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ENFANT FREUDIEN, ENFANT KLEINIEN

Danièle Brun

ERES | « Figures de la psychanalyse »

2012/2 n° 24 | pages 19 à 27
ISSN 1623-3883
ISBN 9782749234861
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-figures-de-la-psy-2012-2-page-19.htm
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Enfant freudien, enfant kleinien *
• Danièle Brun •

Approcher la vie psychique enfantine à travers les conceptions de deux pion-


niers peut avoir de quoi surprendre. Pourquoi se limiter à Sigmund Freud et à
Melanie Klein ? On peut tenter de répondre à cette question avec des références
explicites à Winnicott, à Dolto et à Lacan. La liste reste ouverte, car de nombreux
auteurs ont exposé leur conception de l’enfant sans être pour autant des théra-
peutes en la matière. Pour ma part, c’est à un face à face entre Freud et Klein que
je vous convie. L’arrivée de Melanie Klein dans le paysage freudien s’est en effet
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révélée lourde de conséquences pour l’avenir de la psychanalyse, à l’instar d’un
événement que nul n’avait anticipé. Un courant considérable s’est, en effet, déve-
loppé, à partir de son installation à Londres comme psychanalyste d’enfants, à
l’initiative d’Ernest Jones. Son influence s’étendit outre-Atlantique, au sud surtout
mais aussi au nord. Cela ne faisait pas partie des choses prévisibles ni attendues si
on s’en tient aux enjeux de sa dispute avec Anna Freud que Lacan qualifia de
« rivalités mérovingiennes ». Quant à Freud, il s’est mépris sur le sens de cette
lutte, comme en témoigne ce fragment de lettre adressé à Joan Riviere le
9 octobre 1927 qu’Alain de Mijolla me communiqua, il y a quelques années 1.
« Laissons à tout ceci son caractère de domestic quarrel, écrit-il, une querelle en
famille. D’autre part, ne croyez pas que je revendique une totale absence de
critique pour les opinions d’Anna sous prétexte qu’elle est ma fille. […] Nous
posons comme préalable que l’enfant est un être pulsionnel avec un Moi fragile
et un Surmoi juste en formation. Chez l’adulte, nous travaillons avec un Moi
raffermi. […] Ferenczi a fait la remarque que si madame Klein a raison, il n’y a vrai-
ment plus d’enfants. Naturellement c’est l’expérience qui aura le dernier mot 2. »

* Texte réécrit d’une intervention aux Journées d’Espace analytique, « Qu’est-ce qu’un
enfant ? », le 8 octobre 2011.
1. On pourra se reporter à mon article « Être psychanalyste d’enfants après Freud »,
Études freudiennes, n° 36, 1995, p. 7-34.
2. « Lettres de Sigmund Freud à Joan Riviere » (1921-1939), Revue internationale d’his-
toire de la psychanalyse, n° 6, 1993.
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La méprise de Freud, comme celle de Lacan d’ailleurs, trahissent leur désin-


térêt pour la psychanalyse d’enfants. Encore que la métaphore de Lacan ait
manqué sa cible de justesse. Au-delà de ses luttes meurtrières entre les frères que
rappela Lacan, la dynastie mérovingienne créa de véritables transformations. De
ce point de vue, il n’est pas vain de parler de dynastie kleinienne car son avène-
ment a marqué l’histoire de la psychanalyse. Plus qu’une voie nouvelle par
rapport à Freud, c’est bien une dynastie que Melanie Klein a ouverte dont l’inci-
dence a dépassé l’exercice de la psychanalyse d’enfants et du débat avec Anna
Freud. Pourquoi ?

Pour une raison chronologique, dirai-je d’abord, qui tient aux circonstances
de son arrivée dans l’édifice freudien, entre 1912 et 1914. À cette période, après
trois deuils douloureux : ceux de son frère, de sa mère et de son mari, plus récent,
elle lit le texte de Freud intitulé « Sur le rêve », dont la seconde édition paraît en
1911. Elle prend alors contact avec Ferenczi, son premier analyste, celui qui
découvre ses talents d’analyste d’enfants.
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Sa biographe, Phyllis Grosskurth, dit qu’elle a lu Freud « vers 1914 ». 1914 est
une date charnière pour Freud puisque c’est celle de la rupture avec Jung et de
l’introduction du concept de narcissisme, dans la suite de celui de « névrose
infantile. Or, Melanie Klein ne fera usage ni de l’un ni de l’autre. J’y vois un
élément déterminant pour l’élaboration de sa théorie, en contrepoint des rema-
niements que connaît la théorie freudienne après 1914. Dès 1919, en effet, Freud
modifie le dualisme sadisme-masochisme en vigueur jusqu’alors pour établir la
primauté du masochisme. Il confirme définitivement cette position en 1924, ce
dont témoigne l’article intitulé « Le problème économique du masochisme ».
Melanie Klein, de son côté, voit le bébé, animé dès sa naissance par des pulsions
sadiques originaires et elle fonde, sur cette base, toute sa théorie de la relation
entre la mère et son enfant, sans jamais y revenir.

Elle ne suit pas Freud dans l’opération de retournement pulsionnel qui le


conduisit à faire du masochisme un mouvement antérieur au sadisme. Leur diffé-
rence de position me paraît lourde de conséquences à la fois pour la psychana-
lyse d’enfants et pour la psychanalyse en général, qu’il s’agisse de sa
transmission, de la conduite de la cure et des interprétations qui s’y donnent.

Freud, comme on le sait, commença à s’intéresser à l’enfant dans le cours de


son autoanalyse, à ses propres enfants d’abord, ce dont témoigne diversement
sa correspondance avec Fliess, puis à sa propre enfance dont il découvre l’inci-
dence dans les suites de la mort de son père et de son renoncement à « la
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neurotica 3 ». La prise en compte de la sexualité infantile se fit parallèlement et


connaît son acmé avec la publication, en 1905, des Trois essais sur la théorie
sexuelle. On sait que la découverte de la sexualité infantile forme avec le statut
accordé à l’Inconscient les deux piliers de la révolution freudienne, vis-à-vis
desquels la contestation n’a pas cessé.

La mise en question de l’innocence de l’enfant a suscité de nombreuses


attaques auxquelles Freud a tenté de répondre, non sans excès à vrai dire. Si,
dans sa correspondance, il donne l’impression d’avoir été un père attentif, son
insistance à apporter des preuves de la sexualité des enfants eut des répercus-
sions parfois dommageables sur les enfants de ses collègues. Pour faire valoir la
véracité de sa théorie – notion à ne pas confondre avec celle de vérité –, Freud,
en effet, incita ses collègues à observer attentivement leurs enfants, à la fois en
tant que pères et en tant que psychanalystes acquis à sa cause. Certains en ont
témoigné par écrit comme Jung qui écrivit un joli texte sur la jalousie de sa fille
à la naissance d’un petit frère. De ce texte, intitulé « Conflits de l’âme enfan-
tine 4 », il ne voulut plus entendre parler après sa rupture avec Freud sans pour
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autant le supprimer de ses œuvres complètes. De son côté, Karl Abraham, pour
résoudre les inhibitions scolaires de sa fille, la questionna longuement sur ses
habitudes sexuelles. De ces entretiens, on trouve la trace dans un opuscule inti-
tulé « La petite Hilda 5 ». Hilda qui, plus tard après la mort de son père, rassem-
bla l’essentiel de ses œuvres, ne paraît pas lui avoir pardonné cette incursion
rendue publique dans sa vie privée infantile. Cela ne signifie pas que ces pères
attentifs se soient trompés. Simplement ils ont franchi une limite qui peut aujour-
d’hui paraître regrettable. On connaît aussi le travail de Ferenczi 6 dont Freud
aurait même pris ombrage : « Arpad, le petit homme-coq ».

Ces textes, contemporains des Trois essais, engagent une représentation parti-
culière de l’enfant freudien adonné à la masturbation dont on ne peut se satis-
faire de penser qu’elle est issue de la Vienne fin de siècle où la psychanalyse a pris

3. Voir à ce sujet la lettre du 21 septembre 1897, dans Lettres à Wilhelm Fliess, Paris, PUF,
2006, p. 334-337.
4. C. G. Jung, « Conflits de l’âme enfantine » (1916), dans Collected Works (p. 1-35) [§ 1-
79], et C. G. Jung, Psychologie et éducation, Paris, Buchet Chastel, 1963.
5. H.C. Abraham (1974), Karl Abraham, Biographie inachevée précédée de « La petite
Hilda », traduction française J. Adamov, Paris, PUF, 1976.
6. S. Ferenczi, « Un petit homme-coq (1913) », dans Œuvres complètes, t. 2, Paris, Payot,
1990.
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naissance. Elle lui est antérieure et elle a déterminé une technique durable selon
laquelle il fallait faire avouer le petit coupable soumis à ses pulsions. Lui faire
reconnaître ses activités masturbatoires au moment de l’endormissement ou du
réveil ou encore durant ses rêveries, c’était aller dans le sens du soulagement et
de la sédation de ses symptômes. La technique était intrusive mais nécessaire.
Active certes, et peut-être incitatrice d’autres mouvements dits thérapeutiques
sur le modèle de ceux qui, plus tard, furent reprochés à Ferenczi.

Dans ce contexte, place peut être faite à l’enthousiasme de Freud pour


Hermine von Hugh Hellmuth qui publia sous un faux nom son journal de petite
fille où elle exposa l’éveil et les manifestations de sa sexualité. Elle-même – on le
sait – mourut étranglée par le neveu dont, depuis l’enfance, elle analysait et
publiait les rêves. C’est ce que, pour sa défense, il invoqua comme reproche lors
de son procès : oui, il était venu pour la voler pendant qu’elle dormait et comme
elle l’avait surpris, il s’était affolé. À sa sortie de prison, il demanda à être indem-
nisé pour les dommages que lui avaient causés les publications de sa tante.
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C’est dire comment et combien la mise en cause de l’innocence de l’enfant
mena à l’excès les détracteurs de Freud ainsi que ses partisans.

Une lettre du 4 décembre 1917 7 adressée à Lou Andreas-Salomé en réponse


à un conseil qu’elle lui demandait, marque, s’il en était besoin, l’intérêt durable
de Freud pour la technique de l’aveu : « L’expérience de votre petite patiente n’a
pas besoin d’être bien terrible : quelque chose de très ordinaire ; dans le cas le
plus simple elle s’est accordée le plaisir de l’autosatisfaction jusqu’à l’apparition
de la maladie qui vint supprimer cette tolérance. […] Pour l’aimable thérapeute
qui s’est ménagé un si joli accès auprès de l’enfant, il reste donc encore deux
voies techniques. Soit attendre et persévérer avec patience jusqu’à ce que l’en-
fant se soit attachée plus intensivement et se mette à raconter d’elle-même – ce
serait l’expérience la plus concluante – ou avec une entière confiance dans le fait
d’avoir bien deviné, de le raconter soi-même. C’est la voie la plus courte. […] et
vous pourriez “après” le non du début traquer les réponses de l’enfant jusqu’à
découverte des faits. »

Bien qu’elle ne soit pas la meilleure dans l’élaboration de la vie psychique


enfantine, cette période de l’implication de Freud demeure incontournable et
devait être rappelée.

7. L. Andreas-Salomé, Correspondance avec Sigmund Freud, suivie de Journal d’une


année (1912-1913), Paris, Gallimard, 1985, p. 92-93.
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Il y a donc eu deux voies essentielles à la mise en place de l’enfant freudien :


– l’enfant en soi, celui des souvenirs qui refont surface au cours de l’autoanalyse
et de l’analyse aujourd’hui ;
– l’enfant et sa sexualité, son rapport à l’anatomie. Tous les articles rassemblés
dans le recueil intitulé La vie sexuelle en témoignent.

Sur les quatre voies d’entrée vers l’enfant freudien annoncées, il en reste deux
à explorer.

En premier lieu, celle de l’enfant qui survit et sommeille dans l’adulte. Une
relecture du « petit Hans » témoigne déjà de sa présence. On y reconnaît les
caractéristiques de l’enfant freudien dans la psychanalyse d’enfants. « Le petit
Hans » peut s’aborder sous cet angle. Freud s’y montre attentif, via le père, mais
aussi au nom de ses propres mouvements identificatoires, aux réactions de l’en-
fant selon qu’elles lui paraissent portées par le refoulement ou par l’avancée du
travail de mise à jour de ses désirs œdipiens 8. Cette sensibilité de Freud, analyste
d’enfants, fut longtemps occultée à la fois par le souci inhérent à la promotion
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de sa théorie de la sexualité infantile, puis par l’intensité de la dispute entre
Anna, la fille omniprésente depuis les années 1920, et Melanie Klein.

La dernière voie à explorer, la plus importante peut-être pour appréhender


les enjeux d’une confrontation entre l’enfant freudien et l’enfant kleinien, est
celle de la mère, plus exactement celle de la mère comme premier objet d’amour
de la fille et du garçon.

Sigmund Freud et Melanie Klein n’ont pas eu le même genre de mère ni le


même type de relation à leur mère. C’est là sans doute une différence de filiation
majeure entre eux. Il y en a une autre dont j’ai dit quelques mots au début de
mon exposé et qui est d’ordre théorique. Il est nécessaire de mettre l’accent sur
le double aspect de la confrontation entre l’enfant freudien et l’enfant kleinien,
c’est-à-dire simultanément identificatoire et métapsychologique.

Je m’explique : chez l’enfant freudien, le premier objet d’amour, c’est la


mère. Freud ne pensa d’abord qu’au petit garçon puis, dans le cours de sa révi-
sion de la sexualité féminine à laquelle, selon Jean Laplanche, les travaux de
Melanie Klein n’ont peut-être pas été totalement étrangers, il fit de la mère le
premier objet d’amour de la petite fille. Cela se passa dans les années 1930, après

8. On pourra se reporter à mon article « Être psychanalyste d’enfants après Freud »,


op. cit.
24 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 24 •

la mort d’Amalia Freud, sa mère. C’est ce dont témoignent les écrits de cette
période sur « La sexualité féminine » et sur « La féminité ».

Le renoncement à la mère de la petite enfance ne se fait pas sans mal, pour


le garçon comme pour la fille. On sait que Freud s’est toujours vécu, à l’instar de
Goethe, comme « le favori incontesté de sa mère ». On se rappelle aussi la lettre
d’octobre 1897 dans laquelle il parle de l’éveil de la libido envers matrem nudam.
Le renoncement à cette mère intérieure dont l’image, comme il est dit dans
Totem et tabou se conserve « intacte dans l’inconscient », guide ce que Freud
nomme la « généalogie du choix amoureux ». Quant à la petite fille qui retourne
en haine son amour pour la mère, son premier désir, analogue à celui du garçon,
est celui de « faire ou de recevoir un enfant » d’elle.

Ainsi, pour l’enfant freudien, la mère se présente-t-elle comme l’objet idéal


dont l’absence, même provisoire, est douloureusement ressentie. L’exemple du
jeu du fort-da est plus que signifiant à cet égard. Déçu dans ses aspirations envers
son unique objet, l’enfant freudien se construit un roman familial 9 avec une
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mère et un père à la mesure de ses attentes et en réponse à ce que, plus ou moins
consciemment, il tient pour une trahison des siens. Il élabore ainsi dans sa tête
des scénarios de vengeance et de représailles à l’encontre de la mère et de
ceux – père, frères ou sœurs – qui lui barrent la route vers l’objet de son désir.
L’enfant freudien présenté ici comme unisexe se fait l’artisan de représailles envers
les parents. Il réagit à sa déception. Une déception précoce qui a pour effet posi-
tif de stimuler sa pensée, son imagination et de l’inciter à investir ailleurs, sur
d’autres que sa mère. C’est ainsi que se nouent d’intenses liens d’amitié 10.

La différence essentielle avec l’enfant kleinien se fait plus visible.

L’enfant kleinien craint en effet, dès l’origine, les représailles de la mère. Cela
résulte de la primauté de son sadisme que Melanie Klein voit à l’œuvre dès la
naissance. Ce n’est pas sans raison que Lacan a parlé d’elle comme d’une
« tripière de génie ». Elle attribue, en effet, au bébé une aptitude à attaquer
fantasmatiquement l’intérieur du corps de la mère, aptitude qui est lourde de
conséquences pour le devenir de son psychisme. Car ses attaques fantasmatiques
dirigées contre les enfants potentiels et/ou le pénis du père logés dans les
entrailles maternelles, créent la peur de ses représailles. Du moins, c’est ce que

9. Voir « Le roman familial des névrosés », dans Névrose, psychose et perversion, Paris
PUF, 1979, p. 157-160.

10. Voir mon livre, La passion dans l’amitié, Paris, Odile Jacob, 2005.
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craint le bébé et c’est ce qui justifie sa position dite schizo-paranoïde, puis la


phase dépressive qui y fait suite 11.
Melanie Klein est donc restée campée sur la primauté du sadisme à travers
laquelle se dessine l’enjeu métapsychologique constitutif de sa représentation de
l’enfant. Les enjeux de filiation personnels et analytiques y sont également repé-
rables. En prenant son petit garçon en analyse, ne voulait-elle pas le protéger du
destin psychique qu’avait connu son frère Emmanuel et qui le mena au suicide ?
C’est une hypothèse. Toujours est-il que ses talents pour l’analyse d’enfants
furent remarqués dès sa première analyse avec Ferenczi et que son deuxième
analyste Karl Abraham qui, je le rappelle, avait étudié sa fille Hilda, ne s’est ni
offusqué ni étonné de la voir prendre son fils en analyse. Il a même utilisé ce
savoir pour convaincre Freud des talents de sa patiente. Un Freud qui était tout
prêt à laisser la pratique de l’analyse d’enfants aux femmes, lui qui n’aima jamais
occuper la place d’une mère dans le transfert. On se souvient de sa remarque à
sa patiente H.D. en 1932 : « Et je dois vous dire… je n’aime pas être la mère dans
un transfert, je me sens tellement masculin 12. »
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Melanie Klein n’a jamais rien dit de semblable.
Elle n’a pas suivi le renversement du sadisme en masochisme effectué par
Freud dans les années 1920. Renversement qui inaugura un tournant dans sa
théorie comme dans sa vie. Les enjeux filiaux et métapsychologiques qui guidè-
rent leur conception de l’enfant sont bien différents.
Chez Freud, par ailleurs, on ne peut apprécier comme il convient l’évolution
de sa métapsychologie et de sa description de la vie psychique enfantine, sans
compter avec l’entrée de sa fille Anna dans le monde de la psychanalyse.
En 1919, elle émet le vœu d’être admise à la Société psychanalytique de
Vienne et son père la prend en analyse. Elle n’est plus une enfant comme celui
que Melanie Klein prit en analyse, mais elle est son enfant. Et il témoigne dans
son œuvre de leur rencontre analytique. Il publie « Un enfant est battu 13 » en
1919. L’article fait, selon Jones, vraisemblablement allusion à Anna dans les cas
donnés en exemple.

11. On se reportera à ce propos à Comprendre Melanie Klein de Sabine Parmentier,


Paris, Armand Colin, 2009.
12. H.D. (Hilda Doolittle), Visage de Freud, Préface de Françoise de Gruson, Paris,
Denoël, coll. « Freud et son temps », Paris, Denoël, 1977.
13. S. Freud, « Un enfant est battu » (1919), dans Névrose, psychose et perversion, Paris,
PUF, 1973.
26 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 24 •

De son côté, pour son intronisation à la société de Vienne, Anna présente un


travail bio-analytique, intitulé : « Fantasmes de fustigation », qui traite d’un sujet
analogue à celui dont il est question dans l’article de son père. Telles sont les
conditions dans lesquelles se précise le retournement de la position de Freud sur
la question du masochisme. Position qui sera affirmée en 1924 dans l’article inti-
tulé « Le problème économique du masochisme 14 ».

J’aborde maintenant une dernière question : que reste-t-il aujourd’hui de


cette confrontation entre l’enfant freudien et l’enfant kleinien ? Qu’y puisons-
nous et comment ?

Il est vrai qu’on trouve davantage de clés pour la psychanalyse d’enfants chez
Melanie Klein, même si la lecture du Petit Hans est instructive à cet égard. Elle
parle du comportement de l’enfant, du jeu, de la présence des parents, de l’in-
terprétation, du langage symbolique. En ce domaine, elle ne craint pas d’aller
fouiller dans les entrailles de l’enfant, non sans un brin de sadisme d’ailleurs.
Mais il n’est pas besoin d’être kleinien pour lui savoir gré d’avoir mis en valeur la
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crainte des représailles chez l’enfant. Que cette crainte soit ou non imputable à
un surmoi précoce, persécuteur et à la persistance d’un sentiment de culpabilité
à la fois conscient et inconscient, elle existe bien. Elle permet en outre d’avoir
accès au transfert négatif dont il devient possible de parler à l’enfant.

La présence de l’enfant kleinien se mêle à celle de l’enfant freudien, dans le


cas de l’analyse d’enfants et dans celle des adultes. Dans ce domaine, il est inté-
ressant de constater l’apport ainsi que les incidences de l’analyse d’enfants quant
à l’éclairage de larges pans de l’analyse d’adultes. Inutile de préciser que je suis
favorable à la double pratique.

Un mot encore sur les pulsions sadiques envers l’intérieur du corps de la mère.
Non seulement, elles ne sont plus le privilège de l’enfant kleinien – je garde l’ex-
pression – mais il semble qu’aujourd’hui les progrès de l’échographie favorisent
l’émergence de ces mouvements d’inspection du corps maternel. Les mères n’y
font même plus obstacle. Je pense ici à un petit garçon que ses parents conduisi-
rent chez moi pour une phobie alimentaire : il ne mangeait rien de rouge.
Dommage pour les fruits rouges, les pizzas et les pâtes à la tomate ! Un jour, tout
fier, il me fit part d’une confidence que sa mère lui avait faite : « Ma mère m’a
dit que, dans son ventre, on était deux. Comme c’était moi le plus fort, c’est moi

14. S. Freud, « Le problème économique du masochisme » (1924), dans Névrose,


psychose et perversion, Paris, PUF, 1973.
ENFANT FREUDIEN, ENFANT KLEINIEN 27

qui suis né. » Je me suis laissée aller à penser que c’était de l’intérieur qu’il avait
attaqué le ventre de la mère et qu’aujourd’hui avec son accord et grâce à l’appui
de ma personne comme substitut de la mère dans le transfert, il pouvait recréer
une union avec sa mère intérieure sans craindre ses représailles et sans avoir
besoin d’en construire à son endroit. On voit ainsi s’opérer dans une analyse d’en-
fants une alliance subtile entre deux représentations de l’enfant : celle de l’en-
fant freudien et celle de l’enfant kleinien.

RÉSUMÉ
Il est nécessaire de mettre l’accent sur le double aspect de la confrontation entre l’enfant
freudien et l’enfant kleinien, c’est-à-dire simultanément identificatoire et métapsycholo-
gique. Si Freud, dans les années vingt, prône la primauté du masochisme, Melanie Klein
venue à la psychanalyse vers 1914, reste campée sur la primauté du sadisme. De là une rela-
tion précoce à la mère différente pour chaque enfant.
De nos jours, la présence de l’enfant kleinien se mêle à celle de l’enfant freudien, dans le
cas de l’analyse d’enfants et dans celle des adultes. Aussi est-il très enrichissant de consta-
ter l’apport ainsi que les incidences de l’analyse d’enfants quant à l’éclairage de larges pans
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de l’analyse d’adultes.

MOTS-CLÉS
Enfant freudien, enfant kleinien, pulsions sadiques, masochisme/narcissisme, crainte des
représailles, représailles fantasmées, roman familial.

SUMMARY
It is so necessary to point out these two sides between the freudian child and the kleinian
one, regarding both the identification and metapsychological parts. Between 1920 and
1924, Sigmund Freud decided to consider the primarity of masochism on sadism. On her
part, Melanie Klein who joined psychoanalysis and Freud’s theory before 1914, kept the
primarity of sadism which Freud defended at the beginning. That means for each child, the
freudian one and the kleinian, a quite different relationship to his early mother.
Nowadays, the characteristics of the kleinian child meet the Freudian ones, either in the
field of the child or of the adult’s analysis. It is also very useful to observe how and when
psychoanalysis with adults is enriched by the experience of analysis with children.

KEY-WORDS
Freudian child, kleinian child, sadistic instincts, masochism/narcissism, fear of retorsion,
fantasies of revenge, family romance.

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