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PROCÉDURE PÉNALE
Jurisprudence
Cons. const., 30 juill. 2010, no 2010-14/22 QPC : M. Daniel W. et a. – M. Debré, prés., MM. Barrot, Canivet,
Charasse, Denoix de Saint Marc, Mme de Guillenchmidt, MM. Haenel et Steinmetz – JO 31 juill. 2010,
p. 14198 I2572
Présentée comme un
véritable « coup de ton-
nerre » (1), la décision du
1. Pour parvenir à cette solution, le Conseil devait, en pre-
mier lieu, apprécier la recevabilité de la question prioritaire
de constitutionnalité qui lui était soumise au regard de l’arti-
Conseil constitutionnel cle 23-2, 2o, de l’ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958,
no 2010-14/22 QPC du 30 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, qui dis-
juillet 2010, relative au régime pose qu’il ne peut être saisi d’une telle question lorsque
de la garde à vue, constitue, il celle-ci est relative à une disposition législative qui a « déjà
est vrai, un élément d’impul- été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le
sion déterminant dans l’évo- dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel sauf chan-
Par Olivier lution à venir de l’une des gement des circonstances ». À ce propos, le Conseil adopte
BACHELET mesures les plus décriées de une solution nuancée.
Collaborateur de la SCP notre procédure pénale. Sans
Célice, Blancpain et mettre en cause son existence D’abord, pour ce qui concerne le régime de la garde à vue
Soltner, avocats aux même (2), les Sages de la rue propre à la criminalité et à la délinquance organisées, les
conseils Montpensier considèrent, en Sages rappellent que les articles 706-73 et 63-4 du Code de
Membre du procédure pénale, relatifs à cette matière, ont déjà été exa-
CREDHO-Paris-Sud effet, que certaines des moda-
lités de la garde à vue heur- minés et déclarés conformes à la Constitution dans la déci-
tent les exigences constitutionnelles, en particulier l’article sion du Conseil constitutionnel du 2 mars 2004 (6). Par consé-
16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen quent, estimant qu’aucun « changement de circonstances »
(DDHC) de 1789, relatif à la « garantie des droits », duquel ne justifie, en matière de lutte contre la criminalité et la
sont traditionnellement déduits les droits de la défense (3). Si délinquance organisées, le réexamen des dispositions liti-
la décision du 30 juillet 2010 doit être saluée en ce qu’elle gieuses, le Conseil considère qu’il n’y a pas lieu de sta-
va susciter une avancée significative des droits du suspect tuer (7).
placé en garde à vue, dont l’extrême vulnérabilité a été sou-
Ensuite, s’agissant du régime de la garde à vue de droit
lignée notamment par la Cour européenne des droits de
commun, le Conseil constitutionnel indique que, s’il a fait
l’homme (4), la virtualité de ses implications (I) doit être cri-
l’objet d’une validation dans la décision du 11 août
tiquée face à la réalité des exigences conventionnelles (II).
1993 (8), depuis lors, « certaines modifications des règles de
I. LA VIRTUALITÉ DE L’INCONSTITUTIONNALITÉ la procédure pénale ainsi que des changements dans les condi-
tions de sa mise en œuvre ont conduit à un recours de plus en
Estimant que « la conciliation entre, d’une part, la prévention plus fréquent de la garde à vue et modifié l’équilibre des pou-
des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs voirs et des droits fixés par le Code de procédure pénale » (9). En
d’infractions et, d’autre part, l’exercice des libertés constitu- particulier, le Conseil insiste sur une évolution profonde de
tionnellement garanties ne peut plus être regardée comme équi- notre procédure pénale qui a considérablement renforcé le
librée », le Conseil constitutionnel affirme que les articles
poids de la phase policière, et donc celui de la garde à vue,
62, 63, 63-1, 63-4, alinéas 1er à 6, et 77 du Code de pro-
dans la constitution du dossier sur le fondement duquel le
cédure pénale, relatifs au régime de la garde à vue, « mécon-
suspect sera ensuite jugé. Dès lors, selon le Conseil, parce
naissent les articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789 et doivent
que « la garde à vue est [...] souvent devenue la phase prin-
être déclarés contraires à la Constitution » (5).
cipale de constitution du dossier de la procédure en vue du
jugement de la personne mise en cause » (10), les garanties
encadrant le recours à cette mesure, ainsi que son dérou-
(1) Lemonde.fr, 30 juill. 2010.
(2) « La garde à vue demeure une mesure de contrainte nécessaire à certaines
opérations de police judiciaire » : considérant no 25 de la décision com-
mentée. (6) Cons. const., 2 mars 2004, no 2004-492 DC, loi portant adaptation de la
(3) V., not. : Cons. const., 30 mars 2006, no 2006-535 DC, loi pour l’égalité justice aux évolutions de la criminalité.
des chances et Cons. const., no 2006-540 DC, 27 juill. 2006, loi relative (7) Considérant no 13.
au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information. (8) Cons. const., 11 août 1993, no 93-326 DC, loi modifiant la loi no 93-2
(4) V., en particulier : CEDH, gde ch., 27 nov. 2008, no 36391/02, Salduz du 4 janv. 1993 portant réforme du Code de procédure pénale.
c/ Turquie, § 54. (9) Considérant no 15.
(5) Considérant no 29. (10) Considérant no 16.
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De la sorte, tout en réaffirmant le caractère concret du quences de cette décision demeurent virtuelles puisque,
contrôle de constitutionnalité (12), les Sages rejoignent la considérant qu’il n’a pas le pouvoir général d’appréciation
jurisprudence de la Cour européenne qui a déjà souligné à dont dispose le Parlement et qu’il ne peut indiquer les règles
plusieurs reprises que la phase d’enquête policière a « des à appliquer pour remédier à l’inconstitutionnalité pronon-
conséquences déterminantes pour les perspectives de la cée, le Conseil décide de reporter l’abrogation des dispo-
défense lors de toute procédure pénale ultérieure » (13) et celle sitions litigieuses au 1er juillet 2011 afin de laisser le temps
de la Cour de cassation qui affirme qu’au regard de son au législateur de réformer la matière et de prévenir tout
caractère « déterminant du sort ultérieurement réservé aux vide juridique préjudiciable à l’ordre public (19). En d’autres
poursuites par la formation de jugement », la mise en état du termes, pendant près d’une année, les personnes placées
dossier doit respecter les standards du droit à un procès en garde à vue le seront conformément à des dispositions
Mais, au-delà de la virtualité des conséquences de la déci- en garde à vue, telles que la généralisation de l’enregis-
sion du 30 juillet 2010, c’est également l’ignorance de la trement audiovisuel, aujourd’hui cantonné à la matière cri-
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port d’activité, rendu public le 8 avril 2009, le Contrôleur traduite devant un juge », conformément à l’article 5 de la
général des lieux de privation de liberté n’a pas hésité à Convention européenne. En effet, dans la célèbre affaire Med-
qualifier d’« indigne » l’état des locaux de gardes à vue, les vedyev c/ France, la Cour a considéré que cette exigence
cellules étant présentées comme « les lieux les plus médio- conventionnelle implique pour le magistrat qu’il présente
cres des locaux administratifs les plus médiocres ». Selon ce « les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif
rapport, la conception des lieux et leur entretien sont déplo- et des parties, ce qui exclut notamment qu’il puisse agir par
rables et « il est raisonnable de penser que ces conditions ne la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l’instar
facilitent pas la préparation de sa défense par la personne inter- du ministère public » (27).
pellée » (22). Plus récemment encore, à la suite de l’examen Malgré tout, rappelant que « l’autorité judiciaire comprend à
des conditions de privation de liberté en France, le Comité la fois les magistrats du siège et du parquet » et que « l’inter-
contre la torture des Nations-Unies a rendu ses observa- vention d’un magistrat du siège est requise pour la prolon-
tions finales le 20 mai 2010 et s’est montré particulièrement gation de la garde à vue au-delà de quarante-huit heures », le
préoccupé face à la persistance d’allégations qu’il a reçues Conseil considère le régime de la garde à vue conforme, sur
au sujet de cas de « mauvais traitements qui auraient été ce point, à la Constitution (28). La première affirmation, pure-
infligés par des agents » à des détenus et à d’autres per- ment formelle, traduit l’entêtement du Conseil constitu-
sonnes entre leurs mains (23). tionnel qui, en méconnaissance des standards les plus élé-
mentaires du droit à un procès équitable, refuse de se ral-
‘‘
lier à la jurisprudence strasbourgeoise exigeant que la per-
La décision traduit l’entêtement sonne privée de liberté soit présentée à un juge indépendant
du Conseil constitutionnel qui refuse et impartial. Certes, il est vrai que le Conseil constitutionnel
n’est pas en principe compétent pour opérer un contrôle de
de se rallier à la jurisprudence conventionnalité des lois. Néanmoins, au regard de la grande
strasbourgeoise exigeant que la similitude, voire de l’identité, des termes employés par les
personne privée de liberté soit présentée textes constitutionnels et conventionnels protégeant les
droits et libertés fondamentaux, rien n’empêchait le Conseil
à un juge indépendant et impartial
Néanmoins, le Conseil constitutionnel écarte cet argument
en estimant que la loi ne porte pas en elle-même atteinte
à la dignité et qu’il appartient à l’autorité judiciaire de concrè-
” d’épouser la position adoptée par la Cour de Strasbourg.
Pourtant, les Sages s’en tiennent à une solution purement
formelle − fondée sur l’application mécanique de l’arti-
cle 1er, I, de l’ordonnance no 58-1270 du 22 décembre 1958
portant loi organique relative au statut de la magistrature,
tement faire respecter ce principe. Si cette solution apparaît
selon lequel le corps judiciaire comprend à la fois les magis-
fondée en droit, elle demeure abstraite et contraste net-
trats du siège et du parquet − gravement préjudiciable à la
tement avec la méthode très concrète – développée au regard
protection effective des droits de l’homme. Quant à la seconde
de l’évolution des circonstances – adoptée par le Conseil
affirmation, elle renvoie implicitement aux arrêts de la Cour
pour admettre le possible réexamen du régime de la garde
européenne qui admettent que l’exigence de traduire « aus-
à vue de droit commun. Elle contraste également avec la
sitôt » devant un juge une personne privée de liberté ne
jurisprudence de la Cour européenne qui considère tradi-
signifie pas que cette présentation doit avoir lieu immédia-
tionnellement que « la Convention a pour but de protéger des
tement (29), ce qui justifierait que les quarante-huit premiè-
droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effec-
res heures de garde à vue soient placées sous le contrôle
tifs » (24), a fortiori lorsqu’il s’agit de la protection de la dignité
du procureur de la République. L’argument est évidemment
de la personne qui ne saurait souffrir d’aucune dérogation,
contradictoire avec la première affirmation : si le ministère
en quelque circonstance que ce soit (25). Il convient, dès lors,
public est une autorité judiciaire, pourquoi se soucier de
de regretter que le Conseil n’ait pas saisi l’occasion donnée
l’intervention ultérieure d’un magistrat du siège ? Surtout,
par cette question prioritaire de constitutionnalité pour déga-
ger certaines lignes directrices à l’attention du législateur
destinées à garantir la prévention des mauvais traitements
(26) C. pr. pén., art. 64-1. Cette règle de l’enregistrement audiovisuel des gardes
à vue en matière criminelle fait, en outre, l’objet de plusieurs exceptions,
notamment lorsque l’enquête porte sur des faits de criminalité ou de la
(22) Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Rapport annuel, Année délinquance organisées, au sens de l’art. 706-73 du C. proc. pén., ou
2008, p. 16 et 17. portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, ainsi que pour
(23) Comité contre la torture, 44e session, 26 avril, 14 mai 2010, observations les actes de terrorisme.
finales, not. § 22, 23 et 31. (27) CEDH, gde ch., 29 mars 2010, no 3394/03, Medvedyev et a. c/ France
(24) V., notamment : CEDH, 9 oct. 1979, no 6289/73, Airey c/ Irlande, § 124.
§ 24. (28) Considérant no 26.
(25) V., encore dernièrement : CEDH, gde ch., 1er juin 2010, no 22978/05, (29) V., en particulier : CEDH, 29 nov. 1988, nos 11209/84, 1123/84, 11266/84
Gäfgen c/ Allemagne, § 87. et 11386/85, Brogan et a. c/ Royaume Uni.
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à vue, alors que la Cour européenne affirme qu’un tel retard pour le gardé à vue d’être assisté par un avocat, comme
doit être justifié concrètement, notamment au regard de « cir- c’est le cas dans la plupart des États européens, se mêlent
constances tout à fait exceptionnelles » (30). des regrets, en particulier pour ce qui concerne l’applica-
6. Cette exigence d’un contrôle concret des conditions de tion différée de l’abrogation prononcée par le Conseil. Un tel
garde à vue mène, enfin, à regretter que le Conseil cons- report, au-delà du défaut d’effectivité des droits de la défense
titutionnel ait refusé de se prononcer à nouveau sur la confor- qu’il induit, créé une situation d’insécurité juridique pré-
mité aux exigences constitutionnelles des régimes déro- occupante. En effet, si l’article 62, alinéa 3, de la Consti-
gatoires de garde à vue. En effet, comme l’indiquaient les tution de 1958 impose aux juges répressifs de maintenir
requérants, le dispositif actuel méconnaît frontalement la appliqué le régime actuel de garde à vue, l’inconvention-
jurisprudence européenne selon laquelle une « restriction nalité des dispositions litigieuses est désormais encore plus
***
(30) CEDH, gde ch., 29 mars 2010, Medvedyev et a. c/ France, pré., § 130 (32) C. pr. pén., art. 626-1 et s. relatifs au réexamen d’une décision pénale
à 134. consécutif au prononcé d’un arrêt de la Cour européenne des droits de
(31) V. CEDH, 13 oct. 2009, Dayanan c/ Turquie, préc., § 33. l’homme.