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Sommaire

Âme (anima, animus, spiritus, mens) .............................................. 11


Amour, désir (appetere) .................................................................. 13
Autorité (auctoritas) ........................................................................ 16
Béatitude (beatitudo, beata vita, fruitio Dei) .................................. 18
Beau ............................................................................................... 20
Bien (bonum) ., ............. '" ............................................................... 22
Charité (caritas; dilectio proximi) ................................................... 25
Cités ............................................................................................... 27
Cogito ............................................................................................ 30
Concupiscence (concupiscentia, cupiditas, libido, péché) ................. 33
Dieu .............................................................................................. 35
Distension de l'âme (distensio animi) ............................................. 37
Éternité (immortalité) ... '" ............. '" ............................................... 40
Être (esse, essentia, natura) ............................................................. .42
Fin (telos) ..... ..................................................................... , ............. 44
Grâce ............................................................................................. 46
Jouissance et utilité (Frui-uti) ........................................................ 49
Justice ............................................................................................ 51
Liberté, libre arbitre ....................................................................... 53
Loi naturelle (lex naturalis) ............................................................ 56
Maître intérieur ............................................................................. 58
Mal ................................................................................................ 62
Manichéisn1e ................................................................................. 63
Mémoire ........................................................................................ 65
Ordre (ordo) ................................................................................... 68
Passions (paniones) ......................................................................... 70
Pélagianisme .................................................................................. 73
l111<.I"VJ-. IU'- . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
'
75
Raison (ratio) ................................................................................. 78
Région de dissemblance (;'egio .............................. 81
Sagesse ........................................................................................... 82
Signe verbum, nomen, l'es) ... ............................................. 85
Temps ............................................................................................ 87

5
Trinité ............................................................................................ 90
Verbe ............................................................................................. 92
Vérité ............................................................................................. 93
Volonté .......................................................................................... 96
Abréviations ................................................................................... 99
Bibliographie ............................................................................... 101

6
Il semble pour le moins naïf de prétendre présenter
l'ensemble du corpus augustinien par l'intermédiaire
d'un lexique d'une centaine de pages. De nombreux
travaux critiques, dont l'imposant Augustinus Lexikon,
publié en Allemagne, atteste de l'importance et de
l'effervescence des études augustiniennes à l'heure
actuelle]. L'œuvre de l'évêque d'Hippone occupe une
place à part dans la littérature occidentale. Elle peut à
juste titre être lue comme un « grand code» de la pensée
européenne, tant pour la littérature que pour la théologie
et la philosophie. Il importe néanrnoins de confronter
notions propres à la doctrine augustinienne avec ce
par la suite. Dans ce dessein, un
que nous espérons
notions principales

1" Voir également E. Stump et N. Kretzmann, 77Je ./lrrl,'Jrw{w Comprmion


to Augustine, LUP, 2001.

7
quelques points de repère pour circuler aisément dans
cette œuvre immense, qu'aux lecteurs qui connaissent
bien l'augustinisme, dont P. Courcelles et P. Sellier ont
bien montré l'importance, mais qui cherchent à mieux
comprendre les principales articulations de l'argumen-
taire augustinien pour telle ou telle question. Mais notre
plus grand espoir est de fournir une porte d'entrée à
tout lecteur susceptible de s'intéresser aux rapports entre
philosophie et théologie et à la lente émancipation de
la première par rapport à la dernière.
Nous avons particulièrement tiré profit du travail
de Goulven Madec et des différents collaborateurs,
dans cette entreprise au long cours, de la bibliothèque
Augustinienne. Il va de soi que l'approche théologique
du corpus augustinien a été négligée ici au profit d'une
lecture philosophique des textes. On ne trouvera pas, par
exemple, dans les rares notes de notre travail, d'allusion
aux études des théologiens importants du siècle,

8
faire place à des notions secondaires, C01nlne
le concept de « cité », Inais dont l'importance pour
l'histoire des idées politiques est cruciale.
Toutes les références sont données d'après l'édition de
la Bibliothèque de la Pléiade et de la grande édition
critique la bibliothèque Augustinienne l .

Gallimard, Paris, 2000,


Paris. Voir également (Brcpols).
Comme de nombreux autres termes chez Augustin,
la notion d'« âme» est polysémique. Elle fait tantôt
référence à 1'« âme du monde» (Platon, Timée, 35
a-b), qui renvoie alors au principe néoplatonicien (voir
Plotin, Ennéades IV et VI) d'une âme universelle (C D.,
XIII, 16-17), tantôt à l'âme de l'individu. plupart
du temps, Augustin fait référence à l'âme humaine.
Étant composé d'une ârne et d'un corps, l'homme ne
peut exister sans cette relation entre ces deux principes
(B. V, 6-7). L'union de l'âme et du corps suppose une
hiérarchie de la première sur le second. C'est pourquoi
nous pouvons parler l'âme comlne d'une substance:
elle peut être pensée indépendamrrlent du corps même
si et avant tout
tant

11
plus précisément la faculté de recueillir les impressions
du corps. Cette dernière faculté est corrlplérée dans
son effort par une seconde faculté, nOInrrlée spiritus,
qui se rapporte à l'agencement ou à la distinction des
impressions corporelles. Enfin, la mens produit à la
fois une connaissance des choses sensibles et de leurs
principes. Elle est donc aussi bien une raison qu'une
(intellect), elle-mên1e permet d'accé-
à la sagesse.

ce
l'immortalité de l'âlne est conditionnelle à la sagesse
(C. I, l

12
part, que l'âme n'est pas corporelle, d'autre part, qu'elle
n'est pas une partie du tout représenté par Dieu. Si ni
l'âme ni Dieu ne sont des corps, faut-il les identifier?
Non, car il existe, depuis la chute, un hiatus entre
l'âme humaine et la volonté divine. D'un autre côté, la
faute d~dam n'atteste pas d'une victoire de la matière
sur l'esprit au sein de l'âme humaine. Cette chute est
le fait de l'âme, et non l'effet du corps sur l'âme: en
d'autres termes:
11 c'est l'âme qui est corrompue, et non le corps;
2/ elle n'est pas corrompue par celui-ci, elle se cor-
rompt elle-même: tout au plus la matière peut-elle
être l'instrument de la corruption de l'âme.

(appetere)

L'acte d'amour consiste à désirer (appetere) une chose


pour elle-mêrne (De diversis quaest., 83 quo 35).
l'encontre l'amour objet

13
Or, l'amour est d'abord défini en termes d'union
entre deux êtres. Lamour est partage, c'est-à-dire qu'il
suppose une réciprocité : les hommes s'identifient les
uns aux autres lorsqu'ils veulent pour les autres ce que
ces derniers veulent pour eux-rnêmes (De trin., VIII, 10,
14; Conf, IV, 6). Lamour n'est pas dirigé uniquement
de l'être aimant à l'être aimé, car il est réciproque. C'est
pourquoi l'unité de l'amour est un élément indispensable
de sa définition, car sans cette unité, l'amour de soi et
l'amour d'autrui seraient contradictoires. outre, et
plus important encore, l'amour est et s'oppose
à la cupidité ou Lamour véritable est
peut-être un désir, mais il est aussi un Inouvelnent de
vers ce qu'elle désire. Lamour ne consiste donc pas
à rarnener à soi l'objet aimé, rnais à tendre tout son être
vers et donc à s'y identifier (De trin., 14). Encore
faut-il aiIner ce qui ne se rapporte pas à soi-même. Or,
tout amour des choses existant dans le monde est une

14
Pour paraphraser Husserl, tout désir est désir
de « quelque chose» : « l'amour est élan, et il n'y a
d'élan que vers quelque chose» (De diversis quaest., 83,
quo 35, 1). L'amour est également pensé dans les termes
de la physique (Conf, XIII, 9 ; Epist., 55 ; 157 ; C. D.,
XI, 27) Augustin affirme que tout corps tend au lieu
qui lui est naturel, ce qui explique pourquoi l'amour
de l'homme devrait le pousser vers Dieu. Lorsqu'un
corps tend vers ce qui lui est naturel, il se dirige vers
ce qui correspond à son être propre, ce qui ne signifie
pas qu'il se replie sur lui-même, mais que son mouve-
nIent est une quête du repos. Il en va de même pour
l'amour humain: celui-ci ne devrait trouver de repos
qu'une fois sa quête satisfaite, et la seule satisfaction
possible pour l'amour humain est Dieu. Si les objets
sont entraînés par leur « poids» vers le lieu qui leur est
propre (l'eau, versée sur l'huile, s'enfonce au-dessous
de l'huile, la pierre est attirée vers la terre, le feu vers
le ciel, etc.) le « est l'amour, qui
devrait l'entraîner vers le péché originel a

15
~,,1'"d.... 1I411r.o (auctoritas)

La notion d'autorité est intimement liée à celle de


raison (ratio) car elle la complète. Mais elle ne peut être
entendue sans référence à la foi. La raison découvre,
par ses investigations, les objets qu'elle a pour fonction
de comprendre; l'autorité confirme ce que la raison
découvre si cette dernière n'est pas dans l'erreur.

Il Y a toutefois une circularité de l'autorité, car elle


apparaît au début et à la fin du processus entier de la
raison. L'autorité est accordée par la foi. Pour com-
prendre, il faut croire; la raison poursuit le processus
de connaissance de l'objet; l'autorité confirme ou non
le travail de la raison selon que cette dernière s'accorde
avec ce a à l'origine de son travail, l'autorité
(Epist., 1).

du De trinitate, pour
consiste à montrer
'1,""",..""1-".,,,1'::>comment la com-
:

16
humaine à saisir parfaitement la vérité divine n'est pas
irrésoluble. L'homrne, dit Augustin (De trin., Xv, 2),
se distingue de l'animal par la raison. La quête de la
vérité participe en elle-mêrne de la vérité puisqu'elle
est insufflée par l'amour ou la recherche de Dieu. Il
est donc illusoire de croire que la quête de Dieu est
vouée à l'échec; certes, Dieu ne peut faire l'objet d'une
saisie rationnelle, mais si la vérité est d'essence divine,
alors la quête de conduit l'homme à reconnaître
symétriquement les limites de la raison humaine et
la perfection divine. Par ce fait même, il est en voie
connaître la vérité, car il reconnaît son existence
en adlnettant, par l'expérience intellectuelle, que sa
raison est insuffisante. C'est là le sens du commentaire
que donne Augustin de l'Ecclésiastique 29 ;
cf. Isaïe, 7, :« qui mangent auront encore
faim; ceux qui encore soif ». Ainsi Augustin
cherche, l'intelligence trouve»

17
La béatitude est une possession du bonheur. Il ne
s'agit plus d'un amour au sens du désir pour un objet,
mais de la réelle jouissance de cet objet sans qu'aucune
crainte (metus) de le perdre ne puisse intervenir.
Seul le véritable amour de Dieu peut offrir une telle
assurance.

Augustin (C. A., essentiellement au livre III) montre


que la plupart des écoles philosophiques s'entendent pour
dire que le bonheur ne peut être atteint. Le bonheur est
identifié à la sagesse. Il faut donc rechercher la sagesse
pour être heureux, ce que Augustin leur accorde car
« même de l'avis des fous la folie est malheureuse»
l, 24). Toutefois, les vaine
une quête ; sans certitude, il ne
sagesse possible, et dès lors le 1J'.hLUJ.'~U.'"

18
sceptiques est d'avoir pensé que la f~üllibilité humaine
ne pouvait être compensée par aucune instance, aucun
secours extérieur.

On pourrait alors croire que le secours divin per-


met aux hornmes de vivre dans le bonheur. 1,' influence
positive de Dieu se ferait ainsi sentir dans le cours
même de notre existence temporelle : la venue
aurait délivré les leurs fautes et ils
pourraient dès lors vivre en paix. Mais il faudrait alors
penser que Dieu délivre les créatures de leur condition
avant le jugement dernier, ce est impossible.
au plus est-il possible de croire que l'homme, dans
lirnites ilnposées par son être propre, participe de la
vérité éternelle lorsqu'il s'en approche le plus: il agira
'-''-'_u.-'-'J-,-_'--l-'-'-'-'-jl-'-'--'-i~ à la sans
rnt"""",pp de manière à ce
est libre.

19
bonheur suppose donc deux choses: il est un don divin
et un effort ou un travail constant de l'individu pour
derneurer dans la voie tracée par Dieu.

beau n'est pas seulement une entité esthétique,


mais une notion morale. L'épithète détennine alors à
la fois les choses et les êtres, mais également les actions.
Plus précisérnent, l'harmonie qu'il suppose ne se rap-
porte pas au seul équilibre des corps ou des formes
mais au respect de la hiérarchie entre l'ordre spirituel
et l'ordre temporel. Une harmonie esthétique est en
conséquence d'ordre éthique, ou plus précisérnent,
J.J.LL"''''.I..l''--. Cela ne signifie pas
"',..,..,. ..... ,"",...... "'<' relatifs aux valeurs, et

nt=>,··pnlCP V'H. à la .... . . , .....

20
la vérité divine, afin de croire en elle, mais égalelnent
pour la contempler, la comprendre et la retenir (<< non
jam credenda solum, verum etiarIl contemplanda,
intelligenda atque retinenda » De ord., II, 44). Ainsi,
la perfection plastique des objets nlatériels, fussent-ils
des œuvres d'art, ne doit jamais être pensée dans le
vocabulaire du beau. N'est beau que ce qui a la faculté
d'élever l'âme à Dieu. Au contraire, toute forrne de
beauté indépendante d'une visée spirituelle condamne
à l'alnour de soi, c'est-à-dire à l'adoration des choses qui
ramènent l'homme à sa condition d'être mortel, soumis
à la vindicte de ses passions animales.

question du beau apparaît très tôt dans


l'élaboration de la philosophie augustinienne. Au
début du livre IV des Confessions, Augustin afhnne
avoir déjà rédigé, dans sa jeunesse, un livre sur la
question, le De pulchro et apto, qui perdu du
vivant même son auteur.

21
en soi), la conception traditionnelle du beau
à ce qui est applicable à un objet rnatériel, et ce
même si celui-ci qu'un objet matériel possible,
et non une entité possédant une existence tangible.
Bien qu'abstraites, les notions de volume, de sYlnétrie,
de couleurs, etc., se réfèrent toujours à un
ou à l'idée d'un être corporel. Que ces
notions so.ient abstraites ne changent rien au problèrrle :
elles ne désignent jamais des
là un premiers obstacles,
prrln~'rh,p l'homme reconnaître
la
De manière générale, le bien est le principe de
l'ordre. Aimer dans le bien, c'est aimer ce qui est
digne d'amour, c'est-à-dire aimer ce qui nous conduit
à l'amour de Dieu (De doctr. christ., 1, 27) Il est donc
tout à fait acceptable de considérer les biens matériels
comme des biens dignes de ce nom. Dans la mesure Oll
l'amour ces n'est contraire à
Dieu, rnais en est le corollaire, alors nous ne devons pas
les considérer COlnme l'incarnation rnaI. serait
là cornmettre nouveau l'erreur
(Sermo, 50). objets extérieurs ou
matériels vaut aussi nous
aimons COlnme nos prochains, alors nous aimons
conformén1ent à la divine. lors, tout amour
les scolastiques. De Inanière générale, on se pose la
question de savoir s'il existe un bien qui gouverne tous
les autres types de bien. Il s'agirait d'un « souverain
bien» dont le propre serait d'être l'objet d'une visée,
d'un mouvement de la volonté, mouvement dont les
instruments seraient les autres modalités du bien. Le
bien est alors pensé dans une téléologie: il représente
la dernière l'âme humaine. La réflexion augusti-
nienne sur le bien est nettement platonicienne: le bien
est un principe unique car il n'existe qu'un seul Dieu.
5' il est possible de parler de biens dont on use afin de
parvenir au bien SUprêlI1e qu'est Dieu (jouissance et
on doit prendre garde de ne jamais accorder de
valeur réelle aux biens qui permettent d'accéder au vrai
bien. ont certes une valeur positive, car ils pennettent
une avec Dieu, tuais ne sont pas des fins
en eux-rnêmes. Chez les médiévaux (voir notarnrnent,
"rvv}'vv,,,, théol., q. 46, art. 4)

24
La charité est un amour de Dieu: « Cari tas vero ipsa
non potuit significari expressius quam quo dictum
est "propter te" » (De mor. eccl., I, 15). Un tel amour
élève l'âme au-dessus d'elle-même. C'est en ce sens
que la charité est un amour ordonné (C. D., XV, 17 ;
De doct. christ., I, XXVII, ct: « amour» et « ordre »).
Elle est le lieu naturel vers lequel doit tendre la volonté
humaine (Conf, XIII, 7). Tout amour peut être juste
ou mauvais. L'amour est dans son ordre lorsqu'il est
dirigé vers Dieu et non vers le monde. Tout amour
dirigé vers Dieu ne saurait être mauvais. Ou l'amour est
juste, ou il est désordonné. L'amour de l'autre en tant
qu'il ne nous mène pas à nous airner nous-mêlnes mais
autrui dirige notre âme vers l'éternité (Serm.,
3 ; Conf, 39).

L A. d anzour chez saint

25
n'est pas la médiation d'un arnour de Dieu. Augustin
dira que l'âme « s'oublie» elle-même en aimant le
monde; or, si l'âme doit s'oublier, et ce sans que cela
représente une perte pour elle-même, alors elle doit
s'oublier dans l'amour de Dieu, créateur du monde,
non l'amour du monde (Serm., CXLII, 3).
L'amour d'autrui ou « an10ur du prochain}) (dilectio
la implique alors au moins deux
choses: un amour d'autrui en tant qu'il se rapporte à
Dieu - ce que nous airnons dans l'autre, c'est qu'il aime
tout comme nous - ou inversement un amour de
ceux qui nous aiment en tant que nous sommes leur
intermédiaire vers Dieu (De doct. christ., l, 22).

contradiction entre
Dieu, à la condition
son être propre ne soit

26
jouissance de l'objet aimé. Si cet objet est Dieu, alors
l'amour devient béatitude: il n'est plus un désir, mais
une union parfaite de l'objet aimé et de l'être aimant,
sans crainte de perdre cet objet puisqu'il est éternel et
que l'amour parfait de Dieu ne saurait mourir. Par la
charité, l'homme s'approche ainsi de l'éternité, jusqu'à
ce que son amour soit effectivement une béatitude, une
jouissance parfaite de Dieu (De do ct. christ.,!, 3-4).

Augustin montre qu'il faut bien distinguer la Cité


terrestre et la Cité céleste. L'union civile découle
directement de l'amour de soi; l'amour d'autrui, sans
réference à Dieu, n'est qu'un autre visage de l'arnour
propre. la seule liberté possible est dans l'amour
amour, celui de l'homme obéissant
à la U n . . r . . .I1CP

27
de vouloir faire du christianisme, en tant qu'expérience
spirituelle de l'honlme, une négation pure et simple de
la vie civile. Le christianisme n'a pas pour fonction de
nier la valeur positive de l'activité politique. De même,
l'analyse de la question politique dans la Cité de Dieu
ne correspond en aucune nlanière à une tentative de
sacralisation des institutions temporelles et même
spirituelles, telle l'Église, à moins de considérer cette
dernière sous son aspect purement théologique, en
tant qu'elle est l'union invisible, le corps mystique de
l'union de tous les croyants. Sacraliser les institutions
temporelles, telle est en effet une des principales erreurs
du paganisme. Ce qui importe aux yeux d'Augustin
est montrer comment et pourquoi le christianisme,
Ü'-UJU'<.JÙ""' insurmontable l'écart entre la vie
spirituelle et la vie temporelle, n'en est pas moins apte
aux exigences d'une religion civile. fait,
'-,.~j::""'V'.U. susceptible de jouer ce

28
Dans le « mélange» des deux cités réside toute la
difficulté de la doctrine politique d'Augustin: du point
de vue de leur essence, les deux cités sont distinctes ;
du point de vue de leur domaine de réalité, elles sont
inextricablement liées l'une à l'autre, et ce, jusqu'au
jour du jugement dernier. Alors, et alors seulement, la
Cité terrestre se résorbera dans la Cité céleste: il n'y
aura plus qu'une cité de Dieu. Le premier but de la
Cité de Dieu, en dehors des visées apologétiques, est
donc d'expliquer ce mélange et de faire comprendre
en quoi il est déterminant pour tout ce qui à trait au
désir d'union civile des hommes, au gouvernelnent
de ceux-ci, à la moralité de leurs échanges et au rôle
de la religion chrétienne et de ses institutions, telles
l'Église, au moment où l'union civile hommes est
achevée dans l'État. Une des conséquences du principe
de « mélange» des deux cités sera de rendre impossible
toute forme de suprématie naturelle d'un corps politique
sur un autre, chacun ces ces institutions
étant, parce que suivant les
LU'-_iL,",.v

29
l'enfer; même la Rome des papes n'est pas le paradis.
Augustin pose donc la question, qui traversera toute
l'histoire des idées politiques, de la nature des institutions
politiques d'une part, et surtout de la moralité de ces
mêmes institutions, d'autre part, puisque le lien entre la
source véritable de la moralité -le domaine des choses
divines ou sacrées - aura été définitivement distingué
de la sphère des activités proprement politiques.

Cogito

Pour reconnaître l'existence de Dieu, l'homrne doit


d'abord être en rnesure de concevoir sa propre exis-
tence. La médiation nécessaire de notre être pour la
connaissance de Dieu suppose que nous ne pourrions
accepter l'existence d'un être, quel qu'il soit, sans
d'abord reconnaître l'existence de celui qui émet ce
jugement, c'est-à-dire Penser ce qu'est Dieu
irnplique se pose la question du
nOS;SlDle de

la représentation '-''U'Ju............ ,:;..'..........._'"'

(C.
;-npn-,pc

30
Entre l'existence, la vie et la pensée, seule la der-
nière contient les deux autres. Ce qui définit l'homme
comme être de pensée est la capacité qu'il a d'être,
de vivre et de « saisir par l'intelligence » son être et sa
propre vie (Lib. ar., Il, 7 ; De trin., X, IX). Augustin
expose, dans le De trinitate, ce nécessaire repli sur soi
le « connais-toi toi-même» de la tradition grecque:
il est impossible, dit-il, de considérer la connaissance de
soi cornme s'il s'agissait d'un objet parmi d'autres. La
différence essentielle tient au fait que 1'âme est « pré-
sente à elle-rnême » au moment où elle est arnenée à se
connaître, alors que les objets qui se présentent à l'âme
en sont par définition distincts. Ce qu'elle connaît, ce
n'est pas par acte de foi, ni par intuition, ni par intelli-
gence ; elle n'interprète aucun signe de son existence.
En résurné, l'âme détient, sans que le processus de la
connaissance ne soit enclenché, une parfaite connais-
sance d'elle-même : elle n'acquiert pas ce savoir, car
elle le possède déjà1• l'habitude que nous avons
objets auxquels nous pensons

1. S. Augustine and Descartes, Cambridge, 1998, p. 251-


252.

31
d'elle-même, puisqu'elle n'arrive plus à conlprendre
sa spécificité. Pour résoudre une telle difficulté, l'âme
doit d'abord se séparer des objets du monde sensible,
objets auxquels elle s'est attachée par amour pour eux
(De trin., X, VIII, Il). Pour se connaître, l'âme doit se
considérer en elle-même et se dégager des objets exté-
rieurs auxquels elle s'identifie par amour.

Comnle Descartes (Discours de la méthode, IV ;


Principes., l, 7 ; Méditations II, 4) Augustin pense que la
certitude de l'existence serait bien difficile à admettre si
son principe était fondé sur celui de la connaissance: les
thèses sceptiques des Académiciens (telles qu'Augustin
a pu les retrouver chez Cicéron) ont suffisamment mon-
tré les erreurs des sens pour qu'il ne soit plus possible
d'ériger le principe de l'existence de notre être propre
sur la base des connaissances acquises. Il faudrait donc
admettre que ce n'est pas le contenu de la connaissance
mais la faculté n1ême celle-ci qui nous assure de la
notre penser le principe

32
La concupiscence désigne toute inclination au péché.
Elle se rapporte donc rIloÎns au péché qu'à la condition
du pécheur. Elle est ce qui, en propre, distingue l'homrrle
tel que nous le connaissons et l'homme dans l'état
pure nature, tel qu'il fut avant le péché d'Adam.
notion de concupiscence est plus netten1ent catégorisée
au Inoment la controverse avec les pélagiens. Mais
on la retrouve conceptualisée, sous d'autres formes
lexicales (libido, cupiditas) dans des œuvres étrangères
à cette querelle, notamlnent dans les Confessions.

Parfois Augustin distingue le péché originel de la


concupiscence, parfois il identifie. La concupiscence
est une du péché originel : Augustin
montre visible dans la première nature
~~'-'.L.>."'.L.u. mais est comme la présence, en chacun
__ ,

avoir

33
formes de la libido sont commentées dans la
Cité de Dieu (C. D., XIV). Suivant un modèle qu'il
trouve dans les Tusculanes de Cicéron, Augustin voit
dans la libido tout ce qui est contraire à la droite raison
(recta ratio). Bien que Augustin présente la concupis-
cence comme le propre de la condition humaine, il
n'en est pas moins possible de diminuer la présence
la concupiscence dans le cœur des hommes selon
que la charité y occupe une présence plus importante.
Toutefois, Augustin pose que même un homme qui ne
voudrait pas pécher demeure malgré tout un pécheur
entraîné, 111algré lui, par le poids du péché originel.
L'état dans lequel est plongé l'homme lui interdit donc
de faire de sa volonté l'instrument infaillible de son
la grâce de Dieu peut le délivrer de cette
revanche, la vie l'homme prépare son
salut car la crainte de la damnation l'oblige à l'humilité,
nulle foi n'est possible (De div.

34
Dieu est vérité. C'est la raison pour laquelle il ne
saurait y avoir, de quelque manière que ce soit, indé-
pendance de la à 1) égard de la théologie
(Sol., 1, 5-6).

est pensé comme le principe mêrne de la certi-


savoir. C'est pourquoi la connaissance de Dieu
est une sagesse : n'étant jall1ais complète, elle est un
itinéraire intellectuel et spirituel. Puisque Dieu est infini,
il est impossible d'en avoir une connaissance parfaite,
achevée. Un des premiers obstacles à la connaissance de
Dieu est de vouloir associer son être à celui des créatures.
Une telle erreur, dit Augustin, (Conf, v, 10) est celle des
manichéens, mais elle fut aussi la sienne. Il reconnaît
avoir été longtemps dans l'incapacité de concevoir Dieu
incorporel. est un pur esprit: il est
(Conf, 4 ; Trin. 17, 29). Suite
~J.al..vJ.jLl.'-'J.·~.U_Ù » (Conf,

35
Si la nature de Dieu échappe à l'homme, faut-il
en déduire que la vérité, qui est d'essence divine, est
inaccessible? Dans les Soliloques (1, 6), Augustin
expose sa thèse selon laquelle aucune connaissance
n'est possible sans la connaissance de Dieu. Il ernploie
alors la métaphore de la lurrlière et de la terre: toutes
deux sont visibles, mais la difference tient en ce que
la lumière est à la connaissance la terre.
De même, Dieu est nécessaire à la connaissance du
monde, mais on ne peut pas dire que le monde soit
nécessaire à la connaissance de Dieu, du moins est-il
impossible de croire que la connaissance du Inonde
donne accès directement à la connaissance de Dieu,
car ce serait là tomber dans l'hérésie panthéiste. Un
est à trouver dans les Confessions,
si est vérité, et s'il
dans toute sa
alors tout type de
.ULl.H.U.'-'-'--,

36
selon qu'ils obéissent à des règles immuables, de sorte
que la conception de Dieu comme lumière n'est pas
seulement une métaphore mais un véritable principe
de connaissance chez Augustin. Aussi, la reconnais-
sance de Dieu permet-elle de redécouvrir la vérité
sans laquelle aucune connaissance, de quelque objet
que ce soit, n'est possible (Conf, VII, 10 cf. également
Sol., l, 27).

Distension l'âme (distensio animi)


L'idée d'une distension de l'âme apparaît au livre XI des
Confessions, au moment où Augustin tente d'expliquer
la manière dont l'âme peut mesurer les temps passés
et futurs, alors que ces derniers n'ont pas d'existence
propre, sinon celle que leur donne l'âme humaine
par une projection de l'avenir (attente) ou par une
rétrospection du passé (mémoire). distension de
l'âme correspond au moment où se conjuguent les
passé,
ne corres-
instant de la

37
La distensio animi résulterait d'un effort contradictoire
de la conscience vers plusieurs objets. L'idée d'un temps
« qui passe» (Conf, XI, XXI, 27) exprirne une traversée
dans le temps au moment même où il tait l'objet d'une
mesure. Toute mesure du temps exige de tenir compte
à la fois du présent de la conscience - actualité de l'acte
même par la conscience de la mesure du temps et de
la modalité du temps que la conscience a pour tâche
de mesurer. Or, il est impossible de dire d'une période
temporelle passée qu'elle fut brève ou courte, car étant
chose du passé, elle n'existe pas. Il serait absurde de dire
quoi ce soit sur un objet qui ne possède aucune exis-
tence. Il faut donc rendre compte du passé en référant
à ce qu'il est au sein du temps présent de la conscience
ou de l'âme humaine: la mémoire.

Le passé et l'avenir n'existent pas. Cornment


mesurer, c'est-à-dire rendre compte d'une modalité
ternps qui n'existe pas? ces questions, Augustin
le ternps n'est

mais à

38
ontologique du teillps réel et la réalité ontologique du
temps tel qu'il est appréhendé par l'âme humaine. Le
temps trouve sa mesure dans son rapport à l'âme et
non en lui-même. Le passé, qui n'existe plus, possède
l11algré tout une autre existence dans sa réactualisation
par la mémoire : il n'est pas possible de dire quelque
chose du passé - le mesurer - en lui-même, mais en
tant qu'il est un objet pour l'âme. Il ne s'agit pas de
la mêrne entité ontologique : ce qui est passé n'existe
plus et ne pourra plus exister. Mais le souvenir de ce
passé demeure, et c'est ce souvenir, et non le passé
lui-mêl11e, que nous décrivons lorsque nous voulons
rnesurer le passé. Il en va de même pour l'avenir. Que
celui-ci n'ait jamais existé (et n'existera jamais) ne
change rien à l'argumentation d'Augustin, puisque
ce n'est pas l'avenir qui est mesuré, mais l'objet qu'il
représente pour l'âme. La durée ne sera pas celle du
passé, ni celle de l'avenir, mais celle de l'attente ou celle
du souvenir. Ce qui est mesuré, ce n'est pas le temps
lui-même, mais son impression sur l'âme (De Trin., X,
conscience

Ennéades 7).

39
Éternité (immortalité)
Au sens strict, l'éternité est pensée de manière
négative: est éternel ce qui ne possède ni début ni fin.
L'éternité est l'absence de toute forme de corruption
d'un être. On dit d'un tel être qu'il est « immuable»
(incommutabile) , car son mode d'être est toujours le
même: il est entier et parfait. Au contraire, ce qui est
victirne d'un changement de son mode d'être possède
une existence temporelle: les indices du changement
de son être sont tout autant de preuves de l'influence
du temps sur lui. Augustin dira que ce qui ne possède
pas toujours le rnême mode d'être ne peut être dit
« éternel» (<< non enim semper ejusdem modi est, et ideo
aeternum non recte dicitur ». De div. quaest. 19).

Ainsi, il est possible de dire d'une chose qu'elle est


« immortelle », sans qu'il soit possible de la considérer
comme un être « immortel» : si cette chose est immor-
telle mais change son mode d'être, alors elle ne peut être

termes,
cornment avant la naissance
tous les êtres, voire Inême l'existence
est auteur de toutes choses (Conf, 10).

40
Suivant la réponse à une telle question est
impossible car cette question est irrecevable. On ne
peut pas se demander ce que faisait Dieu « avant» de
créer le rnonde, car ce serait penser Dieu à l'intérieur
des bornes du tenlps. Or Dieu est l'auteur du temps:
son être propre ne peut donc être saisi dans le temps,
car on ne doit pas confondre la cause d'un objet et
l'objet de cette cause. Dès lors, il faut attribuer cette
question à un anthropomorphisme, où Dieu, semblable
à sa créature, serait lui aussi soumis aux mêrnes lois
de la finitude. Une telle conception, dit Augustin, est
proprement inacceptable pour la simple raison qu'elle
est absurde (Conf, 13).

À cet égard, la définition augustinienne de l'éternité


anticipe sur celle Boèce (Consolation de la philoso-
phie, V), où Dieu est conçu comme être entier et parfait,
pas le temps. C'est pourquoi

41
pouvons savoir qui nous sommes, en l'occurrence ici
des êtres soumis au changernent et donc au temps. À
l'inverse, Dieu ne connaît pas le changement: tout son
être est ilnmuable.

(esse, flt"t'fl"'/1/·tr",

est à l'égard de
est d'abord une mesure ontologique. Il exprime l'état
d'un objet en regard de la perfection ontologique que
seul possède. Plus un être s'approche de la per-
fection divine, sans jamais pouvoir l'atteindre, plus son
est entier, ce qui correspond à un bien.
(bonum summum) est un
('11"'''''0''''''''0 de . . . "',..;-,~ri-1An
car rien

42
Ju!., VI, 5). L'existence des choses n'est pas un partage
de l'être suprême qu'est Dieu. Dieu est, et donne exis-
tence aux choses en les créant.

Pour toute âme dominée par sa partie rationnelle


(mens), il est donné de participer à l'être parfait qu'est
Dieu. Si Dieu crée les êtres ex nihilo, ce qui les distingue
de lui, ces derniers n'en sont pas moins, en tant qu'êtres
ou plus précisément en tant que biens, des entités qui
appartiennent à l'être parfait qu'est Dieu (Cont. Faust.,
XX, 5). Vivre ou persévérer dans son être, c'est vivre dans
l'état du bien, ou vivre dans la béatitude. Ce bonheur
n'est pas un simple sentiment: il est le degré le plus élevé
de l'échelle ontologique propre à l'âme humaine. C'est
pourquoi il faut prendre garde de ne pas voir en l'être
un précepte de la seule morale. Critère du bien, l'être
est également mesure du vrai. Ce qui est vrai existe et
doit être rapporté à la perfection ontologique de Dieu.
Lessence chose est ce qui en elle est ou
en elle n ....."rU-lt-"p

43
pas (1: A., 19.) En outre, 1'« erreur ne peut tuer l'ârrle1 ».
Tout ce qui représente une perte ontologique pour un
être, qu'il s'agisse d'un corps ou d'une âlne, ne signifie
pas la mort de cet être, mais que celui-ci dégénère et
perd en puissance d'être. De plus en plus éloigné de
la perfection divine, il décline. On peut par exemple
diviser autant de fois que l'on voudra un corps, il res-
tera toujours quelque chose de celui-ci. On peut donc
dire que l'être d'un corps subsiste, même fortement
diminué, à sa corruption. S'il subsiste toujours un être
à la dégénérescence des corps, l'immortalité de l'âme
apparaît encore plus évidente. Comme le corps, elle
au : un tel mouvement implique que
la raison n'est plus maître de l'âme. cela ne veut
que l'âme sera détruite, mais que l'efFort
est (1

Introduction l'étude de saint t-Hu;rHCTH?

p.70.
Laction n'est pas mesurée à l'aune de la réussite ou
non de l'effet escompté, mais de la qualité éthique de
la fin qui lui est associée. Cette fin est celle de la vérité
divine, à laquelle toute l 'existence de l' homme doit
tendre. Lexistence est alors vue comIne un itinéraire
ou un chemin éthique vers la connaissance de Dieu,
cette dernière étant toujours imparfaite. Mais c'est
précisément le progrès accompli par l'homme dans son
cheminement spirituel qui est évalué relativement au
telos de son existence.

L'un des développements les plus irnportants


de la philosophie augustinienne quant au problème
de la finalité des actions humaines - problème qui
sous-tend toute éthique - est à trouver dans un traité
traditionnellement associé à des problèmes de rhéto-
rique et d'herméneutique: le De doctrina christiana.
Au premier livre, l'auteur montre que toute conduite
la la nécessité

45
est le signe (De doct. christ., l, 2). L'herméneutique
du message biblique est donc ainsi absolument indis-
pensable à la fonnation éthique du croyant : elle lui
permet de trouver les balises nécessaires à son chemi-
nement intellectuel, de manière générale, et spirituel
en particulier, le premier ne possédant de valeur que
s'il s'insère dans l'ordre du second.

La grâce est la condition essentielle du salut. Elle est gra-


tuite, au sens où elle n'est pas donnée conditionnellement
aux œuvres de l' homme. Toute la controverse suscitée par
la doctrine augustinienne de la grâce portera alors sur la
réelle de l'homme et sur la prédestination.

S'il importe de distinguer la grâce du libre arbitre, il


ne faut pas non plus tomber dans le piège d'une oppo-

46
en ce sens qu'il n'appartient pas à son être: il n'est pas
possible de le lui iInputer. Aussi, tous ceux qui ont été
sauvés l'ont été par la grâce; mais tous ceux à qui la
grâce a été donnée ne seront pas sauvés pour autant.

Sur le plan historique, il faut rappeler la contro-


verse avec Pélage, plus précisément au moment de la
parution - vers 410-412 - de son livre, le De naft/ra
(pélagianisme). Ce dont il est alors question, c'est le
problème de la dignitas hominis. Si l'homme est pécheur
et ne peut être délivré de sa corruption que par le seul
secours divin, comment est-il possible de considérer la
rnoindre éventualité d'une bonté et d'une grandeur en
lui? Si Dieu condamne l'homme, ou plus précisément
si l'homme s'est condamné lui-mêrne par le mauvais
usage de sa liberté, celui-ci peut-il malgré tout vivre une
vie honorable dont les mérites pourraient lui ouvrir les
portes de la rédemption? Si tel n'est pas le cas, alors
pourquoi importerait-il aux hOlnlnes de mener une vie
honnête? Puisque les bonnes œuvres ne permettent pas
distinguer le "'PI"'.,,,,,,,

47
qui sont remis en cause par la doctrine pélagienne de
la dignité humaine. Il s'agit plutôt du rôle même du
Christ. effet, qu'est-ce que le Christ peut apporter aux
hommes si ceux-ci sont innocents du péché d'Adam et
peuvent par eux-mêrnes gagner leur salut? Augustin ne
peut tolérer une telle idée. La grâce du Christ ne vient
pas un état de liberté possible pour l'homme,
elle est au contraire ce qui rend possible un tel état (De
natur. grat., Reste à comprendre pourquoi Dieu,
être parfait, aurait pu vouloir créer un être pécheur? À
répond - en accord avec Pélage - que
ne créé pécheur. Mais il fut créé libre,
.l..l.V.l..l..l.l. .l.H..

ce qui suppose qu'il était libre de pouvoir faire un mau-


vais usage sa liberté, c'est-à-dire de sa volonté. Pour
naissance à une créature parfaite, il fallait qu'elle
U.V.l.l.iJ.''-.l.

car il est meilleur de faire le bien par volonté


diversis quaest., 83, 2). Mais c'est
un être libre que l'homme ne
a définitivement

48
montre l'insuffisance de la volonté humaine, et elle
s'inscrit alors dans la problématique philosophique plus
générale de l'akrasia, de la faiblesse de la volonté, que
l'on retrouve aussi bien chez les auteurs de l'Antiquité1
que dans l'Évangile (Rom. VII, 15, 19).

Il s'agit ici d'une distinction célèbre élaborée au


premier livre du De doctrina christiana. Augustin
constate qu'il y a deux catégories d'objets selon les
rapports qu'entretiennent les homrnes avec eux: cer-
tains objets procurent le bonheur, ils rendent heureux,
et c'est en ce sens que nous disons d'eux qu'ils sont
objets de jouissance. Jouir de tels objets, c'est les aimer
pour eux-mêmes, et non pour ce qu'ils représentent
(De do ct. christ., l, 4 : « enim est amore aicui rd
inhaerere propter se ipsanl »). Une autre classe contient
....... "... , . . "". . . ou la connais-
classe: ne

1. Voir. J. P. Vernant et P. Vidal-Naquet, « Ébauches de la volonté dans la


grecque ", et en Grèce Imciemli', Paris, 1979.

49
conduire l'homme vers le bonheur. C'est pourquoi ces
objets sont considérés comme utiles (De doctr. christ.,
I, 1-4; De diversis quaest., 31, 1-3 ; De trin. X, XI, 17 ;
Lib. ar. 1, XV, 33).

Alors que la jouissance est définie comme l'amour


d'une chose pour elle-même, l'usage ne reçoit et ne
doit recevoir de valeur morale qu'en relation à l'objet
aimé : jamais ne doit-il être considéré en lui-même
comme une fin. Mais il ne s'agit pas non plus de nier
la valeur éthique de l'usage ou de l'utilité: les choses
créées doivent être entendues comme les signes per-
Inettant aux hommes de comprendre, ou du moins de
tendre à la compréhension des vérités invisibles. L'utile,
qui fait référence à un domaine d'objets physique et
soumis aux règles du temps, est la jonction nécessaire
la compréhension d'objets immatériels, éternels
et spirituels (De doctr. christ., l, 4).

50
lTIoyens de l'action. Il est par là un des premiers à
tenter de comprendre la valeur éthique de l'utilité.
Certains comrnentateurs ont tenté de retrouver les
origines conceptuelles du couple utijrui. On a ainsi
montré les parallèles à établir avec le couple honestum-
utile tel qu'on le retrouve chez Cicéron, au livre II
du traité des devoirs (De officiis). Cicéron y présente
en effet une critique de la dichotomie établie entre
les notions d'utilité et d'honnêteté. Au contraire, il
faudrait admettre que l'honnête ou le juste ne peut
être qu'utile et qu'inversement, la prétendue utilité
d'une action malhonnête doive être dénoncée parce
que fausse.

51
sans légitimité. Il existe également des communautés
où l'autorité exerce sa justice par la force. Mais étant
dénuées de toute légitimité, elles sont égalernent vouées
à l'échec à court ou long tenne.

C'est pourquoi Augustin se livrera à la critique de


l'idée de« République» chez Cicéron, plus précisément
au sujet de la question du droit et de celle de l'autorité.
Augustin avait affirmé qu'il ne peut y avoir de véri-
table droit que celui donné par Dieu (C. D., livre II,
chap. 21, 3). Il commente l'affirmation de Cicéron
dans la République suivant laquelle « il est irnpossible
de gouverner sans justice » et que « rien n'est aussi
contraire à l'État que l'injustice ». Si le rassemblement
du peuple est bien une « République », dit Cicéron,
alors le lien qui l'unit doit en être un de justice (juris
consensu). la république romaine n'a pas connu la
justice parce qu'elle ignorait, dit Augustin, la justice
la

52
que toute association entre les homlnes suppose une
fonne minimale de justice. La nature même du lien
social exige une entente, laquelle exige la justice, ne
serait-ce que celle qui est attachée à l'idée d'engage-
ment entre les différentes parties lors d'une entente.
Il en va ainsi des marchands et de leurs clients, mais
également des personnes considérées comme étant
dépourvues de tout sens de la justice, les voleurs et
les brigands. Même dans le Inonde des pirates, dit
Cicéron, il existe un nombre de règles inviolables,
dont le respect le plus strict est absolurnent nécessaire
à la survie des malfaiteurs. Or, pense Cicéron, si la
justice existe mêrrle au sein des pirates, comment ne
pas voir et admettre sa force au sein d'États organisés
et dotés véritables systèmes de lois et d'institutions
juridiques? la différence de Cicéron, qui voit dans
cette justice une règle civile et un commandement
moral, Augustin que la seule justice possible est
d'essence

53
qu'elle témoigne d'une adéquation entre la volonté
hUlnaine et la volonté divine, la dernière englobant
la première.

Il est possible de distinguer deux types de liberté


pour l'homme, selon que celui-ci est pensé avant ou
la chute. Avant, l'homme possède une parfaite
liberté : il est un être entier, parfait, et sa liberté est
totale car il ne subit pas l'influence de Dieu pour faire
le bien, il est ce bien. Après, l'homme est entraîné vers
le mal ou vers le bien selon des règles de nécessité :
corrompu, l'être de l'homme dégénère. S'il tend malgré
tout parfois vers le bien, ce sera en raison de la grâce
qui lui aura été accordée. À l'origine donc, l'homme
est créé libre. Suite à la corruption, c'est-à-dire suite au
mauvais usage sa liberté, l'homme perd sa liberté,
précisérnent, cette liberté devient imparfaite. Dès
l'homme corrompu réalise le bien, ce n'est
en se servant lui (De
liberté, car toutes choses lui sont soumises (Lib. ar.,
III, 4). Dans le meilleur des cas, l'hornme accomplit
la volonté divine: il s'inscrit alors par lui-lnême dans
l'ordre naturel voulu par Dieu, lequel est partait et ne
peut tolérer la présence du mal (De ord., II, 2). Mais
il est également possible que l'âme soit forcée d'obéir
aux préceptes de cet ordre. Cela peut fait de dif~
férentes manières. C'est notamrnent le rôle des lois
civiles. Dans tous les cas, le respect de l'ordre suppose
l'existence d'une loi première, inscrite « en nous », et
devant laquelle s'inclinent toutes les autres lois (Lib.,
ar. I, 15). La liberté ne consiste pas dans le choix
entre agir InaI ou bien agir. La liberté est un principe
positif: tout ce qui suppose une dégénérescence de
l'être est contraire à la liberté. conséquent, elle est
une soumission, active ou passive, à l'ordre voulu par
Dieu, ou pour le dire autrement une adéquation entre
l'âme humaine et ce même ordre. Par la raison (mens)
(Lib. 15 ;

55
divine. Par les passions, et plus précisément par l'orgueil
ou la cupidité (cupiditas, libido dominandi), l'homme
ne fait pas, au sens strict, mauvais usage de sa liberté,
puisqu'il choisit de perdre cette liberté pour entrer dans
un état de servitude à l'égard des choses temporelles
et donc à l'égard de ce qui, en lui-même, représente
une perte d'être (Lib. arb., 1, 10).

notion de loi naturelle chez Augustin se dén1ar-


que de celle de ses contemporains ou de la tradition
grecque par la détermination théologique qu' il lui fait
subir: la seule loi connue étant celle des Évangiles, la
loi naturelle ne fait que répondre au commandement
divin, tel qu'il est exprimé dans les saintes Écritures.
Répondre à la loi de nature, c'est correspondre
au. ...,'-lu.aL"-- à l'être et à l'ordre choses

56
un seul rnode d'être, invariable et indépendant par
définition de toute influence extérieure : c'est préci-
sément cette autonomie de la loi naturelle par rapport
aux objets qu'elle a pour tâche d'ordonner qui fait sa
supériorité sur la loi temporelle (lib. arbitr., I).

Il est donc possible de rapprocher la conception


stoïcienne de la loi naturelle de celle proposée par
Augustin, qui s'en inspire en grande partie -- l'inter-
médiaire étant les Tusculanes de Cicéron. En effet, le
caractère intelligible de la loi naturelle telle que pensée
par Augustin tient au f~üt qu'elle se présente comme
une instance immuable, dont l'universalité du principe
est reconnaissable par l'esprit (C. D., XI, 27). Mais
avant n1ême d'être reconnue par la raison humaine,
qui ne fait en réalité qu'admettre 1'évidence du bien, la
loi naturelle est inscrite dans le cœur des hommes.
statut de la loi pose pas moins problème, dès lors
que l'on comprend que deux types d'ordre sont présents
le monde. son récit la Genèse (De Gen.

57
en apparence juste mais dont la forme varie selon les
époques, et la loi éternelle. Aussi, s'il est une justice
des lois telnporelles, elles doivent être dérivées de la
loi divine, qui elle est la règle immuable à partir de
laquelle les lois des hommes trouvent leur origine corn-
luune, même si elles sont dissernblables. Si Augustin
que Dieu est la source possible
toute justice et donc de toute loi, il n'accordera pas
longtemps à la thèse suivant laquelle la justice des
hommes reçoit son fondement de la justice divine: il
au contraire que les hommes soient incapables
lors, la justice divine ne participe pas
à la justice humaine: elle en luontre au contraire les
liInites. effet, tout ce qui échappe ou contredit la
ne être

58
élabore la doctrine du De magistro. La connaissance
d'une chose n'est pas déjà présente au sein de l'âme
humaine, sans quoi elle dépendrait tout entière du seul
jugement de l'individu. La vérité survient à la fois de
l'extérieur et de l'intérieur: elle est dite de ce qui est
appris de l'extérieur, mais elle est présente à l'intérieur
de l'auditeur si celui-ci possède la foi. En définitive, la
vérité dépend, pour être révélée, de la bonne volonté
de l'âme, selon qu'elle accepte de se tourner ou non
vers Dieu (B. v.,
IV, 35 ; Sol., l, l ; De mag.).

Il n'est pas possible de croire la thèse selon laquelle


le sens des mots ou d'une phrase est entièrelnent déter-
miné par le locuteur. Celui qui écoute est tout aussi
capable donner un sens à ces mêmes paroles, tout
en dissociant leur contenu de l'intention initiale du
locuteur. Par exemple, un épicurien, convaincu que
1 est mortelle, peut très bien exposer les preuves
l'âme et ainsi convaincre, à son
la ces ,..".,.c" nT."""

59
(De mag., XIII, 41). Il semble alors que la vérité d'un
énoncé ne sera pas relative au contenu que lui prête
son auteur, mais à l'interprétation qu'en fait celui
qui l'écoute, le lit, etc. Mais en quoi l'erreur possible
du maître ou de celui qui parle est-elle différente de
celui qui l'écoute? Pourquoi faudrait-il admettre que
l'interprétation d'une phrase est plus susceptible de
à la vérité que sa simple énonciation? À cette
question, Platon avait répondu par sa doctrine de la
réminiscence, selon laquelle la vérité était déjà présente
au sein de l'âme humaine. Apprendre, ce n'est que se
souvenir ce que notre existence corporelle nous a
oublier (Ménon, 81d). Or, pense Augustin, si le
seul juge possible de la vérité est le « maître intérieur »,
l' hornme, mais Dieu. vérité n'est
le contenu la parole, ni dans son
car son critère dépend d'une
""'-'1r",',~""n-.",r~r indépendante la relation

60
conséquent de toutes choses? Il est en impossible
d'accorder une existence à un objet, à une connais-
sance, sans avoir au préalable consenti à sa vérité. Ce
que nous apprend le maître n'existe donc que si nous
lui accordons une vérité. Mais si cette vérité dépend de
l'intériorité de celui qui la reçoit, et non de 'la validité
tout extérieure que prétend lui adjoindre le maître, ce
n'est pas en raison de notre supériorité intellectuelle.
Ce n'est pas parce que nous découvrons la vérité d'une
chose que nous en sommes les auteurs, sans quoi la
vérité dépendrait de notre existence contingente, ce qui
est inadmissible. À cet égard, Platon s'accorderait sans
difficulté avec Augustin. Mais si nous découvrons la
vérité, cela ne signifie pas pour autant que nous nous
souvenons d'une chose que nous avons
Dans un tel cas, la vérité ne serait rien que
notre assentiment, et ne pourrait avoir aucune valeur
à l'extérieur de notre propre conscience
cisément, de notre

61
Le mal n'existe pas. Il n'est qu'une négation du bien.
On ne peut donc discuter de la signification du mal
sans faire référence à la perfection ontologique du bien
(C D., XlI, 1).

Augustin montre (De diversis quaest., 5) que tout


ce qui possède une existence possède un corps ou
n'en possède pas. Il est faux de croire que l'incorporel
n'existe pas parce qu'il n'est pas visible: il existe en tant
qu'« espèce idéale» (<< Corporeum sensibili, incorporeum
autem intellegibili specie continetur »). L incorporel
existe, et il existe selon un certain « mode » (modus)
d'être. Or, tout ce qui possède une existence doit être
pensé en termes bien. Inversement, tout ce qui est
«rnaI» est une négation de 1'être: ce n'est pas un simple
incorporel. C'est pourquoi, dit Augustin, le rnaI ne peut
être identifié à un certain d'être: il désigne ce qui
ce nie un objet donné.

62
en lui-rnême rnais par rapport à un être. tout être
étant un bien, les rapports entre mal et bien sont moins
moraux qu'ontologiques. Puisqu'il est impossible de
penser l'existence du mal, il faudra voir en lui une
inclination au néant, laquelle tendance peut, si elle est
maintenue, mener à la négation complète du bien. Dans
la C. D., (XlV, Il) Augustin pose que l'homme a été
créé bon mais qu'il est devenu mauvais par vice. On
ne peut voir dans le péché d'Adarrl une conséquence
logique de l'état de perfection dans lequel il se trouvait
avant de pécher. Autrement dit, la liberté originelle de
l'homme ne lui a pas été donnée afin qu'il devienne un
pécheur. Le péché originel doit donc être pensé comme
une négation, par l'homme, de sa propre liberté, ou de
rej::)res;ell1te un abandon

63
Mais le manichéisme auquel fut confronté Augustin
est infiniment plus complexe. Pour les manichéens,
l'univers s'explique en fonction de deux principes et
de trois temps. Les deux principes, diamétralement
opposés et en conflit perpétuel, sont la Lumière, corps
immatériel, qui n'est autre que Dieu lui-mêrne, et les
Ténèbres, corps matériel, qui peut être rapporté au
diable des chrétiens. Les trois temps sont 1) la dualité
absolue des deux principes ; 2) les guerres entre les
forces des ténèbres et les forces de la lumière. Au cours
d'une accalmie, apparaissent, créées par un démiurge,
la terre et les cieux, ainsi que les astres; 3) Le moment
final, où triorrlphe la Lumière, avec la Parousie et le
]ugernent dernier. La lurrüère s'étant délivrée de l'em-
prise des Ténèbres, les deux mondes sont radicalement
séparés et il ne sera plus possible aux secondes de venir
troubler l'ordre harmonique de la première.

comme un rPTArtn'l"j-Pl1Ir
la religion

64
qu' homme devant Dieu. Augustin dit s'être laissé
séduire par l'erreur du manichéisme en raison
caractère spéculatif de cette religion. Selon les mani-
chéens, nul n'était tenu de croire à leur doctrine sans
en avoir constaté au préalable l'évidence rationnelle.
Tout autre religion est jugée d'essence superstitieuse
et autoritaire. Augustin quitte le rnanichéisme car il
reconnaît ensuite le caractère orgueilleux et contraire
à la vraie religion d'une quête de la vérité guidée par
la seule raison humaine.

est d'abord une faculté la pensée.


ce qu'est l'étendue.
1-pr,,·p(~Pt.. 1"pr
l'espace. même, la nlémoire

65
La mémoire est la voie par laquelle l'âme reprend
possession d'elle-même. Par la mémoire, l'âme se sou-
vient qu'elle possède une intelligence et une volonté.
Si l'âme se cherche, c'est donc qu'elle se sait trompée
dans le regard qu'elle a sur elle-même. L'âme doit vivre
selon l'ordre qui est le sien, qui est propre à sa nature.
cet ordre lui est caché par sa concupiscence (De
7). Pour se trouver elle-même, l'âme ne
pas rechercher ce qui lui appartient mais ce qui
à Dieu. lTIOUVement réflexif de l'ârne n'est
un repli sur soi, ni une projection sur des objets
luais une ouverture au tout de l'être qu'est
'-AIC'-'A..!'-.UILv,

ainsi que la mémoire représente « ce


non·... ""n,,; du », Dieu.
pensée comme un appel à la
n ... ",.('""r~j- et à venir, le """'~1'Y'I'''''t''

Gilson, Introduction il l 'hude

66
Inémoire se présente alors comrne une condi-
tion de possibilité de l'intelligence et de la volonté et
même du souvenir, car elle doit égalernent se rappor-
ter d'abord à elle-même pour se rapporter ensuite à
l'intelligence et à la volon tél. Mais de même, il faut
c01l1prendre que l'on se souvient et comprendre que
veut chose; il faut vouloir se souvenir et
vouloir comprendre. En ce sens, rnémoire, intelligence
et volonté sont une seule et même chose (De trin.
18). On également penser la mémoire selon qu'elle
se rapporte à quelque chose. Dans ce cas, elle n'est
pensée en elle-même, mais en tant qu'elle réfère
à objets qui lui sont propres (ibid.). Par rapport
à la et à l'intelligence, la mémoire représente
une conscience soi. sens elle
cette conscience : elle est une connaissance que
C'est

L Le texte de De trin., XI, 18 ne semble pas accorder à la mémoire un rôle


plus fcmdamcmal que la volonté et Par contre, XIV,
VI, 9, Augustin marque nettement la primauté de la mémoire. L'âme
souvient d'elle-même et ce n'est qu'clic se comprend et s'aime
(" tulle intellexit atque dixir ,,).

67
Chez Augustin, la Inémoire est d'abord et avant tout
mémoire du présent, ou plus précisément elle est un
rappel pour l'âme de ce qui est hors de tout temps ou
qui transcende toute temporalité : Dieu. Dès lors, le
véritable « temps » de la mémoire est l'éternité.

est amoris »), à la

68
rance; la paix de l'ânle rationnelle est l'accord entre la
raison et l'action; la paix des hommes, est une concorde
bien ordonnée (<< pax hominum ordinata concordia »)
la paix de l'homme avec Dieu est la subordination de
celui-ci dans l'acte de foi pour Dieu (C. D., XIX, 13).
Dans tous les cas, l'ordre suppose une hiérarchie dont
le but recherché est l'équilibre de toutes les parties
d'un ensemble selon la valeur qu'il est juste de leur
accorder.

Dans le De ordine, Augustin avait distingué l'ordre


du nlOnde sensible et l'ordre du lnonde intelligible.
L'ordre de l'intelligible se divise lui-mêlne en trois
degrés: le premier est l'ordre des certitudes intelligibles
pour l'homme (l'argument du « cogito» par ex.) ; le
second ordre ou domaine de l'intelligible est celui des
anges; le troisième ordre est celui de Dieu. Mais sur
le plan hiérarchique, le premier ordre est évidemment
car son subordonne tous les

69
êtres créés et en est la fin: c'est la raison pour laquelle
son ordre englobe les autres ordres et leur donne ainsi
le modèle selon lequel elles se situent les unes par
rapport aux autres.

Passions
Une passion est une perturbation de l'âme. Elle cor-
respond à un mode négatif de l'être, puisqu'elle suppose
un déséquilibre : les passions traduisent des appétits et
des désirs, et par conséquent celui qui « souffre» ou qui
« pâtit» souffre d'abord d'un manque. En effet, la véritable
plénitude d'un être n'est pas atteinte par la satisfaction des
besoins physiques, mais au contraire par leur contrôle,
afin que ces besoins ne deviennent pas les maîtres de la
vie d'un individu. Contrôler ses passions, c'est empêcher
une perte de son être, et c'est donc se rapprocher de Dieu,
qui est l'être le plus parfait (De mus., 5).

nous sommes
en possession ; la crainte est contraire au et
sente ; la tristesse est

70
cette même aversion, mais se produit au moment de la
« rencontre» avec l'objet conspué (C. D., XlV, 3). Au sens
strict, les passions ne sont pas synonymes de mal. Mais
si elles intéressent Augustin, c'est que toutes répondent
à une même définition négative : les comportements
humains sont les indices d'un éloignement de l'homme
par rapport à Dieu. L'étude des passions n'est pas, chez
Augustin, un domaine autonome. Le problème des affects
est d'abord d'ordre théologique: par sa raison, l'homme
est semblable à Dieu; par ses passions, il s'en éloigne. Des
différents termes exprimant les troubles de l'âme dans la
littérature grecque et latine (Platon, Aristote et Cicéron)
Augustin (C. D., IX, 4) préfère l'expressionpassiones, telle
qu' il la retrouve chez Apulée, dans le Démon de Socrate
(livre XII). Il faut lui adjoindre les expressions libido
et d'affèctio, qui sont les termes les plus fréquemment
employés lorsqu'il s'agit de rendre compte des troubles,
des affects, des désirs, ou plus généralement des passions.
renleXjlOn sur la nature du mal (De lib.

car
passions doivent être identifiées

71
au péché, en d'autres termes, à la concupiscence, et
au premier titre à l'orgueil ou amour de soi, péché qui
contient dans son principe tous les autres péchés. Seul
le travail de la raison est en mesure de contrer l'œuvre
néfaste des passions : le principe hégémonique de l'âme
doit être rationnel, ce qui conduit l'homme vers la vérité
divine (De lib. arb., l, 8-10).

On sait que pour Platon la présence des passions


témoigne d'un conflit, au sein même de l'âlne humaine,
entre des entités opposées: l'irascible, le concupiscible
et le rationnel (thumàs, epithumia, noûs). Cette tripar-
tition opère selon une hiérarchie; la distinction entre
ces différents principes de l'âme n'a de sens qu'en tant
qu'elle montre la supériorité de la raison sur les autres
parties. L'activité de la raison peut alors à juste titre
être considérée comme étant d'ordre éthique: elle
règle les désirs et les nlouvements de l'âme. Or, il ne
logique soumettre l' ârne qui
les

72
la corruption des hommes. Il n'en demeure pas moins
que l'amour n'est pas en soi un sentiment incompatible
avec la nécessité de l'union entre l'homme et Dieu.
Aussi faut-il rendre compte, dans le cadre théorique
des passions, des sentiments, analogues à l'amour de
Dieu, la joie par exemple.

Pour Augustin, les pélagiens étaient d'abord et avant


tout les adversaires de la doctrine de la grâce divine.
« Pélagien» est 1'épithète apposée à toutes les doctrines
allant dans le même sens que celles qui sont formulées
Pélage et ses disciples au début du ve siècle apr.
Augustin ne fut pas le premier à au
gianislne, rnais il en fut très certainement le plus impor-
tant adversaire. Une prelnière réponse aux pélagiens
fut rédigée en 412, le traité De peccatorum meritis et
remissione où Augustin montre la nécessité absolue du
tous les homlnes, sans exception, naissant
LlC.qJ ... ""LU ..... :

toute possibilité de salut ne


que la grâce divine ne
à ceux qui ne font pas partie de l'Église. ce texte
ne pas suffire à réduire les pélagiens
textes d'Augustin sont u.l..I.\..· ..... IL ..... U . .l. ..... .l.lL

aux problèmes soulevés


tre à de Syracuse» (Epist.) 157)
perfectione iustitùe hominis (De
le De natura
415, et
la réalisation du salut de l'homme par lui-même. Pour
ce faire, il lui faut une aide extérieure, celle de Dieu. Il
s'agit là de la doctrine paulinienne, telle qu'exprÏ1née
dans Rom. VII, 19-25 : «Je ne fais le bien que je veux, et
je fais le mal que je ne veux pas [... ] ». Seul le secours de
Dieu, poursuit Paul, peut sauver l'homme. Pourquoi?
Parce que la faute de l'hornme n'est pas attribuable à son
seul état présent, rnais à ce que sa nature est devenue
depuis le premier péché d'Adam. Pour les pélagiens,
au contraire, la faute de i'homme est actuelle et n'est
pas enracinée dans le cœur de l' homme: il lui est donc
possible de corriger la faute cOlnmise par une vie exeln-
plaire sur le plan moral. Dès lors, le Christ n'est
intervenu pour sauver les hommes du péché d'Adam,
Inais pour les inciter à ne jamais commettre le Inai et
à vivre dans l'ordre désiré par Dieu. S'il est une
divine, elle n'est pas dans le don ",J.CH.U.L~
le
la

75
accompagnée de la foi. Non seulement la raison n'est
pas le « contenu» de la sagesse - être sage, ce n'est
pas seulement être rationnel - mais elle n'en est pas
l'unique instrument. Cela suppose une redéfinition
cOlnplète du concept de philosophie. Si, comme chez la
plupart des contemporains d'Augustin, la philosophie
est d'abord et avant tout une éthique, un art
se par la motivation de celui-ci : il ne
s'agit pas simplement de comprendre pour savoir vivre,
n1ais cOlnprendre ce que la foi offre à la
philosophie a fin ultime deux objets, le premier
étant impliqué par le second: et Dieu. C'est par
l'homme est

à la connaissance

P. Hadot,
augustiniennes, Paris, 1993 ; Qu'est-ce que
Gallimard, 1995.
de la Bible et des auteurs associés au néo-platonisme,
Plotin et Marius Victorinus par exemple!. L'ambiguïté
de la philosophie augustinienne tient en ce qu'il
n'est jamais possible de la concevoir en elle-même :
elle s'ouvre et se termine avec l'acte de foi et semble
alors plus proche d'un exercice théologique que d'une
investigation rationnelle. Encore faudrait-il imaginer
qu'Augustin soit en mesure de distinguer nettement
les fins propres de la théologie et de la philosophie.
Tel n'est pas le cas. Pour lui, l'une et l'autre sont des
modèles différents d'une même quête spirituelle. Il
n'en demeure pas moins qu'il est capable de voir la
faiblesse commune des doctrines philosophiques qu'il
a été à Inême de connaître. Toutes s'accordent sur la
recherche du bonheur. Mais aucune ne reconnaît la
primauté de la foi sur la raison. Les philosophies de
l'Antiquité, dit Augustin, proposent d'admirables
voies mais aucun but, car toutes ignorent le Christ
(C. 29).

1.

Cambridge, Cambridge University Press, p. 331-419.


2. Cf. E. Von Ivanka, Plato Christianus, La réception critique
chez de tI. fr. E. Kesslcr, Paris, PUF, 1990.

77
D'une part, elle partage un certain nornbre de combats
du platonisme: critique de l'ordre sensible, supériorité
de l'esprit sur la matière, transcendance de l'âme, etc.
D'autre part, elle postule la nécessité d'un dépassement
de ce que l'on pourrait nommer aujourd'hui un mode de
pensée logico-déductif: la raison ne met pas un terme
au elle permet au contraire de s'ouvrir à lui.

raison est le mouvelnent la ,-,,-,uv,___

ou associe différents objets


sance (De ord., 30).

78
raison est nécessaire à l'intelligence: pour vouloir ou
même désirer l'intelligence, il faut d'abord être rationnel
(Serm., 43, II ; Enn. in Ps., 32, 22)1.

La définition de la raison donnée dans le De ordine


(II, 30) semble confiner cette dernière à un rôle pure-
ment utilitaire. Loin d'être la partie la plus élevée de
l'âme -1' in telligentia - elle en serait l'instrurnent. Elle
n'en est pas moins indispensable, non seulement à la
vie intellectuelle, mais également à la vie spirituelle.
À l'encontre des sens, qui projettent l'âme au-dehors
d'elle-même, la raison pennet un retour sur soi qui
est la condition d'intelligibilité de l'être divin. Seul
l'hOlnme est capable d'un tel type de rapport à Dieu.
effet, si l'homme appartient à l'espèce animale,
il est le seul animal rationnel (De ord., 31
cf. Cicéron, Académiques, II, 21). Pour être plus proche
l'homlne doit s'élever au-delà de sa condition

L E, Gilson, op, dt .. p, 56-57, 11. 1.

79
Faut-il croire alors que l'erreur de jugement est une
victoire des sens sur la raison ? Augustin répond que
toute erreur de jugement est imputable à la raison seule
(V. R., XXXIII, 60). Si les sens peuvent percevoir les
choses, il ne leur appartient pas d'émettre un jugement
sur ce qu'ils perçoivent. Ainsi, à la question de savoir
si un objet est beau parce qu'il charme les sens ou s'il
charme les sens parce qu'il est beau, il faut admettre que
les sens ne peuvent donner la beauté à un objet, ou pour
le dire autrement, ils ne font que connaître des caracté-
ristiques que l'objet possédait déjà, avant même qu'elles
ne soient appréciées par les sens. Ces caractéristiques
font partie de l'être de ce même objet: elles ne sont pas
de simples surfaces perceptibles par les seuls sens, elles
doivent au contraire être attentivement examinées par
la raison. Par exemple, lorsque quelqu'un voit que sa
raUle se brise dans l'eau, il n'est pas abusé par ses sens
- les yeux ne pourraient pas voir autre chose qu'une
rame brisée - mais sa raison, qui n'a pas cherché à
(V.

80
auxquels elle réfère. C'est ainsi que la raison recherche
une unité dans les objets qui ne se présente pas à elle
d'emblée (voir V R., XXXv, 65).

« région de dissemblance» désigne le


pas, c'est-à-dire là où nous nous éloignons de Dieu.
Comme pour le mal, il faut en conclure qu'elle
pas, ou plus précisément qu'elle possède un statut onto-
logique négatif Égarées en dehors de justice,
les choses s'éloignent de vers « la région lointaine
rien ne te » (Conf XII, 7 et 2).

r->vl-,r",·C'C',,,n vient (Politique,


Plotin (Ennéades, 1, 8, 13) et témoigne

L Au sens où l'entend P. Hador, Exercices op. cit.

81
Une telle analogie entre platonisme et augustinisme
doit cependant être atténuée, ou pour le dire autre-
ment il ne faudrait pas en conclure une équivalence
ou une transposition pure et simple du vocabulaire
de Platon dans l'œuvre de l'évêque d'Hippone. Il
importe de toujours concevoir le platonisme comme
l'instrument de la théologie, et non cornme son objet.
Augustin n'a pas à tenir compte de la cohérence de
cette notion au sein du platonisme. Pour lui, seul
compte la différence radicale entre l'homme et
Être de passion, l'homme est dominé par tout ce qui
le ramène vers le monde corporel. Par ce fait même,
il perd de son car il s'éloigne de Dieu. La région
de dissemblance peut donc être qualifiée, sur le plan
ontologique, de zone obscure: elle indique une
un d'être l ,

1. P. Courcelle, " Tradition néo-platonicienne tradition chrétienne


région de dissemblance /) (Platon, 273d), Archives d'histoire
doctrinale et littéraire du Moyen 1957, p. 5-33 ; Gilson, «
dissimilirudinis de Platon à saint Bernard de Clairvaux» Mediaellil! Swdies.
1947,9, p. 108-130.

82
spirituel et éthique. Elle exige de celui qui y aspire une
juste connaissance du Inonde. Or, si cette connaissance
est difficile, ce n'est pas tant parce que les sens sont
trornpés, mais parce que la condition d'intelligibilité
du rnonde n'est pas à trouver en lui, filais hors de lui,
en Dieu (C. A., III, IX, 20).

La distinction entre la tradition chrétienne et la


tradition gréco-latine sur le statut de la sagesse tient
surtout à l'objet de la connaissance. christianisme
suppose d'une part que la foi précède la raison, d'autre
part que la connaissance parfaite est impossible, puisque
l'objet du savoir est caché depuis la faute adarnique.
connaissance de Dieu ne sera donc pas celle, purernent
monde, mais une tentative de retour à
la notion augustinienne sagesse
modèle proposé par Cicéron que
: la est sapientia, elle est à la fois

83
parfaite des objets est irnpossible. Mais cela ne tient pas
à un défaut de la nature humaine, plus précisément,
des facultés propres à l'homme, mais plutôt en ce que
la connaissance ne peut être donnée seuleITlent par les
facultés intellectuelles de l' homme. Le processus de
la connaissance doit d'abord être enclenché par la foi,
et non par l'expérience sensible ou intellectuelle des
choses (C. A., 5; IX, 20).

récit des Confessions 9) témoigne


parcours intellectuel accompli par Augustin dans sa
la sagesse. première conception que se
Augustin du statut la sagesse lui est donnée
Cicéron. Écritures lui apparaissent alors mal
1nr,,,,rrpr la comparaison avec l'œuvre du grand orateur

84
vérité dont elle avait besoin (Conf, VI). Il faut, à celui
qui veut accéder à la vérité, que l'aversion (aversio) pour
Dieu devienne une conversion (conversio). L'argument
ne consiste pas simplement à passer de la raison à la
croyance, mais à rechercher la vérité dans l'être des
choses et non dans l'apparence (U C., X, 23).

nomen,
Un signe est un mot, un nom ou un geste doté de
sens: il doit être possible de le comprendre ou de l'inter-
préter. Sans cette possibilité, le signe n'exprime rien et
il n'est rien. Dans tous les cas, le signe doit renvoyer à
quelque chose. d'autres termes, le signe n'est rien en
lui-même, il que qu'il réfère à un autre
objet. Ce qui COITipte est donc la possibilité pour un mot,
un geste, un norll, etc., signifier quelque chose pour
le comme sera à son '-''-''-.J
UL .....

85
signes ne signifient rien en eux-mêmes, mais permettent
de créer des liens entre les différents signes qui conlposent
une phrase ou toute séquence logique de signes.

Il s'agit de savoir si le langage construit la connais-


sance, et donc nous permet de nous connaître nous-
mêmes et en dernière instance de mieux connaître
les décrets de la volonté divine ou si au contraire la
connaissance permet le langage et n'emploie ce dernier
autrui. Dans Le maître,
Augustin montre d'abord que les signes se rapportent
à signes, sans le langage, ou plus pré-
Clserrlerlt la signification, ne serait possible : ces
thèses sont jusqu'au § texte. Il montre
ne se connaissent pas sans les
la connaissance ne
temps atteste de l'existence rnême des choses, car
ses marques visibles sont les effets du changement et
de la transformation des choses. Changer, c'est néces-
sairement supposer qu'il y a quelque chose d'un être
donné qui disparaît au profit d'autre chose. temps
s'oppose donc à l'éternité; il est relatif à l'existence
des choses créées, et non au créateur ultime de toutes
choses, Dieu, qui seul connaît l'éternité.

La question est de . . .
.l.ul.u.J.'w.l.

magistrale au livre des Confessions. problèrne est


d'ordre ontologique: qu'est-ce que le temps? Quel est
l'être du temps? problème

87
est impossible d'identifier Dieu, qui n'est créé par
rien, et sa créature: le temps ne peut être dit d'un être
incréé, car ce dernier ne possède ni passé, ni présent,
ni avenir. Il faut supposer que son être singulier est en
dehors du temps, et donc qu'il existe de toute éternité.
Non seulement ne peut-il connaître la mort, mais il
jamais connu une origine, car il n'en a pas. Si les
catégories du temps ne peuvent être dites de Dieu,
il n'est pas non plus possible de penser le temps sans
l'œuvre divine, car le temps est une création: son
être ne précède donc pas celui du créateur. Aussi la
question de savoir ce que faisait Dieu avant la création
est-·eUe absurde, car il ne peut y avoir d'avant sans que
le temps ne possède d'abord une existence, laquelle lui
par
U.VLjl.l.H..,'- (Conf, 15). pourrait
ce Dieu peut avant
"-J.-'-\.-u. .1'-'-'-', puisqu'il est difficile l'ima-
toutes choses.

88
On ne peut donc jamais penser ce qui existait avant
même l'existence du temps. Augustin en conclut que
les temps ne partagent pas l'éternité de Dieu (Conf,
XI, XIII, 17).

Un autre problème, dont l'exposition dérive du


premier, est celui de la valeur ontologique du temps.
Comrnent est-il possible de penser l'être du temps si
le passé n'existe plus, si le futur n'est pas encore et si
le présent est condamné à disparaître (ce qui est dit
d'une chose maintenant ne sera plus une qualification
adéquate dans l'instant qui suit). Malgré tout, nous
devons admettre qu'une chose qui fut possédait une
existence. De même, nous sornlnes dans l'obligation de
l'existence d'une chose présente, même si
cette même chose est vouée à disparaître. lorsque
nous nous intéressons à une chose qui existera dans
à cette chose que
insertion

89
qu'ils adviennent dans le passé, le présent ou le futur.
même, nous pensons ces temps selon qu'ils sont
courts ou longs. Cette conscience du temps est, pour
Augustin, celle du temps présent: comment mesurer,
en efFet, ce qui n'est plus ou ce qui n'est pas encore ?
Nous ne mesurons donc que ce qui nous apparaît exister
au moment même nous en faisons la perception
(Conf, 21 ; voir flll,~rO'M"'UlJ

est un, il ne se présente pas


comlne ~"L"L."''''', Dieu demeure toujours un, même s'il
se à nous à la fois cornrne Père, Fils et
u ' - v , ....
H . U . U ....

Voir les remarques importantes de G, Madec, Le Dieu Paris,


éd. du Cerf~ p. 41 et 5Q. ; O. Du Roy, de
se/liN saint A ugllStin , Paris, 1966.

90
ni le Fils, Hom. Jean, 39, 2.) Les Écritures sont, sur ce
point, formelles: la Trinité exprime un unique Dieu
(De trin. VII, 1 ; voir Dt, 6, 4).

Au sens strict, le vocabulaire de la Trinité ne pose


pas de problème ontologique mais un problème d'ordre
logique et théologique. Dieu est un être unique et il est
rnême le seul être, car tous les autres êtres procèdent
lui. La lirnite qu'entend montrer Augustin entre
le principe du Père, du Fils et de l'Esprit saint n'est
évidemment ni matérielle ni spirituelle. Il est alors
difficile de comprendre ce qu'entend Augustin lorsqu'il
explique que les « Trois ne relèvent du nombre que
leurs relations, mais non pas en raison de ce qu'ils
sont ... » (Hom. Jean, 39, 4). L'Esprit représente à la
l'esprit et du Fils, il est ce que nous disons
Père et du Fils lorsque nous nous rapportons à leur
le ontologique, ces trois personnes ne

91
Il importe de distinguer le verbe divin et le verbe
humain. premier est à l'image de Dieu: il repré-
sente donc la perfection de tout ce qui est, car tout
ce qui représente Dieu désigne une entité absolue,
sans aucune carence ontologique. Le second, le verbe
hUlnain, n'est pas la négation principielle du premier.
s'opposent - il faut nettement séparer le domaine
l'honlme et le pouvoir absolu de Dieu - il n'en faut
rnoins voir dans le verbe humain l'expression de
j.J'-'.!.hJ'-"~, et par analogie, tout ce qui s'approche ou
au principe de l'amour, tel qu'il est établi
..... ù'-"'V.U'-l.

selon sa volonté.

92
Toutefois, puisque l'être donné aux créatures ne peut
se voir comparer à l'être divin (C. D., XII, 2), il faut
en conclure que les entités possédant une existence
tendent vers ou s'éloignent de la vérité du verbe divin,
selon qu'elles imitent adéquatement ce verbe ou non
(De gen. ad. litt., XVI, 57-58).

Le verbe humain procède du verbe divin. Toute


vérité trouvée par l'homme dérive en f::lÎt de l'ensei-
gnement du « maître intérieur» (B. V, IV, 35 ; Sol., 1,
1 ; et surtout le De magistro). Il n'est donc pas d'acte
rationnel qui ne soit au départ un acte de foi, ou un
acte d'amour de Dieu, car toute reconnaissance par
la raison de la vérité et de l'unité de cette dernière est
reconnaissance du principe de Dieu.

vérité possède chez Augustin un statut ontologique


et théologique. plus précisément à

93
À l'inverse, toute réalité complexe térnoigne de la
fausseté. Ainsi, les corps, distincts en apparence les uns
des autres, s'éloignent de la simplicité et de la réalité uni-
que qui est pourtant leur modèle, « le principe par quoi
tout est un » (De ver. relig., XXXVI, 66). Mais il n'est
possible de dire que les apparences des corps n'expriment
le faux qu'en relation à la réalité du vrai. Ainsi, le faux
n'est rien en lui-même, il ne se cornprend qu'en relation
au vrai, comme une déviation du principe de celui-ci. La
vérité, au contraire, est à la fois principe des choses vraies
(elle est le Verbe divin) en ce qu'elle est leur unité - et
réalité commune à toutes les entités qui se ressemblent
ou sont semblables à elles (De ver. relig., XXXVI, 66). Il
n'y a donc aucun objet qui soit en lui-même faux, mais
une erreur de qui consiste à délaisser le principe
de la vérité (V. 67). Pour retrouver
la vérité, il faut à la raison dégager de la pluralité des
aVIJa-'-'-'1.1.''-''-'0 le principe qui
la

94
base purernent logique une réalité d'ordre théologique.
Dans les Soliloques, Augustin discute du problèn1e de
l'immortalité. Est-il possible de croire que quelque
chose existe sans pour autant être voué à la IllOrt ?
si tel était le cas, comment pourrions-nous en avoir la
preuve, puisque nous somlnes nous-mêmes condamnés
à lTIourir ? Dans ce dialogue, où on sent nettement
la formation de rhétoricien qu'Augustin avait reçue
dans sa jeunesse, la preuve de l'imrnortalité divine
est ofE:rte le truchement jeu logique sur la
vente. pose d'abord que le Inonde est condamné
à disparaître, que nous nommerons thèse doit
alors admettre que cette affirmation est vraie. si le
monde disparaît, la thèse est confirmée, mais n'en
demeure pas moins vraie. Ce n'est pas parce qu'elle
annonçait quelque chose qui s'est produit qu'elle cesse
d'être vraie. Tout au plus pouvons-nous dire qu'elle
'-'.A'l'--.U.... "', au sens où elle ne sert plus à

cU._'_V'.!..l..l.~'.l..l.,",
- mais

95
faut alors admettre comme vraie une telle affirmation.
Or, il demeure toujours nécessaire d'avoir recours à la
vérité pour dire que l'énoncé « la vérité même meurt »
est vrai. Donc, la vérité est éternelle.

La volonté se définit comme un mouvement de l'âme


vers l'objet qu'elle convoite. Or, l'objet propre à l'âme
est l'être même des choses. En ce sens, ce que l'âme
désire dans les choses, ce ne sont pas les choses elles-
mêmes, mais Dieu, qui est le principe de leur existence.
Mais si est le véritable objet de la volonté, est-il
encore possible de dire de cette dernière qu'elle est
libre? Oui, dit Augustin, l'errance même de l'âme
depuis le péché d'Adam en étant la preuve. La liberté
est alors vue comme la possibilité pour l' homnle de
nier ce qui serait sa véritable liberté.

96
ou l'arTlour (Conf, 9). Vouloir Dieu, c'est ainsi
accomplir l'union entre l'ordre de la raison et l'ordre
de la volonté. Il est toutefois possible d'agir de manière
irrationnelle, et alors on ne voudra pas l'existence de
quelque chose mais au contraire sa disparition. Or,
vouloir que quelque chose n'existe pas ne peut être
compatible avec une volonté animée par le désir de
Dieu, qui est une entité ontologique parfaite. C'est
pourquoi il faut adluettre que la volonté est divisée au
sein l'ârrle humaine, car elle tend à la fois à l'exis-
tence et à la négation de l'existence (Conj., VIII, V, 13).
Ainsi, il n'est pas légitime d'airner ou de vouloir ce qui
tend à la négation de l'existence et empêche, au lieu
le favoriser, l'amour de Dieu (Serm., 96,

volonté domine l'ensemble des mouven1ents


l'âme (C. D., Sans elle, on ne pourrait
exprünent un rapport de

Gilson, Introduction rl l'étude de saint A uglfSrÎn , op. cit., p.

97
inversement par l'aversion). Vouloir quelque chose,
c'est d'abord l'aimer. Ainsi, il y a de bonnes et de
mauvaises volontés comme il y a un amour bon et
un amour mauvais : tout dépend en fait du choix
de l'objet aimé ou voulu. C'est ce qui distinguera la
volonté droite, qui est un amour du bien ou un amour
et la mauvaise volonté, ou volonté perverse - elle
est pervertie dans la mesure où elle est détournée de
l'objet qui devrait être le sien (C. D., XlV, VII, 2). La
ditlerence entre Augustin et la postérité médiévale
concept volonté tient au degré de présence de
l'intellect au sein de la volonté (cf. Thomas d'Aquin,
VUffHH'- théol., l, q. 82-83). Puisqu'elle implique une
recnercrle de l'existence des choses, la volonté doit-elle
véritablement distinguée de la puissance rationnelle
? Faut-il voir dans égarerrlents la
~TAI'"'t..,·r-c> une « faiblesse» cette dernière, et non une
serait inscrite dans le principe même

98
B. V De beata vita / De la béatitude
C. A. Contra-Academicos /
Contre les Académiciens
Conf Confessiones / Confessions
C. D. La Cité de Dieu
Cont. Faust. Contra Faustum / Contre Fûust
ContI'. fuI. Contra fuI. (imperfectum opus)
De diversis quaest. De diversis quaestione
De doct. christ. De doctrina christiana /
La doctrine chrétienne
De Mag. De magistro / Le maître intérieur
De mol'. ece!. De moribus ecclesiae catholicae
et manicheorum / Des mœurs de
1Église catholique . ..
De mus. De musica / De la rou\//rt.lY

Ennarationes
1 Ulnt:j~tf::) sur

99
Hom. Jean. In Johannis Evangelium /
Homélies sur l'évangile de Jean
lA. De immortalitate animae /
De l'immortalité de l'âme
Lib. arb. De Libere arbitrio / Du libre arbitre
N.B. De natura boni / De la nature du
bien
Sol. Soliloquia / Soliloques
ue. De utilitate credendi / De l'utilité de
croire
V. R. De vera religione / De la vraie
religion

100
La bibliographie d'Augustin est trop volumineuse pour
être détaillée ici. On se référera au « Bulletin Augustinien»
dirigé par Goulven Madec depuis 1963 dans la revue des
études augustiniennes. On peut toutefois mentionner les
travaux suivants, les plus accessibles et les plus connus :

Peter Brown, La vie de saintAugustin, [1967] tr. fr. Seuil,


1971 (une excellente introduction à l'œuvre d'Augus-
tin par l'un des plus grands spécialistes de l'Antiquité
tardive).
Étienne Gilson, Introduction à l'étude de saint Augustin,
Paris, Vrin, 1943 (indispensable).
Henri-Irénée Marrou, Saint Augustin et l'augustinisme,
Paris, Seuil, « Maîtres spirituels », 1957.
G. Madec, SaintAugustin et la philosophie, Paris, Institut
d'Études augustiniennes, 1996.
R. A. Markus, saeculum, history and theology in st.
Augustine, Cambridge, Cambridge University Press, 1970
ex(:eptlOnnel dont on n'arrive pas à COJmOlrerlGI

pas
XVIIe mais son livre offre l'analyse la
de pensée).
C'H{'j-pt'np{'

101
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Le vocabulaire d'Aristote, Pierre Pellegrin
Le vocabulaire d'Averroès, Ali Benmakhlouf
Le vocabulaire de Bachelard, Jean-Claude Patiente
Le vocabulaire de Bacon, Thierry Gontier
Le vocabulaire de Bentham, Jean-Pierre Cléro, Christian Laval
Le vocabulaire de Bergson, Frédéric Worms
Le vocabulaire de Berkeley, Philippe Hamoli
Le vocabulaire de Bourdieu, Christiane Chauviré, Olivier Fontaine
Le vocabulaire de Comte, Juliette Grange
Le vocabulaire de Condillac, Aliénor Bertrand
Le vocabulaire de Deleuze, François Zourabichvili
Le vocabulaire de Derrida, Charles Ramond
Le vocabulaire de Descartes, Denis Kambouchner, Frédéric de Buzon
Le vocabulaire de Diderot, Annie Ibrahim
Le vocabulaire de Durkheim, Frédéric Keck, Mélanie Plouviez
Le vocabulaire d'Épicure, Jean-François Balaudé
Le vocabulaire de Fichte, Bernard Bourgeois
Le vocabulaire de Foucault, Judith Revel
Le vocabulaire de Frege, Ali Benmakhlouf
Le vocabulaire de Freud, Paul-Laurent Assoun
Le vocabulaire de Girard, Charles Ramond
Le vocabulaire de Goodman, Pierre-André Huglo
Le vocabulaire de Habermas, Christian Bouchindhomme
Le vocabulaire de Hayek, Laurent Francatel-Prost
Le vocabulaire de Hegel, Bernard Bourgeois
Le vocabulaire de Heidegger, Jean-Marie Vaysse
Le vocabulaire de Hobbes, Jean Terrel
Le vocabulaire de Hume, Philippe Saltel
Le vocabulaire de Husserl, Jacques English
Le vocabulaire de Jung, Aimé Agnel (coordinateur),
Michel Cazenave, Claire Dorly, Suzanne Krakowiak,
Monique Leterrier, Viviane Thibaudier

103
Le vocabulaire de Kant, Jean-Marie Vaysse
Le vocabulaire de Kierlcegaard, Hélène Politis
Le vocabulaire de Lacan, Jean-Pierre Cléro
Le vocabulaire de l'école de Francfort, Yves Cusset, Stéphane Haber
Le vocabulaire de Leibniz, Martine de Gaudemar
Le vocabulaire de Lévinas, Rodolphe Calin, François-David Sebbah
Le vocabulaire de Lévi-Strauss, Patrice Maniglier
Le vocabulaire de Locke, Marc Parmentier
Le vocabulaire de MachialJel, Thierry Ménissier
Le vocabulaire de Maine de Biran, Pierre Montebello
Le lJocabulaire de Jvfaître Eckhart,
Gwendoline Jarczyk, Pierre-Jean Labarrière
Le lJocabulaire de Malebranche, Philippe Desoche
Le vocabulaire de Malraux, Jean-Pierre Zarader
Le vocabulaire de Marx, Emmanuel Renault
Le vocabulaire de Merleau-Ponty, Pascal Dupond
Le vocabulaire de Montaigne, Pierre Magnard
Le lJocabulaire de Montesquieu, Céline Spector
Le vocabulaire de Nietzsche, Patrick Wading
Le lJocabulaire d'Ockham, Christophe Grellard,
Kim Sang Ong-Van-Cung
Le vocabulaire de Pascal, Pierre Magnard
Le vocabulaire de Platon, Luc Brisson, Jean-François Prade au
Le lJocabulaire de Plotin, Agnès Pigler
Le lJocabulaire des Jean-François Balaudé
Le lJocabulaire de Jean-Gérard Rossi
Le lJocabulaire de RavaissolZ, Jean-Michel Le Lannou
Le lJocabulaire de Ricœur, Olivier Abel, Jérôme Parée
Le vocabulaire de Rousseau, André Charrak
Le vocabulaire de Russel, Ali Benmakhlouf
Le vocabulaire de

Le vocabulaire de Saint-Simon, Piene Mussa


Le vocabulaire de Sartre, Cabestan, Arnaud Tomès
Le vocabulaire des Emmanuel
Le vocabulaire de Schelling, Pascal David
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104
Le vocabulaire de Simondon, Jean-Yves Chareau
Le vocabulaire de Spinoza, Charles Ramond
Le vocûbulaire des Stoïciens, Valéry Laurand
Le vocabulaire de Suarez, Jean-Paul Coujou
Le vocabulaire de Tocqueville, Anne Amie!
Le vocabulaire de Valéry, Miche! Philippon
Le vocabulaire de Vico, Pierre Girard
Le vocabulaire de Wittgenstein, Christiane Chauvi ré, Jérôme Sackur

Le vocabulaire allemand de la philosophie, David Jousset


Le vocabulaire du Bouddhisme, Stéphane Arguillère
Le vocabulaire grec de la philosophie, Ivan Gobry
Le vocabulaire latin de la philosophie - 2 e édition revue et corrigée,
Jean-Miche! Fontanier
Le vocabulaire des Philosophies de 1Inde, Marc Ballanfat
Le vocabulaire de la sociologie de l'action, Albert Ogien,
Louis Querré

Le vocabulaire des philosophes: de !:Antiquité à la Renaissance,


Collectif; 720 p.
Le vocabulaire des philosophes: la philosophie classique
(XVIP - Xv7Jlè siècle), Collectif, 832 p.
Le vocabulaire des philosophes: la philo.fOphie cor.ltonjJl7rame
(XXI! siècle), Collectif; 1120 p.
Le vocabulaire moderne
(XIXe Collectif, 704 p.
Le vocabulaire l, Collectif, 1104 p.

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Berkeley, par Ph. Hamou Malraux, par J.-P. Zarader
Comte, par J. Grange Marx, par E. Renault
Condillac, par A. Bertrand Merleau-Ponty, par P. Dupond
Derrida, par Ch. Ramond Montesquieu, par C. Spector
Descartes, par F. de Buzon Montaigne, par P. Magnard
et D. Kambouchner Nietzsche, par P. Wotling
Diderot, par A. Ibrahim Pascal, par P. Magnard
L'école de Francfort, par Y. Cusset Platon, par L. Brisson et J.-F. Prade au
et S. Haber Présocratiques, par J.-F. Balaudé
Épicure, par J.-F. Balaudé Quine, par J. G. Rossi
Foucault, par J. Revel Ravaisson, par l-M. Le Lannou
Frege, par A. Benmakhlouf Rousseau, par A. Charrak
Freud, par P.-L. Assoun Russell, par A. Benmakhlouf
Goodman, par P.-A. Huglo Saint Augustin, par Ch. Nadeau
Habermas, par Ch. Bouchindhomme Saint Thomas d'Aquin, par M. Nodé-
Hegel, par B. Bourgeois Langlois
Heidegger, par l-M. Vaysse Sartre, par Ph. Cabestan et A. Tomes
Hume, par Ph. Saltel Sceptiques, par E. Naya
Husserl, par l English Schelling, par P. David
Kant, par l-M. Vaysse Schopenhauer, par A. Roger
Kierkegaard, par H. Politis Spinoza, par Ch. Ramond
Lacan, par J.-P. Cléro Stoïciens, par V. Laurand
Leibniz, par M. de Gaudemar Suarez, par J.-P. Coujou
Lévinas, par R. Calin et F.-D. Sebbah Tocqueville, par A. Amiel
Lévi-Strauss, par P. Maniglier Voltaire, par G. Waterlot
par M. Parmentier Wittgenstein, par Ch. Chauviré
Machiavel, par Th. Ménissier et J. Sackur

ISBN 2-7298-0821-3
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cl'une part, les « strictement réservées à l'usage privé du
non à une et d'autre part, que les analyses et les courtes
dans un but d'exemple et d'illustration, "toute représentation ou reproduction
faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est
L.l22-4)
Condillac est connu pour être l'auteur de la formule selon laquelle la
science est une langue bien faite. L'explication lexicale possède à ses
yeux une légitimité incontestable. Le Traité des sensations peut même
être considéré comme une sorte de dictionnaire génératif des opérations
de l'esprit humain.
Cependant, la forme d'un vocabulaire contrevient sur plusieurs points
aux exigences de l'analyse du langage philosophique maintes fois
exposée par Condillac:
les notions sont détachées du contexte dans lequel elles prennent
sens,
- elles sont présentées sans liaison les unes avec les autres,
elles sont ordonnées par l'arbitraire alphabétique et par celui du choix
des entrées; de plus,
une langue contient des indéfinissables, qui sont souvent des termes
premiers en philosophie,
une langue est faite pour déployer des combinaisons neuves, et non
pour être réduite à un code élémentaire.
Condillac considère que l'analyse est la seule méthode capable de lier
les différents termes les uns aux autres par engendrement successif à
partir d'un principe. Comme science, la philosophie doit être exposée de
manière systématique. Et l'étude du langage nécessite une méthode
génétique: sa tâche est d'établir les modes par lesquels les mots et les
règles linguistiques ont été institués. Aussi bien d'un point de vue
philosophique que d'un point de vue linguistique, la présente entreprise
paraît donc inévitablement en défaut. Elle est également insuffisante
d'un point de vue historique: le devenir de l'œuvre s'est accompagné de
bouleversements conceptuels significatifs, dont un glossaire, par son
caractère rigide, ne peut rendre compte.
Condillac lui-même a cru préférable de composer un Dictionnaire
des synonymes plutôt qu'un répertoire du français pour son élève le

3
Prince de Parme. Rédiger un vocabulaire de Condillac apparaît alors
comme une gageure. Ne court-on pas le risque, en figeant la langue, de
forger un jargon dont la frivolité le dispute à la prétention?
C'est oublier l'ampleur des préjugés qui obscurcissent l'intelligence
de l'œuvre: bien souvent, la clarté d'expression est prise pour un
manque de conceptualité, la facilité du développement pour de la
naïveté, la précision pour de la sécheresse. Il manquerait à la fois à
Condillac la verve de Diderot, la rhétorique de Rousseau, la technicité
des philosophes allemands, et l'inventivité des anglais ...
Combattre de telles méprises n'est pas être infidèle à l'auteur de
l'Essai sur l'origine des connaissances humaines. La subtilité du
système se dit si simplement, qu'elle doit être analysée pour être
aperçue; la découvrir est d'abord l'observer. Il peut être utile de
commencer par déchiffrer l'ensemble en s'aidant de marques plus
grossières, en repérant des particularités, en notant des liaisons internes.
Il ne s'agit pas ici de se substituer à Condillac de façon incongrue, mais
d'apprendre à parler sa langue et de former une nouvelle habitude. Cet
apprentissage est difficile parce qu'il vient après beaucoup d'autres: une
sorte de traduction provisoire et limitée, destinée à disparaître peut le
faciliter. La vocation de ce vocabulaire est d'inviter à l'expérience que
Condillac désigne comme l'expérience même du philosophe, celle de la
lecture.
Analogie
'" L'analogie a différents degrés selon qu'elle est fondée sur la
ressemblance, la finalité, ou sur les rapports des effets aux causes et
des causes aux effets. Elle n'est dans les premiers cas qu'une faible
conjecture, mais prend la force d'une évidence dans le dernier cas
(Logique, II, ch. 9).

** L'analogie ne désigne pas la ressemblance en elle-même, ni


l'identité des rapports de finalité ou de causalité; elle est une règle de
réflexion, qui permet la formation des représentations d'action, qui
préside à l'institution des signes, et qui commande la production des
artifices logiques, au premier titre desquels le raisonnement.
L'analogie n'est pas seulement un mode de comparaison réglé; elle
est aussi une méthode d'invention permettant la fabrication de signes
nouveaux. Elle est à l'origine de la parole et du raisonnement; mais,
lorsqu'elle est mal faite, elle est également la source des préjugés et
des symboles les plus obscurs (Calculs, Il, ch. 1 ; Systèmes, ch. 4-5).
*** La notion condillacienne d'analogie a souvent été critiquée en
raison de sa polysémie et de l'immensité de son extension. Mais,
pour être correctement comprise, elle doit être replacée dans la
perspective de l'analyse génétique du langage parlé. Elle se justifie
par la proposition selon laquelle les langages et les langues utilisés
par les êtres vivants trouvent leur origine dans le langage d'action; or
la réflexion analogique conditionne l'institution des signes de ce
langage: c'est parce que je reconnais en mon semblable un être dont
l'action est commandée par les mêmes principes que ceux qui
régissent ma propre conduite que j'utilise ma propre action pour
signifier quelque chose. L'analogie se déploie ensuite en de multiples
modalités, dont celle du raisonnement, qui est essentielle aussi bien
r'\-n,c"\"",-,-,o,-.r des connaissances humaines l'exactitude de la
réflexion morale. L'extrême généralité de l'analogie indique son
caractère originaire: elle n'est pas l'effet d'une méprise réduisant
l'étude des langages, des langues et des raisonnements à une unique
modalité. L'analyse des analogies est le moyen de comprendre
comment une langue peut être instituée. Elle permet aussi d'expliquer

5
pourquoi les langues peuvent être plus ou moins bien faites, sachant
que notre corps est d'abord impropre à véhiculer une autre
signification que celle des émotions.

Analyse
* L'analyse est une manière de conduire l'attention qui consiste à
décomposer et à composer les idées pour en faire différentes
comparaisons sous tous les rapports possibles. Son but est de
découvrir les relations qui lient les idées entre elles et de produire de
nouvelles combinaisons. La décomposition est une observation selon
un ordre successif qui conditionne une composition dans un ordre
exact et simultané. Elle doit conduire à l'évidence par l'exercice de la
réflexion. L'analyse est à la fois une méthode de découverte et une
méthode d'exposition qui suit la génération même des idées (Essai, l,
II, ch. 8 ; Logique, l, ch. 2).
** L'analyse et la synthèse ne s'opposent pas comme une opération
de décomposition à une opération de composition; l'une et l'autre
composent et décomposent. Mais l'analyse va du connu à l'inconnu,
selon un principe qui permet de remonter autant qu'il est possible à
l'origine, tandis que la synthèse part de l'inconnu, en se donnant un
mauvais point de départ, le plus souvent une définition. Ce qui
conduit l'analyse est donc le caractère génétique de la décomposition.
Cependant, si l'analyse est une méthode universelle, c'est parce
qu'elle est la seule à permettre des découvertes, et non parce qu'elle
permettrait de tout découvrir: il n'est pas toujours possible de
rernomE~r à ou aux éléments premiers des choses. Au
principe du progrès des connaissances humaines, l'analyse est donc,
selon ce qui l'occupe, complète ou incomplète en droit (Logique,
ch. 6 ; ch. 4).
*** partir du Cours d'études au Prince de Parme, Condillac
affirme que la capacité de décomposer nos idées avec ordre dépend
de l'usage des signes artificiels. Il affirme un principe d'équivalence
entre le langage et la méthode analytique: toute méthode d'analyse
est une langue, et toute langue est une méthode analytique. Ce qui ne
signifie pas que l'analyse ait nécessairement besoin du secours du
langage parlé, et encore moins de la logique des propositions. Nous
commençons à utiliser l'analyse à notre insu et nous apprenons cette
méthode de la nature elle-même: l'action décompose la pensée avant
même que nous soyons capable de le remarquer, et c'est en le
remarquant que nous instituons des signes artificiels. L'analyse est
une activité de l'esprit conditionnée génétiquement par la logique de
l'action, et non un organon qui disposerait d'une validité formelle
propre (Grammaire, l, ch. 6 ; Logique, II, ch. 3).

* Les animaux sont des êtres vivants et sentants, dont les actions ne
peuvent être expliquées comme si elles étaient celles de simples
automates corporels. Condillac a d'abord considéré que l'âme des
bêtes est bornée à l'attention, la réminiscence et l'imagination (Essai,
l, II, ch. 4), avant d'admettre que les animaux sont capables de
comparaison, de jugement et de réflexion, et que certains d'entre eux
ont un langage (Animaux, l, ch. 5 & II, ch. 4). Dans les deux cas, il
considère que la différence spécifique entre l'homme et les animaux
est la disposition, non d'un langage, mais de la parole.
** Ces positions anti-cartésiennes ont été l'objet d'une polémique
avec Buffon, dont Condillac attaque les thèses dans la première
partie du Traité des animaux. Les critiques se regroupent autour de
quatre arguments principaux: l'impossibilité de décrire la faculté de
sentir par des lois purement mécaniques jointe à la contradiction qui
consiste à accorder aux bêtes du sentiment sans pensée, la difficulté
d'expliquer que les données des différents sens puissent être
combinées sans recourir à une activité mentale de comparaison,
de décrire les effets de d'instinct sans admettre une
HH!-,VCJCH.U.L'l.LlV

forme de connaissance animale, l'impossibilité de rendre compte des


phénomènes d'apprentissage et des variations comportementales
individuelles au sein d'une espèce au moyen de l'automatisme
(Anirnaux, ch. 6). Ces arguments sont complétés par des
considérations d'ordre théologique, métaphysique et moral: il n'est

7
pas nécessaire de retirer aux animaux la capacité de penser pour
assurer une différence spécifique entre les êtres humains et les
animaux permettant d'expliquer comment l'homme peut acquérir la
connaissance de la loi naturelle et celle de Dieu par l'exercice de sa
raison. Cependant, le but visé par Condillac en accordant la réflexion
aux bêtes est d'assurer avec plus de certitude la description de
l'origine naturelle de la parole humaine; les analyses de Condillac
possèdent donc une dimension anti-théologique qui n'a pas échappé
aux contemporains.
*** Condillac a adopté deux positions successives à propos des
rapports de l'esprit animal et du langage. Il ad' abord considéré que
les structures permettant de se représenter les événements du monde,
ses propres actions et celles d'autres corps dépendaient de la
disposition de la parole. Ainsi, si les bêtes combinent des sensations,
elles ne sont pas capables de les analyser. Dans l'Essai sur l'origine
des connaissances humaines, l'esprit animal n'est susceptible que
d'opérations sémiotiques appelées par l'actualité et les besoins
organiques. Condillac fait même directement dépendre la
communication intraspécifique des premiers hommes de liaisons
dépourvues de règles entre les signes naturels. Il admet a fortiori que
la communication animale est indépendante de toute réflexion
analogique concernant les intentions de signification. Au contraire, à
partir du Traité des sensations, Condillac accorde aux animaux la
disposition d'une «théorie de l'esprit », qui leur permet de se
ret)re:;;enter les intentions de leurs congénères et de communiquer au
moyen d'un Les bêtes de telles relJreSerltatlOI1S
lorsqu'elles sont capables de se représenter leur propre corps comme
un ensemble discret. Les conventions linguistiques originaires des
êtres humains sont conditionnées par ces représentations et la
corollaire d'une réflexion concernant les intentions
d'autrui.
Argent
* Avant d'être utilisé comme monnaie, l'argent d'abord est un métal
rare. Comme les autres métaux, il est une marchandise dont la valeur
dépend d'un jugement lié à l'usage, à la curiosité ou à l'ornement. Il
possède une valeur relative aux besoins et à l'état dans lequel on
l'échange (matière brute ou travaillée). Sa transformation en monnaie
tient à sa durabilité et à sa divisibilité; elle est le fait des marchands
qui, par une comparaison quantitative précise des objets d'échange,
espèrent évaluer plus exactement les prix. Leur anticipation du profit
est à l'origine de l'usage de la monnaie comme mesure des échanges
(Commerce, l, ch. 14-15 & ch. 23).
** L'usage de la monnaie crée une illusion qui brouille les jugements
sur la valeur des choses. Il accrédite et généralise une croyance
propre aux marchands, selon laquelle les objets pourraient être
échangés exactement à l'aide d'une valeur prise pour mesure de
toutes les autres. Il établit ainsi une confusion entre deux sortes de
richesses, l'une qui est liée à la satisfaction des besoins, et l'autre à la
capacité d'échanger en tant qu'elle dépend du marché. Lorsque
l'argent est pris pour mesure commune des valeurs, la confusion de la
valeur et des prix qui est propre à tout marché se trouve renforcée;
l'équivalence des quantités fait naître la fausse croyance selon
laquelle on doit échanger les marchandises à valeurs égales. Or, pour
juger la justice de l'échange, il faut au contraire établir si chaque
échangeur possède ses marchandises en abondance, en surabondance
ou s'il est contraint d'échanger ce qui lui manque.
*** Condillac critique la thèse selon laquelle l'argent est un signe
purement représentatif de la valeur des choses, parce que les métaux
sont aussi des marchandises dont les valeurs ne sont pas seulement
arbitraires. Cette critique a une portée visant les
physiocrates. Mais, au-delà, Condillac dénonce aussi les effets de
l'abstraction réalisée de la valeur dont l'usage de la monnaie est l'un
des facteurs principaux. Il perçoit les conséquences de cette
abstraction dans les déséquilibres économiques liés à la corruption
des échanges et à la dégradation des mœurs. Ainsi, dans la société

9
marchande moderne, les inégalités se multiplient-elles en raison de
l'alliance entre les marchands, qui donnent l'argent pour une valeur
absolue, et les États, qui manquent à leur devoir de protection des
salaires en omettant de définir clairement les besoins nécessaires à la
vie civile. En droit, la valeur de ce qu'on achète est la mesure de la
valeur de l'argent qu'on donne: il convient donc de référer la valeur
des marchandises aux besoins et au travail, et non à leur prix.
Correctement compris, le principe de la liberté de l'échange doit être
interprété comme le moyen de transformer les modes d'intervention
de l'État dans la vie économique et de diminuer sa dépendance à
l'égard des marchands.

* L'attention est une augmentation de la vivacité de certaines


perceptions à un point tel qu'elles paraissent uniques. L'inattention
permet d'expliquer les phénomènes décrits par Leibniz pour défendre
l'existence de perceptions inconscientes (Essai, l, II, ch. 1). Dans le
Traité des sensations, Condillac distingue une attention passive, liée
à l'impression des objets extérieurs, et une attention active.
L'attention active trouve sa première forme dans la mémoire et sa
seconde dans la comparaison déterminée par le principe de plaisir
(Sensations, l, ch. 2).
** Dans l'Essai, l'attention semble présupposer la réminiscence, alors
même que la réminiscence est explicitement dérivée de l'attention.
Condillac affirme en effet que les choses attirent notre attention par
côté où elles ont le de avec notre nos
et notre état (Essai, l,
!-'UCh)HJU0 ch. l, § 14). L'attention
r""nlHort-

donc un «nous» conditionne les variations des degrés de


conscience et la liaison des elle-même. Mais la
réminiscence est décrite comme le sentiment d'auto-
affection qui définit le moi. La circularité de ces deux opérations
disparaît dans le Traité des sensations, qui propose de nouvelles
de détermination des variations de l'attention.
*** L'0l1entation de l'attention dans l'Essai dépend des besoins, qui
sont eux-mêmes rapportés à la nature de l'union de l'âme et du corps.
Mais Condillac ne donne pas de principe de détermination des règles
de l'attention. L'attention est analysée en termes très
« phénoménologiques », ceux de la variation du degré de conscience,
de l'augmentation ou de la diminution de la vivacité de la perception.
Ainsi, l'attention échappe~t-elle au principe de la liaison des signes
auquel Condillac ambitionne de rappeler tout l'entendement humain.
La liaison complexe de l'attention et de la réminiscence rend ce
projet plus problématique encore. En revanche, dans le Traité des
sensations, Condillac montre que les variations de l'attention sont
réglées par un principe. Comme toutes les autres opérations,
l'attention est une transformation de la sensation opérée par le plaisir.
Condillac parvient ainsi à combiner une description
« phénoménologique» des opérations de l'esprit, prenant son point
de départ dans l'évidence de l'esprit à lui-même, et une description
logique de ces mêmes opérations, en tant qu'elles sont générées et
réglées par le principe de plaisir.

Besoin
* Dans l'Essai, le besoin se trouve placé au cœur du dispositif
expliquant le développement des connaissances humaines, mais il
n'est pas lui-même défini; il est désigné comme la source des
variations de l'attention. Condillac décrit métaphoriquement le
système de nos idées comme un assemblage de chaînes reliées par
une idée fondamentale aux anneaux des besoins, eux-mêmes
directement enchaînés les uns aux autres (Essai, l, ch. 3, § 29). À
partir du Traité des sensations, le besoin est défini comme un
malaise, lié à une sensation désagréable ou ennuyeuse au point de
rappeler impérieusement à la mémoire le sentiment d'avoir été
mieux. Condillac explique la génération des besoins à partir des
sensations par l'opération du principe de plaisir. Le besoin ne doit
donc pas être opposé au désir: le désir se trouve au contraire au
principe de la génération du besoin. Le besoin ne peut pas davantage
être opposé aux passions: les passions naissent d'un besoin engendré

11
par la privation des émotions (S~nsations, I, ch. 2). Condillac précise
dans la Logique que le besoin n'est pas un manque, mais une douleur
liée à la privation d'une jouissance que l'on connaît (Logique, II,
ch. 8). La satisfaction du besoin suppose toujours la connaissance de
ce dont on est privé. Elle résulte de l'analyse d'une situation, et n'est
pas une réponse aveugle à un signal physique. La facilité de l'analyse
des conduites dominées par la passion donne au besoin un rôle
décisif dans l'institution des signes du langage d'action.
La définition génétique du besoin est au principe de la formation de
la personnalité morale et de la langue économique. Du point de vue
moral, la parole inverse les rapports originaires du désir et du besoin
parce qu'elle fait naître la conscience de la mort: elle subordonne
tout désir au besoin de désirer, c'est-à-dire au principe de la
conservation de la vie, et elle permet ainsi de soustraire relativement
l'action aux impératifs du présent (Animaux, II, ch. 8). Du point de
vue économique, l'analyse génétique invalide l'idée d'une
détermination anthropologique des besoins humains. Ainsi Le
commerce et le gouvernement propose-t-il deux définitions
successives des besoins naturels. À la première définition qui oppose
simplement les besoins naturels aux ~esoins factices, (<< J'appelle
naturels les besoins qui sont une suite de notre conformation, et
factices les besoins que nous devons à l'habitude contractée par
l'usage des choses », Commerce, I, ch. 1), Condillac substitue
rapidement une seconde qui affirme la nécessité d'une détermination
politique des besoins naturels incluant des besoins primitivement
considérés comme factices (<< C'est pourquoi je nommerai désormais
non seulement les besoins sont une suite de notre
COJrlto1fllllatlon, mais encore ceux sont une suite de la constitution
des sociétés civiles; et j'entendrai par factices, ceux ne sont pas
essentiels à l'ordre et sans par les
sociétés civiles subsister », Commerce, l, ch. 1). La
définition rigoureuse d'un besoin humain comme besoin naturel
relève donc en dernière instance d'une définition politique reposant
sur une analyse historique systématique de la société. C'est ce qui

12
oppose radicalement Condillac aux physiocrates et qui lui permet de
récuser toute fondation théologique directe de l'économie politique.
** Il n'existe pour Condillac aucun système prédéterminé des
besoins régulant automatiquement l'organisation animale indépen-
damment de l'expérience. Ainsi, lorsqu'il s'agit de décrire les besoins
de telle ou telle espèce animale, le Traité des animaux définit-il le
système des habitudes de certains individus à un moment donné
(Animaux, II, ch. 9). Au contraire de celui de Buffon, le
« naturalisme» de Condillac n'est pas fondé sur une détermination
mécanique des besoins, mais sur une tentative de compréhension de
l'action à partir de principes qui prennent en compte le niveau mental
de l'organisation animale. Condillac rompt avec la conception du
besoin héritière' de Descartes. Si l'on doit dire de la faim qu'elle est
un besoin, ce n'est pas d'abord parce qu'il est nécessaire de se nourrir
pour vivre, mais parce que la faim est une douleur qui éveille le
souvenir d'une satisfaction dont on se trouve privé. Les animaux ont
faim sans savoir que le manque de nourriture entraîne la mort; leur
malaise est cependant assez fort pour produire une réflexion sur les
moyens de parvenir à la satiété. La même analyse a des
conséquences remarquables sur l'étude des relations liées à la
reproduction; elle conduit Condillac à s'opposer radicalement à
Rousseau: tandis que Rousseau juge que le désir sexuel n'est
l'occasion d'aucun « lien naturel» entre les êtres humains et qu'il ne
s'accompagne naturellement d'aucun sentiment, Condillac suppose
qu'il est propre à générer des liens sociaux; ces liens naissent de la
mémoire du
*** L'analyse du besoin est emblématique des difficultés et des
ambitions de la de Condillac. Elle conjoint des
déterminations naturelles conformation organique, le au
milieu) et des déterminations mentales (celle des significations
générées par l'expérience du plaisir). Elle suppose que les actions des
animaux, tout comme celles des êtres humains, sont déterminées par
une logique commande les opérations de l'esprit. Cette logique
opère sur des significations engendrées par le principe du plaisir.

13
Condillac ne décrit pas sur le rapport des sensations avec les
changements des états internes de l'organisme: le besoin se
détermine uniquement dans la connaissance de la privation. Cette
définition trouve une pertinence remarquable en économie politique,
puisqu'elle « historicise » les besoins humains; mais le refus des
perceptions inconscientes prive en droit Condillac de la possibilité de
comprendre ainsi la formation des sensations à partir des variations
internes des états du corps.

* Mouvement qui se répand dans tout le corps à l'occasion de


l'excitation produite par un sentiment (Sensations, I, ch. 2,
Synonymes, art. émotion).
** Dans le Dictionnaire des synonymes, conformément à l'usage,
Condillac considère que les émotions peuvent être produites par
toutes sortes de sentiments. Le Traité des sensations développe une
réflexion beaucoup plus originale, qui laisse supposer qu'il n'y a pas
d'émotions négatives, et que les émotions naissent exclusivement de
l'intensité du plaisir: l'émotion se répand dans le corps lorsque
l'accroissement local du plaisir atteint un certain degré de vivacité.
(Sensations, I, ch. 2). Ainsi définies, les émotions jouent un rôle
déterminant dans la régulation de l'action: le désir de reproduire
l'émotion, en tant que plus haut degré de plaisir, permet d'expliquer
le déclenchement des mouvements. Cette fonction des émotions tient
à leur caractère logique plus qu'à leur spécificité physiologique: le
souvenir des indicateur de l'intensité maximale du plaisir,
détermine l'activité de l'imagination et de l'ensemble des opérations
mentales.
*** Le caractère indicatif des émotions possède également une
fonction décisive dans l'institution du langage et la genèse des
intentions de communiquer. Dans l'Essai, Condillac considère que
les signes naturels des émotions éveillent une activité de
l'imagination qui suffit à expliquer certaines interactions
indépendamment de toute réflexion. Le spectacle de la douleur d'un

14
autre produit une émotion spécifique occasionnée par les signes
naturels qui se forment involontairement dans l'esprit; cette émotion
suffit à déterminer une action de secours sans aucune analyse. Peu à
peu, les actions de secours induisent une communication
intentionnelle et la formation des intentions de signifier (Essai, Il, l,
ch. 1, § 3). Cependant, la difficulté d'expliquer la formation des
intentions de signifier sans recourir à l'opération de la réflexion a
conduit Condillac à modifier cette description. À partir de la
Grammaire, il estime que les interactions élémentaires requièrent une
analyse réciproque des émotions, et il introduit la notion de langage
naturel pour expliquer que ces analyses puissent être exactes. S'il ne
soutient donc plus que les émotions suffisent à expliquer les
interactions primitives, il affirme que nous sommes conformés
naturellement pour analyser avec exactitude les émotions des autres,
et que cette analyse est à l'origine des premières intentions de
communiquer (Grammaire, l, ch. 1).

Évidence
* L'évidence est le plus grand degré possible de certitude; elle peut
être de trois sortes différentes: l'évidence de fait, qui est produite par
l'observation directe ou un témoignage sûr, l'évidence de sentiment,
qui est donnée par la perception que nous éprouvons, et l'évidence de
raison, dont le critère est l'identité, (Synonymes, art. évidence,
Raisonner, Intro). Ces trois sortes d'évidence se combinent le plus
souvent. Ainsi la méthode de la physique, dont le but est de connaître
les phénomènes et les lois, requiert-elle le concours de l'évidence de
fait et de l'évidence de raison pour la conception et l'analyse des
observations et des expériences (Raisonner, ch. 1, ch. 11). Dans
certaines sciences comme en l'évidence de raison n'est pas
toujours possible; à les faits doivent être expliqués à l'aide de
conjectures. Mais toutes les conjectures n'ont pas le même degré de
certitude : les plus incertaines sont des suppositions admises par
défaut de contradiction, parce qu'on ne voit pas ce qui les
empêcherait; les plus sûres reposent sur une hypothèse respectant la
règle de simplicité, grâce à une analyse exacte du rapport des causes

15
et des effets (Raisonner, IV, ch. 3). Le degré de certitude le plus
élevé précédant immédiatement l'évidence de raison est obtenu par
une analogie.
** Non sans ironie, Condillac a choisi l'expression « évidence de
raison» pour qualifier la relation logique d'identité et non une
propriété perceptive. Du point de vue formel, une proposition est
identique lorsque ses termes peuvent se ramener à la proposition « le
même est le même ». Mais l'évidence de raison suppose une identité
entre des idées susceptibles de s'exprimer de différentes manières, et
non une simple identité entre les mots, la pure identité entre les mots
est une tautologie vide qui définit les propositions frivoles
(Raisonner, l, ch. 1-3). Tout en dénonçant la frivolité liée à
l'évidence de raison, Condillac critique aussi les illusions de
l'évidence de sentiment. Non seulement l'attention nous conduit
inévitablement à laisser échapper une partie de ce qui se passe en
nous, mais elle nous fait privilégier les perceptions qui ont trait à nos
passions. L'imagination achève de nous méprendre en nous portant à
supposer en nous ce qui n'y est pas, ou à déguiser ce qui y est.
L'analyse morale, qui repose en partie sur l'évidence de sentiment,
témoigne ainsi que nous confondons fréquemment la liberté et le
sentiment de la liberté, et que nous attribuons facilement des motifs
imaginaires à nos actions. Cependant Condillac considère qu'il y a
des lois pour bien juger et bien sentir comme il y a des lois pour bien
raisonner. Les règles principales consistent: 1°) à ne pas déguiser ce
que nous sentons: 2°) à apprendre à distinguer ce qu'il y a de
commun dans l'organisation et de général dans les passions.
L'évidence de sentiment n'a donc rien d'immédiat: elle réclame
autant de méthode que l'évidence de raison. (Raisonner, I, ch. 4-5).
*** La théorie de l'évidence de Condillac combine des éléments que
la tradition oppose le plus souvent: l'évidence interne, l'identité
logique et la positivité. Par là se trouve déplacés à la fois le primat
cartésien de l'intuition et le formalisme de la logique des
propositions. Condillac affirme que l'analyse des idées, qui est la
condition de toute connaissance, résulte de la combinaison de

16
l'évidence perceptive et de l'identité logique. Cette posItIOn
épistémologique repose sur le statut métaphysique de la sensation,
considérée comme l'origine de toutes les idées. La critique de
Descartes en donne un exemple éclatant. Si Condillac s'accorde avec
Descartes pour affirmer que le cogito est l'objet d'une évidence dont
le critère est la clarté et la distinction, il considère que l'extension de
ce critère à d'autres objets est abusive. La clarté et la distinction de la
perception d'une idée ne garantissent pas sa vérité, qui ne peut être
assurée que par sa combinaison avec l'évidence de raison. Toute
perception est susceptible d'une saisie évidente, sans que cette
évidence ne garantisse une autre vérité que celle d'éprouver une
perception. L'évidence du cogito permet seulement d'affirmer que la
suite des déterminations de ma pensée peut être perçue comme
mienne. En conséquence, si l'évidence de sentiment conditionne
absolument l'analyse des idées, elle ne la remplace en aucun cas.
Cependant, bien que l'extension de l'évidence de sentiment soit très
bornée, elle inclut la perception des sensations. Condillac dénonce
chez Descartes une mauvaise détermination de l'idée de sensation:
soit la sensation s'aperçoit parfaitement distinctement comme pensée,
et dans ce cas, il n'y a aucune raison de l'exclure de la première
réflexion sur soi-même, soit la sensation ne s'aperçoit pas
distinctement, mais alors, il faut lui refuser d'être connue par le
moyen d'une pure inspection de l'esprit comme Descartes l'affirme
pourtant. Notons pour finir que si Condillac définit l'évidence des
perceptions comme une évidence de sentiment, c'est qu'il affirme non
seulement que les sensations sont susceptibles d'évidence, mais aussi
qu'elles sont au de la génération de toutes les autres
perceptions.

* Gouvernement est un terme polysémique qui désigne 1°) les


usages, les coutumes et les lois qui fondent l'autorité, 2°) les
personnes qui exercent l'autorité, 3°) la manière dont ces personnes
l'exercent, 4°) les charges qui donnent le pouvoir de commander et
5°) les places ou les provinces qui sont commandées. En un sens

17
strict, le gouvernement s'oppose à l'administration comme le
fondement de l'autorité s'oppose à l'exercice de cette autorité.
(Synonymes, art. administration, art. autorité et art. gouvernement).
** Un gouvernement est libre lorsque la puissance souveraine, c'est-
à-dire la force prépondérante d'une société, est réglée par des lois
fondamentales. Dans la mesure où la puissance qui fait respecter les
lois les respecte elle-même, l'arbitraire et la violence se trouvent
exclus autant que possible. Cependant, un gouvernement ne peut
jamais être dit libre que relativement, pour deux raisons principales:
l'une qui tient au cercle par lequel la puissance souveraine se règle en
définitive elle-même, l'autre à ce que le changement des lois, rendu
nécessaire par celui des circonstances, représente toujours un danger
pour la liberté. Un gouvernement pourrait être dit absolument libre si
tous les membres de la société étaient en mesure de concourir
également et unanimement au même but, ce qui n'arrive jamais; un
gouvernement ne peut pas davantage être absolument despotique,
parce que le despotisme le plus grand est lui-même limité par
l'impuissance de s'exercer en même temps et également sur tous les
membres d'une société.
Le contrat social est une abstraction qui permet de juger non
seulement du degré de liberté des sociétés, mais surtout de leur degré
de justice: un gouvernement est d'autant plus juste que ses lois
fondamentales respectent les lois naturelles, et une société se
conserve d'autant mieux qu'elle est plus juste. En conséquence, seule
la loi naturelle fonde la légitimité de l'authorité du gouvernement et
celle de toute réforme politique (Histoire ancienne, ch. 7 et
ch.
*** de la liberté d'un n'est pas seulement
institutionnelle; elle étroitement de l'étude concrète des
conditions d'existence des citoyens. En la seconde loi naturelle
selon laquelle tous les membres de la société sont égaux implique un
principe de copropriété des richesses de la société par chacun de ses
membres. C'est pourquoi Le commerce et le gouvernement (1776),
surtout dans sa deuxième partie, peut être interprété comme une

18
analyse de la loi naturelle d'égalité rapportée aux conditions
historiques de l'échange économique dans les sociétés modernes.

Imagination
* Dans l'Essai, l'imagination possède au moins trois formes: la
première (1), originaire, est générée à partir de l'activité de
l'attention. Elle se définit comme un rappel d'une perception passée,
qui a lieu « par la seule force que l'attention a mise entre elle et un
objet» (Essai, l, II, ch. 2, § 17). Elle doit être bien distinguée de la
mémoire, qui produit seulement un souvenir du nom, des
circonstances ou des idées abstraites qui ont accompagné la
perception passée, et qui dépend de la disposition d'au moins un
signe arbitraire. Cependant, la mémoire peut être considérée comme
une forme d'imagination (2) de second degré par rapport aux signes
qu'elle éveille. Enfin, lorsque l'imagination se combine à la réflexion,
elle effectue de nouvelles liaisons de signes, et devient inventive,
générant une forme de troisième degré (3). L'imagination inventive
peut être réglée ou déréglée, selon qu'elle se conforme ou non aux
règles de la correction analogique. Dans le Traité des sensations,
Condillac modifie cette description: il affirme une identité de
principe entre l'imagination et la mémoire, qui ne possèdent plus
qu'une différence de degré, la mémoire rappelant les perceptions
comme passées, et l'imagination les rappelant avec tant de vivacité
qu'elles paraissent présentes. L'imagination commande une forme
d'attention qui permet de se soustraire aux impressions actuelles des
sens, pour y substituer un sentiment indépendant de l'action des
objets extérieurs; à l'exception du rêve, l'activité de l'imagination est
toujours réglée par l'opération du principe de plaisir (Sensations, l,
ch. 2).
** La description sémiotique de l'esprit de l'Essai donne une fonction
centrale à l'imagination: son opération originaire, qui peut être
systématiquement décrite par la production de signes accidentels ou
naturels, est au principe de la génération de la mémoire et de toutes
les opérations qui en sont issues. En effet, si l'institution d'un signe

19
arbitraire occasionne d'autres liaisons que celles qui sont pas
directement produites par l'imagination primitive, ces liaisons sont
cependant conditionnées par la possibilité d'un rappel perceptif;
c'est pourquoi la mémoire n'est en quelque sorte qu'une imagination
redoublée. La réflexion elle-même est conditionnée par un rappel de
la perception du signe phonétique opéré par l'imagination. Notons
enfin que l'activité primitive de rappel subsiste sous sa forme
originaire en tant qu'elle commande la formation de signes
accidentels et naturels: c'est elle qui permet d'expliquer à la fois le
principe de certaines actions irréfléchies mais vitales, et celui de la
folie.
*** Condillac défend une conception de l'imagination qui l'éloigne
considérablement de celle de Locke. Dans l'Essai philosophique
concernant l'entendement humain, il n'existe qu'une seule occurrence
significative du terme imagination, qui indique qu'il s'agit d'une
modalité de la mémoire (Locke Essai philosophique concernant
l'entendement humain,!, II, ch. 2, § 20). Condillac fait bien plus que
d'inverser le rapport des deux notions: sa définition de l'imagination
est l'élément central de la réduction des opérations mentales non
discursives à des liaisons de signes. Dès l'Essai, elle lui permet de
proposer une explication originale de la régulation de la conduite
animale, et d'affirmer que les bêtes n'ont besoin ni de mémoire ni de
réflexion pour agir. Le mouvement animal s'explique alors
entièrement par l'exercice de l'imagination combiné à celui de
l'attention: en variant de façon ininterrompue, les sensations liées au
poids du corps, et plus généralement celles du toucher, éveillent
continûment le de perceptions anciennes. Dans le Traité des
sensations, l'imagination joue également un rôle déterminant dans le
déclenchement de l' mais son activité est décrite
différemment. par le principe de plaisir, elle génère la
formation des désirs qui permettent l'action; sa fonction est
étroitement dépendante des émotions. Enfin, bien qu'elle commande
les opérations qui donnent connaissance de l'extériorité,
l'imagination produit aussi des combinaisons entre des perceptions

20
actuelles et des perceptions passées permettant d'obtenir des modes
de jouissance qui ne s'épuisent pas dans la relation réaliste au monde.

Jugement
* Dans l'Essai, le jugement est défini comme la double opération
d'affirmation et de négation qui nous fait connaître que nos idées sont
les mêmes sous certains rapports mais qu'elles sont différentes sous
d'autres rapports; cette opération dépend de l'institution du langage
parlé (Essai, l, II, ch. 8, § 69). À partir du Traité des sensations,
Condillac admet au contraire l'existence d'un jugement
antéprédicatif, qui est défini comme la perception du rapport de deux
idées que l'on compare (Sensations, 1, ch. 2).
** La comparaison, dont le jugement dépend, est analysée de façon
différente dans l'Essai et dans les œuvres ultérieures. Si l'Essai décrit
une activité de l'esprit antéprédicative, cette dernière ne produit que
des liaisons d'idées accidentelles ou naturelles; au contraire, la
comparaison et le jugement sont générés par des liaisons de signes
institués. Le Traité des sensations bouleverse cette description.
Condillac y affirme que l'activité élémentaire de l'esprit est une
comparaison entre les sensations actuelles et les sensations appelées
à la mémoire, et y analyse la génération du jugement à partir de la
comparaison. Dans la Grammaire, en accord avec cette seconde
analyse du jugement, il distingue le jugement perceptif du jugement
affirmatif, qui dépend de l'institution du langage; mais il soutient
qu'il s'agit en réalité d'une même opération envisagée sous des
-n,:>,'cn':>f't·",r.::>c différentes. Dans le le est
considéré indépendamment de notre perception, tandis qu'il demeure
enveloppé dans les perceptions dans le premier cas: «L'affirmation
est, en quelque sorte, moins dans votre esprit que dans les mots qui
prononcent les rapports que vous percevez» ch.
La possibilité logique du jugement d'affirmation doit être comprise à
partir du jugement perceptif d'extériorité: le Traité des sensations
montre que le toucher et le mouvement propre occasionnent la
perception de rapports entre des choses et des idées jugées hors de

21
moi. Ainsi se trouve assuré le réalisme minimal qui suffit à
engendrer le jugement d'affirmation à partir du jugement de
perception (Sensations, III, ch. 1-4).
*** Dans le Traité des sensations, en affirmant à la fois que tous les
jugements sont conscients mais que la plupart restent enveloppés
dans la perception, Condillac considère que les jugements
antéprédicatifs analysent les sensations sur un mode que nous
partageons avec les animaux et qui est nécessaire pour agir. Mais ces
opérations elles-mêmes ne peuvent être analysées à leur tour sans le
secours des signes artificiels. Il existe donc au moins deux niveaux
d'analyse mentale: celui qui opère à partir des sensations et qui
commande la régulation des actions, et celui qui nous donne
connaissance de ce premier niveau, permet de le représenter, et qui
dépend du langage des sons articulés. Les jugements de second
niveau peuvent non seulement déterminer des actions du corps, mais
aussi des actions de langage. Ils se combinent pour former des
raisonnements et des discours. Pour autant, le caractère génétique de
l'analyse du jugement affirmatif interdit à Condillac de proposer une
description formelle des différentes sortes de propositions ou des
différents jugements. La vérité du discours est toujours subordonnée
aux «jugements de perception» qui sont enveloppés dans la pensée
et que les propositions ne font qu'expliciter; cette explicitation est
productrice de jugements instructifs à proportion de la correction de
la langue dans laquelle elle se dit.

* Un langage est un art de communiquer les pensées, c'est-à-dire un


de règles par lequel les êtres vivants apprennent à utiliser et
à copier les signes naturels et les éléments conditionnent
naturellement la communication. Il existe deux sortes de langage : le
langage d'action et le langage des sons articulés, le premier étant la
condition du second. Dans la Grammaire, Condillac utilise aussi
l'expression de «langage naturel », qui désigne l'ensemble des
éléments à partir desquels nous apprenons à former un langage. Il

22
défend la thèse de l'origine naturelle du langage en montrant qu'un
langage naît toujours d'un autre langage, et que la parole est formée
par imitation et traduction du langage d'action (Essai, II, I, ch. 1 ;
Synonymes, art. langage; Grammaire, I, ch. 1)
** La parole est naturelle au sens où notre conformation nous permet
de parler : les éléments du langage sont innés. Mais cette affirmation
de principe n'a valeur de vérité que par l'analyse génétique qui
explique comment le langage des sons articulés s'est institué à partir
des éléments naturels du langage. L'originalité de Condillac est de
mettre l'action à l'origine du langage: agir suppose une activité
mentale réglée par un principe logique, appelé principe de plaisir
dans le Traité des sensations. Ce principe définit un rapport de
signification constant et réglé entre les opérations de l'âme et les
mouvements du corps. Dès lors, la question de l'origine du langage
devient celle de l'engendrement de l'intention de signifier à partir de
l'intention d'agir. Elle permet d'examiner les contraintes logiques qui
pèsent sur l'institution de tout langage.

*** La réflexion de Condillac concernant l'étude du langage peut


paraître pragmatiste par certains aspects. L'action est au principe du
langage: la description de la syntaxe et de la sémantique du langage
articulé est génétiquement subordonnée à l'élucidation des rapports
du langage et de l'action. Mais l'analyse de l'action est elle-même
conditionnée par une description sémiotique de l'activité mentale qui
se déploie de façon propre. De plus, la parole est à l'origine de
l'investigation de significations nouvelles par rapport au langage
d'action, grâce à la découverte de repères temporels élargissant
l'amplitude et la disposition de la mémoire. On peut donc dire que
l'analyse de la et celle des langages se présupposent l'une
dessinant un cercle est à la source de progrès mutuels
(Logique, ch. 4). La position de Condillac peut être caractérisée
comme un « naturalisme logique », qui fait de la logique naturelle la
condition suffisant à expliquer l'institution de la parole et les formes
humaines de l'activité de la pensée.

23
langage d' action
* Le langage d'action est un langage composé de cris, de gestes et de
tous les mouvements qui peuvent réveiller des idées; c'est une suite
de la conformation organique. Dans l'Essai, Condillac affirme qu'il
s'agit d'un langage préréflexif et instinctif, mais il modifie ensuite ce
jugement. Dans la Grammaire, Condillac distingue deux langages
d'action: un langage naturel dont les signes sont donnés par la
conformité des organes, et un langage artificiel, dont les signes sont
convenus. Au premier sens, le langage par lequel notre conformation
extérieure est l'expression de nos sentiments et de nos jugements est
inné. Au second sens, le langage d'action est institué, même dans le
monde animal; il suppose l'usage d'une réflexion analogique et
constitue une forme d'artifice. Chez l'homme, le langage d'action est
à l'origine de la parole (Essai, II, I, ch. 1 ; Grammaire, I, ch. 1 ;
Logique, II, ch. 2).
** Condillac accorde une priorité à la fois historique et logique au
langage d'action sur le langage des sons articulés. Si le langage
d'action précède la parole dans l'ontogenèse comme dans la
phylogenèse, c'est que l'analyse de l'action est la condition de ttout
échange. Le langage d'action suppose que la communication s'établit
à partir des significations naturelles véhiculées par le corps
indépendamment du travail de l'esprit. Les passions ont une fonction
décisive dans ce processus: elles sont à l'origine d'actions qui
peuvent être facilement l'objet d'analyses méthodiques. Dès que les
expn~SSlOIIS des passions sont repérées comme des signes par une
réflexion correcte, celui les a remarquées les
utiliser lui-même pour signifier quelque chose. La relation des
oe:;;Olns, des émotions et des passions d'expliquer l'institution
HU<F,'""F,'-' d'action. En ce sens, le langage d'action et celui des sons

articulés sont tous deux le résultat d'opérations mentales qui fixent


les signes et les instituent. Au contraire, le langage naturel désigne
seulement le rapport factuel des mouvements du corps aux
modifications mentales comme une relation réglée de signification.

24
*** L'idée même de langage d'action peut apparaître très discutable,
et ce d'autant plus que Condillac lui donne un sens fort: le langage
d'action n'est pas un système de communication automatique, mais
l'une des deux espèces de langage existant. Pourtant le langage
d'action semble manquer au double critère de la définition d'un art et
d'un système: il paraît dépourvu de règles de combinaisons, possède
un ordre déterminé par les circonstances, ressemble à un répertoire
de gestes et de mimiques, et révèle une confusion entre intention
d'agir et de communiquer. La nature du signe d'action semble un
obstacle interne à l'institution d'un «langage» : son caractère
indicatif le rend impropre à toute insertion dans un système de règles
combinatoires. Une partie de ces difficultés peut cependant être
résolue en rapprochant l'analyse du langage de celle de l'action
conduite dans le Traité des sensations. Le principe de la résolution
est d'établir un lien génétique entre l'intention qui conduit l'action et
l'intention de signifier: les actions qui utilisent originairement les
signes, comme celle de crier pour un nourrisson, sont commandées
par les règles générales de l'action. Mais, lorsque ces actions sont
l'objet d'une analyse, par la nécessité de la relation maternelle par
exemple, l'expression peut être repérée et faire l'objet d'une
attribution analogique comme signe d'un désir. Dès lors, le signe
acquiert une autonomie qui rend sa disposition possible et qui
conditionne les actes élémentaires de langage.

* Une langue est un langage dont les éléments sont les sons articulés,
et qui relève de l'espèce de la parole. C'est un système de règles par
lequel nous lions des sons à des idées afin de communiquer nos
'-''''''U''"''"''''' : une est une méthode Toutes les langues
ont des communes, du de nos
idées dont les fondements sont liés à notre conformation organique et
à nos besoins ; mais elles diffèrent cependant, en fonction des sons
qu'elles utilisent et des règles de leur production, en fonction des
marques qui expriment le rapport des idées et règlent la grammaire,
et surtout en fonction de la différence des analyses, erreurs, préjugés,

25
qui ont présidé à leur institution historique. Si les langues sont
susceptibles de progrès et de décadence, la perfection d'une langue
est toujours relative au rapport des connaissances et des besoins.
Selon la façon dont elles sont faites, les langues peuvent être des
sciences, des dialectes, des jargons ou des baragouins.
** En affirmant le principe d'une équivalence entre langue et
méthode, et en soutenant qu'une science est une langue bien faite,
Condillac affirme non seulement que les connaissances humaines
trouvent leur condition de possibilité dans le langage, mais que les
sciences sont des systèmes linguistiques. Raisonner et découvrir sont
donc des activités de l'esprit définies par la disposition de signes
artificiels selon les règles d'un langage. Réciproquement, Condillac
considère que parler une langue suppose la disposition d'un système
de connaissances plus ou moins bien fait, commandant la correction
des analogies qui ont permis l'institution des signes. L'inexactitude et
l'erreur sont des maux nécessaires à la production d'instruments
linguistiques sophistiqués, dont la fonction n'est pas directement
dictée par les besoins.
Les sciences présupposent toujours l'usage d'une langue: ce sont des
activités analytiques par lesquelles les idées sont réordonnées, et par
lesquelles des catégories linguistiques déjà là sont combinées d'une
façon nouvelle. Le génie de Newton est d'avoir été un réformateur de
la langue physique, en établissant un vocabulaire et une syntaxe
rigoureusement analogues à l'expérience du mouvement des corps.
Seule la langue mathématique jouit du privilège d'être d'embée une
langue bien faite (Logique, ch. 2 & ch. 5 ; Systèmes, ch. 12).
des calculs, dans laquelle Condillac se donne pour
les règles de confection des langues bien faites,
une difficulté redoutable. Les
méltn(:maW:jU(~s y sont présentées comme un modèle en raison de la
correction analogique des règles d'invention de leurs signes et des
règles d'institution de leur grammaire. lVlais la langue mathématique
ne trouve pas à proprement parler sa condition de possibilité dans des
signes naturels de la même espèce que tous les autres. La parfaite

26
correction analogique des mathématiques tient à la singularité des
signes digitaux des nombres, qui ne sont pas des signes expressifs,
mais des outils naturels de classement. Condillac laisse La langue
des calculs inachevée. Si la langue mathématique a la valeur d'un
modèle, cela signifie-t-il que les signes expressifs du langage naturel
sont un obstacle constitutif à la perfection des langues non
mathématiques, tout en étant à l'origine de leur possibilité logique?

Loi morale
* Au nom du droit que chacun a à sa conservation, la loi morale
prescrit ne faire à autrui que ce que l'on voudrait qu'il nous fût fait
(Histoire ancienne, L. l, ch. 6 ; Animaux, II, ch. 7). Cette loi dépend
de la nature de l'homme, à savoir de ses besoins et de ses facultés.
L'expérience suffit à la découvrir, et elle a longtemps été une règle
tacite avant d'être explicitée.
** Si la proposition « je veux» définit le principe des actions du moi
capable de se dire, l'évidence de raison permet de s'assurer de la
moralité des maximes qu'elle détermine. Il faut donc que les actions
que «je veux» ne soient pas contradictoires avec ce qui fait de
« moi» un être capable de vouloir, et que je puisse les vouloir en tant
qu'être parlant et non pas seulement en tant que je les veux. Le soi,
conduit par l'évidence de raison, peut déterminer ce qu'il est légitime
de vouloir ou ce qu'il est légitime de préférer, en triant ceux des
désirs qui contribuent à la conservation de soi comme personne et
ceux qui lui nuisent. La délibération morale n'est donc pas un calcul
d'effets, ni un raisonnement sur la manière d'obtenir ce que je désire,
mais une réflexion qui permet de savoir si je peux, en tant que
personne, vouloir sans contradiction ce que je désire (Animaux,
ch. 10).
*** Affirmer que la moralité tombe sous les sens ne signifie pas que
la vertu a une couleur, mais qu'il n'est pas besoin d'être
métaphysicien pour être vertueux, parce que le rapport des facultés
humaines et des besoins - y compris du besoin de désirer né de la
parole - , est la condition suffisante de la connaissance de la loi

27
morale (Logique, l, ch. 6). La loi morale n'est pas contradictoire avec
l'être naturel de l' homme en tant qu'être sensible, puisque
l'exactitude de la langue morale repose sur le caractère indubitable du
sens des mots plaisir et douleur, et que la moralité suppose l'exercice
d'une réflexion analogique sur les signes des sentiments d'autrui qui
sont au principe de tout échange (Essai, II, II, ch. 2, § 17).

Mémoire
* Dans l'Essai, la mémoire est définie comme un souvenir volontaire
mais partiel des perceptions, rendu possible par la disposition d'un
signe arbitraire. À la différence de l'imagination qui réveille
involontairement les perceptions par la seule force de l'attention, la
mémoire produit seulement le souvenir du nom, celui des
circonstances de la perception passée, ou celui des idées abstraites
qui l'ont accompagnée. La mémoire est la condition de la réflexion
ainsi que des opérations de l'âme qui en dépendent; elle produit
également un effet en retour sur J'imagination et l'attention, en
commandant un usage volontaire de ces facultés (Essai, l, II, ch. 2,
§ 18). Cette définition est modifiée par le Traité des sensations. Dans
ce texte, la mémoire est une manière de sentir se rapportant à une
sensation qui n'est plus, mais qui dure encore, et qui peut être plus
vive que les sensations actuelles. Aussi la mémoire ne diffère-t-elle
de l'imagination qu'en fonction de sa vivacité. La mémoire est
décrite comme une activité, bien que ses premières opérations ne
soient pas volontaires; conduite par le plaisir, elle est générée
directement par l'attention et ne dépend pas de l'institution des
des signes du langage articulé arrache
de la mémoire à l'actualité (Sensations,
r\r\,Ç>rClnr'\.n

** définition de la mémoire donnée dans le Traité des sensations


d'établir la d'actes de l'esprit à la fois involontaires
et conscients. L'activité de l'esprit étant déterminée par le plaisir, la
mémoire est affective dans son principe. La disposition de signes
institués permet ensuite un exercice volontaire de la mémoire et lui

28
donne une nouvelle extension, au prix de médiations qui ne font pas
disparaître les opérations originaires (Animaux, I, ch. 5).
*** Dans le Traité des sensations, l'antécédence logique de
l'opération de la mémoire sur toutes les autres liaisons de sensation,
indique que l'unité du soi n'est pas produite par la réminiscence. Le
terme même de réminiscence, qui laisse croire à une conscience
temporelle originaire disparaît. La temporalité, d'abord comme
conscience rythmique, puis comme représentation linéaire, est
dérivée de la mémoire, qui est une auto-affection réglée par le plaisir.
La mémoire est le mode par lequel l'attention signale les
modifications de la sensation en fonction des variations de
l'affection. Le principe d'une détermination génétique de toutes les
opérations de l'esprit par le plaisir permet une description sémiotique
systématique de l'activité mentale, sans laisser de place à une
conception substantialiste de la conscience, ni à l'idéalisme de
l'affirmation d'une conscience temporelle originaire indépendante de
l'expérience du corps (Sensations, I, ch. 4).

'" Peu déterminé dans l'Essai, le terme de «moi» possède deux


définitions successives dans le Traité des sensations: a) le moi est la
collection des sensations actuelles et des souvenirs des sensations
passées (Sensations, I, ch. 6) ; b) cette collection est reliée ensuite à
la conscience du corps par la médiation du tact: d'abord grâce au
sentiment fondamental occasionné par la respiration, puis par la
rrp.1np.~·'lI"1An d'un sur l'existence du corps propre
ch. 5-6). Le moi étant indistinct du flux des sensations et
il n'est ni une ni une capacité réflexive.
encore moins être considéré comme : comme le
ne s'invente la
** Condillac abandonne la distinction minutieuse que Locke opère
entre les trois identités, celle de la substance, celle de l'homme et
celle de la personne. Mais l'abandon du vocabulaire de l'identité
personnelle, se double de la reprise du terme lockien de se(f, ou de

29
moi, suivant la traduction que Pierre Coste a légitimée (Locke, Essai
philosophique concernant l'entendement humain, trad. Piene Coste,
Vrin, Paris, 1989, L. II, ch. 17, § 9, p. 264). Condillac évite ainsi de
développer des hypothèses d'allure théologique dont l'intérêt touche
la question du jugement dernier. Pour lui, moins encore que pour
Locke, le soi n'est un principe de permanence substantielle: dans le
Traité des sensations, Condillac décrit la reconnaissance de l'unité du
corps propre comme une suite d'expériences successives par
lesquelles le moi s'approprie un ensemble de parties jugées d'abord
disséminées. Mais cette représentation du corps n'est pas une
disposition de soi, comme le montre l'analyse de l'activité mentale de
la statue, qui s'accommode assez bien d'une description « à la
troisième personne ». Le moi définit une intériorité sentimentale qui
est une condition nécessaire et non suffisante de la génération du
sujet. En bouleversant les représentations temporelles, la parole
permet la construction d'une identité d'un nouveau genre qui lie le
sentiment de soi à un nom; elle représente ensuite l'opération du soi
comme fonction personnelle au moyen de la grammaire du langage
articulé, et génère de ce fait la personnalité morale.
*** Comme Condillac l'avait annoncé de façon inaugurale dès
l'Essai, sa métaphysique se donne exclusivement pour objet de
décrire les activités de l'âme dans ses rapports avec le corps (Essai, l,
l, ch. l, § 8). Dans le Traité des sensations, le moi ne se distingue
pas de l' acti vité mentale d'analyse des sensations. En établissant
ainsi le principe d'une activité analytique au niveau de la sensation,
Condillac lie les opérations mentales au corps, et à un certain type de
corps et d'organisation. Le moi ne peut être attribué qu'aux corps
organisés disposant d'un système cérébral (Logique, l, ch. 9). Pour
autant, le moi n'est pas un point de rencontre physique entre les
mouvements venus des organes sensibles, ni même le lieu de leur
mémoire; il est la condition logique de l'expérience et de l'action.
L'identité du soi avec la capacité de sentir est sous-tendue par une
détermination de la pensée comme fonction du vivant. Le moi est la
médiation logique organisant la structure de la sensibilité. Sur le plan
métaphysique, cela revient à affirmer que la conformation organique

30
conditionne la réflexivité. Celle-ci n'est évidemment pas produite par
l'identité substantielle de l'esprit, mais par la connaissance du lien du
sentiment avec l'individualité étendue du corps propre. En ce sens, la
représentation physique de soi conditionne partiellement le discours
à la première personne des êtres humains (Animaux, II, ch. 8).

Molyneux
* Problème posé par William Molyneux, auquel Locke a donné le
premier un sens philosophique: un aveugle de naissance qui
recouvre la vision est-il capable de reconnaître par la simple vue les
formes d'un cube et d'un globe de même grosseur qu'il sait distinguer
par le toucher? Locke, suivant Molyneux, répond que non; Leibniz,
après avoir précisé les suppositions initiales, soutient le contraire.
Quant à Condillac, il commence par répondre par l'affirmative en
1746 dans l'Essai sur l'origine des connaissances humaines, puis
change d'avis, et répond par la négative en 1754 dans le Traité des
sensations.
** Dans l'Essai, la résolution du problème s'explique d'abord par la
thèse selon laquelle toutes nos sensations sont représentatives par
elles-mêmes, les sensations visuelles aussi bien que les sensations
tactiles ou auditives. Condillac critique Locke en montrant la
contradiction qu'il y a à affirmer à la fois qu'aucun élément de notre
perception n'échappe à la conscience et que des jugements
inconscients se mêlent à nos sensations visuelles pour former l'idée
des figures. Cette critique est d'autant plus forte que Condillac
soutient alors lui-même que les jugements sont
exclusivement à partir des liaisons de signes institués et qu'il récuse
l'existence de tout jugement perceptif antéprédicatif. Dès lors il a
beau jeu de remarquer que les jugements que nous portons sur le
caractère illusoire de certaines de nos perceptions ne changent rien à
ces perceptions. Mais Condillac ne manque pas de réfuter aussi
précisement l'analyse des sensations visuelles donnée par Locke en
montrant que la vue suffit pour former les idées des figures. Il
considère comme inexact de croire que les sensations d'ombre, de

31
lumière et de couleur sont identiques à la vue d'un globe et à celles
d'un cercle plat: voir un globe et un cercle plat sont deux sensations
distinctes. La connaissance du volume n'est pas produite uniquement
par les sensations tactiles. Si tel était le cas, l'expérience montrerait
un désaccord entre la perception et le jugement, comme cela se
produit dans toute illusion. La perception visuelle d'un globe devrait
être celle d'un cercle plat, alors qu'il est toujours perçu en volume. Et
même à supposer que la vision puisse être modifiée
imperceptiblement par un jugement, l'impossibilité de prendre
conscience après coup d'un tel jugement suffit à réfuter son
existence. Il faut admettre que le mouvement des yeux produit des
sensations qui enveloppent l'idée d'étendue, et qui, en droit,
permettent à l'aveugle opéré de distinguer le cube du globe par
simple vue. Condillac, connaissant le résultat apparemment contraire
de l'opération pratiquée en 1728 par Cheselden sur un aveugle-né,
critique les conditions de ces observations, et montre que la vision de
l'aveugle n'a pas pu être immédiatement opérante pour des raisons
,physiques et musculaires (Essai, I, VI). Dans le Traité des
sensations, Condillac est conduit à répondre négativement à la
question de Molyneux. Dans l'intervalle, ses positions ont été
bouleversées sur plusieurs points fondamentaux: il soutient alors que
les sensations sont non représentatives et que la représentation naît
d'un apprentissage. Le Traité des sensations admet en effet le
nr1r"1f",nt:> de jugements antéprédicatifs qui suffisent à générer la

réflexion. Cependant, les deux positions successives et


contradictoires de l'Essai et du Traité des sensations ne sont pas sans
: en Condillac considère encore que les idées des figures
sont enfermées dans les sensations purement visuelles, mais il juge
que l'on ne les y remarquer qu'avec l'aide du toucher. Son
donc moins de celle de ne semble:
Condillac s'accorde avec certaines des thèses de l'Essai pour une
nouvelle théorie de la vision pour admettre que l'aveugle-né opéré est
incapable de discerner la distance, la grandeur et la figure, ce n'est
pas pour défendre le principe d'une hétérogénéité absolue entre les
sens. Son objectif est plutôt de mettre en évidence la façon dont les

32
représentations se forment à partir des différentes sensations. Il
affirme ainsi que la statue bornée à la vue éprouve des sensations qui
ne suffisent pas pour former les idées des figures: ce sont de simples
sentiments de couleur, qui l'incitent uniquement à penser qu'elle se
répète hors d'elle-même comme si elle était immense. Seuls le
toucher et l'expérience du mouvement propre occasionnent la
formation des idées qui conditionne ont l'analyse représentative des
sensations visuelles. Réduite à la vision, la statue est dépourvue du
sentiment de l'exclusion de l'intérieur et de l'extérieur qui lui
permettrait d'analyser ses propres sensations; ainsi est-elle incapable
de régler le mouvement de ses yeux pour distinguer les distances. Le
problème de Molyneux donne donc à Condillac une occasion de
montrer que l'action est au principe de la génération des
représentations et de mettre en évidence le rôle respectif des données
des différents sens dans cette génération (Sensations, ch. 4 à
ch. 6).

*** Les solutions du problème de Molyneux proposées par Condillac


préfigurent celles d'aujourd'hui à plus d'un titre: par la distinction
entre les sensations visuelles et l'analyse des idées qu'elles
renferment, par l'insistance sur le rôle de l'action dans la formation de
l'idée d'espace, et par la détermination de l'importance du
mouvement des yeux dans la perception visuelle des figures et des
distances. Ce qui les éloigne le plus des positions contemporaines est
le principe d'une génération des représentations à partir des
sensations, le refus de dissocier les perceptions et les sensations, et la
méconnaissance des processus mentaux non conscients qui en est le
corollaire. Le cadre dans lequel Condillac le
DrC)bH;mlè, celui d'une identification de l'activité de l'esprit et celle de
pas celui la
fonctionnaliste de la DelTeDtl,on.

* Le mCillODOi!e est le fait de vendre seul. Le mClnODOJle être dû


soit à une situation liant une fantaisie à un rareté objective, soit à une

33
baisse artificielle de la concurrence par laquelle un tout petit nombre
de marchands possède le privilège de vendre les choses les plus
nécessaires à un haut prix. Dans le premier cas, le monopole est juste
et produit un vrai prix, si élevé soit-il; il est injuste dans le second
cas et produit de multiples déséquilibres (Commerce, I, ch. 21-22).
** Si la critique du monopole est morale, juridique et politique, elle
est aussi économique. Dans le commerce des choses nécessaires, et
dans les conditions normales de l'échange, c'est-8-dire lorsque les
prix sont estimés à partir des valeurs, le vrai prix est un prix
permanent parce qu'il s'équilibre nécessairement par le jeu de l'offre
et de la demande. Le monopole injuste peut donc être défini comme
l'existence d'un nombre de vendeurs inférieur à celui qui pourrait
être. Ainsi faut-il dénoncer les vraies causes des monopoles, dont les
péages et douanes ne sont qu'une conditon. Les monopoles se
maintiennent en fait en raison des intérêts financiers que les
négociants et les États y trouvent. Ces mêmes intérêts expliquent
aussi pourquoi les exclusivités des grandes compagnies et les
privilèges de tous ordres entravent et modèlent les échanges.
Économiquement, le principe de la liberté a pour objectif de limiter
la spéculation liée au grand commerce, national et international, et,
avec elle, la fluctuation aléatoire des prix ou leur établissement
incorrect, qui est finalement nuisible à la production des richesses.
*** En 0Al'lC'Arl110nT le de la liberté du commerce est moins
'.-'L.LH"-'.'1JV

défini par la circulation facile des marchandises et la disparition des


barrières douanières que par la liberté réelle des : les
HllmC'DOles re]:los;ent sur des résultants de multiples
trouvent seulement dans les frontières une
occasion de s'exercer. En conséquence, l'application effective du
de la liberté commerce de considérables
réformes mais surtout des réformes politiques, qui,
elles-mêmes demeureraient sans effet sans être accompagnées d'une
réforme des mœurs. La difficulté est d'autant plus grande que les
devraient avoir ces réformes en charge, sont en réalité à

34
l'origine directe ou indirecte des monopoles qui organisent le marché
et qui nuisent à la vitalité des échanges (Commerce, II, ch. 12-14).

* Un mot est un son choisi arbitrairel11ent pour être le signe de


quelque idée (Synonymes, art. mot). Il peut être soit un élément du
langage d'action, soit un élément du langage des sons articulés; il se
lie avec les autres signes selon des règles différentes dans l'un et
l'autre langage. Originairement, les premiers mots sont des noms
désignant les objets sensibles source de crainte ou de douleur; il
s'agit de signes vocaux qui précisent le langage d'action. Peu à peu,
d'autres sortes de mots ont été inventées, préparant l'émergence d'une
syntaxe propre à la parole. Mais les mots ne sont pas toujours établis
de façon réglée: la manipulation de signes auxquels ne
correspondent pas d'idées ou des idées mal déterminées est un abus
fréquent de langage.

** Condillac affirme que les noms et les adjectifs ont été d'abord
convenus en complément des gestes du langage d'action. Au
contraire, les verbes ont été créés par imitation de la fonction logique
des actions et substitution des sons aux gestes. Ils ont été imaginés
pour exprimer l'état de l'âme quand elle agit ou pâtit, puis ont été
utilisés par analogie pour signifier les changements des états de
choses. L'ouverture de ce champ de signification a conditionné la
formation de verbes descriptifs à partir du radical des adjectifs. Dès
lors a été inventé un nouveau type de liaison entre le nom et le
verbe: l'ordre des mots a acquis une logique propre. Par la
subordination des formes du verbt;> au nom, la liaison du nominatif et
du verbe organise la logique propositionnelle. En rompant avec
l'ordre des mots et en de lier les signes vocaux de
façon autonome, la conjugaison marque un moment décisif dans
l'abandon progressif du langage d'action: la grammaire est un
nouveau mode de liaison de signes, qui commande les opérations
d'affirmation, de jugement et de raisonnement ch. 9). À
partir du Traité des sensations (1754), Condillac donne une

35
importance plus relative aux conventions de la grammaire. Il affirme
que la comparaison et le jugement sont générés directement à partir
des sensations, indépendamment de toute logique verbale. Mais il
soutient néanmoins que les liaisons d'idées autorisées par la
grammaire sont seules à permettre la formation de propositions
affirmatives ou négatives informant les modes de jugements propres
aux raisonnements (Grammaire, l, ch. 8).
*** Les sciences cognitives pourraient permettre de donner un
nouveau sens au passage décrit par Condillac entre le langage
d'action et le langage des sons articulés à partir de l'usage des verbes
d'action. L'imagerie cérébrale a mis aujourd'hui en évidence le fait
que l'évocation de verbes d'action active les mêmes zones du cerveau
que l'action elle-même. De telles expériences ne démontrent rien
quant au processus éventuel de génération d'un langage par un autre,
mais elles éclairent d'un jour particulier le rapport de certaines
fonctions grammaticales avec l'action.

* L'origine désigne ce qui est premier dans l'ordre de l'analyse et ce


qui est premier dans l'ordre historique. Elle est à la fois un principe
et un commencement. La recherche de l'origine doit indiquer
comment un certain commencement est devenu une cause en liant
des déterminations au moyen d'un principe. En tant que
a la de ne pas être la cause directe des
utilise volontiers la fiction pour
le ses effets
notamment cette méthode
du celle des

commencement, art. VL1",;;"~j"'-', art.


** Le terme d'origine a souvent servi à disqualifier l'œuvre de
Condillac. Rousseau a initié une tradition de critiques de l'étude de
l'origine des langues en dénonçant ses embarras inextricables. Ces
f"'?"""r"",'C' ont été par la suite au moyen d'arguments

36
dénonçant le caractère irrémédiablement mythique et fantaisiste de
toute recherche d'origine. Dans le Discours sur l'origine de
l'inégalité, Rousseau met en évidence un double paralogisme dans
l'enquête de Condillac, par lequel la société et l'art de penser, qui sont
l'objet même de la démonstration, seraient présupposés (Essai, II, I,
ch. 1). Mais cette circularité est requise par la méthode génétique
elle-même: il est exact de dire que Condillac décrit le langage
comme le principe du développement de nouvelles opérations
mentales, qui sont elles-mêmes le principe des progrès du langage;
encore faut-il préciser que le langage d'action n'est pas la parole, et
que la fiction de l'origine des langues trouve le ressort de son
développement dans le même principe que celui qui règle l'esprit. Ce
faisant, la méthode génétique permet non seulement d'analyser les
conditions logiques de l'apparition du langage des sons articulés,
mais aussi de montrer en quoi la parole diffère du langage animal
dont elle provient. L'analyse génétique permet une défense
rationnelle de la thèse de la naturalité du langage humain.
*** En 1866, la Société de linguistique de Paris a interdit toute
recherche portant sur l'origine des langues, contribuant ainsi
notablement à légitimer les railleries réprouvant la fiction des enfants
«perdus dans des déserts» de l'Essai. Par un retournement
savoureux, c'est cette décision qui attire désormais la raillerie. En
effet, Condillac anticipe sur bien des points la recherche
contemporaine: il s'agissait déjà pour lui de comprendre comment le
langage est apparu et pourquoi, de savoir si il y a des règles
communes à toutes les de juger si le langage des sons
articulés provient d'un protolangage, et d'examiner les rapports de la
disposition à la parole avec les particularités organiques des êtres
humains. Pas hier qu'aujourd'hui, la connaissance des
continuités entre l'homme et les animaux ne
spécificité du langage humain.

37
'" Le plaisir est un sentiment agréable que l'âme éprouve soit à
l'occasion des impressions qui se font sur les sens, soit par l'usage de
ses facultés. Le plaisir commande la génération des opérations de
l'âme, produit toutes les idées, et pelmet de régler les mouvements du
corps (Sensations, I, ch. 2).
** La découverte de la valeur de principe du plaisir est liée au
système proposé dans le Traité des sensations. Ce texte expose la
génération des opérations de l'âme à partir des sensations grâce à
l'expérience fictive d'une statue. Bornée à l'odorat, la statue est
attentive au plaisir qu'elle éprouve, le retient, le compare, et juge de
ses expériences. Le caractère logique du principe de plaisir s'explique
par la dualité intrinsèque des sensations, qui sont tout à la fois
épreuves de qualité et de jouissance. Condillac donne une valeur
nouvelle à un principe déjà connu: il ne s'agit pas seulement pour lui
d'affirmer que les êtres vivants fuient la douleur et recherchent le
plaisir, mais de montrer en quoi le plaisir est un principe suffisant
pour expliquer la génération de toutes les opérations de l'âme.
*** Si le plaisir se trouve au principe de l'exactitude de la langue
morale, ce n'est évidemment pas comme fondement de la bonne
intention, ni comme règle de la bonne action, mais pour des raisons
logiques. Le plaisir est à l'origine de l'analogie sur laquelle reposent
toutes les conventions humaines: c'est lui qui, en droit, permet
des actions. Dès l'Essai, Condillac a affirmé que les signes
et de la douleur étaient indubitables, dès lors qu'ils étaient
perçus dans les circonstances qui les occasionnent (Essai, ch. 2,
§ En ce sens, la langue morale peut être considérée comme une
me:talan~~a}1;e du langage naturel et la loi morale comme une
conditionnée par les contraintes logiques qui constituent
\JLJJl1""<ALl.'-/H

les personnes. par différence avec le langage d'action, la langue


morale un exercice de la réflexion analogique relativement
délié des circonstances les plus immédiates. Elle analyse les actions
en en compte l'histoire qui les conditionne, ce qui suppose

38
non seulement une réflexion, que l'on peut dire privée, mais aussi un
dialogue (Animaux, II, ch. 7-8).

Principe
'" Un principe est un fait bien constaté qui permet d'expliquer un
certain nombre de vérités en les ordonnant systématiquement. Le
système est d'autant plus parfait que les principes sont en plus petit
nombre: un bon système est un principe bien développé. Les
philosophes ont souvent pris pour principe des maximes abstraites ou
des suppositions gratuites, fabricant autant de faux systèmes
(Systèmes, ch. 1).
** Un principe n'est pas une définition, mais un fait. Un fait prend la
valeur d'un principe lorsque son caractère explicatif est reconnu et
que sa généralisation permet de lier en faisceau des vérités
particulières. La proposition générale qui énonce le fait est une
expression abrégée de découvertes, dont l'évidence ne peut être
démontrée que par le développement du système lui-même
(Synonymes, art. principe, art. système).
*** Dans l'Essai, Condillac semble d'abord hésiter entre deux
principes pour décrire le système de l'entendement humain: le
principe de la liaison des idées et celui de la liaison des signes. Mais
il affirme aussitôt après que les idées ne se lient que par le moyen des
signes (Essai, Introduction). Les difficultés qu'il rencontre le
conduisent à proposer ensuite une nouvelle description de la
génération des opérations de l'esprit. L'analyse du Traité des
sensations décrit l'opération d'un nouveau principe, le de
plaisir (Sensations, I, ch. 2). Par un dernier effort systématique, dans
la Grammaire et la Logique, Condillac énonce un ensemble de
propositions définissant une logique naturelle: il affirme à la
fois que l'analyse est l'unique méthode par laquelle nous acquérons
des connaissances, que cette méthode s'apprend de la nature même,
et qu'elle opère par le moyen d'un langage. La logique naturelle ne se
réduit pas à une formule unique; elle n'est un principe qu'au sens
propre de commencement et se dit en propositions multiples. Mais

39
cet ensemble de propositions décrivant les lois qui régissent l'esprit
est parfaitement cohérent avec l'identité du fait et du principe
soutenue dès le Traité des systèmes: la logique naturelle n'est pas un
ensemble de règles intemporelles de type mathématique; elle est
indissociable de la conformation organique des êtres vivants.

Raison
* La raison est la connaissance de la manière dont nous devons régler
les opérations de notre âme; elle résulte de l'exercice combiné du
jugement et du discernement, qui supposent eux-mêmes de
l'imagination, de la mémoire et de la réflexion (Essai, l, II, ch. Il).
On appelle raisonnement la combinaison d'opérations enchaînant les
jugements les uns aux autres selon un mode par lequel l'attention est
déterminée à porter un nouveau jugement à partir de ceux qui
précèdent (Essai, l, ch. 8, § 70). Dans l'Essai, le raisonnement
dépend de l'usage de signes institués, tout comme la réflexion et le
jugement; dans le Traité des sensations et les textes ultérieurs,
Condillac admet au contraire l'existence de raisonnements
élémentaires indépendants de l'usage de tels signes. Il considère alors
qu'il n'existe entre l'instinct et la raison qu'une différence de degré, et
que tous deux sont des modes de connaissance: si l'instinct, en tant
qu'il conduit le corps, semble être une habitude privée de réflexion,
cette habitude a été acquise en réfléchissant. L'être humain ne se
distingue donc pas seulement des animaux par l'étendue de
l'exercice de sa raison; son instinct est aussi beaucoup plus
que celui des bêtes ; il possède des dimensions théoriques,
'-''-''"''I-'",-,-,-",v

morales par l' habitude de certains


de ch. 5).

** raison définit une forme d'évidence particulière, l'évidence de


est obtenue aussi bien par l'examen de propositions
isolées que par celle de et qui se reconnaît à l'identité.
Dans le cas d'un raisonnement, l'évidence de raison peut être acquise
en substituant les propositions les unes aux autres et en introduisant
le cas échéant des propositions intermédiaires. Ces propositions

40
intermédiaires doivent être le résultat des analyses des idées
partielles et non des définitions qui viendraient remplacer les termes
définis. Un raisonnement évident résulte donc d'un double processus
de traduction et de décomposition, qui permet de se faire les idées les
plus complètes possibles. En définitive, le degré d'exactitude d'une
démonstration dépend de la possibilité de connaître ou non l'essence
première d'une chose, son essence seconde, ou d'énumérer de ses
qualités (Raisonner, I, ch. 1-3).
*** L'entendement peut s'opposer à la raison comme la capacité
d'acquérir des idées à celle de les combiner. Mais la raison est elle-
même une forme de connaissance, et l'étendue de l'entendement est
proportionnelle au bon usage de la raison ; en tant qu'opération
régulatrice, la raison est nécessaire à l'exercice approprié de toutes
les opérations mentales (Essai). À partir du Traité des sensations,
Condillac propose une nouvelle description de la génération de la
raison : il affirme que celle-ci s'acquiert à l'occasion des actions, et,
comme toutes les autres opérations, qu'elle trouve son principe dans
le plaisir. Le caractère radical de génération des opérations par un
unique principe ne signifie pas que l'esprit soit distinct de
l'organisation animale ou qu'il soit vierge de toute détermination; la
logique du plaisir n'opère qu'en fonction de la conformation
cérébrale, et plus généralement, de l'ensemble des contraintes
organiques incluant les relations intraspécifiques. Cette logique
unique, partagée avec les animaux, est au principe de la génération
de l'ensemble des opérations mentales et détermine la possibilité de
leur déclenchement à des modifications des sensations ; elle
permet de définir des modes spécifiques d'exercice, qui supposent
toujours aussi un apprentissage individuel. Ainsi le mode opératoire
qui permet de régler l'ensemble des activités de l'esprit en vue d'une
fin intentionnelle, et définit la raison, en est-il le En
conséquence, la raison, l'entendement et la volonté, moins encore
que toutes les autres opérations, ne doivent pas être considérées
comme étant des facultés séparées; ajoutons que, chez l'être humain,
elles ne peuvent être décrites indépendamment de la disposition à la
parole.

41
Réflexion
* Dans l'Essai, la réflexion est définie comme une application
délibérée et successive de l'attention à divers objets, ou aux
différentes parties d'un seul (Essai, l, II, ch. 5). Elle est rendue
possible par l'exercice volontaire de l'imagination et de la mémoire.
En mettant ces dernières opérations à notre disposition, l'institution
des signes est à l'origine de la réflexion, dont les bêtes sont
dépourvues. Dans le Traité des sensations, la réflexion a une tout
autre origine: elle est générée directement à partir de la
transformation des sensations, à l'occasion des modifications
générées par le toucher. Le toucher produit une attention «qui
combine les sensations, qui en fait au-dehors des touts, et qui
réfléchissant, pour ainsi dire, d'un objet sur un autre, les compare
sous différents rapports» (Sensations, II, ch. 8). En ce sens, la
génération de la réflexion conditionne celle des représentations.
Ainsi définie, la réflexion n'est plus une opération spécifiquement
humaine; son degré varie simplement entre l'homme et les bêtes, et
entre les animaux eux-mêmes, en fonction de leur conformation
organique.
** La génération directe de la réflexion à partir des sensations
proposée dans le Traité des sensations donne une cohérence nouvelle
à la description génétique de l'origine du langage proposée dans
l'Essai. Dans ce dernier texte, Condillac affirme en effet qu'on ne se
sert des signes d'institution que parce qu'on est déjà capable d'assez
de réflexion pour les choisir et pour y attacher des idées : cependant,
comment l'exercice de la réflexion s'acquérir par l'usage des
signes, si la réflexion est nécessaire pour instituer ces mêmes signes
(Essai, l, ch. 5, § 49) ? Rousseau a vivement critiqué ce cercle qui
lie les de la réflexion et les progrès du langage. Mais la
génération de la réflexion à partir de la sensation défendue dans le
Traité des sensations permet de résoudre le problème : Condillac
montre que la réflexion naît indépendamment des signes institués, et
qu'elle est un préalable à l'institution des signes. Notons enfin que, si
l'analyse réflexive de l'action est la condition du langage d'action, la

42
réflexion trouve dans ce langage l'occasion de nouveaux
développements. Dès lors le cercle de la réflexion et du langage peut
être considéré comme un cercle vertueux qui assure la possibilité de
progrès mutuels.
*** La définition de la réflexion donnée dans le Traité des sensations
met l'action au principe de la connaissance du monde. Condillac
montre que l'action est règlée par l'analyse des perceptions nées du
mouvement propre: l'expérience du mouvement génère un ensemble
de jugements tournés en habitudes qui permettent de réguler les
contacts et les déplacements. Ces jugements sont subordonnés à la
formation de l'idée de l'espace, qui est elle-même moins une idée
géométrique qu'un jugement distributif opératoire. Or cette nécessité
de combiner des données sensorielles en fonction des contraintes
locales produit la réflexion. La réflexion est donc une activité
comparative; mais en tant que comparaison d'ensemble à ensemble,
elle est d'emblée analogique. Dans le Traité des sensations,
Condillac considère que le mouvement des mains est la source de la
génération de la réflexion, parce que la préhension manuelle permet
une forme de contact et d'auto-contact très particulière (Sensations,
II, ch. 5 II, ch. 12). Dans le Traité des animaux, Condillac affirme
que la réflexion peut naître aussi à partir d'autres conditions
organiques.

* Dans l'Essai, la réminiscence est définie comme qui


nous avertit que nous avons déjà eu telle ou telle perception; elle se
subdivise en deux: une opération signalant la répétition des
perceptions et une opération par laquelle nous reconnaissons avoir eu
nous-mêmes telle ou telle La réminiscence conditionne
l'imagination et la mémoire (Essai, I, ch. 1, § 15). Elle n'a plus
aucune fonction dans le Traité des sensations. Dans le Dictionnaire
des synonymes, Condillac la définit comme un souvenir faible,
capable d'éveiller le sentiment d'avoir su quelque chose sans être
capable de savoir quoi (Synonymes, art. mémoire).

43
** Dans l'Essai, la réminiscence est désignée sans ambiguïté comme
le fondement de l'expérience: elle assure l'identité du moi. Elle
suppose une conservation des perceptions qui conditionne toutes les
autres opérations et qui donne une continuité à la succession des
expériences. La substitution fonctionnelle de la mémoire à la
réminiscence dans le Traité des sensations marque une rupture avec
l'héritage de Locke. Elle est obtenue par un changement considérable
du vocabulaire et des modes de description des opérations de la
conscience : le sentiment y est déterminé par le principe de plaisir
jusque dans son auto-affection la plus intime, et la temporalité est
elle-même générée à partir de ce principe. Dans la première partie du
Traité des sensations, la conscience du temps n'est ni
méthodiquement, ni réellement, la condition de possibilité des
modifications sensorielles. La statue ne dispose d'aucune opération
particulière qui lui permettrait de « retenir» ses sensations; elle ne
les «rappelle» qu'en fonction de la logique du plaisir opérant
l'analyse des sensations actuelles. La mémoire conditionne
néanmoins des habitudes rythmiques; la mesure de la « durée », qui
n'est pas une «conscience du temps », est en effet directement
générée à partir des sensations. Mais seule la disposition de la parole
permet un rappel de l'ordre d'apparition des perceptions engendrant
une activité mentale très indépendante des sensations actuelles.
*** Dans l'Essai, ni la réminiscence ni l'attention, ne peuvent être
décrites selon le principe de la liaison des signes, puisqu'elles en
constituent la condition de possibilité: pas de rappel d'une perception
autre sans conscience d'avoir déjà eu telle ou telle
n':>1,,(">0, .....1"1n.n

conscience échappe par là à l'analyse sémiotique. Cependant la


définition de la réminiscence de l'Essai, qui sembler relever
idéaliste qui s'ignore, laisse également ouverte la
d'une
V'-',JUH/U",", mécaniste selon laquelle la conservation
oel:ceDh()ns est considérée comme l'effet d'inscriptions cérébrales
en séries. Condillac avait donc une double raison d'éliminer cette
de la réminiscence pour parvenir à une description
sémiotique systématique des opérations de l'esprit.

44
Représentation
* Dans l'Essai, les sensations sont définies comme représentatives;
elles suffisent pour nous donner toutes les idées que nous avons des
corps (Essai, l, l, ch. 2, § 9). À partir du Traité des systèmes,
Condillac considère au contraire que les sensations ne sont pas
représentatives par elles-mêmes et entreprend de montrer comment
elles le deviennent. Dans le Traité des sensations, il affirme que les
représentations sont conditionnées par la réflexion et montre que les
représentations réalistes naissent de la combinaison des données
tactiles avec d'autres modalités sensorielles (Sensations, II, ch. Il &
III, ch. 3).

** Il convient de distinguer les représentations des objets des


représentations des actions. Si le jeu des expériences successives
suffit à l'individu isolé pour former des représentations des objets
suffisamment exactes, il n'en va pas de même avec les
représentations des actions. Celles··ci sont le produit d'une réflexion
analogique par laquelle je compare les principes de ma propre action
aux mouvements que j'analyse. Mais l'exactitude de cette analogie ne
repose pas seulement sur mon expérience privée; elle est
conditionnée par la liaison naturelle des mouvements du corps et des
opérations de l'âme, que Condillac définit à la fin de son œuvre
comme un langage. Les représentations des actions qui conditionnent
l'institution des signes arbitraires tiennent leur exactitude de ce
langage (Raisonner, ch. 3).

*** À les sont


définies comme des des sensations, sont
formés par la combinaison de la mémoire et de la réflexion, ou par
celle de et de la ou encore par celle de ces
trois réunies. Il est de soutenir que cette
conception de la représentation est naturaliste dans la mesure où elle
est essentiellement dépendante de l'étude des conditions générales de
l'action des êtres organisés. Cependant, il ne faut pas négliger que la
définition d'une «fonction» représentative est subordonnée à la
logique plaisir, qui opère au niveau conscient des sensations et qui

45
définit la possibilité de leur analyse. Dans l'ordre des raisons, c'est la
validité universelle du principe de plaisir comme principe de
transformation de la sensation qui permet d'analyser la
représentation de façon fonctionnelle.

;ensation
* Les sensations sont des impressions produites dans l'âme à
l'occasion de mouvements survenus dans les organes des sens. Elles
sont la source de toutes les opérations de l'esprit et de toutes les
connaissances. Dans l'Essai, Condillac considère que les sensations
sont des idées représentatives; il propose de distinguer trois choses:
la perception que nous éprouvons, qui est toujours claire et distincte,
le rapport que nous en faisons à quelque chose hors de nous, qui est
également clair et distinct, et le jugement selon lequel ce que nous
rapportons aux choses leur appartient en effet, qui est parfois fautif
(Essai, I, I, ch. 2). Dans le Traité des sensations et dans les textes
ultérieurs, Condillac définit la sensation comme une simple manière
d'être, ou une modification, et affirme que toutes les opérations de
l'âme sont des transformations de la sensation. Les sensations ne sont
plus considérées comme représentatives en elles-mêmes: chez
l'homme comme chez les animaux, c'est la représentation, générée
par la combinaison des analyses des sensations du toucher avec
celles des autres sens, qui assure un mode de connaissance du monde
suffisant pour agir.

** L'analyse du Traité des sensations montre que, en tant que


modification, toute sensation est double: une sensation est à la fois le
sentiment d'une qualité et l'affection d'un plaisir ou d'une peine.
Indépendamment des opérations discursives, la liaison des sensations
n'est donc pas commandée par une ressemblance qualitative, mais
par les variations du . Par elle-même, une sensation n'a aucune
stabilité, ni aucune unité propre. Ainsi l'odeur de rose peut -elle être
plaisante ou douloureuse selon son intensité: le continuum des
modifications est ordonné, analysé, et comparé sous le seul angle du
plaisir. Nous pouvons dire qu'il s'agit de la même odeur (celle de la

5
rose) ; pour la statue, il ne s'agit pas de la même sensation. Le plaisir
décompose les modifications et établit des relations entre les
éléments qu'il distingue, définissant le plan de l'expérience par la
génération des significations (Sensations, l, ch. 1 & ch. 2).
*** Dès l'Essai, Condillac rejette toute définition mécaniste de la
sensation, et critique la comparaison de l'empreinte du sceau dans la
cire qui lui est souvent associée (Essai, l, II, ch. 2, § 20). Il considère
que les sensations ne sont pas des images ou des copies des objets, et
montre que les analyses des opérations de l'âme au moyen
d'exemples tirés de l'étendue sont nécessairement fausses (Systèmes,
ch. 7-8). Sur ce point, et malgré des positions ontologiques très
différentes, Condillac est très proche de Berkeley: pour l'un comme
pour l'autre, l'activité de l'esprit est de nature sémiotique. Condillac
ne décrit pas seulement les sensations comme des signes indicatifs;
il montre qu'elles génèrent des relations de signification grâce à
l'analyse qui les décompose et les transforme. Le principe de plaisir,
qui conditionne ainsi l'action, est l'opérateur de cette analyse. La
comparaison de la sensation et de l'empreinte est donc doublement
fautive: en plus de son caractère mécanique, elle laisse entendre que
la sensation indique l'objet comme l'empreinte indique la gravure du
sceau; or ce n'est pas en elles-mêmes que les sensations indiquent
quelque chose, mais par la médiation de l'analyse réglée et
dynamique du plaisir qui génère l'intention d'agir.

* En lieu et d'une introuvable définition du signe, Condillac


propose une classification des signes quasi-invariable du début à la
fin de son œuvre, à l'exception d'une modification ultime de l'intitulé
de la troisième classe. Les signes sont divisés en : 1°) signes
accidentels ou objets que quelques circonstances ont
liés avec quelques-unes de nos idées, en sorte qu'ils sont propres à
les réveiller; 2°) signes naturels, ou cris que la nature a établis pour
les sentiments de joie, de crainte, de douleur, etc. ; 3 0) signes
d'institution, que nous avons nous-mêmes choisis, et qui n'ont qu'un

47
rapport arbitraire avec nos idées (Essai, I, II, ch. 4, § 35). Le terme
de « signe» ne désigne pas uniquement les signes institués et encore
moins les mots, même si Condillac entretient une ambiguïté à ce
sujet, qui tient à la fois à l'usage du temps et à son souci de faire des
signes institués l'origine proprement dite des connaissances
humaines. Condillac distingue les signes « accidentels» des signes
« naturels », en insistant dans les deux cas sur l'activité mentale qui
opère la signification. La signification accidentelle n'est pas générée
par la consécution temporelle: c'est la signification qui donne sens à
la répétition, non l'inverse. La signification est l'effet d'une relation
mentale qui lie la perception de circonstances quelconques et
l'enchaînement d'une certaine liaison d'idées. De même les signes
naturels ne prennent-ils de signification que par l'activité de l'esprit:
il ne suffit pas que le corps exprime un sentiment pour que cette
expression prenne valeur Je signe. Les signes accidentels et les
signes naturels s'opposent ensemble aux signes d'institution qui
commandent une relation logique à la fois déliée des circonstances et
de la conformation organique du corps propre (au moins dans la plus
grande mesure possible). Condillac compare la troisième classe de
signes aux deux premières en affirmant que les signes institués sont
seuls à être à la disposition de celui qui s'en sert. Il substitue le
qualificatif d'artificiel à celui d'arbitraire dans la Grammaire pour
indiquer un principe de continuité entre les signes du langage articulé
et les signes naturels et préciser qu'une règle commande l'institution
(Grammaire, l, ch. 4 & ch. 5). Cette règle est l'analogie.
** Dans Condillac se propose de tout ce
concerne l'entendement humain au principe de la liaison des signes.
Le d'une de l'esprit reprend un
programme défini par Locke op. cit. L. ch. 21). Mais
Condillac ne considère pas les signes de façon instrumentale, comme
de simples véhicules, destinés à l'expression ou à la communication
des idées. Les signes sont les éléments même de la pensée,
oeJrm1ettê:mt de la régler. Condillac renoue ici avec Ockham : si la
liaison des signes permet de «rappeler tout ce qui concerne
l'entendement» et qu'elle est un principe, c'est qu'elle détermine

48
l'activité de la pensée. Car, bien que Condillac affirme d'abord
prudemment que les idées se lient « soit avec les signes, soit entre
elles» il soutient ensuite « que les idées se lient avec les signes, et
que ce n'est que par ce moyen qu'elles se lient entre elles» (Essai,
Introduction). C'est là que réside la première difficulté du projet
condillacien : l'étude sémiotique de l'activité de l'entendement doit
être conciliable avec la description interne de l'évidence de l'esprit à
lui-même exposée dans les premiers paragraphes de l'Essai.
Condillac fait des perceptions la condition de possibilité de la liaison
des signes; doit-on en conclure qu'un signe n'est un signe qu'en
fonction de la relation particulière qu'il instaure entre deux idées?
Qu'est-ce qui est signe? Le cri (l'objet, la circonstance), ou bien la
perception du cri (de l'objet, ou de la circonstance) ? Le signe est-il
la relation particulière qui lie les perceptions ou celle qui lie la
perception et l'objet? L'Essai laisse en suspens la question de savoir
si un signe établit une relation entre des idées (ou des perceptions),
ou s'il n'y a de signe que parce que les perceptions sont déjà liées
entre elles (auquel cas c'est la perception elle-même qui doit être
définie comme une opération de signification).
La seconde difficulté réside dans la démonstration de la thèse de
l'origine naturelle du langage humain. Celle-ci suppose que les
liaisons des signes institués puissent être générées à partir des
relations de significations accidentelles et naturelles. Dans la seconde
partie de l'Essai, Condillac explique que les signes naturels se
combinent aux signes accidentels pour former les éléments du
langage d'action. 1\1ais s'il montre ainsi qu'il existe des signes
.LH'-"'-'IJ'VH'-~<.u.~'-' et antérieurs à la il pas leurs
règles de liaison.
*** On considérer que Condillac résout les deux difficultés
rencontrées ci-dessus par la mise en évidence des règles de la
non-discursive proposées dans le Traité des sensations, et par
l'hypothèse de l'existence d'un langage naturel exposée dans la
Grammaire et dans la Logique. Cette hypothèse suppose d'admettre
que les sensations sont des signes. Or, si Condillac n'emploie pas
l'expression de signe de sensation, il montre que les relations qui

49
lient les sensations sont des relations logiques très complexes. Par
différence avec les signes naturels, les sensations ne sont pas de
simples indications, dont la signification se réduirait à un renvoi; la
signification des sensations est générée par une analyse opérée par le
principe de plaisir. Condillac subordonne l'indication des qualités
sensibles à celle du plaisir et montre que l'indication du plaisir est
l'élément d'une analyse comparative qui oriente et règle les
opérations de l'esprit. Il ne faut pas comprendre cette « analyse» d'un
point de vue strictement mental. Condillac ne décrit pas une langue
intérieure de l'esprit que les signes du langage parlé n'auraient qu'à
traduire. La «traduction» des sensations au moyen de la règle
fournie par le plaisir, qui peut être considérée comme la fin du
processus de signification, est une action. À ce titre, il est cohérent de
considérer que la description des relations de significations
véhiculées par les sensations est un élément fondamental du langage
naturel.

* La statue odeur de rose est la fiction initiale du Traité des


sensations. Condillac demande à son lecteur de faire l'hypothèse
d'une statue organisée intérieurement comme nous, animée d'un
esprit privé d'idée, et dont l'extérieur de marbre ne lui permet l'usage
d'aucun sens. En imaginant une expérience progressive par laquelle
la statue dispose successivement, puis simultanément, de chacun de
ses sens, Condillac analyse la façon dont les transformations de la
sensation permettent la conservation de soi. Le premier des sens à
être est parce est celui paraît contribuer le
moins aux connaissances de l'esprit humain. L'analyse commence
avec fictive d'une rose: la statue, qui est pour nous
une statue sent une rose, n'est d'abord pour elle-même qu'odeur
de rose. La paternité de l'hypothèse de la statue a donné lieu à une
querelle avec Grimm.
** Enchoisissant l'hypothèse d'une statue, plutôt que celle d'un
homme neuf pourvu de tous ses sens, Condillac oblige l'esprit à une

50
expérience imaginaire contraire aux habitudes, puisque la fiction en
vient à la description d'une statue mobile. Privée, puis dotée
fictivement du mouvement, la statue découvre qu'il existe un dehors
qui n'est pas soumis aux mêmes modifications qu'elle-même, et, en
même temps, que le dehors peut changer lorsqu'elle reste identique à
elle-même. Par l'artifice de cette statue mobile, Condillac met en
évidence le principe de régulation mentale des mouvements du corps
propre et indique comment ce principe commande la génération de la
réflexion. La démonstration donne un rôle décisif à la connaissance
du corps propre dans la génération de toutes les représentations:
celles des objets, celles des actions, celles des événements du monde,
aussi bien que celles de soi-même.

*** Pour être bien comprise, cette hypothèse requiert une distinction
essentielle: celle de l'expérience propre de la statue par rapport à
elle, et celle des conditions extérieures de cette expérience, par
rapport à nous (Sensations, Avis au lecteur). Ce procédé permet la
description d'une expérience de conscience fictive mettant en
suspens le rapport habituel au monde. En demandant au lecteur de se
mettre « à la place de la statue », Condillac donne sens à l'idée de
modification de l'âme sans réduire cette modification à l'action
mécanique des objets extérieurs. Cette méthode permet une
description sémiotique systématique des opérations non discursives
de l'esprit comme sensations transformées. Elle montre que le
caractère non représentatif des modifications n'est pas un obstacle,
mais une condition de la génération des représentations.
Paradoxalement l'adoption d'un point de départ « phénoménolo-
gique », la sensation réduite à l'évidence de sa donnée de conscience,
conduit Condillac à exhiber un principe logique régissant toutes les
opérations de

* Un système est un ensemble de connaissances liées selon un ordre


génératif par un principe. L'ordre systématique ne tient pas à une
visée totalisante, mais à la correction de l'engendrement de chaque

51
élément à partir du principe (Systèmes, ch. 1). Condillac fait l'éloge
des systèmes sûrs et incomplets et critique la frivolité de tous les
autres. Le Traité des systèmes propose ainsi une réfutation des
systèmes de Descartes, Malebranche, Leibniz, Spinoza, etc., qui
reposent sur des principes abstraits ou des suppositions.
** Un bon système n'étant qu'un principe bien développé, on peut
être tenté de réduire la vérité du système à celle du premier terme de
la série, comme si cette vérité était tout entière contenue dans son
principe. Mais l'analyse d'un système exige de mener aussi une
enquête génétique sur les signes par lesquels il se développe, afin de
juger des analogies qui les conditionnent: les conditions de la vérité
des systèmes ne sont pas les mêmes selon leur objet. Ainsi les
langues décrivant le monde physique tiennent-elles leur exactitude
des corrections de la réflexion analogique liée à l'action: l'imitation
du langage d'action oblitère les premières descriptions des
phénomènes naturels de métaphores impropres, entraînant
systématiquement des chaînes d'erreurs et d'approximations. En
physique, la vérité émerge par remontée aux jugements et liaisons
d'idées produits par l'expérience du toucher, et par élaboration d'une
nouvelle règle de liaison des signes analogue à ces jugements. Elle
est assurée en droit par l'existence de jugements sensibles
antéprédicatifs portant sur l'étendue qui servent de modèle à l'analyse
discursive. Les progrès des sciences physiques, indissolublement
linguistiques et méthodiques, sont le résultat de corrections
permettant une meilleure description générative des expériences de
l'étendue en les réordonnant à un principe.
*** La méthode gelletlqlle oblige à une division fondamentale des
D'V.LUVû,selon décrivent les de l'étendue ou les
actions des êtres vivants. La contrairement à la
ou à la chimie, n'a pas à corriger d'analogies «mal faites ».
Cette division n'exclut pas une subordination de certains systèmes les
uns aux autres, mais elle interdit en droit d'analyser les actions des
êtres vivants comme des mouvements mécaniques: c'est là inverser
l'ordre de nécessité logique qui a permis aux systèmes physiques de

52
naître à partir du langage naturel. Les systèmes analysant les actions
humaines doivent s'établir grâce à l'analyse des conditions logiques
de la communication verbale, et non par l'imitation des sciences
physiques ou par une formalisation mathématique. Ainsi, un vrai
système économique n'a-t-il pas pour vocation de décrire un ordre
naturel des sociétés, ni d'élaborer un modèle mathématique des
échanges, mais de générer des signes artificiels permettant de décrire
exactement la production, la circulation et la distribution des
richesses à partir d'un principe.
L'analyse génétique combat l'une des principales manières de faire
des faux systèmes, dont la frivolité n'est que l'aspect émergent. Le
plus souvent, les faux-systèmes ne sont pas seulement fondés sur des
erreurs; ils sont inséparables d'institutions délirantes. La critique des
croyances liées à la divination donnée dans le Traité des systèmes
indique la difficulté de réformer de telles institutions.

* Le toucher est un mode de sensation occasionné par le contact du


corps avec ce qui l'entoure. Le Traité des sensations montre que le
toucher comporte différentes modalités que l'on peut diviser en deux
groupes: celui qui est constitué du sentiment fondamental lié à la
respiration, des sensations de chaleur ou de froid, de frémissement. ..
etc. ; et celui de la solidité qui est lié au mouvement propre et au
contact d'objets extérieurs. (Sensations, II) La sensation de solidité
est à l'origine de la découverte de l'extériorité et de la connaissance
du corps propre; elle est aussi au principe de la formation de la
réflexion et à la génération de l'idée d'étendue; elle engendre enfin la
curiosité. Le toucher combiné aux autres sensations la
formation des (Sensations,
** Condillac retourne contre certains éléments de l'Essai
pour une nouvelle théorie de la vision. Il partage avec lui la
description phénoménologique du toucher, mais soutient des
conclusions ontologiques opposées grâce à la découverte du
caractère générateur du principe de plaisir. Condillac entreprend une

53
double démonstration : prouver à la fois que les sensations tactiles
suffisent à juger de l'existence d'un dehors, et que l'unité logique des
sensations peut-être décrite sans recourir à la théologie. Le réalisme
de Condillac n'est pas une affirmation de la possibilité de connaître
les choses mêmes, mais l'assurance qu'il existe un réel, dont les
sensations sont la perception, et qui peut être représenté sans qu'il
soit nécessaire de statuer sur la nature des corps. En distribuant les
perceptions en fonction de régularités extérieures inéductibles à des
différences de modalités de conscience, le toucher est la source de
l'objectivité. Il est la condition de l'analyse de l'action qui détermine
l'institution du langage.
*** La position exacte de Condillac dans le Traité des sensations ne
se comprend qu'en distinguant bien l'ordre de l'analyse de l'ordre du
réel. L'analyse permet d'attribuer à chacun des cinq sens ce qui lui
revient dans la formation des représentations de soi et la genèse des
idées. Mais ce qui est exposé successivement est simultané dans la
réalité. L'ordre du réel se caractérise par une expérience initiale
confuse de l'extériorité. L'enfant est incapable de démêler ses
sensations ou de distinguer ce qu'il est de ce qu'il n'est pas, et cette
confusion est la source d'eneurs considérables (Sensations, II, ch. 4).
Condillac affirme cependant dans la Logique que l'analyse des
sensations est naturelle; l'enfant, comme la statue, apprend à mettre
en ordre ce que les sensations lui donnent; ses expériences sont
l'objet d'analyses successives suffisantes pour agir (Logique, I, ch. 2).

* La valeur est le jugement sur le besoin. On peut dire qu'elle


est fondée sur l'utilité, à condition de ne pas donner à ce terme une
eJ:J.F,HH."'-''''U'-'H objective, ni de considérer que l'utilité est directement

liée à l'abondance ou à la rareté. Une valeur est une estimation, ce


qui rend absurde toute détermination d'une « vraie valeur ». La
valeur ne doit pas être confondue avec le prix. La notion de valeur
est au plincipe de l'exactitude de la science économique (Commerce,
I, ch. 1).

54
** La définition de la valeur doit être rapportée à l'analyse génétique
du jugement et à celle du besoin. Or Condillac affirme qu'il n'existe
aucun système des besoins humains à partir duquel déterminer la
valeur des choses de façon ultime. Malgré son caractère
psychologique, la définition de la valeur interdit de fonder la
régulation des échanges sur l'anthropologie. La détermination des
besoins naturels relève d'une décision politique qui doit prendre en
compte les réalités de la vie civile. Si, dans une société marchande, la
demande peut s'aligner sur l'offre, aussi bien en matière de prix que
de salaires, on ne peut en conclure pour autant que les besoins sont
satisfaits, ni que cet alignement est une régulation naturelle. Au
contraire il est nécessaire de lier en droit les salaires et les besoins;
en ce sens, c'est le besoin qui conditionne le travail et non la
constitution des prix du marché. Le gouvernement est donc
comptable de la protection du travail, qui doit servir de mesure de la
valeur des choses d'une façon irréductible à leur prix.
*** Cette définition de la valeur a une portée polémique. Elle permet
une dénonciation vigoureuse des thèses physiocratiques sur trois
points fondamentaux: la caractère abstrait de l'idée d'abondance de
la terre, la fausseté du jugement concernant la stérilité de l'industrie
et du commerce, et l'arbitraire des positions défendant un ordre
prétendument naturel des sociétés politiques. Toute chose peut
prendre une valeur, aussi bien les divers éléments de la nature que les
produits de l'industrie, ou encore le capital monétaire. Mais la valeur
n'est pas un prix. Condillac accuse les physiocrates de prendre la
richesse pour une quantité numéraire. On aurait donc tort d'affirmer
avec Marx que la proposition selon laquelle le commerce est créateur
de richesses est une thèse naïve concernant la formation de la plus-
value. C'est là oublier que toute équivalence entre la richesse et les
marchandises est contradictoire avec le principe de la langue
économique de Condillac. La critique de Marx repose bizarrement
sur la négligence de l'analyse historique de la multiplication des
inégalités sociales menée aussi bien dans Le Commerce et le
gouvernement que dans le Cours d'Histoire. Ajoutons enfin que la
fondation de la valeur d'échange sur l'utilité tentée par l'École

55
marginaliste n'a guère de rapport avec la génération analytique du
prix à partir du jugement donnée dans Le Commerce et le
gouvernement, même si elle se revendique de Condillac.

Volonté
* Le terme de volonté a deux sens distincts : un sens propre, qui
qualifie le désir d'une chose que nous jugeons en notre pouvoir, soit
parce que pensons avoir les moyens de l'obtenir, soit parce que nous
y avons droit; un sens large, par lequel il désigne toutes les
opérations issues du besoin, par différence avec l'entendement qui
désigne les opérations naissant de l'attention. Cependant, l'opposition
générique de l'entendement et de la volonté n'est pertinente que
rapportée à la description de certains actes que l'on veut analyser;
pour Condillac, la plupart des philosophes font l'erreur de réaliser ces
abstractions comme si l'âme était effectivement divisée en facultés
distinctes. La volonté et l'entendement ne sont pourtant que des
transformations de la sensation, rapportées par abstraction soit au
sentiment de l'agréable et du désagréable, soit aux capacités
représentatives (Logique I, ch. 8, Synonymes, art. volonté,
Sensations, I, ch. 3, Essai, I, V, § 10).
** L'analyse génétique de la volonté met en évidence le rôle de la
disposition des signes du langage articulé dans la génération de la
liberté humaine. Originairement, la volonté est définie comme une
croyance susceptible d'orienter l'action: « on entend par volonté, un
désir absolu, et que nous pensons qu'une chose désirée est en
notre » (Sensations, I, ch. 3). Cette croyance naît de deux
sources : l'intensité d'une satisfaction passée et la force du désir, qui
dépend elle-même de la remémoration de cette jouissance passée.
son la volonté est donc une croyance en un pouvoir
.uu.u""", formée à partir d'une combinaison de désir et de souvenir.

Cette définition, donnée dans la première partie du Traité des


sensations (qui décrit la génération des opérations de l'âme d'une
statue bornée à l'odorat), acquiert ensuite une seconde détermination
lorsque la statue dispose du tact et de la mobilité: la génération

56
progressive d'une représentation du corps propre et d'une
représentation de l'état du monde limite l'étendue de la volonté par
l'anticipation des actions possibles. Cependant, les actions qui
semblent momentanément impossibles peuvent demeurer l'objet
d'une volonté, faute de repères temporels adéquats. À défaut de se
représenter exactement le principe de leurs actions, l'animal et la
statue entretiennent des volontés ou des désirs absolus, eux-mêmes
analogiquement attribués aux autres acteurs.
L'usage de la parole conditionne une modification considérable de la
volonté, qui acquiert une troisième détermination. En générant un
nouveau rapport à la temporalité, la disposition du souvenir permise
par la parole limite la croyance au pouvoir d'agir par la connaissance
de l'inéluctabilité de la mort. La détermination de la volonté s'en
trouve modifiée: la volonté humaine ne trouve plus son principe
dans un désir absolu, et tel que nous pensons que toute chose désirée
est en notre pouvoir, mais dans le désir absolu de conserver le
pouvoir de désirer, c'est-à-dire dans le souci de la conservation de la
vie. L'analyse génétique de la volonté impose donc de distinguer
soigneusement l'activité qui résulte d'une auto-détermination
accompagnée d'une croyance de toute puissance, et une auto-
détermination énoncée sous la forme d'un «je veux ». La parole
suppose que chacun puisse se rapporter à soi-même non seulement
comme un être agissant, immédiatement présent, mais aussi comme
le même que celui qui a agi, qui peut agir, mais qui ne pourra pas
toujours agir. Elle définit la liberté humaine comme l'exercice d'une
détermination d' ses principes, et non pas
seulement comme une croyance accompagne un désir absolu.
*** La liberté est définie comme une capacité d'autodétermination
se découvre par ses dans l'effectivité d'une action en train
de se faire; elle est le '">/>'''''''77'
pas faire ce qu'on fait
n'est pas un choix abstrait entre deux actions, qui reviendrait
simplement à confondre la liberté avec le libre arbitre et à la réduire à
un pouvoir d'affirmation ou de négation: en réalité, la volonté libre
ne peut être séparée de ce sur quoi elle s'exerce, comme s'il

57
s'agissait de l'activité d'une pure substance pensante, ou d'une force
désirante, et non de l'activité d'une conscience sent ante
inextricablement liée à un corps. La liberté est une capacité effective,
qui se repère dans l'analyse des contraintes et des déterminations qui
conditionnent l'action. L'analyse de la volonté donnée dans le Traité
des sensations renverse la pensée classique de la liberté, par
déplacement du topos de son opposition métaphysique avec la
nécessité. Condillac ne cherche pas à établir si, par nature, l'être
humain est libre ou déterminé, mais à établir les instruments
permettant l'analyse discursive des actions, en donnant au mot
«libre » un contenu pauvre mais assignable, le pouvoir d'agir
autrement que l'on a agi, qui donne sens à une double opposition
avec la contrainte d'une part, et avec la détermination non
délibérative d'autre part.

58
1746 Essai sur l'origine des connaissances humaines (Essai)
1748 Les monades
1749 Traité des systèmes (Systèmes)
1754 Traité des sensations (Sensations)
1755 Traité des animaux (Animaux)
1775 Cours d'Études au Prince de Parme
Grammai re (Grammaire)
- Art d'écrire (Écrire)
-Art de penser (Penser)
- Art de raisonner (Raisonner)
- Histoire ancienne (Histoire ancienne)
- Histoire nwderne (Histoire moderne)
- De l'étude de l'histoire (Étude)
1776 Le commerce et le gouvernement (Commerce)
1780 La Logique ou l'art de penser (Logique)
1798 La langue des calculs (Calculs)
1948 Dictionnaire des synonymes (Synonymes)

Œuvres de éd.
général des philosophes français, P.U.F. 1948. (t. 1.: Essai sur
l'origine des connaissances humaines, Traité des systèmes, Traité
des sensations, Extrait raisonné du Traité des sensations, Traité des
anilnaux, Lettres de l'abbé de Condillac à l'auteur des Lettres à
un alnéricain, Discours de réception à l'Académie française, Cours
d'Études pour l'instruction du Prince de Parme (Leçons
préliminaires, Grammaire, De l'Art d'écrire, De l'Art de Raisonner,
De l'Art de penser) ; 1. 2. : Cours d'études pour l'instruction du

59
Prince de Parme, (Extraits du Cours d'Histoire), Le commerce et le
Gouvernement, considérés relativement l'un à l'autre, La Logique ou
les premiers développement de l'art de penser, La langue des calculs,
Correspondance; t. 3.: Dictionnaire des synonymes, avec une
préface de Mario Roques)
Essai sur l'origine des connaissances humaines, éd. Charles Porset,
préface Jacques Derrida, Galilée, 1973.
La langue des calculs, éd. Anne-Marie Chouillet, préface Sylvain
Auroux, Presses universitaires de Lille, 1981.
Les monades, éd. Laurence L. Bongie, The Voltaire Foundation, Oxford,
1980.
Les monades, éd. Laurence L. Bongie, trad. François Heidsieck, Millon,
Grenoble, 1994.
Traité des animaux, éd. François Dagognet, Paris, Vrin, 1987.
Traité des sensations, Traités des animaux, Paris, Fayard, 1984.
Traité des systèmes, Paris, Fayard, 1991.
Essai sur l'origine des connaissances humaines, préface Michèle
Crampe-Casnabet, Paris, Éditions Alive, 1998.
Essai sur l'origine des connaissances humaines, Paris, Vrin, 2002.
Une édition critique des œuvres complètes de Condillac est en
préparation à la Librairie Vrin.

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Analogie ................................................................................. 5
Analyse ................................................................................... 6
Animal .................................................................................... 7
Argent ..................................................................................... 9
Attention ............................................................................... lO
Besoin ................................................................................... Il
Émotion ................................................................................ 14
Évidence ............................................................................... 15
Gouvernement ...................................................................... 17
Iluagination ........................................................................... 19
Jugement ............................................................................... 21
Langage ................................................................................ 22
Langage d'action ................................................................... 24
Langue .................................................................................. 25
Loi morale ............................................................................. 27
Mémoire ............................................................................... 28
Moi ....................................................................................... 29

lVIUnO[)Ole ............................................................................. 33
Mot ....................................................................................... 35
Origine .................................................................................. 36
Plaisir .................................................................................... 38
Principe ................................................................................. 39
Raison ................................................................................... 40
Réflexion .............................................................................. 42
Rélniniscence ........................................................................ 43
Représentation ...................................................................... 45
Sensation .............................................................................. 46
Signe ..................................................................................... 47
Statue .................................................................................... 50
Système ................................................................................. 51
Toucher ................................................................................. 53
Valeur ................................................................................... 54
Volonté ................................................................................. 56
Aubin Imprimeur
LIGUGÉ, POITIERS

Achevé d'imprimer en novembre 2002


W d'impression L 64476
Dépôt légaL novembre 2002
Imprimé en France

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