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pour le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE RENNES 1
Mention : Philosophie
École doctorale « Sciences de l’Homme, des Organisations et de la
Société »
présentée par
Laurent Millischer
Préparée à l’unité de recherche UPRES EA 1270
Philosophie des Normes
UFR Philosophie
AVANT-PROPOS ......................................................................................... 7
PRÉ-TEXTE
CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE II
CHAPITRE III
DE LA DIFFÉRENCE ............................................................................... 87
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
CHAPITRE VI
CHAPITRE VII
CHAPITRE IX
CHAPITRE X
CHAPITRE XI
CHAPITRE XII
1
Nous ne disons pas « spirituelle », un tel spiritualisme du concept pouvant fort bien passer
pour un pur « scandale spirituel », c'est-à-dire comme la forme la plus dégradée de la pensée de
l’esprit et de la conception de la médiation. Il n’empêche, et c’est ce que nous retenons ici, qu’il
y a bien une « revendication » de l’esprit, par laquelle la question de la médiation est rendue
centrale.
PRÉ-TEXTE 17
1
En quoi, en tant qu’elle est, selon l’ultime formule paradoxale du séminaire de Zähringen,
une « phénoménologie de l’inapparent », la phénoménologie heideggérienne, loin de se perdre
dans les creux prestiges du paradoxe à bon marché, complète et même fonde la phénoménologie
husserlienne, ainsi qu’a pu le proposer Jean-Luc Marion.
18 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
« Monde », en tant que lieu pour tout apparaître, pour toute venue
en présence.
Cette détermination, nous l’avons dit, se fonde sur l’opposition,
radicalement nouvelle, de l’acte et de l’événement : l’événement
précédant tout acte, et tout acte n’étant véritablement acte que dans
l’oubli de l’événement qui le rend possible. Dans ce cadre,
l’actualisation consiste en une manipulation, au double sens de
transformation calculée et de simulacre. L’acte manipule la chose
pour la rendre artificiellement et illusoirement autonome et
indépendante de l’événement dont elle provient pourtant, en quoi il
est, en son essence même, simulacre. On voit combien l’être-actuel
est ici porteur d’une profonde ambiguïté, qui n’est rien d’autre que
la réactivation de la nuance introduite au départ. En deçà des
oppositions catégorielles actuel-virtuel, acte-puissance, réalité-
possibilité, l’événement est le Possible comme tel, qui donne en se
retirant : son retrait est ainsi la condition même du monde. Or
l’effectuation d’un monde, c'est-à-dire son actualité, est son
arrachement au Possible, et autonomisation de soi dans la présence.
Aussi l’actualité est-elle en son essence destruction de ce qui la rend
possible. Toute l’ambiguïté est là : entre forçage de l’effectuation et
attente de l’accomplissement, l’être-actuel est proprement suspendu
aux possibilités de son propre désastre. Comme effectuation, être-en-
acte, il manipule le nœud de l’Être, de l’effectif et du Temps, pour
ne faire du Temps que le simple mouvement de la réalisation de
l’effectif, s’interdisant à lui-même tout accomplissement dans
l’horizon du temps comme provenance de l’acte et tour vers l’être-
accompli – en un mot : œuvre.
Ainsi, avec cette troisième détermination, qui marque le devenir
de la question ontologique de l’actualité comme fondement même
du monde, c'est-à-dire de la venue en présence, ce qui était au départ
déterminé comme nuance interne essentielle à l’être-actuel, à savoir
la nuance effectuation/accomplissement, est devenue contradiction
interne qui, en tant que l’être-actuel doit désormais plus justement se
nommer être-monde, est également contradiction à la fois interne et
PRÉ-TEXTE 19
1
Du moins est-ce sur ceux-là que nous concentrerons toute notre attention. Il ne s’agit pas ici
de faire une recension exhaustive de l’ensemble de l’œuvre heideggérienne et de toutes les
formes prises par ses divers diagnostics – une telle chose est-elle seulement possible ? – et donc
encore moins d’« évaluer » – à partir d’où ? – ni de « pister » des « positions » ou postures
doxographiques qui seraient celle de cette œuvre, mais bien d’y trouver des ressources pour la
question qui s’impose à nous : la place de la pensée à l’époque technique, qui pourrait bien être
celle où se dessine son lieu propre. Pour une telle question, la référence heideggérienne est
évidemment incontournable, ne serait-ce déjà, comme il vient d’être montré, que parce qu’elle
pointe, circonscrit et configure cette question fondamentale et sa nécessité. Après que les
diverses « affaires » ont mis en question la pertinence même d’une telle référence, que la guerre
– à l’enjeu pour le moins flou – de l’« heideggérianisme » ait fait « rage », cette remarque ne
saurait être tout à fait inutile. Aucune « affaire », aucun positionnement – y compris celui qui
risque d’être le nôtre à la toute fin de ce travail, concernant notamment le rapport entretenu par
Heidegger avec le christianisme, rapport tortueux dont il ne serait pas absurde d’interroger
l’importance quant au supplément désastreux qu’il a pu vouloir donner à la radicalité de sa
pensée –, aucun agacement langagier ou stylistique, aucune indignation qu’elle soit niaise ou
légitime, ne pourront effacer ce fait le plus bêtement massif, à savoir l’acuité, l’ampleur et
l’originalité inégalées du questionnement heideggérien du « phénomène » technique, en tant que
rapporté à l’historialité de l’être et à la pensée du poème. Il y a là comme un poinçon ineffaçable,
au moins sous forme de problème, dans l’histoire de la pensée, qu’aucune posture quelle qu’elle
soit ne saurait passer par pertes et profits. S’il faut adopter une « position » face à cette œuvre, ce
qui semble être le nouvel impératif catégorique des « temps critiques » qui sont les nôtres, voilà
qui est réglé, certes de manière minimale. Cette pseudo-position ne prétend pas à l’originalité.
L’inverse serait un comble, étant donné l’énormité dont elle se prévaut.
2
Cf. par exemple l’entretien « Martin Heidegger interrogé par Der Spiegel », dans M.
Heidegger, Écrits politiques 1933-1966, trad.fr. F. Fédier, Paris, Gallimard, 1995, p.262.
PRÉ-TEXTE 21
1
M. Heidegger, « La fin de la philosophie et la tâche de la pensée », trad.fr. J. Beaufret et C.
Roëls, Questions III et IV, Paris, Gallimard, 1976, p.281-306.
2
Renvoyons toutefois aux deux textes remarquables de synthèse et de clarté, de Jean
Beaufret : « La fin de la philosophie », Dialogue avec Heidegger. 3. Approche de Heidegger,
24 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
Paris, Minuit, 1974, p.215-227, et, plus de trente ans après, de Jean-Luc Marion : « La “fin de la
métaphysique” comme possibilité », M. Caron (ed.), Heidegger, Les cahiers d’histoire de la
philosophie, Paris, Cerf, 2006, p.11-38.
LES FINS DE LA PHILOSOPHIE 25
1
Cf. A. Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 3è
édition, 2000, p.2102.
26 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « La fin de la philosophie et la tâche de la pensée », op.cit., p.281.
LES FINS DE LA PHILOSOPHIE 27
1
Cf. § 14.
28 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
« La pensée à venir n’est plus philosophie parce qu’elle pense plus près de la
source que la métaphysique, les deux termes ayant le même sens. Mais la
pensée à venir ne peut pas non plus, comme le voulait Hegel, abandonner le
nom d’“amour de la sagesse” pour être devenue la sagesse elle-même dans la
figure du Savoir absolu. »1
1
M. Heidegger, « Lettre sur l’humanisme », trad.fr. R. Munier, Questions III et IV, op.cit.,
p.127, cité dans : J. Beaufret, « La fin de la philosophie », op.cit., p.227.
2
M. Heidegger, « Dépassement de la métaphysique », ibid.
30 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
§ 2. « … de la philosophie »
1
M. Heidegger, « Qu’est-ce que la philosophie ? », trad.fr. K. Axelos et J. Beaufret, Questions
I et II, Paris, Gallimard, coll. « TEL », 1968, p.318.
LES FINS DE LA PHILOSOPHIE 31
1
Ibid., p.320.
32 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Ibid., p.325.
2
Ibid., p.328. Heidegger interprète ici le sophon à partir d’Héraclite, comme savoir dont le dire
premier est l’Un-Tout, comme « tout l’étant est en l’être » (p.327).
3
Ibid., p.327.
4
Cf. Chapitre IV et § 31.
5
Ibid., p.342.
LES FINS DE LA PHILOSOPHIE 33
1
Ibid. p.343.
2
M. Heidegger, « La fin de la philosophie et la tâche de la pensée », op.cit., p.289.
3
M. Heidegger, « Lettre sur l’humanisme », op.cit., p.127.
34 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « La fin de la philosophie et la tâche de la pensée », op.cit., p.283-284.
2
Ibid., p.282.
LES FINS DE LA PHILOSOPHIE 35
par les quatre causes aristotéliciennes et son lien avec les quatre
significations fondamentales de l’être, il note :
« […] il n’y a nulle part ici de système pris au sens de construction unitaire.
Idée de système seulement depuis l’idéalisme. Derrière le système, il y a une
idée bien déterminée de la manière dont les choses sont disposées. Au
contraire, chez Aristote comme chez Platon, tout est ouvert, en chemin, il
n’y a que des amorces, tout est encore en proie aux difficultés, et n’offre en
aucune façon l’aspect lisse et achevé d’un système. »1
1
M. Heidegger, Concepts fondamentaux de la philosophie antique, tard.fr. A. Boutot, Paris,
Gallimard, 2003, [46], p.60.
2
M. Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ?, op.cit., p.197.
LES FINS DE LA PHILOSOPHIE 37
1
E. Kant, Critique de la raison pure, trad.fr. Alain Renaut, Paris, Aubier, 1997, B 866, p.677.
2
Que cette déclinaison soit nécessairement ternaire est un point que nous laisserons
provisoirement de côté. Mais l’analyse du système qui suit nous conduira à retrouver, de manière
38 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
§ 3. L’appel de la philosophie
tout à fait inattendue, ce ternaire. Nous tâcherons donc de le questionner plus à fond dans
l’ultime partie de ce travail.
1
Cf. Chapitre VIII.
2
Ibid., p.285.
LES FINS DE LA PHILOSOPHIE 39
1
Ibid., p.293.
LES FINS DE LA PHILOSOPHIE 41
Heidegger fait ici référence aux deux formes qu’a prises l’appel
« zur Sache selbst » dans son versant « phénoménologique » : « Savoir
absolu » avec Hegel, « évidence ultime » avec Husserl. Ces deux
formes, apparemment antagonistes, convergent pourtant sur deux
points fondamentaux : précisément parce qu’elles se présentent
toutes deux explicitement comme une conquête de « la Chose
même », d’une part ; et qu’elles revendiquent toutes deux la nécessité
de changer le nom même de la philosophie, sous le vocable de
« phénoménologie », d’autre part. Mais il est clair, avec ce qui a été
dit jusqu’à présent, que ces deux raisons n’en forment qu’une. Parce
que l’appel à la chose même doit en réalité s’entendre comme
rassemblement des forces, des possibilités extrêmes de la philosophie
autour de son affaire propre, il engage dans les deux cas son
achèvement, et par là même réclame une nomination apte à rendre
1
M. Heidegger, « Le tournant », trad.fr. J. Lauxerois et C. Roëls, Questions III et IV, op.cit.,
p.315.
2
M. Heidegger, « La fin de la philosophie et la tâche de la pensée », op.cit., p.294.
LES FINS DE LA PHILOSOPHIE 43
1
Ibid., p.289.
2
Ibid., p.290.
44 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
E. Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, trad.fr. P.Ricoeur, Paris, Gallimard,
1950, § 26, p.84.
2
J.F. Courtine, « Phénoménologie et science de l’être », Cahier de l’Herne Heidegger, Paris,
Éditions de L’Herne, Biblio essais, 1983, p.184.
46 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
faut bien le dire, nous contenter ici de tâcher d’en rappeler les traits
saillants.
Le projet nietzschéen est nommément déterminé comme
renversement de toutes les valeurs. Ce renversement est aussi bien
celui de la métaphysique elle-même, pensée comme métaphysique du
sujet connaissant fondée sur l’ego cogito cartésien. À la métaphysique
de la subjectivité transcendantale de la connaissance fondée en
raison, Nietzsche oppose la métaphysique de la Volonté de
Puissance créatrice de valeurs. La valeur devient ainsi la
détermination ultime de l’être de l’étant :
« L’être est devenu valeur. S’assurer la permanence de l’effectif est une
condition nécessaire, posée par la volonté de puissance elle-même, de
l’assurance de soi-même. Cependant, est-il pour l’être plus haute estimation
que celle où on l’érige proprement en valeur ? Mais, du seul fait que l’être
est estimé comme valeur, il est déjà ravalé au rang d’une condition posée par
la volonté de puissance elle-même. »1
1
M. Heidegger, « Le mot de Nietzsche “Dieu est mort” », Chemins qui ne mènent nulle part,
trad.fr. W. Brokmeier, Paris, Gallimard, 1962, p.311.
48 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ?, trad.fr. A. Becker et G. Granel, Paris, PUF, 1959,
p.103.
2
Ibid., p.82.
3
Cf. F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, II, « De la rédemption », trad.fr. M. de
Gandillac, Paris, Gallimard, 1971, p.178 : « Voici, oui certes voici seulement ce qu’est la
vengeance même : contre le temps et contre son “Cela fut” le contre-vouloir de la volonté. »
LES FINS DE LA PHILOSOPHIE 51
1
Cf. M. Heidegger, Être et Temps, trad.fr. E. Martineau, Paris, Authentica, 1985, § 46, [236],
p.176, sq., et § 61, [302], p.216, sq.
2
M. Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ?, op.cit., p.83.
3
Ibid., p.82.
52 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
cache dans cette empreinte qui prend tout devenir sous la garde du Retour
éternel de l’Identique, n’est-ce pas pourtant encore un ressentiment tourné
contre le passer pur et simple, et avec lui un esprit de vengeance spiritualisé
au plus haut point ? »1
1
M. Heidegger, « Qui est le Zarathoustra de Nietzsche », Essais et conférences, trad.fr. A.
Préau, Paris, Gallimard, 1958, p.140.
2
Ibid., p.141.
LES FINS DE LA PHILOSOPHIE 53
« Mais ce fait ne s’oppose pas à ce que la pensée la plus abyssale cache en elle
quelque chose d’impensé, qui est en même temps fermé à la pensée
métaphysique. »1
1
Ibid.
CHAPITRE II
L’AFFAIRE DE LA PENSÉE
1
M. Heidegger, Introduction à la métaphysique, trad.fr. G. Kahn, Paris, Gallimard, coll.
« TEL », 1967, p.115.
2
Ibid., p.109.
L’AFFAIRE DE LA PENSÉE 57
Dès lors que « pour les Grecs l’apparaître appartient à l’être »1, la
question de l’être devient celle de l’apparaître de l’étant, donc de son
dévoilement, sa sortie hors de la latence, où Heidegger fait résider
l’ἀλήθεια (alèthéia) grecque, la « vérité » en tant que l’être de l’étant
est son « se tenir » hors du voilement, du caché, du latent. Ce lien de
la φύσις et de l’ἀλήθεια est fondamental, il constitue le cœur de qui
est cherché comme départ de philosophie, et détermine que la
pensée grecque de l’être soit univoquement dirigée par un regard,
une visée de ce que, dans son apparaître, vient montrer l’étant :
« L’être, φύσις, parce qu’il consiste dans l’apparaître, dans le fait d’offrir des
é-vidences (Aussehen) et des vues, peut, selon son essence (Wesen), et par
suite nécessairement et constamment, présenter une é-vidence qui justement
couvre et garde latent ce que l’étant est en vérité, c'est-à-dire ce qu’il est dans
son être-dévoilé (Unverbogenheit). »2
1
Ibid., p.112.
2
Ibid., p.113. Traduction légèrement modifiée.
3
Ibid., p.196.
58 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
présent dans son aspect, c’est à dire en tant que ce qu’il est comme
présent, au-delà de sa stricte apparence. Un tel penser définit
l’entente de « ce en tant que quoi, chaque fois, un étant est ; entente
de l’essence (du ce que c’est), de l’être des choses »1. Toutefois, cette
entente, le νοῦς (noûs), semble connaître la même aventure que
l’οὐσία en direction de la persistance constante, depuis « l’événement
qui possède l’homme »2 que Heidegger y voit chez Parménide, pour
devenir « faculté de voir et de percevoir sur le mode non sensible »3
chez Platon, et finalement « raison ».
Cette « situation » philosophique, qui est celle, plus justement, de
l’aventure du regard grec, traverse comme son départ et son
fondement tout le développement ultérieur de la métaphysique, en
tant que celle-ci est une interrogation de cette situation, de ce départ.
Elle est la situation initiale de la prédominance du voir, que Platon
met en scène de la manière la plus éclatante dans l’allégorie dite « de
la caverne », au septième livre de la République. Au début du
commentaire qu’il lui consacre, Heidegger concentre sa réflexion sur
la nature de la lumière, la clarté, qui y intervient et détermine, selon
le degré d’éloignement de sa source, les différents stades de la vue des
esclaves. Cette lumière, au sein de laquelle seule peut s’établir une
vue, accorde son passage au voir. Penser philosophiquement, c’est
percevoir cette lumière par laquelle l’étant se présente comme ce
qu’il est. La présence du présent joue donc d’abord dans une clarté,
que nomme le terme allemand Helle : « la clarté est la visibilité (le
visible), l’extension, l’ouverture de l’ouvert »4. C’est par cette clarté,
ou plus précisément, par le jeu de différenciation du clair et de
l’obscur, que l’étant se dévoile comme ce qu’il est, que ce qui
apparaît peut être vu et pensé. La clarté est la présence du présent, ce
qui proprement est interrogé par la pensée philosophique, et qui
1
M. Heidegger, De l’essence de la vérité. Une approche de l’« allégorie de la caverne » et du
Théétète de Platon, trad.fr. A. Boutot, Paris, Gallimard, 2001, p.117.
2
M. Heidegger, Introduction à la métaphysique, op.cit., p.148.
3
M. Heidegger, De l’essence de la vérité. Une approche de l’« allégorie de la caverne » et du
Théétète de Platon, op.cit., p.117.
4
Ibid., p.75.
L’AFFAIRE DE LA PENSÉE 59
1
Ibid., p.76.
2
M. Heidegger, « La fin de la philosophie et la tâche de la pensée », op.cit., p.294.
60 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « Logos », Essais et conférences, op.cit., p.267.
L’AFFAIRE DE LA PENSÉE 61
présence que dans la mesure où l’Ἀλήθεια règne déjà, et que l’Ἀλήθεια elle-
même reste cependant impensée dans sa provenance essentielle »1.
1
M. Heidegger, « Hegel et les Grecs », trad.fr. J. Beaufret et D. Janicaud, Questions I et II,
op.cit., p.373.
2
M. Heidegger, Être et Temps, op.cit., § 44, [229], p.169.
3
M. Heidegger, « La fin de la philosophie et la tâche de la pensée », op.cit., p.301.
4
Nous précisons à nouveau le terme « clarté » comme traduisant « Helle » du fait des
variations des traductions françaises. Ainsi par exemple, André Préau traduit-il Lichtung par
clarté au sens d’alèthéia, jouant sur la nuance entre éclairer (lichten) et rendre clair (erhellen).
Mais la Lichtung est bien ce qui donne la possibilité de tout éclaircir, de toute clarté ; elle est en
cela plus essentielle, comme nous l’avons vu, que la Helle, la clarté elle-même, car donnant ce
don de possibilité. En ce sens, la traduction proposée par Jean Beaufret nous a semblé plus
adéquate, ou du moins, plus propre à rendre la nuance en jeu ici.
5
M. Heidegger, « Logos », op.cit., p.267.
62 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Cf. à ce propos : M. Heidegger, « De l’essence de la vérité », Questions I et II, op.cit., p.186-
189.
2
Ibid., p.187.
L’AFFAIRE DE LA PENSÉE 63
1
Ibid., p.188.
2
M. Heidegger, Être et Temps, op.cit., §44c, [226], p.167.
64 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
§ 6. Vers l’Ereignis
1
A. Rey, Dictionnaire historique de la langue française, op.cit., p.1744.
2
Ibid., p.1732.
L’AFFAIRE DE LA PENSÉE 65
1
Cf. Être et Temps, où Emmanuel Martineau traduit Gewesenheit par : « être-été ».
2
M. Heidegger, « Temps et Être », Questions III et IV, op.cit., p.208.
66 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Ibid., p.207-208.
2
Sur la nuance entre le neutre Anwesen et le féminin Anwesenheit, cf. J. Beaufret, « En chemin
avec Heidegger », Cahier de l’Herne Heidegger, op.cit., p.216, où Beaufret cite une
communication personnelle de Heidegger : « Rien n’est plus proche chez nous du neutre
Anwesen que le féminin Anwesenheit, où la désinence heit (qui évoque heiter) porte au langage,
en le faisant pour ainsi dire briller, ce qui dans Anwesen reste encore opaque. Anwesenheit dit
ainsi la pure brillance de l’Anwesen. Mais d’autre part Anwesenheit est synonyme de Gegenwart
et par là dit aussi que ce qui brille, quand retentit le nom de l’être, porte la livrée du présent. Or
présent parle la langue du temps ». Ainsi, « présence » (Anwesenheit) est l’accentuation de la
« brillance de l’être » (Anwesen).
L’AFFAIRE DE LA PENSÉE 67
C’est pourquoi le temps est « cette porrection d’être qui joue dans le
présent, dans l’avoir-été et dans l’avenir »1.
Donnant l’approche de l’être, le temps est ce par quoi s’éclaircit
la sortie hors retrait de la non-occultation : il est la porrection
éclaircissante « qui porte et apporte les uns aux autres l’avenir,
l’avoir-été et le présent »2. Ainsi, tout avoir-été porte en lui l’avenir
d’une présence ; tout à-venir apporte un avoir-été dans la
possibilisation d’une présence. « Temps » nomme l’unité irréductible
de ses trois dimensions, celles-ci n’étant que par cette unité, qui
constitue donc la quatrième et primordiale dimension du temps : « le
temps véritable est quadri-dimensionnel »3. Or l’unité des trois
dimensions réside dans la co-appartenance de l’être et du temps, à
partir de laquelle seulement peuvent se dire séparément « être » et
« temps ».
Questionner la présence comme telle, de ce qui s’est donné à la
langue grecque, et donc à la philosophie, comme παρουσία, conduit
donc à interroger l’Anwesen comme l’unité principielle donnant être
et temps. Une telle unité se laisse approcher dans un « Il y a »,
comme présence de toute présence, c’est à dire présence comme être
et présence comme temps : présence comme être dans le temps. C’est
à partir de cet « Il y a » que peuvent se dire être et temps. L’« Il y a »
donne le déploiement de l’être comme venue hors de l’occultation,
et du temps comme porrection éclaircissante. Car s’impose à la
pensée la restriction fondamentale, dont la formulation est du type
exact qui fait tant souffrir le positivisme logique, restriction que
l’« Il y a » a précisément pour fonction de porter :
« Mais l’être “est” aussi peu que le temps n’“est”. »4
1
M. Heidegger, « Temps et Être », op.cit., p.210. Le terme « porrection » choisi par F. Fédier
traduit das Reichen, comme présentation tendant ce qu’elle procure (cf. ibid., p.227). Nous
devons donc entendre « porriger » comme « présenter et procurer en destinant ».
2
Ibid., p.211.
3
Ibid., p.213.
4
Ibid., p.217.
68 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
question ici est de tâcher d’entrevoir le sens que porte comme par
devers lui ce terme d’« événement », Ereignis. Le préfixe Er-
« marque un mouvement vers un endroit élevé, la manière
d’atteindre un but et l’accomplissement d’une chose »1. Le verbe
eignen quant à lui signifie « convenir », « être propre à », « être
qualifié pour ». Aussi, la construction d’Ereignis est une redondance,
sorte de surdétermination dans laquelle l’accomplissement du Er-
vient renforcer le « propre » que dit le verbe eignen. Ereignis, c’est
l’accomplissement du plus propre. Il y a donc presque contradiction
à le traduire par « événement », c'est-à-dire le « venir hors ». Nous
disons « presque », car il y a dans l’accomplissement quelque chose
comme l’événement de la venue au plus propre. Aussi Heidegger en
vient-il à déclarer ce terme absolument intraduisible, tout en
proposant, ces traducteurs le suivront sur ce point,
l’« appropriation », ou « appropriement », qui a le mérite de
souligner la place fondamentale, quelque peu oubliée dans l’usage
moderne, du verbe eignen :
« Le mot Ereignis est une forme de l’allemand moderne. Le verbe er-eignen
vient de er-äugen, qui voulait dire : saisir du regard, appeler à soi du regard,
ap-proprier. Le mot Ereignis, pensé à partir de ce qu’il nous découvre, doit
maintenant nous parler comme un terme directeur au service de la pensée.
Comme tel, il est aussi intraduisible que le λόγος grec ou le Tao chinois.
Ereignis ne signifie plus ici événement, une chose qui arrive. »2
dont il use dans le déploiement de son être et l’y maintient. Ce qui s’appelle l’usage, ainsi pensé,
est lui-même l’appel qui requiert que quelque chose soit engagé dans le déploiement de son être
et que l’usage ne se désengage pas de cela. »
1
F.G. Eichhoff et W. de Suckau, Dictionnaire étymologique des racines allemandes, avec leur
signification française et leurs dérivés classés par familles, Paris, Thiérot, 1840, consultable en
ligne, p.53.
2
M. Heidegger, « “Identité et différence”. Le principe d’identité », Questions I et II, op.cit.,
p.270.
70 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
présence peut s’en aller et, dans l’échappée, garder son déploiement. »1
1
M. Heidegger, « Le chemin vers la parole », Acheminement vers la parole, trad.fr. J.
Beaufret, W. Brokmeier et F. Fédier, Paris, Gallimard, 1976, p.246.
2
M. Heidegger, « Temps et Être », Questions III et IV, op.cit., p.222.
3
Ibid., p.249.
L’AFFAIRE DE LA PENSÉE 71
appartient le dépropriement. »1
« Ereignis n’est pas le concept suprême qui comprend tout, et sous lequel
être et temps se laisseraient ranger. Des relations logiques d’ordre ne veulent
ici rien dire. »1
1
M. Heidegger, « Temps et Être », ibid.
2
Ibid., p.224.
3
M. Heidegger, « La parole dans l’élément du poème », Acheminement vers la parole¸ op.cit.,
p.41.
L’AFFAIRE DE LA PENSÉE 73
§ 7. La fin de la philosophie
1
M. Heidegger, « Lettre à Richardson », Questions III et IV, op.cit., p.348.
2
M. Heidegger, « La fin de la philosophie et la tâche de la pensée », op.cit., p.305-306.
74 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Ibid., p.294.
L’AFFAIRE DE LA PENSÉE 75
1
E. Husserl, « La crise de l’humanité européenne et la philosophie », La crise des sciences
européennes et la phénoménologie transcendantale, trad.fr. P. Granel, Paris, Gallimard, coll.
« TEL », 1976, p.382.
2
Ibid.
76 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Nous serons amenés plus loin à établir une autre séparation, dont il est essentiel de préciser
d’ores et déjà qu’elle est sans rapport : celle du système et de la pensée. C’est précisément un des
enjeux, et peut-être la plus grande difficulté concernant le diagnostic heideggérien : il ne s’agit
surtout pas d’y confondre système et philosophie. Bien qu’existe évidemment un jeu complexe
de relations entre ces trois : système, philosophie et pensée.
2
Cf. à ce propos, E. Husserl, La philosophie comme science rigoureuse, op.cit., p.61-80 et,
derechef, la conférence de 1935 : « La crise de l’humanité européenne et la philosophie », op.cit.,
p.347-383.
L’AFFAIRE DE LA PENSÉE 77
principe). »1
1
M. Heidegger, « La fin de la philosophie et la tâche de la pensée », op.cit., p.282.
2
Ibid., p.285.
L’AFFAIRE DE LA PENSÉE 79
1
J. Lacan, Le séminaire, liv. XVII : L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991.
2
Cf. J. Lacan, Le séminaire, liv. XX : Encore, Paris, Seuil, 1975, p.32 : « Le mot référence en
l’occasion ne peut se situer que de ce que constitue comme lien le discours. Le signifiant comme
tel ne se réfère à rien si ce n’est à un discours, c’est à dire à un mode de fonctionnement, à une
utilisation du langage comme lien. »
82 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
A. Juranville, La philosophie comme savoir de l’existence 1. L’altérité, Paris, PUF, 2000,
p.1.
2
A. Juranville, La philosophie comme savoir de l’existence 2. Le jeu, Paris, PUF, 2000, p.358.
L’AFFAIRE DE LA PENSÉE 83
1
Chapitre VII.
2
Chapitres VIII et IX.
3
Chapitre X.
4
Chapitre XI.
86 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
CHAPITRE III
DE LA DIFFÉRENCE
1
M. Heidegger, « Contribution à la question de l’être », Questions I et II, op.cit., p.213.
90 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
qu’en étroite liaison l’une avec l’autre – on le remarque au fait que, d’une
part, le type a besoin des moyens propres à le rendre efficace et que, d’autre
part, ces moyens recèlent une langue qui ne peut être parlée que par le
type. »1
1
E. Husserl, ibid., p.376.
2
Ibid.
LA QUESTION DE LA DIFFÉRENCE 93
1
Ibid., p.376-377.
94 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
Autrement dit, le système est décrit mais non fondé. C’est à dire,
plus précisément, le système est posé comme le fond de toute
organisation ; à partir de là, l’organisation « est » le fond de toute
structure, et la structure « est » le fond de toute activité,
objectivement pensée. Mais le système est laissé sans fond, représenté
comme l’essence objective de toute activité organisée.
Or, la considération du système n’est possible que sur la base
d’une interrogation objectivante de ce qui se présente comme
production. À son tour, une telle interrogation prend son départ
d’un retour sur soi, une réflexion, où l’interrogation se constate elle-
même comme production originelle ; un tel retour, une telle
réflexion constituent donc la base de toute objectivation future, en
tant qu’elle est la première objectivation possible, dans laquelle se
1
L. von Bertalanffy, Théorie générale des systèmes, trad.fr. J.B. Chabrol, Paris, Dunod, 1973.
2
M. Heidegger, « Dépassement de la métaphysique », Essais et conférences, op.cit., p.96-97.
LA QUESTION DE LA DIFFÉRENCE 97
1
Nous laissons pour l’instant en suspens la question de savoir si cette référence est
« légitime », c'est-à-dire parfaitement honnête vis-à-vis de Descartes lui-même. Il s’agit ici d’en
donner la consistance, et d’interpréter cette consistance à partir du système. La discussion
« Heidegger et Descartes » est un gouffre où nous préférons ne pas plonger immédiatement, de
peur de nous y engloutir. Il faudra donc sagement le garder à distance, en considérant les
interprétations heideggériennes comme capitales pour le dépli de la vérité d’un certain
« cartésianisme » de la modernité, dans la transmission duquel il est certain que, par exemple,
Kant et Hegel portent une forte responsabilité. Que Descartes se réduise à ce cartésianisme est
évidemment une tout autre affaire. Du reste, il n’est pas certain que Heidegger lui-même ait
jamais voulu affirmer pareille chose. Nous tâcherons d’y revenir, au moins rapidement, à la toute
fin de ce travail.
2
Ibid., p.85.
98 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « L’époque des conceptions du monde », op.cit., p.115.
LA QUESTION DE LA DIFFÉRENCE 99
1
E. Husserl, ibid., p.378.
LA QUESTION DE LA DIFFÉRENCE 101
1
M. Heidegger, « Qu’est-ce qu’une chose », trad.fr. J. Reboul et J. Taminiaux, Paris,
Gallimard, 1971, p.114-115
2
M. Heidegger, « Hegel et les Grecs », op.cit., p.355.
102 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « Hegel et les Grecs », op.cit., p.355.
LA QUESTION DE LA DIFFÉRENCE 103
1
M. Heidegger, Kant et le problème de la métaphysique, trad.fr. A. de Waelhens et W.
Biemel, Paris, Gallimard, coll. « TEL », 1953, p.91. Nous retrouverons et discuterons plus loin
abondamment le vocabulaire ici introduit par Heidegger, construit sur le stellen, signifiant
« poser », « disposer », lorsqu’il s’agira d’analyser le sens de son emploi du terme Gestell.
LA QUESTION DE LA DIFFÉRENCE 105
1
Ibid., B 133, p.199.
2
Ibid., B 134, p.200.
3
Ibid., B 131, p.198.
4
Ibid.
LA QUESTION DE LA DIFFÉRENCE 107
dans nos jugements, mais dans ces jugements se trouve déjà pensée la liaison,
par conséquent l’unité, de concepts donnés. La catégorie présuppose donc
déjà la liaison. »1
1
Ibid.
108 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « “Identité et différence”. Le principe d’identité op.cit., p.270.
2
M. Heidegger, « “Identité et différence”. Le principe d’identité », op.cit., p.272.
LA QUESTION DE LA DIFFÉRENCE 111
1
Mais le cours de 1935 fait déjà entrevoir cet accablement en deux endroits, dont on oublie
souvent de citer le premier, où le thème sous-jacent est dans les deux cas celui du sens de la
technique planétaire. Tout d’abord, dans la première partie du cours, la seconde forme (parmi
quatre) de mécompréhension de l’esprit est décrite ainsi : « L’esprit faussé en intellect, se réduit
par là au rôle d’un instrument au service d’autre chose, et dont le maniement peut s’enseigner et
s’apprendre. Peu importe que ce service ait trait à la réglementation et à la domination des
rapports matériels de production (comme dans le marxisme), ou plus généralement à la
systématisation et à l’explicitation rationnelle de tout ce qui se trouve déjà pro-jacent (vor-
liegend), établi, posé (comme dans le positivisme), ou qu’il s’accomplisse en dirigeant
l’organisation d’un peuple conçu comme une masse vivante et comme race ; dans tous les cas
l’esprit devient, en tant qu’intellect, la superstructure impuissante de quelque chose d’autre, et
cette autre chose, parce qu’elle est sans esprit, voire contraire à l’esprit, est considéré comme le
réel véritable. » (M. Heidegger, Introduction à la métaphysique, op.cit., p.58). À la toute fin de
ce même cours, la fameuse phrase, qui fait couler tant d’encre, marque peut-être encore plus
nettement, non pas une adhérence persistante au mouvement, encore qu’y subsiste une adhérence
aux raisons de l’engagement passé à ce mouvement, mais l’accablement devant sa grossièreté
insigne, ne demandant qu’à se transformer rapidement en pure et simple barbarie, rendant cet
engagement proprement grotesque, au sens le plus tragique du terme : « Et en particulier, ce qui
est mis sur le marché aujourd’hui comme philosophie du national-socialisme, et qui n’a rien à
voir avec la vérité interne et la grandeur de ce mouvement (c'est-à-dire avec la rencontre, la
correspondance, entre la technique déterminée planétairement et l’homme moderne) fait sa pêche
dans les eaux troubles de ces “valeurs” et de ces “ totalités”. » (ibid., p.202). « Tragiquement
grotesque » pourrait surprendre. Il nous paraît pourtant le bon mot, dès lors que l’on s’imagine
Heidegger récitant Héraclite et Hölderlin aux dignitaires du parti.
2
M. Heidegger, « La menace qui pèse sur la science », Écrits politiques, op.cit., p.187.
3
M. Heidegger, Introduction à la métaphysique, op.cit., p.202.
LA QUESTION DE LA DIFFÉRENCE 113
1
M. Heidegger, « Le rectorat 1933-1934. Faits et réflexions », Écrits politiques, op.cit., p.234.
2
M. Heidegger, « Martin Heidegger interrogé par Der Spiegel », trad.fr. J. Launay, Écrits
politiques, op.cit., p.257.
114 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « “Identité et différence”. Le principe d’identité », op.cit., p.273.
2
Ibid., p.272.
LA QUESTION DE LA DIFFÉRENCE 115
1
M. Heidegger, « D’un entretien de la parole », Acheminement vers la parole, op.cit., p.112.
2
M. Heidegger, « L’être-essentiel d’un fondement ou “raison” », Questions I et II, op.cit.,
p.135.
116 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « La parole », op.cit., p.34. Nous ne distinguons pas ici « parole » et
« langage », que dit le même mot allemand « die Sprache ». Cette distinction ne serait d’ailleurs
nullement évidente, car engageant justement le rapport du français à l’allemand, en tant que la
distinction n’est pas la même dans les deux langues. Elle ne peut pas l’être, la métonymie gréco-
latine de la « langue » étant propre au français.
2
M. Heidegger, « D’un entretien de la parole », op.cit., p.115.
3
Ibid.
LA QUESTION DE LA DIFFÉRENCE 117
1
R. Carnap, op.cit., p.325.
2
M. Heidegger, ibid., p.117.
3
Cf. B. Russell et A. N. Whitehead, Principia Mathematica, vol. 1, Cambridge, University
Press, 1910, p.27-28.
LA QUESTION DE LA DIFFÉRENCE 119
1
Wittgenstein pointe la contradiction dans la parenthèse de la proposition 5.412 du Tractatus :
« C’est ainsi que dans les Principia Mathematica de Russell et Whitehead des définitions et des
lois fondamentales sont données en mots ordinaires. Pourquoi ce soudain usage de mots ? Ceci
appellerait une justification, qui manque, et qui doit manquer, car cette façon de procéder est en
fait inadmissible. » (L. Wittgenstein, Tractatus Logico-philosophicus, trad.fr. G.-G. Granger,
Paris, Gallimard, coll. « TEL », 1993, p.81).
120 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Cité dans F. Volpi, « Sur la grammaire et sur l’étymologie du mot “être” », L’introduction à
la métaphysique de Heidegger, J.-F. Courtine (éd.), Paris, Vrin, 2007, p.136.
2
Dans une lettre à Moritz Schlick datée du 8 Août 1932, et à propos du Tractatus,
Wittgenstein dit ne pas pouvoir « imaginer que Carnap ait pu se tromper si complètement et si
manifestement sur les dernières phrases de [son] livre – et du coup sur la conception
fondamentale du livre entier. »
LA QUESTION DE LA DIFFÉRENCE 121
pas anodin. Qu’on songe par exemple aux diverses formes prises par
le problème de la « démarcation » logique de la science et de la
métaphysique, qui furent l’objet des controverses avec Popper, et
dont ce dernier montre qu’elles aboutissent à chaque fois à
l’exclusion des lois universelles de la science elles-mêmes, tout en
conservant du côté supposé « scientifique » la plupart des énoncés
métaphysiques, et surtout des pseudosciences comme l’astrologie.
Mais, plus encore, le malheur tragi-comique de Carnap n’est-il pas
d’avoir sincèrement cru que les sciences avaient besoin de lui ? N’est-
il pas que, pris dans sa haine foncière de la « métaphysique », avec
toute l’approximation restant finalement accrochée à ce terme
lorsqu’on ne veut l’entendre que formellement, il n’aperçoive pas
que, comme le dit expressément et avec raison Popper, son propre
problème de la construction logique d’un langage de la science qui
exclurait tout énoncé métaphysique, est précisément un pseudo-
problème1. Ces tentatives désespérées, et réitérées, de Carnap font
irrésistiblement penser aux tribulations, ratages et catastrophes
émaillant la vie des personnages plongés dans et confrontés au
gigantisme, au machinisme, et à l’absurdité du monde moderne en
construction, mis en scène, par exemple, par Buster Keaton ou
Harold Lloyd. L’aventure en moins. Mais cette dernière fait toute la
différence. Précisément, cette « différence », l’aventure l’ouvre et la
maintient. Fermons la parenthèse. Nous reviendrons abondamment
sur le contenu même de cette attaque du « langage même », lorsqu’il
s’agira d’établir la connexion comme l’un des trois piliers du système.
Pour clore ce chapitre, il reste à poser quelques questions quant à
ce qui relie ce qui a été explicité dans ce paragraphe à ce qui a été dit
précédemment de la différence du système et du produire. L’unité de
la différence est l’Ereignis, la copropriation gisant dans la béance de
l’opération de tout « se poser » de la considération. Seulement, nous
avions parlé de l’unité de la différence du système et du produire, alors
que la copropriation doit être pensée comme copropriation de l’être
et de l’homme. Comment dès lors, penser le lien entre « système » et
1
Cf. K. Popper, « La démarcation entre la science et la métaphysique », De vienne à
Cambridge, trad.fr. P. Jacob, Paris, Gallimard, coll. « TEL », p.131-192.
122 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
DIFFÉRENCE
sens algébrique désigne une égalité vraie quelles que soient les
valeurs attribuées aux variables qui la constituent1.
Qu’elle soit explicite ou non, ce terme porte donc la double
résonnance de l’être comme « être le même » et de l’un comme
« unité du même ». C’est bien ainsi qu’Aristote, à qui l’on doit
l’effort le plus conséquent, insistant, et du coup référé, de
clarification de ces notions, définissait l’identité :
« Il est donc clair que l’identité est une unité d’être, unité d’une multiplicité
d’être, unité d’un seul traité comme multiple, quand on dit, par exemple,
qu’une chose est identique à elle-même : la même chose est alors traitée
comme deux. »2
1
Cf. A. Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 3è
édition, 2000, p.1062.
2
Aristote, Métaphysique, tome 1, trad.fr. J. Tricot, livre ∆, 9, 1018 a 7-10, Paris, Vrin, 1991,
p.184.
3
P. Aubenque, Le problème de l’être chez Aristote, 4è éd., Paris, PUF, coll. « Quadrige »,
2002, p.203.
4
Aristote, Métaphysique, op.cit., Γ, 2, 1003 b 23-25, p.112.
UNITÉ DU SYSTÈME ET IDENTITÉ DU POSSIBLE 125
sans pouvoir s’y réduire. C’est pourquoi ils ne sont pas plus des
genres que des substances, mais les plus universels des prédicats, car
pouvant être dits de chaque genre, de chaque espèce, de chaque
substance. Ni équivoques (homonymie) ni univoques (synonymie),
ces termes se déploient au sein d’un statut qui leur est absolument
singulier : Heidegger parle d’analogie1 ; Aubenque d’homonymie non
–accidentelle2. Aussi :
« Que l’Un et l’Être signifient, en un sens, une seule et même chose, cela
résulte clairement de ce que l’Un est lié également à l’une quelconque des
catégories et ne réside spécialement en aucune d’elles, par exemple ni dans la
substance, ni dans la qualité, mais il se comporte de la même façon que l’être
envers les catégories »3.
1
Dire « A est A » ou « A est B ou non-B » a le même sens logique. L’intrication des deux
principes, en un sens ontologique, est la même chez Aristote, qui parle explicitement du principe
de contradiction, mais en y incluant le principe d’identité.
2
E. Kant, Logique, trad.fr. L. Guillermit, Paris, Vrin, 1997, p.58.
128 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
G. W. F. Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques I. La science de la logique, § 121
[1827 et 1830], trad.fr. B. Bourgeois, 4è édition, Paris, Vrin, 1994, p.380.
UNITÉ DU SYSTÈME ET IDENTITÉ DU POSSIBLE 129
1
M. Heidegger, « Identité et différence », op.cit., p.255-256.
2
M. Heidegger, « “Identité et différence”. Le principe d’identité », op.cit., p.257.
3
Ibid., p.259.
130 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
même. »1
1
Ibid., p.260.
2
Cf. M. Fichant, Science et métaphysique dans Descartes et Leibniz, Paris, PUF, 1998, p.292,
disant à propos de la relation entre égalité et identité chez Leibniz : « Les deux idées sont
condensées dans l’énoncé lapidaire : “Une chose est égale à elle-même, ou ce qui est le même est
égal.” En représentant l’identité par le symbole de prédicat binaire I, et l’égalité par son signe
usuel, la traduction formelle de cet énoncé serait quelque chose comme :
1 , . »
UNITÉ DU SYSTÈME ET IDENTITÉ DU POSSIBLE 131
1
Cf. M. Fichant, op.cit., p.306-307.
2
Cf. par exemple, B. Russell et A. N. Whitehead, Principia Mathematica, op.cit. Pour
l’équivalence (p.120-121), l’indiscernabilité est donnée par la définition :
4.01.
. . ! . ! (« p implique q et q implique p ») ; la substituabilité par :
. !. "
" (avec f une fonction de vérité). Pour l’égalité, la seconde propriété exhibe
à la fois l’indiscernabilité et la substituabilité : 13.12.
: . !. %
% (p.176).
132 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
Il faut bien avouer que tout cela ne fait pas très « logistique ». Et
ne peut que faire regretter, à nouveau, que Heidegger n’ait pas
semblé juger utile d’aller voir qui se cachait derrière Russell et
Carnap. Mais quels auraient pu être leurs « échanges » sur le sens du
« même » ? Y avait-il seulement un terrain d’entente, un « langage
commun », entre le franc-tireur Wittgenstein et le cheminant
Heidegger ? Certainement non. À part seulement cela, peut-être, que
tous deux visaient « le même ».
Bien plus tard, dans le cadre, non plus de l’analyse logique, mais
des jeux de langage, le « second Wittgenstein » affirmait :
« La substitution du mot “identique” au mot “le même” (par exemple) est
également un expédient typique en philosophie. »3
1
L. Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, op.cit., p.88.
2
L. Wittgenstein, Carnets 1914-1916, trad.fr. G. G. Granger, Paris, Gallimard, coll. « TEL »,
1971, p.223.
3
L. Wittgenstein, Recherches philosophiques, trad.fr. F. Dastur, M. Élie, J.-L. Gautero, D.
Janicaud, É. Rigal, Paris, Gallimard, 2004, §254, p.139.
UNITÉ DU SYSTÈME ET IDENTITÉ DU POSSIBLE 133
1
M. Heidegger, « “Identité et différence”. La constitution onto-théo-logique de la
métaphysique », op.cit. p.305.
2
Ibid., p.306.
3
Ibid., p.296.
134 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « “Identité et différence”. Le principe d’identité », op.cit., p.259.
UNITÉ DU SYSTÈME ET IDENTITÉ DU POSSIBLE 135
1
M. Heidegger, « Qu’est-ce que la philosophie ? », op.cit., p.333.
UNITÉ DU SYSTÈME ET IDENTITÉ DU POSSIBLE 137
dans son être, et l’ordre de ce qui dit l’être de ce qui est, à partir de
l’évidence du principe de l’opposition de l’identique et du différent –
et le dialogue qu’elle constitue comme correspondance. Aussi, la
proposition est bien une « réponse », mais en tant que cette
« réponse n’est pas un énoncé en retour […] ; la réponse est bien
plutôt l’Entsprechung, la correspondance qui parle en faisant face à
l’être de l’étant »1. Or, ce à quoi correspond cette correspondance est
avant tout la possibilité même d’un correspondre, possibilité que
constitue pleinement la coappartenance. Ce qui correspond, c’est à
dire ce qui dit le Même dans ce qui diffère, dit en même temps
l’appartenance réciproque de ce qui est ainsi mis en correspondance.
Seul peut correspondre ce qui s’entre-appartient. Mais alors, un tel
dire qui correspond, disant et permis par la coappartenance, dit en
même temps ce qui appartient en propre à chacun – il dit la
« mêmeté » (Selbigkeit) de ce qui diffère :
« Le même, pensé au sens de la coappartenance essentielle, brise
l’indifférence de ce qui s’entr’appartient, et le maintient au contraire écarté
dans la plus extrême inégalité – il le maintient et ne le laisse justement pas se
séparer et se défaire. Ce tenir-ensemble dans le tenir-écarté est un trait de ce
que nous nommons le même et la mêmeté. »2
1
Ibid., p.334.
2
M. Heidegger, Principe de raison, trad.fr. A. Préau, Paris, Gallimard, 1962, p.199. La
traduction ici reproduite est celle de M. Zarader dans son ouvrage Heidegger et les paroles de
l’origine, Paris, Vrin, 1990, p.105.
138 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
Et réciproquement :
« L’être n’est et ne dure que parlant à l’homme et allant ainsi vers lui. Car
c’est l’homme qui, ouvert à l’être, laisse d’abord celui-ci venir à lui comme
présence. »2
1
M. Heidegger, « “Identité et différence”. Le principe d’identité », op.cit., p.265.
2
Ibid.
3
M. Heidegger, Être et Temps, op.cit., §44c, [226], p.167.
UNITÉ DU SYSTÈME ET IDENTITÉ DU POSSIBLE 139
1
Au sens, bien sûr, de « milieu vital », qu’il faut accentuer en « élément de l’être de la
chose », et non de l’unité d’un compte.
2
Cf. sur ce point l’exposé et l’analyse particulièrement clairs et exhaustifs de cette lecture dans
l’ouvrage capital : M. Zarader, Heidegger et les paroles de l’origine, op.cit., p.33-206.
3
To gar aüto noeïn estin té kaï eïnaï
4
M. Heidegger, « “Identité et différence”. Le principe d’identité », op.cit., p.261.
140 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Zarader, op.cit., p.106.
2
Φύσις κρύπτεσθαι φιλεῖ (phusis kruptestaï phileï): « la phusis aime à se cacher ».
3
M. Heidegger, « Alèthéia », Essais et conférences, op.cit., p.326.
4
M. Heidegger, « Logos », op.cit., p.275.
5
Ibid., p.267.
UNITÉ DU SYSTÈME ET IDENTITÉ DU POSSIBLE 141
1
M. Heidegger, « La parole d’Anaximandre », Chemins qui ne mènent nulle part, op.cit.,
p.441.
2
Ibid., p.445.
3
Zwiefalt, traduit également par duplicité, duplication.
4
Ibid.
142 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
χρὴ τὸ λέγειν τε νοεῖν τ' ἐὸν ἔµµεναι (krè to legein te noein t’eon emènaï) : « il faut dire
et penser que l’étant est ».
2
M. Heidegger, « Moîra », Essais et conférences, op.cit., p.301.
UNITÉ DU SYSTÈME ET IDENTITÉ DU POSSIBLE 143
qui est nommé en premier – νοεῖν – a son être en ceci, qu’il reste ordonné à
l’être présent de l’étant présent. »1
1
M. Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ?, op.cit., p.223.
2
Cf. M. Heidegger, « Logos », op.cit., p.275 : « Depuis le début de la pensée occidentale,
l’être de l’étant se déploie comme la seule chose digne d’être pensée. »
144 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
-
oubli du Pli de l’être, c’est à dire de la différence de l’être et
de l’étant entendue comme entre-deux où s’entre-
appartiennent et s’approprient l’un à l’autre les deux ;
- oubli de la Différence, comme espace d’unité du Même,
maintenu ouvert comme identité de la différence ;
- oubli du dépliement du Pli, c’est à dire oubli de l’être de
l’Ἀλήθεια ;
- et finalement oubli de l’Ereignis, c'est-à-dire de la
copropriation appropriante-dépropriée, qui est l’« être » du
Même, comme retrait destinant être et temps, clairière et
présence1.
Mais cet oubli est par essence double : il appartient à l’envoi du
Même comme le retrait de celui-ci, en même temps qu’il désigne le
1
Cette « succession » met en lumière les grandes étapes du cheminement heideggérien, et
notamment la Kehre (« tournant »), où la question de l’oubli de l’être, prégnante dans Être et
Temps, est repensée comme retrait de l’être lui-même. Ce tournant, que l’on « situe »
généralement autour de la conférence de 1930 De l’essence de la vérité (cf. sur ce point : J.
Grondin, « Prolégomènes à l’intelligence du tournant chez Heidegger », Les études
philosophiques, Paris, PUF, n°3, 1990, p.333-352) démarque ainsi un « Heidegger I » et un
« Heidegger II » (cf. M. Heidegger, « Lettre à Richardson », op.cit., p.348), que l’on pourrait
compléter d’un « Heidegger III » où s’élabore la double affirmation terminale de l’Ereignis –
lorsqu’est repensée le « et » de l’horizon du Temps et du plan de l’Être, et où la question de
l’être en tant qu’être est « abandonnée » pour se tourner vers la Copropriation elle-même – et de
la fin de la philosophie. En ce sens, nous serions partis ici, dans les deux premiers chapitres, du
« III » pour entendre le « I » et le « II » et leur liaison. Pour exacte qu’elle soit, et Heidegger n’en
disconvient pas, cette distinction risque toujours de méconnaître le véritable tournant qu’est le
cheminement de pensée lui-même, où « seule une pensée pluriforme parvient à une parole qui
puisse répondre à la “question” d’une telle teneur » (M. Heidegger, « Phénoménologie et pensée
de l’être. Lettre à Richardson », op.cit., p.349). C’est l’essence même de la distinction que de
toujours rester hétérogène et postérieure à la pensée de la différence, s’empêchant ainsi d’en
pénétrer le cheminement. La nécessité d’intégrer un « second tournant » par lequel s’ouvre le
« III » (cf. M. Zarader, op.cit., p.266-273), indique assez la primauté absolue de ce mouvement
d’interrogation permanente de l’Ereignis depuis Être et Temps, mouvement qui est le tournant
lui-même, et dans lequel les tournants ne sont que les virages attestant la nécessaire mobilité et
disponibilité de la pensée devant la plurivocité de l’être. Cherchant à circonscrire ce que nous
avions présenté dans le chapitre premier sous le terme de « topos dual », comme lieu propre du
tournant lui-même, il nous faut suivre les divers « tournants » comme autant de circonvolutions
autour de ce topos dans lesquelles il nous faut lire son unique circonscription. C’est pourquoi
nous avons choisi délibérément de ne pas mettre en avant ces distinctions, au risque de se heurter
aux apparentes contradictions du cheminement pluriforme. Gageons qu’un tel risque soit une
chance, celle de se voir ainsi « déplacés » au cœur même du topos.
UNITÉ DU SYSTÈME ET IDENTITÉ DU POSSIBLE 145
1
Nous ne disons pas « probabilité » : cette plus grande « possibilité » correspond à la venue de
la mise en question de l’avoir lieu ou pas de cette pensée, et non au calcul des chances de cette
survenue, qui ne sauraient se dénombrer. La notion même d’« univers probabiliste », qui fonde
tout dénombrement, n’a ici aucun sens. Mais alors, objectera-t-on, que signifie « plus grande »,
si aucun calcul de grandeur ne correspond à cette possibilité ? Qu’est-ce qu’une grandeur
incalculable, et en quoi peut consister sa mesure ? Nous sommes là d’emblée placés dans un
autre ordre, qui est celui du déploiement de l’essence et de l’historialité de l’être. C’est la fin de
la philosophie, c'est-à-dire son apogée comme finie, qui détermine le contour de ce qu’elle est et
de ce que cet être laisse comme reste – la pensée comme retrait. La « plus grande possibilité »
correspond à cette apogée.
146 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « “Identité et différence”. Le principe d’identité », op.cit., p.276.
UNITÉ DU SYSTÈME ET IDENTITÉ DU POSSIBLE 147
une telle pensée pense « au-delà » des Grecs parce qu’elle tâche de
penser en deçà d’eux.
Il n’en reste pas moins vrai que dans ce cheminement dual, le
dialogue avec la pensée grecque, et singulièrement avec celle de son
départ présocratique, tient une place privilégiée :
« L’ouvert sans retrait se laisse voir dans le désabritement entendu comme
éclaircir. Mais cet éclaircir lui-même, il demeure à tous points de vue
impensé en tant qu’Ereignis. S’engager à penser cet impensé, cela veut dire :
entreprendre plus originalement ce qui a été pensé de façon grecque, le
prendre en vue dans sa provenance. À sa manière, ce regard est grec, et
pourtant, quant à ce qu’il aperçoit, il n’est plus, ne peut plus jamais être
grec. »1
1
M. Heidegger, « D’un entretien de la parole », Acheminement vers la parole, op.cit., p.125.
2
M. Heidegger, « Logos », op.cit., p.276-277.
148 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
du tout, mais est plus ou moins présente en chaque chose, et n’est présente
absolument qu’en Dieu. »1
1
.P. Aubenque, op.cit., p.409.
2
Ibid.
UNITÉ DU SYSTÈME ET IDENTITÉ DU POSSIBLE 151
1
M. Heidegger, « La parole », Acheminement vers la parole, op.cit., p.29.
2
« Monde et chose » est à entendre en deçà de « présence du présent ». « Monde et chose » est
ce qui porte le Quadriparti – Ciel et Terre, Divins et Mortels – de ce qui est dans l’ouvert de la
Différence : il est la Différence comme telle, où monde et chose se rapportent l’un à l’autre en
« portant » le Quadriparti (cf. M. Heidegger, « La chose », Essais et conférences, op.cit., p.212-
216 ; M. Heidegger, « La parole », op.cit., p.24).
152 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « La doctrine de Platon sur la vérité », trad.fr. A. Préau, Questions I et II,
op.cit., p.457.
2
M. Heidegger, « Moîra », op.cit., p.305.
3
M. Heidegger, « La doctrine de Platon sur la vérité », op.cit., p.458.
4
Ibid., p.459.
154 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, De l’essence de la vérité. Une approche de l’“allégorie de la caverne” et du
Théétète de Platon, op.cit., p.132.
UNITÉ DU SYSTÈME ET IDENTITÉ DU POSSIBLE 155
1
Ibid., p.120-121.
2
Ibid., p.132.
156 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
N. Wiener, Cybernetics. Control and communication in the animal and the machine,
Hermann, Paris, 1948.
2
Cf. sur ce point C.E. Shannon et W. Weaver, The mathematical theory of communication,
Urbana, University of Illinois Press, 1949, texte qui fonde la théorie de l’information.
3
Cf. par exemple D. Ruelle, « Hasard et chaos », Paris, Odile Jacob, 1991, p.67-105 et I.
Prigogine, « Les lois du chaos », Paris, Flammarion, 1994.
UNITÉ DU SYSTÈME ET IDENTITÉ DU POSSIBLE 159
1
M. Heidegger, « Science et méditation », Essais et conférences, op.cit., p.50.
2
J. Beaufret, op.cit., p.27.
3
A. Rey, Dictionnaire historique de la langue française, op.cit., p.2038.
4
L. Bloy, Exégèse des lieux communs, Paris, Payot et Rivages, 2005, p.168.
SCIENCE, MATHÉMATIQUES ET CALCUL 165
1
I. Newton, Du mouvement des corps, trad.fr. F. De Gandt, Paris, Gallimard, 1995, p.155.
Heidegger commente le même axiome sous la forme légèrement différente des Philosophiae
naturalis principia mathematica.
2
M. Heidegger, Qu’est-ce qu’une chose ?, op.cit., p.100.
3
Ibid.
166 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
On voit ici combien l’idée naïve d’une science qui serait fondée
par l’expérience est incapable de rendre compte du bouleversement
opéré par Galilée et Newton. Elle est même clairement un
contresens, puisque Newton va jusqu’à traiter l’expérience de simple
illustration, c'est-à-dire de second pan, annexe et nullement
nécessaire, de la « double méthode ». L’essentiel réside dans le
premier pan, à savoir la démonstration more geometrico des principes
physiques, en faisant « le plus possible abstraction de considération
physique », en tant précisément que ces principes sont censés
ordonner toute considération physique. Les choses ont le mérite
d’être claires : la méthode ne consiste nullement en un simple
ordonnancement logique et systématique de la pensée, en une
1
Ibid.
2
I. Newton, De la gravitation, trad.fr. M-F. Biarnais, Paris, Gallimard, 1995, p.111.
SCIENCE, MATHÉMATIQUES ET CALCUL 167
1
E. Husserl, La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, trad.fr.
G. Granel, Paris, Gallimard, 1976, p.25-71.
2
Ibid., p.33.
3
Ibid., p.30.
4
Ibid., p.33.
SCIENCE, MATHÉMATIQUES ET CALCUL 169
1
Ibid., p.36.
2
Ibid. Par cette analyse, Husserl met clairement en évidence la « préparation » galiléenne, puis
newtonienne, des « idées régulatrices de la raison pure » comme limites à l’infini de la chaîne
des causalités, dont Kant fera le centre de sa critique.
3
Ibid., p.46.
170 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Ibid., p.50.
2
Ibid., p.51.
3
M. Serfati, La révolution symbolique. La constitution de l’écriture symbolique
mathématiques, Paris, Pétra, 2005, p.145-197.
SCIENCE, MATHÉMATIQUES ET CALCUL 171
faire »1.
1
Ibid., p.157.
2
Ibid., p.160.
3
Ibid., p.181. Si le principe de l’écriture est bien le fait de Viète, la simplicité toute
synthétique de sa forme moderne donnée ici est quant à elle due à Descartes.
172 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
E. Husserl, op.cit., p.53.
2
Ibid., p.54.
3
Ibid., p.56.
SCIENCE, MATHÉMATIQUES ET CALCUL 173
1
M. Heidegger, Être et Temps, op.cit., § 69b, [360], p.250.
2
O. Safouan, « Heidegger et les mathématiques », M. Caron (ed.), Heidegger, Les cahiers
d’histoire de la philosophie, Paris, Cerf, 2006, p.396.
174 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Ibid., p.251.
2
Ibid., [363], p.251.
176 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
Ainsi, la méthode en tant que pur a priori, que nous avions vue
exposée dans le texte de Newton, trouve ici sa pleine détermination.
La méthode est la projection de la constitution d’être-sous-la-main
sur le tout de l’étant. Elle est donc pur projet, sur lequel, ensuite,
peuvent s’élaborer les diverses méthodes qui jalonnent le
développement scientifique. En tant que projet de la constitution
d’être-sous-la-main de l’étant, elle thématise l’étant, c'est-à-dire
qu’elle l’objective, le rend objet pour la considération. C’est
pourquoi elle s’inscrit irréductiblement dans la permanence de la
discontinuité : « le projet scientifique de l’étant […] fait à chaque fois
déjà encontre d’une manière ou d’une autre »1, en tant précisément,
que cette discontinuité ouvre pour le Dasein la possibilité constante
de l’objectivation fondée sur le sous-la-main.
Ainsi, dès Être et Temps, l’introduction de la discontinuité
radicale que constitue le binôme Zuhandenheit-Vorhandenheit
oriente Heidegger vers ce thème fondamental de la méthode comme
projet d’objectivation, qu’il va par la suite questionner plus avant, et
surtout directement. Car reste à savoir la teneur propre de cette
« objectivation », et comment elle s’articule à la mathématique elle-
même.
1
Ibid.
2
M. Heidegger, « La provenance de l’art et la destination de la pensée », Cahier de l’Herne
Heidegger, op.cit., trad.fr. J.L. Chrétien et M. Reifenrath, Editions de l’Herne, 1983, p.371.
SCIENCE, MATHÉMATIQUES ET CALCUL 177
1
M. Heidegger, « Science et méditation », op.cit., p.64.
2
M. Heidegger, Interprétation phénoménologique de la « Critique de la raison pure » de Kant,
trad.fr. E. Martineau, Paris, Gallimard, 1982, p.50-51.
3
Le terme provient du latin calculus, « caillou », unité à l’aide de laquelle on peut
« compter », jalon du compte. Cf. A. Rey, op.cit., p.348.
178 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « Science et méditation », op.cit., p.65.
2
M. Heidegger, Qu’est-ce qu’une chose, op.cit., p.80.
SCIENCE, MATHÉMATIQUES ET CALCUL 179
peut être appris, et donc aussi ce qui peut être enseigné »1. Mais
l’entente grecque, et plus singulièrement platonicienne, de
l’apprendre, réside dans un « savoir déjà », qui guide et donne son
sens à la maïeutique socratique. L’apprendre est ainsi l’explicitation
de l’entente toujours déjà-là des choses présentes, explicitation que
constituent les µαθήµατα, qui guident donc entièrement l’ἐπιστήµη. Le
nombre est alors une détermination, primordiale mais pas unique, de
ce qui est toujours présent avec l’étant, et se donne comme déjà su à
expliciter :
« De ce connu d’avance – donc de ce mathématique – font encore partie les
nombres […] Ce n’est que parce que les nombres sont ce qui s’impose en
quelque sorte avec le plus d’irréfutabilité comme le toujours-déjà-connu, et
constituent, pour ainsi dire, le plus re-connaissable parmi le mathématique,
que bientôt le nom de mathématique fut réservé à ce qui a trait aux
nombres. Quant à lui, le déploiement essentiel du mathématique n’est à
aucun degré déterminé par la numération. »2
1
M. Heidegger, Qu’est-ce qu’une chose, op.cit., p.87.
2
M. Heidegger, « Science et méditation », op.cit., p.51.
182 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Cf. sur ce point J.M. Salanskis, « Conjugaisons de Heidegger avec la science », Les
philosophes et la science, Paris, Gallimard, 2002, p.477-480.
SCIENCE, MATHÉMATIQUES ET CALCUL 183
QUESTION DU « MODÈLE »
1
Sur le lien entre quotidienneté, essentialité et existentialité, cf. M. Heidegger, Être et Temps,
op.cit., § 9, [44], p.55 : « Mais la quotidienneté médiocre du Dasein ne doit pas être prise pour
un simple “aspect”. Même en elle, et même dans le mode de l’inauthenticité, se trouve a priori la
structure de l’existentialité. Même en elle il y va pour le Dasein, selon une guise déterminée, de
son être, auquel il se rapporte sur le mode de la quotidienneté médiocre, fût-ce seulement sur le
mode de la fuite devant et de l’oubli de cet être ».
2
M. Heidegger, « L’époque des “conceptions des mondes” », op.cit., p.102.
186 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
Entendons ici : ce qui fait lien entre les divers champs de l’activité
scientifique, diversité rendue possible par et à partir de la mise en
œuvre du calcul méthodique au sein de la physique mathématique,
est la structuration de ces champs selon ce qui se nomme
communément soi-même « recherche ». Mais qu’est-ce que la
recherche ? Elle ne saurait se réduire simplement à une « attitude »
ou activité, parmi d’autres et à égalité de traitement avec ces autres,
qui serait celle du « chercheur ». Car la recherche est précisément ce
à partir de quoi cette activité peut se déployer, ce qui donne son
caractère propre à l’attitude en question, c'est-à-dire ce qui rend cette
activité « scientifique ». Elle doit donc être d’emblée entendue
comme le mode de déploiement de la méthode. Aussi apparaît-elle
comme organisation de l’investigation planifiée de la sphère de
l’étant. L’organisation des structures de recherche – instituts,
universités, laboratoires – présuppose donc la planification de cette
recherche, comme intégration de la totalité de l’étant dans l’horizon
du « recherchable », donc dans l’horizon du plan de l’investigation
scientifique. Cet horizon du plan est l’explicitation de la méthode
elle-même comme projet, prescrivant la calculabilité, en tant
qu’objectivité de toute chose jugée digne de recherche.
Mais que produit une telle organisation ? Des hypothèses, des
plans d’expériences, des réalisations d’expériences, des conclusions
d’expériences, des communications et des débats sur ces conclusions,
et enfin, et surtout, des articles constituant comme autant
d’apothéoses locales et précaires de ce cheminement. La recherche
produit donc d’innombrables propositions, et confrontations entre
ces propositions, mais dont la forme et le mode de constitution
spécifiques imposent de singulariser sous le vocable scientifique, qui
s’est imposé et généralisé au cours du XXe siècle, de modèles. Ainsi,
la recherche produit une infinie variété de modèles, propres à
chaque domaine, et que chaque domaine confronte, à l’intérieur de
son champ d’investigation, les uns aux autres. La planification de la
recherche s’avère donc être la prescription du calculable comme
modélisable. L’étant n’est alors objet de science – donc objet tout
court – qu’en tant qu’il peut s’insérer dans un modèle, vers
l’établissement duquel est tendue l’intégralité de l’effort et de
MODÈLE ET SYSTÈME 187
1
M. Heidegger, « Science et méditation », op.cit., p.65.
188 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Cette triple opération est précisément l’objet même que vise le titre de l’ouvrage, seconde
« bible » de la systémique : J.-L. Le Moigne, Théorie du système général. Théorie de la
modélisation, Paris, PUF, 1977.
2
Franck Varenne (Les notions de métaphore et d’analogie dans les épistémologies des
modèles et des simulations, Paris, Pétra, 2006) propose d’en retenir quatre périodes : syntaxique,
comme théorie logique du modèle ; sémantique, comme théorie mathématique ; pragmatiste,
comme théorie « linguiciste » liée aux pratiques effectives de laboratoire ; et enfin,
computationnelle, liée aux modèles récents de simulation informatique.
MODÈLE ET SYSTÈME 189
1
G. Bachelard, Le nouvel esprit scientifique, 4è éd., Paris, PUF, coll. « Quadrige », 1991, p.16.
2
A. Rey, op.cit., p.1353.
190 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Cf. par exemple J.-M. Legay, L’expérience et le modèle. Un discours sur la méthode, Paris,
INRA Éditions, 1996, p.23, ou P. Coquillard et D. R.C. Hill, Modélisation et simulation
d’écosystèmes. Des modèles déterministes aux simulations à événements discrets, Paris, Masson,
1997, p.6-9.
MODÈLE ET SYSTÈME 191
1
Cf. M. Heidegger, Être et Temps, op.cit., § 16 à 18, [73] à [88], p.74-84.
2
Ibid., § 15, [68], p.71.
3
Ibid., § 17, [82], p.80.
4
« Pour un observateur B, un objet A* est un modèle d’un objet A dans la mesure où B peut
utiliser A* pour répondre à des questions qui l’intéressent concernant A », M.L. Minski,
« Matter, minds, and models », International Federation of Information Processing Congress,
Vol. 1, 1965, p.45-49, cité dans P. Coquillard et D. R.C. Hill, op.cit., p.7.
192 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Cf. la définition de l’énoncé, dont le modèle scientifique est l’aboutissement, que formule
Heidegger : « une mise en évidence communicativement déterminante » (M. Heidegger, Être et
Temps, op.cit., § 33, [156], p.126).
2
J. Von Neumann, « Method in the physical sciences », Collected works, vol. 6, Pergamon
books Ltd., 1963, cité dans J. Gleick, La théorie du chaos, Paris, Flammarion, 1989, p.343.
MODÈLE ET SYSTÈME 193
faille voir dans cette affirmation, comme ont pu, ou peuvent encore
le faire certaines douteuses, et pour tout dire assez niaises
indignations, une quelconque « attaque obscurantiste » – réside dans
l’imposition de la méthode calculante déterminant les limites et le
cadre objectifs du sens scientifique. Aussi, qu’un modèle
« fonctionne » signifie qu’il assure l’intelligibilité instrumentale de ce
qu’il modélise, en tant qu’il se conforme à la connexion logique
inscrite par avance dans le système qu’il étudie. Par là, il s’assure du
réel comme système en tant que modélisable. C’est donc bien parce que
la considération scientifique est en son essence modélisation qu’elle
constitue, selon le mot de Heidegger, une « élaboration du réel qui le
suit à la trace et s’en assure »1. La modélisation est cette élaboration
par quoi elle s’assure du réel comme système.
Une remarque ici n’est peut-être pas inutile. Ce qui vient d’être
dit concerne également les deux pans de la distinction judicieuse,
mais finalement pas essentielle, et peut-être surtout illusoirement
alternative, que propose Badiou, opposant deux usages du concept
de modèle dont il entend destituer le premier au profit exclusif du
second. Tout d’abord, l’usage descriptif de l’activité scientifique –
c’est le sens dominant, et désormais incontournable, dont nous
avons traité comme référence – sépare deux groupes de modèles,
abstraits d’une part, et montages matériels d’autre part :
« Le premier groupe comporte ce qu’on pourrait appeler des objets
scripturaux, c'est-à-dire les modèles proprement théoriques, ou
mathématiques. Il s’agit en fait d’un faisceau d’hypothèses, supposé complet
relativement au domaine étudié, et dont la cohérence, puis le
développement déductif, sont généralement garantis par un codage
généralement mathématique. […]
Dans le second groupe, on trouve des montages matériels dont la
destination est triple :
1) Présenter dans l’espace, de façon synthétique, des processus non-spatiaux :
graphes, diagrammes etc. […]
2) Toujours dans le deuxième groupe, d’autres modèles tendent à réaliser des
structures formelles, c'est-à-dire à transférer la matérialité scripturale dans
1
M. Heidegger, « Science et méditation », op.cit., p.62.
194 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
A. Badiou, Le concept de modèle, Paris, Maspero, 1970, p.15 ; 17.
MODÈLE ET SYSTÈME 195
1
Pour plus de précision concernant l’épistémologie de la simulation, on se reportera, par
exemple, à : S. Chauvier, « Simuler et faire simuler », Revue Philosophique, n°3/2008, p.279-
286 ; J. Rothenberg, « The nature of modeling », Artificial intelligence, simulation and modeling,
L.E. Widman, K.A. Loparo, N.R. Nielsen (eds), Wiley Intersciences, 1989 ; P. Coquillard et D.
R.C. Hill, Modélisation et simulation d’écosystèmes. Des modèles déterministes aux simulations
à événements discrets, op.cit. ; F. Varenne, Les notions de métaphore et d’analogie dans les
épistémologies des modèles et des simulations, op.cit. Dans le cadre d’un doctorat scientifique,
j’ai pu moi-même proposer une synthèse des questions méthodologiques posées par les
simulations, dans le cadre spécifique des récents modèles multi-agents (cf. L. Millischer,
Modélisation individu centrée des comportements de recherche des navires de pêche. Approche
générique spatialement explicite par systèmes multi-agents. Intérêts pour l’analyse des stratégies
et des puissances de pêche, Thèse de doctorat de l’ENSAR, Rennes, 2000, p.9-34, 65-87 et 227-
234).
2
Ibid., p.39.
3
Ibid., p.44. Tarski donne la définition suivante : « Un modèle d’une théorie formelle est une
réalisation possible de cette théorie pour laquelle toutes les propositions valides de la théorie sont
satisfaites. » (cité dans F. Varenne, op.cit., p.26).
196 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Ibid., p.24.
2
Ibid., p.23.
3
Ibid., p.27.
4
Ibid.p.60.
5
Ibid. p.20.
MODÈLE ET SYSTÈME 197
1
Ibid., p.62.
2
Ibid., p.54.
198 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Soit dit en passant, cette détermination inadéquate de la science imposerait également une
réévaluation de ce qualificatif, « bourgeois », à la fortune quelque peu suspecte. Léon Bloy en
proposait cette définition extraordinaire, s’accordant plus avec les gouffres ouverts par les temps
modernes de la science technique : « Le vrai Bourgeois, c'est-à-dire dans un sens moderne et
aussi général que possible, l’homme qui ne fait aucun usage de la faculté de penser et qui vit ou
paraît vivre sans avoir été sollicité, un seul jour, par le besoin de comprendre quoique ce soit,
l’authentique et indiscutable Bourgeois est nécessairement borné dans son langage à un très petit
nombre de formules. » (L. Bloy, Exégèse des Lieux Communs, op.cit., p.9-10). Que la naissance
et le déploiement de ce « type » humain soit concomitante de l’autonomisation des sciences ne
suffit à caractériser la science elle-même que trop superficiellement. Il faudrait d’ailleurs plutôt
dire à l’inverse que le « Bourgeois » est nécessairement, sous une forme ou une autre,
« scientiste », au sens où la possibilité d’un tel type serait suspendue à cette émancipation de la
science. Mais à vrai dire, le principe commandant les deux n’est en aucun des deux. Ce principe
est précisément ce après quoi nous courons ici, à savoir le « Système comme tel ». Autrement
dit, l’expression « science bourgeoise » ne dit rien, si ce n’est au mieux l’indication d’une
concomitance.
200 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « L’époque des “conceptions des mondes” », op.cit., p.108.
2
Ibid.
3
K. Popper, La connaissance objective, trad.fr. J.J. Rosat, Paris, Aubier, 1991, p.146.
MODÈLE ET SYSTÈME 201
1
Ibid. p.59.
2
Ibid., p.133.
3
K. Popper, Un univers de propensions. Deux études sur la causalité et l’évolution, trad.fr. A.
Boyer, Paris, Éditions de l’Éclat, 1990, p.26.
4
M. Heidegger, « Science et méditation », op.cit., p.64.
5
Cf. M. Heidegger, Être et Temps, op.cit., § 33, [156], p.126, où la validité est caractérisée
selon ses trois déterminations essentielles que sont l’être idéal, l’objectivité et l’universalité :
« Ces trois significations du “valoir” – manière d’être de l’idéal, objectivité, force obligatoire –
ne sont pas seulement opaques en elles-mêmes, mais encore elles ne cessent d’aggraver
mutuellement leur confusion ».
202 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
« The validation of a model is not that it is “true” but that it generates good
testable hypotheses relevant to important problems. »1
1
R. Levins, « The strategy of model building in population biology », Amer. Sci. (54), 1966,
p.421-431: « La validation d’un modèle ne l’établit pas comme “vrai”, mais comme source
d’hypothèses testables et pertinentes au regard de questions importantes. »
2
Ce que Goodman nomme le problème de la « confirmation » (N. Goodman, « La nouvelle
énigme de l’induction », De vienne à Cambridge, trad.fr. Pierre Jacob, Paris, Gallimard, coll.
« TEL », 1980, p.193-218).
3
G. Bachelard, Le nouvel esprit scientifique, Paris, PUF, 1934, p.10.
4
Ibid., p.8.
MODÈLE ET SYSTÈME 203
1
G. Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 1938, p.14.
2
Ibid., p.10.
3
M. Heidegger, « Science et méditation », op.cit., p.62.
204 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Cette impulsion première a donné lieu à de nombreux développements, parmi lesquels on
pourra citer l’ouvrage au moins aussi référé, mais plus théorique, de Jean-Louis Le Moigne La
théorie du système général. Théorie de la modélisation, op.cit., qui a le mérite de souligner les
singularisations nécessairement concomitantes du système et du modèle, que nous venons
d’expliciter. Il n’en reste pas moins que les traits fondamentaux de l’instauration de la
systémique furent donnés par Bertalanffy, et les développements en question peuvent à bon droit
être considérés comme les avatars de la progressive domination de la « science systémique ».
Aussi nous en tiendrons-nous ici au texte de sa Théorie générale des systèmes.
2
M. Heidegger, « La provenance de l’art et la destination de la pensée », op.cit., p.372.
MODÈLE ET SYSTÈME 205
1
L. von Bertalanffy, op.cit., p.20.
2
Cf. ibid., p.18-21 et 93-98.
3
Cf. D. Ruelle, « Hasard et chaos », op.cit., p.53-59.
4
I. Prigogine, « Les lois du chaos », op.cit., p.33.
206 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, ibid.
2
Cf. D. Ruelle, op.cit., p.171-178, ainsi que L. von Bertalanffy, op.cit., p.40-41.
MODÈLE ET SYSTÈME 207
1
M. Heidegger, « Science et méditation », op.cit., p.68.
2
M. Heidegger, « La provenance de l’art et la destination de la pensée », op.cit., p.372.
3
Cette « systémicité » ne doit pas être entendue comme caractère systématique, systématicité,
mais bien comme « être-système », c’est à dire permanence de l’autorégulation circulaire.
208 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Cf. D. Ruelle, op.cit., p.75-105.
2
I. Prigogine, op.cit., p.65.
3
Ibid., p.94.
MODÈLE ET SYSTÈME 209
1
Cf. D. Ruelle, op.cit., p.84-85, et pour une présentation plus générale et moins technique : J.
Gleick, La théorie du chaos, trad.fr. C. Jeanmougin, Paris, Flammarion, 1991, p.159-197.
2
Cf. K. Popper, Un univers de propension, op.cit., p.35 : « L’introduction du concept de
propension équivaut à une nouvelle généralisation de l’idée de force ».
3
Cf. W. Heisenberg, La nature dans la physique contemporaine. II : Physique de l’atome et
loi de causalité, trad.fr. U. Karvelis, Paris, Gallimard, 1962, p.157 : « Les lois de la théorie
quantique doivent être de nature statistique. Voici un exemple : nous savons qu’un atome de
radium peut émettre des rayons α. La théorie des quanta est capable d’indiquer, par unité de
temps, le degré de probabilité, pour la particule α, d’abandonner le noyau ; mais elle ne peut
prévoir le moment précis de cet événement, lequel est indéterminé par principe. »
210 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « Entretien du professeur Richard Wisser avec Martin Heidegger », 1969,
trad.fr. M. Haar, Cahier de l’Herne, op.cit., p.385.
2
M. Heidegger, « Science et méditation », op.cit., p.68. Nous conservons ici le terme allemand
Gestell, rendu dans la traduction d’A. Préau par « arraisonnement ». Par souci de clarté, nous
MODÈLE ET SYSTÈME 211
procèderons de même par la suite, avant de rappeler et discuter les différentes traductions
existantes.
212 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
CHAPITRE VII
1
M. Heidegger, « La question de la technique », Essais et conférences, op.cit., p.26.
214 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « Le dispositif », trad.fr. S. Jollivet, Po&sie, n°115, Paris, Belin, 2006, p.15.
2
M. Heidegger, « La question de la technique », op.cit., p.23.
DU GE-STELL COMME « SYSTÈME » 215
1
M. Heidegger, « Le dispositif », op.cit., p.23. Comme précédemment, nous conservons ici le
terme Gestell, rendu dans la traduction de Servanne Jollivet par « dispositif ».
DU GE-STELL COMME « SYSTÈME » 217
1
H. Poincaré, La science et l’hypothèse, Paris, Flammarion, 1968, p.146.
2
M. Heidegger, « Le dispositif », op.cit., p.18-19.
218 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « Le tournant », op.cit., p.309.
2
M. Heidegger, « Lettre sur l’humanisme », op.cit., p.87.
DU GE-STELL COMME « SYSTÈME » 219
1
Ibid., p.45.
DU GE-STELL COMME « SYSTÈME » 221
1
Nous citons, malheureusement.
222 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Cf. A. Rey, op.cit., p.653.
2
M. Heidegger, Le principe de raison, trad.fr. A. Préau, Paris, Gallimard, 1962, p.261.
DU GE-STELL COMME « SYSTÈME » 223
1
M. Heidegger, « Le dispositif », op.cit., p.23.
2
W. Heisenberg, La nature dans la physique contemporaine, op.cit., p.137.
3
M. Heidegger, « La question de la technique », op.cit., p.36.
224 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
sous la forme du fonds. Par ailleurs, ce support est ce qui par essence
« ajointe » : il commande la connexion, et par là préside la formation
de tout ensemble. Il est donc ce qui détermine tout « disposer »
comme « ensemble », c'est-à-dire la disposition comme telle de tout
ensemble d’éléments interconnectés.
Disons-le donc sans plus d’ambages : le Ge-stell, comme ce qui
rassemble à partir de lui énergie, connexion et commande, par quoi il
constitue le support de tout ensemble, nous paraît correspondre en
tout point au terme « Système » tel qu’il se déploie depuis
l’émergence de la systémique1, déterminant et fondant celle-ci en
imposant universellement son hypothèse fondamentale sous la
forme du « Système général » désigné par Bertalanffy et ses
successeurs. Ici s’éclaire alors quelque peu ce qui avait été avancé au
§ 11, sous le terme de « Système de production » : celui-ci relève
ainsi intégralement du Ge-stell en tant que synthèse originaire de
toute énergie, connexion et commande. Cette synthèse précède la
synthèse originaire du subjectum, dont elle est proprement la
condition.
1
C’est pourquoi, précisons-le aussi en passant, il convient de distinguer Lacan de tout
« structuralisme », précisément parce que chez lui l’« analyse » ne saurait être celle des fonctions
sous-tendue par la structure, mais consiste bien, comme il le déclare le plus clairement du monde
dans sa « Radiophonie », à « s’assurer de l’effet du langage », ce qu’il nomme « suivre la
structure ». Ce qui, poursuit-il, ne se fait « qu’à écarter la pétition de principe qu’il la reproduise
de relations prises au réel », pétition propre au « guêpier de l’idéalisme » faisant du langage une
« fonction du collectif ». Il se réfère d’ailleurs ici explicitement à une « autre structure ».
2
L. von Bertalanffy, op.cit., p.87.
DU GE-STELL COMME « SYSTÈME » 231
1
A. Rey, op.cit., p.2220.
2
Ibid.
232 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
système comme tel qui le donne, en tant qu’il faut entendre dans le
« placé debout » l’effectivité en acte de l’ensemble. Dans son
dictionnaire historique, Alain Rey précise les origines du « poser » et
du « placer debout » que l’on trouve ajointés au syn respectivement
dans la synthèse et le système :
« tithenai “poser”, d’une base – the – qui se rattache à une racine
indoeuropéenne °dhe- “placer”, la consonne du- étant représentée en latin
par le f de facere “faire” […] histanai “placer debout”, forme à redoublement,
de °sista-, qui se rattache à la racine indoeuropéenne °stā “être debout”,
comme le latin stare. »1
1
A. Rey, op.cit., p.2219- 2220.
2
G.W.F. Hegel, Phénoménologie de l’esprit, trad.fr. J. Hyppolite, Paris, Aubier-Montaigne,
1941, t. I, p.70
DU GE-STELL COMME « SYSTÈME » 233
1
Ibid., p.77.
2
Ibid., t. II, p.304.
3
Faut-il relier cette “position” à l’existence d’un « a priori grammatical », seul à même de
constituer, comme le propose magistralement Jocelyn Benoist, le principe de toute synthèse ? Il
paraît délicat d’entamer ici une telle discussion, qui demanderait une tout autre analyse du
système en tant que « système conceptuel ». La question mérite toutefois d’être posée, qui
suggèrerait un rapprochement pour le moins inattendu de la pensée hégélienne avec la double
tradition analytico-phénoménologique convoquée par Benoist. Le medium d’un tel
rapprochement serait alors la question de la relation du « conceptuel » à l’absolu. Cf. J. Benoist,
L’a priori conceptuel. Bolzano, Husserl, Schlick, Paris, Vrin, 1999, p.173 : « Ce synthétique a
priori conceptuel – il n’y en a pas d’autre – recouvre alors exactement la sphère de l’a priori
matériel husserlien. » ; p.206 : « Ce que nous entendons souligner au titre d’une véritable logique
de l’existence, c’est au contraire l’intrication extrême de notre langage et de notre monde,
constitutive au point que celle-ci prenne (presque) la figure d’a priori. » ; et plus généralement :
p.105-129 et p.153 sq.
234 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
L. von Bertalanffy, op.cit., p.33.
2
Ibid., p.86.
236 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
E
I I
1
Cf. T.F.H. Allen et T.B. Starr, Hierarchy : perspectives for ecological complexity, Chicago,
University of Chicago Press, 1982.
2
En gras sont schématisées les contraintes entre niveaux d’organisation ; E : contraintes
« émergentes » ; I : contraintes « immergentes ».
DU GE-STELL COMME « SYSTÈME » 237
1
Cf. M. Heidegger, « Dépassement de la métaphysique », op.cit., p.111 : « Le cercle de
l’usure pour la consommation est l’unique processus qui caractérise l’histoire du monde devenu
non-monde (Umwelt) ». Ce « non-monde », le système comme tel en donne une évidente
version.
238 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « Qu’est-ce que la métaphysique ? », op.cit., p.80.
240 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
On l’a vu, il faut ici entendre Gestell au triple sens des traductions
existantes : arraisonnement, co-sommation et dispositif. En tant que
tel, il est le Système de production, comme isomorphisme de
l’organisation de la connexion et production de l’organisation. La
science contemporaine, c’est à dire l’articulation même de l’époque
de la technique, met l’homme face au Gestell comme au destin le
plus intime de la pensée, en tant qu’elle le place face à la possibilité
de penser l’accord comme fond du σύστηµα. Elle constitue donc en
même temps une occasion insigne, comme le répète Heidegger,
l’occasion de la plus extrême faveur, l’occasion de la pensée, dont
l’élément propre est précisément l’accord. Mais cette faveur reste
occultée par le péril que la provenance du Gestell, c’est à dire du
Système, et donc l’essence de la production, tombe définitivement
dans l’oubli face à l’éclat de l’organisation de la connexion :
« La technique n’est pas ce qui est dangereux. Il n’y a rien de démoniaque
dans la technique, mais il y a le mystère de son essence. C’est l’essence de la
technique, en tant qu’elle est un destin de dévoilement, qui est le danger. »1
1
M. Heidegger, « La question de la technique », op.cit., p.37.
2
Cf. § 16.
3
Cf. § 15.
DU GE-STELL COMME « SYSTÈME » 241
1
M. Heidegger, « Le tournant », op.cit., p.313.
242 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
CHAPITRE VIII
1
On pourrait ici parodier – ou plutôt infléchir et préciser – la formule célèbre de Lacan :
l’homme du Système n’existe pas, mais seulement son sujet – où il est bien question de
domination…
SYSTÈME ET MÉTAPHYSIQUE 245
1
M. Heidegger, « L’époque des “conceptions des mondes” », op.cit., p.117.
2
M. Heidegger, Hegel. La négativité – Éclaircissements de l’Introduction à la
Phénoménologie de l’esprit de Hegel, trad.fr. A. Boutot, Gallimard, Paris, 2007, p.89.
SYSTÈME ET MÉTAPHYSIQUE 247
1
G.W.F. Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques. T. I : La science de la logique, §
14 (1827-1830), trad.fr. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 1970, p.180.
2
M. Heidegger, La « Phénoménologie de l’esprit » de Hegel, trad.fr. E. Martineau, Gallimard,
Paris, 1984, p.49.
SYSTÈME ET MÉTAPHYSIQUE 249
1
G.W.F. Hegel, ibid., p.312-313.
SYSTÈME ET MÉTAPHYSIQUE 251
1
M. Heidegger, « Hegel et son concept de l’expérience », op.cit., p.241-242.
2
M. Heidegger, « La constitution onto-théo-logique de la métaphysique », op.cit., p.284.
252 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, Hegel. La négativité – Éclaircissements de l’Introduction à la
Phénoménologie de l’esprit de Hegel, op.cit., p.152.
SYSTÈME ET MÉTAPHYSIQUE 253
1
Ibid., p.162.
254 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « Hegel et son concept de l’expérience », op.cit., p.243.
2
Ibid., p.225.
SYSTÈME ET MÉTAPHYSIQUE 255
1
Ibid., p.242.
256 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Cf. ibid., p.298-299.
258 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « Le nihilisme européen », Nietzsche II, trad.fr. Pierre Klossowski, Paris,
Gallimard, 1971, p.167.
2
Le verbe tragen signifie « porter ».
3
F.G. Eichhoff et W. de Suckau, Dictionnaire étymologique des racines allemandes, avec leur
signification française et leurs dérivés classés par familles, op.cit., p.51.
SYSTÈME ET MÉTAPHYSIQUE 259
1
Cf. § 1.
2
Ibid., p.305.
3
Cf. § 28.
260 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Cf. « La parole d’Anaximandre, op.cit., p.430 : « ∆ίϰη, pensé à partir de l’être comme
présence, est l’accord joignant et accordant (der fugend-fügende Fug) », ainsi que le cours de
1935, Introduction à la métaphysique, op.cit., p.166. Ce qui est dit précédemment de l’Austrag
converge en grande partie avec l’analyse du Fug que propose D. Franck dans son ouvrage
Heidegger et le christianisme, Paris, PUF, 2004, p.29-39.
2
M. Heidegger, Parménide, trad.fr. T. Piel, Paris, Gallimard, 2011, p.151.
SYSTÈME ET MÉTAPHYSIQUE 261
1
Ibid., p.157.
2
Une formule encore plus barbare peut être lancée, qui n’a d’autre but que de tâcher de
préciser les choses : Fug + Unterschied = Austrag ; ordre juste de l’ajointement + dimension de
la différence = accord. À condition, bien sûr, d’entendre l’addition comme déploiement de la
somme, et non pas construction de celle-ci. L’Austrag est l’accord à partir de quoi ajointement
juste et dimension de la différence trouvent leur lieu propre.
262 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
un contrat que passent les différentes notes entre elles, mais bien ce
qui les « concilie » en tant qu’il oriente leur rassemblement. Il ne
saurait être un compromis atténuant les tensions, mais au contraire
ce dans quoi seul ces tensions apparaissent comme tensions dans leur
rassemblement même, ce qui leur donne leur sens de tensions. Par
là, il les tient à la fois écartées et rapportées l’une à l’autre, tout en
constituant l’élément de leur apparition.
Ainsi pensée à partir de l’Austrag, comme fonction de la
différence, l’onto-théo-logie métaphysique doit bien être nommée le
« système essentiel », parce qu’en elle se déploie l’essence du système,
à savoir l’accord. Penser l’essence de la métaphysique, c’est donc
questionner la différence et, à travers elle, questionner l’accord dans
lequel le système trouve son essence et son origine.
besoin. » (R. Brague, Au moyen du Moyen Âge. Philosophie médiévales en chrétienté, judaïsme
et islam, Nouvelle édition revue et corrigée, Chatou, La Transparence, 2006, coll. « Champs
essais », Flammarion, p.171).
1
Cf. § 14.
266 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Cf. § 16.
268 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « Science et méditation », op.cit., p.75.
2
Ainsi, caractérisant ce qu’ouvre l’achèvement nietzschéen de la métaphysique, Heidegger
parle de « l’ère de la parfaite absurdité ». Cf. M. Heidegger, Nietzsche II, trad.fr. P. Klossowski,
Paris, Gallimard, 1971, p.23 : « C’est à l’époque de la parfaite absence de sens que s’accomplit
l’essence des Temps modernes ».
270 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Ibid.
2
Ibid., p.76.
SYSTÈME ET MÉTAPHYSIQUE 271
1
Cf. § 15.
2
M. Heidegger, « Lettre sur l’humanisme », op.cit., p.127.
272 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
CHAPITRE IX
(GE-STELL ET EREIGNIS)
1
E. Husserl, La philosophie comme science rigoureuse, op.cit., p.16.
2
Ibid., p.41.
3
Ibid., p.16.
4
Ibid., p.64.
5
Ibid., p.63.
L’ÉCART PHILOSOPHIQUE 275
1
Ibid.
2
Ibid., p.68.
3
Ibid., p.72.
4
Ibid., p.75.
5
Ibid., p.68.
276 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
Ce qui est dit ici doit être mis en relation avec ce que nous
disions précédemment5. L’organisation présupposée, l’« unité de
structure », n’est pas le modèle systémique comme « assemblage
1
M. Heidegger, « L’époque des “conceptions des mondes” », op.cit., p.122.
2
Cf. Ibid., p.130 : “Il est vrai que la Weltanschauung a besoin de l’érudition philosophique et
qu’elle s’en sert ; mais elle n’a nul besoin de la philosophie, ayant pris sur soi, en tant que
Weltanschauung, une interprétation et conformation propre de l’étant ». Heidegger joue en
même temps ici sur le sens de la Weltanschauung comme vision du monde se faisant idéologie,
double sens qui pointe que toute « vision du monde » se fonde intégralement sur une conception
du monde ; qu’elle est une construction à partir d’une conception du monde.
3
Ibid., p.117.
4
Ibid., p.131. Nous soulignons.
5
Cf. § 29.
L’ÉCART PHILOSOPHIQUE 277
1
Ibid.
2
Ibid., p.132.
278 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Ibid., p.131.
2
M. Heidegger, « Science et méditation », op.cit., p.77.
3
M. Heidegger, « L’époque des “conceptions des mondes” », op.cit., p.123.
L’ÉCART PHILOSOPHIQUE 279
1
Ibid., p.132.
2
Ibid., p.123.
3
M. Heidegger, « Science et méditation », op.cit., p.77.
280 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
sources différentes, elles ont des rôles, des effets et des types
d’enseignements distincts. »1 Une telle conclusion se fonde sur la
distinction superficielle de la sphère des « valeurs humanistes » d’une
part et de celle de l’objectivité systématique d’autre part. Elle occulte
ainsi totalement le jeu essentiel de l’établissement réciproque du
règne de la valeur et du règne du système, auquel s’attache
Heidegger. Ce jeu, nous pouvons le résumer comme suit : la
« sphère » des valeurs est essentiellement système en tant
qu’organisation de la conformation à la prescription du Ge-stell ; la
science comme systémique est en soi déploiement de la valeur, en
tant qu’elle réalise la confirmation de la configuration (Ge-bild)
systémique comme isomorphisme fonctionnel. Par là, l’avènement
de l’époque est celui de « l’époque des conceptions du monde », c’est
à dire l’avènement du Weltbild en lequel « s’accomplit une
assignation décisive quant à l’étant dans sa totalité »2, en tant que
celui-ci « n’est vraiment et seulement étant que dans la mesure où il
est arrêté et fixé par l’homme dans la représentation et la
production »3. En ce sens, représentation et production culturelles
de l’idéal des visions du monde d’une part, et représentation et
production des modèles systémiques d’autre part, se soutiennent
mutuellement. C’est pourquoi toute philosophie se revendiquant
scientifique, qu’elle soit « phénoménologique » au sens de Husserl,
ou « scientiste »-objectiviste, d’une part, et philosophie de la vision
du monde d’autre part, se déploient toutes deux dans le même
mouvement du Weltbild comme configuration (Ge-bild) rassemblant
formation (Bildung) et modèle (Vorbild) – rassemblement de la
configuration que dispense le Gestell, comme production pure et
système. Dans ce déploiement, l’homme s’assure lui-même comme
subjectum, répondant en cela à la prescription du système de
production par le jeu réciproque de la conformation comme
production de valeur – la culture – et de la confirmation comme
1
E. Husserl, La philosophie comme science rigoureuse, op.cit., p.82.
2
M. Heidegger, « L’époque des “conceptions des mondes” », op.cit., p.117.
3
Ibid.
L’ÉCART PHILOSOPHIQUE 281
1
M. Heidegger, « Lettre sur l’humanisme », op.cit., p.105-106.
282 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Cf. § 11 et 12.
L’ÉCART PHILOSOPHIQUE 283
1
M. Heidegger, « Pourquoi des poètes », op.cit., p.353.
2
Cf. § 15.
3
M. Heidegger, Nietzsche II, op.cit., p.135.
4
Cette différence essentielle entre les deux « Je », comme subjectum et « sujet » se retrouve à
l’œuvre dans l’écart de la subjectité à la subjectivité.
284 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
E. Kant, Critique de la raison pure, op.cit., §125, B 157, p.213. Nous modifions légèrement
la traduction de A. Renaut, qui donne pour la dernière proposition : « j’ai seulement conscience
du fait que je suis ». L’allemand dit : « sondern nur daβ ich bin. ». Il n’est pas question de
« fait » ici, mais bien de la pure conjonction daβ.
2
J. Beaufret, « Remarques sur Descartes », Dialogue avec Heidegger. Philosophie moderne,
Paris, Éditions de minuit, 1973, p.45.
3
Ibid., p.42.
L’ÉCART PHILOSOPHIQUE 285
1
Ibid., p.45.
2
M. Heidegger, « Le mot de Nietzsche “Dieu est mort” », op.cit., p.308.
L’ÉCART PHILOSOPHIQUE 287
1
Ibid., p.308-309.
288 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
E. Kant, Critique de la raison pure, op.cit., §16, B 132-133, p.198-199.
2
J. Beaufret, op.cit., p.32.
L’ÉCART PHILOSOPHIQUE 289
1
Ibid., p.112.
292 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
J. Benoist, L’a priori conceptuel, op.cit., p.206.
294 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Cf. ibid., p.106 : « Cet usage de l’étant est à son tour utilisé au bénéfice de l’équipement.
Mais, pour autant que celui-ci ne sert qu’à transformer en certitudes l’amélioration des
rendements et la propre mise en sûreté et pour autant que le but ainsi visé est en vérité l’absence
de but, cet usage est en réalité une usure. »
L’ÉCART PHILOSOPHIQUE 297
nous déplace vers un espace ouvert, à condition qu’il se transforme lui-même tout en
questionnant (ce que fait tout questionner véritable), et qu’il ouvre une nouvelle dimension, c'est-
à-dire projette un nouvel espace par-dessus tout et à travers tout. » (M. Heidegger, Introduction à
la métaphysique, op.cit., p.41). Il est vrai que Heidegger parle à cette occasion de « l’événement
d’un tel questionner ». Mais précisément, la transformation de la philosophie elle-même n’est
plus de l’ordre de l’avènement d’un « questionner véritable ». Il s’agit bien de la transformation
de cet avènement lui-même.
1
M. Heidegger, « De l’essence de la vérité », op.cit., p.188.
300 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
A. Rey, op.cit., p.633.
2
M. Heidegger, Être et Temps, op.cit., § 52, [258], p.189 sqq.
3
M. Heidegger, « Pourquoi des poètes », op.cit., p.325.
L’ÉCART PHILOSOPHIQUE 301
l’être lui-même. »1
1
M. Haar, « Le tournant de la détresse », Cahier de l’Herne Heidegger, op.cit., p.353.
2
M. Heidegger, « Dépassement de la métaphysique », op.cit., p.104.
3
M. Heidegger, « Pourquoi des poètes », op.cit., p.325.
4
M. Heidegger, « Le mot de Nietzsche “Dieu est mort” », op.cit., p.321.
302 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « Sérénité », Questions III et IV, op.cit., 172.
2
M. Heidegger, Être et Temps, op.cit., § 29, [136], p.114.
3
Ibid., [137], p.115.
4
M. Heidegger, « Sérénité », op.cit., p.153.
5
Ibid., p.145.
L’ÉCART PHILOSOPHIQUE 303
comme destin. Elle est donc bien l’écart de la pensée elle-même qui,
s’écartant de la prise dans la prescription systémique, c'est-à-dire de
son emprise, se tend vers l’entente de la provenance propre du
Gestell. Cette provenance est « le rassemblement de la production,
du laisser arriver au relief d’une présence dans le tracé comme
contour (πέρας) »1, c’est à dire circonscription de la finitude du
Possible comme tel, dont la contrainte de l’étroitesse détermine les
traces, le contour de ce qui entre en présence. La sérénité est ainsi
l’écart de la pensée dans l’élément de la détresse, par quoi celle-ci
s’ouvre à l’Ouvert du Possible.
Le tournant « n’ » est « qu’ » un écart, en cela qu’il n’est pas un
événement, mais ce qui tâche de correspondre à (avec) l’événement
de l’Avènement (Ereignis). En quoi il ne s’« établit » pas comme
avancée dialectique, mais reste inscrit dans le provisoire de la
correspondance à l’événement, événement qui seul peut s’établir.
Une telle tâche ne renverse ni ne dépasse rien ; elle ne lève pas plus
le simulacre qu’elle ne le combat, mais trouve au contraire son sol
dans le simulacre lui-même du Gestell, d’où elle ouvre l’écart où se
révèle le simulacre en son être de simulacre, c’est à dire comme
envoi propre de l’Ereignis. Aussi le tournant est-il avant tout celui
du simulacre lui-même qui, se tournant par l’écart de la pensée, se
dévoile comme simulacre. Il ne faut donc pas ici entendre le
simulacre dans la négativité de la tromperie ou de l’imposture. Bien
au contraire, en tant qu’il constitue l’envoi propre du simulé qui se
dissimule, le simulacre systémique est l’habitation même dans
l’envoi en retrait de l’Ereignis, habitation que seul l’écart peut
révéler. Que cet écart soit celui de la philosophie elle-même,
Heidegger, nous l’avons vu au § 2, le laisse entendre lorsque, près de
dix ans avant la formulation explicite du thème de « la fin de la
philosophie », il détermine la philosophie comme « correspondance
à l’être de l’étant »2, correspondance qui « se déploie essentiellement
1
M. Heidegger, « L’origine de l’œuvre d’art », Chemins qui ne mènent nulle part, op.cit.,
p.95.
2
M. Heidegger, « Qu’est-ce que la philosophie ? », op.cit., p.336.
304 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Ibid., p.337.
2
M. Heidegger, « Dépassement de la métaphysique », op.cit., p.115.
CHAPITRE X
1
Cf. Juranville, op.cit., p.330 sq.
PENSÉE ET SAVOIR 307
Et ailleurs :
« Pour la sauvegarde de l’être de l’homme, la Psychologie prise en elle-
même, non plus que la Psychothérapie, ne peuvent rien. »3
1
Cf. § 28.
PENSÉE ET SAVOIR 311
1
M. Heidegger, « Comme au jour de fête », trad.fr. M. Deguy et F. Fédier, Approche de
Hölderlin, Paris, Gallimard, 1973, p.80.
2
M. Heidegger, « Terre et ciel de Hölderlin », op.cit., p.216-217.
312 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
J. Lacan, Le séminaire, liv XX, Encore, op.cit., p.26 sq.
2
P. La Sagna, « Controverses sur le mental », La Cause freudienne, Paris, Navarin/Le Seuil,
n°62, 2006, p.46.
314 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
J. Lacan, Le séminaire, liv. II, Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la
psychanalyse, Paris, Seuil, 1978, p.353.
PENSÉE ET SAVOIR 315
1
J. Lacan, Le séminaire, liv. XX, Encore, op.cit., p.95.
2
J. Lacan, Le séminaire, liv. XVI, D’un Autre à l’autre, Paris, Seuil, 2006, p.13.
316 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Que représentation et pensée soient inextricablement liées, le présent travail l’a suffisamment
montré, mais en partant précisément d’une distinction nette des deux, distinction dont le lieu est
le topos dual de l’écart, dans lequel peut devenir question l’élément de la cohérence de la
connexion. Mais cette liaison ne signifie donc en aucun cas que toute pensée soit « strictement
représentante ». Heidegger a largement démontré le contraire, faisant de cet écart au calcul
scientifique – la réflexion-représentation modélisatrice – le socle même de la pensée.
2
A. Juranville, Lacan et la philosophie, Paris, P.U.F., 1984.
PENSÉE ET SAVOIR 317
1
J. Lacan, ibid.
2
M. Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ?, op.cit., p.24.
3
Cf. A. Juranville, Lacan et la philosophie, op.cit., p.481 : « Ce que donne à penser la
psychanalyse, qui est ce qui y donne le plus à penser, c’est que nous ne penserons jamais tout à
318 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
fait, c’est la présence de la non-pensée au plus intime de la pensée. L’homme n’a, d’une certaine
manière, jamais cessé de le savoir. Mais le discours psychanalytique en énonçant l’inconscient
l’inflige irrémissiblement, le diffuse dans tous les recoins et les refuges du monde social. »
PENSÉE ET SAVOIR 319
1
Le mot se trouve dans une intervention radiophonique datant de 1970, nommément aux
Après-midi de France Culture. Nous ne résistons pas au désir de reproduire dans son intégralité
le passage en question, pour le moins capital et éclairant pour ce que nous disons ici. La
magnifique pointe terminale y porte quelque chose du plus grand et rare panache : « Bon ben
disons quelque chose de plus : l’analyse n’est pas une science. C’est un discours sans lequel le
discours dit de la science n’est pas tenable par l’être qui y a accédé depuis pas plus de trois
siècles, d’ailleurs. Le discours de la science a des conséquences irrespirables, pour ce qu’on
appelle l’humanité. L’analyse, c’est le poumon artificiel, grâce à quoi on essaie d’assurer ce qu’il
faut trouver de jouissance dans le parler pour que l’histoire continue. On ne s’en est pas encore
aperçu, et c’est heureux. Parce que dans l’état d’insuffisance et de confusion où sont les
analystes, le pouvoir politique aurait déjà mis la main dessus, aux analystes. Ce qui leur aurait
ôté toute chance d’être ce qu’ils doivent être : compensatoires. En fait c’est un pari, c’est aussi
un défi, que j’ai soutenu. Je le laisse livré aux plus extrêmes aléas. Mais, dans tout ce que j’ai pu
dire, quelques formules heureuses peut-être surnageront. Tout est livré dans l’être humain à la
fortune. »
2
J. Lacan, « La science et la vérité », Écrits II, op.cit., p.224.
320 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
J. Lacan, Le séminaire, liv. VII, L’éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986, p.9.
2
Cf. § 1 et 2.
PENSÉE ET SAVOIR 321
1
M. Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ?, op.cit., p.36.
2
La négligence de la domination systémique, au profit de la primauté univoque de l’action,
induit un renversement du sens qu’il convient de donner à cette puissance de neutralisation,
renversement qu’une certaine tendance de la philosophie contemporaine semble avoir
résolument pris en charge. Que l’on songe par exemple à la stupéfiante déclaration d’Alain
Badiou, commentant le quadruple constat que Heidegger fait dans son Introduction à la
métaphysique de 1935 : « De telle sorte que la fuite des dieux est aussi le bénéfique congé qui
leur est donné par les hommes ; que la destruction de la Terre est aussi son aménagement comme
convenance à la pensée active ; que la grégarisation est aussi l’irruption égalitaire des masses sur
la scène de l’histoire ; et que la prépondérance du médiocre est aussi l’éclat et la densité de ce
que Mallarmé nommait l’action restreinte. » (A. Badiou, Court traité d’ontologie transitoire,
Paris, Seuil, 1998, p.27). C’est là la plus étrange, et pour le moins inquiétante, interprétation qui
se puisse donner de cette décroissance systémique de l’être, devenue gentiment « l’aménagement
de la Terre comme convenance à la pensée active ». Charmante formule en vérité, où résonne
l’unique et rêche ambition de toute bonne intention qui se respecte, à savoir, comme dit l’adage,
l’aménagement de l’enfer. Elle fait irrésistiblement penser à la réponse fabuleuse que fit
Bernanos au journaliste malicieux qui lui avait posé, à la suite de la parution du roman « Sous le
soleil de Satan », la faramineuse question « Avez-vous vu le diable ? ». Sa réponse finissait
ainsi : « Je me le représente assez sous les traits d’un idéaliste qui baptise de noms évangéliques,
PENSÉE ET SAVOIR 323
à l’usage des nigauds, les forces obscures qui mettront demain l’univers à feu et à sang. » (G.
Bernanos, Le crépuscule des vieux, Paris, Gallimard, 1956, p.61).
1
Matthieu, 4 ; Luc, 4, 1-12.
324 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
J.-F. Mattéi, Heidegger et Hölderlin. Le Quadriparti, Paris, PUF, 2001. On trouvera
également une synthèse de la généalogie heideggérienne du Quadriparti dans l’article du même
auteur : « Emmanuel Faye, l’introduction du fantasme dans la philosophie », Le Portique [En
ligne], 18 | 2006, mis en ligne le 15 juin 2009, URL : http://leportique.revues.org/index815.html,
§ 13-51. Nous ne discuterons ni ne détaillerons pas ici cette généalogie proposée par Mattéi,
puisque notre question n’est pas tant celle de la genèse du Quadriparti, que de son rapport au
ternaire de la pensée.
2
Cf. M. Heidegger, Aristote, Métaphysique Θ 1-3. De l’essence et de la réalité de la force,
op.cit. p.20-26, et « Lettre à Richardson », op.cit., p.341.
3
Aristote précise bien : « L’être par essence reçoit autant d’acceptions qu’il y a de sortes de
catégories, car les significations de l’être sont aussi nombreuses que ces catégories. »
(Métaphysique, t.1, op.cit., ∆, 7, 1017 a 22, p.181).
326 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Mattéi parle de « quadrature de l’étant ». Cf. J.-F. Mattéi, Heidegger et Hölderlin. Le
Quadriparti, op.cit., p.33-85.
2
Cf. M. Heidegger, « Qu’est-ce que la philosophie », op.cit., p.36, et surtout l’intégralité de la
quatrième partie du cours de 1935, Introduction à la métaphysique, intitulée « La limitation de
l’être » (op.cit., p.102-202).
3
Cf. M. Heidegger, « Ce qu’est et comment se détermine la ΦΥΣΙΣ », op.cit., p.486.
PENSÉE ET SAVOIR 327
1
Cf. M. Heidegger, « L’époque des conceptions du monde », op.cit., p.135, et « Le nihilisme
européen », op.cit., p.162.
2
J.-F. Mattéi, ibid., p.84.
328 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
§ 40. Le dual
1
M. Heidegger, « Terre et ciel de Hölderlin », op.cit., p.229.
2
M. Heidegger, « La parole », op.cit., p.24.
PENSÉE ET SAVOIR 329
1
Ibid., p.27.
330 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Ibid., p.26.
2
M. Heidegger, « ...l'homme habite en poète... », Essais et Conférences, op.cit., p.233.
3
Ibid., p.234.
PENSÉE ET SAVOIR 331
1
Nous maintenons ici délibérément la majuscule, qui marque l’ambivalence persistante de
Heidegger. Ambivalence s’exprimant très clairement dans le texte cité, qui tâche d’articuler
« Dieu » et « le dieu ». C’est un des enjeux de la question de la relation entre Quadriparti et
trinité que d’éclairer cette ambivalence, dont l’expression « le Dieu » conserve la tension
paradoxale.
2
Ibid., p.237.
3
M. Heidegger, « Retour », op.cit., p.23.
332 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « Comme au jour de fête », op.cit., p.82.
PENSÉE ET SAVOIR 333
1
Ibid., p.234.
CHAPITRE XI
1
M. Heidegger, « Terre et ciel de Hölderlin », op.cit., p.222-223.
2
M. Heidegger, « Retour », op.cit., p.24.
3
F. Hölderlin, « Le pain et le vin », Odes, élégies, Hymnes, trad.fr. G. Roux, Paris, Gallimard,
Poésie, 1993, p.104.
TRINITÉ ET QUADRIPARTI 337
1
Ibid., « L’errant », trad.fr. F. Fédier, p.88.
2
Cf. F. Hölderlin, « Le pain et le vin », op.cit., p.105 : « Mais le fils du Très-Haut, durant la
longue attente, le Syrien descend comme un porteur de torche parmi les ombres. »
3
Cf. § 5.
338 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Je me permets de renvoyer à deux analyses remarquables, récemment publiées : P. Capelle,
« La signification du christianisme chez Heidegger », Maxence Caron (éd.), Heidegger, Les
TRINITÉ ET QUADRIPARTI 339
système. »1
1
J.-F. Mattéi, ibid., p.17.
2
Cf. saint Augustin, Les confessions, op.cit., X, 43, p.293 : « Le véritable médiateur que, dans
votre secrète miséricorde, vous avez envoyé et révélé aux hommes, afin que, par son exemple, ils
apprissent l’humilité, ce “ médiateur entre Dieu et les hommes, l’Homme Jésus-Christ”, s’est
manifesté entre les pécheurs mortels et le Juste immortel : mortel comme les hommes et juste
comme Dieu. »
3
M. Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ?, op.cit., p.255-256.
TRINITÉ ET QUADRIPARTI 341
1
Nous ne discuterons pas ici de la part de ces développements revenant en propre au
protestantisme que Heidegger a pourtant paradoxalement, et pour tout dire étrangement,
embrassé – accomplissant là encore le chemin inverse de Hölderlin – pour finalement le
congédier lui aussi.
2
P. Capelle, ibid., p.327.
342 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « L’origine de l’œuvre d’art », op.cit., p.84.
2
Ibid.
3
Cf. § 36.
4
Ibid., p.85.
5
Ibid. p.87.
6
Ibid., p.86.
TRINITÉ ET QUADRIPARTI 343
1
M. Heidegger, « La question de la technique », op.cit., p.13-14.
2
M. Heidegger, « L’origine de l’œuvre d’art », op.cit., p.71.
3
Cf. § 36 et 37.
4
Ibid. p.95-96. Nous commentons entre crochets.
344 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Cf. § 13.
2
M. Heidegger, « La question de la technique », op.cit., p.46.
3
M. Heidegger, « L’origine de l’œuvre d’art », op.cit., p.68.
4
M. Heidegger, « Logos », op.cit., p.260.
TRINITÉ ET QUADRIPARTI 345
1
§ 2.
346 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
Accord – Austrag
Instauration de
la Vérité Immédiat initial Fondation Donation en surcroît
Ouverture de
l’Ἀλήθεια θέσις ποίησις λόγος
Intensification
du dual puissance produit ajout
1
D. Franck, Heidegger et le christianisme, op.cit., p.10.
348 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, Qu’appelle-t-on penser, op.cit., p.171.
TRINITÉ ET QUADRIPARTI 349
une folie.
La philosophie réside dans cette folie. “Une philosophie chrétienne” est un
cercle carré et un malentendu. »1
1
M. Heidegger, Introduction à la métaphysique, op.cit., p.20.
2
M. Zarader, La dette impensée. Heidegger et l’héritage hébraïque, Paris, Seuil, 1990.
350 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Ibid., p.125.
2
Ibid., p.151.
3
Ibid., p.197.
TRINITÉ ET QUADRIPARTI 351
1
Cf. Ibid., p.188 : « Ainsi se confirme une remarquable constance de structure. Structure en
forme de clivage entre le “métaphysique” et l’“originel”, et comportant une part d’indécision
concernant le site auquel peut être renvoyée l’essence dite originelle. En cette indécision se joue
le difficile problème du rapport grec/allemand. »
352 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Le cours de 1935 va jusqu’à parler de « falsifications » (M. Heidegger, Introduction à la
métaphysique, op.cit., p.143).
354 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
§ 43. La Croix
1
Cf. R. Brague, Du dieu des chrétiens. Et d’un ou deux autres, Paris, Flammarion, 2008,
p.161 : « Ce verbe n’est pas n’importe quelle parole, même divine. Il est, comme le montre le
parallèle transparent avec le début de la Genèse, “au commencement”, la parole par laquelle
Dieu a tout créé, et qui ne peut donc être elle-même une créature. »
TRINITÉ ET QUADRIPARTI 357
1
L. Bloy, « Le fou », dans E. Hello, Prières et méditations, Paris, Arfuyen, 1993, p.49.
2
E. Hello, L’homme. La vie, la science, l’art, Versailles, Éditions de Paris, 2003, p.171.
3
Ibid., p.193.
4
Ibid., p.195.
5
Ibid., p.196.
358 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
C.-H. Rocquet, Jérôme Bosch et l’étoile des mages, Belgique, Nouvelles Éditions Mame,
1995, p.80.
2
Ibid., p.85.
TRINITÉ ET QUADRIPARTI 359
1
Ibid.
2
M. Heidegger, Écrits politiques, op.cit., p.260.
360 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
J.-F. Mattéi, La barbarie intérieure, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 3è édition, 2006, p.225.
2
M. Heidegger, « Le chemin de campagne », Questions III et IV, op.cit., p.12.
362 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
J.-F. Mattéi, ibid., p.224.
2
M. Heidegger, ibid., p.14.
TRINITÉ ET QUADRIPARTI 363
1
Ibid., p.15.
2
T. Lentz, Une passion. Promenades autour de la Crucifixion de Velázquez, Perrin, 2011,
p.105-106.
3
M. Heidegger, ibid., p.15.
364 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Ibid., p.11.
2
Ibid.
3
Ibid., p.13.
TRINITÉ ET QUADRIPARTI 365
Voilà nommé par Heidegger lui-même le topos dual qui fut l’objet
de nos pérégrinations au fil de sa pensée. Articulant et accordant
grâce trinitaire et ordre quadripartite, en tant que la grâce toujours
déjà là portant tout ordre, la croix donne et porte le départ pour
chaque « tour vers ». En l’occurrence, vers la forêt, cet ensemble à la
fois inquiétant et radieux, qui n’est pas un système sans être plus un
chaos. La forêt où se dressent les arbres innombrables en pleine
force de leur déploiement, leur élévation accomplie, tous ces
« maîtres » donnant la mesure de la pensée parce qu’ils l’ont
parcourue. Vers la forêt : c'est-à-dire, verticalement, vers l’aventure
finie de la philosophie, son impensé et son en-deçà, son humus
fondant l’humanité de l’homme, comme vers ses altitudes et ses
cimes, qui le font tenir debout ; et donc également, horizontalement,
vers ses enchevêtrements et ce qu’ils laissent libre, les obscurités
dont Héraclite s’était fait le héraut, et les clairières et les éclaircies
surgissant comme de nulle part. Cette simple phrase aux
résonnances multiples résume à elle seule le parcours même qui fut
celui de Heidegger : à partir de la théologie, la bifurcation vers les
Grecs. Mais simultanément elle en donne la vérité, c'est-à-dire le
manquement et l’oubli : la bifurcation repose sur l’« à partir », non
pas de la théologie, mais bien de la croix elle-même.
« À partir de la croix il tourne vers la forêt. »
1
C. Péguy, « Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne », Œuvres en prose
complètes III, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1992, p.1280.
368 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
A. Juranville, « Du malin génie de Descartes au Surmoi de la psychanalyse », L’Âne. Le
magazine freudien, Diffusion Seuil, n°64, 1996, p.35.
2
F. Alquié, Leçons sur Descartes. Science et métaphysique chez Descartes, Paris, La Table
Ronde, 2005, p.181.
3
M. Heidegger, « Le nihilisme européen », Nietzsche II, op.cit., p.109.
370 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, Être et Temps, op.cit., [89], p.84.
2
Ibid., § 43b, [211], p.158.
LE CAS « DESCARTES » ET LE CERCLE CARRÉ 371
1
F. Alquié, op.cit., p.162.
2
M. Heidegger, « Le nihilisme européen », op.cit., p.126.
3
R. Descartes, Œuvres et lettres, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1987, p.299.
372 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
F. Alquié, op.cit., p.204.
2
Ibid., p.205.
3
J.-F. Mattéi, La barbarie intérieure, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 3è édition, p.153.
LE CAS « DESCARTES » ET LE CERCLE CARRÉ 373
1
P. Valéry, « Descartes », Variété III, IV et V, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2002,
p.488.
2
J.-F. Mattéi, op.cit., p.9.
374 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
E. Kant, op.cit., B 631, p.536.
LE CAS « DESCARTES » ET LE CERCLE CARRÉ 375
1
S. Augustin, « Le libre arbitre », livre II, II, 5, Le maître – Le libre arbitre, Paris, Institut
d’études augustiniennes, « Nouvelle bibliothèque augustinienne », 1993, p.150.
2
Ibid., III, 7, p.153-154.
376 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
F. Alquié, op.cit., p.77.
2
R. Descartes, op.cit., p.937.
LE CAS « DESCARTES » ET LE CERCLE CARRÉ 377
Ainsi, le chapitre II, intitulé Que Dieu est véritablement, dit : j’ai
l’idée de l’infini, de même que l’insensé qui nie la réalité de l’infini,
mais ne peut nier la réalité de l’idée elle-même ; or un infini
purement réel sera « plus grand » qu’un infini purement idéel ; donc
l’infini dont j’ai l’idée ne peut être que réel. Le chapitre III, intitulé
Que l’on ne peut penser que Dieu n’existe pas, dit plus directement :
l’infini réel est plus que l’infini comme n’existant pas ; l’infini
n’existant pas n’est donc pas l’infini ; seul l’infini réel est
véritablement infini. Donc l’infini existe. Autrement dit, le chapitre
III montre que la preuve par l’idée est en réalité une preuve
ontologique.
Chez Descartes, bien sûr, la texture de la preuve par l’idée, dans
la troisième Méditation, n’est pas la même, car fondée sur la
causalité qu’il déplie selon trois modes : cause de l’idée de Dieu ;
cause de l’ego ; et enfin cause du maintien de l’ego dans l’être, selon le
thème si capital de la création continuée. Mais il s’agit bien
1
S. Anselme, Sur l’existence de Dieu (Proslogion), chap. II, Paris, Vrin, 1992, p.13.
2
Ibid., chap. III, p.15.
LE CAS « DESCARTES » ET LE CERCLE CARRÉ 379
1
R. Descartes, op.cit., p.312.
380 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
Et Anselme enfonce le clou juste après : « qui que tu sois, toi qui
dis que l’insensé aurait pu le dire ». Le même agacement perce sous
la plume magnifiquement acérée de Descartes, au début de sa
réponse aux premières objections de Caterus :
« Je vous confesse que vous avez suscité contre moi un puissant adversaire,
duquel l’esprit et la doctrine eussent pu me donner beaucoup de peine, si cet
officieux dévot théologien n’eût mieux aimé favoriser la cause de Dieu et
celle de son faible défenseur, que de la combattre à force ouverte. Mais
quoiqu’il lui ait été très honnête d’en user de la sorte, je ne pourrais pas
m’exempter de blâme, si je tâchais de m’en prévaloir ; c’est pourquoi mon
dessein est plutôt de découvrir ici l’artifice dont il s’est servi pour m’assister,
que de lui répondre comme à un adversaire. »2
L’agacement provient bien, dans les deux cas, de cela que les
objections font fi de l’expérience réelle de l’idée de Dieu, pourtant
seule à même de convaincre l’insensé ou l’athée, comme le premier
bord de la certitude, dont la démonstration est le second et le
parachèvement. Seule, c'est-à-dire en un sens purement logique, la
démonstration n’aura pas d’efficace. Elle doit donc elle-même
s’entendre à partir de l’épreuve de l’idée, ce que feignent d’ignorer
les objecteurs. C’est pourquoi, également dans les deux cas, il s’agit
de répondre à la même objection portant sur la nature de l’idée : y
1
S. Anselme, op.cit., p.71.
2
R. Descartes, op.cit., p.343.
LE CAS « DESCARTES » ET LE CERCLE CARRÉ 381
1
S. Thomas d’Aquin, Somme théologique, tome 1, Ia, q.2, art.1, Paris, Cerf, 2004, p.170.
2
R. Descartes, op.cit., p.356.
382 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
S. Augustin, op.cit., livre I, II, 4, p.108.
LE CAS « DESCARTES » ET LE CERCLE CARRÉ 383
C’est bien cet abord qui a pu par la suite orienter les lectures
« kantiennes », c'est-à-dire modernes, du cogito. Mais à l’inverse, ce
que révèle l’expérience unique des Méditations est que cette
émancipation même revient à se fonder sur l’idée de l’infini, source
de toute croyance et de toute connaissance possible. Autant dire à
feindre de s’en émanciper. Mais quel statut donner à cette feinte ? Si
elle est sans ambiguïté chez Augustin – elle est bien un « comme si »
fondé sur la foi – on ne peut pas dire la même chose du « comme si »
cartésien, qui semble suspendre la foi même, et que l’ontologie
permettra précisément de refonder. Avec Descartes, le geste même
d’autonomisation de la science est inséparable de cette découverte
fondamentale de sa propre dépendance à la donation de l’infini.
Dans son mouvement de libération de toute contrainte, la
connaissance se voit d’elle-même contrainte à reconnaître cette
contrainte absolue – et en ce sens pas du tout « contraignante » car
garantissant au contraire l’harmonie du monde qu’il s’agit de
connaître, comme monde créé –, contrainte absolue qui est celle de
Dieu. La fameuse « méthode » prend ici tout son sens de « chemin
vers la vérité », car indissolublement reliée à la vérité théologique :
« Ce chemin, c’est la véracité divine. Ainsi, ici comme ailleurs, vous le
voyez, c’est la théologie qui rend la science indépendante, qui fonde, si l’on
peut dire, la libre pensée. »3
1
S. Anselme, Sur l’existence de Dieu (Proslogion), chap. I, Paris, Vrin, 1992, p.13.
2
F. Alquié, op.cit., p.33.
3
Ibid., p.230-231.
384 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
S. Augustin, op.cit., livre I, II, 4, p.108.
LE CAS « DESCARTES » ET LE CERCLE CARRÉ 385
1
M. Heidegger, « Le nihilisme européen », op.cit., p.151.
386 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
pure et simple des deux. La lecture moderne ne dit pas que Descartes
a tort face à Kant, mais bien, contre toute évidence, qu’il dit déjà la
même chose. Quel non-dit faramineux peut expliquer un tel
glissement ?
Au regard de notre propre interprétation, cette question nous
dirige vers cela que si Descartes est tout sauf un philosophe « pré-
systémique », ce n’est évidemment pas le cas de Kant. Du moins en
un sens, celui du système de la « métaphysique future », comme le
rappelle Yves-Jean Harder :
« Quelle est donc l’idée qui régit la métaphysique future, le système ? C’est
l’idée par excellence, l’idée de totalité dans la détermination : l’idéal de la
raison pure. Le système est donc le sens de l’infinité du désir. » 1
Si Kant n’est bien sûr pas, au même titre que Hegel comme nous
avons pu le montrer au chapitre VIII, un instigateur lointain de la
systémique en tant que telle, il est clairement « responsable », dans
l’orbe métaphysique s’entend, du renversement qui l’a rendue
possible. Celui par lequel s’établit dans son double mouvement
d’auto-possibilisation le subjectum insigne comme fondement
d’essence, rendant « enfin possible la position souveraine de
l’homme » à laquelle se réfère Heidegger. Et en lequel Harder lit ici
l’« infinité du désir », qui n’est rien d’autre que la subjectivité
moderne. Ainsi, Heidegger, et avec lui toute la modernité
philosophique, attribue à Descartes cela qui revient explicitement à
Kant, comme le note très clairement Harder :
« À la fin du XVIIe siècle, la métaphysique a reçu de Kant la forme de la
subjectivité, c'est-à-dire de la parfaite conscience de soi et de la liberté. »2
1
Y.-J. Harder, Histoire et métaphysique, Chatou, La Transparence, 2006, p.109.
2
Ibid., p.271.
LE CAS « DESCARTES » ET LE CERCLE CARRÉ 387
1
R. Descartes, op.cit., p.168.
2
F. Alquié, op.cit., p.77.
388 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
donc clairement que sous le règne de Dieu qu’il s’agit bien pour
l’homme de la science nouvelle, non pas de devenir le maître et le
possesseur de la nature, mais bien comme ce maître inexistant,
soumettant lui-même et le monde au règne unique du dieu chrétien.
Aussi, non seulement l’époque de la technique n’est pas
cartésienne, mais son systémisme essentiel, qui à sa façon est une
manière d’apothéose occultiste, la rend même foncièrement
anticartésienne. La doctrine centrale des idées claires et distinctes est
absolument hétérogène à toute totalisation systémique, ce qui ne
sera déjà plus le cas du système des monades chez Leibniz. Il n’y a
nulle préfigure de système total chez Descartes, mais seulement un
ordre du monde créé. Et par extension, la revendication de la liberté
de la science ne saurait en aucun cas être ramenée à celle d’un
impératif de la science, qui serait précisément celui du naturalisme.
Où l’impératif serait d’autant plus absolu que la science elle-même,
dans son mouvement de totalisation, en viendrait à inclure
l’occultisme lui-même. Qu’on pense, sur ce point, à Newton.
Mais ce scientisme imaginaire attribué à tort à Descartes n’est-il
pas, quoiqu’erroné, ce qui dirige sa lecture moderne, et en explique
les aberrations ? Il n’est en tout cas pas ce qui oriente celle de
Heidegger, qui insiste au contraire très largement sur la nécessité
d’une pensée strictement métaphysique de la position de Descartes,
seule à même d’en circonscrire la grandeur historiale. Et c’est
d’ailleurs le fond de ce qu’il reproche à Pascal, dont il pointe
l’insuffisance dans son rejet épidermique de la métaphysique
cartésienne au nom de la christianité de l’homme. Ainsi
l’affirmation qui nous occupe est-elle précédée d’une remarque
incidente :
« Le fait que Pascal, presque dans le même temps que Descartes, mais
essentiellement déterminé par celui-ci, tenta de sauver le caractère chrétien
de l’homme, non seulement a refoulé la philosophie cartésienne jusqu’à lui
donner l’apparence d’une “théorie de la connaissance”, mais du même coup
l’a fait apparaître en tant qu’une manière de penser qui servirait la
LE CAS « DESCARTES » ET LE CERCLE CARRÉ 389
1
M. Heidegger, « Le nihilisme européen », op.cit., p.151.
390 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
conservent par devers eux quelque trait. Et il faut alors admettre que
ces traits paraissent opposés. Que tous deux aient bien une
conception « équilibrée » de la grâce et du libre arbitre, suivant en
cela la doctrine la plus catholique, n’empêche pas que cet équilibre se
traduit par des formes contradictoires, semblant accentuer l’un des
deux pôles. Si Descartes est bien le philosophe par excellence de la
liberté, l’ayant inscrit tant dans sa chair et sa propre existence qu’en
sa méthode, ce qui explique, en passant, que même un Bernanos,
suivant Péguy, ait pu s’y attacher avec tant de force, il n’en fonde
pas moins tout son parcours sur une forme de certitude de sa propre
élection, par laquelle son œuvre même devait constituer comme une
nécessité d’ordre quasi surnaturel. Il s’agissait bien d’y répondre à
une certaine grâce. De son côté, Pascal ne pouvait s’orienter
exclusivement de la grâce, qui fut le fond d’évidence de sa propre
conversion, que pour suivre comme à la trace les figures de la liberté
comme vraie. Il ne saurait être considéré comme un « ennemi de la
liberté », sur le mode protestant ou janséniste. Terminons cette
parenthèse par une conjecture. Cette polémique aussi essentielle que
radicale semble donner, par défaut ou contraste, une merveilleuse
illustration de ce que pourrait être une figure, au sein de la pensée,
de l’articulation cadre et trine de l’ordre et de l’amour. La pensée,
comme séparée du système, trouverait alors une orientation dans la
conjonction réunifiant ce qui n’eût peut-être jamais dû être séparé,
dont un slogan pourrait se titrer : « Pascal avec Descartes ». Nous
n’entrerons malheureusement pas ici en cette recherche.
1
M. Heidegger, « Le nihilisme européen », op.cit., p.115.
2
Ibid.
3
Ibid., p.116.
LE CAS « DESCARTES » ET LE CERCLE CARRÉ 393
constant : la primauté de la grâce est pensée contre toute idée de libre arbitre. Ce n’est donc pas
tant la prédestination de la grâce elle-même qui fait débat avec le catholicisme, mais bien le fait
qu’elle soit conçue en un sens exclusif, comme négation du libre arbitre.
1
Ibid., p.307.
LE CAS « DESCARTES » ET LE CERCLE CARRÉ 395
1
Il parle ainsi, dans les Secondes réponses, de « lumière surnaturelle » comme raison formelle
de la foi (R. Descartes, op.cit., p.382).
2
Ibid., p.306.
396 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
M. Heidegger, « Le nihilisme européen », op.cit., p.117.
2
Ibid., p.109.
LE CAS « DESCARTES » ET LE CERCLE CARRÉ 397
1
M. Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, trad.fr. Isabelle Kalinowski,
Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2000, p.120.
398 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Ibid., p.191.
2
J.-F. Mattéi, La barbarie intérieure, op.cit., p.220.
LE CAS « DESCARTES » ET LE CERCLE CARRÉ 399
1
M. Heidegger, « Le mot de Nietzsche “Dieu est mort” », Chemins qui ne mènent nulle part,
op.cit., p.295-296.
2
Ibid., p.295.
3
Ibid.
400 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
est une nécessité, et un bienfait, pour les deux modes de pensée. Mais
enfin, ce ne semble là qu’une recommandation plus ou moins
bienveillante à l’adresse des théologiens, dont on ne voit pas qu’elle
soit si fondamentale pour le destin de la philosophie. Et ce d’autant
moins que Heidegger a bien l’idée fondatrice que toute théologie, en
tant qu’elle est conceptuelle, ne se développe elle-même que sur un
fond philosophique déjà constitué. Il n’y a qu’à se référer, justement,
à Descartes, et sa prudence théologique quasi méthodique, pour
mesurer que Heidegger n’invente là pas grand-chose. La question est
ailleurs, et beaucoup plus essentielle. Elle est, du moins nous semble-
t-il, celle du fameux « cercle carré » que nous avons déjà rencontré,
et qui qualifie à plusieurs reprises l’idée d’une philosophie chrétienne.
Cette question est bien sûr reliée à la précédente, mais elle ne saurait
s’y réduire. Car elle porte avec elle la relation de la philosophie avec,
non pas seulement l’interprétation plus ou moins conceptuellement
élaborée de la Révélation, mais bien avec la Révélation elle-même.
Ce qui du coup nous met au cœur du problème de l’interprétation
de Descartes. La grande polémique lancée par Pascal aura bien eu
pour enjeu cette question-là.
Heidegger y revient à diverses reprises, et toujours avec, il est
amusant de le noter, cette même image du « cercle carré ». Dans le
cours de 1935 déjà cité, bien sûr. Mais également, dès 1927, dans sa
communication sur Phénoménologie et théologie, où plane encore la
possibilité d’une relation possible entre les deux champs
essentiellement séparés de la philosophie et de la théologie :
« Cette opposition existentielle entre la fidélité et la libre disposition de tout
l’être-là […] doit précisément comporter la communauté possible de la
Théologie et de la philosophie comme sciences, s’il est vrai que cette
communication doit pouvoir rester une communication authentique,
affranchie de toute illusion et de tout essai débilitant de compromis. En
conséquence, il n’y a rien qui ressemble à une Philosophie chrétienne, c’est
là tout simplement un “cercle carré”. »1
1
M. Heidegger, Phénoménologie et théologie, cité dans R. Kearney et J.S. O’Leary (éds.),
Heidegger et la question de Dieu, Nouvelle édition, Paris, PUF, « Quadrige », 2009, p.347.
402 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
Bien que dans ces deux références le « cercle carré » soit convoqué
dans le cadre d’une séparation entre théologie et philosophie, on
voit bien en même temps qu’il la déborde. Seulement de fait, c’est
bien d’abord à la théologie qu’une telle restriction doit s’adresser. En
ce sens, une théologie chrétienne « philosophique » devrait du point
de vue de la philosophie paraître une folie. Le cours de 1935 élargit
la perspective, en la renversant, puisque c’est alors la philosophie qui
doit paraître folie pour la foi. Redonnons l’extrait :
« La philosophie réside dans cette folie. “Une philosophie chrétienne” est un
cercle carré et un malentendu. »2
1
M. Heidegger, « Dialogue avec Martin Heidegger, le 6 novembre 1956 », Comité des
conférences des étudiants de l’Université de Zurich, cité dans R. Kearney et J.S. O’Leary (éds.),
Heidegger et la question de Dieu, op.cit., p.364.
LE CAS « DESCARTES » ET LE CERCLE CARRÉ 405
1
Cf. saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, op.cit., Ia, q.1, art. 8, p.161 : « Donc, puisque
la grâce ne détruit pas la nature, mais la parfait, c’est un devoir, pour la raison naturelle, de servir
la foi, tout comme l’inclination naturelle de la volonté obéit à la charité. »
408 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
P. Boutang, Apocalypse du désir (1979), 2è éd., Paris, Cerf, 2009, p.266.
2
Ibid.
LE CAS « DESCARTES » ET LE CERCLE CARRÉ 409
1
Ibid., p.27.
410 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
G. Bernanos, « Frère Martin », Les Prédestinés, textes rassemblés par Jean-Loup Bernanos,
Paris, Seuil, 1983, p.113-114.
LE CAS « DESCARTES » ET LE CERCLE CARRÉ 411
1
M. Heidegger, « Le tournant », Questions IV, op.cit., p.319-320.
412 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
CONCLUSION
1
S’il y avait une courte réserve à faire sur cette exégèse, elle concernerait Lacan. En qui, dit
Boutang, il vise Freud, de même qu’il vise Hegel en Kojève, et Kant en Hegel. Reste que son
analyse de la « Pentecôte pour la mort » mériterait un long commentaire, et pointe une dimension
indéniable de l’œuvre lacanienne, en laquelle Boutang reconnaît d’ailleurs une certaine forme de
grandeur, certes « limitée » par ce qui lui semble une fascination mortifère. Parlant du « Lacan
des mauvais jours », il salue implicitement celui des « bons jours ». Tout en le lui reconnaissant,
Boutang ne semble pas vouloir voir le bord non sophistique de Lacan, qui accentue Freud, et
l’analyse elle-même, en un sens qui n’est pas sans rapport avec ce que, dans le Gorgias, Calliclès
déclare à Socrate : « Quand on fait un lapsus, tu sautes dessus comme si c’était un cadeau des
dieux ! » (Platon, Gorgias, 489 c, trad.fr. M. Canto-Sperber, Œuvres complètes, Paris,
Flammarion, 2008, p.464). Reste que l’attaque de Boutang n’en reçoit pas moins sa pertinence
d’un certain lacanisme idolâtre. N’y aurait-il pas d’ailleurs le même genre de remarque à faire
concernant sa grande défiance vis-à-vis de Descartes ?
2
P. Boutang, Apocalypse du désir, op.cit., p.276.
416 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Ibid., p.287.
2
La possibilité même de ce que Boutang nomme le « meurtre au nom de l’idée », expression
où l’on retrouve évidemment la thématique des démons du nihilisme chez Dostoïevski, implique
cette soumission absolue à une obscure commande, que porterait par devers elle toute idéologie,
et ce d’autant plus qu’elle se voudrait la plus matérialiste. Ce surplomb de la commande est ce
que nous concevons comme pseudo-transcendance, ou quasi-immanence. Il assure précisément
le rétrocontrôle, la permanence, la circularité du système de l’idée par lui soutenu.
3
Ibid., p.292.
… JALONS 417
1
Ibid., p.325.
2
Ibid., p.323.
418 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Ibid., p.26.
420 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Cf. Ibid., p.71-72.
2
J.-F. Mattéi, Le regard vide. Essai sur l’épuisement de la culture européenne, Paris,
Flammarion, 2007, p.276.
3
Ibid., p.225.
422 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
P. Aubenque, Le problème de l’être chez Aristote, op.cit., p.101.
2
Platon, Hippias majeur, 281 d, trad.fr. F. Fronterotta et J.-F. Pradeau, Œuvres complètes,
op.cit., p.525.
424 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Il parle en l’occurrence de l’ouvrage de 1976 Les systèmes du destin de Jacques Lesourne.
2
P. Boutang, Apocalypse du désir, op.cit., p.343.
3
Ibid., p.345.
… JALONS 425
1
M. Heidegger, « Séminaire de Zähringen », Questions III et IV, op.cit., p.475.
426 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
K. Marx, Manuscrits de 1844, trad.fr. Émile Bottigelli, Paris, Éditions sociales, 1972, p.64.
2
Ibid., p.89.
… JALONS 427
1
M. Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, op.cit., p.62.
2
Ibid., p.57.
3
Ibid., p.59.
4
Ibid., p.61.
428 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Ibid.
2
Ibid., p.105.
3
K. Marx, op.cit, p.60.
… JALONS 429
1
M. Weber, op.cit., p.165.
2
Ibid., p.198.
3
Ibid., p.167-168.
4
J.-F. Mattéi, La barbarie intérieure, op.cit., p.12-13.
430 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
Dès lors, s’il faut bien qu’une expérience résiduelle persiste dans
le monde, elle ne sera plus le fait que d’une commande généralisée,
celle d’un « accroissement quantitatif et qualitatif du rendement du
travail [servant] le bien commun (common best) qui se confond avec
1
Ibid., p.250.
… JALONS 431
1
Ibid., p.264.
2
Ibid., p.285.
3
Ibid., p.250.
432 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Ibid., p.294-295. La formule citée provient d’une phrase du droit canon au XIIe siècle : Homo
mercator nunquam aut vix potest Deo placere (« le marchand ne peut plaire à Dieu, ou
difficilement »).
2
Cf. A. Rey, op.cit., p.2315.
… JALONS 433
1
Ibid., p.301-302. Entre crochets est donné l’ajout de la main de Weber pour la seconde
édition, datant de 1920.
434 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Nous empruntons le terme au récent ouvrage de Rémi Brague, Les ancres dans le ciel.
L’infrastructure métaphysique, Paris, Seuil, 2011. Brague y déplie la situation contemporaine
comme « manque de métaphysique », où nous retrouvons un écho de ce que nous avons décrit
comme exclusion de la pensée hors du Système. Si la philosophie se transforme, ce ne peut être
qu’en un retour inattendu de la métaphysique elle-même, dont finalement, et contre toutes les
diverses « attaques » qu’elle a pu subir, y compris celle de Heidegger, nous ne pourrions tout
simplement pas nous séparer. Et, pourrions-nous dire, dont le désir propre sous-tend ce qui se
nomme bien improprement le vague « retour des religions ». Il s’agirait alors rien de moins que
d’une révolution de la métaphysique en son cœur, après l’avènement de sa totalisation dans le
Système. La référence à Antonin Artaud au début de l’ouvrage (p.14) n’est pas anodine. Artaud
pour qui « c’est par la peau qu’on fera rentrer la métaphysique dans les esprits », et chez qui la
métaphysique nomme précisément la vérité occultée du Moyen-âge. Par la peau, par le péras du
corps, ultime topos laissé intact par le système ayant neutralisé tout intérieur et tout extérieur.
C’est en cette frontière, topos dual encore, que luit le manque de métaphysique désigné par
Brague.
… JALONS 435
1
M. Heidegger, Écrits politiques, op.cit., p.220.
2
On la retrouve formulée presque à l’identique dans l’entretien de 1966 avec le Spiegel, mais
jointe alors au thème de la technique planétaire (cf. M. Heidegger, Écrits politiques, op.cit.
p.256-257).
3
M. Heidegger, Introduction à la métaphysique, op.cit., p.58.
4
Cf. sur ce point R. Brague, Du dieu des chrétiens. Et d’un ou deux autres, op.cit., p.16-26.
436 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
A. Juranville, Inconscient, capitalisme et fin de l’histoire, Paris, PUF, 2010, p.55.
2
Ibid., p.240.
438 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
sans « stase » car sans forme. C’est tout l’effort des penseurs de
l’inconscient, Freud et Lacan en tête, d’élaborer ce que seraient les
« formations de l’inconscient ». En cet abîme, l’homme ne s’y tient
pas, mais « son » inconscient. La tenue libre du moment de la
décision ne peut que passer pour naïf échappement à un
déterminisme foncier et occulte. C’est tout le problème du concept
même d’inconscient – de ce point de vue, est-il si utile que cela ? –,
qu’il impose des circonvolutions théoriques au minimum difficiles
pour le soustraire à ce vulgaire déterminisme invisible auquel on le
ramène toujours – sans doute à tort, mais peut-on faire autrement
avec un concept si marqué, nous l’avions indiqué (§38), de
résonnances systémiques ? Autrement dit, que l’inconscient, celui de
Freud comme de Lacan, ne soit pas la commande « surmoïque » est
une chose, mais la configuration même du concept, nimbé,
quoiqu’on en ait, d’une part d’occultisme qui d’ailleurs fleurissait au
même titre que le scientisme du temps de l’adoption du terme par
Freud, semble forcer la confusion. Or, d’une certaine façon,
Juranville règle ici le problème, en le surmontant par cette référence
immédiate au « mal radical », comme fondamental paganisme, pure
jouissance sacrificielle, refus premier du Bien, de la Vérité et de la
Justice, contre lequel s’ouvre la philosophie, du moins en son
origine socratique. Référence qui pourrait bien être précisément le
point de jonction possible entre une philosophie qui ne peut que
récuser le concept d’inconscient au nom, non pas d’une plénitude de
la conscience mais bien de son abîme précisément, et un abord
« analytique » – mais ne faudrait-il pas dire plutôt « symbolique » ? –
qui n’y verrait que la réitération du refus primordial.
Une fois posé ce refus fondamental, l’orientation du « rendre
possible malgré » exige un changement de perspective de toute
généalogie du système et du capitalisme, devant s’établir sur la base
de cette reconnaissance du mal radical. La question se pose alors de
sa « forme minimale ». Si le mal est inévacuable, il doit pouvoir se
circonscrire en une forme qui ne soit pas de stricte captation. Où
autre chose que le seul pataugeage réitéré au cœur de la compulsion
sacrificielle serait possible. C’est précisément le rôle que Juranville
… JALONS 439
1
Ibid., p.310.
2
Ibid., p.420.
… JALONS 441
1
Ibid., p.90.
2
Ibid., p.91.
442 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Juranville saute ici le pas de l’Autre à Dieu, laissé certes possible mais sous silence chez
Lacan par une forme d’« athéisme méthodologique » que le premier ne conserve pas.
… JALONS 443
1
H. von Bingen (1098-1179), Psaume à l’Esprit saint : « O ignee Spiritus, laus tibi sit, qui in
tympanis et citharis operaris. Mentes hominum de te flagrant, et tabernacula animarum eorum
vires ipsarum continent. Unde voluntas ascendit et gustum animae tribuit, et eius lucerna est
desiderium. » (« Ô Esprit de feu, Louange à Toi, qui agis au son des tambourins et des cithares.
Les esprits des hommes brûlent de Toi et les tentes de leurs âmes maintiennent leurs forces.
Aussi la volonté s’élève et donne saveur à l’âme, et sa lampe est le désir. »).
444 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
J.-M. Rey, Le temps du crédit, Paris, Desclée de Brouwer, 2002, p.271.
… JALONS 445
garantir. »1
1
Ibid., p.64.
2
Cf. l’entretien de 1966 : « La société a pris la place du “peuple”. » (M. Heidegger, Écrits
politiques, op.cit. p.247).
3
J.-M. Rey, Le temps du crédit, op.cit., p.105.
4
Ibid., p.62.
446 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
Une croyance qui est certes bien désacralisée, mais au sens fort
d’un transfert de sacralité. Rey va jusqu’à souligner la référence
prégnante à une forme de transsubstantiation dans l’opération de
promesse soutenant l’usage de la monnaie fiduciaire :
« La “valeur” viendra comme par elle-même résider dans le “papier”, se
déposer en lui jusqu’à se confondre en quelque manière avec lui. »3
1
Ibid., p.71.
2
Ibid., p.117.
3
Ibid., p.166.
… JALONS 447
dit. »1
1
Ibid., p.72.
448 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Ibid., p.126.
2
Ibid., p.258.
… JALONS 449
essentiellement utilitaire ? »1
1
Ibid., p.169.
2
Ibid., p.323.
450 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
1
Ibid., p.248.
2
Ibid., p.253.
3
Ibid., p.284.
… JALONS 451
Law J., 443, 444, 445, 448 Parménide, 56, 58, 139, 142,
Le Moigne J.-L., 188, 204, 148, 260, 298, 461
463 Pascal B., 190, 388, 389, 390,
Legay J.-M., 190, 227, 463 391, 401
Leibniz G.W., 130, 131, 167, Paul saint, 360, 462, 464
172, 388, 400, 458 Péguy C., 367, 391, 393, 398,
Lentz T., 363, 463 433, 464
Lévinas E., 419 Pierront A., 126
Levins R., 201, 202, 463 Platon, 36, 37, 57, 58, 153,
Ligeti G., 417 154, 156, 260, 283, 287,
Lloyd H., 121 372, 377, 415, 423, 460,
Luc saint, 17, 24, 71, 323, 461, 464
351, 463, 465 Poincaré H., 216, 217, 464
Luther M., 390, 391, 393, Popper K., 121, 198, 200, 201,
395, 396, 399, 400, 402, 202, 203, 209, 464
403, 404, 406, 409, 410, Prado, 358
428, 429, 430, 463, 470 Préau A., 28, 52, 61, 137, 153,
Mahler G., 418 210, 219, 222, 257, 258,
Mallarmé S., 322 259, 459, 460
Marion J.-L., 17, 24, 71, 463 Prigogine I., 158, 205, 208,
Marx K., 43, 266, 425, 426, 464
428, 437, 463 Pythagore, 179
Mattéi J.-F., 9, 325, 326, 327, Rey J.-M., 443, 444, 445, 446,
339, 361, 362, 372, 373, 447, 448, 449, 450, 451, 464
398, 421, 429, 463 Rocquet C.-H., 358, 464
Matthieu saint, 323, 351 Roublev A., 354, 355, 464
Michelet J., 395 Ruelle D., 158, 205, 206, 208,
Minski M.L., 191, 196, 463 209, 464
Neumann J. von, 192, 196, Russell B., 117, 118, 119,
201 130, 131, 132, 464
Newton I., 165, 166, 168, 172, Safouan O., 173, 174, 464
176, 374, 376, 388, 463 Salanskis J.-M., 182, 464
Nietzsche F., 11, 26, 46, 47, Sartre J.-P., 223
48, 49, 50, 52, 53, 54, 78, Schelling F.W.J. von, 128,
167, 255, 258, 266, 269, 255
271, 283, 285, 286, 301, Schlick M., 120, 233, 457
314, 369, 391, 399, 400, Serfati M., 170, 464
402, 433, 447, 459, 460, 463 Shannon C., 158, 206, 464
Shorter W., 418
456 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
Socrate, 37, 415, 416, 420, Weaver W., 158, 206, 464
423 Weber M., 396, 397, 425, 426,
Steiner G., 408 427, 428, 429, 430, 431,
Tarski A., 195 432, 433, 434, 436, 442,
Taylor C., 421 443, 465
Thomas d’Aquin saint, 368, Whitehead A.N., 117, 118,
381, 407, 464 119, 131, 464
Valéry P., 373, 464 Wiener N., 158, 465
Varenne F., 188, 195, 464 Wittgenstein L., 119, 120,
Velázquez D., 363 131, 132, 465
Verhaegen P., 355, 464 Zarader M., 137, 139, 140,
Viète F., 170, 171, 172, 373 144, 349, 350, 351, 465
Wagner R., 117, 418, 458, Zévort C., 126
463
BIBLIOGRAPHIE
SOMMAIRE.................................................................................................. 5
AVANT-PROPOS ......................................................................................... 7
PRÉ-TEXTE
CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE II
CHAPITRE III
DE LA DIFFÉRENCE ............................................................................... 87
468 HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
CHAPITRE VI
CHAPITRE VII
CHAPITRE VIII
CHAPITRE IX
CHAPITRE X
CHAPITRE XI
CHAPITRE XII
CONCLUSION
Rennes, le
Guy CATHELINEAU
Le Président de Jury,
(Nom et Prénom)
RÉSUMÉ
HEIDEGGER ET LA SYSTÉMIQUE
Vers le lieu de pensée
De notre temps, Heidegger donne un double diagnostic pour le moins tranchant : temps d’accomplissement de la
fin de la philosophie d’une part, et de la domination de la cybernétique sur l’intégralité de la considération de l’étant
d’autre part, par quoi elle vient à constituer comme la véritable métaphysique de ce temps. Ces interprétations
pointent vers cet autre événement, capital pour leur entente, qu’est l’émergence et le déploiement de la systémique,
fondant et unifiant le multiple de la science moderne comme théorie générale du Système comme tel. Ce travail tente
une relecture de l’œuvre de Heidegger à la lumière de cet événement, seul à même de donner le plein sens à la radicalité
de ses interprétations, et surtout à leur nécessaire jointure.
Le temps de la « technique achevée » est ainsi essentiellement et intégralement déterminé par le déploiement de la
triade systémique énergie-commande-connexion, se substituant à la constitution onto-théo-logique de la métaphysique.
Substitution en forme de simulacre d’accomplissement, dont la pensée se trouve dès lors exclue au profit de la
Production pure. Un tel renversement impose de questionner à nouveau frais la texture du lieu de pensée, laissé comme
reste par cette substitution. Ce topos, par essence dual, peut s’entrevoir comme articulation d’un cadre trinitaire, à
partir du Quadriparti heideggérien et d’une tripartition de l’Accord (Austrag) qui lui est sous-jacent, selon les trois
thèmes de la copropriation (Ereignis), de la coappartenance (Zusammengehörigkeit) et de la correspondance (Entsprechung).
Mots clés : accord ; Martin Heidegger ; métaphysique ; onto-théo-logie ; pensée ; production ; système ; trinité.
ABSTRACT
Of our times, Heidegger gives a quite decisive double diagnosis: times of the accomplishment of the end of
philosophy on the one hand, and of the domination of cybernetics over the whole of the consideration of beings on
the other hand, thus becoming the real metaphysics of these times. These interpretations point towards this other
event, which is capital for understanding them, this event being the emergence and spreading out of systemics which
found and unify the multiple of modern science into one general theory of the System as such. This work is an attempt
at rereading Heidegger's work in the light of this event, the only one able to give its full meaning to the radicalism of
his interpretations and especially to their necessary joint.
The times of "achieved technology" are thus essentially and completely determined by the unfolding of the
systemic triad, Energy-Command-Connexion, taking the place of the onto-theo-logical constitution of metaphysics. A
substitution in the shape of a pretence of completion, from which thought is therefore excluded for the benefit of pure
Production. Such a shifting makes us question anew the texture of the place of thought, which has been left after by this
substitution. This topos, dual in essence, can be perceived like the articulation of a Trinitarian frame, taking its source
in Heidegger's Fourfold and a tripartition of the Tension (Austrag) which is underlying it, according to the three
themes of Enowning (Ereignis), Togetherness (Zusammengehörigkeit) and Correspondence (Entsprechung).
Key-words: tension; Martin Heidegger; metaphysics; onto-theo-logy; thought; production; system; trinity.