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ARTICLE ORIGINAL
a
Service de psychiatrie, hôpital Cochin, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France
b
Service de génétique, hôpital A.-Trousseau, 26, avenue du Dr A.-Netter, 75012 Paris, France
MOTS CLÉS Résumé La colère peut être appréhendée grâce à un modèle tridimensionnel comportant
Thérapie une dimension physiologique, une dimension cognitive et une dimension comportementale. À
comportementale et partir de ce modèle, une thérapie cognitivo-comportementale, intégrant ces trois dimensions
cognitive ; et dont l’objectif principal est la gestion de la colère, peut être envisagée. Nous avons choisi de
Colère ; présenter l’étude d’un cas clinique : celle d’un patient présentant des accès de colère intenses
Troubles du et fréquents. Dans le cadre de la thérapie de ce patient, l’axe physiologique a été organisé
comportement autour de l’apprentissage de la relaxation et de la prise de conscience de l’hypervigilance.
L’axe cognitif a ciblé les schémas cognitifs, les pensées dysfonctionnelles et leur mécanisme
interprétatif. L’axe comportemental avait pour objet l’apprentissage de compétences sociales
et de nouveaux comportements par exposition avec prévention de la réponse.
© 2010 Association française de thérapie comportementale et cognitive. Publié par Elsevier
Masson SAS. Tous droits réservés.
∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : svanwalleghem@gmail.com (S. Vanwalleghem).
1155-1704/$ – see front matter © 2010 Association française de thérapie comportementale et cognitive. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.jtcc.2010.11.001
6 A.-S. Deborde, S. Vanwalleghem
M.P. est un brillant étudiant âgé de 20 ans qui présente fré- Méthode
quemment de violents accès de colère. Au cours de ses accès
de colère, M.P. ressent une forte violence intérieure. Au Questionnaires
niveau physique, la colère s’accompagne de tremblements
et parfois d’un bégaiement (qui renforce le sentiment de M.P. a rempli quatre auto-questionnaires au début de la
colère). Si la colère se déclenche en public, M.P. présente prise en charge et à la fin. Le premier questionnaire est
un comportement agressif qui se manifeste par des cris et l’inventaire d’expression de la colère Trait-État (STAXI)
des insultes. M.P. prend sur lui pour ne pas frapper ses de Spielberger [4]. Il permet d’évaluer la colère et les
Gestion de la colère par thérapie cognitivo-comportementale 7
comportements associés. Le patient doit coter, sur une colère (anger-out) en recourant à l’anger-in, mais le fait de
échelle de type Likert allant de 1 à 4, 44 items qui sont ne pas avoir donné son avis génère une baisse de l’estime
ensuite regroupés afin d’évaluer six dimensions : la colère- de soi, des ruminations et une augmentation des comporte-
état (intensité de la colère à un moment donné), la ments autodestructeurs. De plus, ces attitudes d’évitement
colère-trait (disposition habituelle à ressentir de la colère), ne permettent pas à M.P. d’apprendre à réguler sa colère
l’anger-in, l’anger-out, l’anger-control et la fréquence et à développer des compétences sociales adaptées afin
de l’expression de la colère. Le deuxième questionnaire d’exprimer son désaccord tout en respectant autrui.
est l’inventaire abrégé de dépression de Beck (BDI). Il
est composé de 13 items et permet d’évaluer la dépres- Contrat thérapeutique
sion [5,6]. Le troisième questionnaire permet d’évaluer
l’anxiété, il s’agit de l’échelle d’Anxiété Trait (STAI-T) et Un contrat thérapeutique a été proposé au patient. Ce
d’Anxiété-État (STAI-E) de Spielberger [6,7]. Le dernier contrat incluait une TCC composée d’une quinzaine de
questionnaire est l’échelle de Rathus, celle-ci permet de séances, au rythme d’une séance par semaine, la parti-
quantifier l’affirmation de soi [6,8]. cipation à un groupe d’affirmation de soi pendant cinq
semaines et une consultation avec un psychiatre. Cette
Analyse fonctionnelle consultation a permis la prescription d’un traitement anti-
dépresseur en vue d’améliorer l’humeur dépressive et de
Nous avons établi, au cours des quatre premières séances, réguler l’irritabilité. Lors de l’établissement du contrat thé-
l’analyse fonctionnelle des difficultés de M.P. [9]. rapeutique, il a été expliqué à M.P. que la thérapie serait
organisée autour de trois axes, physiologique, cognitif et
Analyse fonctionnelle diachronique comportemental et les objectifs ci-dessous ont été présen-
Contexte familial et facteurs de maintien au sein de tés :
la famille. Dans la famille de M.P., les argumentations
sont valorisées, même lorsque leur valence est agressive. • réduire la fréquence des accès de colère, leur intensité
L’excellence est de rigueur, le fait d’avoir le dernier mot et améliorer leur contrôle ;
est important et l’isolement social est minimisé. • favoriser la détente et le plaisir dans les relations inter-
Facteurs déclenchants corrélés au début des troubles. personnelles ;
Dépistage d’une précocité intellectuelle (supériorité qui • améliorer l’estime de soi ;
doit susciter le respect). • réduire les sentiments dépressifs et l’anxiété associée.
Facteurs précipitants la demande. Augmentation de la fré-
quence et de l’intensité des accès de colère depuis l’entrée Déroulement de la thérapie
à l’université, il y a deux ans.
Répercussions de l’agressivité. Isolement social, grande Le déroulement de la thérapie est présenté sur la Fig. 2 et le
souffrance psychologique (dépression, anxiété), augmen- contenu des différents axes travaillés est détaillé ci-après.
tation des comportements autodestructeurs (tabagisme,
hyperphagie). Axe physiologique
Hypervigilance. Grace au self-monitoring, nous avons
Analyse fonctionnelle synchronique amené M.P. à prendre conscience qu’il interprétait de
Elle a été réalisée à l’aide de la grille SECCA et est présentée manière erronée les sensations physiques qu’il ressentait
sur la Fig. 1. dans les moments précédants les crises de colère. Ces sen-
M.P. présente une colère extériorisée (anger-out), une sations physiques étaient liées à un état d’hypervigilance
colère intériorisée (anger-in) [1], de l’impulsivité (anger- orienté vers ce que les autres pourraient faire, dire ou
control) ainsi qu’une hypervigilance [10—12]. En général, penser qui pourrait aller à l’encontre de ses croyances.
les discussions suscitent chez lui des pensées automatiques L’état d’hypervigilance est très proche de la colère
négatives [13,14]. Par ailleurs, si une personne aborde puisque par exemple, on retrouve la tension musculaire
un domaine dans lequel M.P. se juge compétent, il res- ou l’augmentation du rythme cardiaque, ce qui explique la
sent une vive colère [14]. Il est possible que, dans cette confusion possible entre les deux états.
situation, M.P. ressente de manière automatique des sen- Relaxation. L’apprentissage progressif de la relaxation a
sations physiques (rythme cardiaque, tension musculaire, permis d’améliorer le seuil de tolérance du patient [15] et
respiration. . .) qu’il interprète lui-même comme de la colère de lui faire prendre conscience de la différence entre la
[2,3,10]. colère, processus automatique, et la relaxation, processus
Sur le plan cognitif, on relève de nombreuses erreurs contrôlé.
d’interprétation que l’on peut mettre en lien avec des sché-
mas et des pensées dysfonctionnelles [13,14], telles que Axe cognitif
le sentiment d’être rejeté, le catastrophisme, la surgé- Motivation au changement. La motivation du patient au
néralisation, une pensée dichotomique, une interprétation changement a été évaluée à l’aide de la procédure de la
erronée des pensées et/ou de l’intentionnalité des autres. . . balance décisionnelle. En se centrant sur un épisode précis
Sur le plan comportemental, M.P. a développé des de colère, M.P. a considéré les avantages et les inconvé-
conduites d’évitement des situations sociales afin de ne pas nients de son comportement [15]. Par exemple, dans la
s’exposer à la colère que les gens suscitent chez lui (béné- balance, il a noté que ses colères entraînaient un mal-être
fice immédiat). En société, M.P. évite parfois l’explosion de physique et un isolement social, à l’origine de sa dépression
8 A.-S. Deborde, S. Vanwalleghem
ANTICIPATION
EMOTIONS
COMPORTEMENTS Croyance
Se mettre en colère
-rétablit la vérité quel que soit le contexte -donne une image forte de moi
-accès de colère (impulsivité) -permet d’imposer mes idées et d’être convaincant
-montre que je suis en désaccord avec ce qui a été dit
Pensées automatiques
-« je ne comprends pas que l’on puisse préférer rester dans
l’erreur plutôt que de m’écouter »
-« quand j’interviens, j’ai toujours raison, en plus je suis
surdoué »
-« je suis ridiculisé par les autres alors que j’ai des choses
intéressantes à dire » [injustice]
ENTOURAGE -« jj’agace
g les professeurs
p et les autres »
-« les autres ne me comprennent pas » [injustice,
-non reconnaissance du problème par la isolement]
famille ; le père et le frère ont la même -« je voudrais être respecté comme les autres » [injustice]
attitude -« si je ne me mets pas en colère, les autres ne me
-dénonciation du problème par les autres respecteront pas »
étudiants : « va te faire soigner » -« si je ne me mets pas en colère, les autres vont penser
que je suis d’accord avec eux »
IMAGERIE
-s’imagine en classe, rabroué par les autres
-imagine les murmures dans son dos
-imagine les propos des autres
et de son anxiété, mais qu’elles avaient pour avantage de donne-t-elle une image de soi, forte ou faible ? M.P. a éga-
lui permettre d’imposer ses idées aux autres et de donner lement été amené à travailler sur ces questions au sein du
une image forte de lui-même. Ces deux avantages consti- groupe d’affirmation de soi.
tuaient un frein à la thérapie. Nous avons donc amené M.P. Analyse des accès de colère. Afin que M.P. prenne cons-
à réfléchir aux questions suivantes : est-ce qu’il faut imposer cience de l’ensemble du processus qui l’amène à un
ses idées aux autres, s’agit-il davantage de les partager ou comportement dysfonctionnel, certains accès de colère ont
de convaincre ? Peut-on convaincre par la force ? La colère été analysés précisément (séquence de déclenchement, ton,
Gestion de la colère par thérapie cognitivo-comportementale 9
chez un psychiatre
Traitement
alternatives
Axe comportemen
Séance 9
•Noter les pensées alternatives
•Recherche de pensées dysfonctionnelles
•Présentation de la notion de schéma
•Relaxation Séance 10 •Réflexion / prise de conscience
•Prise de conscience des
G
schémas au quotidien
Séance 11
•Repérage physiologique
Séance
Séance 12
•Prise de conscience de l’interprétation erronée des
sensations physiques
1à4 •Notion d’hypervigilance / lien avec les schémas
•Principe de l’exposition et de la prévention de la
Séance 13 réponse
•Relaxation
R l ti
Séance 14
•Exposition / prévention de la réponse
•Relaxation
•Jeux de rôle
Séance 15 •Relaxation
•Exposition
•Prévention de la réponse
Séance 16
•Bilan
•Exposition •Jeux de rôle
•Prévention de la réponse •Relaxation
Séance 17
•Exposition
•Prévention de la réponse Séance 18 •Bilan
postures, contenu verbal, conséquences. . .) à l’aide d’un il perdait le contrôle de la situation. L’objectif était donc
cahier de relevé des accès de colère [15] et de jeux de rôle. d’amener M.P. à prendre conscience que ce n’est pas parce
Restructuration cognitive/travail sur les pensées dysfonc- qu’il ne se met pas en colère quand ses valeurs sont violées
tionnelles. La restructuration cognitive est importante, qu’il est en accord avec cette violation.
car certains schémas/pensées dysfonctionnels favorisent Le Tableau 1 présente un exemple du travail réalisé
une réponse agressive [11]. Par exemple, l’une des cog- avec M.P. (analyse des accès de colère et restructuration
nitions dysfonctionnelles de M.P. était de penser que cognitive).
lorsqu’une personne ne réagit pas à une provocation, c’est
qu’elle donne la permission à son interlocuteur de continuer Axe comportemental
cette provocation. Cette pensée dysfonctionnelle amenait Développement des compétences sociales. Le développe-
M.P. à utiliser la colère pour contrôler le comportement ment des compétences sociales avait pour objectif de rem-
d’autrui car, selon lui, s’il ne se mettait pas en colère, placer les comportements agressifs par un comportement
10 A.-S. Deborde, S. Vanwalleghem
Situation
Contexte « En cours, je participe à un débat. Je ne suis pas d’accord avec ce que dit un étudiant »
Colère
Sensations physiques Inspirations saccadées
Tremblements
Tensions musculaires
Intensité (/10) 10
+++
Possibilité de contrôle (/10) 0
———
Expression de la colère « Je crie, je parle vite, je parle tellement vite que les mots ne sortent plus, je jette mon livre
par terre, je sors de la classe »
Émotion Rage
Pensées associées « Ils sont trop cons »
« Ils ne veulent pas m’écouter car ils ne m’aiment pas, pourtant j’ai raison »
« Si je parle plus fort, ils seront forcés de m’entendre »
« Ils font semblant de ne pas comprendre »
« On est obligé de réagir à de telles conneries, sinon c’est qu’on approuve, ou pire, qu’on est
lâche »
Pensées alternatives « Les gens ont le droit d’avoir un avis différent du mien »
« Les gens sont parfois dans l’erreur, mais ce n’est pas mon problème »
« S’ils ne veulent pas m’écouter, c’est peut-être parce qu’ils ne m’aiment pas, mais c’est
aussi parce que je ne sais pas exposer mes idées sans hurler et c’est désagréable pour eux »
« Quand je crie, les autres ne me prennent pas au sérieux »
« Quel intérêt ont-ils à faire semblant de ne pas comprendre si ce n’est me montrer qu’ils ne
sont pas d’accord avec mon comportement »
« Quand quelqu’un me donne son avis, je suis libre de lui faire part du mien »
« Ne rien dire ne signifie pas être d’accord »
« Ne pas être d’accord ne légitime pas le fait d’être agressif »
« Je peux signifier mon désaccord simplement »
« La justification de mon désaccord peut ne pas intéresser les autres »
assertif. À cet effet, M.P. a participé à un groupe négatifs de la relation : « lorsque quelqu’un m’adresse la
d’affirmation de soi, structuré en cinq séances, présen- parole, je suis sur la défensive, à l’affût des propos qui vont
tant les bases d’un comportement assertif et permettant m’excéder ; j’oublie que l’autre a fait l’effort de venir vers
un entraînement par jeux de rôle. moi pour faire connaissance ».
Exposition. Brondolo et al. [15] recommandent Prévention de la réponse. La prévention de la réponse est
l’exposition à la colère afin de réduire les sentiments utilisée pour rompre l’association entre l’émotion (la colère)
de peur et de ressentiment associés à l’émotion elle-même et la réponse automatique (agression ou colère intériorisée).
et non à la nature de la provocation. Il est important de s’assurer que le patient ne va pas adop-
L’exposition a d’abord été réalisée au sein d’un groupe ter une suppression impulsive de la colère (anger-in au lieu
d’affirmation de soi, puis dans deux types de situations de d’anger-out). Pour éviter cette difficulté, le thérapeute doit
la vie quotidienne : être attentif au langage infra verbal, à l’expression faciale
et à la posture du patient. Il ne s’agit pas d’éviter de faire
• exposition à des situations sociales sans intervenir : se part de son mécontentement, mais de se donner toujours
mettre au contact des autres, sans prendre part aux un temps pour réfléchir à ce qui génère la colère (pensées
conversations. M.P. devait mettre en œuvre un monologue dysfonctionnelles, interprétations erronées), se demander
intérieur visant à repérer les réactions des autres et à si la colère est justifiée, quelle intensité elle doit avoir et
prendre conscience de ses propres pensées dysfonction- comment elle peut être exprimée (refus, critique, expres-
nelles et de ses interprétations erronées ; sion de l’émotion).
• exposition en participant à des débats : M.P. devait
mettre en pratique ses nouvelles compétences sociales :
Résultats
faire/recevoir une critique, utiliser l’écoute active, expri-
mer un refus, exprimer une opinion différente.
L’amélioration de M.P. a été quantifiée par les différents
M.P. a remarqué qu’il maintenait lui-même son état de auto-questionnaires remplis au début et à la fin de la prise
tension et d’irritabilité en se focalisant sur les éléments en charge (Tableau 2).
Gestion de la colère par thérapie cognitivo-comportementale 11
Tableau 2 Résultats de M.P. aux auto-questionnaires lors des évaluations initiale et finale.