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EXPLIQUER LE REJET DE LA POLICE EN BANLIEUE : DISCRIMINATIONS,

« CIBLAGE DES QUARTIERS » ET RACIALISATION. UN ÉTAT DE L’ART

Guillaume Roux

Lextenso | « Droit et société »

2017/3 N° 97 | pages 555 à 568


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ISSN 0769-3362
ISBN 9782275029078
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe-2017-3-page-555.htm
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Question en débat

La police en banlieue
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Expliquer le rejet de la police en banlieue : discriminations,
« ciblage des quartiers » et racialisation.
Un état de l’art

Guillaume Roux
Laboratoire Pacte, Sciences Po Grenoble, Université Grenoble-Alpes - BP 48, F-38040 Grenoble cedex 9.
<guillaume.roux@umrpacte.fr>
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 Résumé Quels sont les ressorts du rejet de la police qui s’exprime, depuis plusieurs
décennies, dans les cités de banlieue ? Cet article propose un état de l’art, à
partir de travaux sur la France et d’autres pays (États-Unis, Royaume-
Uni…), issus de traditions de recherche qui, souvent, ne se rencontrent pas.
D’après le domaine d’étude des Attitudes toward the police (ATP studies),
l’image de la police est le produit des « contacts » avec les policiers et du
profilage racial. Au-delà de l’expérience individuelle, d’autres travaux docu-
mentent la construction collective d’un conflit, historiquement situé :
l’action policière produit des formes spécifiques de racialisation. Des caté-
gories se sentent ainsi visées sur la base d’une assignation raciale mais aussi
territoriale (ou spatio-raciale), laquelle les constitue en tant que « groupes à
risque ».
Groupe à risque – Identités – Police – Profilage – Race – Racisme – États-Unis –
France.

 Summary Explaining Hostility Toward the Police in the French Banlieues:


Discriminations, “Neighborhood Targeting,” and Racialization. A State
of the Art
What are the dynamics of minorities’ hostility toward the police in the
French banlieues or poor urban neighborhoods? This state of the art is based
on French and international studies (United States, United Kingdom…) from
different and often distant research traditions. For Attitudes toward the
police (ATP) studies, hostility toward the police mostly follows from indi-
vidual contact with the police and racial profiling. Beyond personal experi-
ence with police officers, other works document the collective construction
of an historical conflict: police action produces specific forms of racializa-
tion. Some groups feel themselves categorized and targeted on a racial as
well as territorial basis (i.e., spatio-racial) and singled out as an “at-risk
group.”
At-risk group – Hot spot policing – Identities – Police – Profiling – Race –
Racism – France – United States.

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G. ROUX

Introduction
Des émeutes aux « affaires » de violences policières, l’actualité des zones pauvres
urbaines témoigne de manière régulière, en particulier en France, de tensions entre
les policiers et la population 1. Un conflit 2 s’est noué, depuis plusieurs décennies,
entre certains habitants de la banlieue et la police, laquelle peut faire l’objet d’un
rejet radical. De quoi se nourrit l’hostilité qui s’exprime à l’égard de la police dans
les quartiers pauvres urbains, spécialement chez les membres des minorités 3 raciali-
sées ? Si aucun champ de recherche ne vise à répondre, précisément, à cette ques-
tion, plusieurs types de travaux peuvent être mobilisés : cet état de l’art vise à faire
dialoguer des analyses issues de différentes traditions qui, souvent, ne se rencon-
trent pas. Le détour par la littérature internationale, spécialement états-unienne,
apparaît d’autant plus nécessaire que les études de l’image de la police, et de ses
dimensions raciales et territoriales, y sont beaucoup plus développées qu’en France
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où ces travaux demeurent peu nombreux.
La tradition d’étude quantitative dominante des Attitudes toward the police
(ATP studies) opère un cadrage spécifique du problème. Nous verrons dans un
premier temps que le rejet de la police y est conçu comme « l’effet de variables »
individuelles, au premier rang desquelles les contacts personnels avec les policiers.
D’autres travaux, présentés dans la deuxième partie, se situent sur un plan différent
et mettent en évidence des mécanismes que l’approche par variables laisse souvent
échapper. Ces recherches interrogent la construction collective d’un antagonisme
minorités-police, inscrit dans des configurations socio-historiques spécifiques. Le
rapport minorités-police est ici pensé en termes de racialisation, un processus
socio-historique de construction de la « race » comme catégorie mentale 4. Dans
cette perspective, le sentiment que la police cible et stigmatise des groupes selon
un critère racial mais aussi territorial (appartenance aux quartiers pauvres urbains)
apparaît déterminant. La police est vue au prisme d’une double appartenance,
indissociablement raciale et territoriale. À la perception d’actions policières visant
spécifiquement les minorités de banlieue répondent des modes d’identification
spatio-raciaux, qui se nourrissent des griefs à l’endroit de la police, et les perpé-
tuent. Pour finir, nous reviendrons sur le poids des discriminations policières et la
question du droit. À côté du comportement discrétionnaire des policiers et des
contrôles « au faciès », nous interrogerons l’idée d’un « ciblage policier de la banlieue

1. Je remercie François Bonnet et Thierry Delpeuch, ainsi que Laurence Dumoulin et les évaluateurs de
Droit et Société, pour leurs commentaires constructifs. Merci également à Marieke Louis et Jean-François
Mignot pour leur lecture critique.
2. Un conflit politique : qui oppose des groupes au sens large et implique l’État comme partie, enjeu ou arbitre :
Patrice CANIVEZ, « Qu’est-ce qu’un conflit politique ? », Revue de métaphysique et de morale, 58, 2008, p. 163-175.
3. Au sens de Louis Wirth : catégorie « de moindre pouvoir dans le système social » et souvent « de moindre
nombre ». Voir Colette GUILLAUMIN, « Sur la notion de minorité », L’Homme et la société, 77-78, 1985, p. 101-109
(p. 101).
4. La notion de race, employée ici au sens anglo-américain, désigne une construction sociale – la notion
d’ethnicité, qui lui sert dans certains travaux de substitut, ne renvoie pas exactement aux mêmes phéno-
mènes. Voir Michael OMI et Howard WINANT, Racial Formation in the United States: From the 1960’s to the
1990’s, New-York : Routledge, 2014.

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et de ses minorités », à partir de la notion de « groupe à risque ». Celle-ci permet en


effet d’éclairer les phénomènes spatio-raciaux qui nourrissent le rejet de la police.

I. Les Attitudes toward the police studies : variables individuelles, « justice


procédurale » et effet des contacts avec les policiers
Aux États-Unis et au Royaume-Uni, la plupart des études sur l’image de la police
relèvent des ATP studies, qui ont connu un développement considérable depuis le
milieu du XXe siècle 5. Elles désignent, dans le champ de la criminologie, une tradi-
tion d’études quantitatives (enquêtes d’opinion) des perceptions de la police. En
France, il n’existe quasiment pas de travaux qui en relèvent. Quelques études récentes
permettent néanmoins de caractériser, à partir d’enquêtes d’opinion, le contexte
français d’un conflit minorités-police 6. En France comme aux États-Unis, la con-
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fiance constitue l’attitude la plus souvent exprimée vis-à-vis de la police, même chez
les membres des minorités racialisées dans les zones pauvres urbaines. Cependant, la
défiance est nettement plus fréquente chez les minorités racialisées, et elle s’accroît
encore chez celles qui vivent en banlieue. De plus, le rejet de la police chez ces
minorités va bien au-delà des jeunes ou de ceux qui « tiennent les murs » (ce que mon-
trent aussi pour la France des travaux qualitatifs ne relevant pas des ATP studies 7).
En outre, la différence majorité/minorités raciales est encore plus forte en ban-
lieue 8. La police est la seule institution publique qui suscite davantage de défiance
chez les minorités racialisées (par comparaison avec la justice, l’école, le gouver-
nement, etc.). Les tensions entre certains « jeunes de cité » et la police s’inscrivent
donc sur fond d’un antagonisme beaucoup plus général.

I.1. « L’effet de la race », résultat d’un traitement policier inéquitable ?


Les théories de la justice procédurale (procedural justice)
Les ATP studies ont mis au jour le poids de l’appartenance raciale : les membres
des minorités racialisées (surtout les Noirs aux États-Unis) ont une moins bonne
image de la police. Le résultat vaut toutes choses égales par ailleurs 9 : c’est bien la

5. Ben BROWN et Reed BENEDICT, « Perceptions of the Police: Past Findings, Methodological Issues, Conceptual
Issues and Policy Implications », Policing: An International Journal of Police Strategies & Management,
25 (3), 2002, p. 543-580.
6. Sebastian ROCHÉ et Guillaume ROUX, « The “Silver Bullet” to Good Policing: A Mirage. An Analysis of the
Effects of Political Ideology and Ethnic Identity on Procedural Justice », Policing: An International Journal of
Police Strategies & Management, 40, 2017, p. 514-528 ; Sebastian ROCHÉ, De la police en démocratie, Paris :
Grasset, 2016 ; Guillaume ROUX, « Perception of Police Unfairness Amongst Stigmatized Groups: The Impact
of Ethnicity, Islamic Affiliation and Neighborhood », in Mike HOUGH et Sebastian ROCHÉ (eds.), Social Cohesion,
Youth and Crime in Europe, Springer (à paraître).
7. Marwan MOHAMMED et Laurent MUCCHIELLI, « La police dans les “quartiers sensibles” : un profond
malaise », in Laurent MUCCHIELLI et Véronique LE GOAZIOU, Quand les banlieues brûlent... : retour sur les
émeutes de novembre 2005, Paris : La Découverte, 2007, p. 104-125 ; Abdellali HAJJAT, « Révolte des quartiers
populaires, crise du militantisme et postcolonialisme », in Ahmed BOUBEKER et Abdellali HAJJAT (dir.), Histoire
politique des immigrations (post)coloniales, Paris : Éditions Amsterdam, 2008, p. 249-264.
8. Sebastian ROCHÉ et Guillaume ROUX, « The “Silver Bullet” to Good Policing: A Mirage », op. cit.
9. Pour un état de l’art : Jennifer H. PECK, « Minority Perceptions of the Police: A State-of-the-Art Review »,
Policing: An International Journal of Police Strategies & Management, 38 (1), 2015, p. 173-203.

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G. ROUX

race qui est ici opérante, plutôt que d’autres variables sociodémographiques surre-
présentées chez les minorités raciales (par exemple : si les jeunes ont une moins
bonne image de la police et que les membres des minorités sont en moyenne plus
jeunes, la race pourrait refléter simplement l’effet de l’âge).
Pour expliquer « l’effet racial », l’attention a été portée sur le rôle des contacts
avec les policiers. Ce choix est lié au développement, depuis les années 1970, des
théories de la justice procédurale (procedural justice) : les procédures policières
jugées inéquitables (unfair process), dans le cadre de « mauvaises expériences »
avec les policiers (negative contacts), nourriraient la défiance. C’est le cas spéciale-
ment lorsque les policiers sont jugés partiaux, favorisant certaines catégories 10. Le
plus souvent, les contacts non désirés avec les policiers sont jugés négatifs, non
conformes à l’idée de justice procédurale. Ainsi, les ATP dépendraient davantage de
l’équité de la police (logique normative) que de son efficacité (logique instrumentale).
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À partir des déclarations des enquêtés, les ATP studies montrent que les
membres des minorités racialisées ont davantage de contacts avec les policiers
(spécialement des contrôles d’identité), et s’estiment plus souvent traités, lors de
ces contacts, de façon partiale. Cela explique pour partie l’effet de la race sur les
ATP 11. Ainsi dans une étude typique, Tom Tyler 12, figure de la procedural justice
theory, propose de vérifier l’« universalité » de cette théorie, en montrant qu’elle
s’applique aux Noirs autant qu’aux Blancs. Il s’intéresse moins aux opinions expri-
mées vis-à-vis de la police qu’aux « attitudes latentes » (mesurées au moyen d’indices
synthétiques regroupant plusieurs questions) : les jugements concernant l’équité
procédurale des policiers (procedural fairness) « déterminent » la confiance dans la
police (trust in the police), ceci pour chaque groupe racial.
Différente est la recherche de Ronald Weitzer et Steven Tuch 13 (États-Unis), qui
visent à expliquer les différences raciales, considérant pour cela des opinions pré-
cises (ce qui n’est pas la règle dans ce champ d’étude). Ainsi, 40 % des Noirs disent
avoir vécu un profilage racial ; seuls 36 % des Blancs considèrent que les policiers
traitent moins bien les Noirs, contre 70 % de ceux-ci ; 37 % des Noirs ont une mau-
vaise image de la police de leur zone, contre seulement 13 % des Blancs. Et les Noirs
ayant fait l’expérience du profilage racial se défient davantage de la police. Mais
quelle que soit l’étude, les variables associées aux « contacts » n’expliquent pas
complètement le poids de la race sur les attitudes à l’égard de la police.

10. Jason SUNSHINE et Tom R. TYLER, « The Role of Procedural Justice and Legitimacy in Shaping Public
Support For Policing », Law & Society Review, 37 (3), 2003, p. 513-548.
11. John HAGAN, Carla SHEDD et Monique R. PAYNE, « Race, Ethnicity, and Youth Perceptions of Criminal
Injustice », American Sociological Review, 70 (3), 2005, p. 381-407 ; sur l’expérience subjective du profilage
racial : Joseph A. SCHAFER, Beth M. HUEBNER et Timothy S. BYNUM, « Citizen Perceptions of Police Services:
Race, Neighborhood Context, and Community Policing », Police Quarterly, 6 (4), 2003, p. 440-468.
12. Tom R. TYLER, « Policing in Black and White: Ethnic Group Differences in Trust and Confidence in the
Police », Police Quarterly, 8 (3), 2005, p. 322-342.
13. Ronald WEITZER et Steven A. TUCH, « Race, Class, and Perceptions of Discrimination by the Police »,
Crime and Delinquency, 45 (4), 1999, p. 494-507.

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Expliquer le rejet de la police en banlieue : discriminations, « ciblage des quartiers » et racialisation. Un état de l’art

I.2. Un « effet quartier » : la race et les zones pauvres urbaines


Les ATP studies se sont intéressées tardivement, et de façon limitée, à un « effet
quartier » renvoyant, selon les auteurs, à différentes variables et théories 14. Les
habitants des quartiers pauvres urbains ont une moins bonne image de la police,
surtout quand ils sont membres des minorités 15. Là encore, une explication ren-
voie aux théories de la justice procédurale : les minorités vivant dans les zones
pauvres urbaines déclarent davantage de contacts négatifs avec les policiers. D’après
R. Weitzer et S. Tuch 16, les enquêtés qui s’estiment victimes de méconduites poli-
cières (insultes, brutalités...) habitent plus souvent des quartiers « dégradés »
(d’après le niveau perçu de criminalité, et le sentiment d’insécurité). Cependant, si
30 % des Noirs et 23 % des Latinos, contre seulement 7 % des Blancs, estiment que
la police abuse de la force dans leur quartier, « l’effet quartier » n’annule pas celui
de l’appartenance raciale – la quasi-totalité des études comparables faisant le
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même constat 17. De même, les « contacts » n’expliquent pas complètement « l’effet
quartier », dont l’interprétation demeure spéculative 18. Ainsi, R. Weitzer et S. Tuch
avancent, sans pouvoir le démontrer, que la police fait planer sur les minorités des
quartiers pauvres un « filet de suspicion » expliquant la défiance à son endroit.
À l’échelle européenne, les ATP studies, qui portent surtout sur le cas britan-
nique, confirment le poids de la race et celui du quartier, qui est lié partiellement
aux « contacts ». Au-delà des contacts, des études mettent au jour d’autres méca-
nismes contribuant à l’idée que la police n’est pas racialement neutre. Ainsi Maarten
Van Craen 19, à partir du cas belge, se demande si le sentiment de discrimination
par la société « dans son ensemble » (at large, mesuré par le fait de s’être senti
l’objet de discriminations dans les six derniers mois) affecte la confiance dans la
police (trust in the police). Les membres des minorités (Turcs et Marocains) parta-
geant ce sentiment se défient davantage de la police (ceci toutes choses égales par
ailleurs). Ainsi, les personnes pensant appartenir à un groupe discriminé estime-
raient que les grandes institutions de l’État, comme la police, autorisent l’existence
de discriminations en ne les combattant pas (partant de l’idée qu’elles auraient les

14. Parmi lesquelles la composition sociale du quartier, l’insécurité perçue dont la police est rendue res-
ponsable, ou le rejet dans certains quartiers des normes légales (legal cynicism) : Michael REISIG et Roger
PARKS, « Experience, Quality of Life, and Neighborhood Context: A Hierarchical Analysis of Satisfaction With
Police », Justice Quarterly, 17 (3), 2000, p. 607-630.
15. Amie M. SCHUCK, Dennis P. ROSENBAUM et Darnell F. HAWKINS, « The Influence of Race/Ethnicity, Social
Class, and Neighborhood Context on Residents’ Attitudes Toward the Police », Police Quarterly, 11 (4),
p. 496-519 ; Joseph A. SCHAFER, Beth M. HUEBNER et Timothy S. BYNUM, « Citizen Perceptions of Police
Services: Race, Neighborhood Context, and Community Policing », art. cité.
16. Ronald WEITZER, et Steven A. TUCH, « Race and Perceptions of Police Misconduct », Social Problems,
51 (3), 2004, p. 305-325.
17. Pour de rares exceptions : Jennifer H. PECK, « Minority Perceptions of the Police: A State-of-the-Art
Review », art. cité.
18. Comme le notent Joseph A. SCHAFER, Beth M. HUEBNER et Timothy S. BYNUM, « Citizen Perceptions of
Police Services: Race, Neighborhood Context, and Community Policing », art. cité.
19. Maarten VAN CRAEN, « Explaining Majority and Minority Trust in the Police », Justice Quarterly, 30 (6),
2013, p. 1042-1067.

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G. ROUX

moyens, si tel était leur souhait, d’y mettre fin) 20. Cela ne permet cependant pas
d’expliquer que la police soit la seule institution publique pour laquelle la défiance est
nettement plus élevée chez les membres des minorités racialisées (voir ci-dessus).
D’une manière générale, malgré des tentatives récentes 21, les ATP studies se
sont très peu intéressées au sentiment subjectif d’appartenance raciale. Comment
l’identification au groupe racialisé influence-t-elle la perception de la police ? De
plus, dans les enquêtes d’opinion, les jugements concernant l’équité de la procé-
dure policière sont le fait d’individus qui, pour la plupart, n’ont eu aucun contact
avec des policiers 22 : il existe un décalage entre la théorie de la justice procédurale
(les jugements en termes d’équité sont censés dériver de l’expérience personnelle)
et ce qui est mesuré. Qu’est-ce qui fonde alors, si ce n’est forcément l’expérience
des « contacts », le rejet de la police et le sentiment d’inéquité raciale ?
L’appartenance à une catégorie stigmatisée – groupe racialisé ou groupement
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défini en termes de zone « sensible » – peut constituer un prisme de perception du
monde. Ainsi, des travaux interrogent la production d’une image spécifique de la
police chez les minorités des quartiers pauvres urbains, dans des cadres qui sont
propres à ce groupement. Ils sont le résultat de processus collectifs, historiquement
situés : on passe ainsi de la race et du quartier comme « variables » dont l’effet
s’additionne, à la construction socio-historique de prismes spatio-raciaux (ou ethno-
territoriaux). L’idée d’une expérience collective de la police interroge, au-delà des
« contacts », l’existence d’un « ciblage policier de la banlieue » et de ses minorités.

II. La construction collective d’un antagonisme minorités-police


Des travaux issus de différents champs d’étude, et qui ne relèvent plus des ATP
studies, éclairent la construction d’un antagonisme minorités-police dans les zones
pauvres urbaines. Il est pensé ici en termes de racialisation (identification et stig-
matisation raciale). De même, on peut évoquer des phénomènes de « territorialisa-
tion » : identification au quartier, et stigmatisation – notamment policière – des
minorités de banlieue.

II.1. Police et racialisation


Image racialisée de la police et contexte national
Selon David Smith, les membres des minorités racialisées font une expérience avant
tout collective de la police (« l’expérience du groupe » 23). La mémoire nationale des
antagonismes minorités-police en constitue un aspect : elle renvoie, aux États-Unis, à la
traite des Noirs et à la ségrégation raciale 24 (lorsqu’ils évoquent les discriminations, les

20. Maarten VAN CRAEN et Wesley G. SKOGAN, « Differences and Similarities in the Explanation of Ethnic
Minority Groups’ Trust in the Police », European Journal of Criminology, 2015, p. 300-323.
21. Ben BRADFORD, « Policing and Social Identity: Procedural Justice, Inclusion and Cooperation Between
Police and Public », Policing and Society, 24 (1), 2014, p. 22-43.
22 Pour une période de référence de 12 à 24 mois.
23 David J. SMITH, « The Origins of Black Hostility to the Police », Policing and Society, 2 (1), 1991, p. 1-15 (p. 14).
24. Sandra BASS, « Policing Space, Policing Race: Social Control Imperatives and Police Discretionary
Decisions », Social Justice, 28 (1), 2001, p. 156-176.

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Expliquer le rejet de la police en banlieue : discriminations, « ciblage des quartiers » et racialisation. Un état de l’art

Noirs-américains mobilisent spontanément ces thèmes 25). En France, il existe une


« mémoire militante » du massacre, par les forces de police, des manifestants algé-
riens du 17 octobre 1961 26. De même, les « affaires » plus récentes donnant à soup-
çonner un racisme policier alimentent « l’expérience collective » : aux États-Unis, la
célèbre affaire Rodney King a affecté l’image de la police chez les minorités 27 – la
France connaissant régulièrement de telles affaires (voir ci-dessous). Un cadrage
peut ainsi opérer où il s’agit de savoir si on est dans le camp de la police ou des
minorités 28 (il vaut aussi pour les Blancs, dont certains peuvent soutenir la police
en raison de son racisme présumé 29). Ainsi, le sentiment subjectif d’appartenance
raciale encourage la défiance envers la police, qui tend à être vue comme
l’adversaire du groupe 30.

Co-construction de la race et d’un antagonisme minorités-police


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Plus qu’une relation causale, on peut évoquer une co-construction de l’apparte-
nance raciale et d’un antagonisme minorités-police. À partir d’archives, Edward
Escobar 31 montre comment, à Los Angeles, la catégorie raciale de Chicanos (Mexicain-
Américain) se construit dans le rapport minorités-police. Celui-ci n’est pas d’emblée
hostile. Il commence à le devenir dans les années 1930 : l’activisme syndical des im-
migrés mexicains fait l’objet d’une sévère répression policière. Dans les années 1940,
plusieurs facteurs contribuent à l’idée, dans la police, que la « race mexicaine »
serait criminogène : les théories de la criminologie naissante ; une lecture spé-
cieuse, par les policiers, de leurs propres statistiques ; et des considérations budgé-
taires (le thème rencontre un écho chez les financeurs).
Dans ce contexte, les jeunes Chicanos qui portent le costume zuit – manifestant
l’appartenance à une culture « rebelle » – focalisent l’attention de la police comme
de l’opinion. L’émeute de juin 1943 voit des militaires, que rejoignent civils et poli-
ciers, traquer les zuit suiters, qui sont déshabillés et passés à tabac. La police laisse
faire. Au final, elle a « changé la manière dont la société définit la race » (p. 6), syno-
nyme de déviance. Elle a suscité, en réaction, un fort sentiment identitaire chez les
Chicanos, qui se sont mobilisés politiquement. Le rejet de la police, aujourd’hui, au
sein du groupe est analysé par E. Escobar comme le fruit de cette histoire.

25. Michèle LAMONT, Graziella Moraes SILVA, Jessica WELBURN et al., Getting respect: Responding to Stigma
and Discrimination in the United States, Brazil, and Israel, Princeton : Princeton University Press, 2016.
26. Abdellali HAJJAT, La marche pour l’égalité et contre le racisme, Paris : Éditions Amsterdam, 2013.
27. James R. LASLEY, « The Impact of the Rodney King Incident on Citizen Attitudes Toward Police », Polic-
ing and Society: An International Journal, 3 (4), 1994, p. 245-255.
28. Le slogan accompagnant les manifestations de policiers de l’automne 2016, Touche pas à ma police !,
fait ainsi écho au fameux slogan antiraciste Touche pas à mon pote ! Implicitement, les membres des mino-
rités racialisées et la police sont ainsi renvoyés dos à dos.
29. Brenda L. VOGEL, « Perceptions of the Police: The Influence of Individual and Contextual Factors in a
Racially Diverse Urban Sample », Journal of Ethnicity in Criminal Justice, 9 (4), 2011, p. 267-290.
30. Matthew MILLINGS, « Policing British Asian Identities. The Enduring Role of the Police in Young British
Asian Men’s Situated Negotiation of Identity and Belonging », British Journal of Criminology, 53 (6), 2013,
p. 1075-1092.
31. Edward J. ESCOBAR, Race, Police, and the Making of a Political Identity: Mexican Americans and the Los
Angeles Police Department, 1900-1945, Berkeley : University of California Press, 1999.

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G. ROUX

De même, David Smith 32 estime que pour les Noirs britanniques, « la relation
antagoniste à la police constitue un élément d’une identité noire » 33. Les frontières
raciales se construisent dans le rapport à une entité perçue comme hostile 34. Pour
que naisse le sentiment d’une police hostile, l’expérience directe des méconduites
policières n’est pas indispensable ; quand cette expérience existe, elle est vue au
travers d’une « mémoire » de la police.

II.2. Police – minorités – banlieue : la singularité territoriale d’un conflit


Pour les ATP studies, le rejet de la police par les minorités est plus intense dans
les zones pauvres urbaines. On ignore s’il y prend des formes spécifiques qui pour-
raient renvoyer – par delà « l’effet de variables universelles » – à des phénomènes
singuliers : ainsi du « ciblage policier de la banlieue » et de minorités qui sont vues
comme « à risque ». D’autres recherches, plus qualitatives, apportent des éléments
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de réponse à cette question.

La police perçue à partir d’une appartenance spatio-raciale


Dans les zones pauvres urbaines, les identités qui se construisent dans le rap-
port à la police ne sont pas seulement raciales, mais spatio-raciales 35 (ou ethno-
territoriales 36). À partir d’entretiens, Matthew Millings 37 montre comment la police
participe de la construction identitaire des jeunes Asians britanniques (originaires du
Pakistan ou du Bangladesh) dans un quartier pauvre. Au-delà des policiers qu’ils
côtoient, c’est la police comme organisation qui se voit critiquée, en tant qu’elle les
désigne comme « menace culturelle » (la notion de racisme institutionnel, passée dans
le langage courant, est mobilisée à l’appui de cette critique). Ce sentiment encourage
l’identification comme Asians et membres du « N-O-H » (pour neighborhood : terme
utilisé pour désigner le quartier), la référence au quartier étant omniprésente. En
ré-interrogeant une partie de son corpus près de vingt ans plus tard, M. Millings
montre la force de ces identités.
De même, partant d’une vaste enquête ethnographique, Sebastián Sclofsky 38
montre que les « non Blancs » vivant dans les quartiers pauvres de Los Angeles et de
São Paulo dénoncent les discriminations policières en tant que Noirs et originaires

32. David J. SMITH, « The Origins of Black Hostility to the Police », art. cité, p. 14.
33. À l’instar de Matthew MILLINGS, « Policing British Asian Identities », art. cité ; pour les États-Unis :
Sebastián SCLOFSKY, « Policing Race in Two Cities: From Necropolitical Governance to Imagined Communi-
ties », Journal of Social Justice, 6, 2016, p. 1-24 (les références sont ici moins nombreuses qu’en ce qui
concerne les « contacts » pour les ATP studies, les études qualitatives étant moins développées).
34. Philippe POUTIGNAT et Jocelyne STREIFF-FENART, Théories de l’ethnicité, Paris : PUF, 1995.
35. Les travaux cités, hormis l’article pour la France, ne mobilisent pas directement cette notion.
36. Matthew MILLINGS, « Policing British Asian Identities », art. cité ; pour les États-Unis : Sebastián
SCLOFSKY, « Policing Race in Two Cities: From Necropolitical Governance to Imagined Communities », art.
cité ; pour la France : Guillaume ROUX et Sebastian ROCHÉ, « Police et phénomènes identitaires dans les
banlieues : entre ethnicité et territoire. Une étude par focus groups », Revue française de science politique,
66 (5), 2016, p. 729-750.
37. Ibid.
38. Sebastián SCLOFSKY, « Policing Race in Two Cities: From Necropolitcal Governance to Imagined Com-
munities », art. cité.

562  Droit et Société 97/2017


Expliquer le rejet de la police en banlieue : discriminations, « ciblage des quartiers » et racialisation. Un état de l’art

« de la périphérie ». D’après eux, « quand tu es Noir et vis dans cette partie de la


ville, les règles sont différentes » (p. 15). Dans chaque ville, la suspicion policière a
convaincu des individus qui s’identifiaient comme Blancs d’assumer une identité
noire (individus dont le faciès est dans un « entre-deux »). Et l’émergence, sur
chaque terrain, d’une lutte politique contre les discriminations policières participe
du travail identitaire.
Ainsi la police, par son action, encourage l’identification spatio-raciale, la défiance
à son endroit devenant une composante de cette « identité ». Race et territoire,
comme référents identitaires, sont indissociablement mêlés : la stigmatisation
territoriale tend à se confondre avec l’expérience de la race ; de même, le territoire
stigmatisé est vu comme racialement marqué. Il fait lui-même l’objet d’une raciali-
sation 39, d’autres travaux illustrant la saillance du quartier pauvre urbain comme
référent identitaire racialisé en France 40 ou au Royaume-Uni 41.
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Des griefs spécifiques aux « quartiers » : le rejet d’un « ciblage de la banlieue » ?
Si les monographies françaises des cités de banlieue 42 ne traitent pas principa-
lement du rapport à la police 43, elles renseignent sur les griefs qui lui sont adressés
– lesquels restent peu documentés 44. Les jeunes qui « traînent en bas des tours » 45
dénoncent couramment les contrôles « au faciès » et le racisme policier 46. Mais
certains se sentent avant tout ciblés comme membres du quartier 47. De plus, les
griefs exprimés de manière principale ne renvoient pas forcément à l’expérience

39. Sarah NEAL, Katy BENNET, Allan COCHRANE et Giles MOHAN, « Living Multiculture: Understanding the
New Spatial and Social Relations of Ethnicity and Multiculture in England », Environment and Planning, 31,
2013, p. 308-323.
40. Camille HAMIDI, « Catégorisations ethniques ordinaires et rapport au politique », Revue française de
science politique, 60 (4), 2010, p. 719-743 ; Paul KIRKNESS, « The cités Strike Back: Restive Responses to Terri-
torial Taint in the French Banlieues », Environment and Planning, 46 (6), 2014, p. 1281-1296 ; Frédérick
DOUZET et Jérémy ROBINE, « Les jeunes ‘‘des banlieues’’: Neighborhood Effects on the Immigrant Youth
Experience in France », Journal of Cultural Geography, 32 (1), 2015, p. 40-53.
41. Tom SLATER et Ntsiki ANDERSON, « The Reputational Ghetto: Territorial Stigmatisation in St Paul’s,
Bristol », Transactions of the Institute of British Geographers, 37 (4), 2012, p. 530-546.
42. Marwan MOHAMMED, La formation des bandes : entre la famille, l’école et la rue, Paris : PUF, 2011 ;
Thomas SAUVADET, Le capital guerrier : solidarité et concurrence entre jeunes de cité, Paris : Armand Colin,
2006 ; Didier LAPEYRONNIE, Ghetto urbain. Ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd’hui, Paris :
Robert Laffont, 2008.
43. Mais voir Éric MARLIÈRE, La France nous a lâchés. Le sentiment d’injustice chez les jeunes des cités, Paris :
Fayard, 2008 ; ID., Jeunes en cité : diversité des trajectoires ou destin commun ?, Paris : L’Harmattan, 2005 ;
Manuel BOUCHER, Casquettes contre képis. Enquête sur la police de rue et l’usage de la force dans les quartiers
populaires, Paris : L’Harmattan, 2013 ; ID., Les internés du ghetto. Ethnographie des confrontations violentes
dans une cité impopulaire, Paris : L’Harmattan, 2010.
44. D’après Éric MARLIÈRE, « La police et les “jeunes de cité” », Agora débats/jeunesses, 39 (1), 2005, p. 94-104.
45. Lesquels représentent une fraction minoritaire de la jeunesse des cités : Thomas SAUVADET, Le capital
guerrier : solidarité et concurrence entre jeunes de cité, op. cit. (les attitudes des autres jeunes comme des
autres habitants de ces zones étant dans l’ensemble moins documentées).
46. Manuel BOUCHER, Casquettes contre képis, op. cit. ; Didier LAPEYRONNIE, Ghetto urbain, op. cit. ; Éric
MARLIÈRE, La France nous a lâchés, op. cit.
47. Didier LAPEYRONNIE, Ghetto urbain, op. cit. Pour les États-Unis : Jacinta M. GAU et Rod K. BRUNSON,
« Procedural Justice and Order Maintenance Policing: A Study of Inner-City Young Men’s Perceptions of
Police Legitimacy », Justice Quarterly, 27 (2), 2010, p. 255-279.

Droit et Société 97/2017  563


G. ROUX

directe de méconduites policières ou de contrôles « au faciès » : c’est l’action de la


police au sein du quartier ou de la banlieue en général qui se voit critiquée.
D’après Éric Marlière 48, qui prolonge les conclusions d’une vaste enquête par
observations et entretiens, les reproches adressés à la police, quand ils sont liés à
l’expérience des « contacts », mêlent provocations verbales, discriminations, vio-
lences, contrôles et fouilles à répétition. De tels actes viseraient, selon les enquêtés,
à « faire peur et humilier les habitants des “quartiers sensibles” » (sentiment que
partagent « jeunes turbulents », jeunes diplômés du supérieur et « honnêtes sala-
riés » ; p. 40, souligné par nous). Des événements plus rares – retraités indûment
menottés, mères de famille « gazées » – marquent durablement les esprits, ravivant
une « mémoire collective » de la police (p. 43). Cette dernière fait figure « d’ennemi
irréductible » (p. 42), conséquence d’un conflit installé depuis au moins trois décen-
nies. L’État y est vu comme partie prenante d’une gestion policière de la banlieue,
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profondément injuste.
Ainsi la police, comme acteur collectif, se voit couramment attribuer des inten-
tions hostiles : « humilier » ou « occuper le terrain » et asseoir sans le dire une domina-
tion 49. Les « descentes policières musclées », les patrouilles en tenue « Robocop » 50
ou la « sur-présence » policière (quand elle existe 51) produisent le sentiment que la
police distingue et stigmatise la banlieue (et implicitement : les minorités raciali-
sées qui en sont issues). Par ses actes, qui n’ont pas cours dans le « centre ville »,
elle désigne les minorités qui y vivent comme « problématiques » – donnant le sen-
timent de faire peser sur elles une forme surveillance 52. Ce sont donc les actions
mais aussi les intentions imputées à la police qui se voient dénoncées. Au bout du
compte, l’idée d’un « ciblage policier de la banlieue » et de ses minorités apparaît
structurante : les discours sur le racisme policier, quand ils sont saillants (ce qui
n’est pas toujours le cas 53), se mêlent couramment à la dénonciation d’un ciblage
des « quartiers ». Les intentions attribuées à la police participent de son image,
laquelle peut circuler sous forme d’une « mémoire » 54.

48. Éric MARLIÈRE, « La police et les “jeunes de cité” », art. cité.


49. Manuel BOUCHER, Casquettes contre képis, op. cit. ; Éric MARLIÈRE, La France nous a lâchés, op. cit.
50. Protections lourdes évoquant un univers guerrier.
51. Sur les différences entre cités de banlieue : Didier LAPEYRONNIE et Michel KOKOREFF, Refaire la cité,
Paris : Seuil, 2013.
52. Manuel BOUCHER, Casquettes contre képis, op. cit. ; Guillaume ROUX et Sebastian ROCHÉ, « Police et
phénomènes identitaires dans les banlieues : entre ethnicité et territoire. Une étude par focus groups », art.
cité.
53. De plus, il faudrait préciser tout ce que peut recouvrir, pour les enquêtés qui l’emploient, le terme
« attrape-tout » de racisme.
54. Si le contexte états-unien diffère, il existe d’importantes concordances : sur la transmission d’une
mémoire, voir Rod K. BRUNSON et Ronald WEITZER, « Negotiating Unwelcome Police Encounters: The Inter-
generational Transmission of Conduct Norms », Journal of Contemporary Ethnography, 40 (4), 2011, p. 425-456.
Sur le sentiment, chez les minorités, de faire l’objet d’une surveillance policière en tant que groupe « pro-
blématique » ou « à risque » : Alice GOFFMAN, On the Run: Fugitive Life in an American City, Chicago : Uni-
versity of Chicago Press, 2015 ; Elisabeth HINTON, From the War on Poverty to the War on Crime. The Making
of Mass Incarceration in America, Massachusetts : Harvard University Press, 2016 ; Tammy R. KOCHEL,
« Constructing Hot Spot Policing : Unexamined Consequences for Disadvantaged Populations and for
Police Legitimacy », Criminal Justice Policy Review, 22 (3), 2010, p. 350-374.

564  Droit et Société 97/2017


Expliquer le rejet de la police en banlieue : discriminations, « ciblage des quartiers » et racialisation. Un état de l’art

Le ciblage policier de la banlieue et de ses minorités


Au bout du compte, si le quartier et la race, comme cadres d’interprétation du
monde, médiatisent l’expérience avec la police, l’image de celle-ci dépend largement
de la réalité de l’action policière à différents niveaux. Ainsi, on a vu que les « contacts »
encourageaient la défiance. Et le sentiment répandu, chez les minorités, d’un profi-
lage racial renvoie à la réalité des discriminations policières, sous forme de contrôles
« au faciès » 55. Au Royaume-Uni, dans le cadre de l’affaire Stephen Lawrence 56, les
autorités publiques ont reconnu, dans le rapport Macpherson, l’existence d’un
racisme institutionnel au sein de la police. En France, des violences graves ou des
décès ont donné régulièrement à soupçonner un racisme policier 57 : ainsi des affaires
Malik Oussekine 58 ou, plus récemment, Adama Traoré 59.
De même, la dénonciation d’un « ciblage des quartiers » invite à questionner le
policing de la banlieue. À partir des années 1980, l’action policière se focalise de
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plus en plus sur les « violences urbaines », c’est-à-dire sur les cités de banlieue 60.
Sont ainsi créées les brigades anti-criminalité (BAC, début des années 1990), les
unités territoriales de quartier (UTEQ, 2008) puis les brigades spécialisées de terrain
(BST, 2010) : brigades spécialisées sur ces zones, elles témoignent d’un traitement
différencié, concentrant les critiques en leur sein. À ce ciblage qui s’adosse au zonage
de la politique de la ville 61 correspond, pour les policiers qui opèrent dans ces
quartiers, une perception de la banlieue comme territoire appelant une action
spécifique 62. Il s’agit ainsi « d’occuper le terrain », de « tenir le quartier » ou encore
« d’imposer une présence » 63.
Pour les policiers, les représentations négatives du quartier se reportent facile-
ment sur sa population, ceci bien au-delà d’un « noyau délinquant » 64. Dans une

55. René LÉVY et Fabien JOBARD, « Les contrôle d’identité à Paris », Questions pénales, 23 (1), 2010, p. 1-4.
56. Le 22 avril 1993, ce jeune Noir britannique, agressé sans raison apparente par un groupe d’hommes
blancs, meurt de deux coups de couteau. L’enquête policière qui s’ensuit est jugée malhonnête et raciale-
ment biaisée.
57. Entre 1970 et 1997, on peut estimer à 130 environ le nombre d’actes dénoncés comme crimes policiers
racistes, soit près de 20 % des crimes perçus comme racistes : Rachida BRAHIM, La race tue deux fois. Particula-
risation et universalisation des groupes ethniquement minorisés dans la France contemporaine, 1970-2003,
thèse de doctorat en sociologie, Université d’Aix-Marseille, 2017. On sait que la réalité des faits reste le plus
souvent polémique. La fréquence des actes policiers racistes est difficile à connaître et peu étudiée.
58. Le 6 décembre 1986, ce jeune franco-algérien est pris en chasse par des policiers qui tentent de disper-
ser des manifestants. Passé à tabac, il meurt peu de temps après à l’hôpital.
59. Le 19 juillet 2016, ce jeune homme noir meurt à la suite de son interpellation par des gendarmes,
soupçonnés de l’avoir involontairement asphyxié en le maîtrisant, et de ne pas lui avoir porté assistance.
60. François DIEU, Politiques publiques de sécurité, Paris : L’Harmattan, 1999 ; Laurent MUCCHIELLI, « L’expertise
policière de la “violence urbaine”, sa construction intellectuelle et ses usages dans le débat public français »,
Déviance et Société, 24 (4), 2000, p. 351-375.
61. Mustafa DIKEÇ, « Space, Governmentality, and the Geographies of French Urban Policy », European
Urban and Regional Studies, 14 (4), 2007, p. 277-289. Ce zonage s’appuie sur le critère, entre autres, de la
proportion d’immigrés : Sylvie TISSOT, L’État et les quartiers. Genèse d’une catégorie de l’action publique,
Paris : Seuil, 2007.
62. Didier FASSIN, La Force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers, Paris : Seuil, 2011 ;
Mélina GERMES, « Récits de conflit et territoire », Justice spatiale, 4, 2011, p. 1-13.
63. Mélina GERMES, « Récits de conflit et territoire », Justice spatiale, art. cité.
64. Didier FASSIN, La Force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers, op. cit.

Droit et Société 97/2017  565


G. ROUX

dynamique de « contamination écologique » 65, la déviance de ceux qui commettent


des délits se voit imputée, par extension, aux minorités du quartier dans leur en-
semble 66. Ainsi, dans les propos de policiers opérant sur ces zones, « tout se passe
comme si un “autre droit” réglementait les pratiques policières dans les quartiers
sensibles » 67. Au bout du compte, les minorités de banlieue font facilement l’objet
d’un policing différencié ou pouvant apparaître comme tel. Ce qui donne corps à
l’idée que le problème qui se pose, au-delà du profilage comme acte individuel, est
celui du ciblage policier de la banlieue et de ses minorités, lesquelles se trouvent
ainsi désignées comme problématiques ou suspectes.

III. Discussion
Si le rejet de la police par les minorités de banlieue est loin d’être unanime, il
excède largement le cas des jeunes qui « tiennent les murs » ou des jeunes en géné-
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ral. Les ATP studies montrent qu’il est lié à l’expérience personnelle avec les poli-
ciers, et en particulier à certaines formes de discrimination, comme les contrôles
« au faciès ». Mais elles n’expliquent pas pourquoi les membres des minorités de
banlieue qui n’ont pas de contact avec les policiers tendent à rejeter malgré tout la
police : la focalisation sur l’expérience personnelle trouve ici sa limite.
À côté des ATP studies, différents travaux de type qualitatif attestent qu’au-delà
du comportement discrétionnaire des policiers (comme le choix de contrôler telle
ou telle personne), la police comme acteur collectif participe de processus eux-
mêmes collectifs. Ainsi en est-il des rapports raciaux et de la production de groupes
et de catégories. Ici, le référent de la race et celui du territoire se trouvent couram-
ment imbriqués : les processus d’identification et de stigmatisations spatio-raciales
travaillent en profondeur les rapports raciaux. Résultant pour partie de l’action
policière, ces processus contribuent largement au rejet de la police en banlieue.
Plutôt qu’une addition de variables individuelles, on peut donc évoquer l’existence
d’un conflit singulier minorités-police, construit historiquement, dans les cités de
banlieue. Les émeutes que déclenche, presque toujours, un incident impliquant la
police en constituent une manifestation spectaculaire. Retenant moins l’attention
que la dénonciation d’un racisme policier, le rejet dans certains quartiers de ban-
lieue d’une présence policière vue comme dominatrice, ou comme constituant une
forme de surveillance, en représente un autre versant.
Ces constats interrogent le policing de la banlieue : quelles logiques président
au ciblage policier de ses quartiers, travaillant en retour les catégories qui se voient
ainsi ciblées ? Et d’abord : ciblées en tant que quoi ? Différents travaux montrent
qu’une logique du risque tend à reconfigurer le système pénal dans son ensemble

65. Carl WERTHMAN et Irving PILIAVIN, « Gang Members and the Police », in David BORDUA (eds.), The Police:
Six Sociological Essays, New York : John Wiley, 1967, p. 56-98.
66. William TERRILL et Michael D. REISIG, « Neighborhood Context and Police Use of Force », Journal of
Research in Crime & Delinquency, 40, p. 291-321.
67. Mélina GERMES, « Récits de conflit et territoire », art. cité, p. 4. Voir aussi Fabien JOBARD, « Le nouveau
mandat policier. Faire la police dans les zones dites de “non-droit” », Criminologie, 38 (2), 2005, p. 103-121.

566  Droit et Société 97/2017


Expliquer le rejet de la police en banlieue : discriminations, « ciblage des quartiers » et racialisation. Un état de l’art

(risk-based penology ou logique actuarielle 68). Elle conduit moins à punir des actes
individuels qu’à gérer des groupes à risques, auxquels on attribue une dangerosité.
Dans cette optique, le ciblage de la banlieue et de ses minorités constitue une manière
de « parler » du danger ou du risque 69 : certains groupes présentent des niveaux
excessifs de déviance, qu’il s’agit de réguler.
Ainsi les membres de certaines catégories, et en particulier les minorités de ban-
lieue, peuvent-ils s’estimer over-policed : sans avoir forcément affaire aux policiers, ils
constatent que le groupe auquel ils appartiennent focalise l’attention de la police 70 ;
ceci en tant que « groupe à risque », dans lequel des dangers ont des chances
d’advenir. Michel Foucault 71 montre que l’appréhension d’une catégorie en termes
de risque la stigmatise comme déviante ou a-normale, c’est-à-dire comme
s’écartant d’une norme. La normalisation (p. 59) désigne le processus par lequel la
norme est « collectivisée » (p. 62), c’est-à-dire qu’elle devient l’attribut d’un groupe.
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Cette normalisation naît de la comparaison entre catégories à partir de la fré-
quence, en leur sein, d’un phénomène déviant ou redouté.
Le groupe vu comme normal est celui dans lequel le « mal » (maladie, délit, etc.)
reste contenu ; quand il est au contraire répandu, le groupe est vu, par contraste,
comme déviant. On passe donc de la déviance comme non-respect d’une norme
posée a priori – qui s’applique à des actes – à l’idée d’une déviance comme potentiali-
té, qui se voit attribuée au groupe dans son ensemble (chaque membre étant virtuel-
lement concerné). Ainsi ne suffit-il plus de montrer « qu’on n’a rien fait » pour se
soustraire à une forme d’engrenage du soupçon 72. Partant d’une tradition d’études
montrant la construction, en lien avec des politiques sécuritaires, de communautés
suspectes (suspect communities 73), il y aurait matière à mieux saisir la manière dont le
ciblage policier de territoires participe, sous certaines conditions, de cette logique du
groupe à risque, où la déviance devient l’attribut d’un groupe.
Si des travaux, trop peu nombreux en France, ont montré le poids du racisme poli-
cier ou du profilage racial comme faits individuels, le rejet de la police en banlieue ne
saurait donc s’y réduire. La stigmatisation policière d’un groupe, par l’imputation
d’une déviance vue comme collective, constitue un motif central. Ainsi, les contrôles
« au faciès » ne sont jamais que la face émergée d’un ciblage beaucoup plus général 74.

68. Malcolm M. FEELEY et Jonathan SIMON, « The New Penology: Notes on the Emerging Strategy of Correc-
tions and its Implications », Criminology, 30 (4), 1992, p. 449-474 ; Philippe MARY, « Pénalité et gestion des
risques : vers une justice “actuarielle” en Europe ? », Déviance et Société, 25 (1), 2001, p. 33-51.
69. David GARLAND, The Culture of Control. Crime and Social Order in Contemporary Society, Oxford :
Oxford University Press, 2001.
70. Simon HALLSWORTH, « Racial Targeting and Social Control: Looking Behind the Police », Critical Criminology,
14 (3), 2006, p. 293-311.
71. Michel FOUCAULT, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France, 1977-1988, Paris : Seuil, 2004.
72. Charlotte HEATH-KELLY, « Counter-Terrorism and the Counterfactual: Producing the “Radicalisation”
Discourse and the UK PREVENT Strategy », The British Journal of Politics and International Relations,
15 (3), 2012 p. 394-415.
73. Ibid.
74. William ROSE, « Crimes of Color: Risk, Profiling, and the Contemporary Racialization of Social Control »,
International Journal of Politics, Culture, and Society, 16 (2), 2002, p. 179-205.

Droit et Société 97/2017  567


G. ROUX

L’enjeu que représente l’inéquité raciale de l’action policière dépasse largement le cas
du comportement individuel des policiers 75.
Du point de vue du droit, la logique du risque resitue ces enjeux dans le mou-
vement général de transformation du système pénal 76. Le couple légalité/légitimité
se voit ici questionné : des formes légales de ciblage de certaines catégories sont jugées
couramment illégitimes par les observateurs (voir les Critical terrorism studies 77) ou
les groupes visés. Par ailleurs, les contrôles « au faciès », le plus souvent illégaux,
interrogent l’opérationnalité du droit.
Au bout du compte, l’étude des rapports minorités-police met au jour des
modes singuliers de racialisation. Dans certains contextes, la saillance de la race est
liée directement à l’expérience du quartier et à des phénomènes, plus précisément,
de catégorisation/stigmatisation territoriale. Au cœur de cette connexion entre race
et quartier, l’action de la police opère – selon des modalités qu’il faudrait mieux
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saisir – à partir d’une logique du risque, laquelle a des effets profonds. Ainsi, les
rationalités policières du « groupe à risque » – qui n’ont pas cours seulement au sein
de la police – peuvent permettre d’éclairer, sous un jour singulier, la manière dont
se transforme et s’actualise le fait toujours saillant de la race. L’actualisation de
catégories raciales permet de mieux saisir, par extension, le fait raciste : si la raciali-
sation, comme catégorisation imposée « du dehors », se distingue du racisme, elle
ouvre des espaces pour son déploiement.

 L’auteur
Guillaume Roux, chercheur à la Fondation nationale des sciences politiques (Pacte,
Université Grenoble Alpes), étudie les rapports raciaux, le sentiment de discrimination
et le rapport au politique dans les quartiers populaires (dans le cadre notamment de l’ANR
Eodipar). Il a participé à différents projets internationaux sur les relations minorités-
police. Il a publié récemment
— « Police et phénomènes identitaires dans les banlieues : entre ethnicité et territoire.
Une étude par focus groups » (avec Sebastian ROCHÉ), Revue française de science politique,
66 (5), 2016 ;
— « Perception of Police Unfairness Amongst Stigmatized Group: The Impact of Ethnicity,
Islamic Affiliation and Neighbourhood », in Mike HOUGH et Sebastian ROCHÉ (eds.), Social
Cohesion, Youth and Crime in Europe, Springer (à paraître).

75. Ibid. ; Simon HALLSWORTH, « Racial Targeting and Social Control: Looking Behind the Police », art. cité.
76. William ROSE, « Crimes of Color: Risk, Profiling, and the Contemporary Racialization of Social Control »,
art. cité.
77. Charlotte HEATH-KELLY, « Counter-Terrorism and the Counterfactual: Producing the “Radicalisation”
Discourse and the UK PREVENT Strategy », art. cité.

568  Droit et Société 97/2017

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