’idée n’était pas de venir dre une photo. La vie suit son Srecko expose six moulages de ser sa profession : « Cinéaste d’ani-
une intervention », a-t-elle déclaré. Depuis plusieurs semaines, la avec des œuvres à accrocher mais cours dans ce qui s’est organisé bustes de migrants ainsi que des mation. » p
tension montre entre les milieux alternatifs et les autorités gene- de travailler avec les migrants. » comme une véritable ville. fresques peintes par les réfugiés julia druelle
voises. Celles-ci menacent de couper les subventions pour 2016
de l’Usine, un centre culturel autogéré, s’il n’obtient pas des auto-
risations spéciales pour ses buvettes. La bisbille intervient dans
un contexte plus large, celui de la disparition des lieux alternatifs
dans plusieurs villes de Suisse. Ces espaces, souvent situés dans C I N ÉMA
les centres-villes, voient leurs loyers exploser du fait de la pres- Recettes record

"(& %',+)(&
sion immobilière et affrontent le mécontentement des riverains en Amérique du Nord
qui se plaignent du bruit. Le phénomène est connu à Zurich, pour « Star Wars :
Berne ou encore Neuchâtel. Le Réveil de la Force »
A Genève, les milieux culturels alternatifs, pourtant historique- Le septième épisode de la
ment implantés dans le paysage urbain, disparaissent aussi peu à
peu. Depuis les fermetures du squat Rhino en 2007 et d’Artamis,
devenu un écoquartier, les Genevois se plaignent de ne plus trou-
ver de lieux de sortie abordables. En ce sens, le site Renversé.ch
saga Star Wars, Le Réveil de la
Force a réalisé 238 millions de
dollars (219 millions d’euros)
de recettes aux Etats-Unis et
$(+),+*(&
estime que « la manifestation du 19 décembre marque l’expression
politique d’une nouvelle génération “post-squats” ». L’Usine s’est
aussitôt distanciée du mouvement en précisant « en tant qu’asso-
ciation, n’avoir ni organisé ce rassemblement ni y avoir participé ».
au Canada pendant son pre-
mier week-end d’exploita-
tion, selon les estimations
fournies le 20 décembre par
)# !-*-+,$
Dimanche, les agents de nettoyage avaient commencé à ôter les Walt Disney. Au total, dans le
graffitis des façades de la ville. p monde, les ventes de tickets
marie maurisse du Réveil de la Force, qui est
sorti le 16 en France, deux
jours avant les Etats-Unis, se
sont élevées à 517 millions de
dollars (475 millions d’euros).
Les ventes aux Etats-Unis et
au Canada éclipsent le précé-
dent record de 208,8 millions
de dollars, réalisé en juin par
Jurassic World. – (Reuters)
Pour les fêtes de in d’année
PAT R I MOI N E
Thierry Motsch,
chef du restaurant Le Keller
L’Hôtel de la marine
accueillera des visiteurs
##&
les 2 et 3 janvier 2016
$"%'!

M
vous propose ses avant de fermer
jusqu’en 2018
L’Hôtel de la Marine, place de
la Concorde, à Paris, sera
ouvert au public les 2 et 3 jan-

ENUS vier avant de fermer pour

plus de deux ans de travaux,
a annoncé le 18 décembre le
DE RÉVEILLON Centre des monuments na-
tionaux (CMN). De 10 heures
Réveillon de Noël à 17 heures ces deux jours, les
visiteurs pourront admirer
IL ÉTAIT UNE FOIS AU KELLER
les salons de l’hôtel et profi-
Jeudi 24 décembre 2015 ter de la vue sur la capitale,
180 € par personne (hors boissons) depuis la loggia du bâtiment.
Après une virulente polémi-
Réveillon de la Saint Sylvestre que, à la suite d’un projet de
EN ATTENDANT MINUIT vente puis de location par
l’Etat, le CMN a été désigné
Jeudi 31 décembre 2015 en 2013 opérateur unique de
280 € par personne (hors boissons) l’édifice.
En 1789, l’hôtel accueillait le
secrétariat d’Etat à la marine,
Sur réservation uniquement qui lui a donné son nom,
+33 (0) 1 53 53 20 20 • lekeller@champselyseesplaza.com avant de devenir le siège de
www.restaurantlekeller.fr
Hôtel Champs Elysées Plaza*****
l’état-major de la marine. Ce-
lui-ci doit bientôt rejoindre le
« Pentagone à la française »,
,- $"-'" #0( %&.+&)#*!&/
35 rue de Berri, Paris 8e • M° George V • Voiturier dans 15e arrondissement de
Paris. – (AFP)
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015
Le jazz, un sport de combat
« Whiplash » explore la relation violente entre un musicien qui aspire à être un grand batteur et son âpre professeur
CANAL+
MARDI 22 – 21 H 00
FILM
S
ur le mur de la chambre
d’Andrew Neiman (Miles
Teller), le jeune héros de
ce récit de (dé)formation,
un poster proclame : « Si tu ne tra-
vailles pas, tu finiras dans un
groupe de rock. » Ce n’est pas une
plaisanterie, c’est un avertisse-
ment destiné à fortifier Andrew
dans son ascèse musicale, à lui
rappeler que la cloison entre l’élite
et le commun des mortels est fra-
gile. A première vue, Whiplash
met en scène des musiciens, de la
musique, mais le deuxième film
du jeune réalisateur américain
Damien Chazelle tourne autour
d’une obsession maladive de l’ex-
cellence.
Andrew est prêt à tout sacrifier
pour devenir un grand batteur de
jazz, et la divinité à qui il fait cette
offrande s’incarne en un profes-
seur qui ferait passer le sergent
Hartman de Full Metal Jacket pour
un gentil organisateur. La vio-
lence de la relation qui s’établit
entre le maître et l’élève touche
parfois au grotesque, accentuant
la singularité du film tout en com-
promettant sa cohérence.
Pour les élèves du conservatoire
new-yorkais que fréquente An-
Le petit surdoué dans une Amérique de carte postale
Jean-Pierre Jeunet adapte le roman de formation de Reif Larsen, « L’Extravagant Voyage du jeune et prodigieux T. S. Spivet »
OCS CITY
MARDI 22 – 20 H 40
FILM
E n avril 2009, un jeune pro-
fesseur d’université améri-
cain inconnu du monde
des lettres, Reif Larsen, 29 ans, fai-
sait paraître un objet insolite, gros
roman de formation d’un petit
génie de 12 ans, bourré de cartes et
de dessins, qui mit illico la presse,
et quelques autres lecteurs, dans
sa poche. On peut encore lire dans
L’Extravagant Voyage du jeune et
prodigieux T. S. Spivet (Nil, 2010)
cette citation de Stephen King :
« Voici un roman qui fait l’impos-
GRILLE N° 15 - 301
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ;
II
III
IV
V tit hameau à La Réunion. IX. Autori-
VI
VII
VIII
IX
X NUMÉRO
SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 - 300
HORIZONTALEMENT I. Intoxication. II. Noureïev. Duo. III. Vu. Sr. Leu. TV.
IV. Eva. Eventera. V. Némésis. Ilet. VI. Tait. Atelier. VII. Rut. Bga. Is.
VIII. Initié. Os. Oc. IX. CEE. Bradeuse. X. Essuie-verres.
VERTICALEMENT 1. Inventrice. 2. Nouveau-nés. 3. Tu. Amitiés. 4. Ors. Et.
5. Xérès. Bibi. 6. II. Viagère. 7. Célesta. Av. 8. Aven. Ode. 9. Utiliser. 10. Id.
Elis. Ur. 11. Outrée. Osé. 12. Novatrices.
Andrew (Miles Teller) et son maître, Terence Fletcher (J.K. Simmons). AD VITAM/DANIEL MCFADDEN
drew, il existe un saint des saints,
l’orchestre que dirige Terence Flet-
cher (J. K. Simmons). Programmée
au Carnegie Hall, cette formation
offre un sas entre l’apprentissage
et la carrière professionnelle. Te-
rence Fletcher la dirige comme un
bataillon disciplinaire. Non seule-
ment il abreuve d’insultes ses élè-
sible : réunir Mark Twain, Thomas
Pynchon et Little Miss Sunshine. »
L’éloge n’est pas mince, et si le ro-
man court quand même un peu
après, le film qu’en a tiré Jean-
Pierre Jeunet est tout à fait dis-
tancé par ces références.
Fétichisme visuel
On n’est guère surpris, en revan-
che, que l’auteur d’Amélie Poulain
se soit laissé emporter par ce récit
qui mêle la fantaisie enfantine à
l’esprit scientifique. Son héros est
une parfaite synthèse des deux
tendances : T. S. Spivet, 12 ans
d’âge et inventeur de génie, tire de
sa situation familiale particulière
7 8 9 10 11 12
ves, mais il joue des rivalités entre
les jeunes gens, interdisant toute
communication entre musiciens.
Interprétation ultravirile
Dans ce microcosme totalitaire,
Andrew trouve facilement sa
place. Il est aussi exigeant et dé-
pourvu de scrupules que son
une propension à la recherche des
mécanismes qui font tourner le
monde en général, les familles en
particulier, et plus spécifique-
ment la sienne propre. Soit un
ranch isolé dans le Montana, une
mère entomologiste passant son
temps avec les insectes, un père
taiseux comme un cow-boy soli-
taire, une sœur aînée qui enrage
d’être normale, un chien mélan-
colique, et une tragédie familiale
qui pèse sur la conscience du
jeune Spivet, en la personne de
son frère jumeau défunt.
On en saura plus en voyant le
film, qui suit le jeune génie dans
un voyage en train clandestin
HORIZONTALEMENT
I. Avec elle, il sera bien diicile de
continuer. II. A suivi Richard Cœur de
Lion à la croisade. Ses pinceaux ont
été mis au service de Paul V. III. Loue
et met en avant les qualités. Protec-
tion anglaise. IV. Dans les petits pa-
piers. Se bat pour la paix. Possessif.
V. Voie étroite. Termine sa course à
Gravelines. Son odeur est sufocante.
VI. Caboteurs hollandais. Le faux est
bien vrai. VII. Assure la liaison. Petite
Anglaise nerveuse. Faisais bonne
route. VIII. Belle salade de la Côte. Pe-
sation de sortie. Cerf-volant des
chênes et châtaigniers. X. Honneurs
qui partent en fumée.
VERTICALEMENT
1. Ecart pas toujours facile à combler.
2. Sortie en grande nombre. 3. A
portée de la main dès le primaire.
Aide les sorties sur les écrans. 4. D’un
auxiliaire. Evacue sans ménagement.
5. Se penche sur les dogmes et les re-
ligions. 6. Prêtresse d’Héra chassée
par Zeus. Sans bavure. 7. Couvert. Lu
avec diiculté. 8. Roi de Juda. Dans les
brumes. 9. Deux points pour en-
tendre les voyelles. Mauvais pen-
chant. 10. Allemande en Thuringe.
Equipé de moules pour le soulève-
ment. 11. Jamais vieux. Un roi trop
souvent oublié. 12. Rien dans la vie
ne semble les intéresser.
télévisions | 27
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
M AR D I 22 D É CE M B R E
la position du cancre admiratif, TF1
qui regarde bouche bée l’affronte- 20.55 Zoo
ment d’êtres supérieurs se dispu- Série créée par André Nemec,
tant la position de mâle alpha Jeff Pinkner, Josh Appelbaum,
d’une meute qui se trouve être, Scott Rosenberg.
plutôt qu’une famille mafieuse Avec James Wolk, Nora Arnezeder
ou une équipe de foot américain, (EU, saison 1, ép. 10 à 13/13).
un orchestre de jazz. L’interpréta- 0.15 Les Experts : Miami
tion ultravirile de Miles Teller et Série créée par Ann Donahue,
J. K. Simmons, tout entière tour- Anthony E. Zuiker et Carol
née vers le spectaculaire, finit par Mendelsohn (EU, S8, ép. 24/24).
imposer cette lecture univoque.
Le scénario répète la même France 2
anecdote : un soir, le batteur 20.55 L’Hôtel du Libre-Echange
Philly Joe Jones lança une cym­ Pièce de Georges Feydeau. Mise en
bale à la tête du jeune Charlie Par- scène de Raymond Acquaviva.
ker, manquant de le décapiter. Avec Thierry Beccaro, Bruno Guillon,
Humilié, celui-ci se mit à tra- Patrice Laffont.
vailler si dur qu’il inventa le jazz 23.20 Au cœur de « L’Hôtel
moderne. Pas d’autre ressort créa- du Libre-Echange »
tif dans cet univers que la peur et
la violence. Pas plus de plaisir que France 3
de transcendance. 20.55 Marius
Avec ses ambiances scorsesien- Drame de Daniel Auteuil. Avec
nes (rues new-yorkaises enfu- Raphaël Personnaz, Daniel Auteuil
mées, longs couloirs qui isolent), (Fr., 2013, 90 min).
son montage frénétique, Whi- 23.05 Superstar
plash respire pourtant le plaisir de Comédie dramatique de Xavier
mentor. Damien Chazelle met en créer, un plaisir que Damien Cha- Giannoli. Avec Kad Merad, Cécile de
scène leur affrontement avec une zelle refuse à ses personnages. p France (Fr., 2012, 110 min).
violence virtuose qui fait la valeur thomas sotinel
du film. En prenant des éléments Canal+
a priori abscons – un tempo à Whiplash, de Damien Chazelle. 21.00 Whiplash
7 temps, l’accord d’une caisse Avec Miles Teller, J.K. Simmons, Drame de Damien Chazelle.
claire – en en faisant des enjeux de Paul Reiser, Melissa Benoist, Avec Miles Teller, J.K. Simmons
vie ou de mort pour les protago- Austin Stowell (Etats-Unis, 2014, (EU, 2014, 105 min).
nistes, il place le spectateur dans 105 min). 22.40 U2
Concert.
France 5
20.40 Les Derniers Trésors
de Rome
Documentaire de Jeff Wilkinson
(Fr. - GB, 2012, 85 min).
23.40 La Pomme de terre
dans tous ses états
Documentaire de Thomas
Bravo-Maza et Stéphane Viard
vers Washington, où le Musée sans faux plis, et un scénario qui (Fr., 2015, 50 min).
Smithsonian vient de lui annon- emballe le tout assez laborieuse-
cer qu’il était le récipiendaire ment, jouant la carte du féti- Arte
d’une haute récompense scienti- chisme visuel et du « feel good 20.55 Royal Affair
fique, sans se douter qu’il la dé-
cerne à un enfant.
C’est évidemment l’occasion
pour Jean-Pierre Jeunet de se me-
surer à quelques mythes cinéma-
movie ». Soit l’histoire d’un gar-
çon plus vieux que son âge par un
réalisateur resté grand enfant, qui
rêve de faire entrer le monde dans
une maquette, pour mieux nous
Drame de Nikolaj Arcel. Avec Mads
Mikkelsen (Dan., 2012, 130 min).
23.05 Le Roi, la reine
et son amant
Documentaire de Wilfried Hauke
tographiques américains, tels que en consoler. p (All.-Dan., 2010, 95 min).
la pastorale et le road-movie. Il en jacques mandelbaum
tire un film en 3D certes agréable M6
à regarder, mais purement cos- L’Extravagant Voyage du jeune 20.55 Félins
métique, sans enjeu véritable. et prodigieux T. S. Spivet, Documentaire d’Alastair Fothergill
Une sorte de beauté américaine de Jean-Pierre Jeunet. Avec Kyle et Keith Scholey (EU, 2011, 90 min).
au carré, avec des reflets de carte Catlett, Helena Bonham Carter, 22.25 Chimpanzés
postale, des couleurs saturées, des Judy Davis, Calkum Keith Rennie Documentaire de Mark Linfield et
personnages lissés, des acteurs (France, 2013, 105 min). Alastair Fothergill (EU, 2012, 95 min).
0123 est édité par la Société éditrice
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n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
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25
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Le monde en 2040
Après les régionales et face au FN,
la classe politique française doit tout changer,
juge la presse étrangère
Présidente :
Al’occasiondenos25ans,
un voyage dans le temps
avec la presse étrangère
Numér
o anniv Corinne Mrejen PRINTED IN FRANCE
NUMÉRO
REPORTAGE— ersaire
LE SEIGNEUR
DES PATATES 25
L’ANNÉE EN
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28 | styles 0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015

Vers Roubaix et
Lille la villa Cavrois
3
à Croix

48 heures 2

t
no
Vieux- r
Lille Ca
Bd
Opéra Gare

à lille
de Lille Lille-
Rue Fai
dherbe
M Flandres
1
Grand-
Bo
VOYAGE ul Place
C A R N E T

Rue
ev
ar
lille, roubaix (nord) d
D E R O U T E

de Paris
de

I
la
l est urgent d’aller à Lille ! Car Li
be
Renaissance, la quatrième
édition de Lille 3000, se ter- Le Tripostal, la gare Saint-Sauveur, rt
é Y AL L ER
En voiture, au départ de Pa-
mine le 17 janvier. Plus de
la villa Cavrois… Des lieux culturels Ru
e
Lille ris (environ 2 h 30). En TGV,
500 événements culturels qui So 4 uis-X
IV 1 heure au départ de Paris.
lfé o
rd L
transforment la métropole et of-
frent un voyage artistique au cœur insolites, inédits, étonnants, rin
o Boul
eva Pour rejoindre Roubaix,
métro ligne 2 (15 minutes).
des cinq villes invitées – Rio, Dé-
à découvrir le temps d’un week-end

s
troit, Séoul, Phnom Penh et Eind- 5 S E LO GER

ste
hoven (Pays-Bas). Si vous n’avez
dans la métropole lilloise Le Vieux-Lille est un quar-

Po
La Consigne
pas le temps d’ici là, tout n’est pas tier charmant et vivant, pas

es
ed
perdu : même hors festival, la ré- o Ru e d e C loin de la gare.
ug ambrai
-H

gion regorge de trésors « intéri-
eurs », du Palais des beaux-arts lil-
lois à La Piscine, à Roubaix, en pas-
sant par la très belle villa Cavrois, à
Croix, chef-d’œuvre moderniste
enfin restauré.
Jour 1
9 heures Un migrant
sur la Grand’Place
S’asseoir en terrasse sur la
Grand’Place est le meilleur moyen
de voir Lille s’éveiller, et de pren-
dre son pouls. On s’attable au café
Méo et on admire la très belle ins-
tallation de l’artiste JR sur le thème
de l’immigration. Un immense
collage noir et blanc, représentant
un migrant assis par terre, qui se
fond dans la façade de l’immeuble
du quotidien La Voix du Nord.
9 h 30 Carnaval, Corée, concept
Direction Le Tripostal (1), entre
les deux gares, pour deux exposi-
tions étonnantes. Sur le chemin,
on emprunte la rue Faidherbe,
transformée, le temps de l’événe-
ment, en rambla brésilienne,
sous la direction de Fabio Ri-
cardo, célèbre carnavalesco ; puis
on entre furtivement dans la gare
de Lille-Flandres voir les nuages
géants de Lucy et Jorge Orta sus-
pendus sous la verrière. Dans ce
musée, la première exposition,
« Séoul, vite, vite ! », propose
deux lectures du pays : d’un côté,
le dynamisme joyeux, de l’autre,
la modernisation trop rapide.
C’est riche, coloré et surprenant.
Au sous-sol et au deuxième ni-
veau, la seconde exposition, « Tu
dois changer ta vie », présente un
parcours initiatique dont le visi-
teur est le héros. Conceptuel,
mais ludique.
13 heures Welsh welsh
Les amateurs de gastrono-
mie trouveront leur bonheur
chez Monsieur Jean, le restaurant
où le Tout-Lille se presse – choisir
de préférence la salle à l’étage et sa
vue sur l’Opéra. Envie de déjeuner
sur le pouce ? A deux pas de la
Grand’Place, Peek a boo, diner à
l’américaine, sert d’excellents ba-
gels et hamburgers.
15 heures L’éveil de Phnom Penh
On pénètre dans les jolies ruelles
du Vieux-Lille, bordées de vitrines
chics et de pâtisseries qui donnent
envie – une pause dessert chez
Méert, le roi de la gaufre vanille,
s’impose. L’Hospice Comtesse (2),
ancien hôpital médiéval, vaut le
détour. L’exposition « Phnom
Penh » illustre cette notion de Re-
naissance dont Lille 3000 a fait
son thème. La capitale du Cam-
bodge est pratiquement le seul
exemple contemporain de ville vi-
dée de ses habitants et presque
abandonnée pendant quatre an-
nées.
Aujourd’hui, Phnom Penh re-
naît, s’urbanise, attire les touris-
tes. Trois générations d’artistes
s’exposent à Lille : ceux qui ont
survécu, ceux qui sont nés après
le régime de Pol Pot, ainsi qu’une
nouvelle génération, plus politi-
que, plus radicale… On s’intéres-
sera au travail de Chhay Moeun,
ancien affichiste de cinéma de
69 ans qui a repris les pinceaux
L’Hospice Comtesse, ancien hôpital médiéval situé dans le Vieux-Lille. GUILLAUME SOULARUE/ONLYFRANCE.FR
« Optimist Filters » (2015), de Corrie Baldauf, pour l’exposition sur Détroit,
à la gare Saint-Sauveur de Lille. SEBASTIAN SULLEN
spécialement pour Renaissance,
et à celui d’Em Riem, 39 ans, et de
son mobilier en rotin, premier ar-
tiste à avoir ouvert une galerie à
Phnom Penh.
17 heures Accords majeurs
Sous-ensemble, l’installation de
Thierry Fournier, a pris place dans
l’une des chapelles de l’église
Sainte-Marie-Madeleine (3). Des
pieds de micros installés sur un
tapis, comme ils le seraient dans
un studio. Quand le visiteur
avance au milieu de cette forêt
acoustique, il déclenche le son
d’un instrument de l’Orchestre de
Lille en train de s’accorder. Mieux
vaut être au sein d’un groupe
pour profiter pleinement de l’ef-
fet. Après une bière maison à La
Capsule, on file à la Bottega, tou-
jours dans le Vieux-Lille, qui sert
d’excellentes pizzas. D’autres
iront déguster un welsh, cette
spécialité du Nord à base de ched-
dar fondu et de pain grillé (gras,
mais délicieux). A Taaable, rue de
Gand, en sert un excellent.
Jour 2
10 heures La vie en rose
L’atmosphère pesante de cette
fin d’année nécessite un traite-
ment radical. La très belle exposi-
tion « Joie de vivre », au Palais des
beaux-arts de Lille (4), place de la
République, est l’endroit idéal
pour recharger ses batteries. Le
soleil, l’amour, la famille, l’en-
fance, le jeu, la danse, la fête, le
Ru
or
Vict
B d
formée depuis cinq ans en espace
de loisirs et d’expositions, est
d’avoir aussi un bar-restaurant
très agréable, le Bistrot de St So.
14 heures Chagall musical
Quelques arrêts de métro plus
tard (ligne 2), nous voici à Rou-
baix. Direction l’un des plus
beaux musées de la région, La Pis-
cine. Son histoire, son architec-
ture intérieure Art déco, ses col-
lections permanentes en font
déjà un must. Mais, jusqu’au
31 janvier 2016, il accueille une ex-
position consacrée à Chagall qui
met l’accent sur l’importance de
la musique dans l’œuvre du pein-
tre. Une relation née, entre autres,
de son enfance passée dans une
communauté juive hassidique à
Vitebsk, rappelle Bruno Gaudi-
chon, conservateur du musée.
16 heures L’heure Art déco
En tramway, on arrive à Croix.
Depuis le 13 juin, cette petite com-
rire… Un joli panorama des petits mune a déjà attiré 75 000 person-
plaisirs de la vie, de l’Antiquité à nes, venues visiter la villa Cavrois,
l’art contemporain. Au sous-sol, chef-d’œuvre Art déco enfin res-
on est pris d’un fou rire devant tauré. En 1928, Paul Cavrois, indus-
l’immense fresque constituée triel roubaisien du textile, com-
d’étiquettes de Vache qui rit. mande à Robert Mallet-Stevens,
architecte parisien d’origine belge,
11 h 30 Prochain arrêt, Détroit la construction d’une maison
Après Phnom Penh, Detroit fait pouvant abriter une famille de
partie de ces villes qui ont tout sept enfants et son personnel de
connu, de l’opulence à la dé- maison. Vendus à un promoteur
chéance, de la gloire à la chute du par la famille en 1986, la villa et
rêve américain, puis la faillite. son parc sont peu à peu abandon-
Des photos, des installations im- nés et livrés aux squatteurs.
menses, des sculptures, des vi- L’Etat rachète finalement la pro-
déos… Et une belle place accordée priété et la restaure à grands frais
à la musique : rap, hip-hop, R’n’B. (23 millions d’euros). Un conseil :
Tout est réuni ici à la gare Saint- allez-y à la tombée de la nuit. De-
Sauveur (5). Le mérite de cette an- puis le parc, la maison prend des
cienne enclave SNCF, située bou- airs de vaisseau illuminé. p
levard Jean-Baptiste-Lebas, trans- françois bostnavaron
Gastama Concept hybride
500 m
entre l’auberge de jeunesse,
l’hôtel familial et le bar, le
tout dans un style néo-in-
dustriel qui mêle béton,
acier et bois. A partir de
21 euros la nuit en dortoir,
92 euros pour une chambre
familiale (quatre person-
nes) et 82 euros en double
luxe. Tél. : 03 20 06 06 80
ou Gastama.com
Clarance Elégant hôtel-bou-
tique de 19 chambres
ouvert depuis d’avril
au 32, rue de la Barre. Ce
très bel hôtel particulier du
XVIIIe siècle donne sur
l’église Sainte-Catherine. A
partir de 194 euros la nuit
pour deux avec un petit dé-
jeuner (plus un pass
Lille 3000, expos et trans-
ports urbains). Claranceho-
tel.com
DÉJ EUNER , DÎNER
L’incontournable Méert et
ses célèbres gaufres à la va-
nille de Madagascar (27, rue
Esquermoise) Meert.fr
Le boulanger-pâtissier Alex
Croquet, au 66, rue Esquer-
moise. Ce « fou de pain »
propose d’exquises tartes
au sucre. Alexcroquet.fr
Le restaurant Monsieur
Jean, face à l’opéra, l’adresse
lilloise de Marc Meurin,
chef doublement étoilé au
guide Michelin, au château
de Beaulieu, à Busnes (Pas-
de-Calais). Formule à partir
de 25 euros. Restaurant-
jeanjean.fr
Le Bistrot de St So, à la gare
Saint-Sauveur, brasserie,
bar, concert avec deux for-
mules (18 et 23 euros) Face-
book.com/lebistrotdestso
A Taaable, pour déguster
un welsh traditionnel.
Ataaablerestaurant.fr
V IS IT ER
Tout le programme de
Lille 3000 – Renaissance.
Renaissance-lille.com
Lilletourism.com
Villa Cavrois, 60, avenue Jo-
hn-Fitzgerald-Kennedy, à
Croix (Nord). Villa-cavrois.fr
La Piscine, 23, rue de l’Espé-
rance, à Roubaix (Nord).
Roubaix-lapiscine.com
La pâtisserie Méert,
à Lille. XAVIER TESTELIN/CIT’IMAGES
0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015 carnet | 29

Le Seigneur, G.A.D.L.U., Tristan Leperlier, Mme Joëlle Goumarre,

a rappelé à lui, le 24 novembre 2015, son mari, sa sœur, Anniversaire de décès
Emile, Céline, Simon et Laurent Goumarre
Ng Ectpgv leur petit garçon, Cher
Le professeur Jean-François ses neveux,
en vente Pierre FONTAINE,
et Chantal Delfraissy, Gérard THURNAUER,
actuellement Xqu itcpfu fixfipgogpvu Antoine et Chantal Leperlier, ont la tristesse de faire part du décès de
ancien élève Magali, Sylvain, Victoire, Romain,
Pckuucpegu. octkcigu tu as rejoint le paradis des architectes
de l’École nationale supérieure Alban Delagrange,
Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu Fernand PAU, le 22 décembre dernier, tu vis maintenant
de géologie, Liliane et Daniel Bernfeld, dans nos cœurs.
K En kiosque Eqnnqswgu. eqphfitgpegu avocat honoraire Les familles Delfraissy, Leperlier, « Don Fernando »,
Gzrqukvkqpu. xgtpkuucigu à la Cour d’appel de Paris, Layac, Nedonchelle, Membre fondateur de l’Atelier
ancien secrétaire survenu le 14 décembre 2015, à Paris. d’architecture et d’urbanisme de
de la conférence du stage, ont l’immense tristesse d’annoncer Montrouge, Grand Prix national
Xqwu rqwxg| pqwu vtcpuogvvtg ancien magistrat le décès, suite à son accouchement, de d’architecture en 1981, tes oeuvres restent.
Un hommage lui a été rendu ce lundi
xqu cppqpegu nc xgknng substitut, puis juge, Elles témoignent de ta pratique
juge de l’application des peines Jennifer 21 décembre, à 14 heures, au crématorium
rqwt ng ngpfgockp < LEPERLIER-DELFRAISSY, architecturale, respectueuse et consciente
au TGI de Bobigny, du cimetière du Père- Lachaise, 71, rue de son environnement et des besoins
s fw nwpfk cw xgpftgfk lwuswÔ 38 j 52 président des Rondeaux, Paris 20e. sociaux, dévouée à l’expression des artistes
*lqwtu hfitkfiu eqortku+ le 18 décembre 2015,
du tribunal de Saint-Germain-en-Laye, à l’âge de trente ans. dans la cité.
s ng fkocpejg fg ; jgwtgu 34 j 52 ancien conseiller municipal Mme Monique Scaioni,
de Sidiailles (Cher), Les cérémonies religieuses auront lieu Parent et ami indéfectible,
sa mère,
chevalier le mardi 22 décembre, à 10 h 30, cher Thurno !
Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < dans l’ordre national du Mérite. en l’église Saint-Ambroise, Paris 11 e
Sa famille, les tiens ne t’oublient pas et remercient
23 79 4: 4: 4: et le mercredi 23 décembre, à 10 heures, Ses amis, ton humanité, ton verbe, ton talent,
23 79 4: 43 58 en l’église de Loupiac (Cantal). ta vision, ta joie de vivre, ton courage,
ectpgvBorwdnkekvg0ht ont la douleur et le chagrin de faire part ton amour, tous si grands !
Il a souhaité léguer son corps
à la science. Il n’y aura pas d’obsèques. du décès de
Anne,
Hors-série sa compagne, Souvenir
AU CARNET DU «MONDE» Une messe sera célébrée le 29 janvier Georges, Catherine-Irma SCAIONI,
2016, à 17 heures, en la chapelle son père, In memoriam.
de l’Assomption de l’église Saint-Sulpice, David et Hélène, Guilhem et Léandre, survenu le 11 décembre 2015, à Varese
Anniversaire de naissance Anne-Catherine et Anita, (Italie), à l’âge de cinquante-six ans. Françoise GAUTHIER
Paris 6e.
son frère et sa sœur, VERMOT-DESROCHES,
« Sois heureux un instant,
cet instant c’est ta vie. » In memoriam, ont la douleur de faire part du décès de Saint-Côme-d’Olt (Aveyron).
décédée le 31 décembre 1983,
Omar Khayyam. Pontivy (Morbihan).
Nathan FINKELSTEIN, Jean-Pierre MASSE,
1886-1953, repose près d’un cyprès,
Joyeux anniversaire Mme Georgette Vergnes,
survenu le 16 décembre 2015, dans le cimetière de Die (Drôme).
croix de guerre 1914-1918, née Pommier,
Nils. médaillé militaire, à l’âge de quarante-huit ans.
son épouse, Que ceux et celles qui l’ont aimée
L’ensevelissement aura lieu le mardi Jean-Luc et Martine Vergnes, pensent à elle.
Avec tout notre Amour. et
22 décembre, à 14 h 30, dans le cimetière Philippe et Bonnie Vergnes,
familial d’Ardaillers (Gard). Jean-Marc et Martine Vergnes, Pierre-Louis Gauthier, Die, (France).
Maman, Thierry, Roman, Hugo, Marcelle FINKELSTEIN,
ses enfants, Jean-Marc Gauthier (Singapour).
Dimitri, Soon. 1897-1991, Ni leurs ni couronnes. Dons au GISTI Caroline, Virginie, Marie, Paul, Louis,
3, villa Marcès, 75011 Paris .
ses parents. Claire, Communications diverses
Décès ses petits-enfants
Hors-série Ginette FONTAINE-ÉBOUÉ, Catherine et Michel Delbort, Mme Geneviève Belmon,
André Boischot, ses parents
son époux, 1923-1992, Mme Anne Le Meut,
Ainsi que ses grands-parents,
Ses enfants, Ses oncles et ses tantes, ses belles-sœurs,
Ses petits-enfants, son épouse. M. Jacques Manciet,
Collections Sa famille,
De la part de
Ses cousins et cousines,
Ses petits-cousins et petites-cousines
Et toute la famille,
son beau-frère,
Ses neveux et nièces,
ont la grande tristesse de faire part Le Collège Sévigné
Les familles Galié, Turlan, Girou, Rey, poursuit le développement
UNE
COLLECTION PARTEZ À LA
DÉCOUVERTE DU VIN du décès de

Michelle BOISCHOT,
Martine Fontaine-Maury,
son épouse,
ont la douleur de faire part du décès de

Miguel.
Guernier, Gay, Asse, Vergnes, Garriguet,
Manciet, Pommier, Puron,
de son enseignement bilingue
et ouvre en septembre 2016
Alain Fontaine,
avec Pierre ARDITI

une école primaire français/anglais

À partir du 15 décembre,
le livret n°9 BEAUJOLAIS
VILLAGES ET NOUVEAUX + L’ARÔME
Dès mercredi 16 décembre,
le numéro 4 : 2 LIVRES
LA BATAILLE D’ANGLETERRE
et LE SIÈGE DE TOBROUK
Dès mercredi 16 décembre,
le volume n°16
survenu le 16 décembre 2015.
Un moment de recueillement aura lieu
au crématorium du cimetière du Père-
Lachaise, Paris 20e, à 13 heures, le mardi
22 décembre.
5, bis rue d’Arsonval,
75015 Paris.
Villiers-Allerand (Marne).
Jacqueline Carraud,
son épouse,
Dominique, Emmanuelle, François,
Nathalie Carraud,
ses enfants,
Clément, Juliette, Virgile, Raphaëlle,
Anna, Gabriella, Noé, Antoine,
ses petits-enfants
Ainsi que toute la famille,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès de
Pierre CARRAUD,
diplomate,
ancien Ambassadeur de France
au Nigéria et en Australie,
survenu le 16 décembre 2015,
à l’âge de quatre-vingt-seize ans.
La cérémonie religieuse sera célébrée
en l’église de Villers-Allerand, ce lundi
21 décembre 2015, à 14 h 30.
4, route de Montchenot,
51500 Villers-Allerand.
Anne-Marie et Catherine Chanet,
ses sœurs
ont la tristesse d’annoncer la mort de
Françoise CHANET,
ancienne élève de l’ENS de Sèvres,
agrégée de mathématiques,
professeur de mathématiques spéciales
au lycée Descartes de Tours
(retraitée),
amie des oiseaux.
Les obsèques ont eu lieu le 16 décembre
2015.
Saint-Pierre-du-Mont (Landes).
Catherine Dollfus,
Cerise et Coline Fontaine,
ses enfants et petits-enfants,
Marthe Wurmser
et Michel Fontaine,
sa sœur et son frère.
Paris. Versailles.
Saint-Didier-au-Mont-d’Or.
Caroline Huber,
son épouse,
Gaston, Blaise, Camille, Lucien,
ses enfants,
Alain et Claudine Huber,
ses parents,
Bernard et Guillemette Caille,
ses beaux-parents,
François et Delphine Huber,
Alice et Thierry Bertucat,
Stéphane et Isabelle Caille,
Barthélémy et Quitterie Caille,
Peggy et Vincent Chevalier,
ses frère, sœur, beaux-frères
et belles-sœurs,
La chaîne d’amis qui l’ont entouré,
ont l’immense douleur de faire part
du décès de
Germain HUBER,
à l’âge de quarante-cinq ans.
La cérémonie religieuse a eu lieu
ce lundi 21 décembre 2015, à 10 h 30,
en l’église Saint-Roch, 296, rue Saint-
Honoré, Paris 1er, suivie de l’inhumation
au cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.
Ni leurs ni couronnes,
des dons à l’Inserm pour la recherche.
Maurice Kleman,
son époux,
Agnès et Jean-Philippe,
Pierre Méra, Chantal Kleman-Mariac,
ses enfants,
Jérémie, Michaël, Nathanaël, Théo,
Benjamin, Simon et Noémie,
ses petits-enfants,
Delphine Hennebois, Sophie Méra-
Touret,
La cérémonie religieuse sera célébrée
le mardi 22 décembre 2015, à 14 h 30,
en l’église Saint-Flaive, à Ermont,
rue de l’Église, où l’on se réunira,
suivie de la crémation dans la plus stricte
intimité familiale.
Selon la volonté de la famille, il n’y
aura ni leurs ni plaques.
Des dons pourront être adressés
à l’UNICEF (Fonds des Nations Unies
pour l’Enfance), au profit des enfants
de Colombie, 3, rue Dugay Trouin,
75006 Paris.
M. et Mme Delbort,
5 bis, avenue Dérondel,
95120 Ermont.
Suzanne Milbert,
son épouse,
Isabelle Milbert-Juan et José Juan,
Béatrice Milbert,
Mélania et François Milbert,
ses enfants,
Elsa, Anton, Laura, Paola et Samuel,
ses petits-enfants,
Raoul et Orso,
ses arrière-petits-enfants,
Ses neveux, ses nièces
Et toute la famille,
ont le chagrin de faire part du décès de
Jacques MILBERT,
ingénieur,
survenu le 15 décembre 2015,
à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
Les obsèques auront lieu ce lundi
21 décembre, à 14 h 30, en la salle
Mauméjan, au crématorium du cimetière
du Père-Lachaise, 71, rue des Rondeaux,
Paris 20e.
« En toutes choses, grandes et petites,
je vois la Beauté de l’expression divine.
En pensée, en parole et en actes,
j’édiie ma vie, jour après jour,
sur l’inébranlable fondation
de l’Eternité de l’Etre. »
159, boulevard Murat,
75016 Paris.
Mme le docteur Françoise Nicolas,
ont la douleur de faire part du décès de
de la petite section au CM2,
au 95, boulevard Arago, Paris 14e.
www.collegesevigne.org
M. Pierre VERGNES, Tél. : 01 53 10 14 14.
ingénieur général
de la Météorologie nationale,
chevalier de l’ordre national du Mérite,
chevalier
de l’ordre des Palmes académiques,
survenu dans sa quatre-vingt-treizième
année.
PRIX DE THÈSE
DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE.
Ses obsèques ont été célébrées ce lundi
21 décembre 2015, à 14 h 30, en l’église L’Assemblée nationale
Saint-Côme-d’Olt. attribue chaque année un prix
destiné à distinguer des thèses
Ni plaques ni leurs ni couronnes. relatives à l’histoire ou au droit
parlementaires français.
Son épouse, Ce prix ouvre droit à une aide à la
publication de la thèse concernée.
Ses enfants,
Les thèses soumises à ce jury
ont la douleur de faire part du décès du doivent avoir été soutenues
entre le 1er janvier 2014
professeur Cyr VOISIN, et le 31 décembre 2015.
pneumologue,
membre Les étudiants intéressés peuvent
de l’Académie nationale de médecine, se procurer le formulaire
chevalier de la Légion d’honneur, de candidature auprès de :
M. le Chef de la division des Archives
survenu le 13 décembre 2015,
à Marcq-en-Barœul,
(Service de la Bibliothèque
et des Archives)
dans sa quatre-vingt-dixième année. Assemblée nationale,
126, rue de l’Université
Ses funérailles ont été célébrées 75355 Paris Cedex 07 SP
dans l’intimité familiale.
ou par courrier électronique à :
62, rue de Lille, prixdethese@assemblee-nationale.fr
59130 Lambersart.
Le dossier d’inscription est également
téléchargeable sur le site Internet
Remerciements de l’Assemblée nationale :
Béatrix et Philippe Laurent, http://www2.assemblee-nationale.fr/
ses parents, informations-pratiques/archives-et-
Jérôme et Théodore, bibliotheque
ses frères,
Grégoire Mérot, La date limite de dépôt des candidatures
son compagnon est ixée au vendredi 29 janvier 2016,
Et toute la famille, à 17 heures.
très touchés des nombreuses marques
de sympathie et de soutien qui leur ont été
# #  $    

NORD DE LA FRANCE Mme Nicole Dupeyron, Alice et Héloïse, née Trocmé, témoignées lors du décès de
 !# $  #   #$   $ #
&. + *1.+
son épouse, son épouse,  #$ $     #$ $  
ses arrière-petits-enfants, Laurence et François Rezeau,
Anne, $ #   $  #  *'$ %&# &
Christophe et son épouse, Les familles Kleman et Le Queffelec, Emmanuel et Corine Nicolas, Agathe,  #$    # . *&%%*

Nos services Rolland et son épouse,

Sylvie, Laurence, ont la douleur de faire part du décès,
ses enfants,
Martin et Aurélie, Myriam, Etienne, vous prient de trouver ici leurs sincères
 #  $
  ! # !  #!
*%& + &/&
 #$  % # #    # " $
ses enfants, à l’âge de soixante-dix-neuf ans, de Chloé, Bertille, Simon, remerciements.  #$ ! #!    # %&!- &(). %
ses petits-enfants,
Lecteurs Ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants, Jacqueline KLEMAN, Léon,
*  ** %%#&%.  * %  # %*
 # * .*
son arrière-petit-ils, Mme Claudine Fouquey,  # #   ** &.*-& +
# % *&%
K Abonnements née BLIOCH. 1#/ 
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*%. (*$%- *
ont la douleur de faire part du décès du son épouse,  #   $ $
ont la tristesse de faire part du décès de Ses enfants,  %%- &-  # (( &.*  # 2"&0+"
Nous nous réunirons au cimetière  #   $#
médecin général parisien de Pantin, le mercredi 23 décembre, Ses petits-enfants,
Robert NICOLAS,
*%" &%%+  # .** %
www.lemonde.fr/abojournal Germain DUPEYRON, à 10 heures. contrôleur d’Etat honoraire,
 #$ $ $ %# $  $
très touchés des nombreuses marques  ##+ m%
&-
 #$ $ %# $ $
K Boutique du Monde commandeur de la Légion d’honneur, Maurice Kleman, survenu le 16 décembre 2015, à la veille d’affection et de sympathie qui leur ont .# % *& &.*-
grand oficier de ses quatre-vingt-deux ans. été témoignées lors du décès de
www.lemonde.fr/boutique 28 rue Lauriston,  #$   % ! #  #  #!
dans l’ordre national du Mérite,  %%-  *-
K Le Carnet du Monde 75116 Paris.  # * +- % ++&#
Agnès Kleman, Un moment d’échange et de partage M. Philippe FOUQUEY,  #$ #!#$
* + (-&&*&.
Tél. : 01-57-28-28-28 survenu le 18 décembre 2015, a eu lieu le samedi 19 décembre, #  &#+ $%2
à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. 6 rue des Râcles, à 17 heures, 26, rue Ravon, à Bourg-la-   *  2 -
95290 L’Isle Adam. Reine (Hauts-de-Seine). le 17 novembre 2015,  #$ *%" &.
Ses obsèques seront célébrées le mercredi Jean-Philippe Kleman,  #     $  $ -* % &#1
23 décembre, à 10 h 30, en l’église 12, rue Ferrer, 4, rue Simonet, vous prient de trouver ici leurs chaleureux  #        # * +- % -
!  !$ %   ** * (*+ %-
de Saint-Pierre-du-Mont. 38500 Voiron. 75013 Paris. remerciements. +- % *% & / (*+ %-
30 | 0123 0123
MARDI 22 DÉCEMBRE 2015

PLANÈTE | CHRONIQUE ÉTAT D’URGENCE : un éventuel principe fondamental reconnu ment de ce que le projet du gouvernement
par les lois de la République » et qu’elle ne vise nullement à encadrer les pouvoirs
NE PAS
par sté p hane fo ucart
n’aurait par ailleurs qu’« une portée pratique exorbitants confiés à l’exécutif, mais tout au

SE RÉSOUDRE limitée ». Nous avons dit, dans ces colonnes, contraire à les renforcer, pour les mettre à

Choses vues À L’EXCEPTION

à quel point cette mesure, qui suppose l’exis-
tence de deux types de Français, les citoyens
nés français de parents français et les autres,
l’abri d’une éventuelle censure du Conseil
constitutionnel. Qui plus est, il suffirait à
nouveau d’une simple loi, votée par la majo-
à la COP21 serait un affront aux valeurs républicaines.
Le trouble sur la nécessité de cette mesure
traverse aujourd’hui les rangs de l’ensemble
rité du moment, pour fixer l’étendue du
champ de l’état d’urgence. Le texte du gou-
vernement ne le dissimule guère, « la loi [or-
de la gauche, et le gouvernement n’est sem- dinaire] fixe les mesures de police adminis-

S’
est-il vraiment passé
quelque chose au Bour-
get, entre le 30 novem-
bre et le 12 décembre ?
La 21e conférence des Nations
unies sur les changements clima-
tiques (COP21) n’a-t-elle été qu’une
vaste campagne de relations pu-
bliques, comme on l’entend ici où
là ? Près de 40 000 personnes – ob-
servateurs, scientifiques, délégués
et ministres, chefs d’Etat et de gou-
vernement – se sont-elles réunies
en pure perte dans le parc des ex-
positions de la petite ville de Sei-
ne-Saint-Denis ? Certainement
pas. La COP21 offre certes quelques
raisons de demeurer inquiet, mais
elle en donne aussi – chose plutôt
rare sur le front de la lutte contre le
réchauffement – quelques-unes
de se réjouir.
La première est la force des dis-
cours prononcés le 30 novembre,
à la séance plénière inaugurale. On
pourra objecter que les discours
ne sont jamais que des discours.
Mais, cette fois, les chefs d’Etat et
de gouvernement réunis ont sou-
vent tenu à témoigner de leurs
propres observations, de leur pro-
pre expérience des bouleverse-
ments en cours. Ils ne parlent plus
d’événements qui doivent ou de-
vraient se produire : ils parlent de
ce qu’ils ont vu. « Cet été, j’ai cons-
taté de première main les effets du
changement climatique dans notre
Etat le plus septentrional, l’Alaska,
où la mer est déjà en train d’avaler
LES RESPONSABLES
POLITIQUES
SEMBLENT AVOIR
COMPRIS LA
GRAVITÉ DU PÉRIL
CLIMATIQUE
mystère de leur déception après
que l’accord de Paris a été adopté :
celui-ci repose essentiellement
sur la bonne volonté des Etats et
n’a globalement pas grand-chose
de contraignant. Mais il faut gar-
der à l’esprit que la quasi-totalité
de la planète devait signer le texte
– y compris l’Arabie saoudite, qui
cumule la caractéristique de tirer
l’essentiel de ses ressources du pé-
trole à celle d’être l’un des Etats les
plus inaccessibles à la rationalité.
Ainsi, s’il reste des raisons d’être
inquiet après la COP21, ce n’est pas
le fait de l’accord adopté. Il n’avait
aucune chance d’être plus ambi-
tieux. S’il y a des raisons de de-
meurer inquiet, c’est que les res-
ponsables politiques, s’ils sont sin-
cèrement inquiets de ce qu’ils
constatent, ne semblent toujours
pas au fait de la science climatique.
Travail de pédagogie
Pour preuve, l’une des grandes ba-
tailles de la COP21 a été celle du
seuil de réchauffement à ne pas
suite de la première page
A fortiori, modifier la loi suprême, si peu de
temps après la sidération provoquée par les
tueries du 13 novembre, impose à l’évidence
une prudence extrême. « Il est quelquefois
nécessaire de changer certaines lois, disait
Montesquieu en 1721. Mais le cas est rare, et,
lorsqu’il arrive, il n’y faut toucher que d’une
main tremblante. »
Le projet de révision, qui va être examiné
lors du conseil des ministres du 23 décem-
bre, comporte deux dispositions essentiel-
les. La déchéance de nationalité pour les bi-
nationaux, même nés en France, après une
condamnation pour terrorisme, et l’inscrip-
tion durable de l’état d’urgence dans notre
Loi fondamentale.
Sur la déchéance de nationalité, le Conseil
d’Etat relève qu’elle pourrait se heurter « à
ble-t-il pas loin de l’écarter : ce serait sage.
La question de l’état d’urgence est plus
complexe. Décréter un état d’exception,
quelques heures après les plus terribles at-
tentats qu’ait connus le pays, était sans
doute une décision nécessaire ; suspendre
pour un temps limité certaines des libertés
édictées par la Déclaration des droits de
l’homme qui fonde notre démocratie est
une réponse qui peut paraître momentané-
ment adaptée. Faut-il aller plus loin, et ins-
crire durablement ce moment d’exception
dans notre Constitution ?
Des juristes y sont favorables, pour la sim-
ple raison que l’état d’urgence n’a pas de ba-
ses légales solides. L’inscription dans la Loi
fondamentale permettrait d’encadrer le ré-
gime d’exception, et de ne pas laisser à la
simple loi d’une prochaine majorité le soin
d’imposer d’autres mesures encore plus ré-
pressives et potentiellement plus dangereu-
ses. A l’heure où un tiers de l’électorat se pro-
nonce pour le Front national, ce scrupule
mérite d’être entendu.
D’autres spécialistes du droit public s’alar-
trative que les autorités civiles peuvent pren-
dre », sous le seul contrôle du juge
administratif.
Quelles seraient alors les garanties qu’of-
frirait la Constitution si un gouvernement,
doté de ce formidable arsenal, tentait d’abu-
ser de la mise entre parenthèses des libertés
individuelles ? La question dépasse de loin le
cadre du terrorisme. La liberté d’aller et ve-
nir, la liberté d’association, la liberté de ma-
nifester seraient remises en cause dès lors
qu’il existe une menace pour l’ordre public –
l’assignation à résidence de militants écolo-
gistes pendant la COP21, sous couvert d’état
d’urgence, est un premier indice éclairant de
ces pouvoirs de police.
La France vit un moment cruel, à coup sûr
d’exception, mais la menace terroriste sera
durable. C’est l’honneur des démocraties de
chercher dans leurs valeurs des armes pour
défendre une liberté que leur dénie juste-
ment le terrorisme. Notre pays a beaucoup
mieux à faire que de réviser la Constitution
dans la précipitation et d’inventer pour l’oc-
casion un état d’exception permanent. p

présente
des villages et d’éroder le littoral, a dépasser. Plusieurs pays se sont
raconté le président américain, Ba- arc-boutés sur un seuil de 1,5 °C au-

rack Obama. Là, le permafrost
fond, la toundra brûle, les glaciers
fondent à une vitesse sans précé-
dent dans l’histoire moderne. »
Le ministre français des affaires
étrangères, Laurent Fabius, a lui
aussi convoqué son expérience.
« En cet instant, a-t-il dit, j’ai dans
ma mémoire et dans le cœur les ré-
cits et les visages que j’ai croisés ces
derniers mois en préparant la con-
férence : au Bangladesh, cette
femme âgée, fatiguée et digne, qui
avait dû déménager neuf fois à
cause des inondations et qui m’a
demandé si la COP21 allait chan-
6
l’Almaniak 201
dessus de la période préindus-
trielle, les autres voulant conser-
ver une limite à 2 °C. Or cette ba-
taille est sans objet. Il n’y a aucune
chance que le réchauffement en
cours soit contenu sous la barre de
1,5 °C. Pour qui se soucie des iner-
LES M EILLEURS
DESSINS DE
ties combinées du climat et de l’ac-
tivité économique, cet objectif, fi-
nalement inscrit dans l’accord, est
hors d’atteinte. Rester sous 1,5 °C
n’est plus possible.
D’abord, il se peut que le niveau
actuel de concentration de gaz à
effet de serre nous engage déjà, à
terme, à une telle augmentation

640 pages.
ger cela… » de la température terrestre – rap-
pelons que nous en sommes déjà à
Registre militant 0,8 °C environ de réchauffement.
Il faut s’en réjouir : les dirigeants Ensuite, la science la plus conven-
Chaque jour, un dessin
Format 11 x 14,5 cm -

du monde semblent avoir com- tionnelle enseigne que pour con-

pris la gravité du péril climatique –
il aura, hélas, fallu attendre qu’ils
la constatent. Et ils l’ont formulée
en termes si forts que les respon-
sables de certaines ONG n’hési-
taient pas à dire, dans les couloirs,
qu’ils auraient pu signer bon nom-
bre des discours prononcés. Sans
server une chance sur deux de de-
meurer sous ce seuil, il faudrait li-
miter à 450 milliards de tonnes la
quantité de dioxyde de carbone
de l’éditorialiste
(CO2) que nous projetons d’injecter
dans l’atmosphère. Or à s’en tenir
aux promesses des Etats à réduire
paru dans
pour illustrer un événement
leurs émissions, cela sera fait dès

sins
doute Greenpeace aurait-elle pu le milieu des années 2020. Bien

par exemple endosser l’adresse de
M. Obama, dont les accents catas-
trophistes appartiennent plus au
registre militant qu’à celui de la
parole politique. « Tout cela est
l’avant-première d’un futur possi-
ble, a dit le président américain à
propos de ce qui se produit en
Alaska, c’est un aperçu du sort de
nos enfants, si le réchauffement se
poursuit plus vite que nos efforts
pour le contrer : des pays submer-
gés, des villes abandonnées, des
champs sur lesquels plus rien ne
pousse. »
Devant tant d’emphase et
d’alarme, certains n’ont pas fait
LA COMMUNAUTÉ
INTERNATIONALE
CHERCHE À ÉVITER
LA COLLISION
Nouveaux des6
sûr, l’accord de Paris prévoit que
les parties s’engagent à réviser à la
de l’actualité récente.
pour 201
hausse leurs promesses de réduc-
tion d’émissions. Mais elles ne le
feront qu’en 2020. Trop tard. De ce
point de vue, l’accord de Paris con-
tient sa propre contradiction : il
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pose que la communauté interna-
tionale cherche à éviter la collision
avec un mur, en s’arrêtant (peut-
✁ En vente également en librairies et grandes surfaces
être)… au-delà de ce mur.
Dans les couloirs du parc des ex- OFFRE DE SOUSCRIPTION
positions du Bourget, une émi- réservée aux lecteurs du Monde
nente climatologue constate qu’il
reste un gros travail de pédagogie Frais d’expédition (3,90 €) OFFERTS pour la France métropolitaine.
à conduire auprès des dirigeants,
sur la notion d’inertie climatique. OUI, je désire recevoir en souscription …… exemplaire(s) de l’Almaniak Plantu 2016 directement à mon
En juillet 2011, dans un entretien
au Monde, Rajendra Pachauri, l’an- domicile. J’économise les frais d’expédition (3,90 €) et je joins mon règlement de 12,99 € (par exemplaire) à
cien président du Groupe d’ex- l’ordre de “Almaniak Plantu”, par chèque bancaire ou postal.
perts intergouvernemental sur
l’évolution du climat (GIEC), ne de- Nom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prénom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
mandait pas aux responsables po-
litiques de sauver le monde, le cli-
Adresse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
mat, la planète, ou leurs propres Code postal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
LMQ1

enfants : « Etudiez la science clima-

AVEC UN MUR, tique ! », leur enjoignait-il simple- Adresse e-mail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . @ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
ment. L’inquiétant est que quatre
EN S’ARRÊTANT ans plus tard, cette supplique est À découper et à renvoyer à :
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AU-DELÀ DE CE MUR foucart@lemonde.fr immédiate. Pour les lecteurs hors France métropolitaine, rendez-vous sur le site www.editions365.com.
Tirage du Monde daté dimanche 20-lundi 21 décembre : 307 070 exemplaires