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« Avoir l’âme qui rêve, au bord du monde assise… », écrit Anna de Noailles.
Pensez-vous que ce vers puisse définir l’attitude du poète face au monde ? Vous vous appuierez
sur les textes du corpus, les œuvres que vous avez étudiées en classe ainsi que sur vos lectures
personnelles.
Introduction :
La contemplation des spectacles de la nature a souvent inspiré les poètes. Dans le romantisme
notamment, les auteurs y ont recherché de secrètes harmonies avec leurs états d’âme. Anna de
Noailles proposait d’ailleurs, dans « La Vie profonde » issu du recueil Le Cœur innombrable, d’«
Avoir l’âme qui rêve, au bord du monde assise… » pour définir son attitude de poétesse face au
monde. Ce comportement méditatif, détaché de la réalité immédiate, ce repli dans la « tour
d’ivoire » peut-il être considéré comme fondamental pour la création poétique ? Certes l’on
constate généralement que le poète se situe en retrait de la réalité, mais certains écrivains, depuis
la Renaissance, ont voulu s’impliquer directement dans l’actualité de leur temps. Qui plus est,
dans tous les cas, cet écart ou ce rapprochement entre mondes extérieur et intérieur a produit le
lyrisme si caractéristique de la poésie.
Développement :
1. Le poète en retrait Généralement, inspiré par le modèle antique d’une nature habitée par les
nymphes, le poète la considère avec le regard respectueux dû au sacré.
a) L’isolement amoureux
C’est souvent dans ce lieu préservé ou consolateur qu’il veut abriter ses amours. Il y recherche la
solitude pour se consacrer à l’aimée ou se recueillir sur ses sentiments. Vigny, dans « La Maison
du berger » invite Éva à venir le rejoindre dans la solitude de la montagne pour « rêver » tout à
loisir à leur passion. C’est aussi la grande tradition issue de l’Art d’aimer d’Ovide où la nature est
le refuge à la peine de cœur. Lamartine, dans « Le Lac », vient chercher consolation à la perte
d’Elvire. De même il laisse transparaître dans « La Solitude » le regret possible de ne plus être
aimé.
b) Le rêveur, le philosophe
Le poète peut suivre aussi les traces des ermites en prenant du recul par rapport à la société des
hommes pour méditer ou réfléchir à sa condition mortelle. Racan, dans les « Stances à Tirsis »
développe ce thème classique de la retraite : Agréable désert, séjour de l’innocence, Où loin des
vanités de la magnificence, Commence mon repos et finit mon tourment, Vallons, fleuves,
rochers, plaisante solitude, Si vous fûtes témoins de mon inquiétude, Soyez-le désormais de mon
contentement. Jean de Sponde contemple « le dormant de ce fleuve / Qui traîne lentement les
ondes dans la mer », il y voit l’image de nos vies qui s’écoulent trop facilement et sans relief vers
leur fin. Vigny déclame sa profession de foi stoïcienne dans les bois désolés de « La Mort du
Loup » : « Gémir, pleurer, prier est également lâche. Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
». Victor Hugo, à la fin des Contemplations, suivant la tradition romantique allemande qui avait
privilégié le rêve, nous livre avec « Ce que dit la bouche d’ombre » une vaticination sur la
métempsychose, animant de manière épique le règne minéral, végétal et animal. « Tout parle. Et
maintenant, homme, sais-tu pourquoi Tout parle ? Écoute bien. C’est que vents, ondes, flammes
Arbres, roseaux, rochers, tout vit ! Tout est plein d’âmes. » Le poète est alors celui qui prête sa
voix inspirée à ce qui balbutie en silence.
3. Le poète, qu’il rêve ou affronte le monde, lève toujours un coin du voile sur son univers
intérieur touché par ce qu’il regarde ou contemple.
a) Le regard nouveau
Chaque poète cherche au travers de sa sensibilité, de sa culture, des modes esthétiques de son
temps à nous partager ce qu’il voit, ce qu’il comprend et ressent. Depuis la Renaissance, la
mythologie grecque et latine a irrigué la vision de la nature. On peut penser au « Songe de Vaux »
de La Fontaine qui fait l’éloge des jardins à la française. Avec le romantisme est arrivée une autre
perception : loin de la ville mensongère, le poète entre en contact avec le divin, dans ces lieux
sauvages l’homme peut considérer sa destinée, son désir d’absolu insatisfait. Avec Nerval et
Baudelaire s’ouvre la voie de la poésie visionnaire, mais chez le second, paradoxalement aussi, la
laideur ou la beauté bizarre réintègrent l’univers poétique. La grande ville et l’environnement
industriel deviennent des sujets possibles. Apollinaire ouvre l’ère de la modernité en enchantant
la réalité la plus commune. Les surréalistes explorent les arcanes du monde intérieur de
l’inconscient… Tous les grands poètes offrent un regard original qui est leur marque de fabrique.
c) La jouissance esthétique
Enfin il existe une autre espèce de réaction que peut nous livrer le poète, elle est moins sensible,
elle se rattache à l’admiration. Il s’agit de la jouissance esthétique. Cultivée pour elle-même, en
dehors de toute affectivité, elle a donné « l’art pour l’art ». Nous en retrouvons des traces dans
tous les textes du corpus. Tous les auteurs éprouvent une délectation devant le paysage qu’ils
contemplent. Lamartine, malgré sa tristesse, apprécie ces « doux tableaux », Anna de Noailles a «
l’âme qui rêve », Andrée Chedid partage avec son aînée des « rêves tenaces » tandis qu’Yves
Bonnefoy évoque lui aussi le « rêve » du « peintre » et l’« alchimie » des jeux de lumière. Cette
jouissance a même pu conduire les auteurs romantiques à cultiver leur souffrance pour en tirer du
plaisir. N’est-il pas surprenant de voir Anna de Noailles écrire « Et goûter chaudement la joie et
la douleur » ? Quant à Musset, il proclamait dans « Le Pélican » : « Les plus désespérés sont les
chants les plus beaux. Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots ».
Conclusion : Les poètes ont pu chercher à se retirer du monde pour se consacrer à leur amour ou
pour guérir une peine de cœur. Dans la solitude ils ont contemplé l’ordre du monde et leur
condition mortelle avant que certains, à la suite de Nerval et Baudelaire, aient voulu percer les
mystères de la nature. D’autres ont trouvé indigne de leur art de se réfugier dans leur « tour
d’ivoire », aussi se sont-ils déclarés guide, mage ou prophète ; d’autres ont usé du registre épique
pour justifier l’ordre en place ou pour le faire changer. Quelques-uns ont quitté les « provinces
fleuries » pour emprunter la voie de la satire triviale ou de la dénonciation polémique. Dans ce
face-à-face avec le monde, qu’il soit mis à distance ou assumé, les poètes ont levé plus ou moins
un coin du voile sur leur univers intérieur. Ils ont fait preuve d’un regard original, ils nous ont
communiqué leurs émotions et sentiments jusqu’à nous partager une jouissance esthétique,
fondements de toute vraie poésie si elle veut nous toucher. Aujourd’hui quand la technique nous
permet d’ « Avoir l’âme qui rêve, au bord du monde assise… », de nous retirer facilement dans
un univers virtuel et factice, dans une solitude stérile, attendons-nous toujours de la poésie qu’elle
nous communique ce surplus d’humanité qui fait cruellement défaut à notre monde post-
moderne ?
Bac de français 2019 Corrigé de la dissertation (série L)
Sujet : Le sens d’une pièce de théâtre et le plaisir qu’elle nous donne reposent-ils uniquement sur
les mots ? Vous appuierez votre réflexion sur les textes du corpus, sur ceux que vous avez étudiés
en classe ainsi que sur votre expérience de spectateur.
Introduction
Pourquoi allons-nous au théâtre si ce n’est pour espérer prendre du plaisir à la représentation ?
Quelle est la source de cette jouissance attendue ? La plupart du temps, un bon sujet ; parfois
simplement l’attrait d’un nom d’auteur, d’acteur ou de dramaturge. Quelles sont donc les parts
respectives du texte et de la mise en scène pour savourer pleinement la bonne compréhension des
intentions de l’auteur ? Certes une bonne pièce de théâtre, c’est d’abord un bon texte, mais
d’autres éléments sont nécessaires à sa compréhension et au plaisir qu’elle peut nous procurer. En
dernier ressort, le sens et le plaisir passent essentiellement par une bonne diction et un jeu adapté
aux intentions de l’auteur.
Développement
1 – Une bonne pièce de théâtre, c’est d’abord un bon texte.
a. Le texte est indispensable à la compréhension du sujet.
Seuls les mots donnent les informations précises, Molière introduit la scène par une référence à
une commande de M. Jourdain : « Je voudrais bien auparavant vous faire entendre un air qu’il
vient de composer pour la sérénade que vous m’avez demandée. » Beaumarchais indique par les
propos de Figaro les mouvements de Rosine invisible « Derrière sa jalousie ». expriment les
nuances, Molière peut manifester la flagornerie et la suffisance du maître de musique par
l’accumulation des termes laudatifs et le langage ampoulé. Beaumarchais place la raillerie dans
les propos de Figaro. nous donnent accès à l’intériorité des personnages, notons en particulier le
rôle des monologues. Beaumarchais met dans la bouche du comte le manque d’assurance et
l’appréhension. Victor Hugo fait exprimer à la reine sa tristesse et sa solitude.
b. Le texte sert notre plaisir.
Le comique de mots Molière souligne la balourdise de son Bourgeois-gentilhomme : « Donnez-
moi ma robe pour mieux entendre… » Beaumarchais raille l’aveuglement amoureux : « en
amour, le cœur n’est pas difficile sur les productions de l’esprit… » Langage poétique chez
Racine, Brûlant dans Phèdre : Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ; Un trouble s’éleva dans mon
âme éperdue ; Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ; Je sentis tout mon corps, et
transir et brûler. Incantatoire dans Andromaque : Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle Qui
fut pour tout un peuple une nuit éternelle ; Figure-toi Pyrrhus, les yeux étincelants, Entrant à la
lueur de nos palais brûlants ; Sur tous mes frères morts se faisant un passage, Et de sang tout
couvert échauffant le carnage ; Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des mourants, Dans
la flamme étouffés, sous le fer expirants ; Art de la formule chez Corneille, Hugo « À vaincre
sans péril, on triomphe sans gloire. » « Aux âmes bien nées, La valeur n’attend point le nombre
des années. » Le Cid « Aujourd’hui je suis reine. Autrefois, j’étais libre. » « Madame, sous vos
pieds, dans l’ombre, un homme est là « Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile ; « Qui
souffre, ver de terre amoureux d’une étoile ; » Ruy Blas
3 – Le sens et le plaisir passent essentiellement par une bonne diction et un jeu adapté aux
intentions de l’auteur.
a. Respecter le texte et le mettre en valeur
Bien déclamer, articuler et poser sa voix. Respecter la justesse des vers, effectuer la diérèse
quand elle est nécessaire. Prendre les bonnes intonations, mettre en valeur les patois (Molière),
les accents provinciaux ou affectés (préciosité chez Molière), emphase maîtrisée (tirade du nez
dans Cyrano de Bergerac de Rostand)…
b. Animer les jeux de scène surtout dans la comédie
Ne pas oublier que la comédie est proche de la pantomime. La farce multiplie les gestes. L’acteur
ne doit pas rester immobile. La gestuelle renforce l’expression et dynamise le spectacle. c.
Sobriété dans le registre tragique L’acteur doit éviter le pathos au profit d’une expression tendue
et vibrante. Importance des regards et de la gestuelle des mains. Conclusion Pour éprouver un
plaisir intense au théâtre, il faut d’abord un bon texte riche de sens parce que seuls les mots
peuvent porter toutes les nuances de la riche palette des sentiments humains. Mais d’autres
éléments sont plus ou moins indispensables à la représentation : à commencer par
l’incontournable jeu des acteurs, sans oublier les costumes, les accessoires, les décors et les
éclairages qui peuvent être minimisés, voire absents de l’espace scénique, par choix esthétique ou
financier. Dans tous les cas, la signification d’une pièce et le plaisir qu’elle peut procurer passent
par un ajustement de la mise en scène au projet de l’auteur dramatique. C’est affaire de culture,
d’intelligence, de fidélité et d’humilité : Il faut servir le texte théâtral et non s’en servir. 1 Jean-
Louis Barrault Mise en scène de Phèdre, Seuil, coll. « Points », 1972.
Bac de français 2019 (Liban) Corrigé de la dissertation (séries S et ES)
La poésie a-t-elle le pouvoir d’apporter une consolation aux malheurs des hommes ?
Vous appuierez votre réflexion sur les textes du corpus, sur les œuvres que vous avez étudiées en
classe et sur vos lectures personnelles.
Introduction
La poésie s’est beaucoup intéressée à l’expression des sentiments. Ce lyrisme a souvent pris la
forme de l’élégie pour chanter la tristesse et les malheurs de l’homme. Pourquoi donc les poètes
ont-ils si volontiers mis leur talent au service de ces thèmes douloureux ? Pensaient-ils pouvoir
trouver une consolation à leur peine ? Si certains thèmes caractéristiques reviennent sous la plume
des poètes, leur exploitation ne semble jamais rechercher l’apaisement que pourrait leur apporter
justement l’oubli. Bien au contraire l’élégie chante le malheur de vivre pour sa puissance
émotionnelle.
1. Quels sont les malheurs des hommes ? Quelques thèmes sont récurrents : le mal d’amour, voir
« Rappelle-toi » de Musset ou « La Chanson de Gaspard Hauser » de Verlaine la mort, « Je n’ai
plus que les os » de Ronsard, « La Ballade des pendus » de Villon, où s’exprime la peur. le
spleen, nombreux sonnets de Baudelaire, ou de Laforgue. Il s’agit de cette tendance dépressive,
de cette difficulté à accepter les limites de notre condition humaine.
2. La poésie ne peut consoler puisqu’elle ravive le souvenir. Le poète ne veut pas oublier, il veut
rester fidèle. Voir « Le lac » de Lamartine ou « À Villequier » de Victor Hugo : « L’angoisse
dans mon âme est toujours la plus forte, / Et mon cœur est soumis, mais n’est pas résigné. » Le
poète ne veut pas être consolé, le poète se sent grand parce qu’il souffre, il fait preuve
d’empathie. Voir « L’Exilé » de Marceline Desbordes-Valmore, où l’écrivain se sent sœur de
ceux qui aspirent sans le savoir à retrouver le chemin du paradis perdu. Voir « Le Pin des Landes
» de Gautier pour qui la douloureuse blessure du poète est féconde comme la sève qui s’écoule du
gemmage. Il puise des forces dans sa douleur, il rend présents les disparus : voir « L’Exil » de
Hugo où le poète trouve dans les sépultures inaccessibles à la suite du bannissement la force de
continuer le combat contre l’usurpateur. Voir « Petit pays » de Gaël Faye, où la nostalgie du pays
natal entretient le désir de se racheter.
3. Mais elle doit être au contraire un enchantement au sens magique, elle est chargée
d’apprivoiser le malheur, de le sublimer. Une clarification, mettre des mots sur les maux. Le
poète veut partager la singularité de sa fonction. Voir « Le Pélican » de Musset : Quand ils
parlent ainsi d’espérances trompées, De tristesse et d’oubli, d’amour et de malheur, Ce n’est pas
un concert à dilater le cœur ; Leurs déclamations sont comme des épées : Elles tracent dans l’air
un cercle éblouissant ; Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang. Voir « Tristesse
d’Olympio » de Hugo qui voit dans le poète celui qui doit lutter contre l’érosion du temps qui
passe : Et là, dans cette nuit qu’aucun rayon n’étoile, L’âme, en un repli sombre où tout semble
finir, Sent quelque chose encor palpiter sous un voile… C’est toi qui dors dans l’ombre, ô sacré
souvenir ! Un antalgique, une aide pour faire le deuil, « Consolation à M. du Perrier sur la mort
de sa fille » de Malherbe, acceptation religieuse de notre condition mortelle : Vouloir ce que Dieu
veut, est la seule science Qui nous met en repos. Voir « Les Phares » de Baudelaire : Ces
malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes, Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum, Sont
un écho redit par mille labyrinthes ; C’est pour les cœurs mortels un divin opium ! Un exorcisme
des peurs, une révolte contre l’inéluctable. Voir « Angoisse » de Mallarmé ou Verlaine, poèmes
dans lesquels l’élargissement métaphorique rend la peur moins laide et repoussante. La
célébration du paradoxe humain, le principe pascalien : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus
faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour
l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait,
l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que
l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien ». Les poètes vont donc exalter la grandeur de l’homme
qui assume son destin. Voir « Mortel sonnet » de Chassignet dont l’évocation toute baroque de la
décomposition des corps vise à rendre l’homme sage. Voir « Les Élégies majeures » où Senghor
évoque l’eschatologie dans un verbe apocalyptique pour rappeler à l’homme sa vocation : Quand
sera venu le jour de l’amour, de tes noces célestes T’accueilleront les Chérubins aux ailes de soie
bleue, te conduiront À la droite du Christ ressuscité, l’Agneau lumière de tendresse dont tu avais
si soif. Et parmi les noirs séraphins chanteront les martyrs de l’Ouganda. Et tu les accompagneras
à l’orgue, comme tu faisais à Verson Vêtu du lin blanc lavé dans le sang de l’Agneau, ton Sang.
Conclusion
La vie de l’homme est jalonnée de bien des malheurs, depuis les peines d’amour, la maladie, les
angoisses existentielles, pour s’achever dans la mort inéluctable. Aussi n’est-il pas étonnant que
les poètes se soient saisis de ces thèmes si riches d’émotions. Était-ce pour se consoler des coups
du sort ? Se plaindre peut tout au plus calmer un moment la douleur mais non pas la supprimer
quand on la rend si présente. En fait le poète veut lutter contre l’oubli par fidélité, empathie ou
révolte. Il sait que le lyrisme élégiaque saura toucher le cœur de ses lecteurs et faire recette.
Musset ouvrait son « Pélican » par ces alexandrins fameux : « Les plus désespérés sont les chants
les plus beaux, Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots. » Plus artistiquement et pour
rester dans les métaphores aviaires, tout vrai poète recherche son chant du cygne car il est disciple
d’Orphée, il connaît le pouvoir enchanteur de la lyre qui sait apprivoiser les animaux sauvages,
voire, pour quelques instants, tenir à distance la mort. « Le plus grand mystère, écrit Malraux,
n’est pas que nous soyons jetés au hasard entre la profusion de la matière et celle des astres, c’est
que dans cette prison nous tirions de nous-mêmes des images assez puissantes pour nier notre
néant ». La poésie, comme tout art, est grande quand elle est la pathétique tentative d’échapper au
temps, de parler aux hommes au-delà de la tragique destruction de la mort, qu’elle est en quelque
sorte un désir d’éternité.
Bac de français 2018 Corrigé de la dissertation (séries S et ES) La littérature vous semble-t-elle
un moyen efficace pour émouvoir le lecteur et pour dénoncer les cruautés commises par les
hommes ? Vous appuierez votre réflexion sur les textes du corpus, sur les œuvres que vous avez
étudiées en classe et sur vos lectures personnelles.
Introduction :
Accroche : Les attentats, la crise migratoire, les violences racistes sont aujourd’hui quelques-uns
des sujets où s’expriment des sentiments forts et contrastés. C’est pourquoi on a parfois reproché
à notre époque d’être soumise à la tyrannie des émotions quand il s’agit d’aborder ces questions
d’actualité.
Copie du sujet : Dans ce concert de compassions et de haines, la littérature est-elle un moyen
efficace pour émouvoir le lecteur et pour dénoncer les cruautés commises par les hommes ?
Problématique : Est-ce que par le passé, une stratégie de persuasion a pu, à elle seule, endiguer
chez l’homme le penchant à faire souffrir autrui ? Corrélativement, le traitement littéraire de cette
stratégie a-t-il procuré une efficacité supplémentaire ?
Annonce du plan : 1re formule : Nous examinerons d’abord comment spontanément les auteurs
sont portés à retenir une stratégie qui heurte notre sensibilité. Ensuite nous analyserons les limites
d’une telle entreprise pour enfin étudier l’intérêt des écrivains à s’adresser à toutes les facultés du
lecteur. 2de formule : Si spontanément les auteurs sont portés à retenir une stratégie qui heurte
notre sensibilité, une telle entreprise trouve cependant vite ses limites, c’est pourquoi certains
écrivains ont tenté de s’adresser à toutes les facultés du lecteur.
1re partie : La stratégie du choc Les personnes sont facilement portées à réagir avec leurs tripes
aux scènes de cruauté dont elles sont témoins.
1-Faire réagir par les émotions, Les écrivains, hommes comme les autres, ressentent le même
dégoût, éprouvent le même traumatisme qu’eux devant la violence barbare. Montaigne exprime
son « déplaisir » lorsqu’il voit « poursuivre et tuer une bête innocente ». Voltaire est révolté par la
dissection d’animaux vivants. Ferdinand Bardamu, dans Voyage au bout de la nuit, ne peut
contrôler ses sphincters sous la mitraille qui hache les combattants. Ce sont bien les émotions qui
sont premières lors de tels spectacles. Pour mieux faire partager sa réaction, l’auteur littéraire
utilise souvent la fonction expressive du langage. En premier lieu, il s’inscrit dans le registre
pathétique utilisant le champ lexical de la souffrance : Montaigne crée la sympathie en évoquant
les « larmes » du cerf, Voltaire provoque notre répulsion à l’encontre de ces médecins sans cœur
qui « clouent [le chien] sur une table, et |…] le dissèquent vivant ».
2- L’écrivain peut recourir aussi aux hyperboles, à la personnalisation comme dans les textes A et
C. Voltaire utilise un raccourci brutal pour mieux nous surprendre et nous émouvoir : le chien qui
s’est inquiété de la disparition de son maître, qui lui a témoigné joyeusement son affection lors
des retrouvailles, « ce chien » est livré brutalement au scalpel des biologistes. Tous ces procédés
et quelques autres viennent renforcer artistiquement le choc des émotions primaires. Susciter
l’indignation, réveiller notre compassion Pour persuader, les auteurs en appellent aux valeurs
communes au groupe. Ainsi Montaigne s’appuie sur la « théologie », autrement dit la religion
chrétienne, et joue sur la crainte du péché pour éviter que les animaux ne soient maltraités.
Yourcenar procède de même en misant sur la nécessaire solidarité du vivant : Si les animaux
n’appartiennent pas à la « famille » humaine comme chez Montaigne, ils sont chez elle les
victimes annonciatrices des grands holocaustes humains. Comme l’auteur des Essais, elle
dénonce les mêmes dérives quand les êtres vivants ne sont plus respectés. Parfois les écrivains
veulent nous faire honte et réveiller notre conscience par la compassion. Par exemple, Hugo dans
le poème « Melancholia » tiré des Contemplations se révolte contre la cruauté du travail imposé
aux enfants par des entrepreneurs au cœur sec : « Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d’airain, tout est de fer. Jamais on ne s’arrête et jamais on ne joue. » Il
compte sur la réaction indignée de parents bourgeois qui ne supporteraient pas que leurs enfants
soient traités si injustement. Les hyperboles, les alliances antithétiques, les reprises, les négations
qui soulignent les privations consolident cette tentative de culpabilisation. Pour mobiliser Ces
textes vibrants emploient parfois les fonctions impressives du langage. En effet les auteurs ne se
contentent pas de réprouver les comportements inhumains, ils appellent à la mobilisation : «
Soyons subversifs. Révoltons-nous contre l’ignorance, l’indifférence, la cruauté, qui d’ailleurs ne
s’exercent si souvent contre l’homme que parce qu’elles se sont fait la main sur les bêtes » lance
Marguerite Yourcenar en utilisant deux impératifs, selon un rythme binaire affectif, qui désignent
les cibles selon un rythme ternaire plus solennel. Montaigne ne veut pas « qu’on […] se moque
de [… sa] sympathie » pour les bêtes. Voltaire apostrophe son contradicteur et lui enjoint de «
porte[r…] le même jugement sur l’homme et sur le chien qui se comportent de manière
semblable. Tous veulent agir sur leur destinataire.
Transition : Mais cette force née du recours aux émotions rencontre ses limites. Le dégoût,
l’anesthésie dans l’escalade
Transition : En fait, recourir aux seules émotions, c’est s’adresser à la partie primitive de
l’homme. Une dénonciation efficace des cruautés humaines devrait s’adresser à l’homme entier,
corps et esprit, émois et raison. Ce serait ajouter la culture à la nature.
3-Démontrer l’absurdité
L’usage de la raison peut prendre des chemins plus étonnants. Montaigne, dans les Essais, a
démontré l’absurde inutilité de la torture. En effet cette cruauté ne saurait faire progresser
l’obtention de la vérité. Soit celui qui la subit a la capacité de la supporter et par voie de
conséquence n’avouera pas. Soit inversement, celui qui ne peut la supporter avouera même
innocent. Dans tous les cas le juge ne peut se fier au silence ou aux aveux. La souffrance infligée
est donc inutile, voire injuste si c’est un innocent qui est torturé et mis à mort. Voltaire a poussé
plus loin l’art de dénoncer l’absurdité en utilisant des rapprochements abrupts. Chez lui les
atrocités sont moins horribles que niaises. La condamnation est moins émouvante mais plus
acérée. Dans Micromégas, il démythifie la guerre en en faisant une cohue informe opposant «
cent mille fous de notre espèce » à « cent mille animaux couverts d’un turban » qui se battent
pour « quelque tas de boue grand comme votre talon » que les chefs n’ont jamais vu et ne verront
jamais. Dans Candide il se sert d’un oxymoron resté célèbre, une « boucherie héroïque ». Céline,
dans Voyage au bout de la nuit, évoque les combats par une accumulation désordonnée et
apocalyptique de personnes, d’animaux, d’objets pour flétrir la guerre devenue un « abattoir
international en folie ».
4-Dénoncer par le ridicule
Si Voltaire, dans Micromégas pointait le caractère déraisonnable de l’humanité, « un assemblage
de fous, de méchants et de malheureux », certains auteurs sont allés encore plus loin dans la
forme pour dénoncer l’horreur en recourant au ridicule. Par exemple, Alfred Jarry, dans Ubu-roi,
crée un personnage bouffon à la cruauté enfantine qui a détrôné le roi et veut assouvir son avarice
en tuant les nobles riches. Son avidité meurtrière : « Ceux qui seront condamnés à mort, je les
passerai dans la trappe, ils tomberont dans les sous-sols du Pince-Porc et de la Chambre-à-Sous,
où on les décervèlera » est risible dans ses excès verbaux et la répétition mécanique du « à la
trappe » qui ponctue ses jugements.
Conclusion :
Résumé de l’argumentation : La cruauté humaine est effrayante c’est pourquoi, spontanément, les
auteurs ont recouru à une stratégie capable d’en conjurer l’horreur. Ils ont donc cherché à ébranler
la sensibilité du lecteur pour provoquer chez lui le rejet des manifestations de barbarie. Mais cette
surenchère a pu conduire à l’anesthésie des cœurs par la répétition des spectacles traumatisants,
voire au dégoût, d’autant plus que des écrivains ont marqué une complaisance certaine pour les
comportements qu’ils entendaient dénoncer. En outre la mise en scène de la brutalité a parfois
servi à manipuler des populations et nourri la spirale de la violence. C’est pourquoi d’autres
écrivains ont préféré s’adresser à toutes les facultés du lecteur. Ils ont estimé que l’appel conjoint
à la raison serait plus efficace : convaincre permettrait sans doute de laisser des marques plus
durables que les fluctuations de la seule sensibilité. Le pari a été sûrement gagné par ceux qui ont
utilisé la dérision de l’absurde ou pratiqué l’antiphrase.
Ouverture (facultative) : Ainsi, la recherche de l’efficacité dans la dénonciation des violences
humaines est affaire de goût et de mode de diffusion. À une époque où les médias audiovisuels
sont rois, il semble que le « choc » des images l’emporte largement sur le « poids des mots ». De
plus la culture de la violence verbale née de la surenchère dans la volonté de puissance a gagné
insidieusement le domaine du langage au point que, dans leurs excès, ce sont aussi les mots qui
peuvent tuer sur les réseaux sociaux. Quel est désormais le poids de la littérature dans ce combat
plus que jamais d’actualité, le respect de toute vie ?
Bac de français 2018 Corrigé de la dissertation (séries technologiques) La poésie vise-t-elle
seulement à idéaliser le quotidien ? Votre argumentation s’appuiera sur les textes du corpus, les
textes étudiés en classe et vos lectures personnelles.
Introduction :
Accroche : Spontanément, quand nous entendons le mot poésie, nous concevons à la fois une
forme et des expériences assez éloignées de notre vie quotidienne. Les poèmes gentillets appris à
l’école primaire, les grandes effusions lyriques qui ont pu nous séduire à l’adolescence, les
constructions ésotériques qui sont nées depuis la seconde moitié du XIXe siècle peuvent nous
paraître incompatibles avec la banalité et le matérialisme de nos existences. D’ailleurs lisons-nous
encore de la poésie aujourd’hui ?
Copie du sujet : C’est pourquoi nous pouvons nous demander si une telle réserve n’aurait pas ses
origines dans une poésie qui viserait seulement à idéaliser le quotidien.
Problématique : Idéaliser, c’est déformer ce que nous vivons habituellement par embellissement,
recherche de l’extraordinaire, transformation de ce que nos sens nous font expérimenter. La
poésie est-elle alors cette paire de lunettes qui permet de voir le seul beau côté de la réalité ?
Accessoirement nous trompe-t-elle en privilégiant la beauté au détriment de la vérité ?
Annonce du plan : 1re formule : Nous examinerons d’abord en quoi les poètes se sont
spontanément tournés vers les aspects les plus attirants de l’existence. Ensuite nous analyserons
comment, dans un souci de faire évoluer les conditions de vie, certains se sont focalisés sur les
comportements les moins reluisants de nos sociétés. Enfin nous verrons que, dans tous les cas de
figure, leur projet a dû puiser dans la force expressive et les fonctions poétiques du langage. 2de
formule : Si les poètes se sont spontanément tournés vers les aspects les plus attirants de
l’existence, certains se sont cependant focalisés sur les comportements les moins reluisants de nos
sociétés. Dans tous les cas de figure, en définitive leur projet a dû puiser dans la force expressive
et les fonctions poétiques du langage.
Transition : Pourtant la poésie n’a pas toujours cherché à ne retenir que le beau côté des choses,
les ravissements amoureux, le rêve à partir du quotidien, voire l’échappée belle dans l’espace ou
le temps.
Conclusion :
Résumé de l’argumentation : D’une manière générale, la poésie s’est spontanément tournée
vers les aspects du monde attirants. Il est vrai que la célébration de l’être aimé, les spectacles
grandioses offerts par la nature, les sortilèges du rêve ont beaucoup inspiré. Pourtant, surtout à
partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, des poètes ont revendiqué un intérêt certain pour les
aspects les moins reluisants de nos existences. Ils ont voulu dénoncer de mauvaises conditions de
vie, des excès ou des injustices. Au même moment, dans leur révolte contre une idéalisation
devenue conventionnelle, certains se sont targués d’élever la laideur au rang d’art, ou du moins de
concevoir un culte du « bizarre ». Si les écrivains ont trouvé leur inspiration dans des domaines si
contrastés, leur choix n’a pas suffi à produire des textes poétiques. Pour continuer de captiver par
l’idéalisation, ou pour surmonter les réticences des lecteurs à fréquenter les aspects insoutenables
de l’existence, les auteurs ont dû recourir aux fonctions poétiques de la langue : ils ont recherché
l’expressivité en convoquant les émotions, ils ont usé des connotations, des figures d’image et de
la musicalité pour amplifier notre manière de percevoir et de comprendre.
Ouverture (facultative) : Idéaliser, rapetisser et dénigrer, inverser les valeurs nous font
immanquablement penser à l’optimisme et au pessimisme. G. K. Chesterton dans Orthodoxie
affirmait : « Un optimiste est un homme qui regarde vos yeux ; un pessimiste, un homme qui
regarde vos pieds. » L’excès d’idéalisme romantique a pu décevoir ; l’idéologie réaliste a
ridiculisé les enthousiasmes ; la poésie s’est égarée dans des voies sans issue au risque de devenir
illisible. De plus, au XXe siècle les conflits mondiaux puis les dérives génocidaires des dictatures,
le matérialisme économique égoïste ambiant ont, semble-t-il, achevé l’idéalisation et engendré la
crise des valeurs. C’est pourquoi nous sommes entrés dans l’ère du doute généralisé, devenant
des infirmes affectifs. Nous attendons les écrivains qui pourront simplement nous redonner espoir
et goût pour la vie.
Bac de français 2017 Corrigé de la dissertation (séries S et ES)
Sujet : Le personnage de roman se construit-il exclusivement par son rapport à la réalité ? Vous
appuierez votre réflexion sur les textes du corpus, sur les œuvres que vous avez étudiées en classe
et sur vos lectures personnelles.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’un corrigé mais plutôt d’une réflexion organisée sur les
rapports que le romancier entretient avec sa réalité romanesque pour faire évoluer ses
personnages.
Introduction : Marthe Robert dans Roman des origines, origine du roman écrit : « À strictement
parler, en effet, […] la réalité romanesque est fictive, ou plus exactement, c’est toujours une
réalité de roman, où des personnages de roman ont une naissance, une mort, des aventures de
roman. […] Le degré de réalité d’un roman n’est jamais chose mesurable, il ne représente que la
part d’illusion dont le romancier se plaît à jouer. » Dans ces conditions est-il légitime de se
demander si le personnage de roman se construit exclusivement par son rapport à la réalité ? En
fait la question pourrait être reformulée de la manière suivante : à l’intérieur de la fiction
romanesque, quel rôle joue la pseudo réalité dans la construction du personnage ? C’est bien cette
illusion romanesque en abyme qui doit nous intéresser ici. Quelle part d’imitation de la réalité,
dans l’illusion romanesque de principe, aide le personnage à devenir lui-même aux yeux du
lecteur l’illusion crédible d’un personnage réel ?
Conclusion :
Nous sommes obligés d’accepter avec Marthe Robert que tout roman est par essence une fiction
dont les personnages n’ont pas plus d’épaisseur que l’encre qui a servi à les coucher sur le papier.
Ce postulat admis, il se trouve que nombre de ces créatures de papier savent nous rejoindre, nous
émouvoir, retenir notre attention au point que nous ne les oublions plus. Pour habiter durablement
notre imaginaire, ils doivent avoir une histoire qui nous captive. C’est dans leur évolution, leur
trajectoire que ces héros prennent une consistance marquante. Ce processus est particulièrement
soigné par les grands écrivains parce qu’ils vivent par procuration au travers de leurs créatures,
soit parce qu’ils les fabriquent avec leur expérience, soit parce qu’ils explorent des potentialités
inassouvies. Le rapport à la réalité et au rêve est fondamental dans cette construction des
personnages. En parodiant Épictète, le romancier pourrait s’adresser à son personnage dans les
termes suivants : « Ton affaire, c’est de jouer correctement le personnage qui t’a été confié ;
quant à le choisir, c’est celle d’un autre. » Ce rapport entre réalité extérieure et intérieure,
objective et subjective prend des formes extrêmement variées qui balaient un spectre depuis les
échanges jusqu’à la substitution en passant par l’exclusion, le refus ou la confusion. Cette
construction du personnage reste finalement un atout de premier plan dans le projet artistique du
vrai romancier. C’est par elle que le lecteur peut s’identifier au personnage romanesque. En
détournant malicieusement le propos de Malraux nous pouvons affirmer que « le tombeau des
héros est le cœur des vivants. »