Sunteți pe pagina 1din 41

10.

DÉCLINAISONS DU FRANCO-JUDAÏSME

Denis Charbit
in David Biale, Les cultures des Juifs
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
Editions de l'Éclat | « Hors collection »

2005 | pages 1003 à 1042


ISBN 9782841621125
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/les-cultures-des-juifs---page-1003.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Editions de l'Éclat.


© Editions de l'Éclat. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


3/10 14/10/05 19:01 Page 1003

10. Déclinaisons du franco-judaïsme


Denis Charbit
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
Depuis deux décennies environ, la recherche consacrée aux Juifs de France du XXe
siècle a fait un bond quantitatif et qualitatif prodigieux. Cet indéniable renouveau his-
toriographique reste néanmoins partiel : c’est surtout sur la période de Vichy que se
concentre cette investigation scientifique accrue. Après avoir longtemps été le chantre
du « roman national », l’historien expie sa fonction mythique révolue en se faisant
aujourd’hui l’instructeur des pages sombres et des années noires de son pays. Aussi,
c’est à dépouiller les archives de la haine en action et à reconstituer ses origines
anciennes et récentes qu’il s’est principalement voué. À cet égard, il est essentiel que
lumière ait été faite – et une lumière crue de préférence – sur ce que d’aucuns avaient
souhaité atténuer et sublimer pour de vaines raisons de cohésion et de grandeur natio-
nales. Il est salutaire pour la vérité historique, comme pour l’examen de conscience de
la nation France, que les thèses de Robert Paxton et de Zeev Sternhell aient été enten-
dues, examinées, discutées et débattues, dévoilant, pour ce qui est du premier, l’initia-
tive prise par les autorités de Vichy en matière de législation antisémite, et pour le
second, un fascisme français sui generis en gestation depuis la fin du XIXe siècle, au
lieu d’y voir, comme il était de mise jusque-là, un produit d’importation récente d’ori-
gine italo-allemande1. Il importe également que dans le sillage de ces travaux menés par
un Américain et un Israélien le relais ait été pris par des spécialistes français détaillant
le sort des Juifs sous Vichy tant par des monographies conçues comme un mémorial
que par des ouvrages de synthèse qui font référence2. Mais, sous couvert d’écrire l’his-
toire des Juifs de France, n’est-ce pas plutôt celle de l’antisémitisme et des antisémites
que l’on relate finalement ? N’écrit-on pas ainsi, en un certain sens, l’histoire de ce que
l’on a fait aux Juifs, l’histoire qu’ils ont subie, et non celle qu’ils ont faite eux-mêmes ?
Pénétré du caractère dramatique des événements relatés, le lecteur de bonne foi est,
de surcroît, susceptible de concevoir l’histoire des Juifs de France à partir de cette per-
  

ception lacrymale dont Salo W. Baron avait souligné en son temps le défaut réducteur.
Mais, de la rafle du Vel d’Hiv à l’arrestation des enfants d’Izieu, de l’exécution des mili-
tants de la M.O.I. à l’assassinat de Georges Mandel, même en tenant compte de la
résistance juive et des Justes du Chambon-sur-Lignon ou d’ailleurs qui ont sauvé la vie
d’enfants juifs, comment pourrait-il en être autrement ?
3/10 14/10/05 19:01 Page 1004

.    

Sur le plan méthodologique, les choix opérés par les historiens qui travaillent sur
cette période sont tout aussi prévisibles : pour faire le récit de la catastrophe, on ne
peut que souhaiter une reconstitution systématique des faits et le recours à une narra-
tion événementielle. Et puisque la recherche vise essentiellement à établir les responsa-
bilités au plus haut niveau, c’est subséquemment l’étude politique – de l’appareil
d’État, des leaders et des partis – qui a été privilégiée, au détriment d’autres approches
et d’autres disciplines telles que l’histoire sociale et la sociologie3.
Il est vrai que les destinées de la communauté juive s’avèrent intimement liées, et pas
seulement sous Vichy, à des événements politiques, telle, par exemple, la guerre d’Algé-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
rie et, plus généralement, la décolonisation, qui a conduit les Juifs d’Afrique du Nord à
rejoindre la France de l’autre côté de la mer.
Il est de même remarquable qu’à des moments-clés de son histoire, les destinées de
la France apparaissent plus intelligibles lorsqu’on les examine à travers le prisme de la
condition juive : peut-on penser et se représenter l’histoire contemporaine de la France
sans l’Émancipation des Juifs votée en 1791, expression parfaite des idéaux de la Révo-
lution française ? Sans l’affaire Dreyfus, qui a fait basculer l’antisémitisme politique du
côté de l’anti-républicanisme ? Sans Vichy, Drancy et le « statut des Juifs » de sinistre
mémoire ? Ces différents avatars de la « question juive » montrent que celle-ci n’a pas
seulement été une préoccupation spécifique pour les personnes concernées, mais un
test déterminant pour apprécier l’état de la France.
Ce poids d’histoire dramatique et saignante explique pourquoi l’on trouve fort peu de
titres et de recherches inspirés par les outils et les perspectives de l’histoire culturelle,
parente pauvre et même ignorée de cet essor. Devant le long cortège de malheurs, le
récit des bonheurs, la relation des apports et des échanges, des négociations entre une
identité héritée et une identité acquise, l’histoire culturelle des Juifs de France, apparaît
secondaire, mineure, déplacée, voire indécente. Et cependant, sans prétendre dévalori-
ser leur contribution à l’histoire politique, de la Révolution française à Mai 1968, des
Juifs de Cour aux Juifs d’État, d’Adolphe Crémieux à Daniel Mayer, de Léon Blum à
Pierre Mendès-France, n’y a-t-il pas lieu de retracer également l’apport de cette sensibi-
lité juive à la culture française, de même que l’impact de cette culture française sur la
manière de vivre, de penser et de se représenter cette appartenance ? Ne pourrait-on
établir une chronologie parallèle relative à la République des Lettres et des Arts, concur-
rente par son magistère à la République elle-même, et qui mettrait en valeur la fondation
de la Revue des Études Juives, la publication de la Recherche du Temps perdu, la création
de l’École d’Orsay, la parution de Belle du Seigneur d’Albert Cohen, des Quatre lectures
talmudiques d’Emmanuel Levinas, la diffusion sur les écrans du Vieil homme et l’enfant
de Claude Berri, la représentation au théâtre de l’Odéon de L’Atelier de Jean-Claude
  

Grumberg et l’inauguration du Musée d’art et d’histoire du judaïsme ? Il ne s’agit pas de


concevoir cette histoire culturelle comme autonome et indépendante de l’histoire poli-
tique. Ce serait peu pertinent, tant elles sont tributaires l’une de l’autre.
La réticence à écrire l’histoire culturelle des Juifs de France tient sans aucun doute à
la conception jacobine et centralisatrice, une et indivisible, de la nation française : en
bonne logique républicaine, il n’est pas de mise de faire l’inventaire de ce qu’apporte
3/10 14/10/05 19:01 Page 1005

.   -

chaque communauté. C’est qu’il n’en existe pas d’autre que celle des Français. La
France n’est pas une fédération de groupes ethniques ou religieux qui œuvrent pour le
bien commun tout en préservant leur distinction culturelle respective, mais une com-
munauté de citoyens formés par l’École publique aux mêmes valeurs, à la même langue
et à la même culture. Enfin, en vertu de la conception méritocratique, le talent, et à
plus forte raison le génie, est toujours individuel et ne saurait donc dériver de la nais-
sance et de l’appartenance à un milieu social.
De plus, lorsqu’on s’est autrefois livré à la tâche de décrire l’apport juif à la France,
tel qu’il s’est manifesté dans les domaines de l’esprit, des arts, des lettres et des
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
sciences, comme dans la presse, la politique, la fonction publique, l’appareil judiciaire,
l’économie et l’industrie, le résultat de l’effort entrepris était le plus souvent miné par
l’intention apologétique initiale : la démarche consistant à aligner une longue série de
noms et de titres visait moins à rendre compte du phénomène culturel en question qu’à
illustrer par les œuvres la gratitude de la collectivité juive envers la patrie généreuse.
Elle répondait alors au souci primordial de justifier le bien-fondé de l’Émancipation et
à la volonté de défendre la communauté face à ses détracteurs en se prévalant d’un
bilan prestigieux.
Il est d’autant plus périlleux d’écrire une histoire culturelle des Juifs de France que,
d’une certaine manière, toute conclusion qui en serait tirée pourrait être détournée :
décrèterait-on globalement insignifiante ou même marginale la contribution juive à la
culture française, qu’on imputerait ce jugement à un a priori sioniste méprisant et
condescendant porté à sous-estimer la créativité de la diaspora. Déclarerait-on, au
contraire, le caractère majeur de cet apport, qu’on pourrait être soupçonné de faire le
lit de ceux qui, depuis Édouard Drumont et ses émules, dénoncent une France enjui-
vée, retournant au profit de leur démonstration les listes de Juifs actifs dans la sphère
culturelle. Sans même aller jusqu’à redouter cette manipulation, il règne toujours une
certaine confusion et une ambivalence certaine sur le fait d’imputer aux origines juives
une signification culturelle quelconque. Les signaler même est déjà problématique :
cette indication ayant été, sous Vichy justement, synonyme de délation fatale à beau-
coup de Juifs, la prudence commande encore, même si ces temps-là sont révolus, de
jeter un voile de pudeur sur une telle révélation, comme si la désignation des origines,
l’identification d’un enracinement culturel légué par son entourage familial, présentait
quelque chose de plutôt honteux pour que l’on ait le bon goût de les dissimuler.
Ce n’est pas la seule difficulté préalable. Une autre – et non des moindres – tient au
fait que la communauté juive a manifesté au cours du vingtième siècle discontinuités et
métamorphoses. Elle ne présente pas un seul visage, une même configuration, et de
fait, une culture homogène, de telle sorte que l’on peut s’interroger sur la pertinence
  

du concept de « communauté » pour la définir. Au noyau initial divisé dès le départ


entre Juifs d’Alsace à l’est, de Bordeaux et de Bayonne dans le sud-ouest, et du comtat
Venaissin au sud, se sont greffés, au début du vingtième siècle et dans l’entre-deux
guerres, les Juifs d’Europe orientale, puis à la fin des années cinquante et au début des
années soixante, les Juifs d’Afrique du Nord. Ces deux derniers groupes devenus, tour
à tour, le noyau prédominant, ont assuré ainsi à la communauté juive une croissance
3/10 14/10/05 19:01 Page 1006

.    

démographique, un renouvellement des élites et un impact dans la société française


bien supérieur à sa proportion qui, négligeable à l’échelle de la France (1% environ),
est, à l’échelle du peuple juif, plus significative : première communauté d’Europe
aujourd’hui, elle est la quatrième dans le monde après les États-Unis, Israël et la Russie.
Cette diversité et ce renouvellement, s’ils permettent difficilement de discerner une
unité culturelle à travers le siècle, favorisent, en revanche, un dynamisme des formes et
des mœurs qui justifie qu’on se penche sur les mutations culturelles de ce modèle histo-
rique appelé le franco-judaïsme.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
NAISSANCE DE L’ISRAÉLITE

Commençons par un peu d’histoire et de sociologie pour déployer les cadres fonda-
mentaux institutionnels, démographiques et politiques dans lesquels cette dimension
culturelle s’est déployée : rappelons pour mémoire qu’à la veille de la Révolution fran-
çaise, les Juifs du royaume ne formaient pas un bloc. Dispersés en trois régions qui
n’étaient pas limitrophes, ils avaient, chacun, leurs propres coutumes, des mœurs et des
rites spécifiques tenant à leur enracinement historique et géographique respectif. C’est
dire comme la Révolution a été le catalyseur de leur unité, fournissant le cadre juri-
dique et politique de leur nouvelle condition émancipée : ils étaient désormais des
citoyens jouissant de droits individuels au nom desquels les discriminations dont ils
avaient souffert sous l’Ancien Régime étaient abolies ou devaient l’être progressive-
ment. L’Empire offrit ensuite la structure institutionnelle adéquate pour déterminer le
statut officiel de la communauté juive en tant que confession religieuse : le Consistoire
central. Enfin, la monarchie constitutionnelle de Louis-Philippe s’était placée au ser-
vice de la « France des notables », modèle que les Juifs allaient reprendre à leur compte
pour favoriser leur ascension socio-économique.
Avec la IIIe République, l’émancipation est une réalité qui apparaît d’autant plus
stable que les principes qui l’ont établie sont de nouveau à l’honneur. L’École, l’Admi-
nistration, la Justice, l’Armée, tous les grands corps de l’État accueillent volontiers ceux
que Pierre Birnbaum a joliment appelé les « fous de la République4». La contribution
effective des élites juives à la consolidation du régime et de ses institutions renforce, au
sein de la communauté, l’adhésion générale et sans réserve à la République, et notam-
ment à sa mystique plus encore qu’à sa politique.
Ils ne se disent plus juifs, mais israélites. Par cette reformulation de leur identité col-
lective, ils affirment à l’intention de leurs concitoyens le changement radical de leur
condition et la naissance de ce « nouvel homme juif » propre à la France, engendré par
  

la Révolution et consolidé à l’intérieur du creuset français, produit exemplaire de ce


modèle franco-judaïque.
Modèle qui n’est pas seulement politique, mais aussi culturel ; modèle qui n’est pas
seulement normatif, mais descriptif ; modèle que l’on a représenté et figé sous une
forme monolithique, alors qu’il connaît, dans la synchronie comme dans la diachronie,
des variations ; ou plutôt, des déclinaisons, ainsi que nous préférons le formuler, non
3/10 14/10/05 19:01 Page 1007

.   -

pas tant parce qu’on y entend le mot « déclin », mais parce que ces déclinaisons du
franco-judaïsme sont toutes des conjugaisons d’une relation, parfois ténue, parfois
dense, parfois superficielle, parfois riche, entre une certaine idée de la France et une
certaine idée d’Israël.
En terme de stratégie politique, le franco-judaïsme avait un seul et unique objectif :
manifester l’entière allégeance aux régimes successifs dont la France s’était dotée – et
pas uniquement à la République, comme on le croit trop souvent, mais également à la
monarchie de Louis-Philippe et au Second Empire – en contrepartie de l’émancipation
octroyée à leurs pères et dont ils continuaient de bénéficier toujours. Mais le franco-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
judaïsme n’est pas réductible à une reconnaissance de l’autorité de droit ou à l’expres-
sion d’une conviction patriotique indéfectible, qui se renforcera à l’heure des épreuves
subies par la France, surtout après la défaite de 1870. Nonobstant sa signification poli-
tique essentielle, la scène principale où se décline ce franco-judaïsme est précisément
celle de la culture, de la sociabilité et des mœurs.
Si l’intégration politique est une condition nécessaire du franco-judaïsme, il est un
autre facteur qui va précipiter cette recomposition identitaire et cette unification cultu-
relle : c’est le regroupement progressif de la majorité des Juifs de France dans la capi-
tale5. Sur une population approximative de 80 000 Juifs à la fin du XIXe siècle, plus des
deux tiers vivent à Paris, parmi lesquels une partie importante des Juifs alsaciens qui
ont quitté par réflexe patriotique la région natale occupée par l’Allemagne (telle la
famille d’Alfred Dreyfus, par exemple) ainsi que, pour des raisons sociales et écono-
miques, des Juifs du Comtat Venaissin (tel Bernard Lazare) abandonnant derrière eux
les hauts-lieux du judaïsme français – Carpentras, Nîmes et Cavaillon. Enfin, Paris est
avec Londres et Berlin, un des trois points de chute en Europe occidentale choisi par
des dizaines de milliers d’immigrés d’Europe de l’Est qui n’ont pas souhaité rejoindre
les États-Unis ou ont décidé de s’arrêter en cours de route.
La communauté juive est donc largement urbanisée et organisée, impliquée, bon
gré, mal gré, dans la mêlée idéologique et sociale. Or, cette concentration parisienne a
des effets culturels notoires. Le franco-judaïsme est, au-delà de la sphère proprement
politique, l’adaptation culturelle des Juifs à leur environnement parisien, un pari-
siano-judaïsme, pour ainsi dire, qui s’étendra au dernier tiers de la communauté dis-
persée dans le reste de la France. Paris n’est pas seulement la capitale politique et
administrative, la ville-phare de la République, l’espace des luttes anticléricales et du
combat social, un lieu de socialisation militante, elle est aussi une cité universitaire,
une scène théâtrale et littéraire, un lieu de salons, la ville des Lumières et des plaisirs,
laquelle accélère la mutation culturelle des Juifs, qu’ils soient nés dans la capitale ou
qu’ils viennent d’Avignon, de Metz ou de Bayonne ou encore de la Russie tsariste et
  

pogromiste.
Unanimement adopté en France selon des modalités diverses qui seront examinées ci-
dessous, le franco-judaïsme a suscité depuis maintes critiques. Déjà, à l’époque, le pen-
seur sioniste Ahad Ha-am, contempteur ô combien féroce de ce choix stratégique, le
percevait, de sa lointaine Odessa, comme un troc honteux, une « ser vitude dans la
liberté », – « une servitude intellectuelle dans la liberté politique » précise-t-il – une opé-
3/10 14/10/05 19:01 Page 1008

.    

ration à somme nulle en vertu de laquelle les Juifs consentaient à renoncer à leur spécifi-
cité culturelle et religieuse pour garantir leur intégration politique et sociale. Dans cette
optique, le franco-judaïsme relevait, au pire, d’une volonté délibérée d’assimilation pure
et simple ; au mieux, il était la résultante inéluctable d’un rapport de forces politique et
social inégal et asymétrique obligeant la minorité à s’incliner devant le plus fort et à inté-
grer la culture dominante en même temps qu’elle se défaisait de la sienne propre. Mais
cette lecture unilatérale masque des réalités plus complexes. Si tout cela n’avait été que
stratégie calculée par une minorité qui redoutait la tempête, que tentative de se plier au
pré-requis culturel implicite résultant de leur citoyenneté française, l’expression de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
« franco-judaïsme » aurait été alors inadéquate. Or, la désignation sous cette forme com-
posée est significative. Elle sous-entend, en apparence, un souci de synthèse, la tentative
d’élaborer une identité nouvelle qui repose sur un trait d’union (comme l’a déjà souligné
Lucette Valensi dans ce volume), une convergence entre la France et le judaïsme. Elle
exprime un enjeu tout aussi déterminant et non moins révolutionnaire, et qu’on a sous-
estimé pour ne retenir que l’aspect assimilateur : la sécularisation du judaïsme. Comment
devient-on juif lorsque ce n’est plus l’espace du ghetto ni le temps du calendrier rituel qui
détermine les cadres spatio-temporels de l’existence ? Comment construit-on ce judaïsme
nouveau lorsqu’il ne passe plus nécessairement et exclusivement par la foi, lorsqu’il ne se
transmet plus par le truchement d’une langue juive, tel le judéo-alsacien, par l’autorité
normative de la Halakhah, et ne se distingue plus par le port de vêtements rituels ?
Quelles stratégies, quels accommodements adopter, opérer lorsque les Juifs se trouvent
autonomes et maîtres de définir leur degré de rupture et de fidélité à leur patrimoine ?
Soit la fameuse déclaration de l’historien Léon Halévy : « Français de patrie et d’ins-
titutions, il faut que tous le deviennent aussi de mœurs et de langage. Il faut en un mot
que pour eux le nom de juif devienne l’accessoire et le nom de français principal6. » Il
serait assurément plus juste de parler dans ce cas de judéo-francité plutôt que de
franco-judaïsme, puisque la dimension française est requise de conquérir un statut
hégémonique au détriment de la dimension juive confinée à une place subalterne. Mais
même Halévy plaide ici pour la marginalisation de l’élément juif, non pour sa suppres-
sion pure et simple. C’est le même d’ailleurs qui écrira la première Histoire des Israé-
lites. Rétrogradé au rang d’accessoire, tenu pour un divertissement, une sensibilité, un
adjuvant, il importe de considérer le contenu dudit « accessoire ». La perspective d’une
assimilation définitive avec dissimilation correspondante était une option possible,
peut-être même programmée et souhaitée. C’est la forme extrême du franco-judaïsme ;
mais celle-ci n’épuise nullement des formes plus riches, complexes et nuancées par les-
quelles des Juifs ont concrétisé leur franco-judaïsme. À cet égard, il serait plus juste
d’identifier, non un franco-judaïsme, mais des franco-judaïsmes.
  

Pour mieux discerner cette variété, il convient de faire usage de la célèbre taxinomie
à trois dimensions conceptualisée par Albert Memmi. Le franco-judaïsme peut alors
être vu comme la réélaboration par un Juif soit de sa judéité – son degré d’identifica-
tion et d’appartenance ; soit de sa judaïcité – le lien aux institutions ; soit encore de son
sentiment religieux – le judaïsme.
Le franco-judaïsme le plus souvent évoqué a consisté à réduire la judéité au rang
3/10 14/10/05 19:01 Page 1009

.   -

d’une origine. Il fait ainsi la part belle à la primauté de la dimension politique et natio-
nale, laquelle est redoublée et renforcée par l’assimilation de la culture dominante. À
l’ère positiviste et scientiste, on a vite fait de reporter sur le judaïsme ce qui se dit du
christianisme ou même d’intérioriser ce que le christianisme pense du judaïsme : reli-
gion nationale à la tête de laquelle règne un dieu jaloux, religion rigoriste qui ignore
l’amour, le judaïsme n’est rien moins qu’un préjugé archaïque, un fanatisme obscuran-
tiste, une tradition dont on ne comprend plus la signification. À cette dévalorisation du
judaïsme se greffe un patriotisme français exclusif : il requiert non seulement de placer
la France au-dessus de toutes les autres nations, mais exige également de ne ressentir
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
et, à plus forte raison, de ne manifester aucune préférence, aucune solidarité, aucune
affinité particulière, à l’intérieur du pays, pour l’une des composantes internes de la
nation. Ni solidarité confessionnelle, ni solidarité communautaire, que peut bien alors
signifier l’appartenance juive ? Ce n’est plus qu’un résidu : le souvenir des persécutions
d’antan, la communauté de souffrance révolue. C’est ce qui reste lorsqu’on a tout
oublié ou plutôt rien appris. Et cependant, même si pour ceux qui se déclarent d’ori-
gine juive, ces origines sont considérées comme dépourvues d’impact et de sens sur
leur formation intellectuelle et leur sensibilité, voilà que lorsqu’ils sont plongés dans
l’adversité, confrontés à des situations pénibles, voire extrêmes, ils s’interdisent de les
renier. Pour aussi ténue que soit cette expression de la judéité, ne tenant son existence
qu’à ce qu’en renvoie l’adversaire, elle n’est pas sans noblesse. C’est ce sentiment de
dignité qui détermine Édouard Lippmann, grand-père maternel de Robert Aron, à
déclarer à son interlocuteur qu’il renonce à entreprendre un voyage d’affaires en Russie
au motif qu’en tant que Juif, il était prié par les autorités consulaires de solliciter un
visa spécial : « Vous comprendrez facilement que le soin de ma dignité ne me permet
pas de quémander une autorisation pour pouvoir me rendre au pays où ma présence ne
sera que tolérée. J’aurais la plus grande honte à paraître disposé à subir une humiliation
qui frappe mes coreligionnaires. Je n’ai pas le moindre fanatisme religieux, je ne suis
pas pratiquant du tout, mais je ne viendrai en Russie que lorsque les portes seront lar-
gement ouvertes et quand je saurai pouvoir y porter partout la tête aussi haute qu’il
m’est permis de le faire dans tous les pays civilisés7. » La puissance de ce code d’hon-
neur explique pourquoi le philosophe Henri Bergson et l’historien Marc Bloch ont eu
dans leurs dispositions testamentaires respectives un réflexe identique : tout en ayant
déclaré sans ambages leur indifférence religieuse, leur désaffection communautaire,
leur éloignement de fait, ils se gardent tous deux de faire un geste ou de donner un
sens qui pourraient être interprétés comme une lâcheté vis-à-vis de leurs origines juives.
Bergson, dont le cheminement philosophique l’a conduit au seuil du christianisme, for-
mant le vœu qu’un prêtre vienne accompagner son inhumation, explique pourquoi il
  

s’est pourtant gardé d’abjurer la foi de ses pères : « Je me serais converti si je n’avais vu
se préparer depuis des années (en grande partie, hélas, par la faute d’un certain nombre
de Juifs entièrement dépourvus de sens moral) la formidable vague d’antisémitisme qui
va déferler sur le monde. J’ai voulu rester parmi ceux qui seront demain des
persécutés8. » Quant à Marc Bloch, exprimant le souhait que ne soit prononcée aucune
prière empruntée « aux effusions d’une orthodoxie dont [il] ne reconnaît point le
3/10 14/10/05 19:01 Page 1010

.    

credo », il s’empresse d’ajouter : « Mais il me serait plus odieux encore que dans cet
acte de probité personne pût rien voir qui ressemblât à un lâche reniement. J’affirme
donc, s’il le faut, face à la mort, que je suis né Juif ; que je n’ai jamais songé à m’en
défendre ni trouvé aucun motif d’être tenté de le faire9. »
C’est, en revanche, sous le signe de la solidarité collective que ces mêmes origines
juives sont assumées dans une première variante du franco-judaïsme qui a pour centre
de gravité la judaïcité, autrement dit, la participation aux institutions. Pratiqué surtout
par ceux qui, sceptiques ou agnostiques, ne se sentaient guère liés au judaïsme ni par la
foi ni par le culte, tel Adolphe Crémieux, fondateur de l’Alliance Israélite Universelle,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
il consiste à remplacer le sentiment religieux défaillant par la volonté ressentie de se
vouer au bien des Juifs défavorisés par le sort en France et dans le monde. La solidarité
horizontale ayant remplacé en eux la référence à la transcendance, ils jettent donc leur
dévolu sur une action philanthropique. Quand bien même ont-ils socialement réussi, ils
ne peuvent imaginer se conduire en parvenus qui auraient oublié leurs frères encore
réduits à la condition de paria, pour reprendre la conceptualisation arendtienne. Ils ne
sont pas loin du franco-judaïsme défini plus haut par Léon Halévy : pour assurer la
promotion sociale et la régénération culturelle des jeunes juifs à travers le monde, ils
prônent pour les enfants qui ont pris le chemin des écoles de leur réseau une formation
intellectuelle française et en français, l’instruction religieuse restant élémentaire et
effectivement secondaire. Toutefois, si cette trajectoire n’exclue pas une sortie indivi-
duelle hors de la communauté, elle reste fondée sur un sentiment aigu de responsabilité
intra-communautaire.
Le franco-judaïsme se décline autrement dans la sphère religieuse. Certes, l’israélite
se pense, d’abord, comme un citoyen français qui se rend à la synagogue, à l’instar de
nombre de ses concitoyens qui, eux, vont au temple ou à l’église. Mais la République
ne s’arrête pas au seuil de la synagogue : elle y pénètre sous la forme d’une bénédiction
dite à sa gloire. Les autorités rabbiniques ne se contentent pas de prier pour elle, ils
l’élèvent à la dignité d’une œuvre divine, et la voient comme un signe manifeste de la
Providence qui a élu la France. Bien plus qu’un ralliement, on souligne la compatibilité
ou, mieux encore, la convergence et l’harmonie entre les idéaux de la France de 1789 et
ceux du Décalogue. Ce n’est pas une mission civilisatrice que remplit la France, mais
une mission prophétique.
Cette « judaïsation » de la République ne favorise pas, cependant, l’essor de l’institu-
tion. Celle-ci enregistre, bon an mal an, une spiritualité en déclin, une désaffection
croissante des vocations rabbiniques et des pratiques religieuses. Le judaïsme devient
une religion bien-pensante, respectable, morale et humaniste à souhait. Mais à force
d’être ainsi épurée, elle apparaît édulcorée, ce qui l’expose à une contradiction inso-
luble : pourquoi maintenir des dogmes et des rites spécifiques de nature particulariste si
  

sa mission principale, comme elle le prétend, est la diffusion d’un message universel ? Il
est vrai que le mimétisme a ses limites : le noyau dur des croyances et les dispositions
fondamentales du rite restent intacts. Le Nouveau Testament et la messianité de Jésus
ne sont pas plus admises qu’auparavant. Et lorsque de nouvelles pratiques sont
empruntées à celles en usage dans la chrétienté – telles l’introduction de l’orgue et des
3/10 14/10/05 19:01 Page 1011

.   -

chœurs féminins, les sermons en français, la soutane aux rabats blancs des rabbins, la
présentation à la synagogue des nouveaux-nés, la quête lors des « communions » (bar-
mitzvah) et mariages, les fleurs et les couronnes recouvrant le cercueil, – on voit bien
que ce judéo-christianisme n’affecte que les marges du rituel juif10.
En ce sens, le franco-judaïsme relatif à la synagogue a moins été une rupture que
l’accomplissement d’une évolution prévisible : depuis l’apogée de la période médiévale
dominée par la figure de Rachi, la communauté juive de France avait cessé d’être un
foyer de religiosité ardente dans l’étude comme dans la prière.
Si le franco-judaïsme assume le caractère nécessaire et souhaitable de l’assimilation,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
il est tout autant sinon plus l’expression d’une volonté d’en définir les limites. C’est ce
qui explique, sans qu’on doive y voir une contradiction, que les mêmes qui ont pleine-
ment accepté, avec l’avènement de l’émancipation, la dissolution de la « nation » juive
et sa reconstruction en société religieuse parmi les confessions existantes n’en ont pas
moins souhaité et œuvré activement à la fondation d’une Société des Études juives, puis
à la publication régulière de la Revue des Études juives afin que tant l’histoire d’Israël
que celle des Israélites de France soit archivée, fouillée, exhumée et relatée selon les
critères scientifiques en usage.
On voit bien ce qui unit ces trois modalités franco-juives : la volonté pour les Juifs
d’être reconnaissants envers la France et d’être reconnus par elle, si ce n’est que cette
double aspiration portait en elle une contradiction qui parviendra à son paroxysme
avec l’affaire Dreyfus. Soucieux de se rendre utiles à la patrie et à la société qui leur ont
ouvert les portes de l’intégration et de démentir, du même coup, les préjugés tradition-
nels, voilà qu’en apportant les preuves de leurs compétences et de leur excellence, voilà
qu’en faisant la démonstration de leurs vertus, ils excitaient la jalousie et l’hostilité
d’une partie de l’opinion prompte à voir dans cette réussite sociale le fantasme d’un
complot juif.

L’AFFAIRE DREYFUS

Sur le plan culturel, ils sont de plus en plus nombreux les jeunes Français juifs qui
ont appris, par exemple, l’existence de la reine Esther par la tragédie de Racine, et non
par la lecture du rouleau éponyme lors de la fête de Pourim. Mais, même dans ce cas, à
la différence de leurs condisciples sur les bancs de l’école publique, ils ressentent peu
ou prou que cette reine ne leur est pas totalement étrangère. Cette distinction qui per-
dure ne joue pas uniquement dans l’appréhension de l’histoire et de la tradition juives,
elle ressort également dans la relation à la France et dans le type de patriotisme reven-
diqué. En apparence, il se présente en tout point semblable à celui de leurs conci-
  

toyens : il repose sur l’attachement à la terre et se nourrit de l’identification à l’histoire


de France multi-séculaire. Mais au sommet de l’engouement patriotique, on trouve la
fidélité de la nation à un idéal, à une abstraction, à des principes : ceux de la Révolu-
tion. Par là, la France n’est pas seulement grande, puissante, elle est juste ; par là, la
France est la réincarnation d’Israël. Il en résulte un patriotisme spirituel, d’une autre
3/10 14/10/05 19:01 Page 1012

.    

nature et d’un autre degré que le patriotisme charnel. Julien Benda encense l’idée de la
patrie élective à laquelle le citoyen s’identifie moins par le biais particulier et relatif des
paysages et du sol, que par le truchement des valeurs universelles et absolues qu’elle
proclame. Le patriotisme est le même, les médiations divergent. Dans une pièce résolu-
ment antisémite intitulée Le retour de Jérusalem (sic), l’auteur dramatique oublié Mau-
rice Donnay propose les siennes : « La patrie, c’est un coin de terre, un proverbe, une
rose qui porte son nom, une assiette peinte »; Benda, qui ne mâche pas son mépris,
récusent ces critères : « Une telle bassesse m’écœure. La France m’est autre chose qu’un
dicton provençal ou une recette poitevine. La sensibilité à sa terre, je la connais fort
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
bien. [...] Mais mon culte pour la France n’est pas là. Il est dans ma religion pour
l’idéal moral qu’elle incarne dans l’histoire. Le plus curieux est que ces patriotes à la
Barrès se réclament de la “vieille France”. Comme s’ils n’étaient pas les fils directs du
stupide chauvinisme du XIXe siècle. Comme si Bossuet ou Étienne Pasquier avaient
jamais aimé la France dans une assiette11. » Ce patriotisme spirituel, professé avec zèle à
grand renfort de superlatifs tressés à la gloire de la France, mérite qu’on y lise autre
chose qu’une expression exemplaire de l’assimilation. Il est tout autant une transposi-
tion de la tradition prophétique, laquelle exige qu’un pays, une terre soit jugée non à
ses qualités intrinsèques, mais aux actes qu’on y commet en son nom. Autrement dit,
derrière cette exaltation manifeste, il entre une subtile conditionnalité que dévoilera
l’affaire Dreyfus.
Le dénouement de l’affaire Dreyfus aux allures de happy end, le triomphe ultime de
la justice et de la vérité, la fidélité confirmée de la France aux principes de l’émancipa-
tion, l’alliance renouée et consolidée avec la République donnaient matière à penser
parmi les élites communautaires que l’affaire était une parenthèse. Certes, on se rendait
bien compte que l’antisémitisme qui avait resurgi avec la condamnation du capitaine ne
s’était pas dissipé avec l’amnistie, l’acquittement, la réhabilitation et la preuve établie
de l’innocence de Dreyfus. Mais au moins il y avait lieu d’être confiants et convaincus
que si l’antisémitisme venait à persister, la lutte contre ce fléau serait l’affaire de la
République : passé du côté de la « droite révolutionnaire », devenu un pilier idéologique
essentiel pour tous les ennemis de la République, l’antisémitisme, même s’il prenait les
Juifs pour cible spécifique, menaçait potentiellement le régime. Cette lecture politique,
somme toute réconfortante, permettait d’esquiver un jugement plus critique du com-
portement de la communauté durant l’affaire, une réflexion sur les limites effectives du
modèle israélite et la nécessité d’en tirer des conséquences. Face à la démission des
notables, à leur refus d’examiner leurs responsabilités et leur incapacité de penser les
lendemains d’un franco-judaïsme rudement secoué, c’est du champ littéraire et intellec-
tuel qu’allait naître la contestation et apparaître un renouveau. Quoi qu’on pense de ce
franco-judaïsme d’avant l’affaire Dreyfus, il n’avait pas particulièrement brillé sur le
  

plan artistique et littéraire. Aucune œuvre de fiction n’était apparue pour l’illustrer et
lui donner sa consécration. Inversement, la prise de conscience consécutive à l’affaire
allait engendrer une activité créatrice spectaculaire.
3/10 14/10/05 19:01 Page 1013

.   -

BERNARD LAZARE ET CHARLES PEGUY: UNE NOUVELLE ALLIANCE

Bernard Lazare en fut incontestablement le pionnier, et dès le début de l’affaire elle-


même ; attitude d’autant plus valeureuse qu’il avait lui-même démontré et défendu avec
véhémence un franco-judaïsme extrême confinant à la haine de soi. Rompant radicale-
ment avec ses positions antérieures, il revendiquait fièrement, désormais, sa nationalité
juive, plaidait la cause des minorités juives persécutées, et, à partir d’une affirmation
identitaire aussi nette, volait au secours de toutes les collectivités opprimées. Ce retour-
nement de Bernard Lazare, et qui va bien au-delà de son action en faveur de Dreyfus,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
est essentiel par le double écho qu’il a suscité : parmi de jeunes écrivains juifs d’une
part, auprès de Péguy d’autre part. Commençons par cette impeccable interprétation
que Péguy a faite de l’engagement de Lazare. En apparence, la dissidence de Lazare
par rapport à la communauté juive l’excluait d’Israël. Or, c’est Péguy qui, pénétré,
habité par Lazare, a discerné le caractère prophétique de son intervention, et l’a, du
même coup, réintégré dans l’histoire du peuple juif. Par une de ces intuitions fulgu-
rantes dont il a le secret, Péguy lui rend ainsi hommage : « Le prophète, en cette grande
crise d’Israël et du monde, fut Bernard Lazare. Saluons ici l’un des plus grands noms
des temps modernes, et après Darmsteter l’un des plus grands parmi les prophètes
d’Israël12. » Les pages impérissables de Notre Jeunesse attestent d’une perception radi-
calement neuve de l’homme juif reconnu dans son authenticité, dans sa densité, dans
son humanité et son exemplarité, dans son épaisseur spirituelle et historique, transcen-
dant les catégories par lesquelles Lazare se définissait. Il pouvait bien se déclarer libre-
penseur athée « positiviste, scientifique, intellectuel, moderne », tous ces qualificatifs
que toute une génération juive reprenait à son compte ne pouvaient travestir ce qu’était
Lazare profondément, essentiellement : « Un cœur qui saignait dans tous les ghettos du
monde, et peut-être encore plus dans les ghettos rompus, dans les ghettos diffus,
comme Paris, que dans les ghettos conclus, les ghettos forclus ; un cœur qui saignait en
Roumanie et en Turquie, en Russie et en Algérie, en Amérique et en Hongrie, partout
où le Juif est persécuté, c’est-à-dire, en un certain sens, partout ; un cœur qui saignait
en Orient et en Occident ; dans l’Islam et en Chrétienté ; un cœur qui saignait en Judée
même, et en même temps un homme qui plaisantait les Sionistes ; ainsi est le Juif ; un
tremblement de colère, et c’était pour quelque injure dans la vallée du Dniepr13. » Mais
peut-être et sinon plus impressionnant encore que cette identification du juif Lazare à
un prophète ; plus remarquable encore que cette description christique d’un Juif qui
souffre à toutes les humiliations et persécutions d’Israël ; plus que cette assignation
d’un Juif à cette charge d’être la conscience morale de l’humanité, c’est l’interprétation
qu’il donne de l’attitude réservée de la communauté face à Dreyfus, qui surprend :
  

Les politiciens, les rabbins, les communautés d’Israël, pendant des siècles et des
siècles de persécutions et d’épreuves, n’avaient que trop pris l’habitude, politique,
le pli de sacrifier quelques-uns de leurs membres pour avoir la paix, la paix du
ménage politique, la paix des rois et des grands, la paix de leurs débiteurs, la paix
des populations et des princes, la paix des antisémites. (…) Si on pouvait s’arran-
ger moyennant un silence entendu, acheter la paix en livrant le bouc, payer de
3/10 14/10/05 19:01 Page 1014

.    

quelque livraison, de quelque trahison, de quelque bassesse, une tranquillité pré-


caire. (…) Ils ont peur des coups. Ils en ont tant reçu. (…) Ils reconnaissent
l’épreuve avec un instinct admirable, avec un instinct de cinquante siècles. Ils
reconnaissent, ils saluent le coup. C’est encore un coup de Dieu. La ville sera
encore prise, le Temple détruit, les femmes emmenées. Une captivité vient, après
tant de captivités. (…) Puisqu’il faut y passer, ils y passeront encore.
Curieusement, Péguy ne blâme pas trop sévèrement la communauté d’avoir aban-
donné Dreyfus et d’avoir laissé Lazare tout seul dans l’arène : elle n’a fait que jouer son
rôle, celui qu’elle a toujours tenu dans l’histoire, justifié par tant d’épreuves passées.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
Bien sûr, entre les politiques et les mystiques, les stratèges et les héros, les parvenus et
les parias, les tenants du particularisme et les détenteurs de l’universel, les plaideurs de
l’éthique de responsabilité et les défenseurs de l’éthique de conviction, Péguy a fait son
choix. Mais l’un et l’autre sont complémentaires ; et les premiers sont nécessaires et
indispensables pour que puissent surgir les seconds qui vont rompre le silence de leur
cri prophétique, et qu’Israël accomplisse alors son destin, « forcée par une poignée de
factieux, une minorité agissante, une bande d’énergumènes et de fanatiques, une bande
de forcenés groupés autour de quelques têtes qui sont très précisément les prophètes
d’Israël14». En identifiant dans la tempête de l’affaire Dreyfus les protagonistes tradi-
tionnels de toute l’histoire juive, Péguy, d’une certaine manière, balaie la prétention de
l’Israélite d’incarner un nouveau type. Ils avaient beau s’être écartés de la voie de leurs
pères, s’être émancipés, voilà que leur métamorphose n’était qu’apparente et qu’ils
reproduisaient une constante du peuple juif.
Ce regard porté par Péguy sur Israël « forcée à sa propre grandeur » fut la première
tentative de dessiner un visage d’Israël débarrassé de toutes les défigurations et altéra-
tions qu’y avait imprimé un enseignement du mépris dispensé par l’Église catholique.
C’est moins tant le caractère pionnier de la démarche qui compte pour l’histoire cultu-
relle des Juifs de France que la valeur de référence qu’elle a constitué pour l’indispen-
sable révision des relations judéo-chrétiennes en France. C’est en lisant Péguy que toute
une génération catholique apprendra à se détacher de ce lourd héritage et à regarder
Israël avec les yeux de Péguy. C’est dans le sillon tracé par Péguy que se sont orientés
des intellectuels catholiques, au premier rang desquels il faut nommer Maritain, Mau-
riac, Mounier, Gaston Fessard. Mieux encore, il y eut même des Juifs dont la rencontre
avec Péguy au temps de l’affaire Dreyfus allait déterminer leur engagement futur, tel
Jules Isaac qui, bien des années après, un demi-siècle plus tard, entreprendra l’œuvre
salutaire pour nouer un dialogue avec l’Église et, plus généralement, les chrétiens.
  

LES RETOMBÉES CULTURELLES DE L’AFFAIRE DREYFUS

En dépit du « J’accuse » de Zola, de l’aventure des Cahiers de la Quinzaine du même


Péguy et du surgissement de « l’intellectuel » dans l’espace public, on s’en tient généra-
lement à une lecture politique de l’événement : la crise des institutions militaires, judi-
ciaires, ecclésiales, le rôle des leaders, Méline, Déroulède, Jaurès, Guesde et
3/10 14/10/05 19:01 Page 1015

.   -

Clemenceau, et l’attitude timorée des chefs et notables de la communauté juive mise en


évidence par Michaël R. Marrus. On s’est peu interrogé sur les répercussions littéraires
et culturelles de l’affaire : tout au plus a-t-on noté la parution de Vérité de Zola, trans-
position romanesque de l’événement ; la satire à peine voilée d’Anatole France, L’Île des
pingouins qui connut un grand succès public, et de Roger Martin du Gard, son Jean
Barois. Or, pour ce qui est de la communauté juive, les effets littéraires et culturels sont
impressionnants.
C’est, d’une part, une génération d’intellectuels d’origine juive qui se manifeste :
Benda, Blum, Durkheim, Mauss. Faut-il mentionner Proust ? Marqués par l’affaire
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
Dreyfus qui aura été leur baptême du feu, ils le resteront. Et cette empreinte durable
aura des implications directes sur l’appréhension de leur judéité, même si elle demeure
sous-jacente et implicite. Ainsi, par exemple, en désignant sa conception du devoir
intellectuel du nom de « clerc », Benda a trouvé sa référence dans le Moyen Âge chré-
tien – le clerc étant conçu à l’image du moine copiste poursuivant sa tâche désintéres-
sée de retranscrire sur parchemin les traités philosophiques grecs à l’écart des conflits
temporels dans la cité dont il s’était retranché. Et cependant, qu’est-ce que le clerc
sinon une réincarnation nouvelle du prophète d’Israël ? Non celui qui prédit l’avenir –
Benda n’en a cure – mais celui qui met en garde la cité contre ses agissements au nom
de valeurs éternelles transcendantes. Benda peut bien admirer Socrate : lorsqu’il vitu-
père – son mode préféré d’écriture et d’intervention dans le siècle – c’est le registre de
l’imprécation prophétique brève et tranchée qu’il emploie, non le discours éminem-
ment pédagogique et patient de la philosophie maïeutique. Fulminant contre la trahi-
son par les écrivains de leur vocation transcendante, il condamne et stigmatise leur
culte des valeurs terrestres dans les termes même de l’idolâtrie.
L’affaire Dreyfus, c’est aussi pour d’autres écrivains juifs tout aussi marqués par elle,
une prise de conscience de l’échec de l’israélité. En ce sens, Lazare a été entendu et
suivi. Péguy a forcé le trait en dénonçant « la méconnaissance totale, l’ignorance même,
la solitude, l’oubli, le mépris où on le laissa tomber, où on le fit tomber, où on le fit
périr. Où on le fit mourir15». Même si les derniers jours de l’auteur du Fumier de Job
ont pu justifier cette représentation lugubre de la désolation, il convient de rectifier une
appréciation aussi négative de sa postérité immédiate. Lazare n’eut pas à proprement
parler de disciples, mais on peut toutefois nommer ceux qui ont été frappés et inspirés
par son exemple. N’est-il pas significatif que ce soit un romancier et un poète : Edmond
Fleg et André Spire ? Leur œuvre littéraire comme leur action publique démontre une
indéniable filiation qu’ils ont, du reste, revendiquée. Impressionné et conquis par les
thèses exprimées par Bernard Lazare dans « Le Nationalisme juif », Edmond Fleg
découvre à son contact le sens de sa vocation littéraire : écrire « le roman du petit juif
qui essaie de détruire en lui le judaïsme aussi longtemps qu’il croit y voir une religion
  

ou une race, et qui retourne au judaïsme quand il a retrouvé une nation16».


L’un et l’autre perçoivent ce qui ne peut plus durer, ce qui a échoué : « Nous sommes
tous d’une prudence qui confine à la lâcheté ; nous tâchons de glisser inaperçu dans la
foule ; on nous remarque quand même, et notre hypocrite humilité est ce qui nous fait
le plus de tort17. » N’étant pas aux commandes de la communauté, il leur était difficile
3/10 14/10/05 19:01 Page 1016

.    

de transformer cette réalité collective, mais au moins pouvaient-ils commencer à le faire


par la création littéraire. Le franco-judaïsme comme théorie politique de l’intégration
des Juifs demeurait intact, mais il ne tenait qu’à eux d’impulser une nouvelle image à
partir du champ littéraire et intellectuel dans lequel ils jouissaient d’une bien plus
grande légitimité. Sans rompre frontalement, donc, avec le franco-judaïsme, ils s’effor-
cèrent, culturellement parlant, de lui faire subir un aggiornamento substantiel, impli-
quant, notamment, une assomption déclarée de leur identité juive, de leur solidarité
avec les Juifs à travers le monde et une approbation du sionisme.
Cette détermination à affirmer plus clairement et sincèrement leur identité juive pro-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
fonde correspond à cette « explosion mystique » que Péguy avait attribué à l’irruption
de Bernard Lazare. Elle marque, en tout cas, le décalage croissant entre une commu-
nauté revenue à ses certitudes d’antan et une école littéraire, en éveil, stimulée par
l’événement, et regroupée autour de revues, comme La Revue juive et les Cahiers juifs.
La première rupture est d’ordre nominal : ils s’en prennent à ces Israélites qui « trem-
blaient d’entendre prononcer le mot Juif dans un salon, dans une conférence, une salle
de théâtre, dans un cours ». Pour se libérer de cette censure, ils n’hésitent pas à user et
abuser de la redondance : « La jeunesse juive a repris conscience d’elle-même, mainte-
nant qu’il y a des pièces juives, des revues juives, des romans juifs, des poèmes juifs18. »
Éduquée et socialisée à se déclarer israélite, voilà que cette cohorte d’artistes assume
désormais le terme banni19, reprend à son compte tout un champ lexical de la judéité et
propose ainsi au lecteur des titres, aux allures de manifestes laconiques, qui eurent été
impensables quelques années avant : Poèmes juifs, Quelques Juifs et demi-Juifs (d’André
Spire), Lévy (de Jean-Richard Bloch), Jacob (de Bernard Lecache), Solal (d’Albert
Cohen), Esther de Carpentras d’Armand Lunel. Ils conservent même l’original araméen
de Chad Gadya d’Israël Zangwill, accueilli par Charles Péguy dans ses Cahiers de la
Quinzaine dès 1904, dans une traduction de Mathilde Salomon. Que disent-ils ? Ils
expriment un conflit de générations doublé d’un conflit culturel de classe. Leur souhait
est de rompre avec l’ethos de la bourgeoisie israélite :
Elle trouve que nous sommes trop voyants, pas discrets. Car, n’est-ce pas, dans un
pays de civilisation comme le nôtre, la bonne éducation c’est de ne pas se faire
remarquer.
On ne les remarquait pas, eux, leurs pères, ni leurs grands-pères. Ils étaient très
bien élevés, bien timides, bien sages. Ils avaient réussi à ressembler aux autres, à
tout le monde. Et quand leurs fils étaient les premiers en classe, mon Dieu ! je ne
dis pas qu’ils les grondaient, mais cela ne leur faisait pas tout à fait plaisir, parce
que cela aussi c’est se faire remarquer.
Ni à droite, ni à gauche, ni en haut, ni en bas, voilà leur Judaïsme! Quelque chose
  

de tranquille, de paisible, de plat, de terre à terre, et comme a dit le rabbin Julien


Weill, très juste milieu20.
Mais les exigences de la vie et de la littérature ne sont pas identiques. Si, dans la vie
quotidienne, il s’agit de rompre avec l’assimilation poussée à l’extrême de la simulation
(« Or, un jour vint où loin d’essayer de dissimuler nos différences, nous nous mîmes à
3/10 14/10/05 19:01 Page 1017

.   -

les affirmer, et crânement21»), en revanche, en littérature, ils travaillent à la fécondation


réciproque du patrimoine français et des sources juives auxquelles ils se retrempent :
« L’heure semble atteinte, en effet, où après avoir longuement, patiemment et, il faut le
reconnaître, servilement assimilé l’esprit littéraire français, les écrivains juifs accèdent à
des expressions plus hautes et plus courageuses par lesquelles, en s’accouplant à l’ima-
gination et la culture françaises, leurs dons naturels enrichissent celles-ci et s’enrichis-
sent eux-mêmes22. »
Ils conjuguent regard critique sur les avatars de l’identité juive en France ; ouverture
sur le monde juif, celui de Pologne et de Céphalonie qui débarque en France ; et l’es-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
poir dans les promesses de l’épopée qui s’accomplit en Palestine :
Un Peuple où il y aura des pères et des mères,
Mais aussi des garçons amoureux
Et des jeunes filles dansantes,
Des fronts tenaces des mains vaillantes
Mais des mains adroites aussi,
Qui, d’un peu de bois, de couleur, de toile,
Sauront faire naître des choses, des êtres,
Et glorifieront dans le marbre
Ta beauté renaissante23. («À la nation juive », 1918).
La renaissance juive en Palestine n’est pas seulement la victoire de la jeunesse et de la
beauté, elle est aussi le dépassement de l’interdit de la représentation, incompréhen-
sible pour un artiste. Quant à la renaissance du judaïsme, elle passe par une sécularisa-
tion de la sagesse, de la tradition et de l’histoire d’Israël : « Je n’enseignerais pas à mes
enfants la religion de mes pères, je voulais leur transmettre pourtant quelque chose
d’Israël24. »
Il ne s’agit évidemment pas de déserter la lutte contre l’antisémitisme, mais bien de
monter au créneau. Aux temps de La France juive de Drumont, il avait été décidé de res-
ter impassible, de refuser la polémique pour ne pas se rabaisser à ce niveau de calom-
nies. Changement d’époque : lorsque d’insidieuses affirmations laissèrent entendre que
les Juifs brillèrent par leur absence sur le champ de bataille en 1914, la réplique fut
ferme, rapide et argumentée. Et c’est André Spire qui s’acquitta de cette mission en écri-
vant Les Juifs et la guerre25. Il y avait bien du défi dans cette posture : « Et puisque du
nom de cette race on veut faire une injure, l’honneur exige qu’il en fasse un drapeau26. »
La communauté officielle ne s’est pas précipitée, on s’en doute, dans les bras de ces
enfants prodigues. Mais au moins une élite a été formée, et notamment au sein de la
jeunesse. Peut-on imaginer les éclaireurs israélites de France (les E.I.F.), le mouvement
scout juif créé après la Première Guerre mondiale, sans leurs mentors spirituels qui
  

n’étaient ni rabbins ni docteurs de la loi, mais poète et écrivain ? Or, c’est de cette jeu-
nesse formée à cette appréhension positive de leur identité qu’ont surgi, sous l’Occupa-
tion, les noyaux de la résistance juive.
Cette nouvelle manière d’intégrer la sensibilité juive dans la culture française a été
mieux accueillie sur la scène française que sur le front communautaire. Il est vrai
3/10 14/10/05 19:01 Page 1018

.    

qu’après la Première Guerre mondiale, la situation était plus propice à entendre ces
voix fières. Comme l’impôt du sang avait été payé, au vu des témoignages qu’il avait
recueillis du patriotisme juif, c’est Barrès en personne, celui-là même qui avait entendu
dans le « Je suis innocent » de Dreyfus, l’écho de la trahison de Judas Iscariote, qui
applaudit à cette renaissance juive, intégrant les Israélites parmi « les diverses familles
spirituelles de la France ».

L’HISTOIRE DE FRANCE REVISITÉE


Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
L’originalité de Fleg et Spire n’est pas d’avoir troqué une identité pour une autre,
mais d’avoir montré que cet engagement juif, y compris sioniste, sincère, déclaré, sans
réserve, n’affectait nullement leur amour de la langue française, de la France et de son
histoire. Fleg a montré, avec André Spire, qu’il était possible de concevoir et de vivre
un franco-judaïsme harmonieux, qui ne se paye d’aucune relégation, d’aucune dévalori-
sation ou dissimulation de l’un ou l’autre des deux aspects cultivés et vénérés. Ainsi en
patriote imbu d’histoire de France, Fleg a aimé et admiré Jeanne d’Arc, écrivant une
Sainte Jeanne en un acte en 1936. Péguy étant passé par là, Fleg la restitue dans sa sim-
plicité, non dans la pompe et le faste du culte qu’on lui a rendu. Dans la logique de ce
franco-judaïsme qui avait le sens de la vénération des grandes figures historiques, on
retrouve ces analogies qui apparaissent, aujourd’hui, excessives. À l’instar de James
Darmesteter décrivant Paris comme une « ville sainte », Fleg propose, à son tour, un
parallélisme audacieux entre Jeanne d’Arc et… Moïse : « L’appel des voix ! Quels sou-
venirs il ranime en moi! Moïse aussi fut berger, et il l’entendit, cet appel. Il lui fallut
aussi quitter le troupeau, quitter le repos, s’en aller au loin, libérer un peuple, parler à
un roi. (…) Cette vérité, comme Jeanne, il la tenait de Dieu27. » En apparence, Fleg
semble rester fidèle à cette thématique qui laisse penser à une substitution de Moïse à
Jeanne. Mais outre le fait que Fleg ne succombe pas à cette tentation, et qu’il y a place
en lui, et pour Moïse et pour Jeanne, si l’amour de la patrie reste intact, les mots pour
le dire ont changé. L’hommage est vibrant de dévotion, mais la page s’ouvre sur un
doute légitime et se clôt sur une prière qu’on n’aurait pu imaginer une génération aupa-
ravant. Avant que n’apparaisse sous sa plume le personnage de la bonne Lorraine, il
s’interroge sur la démarche même consistant pour un Juif à admirer une figure étran-
gère à son histoire : « Vais-je m’enorgueillir, fut-ce pour les exalter, des gloires d’un
passé dont les miens furent absents ? » Fleg n’esquive pas la confrontation : « Au temps
où la bergère de Domrémy venait à Chinon s’agenouiller devant son roi, elle ne rencon-
trait sur sa route aucun Juif : le bon roi de France les avait tous bannis. Si l’un de ces
perfides Hébreux s’était caché en quelque réduit, Jeanne, en sa pieuse candeur, ne
  

l’eût-elle pas bouté hors du royaume, avant même d’en chasser les Anglais ? » Fleg, en
ayant assez dit, se gardant de gloser et d’insister sur son probable anti-judaïsme, s’inter-
roge, lancinant, grave et puissant dans sa probité même, avec un accent cornélien :
« Que peut-elle donc être pour nous, qui ne fûmes rien pour elle ? 28»
Dans cette page écrite au lendemain de la victoire de 1918, à l’apogée du patriotisme
3/10 14/10/05 19:01 Page 1019

.   -

triomphant, Fleg évoque le soldat inconnu (qui « fut peut-être un soldat d’Israël »),
puis imagine les soldats juifs s’adressant à Jeanne et lui tenant ce langage : « Nous aussi,
nous l’avons rencontré, l’ennemi, dans ton beau royaume ; et cette France, que tu ne
délivras point pour nous, nous fûmes parmi ceux qui, pour toi, l’ont délivrée. (…) Ton
supplice, du moins, s’est terminé avec ta vie ; tes arrière-neveux mènent les cortèges qui
chantent à la terre entière ta glorification. Mais, pour nous, le martyre ne finit pas avec
la mort. L’horreur que nous avons connue, nos arrière-neveux après nous, la connaî-
tront ; comme nous, ils sentiront dans leur chair la corde et le couteau, le plomb et la
flamme. …29» C’est alors que les martyrs d’Israël s’adressent à elle pour une ultime
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
prière : « Enseigne-leur aussi l’espérance : puisque pour toi la justice est venue, elle vien-
dra peut-être un jour pour Israël!30»
On voit bien que l’affaire Dreyfus est passée par là, et qu’elle a imprimé dans ses
convictions le doute, en tout cas, une ambivalence. D’une part, la France s’est ressaisie,
de manière magistrale ; elle a su trouvé en elle les forces pour chasser le vieux démon,
comme aucune autre nation n’aurait pu et su le faire ; il n’en est pas moins vrai que
c’est dans la patrie des droits de l’Homme que l’affaire a eu lieu, que la calomnie a pris,
fut-ce provisoirement.
Encore Jeanne d’Arc fait-elle partie de la France pré-révolutionaire, mais qu’en est-il
de 1789? Fleg, sans minimiser sa portée, la considère avec une légère ironie, qui serait
certainement parue sacrilège aux élites intellectuelles juives de la génération précé-
dente. Parodiant un ton à la Jehan Rictus, un homme du peuple dégage la signification
égalitaire des droits de l’homme transcendant les convictions religieuses, proclamés par
les Constituants :
Ils te les donn’t tout comme
Si tu serais chrétien :
Pif droit ou pif crochu,
C’est tous le même jus ! (…)
Mêm, que tu s’rais païen :
On n’te demande rien,
Rien que d’être un citoyen !... »

Celui à qui il s’adresse n’est autre qu’Isaac Laquédem. Prié de rejoindre la commu-
nauté des citoyens français et de mettre ainsi un terme à sa marche, le Juif Errant s’in-
terroge, dubitatif :
Je s’rais tout comme un autre,
Pareil, ni moins, ni plus ?
J’cess’rais d’être un apôtre
  

Qu’chacun trouv’ biscornu ?


J’attendrai plus, benêt,
Ce qui n’arriv’ jamais ?

Je me ferais plus d’bile


3/10 14/10/05 19:01 Page 1020

.    

Au nom du genre humain ?


On me laiss’rait tranquille
Bêcher dans mon jardin ?
Quoi, je s’rais plus l’ Juif Errant ?...
Oui, – mais c’est pour combien d’ temps ?

N’import’ ! J’ m’allonge, en large !


J’ f’rai tout pour l’ fair’ durer !...
Et puis, s’il faut qu’ j’ remarche,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
Et ben ! j’ remarcherai ! !
En attendant, Messieurs,
J’remercie bien l’ bon Dieu !…

– Est-ell’ venue sur terre,


Par ces Constituants,
La fin de ta misère,
Mon pauvre Juif Errant ?
Peux toujours l’espérer :
Ca n’empêch’ pas d’ voter !31

Laquédem se voit offrir l’heureuse destinée de Candide. Il en prend acte, s’en réjouit,
mesure le caractère effectivement révolutionnaire de la proclamation. Sa mission serait
ainsi donc terminée : le Messie n’est plus à attendre puisque les temps messianiques sont
advenus et que les Constituants prennent en charge désormais la préoccupation de l’hu-
manité tout entière. Seulement, Laquédem n’a pas la certitude des apôtres du franco-
judaïsme. Il ne dédaigne nullement le repos qu’on lui offre, et avec sa sagesse et son
expérience bi-millénaire se contente de l’aubaine, quand bien même serait-elle une
pause. Autrement dit, la Révolution française est une percée inouïe, un pas de géant
dans l’accomplissement de l’humanité, et le droit de vote une liberté essentielle dans la
sphère politique : ils ne sont pas à eux-mêmes la fin de l’Histoire.
Dans une France qui a mal à ses minorités, la hantise est d’être renvoyé au ghetto de
l’exotisme juif et privé de reconnaissance en tant qu’artiste français. Il ne s’agit pas
d’être l’un ou l’autre, mais de conjuguer les deux ; Albert Thibaudet, le plus important
critique de l’entre-deux guerres, a bien défini l’objectif dans un article sur Marcel
Proust : introduire « dans notre complexe univers littéraire ce qu’on pourrait appeler le
doublet franco-sémitique, comme il y a des doublets littéraires franco-anglais, franco-
italien, comme la France elle-même est un doublet du Nord et du Sud 32».
  

UNE LITTÉRATURE JUIVE

Si l’on se réfère aux critères proposés par Régine Robin pour définir comme juive une
littérature écrite dans une langue non juive, nous nous trouvons avec cette création litté-
3/10 14/10/05 19:01 Page 1021

.   -

raire née dans le sillage du combat dreyfusard devant un cas exceptionnel, puisque cha-
cun des quatre critères est pertinent33. Lorsqu’André Spire écrit que « né de parents
juifs », il a vécu sa jeunesse dans « un milieu juif pas trop décomposé, et une assez forte
tradition juive, puis, s’est trouvé tout à coup plongé à Paris dans un milieu non juif34»,
cela vaut également pour ses confrères. Tous prirent part à la vie communautaire juive
tant par un engagement au sein de la Ligue des amis du sionisme que par une collabora-
tion à une revue littéraire juive ; enfin, de même que l’univers thématique où se meuvent
leurs personnages est juif, on peut en dire autant de leur écriture. C’est encore Spire qui
le déclare dans la préface de son recueil : « Nos poèmes sont des poèmes Juifs. Qu’on n’y
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
cherche pas toutefois des sujets bibliques ou post-bibliques. Nous n’avons aucun goût
pour le pastiche, l’archaïsme ou le faux-naïf. (…) Nos poèmes ne sont pas donc pas juifs
par le sujet ; ils le sont par le sentiment35. » Et cependant, il ne faut surtout pas sous-
estimer le fait que cette dimension juive, aussi décisive soit-elle, a été filtrée, passée par
un moule français ; qu’elle n’a pas pu se manifester autrement que par le biais d’une
langue qui n’est ni l’hébreu ni quelque autre langue juive. À cet égard, les Poèmes Juifs
de Spire, par exemple, ne devraient pas pouvoir être désignés comme tels. Non que le
truchement d’une langue étrangère affecte nécessairement le coefficient juif de l’œuvre
étudiée. L’idée est que ce truchement, cette médiation apporte aussi quelque chose à
cette judéité du thème ou du personnage ou de l’écriture et qui reste à déterminer. En
outre, cette judéité identifiée chez tel ou tel auteur ne signifie pas que toute son inspira-
tion va dans ce sens : lorsque Spire chante les Vosges, la Loire ou le Pays limousin, est-il
encore poète juif ou même franco-sémite, pour reprendre l’expression d’Albert Thibau-
det, ou bien poète français tout court ? Et que dire de Henry Bernstein, auteur d’Israël
et de Judith, mais dont tout le reste de l’œuvre est étranger à cette thématique spéci-
fique ? Il en est de même pour Georges de Porto-Riche. Aucun de ses héros n’est juif, et
pourtant il fut désigné en son temps comme le « Racine juif 36 ». Et s’il peut être pertinent
sur un plan culturel de s’interroger sur la propension – non la proportion – de Juifs qui
écrivent pour le théâtre, quoi qu’ils écrivent, ce n’est pas de « Théâtre juif » qu’il s’agit
alors, mais de « Juifs au théâtre37». Cette sincérité juive assumée appelait de la part des
auteurs une disposition équivalente à souligner les défauts des Juifs comme à encenser
leurs vertus ; à manier la caricature autant que le genre épique. Albert Cohen fit les frais
de cette liberté de ton lors des représentations d’Ezéchiel à la Comédie-Française. La
pièce fut un échec cuisant et ne trouva nul allié : les israélites s’étaient évidemment offus-
qués d’une représentation si outrée des personnages juifs ; les antisémites étaient indi-
gnés de voir la première scène nationale accaparée par les Juifs ; tandis que les libéraux
estimaient qu’une telle charge risquait d’attiser les tensions.
  

VICHY

Avec la Seconde Guerre mondiale, la débâcle militaire et l’armistice, cette quête


d’une identité franco-juive, d’une sensibilité judéo-française, d’un doublet franco-
sémite, devait être brutalement interrompue. Avec Vichy, on ne pouvait jamais être que
3/10 14/10/05 19:01 Page 1022

.    

l’un ou l’autre, jamais l’un et l’autre. Et être l’autre, c’est-à-dire juif, menait alors par
wagon plombé à Auschwitz via Drancy, comme ce fut le lot de Max Jacob, malgré sa
conversion, et de Tristan Bernard, lequel, arrêté par la Gestapo, dit à son épouse :
« Soyez tranquille, mon amie, nous avons vécu jusqu’ici dans la crainte, maintenant
nous allons vivre dans l’espoir. » Au temps de la quête succède le temps de la perte :
perte de la dignité civique, des droits élémentaires, de son travail et des moyens de sub-
sistance, défaite des valeurs républicaines ; perte des siens, des proches et des lointains.
Français, Français juif ou juif Français, on n’était plus que Juif désormais. La Résis-
tance juive, peu à peu, s’organise avec ses réseaux clandestins, ses groupes locaux et ses
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
missions urgentes : cacher les enfants. Pour sauver leur peau, certains dissimulent leur
judaïsme, se déclarent catholiques, se font baptiser et verront bien ensuite comment
déterminer leur identité véritable. Contre l’exclusion des Juifs de la communauté natio-
nale décrétée par Vichy, des écrivains répondent, dans le droit fil du franco-judaïsme
historique, par un engagement patriotique dans la résistance spirituelle : Joseph Kessel
(Le Chant des partisans), Vercors (Le Silence de la mer puis La Marche à l’Etoile : «Ô
Dieux! fallait-il vraiment que ce fut pour finir, cette étoile-là? »); et jusqu’au chant
d’exil bouleversant composé par le poète surréaliste Pierre Unik :
Ô mon pays ! c’était bien vrai que je t’aimais
Comme on aime une femme
[...]
C’est toute notre histoire et toute ma musique
Vibrant comme une corde38.
Il est aussi des voix pour dire la singularité tragique du destin juif, tel Benjamin Fon-
dane :
Et pourtant, non
Je n’étais pas un homme comme vous. (…)
vous n’avez pas erré de cité en cité
traqué par les polices,
vous n’avez pas connu les désastres à l’aube,
les wagons de bestiaux
et le sanglot amer de l’humiliation,
accusé d’un délit que vous n’avez pas fait,
d’un meurtre dont il manque le cadavre,
changeant de nom et de visage
pour ne pas emporter un nom qu’on a hué
un visage qui avait servi à tout le monde
  

de crachoir. (…)
Souvenez-vous seulement que j’étais innocent
(Préface en prose, 1942)
3/10 14/10/05 19:01 Page 1023

.   -

LES CONDITIONS D’UN RENOUVEAU

Pour les rescapés, la fin de la guerre marque le début d’un mutisme de plus de qua-
rante ans. Celui-ci s’imposait pour les survivants pressés d’oublier ce qu’ils avaient vécu,
soucieux de se donner une raison de vivre en fondant une famille ou en militant pour le
Parti. Ils ne demandaient qu’à se fondre dans le tissu social ambiant, d’autant que d’une
manière insidieuse, une campagne de presse les mettait en garde de ne pas se montrer
trop revendicatif, de rentrer dans le rang sous peine de réveiller l’antisémitisme. Le
temps y pourvoirait … ou n’y pourvoirait pas. Cependant, le silence des survivants ou la
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
surdité de ceux auxquels ils auraient voulu s’adresser ne caractérise nullement les insti-
tutions et les milieux intellectuels juifs. Outre la fondation du C.R.I.F., première organi-
sation à vocation politique chargée de veiller aux intérêts de la communauté juive et de
gérer les relations avec les pouvoirs publics, les réseaux de résistance juive eurent le
souci de poser les bases institutionnelles et intellectuelles du renouveau en France : créa-
tion de l’U.E.J.F. (l’Union des Etudiants Juifs de France), ouverture de l’École Gilbert
Bloch d’Orsay destinée à former des élites spirituelles capables de prendre la relève d’un
judaïsme moribond en mettant l’accent sur l’étude du patrimoine biblique et talmu-
dique 39. L’existence du C.D.J.C. (Centre de Documentation juive contemporaine),
fondé pendant la guerre en 1943, montre bien que cette volonté d’oublier réclamée par
les individus ne correspond guère à l’état d’esprit des institutions. Du reste, on ne se
contente pas de rassembler archives et documents relatifs aux Juifs et à leurs persécu-
teurs, on s’efforce de les publier. Certes, si les ouvrages font largement état des culpabili-
tés allemandes, ils se montrent plus discrets pour dénoncer les complicités françaises.
Un jeune historien, Léon Poliakov, y mûrit un projet ambitieux : retracer en une vaste
synthèse un phénomène millénaire et planétaire dont on n’avait jamais encore fait le
récit exhaustif : L’Histoire de l’antisémitisme. Cette fois la « part maudite » française n’est
pas occultée, comme en témoigne le sous-titre du troisième tome, qui épingle au passage
une des plus grandes gloires littéraires de la France : De Voltaire à Wagner.

LE DIALOGUE JUDÉO-CHRÉTIEN

Une autre initiative d’une envergure analogue habite au même moment Jules Isaac,
le compagnon de Péguy et l’auteur des manuels d’histoire de la IIIe République : repé-
rer à travers l’histoire la permanence d’un anti-judaïsme chrétien qui a nourri l’antisé-
mitisme moderne40. Ce travail d’érudition scientifique sur la Genèse de l’antisémitisme
n’était pas guidé par le seul souci de la connaissance, pas plus qu’il n’était inspiré par
un stérile ressentiment. Son œuvre ne se voulait pas inutilement polémique mais visait à
  

établir sur une base saine, sans complaisance ni malentendus, un dialogue judéo-chré-
tien qui fut scellé en 1947 à Seelisberg. Sollicité, quelques années plus tard, par le pape
Jean XXIII, Jules Isaac insista auprès de lui pour que fût adoptée par le Concile une
déclaration pontificale lavant les Juifs de l’accusation de peuple déicide (Nostra Aetate,
1965). Après avoir confronté l’Église à sa longue tradition anti-judaïque, il lui fallait
3/10 14/10/05 19:01 Page 1024

.    

encore exhumer devant elle les racines juives du christianisme et de Jésus. Même après
sa disparition, cet effort s’est poursuivi et a pris la forme d’une réflexion théologique
approfondie sur la césure que représente la Shoah pour l’Église catholique, et sur sa
responsabilité spirituelle du fait que l’extermination des Juifs a été conçue et mise en
œuvre en terre d’Europe évangélisée. Cet effort remarquable a été accompli grâce aux
efforts du révérend père Riquet et au travail érudit du Père Bernard Dupuy et du Père
Jean Dujardin nommés à la tête de la commission de l’Épiscopat pour les relations avec
le judaïsme. Il va sans dire que l’implication personnelle des plus hauts représentants
de l’Église de France, Mgr Elchinger, évêque de Strasbourg, Mgr Decourtray, primat
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
des Gaules, enfin, l’archevêque de Paris, Jean-Marie Aaron Lustiger, a favorisé les rap-
prochements, et notamment en période de crise lors de la gestion de l’affaire délicate
du Carmel d’Auschwitz. La sincérité, l’authenticité, l’intensité du dialogue n’a pas
échappé aux interlocuteurs juifs, tels André Neher ou Léon Askénazi hier, René-
Samuel Sirat et Gilles Bernheim aujourd’hui. À cet égard, les amitiés judéo-chrétiennes
de France réunies autour de la revue Sens constituent un exemple singulier comparé
aux initiatives qui ont cours dans d’autres pays, en Israël et aux États-Unis notamment.
Notons, pour finir, le rôle à part, mais essentiel, d’André Chouraqui. En proposant
sa traduction originale de la Bible hébraïque et des Évangiles qu’il a, du reste, fait
paraître chez un éditeur catholique – Desclée de Brouwer – Chouraqui a révélé au lec-
teur l’originalité et l’authenticité du verbe hébraïque restitué en français dans sa litté-
ralité.

DE SARTRE À SCHWARZ-BART

La condamnation de l’antisémitisme bénéficia d’une consécration majeure avec la


publication des Réflexions sur la question juive (1946). Décréter que l’antisémitisme n’est
pas une opinion, que nul homme n’est libre là où un Juif est opprimé palliait amplement
les insuffisances des analyses de Sartre et sa connaissance limitée du judaïsme. Il offrait sa
caution prestigieuse à des Juifs troublés et complexés par leurs origines.
Toutefois, la réflexion sur la question juive ne fut pas le seul fait de Sartre. Dans les
années qui suivirent la Libération, plusieurs ouvrages collectifs réunissant les plus
grandes plumes intellectuelles juives tentèrent d’apporter leur pierre à l’édification
impérative d’un judaïsme français après la Shoah. La réintégration au sein de la commu-
nauté nationale explique qu’on n’y trouve guère d’analyse politique relative à la France
de Vichy. Aussi c’est l’aspect patrimonial qui l’emporte dans l’espoir que devant un tel
héritage de sagesse, de législation, de morale, de littérature et de poésie, le lecteur juif
  

veuille bien en être l’héritier. Edmond Fleg publie la dernière édition remaniée et défini-
tive de son Anthologie juive, qui fut longtemps le bréviaire de toute famille juive. Les
Cahiers du Sud éditent leur numéro spécial : « Aspects du génie d’Israël » tandis que la
revue Confluences dresse un « Bilan juif ». « Un peuple exterminé », « L’agonie d’un
peuple » – la Shoah reste omniprésente dans ces pages comme dans celles qui s’écrivent
dans le registre de la fiction. Là aussi l’histoire littéraire défait les certitudes établies rela-
3/10 14/10/05 19:01 Page 1025

.   -

tives à une littérature française de la Shoah qui ne serait apparue qu’à la fin des années
1960 avec Perec et Modiano. C’est en 1952 que Manès Sperber fait paraître son récit
Qu’une larme dans l’océan, augmenté d’une préface d’André Malraux ; en 1958 qu’Elie
Wiesel publie le premier tome de sa trilogie – La Nuit – avec une introduction de Fran-
çois Mauriac ; en 1966, que Jean-François Steiner fait scandale avec sa fiction Treblinka
malgré la caution que lui apporte Simone de Beauvoir. On peut voir dans cette interven-
tion des grands aînés un procédé usuel de stratégie littéraire. Il n’est pas interdit d’y voir
aussi l’expression d’une prise de conscience du génocide plus aiguë et mieux partagée
qu’on ne veut bien l’admettre sous prétexte que le procès Eichmann n’avait pas encore
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
eu lieu. En 1959, André Schwarz-Bart livre son récit Le Dernier des Justes et devient lau-
réat du Goncourt. Outre Schwarz-Bart, le même jury décerne le prix à Roger Ikor pour
Les Eaux mêlées en 1955 et à Anna Langfus pour Les Bagages de sable en 1962. Cette
reconnaissance critique, confirmée ensuite par les lecteurs – le Schwarz-Bart est en tête
de tous les Goncourt depuis la création du prix – témoigne d’une préoccupation pour la
« chose juive » qui n’a pas attendu la guerre des Six Jours et Mai 1968 pour se manifes-
ter. Paradoxalement, c’est dans les pages littéraires des périodiques juifs que les polé-
miques internes rebondissent et que les malentendus sur le livre se multiplient41.
Provincialisme ? Conviction intime qu’on ne saurait avoir écrit le livre sur Ausch-
witz ? Quoi qu’il en soit, écrire ou non après Auschwitz n’est pas le seul terrain de
controverse – ce qui montre, une fois de plus, que la vitalité renaît.

L’INSTRUMENT DU RENOUVEAU: LES COLLOQUES

Une autre bataille s’engage entre historiens positivistes et philosophes existentiels


juifs. Ces derniers prônent, en effet, un autre judaïsme que celui qu’ils jugent sec, pous-
siéreux et embaumé s’il se consomme et se consume dans la torpeur de la recherche
savante, érudite et académique, directement inspirée de la Wissenchaft das Judentum, et
que défend Georges Vajda à l’École Pratique des Hautes Études et dans la Revue des
Études juives. André Neher et Emmanuel Levinas proposent une approche moins
rigide et moins stricte, une approche herméneutique qui restitue à l’homme juif d’après
la Shoah la capacité d’interroger le texte à partir de ses préoccupations immédiates, la
faculté d’interpréter son temps à l’aide des sources et de poser la question du sens.
Pour rayonner dans la communauté juive, cette quête va trouver en 1957 la structure
adéquate nécessaire avec l’organisation annuelle des Colloques des intellectuels juifs de
langue française (CIJLF). Le modèle n’a rien d’original : il est emprunté à la Semaine
des intellectuels catholiques, lesquels ont obtenu par ce biais une visibilité publique
dans le champ intellectuel. Ces colloques deviennent très vite un lieu de réflexion
  

majeur, un pôle de rassemblement pour redéfinir une identité juive collective après la
Shoah. Les inter ventions et les débats sont conçus et dispensés par les disciples de
Jacob Gordin, les animateurs de l’école d’Orsay, Léon Algazi, Léon Askénazi, Jean
Halperin, Emmanuel Levinas et André Neher ; y prennent part également des penseurs
qui, parallèlement à leur activité de philosophie générale, développent à travers les col-
3/10 14/10/05 19:01 Page 1026

.    

loques une réflexion juive, tels Vladimir Jankélévitch et Jean Wahl ; enfin, des intellec-
tuels non-religieux ou a-religieux, tels Georges Friedmann, Albert Memmi et Wladimir
Rabi. Le judaïsme n’est plus l’apanage des rabbins du Consistoire et des historiens du
judaïsme, mais celui de pédagogues, de philosophes, de penseurs qui revendiquent tous
le titre d’intellectuels. Forts de cette légitimité, ils définissent en termes d’éthique un
judaïsme qui se renouvelle par les questions qu’il pose au monde et que le monde lui
pose. Le pari est-il gagné? Si l’on se réfère aux élites intellectuelles qui affluent aux col-
loques, le judaïsme d’avant-guerre qu’Edmond Fleg et André Spire avaient tenté de
secouer s’est, à coup sûr, métamorphosé. Le ressourcement se confirme sans rien lâcher
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
de la modernité philosophique. L’auditoire non-juif, quant à lui, n’a pas encore modifié
sa perception profonde du judaïsme. Qu’il soit croyant ou non, la Bible est toujours
perçue comme l’Ancien Testament, et donc archaïque et dépassé, tout juste bon à ins-
pirer à Claudel des exégèses, tandis que le Talmud reste à ses yeux une ratiocination
sans intérêt. Si quelque chose l’attire, ce serait plutôt Israël où bat et vibre un cœur
neuf – ce que confirme, en l’occurrence, Georges Friedmann lorsque, de retour d’Is-
raël, il s’interroge, en 1965, sur la Fin du peuple juif?
Sur le front communautaire, une autre bataille est livrée : l’accueil des Juifs d’Algérie
rapatriés d’urgence en métropole avec la proclamation de l’indépendance algérienne.
Les problèmes d’intégration culturelle et d’insertion professionnelle coïncident avec le
développement des sciences humaines. L’enquête sociologique l’emporte sur les disci-
plines traditionnelles comme l’histoire et la philosophie. Albert Memmi, né à Tunis,
s’impose comme la figure intellectuelle de référence, surtout depuis qu’il a publié en
1962 son Portrait d’un juif. En définissant la condition juive comme une condition
opprimée, il met la judéité au diapason des idéologies tiers-mondistes et révolution-
naires et la pense en terme de libération à venir.

MÉDIATIONS ET MÉDIATEURS

Le savoir intellectuel comme la création littéraire a besoin de réception, et pour la


favoriser, de médiations. Celles-ci sont constituées par les revues, les collections, les
émissions de radio et de télévision, et supposent donc des médiateurs qui, auprès d’un
public restreint ou élargi, remplissent cette mission de diffusion. Autant que les Col-
loques ou les publications individuelles, ces médiations ont joué un rôle important.
Notons, par exemple, la présence de collaborateurs juifs réguliers dans les revues qui se
disputent l’hégémonie intellectuelle. Souvent membres à part entière du comité de
rédaction, ils introduisent réflexions ou débats relatifs à la condition juive, au judaïsme
  

et à Israël : successivement, Wladimir Rabi, Alexandre Derczansky, aujourd’hui Daniel


Lindenberg pour la revue Esprit; Robert Misrahi, puis Claude Lanzmann pour les
Temps Modernes (et dont il est le rédacteur en chef depuis la disparition de Simone de
Beauvoir); François Bondy pour la défunte revue Preuves. On trouve également des
personnalités non-affiliées à une revue spécifique, tels Pierre Paraf, Jacques Nantet et
Jacques Madaule, Elian-J. Finbert et Jean Blot.
3/10 14/10/05 19:01 Page 1027

.   -

Alors qu’avant-guerre il n’existait péniblement que la collection « Judaïsme » dirigé


par Edmond Fleg aux Editions Rieder pour constituer une bibliothèque juive cohé-
rente, les collections à thématique juive se sont multipliées depuis la fin des années
1950: Aleph aux Editions de Minuit ; Sinaï aux Presses Universitaires de France (his-
toire et philosophie); Présences du judaïsme chez Albin Michel (judaïsme) et à partir
des années 1970, la collection Diaspora dirigée par Roger Ererra chez Calmann-Lévy.
Tenant compte de l’ignorance résultant de la déjudaïsation, les revues juives partagent
une approche didactique : très peu de politique et beaucoup de savoir dispensé dans un
souci de vulgarisation dans les sommaires d’Évidences (1949-1963) ou de la plus éphé-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
mère Revue de la Pensée juive dirigée par Robert Aron et André Zaoui. Arnold Mandel
tient avec autorité la chronique littéraire dans la presse juive, et notamment dans
L’Arche. Victor Malka, par la plume et la voix à France-Culture ; Salomon Malka à la
radio et par le livre également ; enfin, Josy Eisenberg qui donne du judaïsme une image
stimulante et diversifiée avec son émission religieuse hebdomadaire La Source de vie.
Les deux premières décennies qui suivent la Libération sont des années de reconstruc-
tion placées sous le signe de la croissance économique d’une part, et de la décolonisation,
d’autre part. Elles commencent, pour les Juifs, avec le retour des déportés, leur réinser-
tion nationale, professionnelle, juridique et politique ; elles se terminent avec le « rapatrie-
ment » de plus de cent vingt mille juifs d’Algérie en quête également de réinsertion
sociale et économique. Deux épreuves majeures pour une communauté qui s’est dotée
d’un organisme politique de faible visibilité et maintient sa structure consistoriale, quand
bien même elle ne répond plus tout à fait à ses besoins. C’est, donc, dans l’espace intellec-
tuel et littéraire que les évolutions sont les plus significatives. Le judaïsme connaît un
renouveau intellectuel grâce à l’apport de philosophes et de penseurs soucieux de
confronter modernité et judaïsme, tandis que quelques écrivains parviennent à susciter
un véritable intérêt public et critique. Cependant, ces signes de changement ne semblent
pas avoir prise sur les Juifs. Ils restent globalement à la périphérie.

1967-1968

L’affaire est entendue : la Guerre des Six Jours, et un an plus tard, Mai 68 ont été,
coup sur coup, deux électrochocs qui ont transformé les Juifs de France. Pas dans le
même sens, pas au même rythme. Mais grosso modo, par rapport à ce moment de l’his-
toire il y a là un avant et un après. C’est tout d’abord l’élan de solidarité spontanée res-
sentie par des Juifs de toute obédience, condition et famille politique : le sort de l’Etat
d’Israël, que l’on se représentait jusque-là comme un petit pays lointain, distinct et dis-
  

tant de la diaspora, devenait, à la veille d’une guerre imminente, subitement familier ;


juif en quelque sorte, par la répétition de l’horreur que ses voisins arabes préméditaient
en clamant leur souhait de « jeter les Juifs à la mer ». Six jours après, une victoire-éclair
dissipait, certes, l’angoisse collective, mais gonflait, en revanche, un sentiment de fierté
inédit après deux millénaires d’humiliations et d’oppressions. Plus que le renversement
d’alliance décrété par De Gaulle, c’est la petite phrase prononcée lors de la conférence
3/10 14/10/05 19:01 Page 1028

.    

de presse du 27 novembre qui allait précipiter le changement. Entre Claude Lévi-


Strauss qui soupçonnait la communauté juive de double allégeance et Raymond Aron
qui accusait le Général de réhabiliter l’antisémitisme, c’est Aron qui avait raison42. Son
intervention signait le début d’une nouvelle ère entre les Juifs et la République, entre
les Juifs et Israël : dans le rapport au pouvoir d’État, on rompait avec la prudence tradi-
tionnelle, on donnait libre cours à son indignation en tant que juif ; on appelait un chat
un chat et un scandale un scandale ; tandis que dans le rapport à Israël, Raymond Aron,
le cérébral, l’esprit maître de ses passions, le disciple le plus achevé de Tocqueville et
de Max Weber, l’éditorialiste tempéré du Figaro, l’idéal-type de l’Israélite français qui
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
n’avait pas renié ses origines, mais ne s’était jamais trop préoccupé d’Israël, du
judaïsme et du fait juif, avouait : « l’éventualité même de la destruction d’Israël (…) me
blesse jusqu’au fond de l’âme43». La métamorphose est impressionnante : Israël, qui fai-
sait à peine ou si peu partie du regard que les Juifs portaient sur eux-mêmes, prenait
désormais une place significative. Qu’on le soutienne inconditionnellement, qu’on
vibre pour lui dans ses épreuves ou même qu’on lui tienne rigueur de ne pas être ce
qu’un État juif aurait dû être – une cité juste et exemplaire –, Israël ne laissait plus les
Juifs indifférents : il devenait pour la plupart une référence, pour beaucoup un pôle
d’attraction, et pour une poignée, un objet de répulsion.
Un an plus tard, Mai 68 apportait aussi son content de dimension juive : les princi-
paux leaders de la révolte étudiante sont juifs, et leur judaïsme, s’il est tout aussi distant
de toute pratique ou croyance religieuse, se profile sous la forme du messianisme révolu-
tionnaire qui les anime. Mais voilà que cette judéité qui relève de la biographie person-
nelle participe de l’événement : en signe de solidarité avec le premier d’entre eux, Daniel
Cohn-Bendit, qui avait été frappé d’une interdiction de séjour prononcée par le pouvoir
gaulliste et à propos duquel le parti communiste avait fait allusion à ses origines étran-
gères, voilà que spontanément la foule étudiante scande dans les rues de Paris le slogan
mémorable : « Nous sommes tous des juifs allemands. » Soixante-treize ans après la
dégradation de Dreyfus place des Invalides, vingt-six ans seulement après la rafle du Vel
d’Hiv, quelque chose de radicalement nouveau avait eu lieu ; la judéité n’était plus une
insulte qui justifiait qu’on la dissimule, qu’on l’euphémise par le terme d’Israélite, qu’on
la tienne recluse dans le foyer familial ou dans les murs de la synagogue, elle devenait
une identité publique44. Or, cette formule n’allait pas demeurer à l’état d’exception : sur
ce modèle, sept ans plus tard, en 1975, un jeune homme de trente ans qui avait défrayé
la chronique judiciaire par sa condamnation à la réclusion criminelle pour le meurtre
présumé de deux pharmaciennes à Paris – Pierre Goldman – enfonçait le clou en titrant
son livre : Souvenirs obscurs d’un Juif polonais né en France. Cela n’était encore rien : en
plus du titre éloquent, le signifiant juif venait sous sa plume à chaque page, et souvent
  

plusieurs fois dans la même page. Comme une litanie, il clamait haut et fort son identité
sans honte, sans réticence ni timidité, avec une assurance, une spontanéité, une aisance,
comme jamais personne n’avait osé le faire en France auparavant. En exergue, une
déclaration de Léopold Trepper : « Je suis devenu communiste parce que je suis juif »;
L’incipit ? « Je suis juif. Je suis d’origine juive et je suis juif. (…) Je suis né juif et en dan-
ger de mort. Je n’avais pas l’âge de combattre, mais à peine en vie, j’eus l’âge de pouvoir
3/10 14/10/05 19:01 Page 1029

.   -

périr dans les crématoires de Pologne45. » Évoquant son procès, il s’émeut : « Il y eut la
solidarité des Juifs. Des Juifs qui se tenaient pour Juifs et des Juifs qui ne se tenaient pas
pour Juifs. De Juifs communistes et de Juifs conservateurs. De juifs sionistes, antisio-
nistes et non sionistes. Tous, dans ce procès, avaient senti qu’ils étaient juifs, que j’y avais
été totalement juif, pour moi, pour les Juifs, pour les autres. (…) Cette solidarité pure-
ment juive me bouleversa ; j’eus un instant un accès de mysticisme judaïque. » Ce senti-
ment profond l’emporte même sur la fraternité idéologique au point de faire cet aveu si
surprenant pour un révolutionnaire, traditionnel compagnon de l’universel : « Il y avait
eu la colère massive des gauchistes les comités, les meetings. Je ne reniais pas cette soli-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
darité, mais j’y étais encore dépossédé de mon identité, possédé46. »
Il est sans doute hasardeux d’avancer que la jeunesse juive étudiante passée par Mai
68, après avoir tenté l’aventure gauchiste, maoïste ou trotskiste, a lu Goldman et a été
saisie par le vertige de cette affirmation identitaire (qui, de surcroît, ne présentait rien
d’ethnocentrique ni d’agressif). Cependant, ce qui se décline aujourd’hui sans com-
plexe doit plus qu’on ne pense à cette démonstration identitaire dont il fut le pionnier.
Goldman a touché là un point faible de l’engagement révolutionnaire lorsqu’au nom de
la lutte nécessairement étendue à l’humanité toute entière, le juif, et le juif seulement,
se sent naturellement porté à gommer son appartenance propre, sa généalogie singu-
lière. Il est encore plus frappant de constater que, bien des années avant que l’historio-
graphie n’évolue dans ce sens, Goldman avait pressenti comment celle-ci pouvait
confisquer une mémoire collective. Évoquant l’épopée de la résistance juive durant la
Seconde Guerre mondiale, il s’inquiète : « Mais qui conserve la mémoire de ces géants,
le souvenir de leur combat, puisqu’ils figurent dans les diverses hagiographies consa-
crées à la résistance, comme Polonais, Roumains, Hongrois, sauf dans certaines
ouvrages de diffusion restreinte, presque confidentielle, destinée aux Juifs47 ? » Cette
mémoire détournée pour alimenter les mythologies nationales n’allait pas tarder à être
restituée à qui de droit.
Peut-on se contenter de n’y voir qu’une coïncidence ? Au « Juif polonais » de Gold-
man répond étrangement une expression qu’Albert Memmi avait forgé à la même
époque pour désigner les Juifs du monde arabo-musulman : des « Juifs arabes », disait-
il. Si elle n’a pas fait recette auprès des séfarades pour d’évidentes raisons liées au
conflit, au moins participe-t-elle de la même orientation intellectuelle et de la même
conjoncture : n’est-ce pas le reflux des idéologies universalistes au milieu des années
1970 qui a conduit les uns et les autres à regarder du côté de chez soi ? À fouiller inten-
sément dans ses racines après des années de mépris pour ce qui apparaissait souvent
comme un archaïsme48 ?
Quand bien même des événements politiques (juin 67 et mai 68) ont impulsé le chan-
  

gement, on voit bien que ce n’est pas dans la sphère politique que les répercussions les
plus significatives se sont produites. Et s’il y en eut, elles se sont confondues avec l’évo-
lution globale de l’ensemble des Français : les Juifs qui, selon le témoignage d’Aron,
avaient pleuré après la conférence de presse « parce qu’ils perdaient leur héros » cessè-
rent de voter gaulliste ; au parti communiste, les camarades des cercles yiddish qui
avaient souhaité secrètement la victoire d’Israël tirèrent eux-mêmes les leçons de leur
3/10 14/10/05 19:01 Page 1030

.    

dissidence par rapport à la ligne officielle en s’éloignant peu à peu du parti, alors même
que les plus militants d’entre eux prenaient place au sein de l’appareil (Henri Krasucki,
Charles Fiterman); enfin, si le militantisme d’extrême-gauche a été un passage obligé
pour les protagonistes de Mai, juifs ou non, la plupart d’entre eux ont modéré leur enga-
gement radical initial pour se retrouver sur une ligne réformiste, qu’elle soit incarnée par
le parti socialiste ou des formations libérales centristes. C’est donc, bien, une fois de
plus, sur le plan culturel, au sens large du terme, que les changements ont eu lieu. Que
l’on interprète Mai 68 comme le triomphe de l’individualisme ou celui des minorités,
l’universel aux dimensions d’une France hexagonale, centralisatrice jacobine et pater-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
nelle était mis à mal. Les différences avaient désormais droit de cité. Pour les Juifs, cette
différence allait se décliner selon trois modes nouveaux ou plutôt renouvelés : mode cul-
turel, mode sioniste, mode religieux. À quoi il faut ajouter la persistance du modèle
israélite de l’assimilation qui demeure une réalité statistique même si elle est d’autant
moins visible que c’est précisément à cette invisibilité que ce modèle aspire. Ces trois
modes ont en commun le souci de freiner l’assimilation ou de la contenir par une dissi-
milation complémentaire. Celle-ci se traduit par l’adoption d’une valeur-refuge, d’une
valeur de protection, grâce à laquelle le sentiment d’une singularité collective est entre-
tenu : le retour aux sources. Ce retour aux sources prend trois directions bien distinctes,
même si elles peuvent être poursuivies conjointement :
1) Retour à la mémoire : on part en quête de sa généalogie familiale dont on cherche
à retrouver les traces et à reconstituer l’histoire ; en quête de ses racines juives qui ren-
voient à un ailleurs spatio-temporel.
2) Retour à (ou projection dans) l’espace : on s’approprie une sensibilité israélienne
en sus de son identité française (à la manière du poète hébraïque d’Espagne Judah
Halévi assumant que son corps est en Occident, et son cœur en Orient).
3) Retour à la tradition : on pratique l’étude des textes de la loi écrite et orale et l’ob-
servance des commandements englobant la sphère privée et publique.

RETOUR À LA MÉMOIRE

Quatre livres, qui paraissent dans la foulée de la guerre des Six Jours et de Mai 68,
vont signifier cette quête improbable, impossible, infinie, toujours à refaire et tentée
quand même : La Danse de Gengis Cohn de Romain Gary (1967); Un Mendiant à Jéru-
salem d’Elie Wiesel (1968); La Place de l’étoile de Patrick Modiano (1968); La Dispari-
tion de Georges Perec (1969). Témoignant du réel par la fiction, l’imagination, la
dérision, la dérive, retraçant le passé avec des blancs et des points de suspension, ils
  

nomment les absents, leur offrent une sépulture posthume de lettres. Passant du cri au
silence et du silence au cri, ils restent sans voix, entament ce travail de deuil, de
mémoire et d’oubli qu’ils reprendront ainsi que tant d’autres après eux pour composer
le grand récit juif de langue française de la Shoah, le Yiskorbuch, le mémorial textuel
dont ce retour à la mémoire des autres et d’ailleurs requiert la lecture.
Discernons trois types d’écrivain et de livre :
3/10 14/10/05 19:01 Page 1031

.   -

– Le témoin immédiat, tel Elie Wiesel. Il raconte le sort de ses compagnons qui n’en
sont pas revenus, et qui aurait pu être le sien. Survivant, il estime avoir contracté une
dette vis-à-vis des disparus. Et inlassablement, livre après livre, il enfile et défile son
oeuvre autour de ce serment, qui ne peut jamais être complètement tenu puisqu’on ne
peut jamais tout dire de ce qui s’est passé. Ni rien expliquer, ni comprendre, ni même
décrire. Mais au moins, par l’écriture, l’oubli ne recouvre pas leur histoire.
– Le témoin contemporain, tel Georges Perec. Il n’a pas été lui-même envoyé dans
un camp, mais il a vécu l’arrachement des siens. Il entame, par l’écriture, le travail de
deuil nécessaire, lequel exige non une reconstitution impossible vouée à l’échec, mais
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
des chemins détournés.
– L’impossible héritier, tel Patrick Modiano. Il naît après la guerre, et toute l’œuvre
tourne autour de cette histoire antérieure à sa naissance, de ce passé traumatisant, cette
préhistoire, cet arbre généalogique dont on a scié tant de branches.

Enfin Marcel Ophuls vint, avec Le Chagrin et la pitié (1971), pour donner un premier
coup de pioche dans la mythologie, entretenue depuis la Libération par gaullistes et
communistes, d’une résistance active et massive agissant comme avant-garde d’une résis-
tance passive du reste des Français. À travers la chronique d’une ville de province sous
l’occupation, Marcel Ophuls démontait et démystifiait en quatre heures et demie de
projection cette image d’Epinal, et rompait avec l’auto-complaisance officielle et l’amné-
sie volontaire. Les résistants demeuraient toujours les héros, et ils le restaient d’autant
plus que l’on saisissait grâce au film qu’ils ne représentaient qu’eux-mêmes, et non une
France combattante qui aurait comme un seul homme fait le bon choix. Film d’am-
biance, plutôt que film d’histoire politique, il restituait l’atmosphère de la Résistance et
celle de la Collaboration. Le bilan était doublement accablant : d’une part, les docu-
ments d’époque montraient un antisémitisme bien plus virulent qu’on ne l’avait ima-
giné ; d’autre part, les témoins, en toute bonne conscience, exprimaient, trente ans après,
un antisémitisme ordinaire et un maréchalisme de bon aloi qu’ils n’avaient jamais cessé
en fait d’éprouver49. Pour beaucoup de Juifs, c’était le chagrin, la pitié et la nausée.
Commence alors une longue marche pour mettre au centre de la recherche historique
scientifique comme de la fiction le cadavre qu’on avait mis dans le placard ou dans la
cave, mais aussi l’assassin. Le secret de famille dévoilé (et De Gaulle, en outre, décédé),
il fallait tout revisiter : on avait censuré le képi de gendarme de Nuit et Brouillard (Alain
Resnais), on allait le retrouver aux Guichets du Louvre (Michel Mitrani), aux Violons du
Bal (Michel Drach), dans Le Dernier Métro (François Truffaut), Chant[ant] sous l’Occu-
pation (André Halimi), et arrêtant Mr. Klein (Joseph Losey). Dans Les Uns et les Autres,
Partir Revenir, Les Misérables, Claude Lelouch, optimiste invétéré, s’est mesuré avec ces
bonheurs brisés, ces destins bouleversés, ces vies fauchées, fidèle néanmoins à sa convic-
  

tion instinctive que l’humanité et la vie triomphent grâce à ces Justes en silence qui
recueillent un nouveau-né abandonné par sa mère pour qu’il soit sauvé ; grâce à ces Jean
Valjean du XXe siècle dont les Cosette portent l’étoile jaune, et n’ont de cesse qu’elles
trouvent refuge dans un couvent ou en Suisse.
Puis, émotion d’un autre type, expérience majeure unique, incomparable : neuf
3/10 14/10/05 19:01 Page 1032

.    

heures d’interviews de témoins, sans aucune image documentaire : Shoah de Claude


Lanzmann (1985). Non pour apprendre pourquoi – mais pour comprendre comment –
l’extermination des Juifs avait été programmée, planifiée, mise en œuvre jusque dans
les moindres détails avec l’appui des populations locales. Par le récit des témoins, on
pénétrait par effraction dans le lieu maudit qui semble si paisible quarante ans après.
Shoah a eu un effet social qui dépasse de très loin la sphère cinématographique. Il y a
tout d’abord le mot hébraïque. Lanzmann l’a choisi pour nommer le crime dans une
langue juive et faire que de par sa sonorité étrangère, l’événement conserve, à l’oreille,
ce caractère incompréhensible. Lanzmann ne pouvait pas le prévoir, mais son film a
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
définitivement balayé, relégué le mot d’holocauste. Force est de constater qu’il a donné
aux survivants comme à leurs proches le sentiment que l’heure était venue de briser les
non-dits et les silences : autobiographies, récits de vie, mémoires, témoignages, cercles
de paroles, enregistrés, filmés, écrits, oraux, tous les genres et toutes les méthodes ont
été mobilisés pour faire advenir la parole. Le nombre de survivants diminuait, les plus
jeunes insistaient pour savoir, la demande sociale était forte, sans compter la volonté
énergique de riposter à l’infamie du mensonge négationniste.
Quelques-uns de ceux qui appartiennent à ce que l’on appelle la « seconde généra-
tion », vont demander recours à l’écriture : Myriam Anissimov, Serge Doubrovski, Cyrille
Fleischman, Serge Koster, Henri Raczymow, Régine Robin. Ils ne sont pas des survivants
ni des rescapés, mais ils portent le traumatisme de la catastrophe qui a fauché la généra-
tion qui les a précédés. Hantés par la disparition, l’effacement, l’oubli, ils obéissent à l’in-
jonction de se souvenir et tentent de nommer les personnes qu’ils n’ont pas connues, de
restituer les visages qu’ils n’ont jamais vus, de restaurer les lieux où ils n’ont jamais vécus,
et parmi eux, celui du shtetl, d’exhumer les ultimes vestiges d’une utopie dans laquelle
leurs pères et leurs mères avaient cru et dont il ne reste plus de signe tangible, de rappor-
ter enfin les mots d’une langue exterminée avec ses locuteurs et qu’ils ne parlent pas,
bribes d’une civilisation engloutie. À l’instar de la parabole, ils sont le dernier maillon qui
ne sait plus que raconter l’histoire, et encore est-elle trouée. Médiateurs d’une vie anté-
rieure, Rachel Ertel pour le roman et Charles Dobzynski pour la poésie remplissent une
fonction essentielle dans la transmission et la translation de cet univers yiddish en France.
Notons enfin que cette quête n’est pas hexagonale et qu’elle a favorisé la découverte de
Primo Levi, d’Elias Canetti, de Vassili Grossman, et d’Isaac Bashevis Singer.
Une démarche analogue a déterminé des écrivains juifs venus d’Afrique du Nord :
Albert Bensoussan, Edmond El Maleh, Jacques Hassoun (né en Egypte), Marco Koskas,
Annie Goldmann, Nine Moati, Katia Rubinstein ; démarche analogue, jusqu’à un certain
degré seulement. Car s’il y a eu exil dans les deux cas, et si le sang a pu couler égale-
ment, il n’y a jamais eu génocide. L’arrachement a pu être pénible, douloureux, il n’a
pas été traumatisant. Cette veine littéraire qui est apparue au début des années 1970 a
  

un précédent fameux : La Statue de sel d’Albert Memmi, paru en 1953. Et si ces auteurs
sont, d’une certaine manière, les enfants de Memmi, ils sont, à coup sûr également, les
petits-enfants d’Albert Cohen qui a su transposer son univers d’enfant à Corfou dans la
Céphalonie de son imaginaire romanesque. Une différence cependant : le départ pour la
France était, chez Cohen et Memmi, voulu, recherché, assumé, même si le narrateur se
3/10 14/10/05 19:01 Page 1033

.   -

faisait peu d’illusion sur ce qui l’attendait à son arrivée ; ici, c’est le chemin inverse que
l’on fait. D’inspiration moins tragique, moins pessimiste, la traversée restitue des odeurs,
des saveurs, des couleurs, des espaces familiers, des rites de passage, des espaces cul-
tuels, du charnel, du sensuel, un Orient aux allures de paradis perdu, et rapporte sur-
tout des histoires. La religion y est toujours bon enfant en vertu de cette image plus ou
moins enjolivée d’un judaïsme séfarade modéré et accommodant. Des expressions ima-
gées en hébreu ou en arabe ponctuent le texte et fournissent la couleur locale. Humour
et nostalgie tempérée ont droit de cité : une littérature de l’ouarch.
Quel besoin cette littérature vient-elle satisfaire ? Un besoin pour le lecteur d’identité
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
ou d’identification ; la nécessité, narcissique en un sens, de retrouver des pièces de son
propre puzzle disséminées dans le livre ; la volonté de refaire le voyage, de procéder à
une sortie d’Égypte qui, effectuée de livre en livre fait qu’en vérité, on n’en sort pas,
puisqu’en sortir, ce serait couper les racines. Le lecteur y retrouve aussi une polyphonie
qui tranche avec le discours occidental, rationnel et efficace.

THÉÂTRE ET CHANSONS

Toutes les formes de théâtre ont été expérimentées par des Juifs : de la tragédie
incarnée par la divine Sarah Bernhardt au début du XXe siècle à l’art du mime maîtrisé
par l’inégalable et l’inégalé Marcel Marceau. Il en est de même pour le théâtre popu-
laire dans ses deux extrémités, de la version commerciale dans laquelle s’est illustré
Marcel Karsenty, organisateur dans toute la France des mémorables tournées Herbert-
Karsenty, au bonheur des amateurs de boulevard ; et jusqu’à la forme exigeante et mili-
tante avec Gabriel Garran, animateur du théâtre de la Commune d’Auber villiers ;
Bernard Sobel du théâtre de Genevilliers ; Jean Mercure premier directeur du théâtre
de la Ville et, avant eux, Paul Abram (mais qui se souvient de Paul Abram?), disciple et
successeur à ce titre de Firmin Gémier en 1936 à la direction du Théâtre National
Populaire, puis écarté de ses fonctions en 1940 du fait des « lois raciales ». Pour ce qui
est de l’écriture théâtrale, il y a matière à signaler les acquis d’une inspiration judéo-
française qui a donné de belles œuvres. Est-ce dû au rapport étroit entre la notion de
trace et l’éphémère de la représentation théâtrale ? Ou encore le fait que le théâtre est
peut-être de tous les arts le plus proche de ce qui serait un sacré sécularisé? C’est peut-
être que cet art a besoin, lui aussi, d’un minyan pour exister, d’une communauté d’offi-
ciants et de fidèles ? Peut-on parler d’un théâtre juif français depuis la fin des années
1960? Le corpus existe et s’emplit des œuvres de Liliane Atlan (Monsieur Fugue ou le
mal de terre), Elie-Georges Berreby; Denise Chalem (A cinquante ans elle découvrait la
mer); Charlotte Delbo (Qui rapportera ces paroles?); Jean-Claude Grumberg qui, avec
  

Dreyfus et L’Atelier a offert au théâtre un travail de mémoire comparable à ce qui se fait


en littérature ; Victor Haïm (Abraham et Samuel; Isaac et la sage-femme); René Kalisky
(Dave au bord de mer), Yasmina Reza (Conversations après un enterrement). De cet
effort participe également le travail de Jacques Kraemer avec Charles Tordjman (His-
toire de l’oncle Jakob et La véridique histoire de Joseph Süss Oppenheimer).
3/10 14/10/05 19:01 Page 1034

.    

Si à ce jour, Ariane Mnouchkine n’a jamais tenté avec son Théâtre du Soleil de monter
une œuvre à partir de la tradition théâtrale juive, au moins a-t-elle écrit cette épitaphe :
Je pense à cette femme juive qui dirigeait un théâtre dans le ghetto de Vilnö. (Je
dois la trace sans nom de cette femme à Yoshua Sobol, dramaturge israélien.) Oui,
un théâtre. Prenant sur sa ration de pain de chaque jour, elle pétrissait et modelait
de petites poupées de mie. Et tous les soirs cette femme affamée animait ces appa-
ritions nourrissantes, faisant entrer ces acteurs de pain sur son théâtre minuscule,
devant des dizaines de spectateurs affamés comme elle et comme elle promis au
massacre. Tous les soirs jusqu’à la fin. Il faut garder la trace de cette femme
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
comme une plaie inguérissable. Il le faut car, si nous oublions le petit théâtre de
pain du ghetto de Vilnö, nous perdrons le théâtre50.
Des formes plus populaires, notamment musicales, participent également de ce retour
à la mémoire. Avec Nuit et brouillard, Jean Ferrat brisa le premier le tabou, rappelant
qu’une chanson pouvait être le contraire d’un divertissement, tout en témoignant de la
difficulté à trouver le langage adéquat : « Je twisterai les mots s’il fallait les twister. »
Contrairement à cette approche collective du chanteur communiste (« Ils étaient vingt et
cent, ils étaient des milliers »), Barbara, fidèle à son registre personnel, fit, dans Mon
Enfance, un récit sobre et discret de cette période sombre (« La guerre nous avait jeté là,
d’autres furent moins heureux je crois, au temps joli de leur enfance »), et constate amè-
rement que le retour sur le passé est un échec (« Pourquoi suis-je venue ici où mon passé
me crucifie ? Elle dort à jamais mon enfance »). Pour dire l’humiliation qu’il y a à porter
une étoile jaune, Hughes Aufray composa un touchant Petit Simon tandis que Maurice
Fanon évoqua La petite juive. Avec Jean-Jacques Goldman, le changement d’époque
explique qu’au-delà de l’histoire, on a le souci de la transmission : c’est à sa fille qu’il
adresse cette élégie composée à la mémoire d’une victime belle «comme toi». À la faveur
de la musique ethnique, les sources musicales extra-françaises peuvent ne plus être allu-
sives, mais placées au cœur de la création, comme on le voit avec l’essor de nombreuses
formations klezmer et judéo-arabes. C’est toutefois moins par la création musicale que
s’est exprimée la sensibilité séfarade. Dans ce domaine, c’est la redécouverte des gloires
révolues qui a répondu à l’attente : Reinette l’Oranaise, le cheikh Raymond (beau-père
d’Enrico Macias), Maurice Médioni, Raoul Journo. En revanche, un domaine totale-
ment neuf a été investi et conquis : l’humour. Alors que Roland Bacri lui avait donné
une forme écrite, c’est dans les années 1980 que Michel Boujenah, Elie Kakou et Gad
Elmaleh l’ont transporté à la scène, tirant le meilleur parti de l’oralité de la culture tradi-
tionnelle, soulignant, dans leur composition, les tyrannies de l’entourage familial sur l’in-
dividu en quête d’autonomie, et les tensions entre tradition et modernité. L’humour a
été manié avec beaucoup de doigté par Jacques Lanzmann (Le Têtard) et Robert Bober
  

(Quoi de neuf sur la guerre?) pour traiter de la période de la Guerre et de l’Après-


guerre, et par Guy Konopnicki (Au chic ouvrier) ou Raymond Lévy (Schwartzenmurtz ou
l’esprit de parti) pour raconter les désillusions de l’engagement communiste.
Outre le registre artistique, c’est aussi par le biais de la connaissance historique que
les tenants d’une judéité culturelle comblent le manque. Les recherches effectuées par
3/10 14/10/05 19:01 Page 1035

.   -

Serge et Béate Klarsfeld et Annette Wieviorka sont à cet égard emblématique d’une
démarche précise et rigoureuse, soucieuse de rassembler toutes les informations exis-
tantes, comme une sépulture offerte à celles et ceux qui n’en ont pas eu. On recueille
aussi photos, journaux, lettres des parents disparus, qu’on rassemble et édite, dans le
but, parfois thérapeutique, de surmonter cette culpabilité éprouvée de ne leur avoir pas
dit au revoir51. Cette curiosité pour l’histoire, cette quête de savoir est attestée par l’es-
sor de revues historiques : Archives juives, Les Cahiers du Judaïsme52, Pardès53 d’une
part, et le développement des études juives à l’université, d’autre part. Mesurons le
chemin accompli : on est aux antipodes de la conception de l’Histoire qui prévalait au
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
XIXe siècle, en vertu de laquelle tout ce qui précédait l’émancipation des juifs relevait
de l’histoire juive tandis que tout ce qui venait après relevait de la seule Histoire de
France. Écrire l’histoire des Juifs de France a désormais une légitimité scientifique et
publique qui n’est plus contestée.

RETOUR À ISRAËL

Le retour à Israël dans la conscience juive est directement lié au contexte d’un
conflit toujours sur la brèche, toujours en attente d’un règlement définitif. De la guerre
des Six-Jours à la guerre d’octobre 1973; de la visite à Jérusalem du président égyptien
Anouar El-Sadate à Jérusalem à la guerre du Liban en 1982; de la première Intifada en
1987 à la Guerre du Golfe en 1990; des accords d’Oslo en 1993 à la seconde Intifada
de l’année 2000, en passant par l’assassinat de Yitzhak Rabin perpétré en 1995, Israël
est souvent au premier plan de l’actualité internationale, et sa centralité est d’abord
celle d’une inquiétude juive vis-à-vis de sa pérennité. En apparence, l’expression en est
principalement politique : manifestations de rue, pétitions, prises de position,
recherche d’informations. La vie intellectuelle est ainsi ponctuée de numéros spéciaux
édités par des revues prestigieuses, à commencer par l’énorme dossier des Temps
Modernes sur le conflit israélo-arabe publié à quelques jours de la guerre. Un groupe de
réflexion animé par Clara et Marek Halter autour de la revue Éléments (1968-1971)
rassemble la gauche intellectuelle sur le principe d’une reconnaissance réciproque des
deux mouvements nationaux. L’isolement d’Israël suscite de vibrants soutiens tels celui
d’Eugène Ionesco, de Maurice Clavel, de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir
moralement liés à l’État juif par le serment d’Auschwitz. Emmanuel Berl, intellectuel
israélite s’il en est, a recours au pamphlet pour dénoncer Nasser tel qu’on le loue. Annie
Kriegel, ancienne camarade du Parti, reconvertie dans l’histoire du mouvement com-
muniste, vole au secours d’Israël. Retiré depuis longtemps des affaires politiques inté-
rieures – et en ce sens, il est plus un intellectuel qu’un homme de pouvoir – Pierre
  

Mendès-France, jusque-là discret et réservé, prend le soin d’organiser sous son autorité
les premières rencontres secrètes israélo-palestiniennes. C’est toutefois au sein de la
génération étudiante juive née après la guerre, passée par le gauchisme après Mai 1968,
qu’on enregistre des évolutions spectaculaires. Après avoir été franchement anti-
sionistes, ils montent aujourd’hui au créneau pour défendre la légitimité d’Israël lors-
3/10 14/10/05 19:01 Page 1036

.    

qu’elle se trouve contestée. Inversement, des figures intellectuelles renommées, comme


Edgar Morin, Maxime Rodinson, Pierre Vidal-Naquet, non seulement condamnent la
politique de l’État d’Israël, mais continuent de se montrer extrêmement réservés sur le
sionisme en tant que tel. Comme au début du XXe siècle, la controverse semble parfois
n’être que la reprise d’une vieille querelle interne.
D’une manière générale, l’existence d’Israël – et pas seulement la crainte de sa des-
truction qu’Aron avait été le premier à rendre publique – devient un élément essentiel
dans la manière dont on pense et vit sa judéité et qui peut aboutir à un projet d’immi-
gration ; si ce n’est que, depuis la fin de la guerre des Six-Jours, l’alyah en Israël, pour
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
n’être pas négligeable, n’a jamais été massive. Elle ne trouble ni les Français ni la com-
munauté juive, et ce, en dépit du fait que quelques-unes des grandes figures intellec-
tuelles et religieuses du judaïsme français ont été du voyage : Eliane Amado
Lévy-Valensi, Léon Askénazi, Théo Dreyfus, Benjamin Gross, Lucien Lazare, André et
Renée Neher ont rejoint André Chouraqui et Claude Vigée qui s’y étaient déjà établis.
De plus jeunes les suivent, comme la peintre Liliane Klapisch ou les philosophes
Jacques et Judith Schlanger, Stéphane Mosès et Henri Atlan. L’École de pensée juive
de Paris ne s’en relèvera pas. Cette alyah au compte-goutte a toutefois une importance
majeure qui échappe à quiconque interprète l’identification aux destinées d’Israël
comme l’expression d’un soutien politique inconditionnel et une manifestation de
double allégeance. Le départ de 1 500 à 2 000 Juifs de France par an n’a pas une signi-
fication démographique majeure pour une communauté qui n’a jamais compté plus de
700 000 personnes. En revanche, aussi faible soit-il, ce chiffre décuple considérable-
ment le nombre de Juifs de France qui ont de la famille plus ou moins proche en Israël.
Le rapport à Israël en est transformé : il n’est plus seulement de l’ordre de la Terre pro-
mise (mode religieux), ou de la renaissance nationale (mode sioniste). L’attachement à
Israël devient une affaire familiale. Cela se traduit, concrètement, par des voyages plus
fréquents, des échanges plus soutenus, facilités, en outre, par le développement des
médias, notamment sur le réseau hertzien avec la fréquence juive qui permet aux audi-
teurs non seulement d’être informés d’une manière plus intensive de l’actualité poli-
tique en Israël mais également d’être « branchés » sur la musique de variété israélienne.
La percée du réseau Internet renforce ces liens à distance. Au-delà de cette dimension
familiale, se définir comme juif suppose que l’on ait attribué une place plus ou moins
importante à Israël. Ce rapport est moins politique qu’affectif. Les institutions sionistes
sont très peu représentatives et ne servent qu’à distribuer des rétributions symboliques
à la poignée de cadres qui sont dans la place. Il n’y a que dans les moments de crise
qu’un certain militantisme actif se déploie notamment en direction des médias et de
leur traitement jugé partial de la politique israélienne.
  

Il en résulte également une plus grande prépondérance du cinéma et de la littérature


israélienne. On se fait un devoir et un plaisir d’avoir vu le dernier film d’Amos Gitaï et lu
le dernier roman d’Amos Oz. Il n’était pas rare autrefois que l’on traduise de l’anglais et
non de l’hébreu un recueil de nouvelles d’A. B. Yehoshua ou d’Ephraïm Kishon. Cela ne
se produirait plus aujourd’hui. Une littérature française relative à Israël voit le jour. Le
corpus n’est pas énorme, mais il illustre cette prépondérance qu’Israël a pu prendre dans
3/10 14/10/05 19:01 Page 1037

.   -

l’imaginaire français juif et non-juif. Limité dans l’entre-deux guerres aux récits et aux fic-
tions de valeur esthétique inégale, de Pierre Benoît, Myriam-Harry, Joseph Kessel, d’Al-
bert Londres et des frères Tharaud, augmenté de quelques autres depuis la Libération
(Henri Amouroux, Georges Duhamel), il prend son essor depuis 1967 au gré des crises et
des guerres qui affectent Israël, à tous les niveaux et genres littéraires (Christine Arnothy
[Aviva], Bernard Frank [Israël], Lorand Gaspar [Judée], Bernard-Henri Lévy [Le Diable
en tête], Alain Médam [La cité des noms Jérusalem], Pierre Mertens [Les Bons offices]).
Israël est parfois brièvement évoqué, mais la fonction qu’il joue peut-être celle d’un deus
ex machina, comme à la fin de L’Angoisse du roi Salomon d’Emile Ajar (Romain Gary)
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
lorsque désespérant de convaincre la vieille chanteuse réaliste de revoir son ancien amant
juif, Salomon Rubinstein – ce dernier ne lui avait pas pardonné de l’avoir abandonné
dans une cave sous l’Occupation – le jeune héros fait flèche de tout bois :
— Faites ça pour nous, faites ça pour lui, et faites ça…
Et c’est là que j’ai eu cette idée géniale :
— Faites ça pour les Juifs, mademoiselle Cora.(…)
C’était l’ouverture.
— Faites ça pour Israël, mademoiselle Cora54.

Cela peut-être aussi une attache rituelle. Comme, par exemple, dans Toute une vie de
Claude Lelouch (1973), ce toast porté par un couple (formé par Charles Denner et
Marthe Keller) à l’occasion d’un anniversaire : « Aux cinq ans de Sarah, aux trois ans
d’Israël », signe de l’évidence d’un rapport affectif qu’ils vouent à deux nouveaux-nés,
leur fille et un pays, qui leur sont chers l’un comme l’autre.

RETOUR À LA TRADITION

Nous n’avons pas la prétention dans cette partie de passer en revue tous les facteurs
qui ont favorisé l’expansion du religieux au sein de la communauté juive en France
depuis ces deux dernières décennies. Cela nous éloignerait de la dimension culturelle
qui reste notre propos. Nous souhaitons isoler les manifestations du culturel à l’origine
de cette renaissance juive, et non de rendre compte des raisons de la stricte observance.
Le retour du religieux, sa capacité d’attraction décuplée a à voir avec les bouleverse-
ments considérables qu’a subi le monde juif au XXe siècle, et qui dépassent le cadre
français proprement dit. La Shoah et la prise de conscience par les Juifs, mais égale-
ment par l’humanité, de la rupture qu’elle introduit dans l’Histoire ; la création de
l’État d’Israël, le rassemblement des exilés et le maintien d’un état de tension avec les
  

peuples voisins ; enfin la renaissance de l’hébreu, indispensable pour favoriser l’étude


des textes de la Tradition, ne sont pas étrangers à ce renouveau. Il faut également
prendre en compte la disparition du judaïsme séfarade en pays musulman et son
regroupement en France, bouleversant les structures mentales et institutionnelles de la
communauté sortie exsangue de l’occupation allemande. Sur un plan plus strictement
français, la crise de l’École publique a sans doute favorisé l’essor de l’École juive, et
3/10 14/10/05 19:01 Page 1038

.    

ainsi multiplié le nombre d’élèves exposés à l’étude de la Tradition. Au niveau poli-


tique, on a enregistré un affaiblissement du modèle républicain et de la laïcité, qui a
rejailli sur la valeur attribuée à l’assimilation : l’uniformisation des mœurs, des valeurs
et des pratiques est apparue comme un appauvrissement et un déracinement culturel,
ce qui, de manière plus positive, s’est traduit par le souhait de récupérer un patrimoine,
non pas oublié mais ignoré. Sur le théâtre des idéologies, la fin des messianismes sécu-
larisés a libéré une énergie que la sphère religieuse a récupérée puisqu’elle était l’ultime
détentrice de cet absolu. Enfin, on peut avancer également qu’au niveau philoso-
phique, la crise du logos et le post-modernisme ont créé une nouvelle donne intellec-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
tuelle favorable à cette réévaluation du judaïsme. Voilà pour le contexte.
C’est toutefois au niveau des idées et des hommes que nous souhaiterions nous attar-
der en montrant en quoi cet essor a pu, en partie, s’appuyer sur des facteurs d’ordre
culturel, sur des représentations positives qui ont petit à petit contrebalancé les images
péjoratives qui affectaient jusque-là l’appréciation du religieux ; en quoi, au-delà des
structures, cette métamorphose a tenu à des personnes qui ont joui d’une aura particu-
lière et ont contribué à son avènement.
On sait que le judaïsme se caractérise par une valorisation de l’étude. Cette étude ne
vient pas abolir la prière et le culte, mais ceux-ci ne sauraient être l’alpha et l’oméga de
la pratique religieuse. Dans l’histoire du judaïsme, ces deux tendances ont toujours
coexisté et quand bien même le dosage peut varier, l’étude des textes a toujours joui
d’un statut préférentiel. Or, c’est précisément par ce biais, bien plus que par celui de
l’observance des commandements, qu’il est possible d’attirer des « égarés ». Notons
enfin l’importance de l’oralité dans la transmission du judaïsme, ce qui garantit une
voie d’accès plus sûre et plus riche que la décision de se confronter seul avec un traité
du Talmud ou un livre de la Bible. Le devoir de se faire un maître est une recommanda-
tion qui permet à l’ignorant de faire ses premiers pas dans l’univers de l’étude. Or, ces
principes fondamentaux se sont trouvés en France en phase avec l’activité de maîtres et
de penseurs soucieux de transmettre leur enseignement et dotés d’un charisme éma-
nant de leur personnalité. Ainsi, André Neher, qui a exploré plusieurs champs du
judaïsme comme la mystique juive, l’exégèse de grandes figures prophétiques, la
réflexion théologique sur Job et le silence d’Auschwitz, n’a pas dédaigné écrire des
manuels d’introduction au judaïsme.
Emmanuel Levinas a travaillé lui aussi sur deux fronts : par son œuvre philoso-
phique, il a exposé Athènes aux lumières de Jérusalem. Parallèlement, il a assuré
chaque année les Leçons talmudiques à l’issue des Colloques des intellectuels juifs de
langue française, rompant avec cette sous-estimation de la pensée talmudique qui avait
cours dans le Rabbinat français.
Contrairement aux précédents qui ont privilégié l’écrit pour accéder au grand nombre,
  

Léon Askénazi a préféré pratiquer un judaïsme de proximité à l’égard de celles et ceux


qui souhaitaient apprendre. L’enseignement oral était sa voie de prédilection. S’étant obs-
tiné à ne pas produire de son vivant une œuvre écrite, ses cours étaient enregistrés ou
bien sténographiés, et c’est seulement après sa disparition que son disciple et ami Marcel
Goldmann a rassemblé les textes épars, les interviews, les interventions orales qu’il avait
3/10 14/10/05 19:01 Page 1039

.   -

livrées par centaines55. Si on ajoute à son souci pédagogique son humour caustique, on
comprendra l’assiduité à ses cours donnés en diverses institutions en Israël et en France.
Cet exercice oral, Elie Wiesel ne s’y est pas refusé, dispensant en de multiples occa-
sions, des leçons inaugurales. Animé du souci de partager, de répandre le savoir et de
faire connaître la sagesse juive, il a publié plusieurs volumes qu’il a justement et joli-
ment appelés des « célébrations »: célébration hassidique, célébration biblique, célébra-
tion talmudique56. Ces voies nouvelles sont si fertiles que toute une littérature, prenant
appui sur ces figures anciennes, se développe depuis quelques années en Israël, aux
États-Unis et en France57.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
Enfin, ce retour a été largement favorisé et peut-être même suscité par la mise à dis-
position des grands textes de la tradition en traduction française, sous l’impulsion, quasi
solitaire à ses débuts, de Charles Mopsik dans le cadre d’une collection (« Les Dix
Paroles ») qu’il animera de 1979 jusqu’à sa disparition en juin 2003. Il a assuré cette
tâche de passeur également dans un domaine plus sensible : la cabale58.
Ces passeurs ont servi de relais dans la transmission d’un savoir et d’une sagesse des-
tinés à un public de plus en plus avide, de plus en plus exigeant. Ils ont contribué à
confirmer la définition du judaïsme comme « organisme vivant » telle qu’elle a été for-
mulée par Gershom Scholem à plusieurs reprises dans son œuvre59.
Si l’attention a largement porté en direction d’un auditoire juif, le dialogue a été
noué avec des chrétiens d’une part, mais aussi avec des philosophes et des écrivains.
L’œuvre de Jean-Pierre Faye, la pensée de Maurice Blanchot n’auraient pas été les
mêmes sans leur compagnonnage avec le judaïsme, avec Emmanuel Levinas et Edmond
Jabès.
Ce retour à l’étude des textes est, d’une certaine manière, l’accomplissement de ce
qu’Emmanuel Levinas avait souhaité au lendemain de la Seconde Guerre mondiale :
confronter le judaïsme à l’éthique sans vider la pensée juive de sa substance. Regar-
der du côté du judaïsme, non pour y obtenir des réponses, mais pour multiplier les
questions.
  
3/10 14/10/05 19:01 Page 1040

.    

NOTES 14 Ibid., p. 80.


15 Ibid., p. 89.
1 Robert Paxton, La France de Vichy, Paris, Seuil, 16 Ibid. p.110-112.
1972. Voir également Michaël R. Marrus et Robert
17 Voir Correspondance d’Edmond Fleg au temps
Paxton, Vichy et les Juifs, Paris, Calmann-Lévy 1981.
de l’affaire Dreyfus (présenté par André Elbaz),
De Zeev Sternhell, La Droite révolutionnaire, Paris,
Paris, Nizet, 1976, p. 125.
Gallimard, 1975; Ni Droite ni gauche, Paris, Galli-
mard, 1983. 18 André Spire, Quelques Juifs et demi-Juifs,
Paris, Grasset, 1928, p. XI.
2 On notera de Serge Klarsfeld, Le mémorial de
la déportation des Juifs de France, Paris, 1977. 19 Si le nom d’Israélite n’est tombé en désuétude
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
que dans les années 1970-1980, il convient de souli-
3 Il faut espérer que l’effort notable, ces toutes
gner que dans la sphère culturelle et artistique, Spire
dernières années, de renverser la perspective et de
et Fleg ont été les premiers à revendiquer celui de
substituer à l’étude de l’État et de son action celle
juif dès le début du XXe siècle.
de la société et de sa réaction face à l’État, se pour-
suive. Une des pionnières dans ce domaine est 20 André Spire, op. cit., vol. 1, p. IX-X.
Renée Poznanski, Etre juif en France pendant la 21 Ibid, p. XI.
Seconde Guerre mondiale, Paris, Hachette, 1994. 22 Henri Hertz, « André Spire », La Revue juive,
4 Sur les Juifs d’État, voir Pierre Birnbaum, Les n°3, 15 mai 1925, p. 306.
Fous de la République: Histoire politique des juifs 23 André Spire, Le Secret, Paris, Éditions de la
d’État de Gambetta à Vichy, Paris, Fayard, 1992. Nouvelle Revue Française, 1919, p. 177.
5 Doris Bensimon-Donath, « Mutations socio- 24 Pourquoi je suis juif in Edmond Fleg, Israël et
démographiques aux XIXe et XXe siècles », H-His- moi, Paris, Gallimard, 1936, p. 43. (La première édi-
toire n°3, nov. 1979, « Les Juifs en France », p. tion est de 1928.)
185-211.
25 André Spire, Les Juifs et la guerre, Paris,
6 Cité par Michaël R. Marrus Les Juifs de France Payot, 1917.
à l’époque de l’affaire Dreyfus, Paris, Calmann-Lévy,
26 André Spire « Henri Franck », La Revue juive,
1972, p. 111.
n°2, 15 mars 1925, p. 192.
7 Robert Aron, Fragments d’une vie, Paris, Plon,
27 « Sainte Jeanne et Israël », in Edmond Fleg,
1981, p. 246-247.
Pages choisies, Paris, Minuit, 1954, p. 231.
8 Cité par Riccardo Calimani, Destins et aven-
28 Ibid., p. 230.
tures de l’intellectuel juif en France, Toulouse, Privat,
2002, p. 156. Le testament de Bergson est daté du 8 29 Ibid., p. 230-231.
février 1937. 30 Ibid., p. 235.
9 Testament de Marc Bloch, 18 mars 1941, repro- 31 « La Chanson de Laquédem », in Edmond
duit en appendice in Marc Bloch, L’Étrange défaite, Fleg, Pages choisies, p. 300-302.
Paris, Société des Éditions Franc-Tireur, 1946, p. 32 Albert Thibaudet, « Marcel Proust et la tradi-
194. Il convient de noter la majuscule qui montre tion française », Nouvelle Revue Française, 1er janvier
que Bloch considère sa judéité autrement que 1923, p. 138.
comme une dénomination religieuse.
33 Régine Robin définit quatre critères possibles
10 Voir Patrick Girard, Les Juifs de France de d’une littérature juive dans une langue non juive.
1789 à 1860. De l’émancipation à l’égalité, Paris, Les deux premiers de nature sociologique renvoient
  

Calmann-Lévy, 1976. à l’auteur ; les deux derniers de nature littéraire ren-


11 Julien Benda, Un Régulier dans le siècle, Paris, voient à l’œuvre : 1) critère ethno-culturel : l’auteur
Gallimard, 1938, p. 144. étant d’origine juive, son œuvre est considérée
12 Charles Péguy, Notre jeunesse (I éd. 1910), comme telle. 2) critère sociologique : l’auteur, d’ori-
ère

Paris, Gallimard, 1969, p. 86. gine juive, assume son appartenance explicite à la
communauté et participe de la vie publique juive. 3)
13 Ibid., p. 101-102.
critère thématique : des personnages, le narrateur,
3/10 14/10/05 19:01 Page 1041

.   -

leur destinée, les problèmes relèvent de la condition polonais né en France, Paris, Seuil, 1977 (première
juive à travers l’histoire . 4) critère formel : la judéité édition : 1975), p. 27.
est affaire d’écriture. L’œuvre présente une relation 46 Ibid., p. 278-279.
étroite d’intertextualité avec la Tradition juive dans
47 Ibid., p. 30.
ses différentes strates : biblique, prophétique, talmu-
dique, rabbinique, mystique ; ou bien touche à des 48 Lorsqu’un juif polonais ou algérien né en
catégories existentielles juives telles que l’exil, le France se rend compte de la vacuité d’une identité
pardon, le péché, la culpabilité, le double. Voir vécue à distance, il devient, en quelque sorte, un
Régine Robin, « Littérature juive en langue non- « Juif imaginaire ». Voir Alain Finkielkraut, Le Juif
juive », in Rachel Ertel, Itzhok Niborski, Annette imaginaire, Paris, Seuil, 1980.
Wieviorka (dir.) Mille ans de cultures ashkénazes, 49 Le Chagrin et la Pitié est l’antithèse radicale de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
Paris, Liana Lévi, 1994, pp. 521-522. deux des plus grands succès du cinéma français à la
34 André Spire, Poèmes juifs, Genève, L’Eventail, fin des années 1960 conçus dans cette optique résis-
1919, p. 10-11. tancialiste gaulliste unanimiste démontée justement
par le film d’Ophuls : dans le registre dramatique,
35 Ibid., p. 10.
Paris brûle-t-il? de René Clément ; et dans le registre
36 Sur Georges de Porto-Riche, voir Thérèse comique, La Grande Vadrouille de Gérard Our y.
Malachy, « Georges de Porto-Riche : Racine juif ou Dans ce film-culte, les personnages français se mon-
racines juives ? » Perspectives n° 12, Université trent tous, sans exception, favorables, sinon acquis,
hébraïque de Jérusalem : « En marge du judaïsme », à la Résistance – du gardien de zoo aux machinistes
2005, p. 163-170. de l’Opéra, des bonnes sœurs de l’hôpital à la fille
37 Voir Edmond Sée, « Les Juifs au théâtre », in du Guignol. Aucun personnage juif n’y est montré.
La Question juive vue par vingt-six éminentes person- Gérard Our y fera, pour ainsi dire, amende hono-
nalités, Paris, E.I.F., 1934, pp. 113-121. rable en tournant quelques années plus tard Les
38 Pierre Unik, Chant d’exil, Paris, Editeurs Aventures de Rabbi Jacob, dans lequel il dénonce le
Français Réunis, 1972, p. 36-37. préjugé antisémite du héros incarné par Louis de
Funès et montre une communauté hassidique pleine
39 Sur l’Ecole d’Orsay, voir le numéro des Nou-
de vitalité.
veaux Cahiers n°112, 1992.
50 Ariane Mnouchkine, « Préface » in Jacqueline
40 Carol Iancu, « Le cheminement de Jules Isaac :
Jomaron, Le Théâtre en France, Paris, Armand
de l’Affaire Dreyfus à L’Enseignement du mépris», in
Colin, 1988, vol. 1, s.p.
Annette Becker, Danielle Delmaire, Frédéric Guge-
lot (dir.), Juifs et chrétiens: entre ignorance, hostilité 51 Voir le très beau recueil de Claudine Vegh, Je
et rapprochement (1898-1998), Lille Charles de ne lui ai pas dit au revoir - Des enfants déportés par-
Gaulle, UL3 Travaux et recherches, 2002, p. 161-75. lent, Paris, Gallimard, 1983.
41 Sur le « scandale Schwarz-Bart », voir Fran- 52 Les Cahiers du Judaïsme dirigés par Pierre
cine Kaufmann, Pour relire «Le Dernier des Justes», Birnbaum ont succédé aux Nouveaux Cahiers créés
Paris, Méridiens-Klincksieck, 1986, p. 24-28. en 1966 par Gérard Israël, qui durant plus de trente
ans, a publié dans ses colonnes réflexions et débats
42 Sur Aron et Lévi-Strauss, voir Jeanne Parisier
de fond préoccupant la communauté juive intellec-
Plottel, « Jewish Identity in Raymond Aron, Emma-
tuelle.
nuel Berl, and Claude Levi-Strauss in Lawrence D.
Kritzman (ed.), Auschwitz and After – Race, Culture, 53 La seule revue littéraire juive parue en France
and «the Jewish Question» in France, New York- pour accompagner cette nouvelle vague fut de
London, Routledge, p. 119-129. courte durée : Traces (1982-1986).
  

43 Raymond Aron, De Gaulle, Israël et les Juifs, 54 Romain Gar y, L’Angoisse du roi Salomon,
Paris, Plon, 1968, p. 38. Paris, Mercure de France, 1979, p. 332-33.
44 Sur la dimension juive de Mai 68, voir Yaïr 55 Léon Askénazi, La Parole et l’écrit, 2 vol.,
Auron, Les juifs d’extrême-gauche en mai 68, Paris, Textes présentés et réunis par Marcel Goldmann,
Albin Michel, 1998. Paris, Albin Michel, 2005.
45 Pierre Goldman, Souvenirs obscurs d’un Juif 56 Elie Wiesel, Célébration hassidique, 2 vol.,
3/10 14/10/05 19:01 Page 1042

.    

Paris, Seuil, 1972 et 1981; Célébration biblique, Kritzman, Lawrence D. Auschwitz and After – Race,
Paris, Seuil, 1975; Célébration talmudique, Paris, Culture, and «the Jewish question» in France,
Seuil, 1991. NewYork, Londres, Routledge, 1995.
57 Voir Laurent Cohen, Le roi Salomon, Paris, Lasry, Jean-Claude et Tapia, Claude (dir.), Les Juifs
Seuil, 1997; Gilles Rozier, Moïse fiction, Paris, du Maghreb. Diasporas contemporaines, Montréal,
Denoël, 2001. Presses de l’Université de Montréal, Paris,
58 Charles Mopsik, Chemins de la Cabale. Vingt- L’Harmattan, 1989.
cinq études sur la mystique juive, Paris-Tel Aviv, Edi- Lévy, Clara. Ecritures de l’identité - Les écrivains juifs
tions de l’éclat, 2004. après la Shoah, Paris, P.U.F., 1998.
59 G. Scholem, Le prix d’Israël, Paris-Tel Aviv, Malino, Frances & Wasserstein, Bernard (éds). The
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université du Québec à Montréal - - 132.208.246.237 - 04/02/2020 16:06 - © Editions de l'Éclat
Editions de l’éclat, 2003, p. 144, 155. Jews in Modern France, Hanovre et Londres,
University press of New England, 1985.
Marrus, Michaël R. Les Juifs de France à l’époque de
l’affaire Dreyfus, tr. fr. Paris, Calmann-Lévy, 1972.
ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE
Oriol, Philippe. Bernard Lazare, Paris, Stock, 2003.
Perspectives n°12, Revue de l’Université hébraïque
Aubéry, Pierre. Milieux juifs de la France contempo-
de Jérusalem, « En marge du judaïsme », (rassem-
raine, Paris, Plon, 1962.
blé par Cyril Aslanov et Fernande Bartfeld), 2005.
Auron, Yaïr. Les Juifs d’extrême-gauche en Mai 68,
Philippe, Béatrice. Être juif dans la société française,
Paris, Albin Michel, 1988.
Paris, Hachette, 1979.
Benbassa, Esther. Histoire des Juifs de France, IIe éd.
Ruszniewski-Dahan, Béatrice. Romanciers de la
Paris, Seuil, 2000.
Shoah. Si l’écho de leur voix faiblit…, Paris,
Birnbaum, Pierre. Les Fous de la République: L’Harmattan, 1999.
Histoire politique des juifs d’État de Gambetta à
Simon-Nahum, Perrine. La Cité investie: La "Science
Vichy, Paris, Fayard, 1992.
du judaïsme" français et la République. Paris, Cerf,
Calimani, Ricardo. Destins et aventures de l’intellec- 1991.
tuel juif en France 1650-1945, tr. fr. Toulouse,
Traces n°3, « Ecriture juive ? » (rassemblé par Henri
Privat, 2002.
Raczymow), 1982.
Goldmann, Annie et Hennebelle, Guy (dir.), Cinéma
Tsafon n°41, Revue d’études juives du Nord, « Les
et judéité, CinémAction, n° 37, Cerf, 1986.
littératures juives de langue française et américai-
Hyman, Paula E., De Dreyfus à Vichy, L’évolution de ne » (rassemblé par Françoise Saquer-Sabin),
la communauté juive en France 1906-1939, tr. fr. printemps-été 2001.
Paris, Fayard, 1985.
  

S-ar putea să vă placă și