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Résumé
Cet article analyse les discours des élèves de Yaoundé (Cameroun) autour de
l’ordinateur, en insistant sur l’examen de leur contenu et de leur organisation
centrale. La démarche adoptée se rapproche de celle d’étude du noyau centrale d’une
représentation sociale. L’analyse des données issues d’une série de 126 entrevues
menées avec ces élèves, met en évidence un champ discursif de l’ordinateur structuré
autour de quatre principaux éléments : logique technique, fonctionnalités,
personnification et jugements de valeur. Les aspects discursifs collectivement
partagés sont ceux par lesquels les élèves se représentent l’ordinateur comme
technologie informatique, système de périphériques, outil de communication, de
recherche et d’usage de Facebook. Dans ce contexte, l’ordinateur est donc
fondamentalement vu comme un objet technique utilisé principalement pour
communiquer, apprendre et construire ses réseaux sociaux, ce qui constitue l’essence
de leur identité numérique. Celle-ci et leurs rapports avec la technologie se
construisent autour de la prise en compte à la fois des logiques techniques et des
intérêts scolaires, communicationnels et socio-relationnels impliquant l’ordinateur.
This article analyzes the discourses of learners in Yaoundé (Cameroon) around the
computer technology. It focuses on the examination of their content and of their central
organization. We then used an approach similar to that used to study the central core
of a social representation. The analysis of data from a series of 126 interviews with
learners, highlights a discursive field of computer technology structured around four
main elements: technical aspect, functionality, personification and value judgments. In
this context, the shared aspects are those through which learners represent the
computer technology as a technical object, a system of devices, a communication tool, a
research tool and a way to use Facebook. The computer technology is thus basically
seen as a technical object used mainly to communicate, to learn and to build their
social networks, which is the essence of their collective numerical identity. This
numerical identity and their relationships with this technology are built by taking into
account technical aspects, school interests, communication and socio-relations issues,
involving the use of the computer technology.
Mots-clés
discours, ordinateur, contenus discursifs, aspects partagés, noyau central, identité
numérique collective
discourse, computer technology, discursive content, shared aspects, central core,
collective numerical identity
I. Introduction
L’avènement de l’Internet au Cameroun en 1997 (Baba Wamé 2005) et l’intégration des
technologies dans l’école en 2001 (Onguéné Essono 2009) ont eu pour corolaire que
l’ordinateur soit de plus en plus présent dans les divers espaces de sociabilité des élèves
camerounais, notamment ceux de Yaoundé (Béché, 2013a). Les travaux réalisés (Fonkoua
2006 ; Matchinda 2008 ; Ngono 2012 ; Tchameni Ngamo et Karsenti 2008) sur ce sujet,
montrent que cet outil intègre progressivement et considérablement les écoles,
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dominées par l’utilisation de cette technologie et par les discours et représentations qu’ils
y développent. D’ailleurs, pour Misse Misse (2004, 2005), l’ordinateur connecté à l’Internet
est l’un des éléments qui les caractérisent le plus actuellement et par lequel ils mettent en
œuvre leur « identité active » (Misse Misse 2004 : 129). Nous avons donc affaire à un
contexte de « génération multimédia » émergent (Fluckiger 2007 ; Misse Misse 2005) dans
lequel se produisent les discours et représentations qui traduisent à la fois l’appropriation
sociocognitive de l’ordinateur par les élèves de Yaoundé et la formation de leur identité
numérique collective.
Selon le courant des représentations sociales (Abric 1994 ; Jodelet 1989 ; Moliner 1993)
et celui des discours sociaux (Angenot 1988a, 1988b, 2006, 2008) en effet, ces
changements sociotechniques qui interviennent dans ce contexte, induisent
indubitablement des processus sociocognitifs, c’est-à-dire des phénomènes cognitifs
socialement ancrés (Jodelet 1989) qui traduisent l’ordinateur dans un langage cognitif et
social correspondant. Tout comme les représentations sociales que véhiculent d’ailleurs
les discours sociaux (Abric 1994 ; Angenot 2006), ces derniers semblent adéquats
« comme le reflet du réel » (Angenot 2008 : 19). Ils re-présentent et signifient le monde
et son objet (Angenot 1988b ; Martin et Royer-Rastoll 1990). Comme l’écrit Georges
(2009 : 168), « le "réel" et le "virtuel" entretiennent des relations […] dans le cadre des
[…] sociabilités interfacées par des représentations », ce qui revêt une portée
significative surtout dans ce contexte social et scolaire qui, de plus en plus technicisé,
engendre chez les élèves qui y évoluent, le développement des informations, discours,
attitudes, expériences, stéréotypes et opinions qui, relatifs à l'ordinateur, traduisent
l’intégration de cette technologie dans leur vécu et favorisent la formation de leur
identité numérique collective. Comme le montrent Martin et Royer-Rastoll (1990) et
Moliner (1993), l’apparition d’un objet grand, important ou complexe dans un milieu
donné, suscite chez les individus et groupes de ce milieu, des discours et
représentations sociaux correspondants. Traduisant le processus par lequel ils
reconstruisent l’objet et l’intègrent dans leur univers sociocognitif et quotidien, les
discours et représentations sont ce qui permet à l’objet d’avoir une fonction et une
existence signifiées et signifiantes (Martin et Royer-Rastoll 1990). Car, il « n’existe pas a
priori de réalité objective, mais toute réalité est représentée, c’est-à-dire appropriée par
l’individu ou le groupe […] Et c’est cette réalité qui constitue pour l’individu ou le
groupe la réalité même » (Abric 1994 : 12). Et c’est aussi à travers cette réalité objective
représentée que l’individu ou le groupe s’identifie ou se reconnait. Car en tant que
faisant partie de l’environnement cognitif et informationnel des utilisateurs, ces
discours et représentations « médient » ces derniers et les artefacts représentés
(Georges 2010 ; Peraya 1999 ; Proulx, 2004). Dans ces dynamiques de médiations, se
forge ou se modélise aussi l’identité sociotechnique des individus et groupes (Georges
2009), ce qui permet de souligner deux éléments en rapport avec l’objet de notre travail.
Le premier est qu’autour de l’ordinateur dans ce contexte, les élèves de Yaoundé
développent et partagent des informations, opinions, discours et représentations qui
signifient son existence et son intégration dans leur quotidien et univers sociocognitifs
(Béché 2010). Le deuxième est que ces productions sociocognitives autour de l’objet
traduisent un certain nombre de caractéristiques et traits que partagent collectivement
ces utilisateurs dans l’appropriation qu’ils font de cet objet. D’où l’intérêt d’étudier ces
discours et représentations, non seulement pour comprendre ces apprenants dans leurs
rapports à la fois avec l’ordinateur, l’école et la sphère hors-scolaire, mais aussi pour
cerner la formation et l’essence de leur identité numérique collective. Dans cette étude,
nous définissons l’identité numérique collective comme une transposition et une
modélisation de la façon dont un groupe d’individus se re-présente, se particularise, se
reconnait ou se fait reconnaître dans et/ou à travers les représentations et discours que
ceux-ci développent et partagent autour de l’artefact cognitif qu’est ici l’ordinateur.
C’est une traduction, conceptualisation et construction de ce qui permet de caractériser
un groupe d’individus dans leurs rapports avec les technologies (Georges, 2009 ; 2010).
Ces rapports sont ici en termes de pratiques, discours et représentations. L’objectif
poursuivi est donc globalement de mettre en évidence les contenus de ces
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répondants qui l’expriment ainsi, l’ordinateur est un « outil qui connaît tout et peut
tout » (R74, LBE) ; c’est la « machine du Blanc » (R06, LGL), la « machine
mystérieuse » (R41, CR) ou « pleine de mystères » (R50, LT). Ils le considèrent comme
« inexplicable », « étrange » et « plein d’énigmes ». Comme l’exprime le répondant
R21 du lycée bilingue d’Essos « l’ordinateur, c’est de la magie ; vous ne savez pas
comment ça fonctionne ; on dirait même qu’il y a une force surnaturelle qui
commande ses éléments ». C’est ce qui apparaît aussi dans des déclarations comme
celles du répondant R39 issu du lycée de Tsinga. Pour lui, « l’ordinateur est une
machine difficile à comprendre ». Il y a donc là un côté étrange, voire miraculeux et
prodigieux associé à l’ordinateur représenté dans ce contexte.
Si comme nous venons de voir, l’ordinateur est vu « extraordinaire » et « magique », il
est aussi présenté du point de vue « utilitaire », c’est-à-dire comme un objet
« indispensable » et « important ». Les discours développés sur l’ordinateur dans ce
contexte contiennent des éléments qui mettent en évidence ce caractère important du
support technologique. Ce sont des discours construits autour des expressions comme
« appareil très important », « instrument enrichi », « boîte à recours », « outil
indispensable » et « objet utile ». Mais ces déclarations qui permettent de concevoir
l’ordinateur comme un outil capable d’aider à faire face à des questions de la vie
quotidienne, le situent néanmoins dans un ordre général. Elles le rapprochent ainsi par
exemple de la radio et de la télévision, et le considèrent de ce point de vue comme
essentiel pour l’Homme.
Au-delà de cet aspect, l’ordinateur est aussi représenté du point de vue des effets qu’il
est susceptible de produire chez ses usagers. Les déclarations ayant pour thèmes
« détournement », « prostitution à distance », « sites obscènes », « aliénation »,
« violence », « mal des yeux », « piratage », « améliorer les connaissances »,
« perfection », « faciliter l’apprentissage », le montrent clairement. Ce sont des
jugements de valeur ou des appréciations subjectives qui situent l’ordinateur au pôle
positif ou négatif de ses actions et effets dans le social. Dans le premier cas, il est
comme une réponse aux besoins et problèmes sociaux. Dans le second en revanche, il
est perçu comme destructeur des valeurs sociales.
Globalement, cette présentation des divers axes qui structurent le champ discursif et
représentationnel de l’ordinateur, permet de représenter ce dernier comme une
technologie informatique, un système de périphériques, un ensemble d’applications
informatiques, une grande révolution technologique, une machine humaine, un objet
indispensable et mystérieux, un outil aux effets positifs et négatifs, une technologie
pour faire des recherches, communiquer, chater, utiliser Facebook, dessiner, traiter un
texte, éditer un blog, s’informer, télécharger, jouer, écouter de la musique et visionner
des films. En les examinant du point de vue de leur occurrence dans les discours et de
leur importance pour les élèves de Yaoundé dans leur contexte, il sera possible d’avoir
une idée sur l’organisation centrale des discours sur l’ordinateur, et donc sur ce qui fait
leur identité numérique collective.
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représentationnelles dans leurs discours, nous les avons classées en quatre catégories :
celle des éléments discursifs très importants, celle des éléments discursifs importants,
celle des éléments discursifs peu importants et celles des éléments discursifs très peu
importants.
La première catégorie qui est celle des éléments très importants dans ce contexte,
comporte des thèmes discursifs axés sur les aspects suivants : recherche, traitement de
texte, communication et usage de Facebook. Découlant des actions, valeurs et formes
identitaires qu’ils induisent chez eux, ils constituent les aspects jugés plus importants
par les répondants, car mis directement en rapport avec leurs activités scolaires et
socio-communicationnelles. Or dans ce contexte, l’école, la communication et les
réseaux de pairs apparaissent comme des pratiques importantes (Béché 2013a ; Misse
Misse 2004). Les discours structurés autour de la catégorie thématique « recherche »
sont ainsi associés à l’apprentissage et la formation qui sont ici des activités aux enjeux
importants : se préparer aux examens, réussir la scolarité, améliorer les performances
scolaires, développer des compétences en formation, etc. Représenté du point de vue de
la recherche, l’ordinateur est ce qui, pour eux, permet de « trouver des ressources
documentaires pour comprendre les leçons données en classe », « trouver des
informations pour compléter les cours », « se cultiver », « préparer les exposés »,
« approfondir les connaissances », « avoir une base pour discuter avec les professeurs et
les camarades », « trouver des exercices et leurs corrigés », « accéder à des formations à
distance », etc. Par exemple, le répondant R14 issu du lycée de Mendong déclare que s’il
« [se] représente l’ordinateur comme un outil de recherche, c’est qu’il [lui] permet de
trouver des informations nécessaires pour approfondir ses apprentissages, comprendre
les cours, réaliser les exposés et se documenter ». La catégorie discursive « traitement
de texte » est aussi mise en relation avec des activités comme la rédaction d’un exposé,
d’un rapport ou d’un devoir de maison, qui sont aussi mises en œuvre en contexte de
formation. Dans cette perspective, les élèves sont des usagers scolaires de l’ordinateur,
c’est-à-dire des utilisateurs qui mettent cette technologie au service de l’école et de leur
apprentissage. L’ordinateur prend ainsi la forme d’un outil scolaire, de recherche et de
production documentaire.
Quant aux discours qui mettent en évidence des thèmes relatifs à la communication et à
l’usage de Facebook, ils sont associés aux activités communicationnelles et socio-
relationnelles. Ils aussi considérés comme importants parce que, pour eux, représenté
dans ce sens, l’ordinateur permet de « communiquer avec ses parents, ses proches, ses
amis, ses camarades, ses enseignants, bref les connaissances » (R17, CR). Il permet de
« tisser et garder des contacts » (R89, LBE), de « faire part de ce qu’on ressent, vit à ses
amis » (R121, LTNE), d’« envoyer et recevoir des messages et d’être dans des réseaux et
communautés » (R36, LGL). L’intérêt porté à ces aspects pratiques et représentationnels
de l’ordinateur fait des élèves des êtres sociaux et relationnels, qui utilisent l’ordinateur
comme un outil communicationnel, de relation, et de socialisation, ce qui veut dire que
dans ce contexte, l’ordinateur est vu comme un outil communicationnel et socio-
relationnel.
En dehors de ces éléments, cette catégorie de discours comprend aussi ceux qui mettent
en évidence la dimension technologique ou physique de l’ordinateur. Ce sont ceux axés
sur les catégories thématiques « technologie informatique » et « système de
périphériques ». Comme le décrivent les répondants, l’importance de cette dimension
découle du fait qu’elle est considérée comme transversale à toutes les activités
impliquant l’usage de l’ordinateur. Dans ce sens, la répondante R81 du lycée bilingue
d’Emana déclare que « l’aspect technique de l’ordinateur est présent partout. Pour
écrire, il faut l’ordinateur matériel, la souris, la clavier et les autres objets ».
L’importance que revêt cette dimension physique de l’ordinateur chez ces élèves, reflète
aussi la priorité accordée à l’enseignement de l’informatique plutôt qu’à l’utilisation des
technologies au service de la formation dans ce contexte (Karsenti et Tchameni Ngamo
2009 ; Tchameni Ngamo 2007). L’ordinateur est donc ici considéré dans sa dimension
physique, c’est-à-dire comme un objet essentiellement physique. Dans ce processus
d’appropriation de l’objet, les élèves sont aussi vus comme des utilisateurs qui sont
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Information
Blog Machine humaine
Dessin Mystères
Travail Effets négatifs
Indispensable
Effet positif
Tableau II. Catégorisation des thèmes discursifs selon leur occurrence dans les entretiens et leur importance
pour les élèves
Ainsi construit, ce tableau classe les éléments de discours en quatre catégories selon
leur occurrence et leur importance : celle des éléments à la fois très importants et très
fréquents, celle des éléments fréquents mais relativement importants, celle des éléments
moins fréquents et peu importants, et celle des éléments très peu fréquents et très peu
importants. Globalement, les thèmes discursifs qui composent les trois dernières
catégories, relèvent du système périphérique, car traduisant des opinions et des
adaptations particulières de l’objet aux divers contextes hors-scolaires des élèves (Abric
1994). Ces thèmes portent sur les représentations de l’ordinateur comme moyen
d’activités ludiques, de chats, d’écoute des musiques, de visionnage des films, de
téléchargements, d’information, d’édition des blogs, de dessin, de travail, et comme un
ensemble d’applications informatiques, une grande révolution technologique, une
machine humaine, un objet indispensable, mystérieux, positif et négatif.
Les éléments de discours les plus collectivement partagés sont quant à eux dans la
première catégorie. Ce sont ceux relatifs aux représentations de l’ordinateur comme
technologie informatique, système de périphériques, outil de recherche, de
communication, de traitement de texte et d’usage de Facebook. Ce sont des sujets qui
apparaissent le plus dans les productions discursives des répondants et qui semblent
les plus importants pour eux dans ce contexte numérique émergent. Cela veut dire
que pour ces apprenants, l’ordinateur apparaît fondamentalement et essentiellement
comme une technologie informatique reliée à plusieurs composantes ou
périphériques, utilisable notamment pour faire des recherches, communiquer et
construire des réseaux de relations. Leur représentation de l’ordinateur, ou plutôt le
noyau central de cette représentation est donc organisé et structuré autour de quatre
grandes dimensions : physique, scolaire, communicationnelle et socio-relationnelle.
Cela signifie qu’au fond, pour ces sujets, l’ordinateur ne renvoie pas essentiellement aux
jeux, mystères, tchatches, films, à la magie ou à la pédagogie. Il est d’abord et avant
tout, un objet qui apparaît dans sa dimension physique et technologique. C’est un
dispositif qu’ils situent fondamentalement dans sa matérialité et son instrumentalité.
C’est pour cela qu’ils le nomment notamment « appareil », « machine », « instrument »
ou « technique », et que les aspects « technologie » et « périphériques » dominent
considérablement dans leur univers discursif et représentationnel. Mais l’aspect partagé
et collectif de ces discours représentationnels ne se limite pas à cet aspect physique ou
purement technologique.
L’ordinateur est certes un objet matériel et instrumental pour ces sujets scolaires ; mais
c’est aussi un outil qui, pour eux, sert fondamentalement à faire des recherches, à
communiquer et à tisser des réseaux sociaux à travers l’usage de Facebook notamment.
Nous pouvons donc dire que les dimensions physiques, scolaires, communicationnelles
et socio-relationnelles des discours autour de l’ordinateur constituent l’essence de
l’identité numérique collective des élèves de Yaoundé, ou tout au moins participent à la
construction et à la définition de cette identité. Nous avons ici entendu cette notion
d’identité numérique collective comme renvoyant aux représentations plus ou moins
communes et partagées par et/ou dans lesquelles ces élèves se reconnaissent ou se font
reconnaître dans leurs rapports avec l’ordinateur (Wittorski 2008). C’est ce qui leur est
commun en tant qu’apprenants et utilisateurs de l’ordinateur dans ce contexte
technicisé émergent. Nous avons donc affaire à des individus qui s’approprient ou
intègrent l’ordinateur avant tout dans sa dimension physique et l’intègrent ensuite dans
leurs pratiques scolaires, communicationnelles et d’interactions sociales. Leur identité
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V. Conclusion
Dans ce travail, nous nous sommes intéressé à étudier les discours que les élèves de
Yaoundé développent autour de l’ordinateur. Après avoir décrit le contexte d’intégration
de cette technologie dans leur espace social et scolaire, c’est-à-dire les conditions dans
lesquelles ils produisent ces discours, nous nous sommes attelé à étudier ces derniers
en développant deux points essentiels. Le premier a consisté à mettre en évidence les
éléments constitutifs des représentations discursives de l’ordinateur dans ce contexte.
Quant au second point, il a porté sur l’examen de l’organisation centrale de ces discours,
ce qui a conduit à cerner l’essence de l’identité numérique collective chez ces élèves.
En examinant le contenu du champ discursif de l’ordinateur dans ce contexte, nous
avons mis en évidence un ensemble de vingt-deux thèmes représentationnels que nous
avons regroupés en quatre catégories. Il y a ainsi des discours qui se rapportent à la
dimension physique de l’ordinateur, comme ceux par lesquels les élèves se le
représentent comme une technologie informatique, un système de périphériques ou un
ensemble d’applications informatiques. Il y a aussi des thèmes discursifs qui décrivent
les fonctionnalités de l’ordinateur. Ce sont ceux par lesquels les élèves conçoivent cette
technologie comme un outil de recherche, de communication, d’utilisation de Facebook,
de jeux, d’écoute de la musique, de visionnage de film, de traitement de texte,
d’information, de téléchargement, de travail, de dessin et d’édition de blog. Cette
catégorie de discours décrit donc l’ordinateur comme outil scolaire et comme objet mis
en œuvre dans le contexte hors-scolaire. Il y a enfin des représentations discursives qui
traduisent des jugements de valeur à l’égard du rôle et de la nature de l’ordinateur. Ce
sont ceux qui le situent comme une machine humaine, une grande révolution
technologique, un outil important et indispensable, un objet mystérieux et magique, un
instrument qui produit des effets positifs ou négatifs.
Pour rendre compte de l’organisation centrale de ces éléments discursifs, nous avons
adopté une démarche proche de celle sous-tendant l’étude du noyau central des
représentations sociales (Abric 1994). Nous avons ainsi pris en compte deux facteurs
principaux : l’occurrence des catégories thématiques dans les discours et l’importance
déclarée des aspects représentés de l’ordinateur pour les élèves dans leur contexte. Au
terme de cette opération, nous avons montré que les aspects discursifs collectivement
partagés dans ce contexte, sont ceux relatifs à l’ordinateur représenté comme
technologie informatique, système de périphériques, outil de recherche, de
communication et d’utilisation de Facebook. Cela veut dire que pour les élèves de
Yaoundé, l’ordinateur apparaît fondamentalement comme un objet technologique
principalement utilisé dans le cadre de l’école, la communication et les réseaux de pairs,
ce qui constitue l’essence de leur identité numérique collective. Nous avons donc ici des
utilisateurs dont les valeurs, pratiques et modèles collectifs promus dans leurs rapports
avec la technologie, combinent logiques techniques de l’ordinateur, intérêts scolaires,
enjeux communicationnels et socio-relationnels, impliquant l’utilisation de l’ordinateur.
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