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MOULOUD MAMMERI OU LA PENSÉE ARC-EN-CIEL

LE DERNIER ENTRETIEN DE MOULOUD MAMMERI


Cela fait 17 ans que Mouloud Mammeri nous a quittés : c’était un certain 25 février 1989. La mort était
alors venue nous l’arracher alors que Tamazight avait encore besoin de lui. Ce 25 février 1989, son
"destin" rencontre un arbre sur la route qui devait le mener d’Arif à la Kabylie, un arbre qui lui coupa ainsi
la route et que sa voiture percute... Et c’est là qu’est mis fin à la vie de celui qui a joué l’un des rôles les
plus importants dans la construction de l’identité amazighe de Kabylie contemporaine.
Il était à Oujda dans le pays rifain pour participer à un colloque.
Lors de son court séjour à Oujda, un journaliste du quotidien "Le Matin du Sahara" l’a rencontré et a
réalisé un entretien avec lui. Cet entretien qui paraît, comme on peut le deviner, après sa mort. C’était sa
dernière interview. Nous publions, ci-après, l’intégralité de cette interview. Une interview que notre ami
Ali Harcherras, de Tizi n Imnayen, qui nous l’a fait parvenir, a bien voulu partager avec les lecteurs
de Tamazgha.fr. Nous tenons à le remercier.

Mouloud MAMMERI : La mort l’attendait au tournant...

Très connu par le public maghrébin et étranger grâce à son troisième roman L’Opium et le
bâton, mais aussi célèbre pour la pertinence de ses interventions dans les différents colloques
organisés dans les quatre coins du monde, Mouloud Mammeri vient de nous quitter après 72
ans au service de la cause de la nation et de la culture maghrébine. Mouloud nous a quittés en
tant qu’être vivant mais son œuvre et la chaleur de ses sentiments envers ses lecteurs resteront
pour toujours des phares scintillants qui nous rappelleront la candeur et la spécificité de cet
homme original qui a su réussir un mélange subtile entre sa culture maghrébine et son savoir
occidental. Il est difficile d’évoquer dans un entretien des problèmes aussi compliqués que ceux
du spécifique et de l’universel dans la littérature maghrébine d’expression française. Mais
l’utilité d’une telle tentative réside dans la rencontre de l’un des premiers romanciers
maghrébins d’expression française, dont l’expérience personnelle est étroitement liée à ce
problème. Car quand on l’a vécu soi-même, qu’on l’a palpé existentiellement comme l’a fait le
défunt Mouloud Mammeri, cette expérience ne peut que subir le feu des polémistes. Pou avoir
une idée succincte sur cette expérience, nous avons réalisé le présent entretien deux jours avant
la mort accidentelle de Mouloud Mammeri.

Le Matin du Sahara Magazine : Quels sont les rapports que peut prendre le problème de la
spécificité et de l’universalité pour la littérature maghrébine d’expression française ?

Mouloud MAMMERI : J’avoue que je suis très satisfait d’évoquer ce problème car j’avais
l’habitude, quand j’étais jeune, de ne vivre ce problème qu’à partir du jugement des autres.
C’était les autres qui nous jugeaient alors qu’on était le sujet et la matière. Pour les autres notre
présence était transitoire, ludique, secondaire et exotique. On n’a jamais été les véritables
sujets des problèmes posés. Mon expérience personnelle avec ce sujet a commencé lorsque
j’étais au lycée à Rabat. Dès lors j’étais très catastrophé par la tournure générale de
l’enseignement que je recevais. Il est certain que j’avais de bons professeurs, mais il y avait
toujours une perspective qui me gênait du moment que je me suis rendu compte qu’il était
question de tout le monde sauf de nous, les Maghrébins. On était des étrangers dans
l’enseignement qu’on recevait. Et quand on est jeune, cette expérience laisse une trace car elle
a fini par créer en nous cette réaction de se sentir péjorativement jugé.

Le Matin du Sahara Magazine : Puisque vous parliez d’une expérience vécue, peut-on évoquer
avec vous un cas précis et qui a un rapport étroit avec la problématique posée ?

Mouloud MAMMERI : Quand j’étais en troisième, nous avions à expliquer un texte en latin, qui
s’appelait La Guerre de Jugurtha ; et c’est alors que j’ai fait l’admiration de mon professeur. Car
quand il nous donnait quinze lignes à préparer je lui rendais cinquante. Chose qui a poussé ce
professeur à se demander le pourquoi de cela. Ces questions se sont encore posées, quand on
était passé de Salluste à Virgile car avec les textes de Virgile je ne faisais que le nombre de lignes
qu’on me demandait. Alors un matin, notre professeur de latin s’amène triomphant et s’adresse
à la salle en ces termes : « J’ai enfin compris pourquoi Mammeri écrivait trois fois plus pour La
Guerre de Jugurtha, car Jugurtha est l’ancêtre des Maghrébins ». J’ai donné cet exemple pour
faire saisir comment le problème des rapports entre la spécificité et l’universalité pouvait se
poser pour les gens de ma génération. Se définir par rapport aux autres sur le plan théorique, le
problème se pose de la façon suivante : Etre soi, c’est être au monde, mais sous quel visage ! Et
c’est là que réside le problème, car on est obligé de se définir par rapport à soi-même mais aussi
par rapport aux autres. D’autant qu’on est pris dans une espèce de dilemme, car ou bien on est
spécifique, mais le risque apparaît tout de suite car être spécifique c’est se définir par quoi on ne
ressemble pas aux autres. C’est ainsi que le risque réapparaît de nouveau quand on va
s’enfermer dans une espèce de définition de nous-mêmes, et qui peut aussi affirmer qu’on est
incapable d’agir par notre spécificité. Cela condamne notre spécificité à un usage purement
solipsiste et qui rate l’expérience des autres. La deuxième solution consiste à être universel, et
c’est le revers de la médaille car on risque de renoncer à soi sous le prétexte de ressembler aux
autres. Devant ce problème, je ne me présente pas en totale innocence car je l’ai vécu depuis
longtemps sans pouvoir le résoudre dans une espèce de totale objectivité.

Le Matin du Sahara Magazine : Alors comment faire pour concilier les avantages de la spécificité
avec ceux de l’universalité ? Est-ce que cela est possible ? Et quelles sont les conditions
inévitables par lesquelles il faut passer pour espérer une conciliation possible ?

Mouloud MAMMERI : Je pense qu’on a affaire là à un vœu magnifique, mais comme tous les
vœux il ne tient qu’à un poil. Les écrivains de ma génération savent le prix qu’on a payé pour
réaliser cette irréalisable conciliation. En simple logique, être spécifique, c’est être différent,
mais dans la réalité on ne sait distinguer le spécifique de l’universel. Le premier aspect nous
enferme dans notre ghetto culturel et le second nous fait semer à tous les vents. Là, j’ouvre une
parenthèse pour dire que la première bonne définition de l’universalité a été donnée par un
écrivain maghrébin, qui avait pour nom Térence, il y a plus de vingt-deux siècles. Pour Térence,
l’universalité est d’être un homme pour qui tout ce qui est humain n’est pas étranger. Donc, vous
voyez que cette problématique a été évoquée depuis fort longtemps. Il est certes que ce
problème est compliqué car où faut-il chercher cette universalité ? Pour des raisons historiques
les écrivains de ma génération sont allés la chercher dans la culture chrétienne occidentale.
C’est l’Occident qui a été pour nous l’universel à cause ou grâce à l’enseignement qu’on a reçu
dans les écoles françaises. On a été acculé à définir l’universalité par la spécificité des autres.
Donc, c’est un dilemme qui n’est pas logique et dans lequel on s’installait inconfortablement. Et
toutes les réponses qui ont été données étaient à la fois personnelles et existentielles. Un
commencement absolu.

Le Matin du Sahara Magazine : Pensez-vous que la littérature des années cinquante, qui a
brusquement apparu à la fois au Maroc, en Algérie et en Tunisie est un phénomène inouï pour
les problèmes qui nous préoccupent pour le moment ?

Mouloud MAMMERI : Oui, cela est vrai, car cette littérature est apparue comme un
commencement absolu. Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas d’écrivains avant cette date, car
il y en avait qui ont marqué par leur empreinte la littérature des aïeux, mais étant donné le
contexte politico-social dans lequel on était inséré on ne pouvait offrir que la production
littéraire qu’on a offerte. Il a fallu absolument que les écrivains de ma génération s’insèrent
dans la littérature française de façon à ce qu’ils disparaissent dans le décor. Et il leur a fallu deux
propos délibérés. Renoncer à une espèce de spécificité pour rattraper une universalité qui était
en réalité la spécificité des autres. Mais ce qui s’est passé historiquement a démontré que les
valeurs prônées par les Occidentaux étaient aux dépens des Maghrébins. Puis, par l’épreuve de
vérité historique, ils ont changé d’option afin de ne plus tricher avec la vérité.

Le Matin du Sahara Magazine : Après cette première partie qui était réservée au spécifique et à
l’universel, passons à des thèmes d’ordre général. Jean Déjeux dans "La Littérature maghrébine
d’expression française" vous a qualifié d’écrivain contestataire, alors que d’autres critiques
pensent autre chose. Quelle est votre réponse ?

Mouloud MAMMERI : Je pense que pour l’essentiel du point de vue de Jean Déjeux, il est vrai
dans la mesure où je considère le rôle de l’écrivain et sa motivation pour défendre un certain
nombre de valeurs comme des idéaux nobles, surtout quand ils sont écrasés et niés dans les
faits. Je pense que les hommes sont libres de vivre comme ils veulent, et que tout régime qui nie
leur liberté, qui nie leur honneur et qui tend à les contraindre doit être contesté. Et c’est le rôle
de l’écrivain. L’écrivain n’est pas un homme politique, il est plus que cela, et quand le politicien
ne peut trancher pour d’autres considérations, l’écrivain est libre dans ses propos. Il doit
toujours rappeler le caractère absolu d’un certain nombre de valeurs. Je ne fais pas la
contestation pour la contestation. Cependant, il ne faut pas faire une formule « appuie bouton
», car je ne fais pas la contestation pour la contestation.

Le Matin du Sahara Magazine : Et que dites-vous de la contestation dans l’art ?

Mouloud MAMMERI : Je pense que l’essentiel réside dans le fait d’avoir quelque chose à dire.
La technique n’est qu’un moyen. Elle est un instrument pour faire passer quelque chose. Or, il
ne faut pas que cet instrument devienne l’essentiel car l’essentiel est ce qu’on dit. Il faut aussi
ne pas faire passer le souci de la contestation dans l’art pour le plaisir de la forme. Et si on n’a
rien à dire dans cette forme, il est préférable de se taire.
Le Matin du Sahara Magazine : Changeons de genre et passons au cinéma. On sait que la guerre
de la libération algérienne a été connue par les cinéphiles grâce à deux films : "La Bataille
d’Alger" et "L’Opium et le bâton." A ce sujet, une question s’impose d’elle-même : Est-ce que
Mammeri a reconnu son roman dans le film ?

Mouloud MAMMERI : Non ! A mon avis, ce sont là deux langages différents et deux discours
différents. Concernant le film, je n’ai pas accepté le scénario, pas seulement parce que je suis
l’auteur du roman, mais il me semble que le film privilégiait une sorte de vision western. Il
présentait les choses d’une façon manichéenne en classant les bons d’un côté et les mauvais de
l’autre. Or, cela ne correspond pas à la réalité et à la profondeur des choses. Certainement, le
film a eu un grand succès et a permis aux jeunes algériens de voir sur l’écran comment leurs
parents ont vécu le joug colonial. A part cela, je ne nie pas qu’on peut faire de très bons films
historiques, car j’ai vu trois versions de Guerre et paix de Tolstoï dont deux étaient superbes.
Mais ce n’est pas ce que Tolstoï a dit dans son roman Guerre et paix.

Le Matin du Sahara Magazine : Vous êtes l’un des premiers à écrire en français au Maghreb.
Est-ce que Mouloud Mammeri se reconnaît dans les nouveaux romans maghrébins ?

Mouloud MAMMERI : J’avoue que je ne cherche pas à me reconnaître dans ces romans, je suis
bien content que les jeunes écrivains inventent une façon nouvelle pour s’exprimer et aient de
nouvelles choses à dire. C’est leur temps et ils doivent refléter leur époque dans leurs écrits : A
deux époques historiques différentes correspondent deux formes littéraires. En plus, ces jeunes
écrivains sont obligés de tenir compte de ce qui se passe en Europe surtout avec la vague du
nouveau roman et des autres expériences. Ce qui prime, ce n’est pas la marque du verre mais
son contenu.

Le Matin du Sahara Magazine : Est-ce que vous êtes toujours en contact avec l’écriture
romanesque et théâtrale ?

Mouloud MAMMERI : Oui, je travaille actuellement sur un nouveau roman et une troisième
pièce de théâtre, et j’espère continuer jusqu’à la fin de mes jours.

N.B. C’était le samedi 25 février, mais malheureusement la mort l’attendait 24 heures après, et
ni le roman, ni la troisième pièce n’ont été achevés.

Le Matin du Sahara Magazine : Et pourquoi ce passage au théâtre ? Est-ce pour une raison
d’efficacité ou pour des raisons esthétiques ?

Mouloud MAMMERI : C’est le sujet qui m’a imposé cette forme théâtrale. Je suis certain que
lorsque le thème évoque une lutte et une confrontation soit d’idées ou de personnages ou de
drame, dans son sens le plus classique, il est préférable d’écrire une pièce de théâtre. Ces
personnages, par leurs positions l’un par rapport à l’autre, font apparaître des tas de choses
profondes avec peu de répliques. Dans un roman, on est obligé d’écrire plusieurs pages pour
présenter une seule idée. C’est pour cela d’ailleurs que je pense que le théâtre est percutent. Il
est défini par la concentration des personnages sur leurs propos et leurs sentiments. Concernant
la création théâtrale, je n’en ai fait que deux. Le Fœhn, qui est un vent terrible et qui rend un
peu fou les gens. Le prétexte c’est la bataille d’Alger pendant la guerre de libération. Et puisque
j’ai vécu cette expérience, cela m’a plus ou moins facilité la tâche et m’a motivé. La deuxième
pièce a pour nom Le Banquet et s’articule autour de la conquête du Mexique par les Espagnoles.
Avant cette conquête, les Mexicains avaient une civilisation extraordinaire, mais à cause de
l’occupation espagnole, cette civilisation a été réduite à néant. Je récapitule en disant que les
deux pièces évoquent la lutte des hommes pour retrouver leur dignité bafouée par deux
puissances coloniales.

Le rendez-vous

Après avoir réalisé pour les lecteurs Magazine cet entretien, je lui ai demandé de me donner son
stylo (celui que je tiens dans la main sur la photo) afin d’écrire son adresse. J’ai écrit le nom et le
prénom, mais je n’ai pas pu continuer car il n’y avait plus d’encre dans le stylo. Alors je lui ai dit :
"Il n’y a plus d’encre dans votre stylo". Il m’a répondu : "Peut-être qu’il est mort !" Et ça a été un
motif pour rire et échanger des anecdotes sur les stylos. 24 heures après... La mort tragique
l’attendait au tournant ! Et durant son séjour à Oujda, il disait qu’il avait un rendez-vous, et qu’il
ne pouvait pas rester parmi nous au-delà du samedi. Avec qui avait-il ce rendez-vous ? Il ne le dit
pas. C’était peut-être avec la mort !

Source : Le Matin du Sahara N° 6632 du 12 mars 1989

Le Matin du Sahara Magazine du 12 au 19 mars 1989 (Supplément)

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