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LES TAPISSERIES DE LA DAME À LA LICORNE, ALLÉGORIES DES SENS

Entretien avec Olivier Sirost

Élisabeth Delahaye

Le Seuil | « Communications »

2010/1 n° 86 | pages 57 à 64
ISSN 0588-8018
ISBN 9782021022551
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-communications-2010-1-page-57.htm
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Date : 20/4/2010 15h52 Page 57/256

Élisabeth Delahaye

Les tapisseries de La Dame à la licorne,


allégories des sens
Entretien avec Olivier Sirost

ÉLISABETH DELAHAYE 1 : Tentons de faire une synthèse de l’œuvre telle


qu’on la connaît aujourd’hui en profitant des questions et des éléments de
solution qui ont été apportés depuis près de deux siècles, puisque sa pre-
mière mention figure dans un ouvrage publié en deux tomes en 1814 et
1815.

OLIVIER SIROST : C’est donc à partir de ce moment-là qu’on commence


à s’intéresser à la tapisserie de La Dame à la licorne d’un point de vue
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scientifique ?

E. D. : Il y a une période « romantique » dans l’histoire des tapisseries, au


moment de leur découverte, où elles sont rattachées au prince Djim, prince
ottoman réfugié à Rhodes auprès des chevaliers de Saint-Jean-de-
Jérusalem en 1482. Ensuite, il y a, pour l'iconographie, un article fondateur
de Kendrick 2 paru en 1921 : ce spécialiste anglais émet l’hypothèse selon
laquelle les tapisseries sont des allégories des cinq sens. L’article d’Alain
Erlande-Brandenburg 3 en 1977 suggère que la sixième pièce symbolise le
renoncement aux sens. Selon les études plus récentes de Jean-Pierre
Jourdan 4 d’un côté et de Jean-Patrice Boudet 5 de l’autre, cette sixième
pièce peut représenter un sixième sens. Lequel ? L’étude de Jourdan
s’appuie sur le pré-humanisme italien de Marsile Ficin et ébauche la thèse
d’un sens plutôt intellectuel. Boudet s’intéresse davantage aux moralistes
médiévaux français, et notamment aux sermons de Jean Gerson 6, qui parle
de ce qu’il appelle le « cœur » mais dans une signification très moraliste,
comme d’un sixième sens qui « mène les autres et fait la danse ».

O. S. : Pouvez-vous nous décrire chacune des allégories qui composent


les tapisseries et nous aider à décrypter leur langage sensoriel ?

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E. D. : Je propose de regarder les tapisseries dans l’ordre que leur


donnent les textes du Moyen Âge, qui établissent une sorte de hiérarchie
des sens selon qu’ils sont plus ou moins proches de la vie matérielle ou de
la vie spirituelle. La progression va du plus matériel au plus spirituel. Le
plus matériel, c’est le toucher. Une ou deux figures féminines selon les
tapisseries. La dame est parfois seule, parfois accompagnée d’une seconde
figure : la demoiselle (plutôt que la servante). Sur la première tapisserie, la
dame est seule et de ses deux mains elle utilise le sens du toucher, d’une
part pour tenir la hampe de la bannière héraldique, et d’autre part pour
effleurer délicatement la corne de la licorne.
La deuxième tapisserie met en exergue le goût. La dame, cette fois accom-
pagnée de la demoiselle, prend dans la coupe que lui tend celle-ci une frian-
dise que certainement elle destine au perroquet qui est placé sur son poing.
Cela fait partie des pièces pour lesquelles une sorte de contrepoint est apporté
à la scène principale, où l’on voit au premier plan un petit singe qui porte lui-
même une friandise à sa bouche. Le singe, dans la façon dont il est souvent
employé, mime l’action elle-même représentée sur la deuxième pièce.
La troisième tapisserie illustre le sens de l’odorat. Là aussi il y a deux
représentations : la dame tresse une couronne avec les fleurs qu’elle prend
dans un plateau que lui tend la demoiselle, tandis que le singe qui est sur
un petit tabouret au second plan hume une rose qu’il a chapardée quelque
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part dans un buisson.
Le quatrième sens appréhendé est l’ouïe. La dame et la demoiselle sont
placées de part et d’autre d’un petit orgue portatif. La demoiselle actionne
les soufflets pendant que la dame, elle, joue de cet instrument. On peut
penser que le lion et la licorne ont les oreilles dressées et écoutent, mais
c’est une projection peut-être un peu excessive.
La cinquième tapisserie évoque la vue, au sommet des sens dans la
conception médiévale. La dame cette fois est seule. La licorne est à la fois
animal héraldique et actrice de la scène puisque c’est elle-même qui se
regarde dans le miroir tendu par la dame. On a là sans doute une conjonc-
tion de deux iconographies : l’iconographie de la vue et celle, très ancienne
et souvent figurée au Moyen Âge, de la capture de la licorne. Selon la
légende, la licorne ne peut être capturée que si elle est séduite par une jeune
fille vierge. Elle pose délicatement ses pattes de devant sur les genoux de la
dame. C’est exactement l’iconographie que l’on rencontre dans d’autres
représentations plus anciennes de la capture de la licorne 7. Il s’agit là du
double jeu de l’allégorie du sens de la vue et de la signification symbolique
donnée à la capture de la licorne.
Et puis vient cette sixième pièce, qui a été l’objet de plusieurs interpré-
tations. Pendant longtemps on l’a intitulée « Le choix des bijoux », et l’on
y a parfois vu une pièce provenant d’un autre ensemble – puisque après

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tout il aurait pu exister une série de cinq tapisseries consacrées aux cinq
sens, et une autre série dont il ne resterait qu’une seule pièce (la sixième).
Cette hypothèse s’appuie sur une description de George Sand 8 dans le
texte où elle décrit les tapisseries et mentionne huit pièces au total, l’une
d’entre elles étant intitulée « Le choix des bijoux ». Alain Erlande-
Brandenburg a fait remarquer que le geste de la dame est davantage celui
de remettre des bijoux dans un coffret où il y en a déjà tant d’autres, ce
qui est alors un geste de renoncement. Il s’appuie aussi sur l’inscription
« À mon seul désir », placée sur le pavillon devant lequel se déroule la
scène, qui peut se rapprocher d’une autre inscription : « Liberum arbi-
trium », figurant sur une tapisserie d’une autre série décrite au début du
XVIe siècle. Dans ce sens, on peut lire libre arbitre, choix délibéré et non
pas choix des bijoux ; mais indépendance par rapport aux cinq sens, et
donc une sorte de renoncement aux sens. C’est là que les autres interpréta-
tions trouvent aussi leur force, sans mettre de côté cette question de renon-
cement, mais en y voyant un sixième sens qui peut être celui du cœur,
cœur moral et spirituel ; et donc effectivement une progression conduisant
vers ce sixième sens qui « mène les autres », et qui élève encore davantage
l’âme vers ce monde de l’intellect ou du spirituel.

O. S. : C’est une autre hiérarchie qui serait proposée ?


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E. D. : C’est plutôt une sorte de prolongement de cette hiérarchie médiévale
des cinq sens. La petite difficulté de cette interprétation séduisante du sixième
sens est que l’on n’est pas certain que cette conception du cœur comme
sixième sens ait été si répandue hors du cercle de ceux qui ont repris ces
sermons [de Jean Gerson]. Il existe un autre exemple tout à fait contemporain
de représentation des sens par des allégories féminines comportant six illus-
trations et non pas cinq, c’est une série de planches gravées, exécutée pour
illustrer les Stultiferae naves de Josse Bade, un ouvrage datant de l’extrême
fin du XVe siècle, qui est une sorte de continuation de l’ouvrage La Nef des
fous de Sebastian Brandt. Il y est question des cinq sens, considérés là encore
sous un angle moral, en relation avec la thématique de la folie.
L’œuvre commence par une présentation moralisante avec l’illustration
de la scène de la tentation dans la Genèse, placée dans une nef conduite par
deux fous. Puis vient la vue folle où une dame se regarde dans un miroir,
entourée de plusieurs personnages embarquant ensemble dans la même
nef. Le texte moralisateur n’explique pas que ce soit la vue qui soit en elle-
même folle. Mais ce sens de la vue peut entraîner à toutes formes d’excès.
Même chose pour l’ouïe, représentée par un embarquement pour une
Cythère musical et tout à fait joyeux. Mais, effectivement, ces illustrations
accompagnent un texte à portée tout à fait moralisante. Pour l’odorat, c’est

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la même chose : vous voyez ces dames et personnages avec ces coiffures de
fous qui emportent des plantes odoriférantes. Viennent enfin le goût avec
les tablées au centre de la nef, puis le toucher. Dans cette série, la progres-
sion va du plus spirituel au plus matériel, mais la logique reste la même
que celle des tapisseries de La Dame à la licorne. Il y a bien ici aussi six
illustrations. Ce ne sont pas six sens, mais cinq sens et un prologue. Cette
représentation des sens sous une forme allégorique existe tout au long du
Moyen Âge, mais, jusqu’à la fin du XVe siècle, les images que l’on en connaît
représentent chacun des sens par une figure masculine.
L’apparition de la figure féminine se fait aux alentours de 1500 dans
ces six gravures et dans les tapisseries de La Dame à la licorne. Il n’est pas
sûr que ce recours aux figures allégoriques soit très fréquent par la suite.
On assiste ici à une transition entre le Moyen Âge et la Renaissance, avec
un regain pour l’allégorie dans le domaine de la représentation des sens.

O. S. : Dans ces représentations gravées autour de la nef, le langage des


sens renvoie à des formes de sociabilité associées auxdits sens. Par contre,
dans les tapisseries de La Dame à la licorne on a plus une version épurée,
et une transition entre nature et culture : les objets techniques d’un côté,
puis les animaux et les végétaux de l’autre.
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E. D. : Et en plus une vision très positive. Tout cela est très composé,
épuré, avec seulement une ou deux figures humaines, et tout le reste passe
au second plan. Qui est à l’origine de la conception de ces tapisseries, de
ces dessins ? Est-ce le commanditaire ? Le peintre ? Est-ce que le
commanditaire a vu des projets dans l’atelier du cartonnier ou dans celui
du licier ? On ne sait pas. La personne qui a conçu ces tapisseries a sûre-
ment voulu donner en tout cas une version idéalisée et positive. On n’a
pas du tout cette connotation déviante qui apparaît dans la série gravée 9.

O. S. : Est-ce que cela veut dire qu’il y aurait une positivisation du corps
à ce moment-là par le biais du langage des sens, en passant des allégories
gravées aux tapisseries ?

E. D. : Je pense qu’on peut aller jusque-là. Mais soyons précis : d’une


part, les gravures ne sont pas antérieures aux tapisseries ; ce sont des
œuvres approximativement contemporaines, issues de la même mouvance
artistique ; d’autre part, la dimension charnelle, positive, du corps n’est
pas absente au Moyen Âge, pas plus que le lien entre l’homme et la nature,
qui est aussi très visible dans la série des tapisseries. En revanche, il est
vrai que ces aspects sont particulièrement à l’honneur en France, dans les
milieux littéraires et artistiques autour de 1500.

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O. S. : En même temps, les premiers travaux en sciences humaines qui


s’intéressent à la tapisserie datent du XIXe siècle…

E. D. : La tapisserie est citée pour la première fois en 1814-1815, puis


elle est présente dans le grand mouvement romantique des écrivains, de
la Restauration au Second Empire (George Sand, Prosper Mérimée), puis
ensuite au début du XXe siècle chez Rainer Maria Rilke 10.

O. S. : Quand on essaie de repositionner ce langage des sens dans le contexte


de l’anthropologie coloniale du XIXe siècle, on voit comment le nombre de sens
est réduit à cinq et ordonnés selon la hiérarchie visuelle. L’odorat et le goût
sont considérés alors comme les sens rapprochant le plus l’homme de l’animal
par Broca et l’anthropologie physique. À l’inverse, dans le droit héritage du
sensualisme, l’importance des travaux liés au toucher, à l’ouïe et à la mémoire,
ainsi qu’à la vue, démontrent que ces trois sens se distinguent des deux précé-
dents par leur faculté de connaissance 11. Plus tard, les sociologues fondateurs
de l’école de Chicago (en particulier Georg Simmel et Robert Ezra Park)
affirmeront cette intellectualisation des sens, et le primat de la vue, comme
une caractéristique majeure de l’essor des grandes métropoles urbaines.
L’intérêt des travaux scientifiques touchant le cerveau et l’essor de la psycho-
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logie ne sont pas étrangers à une telle orientation. Il n’en a pas toujours été
ainsi. Dans l’Antiquité, le nombre des sens est à mettre en équation avec les
éléments ou les humeurs (cinq sens pour quatre éléments). Le débat porte
ainsi sur l’hégémonie d’un sens ou d’un groupe de sens. Ici aussi, l’ordre
d’importance des sens suit celui des éléments. Dans cette quête mathématique,
les sens purs (vue, ouïe, odorat) s’affirment sur les sens moins nobles (toucher,
goût). L’appréciation à distance et le contact sensible font finalement de la
vue et du toucher deux sens prééminents chez Aristote 12. La focalisation de
l’anthropologie coloniale sur l’altérité et celle du romantisme sur l’émergence
du soi prolongent à leur manière ces débats. La hiérarchie sensorielle par la
qualité de noblesse semble particulièrement résistante, notamment chez Rilke
(commentateur des tapisseries de La Dame à la licorne), qui revient dans sa
correspondance sur les effusions de cœur chez Goethe.

E. D. : Rilke ne s’est pas aventuré dans l’interprétation, il en est resté à


la description très poétique. On peut comprendre qu’il ait été particulière-
ment ému et séduit par l’œuvre.

O. S. : Est-ce que la présence, dans les tapisseries, d’objets techniques


(orgue, miroir, bijoux…), d’animaux et de végétaux relève d’une interpré-
tation particulière ?

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E. D. : Cette végétation, ces fleurs printanières, roses, œillets, ont un sens


spirituel et charnel dans l’amour courtois et se placent dans la tradition
médiévale. Pour les animaux, les significations sont plus ambivalentes ; ils
sont emblèmes de la force, de la faiblesse, de la vaillance ou de la ruse,
d’une signification médiatique. Le lion et la licorne sont aussi des animaux
héraldiques. Les petits lapins restent des animaux symboles de fécondité,
même s’ils sont très ordinaires pour l’époque. La petite chevrette, les ani-
maux en vol, le chien… Il faut aussi se garder du symbolisme à outrance.

O. S. : Vous parlez des postures physiques des animaux qui renforcent


l’allégorie des sens…

E. D. : C’est indéniable, comme le singe qui renforce la signification de


l’odorat. Là aussi, il faut s’interroger sur les volontés des commanditaires
et concepteurs des œuvres.

O. S. : Y a-t-il eu d’autres tentatives de représentations allégoriques des


sens ?
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E. D. : Oui. Au Moyen Âge, goûter, humer sont des scènes présentées
dès le XIIIe siècle, notamment dans l’enluminure. L’article important sur
cette recherche est celui de Nordenfalk 13, qui place La Dame à la licorne
dans le contexte de ces autres allégories présentes depuis l’époque caro-
lingienne. La nouveauté au XVe siècle reste la figure féminine. La repré-
sentation existe souvent en accompagnement d’autres allégories, celle des
âges de l’humanité ou celle des vices et des vertus. Ce langage allégorique
se place dans un ensemble.

O. S. : Quelles sont les interprétations marquantes de l’hypothèse de ce


sixième sens ?

E. D. : La proposition de Jean-Patrice Boudet est celle qui a emporté le


plus l’adhésion. Elle a l’avantage de placer le sixième sens au sommet
de la progression. Elle s’appuie sur des textes qui avaient cours au
XVe siècle, développant une vision très moralisante. Boudet n’exclut pas
les interprétations plus poétiques, dans le sens de la littérature courtoise
médiévale, où l’amour est à la fois charnel et très idéalisé (chevaleresque).
La contextualisation de l’œuvre par les sources écrites littéraires du
Moyen Âge conforte cette interprétation.

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O. S. : Plus tard, on parlera de « sens internes », suite aux progrès réa-


lisés par la physiologie, la médecine, et avec l’essor de la psychologie.

E. D. : Michel Serres 14, lorsqu’il commente ces tapisseries, parle lui aussi
d’un sixième sens nécessaire. La pensée contemporaine va donc également
dans cette direction-là.

NOTES

1. Directrice du musée de Cluny et auteur de La Dame à la licorne, Paris, RMN, 2007.


2. A.F. Kendrick, « Quelques remarques sur les tapisseries de La Dame à la licorne du musée
de Cluny », in Actes du Congrès d’histoire de l’art, Paris, 1921, t. III, p. 662-666.
3. A. Erlande-Brandenburg, « La tenture de La Dame à la licorne conservée au musée de
Cluny », Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France, 1977, p. 165-179.
4. J.-P. Jourdan, « Le sixième sens et la théologie de l’amour », Journal des savants, 1996,
p. 137-160.
5. J.-P. Boudet, « La Dame à la licorne et ses sources médiévales d’inspiration », Bulletin de la
Société nationale des antiquaires de France, 1999, p. 61-78.
6. Jean Gerson (1363-1429), prédicateur, enseignant et théologien français.
7. La légende selon laquelle seule une jeune fille peut capturer une licorne est déjà relatée par le
Physiologos (IIe siècle de notre ère).
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8. Il s’agit d’un texte paru dans L’Illustration du 3 juillet 1847.
9. J. Joulietton, Histoire de la Marche et du pays de Combrailles, Guéret, 1814-1815, 2 vol.
(rééd. Aubusson, 2002).
10. R.M. Rilke, Les Carnets de Malte Laurids Bridge, Paris, Gallimard, 1991.
11. Voir notamment les travaux de N. Dias, La Mesure des sens. Les anthropologues et le corps
humain au XIXe siècle, Paris, Aubier, 2004.
12. G. Romeyer-Dherbey, « Voir et toucher. Le problème de la prééminence d’un sens chez Aris-
tote », Revue de métaphysique et de morale, no 4, 1991, p. 437-454.
13. C. Nordenfalk, « Qui a commandé les tapisseries dites de La Dame à la licorne ? », Revue de
l’art, no 55, 1982, p. 53-56 ; et surtout « Les cinq sens dans l’art du Moyen Âge », Revue de l’art,
no 34, 1976, p. 25-28.
14. M. Serres, Les Cinq Sens, Paris, Grasset, 1985.

RÉSUMÉ

Au XVe siècle, l’œuvre de La Dame à la licorne met en scène six tapisseries proposant une
allégorie des sens. Outre le toucher, l’ouïe, l’odorat, le goût et la vue, la sixième tapisserie représente
le sens du cœur venant couronner les cinq autres. L’impact de cette hiérarchie sensorielle connaît
un regain d’intérêt aux XIXe et XXe siècles dans nombre d’œuvres littéraires, de G. Sand à R.M. Rilke,
et reste sujette aux interprétations des historiens.

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Élisabeth Delahaye

SUMMARY

At the end of the 15th century, the work of the Dame with Unicorn is composed by six
tapestries representing an allegory of the senses. In addition to sound, feeling, sight, taste, and
smell, the sixth tapestry represents the heart which crowns the other senses. The order of the
senses is rediscovered in 19th and 20th centuries by writers like G. Sand or R.M. Rilke, and
focalized the sensorial turn in historical debates.
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