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CULTURE ET DEMOCRATIE

entre pratiques et critiques

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CULTURE ET DEMOCRATIE

entre pratiques et critiques

Actes du deuxième colloque scientifique international

&

rapport des activités de la deuxième session

du

«Festival International de l'Art, de la Jeunesse et de la Cité "

au Nord-Ouest»

Sous la direction de :

Khaled ABIDA et Wafa Abida

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Comité scientifique

Xavier LAMBERT : Professeur à l’Université Toulouse Jean Jaurès, France

Jean LANCRI : Professeur émérite à l’Université Paris I, France

Omezzine Ben CHIKHA : Professeure à l’Université Tunis 1, Tunisie

Khaled ABIDA : Maître de conférences à l’Université de Sousse, Tunisie

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Sommaire de la partie française

Rachida TRIKI

Avant-propos………………………………………………………………………….……….V

Khaled ABIDA et Wafa ABIDA

Introduction………………………………………………………………...……...…………p.9

Xavier LAMBERT

Création/ culture : une didactique fondatrice……………………………….…………....…p.11

Christian RUBY

La culture : des dispositifs à l’exercice…………………..…...……………….……………p.19

Carole HOFFMANN

Culture et individuation…………………………………………..…………...……………p.29

Camille ROUCHI

L’aménagement culturel de la métropole parisienne……………………………………….p.57

Léa LAVAL

« Démocratiser » les outils des productions des discours sur le monde……………………p.69

MAHAMAT Alhadji

Collectivités territoriales décentralisées et diversités culturelle au Cameroun…….……….P.81

DEMOCRATIE ET CULTURE : témoignages artistiques tunisien………..…………P.93

Samia El ECHI

La déterritorialisation, inter culturalité ou conformisme……….…………………………..p.95

Sarra TABIA

Quel rôle joue la culture alternative dans le processus démocratique ?...............................p.111

Badii Melki

Le graffiti et le rap aux yeux des jeunes tunisiens…………………………………………121

Wafa BAHRI

La démocratie et la démocratisation de la culture artistique……...……………………….p.133

5
Annexe : Rapport des activités de la deuxième session du « Festival International de l’Art, de
la Jeunesse et de la Cité » au Nord-ouest………………………...…………………………
p.143

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Avant-propos

La consommation culturelle, aujourd’hui massifiée, risque de priver l’individu de la


singularité de son expérience sensible, de ses désirs, de l’autonomie même de son jugement
de goût. Elle le fait par un contrôle subtil qui se communique sous forme de libéralisme et
sous couvert même de multiplicité et d’émancipation. En effet, alors que la forme de
démocratisation de la consommation par les industries culturelles prétend se fonder sur
l’exclusion de l’élitisme pour une égalité de la réception et du goût, elle standardise, en fait,
les comportements au point d’affaiblir le sentiment d’existence qui tire sa force de
l’appropriation de l’imaginaire et des désirs. Si dans les démocraties libérales, les formes
d’individuation des citoyens sont de plus en plus prises dans un conformisme massivement
alimenté par les médias, la question qui s’impose, actuellement, aux créateurs et acteurs
culturels en Tunisie, est celle du pouvoir des arts dans un contexte de transition démocratique.
Quel rôle les arts et la culture peuvent-ils avoir dans la nouvelle conjoncture socio politique ?

Les actions artistiques en situation de transition démocratique pourraient donner à


repenser la notion de culture dans sa dynamique interne. Elles permettraient de la réexaminer
à la lumière du nouvel espace démocratique de vie, en la considérant dans sa dimension
poïétique c'est-à-dire comme processus créateur d’ouverture, habitée de contestation et
d’instauration de valeurs, de retour et de dépassement.

Les créations artistiques et les actions culturelles agiraient ainsi comme des puissances
productives du désir de vivre autrement en changeant le désir en volonté de vie pour
transgresser les réflexes de conservation et de soumission à l’autorité fantomatique des codes
sociaux. Elles mettraient en valeur la fonction vitale des différences et des transgressions dans
le champ culturel. En transgressant l’expérience ordinaire, elles permettraient de se libérer des
évidences et d’ouvrir à une vision critique des représentations et des modes d’identification
convenus culturellement.

Cette dynamisation du champ artistique est ainsi un processus d’invention d’une


citoyenneté sociale qui se fonde sur la diversité inhérente au phénomène même de création et
à sa réception. En effet, l’espace de production culturelle est en même temps un espace du
vivre ensemble. Il suppose au préalable le partage et la reconnaissance de l’autonomie de
chacun. C’est bien pour cela qu’en Tunisie, aujourd’hui, les acteurs culturels et les artistes ont
conscience de participer au processus de démocratisation de la vie sociale comme contre-
pouvoir à l’autoritarisme qui guette tout état. Face à l’abstraction des valeurs institutionnelles
7
de liberté et de justice, ils revendiquent une émancipation effective où se reconnaît
l’authenticité de tout créateur dans sa capacité d’inventivité, de communication et
d’instauration de nouvelles valeurs.  En ce sens, la posture critique propre à l’art devient une
sorte d’auto-fondation de l’acte créateur.

C’est cette problématique du possible entre culture, création et meilleur vivre-ensemble


démocratique que ce livre propose d’examiner dans des approches plurielles réunissant les
textes des interventions du deuxième colloque scientifique international du festival du nord-
ouest sur « CULTURE ET DEMOCRATIE entre pratiques et critiques ».

Pr. Rachida Triki

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Introduction

La question culturelle ou la mise en question de « la culture » implique un déplacement


de la question de son champ ontologique vers le champ des politiques qui ont déterminé et qui
déterminent encore les formes directes, sous-jacentes ou réactionnelles. Les politiques de
développement culturel sont souvent le reflet d'une politique de gouvernance plus globale,
dont l'objectif est de garantir une unité sociale homogène, contrôlable et uniforme.

De là, se poser la question de « la culture » en tant qu'un enjeux de conceptions et de


choix politiques (gouvernementaux) et leurs implications institutionnelles et sociétales,
appelle un impératif de distinctions conceptuelle et pratique, entre une culture dite de masse
(le mainstream), une politique populiste de la culture, une culture populaire et une quatrième
idée de culture alternative. Une telle distinction nous permettrait de préciser l'endroit de la
parole que nous tentons d'engager quant aux rapports potentiels entre « culture »et
« démocratie », un endroit désaffecté des modèles pouvant prétendre à un déterminisme de
l'un ou l'autre de nos deux termes de réflexion.

Dès 1972, la « démocratisation de la culture », en tant que politique culturelle, a subi


critiques et mises en échec en raison de son caractère élitiste et globalisant. La « démocratie
culturelle » venait contrer cette politique en se proposant comme une alternative qui laissait
plus d'espace à la diversité de cultures et à leur caractère individuel. Ce dernier modèle de
politique culturelle n'a pas manqué à son tour d'induire moult polémiques et controverses.

Aujourd'hui, en Tunisie l'action politique est décrite en termes de « processus de


démocratisation ». Dans ce processus, nous aimerions nous pencher sur la question culturelle.
Il ne s'agit pas pour nous de discuter de politiques culturelles, mais de porter l'attention sur ce
qu'il y a dans « la culture » de singulier et de propre.

Nous partons du postulat que dans un même pays, il n'y a pas « la » culture mais des
cultures et que la notion de « local » est déterminante dans toute action culturelle. Une culture
locale qui ne soit pas synonyme de folklore est-elle encore possible ? Comment définir « le
local » dans un monde globalisé et dans quelle mesure peut-on engager cette notion de local
en tant que valeur non réactionnaire et non traditionnaliste ?

Étant artistes, enseignants d'art, chercheurs, médiateurs de la culture, comment penser la


fonction culturelle ? S'agit-t-il d'éduquer, d'éveiller, de sensibiliser les peuples ? Quelle serait
la fonction des arts dans un tel processus ? Cultiver est-ce rendre possible l'action expressive

9
par les peuples qui ne mènera qu'à leur émancipation interne ou est-ce l'adoption d'un modèle
de politique qui ne tient pas compte des spécificités sociales et économiques ? La culture est-
elle un dictat modélisé ou est-ce la garantie d'une ouverture permanente des êtres aux
pratiques et aux idées du monde ? 

Ce deuxième colloque international s'inscrit dans la lignée des activités de la deuxième


session du « Festival International de l'Art, de la Jeunesse et de la Cité » au sein de laquelle
nous avons essayé d'étendre notre champ d'actions culturelles sur les quatre gouvernorats du
Nord-Ouest, à savoir, Siliana, le Kef, Jendouba et Béja. Le flux des étudiants d'art, des
enfants, des jeunes danseurs, des chercheurs et des artistes, venant de plusieurs pays du
monde, est si considérable que la gestion logistique des activités qui se sont déroulées
simultanément dans les quatre gouvernorats était un défi en soi. Les Ministères de
l'Enseignement Supérieur et des Affaires Culturelles n'ont pas manqué à soutenir cette action
audacieuse. L'Office des Œuvres Universitaire pour le Nord nous a ouvert ses foyers et ses
restaurants universitaires pendant les vacances du printemps et les commissariats régionaux
des affaires culturelles du Nord-Ouest tunisien ont peuplé les soirées du festival par divers
spectacles théâtraux et musicaux.

L'Association Rakch pour la Culture, l’Art et le Design était, donc, bien soutenue
officiellement pour mener à bout cette expérience singulière de la « démocratisation
culturelle » qui s'est déroulée un jour dans la région du nord-ouest tunisien grâce au « Festival
International de l'Art, de la Jeunesse et de la Cité ». Le Ministre de l'Enseignement Supérieur
était si convaincu de l'ampleur stratégique d’une telle action qu'il n'a pas hésité un seul instant
à inviter ses collègues pour assister à la cérémonie de clôture de cette deuxième session du
festival de Rakch.

Ainsi, le ministre des Affaires Culturelles et le ministre de la Jeunesse et du Sport ont


répondu à l'invitation du ministre de l'Enseignement Supérieur pour qu'on puisse célébrer
ensemble notre réussite à soulever un défi culturel incontestable. Et pour conclure, je dirais
que les ambitions du comité d'organisation de cette deuxième session du festival se sont
conjuguées à la volonté politique des décideurs pour « démocratiser » cette expérience
culturelle dans la région du nord-ouest. La volonté politique serait, donc, la condition sin qua
non de toute tentative de « démocratisation culturelle ». Elle est, essentiellement, un projet
d'état et non seulement l'affaire d'un seul ministère !

Khaled ABIDA et Wafa ABIDA

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Comité d’organisation du colloque

CREATION/ CULTURE : UNE DIDACTIQUE FONDATRICE


Xavier LAMBERT, Université Toulouse Jean Jaurès, France

La culture est bien souvent considérée comme un « supplément d’âme », comme ce qui
vient après tout le reste, une fois que les besoins élémentaires sont satisfaits et, bien souvent,
destiné à ceux qui ont les moyens, financiers, sociaux, intellectuels, d’y accéder. Les
politiques culturelles sont empreintes, en creux ou en plein, de ces présupposés dans la
mesure où elles ont pour objectif, dans bien des cas, de permettre à ceux qui en sont privés,
pour des raisons diverses, d’accéder à la culture. Même si je comprends tout à fait l’intention
et que j’en partage les motivations, cela pose quelque part la culture comme un domaine
exogène, un peu exceptionnel, qui nécessite même quelques sésames pour y accéder. Et bien
souvent, c’est de la production artistique qu’il est question.
Le Centre National de Ressources Textuelles et lexicales (CNRTL) définit la culture,
dans le sens où nous l’aborderons ici, de la façon suivante : « Qualité, compétence que la
possession d'un savoir étendu et fécondé par l'expérience donne à une personne ou à une
société dans un domaine de connaissances particulier, à une époque ou dans un lieu
déterminé.1 » Dans cette définition, la culture est définie par rapport à un savoir. Elle est le
produit d’un savoir que confirme l’expérience. On peut supposer le schéma suivant : un
individu est amené à avoir un comportement donné par rapport à une sollicitation donnée.
Pour répondre à cette situation, qu’elle soit d’ordre matériel ou intellectuel, l’individu en
question va soit puiser dans un stock de connaissances acquises par transmission ou par
expérience, soit, s’il s’agit d’une situation inédite, trouver une réponse inédite qui ira grossir
son stock de connaissances.
Ces comportements ne sont pas spécifiques à l’humain, au niveau de l’individu en tout
cas. À partir d’un certain degré de complexité neuronale, les animaux tirent expérience des
situations problème auxquelles ils sont confrontés. La mémoire de cette expérience peut donc
être considérée comme une culture dans la mesure où elle va permettre à l’animal de ne pas
réinventer son comportement dans une situation identique, mais de simplement puiser dans
son substrat cognitif pour retrouver la réponse adéquate. Nous sommes donc dans la
construction d’une culture à l’échelle de l’individu. Le degré de complexité des situations
susceptibles d’être résolues et des réponses susceptibles de leur être apportées dépend en
grande partie sans doute du niveau de complexité neuronale de l’espèce. Il est certain que plus
1
. http://www.cnrtl.fr/definition/culture

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on monte dans l’échelle des espèces, plus les individus sont capables de trouver des réponses
complexes à des situations complexes. C’est probablement, hors de l’espèce humaine, au
niveau des grands primates et des certaines espèces d’oiseaux comme les corvidés que cette
capacité est la plus développée.
Deux exemples attestent de cette réalité. Le premier est celui d’une corneille qui doit
résoudre un problème qui nécessite de créer des combinaisons d’éléments successifs pour
accéder à la nourriture2. La nourriture est placée dans une boîte trop profonde pour qu’elle
puisse la saisir avec son bec. Dans le même espace se trouve une cage avec une baguette de
bois dont la longueur conviendrait, mais les barreaux sont trop étroits pour qu’elle puisse la
saisir avec son bec. Enfin, accrochée à un fil tendu, une ficelle au bout de laquelle est nouée
ne petite baguette de bois. Après avoir constaté qu’elle ne pouvait pas attraper la nourriture ni
se saisir de la baguette de la cage, la corneille se pose sur le fil, fait remonter la ficelle pour
attraper la petite baguette, avec laquelle elle va faire sortir la grande baguette de la cage pour
pouvoir, enfin, attraper la nourriture. On conçoit bien que ces opérations successives
nécessitent une suite d’opérations mentales qui, d’essais infructueux en essais réussis,
témoignent d’un niveau plutôt élevé de capacités mentales.
Autre exemple, celui, en pleine nature, d’un petit chimpanzé qui veut casser une noix 3.
Il se saisit d’abord de branches de plus en plus lourdes pour tenter d’en briser la coque jusqu’à
ce que, devant l’absence de résultat, il finisse par prendre une pierre et réussir enfin à briser la
coque. Là encore, c’est l’analyse des causes des différents échecs qui a permis l’émergence de
la bonne solution. À l’échelle de l’individu, nous sommes là aussi dans une situation
d’invention. Le singe a inventé, à son niveau, la solution pour casser la noix.
Mais, chez les singes en particulier, s’il n’y a pas véritablement de transmission
générationnelle, il y a néanmoins apprentissage par imitation. Dans un groupe donné, la
découverte réalisée par un individu est reprise par le groupe. Nous sommes donc dans une
situation d’invention et de partage de techniques et on peut considérer que nous sommes face,
ici, aux prémices de la culture. L’apprentissage par imitation est déjà une forme de culture.
Certes, nous sommes dans les deux cas face à des comportements très utilitaristes, guidés par
la nécessité de se nourrir. Mais tout comportement du vivant, quel qu’il soit est avant tout
guidé par la nécessité de renouveler sa capacité énergétique et de se reproduire. L’évolution
des espèces renvoie pour une bonne part à des évolutions adaptatives vers une plus grande

2
. http://www.youtube.com/watch?v=URZ_EciujrE, consulté le 11/08/2013.
3
. https://www.youtube.com/watch?v=RyMTADgaPMU, consulté le 11/03/2016.

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efficacité pour répondre à ces deux impératifs et l’émergence de la culture dans le processus
évolutif n’échappe probablement pas à ce schéma.
Toutefois, elle peut prendre des formes bien plus complexes que la seule satisfaction
immédiate des besoins primaires et passer par des comportements aux motivations plus
abstraites. C’est le cas du développement singulier de la culture chez l’humain. Néanmoins, il
semble bien que le besoin de culture reste défini par un schéma évolutionniste. Encore une
fois, si nous nous tournons du côté de nos proches, très proches, cousins dans le règne animal,
les chimpanzés, sont encore là pour en attester. Des chercheurs de l’Institut Max Planck ont
récemment observé des chimpanzés en Afrique de l’Ouest qui jetaient des pierres sur des
arbres, toujours les mêmes, en poussant des cris particuliers 4. Il semblerait en outre que ce
comportement soit précédé d’un moment qui présente les signes du recueillement. Les
chercheurs ont acquis la quasi-certitude qu’il s’agit d’un comportement rituel. On savait déjà
que les chimpanzés ont accès à une certaine forme de pensée symbolique, notamment dans le
rapport à la mort de l’autre dans le groupe. Mais ce comportement rituel, qui n’est pas un cas
individuel mais bien un comportement de l’ensemble d’un groupe, les mâles, d’abord, mais
aussi parfois les femelles et les jeunes. Nous serions bien, là, devant une forme de culture au
sens où on l’entend traditionnellement chez l’espèce humaine. Nous serions face à une sorte
de proto culture qui peut permettre d’imaginer ce que la culture a pu être aux prémices de
l’humanité.
Il faut remarquer que le concept d’invention renvoie à l’idée de faire apparaître quelque
chose de nouveau, selon le CNRTL 5. De fait, cette définition est quasiment la même que celle
de « création » selon le même CNTRL qui nous dit : « Acte consistant à produire et à former
un être ou une chose qui n'existait pas auparavant. 6 » On le voit, les deux termes recouvrent
quasiment les mêmes concepts. Le terme d’invention recouvrant plus probablement ce qui est
du domaine technique et le terme de création renvoyant plus fréquemment à la création
artistique. Dans les deux cas, néanmoins, il y a bien l’idée de faire émerger quelque chose de
nouveau. Et je pose l’hypothèse que dans les deux cas, c’est une confrontation inédite au réel
qui implique une réponse inédite. Une réponse qui ne ressortit pas au champ des
connaissances ou, plus exactement, qui organise le champ des connaissances dans une
combinaison inhabituelle et permet ainsi de créer de nouvelles connaissances, de nouveaux
outils techniques et culturels. Je serais même tenté de dire : « techniques » donc « culturels ».

4
.http://www.maxisciences.com/chimpanze/ceci-pourrait-bien-etre-le-premier-rituel-observe-chez-des-
chimpanzes_art37367.html, consulté le 11/03/ 2016.
5
.http://www.cnrtl.fr/definition/invention, consulté le 12/03/2016.
6
.http://www.cnrtl.fr/definition/création, consulté le 12/03/2016.

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On pourrait supposer que la différence entre les deux domaines, celui de l’invention et
celui de la création, dans son acception artistique en tout cas, réside dans le fait que l’une a
une connotation esthétique, la création artistique, et l’autre pas. Néanmoins, les choses sont
loin d’être aussi tranchées. Leroi-Gourhan a démontré que la fabrique des outils lithiques
convoquait une grande technicité au fur et à mesure de l’évolution des hominiens. Mais il a
démontré aussi que cette technicité n’était pas dépourvue de connotation esthétique, tant dans
la recherche du geste le plus efficace possible que dans la recherche de la forme, notamment à
travers une adéquation maximale forme/fonction.
Le sentiment esthétique apparaîtrait donc non pas comme un supplément d’âme, mais
comme une fonction déterminée par des nécessités évolutionnistes. On sait par ailleurs que,
bien avant Sapiens, les hominiens connaissaient l’usage de la parure. On a retrouvé des
parures faites de coquillages et datant de Néanderthalis. Pourquoi les hominiens ont-ils
ressenti très tôt ce besoin esthétique ? La réponse tient vraisemblablement dans le fait qu’il
s’agit justement d’une nécessité évolutionniste. On sait que la parure est une donnée
importante chez un certain nombre d’espèces animales, les oiseaux en particulier, pour les
mâles notamment. La parure, particulièrement développée en période de rut, et la danse
nuptiale, sont des éléments d’identification du mâle par la femelle. Elles procèderaient de ce
que Schaeffer appelle les « signaux coûteux »7. Les signaux coûteux renvoient à des états ou
des comportements animaux qui vont à l’inverse de la logique d’économie (énergétique
notamment) et de discrétion (par rapport aux prédateurs). Schaeffer donne l’exemple du paon
et de sa roue, en particulier.
Certes, il n’y a probablement aucun sentiment esthétique chez ces oiseaux. L’apparat est
le fruit d’une sélection génétique au niveau de l’espèce. Mais il existe une espèce d’oiseaux
particulière qui sont les oiseaux-berceaux. Ces oiseaux ont la particularité de construire des
structures architecturales complexes. Pendant la saison de la reproduction, les mâles
construisent une espèce de passage couvert en arceaux avec des brindilles. Les brindilles sont
peintes en bleu à l’aide d’un mélange de salive et de jus de baies. Le passage débouche sur
une sorte de scène circulaire pavée de cailloux plats ou de petits objets (tessons de bouteilles,
capsules) récupérés. Le pavage a ceci de particulier que les matériaux sont disposés dans un
ordre précis et progressif où les plus petits sont devant et les plus grands derrière afin
d’obtenir depuis l’entrée l’impression d’une taille homogène, ce qui a pour effet de rabattre
l’arrière-plan. Le dispositif, et sa complexité, a pour objectif de mettre en valeur la parade

7
. Jean-Marie Schaeffer, Théorie des signaux coûteux, esthétique et art, Rimouki, ed. Tangence-coll.
Confluences, 2009.

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nuptiale du mâle qui se met véritablement en scène en imitant toute une variété de chants
d’oiseaux allant jusqu’à se parodier lui-même. La femelle assiste au spectacle depuis l’entrée
du dispositif et fait son choix en fonction de la qualité esthétique de l’ensemble, aussi bien du
point de vue de l’architecture que de la performance. Les études semblent montrer que nous
ne sommes pas dans la simple reproduction d’un comportement acquis génétiquement mais
qu’il y a un certain libre-arbitre.
Il y aurait donc, chez ces oiseaux, ce qu’on pourrait considérer comme un proto
sentiment esthétique. Et on pourrait supposer que l’émergence du sentiment esthétique chez
l’humain procéderait d’un dispositif évolutionniste du même ordre. Mais, à la différence des
oiseaux-berceaux, l’être humain a un système néocortical très développé qui lui a permis de
développer une pensée symbolique. Jouary émet l’hypothèse que la pensée symbolique « n’a
été rendue possible que par l’irruption et la généralisation des pratiques artistiques, et
singulièrement plastiques.8 » Il apparaîtrait donc que le développement de la pensée
symbolique est le corollaire de la pratique esthétique et a permis par la suite des opérations
cognitives telles que l’écriture, le calcul…
L’œuvre d’art a ceci de particulier que, si elle résulte d’un rapport problématique au
réel, elle ne passe pas par une verbalisation de ce rapport mais résulte d’images mentales. Par
le fait qu’elle procède de l’émotion esthétique, elle s’inscrit dans un dispositif cognitif,
comme toute émotion. « On peut considérer l'œuvre d'art comme un artefact esthétique
résultant d'un certain nombre de processus mentaux, sensibles, émotionnels, généralement
non verbaux, qui, par l'approche singulière sur le monde dont il témoigne, permet d'enrichir le
champ cognitif, mais aussi le champ émotionnel, le champ des résonnances intersubjectives,
le champ des artefacts constituant un des fonds essentiels de la culture de l'humain par rupture
de ses habitus perceptifs.9 » Il est probable, dans ce schéma, que le premier rapport
problématique au réel auquel l’artiste est confronté est l’œuvre elle-même dans sa poïèse. Le
temps de l’œuvre en train de se faire est avant tout un temps de combat où l’œuvre résiste par
sa force d’autonomie sémiotique. Elle porte toujours les traces de ce combat, et pas seulement
dans sa matérialité, pas seulement dans les traces matérielles laissées par ce combat mais aussi
par la façon dont elle témoigne, en tant que produit fini, du parcours conceptuel qui l’a

8
. Jean-Paul Jouary, Préhistoire de la beauté : Et l’art créa l’homme, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles,
2012, p. 195.
9
. Edmond Couchot et Xavier Lambert, Les processus de réception et de création des œuvres d’art, « Le
processus de création comme système cognitif : Les systèmes auto-organisateurs», Archée,
http://archee.qc.ca/ar.php?page=article&no=480.

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accompagnée. C’est en cela qu’elle produit du réel. C’est en cela que la confrontation du
spectateur à l’œuvre est aussi une confrontation problématique au réel.
On pourrait évoquer ici la question des neurones-miroir, ceux qui sont notamment à
l’origine de l’empathie. Il n’est pas forcément exclu qu’ils jouent un rôle dans le rapport du
spectateur à l’œuvre. On sait quelle est l’efficacité de ces neurones-miroir dans
l’apprentissage d’une action par mimétisme. Les marques qui subsistent du combat, et je parle
aussi du pensé (et de l’impensé) de l’œuvre, seraient des points d’accroche qui permettraient
au spectateur de vivre mimétiquement, sans même en avoir conscience, le combat de l’artiste
à son œuvre. Et il n’est pas exclu que ce phénomène puisse contribuer à l’adhésion du
spectateur à l’œuvre.
C’est peut-être en partie grâce à ce phénomène que le spectateur accepte de se laisser
conduire dans la rupture de ses habitus vivendi, de ses modes de pensée, de ses routines.
Marcel Duchamp nous a fait comprendre que l’œuvre d’art est un trébuchet. C’est-à-dire à la
fois un objet sur lequel on trébuche, mais aussi un piège10. C’est tout le sens de son Read
Made « Trébuchet » qui consiste en un porte-manteau mural fixé sur le sol. L’œuvre d’art est
un piège à faire trébucher la pensée rationnelle, la pensée du logos. Et c’est ce trébuchement
qui permet à l’œuvre de conduire le spectateur à « faire des mondes », pour reprendre le
concept de Goodman11, c’est-à-dire d’ouvrir tout un possible de mondes à venir, qui
s’actualiseront ou ne s’actualiseront pas.
C’est en cela que l’œuvre d’art est un apport incontournable à la culture. Car loin d’être
un passe-temps pour privilégiés, elle est un élément constitutif de notre humanité, de ce qui
fait que depuis qu’est apparu Homo Sapiens, nous sommes des êtres humains.

10
. Le trébuchet est un piège, aux échecs. Dans l'obligation de jouer, le joueur qui tombe dans ce dernier est
par conséquent obligé, faute d’autre solution, de lâcher du matériel. Cela conduit en général à la perte de la
partie.
11
. Nelson Goodman, Manière de faire des mondes, Paris, Gallimard/Folio, 2006.

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BIBLIOGRAPHIE

Livres  :
- Goodman Nelson, Manière de faire des mondes, Paris, Gallimard/Folio, 2006.
- Jouary Jean-Paul, Préhistoire de la beauté : Et l’art créa l’homme, Bruxelles, Les
Impressions Nouvelles, 2012.
- Schaeffer Jean-Marie, Théorie des signaux coûteux, esthétique et art, Rimouki, ed.
Tangence-coll. Confluences, 2009.

Webographie  :
- http://www.cnrtl.fr/definition/culture
- http://www.youtube.com/watch?v=URZ_EciujrE, consulté le 11/08/2013.
- https://www.youtube.com/watch?v=RyMTADgaPMU, consulté le 11/03/2016.
- http://www.maxisciences.com/chimpanze/ceci-pourrait-bien-etre-le-premier-rituel-
observe-chez-des-chimpanzes_art37367.html, consulté le 11/03/ 2016.
- http://www.cnrtl.fr/definition/invention, consulté le 12/03/2016.
- http://www.cnrtl.fr/definition/création, consulté le 12/03/2016.
- http://archee.qc.ca/ar.php?page=article&no=480.

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LA CULTURE : DES DISPOSITIFS A L’EXERCICE
Contre la confusion du public et du peuple12
Christian RUBY13, philosophe français

Je ne regrette pas d’avoir pu me déplacer cette année. Mais je ne veux pas non plus
abuser de ma présence. Du moins me rend-elle disponible à l’égard de l’écoute des
propositions tunisiennes concernant l’objet « démocratie et culture », voire « peuple et
public », dans la mesure où ces propositions pourraient servir aux Français à ressaisir et
réinterroger leurs institutions culturelles et la signification dont ils recouvrent la notion de
culture.
À l’époque où, dans le contexte des démocraties, des débats centraux s’élèvent sur
l’orientation des politiques culturelles, et par conséquent sur la formation du ou d’un public
(des arts et de la culture), au sens où je l’entends dans mon Abécédaire des arts et de la
culture14, il est pertinent de nous confronter sur ce qui fonde notre idée d’une communauté
culturelle et démocratique réussie, le passage possible ou impossible du public au peuple ou la
transmutation des idées esthétiques en des corps politiques15.
Dans le temps qui m’est imparti, je voudrais m’enhardir à deux brefs examens :
- D’une part, celui des légitimations des politiques culturelles – étant admis qu’elles se
rapportent par définition à l’intervention publique –, dans le cadre d’un ministère de la
Culture qui, s’il cherche à amoindrir les effets d’une certaine logique économique
libérale ou des industries culturelles, ne saurait faire oublier que ses choix de modèles
d’action culturelle – action/animation culturelles, animation/éducation culturelles,

12
. Sans doute aussi contre ce qu’affirme John Dewey, dans Le public et ses problèmes, 1926, Paris, Université
de Pau, Farrago, 2003, qui a tendance à confondre les deux.
13
. Christian Ruby est philosophe, Formateur de médiateurs culturels. Il est membre de l’ADHC (association
pour le développement de l’Histoire culturelle), de l’ATEP (association tunisienne d’esthétique et de poiétique),
du collectif Entre-Deux (Nantes, dont la vocation est l’art public) ainsi que de l’Observatoire de la liberté de
création. Chercheur indépendant, ses travaux les plus récents portent sur l’élaboration d’une Histoire culturelle
européenne du spectateur (3 volumes parus), ainsi que sur une théorie politique du spectateur (en cours de
parution). Cette dernière s’expose déjà pour partie dans : Spectateur et politique, D’une conception
crépusculaire à une conception affirmative de la culture ?, Bruxelles, La Lettre volée, janvier 2015. Il s’est
spécialisé par ailleurs dans l’art public et l’art urbain, dont il commente les œuvres du point de vue esthétique
(du point de vue de la relation du passant-spectateur à l’œuvre). Site de référence : www.christianruby.net..
Dernier ouvrage paru : Abécédaire des arts et de la culture, Toulouse, Editions L’Attribut, 2015.
14
. Christian Ruby, Abécédaire des arts et de la culture, Toulouse, L’Attribut, 2015.
15
. Ce qui impose cinq discussions : sur l’idéal démocratique, sur son lien à la culture (sans confusion), sur son
lien à une culture de la démocratie (manière de devenir et de faire), sur l’espace culturel (divisé), sur le débat
culturel (ouvert).

19
culture pour tous/culture pour chacun –, en forgeant de telle ou telle manière un public,
sont des choix de conceptions de la culture.
- D’autre part, celui d’un passage désormais nécessaire de l’affirmation des droits
égaux d’accès à la culture – dans l’option d’une démocratisation culturelle s’assignant
un public par incitation, gratuité, facilitation et éducation – à la réalisation d’un
hypothétique éthos culturel démocratique dans l’option de la démocratie culturelle, et
éventuellement à l’affirmation nécessaire de l’égalité des intelligences – affirmation
principielle constitutive d’une culture de l’émancipation –, lequel passage donne la clef
d’une autre conception de la politique culturelle et des droits culturels, ainsi que de la
démocratie.
L’articulation de ces deux examens évite les propos ingénus qui se glorifient
naïvement d’un passé de démocratisation culturelle conçu comme incontournable – racine,
repère. La situation actuelle appelle, en effet, une réflexion de la France sur elle-même, et la
reformulation complète de problèmes aussi cruciaux que l’apparente ou réelle dissociation
entre culture et démocratie, public et peuple, la dislocation, celle-là réelle des hiérarchies
culturelles et notamment de la crédibilité en un magistère des élites, qui a entraîné, dans une
Europe qui fut la source de ces impératifs d’union, un passage d’une conception uniforme à
une conception parfois désinvolte de la culture, entraînant, à rebours, des réactions
crépusculaires. Autrement dit, deux types de propositions culturelles désastreuses.

Les présupposés culturels de la démocratisation culturelle :


De l’État aux citoyennes et citoyens, du primat des institutions publiques sur les
individus à la professionnalisation du champ culturel, et à l’imposition d’une même norme à
chacun, je ne vois pas de composantes plus fidèles du dispositif 16 de la démocratisation
culturelle, adopté, en France, sous la direction d’André Malraux.
Si la démocratisation culturelle – dans un pays où l’État est en charge de la culture et
non des mécènes –, peut être analysée comme un dispositif, c’est qu’elle s’organise autour de
mécanismes d’imposition de places, dont le résultat est que les individus doivent se plier à sa
loi, unique et uniforme, en formant un public qui n’essaye jamais de se placer au-dessus de ce
qu’on lui attribue. Elle organise une homogénéisation culturelle des citoyennes et citoyens
sous prétexte de politique des arts (nous ne parlons pas des pratiques artistiques), au besoin, à

16
. Dispositif est à entendre ici au sens d’une manière de disposer les pièces d'un appareil, en vue d'un but
précis, ici, la police de la culture gérant des intérêts et des assignations.

20
partir d’une compensation des diffractions sociales (gratuité, animation, éducation) pesées à
l’aune de l’ordre social établi.
L’option de la démocratisation culturelle avait des ambitions vertueuses, notamment
celle de participer, à l’encontre de l’hégémonie religieuse encore prégnante, à l’émancipation
de citoyennes et citoyens constitutionnellement égaux sous la modalité des Lumières dont elle
s’inspire (notamment celle de Condorcet), en privilégiant une invitation et une initiation
équivalentes pour tous aux œuvres et au patrimoine chargés de manifester l’universalité et la
validité de la culture. Elle s’ancrait dans un service public de la culture (cette notion juridique,
datant de 1959) servant un intérêt général abstrait : l’égalité d’accès à la culture en période de
reconstruction et de recréation du lien social. Elle se répandait sur le territoire grâce à un
maillage d’institutions et d’associations, d’équipements 17 (bibliothèques, discothèques, radio,
tv, maisons de la culture,...18 afin de favoriser cette universalité de la culture classique et
classiquement définie comme élévation de l’âme et introduire des compensations pour les
personnes et les territoires « démunis ».
Cet impératif de l’action publique a servi de point de repère aux directives des
gouvernements. Il caractérise le modèle culturel intégratif dit « français ». Afin de le soutenir,
de ce point de vue esthétique et culturel, on pariait sur une continuité entre les formes
culturelles proposées, les formes sensibles construites chez ceux qui les reçoivent et s’en
trouvent affectés et la démocratie (libérale parlementaire). On laissait croire que le rapport
spectatorial doit correspondre ou correspond à la stricte reconduction d’un sens des œuvres
préalablement donné par un magistère des élites, piliers des valeurs collectives de cette forme
de démocratie19. Certains spectateurs s’y pliaient et composaient un public consensuel, auquel
on pouvait en appeler encore au nom du peuple, d’autres s’y soustrayaient.
On sait que cette visée, et cette confusion, est problématique politiquement (elle est un
platonisme), sociologiquement (elle fait l’impasse sur le capital culturel 20), esthétiquement
(elle récuse les approches personnelles). Elle ne cesse de partager le domaine culturel en :
national et étranger, œuvre majeure/œuvre mineure, citoyen cultivé/citoyen inculte, arts

17
. « En dotant le territoire d’équipements culturels pour imposer l’universalité de l’art », écrit André
Malraux.
18
. Une architecture culturelle bâtie pour célébrer la gloire de la culture ; pour que la culture occupe un centre
(urbain), ait des lieux à sa disposition qui puissent répondre à ce qu’on attend d’elle : déterminer les frontières
entre culture et inculture ; etc. Ce sont des pyramides, des tours, des cubes, ... des temples qui réservent même
s’ils recourent à la transparence et à la translucidité, Cf. Walter Benjamin, dans L’œuvre d’art à l’ère de sa
reproductibilité technique, Paris, Œuvres III, 2000.
19
. Alors que le rapport à l’œuvre se produit comme une disruption dans la continuité d’un sens présupposé.
20
. Etudié alors par Pierre Bourdieu ; cf. P. Bourdieu et Alain Darbel, L’amour de l’art, Paris, Minuit, 1966.

21
majeurs/arts mineurs,... Enfin, elle a tendance à identifier public et peuple, à partir d’un
espace public démocratique figé en White Cube par l’État esthétique.

Les conditions d’un autre présupposé culturel :


De nos jours, ce modèle platonicien de l’imposition de la culture, de sa distribution et de
la police culturelle est, très largement, soumis à de sérieuses discussions, concernant, selon les
références : son « échec » (position d’agressivité), son « terme » (position de deuil21), son
« inversion » nécessaire (position de repli postmoderne) ou la requête de sa reconduction
(position de mélancolie). Il est aussi déstructuré (ou précarisé) de l’intérieur par les révisions
des politiques culturelles, par privatisation, logique de sous-traitance et logique managériale
interposées. Ce sont d’ailleurs elles qui en poussent beaucoup à se désespérer (invoquant la
« fin » du service public), sans analyser la manière dont ce service s’est établi et fixé. Quand
un principe est remis en cause, nombre de ceux qui en jouissent se trouvent évidemment en
difficultés.
Les raisons de le restaurer ou transformer sont les suivantes :
- Prétendre que le chemin n’est pas encore entièrement parcouru, et qu’en
conséquence il faut persévérer à entretenir le dispositif, d’autant que, tout de
même, les fréquentations des équipements ont augmenté, la conquête de nouveaux
publics est toujours possible (les « non-publics »), qui formeront le peuple de
demain ;
- Prétendre que le projet initial a été oublié, détourné,... et qu’il convient donc de le
restaurer en offrant des modes de participation de chacun à un fonds commun ;

21
. À dire vrai, dans cette « critique » désespérée, outre qu’aucun compte n’est tenu de l’histoire de la division
des institutions qui a conduit une partie de la question de la culture à être dominée par un exercice ministériel de
la Culture, mis en parallèle, et en concurrence, avec celui de l’Éducation, qu’aucun compte n’est tenu non plus
des effets de ces partages institutionnels sur le public, qu’on y parle de « politiques culturelles » sans analyser ce
concept du point de vue de l’exercice du pouvoir qu’il implique, que la focalisation sur les industries de la
consommation culturelle est devenue un lieu commun, les analystes finissent presque toujours par figer la culture
en modèles ou en objets de référence, assortis de directives de transmission. Ils ne comprennent l’École et la
Démocratie qu’à partir du modèle intégrateur de la III e République et pensent, en général, pouvoir parler des arts
sans aucune formation culturelle approfondie, a fortiori sans compétence dans les arts contemporains ou vivants.
Dans ces conditions d’abstraction extrême, notamment parce qu’elles font fi de l’attention à porter aux
compromis sociaux qui sous-tendent la crédibilité des institutions, comment peut-on croire pouvoir s’opposer
aux désastres du temps - si désastre il y a - et notamment à la mutation du « public » dans les sociétés
contemporaines ?

22
- Afficher l’échec du projet, puisque les inégalités culturelles subsistent, montrer
qu’il n’a pas eu l’efficacité voulue, et qu’il faut donc l’abandonner, tourner la page
de ces illusions, ... ;
- Préférer le libéralisme en ce domaine... la libre concurrence, ... ;
- Choisir de valoriser la critique selon laquelle on peut considérer que ce modèle
instrumentalise la culture et les arts et lui substituer le modèle de la démocratie
culturelle, en espérant en voir naître un éthos culturel démocratique ;
- Affirmer que, s’il y a eu des acquis, d’ailleurs articulés à l’éducation scolaire puis
universitaire, le modèle de l’assignation est dépassé, celui de la démocratie
culturelle échoue dans la juxtaposition culturelle, alors que les citoyennes et
citoyens aspirent à prendre des responsabilités sur ce de quoi ils sont dépossédés,
et qui les concerne au premier chef, la formation d’une émancipation culturelle.
Nous pensons, en effet, d’abord que l’ancien modèle de la démocratisation culturelle –
Identifié à un principe constitutionnel ou légal – n’a pas failli, en ce qu’il a sans doute fourni
le minimum vital en matière culturelle gestionnaire, mais qu’il a fait son temps. Il a eu lieu, il
a produit des effets – en s’appuyant sur la notion de développement culturel assigné (Joffre
Dumazedier) –, qui ne sont pas tous négatifs, mais il ne saurait être prorogé dans les
conditions historiques actuelles dans lesquelles la question de la culture et de la démocratie
peut être posée en d’autres termes.
D’autant qu’il y a quelque chose de mort dans ce modèle. Il propage des idées sous clef.
Nul ne va plus les visiter. On se contente d’en tenir le registre de compte, comme font les
teneurs de livres : nombre d’entrées aux musées, accès aux institutions, rapport à
l’accumulation d’oeuvres,... !
Et, il en est un aspect qu’il faut absolument dépasser : c’est la confusion du public et du
peuple, de l’esthétique et de la politique. On ne va pas directement de l’une à l’autre, l’ordre
et la connexion des affaires culturelles n’est pas le même que l’ordre et la connexion des
affaires politiques. Le public n’est jamais le peuple. Et il importe désormais de penser le
public, les spectatrices et les spectateurs, en termes d’exercice et de trajectoire.

La reconfiguration en démocratie culturelle :


Parmi les autres options possibles, on sait que le ministère a mis en place celle de la
démocratie culturelle. Paradoxalement, appuyons-nous sur la thèse d’Alain Kerlan, pour
tenter de donner du corps à cet autre choix : Il y a eu 3 étapes dans la démocratisation
culturelle, affirme-t-il. La première consistait et consiste toujours à permettre à tous et à

23
chacun d’accéder au patrimoine de l’art et de la culture, à permettre à chacun de s’approprier
le patrimoine qui lui appartient en droit en tant qu’homme/femme et citoyen. La seconde
phase ou strate est caractérisée par l’ambition de permettre à chacun d’accéder aux pratiques
artistiques de son choix, dimension non moins nécessaire de la démocratisation. Mais, il
existe une autre dimension, ajoute Kerlan, et c’est elle qui nous intéresse : permettre à tous et
à chacun d’accéder à une véritable expérience esthétique. Une nouvelle et essentielle étape de
la démocratisation dans le domaine de l’art et de la culture passe par l’accès de tous à
l’expérience esthétique, comme expérience humaine fondamentale.
Ce qui est en jeu, dans la démocratie culturelle, est à la fois la nécessité d’accompagner
une progressive individualisation des choix culturels (Bernard Lahire en témoigne 22), une
offre foisonnante, une politique de la différence culturelle, et une innocence peu à peu
dissoute à l’égard des magistères intellectuels et élitistes.
Même si les inégalités d’accès à la culture n’ont pas disparu, même si l’idéologie
consommatrice du tout se vaut demeure prégnante, même si les acteurs culturels n’ont pas
encore vraiment reconstruit les finalités de leur action, il reste que l’art et la culture ne
peuvent plus se satisfaire de servir d’alibi à l’État démocratique abstrait pour ses propres
mutations, lequel a admis l’impératif de se reconfigurer d’une optique « platonicienne » (une
seule chose vaut) en une optique « aristotélicienne » (à chacun selon ses valeurs). C’est là le
ressort de l’État esthétique.
Cela signifie bien que sur le plan imparti, la culture et les arts, mais aussi l’éducation
esthétique, les principes ministériels ont eu une signification, mais peuvent être remis en
question. Nulle nécessité, de son point de vue, de tomber dans des visées crépusculaires. Mais
ce n’est pas sans que la conception de la démocratie change aussi. La démocratie est saisie
désormais comme un mode de vie, comme la capacité de l’État à organiser une coexistence
culturelle qui concerne un corps social reconnu comme fragmenté autant au niveau des
individus que des groupes culturels. Et l’on investit la volonté gouvernementale de culture du
rôle de forger un éthos démocratique - entendons par là une manière de vivre, de faire et de
dire qui accepte les différences (culturelles). Pour la démocratie culturelle, l’égalité de droit
est acquise légalement, mais doit se concrétiser dans les différences réciproquement
assumées. Mais elle renonce à les mettre en confrontation et en débats. Elle écarte les
dissensions.

Une double émancipation :


22
. Bernard Lahire, La culture des individus, Paris, La Découverte, 2004.

24
La démocratie culturelle, conçue comme manière de gouverner, n’aboutit à rien d’autre
qu’à une juxtaposition culturelle et les discussions publiques demeurent formelles. Peut-on
donc poser un nouveau principe ? Est-ce que celui de l’égalité des intelligences, appliqué
aussi bien à la culture qu’à la politique, peut permettre de dépasser à la fois l’option de la
démocratisation et celle de la démocratie culturelles ; permettre par conséquent de tabler
positivement sur le dépassement de l’égalité culturelle abstraite et d’un éthos culturel formel.
Cet autre principe oblige à repenser la formation culturelle en dénonçant toute posture
d’assignation et de dépossession, de maîtrise pédagogique, culturelle, académique, dans et
hors des institutions, ainsi que les dynamiques dissensuelles de l’espace public. Cette égalité-
là, celle des intelligences, n’est pas acquise.
En faisant valoir des interrogations sur ce qui est établi, ce principe semble même
correspondre fort bien à une orientation possible pour une autre forme de rapport (non
automatique) entre la démocratie et la culture, pour le dessin d’un nouveau corps collectif, à
la fois public et peuple, sous des rapports différents ; lequel mettrait en parallèle esthétique et
politique, sans les confondre, en donnant à l’un et à l’autre l’occasion de se confronter, sans
tomber dans le règne d’une certaine banalité et de l’éclectisme juxtaposant auquel on a cru
devoir se vouer durant les années récentes.
Sa mise en place requiert le respect de quatre éléments au moins :
- D’une part, que l’on ne raisonne plus uniquement en termes d’accès aux
institutions, mais en termes de capacité de créer, ou que l’on transforme
l’affirmation du droit à la culture en un droit de prendre part à la vie et aux débats
culturels ;
- D’autre part une réforme complète des esprits, obligeant chacun à s’épargner de
classer les uns et les autres sur des échelles hiérarchiques : actif-passif, cultivé-
inculte, possession-dépossession, raisonnable-sensible,... changeant la nature du
public et la conception du peuple ;
- Ensuite, qu’on tienne compte des trajectoires par lesquelles il devient possible
d’occuper une place culturelle autre que celle assignée et de faire valoir des
dissensus dans le partage du sensible ;
- Enfin, une réhabilitation de l’espace public – et non des seuls lieux désertés ou des
nouveaux territoires de l’art –, entretenus ou informels 23, afin de donner vie à une

23
. Cf. Les espaces publics informels en Afrique, N’Guessan Julien Atchoua, Paris, L’Harmattan, 2016 : Connus
sous les étiquettes « Sorbonne », « Agoras et Parlements » et « Grins », ces lieux de prise de parole sur les faits
brûlants d'actualité nationale et internationale se démultiplient, et leurs manifestations sociopolitiques suscitent
une série de réflexions scientifiques sur la trajectoire de la « politique de rue » dans le processus de construction

25
culture critique, faisant droit simultanément à une diversification des espaces de
diffusion et de pratique, confiant au final aux actrices et acteurs culturels, donc à
chacun, leur destin culturel, à raison d’accepter des échanges en public, ouvrant sur
une pratique de la démocratie.
Il s’agit bien en cela du droit à une citoyenneté active dans tous les domaines, et à une
mise en confrontation (et non plus une confusion) entre public et peuple. Il s’agit non moins
de concevoir la culture non comme un ensemble d’objets de référence, mais comme exercice
de soi dans le dissentiment.

L’exercice de soi :
Nous ne vivons pas la destruction des critères du goût et de la culture, comme on le
répand, mais la fragmentation des critères de référence en fonction des domaines et des
pratiques, et d’une meilleure éducation culturelle par domaine. Nous ne vivons pas la fin de
l’art, mais la fin de la domination d’un art de consensus. Nous ne vivons pas la ruine de l’aura
des œuvres d’art, mais la fin de cette aura au profit d’une œuvre plus incarnée dans le corps
social et politique. Les œuvres contemporaines présentent désormais des configurations
plurielles, au droit desquelles il convient de s’exercer à sortir de soi, et d’entrer en
interférence avec les autres spectateurs de telle sorte que chacun comprenne l’importance de
tisser nouvellement le discours politique et le public.
D’ailleurs, la culture ne se résout pas en un ensemble de choses ou de références
obligatoires à transmettre – fussent-elles l’objet de constantes revalorisations publiques (ainsi
qu’il en va des objets « populaires », « minoritaires », ou « mineurs ») –, chargées de
perpétuer une certaine légitimité culturelle et de classer les prétendants à sa possession. Elle
se résout encore moins aux qualifications des fonctionnaires du ministère de la Culture24. La
culture – qui n’est ni divertissement, ni passe-temps, qui n’a donc pas d’autre fin qu’elle-
même – n’est rien d’autre qu’exercices, la formation des hommes et des femmes à se tenir
debout en toutes circonstances, dans la solidarité, exercices par lesquels les femmes et les
hommes se donnent les moyens d’une trajectoire de libération par rapport aux assignations et
d’un enthousiasme pour une histoire encore à entreprendre.
En nous appuyant sur cette définition qui impose de lier citoyen/ne et « culture » en
refusant toute destination réservée des objets culturels, qui impose de les confronter et non de

de la démocratie en Côte d'Ivoire.


24
. Ayant fini par enfermer le degré d’intervention de l’État dans une prétendue nature des activités (sans
penser que cette intervention peut se déplacer,...).

26
les confondre, qui impose de dialectiser les rapports entre démocratie et culture, nous pouvons
tenter d’échafauder de tout autres architectures que les précédentes. Notamment une
architecture mentale grâce à laquelle nous apprendrions à désolidariser (au moins pour le
temps de la réflexion) culture et administration ministérielle de la Culture, École et
justification politique des Lumières, École, intégration modélisée et transmission, l’état de
certaines de ses fonctions historiquement cumulées ; ou à l’inverse, après en avoir perçu la
distance, à resolidariser École et culture, etc. 
Utilisons ces propositions au moins pour poser des problèmes, et nous rendre compte de
nos présupposés25. Et sans doute pour rendre à chaque élément une actualité intempestive
qu’il a souvent perdus26. On a trop pris l’habitude d’employer l’expression « politiques
publiques ou culturelles » sans s’embarrasser d’analyses, de même que culture et démocratie.
Comme, par ailleurs, on se demande trop peu ce que signifie au juste le terme « public », ou
ce que désigne l’expression « politique d’éducation du citoyen » (et de la citoyenne) dans les
conditions contemporaines, voire ce que font jouer, dans un propos, des expressions aussi
classiques que « expérience esthétique » ou « pratique culturelle ».
Les notions d’exercice de soi et de trajectoire, déployées dans mon Abécédaire, y
reviennent. Elles mettent en avant l’intégration de chacun aux débats culturels et artistiques,
elles réfèrent au principe de l’égalité des intelligences, et elles ouvrent un espace pour les
droits culturels, entendus ici en termes d’émancipation individuelle (par les arts et la culture,
le public) et collective (par la démocratie, le peuple).
* * *
Il n’est pas impossible, quoique rapide, de réduire le débat à l’opposition entre
l’univocation de l’État à définir le bien public ou l’intérêt général culturels et l’accroissement
de la participation et de l’implication des citoyennes et des citoyens dans la formulation de
leurs ressources propres. Il est cependant envisageable d’aller plus loin, et d’affirmer plutôt
que tant que nous nous contentons d’associer sans précision les mots « démocratie » et
« culture », nous croirons que la culture est affaire de parts de gâteau à partager, surtout avec
les opprimés et les exclus. Or, nous pensons que nous ne pouvons donner sens au monde
contemporain, à la démocratie, à son institution scolaire et à la culture à l’aune d’une
conception préfixée, dont notre temps signerait l’absence ou la disparition, le redécoupage ou
la distribution.

25
. Réinscrits dans la nouvelle loi sur la création artistique, 2015 : « Favoriser la liberté dans le choix par chacun
de ses pratiques culturelles et de ses modes d’expression artistique ».
26
. Cf. notre article, « La culture n’est pas un remède », dans 20 ans de Culture et Démocratie, Bruxelles,
2015, Actes des deux journées anniversaire de l’association.

27
Nous devons insister sur le fait que l’art et la culture n’ont pas vocation à se substituer à
l’absence d’un projet politique ; simultanément rappeler qu’il n’est pas de preuve de
l’inéluctable asservissement de l’art et de la culture aux industries culturelles ; et enfin que les
citoyennes et citoyens ne sont pas voués à la dépossession. Il est des oeuvres rebelles au
formatage culturel politique... Il est des citoyennes et des citoyens qui pensent sans qu’on leur
disent ce qui est à penser. Il est des spectatrices et des spectateurs qui ont le désir de parler
leurs rapports aux oeuvres et de discuter en public27.
Cherchons à savoir si nous ne pouvons pas esquisser les principes d’une autre lecture de
la démocratie, de la culture du temps et de l’espace public, indiquant au passage les points où
le changement est possible et souhaitable. Il nous semble en effet qu’il n’est pas impossible à
la conscience contemporaine de se ressaisir autrement dans son époque.

BIBLIOGRAPHIE 

Livres  :
- Benjamin Walter, dans L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique, Paris,
Œuvres III, 2000.
- Blaise Jean et Viard Jean, Remettre le poireau à l’endroit, La Tour d’Aigues, Ed. de
l’Aube, 2015. 
- Bourdieu Pierre et Alain Darbel, L’amour de l’art, Paris, Minuit, 1966.
- Dewey John, Le public et ses problèmes, 1926, Paris, Université de Pau, Farrago,
2003.
- Ruby Christian, Spectateur et politique, D’une conception crépusculaire à une
conception affirmative de la culture ?, La Lettre volée, Bruxelles, 2015.
- Ruby Christian, Abécédaire des arts et de la culture, Toulouse, Editions L’Attribut,
2015.
- Lahire Bernard, La culture des individus, Paris, La Découverte, 2004.
- N’Guessan Julien Atchoua , Les espaces publics informels en Afrique, Editions
L’Harmattan, Paris, 2016. 
27
. Cf. Blaise Jean et Viard Jean, Remettre le poireau à l’endroit, La Tour d’Aigues, Ed. de l’Aube, 2015 : pour
une autre politique culturelle, proposer une autre modulation de la culture en espace public, lien entre diffusion
culturelle et lien social, défi démocratique majeur à l’époque des crispations identitaires. = métaphore du titre =
renverser le système des maisons de la culture et du ministère. Une culture pour tous en la rendant à tous... Et
faire de la ville le lieu d’une action d’imprégnation, du vivre ensemble éclairé et festif.

28
CULTURE ET INDIVIDUATION

Carole HOFFMANN , Université Toulouse Jean Jaurès, France

En tant que plasticienne je vais intervenir sur la relation entre l’art et la culture en
ciblant mon intervention sur des pratiques artistiques contemporaines interactives qui
sollicitent une participation active, qui mobilise le corps, en interrelation avec l’œuvre. La
question que je pose aujourd’hui est : dans quelle mesure la création artistique est-elle un lieu
de culture ?
Je poserai différentes hypothèses :
- parce qu’elle permet au spectateur de vivre une expérience esthétique singulière.
Elle est d’autant plus singulière pour les technologies numériques interactives
qu’elles ne relèvent plus de la contemplation, mais d’une participation effective,
d’une action, d’une interaction entre le spectateur – l’inter acteur– et l’œuvre.
- la deuxième hypothèse consiste à émettre l’idée qu’il y a culture du corps dans
les pratiques artistiques interactives
- la troisième hypothèse consiste à penser qu’une culture technique est
fondamentale pour mesurer les enjeux que représente la relation entre l’homme et
la technique si l’on se réfère à Gilbert Simondon qui a eu pour objectif de
réintroduire l’objet technique dans la culture, au-delà sa dimension d’usage.
Je souhaiterais aborder la question à travers une œuvre de Jean-Baptiste Barrière
intitulée Autoportrait in motion (Autoportrait en mouvement) réalisée pour la première
version en 1998 pour le Musée d’art contemporain de Zürich.
Autoportrait en mouvement, œuvre numérique interactive, fait partie d’une série de
pièces qui mêle images et sons : l’écran disposé au centre d’une salle obscure fonctionne à la
fois comme miroir et comme écran. Le reflet progresse dans l’espace de l’écran en fonction
du comportement des participants. Les gestes, les déplacements sont analysés selon un certain
nombre de paramètres (vitesse, amplitude…) et sont traités en temps réel dans un dispositif
constitué de caméras pour la prise de vue, d’ordinateurs pour le traitement des images et du
son, et de projecteurs pour l’apparition de l’image à l’écran. L’action des spect-acteurs

29
engendre, en temps réel, l’apparition de leurs portraits à l’écran, altérés par une matière
picturale et colorée en mouvement. Ces reflets fantomatiques et dilués constamment en train
de se construire pour mieux se déconstruire viennent ensuite s’imbriquer dans des images qui
ont été préenregistrées et qui sont projetées en différé – images d’autres participants qui ont
préalablement expérimenté l’œuvre. L’ensemble s’hybride en des compositions étranges dans
lesquelles nous pouvons nous reconnaître et en même temps qui ne nous représentent pas. La
voix et les sons émis par le corps subissent les mêmes processus de transformation, qui sont
ensuite spatialisés dans l’espace de l’installation.

Culture et connaissance de soi :


Les participants ont ici une présence active, ce sont eux qui permettent par leurs
comportements de générer de multiples configurations possibles, même si celles-ci s’intègrent
dans des scénarios qui ont été envisagés dans le programme informatique. Celui-ci a la
capacité de combiner de nombreux paramètres et de générer les images les plus diversifiées et
de donner à entendre un panel de sonorités. Le titre lui-même « Autoportrait » en mouvement
et non pas « Portrait » en mouvement nous informe sur la part active du spectateur.
Chaque intervenant peut singulariser l‘image à l’écran par l’expérience qui est faite de
l’œuvre. Il peut dialoguer en temps réel avec les images mouvantes, changeantes et réceptives
et avec les sons altérés de son propre corps. Chaque expérimentation est finalement une
expérience unique et non réitérable à l’identique qui dépasse toute estimation ou anticipation.
Chaque spectateur énacte le monde de manière unique si l’on reprend la terminologie de
Varela. C’est l’« espace vécu dont parle Alain Berthoz] c’est-à-dire l’ensemble des
intentions, croyances, émotions et actions que génère le sujet percevant » 28 qui singularise
l’expérience. Et l’interface entre l’œuvre et le spectateur, qui est transparente, car elle relève
de l’espace dans sa globalité et ne se limite pas à la souris et à l’écran de l’ordinateur,
« devient une zone d’expérience, de rencontre multidimensionnelle» 29 .
L’expérience personnelle permet de se différencier et par là même de s’individuer. Nous
pourrions faire référence à la conception psychanalytique de Jung qui consiste à penser
l’individuation comme « processus de prise de conscience de l’individualité profonde » 30,
c’est-à-dire comme la réalisation de soi-même qui s’appréhende dans la durée, avec la
maturité, et qui donne à comprendre que l’identité n’est pas une donnée figée, résolument

28
. Alain Berthoz, Roland Recht, Les espaces de l’homme, éd. Odile Jacob, Paris, 2005, p. 128.
29
. David Rokeby, http://www.interlog.com/drokeby/vns.html.
30
. CNRTL, http://www.cnrtl.fr/definition/individuation

30
définie et définitive. L’autoportrait en mouvement de Jean-Baptiste Barrière qui est une
hybridation du temps réel et du temps différé peut faire écho au processus de construction de
soi à travers les ramifications de la vie, notamment par l’incessant jeu plastique de
superpositions, d’imbrications et de recouvrements des portraits à l’écran qui montre que la
construction de soi relève du processus.
Ce qui nous importe aussi dans l’individuation, c’est le « fait d’exister en tant
qu’individu» 31, de se distinguer du groupe32 par l’« ensemble des qualités particulières qui le]
33
constituent » . L’expérience esthétique nous permet de nous affirmer comme individu,
différent de tous les autres.
« L’œuvre interactive est ici installée dans sa fonction de miroir : donnant à réfléchir
...et l’autoportrait se constitue alors comme processus ... de révélation ... »34. La façon
singulière d’expérimenter l’œuvre et de la vivre, de la ressentir par l’expérience, et par là
même de percevoir le monde, amène à actualiser la conception que nous pouvons avoir de la
réalité : Autoportrait en mouvement de Jean-Baptiste Barrière fait partie d’une série de pièces
intitulées Reality Checks qui signifie : Confrontation avec la réalité. L’individuation relève
bien du processus ; j’interviens sur l’œuvre qui me transforme en retour. Bernard Stiegler a
écrit à ce propos : « S’individuer, c’est se transformer : la trans-formation des modes de vie
est la loi de vie humaine – de l’existence. L’homme ne fait pas que sub-sister : il ex-siste, et
cela signifie qu’il se trans-forme35 …] en intensifiant sa] singularité »36.
La culture est alors entendue ici comme l’« ensemble de connaissances et de valeurs
abstraites qui, par une acquisition généralement méthodique, éclaire l’homme sur lui-même et
sur le monde, enrichit son esprit et lui permet de progresser » 37.

Culture du corps :
Alors que le mouvement est au cœur de nombreuses créations numériques interactives,
l’approche de Berthoz est intéressante, car elle lie la perception à l’action. Selon Berthoz, la
perception que nous avons du monde est liée à l’action que nous avons sur le monde et
31
. Ibid
32
. Ibid.
33
. Ibid.
34
. Jean-Baptiste Barrière, « Autoportrait in motion », Turbulences, Spécial Vidéoformes, avril 1999, n° 23,
p. 40.
35
. Bernard Stiegler, Ars Industrialis. Réenchanter le monde. La valeur esprit contre le populisme industriel,
Flammarion, coll. « Champs essais », 2006, p. 40.
36
. Ibid, p. 44.
37
.CNRTL, http://www.cnrtl.fr/definition/culture

31
notamment par le corps ; nous percevons le monde en fonction de l’expérience que nous en
avons.
Dans Le sens du mouvement, Berthoz précise que la perception est multimodale38 et se
construit par la coopération et la sélection des capteurs sensoriels que nous avons dans les
muscles, les articulations, et dans la peau. La vision est importante pour déterminer la vitesse
de déplacement d’un objet en mouvement. Le système vestibulaire quant à lui, diffuse au
cerveau des informations sur la position et les mouvements de la tête, et permet de stabiliser
l’environnement visuel qui nous entoure. Selon Berthoz, le cerveau serait un simulateur qui
anticiperait sur les situations réelles en mettant en action la mémoire du mouvement, des
lieux, des directions, ainsi que des modèles internes relatifs à l’effet de la gravité sur les
objets. Lorsqu’il y a perturbation dans la perception ou déséquilibre, le cerveau déclenche un
répertoire de réactions préétablies. Cette situation de perturbation est inhérente aux pratiques
artistiques interactives où le corps est à la fois dans l’espace tangible et dans l’espace de
l’image, où il est confronté à l’apesanteur, à l’inconsistance, à l’impalpabilité et à l’absence de
résistance des corps virtuels. Nous pouvons constater à travers certaines œuvres interactives,
et parfois de témoignages, que lorsque le schéma corporel est perturbé, le spectateur met en
place un processus complexe, par tâtonnements, réajustements qui peut relever d’une véritable
expérimentation, d’adaptation, qui révèle la grande plasticité à la fois du cerveau et du corps
biologique.
Cela manifeste aussi qu’il y a un véritable apprentissage du monde par le corps. En ce
sens, par le surpassement de soi, par le repoussement des limites, par la résistance que suscite
le numérique, certains artistes vont explorer de nouvelles sensations et perceptions. Les
œuvres interactives nous donnent à comprendre l’importance de la culture du corps sur la
perception et sur les sensations, et la nécessité de devoir constamment se transformer pour
adopter son milieu, lui-même en constante évolution.

Culture technique  :
Gilbert Simondon met en lumière l’importance que revêt la mise en situation
notamment pour réintroduire l’objet technique dans la culture, au-delà sa dimension d’usage
afin de créer du lien. En effet, il ne s’agit pas uniquement pour l’intervenant d’utiliser
simplement le dispositif, comme c’est le cas pour de nombreux objets techniques
d’aujourd’hui, notamment électroniques et numériques, qui nous permettent pas de
comprendre leurs modes de fonctionnement rendus opaques sous des enveloppes hermétiques
38
. Alain Berthoz, Le sens du mouvement, Paris, Odile Jacob, 1997.

32
qui renferment le programme informatique, inaccessible et magique.
Selon Simondon, c’est la participation aux « schèmes d’action » 39, la confrontation au
processus opératoire mis en place, qui permet la « prise de conscience culturelle des
ensembles techniques » 40 de l’œuvre. Pour que la culture puisse intégrer les techniques selon
Simondon, pour qu’il y ait connaissance des réalités techniques, il ne suffit pas de passer par
les concepts ; il faut bien entendu penser les réalités techniques mais « il faut que l’être
humain soit réellement mis en situation, car c’est un mode d’existence qu’il doit éprouver »
41
 . Il est nécessaire qu’il y ait une mise en situation et que la technique soit « liée] d’action
réciproque avec le sujet42 ». Simondon prend l’exemple du voyage pour étayer sa réflexion : le
voyage autrefois était considéré comme un moyen d’accéder à la culture, car l’homme était
mis en situation effective.
Aujourd’hui, l’homme doit, selon lui, être mis en situation d’éprouver la technique sous
différents aspects43. Il doit la pratiquer, et ne pas uniquement l’utiliser, comme on pratique la
langue qui est « un milieu symbolique et social intrinsèquement participatif » 44, écrit Stiegler.
« Le locuteur est celui qui pratique sa langue, et non celui qui l’“utilise” ou qui l’“emploie” :
on n’emploie pas et l’on n’utilise pas sa langue : on est constitué par elle, et l’on est par là
même constituant. C’est pourquoi il n’y a pas de mode d’emploi d’une langue » 45 . En effet, à
l’instar de l’artiste qui se construit dans une relation dialectique avec l’œuvre qui se crée, le
spectateur va être façonné par l’œuvre en même temps qu’il interagit avec elle46.
47
C’est sous ces conditions que peut émerger « l’impression esthétique » , l’artiste
communiquant à travers ce qu’il a inventé 48, créant du lien entre les hommes, tissant de
l’activité interhumaine, qui permet de passer selon Georges Simondon, au transindividuel 49.
« Les êtres humains communiquent à travers ce qu’ils inventent » 50, écrit-il. C’est aussi une

39
. Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 1958, p. 229.
40
. Ibid., p. 229.
41
. Ibid, p. 228.
42
. Ibid.
43
. Ibid.
44
. Bernard Stiegler, Op. cit.
45
. Ibid.
46
. F. Varela, E. Thompson, E. Rosch, L’inscription corporelle de l’esprit. Sciences cognitives et expérience
humaine, Seuil, 1999.
47
. Gilbert Simondon, op. cit., p. 229.
48
. Ibid. p. 247.
49
. Ibid.
50
. Ibid.

33
façon de faire émerger la part d’humanité de l’objet technique, dans lequel il y a toujours une
part de celui qui l’a créé51 : par le biais du spectateur, par transmission, sont prolongées la
pensée et l’émotion de l’artiste. « L’œuvre d’art entretient surtout, et préserve la capacité
d’éprouver l’impression esthétique, comme le langage entretient la capacité de penser, sans
pourtant être la pensée » 52 .
Plutôt que de « contrôler et de] façonner les modes d’existence individuels et
collectifs53 » selon Bernard Stiegler, les technologies dans le cadre des pratiques artistiques
permettent à la fois d’aller à l’encontre de la normalisation des comportements, mais aussi de
développer des pratiques nouvelles qui relient les hommes. L’apprentissage des mouvements
qui permet de saisir les procédures nécessaires au fonctionnement de l’œuvre, d’en
comprendre les principes amène le participant à développer une attitude créative et à faire sa
propre expérience. Il prolonge ainsi l’activité d’invention mise en place par l’artiste tout en se
différenciant et en s’individuant. Il ne s’agit pas d’agir en tous sens, mais d’expérimenter, de
tâtonner, de réitérer, et ceci en relation avec les autres : observer, s’imprégner pour mieux
reproduire puis expérimenter à son tour, échanger, construire collectivement dans ce qui
constitue un milieu, nécessaire au développement de l’individu — l’interdépendance après la
singularisation est un des aspects de l’individuation. « L’individuation est le processus par
lequel se constituent et ne cessent de se transformer les individus et, avec eux, les sociétés
qu’ils forment – et en cela, l’individuation psychique et collective est la façon dont une
société fait corps, s’unit, et en même temps qu’elle hérite d’une expérience du passé, ce que
l’on appelle souvent la connaissance, mais aussi, et plus largement, les savoirs » 54.
L’installation de Jean-Baptiste Barrière fonctionne en ce sens de façon métaphorique et
donne à voir que, dans ce jeu de stratifications d’« autoportraits nomades » constamment en
train de se construire, c’est par l’autre que nous trouvons en nous, que se fait la transmission.
Aujourd’hui, il y a une culture de la technique qui passe par les œuvres interactives et le
jeu vidéo qui se sont développés jusqu’à intégrer l’espace public mais aussi le monde de la
publicité. Nous savons qu’il nous faut entrer en action pour qu’elles réagissent et pour les
actualiser. Et nous nous laissons facilement entraîner par la dimension ludique, conscients par
ailleurs que nous risquons la frustration si nous ne faisons rien et passons notre chemin. Les
technologies interactives sont tellement sur le devant de la scène que toute image qui réagit à

51
. Ibid, p. 249.
52
. Ibid.
53
. Bernard Stiegler, op. cit., p. 29.
54
. Ibid., p. 21-22.

34
nos sollicitations nous renvoie à l’idée qu’elle relève de la technique. Et nous avons tendance
à nous prêter au jeu, sans méfiance, parfois même avec précipitation et délectation.

BIBLIOGRAPHIE :

Livres  :
- Barrière Jean-Baptiste, « Autoportrait in motion », Turbulences, Spécial
Vidéoformes, avril 1999, n° 23.

- Berthoz Alain, Recht Roland, Les espaces de l’homme, éd. Odile Jacob, Paris,
2005.

- Berthoz Alain, Le sens du mouvement, Paris, Odile Jacob, 1997.

- Stiegler Bernard, Ars Industrialis. Réenchanter le monde. La valeur esprit contre


le populisme industriel, Flammarion, coll. « Champs essais », 2006.

- Simondon Gilbert, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier,


1958.

- Varela, E. Thompson, E. Rosch, L’inscription corporelle de l’esprit. Sciences


cognitives et expérience humaine, Seuil, 1999.

Webographie  :
- Rokeby David, http://www.interlog.com/drokeby/vns.html.
- CNRTL, http://www.cnrtl.fr/definition/individuation
- CNRTL, http://www.cnrtl.fr/definition/culture

35
36
L’AMENAGEMENT CULTUREL DE LA METROPOLE PARISIENNE :

Entre démocratisation culturelle et compétitivité des territoires

Camille ROUCHI, Université Paris 1, France

L’Île-de-France, que l'on connaît aussi sous le nom populaire de « région parisienne »,
est une région historique qui symbolise tout autant le berceau de la France que sa tête
administrative et économique. Mais, si depuis toujours Paris attire et accueille, c’est surtout
grâce son territoire régional qui s’inscrit au cœur de l’histoire de l’architecture et des arts, ce
qui en fait actuellement la première destination touristique du monde. Paradoxalement, hors
du Paris intra-muros, la métropolisation progresse et l’offre culturelle et son accessibilité
diminuent.

Faire l'analyse géographique de la région nous permet d’aborder les politiques publiques
en matière de culture comme étant parties prenantes des stratégies territoriales propres à notre
époque. Aujourd’hui, la très récente reconnaissance institutionnelle de la Métropole du Grand
Paris (loi Maptam)55 permet l’avènement de nouveaux territoires de projets à la fois
économiques, politiques et culturels, parfois en compétition.

Cet angle de recherche nous permettra d’axer notre réflexion sur la mise en
compétitivité des territoires, afin d’interroger la manière dont l’Etat et les collectivités
territoriales se considèrent, à travers leurs politiques culturelles, comme objet de concurrence
et objet de bien commun. De l’accès au rayonnement, nous verrons que l’aménagement
culturel de la région parisienne au travers de lieux emblématiques, élargit le socle de l’identité
parisienne et dessine un avenir culturel en évolution, à la fois réticulaire et multipolaire.

Nous verrons enfin, comment la valeur culturelle d’intérêt général est associée à des
valeurs économiques et sociales jugées bonnes pour les territoires, et si cela peut mettre à mal
l’ambitieux projet de la « démocratisation culturelle » et la fiction d’un référentiel commun.

55
. Loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles.

37
Un contexte contraint pour la «  démocratisation culturelle »

Aux origines du Ministère français des Affaires Culturelles, créé en 1959, la principale
mission portée par André Malraux était de « rendre accessible au plus grand nombre les
œuvres capitales de l’humanité et d’abord de la France », ce qui plaçait d’emblée la question
de l’accès aux citoyens au centre de la politique culturelle. Pendant de longues années, le
projet de démocratisation a servi de légitimation à l’action publique en matière de culture :
élus et porteurs de projets comme de structures, y justifiaient leurs choix et le sens de leur
action. Après une certaine disparition de la rhétorique ministérielle au profit d’autres
thématiques56, comme celle de la diversité culturelle dans les années 1980, la notion de «
démocratisation culturelle », reste aujourd'hui largement mobilisée dans le débat public.
Ainsi, la « démocratisation culturelle » s’affirme encore comme l’une des missions centrales
des politiques culturelles, et constitue l’un des référentiels qui contribue à justifier la politique
culturelle dans l’espace public57.

Finalement, la problématique de la démocratisation permet de maintenir une tension


entre les deux séries de missions poursuivies par les pouvoirs publics : celles qui concernent
l’offre culturelle et la qualité de la création d’une part, et celles qui touchent à la question des
publics, d’autre part. La vertu essentielle de ce dispositif rhétorique, outre le fait qu’il mettait
en débat la question des inégalités d’accès à l’art et à la culture, était de poser comme une
évidence le fait que « l’offre entraîne la demande » et ainsi de lier les objectifs relatifs à
l’offre et ceux portant sur l’élargissement de la demande. En somme, le projet de
démocratisation culturelle était fondée sur l’accessibilité des œuvres, il s’agissait donc
d’équiper culturellement l’ensemble du territoire national afin de rapprocher l’art du citoyen.

Les critiques de la démocratisation culturelle, sont réactivées depuis les années 1990. La
perception d’un « échec » de la démocratisation culturelle est soutenue par des enquêtes sur
les pratiques culturelles qui infirment l’idée d’une culture partagée par tous. En effet, les
études soulignent l’une après l’autre l’échec du projet et nourrissent les polémiques.
L’impuissance apparente des professionnels à changer le comportement sociologique de la
population au regard des activités culturelles met à mal la mission démocratique, sociologique
et intellectuelle qui justifiait l’intervention de l’Etat. Parallèlement, une partie du secteur se

56
. Observatoire des inégalités, « Démocratisation de la culture : fin… et suite ? », 12 janvier 2010.
http://www.inegalites.fr/spip.php?page=comprendre_analyses&id_article=1144&id_rubrique=196
57
. Nous renvoyons à l’anthologie : Poirrier Philippe (éd.), La politique culturelle en débat, 1955-2012, Paris,
La Documentation française, 2013.

38
popularise, la notion de « loisir culturel » se transforme en véritable produit et constituera le
nouveau marché des industries culturelles et créatives. La culture populaire se détache de la
qualité et des typologies artistiques soutenus par l’Etat et les secteurs protégés font ainsi face
à une demande consumériste croissante face à des produits à caractère marchand.

Alors, la mission démocratique de l’Etat s’essouffle. Peu à peu, ce dernier verra son rôle
diminué à celui de gestionnaire, la question des moyens restant centrale dans l’élaboration de
projets artistiques et culturels. Aussi, la décentralisation des compétences culturelles, la
professionnalisation des acteurs et le discours autour de l’économie de la culture porté depuis
les années 1980 viennent accélérer le processus d’appropriation d’une nouvelle justification
annonçant la dé-spécification culturelle des politiques publiques.

Tout ceci participant d’une « panne idéologique » 58, et d’un besoin croissant de
réaffirmer la légitimité des politiques culturelles locales, notamment via ses potentielles
retombées économiques sur les territoires et ses perspectives de développement. De fait, les
retombées économiques représentent un argument désormais affirmé et défendu par les élus
locaux.

Depuis trois ans, les baisses drastiques des finances publiques ont précipité les acteurs
culturels dans des démarches d’autonomisation financières qui auront sans aucun doute, et à
très court terme, des effets sur l’évolution de leurs modèles économiques. Ce tournant radical
dans l’histoire des politiques culturelles a déjà engendré, la suppression et le déclassement de
bons nombres d’équipements et d’évènements sur les territoires. Pourtant la culture, loin
d’avoir disparue réinvente ses modalités de production.

L’accessibilité culturelle au défi de l’avènement de la Métropole du Grand Paris :


Aujourd’hui, nous l’avons vu, il semble que le soutien public à un projet culturel de
qualité ne suffise plus à l’intérêt général. De nouvelles problématiques poussent à la refonte
des politiques publiques : la crise financière, mais également l’évolution géoéconomique des
territoires à travers le processus de métropolisation.

Dans la seconde moitié du XXème siècle, les politiques culturelles en faveur de la


démocratisation ont maillé assez équitablement le territoire national en équipements culturels
de qualité. Néanmoins, les équipements culturels soutenus par les différents ministères

58
. De Saint-Pulgent, Maryvonne, Le Gouvernement de la culture, Gallimard, paris, 1999, p. 88.

39
concernent surtout les grandes villes de province. De la même manière à l’échelle de la région
parisienne, les équipements se trouvent situés, pour la plupart, dans les centres-villes des
ville-centres, laissant de côté les quartiers périphériques et le milieu rural. Or ces territoires
sont majoritaires dans la grande couronne parisienne qui constitue les trois-quarts de la région
Ile-de-France.

Aussi, les équipements culturels de qualité ne bénéficient pas vraiment aux quartiers
périphériques des territoires d’implantation. Il s’agit surtout de délocalisation de formes
culturelles dont la valeur est attestée par le jugement des professionnels spécialisés dans
chaque discipline artistique. A cela s’ajoute, la forte présence d’équipements culturels privés,
au constat d’une prédominance de l’offre culturelle dans l’hyper-centre métropolitain, dont les
territoires jouissent d’un fort volontarisme politique en matière de culture, et sont largement
pourvus en festivals et lieux de diffusion.

Or, les territoires de la grande couronne parisienne sont, eux, plus éloignés du cœur
métropolitain et de l’effervescence culturelle de la capitale, et les moins pourvus en structures
culturelles de gestion privée, autonomes des subventions publiques. Finalement, les zones
périurbaines et rurales qui constituent la majorité du territoire régional, sont de plus en plus
enclavées culturellement, et constituent parfois ce qu’on pourrait nommer de
véritables « déserts culturels » aux portes de la Métropole du Grand Paris, dont l’unité
politique intercommunale renforcera sans doute l’attention portée aux équipements et
manifestations dans le cœur de l’agglomération.

La question du territoire et de la culture est alors de savoir si le territoire des spécialistes


de chaque discipline artistique (où se joue la qualification de la valeur de l’offre culturelle par
l’Etat) peut se croiser avec le territoire de vie des habitants, avec ses références symboliques
et ses pratiques culturelles particulières. C’est là que le rôle prédominant de la culture joué par
les collectivités locales (qui financent déjà jusqu’à 80% de la culture en France), et
notamment les communes, s’avère déterminant : en renouant le secteur culturel avec le
développement territorial, il favorise l’émergence de projets au plus près des exigences
locales, et en cela il est un échelon essentiel pour la démocratisation de la culture au bénéfice
des habitants. Finalement, la politique d’aménagement culturel du territoire, avant tout à
l’initiative des collectivités locales, ne porte pas majoritairement les préoccupations du
ministère, mais plutôt celle des élus locaux qui portent des stratégies très variées sur les
territoires.

40
L’émergence de la métropole parisienne comme nouveau pouvoir politique dans la
région impose que se constituent dans les territoires « périphériques » en grande couronne,
des grandes intercommunalités (institutionnalisées avec la loi NOTRe59 en août 2015)
capables de jouer un rôle dans la région face à l’écrasante Métropole du Grand Paris en
construction, et aptes à se positionner contre un éventuel état de relégation, afin de limiter le
développement d’une région culturelle à trois vitesses : avec d’une part, le monstre-métropole
que constitue le Grand Paris, dont le poids politique rejoint le poids économique dans la
région ; d’autre part, les puissantes intercommunalités qui se constituent en grande couronne
autour des zones fortement productives, des pôles de développement métropolitains et des
futures gares du Grand Paris ; et enfin, les territoires qui constitueraient des « marges », ces
territoires à dominante rurale en périphérie de l’agglomération, aux franges de la région Ile-
de-France.

Cependant, le risque de la mutualisation, à la fois des équipements, des emplois et des


moyens, inquiètent un certain nombre d’acteurs dans la région, qui craignent de voir de super-
équipements mutualisés concentrer, par leur « attractivité » étendue, une part substantielle des
subventions. Ces politiques risqueraient de diminuer l’offre en grande couronne, notamment
en milieu rural, et privilégieraient les territoires plus agglomérés et à vocations stratégiques,
au cœur déjà de toutes les attentions.

Ainsi, une crise des financements publics sans précédent contraint les collectivités
territoriales françaises, qui doivent, dans le même temps, redéfinir leurs périmètres
démocratiques (Loi Maptam, loi NOTRE) et leurs modalités d’intervention. Se pose alors la
question de la portée culturelle de ces nouveaux échelons politiques, qui ont tendance, de plus
en plus à recentrer leurs politiques sur leurs compétences obligatoires et, parfois, à se
désengager du secteur culturel. Mais surtout, se pose la question de l’accès au lieu, lorsque les
périmètres démocratiques s’élargissent, s’éloignent des problématiques locales et polarisent
leurs interventions. Il se dessine une disparité forte de l’accessibilité culturelle dans la région
qui s’accentue par des processus de mutualisation et donc de polarisations territoriales,
l’évolution des frontières administratives interroge encore les effets de la métropolisation dans
la persistance d’une problématique centre-périphérie soutenu par l’application des politiques
publiques. Ainsi, dans la recomposition qui s’annonce entre l’inter communalisation,

59. Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

41
l’avènement des métropoles et la réforme des départements et régions, le sort de la culture en
France et sa démocratisation apparaissent comme des éléments de test majeur.

Culture et tourisme : de nouveaux outils au service de la compétitivité des territoires ? 

En France, l’attractivité est invoquée, comme la compétitivité, pour justifier la rigueur


budgétaire, mais aussi les réformes territoriales en cours, et le Grand Paris l'illustre
parfaitement. L’avènement de la Métropole du Grand Paris a reconnu la nécessité d’un
élargissement politique de la capitale au regard du processus de métropolisation, qui modifie
la forme urbaine autant que ses fonctions, et assure l’insertion de la ville dans l’économie
internationale. Paris a rejoint le rang des « villes globales »60, épingle d’un maillage géo-
économique globalisé, et côtoie ainsi d’autres entités dans un rapport inter-métropolitain,
c'est-à-dire en compétition avec les métropoles qui émergent à travers le monde.
L’« attractivité territoriale » définie comme l’« aptitude d’un territoire économique, national
ou régional, à attirer et à retenir les activités économiques et les facteurs de production
(capital et travail) de plus en plus mobiles internationalement »61, est l’une des formes prise
par la compétitivité. Et cet engouement général est particulièrement visible en France, où le
thème occupe une place croissante dans le paysage médiatique depuis les années 2000.
Comme dans de très nombreux pays, il a été adopté par les pouvoirs publics comme
paradigme pour la politique industrielle et l’aménagement du territoire. D’abord, la notion de
« créativité » apparaît, par le biais des industries culturelles et créatives, comme le moteur
d’un dynamisme social, économique, politique et scientifique à l’échelle mondiale. Les
clusters culturels et créatifs fleurissent notamment dans le sud-ouest et dans le nord-est de la
région Ile-de-France, ainsi qu’à Paris comme des utopies où artistes et créateurs, investisseurs
et scientifiques se mobilisent dans une fertilisation croisée. Ainsi, une nouvelle approche des
arts et de la culture a progressivement émergé depuis une vingtaine d’années, dans laquelle la
notion de ville ou de territoire «créatif» était parfois considérée comme une sorte de sésame
pour sortir de la crise en particulier économique que nous vivons.

De fait, plusieurs courants d’analyse ont convergé pour aboutir à un mode


d’appréhension où les pratiques artistiques et culturelles sont de plus en plus considérées
d’abord comme des vecteurs de création de richesse et d’attractivité économique pour les
territoires, avec le risque induit de trop soumettre ces activités à des dimensions qui leur sont
60
. Saskia Sassen, The Global City : New York, London, Tokyo, Princeton, Princeton University Press, 1991.
61
. Echaudemaison Claude-Danièle (sous la dir.), Dictionnaire d’économie et de sciences sociales, Paris,
Nathan, 2009.

42
extrinsèques. Simultanément, la conscience d’une interférence entre constituants sociaux,
culturels, économiques et territoriaux du développement s’est renforcée. Si l’importance des «
externalités » positives des arts et de la culture – leur valeur « vaporeuse » qui se diffuse dans
d’autres secteurs de la société – a permis de justifier les subventions publiques et civiles à ce
domaine multiple mais spécifique d’activité, la réduction de ces aides et l’industrialisation de
la connaissance modifient radicalement la situation. L’importance accordée à la proximité
entre organisations pour accroître les potentiels d’innovation ou de coopération a pu aussi
conduire à des stratégies d’implantation d’un équipement culturel fort comme à Bilbao ou à
des mises en synergie plus réticulaires. En Ile-de-France, ce type d’initiative se généralise, de
hauts lieux culturels en construction projetteront demain une capitale culturelle multipolaire.
Notamment, la Cité de la musique en construction, qui sera située en petit couronne dans le
sud-ouest et la nouvelle Philharmonie dans le nord-est de Paris, font signes dans la métropole
en construction, suggèrent l’intégration symbolique de la périphérie et la compétitivité des
territoires unis dans la métropolisation.

Ces aménagements culturels spectaculaires, font également suite à l’apologie du


tourisme culturel qui favorise la mise en tourisme des territoires infra-métropolitains et
l’esthétisation de la métropole. En témoigne les ambitieux contrats de destination et les
contrats de structuration de pôles touristiques territoriaux, portés par l’Etat et Atout France,
qui sont au nombre de 32 en France, et pas moins de 3 en Ile-de-France. En effet, la stratégie
« Destination France 2010-2020 » et les Assises du Tourisme ont souligné « la nécessité dans
un contexte concurrentiel intensif et un environnement économique complexe, de consolider
les destinations et marques existantes et d’en faire émerger de nouvelles, structurées, et à
forte visibilité internationale »62. Il s’agit de renforcer l’attractivité des territoires, fédérer sur
plusieurs années acteurs publics et privés autour d’objectifs communs en matière d’ingénierie
et de promotion sur les marchés. Ces contrats doivent promouvoir des territoires
culturellement singularisés, au moyen d’une stratégie de marque qui permet de rendre visible
une identité territoriale choisie, et qui a, de plus, la capacité de mettre en cohérence les limites
géographiques, administratives et socioculturelles des territoires. Il faut, pour s’en convaincre,
prendre la mesure de la compétition territoriale que se livrent désormais les métropoles en
misant à la fois sur l’économie créative et la valorisation touristique, dans une stratégie de
développement territorial. A constater, les différents projets qui naissent dans la région
parisienne, il semble difficile de ne pas estimer que les territoires se portent en concurrence à
62
. Informations issues du site internet d’Atout France : http://atout-france.fr/content/contrats-de-destinations
Consulté le 22/06/2016.

43
la fois sur un plan inter-métropolitain, mais aussi infra-métropolitain, c’est-à-dire à l’intérieur
de l’espace métropolitain.

L’extension de l'agglomération parisienne impliquant de nouveaux enjeux urbains


métropolitains, tels que la gestion des flux, qu’ils soient économiques ou liés aux
déplacements, la question métropolitaine réinterroge la question de l’accessibilité de la
culture, également du point de vue de la « mobilité » comme nouvelle injonction, et
réinterroge la provenance de son public, qui s’internationalise. A l’échelle métropolitaine, la
valorisation de la culture dans un territoire élargi fait appel à la promotion touristique, et les
politiques se mélangent. Ainsi, aujourd’hui on note une autre tendance majeure : l’attractivité
culturelle semble se confondre dans l’attractivité touristique, dans la mesure où les
évènements et les équipements sont jugés, de plus en plus en vue de leurs retombées
économique sur les territoires, et que s’élargit progressivement le public initialement visé.

Dans la mesure où la métropolisation est un processus, l’urbain et ses pratiques


changent d’échelle et créent de nouvelles centralités, qui se côtoient dans l’espace infra-
métropolitain. En effet, si la ville de Paris parait comme la grande gagnante de l’attractivité
culturelle dans la région, centralisant équipements, artistes, créateurs et enjeux de
consommations culturelles et touristiques, il n’en devienne pas qu’à ses côtés des territoires
s’imposant progressivement dans les champs culturels et créatifs.

Les départements des Hauts-de-Seine et de la Seine-Saint-Denis apparaissent


particulièrement dynamiques, formant les deux polarités culturelles majeures de la région et
talonnant l’incontestable centralité parisienne. Ils portent par ailleurs tous deux, des marques
déposées de territoires : « Territoire de la Culture et de la Création » pour l’intercommunalité
de Plaine commune dans le département de Seine-Saint-Denis et « Vallée de la culture » pour
le Département des Hauts de Seine.

Ajoutons, qu’à travers l’analyse du dynamisme culturel de ces deux départements de


petite couronne parisienne, il apparaît une certaine confrontation entre le nord-est et sud-
ouest, qui correspond parallèlement et respectivement, au Département le plus pauvre (Seine-
Saint-Denis) et au Département le plus riche de France (Hauts-de-Seine), unis dans la même
région. Ces deux polarités dans la métropole parisienne sont de fait en concurrence pour
l’obtention d’équipements, pour l’émergence de partenariats privés, pour l’attractivité, nous
l’avons vu, des « classes créatives » des investisseurs et des universités. Egalement, ces deux

44
territoires investissent dans la construction d’équipements culturels emblématiques. Ils
participent, ainsi, à la fois d’une lutte pour les icônes urbaines, et du branding territorial
devenu un enjeu global pour la mise en destination culturelle des territoires à l’échelle
planétaire, confondant les objectifs de développement économique et d’aménagement du
territoire.

Ainsi, l’attractivité touristique se mêle également à l’attractivité résidentielle : soit à la


capacité des territoires à attirer des personnes qualifiées, et notamment celles de la « classe
créative » (au sens de Richard Florida63), et à l’attractivité économique des territoires : soit la
capacité d’attirer entreprises et établissements d’enseignement et de recherche, autant que les
capitaux. Ces trois facettes, que nous jugeons complémentaires semblent fondre la vision de la
démocratisation culturelle dans une vision plus utilitariste, et surtout dans des enjeux
plurisectoriels et profondément territoriaux. D’autant que ces nouvelles stratégies territoriales
sont appliquées à l’ensemble des territoires, et non pas seulement au cœur métropolitain, mais
aussi aux territoires plus « périphériques », pris d’engouement pour les questions liées au
développement local, et pressés de prendre place dans l’échiquier métropolitain.

Depuis lors, la question de l’attractivité culturelle des territoires, étayée par les travaux
de nombreux chercheurs, a permis de prendre la mesure du potentiel que représente la culture
à la fois comme ressource attractive mais aussi comme opérateur pour la mobilisation d’autres
ressources au sein de projets politiques, économiques et sociaux. Les études portant sur les
quartiers artistiques des grandes villes européennes, les Capitales européennes de la culture et
le développement des friches culturelles ou des nouveaux territoires de l’art ont, quant à elles,
pointé le potentiel de régénération urbaine porté par l’art et la culture. Il s’ajoute aujourd’hui
deux tendances fortes : l’avènement de la ville créative et la mise en destination culturelle des
territoires.

Conclusion  :

Pour conclure, nous constatons que les manifestations géographiques des lieux dédiés à
la culture dans la région Île-de-France illustrent ainsi deux positions a priori antinomiques de
la culture. Tout d’abord celle de la mise en proximité des lieux de la culture soutenus par la
63.
Richard Florida, The Rise of the Creative Class : And How It's Transforming Work, Leisure and Everyday
Life, New-York, Basic Books, 2002. Pour une discussion critique : Rémy Tremblay et Diane-Gabrielle Tremblay
[dir.], La classe créative selon Richard Florida : un paradigme urbain plausible ?, Rennes : Presses
universitaires de Rennes, Québec : Presses de l'Université du Québec, 2010 ; et Elsa Vivant, Qu'est-ce que la
ville créative ?, Paris, Puf, 2014.

45
puissance publique ; cette vision sociale traduisant une garantie d’accès à la culture pour tous,
dans un contexte où la culture reste la variable d’ajustement de nombreuses collectivités en
ces temps de carence budgétaire. Ensuite, celle de l’échelle métropolitaine intégrée dans la
globalisation, qui sous-tend l’idée de concentration productive, de polarisation, voir de
hiérarchisation, et nécessairement de mise en concurrence des territoires inter-métropolitains,
mais aussi intra-métropolitains. L’injonction à l’attractivité territoriale, que nous avons vue à
la fois économique, résidentielle et touristique, perturbe la lecture de la culture dans la région
et les équilibres territoriaux garants de l’idéal démocratique alimenté par l’impératif de
l’accessibilité.

Les décideurs publics de ces territoires franciliens partagent ainsi la même vision
stratégique, qui fait de l’attractivité culturelle la nouvelle injonction des villes internationales
et un facteur de renforcement de la compétition entre territoires. Ce phénomène, généralisé
sur l’échiquier des puissances internationales, révèle l’importance du tourisme urbain dans le
monde. Cela révèle également l’importance de la « créativité » apparue comme nouveau
dogme, de la « ville créative » à la « smart city », qui contribue à l’évolution radicale de la
vision politique en matière de culture, ainsi que la puissance du phénomène de
métropolisation.

Ainsi, la culture apparaît comme un outil de production des destinations économiques, à


la fois productives et touristiques. Et parallèlement, le développement territorial de la culture
par les pouvoirs publics épouse l’engouement des élus pour le branding territorial et nous
rappelle que les territoires existent avant tout à travers les représentations qu’on leur associe.
Au regard des politiques publiques menées et de leurs budgets alloués, l’esthétisation des
territoires métropolitains surpasse donc le projet de démocratisation culturelle garant de
l’accessibilité et de l’offre de proximité, tel qu’il avait été engagé par André Malraux, premier
ministre des affaires culturelles, dans les années soixante.

Finalement, en Ile-de-France, la mise en destination des territoires pourrait, dans une


certaine mesure, progressivement se substituer à l’impératif de démocratisation culturelle, si
la puissance publique ne redéfinit par l’art et la culture dans leurs fonctions sociales et
fédératrices, sans appeler systématiquement à leurs capacités lucratives. Si la culture est
actionnée dans les projets de territoires, l’inconnu demeure quant à la culture comme projet de
société.

46
BIBLIOGRAPHIE

- DE SAINT-PULGENT Maryvonne, Le Gouvernement de la culture, Gallimard,


paris, 1999.

- ECHAUDEMAISON Claude-Danièle (sous la dir.), Dictionnaire d’économie et


de sciences sociales, Paris, Nathan, 2009.

- FLORIDA Richard, The Rise of the Creative Class : And How It's Transforming
Work, Leisure and Everyday Life, New-York, Basic Books, 2002.

- GRAVARI-BARBAS Maria et RENARD-DELAUTRE Cécile (préface Joan


Ockman), Starchitecture(s) : figures d'architectes et espace urbain, Paris
L'Harmattan, 2015.  

- MALIGE Francis, VIMONT Claude, Mondialisation : Réconcilier la France


avec la compétitivité, Paris, Institut Montaigne, 2006.

- POIRRIER PHILIPPE (éd.), La politique culturelle en débat, 1955-2012, Paris,


La Documentation française, 2013.

- SASSEN SASKIA, The Global City: New York, London, Tokyo, Princeton,
Princeton University Press, 1991.

- VIVANT Elsa, Qu'est-ce que la ville créative ?, Paris, Puf, 2014.

47
48
« DEMOCRATISER » LES OUTILS DE PRODUCTION DU DISCOURS SUR LE MONDE
Engager l'éducation populaire sur le terrain des savoirs pour cultiver la culture.

Léa Laval, Université Paris 8 Saint-Denis, France

Introduction  :

Engagée en doctorat depuis novembre 2014, sous la direction de Jean-Louis Le Grand,


je travaille, dans la continuation de mes travaux précédents, sur les relations entre pratiques
d'éducation populaire et recherche. Comment travailler les savoirs dans une démarche
d'éducation populaire si ce n'est dans une démarche de recherche ? En quoi les pratiques
d'éducation populaire produisent des savoirs et participent (ou non) d'une certaine
réappropriation des moyens de production des savoirs ? Quels sont les enjeux politiques d'une
telle réappropriation ? Et enfin, en quoi permettent-elles aux sujets d'entrée en recherche,
autrement dit : prennent-elles part à un processus d'émancipation dans une perspective de
transformation sociale ?
Je voudrais saisir l'occasion de cette communication pour : d'une part, tenter d'apporter
un éclairage sur des pratiques d'éducation populaire comme travail de la culture et éducation
au politique. En quoi l'éducation populaire peut être considérée comme une mise au travail de
la culture ? Et comment celle-ci participe d'une certaine transformation de nos représentations
du politique ? D'autre part, je souhaiterai me pencher sur la place des savoirs dans le travail de
la culture et exposer les pistes à explorer dans l'objectif de relier culture et démocratie au-delà
de la fameuse « démocratisation culturelle ».

De la Culture à la culture en passant par l'éducation populaire :

« Mesdames, Messieurs : Bonsoir ! … Mesdames, Messieurs, ceci est un poireau !


Aujourd'hui, j'habite en Bretagne et je suis dans la culture des poireaux. Avant,
j'habitais Paris et j'étais dans la culture. On dit la culture. On a un truc en France qui
s'appelle La culture.
Alors, ... tout le monde comprends ce que c'est, hein, quand vous dites « la culture »,
les gens comprennent tout de suite qu'il ne s'agit pas de poireaux, hein ? Et donc voilà,
j'étais dans la culture, donc j'habitais Paris.
C'est là qu'ils sont tous les cultivateurs, c'est la capitale ! » 64.

64
. Frank Lepage, Retranscription de la conférence gesticulée « L'éducation populaire, monsieur, ils n'en
ont pas voulu » ou « Inculture #1 », vidéo en ligne : http://www.scoplepave.org/l-education-populaire-

49
C'est ainsi que commence la première « conférence gesticulée »65 de Frank Lepage, qu'il
appelle « Inculture #1 ». En mêlant récits de vie, apports historiques et conceptuels dans son
jeu de scène, Frank Lepage défend une mise au travail de la culture contre la Culture
dominante, pour arrêter de « cultiver les pauvres » comme on cultive les poireaux : en leur «
balançant du fumier culturel » !
Dans les représentations, la culture est souvent réduite à quelque chose de statique. Ce
sont ces « œuvres » que l'on trouve dans les musées et les salles de spectacle, de cinéma, elle
se rapporte aux beaux-arts, à ce qui est créatif et esthétique. Elle recouvre d'autre part tout un
secteur marchant spécialisé en « produits culturels », qui va de l'industrie du livre à celui de la
musique en passant par les films et les jeux. Pourtant on l'entend aussi dans un sens plus large,
qui rejoint une définition plus ethnologique. La culture comprend alors l'ensemble des
caractéristiques d'un groupe de personnes plus ou moins important, souvent ancré sur un
territoire particulier, et l'ensemble de ces normes qu'ils se transmettent et qui régissent leur
mode de vie en commun. Les cultures, au pluriel, illustrent la diversité des êtres humains et
des réponses qu'ils se donnent et considèrent comme « normales », en posant des « nous » et
des « eux » en interaction.
Pour retrouver le lien avec la culture des poireaux sur lequel joue Frank Lepage, il faut
revenir à la racine latine du terme culture : cultura, qui exprime l'action de cultiver, de
transformer la terre, d'habiter son environnement ou de le rendre habitable. En élargissant
l'environnement au cadre des expériences de l'individu, c'est-à-dire les réalités sociales,
politiques et économiques dans lequel il évolue entouré de ceux avec qui il fait société, le
détour étymologique réintroduit la notion de « mouvement » dans la définition de la culture.
Le processus d'inter-influences entre individu et environnement est appuyé et la culture
devient la condition sine qua non de notre survie.
A la fois, « œuvres » matérielles et immatérielles, parfois élevées au statut « d'art »,
caractéristiques objectives et symboliques d'un groupe social, et processus de formation de
soi, la culture apparaît comme un objet complexe et politiquement sensible. Je tenterai
maintenant d'ouvrir un dialogue entre ces trois éléments de définition de la culture pour
essayer de mettre à jour les différentes fonctions de la culture dans l'organisation sociale et
politique. L'idée est de comprendre, d'un point de vue matérialiste, quels entendements et
usages de la culture correspondent à l'organisation politique de notre société actuelle ? Mais
aussi de se demander comment la mise au travail de la culture à travers un projet de formation

monsieur-ils-n-en-ont-pas.
65
. Forme de conférence théâtralisée.

50
de soi, par des pratiques dites « d'éducation populaire », peut éventuellement produire de la
transformation sociale donc une autre organisation sociale et politique.
Ce que j'appelle « l'organisation politique de notre société actuelle » aura pour cadre la
France, un État-nation, organisée sous la forme de la démocratie représentative. J'essaierai
d'élucider en quoi la culture renforce le trait d'union entre État et nation et pourquoi elle
semble guidée par un projet politique avant d'être un projet de formation des individus.
La France est un « État-nation », ce que Raymond Aron définit comme « une unité
politique, dont les citoyens appartiennent tous à une même culture et manifestent la volonté de
vivre en une communauté autonome. »66. L’État-nation serait donc né de la volonté
d'autonomisation politique de personnes ayant le sentiment d'appartenir à une même
«culture», au sens ethnologique du terme. Or l'histoire montre pourtant que l'organisation
politique, dans sa gestion géographique et administrative d'un territoire, joue un rôle
fondamental dans la diffusion d'un sentiment d'appartenance à une même communauté et dans
la construction d'une France unifiée. C'est, par exemple, au fil des conflits entre les États que
les populations européennes élaborent une idée du « nous » et associent leurs destins aux
intérêts nationaux. Anthony Giddens souligne que « le nationalisme permet de naturaliser le
caractère récent et contingent de l’État-nation en lui fournissant son mythe d'origine. »67.
La construction d'une « culture officielle » et sa diffusion à travers les politiques
publiques viennent nourrir le mythe d'origine de l’État-nation et apparaît comme un projet
politique qui lui sert de ciment pour maintenir un corps social uni. La culture est comme
naturalisée. Michel Foucault parlerait « d'institution pastorale »68 dont le rôle est de contrôler
les sujets convertis à une vérité qui est en dehors d'eux, à la vérité selon l'institution. L'école
peut être assimilée à une de ces institutions. En « cultivant » les individus, elle transmet les
fondamentaux du mythe d'origine comme si ces fondamentaux étaient « naturels »,
historiques, au sens positiviste, et non le résultat d'un processus politico-social, d'une certaine
interprétation de l'histoire.

Pour Pierre Bourdieu, il y a « concentration en quelques individus « de la capacité de


production » du discours sur le monde social et, par-là, de la capacité d'action sur le monde

66
. Raymon Aron, Introduction à la philosophie politique : Démocratie et Révolution, Librairie générale
française, Paris, 1997.
67
. The Nation-state and Violence, Vol.2 de A contemporaru Critique of Historical Materialism, Berkeley,
University of California Press, 1984.
68
. Michel Foucault, Herméneutique du sujet, cours du collège de France 1976. Disponible en ligne
[http://michel-foucault-archives.org/?Cours-au-College-de-France-L].

51
»69. Le lien entre organisation politique et production d'une culture apparaît alors au sein de
l'État-nation français régi par une démocratie représentative, c'est-à-dire un régime où il y a
différenciation entre gouvernés et gouvernants. Les gouvernants, les élus, qui se confondent
souvent avec une certaine élite, détiennent « la capacité de production », monopolise la parole
et donc la capacité d'agir sur et dans le monde.
Comment remettre la culture en mouvement, remettre en circulation la parole ? A quoi
ressemble la culture comme processus de formation ? C'est peut-être la nature profonde de
l'homme, d'accepter qu'il est un être culturel, un être qui se forme en se confrontant au monde
qui l'entoure. La culture comme processus de formation serait alors ce qui différencie le
« soi », être éternellement inachevé, conscient de sa singularité comme des multiples
communs que nous portons, et le « moi », produit de l'individualisme contemporain, illusion
d'être unique et entièrement libre de ses choix. La culture est alors la somme de ces multiples
expériences de vie, ces paroles qui circulent entre les hommes et celle par laquelle l'individu
devient homme parmi les hommes en ayant accès aux paroles des autres et à laquelle il
participe en y parlant à son tour. La culture comme processus de formation est le lien
dialectique entre individu et collectif.
Cette forme de culture en mouvement, produite par les expériences singulières des
individus et leurs échanges, doit permettre de former des individus à leur tour capables de
porter leur voix au sein de la communauté, et donc participer à l'élaboration des règles et des
normes qui la régissent. La culture comme processus de formation apparaît comme
fondamentalement démocratique. Elle participe à ce que John Dewey nommerai : une «
manière de vie démocratique »70.
Les espaces « culturel » ne sont plus seulement les musées et salles de spectacle, mais
des espaces/temps où se racontent et se confrontent les expériences singulières du monde,
pour co-construire des savoirs et « s'entreprendre » tout au long de la vie. C'est le travail que
j'ai essayé de mener en allant observer le quotidien des acteurs de l'Université Populaire de
Bordeaux71 (UPB). L'UPB tente d'ouvrir toutes sortes d'espaces/temps, du cours relativement
magistral en philosophie aux séances d'arpentage 72, en passant par la mise en débat de
questions sociales dans l'espace public. En expérimentant des dispositifs pédagogiques, en
conversant longuement sur ce que sont les savoirs et quelle méthode serait la plus à même de

69
. Pierre Bourdieu, La distinction, Critiques sociales du jugement, chap.8 « Culture et politique », éd. De
Minuit, 1979. p. 464.
70
. John Dewey, « La démocratie créatrice, la tâche qui nous attend », Traduction de Sylvie Chaput, Horizons
Philosophiqes,vol. 5, n°2, 1997.
71
. http://upbordeaux.fr/
72
. Technique de lecture collective.

52
permettre une réelle appropriation, en montant une conférence gesticulée sur la création de
cette université populaire, les principaux acteurs de l'association qui se disent maintenant «
éducateur populaire » ont affiné leur vision du politique et de l'émancipation, mais ce sont
surtout mis dans une position de chercheur.
« Des hommes à qui l’on donne la possibilité de s’exprimer, de se désinhiber,
de ne pas croire ou persister à croire qu’ils sont faits pour agir tandis que
d’autres sont faits pour penser, ces hommes qui veulent penser leur action, la
traiter, la raisonner, s’en distancier, la critiquer, l’étendre, la surplomber, la
prolonger, la rédiger, la présenter, la transmettre, ont un matériel magnifique
(…) Et c’est cela que j’appelle la « recherche permanente » qu’il faut entendre
dans la recherche action. »73.
D'après les quelques théoriciens de l'éducation populaire, trois phases sont constitutives
de son action. L'éducation populaire met les individus au travail à partir du monde tel qu'il est,
tente de libérer l'imaginaire pour réhabiliter la pensée sur un monde tel que nous voudrions
qu'il soit, et à l'articulation de l'existant et de l'imaginaire pour se réapproprier notre pouvoir
d'agir. J'y lis une tentative de remettre la culture au travail, la culture comme dialogue entre
tradition et nouveauté, entre individus et collectif, entre l'institué et sa critique. D'autre part,
dans ce processus d'analyse collective du monde qui nous entoure, articulé à une mise en
action, apparaît une manière de se former à la recherche permanente telle que définit par
Henri Desroche. Recherche qui revêt un aspect existentiel et politique dans la mesure où
l'individu se confronte et analyse sa présence dans une société donnée et tente d'y agir avec les
autres.

Savoirs et démocratie :

Dans le dictionnaire de philosophie, le savoir apparaît comme un des éléments premiers


de la culture. La conception que nous entretenons du savoir, me semble, tout autant que la
culture, un pilier de nos représentations du champ politique.

« Le savoir, c'est pas des chocolatines ! »74. Par cette exclamation, Hugo Fourcade,
membre fondateur de l'Université Populaire de Bordeaux, souhaite mettre en avant les
73
. Henri Desroche, conférence « Développement ? Lequel ? » à l'université de Rimouski (Québec), septembre
1975.
74
. Hugo Fourcade rapportant les propos d'un membre du GFEN lors de la conférence « Présentation de
l'Université Populaire de Bordeaux », le 9 avril 2013, dans le cadre des séminaires ETLV, Master EFIS de
Science de l'éducation, Paris 8 Saint-Denis.

53
conséquences d'une conception du savoir comme marchandise, produit multipliable à l'infini
et distribué comme des petits pains.
La volonté première de diffuser plus largement le savoir, construit et enseigner à
l'Université institutionnelle, semble être du même ordre que la logique de démocratisation
culturelle. D'une part, elle ne prend pas en compte toutes les questions de rapports au savoir,
de leur appropriation et des modalités de « l'apprendre » et d'autre part n'envisage pas
d'interroger le processus de production.
Si le savoir était une chocolatine, le boulanger serait « l'intellectuel » dont la tâche
traditionnelle, souligne Michel Foucault75, aurait été de diffuser la vérité auprès de ceux qui
n'y ont pas accès. La position du dominant se trouve légitimée par son savoir, le savoir est
donc un attribut non négligeable d'une position de domination. Cette conception du savoir
alimente et se nourrit de la dimension aristocratique de nos démocraties libérales où l'élu et
l'élite sont ceux qui, détenant les connaissances, sont aptes à prendre la meilleure décision
pour le plus grand nombre. L'apprendre est alors souvent perçu comme un « enregistrement
» : le sachant transfère son savoir à l'ignorant. L'instruction ainsi appréhendée, permet de
fonder les inégalités sociales sur le savoir, sur ce que Jacques Rancière appelle « l'inégalité
des intelligences » et justifie un système méritocratique.
Pour bien faire, il serait nécessaire d'approfondir l'histoire des sciences et de mieux
tenter de comprendre la foi des sociétés occidentales pour le progrès scientifique très
récemment remis en cause. Je me contenterai de citer le travail phénoménal de Clifford D.
Conner relatés dans son Histoire populaire des Sciences76. Dans cet ouvrage, il s'attache à
montrer méthodiquement la manière dont la figure du savant s'est souvent construite contre
celle de l'artisan et des ouvriers en général. L’auteur tente alors de rendre aux classes
populaires les expériences scientifiques et découvertes techniques qui leur sont dues ou au
moins à mettre en évidence l'aspect collectif des avancées de la connaissance, et à étudier les
effets des alliances entre capital et sciences au fil des siècles.

Quel savoir permettrait de « cultiver » la singularité de l'individu ? De lier les contraires


pour délier l'imagination ? De repenser l'action commune et la possibilité de chacun de nous
de faire œuvre ?
75
. Michel Foucault et Gilles Deleuze, "Les intellectuels et le pouvoir", 1972, entretien publié dans l'Arc n°49, et
repris dans Michel Foucault, Dits et écrits II. [En ligne : http://1libertaire.free.fr/Mfoucault10.html]
76
. Clifford D. Conner, Histoire Populaire des Sciences, éditions L'échapée, Montreuil, 2011 pour la traduction
Française par Alexandre Freiszmuth.
Titre original : A People's History of Science : Miners, Midwives, and "Low Mechanicks", Nation Books, New
York, 2005.

54
« Les savoirs s'étendent bien plus largement que leur acception commune (…). Nous
avons tous par exemple un témoignage authentique à livrer émanant de nos
expériences de vie uniques constituant un savoir des plus précieux, un savoir rare,
furtif, un savoir illégitime. »77.
Comme décrit dans ce passage d'un article collectif émanent de l'UPB, le savoir
devient pluriel. Il n'y a plus Le Savoir comme ensemble des connaissances produites par les
scientifiques, mais les savoirs provenant de toutes ces situations de la vie dont l'individu ne
ressort jamais indemne. La prise en compte des savoirs de l'expérience apparaît comme une
ouverture majeure, en sciences humaines notamment, vers de nouvelles épistémologies et de
nouvelles modalités de l'apprendre. D'autre part la revalorisation des savoirs dits « pratiques
», qui apparaissent, selon les positionnements des uns ou des autres comme un pléonasme,
revêt aussi des enjeux non-négligeables.
La mise en exergue du quotidien comme source de savoir demande des outils
d’analyse originaux et expérimentaux. Ces outils aux confluents entre analyse sociologique et
outil de formation, voire d’autoformation, postulant que les « interviewés » peuvent être
impliqués dans la recherche me semblent constituer un élément de politisation des savoirs.
Jean-Louis Le Grand parle de produire un sujet « plus apte à construire et échanger du sens
qu’avant »78. Comme lui, je considère ces méthodes d’analyse sociologique comme « une
révision déchirante d'un certain scientisme qui vide les sujets et la société d’une vie historique
spécifique pour simplifier leur étude, réduite ainsi aux croisements de certaines variables
lourdes (âge, emploi, revenu, origine sociale, opinions…). » 79. Jean-Louis Le Grand, défend
les histoires de vie comme méthode de recherche en sciences sociales dans l’analyse des
rapports sociaux et du développement de l’individu. C'est aussi un moyen de donner une place
au vécu de tout un chacun dans l’écriture de l’Histoire et de considérer l’individu comme
capable d’être auteur. L’utilisation des histoires de vie dans les sciences sociales permet
l’écriture d’une « autre » histoire. Une histoire qui ne serait pas seulement écrite par les élites,
mais qui rend sa place aux individus lambda, à leur perception des faits sociaux et à leur choix
dans ce qu’ils considèrent comme élément marquant de leur époque.
Rémi Hess, pour sa part, utilise un journal dans sa pratique de chercheur et comme outil
pédagogique. Le journal permet une écriture au jour le jour, une retranscription de
l’expérience à chaud. Il le définit comme un « outil d’exploration intellectuelle » qui permet
77
. « Pouvoirs et Savoirs », article collectif, publié le 8 juin 2011 dans l'Humanité. [En ligne :
upbordeaux.fr/Principes-et-Outils].
78
. Gaston Pineau et Jean-Louis Le Grand, Les Histoires de Vie, Que sais-je, Paris, 3e éd. 2002, (1e 1993),
p.87.
79
. Ibidem, p.85.

55
de « garder une mémoire de ce qui se passe au quotidien » 80. L’écriture du journal permet
donc de faire émerger des moments, « des situations répétitives, des formes sociales
structurantes de la pensée, du vécu, de l'action »81 et d’en faciliter l’analyse.
Il y a donc un enjeu politique à considérer les histoires de vie ou le journal de recherche
comme méthodes d’analyse sociologique et donc production de savoirs. « La prise de parole
généralisée exerçant socialement la réflexion, émanciperait et autonomiserait l’humanité. »82.
La dimension formatrice et même émancipatrice du dispositif apparaît singulièrement
mêlée à la dimension épistémologique qui élargit la production du savoir au plus grand
nombre. Ce qui ouvre une dimension politique en choisissant de donner une place à part
entière à l’individu dans l’écriture de l’histoire collective, et en lui permettant ainsi d’en être
acteur, de participer à l’écriture avec un regard critique. Ces méthodes s’inscrivent toutes
deux dans la dynamique régressive-progressive d’Henri Lefebvre et dans le corpus de
méthodes ayant un certain nombre de similarité avec les principes de l’éducation populaire.
Elles permettent d’analyser d’un point de vue présent ce qui nous a construit et nous construit
encore dans la perspective d’une projection dans le futur.
Bernard Charlot invite à se concentrer sur le rapport au savoir, au singulier. Le savoir est
considéré comme quelque chose d'extérieur au sujet, un objet qui s'acquiert, que l'on
s'approprie, que l'on construit dans un rapport au monde, aux autres et à soi. Lorsqu'on parle
des savoirs de l'expérience, des savoirs académiques ou des savoirs « pratiques », c'est en fait
un type de rapport à l'objet savoir que l'on évoque en qualifiant le processus de construction
ou l'usage qui en est fait. En étudiant les rapports du sujet au savoir, il souligne que le savoir
n'a de valeur que par le sens qu'il produit dans le monde et ouvre de nouvelles perspectives
d'un apprendre comme manière et raison d'être au monde, humain parmi les humains donc
animal politique. C'est à partir de l'étude de ce rapport au savoir que Geneviève Defraigne-
Tardieu a travaillé pour comprendre les modalités de construction du savoir émancipatoire à
l’Université Populaire d’ATD Quart Monde83.
La recherche-action de Geneviève Defraigne-Tardieu a impliqué des personnes
connaissant ou ayant connu la grande pauvreté et travaille avec eux à dégager des éléments de
construction d'un savoir émancipatoire. Par l’information, l’accès à la parole et la

80
. Rémi Hess, La pratique du journal, l'enquête au quotidien, Anthropos, Paris, 1988. p.17.
81
. Rémi Hess, "La méthode d'Henri Lefebvre", revue Futur Antérieur, n°8, 1e publication 1991. [En ligne
(2004) : http://multitudes.samizdat.net/article.php3?id_article=618
82
. Gaston Pineau et Jean-Louis Le Grand, Les Histoires de Vie, opus cité, p.88.
83
. Defraigne Tardieu Geneviève, thèse "L'université populaire Quart Monde, la construction du savoir
émancipatoire", dirigée par René Barbier et soutenue en octobre 2009 à Paris 8. Prix de thèse René Rémond
2011. Publiée sous le même titre aux Presses Universitaires de Paris Ouest en 2012.

56
reconnaissance de cette parole, l’échange entre personnes qui vivent les mêmes soucis, afin de
contrer l’isolement, mais aussi par l’intervention de scientifiques, l’Université Populaire
semble permettre à ces personnes à retrouver une dignité et à insuffler chez elles une
dynamique de réappropriation de leur devenir. La prise en compte de l’expérience permet ici
de valoriser les personnes qui d’autre part sont souvent traitées comme parias de la société.
L’analyse collective par les sujets de leur propre expérience et de leur rapport à l’autre, à la
société, et donc au savoir, leur permet d'abord une prise de conscience plus générale sur le
monde et par là même de retrouver leur capacité d'agir. Nommer un problème c’est déjà
postuler qu’il existe des solutions.
Pour aller plus loin, il serait intéressant d'évoquer les travaux de Boaventura de Sousa
Santos84 sur les épistémologies du sud et sur la nécessité de considérer la puissance critiques
des savoirs et des processus de construction de savoir désenclavés (voire décolonisés) de la
pensée libérale occidentale.

Conclusion  :

Déranger nos conceptions et nos rapports aux savoirs, trouver des nouveaux outils de
production me paraît être une des clés pour entrer dans une démarche de recherche
permanente. Les perspectives de conscientisation, d’émancipation et de démocratisation de la
production culturelle, que permettent un élargissement de nos vues sur les savoirs, la culture
et le politique, me semblent constituer les objectifs d’une éducation au politique dont il s'agit
maintenant d'étudier plus précisément les principes pédagogiques.
J'en conclurai que le politique est partout dans notre rapport au monde, il le structure
mais peut aussi être structuré par ce rapport que nous entretenons au monde. Le faire
apparaître comme tel me semble nécessiter une réhabilitation des relations entre les champs.
Ainsi qu'une réhabilitation de la métamorphose comme modalité de ces relations, c'est-à-dire
de mettre en lumière la manière dont les individus et l'environnement s'influencent, se
transforment pour se réapproprier une marge de man-oeuvre, remettre le corps (la main) en
action. C'est, selon moi, une forme de mise en recherche, d'allers-retours continus entre
l'action et la réflexion.

BIBLIOGRAPHIE

84
. Boaventura de Sousa Santos, « Epistémologies du Sud », Etudes Rurales n°187, 2011.

57
Livres  :
- ARON Raymond, Introduction à la philosophie politique : Démocratie et
Révolution, Librairie générale française, Paris, 1997.
- BOURDIEU Pierre, La distinction, Critiques sociales du jugement, chap.8 «
Culture et politique », éd. De Minuit, 1979.
- CONNE Clifford D., Histoire Populaire des Sciences, éditions L'échappée,
Montreuil, 2011 pour la traduction Française par Alexandre Freiszmuth. Titre
original: A People's History of Science : Miners, Midwives, and "Low
Mechanicks", Nation Books, New York, 2005.
- DEFRAIGNE Tardieu Geneviève, thèse "L'université populaire Quart Monde, la
construction du savoir émancipatoire", dirigée par René Barbier et soutenue en
octobre 2009 à Paris 8. Prix de thèse René Rémond 2011. Publiée sous le même
titre aux Presses Universitaires de Paris Ouest en 2012.
- FOURCADE Hugo, conférence « Présentation de l'Université Populaire de
Bordeaux », le 9 avril 2013, dans le cadre des séminaires ETLV, Master EFIS de
Science de l'éducation, Paris 8 Saint-Denis.
- GIDDENS Anthony, The Nation-state and Violence, Vol.2 de A contemporaru
Critique of Historical Materialism, Berkeley, University of California Press,
1984.
- HESS Rémi, La pratique du journal, l'enquête au quotidien, Anthropos, Paris,
1988.
- MAUREL Christian, Education populaire et travail de la culture, éléments d'une
théorie de la praxis, L'Harmattan, Paris, 2000.
- MORVAN Alexia, thèse « Pour une éducation populaire politique. A partir d'une
recherche-action en Bretagne », dir. Par Jean-Louis Le Grand, 2011, Paris VIII.
- PINEAU Gaston et Le Grand Jean-Louis, Les Histoires de Vie, Que sais-je, Paris,
3e éd. 2002, (1e 1993).

Articles  ;
- DESROCHE Henri, conférence « Développement ? Lequel ? » à l'université de
Rimouski (Québec), septembre 1975.
- DEWEY John, « La démocratie créatrice, la tâche qui nous attend », Traduction

58
de Sylvie Chaput, Horizons Philosophiqes,vol. 5, n°2, 1997.
- FASSEUR Nicolas, « En quoi cette utopie interroge-t-elle l'éducation populaire
de demain ? » in L'université populaire de Paris 8 Saint-Denis, dernière utopie
vincennoise ?, ouvrage collectif coordonné par Yvette Moulin, Alain Leduc et
Nicolas Fasseur, N°18 du Cahier du Fil Rouge, Bruxelles, 2013. p.91-92.
- DE SOUSA SANTOS Boaventura, « Epistémologies du Sud », Etudes Rurales
n°187, 2011.

Webographie  :
- FOUCAULT Michel et Deleuze Gilles, "Les intellectuels et le pouvoir", 1972,
entretien publié dans l'Arc n°49, et repris dans Michel Foucault, Dits et écrits II.
[En ligne : http://1libertaire.free.fr/Mfoucault10.html]
- FOUCAULT Michel, Herméneutique du sujet, cours du collège de France, 1976.
Disponible en ligne [http://michel-foucault-archives.org/?Cours-au-College-de-
France-L].
- HESS Rémi, "La méthode d'Henri Lefebvre", revue Futur Antérieur, n°8, 1e
publication 1991. [En ligne (2004) : http://multitudes.samizdat.net/article.php3?
id_article=618]
- LEPAGE Frank, retranscription de la conférence gesticulée « L'éducation
populaire, monsieur, ils n'en ont pas voulu » ou « Inculture #1 », vidéo en ligne :
http://www.scoplepave.org/l-education-populaire-monsieur-ils-n-en-ont-pas.
- « Pouvoirs et Savoirs », article collectif, publié le 8 juin 2011 dans l'Humanité.
[En ligne : upbordeaux.fr/Principes-et-Outils].

59
COLLECTIVITES TERRITORIALES DECENTRALISEES ET DIVERSITE
CULTURELLE AU CAMEROUN
MAHAMAT Alhadji, Ecole Normale Supérieure de Maroua, Cameroun

60
Introduction  :
A travers le cas de la commune de Kousseri, des leçons peuvent être tirées pour mieux
apercevoir la mise en œuvre efficace et efficiente de la promotion de la diversité des cultures
au Cameroun. Les constats accomplis au niveau de cette collectivité territoriale décentralisée
par rapport à la promotion de la diversité culturelle révèlent que malgré l’appui de l’Etat, les
initiatives communales sur cette question sont encore à l’état embryonnaire, nonobstant la
volonté des communes à faire rayonner leur patrimoine culturel. Si de nos jours, quelques
jeunes talentueux ont pu développer leur art et connaître un succès, ce même succès n’a
surtout pas changé la situation économique et sociale des populations de la commune. Ainsi,
les politiques publiques de promotion de la diversité culturelle dans la commune sont
condamnées à avancer à « l’aveuglette ». En apparence, la culture semble jusqu’à présent peu
impliquée dans cette dynamique.
Nous nous proposons donc de questionner le rôle que jouent les collectivités
territoriales décentralisées dans la promotion de la diversité culturelle au Cameroun à partir de
deux principaux axes : la présentation de la commune de Kousseri et son territoire sous la
forme d’une carte d’identité, et un regard sur le rôle de la commune dans la promotion de la
diversité culturelle.

La commune de Kousseri et son territoire : la face cachée de l’Iceberg :


Toute communauté a une culture et des pratiques basées sur des fondements sociaux. La
communauté de Kousseri, à travers ses nombreuses facettes, fait partie des régions du
Cameroun dont les habitants restent grandement attachés aux valeurs socioculturelles. En
effet, la commune qui est supposée gérer tout le patrimoine de la ville se doit de maîtriser les
différents contours de son action. Sur le plan culturel par exemple, la carte d’identité de la
commune de Kousseri n’est pas assez connue et constitue indubitablement la face voilée de
tout ce qui est fait par la collectivité. Si aujourd’hui, les grandes tendances importent pour
cerner les actions culturelles des communes au Cameroun, il convient d’insister sur quelques
aspects territoriaux de la commune de Kousseri qui peuvent être observés.

La commune de Kousseri est une petite bourgade à multiples facettes qui couvre
l’arrondissement du même nom appartenant au département du Logone et Chari. Elle est
située dans le bassin de la rivière Tchad, du 12ème degré de latitude Nord et du 15ème degré
de longitude. La commune a une superficie totale de 160 km² soit 1,37% de la superficie
totale du département du Logone et Chari. Elle est bordée par les fleuves Logone et Chari qui

61
constituent la frontière naturelle entre la République du Tchad et du Cameroun
principalement, à la rive gauche de la capitale tchadienne N’Djamena. Elle est limitée par les
communes de Goulfey au Nord et Makari au Nord-Ouest, par les deux fleuves Logone et
Chari à l’Est, Logone-birni à l’Ouest et la capitale tchadienne au Nord-Est. La commune
compte environ 58 quartiers où 8 grandes communautés sont reparties en une chefferie de 1er
degré et trois de 2ème degré.
Selon les regroupements, la population de la commune très mosaïque se compose
essentiellement de : Arabes Choa, Kotoko, Mousgoum, Sarah, Massa, Kanembou, Baguirmi,
Bornouang, Haoussa, mandara, etc. L’Arabe choa et le Kotoko demeurent les principales
langues locales de communication. Bien que, d’autres religions y soient pratiquées, à l’instar
de l’animisme par une infime frange de la population, l’Islam et le christianisme sont les
principales religions de la commune.
Kousseri, chef-lieu de la commune est une ville d’une histoire riche. Au niveau du
patrimoine matériel, la commune abrite quelques monuments témoins de sa longue histoire.
Plusieurs peuples ont laissé leur trace à la ville, notamment Rabbat et Fort Lamy 85. Terre de la
civilisation de la terre cuite, la commune offre un exemple intéressant d’adaptation d’une cité
antique à la civilisation Kotoko (Musée des arts et de la culture du Sultan, l’architecture de
l’habitat Kotoko qui remonte à plusieurs siècles selon Leboeuf). Elle conserve
d’impressionnants monuments dont les plus anciens sont la tombe de Rabbat et du
commandant Lamy. S’agissant de son patrimoine immatériel, la commune présente également
une grande tradition qui se compose des fêtes folkloriques et des coutumes locales (fête du
Mouton, Fête du riz, etc.), de l’artisanat (poterie, costumes, etc.). La culture Kotoko et Arabe
Choa avec leurs produits et leur art de vivre, font aussi partie de ce patrimoine précieux qui
donne une forte identité du territoire de la commune.

Bien plus, la commune de Kousseri s’entoure d’un paysage naturel exceptionnel : Les
fleuves Logone et Chari, le Parc national de Kalamaloué 86. Ainsi, le tourisme est une des plus

85
. Rabah de son vrai nom Rabih az-Zubayr ibn Fadl Allah ou Rabih Fadlallah est né vers 1842 à Halfaya al-
Muluk (faubourg de Khartoum) dans une famille Hamaj arabo-soudanaise. Seigneur de la guerre au Soudan et
trafiquant d'esclaves, il devint sultan du Bornou en Afrique centrale, jusqu'à la conquête du Tchad par les
Français. Il fût tué le 22 avril 1900 par les Français qui ont attaqué son camp de à Lakhta, au cours de la bataille
de Kousséri, et mettent son armée en fuite. Il fût enterré à Kousseri dans la Région de l’Extrême-nord du
Cameroun. Le Commandant François Joseph Amédée Lamy quant à lui, est un militaire français né le 7 février
1858 à Mougins (Alpes-Maritimes). Il est mort également le 22 avril 1900 lors de la bataille de Kousséri.
86
. C’est une aire protégée par son habitat exceptionnel et sa biodiversité. Le Parc, ayant un intérêt et une
importance ornithologiques significatifs est un lieu d’habitat et de passage pour plusieurs espèces protégées et
rares. Par C’est l’une des réserves du Cameroun où habitent les éléphants. Le Parc de kalamaloué attire des
visiteurs non seulement camerounais et africains mais également internationaux. Les dépenses des touristes

62
importantes « industries » pour cette commune. De plus, il faut souligner ici que le paysage
agricole de la commune, et surtout ses rizières irriguées donnent aussi une part de son
originalité naturelle.
Sur le plan démographique, le recensement général de la population réalisé en 2010,
indique que la commune de Kousseri comptait 120 000 habitants soit 21,7% de la population
totale du département du Logone et Chari et environ 4,73% de la Région de l’Extrême-nord
du Cameroun (Plan communal de développement de Kousseri, 2012). Toujours, selon ce plan,
22,5% de la population de la commune en 2012 vivaient en dessous du seuil de la pauvreté.

Le rôle des collectivités territoriales décentralisées dans la diversité culturelle : quels


regards sur la commune de Kousseri ?
Au Cameroun, les collectivités territoriales décentralisées sont représentées par les
communes. Conformément à la Loi de 2004 en son article 2 alinéa (1). Ici, la commune est
considérée comme « une collectivité territoriale décentralisée de base ». En effet, c'est la
commune que nous voulons évoquer lorsqu'on parle de collectivité territoriale décentralisée.
Elle jouit de l’autonomie administrative et financière pour la gestion des intérêts régionaux ou
locaux. Les conseils des collectivités territoriales ont pour mission de promouvoir le
développement économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif de ces collectivités
(Amayena, 2004). Ainsi, les collectivités territoriales décentralisées exercent leurs
compétences propres dans le respect strict des sujétions imposées par la défense nationale.
La commune de kousseri à l’instar des autres collectivités locales, joue indubitablement
un rôle dans la promotion de la diversité culturelle que nous nous proposons d’explorer en
jetant un regard critique sur ce qu’elle fait. Les différents rôles invitent à réfléchir sur les
festivals des arts et de la culture, le patrimoine culturel, le touristique culturel ainsi que les
activités physiques et sportives.
De façon générale, la diversité culturelle se manifeste par la reconnaissance des
différentes langues, histoires, religions, traditions, modes de vie ainsi que toutes les
particularités attribuées à une culture. La politique culturelle du Cameroun, à travers le
Ministère des Arts et de la culture vise traditionnellement à développer l’accès des publics les
plus divers à l’offre culturelle. En effet, le phénomène festivalier fait partie des civilités du
cérémonial marquant sa miniature en Afrique. Pendant plusieurs décennies, l’organisation des
festivals des arts et de la culture à l’échelle nationale s’est développée malgré la crise
économique des années 1980. Le festival étant compris comme une manifestation ou une fête,

s’élèvent à environ 40 € par jour et par personne selon le Conservateur.

63
des réjouissances populaires, des variétés culturelles d’un pays ou d’une région donnée,
présente une offre vaste (fréquentation, public, art, activités, etc.). Ainsi, nous avons des
festivals de musique, de danse, des arts, etc. Jusqu’à une période récente, les stratégies de
développement de la culture au Cameroun se sont principalement focalisées sur la dimension
identitaire de la culture.
Cependant, au niveau de la commune de Kousseri précisément, hormis les différentes
contributions relatives à la participation de ses artistes au Festival National des Arts et de la
Culture (FENAC) au niveau national (dont le dernier en date a eu lieu en 2008 à Maroua), la
participation aux Salons de l’artisanat, la commune n’a jamais organisé des activités allant
dans le sens d’un festival. Ce qui ne permet pas de donner la possibilité aux ressortissants de
la commune de proposer leurs talents culturels. Pourtant, les festivals exercent une série
d’impacts sur les localités où ils s’inscrivent. De ce fait, ils apparaissent comme des véritables
leviers de la promotion des cultures.
Au niveau artistique, ils encouragent la création et l’innovation, et de plus, ils favorisent
l’éclosion des jeunes talents. Ils contribuent également au développement culturel des
communautés humaines dans lesquelles ils se déroulent, offrant la possibilité d’assister à des
expositions et à des spectacles vivants. La dispersion et le caractère festif des festivals
permettent sans aucun doute d’attirer nombre de spectateurs qui ne se seraient, peut-être
jamais rendus à ce type de représentation. En outre, plusieurs festivals ont donné une forme de
vie et d’activité à des villes ou des régions totalement démunies culturellement (Ministère des
Arts et de la Culture, 2010). De même, par la diversité des genres des spectacles offerts, les
festivals apportent à un public nouveau des représentations traditionnellement réservées aux
seules tribus ou ethnies.
Les festivals jouent également un rôle non négligeable dans la réhabilitation et
l’animation des lieux patrimoniaux. La réutilisation des espaces patrimoniaux pour la tenue de
spectacles ou d’expositions est une pratique qui fleurit au sein des festivals. Elle fait revivre
des monuments délaissés. Les exemples sont nombreux : le Musée des arts et de la culture de
Kousseri, la devanture des chefferies, les places publiques, etc. Bien plus, les festivals
participent au développement économique des collectivités qui les accueillent en générant des
retombées économiques directes mais aussi indirectes. De la même manière, ils contribuent à
la création d’emplois directs mais aussi induits.
Sur le plan touristique, les festivals contribuent à l’éclosion d’une promotion de la
diversité culturelle. De ce fait, ils attirent un grand nombre de visiteurs, soit fidèles, soit
occasionnels, en animant la vie de la commune, et en donnant un coup de projeteur sur son

64
territoire. Sur un plan social, les festivals apportent beaucoup aux communes qui les
organisent en renouvelant le tissu social et l’esprit des habitants par l’accueil des invités de
différents milieux socioéconomiques, en favorisant les échanges culturels et les rencontres, en
éduquant le public et en mobilisant l’esprit créatif des populations avec les spectacles
présentés. Nombreux sont donc les impacts des festivals auxquels les collectivités territoriales
décentralisées aspirent.
Pour tout dire, face à la diversification culturelle en vogue au Cameroun, l’intervention
publique des communes à l’échelle locale est devenue un enjeu majeur dans l’organisation des
manifestations publiques à l’instar des festivals. En revanche, depuis quelques années, la
commune de kousseri ne participe pas à l’élaboration d’une politique en vue de soutenir les
productions d’œuvres culturelles publiques. Ainsi, les compétences de la commune en matière
de soutien aux « industries culturelles » demeurent très limitées, sinon inexistantes. La
commune demeure le parent pauvre des politiques culturelles. Les actions qui se développent
en faveur des cultures du monde ou des pratiques qualifiées de « cultures urbaines »,
notamment les concerts géants publics souvent croisés avec les secteurs « jeunesse » sont
rarement organisées.
Par ailleurs, il faut relever l’absence d’un cadre local de concertation relative à la
diversité culturelle entre la commune de kousseri et les populations locales susceptible de
réguler ou de canaliser la promotion de la diversité culturelle en valorisant et en promouvant
des cultures du terroir. De même, il n’existe pas de comparateurs permettant d’évaluer l’offre
minimale en matière de productions culturelles publiques à l’échelle locale que devrait
présenter la commune.

Le patrimoine culturel, élément central de la diversité culturelle dans les communes : quels
décalages entre les discours et la réalité ?
Répondre à une telle question revient à examiner dans un premier temps ce que la
commune de Kousseri regorge comme patrimoine culturel, et dans une deuxième approche
voir réellement ce que cette collectivité fait pour la promotion de ce patrimoine.

La richesse et la pluralité du patrimoine camerounais nécessitent d’être préservées.


Valoriser et promouvoir le patrimoine culturel au Cameroun est un enjeu fondamental pour
les années qui vont venir non seulement pour sa valeur intrinsèque, mais aussi parce qu’il est
l’expression d’une identité culturelle et civilisationnelle plurielle.

65
En effet, la plupart des discours sur le patrimoine culturel dont la réalité n’est pas
toujours vérifiable ni quantifiable, accréditent l’idée de ses capacités à être mobilisée par les
collectivités territoriales décentralisées. Le patrimoine culturel prend place dans un processus
continu de construction identitaire et sociale. Le Cameroun dispose d’un patrimoine culturel
riche et diversifié. Chaque région possède ses particularités contribuant ainsi à la culture
nationale. Parmi les obligations prioritaires, figurent la protection du patrimoine sous toutes
ses formes et la préservation des monuments historiques (Sadi, 2009).
La commune de Kousseri se caractérise par un certain nombre d’éléments qui définit
son patrimoine culturel matériel. Ce patrimoine matériel comprend les sites, les lieux, les
monuments historiques, les antiquités qui sont considérés comme dignes d’être protégés et
préservés pour les futures générations. Au niveau du Musée du Sultanat de Kousseri par
exemple, sont exposés des objets archéologiques, des découvertes importantes de
l’archéologie Kotoko, de l’architecture et de la technologie relatives à la poterie en tant que
spécialité locale. Ces découvertes et ces matériaux indiquent une reconnaissance implicite de
l'importance du passé et des signes qui racontent entre autres l’histoire kotoko.
Le patrimoine culturel immatériel quant à lui, constitue l'héritage culturel de la vie
sociale des populations au sein de la commune. Il comprend les règles de comportements, les
habitudes, les proverbes, les traditions de la communauté et du système de valeurs sociales
telles que le patrimoine artisanal, architectural, traditionnel, les traditions et les formes
d’expressions héritées des ancêtres (traditions orales, spectacles, rites, événements festifs,
connaissances et pratiques relatives à la nature, etc.). Il comprend également les pratiques des
territoires ethniques issues d’une variété de groupes culturels. Notamment, les kotoko et les
arabes, etc. Le patrimoine culturel immatériel de la commune ne relève pas de pratiques à une
culture particulière. Il contribue à la cohésion sociale et à la stimulation du sentiment
d'appartenance et de responsabilité, ce qui renforce le sentiment d'appartenance à une
communauté ou à différentes communautés qui font partie de la commune dans son ensemble.
En revanche, dans la réalité, dans les faits, il y a un décalage entre ce qui est dit sur le
patrimoine culturel et la promotion de la diversité culturelle. En fait, le regard porté sur la
promotion du patrimoine culturel présage qu’il existe un décalage entre la valorisation du
patrimoine culturel et la promotion de la diversité culturelle. Autrement dit, les discours
autour de la question de la valorisation du patrimoine culturel par rapport à la promotion de la
diversité culturelle de la commune de Kousseri semblent sujets à caution. A ce niveau, la
commune n’accorde pas assez de prix à la promotion de la diversité culturelle relative au
patrimoine culturel. Par exemple, les musées ne bénéficient selon le conservateur du Musée

66
de Kousseri, d’aucune subvention ni de formation de son personnel de la part de la commune.
Alors que les découvertes confirment l’originalité des souvenirs conservés, la validité des
objets découverts, elles aident les communautés à renouer des liens avec le passé.
Malheureusement, avec ce manque d’attention de la part de la commune, il y a des risques
pour les lieux et les objets archéologiques découverts d’être endommagés par les touristes,
l'éclairage et d'autres risques liés à l’exposition des découvertes archéologiques.
De même, il y a un risque que toutes les œuvres d'art soient dans un état permanent de
transformation chimique de sorte que ceux que nous considérons être préservés ne sont plus
dans leur état naturel. Dans la commune de Kousseri, une partie de patrimoine culturel
matériel se trouve dans un état d’abandon (le Musée du Sultanat, les tombes de Rabbat et du
commandant Lamy, etc.). Des vestiges qui témoignent de l’histoire du pays deviennent au
cours du temps des lieux délabrés inutilisables.
En outre, aucune commission n’est mise en place afin d'inclure de nouveaux éléments
sur sa liste du patrimoine culturel immatériel qui nécessite une préservation. En plus, la
commune ne participe pas à l'entretien des éléments du patrimoine culturel immatériel
existant. Ce qui laisse à dire que la relation entre la valorisation du patrimoine culturel et la
promotion de la diversité culturelle est fort significative dans la mesure où la commune ne fait
pas assez pour promouvoir la diversité culturelle à partir de la valorisation du patrimoine
culturel. Pourtant, selon Saez (2005), chaque création puise ses racines des traditions
culturelles, s’appuyant sur le contact des autres. C’est pourquoi le patrimoine culturel sous
toutes ses formes, doit être préservé, mis en valeur et transmis aux générations futures en tant
que témoignage de l’expérience et des aspirations humaines, afin de nourrir la créativité dans
toute sa diversité et d’instaurer un véritable dialogue entre les cultures au sein de la commune.
Aborder la question des liens réciproques entre le patrimoine culturel et la diversité
culturelle sans en souligner ses rapports multiformes avec le tourisme. Ce dernier, met des
personnes en contact avec d’autres personnes des lieux différents, et avec les vestiges du
passé. Sur le plan des politiques, le tourisme empiète sur bien des domaines : planification,
éducation, santé, environnement, transports, développement, culture, etc. Ces chevauchements
et les conflits de priorités font qu’il est malaisé de définir avec précision l’action ou les
actions à mener en matière de tourisme et de culture, et qu’il est même difficile d’en débattre
et de les situer dans une posture réelle. Toutefois, il y a lieu de le dire, depuis la fin du XVIIe
siècle jusqu’à nos jours, de nouvelles motivations comme la curiosité, le souci de s’instruire et
la promotion sociale ont favorisé l’apparition à côté des déplacements, d’une pratique des
voyages considérés comme une activité de loisir.

67
L’ampleur que prend le phénomène touristique depuis des années tant dans les pays
industrialisés que dans ceux en développement, conduit à l’émergence de plusieurs formes de
tourisme qu’il convient de spécifier si l’on veut mieux les cerner et les comprendre. Le
tourisme culturel, notamment mise sur la mosaïque des lieux, des traditions, des
manifestations artistiques, des célébrations et des expériences qui représentent une nation et
ses habitants, reflétant la diversité et le caractère de celle-ci. D’un point de vue touristique, la
culture renvoie à la fois aux peuples avec leurs caractéristiques sociales, leurs traditions et
leurs comportements, c’est-à-dire tout ce qui connote leur différence, et aux représentations
plus exceptionnelles de la création artistique.
En effet, nous pouvons cerner le tourisme culturel comme un contact plus ou moins
intense, lors d’un voyage avec la personnalité d’une collectivité et ses différentes formes
d’expression. Il fait appel à l’imagination créatrice des individus, à leur esprit d’ouverture et à
leur sens de l’aventure. Il repose de fait, sur la qualité des liens qui s’établissent entre le
visiteur et l’attrait culturel et sur leur désir de partager. En outre, le tourisme culturel est un
déplacement d’au moins une nuitée dont la motivation principale est d’élargir ses horizons de
rechercher des connaissances et des émotions au travers de la découverte d’un patrimoine et
de son territoire. Le tourisme culturel est donc une forme de tourisme centré sur la culture,
l’environnement culturel, les valeurs et styles de vie, les traditions et les ressources de loisirs
de la communauté d’accueil.
Au Cameroun, le tourisme culturel est en pleine expansion et justifie en effet, les efforts
que ce maintien et cette protection exigent des autorités, en raison des bénéfices socioculturels
et économiques qui en découlent pour l’ensemble des populations du pays. Mais non
seulement l’Etat est concerné, mais aussi les collectivités territoriales décentralisées. Au
niveau des communes particulièrement, le tourisme culturel est une industrie clé pour
l'économie et l'emploi pour les communautés. Celles-ci sont des acteurs majeurs du
développement touristique d'autant plus qu'elles peuvent exercer des fonctions d'opérateurs.
Ce qui plaide pour une planification renforcée des investissements et une mutualisation des
moyens. De plus en plus, dans ce pays de l’Afrique en miniature, des communes s'engagent
aussi dans des projets de tourisme. Elles sont parties prenantes du tourisme responsable et
solidaire.
La commune de Kousseri en particulier, dont le plan d’actions inscrit le tourisme
culturel comme un instrument de promotion de la diversité culturelle présente une face assez
voilée aux yeux des touristes. A ce titre, ce qui est fait semble concourir à une fiction et met
en doute la réalité de la promotion de la diversité culturelle par rapport au secteur touristique.

68
Nous avons pu constater que les deux monuments historiques qui existent à savoir ceux de
Rabat et du Commandant Lamy qui constituent la vitrine de la commune ne sont pas
entretenus et ne bénéficient donc pas d’une attention particulière.
Pourtant, le Ministère du Tourisme et des Loisirs et la commune ont un rôle
prépondérant dans la création d’une offre touristique culturelle, et leur coopération permet le
développement d’un tourisme culturel de qualité. Ici, la collaboration entre les deux acteurs
n’est pas effective. Ce qui est souvent à l'origine d'initiatives peu coordonnées. La commune
n’organise pas aussi des voyages avec les communautés dans le cadre même d'un projet de
tourisme solidaire. Or, ce domaine de collaboration peut également servir dans la promotion
de la diversité culturelle. C’est en fait, un partenariat assez fictif. Préserver le patrimoine
culturel et naturel pour le mettre à la portée de tous, mieux faire connaître les cultures et les
civilisations, améliorer les conditions de vie quotidiennes et réduire la pauvreté, voilà ce qui
donne un sens à la promotion durable de la diversité culturelle.

Les activités physiques et sportives, un potentiel à prendre en compte dans la diversité


culturelle :
A partir de l’exemple de la commune de kousseri dans la Région de l’Extrême-nord du
Cameroun, il semble important de relever que les collectivités territoriales prennent en compte
des initiatives dans le domaine des activités physiques et sportives qui illustrent le choix de
faire dialoguer les cultures. En effet, il faut d’emblée préciser que la notion « activités
physiques et sportives » est une notion polysémique, voire polémique. Elle fait partie non
seulement des catégories très discutées en milieu du sport de façon générale, mais représente
aussi des catégories qui prennent des sens différents selon les pays. Face à ces difficultés,
comment construire une approche communale sur la contribution des activités physiques et
sportives dans le cadre de la promotion de la diversité culturelle ?
Les activités physiques et sportives sont devenues progressivement depuis, le début des
années 1980 au Cameroun, un véritable phénomène de société. Elles sont pratiquées
aujourd’hui par toutes les couches de la population et prises en compte dans les dimensions
éducatives liées au système scolaire et les dimensions compétitives liées au système sportif.
De ce fait, elles ont longtemps influencé les politiques publiques sportives au niveau local. De
plus en plus, l’émergence des activités de loisir a considérablement modifié l’approche des
pratiques physiques et sportives au sein des collectivités territoriales. En effet, de nouveaux
publics se sont montrés très sensibles à la notion des pratiques physiques et sportives.

69
Dans la commune de Kousseri, si les politiques publiques du sport et de la culture à
destination des populations des différents quartiers sont absentes en tant que telles, il existe en
revanche dans le cas des activités physiques et sportives, des dispositifs publics potentiels
d’animation sportive s’adressant surtout aux jeunes de la commune. En outre, les autorités
locales, qui gèrent une communauté de grande taille et composée de populations diverses ne
peuvent pas laisser sans réponse les appels de plus en plus, pressants des groupes concernant
l’aménagement des espaces en équipements sportifs destinés au grand public. Dans cette
commune, les quartiers appartenant au centre urbain bénéficient prioritairement des actions de
découverte et d’animation sportive (sport de maintien par des associations sportives ou des
groupes des jeunes, etc.). Cette démarche volontariste contribue à offrir des animations de
proximité à des habitants qui apprécient ces prestations pendant les week-ends ou dans la
semaine.
Les activités physiques et sportives (exercices physiques de maintien, jeux divers, etc.)
sont devenues progressivement depuis quelques années, un véritable phénomène de société.
Ces activités touchent aujourd’hui toutes les couches de la population. La commune a
construit un complexe sportif qui accueille toutes les catégories sociales, où les uns et les
autres pratiquent le volley-ball, le handball et le basketball. Les domaines d’intervention de
l’action municipale de Kousseri sont principalement : le loisir et le temps libre ; la santé et le
bien-être physique ; etc. La commune par le biais de ses services des sports et des loisirs,
œuvre à l’animation sportive et culturelle de la ville et de ses quartiers. Le Département des
activités physiques et sportives, intégré au Service culturel, coordonne toutes ces activités.
Il convient toutefois d’appréhender les évidences de manière critique. Le potentiel de la
promotion de la diversité culturelle par les activités physiques et sportives n’est souvent
révélé qu’en trompe-l’œil, par la présence des championnats de vacances ainsi que des
apparences sporadiques des jeunes, le plus visible, et ne reflète pas toujours la réalité. A
l’épreuve des faits, l'action de la commune dans les secteurs sportifs de masse reste encore
peu perceptible. Nous mentionnons aussi qu’au niveau de la commune de Kousseri, beaucoup
des choses manquent s’agissant des activités physiques et sportives (absence des gymnases,
des professionnels de sport de maintien à part les enseignants de sport intervenant dans la ville
de Kousseri, etc.). En effet, il manque une organisation des grandes manifestations sportives
et culturelles qui pourraient améliorer la participation effective de toute la communauté vivant
sur le territoire de la commune.

Conclusion  :

70
La commune de kousseri à l’instar des autres collectivités locales décentralisées, joue
indubitablement un rôle dans la promotion de la diversité culturelle que nous avons explorée
en jetant un regard critique sur ce qui est fait. Les différents rôles ont porté sur les festivals
des arts et de la culture, le patrimoine culturel, le tourisme culturel, les activités physiques et
sportives. Toutefois, ces différents facteurs définissent des limites qui sont assez floues dans
une véritable promotion de l diversité culturelle et influent grandement sur le rôle de la
commune au sein de son territoire. Ce cas pratique a permis d’observer le degré d’implication
des décideurs locaux à intégrer les principes de la diversité culturelle et les valeurs du
pluralisme culturel dans les politiques publiques. Ainsi, cette communication vient de
compléter ce qui est déjà dit sur la question de la culture au sein des communautés. Elle met
surtout l’accent sur la diversité culturelle au miroir des municipalités. Nous disons donc
qu’une « commune sans vision culturelle est une commune qui ne vit pas ». N’est-il pas assez
indiqué que les communes camerounaises redéfinissent encore leurs rôles dans la culture dans
une société « mondialisée » qui interroge davantage le virtuel ?

BILIOGRAPHIE

Articles  :

71
- AMAYA. N, « Décentralisation : ce que propose le gouvernement ». Cameroon
Tribune, n° 121, 2004.
- ISSEME Guesselé, L., P. (2012), La coopération décentralisée au Cameroun. Journal
«  Le droit  », n° 23.
- Loi n°2004/018 du 22 juillet 2004 portant règles applicables aux communes.
- Loi n°2004/017 du 22juillet(2004) portant loi d'orientation de la décentralisation
- Loi n°2004/018 du 22 juillet(2004) portant règles applicables aux communes
- NGONG. A, L'action des collectivités territoriales décentralisées dans le
développement du sport au Cameroun  : Le cas de la commune de Yaoundé 4ème,
Institut national de la jeunesse et des sports de Yaoundé - Certificat d'aptitude au
professorat d'éducation physique et sportive, 2011.
- POIRRIER. P et DUBOIS, V. (dir.). Les collectivités locales et la culture. Les formes
de l’institutionnalisation, XIXe-XXe siècles, La Documentation française, France,
2002.
- SADI, R. (2009). « Enjeux et atouts de la décentralisation », in l'Action n°687 du 6
novembre
- SAEZ, G. « Villes et culture : un gouvernement par la coopération », Pouvoirs,
1995, n° 73, 1995.
- SAEZ, G. Institutions et vie culturelle, Paris, La documentation française, 2005.

Webographie  :

- LUDIVYNN Munoz, « Une mondialisation culturelle et linguistique ? Le cas des


organismes de promotion culturelle et linguistique », Études caribéennes [Article
en ligne http://etudescaribeennes.revues.org/5840  ; DOI  : 10.4000/études
caribeennes. 5840 , consulté le 09 septembre 2015.

72
DEMOCRATIE ET CULTURE :
Témoignages artistiques tunisiens

73
LA DETERRITORIALISATION
Inter culturalité ou conformisme

74
Samia El ECHI, Université de Sousse, Tunisie

Notre époque postmoderne est dominée par le mouvement des capitaux, le déplacement
des humains, la mondialisation et tant d’autres phénomènes qui permettent à l’être humain un
perpétuel « voyage immobile ». Dès lors, les notions de frontières, du global et du local sont
questionnées par un écoulement « rhizomique » des territoires qui ne peut être appréhendé
que sous une identité instable et un échange culturel certain. Peut-on dire qu’on est face à
deux contextes, un contexte de création qui défend une culture globale et cohérente et un autre
contexte qui développe les échanges interculturels ?
De ce fait, à travers la question de l’hybridité culturelle en rapport avec l’identité
territoriale et le concept de « déterritorialisation », nous ouvrons le débat sur les pratiques des
artistes tunisiens vivant à l’étranger et ayant été en contact avec les courants de pensée des
sociétés occidentales (Nadia Kaabi, Fatma Charfi, Ridha Dhib, Mouna Karray).

Notre problématique propose une réflexion sur leurs manières de concevoir les notions
de territoire, de frontière et de la mémoire mettant en avant une poïétique de l’inter-culturalité
dans sa relation avec la mondialisation et la nouvelle structuration des territoires physiques et
culturels. Face à une ère postmoderne à l’image d’une approche rhizomique de la politique
culturelle, leurs pratiques se situent entre un processus poïétique qui se porte défenseur
d'hétérogénéité et des échanges interculturels et un processus politique mise au profit d’une
culture globale et homogène.

Nous supposons que le réseau de l’art mondial comme idéal serait donc un horizon
choisi par ces artistes, leur permettant d'affronter un nomadisme sans négliger l'individualité
en introduisant la notion de « territoire imaginaire ». Ce territoire franchit les frontières de
tous les lieux, leur permettant un détachement abstrait pour instaurer de nouvelles
temporalités dans lesquelles eux même et leur art se nomadisent. En outre, leurs pratiques
peuvent se situer entre une déterritorialisation comme processus d’expression esthétique et
une déterritorialisation à l’image d’un processus politique reflétant un conformisme
d’opinions et de goût culturel dans le champ de l’art actuel.

Pour évoquer toutes ces problématiques, il nous semble ainsi important de questionner
en premier lieu, le territoire dans sa corrélation avec la notion de frontière du nomadisme dans
la mesure où notre appréhension doit dépasser la notion de déterritorialisation deleuzienne
pour s’inscrire dans une approche territoriale de la pratique des artistes étudiés. Et par la suite

75
dans un va et vient entre approche plastique et approche philosophique entre territoire
matériel et territoire immatériel ou imaginaire chez ces artistes, nous allons opérer l’analyse
d’un espace duel.

Dans les années 70, Deleuze et Guattari ont proposé le concept de déterritorialisation
qui nous propose un stratagème qui permet d’appréhender une redéfinition de la géographie
dans un monde de flux, de réseaux et de territoires mobiles. A travers ce concept, les
philosophes décrivent tout mouvement de changement « Se déterritorialiser, c’est quitter une
habitude, une sédentarité. Plus clairement, c’est échapper à une aliénation, à des processus de
subjectivation précis »87. Un changement qui affecte donc les territoires, les signes, et les
cultures libérant toute expérience de son pendant et de son contexte pour la dégager dans
d’autre contextes. Ce concept est devenu un outil théorique qui discerne une relecture des
notions de territoire culturel et social. Il décrit ainsi un cadre d’analyse de la conception du
monde contemporain et la globalisation du capital en proposant une « pensée de l’espace » ou
« une spatialisation de la pensée »88. Il s’agit de ramener la géographie à la philosophie dans le
concept de « géophilosophie »89. Toutefois, en analysant les pratiques de ces artistes cherchant
à dévoiler une poétique du voyage et une redéfinition des territoires (physique, esthétique et
culturel), il s’agit pour nous de ramener la géographie à l’art.
Ces réflexions permettent de se projeter dans l’univers plastique des artistes qui essaient
de reconstruire leur mémoire pour une réintégration dans le territoire de l’autre et dans le
monde de l’art. En effet, s'exécutant sur la scène internationale de l’art, leurs pratiques
expriment l'apport des théories concernant les problématiques de la représentation liées à
l'identité, à l’altérité, à la frontière, et à la poétique du voyage. Du fait que notre monde est
régi par un écoulement « rhizomique » des territoires, ils adoptent un statut de l’être
postcolonial que Deleuze et Guattari avaient défendu, un être déraciné délocalisé,
déterritorialisé circulant des territoires et négligeant tout enracinement culturel ou social. Dès
lors, le territoire non pas au sens physique mais au sens esthétique et métaphorique est
déterminé par des actions de mobilité et de réseau qui questionnent ses aspects et ses figures.
Autour de ce sujet, Régis Debray, met le point sur le paradoxe du déracinement
territorial et identitaire qui peut provoquer un effet contraire de clôture sur soi et
d’enfermement dans des sphères étroites. Il affirme : « Chaque dispositif de déracinement et
d’ouverture libère un mécanisme de contre-enracinement ou de clôture (…). Les territoires
87
. Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux. L’Anti-Œdip, Capitalisme et schizophrénie 1, ed. Minuit,
Paris, 1972, p. 162
88
. Antonioli, M., Géophilosophie de Deleuze et Guattari, ed. L’Harmattan, Paris, 2003.
89
. Gilles Deleuze et Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, ed Minuit, Paris, 2005, p.82.

76
culturels que le progrès technique efface se recomposent dans l’imagination »90. Nous
cherchons à démontrer ou à nier ce mécanisme de contre-enracinement dans les enjeux du
marché de l’art mondial qui se porte défenseur des questions autour de l’inter-culturalité.
De ce fait nous revenons sur les questions que pose Heidegger autour de l’enracinement
et de l’identité et qui semblent être contradictoires à celle de Deleuze, il écrit : « Existe-t-il
encore une terre natale où nos racines prennent leur force et où l’homme se tient à demeure,
c’est-à-dire où il a sa demeure ? »91. Il rajoute plus loin : « Quel serait le sol d’un nouvel
enracinement ? »92. Cependant, dans un article intitulé Heidegger et Deleuze, même combat ?
Pierre-Alexandre Fradet explique « En quoi le système deleuzien est-il à même de renchérir
sur celui de Heidegger ? »93. Selon lui la conception du sol de Heidegger ne diffère pas de
celle de Deleuze alors que le premier expose la problématique sur le plan théorique et le
deuxième développe ses idées sur le plan pratique et politique. 

C’est dans ce combat de « désubjectivation » que nous analysons les pratiques des
artistes. Ils luttent contre un déracinement en déjouant ces constantes dans le but d’offrir une
priorité à l’expérience d’être sans demeure et d’intégrer une politique culturelle mondiale
laissant plus d'espace à la diversité des cultures. Par ailleurs, les artistes déracinés de leur terre
natale n’assurent-ils pas l’appartenance à un sol instable, non définitif ? Que serait-t-il ce sol
instable si ce n’est pas un territoire qui se crée à la rencontre entre la terre natale et l’espace
d’une collectivité étrange, entre une culture et une autre. De là, nous envisageons la notion de
territoire comme un espace de représentations esthétiques et culturelles, un territoire d’entre-
deux ou un territoire inter-culturel.

Nous questionnons ce territoire symbolique en ouvrant le débat, à travers les pratiques


de ces artistes sur la notion de frontière dans sa relation avec la mondialisation et la nouvelle
structuration des territoires physiques et culturels. Comme il est très ambigu de travailler de
façon aussi générale sur les représentations des frontières, nous ouvrant le débat sur des
œuvres créées autour des murs comme frontières symboliques.

90
. Debray, R., 1996, L’archaïsme postmoderne, in les Temps modernes, 51e année, n° 586, Janvier-Février, pp.
156.
91
. Martin Heidegger. « Sérénité » dans Questions III et IV. P.138. éd. Gallimard. Collection tel.
1976.
92
. Idem.
93
. Pierre-Alexandre Frabet, Heidegger et Deleuze : même combat?, article publié sur le site de l’académie de
Laval, philosophie, Québec, Canada, p. 18 http://ulaval.academia.edu/PierreAlexandreFradet date de
consultation 10/05/2015.

77
Après son retour à sa ville natale, Sfax, en 2007, et essayant d’explorer le thème des
Rencontres de Bamako « Au-delà de la ville », Mouna Karray s’intéressa aux murs comme un
espace à la fois concret et abstrait, un espace construit pour limiter des fragments du territoire
de sa ville natale. Elle a donc conçu son œuvre « Murmurer » (voir figure1), des murs dans
leur figure immatérielle qui démarque des zones et crée des divisions au sein même de
l’espace social. Sa démarche fut à la fois de mettre le point sur la frontière comme limite dans
l’image qu’on a de l’espace et de dénoncer la présence de ces traces de murs.
L’artiste affirme : « Je suis retournée à Sfax, ma ville natale. J'ai surtout pensé à l'au-
delà et à la question des limites, des barbelés et des barrières. La ville de Sfax se construit, se
déconstruit... Ce qui m'intéresse, ce sont des lieux fermés et interdits que les gens aient
franchis avec le temps »94. Elle évoque en fait le caractère instable de la frontière pour
engendrer des nouvelles formes de nos expériences au sein de l’espace politique et social. Des
frontières qu’elle a reliées à la question des limites (barbelé et barrière) pour s’étendre sur un
terrain plus ouvert qui ne concerne pas que sa ville mais d’autres lieux.
Dans une approche différente Nadia Kaabi s’est servi des murs et de l’espace urbain
pour évoquer les frontières. En 2009, elle a réalisé sa première exposition individuelle en
Tunisie à la galerie El Marsa. Dans cette exposition, l’artiste dévoile les « Archives des
banalités tunisiennes »95 (voir figure2) dans une transcription du malaise des tunisiens et de
leurs paroles manuscrites sur les murs de la médina et les stations de métro.
Son travail comprend des peintures réalisées à travers les empreintes des murs qu’elle a
faites sur du papier en soie pour les interpréter et les intégrer dans son espace pictural. Nadia
Kaabi poursuit sa démarche dans d’autres pays. Plus qu’une source d’inspiration, les murs
sont pour cette jeune artiste le support même de son travail et la cartographie de son parcours
à travers des territoires et des cultures.
En traversant d’une culture à une autre : Ukraine, Tunis, Berlin, Caire, Paris et Dubaï,
Nadia Kaabi n’en garde pas que la trace, mais transmet leurs paroles et leurs identités
visuelles en dirigeant son choix vers des sujets reflétant une volonté à dévoiler la face caché,
le non-dit sur les murs évoquant la diversité des cultures et créant des ouvertures et des
connexions par le médium pictural, un territoire qu’elle imagine sans frontières. Ces espaces
interrogent un au-delà celui de l’autre, de son espace public, de son territoire et de sa culture.
Au terme de l’analyse, Mouna Karray et Nadia Kaabi ont développé leurs réflexions en
partant du local (les murs de leurs pays) ; un processus esthétique qui renvoie sur la politique
94
. AFRIQUE IN VISU, interview, 25 juin 2007 L'identité en question, photographies de Mouna Karray
http://www.mounakarray.com/texts/afriqueinvisu.html 18/04/2014.
95
. Archives des banalités tunisiennes est le titre de l’exposition.

78
interculturelle de la scène contemporaine. Une politique qui invite l’artiste à repenser le
monde en partant du local, de son propre espace pour s’approprier un langage universel et
inviter d’autres espaces d’où d’autres cultures. Nous supposons que leurs pratiques proposent
des passerelles entre un local non traditionnaliste et le monde globalisé du marché de l’art.
Ces passerelles sont possibles à travers des questions autour des frontières comme zone de
transition.
Toutefois Mouna Karray ne s’inscrit pas totalement dans ce processus politique et
s’attache à répondre aux demandes du marché de l’art (Rencontres de Bamako) en pointant
l’objectif de son caméra sur les murs de sa ville natale ; elle affirme : «  J'aurais voulu la
continuer sur d'autres pays qui subissent ce genre de mutations mais, dans mon travail, je pars
toujours de quelque chose qui me tient à cœur, qui est autobiographique, qui vient de chez
moi…. Le fait de travailler à Sfax n'est pas un choix anodin, la ville émane des choses qui
font partie de mon enfance, de ma culture et qui me reviennent…. »96. Nadia Kaabi, quant à
elle, n’est plus dans ce va-et-vient entre le territoire de l’autre et son propre territoire ; sa
double culture lui a permis probablement de franchir cette limite d’entre-deux en s’inscrivant
dans un processus politique interculturel. Son univers et celui de l’autre sont fusionnés pour
parler un seul langage, celui des murs qui laissent apparaitre les différences et questionnent
les territoires à partir de leurs limites.
L’approche de Ridha Dhib autour du mur comme forme symbolique est différente de
celle de Mouna Karray et Nadia Kaabi. Elle est en relation avec sa pratique et suppose que les
frontières entre les humains sont mobiles et prolifiques à l’image d’un monde interconnecté. Il
nous propose des murs qui augmentent et envahissent nos espaces, nos corps et nos
expériences par le développement des technologies. Dans cette même logique il a conçu en
octobre 2009, une exposition autour du mur intitulé « D'un mur à l'autre amis de facebook et
d’ailleurs » (voir figure 3). Une installation qui se situe entre le « Mur "virtuel" de facebook,
et le mur "réel" de la galerie Space Marmelade : entre les deux le crible du plasticien Ridha
Dhib actualise le passage par sa « machine à gazouiller »97.

Le mur de la galerie est le plan d’immanence, au sens de Deleuze, sur lequel les
portraits s’agencent et se prolifèrent comme un rhizome reliant leurs traits hétérogènes. En

96. AFRIQUE IN VISU, 25 juin 2007, Op. Cit.

97
. Anaïs Bourquin, « Mur "virtuel" de facebook, mur "réel" de Space Marmelade », consulté le 09/05/2015
sur le site de l’artiste http://fairerhizome.hautetfort.com/archive/2009/10/index.html/

79
effet, ce mur renvoie sur le mur immatériel de Facebook qui forme lui-même un espace de
connexion et de réseau entre les humains. Par ailleurs, Ridha Dhib use de l’excès de l’image
comme moyen (voir figure 4), il ne laisse aucun coin de la galerie sans y incruster un portrait.
Des portraits qui se diffusent sur les murs du haut en bat et se tissent en trame sur les parois.
Un excès qui mène à une mise en abime des images qui se diffusent chaque instant sur le
réseau. Une mise en abime qui rend abstraites toutes ces frontières virtuelles (un compte, un
mur, un profil, …).

D’un mur à l’autre, il s’agit pour ces artistes de traverser les frontières, voyager,
émigrer, à la recherche de territoires inconnus, qu’ils soient fictifs ou réels, de nous
transporter dans un voyage « initiatique » interne aussi bien dans l’espace que dans le temps,
en liaison avec un passé mais aussi avec un futur. Comment ces artistes peuvent-ils faire
image de mobilité et de nomadisme sans être conformiste aux exigences du marché de l’art ?
Comment le contact avec ce monde les conduit-il à transgresser les territoires et à les modifier
en des territoires de transition et de passage ? Nous allons parcourir quelques œuvres dans
une volonté de repérer des points qui définissent la recherche d’un nomadisme.
Fatma Charfi vit et travaille en Suisse depuis 1986. Sa pratique reflète en grande partie
son enthousiasme à faire de son art le carrefour des expériences qu’elle a vécu. Ses voyages
ont inspiré sa conception d’un monde unifié à l’image d’une fraternité des humains explorant
la situation de la migration et du déplacement. Cependant, sous le choc des dégâts humains de
la guerre du golfe, elle a représenté les êtres humains par des insectes qu’elle nomme Abérics
(voir figure 5). Des figurines noires sans visages ni sexes, réduisant les humains en une seule
apparence qui élimine tout appartenance à une race, une culture, une religion ou une terre.
Dès lors ses Abérics voyagent avec elle et animent ses œuvres dans une volonté de
s’ouvrir sur le monde des humains. Ces figurines sont le fil qui relie ces œuvres formant la
trame à travers laquelle l’artiste conçoit le monde. D’ailleurs, elle affirme : « Petit à petit le
monde des Abérics est devenu une sorte de territoire personnel où je peux voyager en toute
liberté, visiter mon monde intérieur, me déconnecter de toute référence artistique et autres
…»98.
Dans son installation Réseaux Abéric (voir figure 6), elle présente un fil transparent de
plusieurs kilomètres, fait dans du film alimentaire où circulent les "Abérics". Ce fil voyage
avec l’artiste à travers le monde et passe par la Medina de Tunis, il se connecte aux divers
98
. Fatma Charfi, « L’Afrique en création Pour une esthétique transsaharienne, Espaces visibles et invisibles »,
2007, Catalogue de l’exposition itinérante «Caravansérail, Confluences africaines», Editions Attijariwafa bank,
mai 2009, p. 22, consulté le 10/04/2014 sur le site
http://www.attijariwafabank.com/FondationAWB/Documents/attijariwafabank_catalogue_caravanserail.pdf

80
territoires pour étendre son réseau. « Abrouk Mobile Mesum » est un autre nom que Fatma
Charfi donne à cette œuvre dans le cadre de l’exposition Caravansérail, Confluences
africaines. Un musée mobile occupant divers territoires à l’image d’une œuvre nomade
toujours en propagation. Une carte du parcours est exposée ainsi qu’une vidéo. Pourquoi une
carte de parcours si ce n’est pas pour nous inciter à découvrir son voyage et son trajet. Une
carte de parcours que nous repérons aussi dans les œuvres de Ridha Dhib car ce dernier
n’hésite aucun instant de tracer son chemin et de nous faire participer sur le réseau à sa
marche, en affirmant « ma démarche c’est ma marche »99.

D’ailleurs dans son œuvre nomade « Mérelles et crédencial » (voir figure7), l’artiste
trace son chemin et celui de sa Mérelle sur le trajet entre Paris et Compostelle. Ainsi Ridha
Dhib marque par les tampons imprimé sur sa carte par les mairies des villes qu’il a traversées
les traces qu’il garde de sa performance dessinant sa carte et son trajet. Il semble que c’est la
même démarche qui interpelle Fatma Charfi dans son œuvre « Réseaux Aberics ». Cependant
Ridha Dhib s’aventure dans des mises en scène des lieux et étale son expérience vers un
nomadisme virtuel sur les réseaux. Chaque artiste use de ces outils. Fatma Charfi texture elle-
même ces Aberics forme métaphorique de l'homme. Tandis que Ridha Dhib se réapproprie
des portraits qu’il retire de son champ d’investigation celui d’internet et des réseaux sociaux.

Par ailleurs cela nous renvoie sur l’un des principes que Deleuze et Guattari accordent
au concept de rhizome, « la cartographie ». Ce concept énonce l’ouverture et l’instabilité ; ils
écrivent : « La carte est ouverte, elle est connectable dans toutes ses dimensions, démontable,
renversable, susceptible de recevoir constamment des modifications »100 . Un autre principe
important, selon Deleuze, est qu’il s'agit là d'espaces hétérogènes. Des espaces que ces artistes
interrogent au cours de leurs démarches à caractère « politique, social, sensuel, poétique ou
spirituel », donc sans structure stable.

Toujours dans une poétique de mobilité et de déplacement, Nadia Kaabi, quant à elle,
traverse les rues comme une entrée en matière destinée à son processus artistique, un point de
départ pour un parcours réflexif qui s’attache à unir les territoires sur un « plan
d’immanence », celui de ces œuvres.
En effet, par une collecte et un assemblage des couches de peintures des murs des divers
pays au cours de ses voyages dans une seule œuvre, «  Comprendre Aperçus » (voir figure 8)
exposée en 2009 à La biennale de Sharjah, Nadia Kaabi crée un dialogue incessant entre ces
99
. http://fairerhizome.hautetfort.com/ consulté le 24/05/2015.
100
. Gilles Deleuze et Félix Guattari. L’anti-Œdipe. Capitalisme et schizophrénie 1. Op. Cit. P.20

81
lieux et ces cultures. Ces morceaux de peintures sont conçus dans une sculpture légère
suspendue au plafond comme un tapis volant aérien. Ce tapis aérien est repris par l’artiste en
2011 dans son œuvre «Tapis volants» (voir figure 9), une sculpture en aluminium suspendue
au plafond. Cet objet magique de la mythologie perse et arabe nous renvoie sur la volonté de
l’artiste à parcourir le monde. Une cartographie est aussi présente dans sa pratique, elle la
conçoit à sa manière par une carte géographique du pays qui a accueilli cette œuvre (dessinée
par les morceaux de murs suspendus). Une carte à l’image d’un monde unifié par l’art
rassemblant les traces de divers pays retraçant ainsi le voyage de l’artiste entre les cultures, à
travers son œuvre comme tapis magique.
Nadia Kaabi n’est pas la seule à rejoindre sa culture arabe par son Tapis volant dans une
approche poétique du concept de nomadisme, Ridha Dhib nous propose également deux
représentations de ce tapis perse : Une première intitulée « Printemps de novembre » (voir
figure 10) dans le verger de Redith. Marcilly (Bourgogne) en 2008 et une deuxième intitulée
« Tapis Levant » (voir figure 11) exposée au Huitième Printemps des Arts Plastiques de la
Marsa en 2010.
Contrairement au « Tapis volant » de Nadia Kaabi qui est en aluminium ceux de Ridha
Dhib sont en matière légère transparente et visqueuse. L’air les fait bouger et leur procure une
possibilité de s’envoler. Ils s’élèvent du bas en haut occupant un territoire bien défini par
l’artiste : « un mètre cube ».
En peu de mots, en admettant la dispersion du monde contemporain et en respectant ces
contraintes, ces artistes proposent des pratiques qui s’ouvrent sur une pensée nomade et
rhizomique pour exprimer la nécessité de parcourir concrètement et virtuellement des
territoires. Partant du principe que les territoires et les cultures ne sont pas homogènes, ils
essayent de prouver que leur fusionnement est la conséquence d’un agencement des données
hétérogènes à travers diverses approches poétiques. D’une part, ayant vécu entre deux terres,
leur rapport à la terre natale s’avère ambigu. D’autre part, ils n’appartiennent pas
complètement à leurs lieux d’arrivée où ils ne s’intègreront jamais entièrement. De ce fait,
leur antre101 est un entre-deux à la marge des territoires. Revenant à l’origine du mot antre du
lat. antrum qui désigne « creux » ; cet antre est un espace creux leur permettant de fonder des
ponts ou des passerelles entre deux territoires.

101
. http://www.cnrtl.fr/ consulté le 20/02/216. Selon le Centre national de ressources textuelles et lexicales,
CNRS ; l’antre : 1-ANTIQ. Cavité etc. servant de demeure à certains dieux, à certains personnages de la
mythologie ou de l'histoire ancienne. Antre de la sibylle (de Cumes), de Vulcain, du cyclope. 2-Cavité, etc.,
servant de cachette, de refuge ou de thébaïde. 3-Lieu intime et silencieux, propre au travail et au repos.
Local ou pièce d'habitation dans laquelle une personne se livre à des occupations mystérieuses et
inquiétantes.

82
Pour analyser cette dialectique entre deux territoires en rapport avec un Antre que ces
artistes imaginent, nous revenons sur les propos de Gaston Bachelard dans sa Poétique de
l’espace. Eventuellement, les idées de Bachelard, autour d’une dialectique entre l’ailleurs et le
centre, peuvent clairement se référer au pays perdu du migrant et au nouveau pays qui ne sont
pas deux territoires qui se juxtaposent naturellement. Il affirme : « Quel que soit le pôle de la
dialectique où le rêveur se situe, que ce soit la maison ou l’univers, la dialectique se
dynamise. La maison et l’univers ne sont pas simplement deux espaces juxtaposés. Dans le
règne de l’imagination, ils s’animent l’un par l’autre en des rêveries contraires ».102
On remarque donc dans leurs œuvres un double mouvement contradictoire : une évasion
vers l’ailleurs, vers la périphérie et une fuite de retour vers le centre : le territoire natal. Dans
cet entre-deux une frontière comme zone de transition s’instaure leur permettant ce double
mouvement. Un espace duel, un antre que ces artistes occupent permettant un échange entre
deux cultures hétérogènes. C’est un plan « biface »103 avec une première face qui est du côté
de l’espace individuel (l’intime, le dedans qui est l’image de la terre natale) et une autre face
du côté de l’espace social immatériel (le dehors la société étrangère). L’espace duel génère en
fait un mouvement entre des territoires et des cultures hétérogènes mais indissociables étant
donné qu’il est impossible de tracer une ligne de délimitation entre eux d’où une
déterritorialisation à l’image d’une inter culturalité.

BILIOGRAPHIE

Livres  :

- Antonioli, M., Géophilosophie de Deleuze et Guattari, L’Harmattan, Paris, 2003

- Bachelard Gaston, La Poétique de l’espace, éd. P.U.F., Paris, 1978

- Conry Sébastien. Spatialité des frontières : géophilosophie d'après Michel Foucault


et Gilles Deleuze. Philosophy. Université de Bourgogne, 2012.

102
. Gaston Bachelard, La Poétique de l’espace, éd. P.U.F., Paris, 1978, p. 55.
103
. Nous empruntons ce concept de Deleuze. Selon Sébastien Conry : « L’un des concepts que Deleuze va
maintenir tout au long de son œuvre est celui de l’existence d’une surface biface. Qu’il s’agisse de l’événement
dans la Logique du sens, plus tard de ce qu’il va nommer le plan de consistance, puis encore « le plan
d’immanence », Deleuze ne cesse de réaffirmer l’existence de cette forme. Le CsO est l’une des faces de cette
surface. Il n’existe sous forme détachée du corps que dans la mesure où il en est la face opposée de cette surface.
L’inconscient est un plan d’immanence biface dont la première face est le corps matériel vécu et l’autre le CsO
comme surface programmatique. », Sébastien Conry. Spatialité des frontières : géophilosophie d'après Michel
Foucault et Gilles Deleuze. Philosophy. Université de Bourgogne, 2012. P.88

83
- DELEUZE Gilles et GUATTARI Félix, Qu’est-ce que la philosophie ?, éd. Minuit,
Paris, 2005.

- DELEUZE Gilles et GUATTARI Félix, Mille Plateaux. L’Anti-Œdipe Capitalisme


et schizophrénie 1, ed. Minuit, Paris, 1972

- Debray, R., 1996, « L’archaïsme postmoderne », in les Temps modernes, 51ème


année, n° 586, Janvier-Février.

- HEIDEGGER Martin. « Sérénité » dans Questions III et IV. éd. Gallimard.


Collection tel. 1976.

Webographie:
- Pierre-Alexandre Frabet, Heidegger et Deleuze : même combat?, article publié
sur le site de l’académie de Laval, philosophie, Québec, Canada,
http://ulaval.academia.edu/PierreAlexandreFradet date de consultation
10/05/2015
- AFRIQUE IN VISU, interview, 25 juin 2007 L'identité en question,
photographies de Mouna Karray sur le site de l’artiste Mouna Karray :
http://www.mounakarray.com/texts/afriqueinvisu.html 18/04/2014
- Fatma Charfi, « L’Afrique en création Pour une esthétique transsaharienne,
Espaces visibles et invisibles », 2007, Catalogue de l’exposition itinérante
«Caravansérail, Confluences africaines», Editions Attijariwafa bank, mai 2009,
http://www.attijariwafabank.com/FondationAWB/Documents/attijariwafabank_c
atalogue_caravanserail.pdf
- Le site de l’artiste Ridha Dhib : http://fairerhizome.hautetfort.com/

FIGURES

84
Figure 1 : Mouna Karray, série Murmurer , 2007-2008

85
Figure 2 : Nadia Kaabi Linke, Rue El Azafine - 2010 - Cire, encre, pigment et huile sur
papier marouflé, Galerie El Marsa

Figure 3 : Ridha Dhib, « D'un mur à l'autre amis de facebook et d’ailleurs » dans
l’espace Space Marmelade, octobre 2009

Figure 4 : Ridha Dhib, « D'un mur à l'autre amis de facebook et d’ailleurs » dans
l’espace Space Marmelade, octobre 2009

86
Figure 5 : Fatma Charfi, détail de l’installation, Abéric entrelacés et collés à des feuilles
blanches

Figure 6 : Fatma Charfi Installation Réseaux Abérics

87
Figure 7 : Ridha Dhib « Mérelles et crédencial », performance du 10/05/2014 au
08/06/2014, des photographies des Mérelles dans les lieux ou l’artiste les a abandonnés avec
une carte de son parcours traçant ces lieux par les tampons.

88
89
Figure 8 : Nadia Kaabi Linke, « Comprendre Aperçus », 2009, La biennale de Sharja,
installation morceau de peintures et fils de soie noirs.

Figure 9 : Nadia Kaabi Linke, «Tapis volants», une sculpture en Chromé aluminium
suspendue au plafond par des fils de soie noirs. 2011, fil - 1300 x 340 x 420 cm

Figure 10 : Ridha Dhib, « Printemps de Figure 11 : Ridha Dhib,« Tapis Levant »,
novembre »,2008, le verger de Bourgogne, 2010, Huitième Printemps des Arts
fils de soie et des fibres de colle. Plastiques de la Marsa, fils de soie

90
et des fibres de colle.
QUEL ROLE JOUE LA CULTURE ALTERNATIVE DANS LE PROCESSUS
DEMOCRATIQUE ?

Sarra TABIA, Université de Tunis, Tunisie

Cette réflexion a pour objectif d’analyser les nouvelles formes d’expressions artistiques
alternatives en Tunisie ayant lieu au cours ou après 2011, c'est-à-dire suite aux évènements
qui ont conduit à la chute du régime de Ben Ali. Il est question de voir comment la création
artistique agit comme contre pouvoir, et qui tente de résister à l’uniformisation des goûts
dictée à la fois par les lois du marché et des institutions. Je m’interrogerai tout d’abord sur le
sens de la démocratie et du processus démocratique dont il est question en Tunisie
postrévolutionnaire. Et de tenter de lui trouver écho à travers des exemples d’actions
artistiques qui se sont produites dans l’espace urbain.

Il sera question à travers cet article de voir également le statut de l’artiste en rapport
avec l’espace public et de ses figures de résistances. Comment l’artiste peut-il être à la fois
sujet critique et créateur ? Comment l’art urbain forme une possible conscience de la
citoyenneté et comment peut-il contribuer dans le processus démocratique ?

Dans cette incertitude et face au brouillage des repères sociopolitiques, il sera nécessaire
de comprendre comment le contexte s’est transformé en émetteur de pensées favorables à la
création artistique. Qu’est-ce qu’on entend par culture alternative ? Comment se sont opérées
ces nouvelles formes d’expressions ? Faut-il rester accroché aux institutions et aux galeries,
ou au contraire, les déserter pour investir de nouveaux lieux ? Comment rendre l’activité
artistique accessible à tous et pas seulement le privilège d’une certaine élite ?

Processus démocratique : 

Dire processus démocratique laisse entendre qu’on est encore dans le cheminement,
dans l’action en train de se faire. En effet, processus vient du latin PRO qui signifie « vers
l’avant » et de CESSUS qui tire ses origines de CEDERE et qui signifie aller ou marcher.
Cette marche en avant et cette action entrain de se faire est caractérisée par des passages de
lutte et de tension. Ces luttes sont le propre de la démocratie selon Edgar Morin. Selon le

91
philosophe et sociologue français, la démocratie est un régime difficile parce qu’il n’a pas de
vérité propre, mais il s’agit de l’opposition des idées en conflit qui débouchent sur des vérités
partielles qui essaient de coexister. La démocratie contrairement aux régimes totalitaires n’a
pas sa vérité propre. Chaque régime totalitaire a une seule vérité à laquelle il est difficile de
s’y opposer. Au temps de Ben Ali, les espaces publics et privés étaient occupés par les
portraits imposants du président additionné à un fétichisme du chiffre 7 et de la dominance de
la couleur mauve. L’espace public alors était régi par une seule logique ; celle du parti unique
et il y avait une difficulté de s’opposer à la logique totalitaire du régime, la seule marge de
manœuvre qui reste était disputée entre supporters de football sous forme de tags et graffitis
hâtifs sans soucis esthétique considérable. Suite à la révolution, il y a eu reconfiguration de
l’espace public, et je désigne par espace public, la rue et l’espace urbain.

La rue espace public, espace du « public » : 

Avec la révolution, il y a eu un déchaînement de l’activité artistique. Plusieurs


tendances sont nées clandestinement de façon spontanée et qui ne concordent pas forcément
avec la politique culturelle en place. En intervenant directement dans les rues, cet ensemble
d’action artistique à la marge des institutions pourraient être regroupé sous l’appellation de
culture alternative. La culture alternative est née par opposition à une culture institutionnelle
officielle qu’on appelle culture de masse ou encore, mainstream. Les expressions inscrites
dans l’espace public deviennent vecteur de mobilité, garante du pluralisme contre les
perspectives totalisantes des galeries et des institutions et des politiques culturelles
monologiques.

La rue est avant tout un espace public par opposition à espace privé. L’espace public est
un lieu de passage et de transit, caractérisé par l’anonymat et le mouvement. C’est aussi un
lieu d’échange et de rencontres. Grace à cet anonymat, la rue devient un espace d’éclatement
de possibilités. Ceci dit, la rue reste un espace partagé et disputé qui met en concurrence
divers pouvoirs. Il est toujours en voie de changements. Par conséquent, l’activité artistique
urbaine fuit et échappe à notre attention, nous dépasse dans certains cas et c’est ce qui pose
parfois problème quant à la réception et l’assimilation du Street art.

La rue est aussi un espace du « public », c'est-à-dire un espace de médiation entre


l’artiste et son éventuel public. Quand on parle de graffitis, tags ou autre expression urbaine, il

92
est difficile de poser la même définition de « public », ce dernier est placé entre guillemets
car, il ne répond pas à la définition habituelle de la notion du public qui se déplace pour
assister à une exposition. Les Street artistes ont choisi d’opérer clandestinement à l’abri des
regards, mais le choix de l’emplacement cache une volonté d’être remarqué et vu. Le Street
art est une forme d’expression synergique qui suppose action et suscite une réaction. Il
constitue une énergie expressive contre le pouvoir uniformisant et conformiste qui crée
l’apathie générale. A travers les expressions urbaines se tisse un lien entre la subjectivité de
l’artiste et la sensibilité collective. Ce va et vient entre action et réaction pourrait se confronter
à des réticences et des violences, cette violence est un passage obligé lors de tout processus
démocratique.

Tout comme la démocratie, le point fort de l’art urbain est aussi son lieu d’aporie. L’art
urbain se traduit par la construction d’un nouveau vocabulaire en travaillant sur le geste
artistique, sur l’absence du cadre préétabli, sur la codification des signes, sur l’emplacement
qui semble parfois aléatoire, d’autres fois ciblé, sur le devenir incertain des œuvres. Nous
allons tenter de comprendre la genèse de cette forme d’expression, et la nouvelle forme de
relation instaurée avec son éventuel « public ».

L’art au pouvoir :

L’une des actions qui a retenu les attentions et suscité des réactions est celle de JR
(pseudonyme du Street artiste français d’origine tunisienne né au début des années 80) et du
collectif de photographes qui lui ont accompagné lors du projet Inside/out, Artocratie en
Tunisie. Cette action se veut un projet participatif qui tente de redonner la parole aux citoyens.
A partir de mars 2011, JR et cinq autres artistes photographes rassemblent les portraits de
citoyens de différents âges, milieux, classes sociales en souhaitant illustrer la pluralité et la
diversité de la société tunisienne. Le principe était de coller ces portraits aux formats
gigantesques dans l’espace public, précisément sur les anciens lieux emblématiques de
l’ancien régime, là où étaient immuablement placés les portraits du président déchu.

Ce projet est caractérisé par deux aspects : le premier aspect réside dans son côté
participatif, à travers les prises de photos des citoyens, le deuxième transgressif. La capacité
de transgression revient à l’aptitude des artistes à manipuler les symboles, cette lutte
symbolique se traduit premièrement à travers le néologisme contracté par les mots art et cratie

93
(Art+Kratos) et qui laisse entendre que c’est l’art qui prend le pouvoir. La deuxième
transgression réside dans le choix de l’emplacement des photos des citoyens : commissariat de
police, voitures de police brûlées, l’ancien lieu du RCD (Rassemblement Constitutionnel
Démocratique, parti unique sous Ben Ali). La transgression réside dans le fait d’établir une
communication alternative avec un éventuel public non habitué et pas nécessairement avisé
dans un lieu qui n’est pas fait pour accueillir une expression artistique. Un public pris à la hâte
qui ne s’attendait pas forcément à la confrontation avec cette forme d’expression urbaine.

Ce repositionnement dans des lieux particuliers est d’essence politique, on y perçoit le


défi et la transgression. L’œuvre devient mobile, en circulation, répétitive. A travers
l’affichage des portraits de citoyens, le collectif de photographes a voulu rendre la parole aux
citoyens et rappeler que l’espace public ne doit pas être le privilège d’une seule personne, qui
au nom de la « démocratie » a régné pendant plus de 23 ans. La véritable dimension
politiquement démocratique, réside dans le fait de permettre aux individus de prendre part aux
décisions qui concerne leur vie commune, notamment l’espace public.

Cette action artistique a suscité la réaction du public/spectateur. La réaction fut aussi


inattendue que l’action artistique elle-même. En effet, à la Goulette, à l’instar de ceux de Ben
Ali, les portraits photographiques des citoyens ont étaient arrachés à leur tour par les citoyens.
L’acte d’arrachage, à mon sens ne devrait pas être perçu comme une attaque à l’encontre des
artistes ou encore vu comme acte antirévolutionnaire comme certains l’on déclaré sur le tas.

Mais cette réticence et ce refus de la part des citoyens devrait être étudiés dans et par
leur contexte. Pouvoir dire non après plusieurs décennies d’obéissance forcée traduit un
véritable acte révolutionnaire. Cette action a permis en effet de redonner la parole au citoyen
aliéné et de le faire impliquer dans l’espace public après tant d’années d’exclusion, non pas à
travers l’affichage de ses portraits dans les anciens lieux emblématiques du pouvoir, (suivant
la même logique de l’ancien régime), mais à travers la possibilité de l’arrachage rendu
possible par le biais de l’art urbain. Chose qui était impensable sous le régime de Ben Ali. A
travers l’arrachage il y a eu réappropriation horizontale du possible. Le mur ainsi que la rue
ont acquis une nouvelle symbolique qui passe de l’inertie à la signification/signifiance.

Cette possibilité de participation même de façon violente, est placée au fondement


même des principes de la démocratie, ce qui nous rappelle la définition du départ avancée par
Edgar Morin et qui stipule qu’un accord démocratique ne repose pas sur l’adoption d’une
opinion unique mais d’essayer de trouver des points de convergences issues d’opinions

94
différentes et individuelles. Car tout comme Joëlle ZASK le préconise, la participation ne se
limite pas à être impliquée dans une situation dont les règles sont préétablies. Autrement dit, il
ne suffit pas d’arrêter un citoyen, d’avoir une discussion avec lui, de le prendre en photo pour
affirmer qu’il y a eu véritable participation. Mais ce qu’on appelle participation réside selon
Joëlle ZASK dans l’articulation subtile entre « prendre part », « apporter une part » et
« recevoir une part », et cette articulation subtile ne marchera pas sans l’action collective sur
un territoire donné. Cette action peut se confronter bien entendu au refus et à la négation
comme c’est le cas de notre exemple d’étude.

La puissance de la négation :

La réaction du public bien qu’elle fut violente pourrait être perçue de façon positive, car
après tant d’année de dictature, le regard du citoyen n’a pas été complètement anesthésié. La
réaction violente traduit peut-être une bonne santé et l’arrachage reflète un ras-le-bol iconique
si j’ose dire. C’est à la fois le point fort et le lieu d’aporie qui rend l’art urbain aussi percutant
qu’éphémère. Et il me semble qu’une véritable démocratisation de l’art pourrait être instauré à
travers ce va et vient entre artiste et public.

Contrairement aux évènements ayant lieu dans la rue et qui se veulent démocratiques,
participatifs et relationnels, telles que les expositions itinérantes ayant lieu dans la Médina de
Tunis ; ces dernières s’avèrent au grand regret superficielles et fallacieuses car elles ne
cessent de réactiver les clichés folkloriques les plus éculés. Il faut se méfier des pratiques
ritualisées dirigées de plus en plus vers des attitudes monologiques, et qui à défaut de vouloir
réactiver un lien social distendu entre le citoyen et l’activité artistique, contribue de plus en
plus à l’aliénation du citoyen dans le sens où ce qui est supposé émaner de lui, lui a été projeté
et décidé d’en haut, et lui devient complètement étranger.

Il n’y a de démocratie sans luttes, tensions et conflits, sans contribution à la décision


même de façon violente. L’enjeu serait donc de saisir cette « négation » dynamique et de faire
en sorte qu’elle devient productrice de sens. Plusieurs philosophes se sont penchés sur la
rhétorique du non, sur l’importance de la négation et son rôle constructif. Hegel et par la suite
Bachelard affirmaient que la négation était fondatrice de tout un système, un contre-système
je dirai.

95
Les sanctions de l’Etat :

Le deuxième exemple qu’on va choisir cette fois n’a pas été rejeté par le public mais
plutôt sanctionné par l’Etat. Contrairement à Djerbahood ou encore à Artocratie en Tunisie,
le collectif Zwewla n’a pas bénéficié d’une médiatisation ou une communication et n’a pas
sollicité d’autorisation d’accrochage dans l’espace urbain auprès du Ministère de l’Intérieur.

Il s’agit simplement d’un collectif de deux étudiants tagueurs originaires de Gabès, qui,
suite à la révolution et aux déceptions quant à la gouvernance du pays ont voulu manifester
leur mécontentement et celui d’une grande majorité de la jeunesse tunisienne souffrant du
chômage. Les graffitis et les tags ont souvent été associés à tort ou à raison, au vandalisme et
à la dégradation de l’espace urbain, considérés comme des déviances urbaines à effacer,
cacher ou repeindre.

Lors de l’instauration du gouvernement provisoire chargé de l’écriture de la


constitution, la justice n’était pas vraiment préparée à des interventions artistiques urbaines.
Avant la révolution, le graffiti se pratiquait d’une façon timide et essentiellement sous forme
de tags ou signature dans une logique de concurrence et de marquage territorial entre
supporters rivaux de football mais aucune allusion à la contestation politique. Avec la
révolution, le Graffiti a connu une vraie prolifération, et joue désormais un rôle notable dans
la démocratisation de l’art et l’éveil des consciences envers des problèmes sérieux de société.

Ces créations bouleversent les relations entre œuvre et public, et exige qu’on repense
tout le fonctionnement du lieu. L’art urbain devient de ce fait un outil pédagogique et un
moyen de contestation, car il tente d’éduquer notre regard, de le sensibiliser, ou de le déranger
et nous pousser à réfléchir. A travers le Street art, il y a une volonté de démocratiser l’art et
l’activité artistique, de l’offrir à grande échelle et de provoquer en quelque sorte un « choc
esthétique ».

L’affaire Zwewla a suscité une vive polémique que cela soit dans la rue tunisienne que
sur les réseaux sociaux. Sachant que le code pénal tunisien n’englobe aucun article explicite
qui criminalise ou condamne les graffitis, l’autorité a du faire preuve de créativité en ayant
recours aux motifs d’inculpation à l’encontre du collectif Zwewla tels que : trouble à l’ordre

96
public, atteinte à la morale, violation d’état d’urgence en vigueur, propagation de fausses
informations, etc. Alors qu’à l’évidence, le but de Zwewla était, loin de saccager des biens
publics ou autres, mais de revendiquer des droits sociaux sous une forme artistique
particulière et de réactiver la conscience collective en s’adressant de manière spontanée un
peu partout dans l’espace public. Les artistes font partie intégrante de leur société, se
nourrissent du contexte, en sont imprégnés, s’en inspirent et s’y opposent.

En effet, Zwewla en dialectal tunisien signifie « pauvres ». Le collectif s’annonce


comme le porte-parole de cette jeunesse délaissée. Avec la stylisation de la lettre Z, et sa
reprise systématique en guise de signature, le collectif fait un clin d’œil à la légende du
justicier Zorro. La symbolique a été empruntée à la légende populaire laisse entendre que le
collectif de tagueur porte une cause noble et se porte volontaire de prendre la défense des plus
démunies. De ce fait, le graffiti pur Zwewla n’est plus un substitut de la vie, ni un reflet
factice de cette dernière, il devient un instrument de pression et un processus expérimental
ouvert. Ce processus n’est pas la stricte reproduction de la réalité mais la dénonciation de
cette dernière.

La prise de la parole est en elle-même un acte politique, un acte de résistance. La parole


est un droit qui a été longtemps confisqué sous le régime de Ben Ali. Le collectif s’offre une
expérience singulière à la fois personnelle et collective en impliquant chaque citoyen à
s’identifier à leurs revendications. Les Street artistes projettent sur les murs leurs pensées,
leurs prises de positions d’une manière subjective, fugitive et fragmentaire. En même temps,
les graffitistes impliquent le citoyen non seulement comme spectateur mais aussi comme
acteur en insistant sur la nécessité éthique et politique de la prise de la parole et de la liberté
d’expression. D’ailleurs, c’est sous la pression publique que le collectif a été libéré mais
contraint à payer 1200. dt d’amende, alors que les motifs d’inculpation du départ étaient
passibles de huit ans de prison.

Malgré le fait que la situation est en évolution dans le pays, la culture est restée dans le
sillage de la dictature et de la bureaucratie. Toute forme de culture alternative ou de contre-
culture se trouve être contrecarrée et sanctionnée. Quand ce n’est pas l’Etat qui se charge de
s’opposer à la culture alternative, c’est souvent le pouvoir capitaliste qui prend la relève ; en
effet certains lieux jouissent d’une marge de manœuvre et prospèrent alors que d’autres
espaces ferment sous pression ou par manque de fond et de subvention, telle que la fermeture
de l’espace Mass’art à El Omrane ; quartier populaire de la capitale.

97
Le but d’une culture alternative est une réflexion collective sur l’art et ses modalités, et
le rôle qu’il joue dans le processus démocratique en général et l’éveil de la conscience
politique en particulier. La culture alternative est une aspiration collective où l’art y remplit
une fonction sociale. Le positionnement des artistes urbains s’établit à la fois contre le
contexte politique et contre l’art institutionnel. Les questions d’ordre socioculturelle doivent
être au cœur de la pratique artistique, le but de l’activité artistique alternative n’est ni un
exhibitionnisme complaisant, ni une participation passive, mais d’impliquer le spectateur, de
le provoquer et de susciter son intérêt. Ce qui requiert de la part du spectateur un regard avisé
et un esprit critique. Et là, on trouve l’un des enjeux majeurs du Street art ; s’adresser au
spectateur passif au citoyen désemparé, voire même aliéné, afin d’élever le niveau de sa
conscience et de sa sensibilité envers l’expérience artistique urbaine.

Art révolutionnaire, art de la révolution : 

Les risques de la récupération sont là, autant se faire à l’évidence : Certains artistes
semblent présenter un versant utopiste, tandis que d’autres se cachent derrière le profit,
l’opportunité du marketing, l’effet de mode, ou encore la possibilité d’exposer et d’être
diffuser à l’étranger. Et c’est là que réside toute l’ambigüité de la culture alternative en
Tunisie, dont on ne sait plus vraiment s’il est en collusion avec le système ou en résistance à
ce dernier. De l’authenticité de cet art prétendument contestataire et engagé ; c'est-à-dire,
qu’une production artistique en apparence porteuse d’intention si positives est finalement
chargée de dogmes et d’intentions négatives, d’où la question épineuse ; La culture alternative
est-ce une promesse ou une menace ? Porteuse d’une vision nouvelle ou d’un doute
inquiétant ? Et quels sont les prolongements de cette culture singulière ?

L’art alternatif est une expression artistique fragile au contour encore floue et mal
défini. Toute production culturelle qui s’oppose au système mainstream est considérée
comme alternative. Est-ce pour autant vrai ? Parfois, un certain élitisme se développe autour
des artistes dits contestataires et engagés, ce qui génère paradoxalement des situations
auxquelles, les artistes ont voulu s’y opposer au départ. Par conséquent, il faut faire la
différence entre art révolutionnaire et art de la révolution qui s’appuie sur des faits sociaux
mais qui ne perdure pas qui tombe facilement dans l’industrie culturelle ou dans
l’instrumentalisation idéologique, du coup, il est loin de servir la cause de la démocratisation
de l’art.

98
BIBLIOGRAPHIE

- ARDENNE Paul, Un art contextuel, Ed Flammarion, Paris 2004.


- CANTARELLA Robert et Frédéric FISBACH, L’anti-musée, Ed nouveaux débats
publics, 2009.
- KORADY Nicolas, The revolutionary Art: Street Art before and after the Tunisian
revolution 2011, Independent Study Project (ISP collection).
- MORIN Edgar, conférence donnée à l’amphithéâtre de l’université de la Manouba le
29 Mai 2015.
- ZASK Joëlle, Art et démocratie, peuples de l’art, PUF, 2003

FIGURES

- Artocratie en Tunisie  :

Voitures de police, sidi Bouzid, 2011

99
Poste de police, Goulette, 2011

Sur la route de la Goulette, 2011

- Zwewla  :

100
LE GRAFFITI ET LE RAP AUX YEUX DES JEUNES TUNISIENS 

entre Art et culture de résistance dans un contexte de transition démocratique

Badii Melki, université de Manouba, Tunisie 

Introduction  :

Dans cet article nous interrogeons les opinions des jeunes sur l’engagement artistique
(Rap et Graffiti) à partir d’une investigation de terrain sur « Les Jeunes et la participation
citoyenne »104. Cette enquête quantitative où nous étions impliqués en qualité de chercheur
montre que ces pratiques - Rap et Graffiti - ne sont pas perçus comme une nouvelle forme de
militantisme par les jeunes, bien que le traitement médiatique y affère pour consacrer cette
idée. Il s’agit bien chez eux d’une culture de résistance qui a toujours existé et qui existera
encore dans un contexte de transition démocratique menacée.

Cette feuille permet d’avoir une idée sur le rapport des jeunes à des pratiques
subversives. S’ils s’accordent sur son caractère violent, ils ne les condamnent pas pourtant, et
jugent, au contraire, la gestion de l’Etat comme étant répressive et inique. Ces formes
d’engagement artistiques (Rap et Graffiti) sont d’après les jeunes, des moyens d’expression
personnels ; mais aussi la voix des classes défavorisées et marginalisées.

104
. Résultats de la recherche sur les Jeunes et la participation citoyenne : Repenser l’engagement de la jeunesse
tunisienne, Sous la coordination de l’Observatoire National de la Jeunesse (ONJ) et avec le soutien du
Centre de Recherche pour le Développement International (CRDI), faisant partie du projet « Jeunes,
légitimités et reconnaissance sociale dans la Tunisie postrévolutionnaire », Tunis 2012.

101
Pour ce faire, nous avons remonté l’Histoire afin de pouvoir appréhender les
phénomènes du Rap et des Graffitis. Ainsi, nous avons consacré une première partie pour un
aperçu historique sur le « Street Art », une seconde partie aborde la relation du Rap et du
Graffiti à la culture des jeunes, puis nous avons exposé des chiffres traduisant le
positionnement des jeunes tunisiens par rapport à ces formes d’expression.

Le Graffiti et le Rap, Aperçu historique : 

L’histoire du graffiti et du Rap remonte au début des années soixante-dix

- Le Rap et le Graffiti dans le monde  :

. Le graffiti est apparu en Philadelphie aux Etats-Unis, puis à New York. Une nouvelle
« mode » lancée par des précurseurs tel que Tracy 168 ou Taki 183.  Les réalisations se
limitaient alors à des « tags » portant les pseudos des graffeurs, associés au numéro de leurs
rues comme signe d’existence, pour marquer leur présence. Depuis, le graffiti a beaucoup
évolué. Il a pris plusieurs formes en passant du « tag » au « throw up » ou « flop », « la
fresque », puis les « pochoirs » et les « stickers ». Le graffiti a évolué, et il a suivi dans son
évolution celle des sociétés urbaines, des techniques industrielles et d’impression, pour en
arriver à des formes assez développées tel que le graffiti 3D et le « Yarn Bombing ».

Le mot « Rap » provient de l'anglais « to rap », verbe qui signifie « bavarder » dans
l'argot noir américain105. Mais aussi de Rythm And Poetry. (R.A.P). C’est aussi un genre
musical et une forme d'expression vocale appartenant au mouvement culturel hip-hop,
apparu (sans e) dans les ghettos aux États-Unis. Le Rap consiste le plus souvent à égrener
des couplets rimés séparés par des refrains, accompagnés de rythmes (beat, scratching,
échantillonnage). Ayant été influencé par d'autres genres musicaux (reggae, blues, jazz…), le
Rap a acquis une popularité de plus en plus grande au fil des années 1980.

Le graffiti est également un art de la rue. « Street art » comme on l’appelle aussi. Il a
depuis toujours été une des composantes principales de la culture urbaine et « underground »
105
.  Jean-Marie Jacono, « Pour une analyse des chansons de rap [archive] », Musurgia, Éditions ESKA, Vol.
5, no 2, p 65-75.

102
et de la culture hip-hop qui a connu son top aux années 80 et 90 aux Etats-Unis, en Europe et
partout dans le monde.

 Le « street art » a depuis toujours été un sujet controversé. A son apparition aux Etats-
Unis, puis en Europe (Allemagne, Grande Bretagne puis la France et l’Espagne). Ce
phénomène nouveau attirait la curiosité de la presse, des sociologues et des intellectuels, mais
était aussi qualifié de vandalisme par certains, et chassé par les pouvoirs publics.

- Le Rap et le Graffiti en Tunisie  :

Les premières apparitions du terme « underground » en rapport avec la musique dans


les médias écrits tunisiens datent de mars 2006 sous la plume du journaliste Kerim
Bouzouita106. L'utilisation de ce terme pour définir une scène musicale arabe revêt une
signification légèrement différente que celle généralement connue en Occident. Étant donné
que la scène musicale contemporaine en Tunisie rassemble un nombre limité de styles
musicaux, la musique underground inclut tous les artistes ou groupes qui chantent ou
composent dans un genre différent : Rap, Rock 'n' Roll, Métal, Musique électronique, Reggae,
etc.
Le « Mezoued »107, un genre musical populaire, faisait partie de la culture underground
tunisienne. Durant les années 70 et 80, et avant sa réhabilitation officielle entreprise dans les
années 90, les chanteurs du mezoued sont devenus de grandes vedettes, dont le chant de
rayonnement a intégré l’Algérie, le Maroc, la Lybie et la communauté maghrébine de
l’immigration en Europe. Les musiciens Habouba, Farzit, H’mid Badous et Aabdelkarim
fitouri constituent les exemples éloquents de ce succès. Chanteurs peu - ou voire pas du tout -
scolarisés, ils n’ont pas acquis le savoir de l’école, mais ils ont cultivé le savoir de la vie.
Néanmoins, la gloire n’est pas forcément le lot des chanteurs de mezoued. Nombreux sont
ceux qui connaissent la déchéance de l’oubli ou de la prison, à l’image de Salah Farzit,
Abdelkarim fitouri, Mohamed Ennouri et H’mid Badous. Seul « Habouba » a su se maintenir
au diapason.

Le Rap en Tunisie apparaît avec Slim Larnaout dès 1993 mais se limite d'abord à une
sphère d'initiés ; il n'émerge réellement qu'au tournant des années 2000, avec l'arrivée
106
. Kerim Bouzouita, « L'underground tunisien fait son chemin », GPLC, 11 mars 2006. 
107
. Au moment où les hippies secouait les mœurs de l’Amérique, la mode des Woodstock envahissait le
monde, le Mezoued faisait fureur en Tunisie, bien qu’interdit dans les médias, et rejetée par la bourgeoisie
qui trouva son salut (et son apparat surtout) dans les bras de la musique orientale.

103
d'Internet, en particulier des réseaux sociaux 108, et la miniaturisation des studios109. En effet, si
la scène du Rap est très active et productive aujourd’hui, avec les labels Rebel Records de
Fawez Zahmoul et X-Master Production de « Brigade Parazit's », elle a été longtemps
occultée par les médias et souffre du manque de soutien ; voire même de la répression du
régime, notamment en raison du caractère contestataire du contenu des titres dénonçant les
injustices sociales, le chômage ou la corruption110.

Les premiers disques d'artistes comme Filozof, T-Men, Wled Bled ou Alliance Arabica
sont alors diffusés, dans un contexte de piratage massif, et certains artistes
comme Balti111 (membre de Wled Bled) tentent de monter sur scène dans le cadre de divers
festivals, même s'ils sont contraints d'adopter un langage jugé « Mainstream  »112.

Balti113, l'un des pères fondateurs du hip-hop en Tunisie, et Mascott participent à des
concerts durant les campagnes électorales de Zine el-Abidine Ben Ali en 2004 et 2009,
d'autres font de la publicité 114. Cependant, quelques artistes s'inscrivent dans la contestation
comme Bendir Man, Lak3y, Ferid El Extranjero, Mounir Troudi, Mos Anif, DJ Costa
et Karkadan115. Lak3y, mais aussi El Général ou Psyco-M, font partie des rappeurs dont
l'exposition médiatique bénéficie de la révolution de 2011 116 sur une scène musicale en plein
essor : un premier concert de rap est ainsi organisé le 29 janvier 2011 à Tunis avec
l'apparition de Mohamed Ben Hamada, Psyco-M, El Général et Mohamed Ali Ben Jemaa117.

Si certains comme Lak3y, L'Imbattable et DJ Costa vivent une vraie contre-culture,


d'autres adoptent un discours religieux et moralisateur, à l'image de Psyco-M qui s'en prend
dans une chanson polémique à des intellectuels et artistes jugés trop éloignés de la morale de
l'Islam. Le genre musical du Rap été l’un des éléments déclencheurs d’un élan d’émancipation
qui a conduit à la chute d’un régime. Après « la révolution » tunisienne, le
graffiti (notamment le tag) a envahi également les murs de toutes les villes du pays.

108
.  Neil Curry, « Tunisia's rappers provide soundtrack to a revolution », CNN, 2 mars 2011.
109
. Thomas Blondeau, « En Tunisie, le rap rythme la révolution », Les Inrocks, 24 janvier 2011. 
110
. Neil Curry, Op.cit.
111
. Mohamed Salah Balti : Rappeur Tunisien issu d’un quartier défavorisé de la banlieue de Tunis « Sidi
Hssine».
112
.Thomas Blondeau, « En Tunisie, le rap rythme la révolution », Les Inrocks, 24 janvier 2011.
113
. Neil Curry, Op.cit.
114
. Thomas Blondeau, Op.cit.
115
. Thameur Mekki, « Tunisie : Les rappeurs ont-ils (vraiment) participé à la Révolution  ? », Tekiano, 30 juin
2011.
116
. Thomas Blondeau, Op.cit.
117
.  Monia Ghanmi, « Retour sur scène pour les rappeurs tunisiens interdits », Magharebia, 8 février 2011.

104
La musique Rap et la culture des jeunes :

Écouter de la musique est l’un des premiers loisirs des jeunes. Elle est, pour eux, une
source de plaisir, de divertissement, d'évasion et un moyen de socialisation. Les résultats de
notre recherche montrent que 75% des jeunes enquêtés écoutent la musique Rap. La musique
domine les activités en ligne des jeunes ; jamais elle n’a été aussi accessible qu’avec les
échanges peer to peer, le progrès technologique et la banalisation des téléphones portables.

Aussi, 62% des enquêtés pensent que le Rap est vraiment un Art. 38% n’y voient, en
revanche, qu’une forme d’expression vocale ne se soumettant à aucune loi de musique ni de
poésie, autrement dit : un style hybride, intrus sur la musique engagée. Les rappeurs ont su
comment se démarquer avec leurs micros et leurs verbes tranchants ; leurs chansons sont
parfois à la limite de la morale.
Même s’ils se sont déclarés adeptes de la musique Rap, 69% des jeunes interrogés
considèrent que la musique Rap est une atteinte aux bonnes mœurs. Ceci signale l’acceptation
du côté politiquement incorrect de la musique Rap, genre musical très proche de la culture
jeune. 63% des jeunes considèrent, par ailleurs, que l’Etat n’est pas neutre vis-à-vis des
rappeurs, ainsi qu’une certaine tendance chez les jeunes à respecter la liberté d’expression.
- Le Rap  : Une culture des jeunes des différentes classes sociales  ?

Nous remarquons l’influence du rap sur les jeunes à travers son impact sur leur culture,
leurs opinions du monde, et leur code de langage. La popularité du rap, la musique et les
actions des rappeurs exercent des influences profondes sur les jeunes et leur culture. Par
exemple, quand les jeunes revendiquent la musique des rappeurs, ils expriment cet
attachement par l’identification aux rappeurs eux-mêmes. La violence est souvent associée au
Rap et aux actions violentes des rappeurs contre les policiers, par exemple. Ils reflètent
souvent leur désir de combattre l’oppression et l’injustice.
La sympathie des jeunes pour le Rap est confirmée surtout lorsqu’ils affirment avec
60% que ce genre musical traduit et reflète leurs préoccupations personnelles. A ce niveau,
nous ne constatons pas d’écarts en fonction du niveau d’éducation, du milieu d’origine, ou du
milieu de résidence. L’esprit contestataire de la musique Rap présente un produit sur mesure
pour une jeunesse qui se cherche encore dans un contexte postrévolutionnaire assez difficile.
- Le Rap comme moyen de contestation et de culture de résistance  :

Mohamed Fliti considère à cet effet que :

105
« C’est le Rap qui exprime le mieux la colère et le désarroi de la jeunesse. Le Rap engagé
(conscient) comme celui d’El Général, rappeur symbole de la « révolution », se positionnait
contre Ben Ali et se place aujourd’hui plus sur des questions de justice sociale. Son Rap est
normalisé par des valeurs religieuses comme le respect par exemple et ses paroles ne
contiennent pas des insultes ou des gros mots. Sa popularité augmente de plus en plus et il
continue son engagement en dénonçant la corruption et les injustices.  Tandis que
le Rap underground et festif comme celui de Weld el 15 118 est plus radical. Ses textes sont
violents dans la mesure où ils contiennent des insultes directes envers la police. Et il dénonce
tout un système qui perdure avec la révolution» 119.

76% des jeunes enquêtés considèrent que la musique Rap est un bon vecteur pour
revendiquer les droits des catégories marginalisées. En plus du thème d’injustice, les
chansons du Rap populaires mettent en valeur des sujets qui sont importants aux jeunes. Des
thèmes majeurs des chansons du Rap incluent « l’auto présentation et la scène, la fête et le
divertissement, les relations amoureuses, les fléaux, la critique sociopolitique, la description
de la misère sociale, la culture et la tradition…la morale et la religion» 120. Quand le Rap traite
des sujets importants aux yeux des jeunes, il devient ainsi une forme d’identification,
spécifiquement pour les jeunes des quartiers défavorisés.
En effet, depuis sa création, le Rap était un moyen d’expression inégalable pour une
certaine jeunesse cloisonnée. Aux Etats-Unis, il a, par exemple, permis à la communauté afro-
américaine de faire entendre sa voix, durant les années 80, grâce à des groupes comme
«Public Enemy». Au même titre que le Jazz dans les cotton-fields (les champs de coton), le
hip-hop américain est né dans un milieu mis en quarantaine. En l’occurrence, le ghetto était
sorti des hommes de la résignation. Le mot RAP lui-même signifie «Rythm and Poetry», mais
aussi «Rage Against the Police». Des titres et des groupes de Rap qui s’inspirent directement
du mouvement civil de Martin Luther King ou bien encore de Malcolm X et les Black
Panthers. Des textes qui visent directement les symboles du pouvoir, la police et les
représentants du peuple.

118
. Rappeur tunisien.
119
. Mohamed Fliti, « L'autoproduction artistique ; le Rap engagé comme moyen de communication d'acteurs
issus des classes populaires du Havre et de Rouen », Sous la direction de Béatrice Galinon-Mélénec et de Daniel
Reguer, École doctorale Littératures, cultures et sciences sociales (Caen), consulté le 01-12-2009 sur l’adresse
électronique http://www.theses.fr/s77533.
120
. Auzanneau, Michelle. « Identités africaines : le rap comme lieu d’expression ». Cahiers d’écriture africaine.
etudesafricaines.revues.org, consulté le 01-12-2009.

106
En Tunisie, parmi les nombreuses formes de résistance ayant conduit à la chute du
régime de Ben Ali, on peut citer le Rap. En effet, le Rap tunisien a joué un rôle prépondérant ;
dans la mesure où la musique commerciale traditionnelle était dans l’incapacité de faire
bouger des masses et de véhiculer des messages. Pire encore, elle participait au maintien
d’une certaine léthargie. Contrairement au Rap qui est énergie, fougue et mouvement ; et donc
aux antipodes. C’est une forme d’expression directe, contestataire et qui dépeint sans fioriture
la situation dans laquelle est plongée la jeunesse tunisienne. El Général 121 est devenu - avec
son titre «Rais Lebled» qui signifie littéralement le chef du pays - plus qu’un rappeur. Il est
devenu un porte-flambeau. Son courage, sa détermination et la puissance de ses chansons ont
contribué à la chute d’une dictature âgée de plus d’une vingtaine d’années.

- Le Rap, une nouvelle forme de militantisme  ?

El General, à travers sa chanson « Rais Lebled » lie la culture hip-hop tunisienne


existante à la culture sociale et culturelle : ce qui a enflammé les soulèvements politiques
contre le régime en place. La chanson critique directement Ben Ali et son gouvernement, ce
qui a conduit à l'arrestation d'El General. Peu de temps après, la musique Rap a mérité son
titre d' "hymne de la Révolution " (Aljazira, 2011122 ; Theguardian, 2011123).
La popularité de « Rayes Lebled » s'est répandue parmi les manifestants et a aidé à
redéfinir le hip hop tunisien dans un nouveau contexte de résistance qui a finalement fait son
chemin jusqu'en Tunisie. Les médias mondiaux ont directement lié le hip hop au printemps
arabe en Tunisie en le représentant comme la force initiatrice de la Révolution.
Etant présent comme enquêteur durant l’investigation du terrain, nous avons relevés que
les jeunes, ayant répondu « pas d’accord » et « pas d’accord du tout » et qui sont de 53% ,
pensent que la musique Rap est une forme de militantisme, certes, mais pas « nouvelle ».
Ainsi, il faut préciser que le terme « nouvelle » forme de militantisme a vraiment influencé les
réponses de nos enquêtés.
Avec ses références à la culture populaire, ses innovations linguistiques, et ses discours
sur les sujets déplaisants, le Rap est un art qui explore la vie et les luttes des jeunes en
difficulté. Quand les jeunes des classes socio-économiques marginalisées peuvent s’identifier
avec le Rap sur un niveau personnel, au même temps, les jeunes de toutes les classes
121
. Rappeur Tunisien.
122
. ALJAZEERA (Producer). (2011). From protest songs to revolutionary anthems Protesters of the Arab Spring
are realising the power of music, and finding their voices in styles from folk to hip hop.
123
. theguardian (Producer). (2011). How The General soundtracked the 'jasmine revolution' in Tunisia. Extrait
de :http://www.theguardian.com/global-development/povertymatters/ 2011/jan/18/tunisia-jasmine-revolution-
the-general-rap

107
partagent du Rap dans l’amusement. Avec sa nature controversée, le Rap est vraiment un
genre de musique qui exerce un impact fort sur les jeunes et leur propre culture.
- Le Rap  : Outrage et atteinte aux bonnes mœurs et intervention de l’Etat  :

Entre liberté d’expression et atteinte aux bonnes mœurs oscillent certains titres du Rap.
La rébellion et la musique engagée, qui ont été les armes des artistes militants pour résister au
système, ont désormais une valeur marchande dans la société, c’est pour cela que le rap a pris
le dessus, voire il est devenu le fer de lance de la liberté d’expression en Tunisie.
Il s’est avéré que le Rap est une machine de liberté d’expression ces derniers temps.
Parmi tous les artistes, ce sont les rappeurs qui ont la plus grosse part de répression. Klay
BBJ124 qui a été trainé de la scène à Hammamet , frappé dans les vestiaires et puis arrêté pour
des semaines pour outrage public à la pudeur, puis Weld El 15 125 et sa chanson « El bouliciya
Kleb » (où il traite les policiers de chiens).
Cette chanson qui a provoqué un grand mécontentement des policiers a enchainé une
cascade d’arrestation commençant par le rappeur même qui a été condamné au début de deux
ans de prison ferme. Cette sanction a été considérée comme une sonnette d’alarme pour la
liberté d’expression ; ce qui a engendré une énorme colère et une mobilisation au sein de la
société civile, des artistes et des rappeurs. Ce qui a poussé la justice à rabaisser la sanction à 6
mois de sursis.
Des gens ont été arrêtés, accusés d’avoir écouté la chanson, tel que le jeune tunisien
Anwar Hafedh qui est venu de la Suisse passer ses vacances en prison. Les rappeurs tels que
Hamzaoui et Kafon126 sont devenus « ambassadeurs » de la souffrance des quartiers
populaires.
- Une sympathie  entre quelques rappeurs et Salafistes:
Durant notre enquête de terrain, nous avons pu remarquer suite au contact direct avec
les jeunes appartenant aux groupes du Rap une grande sympathie envers les Salafistes : deux
groupes qui portent deux idéologies controversées.
Dans ce contexte, le rappeur tunisien Emino a rejoint les rangs du
groupe Djihadiste Etat islamique (EI). Sur Facebook, il a confirmé son allégeance à
l'organisation armée mercredi 18 mars, le jour-même où, à Tunis, 21 personnes ont été
abattues dans un attentat au musée du Bardo revendiqué par l'Etat Islamique du Maghreb.

124
. Rappeur tunisien.
125
. Rappeur tunisien.
126
. Rappeurs tunisien.

108
Les idées qui peuvent êtres véhiculées par le Rap et le Graffiti :
Le Rap et le Graffiti peuvent-ils être des vecteurs de sensibilisation et de mobilisation ?
Pour cette question, 35,3% des interviewés pensent que le Rap et le Graffiti peuvent véhiculer
des messages d’ordre sociale, 29,6% ont évoqué des messages d’ordre personnels ainsi que
22,9% qui ont pensé défendre une cause. 17,3% de nos jeunes enquêtés ont évoqué le
message politique.
En effet, le positionnement politique de ces jeunes rappeurs est devenu leur fonds de
commerce, mais cela n’était pas sans prix. Cet engagement leur a couté très cher : des
harcèlements policiers gratuits, des mois entiers d’arrestation sans raison plausible, etc
Le combat de la liberté d’expression semble être encore à ses débuts en Tunisie, surtout
pour le Rap ; ce style, qui a défié depuis les années 70 toutes les dimensions musicales,
linguistique et poétiques, est devenu l’un des symboles de la liberté de l’expression. Bien
qu’il s’adresse à une certaine catégorie sociale, il traite souvent des sujets qui touchent
l’opinion publique, mais d’une façon virulente, ce qui le laisse toujours considéré comme un
style diffamatoire et touchant aux bonnes mœurs.
- Le Graffiti pour revendiquer les droits des marginalisés  :
Le graffiti étant aussi considéré comme une forme de liberté d’expression. Il va de soi
qu’il constitue un moyen d’exprimer ses idées, ses opinions, sur des faits de la scène sociale et
politique notamment.
Pour les jeunes, 59% d’entre eux pensent que le Graffiti est un moyen qui véhicule la
voix des catégories marginalisées. Ceci est d’ailleurs le cas pour le groupe « Zwewla »127 qui,
à travers ses messages peints sur les murs - principalement avec des pochoirs - clament le
droit des pauvres et des plus démunis, et réclament la liberté d’expression dont tout le peuple
tunisien est assoiffé après plus de 50 années de dictature. On peut lire alors dans les tags de
Zwewla :
- « La 3élmeni lé Eslémi thawretna thawret Zawéli » : La révolution est ni celle des
laïcs ni celle des islamistes. Notre révolution est celle des pauvres.
- « Al- Châab yourid ha9 ezawéli » : Le peuple demande le droit des pauvres.
- « Ha9 Ezzaweli Wajeb » : Donner le droit du pauvre est une obligation.
Des messages clairs, qui émanent des principales revendications de la « révolution »
Tunisienne.
127
. Groupe de tagueurs de la région de Gafsa

109
- Le Graffiti pour exprimer ses préoccupations et ses sentiments   ;  mais non pas une
nouvelle forme de militantisme  :
Pour cette question, 67% des interviewés pensent que le Graffiti peut exprimer leurs
sentiments et leurs préoccupations. Quel que soient avec des paroles ou des images, le Graffiti
a connu un grand essor durant la période postrévolutionnaire. Cela n’exclut pas que ce genre
d’expression existait avant la « révolution ». Ainsi 63% des enquêtés, conscients de cette
certitude, ne considèrent pas le Graffiti comme une « nouvelle » forme de militantisme, dans
la mesure où il existait auparavant.
- Le Graffiti pour embellir les espaces  ?
Selon notre enquête, 58% des jeunes pensent que le Graffiti embelli les espaces, alors
que 45% d’entre eux voient que le graffiti peut nuire au paysage et à l’espace public. Le
graffiti ou « Street Art » est un art de la rue, comme son nom l’indique. La beauté de certaines
réalisations ne laisse aucun doute sur le talent artistique de ses adeptes, des graffeurs
talentueux, parfois même des professionnels de l’art et de la calligraphie, et qui font du
graffiti un métier.
En Tunisie, il existe des graffeurs professionnels, que nous découvrons souvent dans
des manifestations culturelles et artistiques, des évènements pour jeunes, et même dans des
expositions. « SK-One », « Meen One », « Kim, Va-Jo », etc.
Faire des graffitis et des peintures murales dans la rue constitue alors pour ces artistes
graffeurs un moyen de faire connaître leurs arts à plus de gens, à ajouter une touche de beauté
à un paysage triste tel que les murs des clôtures des chemins de fer, ou les murs d’un ancien
bâtiment abandonné. De beaux graffitis nécessitent souvent plusieurs heures de travail
individuel ou collectif, un effort de création et de conception, et des ressources financières
non négligeables. 
Cependant, les débordements existent. Il est clair que faire du tag anarchique partout,
avec parfois des insultes et des messages injurieux, des messages racistes ou incitants à la
haine n’est du goût de personne. Ces actes se sont malheureusement multipliés en
Tunisie après la « révolution », et on en voit de plus en plus souvent les murs des stations de
métro et de chemin de fer, ceux de certains bâtiments d’administrations publiques, « salis »
par des écritures vandales qui n’ont rien à voir avec l’art. C’est le revers de la liberté
d’expression pour une démocratie émergente…

Conclusion  :

110
Afin de comprendre le phénomène du graffiti et du Rap contemporains, il faut analyser
des concepts, tels que Art Urbain par exemple, et comprendre pourquoi ils sont produits. Ce
type de communication visuelle a été considéré comme un comportement antisocial, mais il
peut aussi être compris comme une forme d'art expressif.
La publication suivante se veut une contribution sur les arts visuels et musicaux auprès
des jeunes tunisiens. Grâce à elle, nous avons fait un bref tour dans l'histoire du graffiti et du
Rap et nous avons exposé en chiffres le positionnement de nos jeunes par rapport à ces
pratiques.
Nous avons posé la manière dont cette tendance a fait d’un moyen d’exprimer des idées libres
par un acte rebelle, un mouvement artistique et contestataire à la fois.
A la fin de cette réflexion nous nous interrogeons si le Rap et le Graffiti en tant que
« StreetArt » et « PopArt » continueront ils leur mission de résistance dans le contexte
postrévolutionnaire tunisien et en présence d’une démocratie émergente menacée ?

BIBLIOGRAPHIE

Articles  :
- ALJAZEERA (Producer). (2011). From protest songs to revolutionary anthems
Protesters of the Arab Spring are realising the power of music, and finding their voices
in styles from folk to hip hop.
- Jean-Marie Jacono, « Pour une analyse des chansons de rap [archive] », Musurgia,
Éditions ESKA, Vol. 5, no 2.
- Kerim Bouzouita, « L'underground tunisien fait son chemin », GPLC, 11 mars 2006.
- Monia Ghanmi, « Retour sur scène pour les rappeurs tunisiens
interdits », Magharebia, 8 février 2011.

Webographie  :
- Neil Curry, « Tunisia's rappers provide soundtrack to a revolution », CNN, 2 mars
2011
Observatoire National de la Jeunesse (ONJ) et avec le soutien du Centre de
Recherche
pour le Développement International (CRDI).
- theguardian (Producer). (2011). How The General soundtracked the 'jasmine
revolution' in Tunisia. Extrait de:

111
- http://www.theguardian.com/global-development/povertymatters/ 2011/jan/18/tunisia-
jasmine-revolution-the-general-rap
- Thomas Blondeau, « En Tunisie, le rap rythme la révolution », Les Inrocks, 24 janvier
2011.
- Auzanneau, Michelle. « Identités africaines: le rap comme lieu d’expression ». Cahiers
d’écriture africaine. <etudesafricaines.revues.org>.
- Mohamed Fliti, L'autoproduction artistique; le rap engagé comme moyen de
communication d'acteurs issus des classes populaires du Havre et de Rouen », Sous la
direction de Béatrice Galinon-Mélénec et de Daniel Reguer, École doctorale
Littératures, cultures et sciences sociales (Caen), consulté le 01-12-2009,
http://www.theses.fr/s77533.
- Thameur Mekki, « Tunisie : Les rappeurs ont-ils (vraiment) participé à la
Révolution ? », Tekiano, consulté le 30 juin 2011.

112
LA DEMOCRATIE ET LA DEMOCRATISATION DE LA CULTURE ARTISTIQUE

Wafa BAHRI, Université de Carthage, Tunisie

Penser la culture artistique en relation à la démocratie nous renvoie à comprendre les


processus en jeu lorsqu’on pratique l’art dans un espace démocratique et lorsqu’on rend l’art
en lui-même une forme démocratisée. La question que pose immédiatement ces processus et
qu’on a essayé d’y répondre à travers cet article est la suivante : la démocratie, peut-elle
constituer un cheminement fructueux et fécond vers la création culturelle et artistique ?

La culture démocratique et la culture artistique :

Penser la démocratie en relation avec la culture artistique est une opération qui
confronte la nécessité de définir chaque terme à part, ceci est dans l’objectif d’une
clarification de la nature de cette relation qui les réunit. On se trouve vite face à la difficulté
d’attribuer une définition claire et unique. Ces deux notions, la démocratie et la culture
artistique, sont de nature complexe vu la multiplicité des disciplines qu’ils mettent en œuvre
et vu aussi leur caractère mobile. Ils sont évolutives et changent en fonction des
transformations sociales, politiques, philosophiques, économiques, etc.

En creusant dans l’histoire, nous nous rendons compte que chaque époque, allant de
l’antiquité vers l’ère contemporaine, attribut à la démocratie et à la culture artistique un
calibre qui reflète les symptômes de cette époque. A l’époque de l’Antiquité grecque, il
s’agissait de l’essor du terme « démocratie » composé de dêmos, le peuple, et kratein,
gouverner. La composition étymologique du terme explique l’idée d’attribuer le pouvoir

113
politique au peuple. Il s’agissait donc d’un système politique basé sur la liberté et le partage.
Un système qui a été critiqué par plusieurs philosophes dont Platon. Il renonce à ce système
offrant la direction total au peuple. Selon Platon, la direction du gouvernement fait appel à la
justice, à la vertu et à la vérité, des notions que la majorité du peuple ignore. Dans
« Politique », Platon considère l’homme de politique comme un savant et pense même qu’il
faut « le placer parmi les gens qui possèdent une science »128. D’où, il attribue une place
suprême à la politique, une place qui nécessite une assiduité et une connaissance profonde. La
démocratie dans ce sens se contredit avec l’essence du politique et peut, sous cette
perspective, induire à la tyrannie.

« Polos, je ne suis pas homme à m’occuper des affaires de la cité. L’année


dernière, quand j’ai été tiré au sort pour siéger à l’Assemblée et quand ce fut à ma
tribu d’exercer la prytanie, j’ai dû faire voter les citoyens – mais tout le monde a ri,
parce que je ne savais pas comment mener une procédure de vote »129.

Jean-François Pradeau invite également ces idées platoniciennes, en disant :

« C’est au nom d’un savoir et de normes étrangers aux affaires politiques telles que
la démocratie athénienne que Socrate s’interdit d’exercer ses fonctions de citoyen,
et c’est en vertu de la possession d’un tel savoir et de la connaissance de telles
normes qu’il s’autorise à critiquer sa cité »130.

Platon, dans les deux citations ci-dessus, utilise le Socrate fictif qu’il fait parler dans ses
dialogues pour critiquer le système démocratique. Socrate ne peut pas diriger un vote dans
une Assemblée. Cette idée véhicule la complexité de l’acte politique. Diriger une Assemblée
est par conséquent, une opération complexe nécessitant une connaissance et un savoir. La
démocratie, ne peut être à la base d’une généralisation du fait politique. Socrate, dans la
deuxième citation, prouve cette idée en se basant sur son propre exemple. Il ne participe pas à
l’assemblée vu qu’il n’est pas connaissant de la technique des votes, mais, il peut critiquer se
qui se passe dans sa cité de sa position de critique politique. Donc, il va de soi, selon Platon,
de faire attention à ce système démocratique, l’employer dans un cadre bien étudié tout en
respectant les tâches attribuées et les connaissances de base permettant l’accès à ces tâches.

128
. Platon, Politique, trad. L. Brisson et J.-F. Pradeau, Paris, GF-Flammarion, 2002, 285d. Les références au
texte grec sont tirées de Platon, Politique, trad. A. Diès, Paris, Les Belles Lettres, 1935.
129
. Platon, Gorgias, 473e-474a, édition de Luc Brisson des Œuvres complètes de Platon publiée chez
Flammarion en 2008 et revenue en 2011.
130
. Jean-François Pradeau, Platon et la cité, Paris, Presses Universitaires de France, 1997, p. 14.

114
A l’ère contemporaine, le terme démocratie connaît encore une certaine ampleur vu les
principes de la dignité et de la noblesse qu’il connote. C’est dans ce sens de la généralité que
la culture de la démocratie se sont tissées jusqu’à nos jour, un sens qui se contredit avec les
théories platoniciennes qui s’intéressent à la question dans sa profondeur.

Ceci dit, et pour éviter une recherche qui s’inscrit dans l’énigmatique, nous incarnons
nos articulations dans l’analyse de pratiques artistiques et culturelles en relation avec le fait
démocratique. Et, nous allons décortiquer cette relation à multiple sens dans le cadre
interrogatoire suivant : Une pratique culturelle et/ou artistique est alimentée par l’essor
démocratique, ou, bien au contraire, elle le cloisonne dans la case du système politique qu’elle
critique ou qu’elle dénonce ? La démocratie, dans un sens politique général, fait appel à une
prise de position de l’Etat envers le peuple, cette prise de position repose sur la notion du
partage de l’opinion. D’autre part, la culture artistique fait appel à une démocratisation de
l’apport de l’art et à une fiabilité de l’accès à l’art. Cette culture, semble connaître une
ampleur dans les pays démocratiques et s’avère plus modeste dans d’autres pays. Mais,
beaucoup d’expériences et de pratiques artistiques, tel l’exemple du projet Dream City qu’on
va analyser plus loin, s’oppose à cette pensée. Cette thèse part du caractère subversif, résistant
et démocratique de la culture de l’art.

A travers cet article, nous essayons d’entrevoir cette alliance « Culture artistique » et
« Démocratie » à double sens, c’est-à-dire dans la perspective où la culture artistique est
alimentée par l’évolution démocratique, et, dans la perspective où la culture artistique est
transcendante ne dépendant d’aucun système politique, même qu’il soit démocratique.

Pour ce faire, nous proposant l’hypothèse suivante :

Si, la culture artistique trouve une résonnance et un enracinement dans certains pays,
c’est parce que la création artistique est en elle-même un espace de liberté. La démocratie,
compte tenu de sa définition politique et de son écho social, délivre plutôt une liberté
conditionnée par des notions et par des lois prédéfinies qui s’opposent aux propos de la
culture artistique.

Cette dernière retrouve ses origines dans des théories qui refusent les restrictions,
écrasent les définitions antérieures, dépassent le commun et visent la création d’un nouveau
pathos. De part et d’autre, ces théories construisent le socle de la création. La culture

115
artistique s’illustre à travers des pratiques rebelles et résistantes, construisant, ainsi, une
expression authentique collée aux besoins et attentes des jeunes.

Donc, si l’art naît du malaise, s’alimente des crises et des révolutions, il transcrit une
culture de la liberté sans limite, loin des normes et des bornes du stéréotype. Par conséquent,
la culture démocratique et la culture artistique convergent théoriquement vers le même
objectif illustrant la liberté du choix et l’autonomie de la pensée, mais, elles se divergent sur
le plan de la pratique où la culture artistique devient elle-même démocratique et démocratisée.

La démocratisation de la culture artistique à travers l’ouverture sur l’espace public

La démocratisation de la culture artistique trouve ses origines au 18 ème siècle. La rupture


avec la pensée féodale et l’instauration du droit à l’information permet une nouvelle vision
envers la notion du partage. Cette vision s’est développée au 20 ème siècle avec Jurgen
Habermas, qui, dans L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de
la société bourgeoise, publié en 1960, conçoit l’espace public comme un lieu d’échange
cognitif où s’ouvrent des débats qui se discutent librement suivant ce qu’il a nommé
« l’opinion publique »131.

Ainsi l’art se reconstruit suivant une vision du commun et l’œuvre accompagne le


spectateur en transformant ses activités quotidiennes en pratiques artistiques. A cet égard, ce
dernier se trouve face à une relation multifonctionnelle : il y en a des pratiques installées dans
les places publics et qui l’interrogent comme regardeur et d’autres qui l’invitent à participer et
à interagir ; devenant lui-même sujet de l’art.

L’exemple de l’artiste Wodiczko (artiste multimédias) fait preuve des ébranlements


qu’avait connus la culture artistique. L’artiste travaille avec des projections sur des façades
architecturales. Il annonce ces soucis, essentiellement d’ordre politique et sociale, dans et par
l’espace public. Ses projections (la technique de la vidéo mapping) utilisent l’architecture, les
monuments et les façades comme des supports pour ces créations artistiques.

131
. HABEMAS Jurgen, L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la
société bourgeoise, Paris Payot, 1988.

116
Wodiczko « intervient surtout dans l’espace public pour détourner, modifier et
manipuler le message initial établi par les ‘vainqueurs’. De cette façon, il choque, dénonce et
transforme l’opinion publique »132. Sa projection « Homeless Projection II » réalisée
à Bonston en 1986 sur le Monument commémoratif de la Guerre de Sécession fait preuve de
sa démarche critique. Il projette des photos et des vidéos des SDF sur le monument pour
confondre ainsi l’image d’un personnage historique avec l’image d’un inconnu, marginal,
sans abri.

L’artiste détourne le champ symbolique qu’incarne le statut mis en place publique et


agit sur la signification de ce monument. L’œuvre crée dans l’espace public procure une
communication directe avec le spectateur et passe des messages critiques à l’Etat américain.
En un deuxième temps, l’artiste avait développé de nouveaux dispositifs pour agir dans
l’espace comme « Le bâton du berger » (1994) qui est une sorte de bâton munie par un
moniteur ; il avait aussi construit les « Critical vehicles » (1988) qui servent comme abri pour
les SDF et qui on été enlevée par l’Etat américain.

D’après cet exemple de pratiques artistiques, l’œuvre d’art dans l’espace public
fonctionne comme un dispositif qui étale l’état et les soucis des individus, ainsi, elle expose
les malaises d’une société et la politique des dirigeants. Ceci dit, l’art, dans sa forme
démocratisée, déclenche un débat critique et construit un discours à travers la transfiguration
du territoire en commun. Les pratiques exécutées dans l’espace public possèdent une vie
sociale qui se base sur le discours qu’elles représentent. De là, le spectateur s’approprie
l’œuvre comme acteur et conçoit l’espace comme territoire éditorial.

« Approchez-vous et regardez attentivement. Non, ce ne sont pas les chaises


habituelles du jardin du Palais-Royal. Mais une invitation poétique par
l’artiste Michel Goulet. Sur le dossier, des extraits d’Arthur Rimbaud, Walt
Whitman, Gaston Miron, etc, convient deux personnes à s’asseoir l’une en face
de l’autre, sur ces deux assises scellées entre elles. Puis, branchez vos écouteurs
et laissez-vous porter par les poètes tels que Guillaume Apollinaire, Charles
Baudelaire, Brion Gysin… Un moment de poésie avant de retrouver le flot de la
vie parisienne  »133.

132
. JEKOT Barbara, Reinterpreting public places and spaces: a selection of Krzysztof Wodiczko’s public
artwork, Department of architecture, université de Pretoria, P.35.
133
. BELISLE Josée, PART DE VIE, PART DE JEU, une incursion critique dans l'œuvre graphique et
sculpturale de Michel Goulet, Musée d'art contemporain de Montréal, 2004.

117
Ci-dessus une description de l’œuvre de l’artiste Michel Goulet qui invite les habitants
de Paris à s’asseoir l’un en face de l’autre, communiquer et vivre l’espace autrement. Quitter
ainsi le mode de vie rapide et super actif pour contempler l’espace poétique de Paris à travers
les ancêtres de la poésie. Ainsi l’artiste utilise la chaise comme « des fragments-objets, des
objets-traces d’une civilisation »134. La démocratisation de l’art ne s’articule pas dans ce sens
comme un simple partage de l’art c’est plutôt un accès en commun vers une culture
démocratique nouvelle à travers le viseur de l’art.

L’art passe ainsi de la projection des soucis du public vers le partage de ces soucis en
agissant dans un territoire en commun. Les pratiques artistiques possèdent ainsi une double
action : d’une part, extérioriser les signes que porte un espace pour les transfigurer par le biais
de l’œuvre en une image matérielle. D’une autre part, créer des dialogues fictifs entre art et
citoyens en critiquant une figure dégradante ou une facette défaillante. Donc, une opération de
décodage de l’espace conçu en tant que signe permet la déduction de l’identité des habitants,
la morphologie d’une société et même les symptômes d’une époque. La démocratisation de la
culture artistique permet d’entrevoir les changements radicaux que connaissent les espaces et
les sociétés.

L’art in-situ, l’art rural, l’art urbain, l’art architectural…etc. Plusieurs nominations se
sont attribuées aux œuvres d’art déplacées dans l’espace publique ou aux pratiques artistiques
contemporaines élaborées dans cet espace. L’objectif de ces pratiques est d’agir sur ces
symptômes sociétaux qui dérivent d’un espace bien précis et d’installer par conséquent un
système de communication entre l’Etat et les citoyens à travers ces pratiques artistiques.

La genèse de « la citoyenneté artistique »135 : exemple du projet Dream City :

La démocratisation de la culture artistique à travers l’espace public avait entretenu un


nouveau rapport avec le récepteur de l’œuvre, étant en même temps spectateur et citoyen : ce
rapport se base donc sur la communication, le partage, l’échange et l’édition d’un discours
collectif. Ce portrait soulevé à partir de l’analyse des différentes positions de la triade Culture
artistique, Démocratie et Démocratisation de l’art part dans le sens du commun ; voire de
l’Ensemble.

134
. Ibid.
135
. La citoyenneté artistique est une forme de la démocratie à travers l’art.

118
A ce propos Gilles Deleuze construit le concept de « l’Etre avec » comme une
diachronie de l’Ensemble. Partant de cette perspective deleuzienne, être ensemble ne se limite
pas au partage de l’espace dans ses limites géographiques, c’est plutôt un partage de l’ordre
du sensible : mener des actions et des pratiques artistiques qui mettent en terrain des
compétences variées se nourrissant de la différence entre ses acteurs. Le quotidien se
métamorphose en un grand musée, un musée sans entrée, sans payer les frais de la visite, sans
aucun cadre prédéfini à part le cadre de la ville.

Si on tente alors de définir le caractère esthétisant de ce genre de pratiques, on pourrait


les inscrire sous l’expression suivante : l’esthétique de l’instant.

« Depuis le 18ème siècle, la ville fonctionne comme un projet esthétique et


muséologique, comme une galerie d’art public monstrueuse consacrée à des
installations architecturales et environnementales, les peintures murales,
graffitis, happenings…»136.

Cette esthétique bouleverse les normes classiques de la théorie de l’art, certes, mais elle
illustre une nouvelle manière d’habiter. Les usagers de l’espace de la ville habitent l’espace
autrement. Une vision utopique est pointée par une telle opération. En Tunisie, plusieurs
artistes contemporains, tunisiens et étrangers, travaillent sous la lumière de cette vision
utopique. Ils mènent une nouvelle forme de la démocratisation de l’art.

C’est une invitation pour « habiter en poète »137. Ils positionnent l’art dans et par
l’espace. Ils cherchent dans les latents de la Médina. Cet espace riche de secrets, une énigme
qui suscite l’imagination, une voix intérieure étrange et obscure qui heurte les talents de ces
artistes. Interrogeant l’apport d’une identité commune et extériorisant l’envie de créer. Ainsi,
l’art dans l’espace fonctionne comme une machine productrice de désirs : le désir de
communiquer, le désir de créer et le désir d’être ensemble. C’est sous cette lumière que s’est
élaboré le projet Dream City 138. Les jeunes artistes meneurs de ce projet tentent à faire d’un
événement, une manifestation culturelle et démocratisée. Leurs démarches et leurs pratiques
qui animent la Médina et apportent une dynamique exceptionnelle à l’espace public leurs
apportent la nomination d’ « activistes ».
136
. KRZYSZTOF Wodiczko, Art public, art critique, Ed. Paris Musées, Paris, 1995, p.65.
137
. MICHEL ROUX, Inventer un nouvel art d’habiter le re-enchantement de l’espace, Ed. L’Harmattan, Coll.
« ingenium », Paris 2002, p.23.
138
. DREAM CITY est un festival pluridisciplinaire d’art contemporain organisé dans l’espace public exposant
des œuvres issues d’un processus de fabrication artistique de plus de onze (11) mois, au cours desquels
artistes tunisiens et étrangers sont invités à innover dans leurs pratiques artistiques en créant In Situ dans un
rapport de proximité avec le territoire et les populations.

119
« Dream City » est un festival d’art contemporain élaboré par des artistes tunisiens et
étrangers. Ces activistes tissent des liens particuliers avec les citoyens de la Médina. Ils
agissent dans leurs espaces habituels, le transformant par le biais des pratiques artistiques
qu’ils exécutent dans un grand chantier. Les habitants sont parfois surpris, étonnés par les
performances qui heurtent leurs itinéraires, d’autres fois, ils sont avertis pour participer à la
genèse d’une pièce de danse ou d’un spectacle devenant eux même artistes et créateurs.

Le projet « Dream City » crée un processus artistique qui met en jeu une nouvelle forme
de la citoyenneté, c’est une citoyenneté par l’art. Ce processus part de l’extériorisation des
secrets, senteurs et potentiels de l’espace de la Médina d’une part, et des sentiments cachés
des habitants d’une autre part. Ils sont invités à dévoiler et à partager leurs sentiments
d’amour, de craintes, d’optimisme, de joie, de méfiance, etc. Les sensations servent comme
matériaux à cet art de la Médina. Ceci dit, le concept de « l’entre-subjectivité » peut décrire ce
fusionnement entre créateur, création et récepteur. L’ampleur du rendu final est dû à un inter-
échange d’envies, de rêves et d’imaginations.

Ce projet se distingue par une diversité importante des créations artistiques. On y trouve
danse, musique, performance, théâtre, photographie, arts visuels… L’édition 2017 avait fait
preuve de cette diversité. Le travail de l’artiste Héla Ammar « A contre-jour » met en jeu la
photographie comme outil qui mobilise une expérience extraordinaire. L’artiste invite des
jeunes tunisiens pour prendre des photos en contrejour. La source de la lumière placée
derrière les sujets les effondre dans l’espace. Ainsi, ils découvrent leurs portraits dessinés par
une lumière qui joue avec les traits de leurs visages. Un jeu du clair-obscur les fascine et les
met à l’épreuve du viseur. L’expérience s’est tenue sur le toit de l’Auberge Zitouna de 13h à
18h.

Une autre expérience aussi riche et intense tenue à travers le spectacle « Arous
Oueslat » du chorégraphe Rochdi Belgasmi. Le spectacle a eu lieu dans un lieu distingué,
c’est le Hammam. L’artiste interroge le lieu à travers ses pas de danse. Le nu, la sexualité,
l’art de la danse et le Hammam semblent être à la base d’un débat autour de la dualité profane
et sacré.

Le public se compartimente en deux parties, il y en a ceux qui ont aimé l’audace de


l’expérience ; et ceux qui ont refusé de débattre et de dénuder entre autre un espace intime. La
sexualité et le nu, deux thématiques mises en exergue à travers la présence du corps du
danseur et à travers l’espace du Hammam qui renvoie aux corps nus qui ont été présent dans

120
ce lieu. Entre l’appréciation et le choc, s’est tenue cette performance qui remet en question les
instructions sociales par rapport au concept du corps. Le spectacle durait 40 min à Hammam
« Tammarine ».

Dream City, compte tenu des pratiques qu’il soutenait, est un projet fantastique. Sa
fantaisie réside dans l’objectif même du projet, visant à réunir un ensemble de rêves vécus en
commun. Ainsi, les artistes invitent les habitants à partager leurs malaises, à dégager leurs
soucis, franchir la peur et oser s’exprimer, discuter et débattre librement. L’espace de la cité
devient l’espace de la création artistique et par conséquent, le spectateur et l’art cohabitent le
même espace. Ce projet artistique exhaustif mobilise l’espace vers la notion de l’Ensemble.

BIBLIOGRAPHIE

Livres  :

- BARTHES Roland, Fragment d’un discours amoureux, Paris, Ed. Seuil, 1977.
- BEN REJEB Riadh, De l’image à l’imaginaire, Paris, Ed. Non-lieu, 2009.
- COMAR Philippe, Une leçon d’anatomie. Figures du corps à l’école des Beaux-
Arts, Paris, Ed. Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, 2012.
- DELEUZE Gilles, GUATTARI Félix, Mille plateaux, Paris, Ed. de Minuit, 1980.
- DELEUZE Gilles et GATTARI Félix, L’Anti-OEdipe, Capitalisme et
Schizophrénie, Tunis, Ed. Cérès, 1972.
- FINTZ Claude, Les imaginaires du corps en mutation : du corps enchanté au
corps chantier, Paris, L’Harmattan, 2008.
- Merlin Pierre et Choay Françoise, Dictionnaire de l’Aménagement et de
l’Urbanisme, Paris, Ed. P.U.F, 2005.
- J.-M. Tobelem, La culture pour tous, Ed. Fondation Jean Jaurès, Paris, janvier
2016.
- LYOTARD Jean François, Condition postmoderne, Paris, Edition Minuits, 1979.
- MARCUSE Herbert, L’homme unidimensionnel, Paris, Editions de Minuit, 1968.
- MORIZOT JACQUES, POUIVET Roger, Dictionnaire d’esthétique et de
philosophie de l’art, Paris, Ed. Armand Colin, 2007.
- PLATON, Le Banquet, Paris, Ed. Gallimard, 1973.

121
- PLATON, Politique, trad. L. Brisson et J.-F. Pradeau, Paris, Ed. Flammarion,
2002, 285d.
- ROUX Michel, Inventer un nouvel art d’habiter. Le re-enchantement de
l’espace, Paris, L’Harmattan, 2002.

Articles  :

- CHRISTIAN Ruby, L’art public dans la ville, In « Espace-temps » (Les cahiers)


N.78-79, 2002.
- JOSEE Bélisle, Part de vie, part de jeu, une incursion critique dans l'œuvre
graphique et sculpturale de Michel Goulet, Canada, Ed, Musée d'art
contemporain de Montréal, 2004.
- KRZYSZTOF Wodiczko, Art public, art critique, Paris, Ed. Paris Musées, 1995.

122
123
124
ANNEX

Rapport des activités de la 2ième


session du « Festival International de
l’Art, de la jeunesse et de la Cité »
au Nord-Ouest 

1- Pourquoi étendre le festival sur toute la région du Nord-Ouest tunisien  ?

L’extension géographique du « Festival International de l’Art, de la Jeunesse et de la Cité »


sur toute la région du Nord-Ouest tunisien pour cette année, émane des interactions et des

125
réactions organiques entre les étudiants, les jeunes, les enfants, les citoyens et les artistes
invités durant sa première session à Siliana.

Les habitants de cette région du pays sont autant assoiffés de découvertes artistiques et
d’espaces d’expression sensibles que d’amélioration de leur niveau de vie. C’est leur grande
affluence et leurs sincères participations et enthousiasme à différentes manifestations
artistiques présentées durant l’année dernière qui témoignent de leur profond désir d’accéder à
la culture et à l’amusement par les arts. D’où la nécessité d’un réel développement culturel
qui soit engagé sur la base d’une potentielle fonction éducative de ces générations qui
poussent.

Nombre de jeunes tunisiens sont aujourd’hui dépossédés de toute assise culturelle propre.
Leur imaginaire est façonné par ces modèles endoctrinés. D’une part, le modèle de
l’émancipation à l’occidental, de l’autre, un modèle d’intégrisme religieux ; des phénomènes
présents dans tous les canaux de médiation et de diffusion massive qui meublent leur
quotidien.

Il serait de notre tâche aujourd’hui, en tant qu’acteurs de la scène culturelle (artistes,


enseignants d’art, agents culturels) d’essayer de remédier à cette propagation massive d’abime
et de perte de sens.

Tentant de ré-illuminer les regards de ces jeunes et enfants, de les accompagner sur les voies
de l’expressivité sensible, nous avons vu dans l’extension de ce festival sur les gouvernorats
du Kef, de Béja, de Jendouba et de Siliana, où il est né, une occasion d’ouvrir à davantage de
personnes la possibilité de découvrir et de participer à certaines formes et pratiques
artistiques.

C’est avec le soutien du Ministère de l’Enseignement supérieur et de de la Recherche


scientifique et de l’Office des Œuvres Universitaires pour le Nord, en association avec le
Ministère des Affaires Culturelles, ainsi qu’avec le Ministère de la Jeunesse et du Sport
représenté par la Fédération Tunisienne du Cyclisme, qu’a été possible cette extension du
festival, pour leur conviction de la nécessité d’un développement du secteur culturel dans ses
régions, des plus défavorisées en Tunisie.

Ainsi, au prochain printemps se transformera le Nord-Ouest en un festival de couleurs, de


volumes, de danse contemporaine, de théâtre, de cinéma et de recherche scientifique.

126
Notre profonde gratitude va à tous ceux qui sont investis pour concrétiser sur le terrain une
démocratie culturelle naissante dans ses contrées. Ainsi s’intitule cette deuxième édition du
Festival International de l’Art, de la Jeunesse et de la Cité : Culture et démocratie.

ABIDA Khaled
Directeur du Festival International de l’art,
de la jeunesse et de la cité au Nord-Ouest

127
2- Rapport de la manifestation :
 Présentation matérielle de la manifestation  :
- Champ : Culturel et scientifique
- Genre : Festival International
- Thème : le Festival International de l’Art, de la Jeunesse et de la Cité
- Organisateur principal : Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la
Recherche scientifique + Ministère des affaires Culturelles + Ministère de la
Jeunesse et du Sport ; en coordination avec l’organisateur principal qui fut
l’Association Rakch pour la Culture, l’Art et le Design.
- Date : du 19 au 31 Mars 2016.
- Lieux : Siliana, le kef, Beja et Jendouba.
- Occasion : La deuxième session du Festival International de l’Art, de la jeunesse
et de la cité.
- Bénéficiaires : Tous les citoyens du Nord-Ouest : enfants, parents, jeunes et
étudiants.
 Résumé des activités :
Le Festival International de l’Art, de la Jeunesse et de la Cité au Nord-Ouest est
une manifestation culturelle, juvénile et scientifique, à la fois. Elle vise le
développement inventif basé sur le trio « Art », « Jeunesse » et « Cité » et son
renfort interne par le biais de la créativité. A l’encontre de ce qui est courant dans
les autres manifestations culturelles, ce festival ne se concentre pas sur une
activité artistique en particulier, autant qu’il invite dans ses actes tous les arts qui
raniment les quatre villes du Nord-Ouest.
Ce festival s’adresse en premier lieu aux étudiants, qui sont d’abord des jeunes,
puis aux enfants et leurs parents ; ainsi qu’à tous les habitants de la ville.
Le Festival International de l’Art, de la Jeunesse et de la Cité constitue
également une expérience assez originale au Nord-Ouest de part le partenariat
entre la société civile et trois ministères qui sont respectivement : le Ministère de
l’enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, le Ministère des
Affaires Culturelles et le Ministère de la jeunesse et du Sport.
Cette manifestation internationale est basée sur des compétitions estudiantines et
juvéniles ainsi que sur d’autres activités scientifiques, artistiques et animatrices
de la ville. Ces activités sont successivement :

128
A. Les compétitions :
- La compétition du théâtre estudiantin au Kef.
- La compétition des étudiants poètes à Beja.
- La compétition du film documentaire au Nord-Ouest.
- La compétition régionale de la dance contemporaine à Siliana.
- Le grand prix de la course des cyclistes à Beja, le Kef, Jendouba et Siliana
B. Les activités scientifiques :
- Séminaire de « la méthodologie de la recherche » pour les étudiants du troisième
cycle des Ecoles d’art tunisienne avec le professeur émérite Jean Lancri à
l’Institut Supérieur des Arts et Métiers de Siliana.
- Le colloque International « Culture et Démocratie entre pratiques et critiques »
au Complexe Culturel de Siliana.
C. Les activités créatives dans le domaine des Arts Visuels :
- Les ateliers de la sculpture professionnelle avec la participation des étudiants à
l’Institut Supérieur des Arts et Métiers de Siliana.
- Les ateliers de la peinture professionnelle avec la participation des étudiants à
l’Institut Supérieur des Arts et Métiers de Siliana.
- Les ateliers de la création artisanale, essentiellement animés par les étudiants à
l’Institut Supérieur des Arts et Métiers de Siliana.
- Expositions d’Arts Plastiques au Kef et à Siliana.
D. Les actes de l’animation de la ville :
- Les spectacles des majorettes et des poupées géantes dans les cérémonies
d’ouverture et de clôture du festival.
- Les ateliers des poupées d’argile pour les enfants lors de la journée inaugurale du
festival à Beja, Siliana, le Kef et Jendouba.
- Chorégraphie « 3000 ans d’histoire » du ballet de Sihem bel Khouja au premier
jour du festival au Complexe Culturel de Siliana.
- Présentation de la pièce de théâtre « Selfi » d’Ikram Azouz au Complexe Culturel
de Siliana.
- Présentation au Complexe Culturel de Siliana de l’adaptation théâtrale du
« Soleil des Scortat » de Laurent Gaudé par le metteur en scène français
Sébastien Amblard avec les étudiants du théâtre de Tunis.
- Projections cinématographiques et débats avec les réalisateurs Abdellatif ben
Ammar, Marouane Trabelsi et Ahmed Jlassi.
- Spectacles musicaux et soirées dansantes au Kef.
- Récital de poésie populaire du sud tunisien au Complexe Culturel de Siliana.

3- Annexe légendé des actes du festival :

129
D- les actes d’animation de la ville:‫الفعاليات التنشيطية للمدينة‬ -‫ج‬

‫ورشات "عرائس الطين" بالفضاء العمومي• ألطفال واليات باجة والكاف وجندوبة وسليانة‬
Les ateliers « des poupées d’argile » dans l’espace public pour les enfants des gouvernorats de
Beja, le Kef, Jendouba et Siliana

130
‫ سنة من التاريخ" لباليه سيهام بالخوجة بالمركب الثقافي بسليانة‬3000" ‫كوريغرافيا‬
Chorégraphie « 3000 ans d’histoire » du ballet de Sihem belkhouja au Complexe
Culturel de Siliana

131
.‫مسرحية "سلفي" إلكرام عزوز بالمركب الثقافي بسليانة‬

La pièce théatrale « Selfi » d’Ikram Azouz au Complexe culturel de Siliana

132
‫مسرحية "شمس السكورتيين" لسيبستيان أمبالر بالمركب الثقافي بسليانة‬
L’adaptation du « Soleil des Scorat » par Sébastien Amblard au Complexe
Culturel de Siliana

133
.‫أمسية الشعر الشعبي من الجنوب التونسي بالمركب الثقافي بسليانة‬
Le récital de la poésie populaire du sud tunisien au Complexe Culturel de Siliana

134

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