Il peut être difficile de distinguer la simple agitation de l'hyperactivité infantile. Des
hypothèses sur cette pathologie tentent d'en comprendre les mécanismes, pour mieux envisager sa prise en charge. Que n'a t-on dit, pensé, écrit ou vu sur l'hyperactivité infantile ? Rares sont les manifestations cliniques de l'enfant à avoir suscité autant de débats parmi la communauté scientifique. Pure fiction de l'esprit pour les uns, entité tangible et incontournable pour les autres, le concept d'hyperactivité a donné lieu aux polémiques les plus acharnées et ne cesse encore aujourd'hui de diviser les spécialistes du monde de l'enfance. Il faut dire que ce trouble est emblématique à plusieurs titres, tant par ses causes (pathologie de nature purement neurobiologique ou d'origine psychoaffective ?) que par ses implications sociales (quelle est la part des événements de vie dans le déterminisme du trouble ?), éthiques (est- il opportun de traiter ces enfants en pleine croissance par des psychostimulants ?), mais aussi éducatives (quels aménagements scolaires peut-on proposer à ces enfants ?), voire politiques (quelles mesures prendre en termes de santé publique et de politique éducative ?). Il reste toujours aujourd'hui à fournir un modèle suffisamment cohérent de l'hyperactivité de l'enfant, susceptible d'intégrer ou de rendre compte de la plupart des manifestations cliniques rencontrées au cours de l'évolution de cette pathologie. L'analyse objective et contradictoire des principaux travaux actuellement disponibles permet néanmoins d'esquisser une première tentative de réponse à ces diverses questions de fond.
État des lieux...
« Je n'en peux plus », « il est infernal », « il n'arrête jamais », « il me pousse à bout »... Quel parent n'a jamais tenu au moins une fois ces propos ou ne les a entendu de la bouche d'une enseignante ou d'un de ses proches. Si le plus souvent les frasques reprochées aux jeunes enfants rentrent dans le cadre d'une turbulence naturelle qui devrait s'estomper rapidement avec l'âge, dans un nombre limité de cas, celles-ci présagent d'un trouble sévère dont les conséquences négatives sont maintenant clairement reconnues. Comment distinguer, cependant, une simple fébrilité motrice d'une hyperactivité franchement excessive et à risque ? Avant l'âge de 5 ans, il n'est pas aisé de répondre à cette question. Certaines caractéristiques de l'instabilité psychomotrice doivent néanmoins alerter. Par exemple, son côté quasi invariant et désordonné, quel que soit l'endroit, le moment de la journée ou l'interlocuteur de l'enfant. Outre l'agitation, ces enfants sont gênés aussi par l'impulsivité et le manque de contrôle de leurs gestes et de leurs réactions émotionnelles, lesquels ne font qu'accentuer l'irritation de l'adulte ou de leurs camarades. Il faut citer également, la labilité de leur attention, se traduisant entre autre par de nombreux oublis ou des fautes d'étourderie, qui va toujours contrarier aussi bien leur intégration que leur investissement scolaire. Plus que l'intensité, fonction de la tolérance de chacun, c'est principalement le caractère non canalisable et permanent de ces perturbations du comportement et la spirale des répercussions sur la vie quotidienne de l'enfant et de son entourage qui vont signer l'aspect nettement pathologique de l'hyperactivité. On a longtemps voulu faire de ce trouble un véritable mythe, une sorte de fiction idéologique créée de toutes pièces pour justifier la prescription de drogues à des enfants dont le comportement turbulent gêne l'adulte. Deux raisons au moins concourent à cette vision des faits. D'une part, l'essor inquiétant de la prescription de psychotropes, constaté aux Etats- Unis ces dix dernières années, chez les jeunes enfants. D'autre part, l'augmentation très nette ressentie par nombre de médecins - qu'ils soient spécialisés ou non - de la demande de consultation pour ce motif. Lorsqu'on se place dans une perspective historique, la situation apparaît beaucoup plus nuancée. L'hyperactivité, comme on a pu le croire, n'est pas un trouble d'apparition récente, ayant soudainement fait effraction dans le champ de la psychopathologie de l'enfant. Loin s'en faut, puisque l'on trouve les premières descriptions cliniques détaillées de cette affection dès la fin du xixe siècle. Plus tard, l'ouvrage d'Henri Wallon sur L'Enfant turbulent (1925), ou encore celui de Jadwiga Abramson sur L'Enfant et l'Adolescent instables (1940) ouvriront de manière remarquable le débat sur le versant psychique et moteur de l'hyperactivité pathologique. Débat qui depuis ne s'est jamais refermé et qui contribue à faire de l'hyperactivité l'une des pathologies les plus étudiées à ce jour. Plus récemment, concernant « l'épidémie » actuelle d'enfants instables, là encore, les dernières études permettent de relativiser les choses. Celles-ci donnent, en effet, des chiffres relativement stables - de l'ordre de 3 à 5 % de la population d'âge scolaire - pour ces deux dernières décades, et ceci en dépit des différences culturelles ou des pratiques médicales des pays d'origine. La cause de cette apparente augmentation du nombre d'enfants hyperactifs apparaît, en partie, liée à l'amélioration des moyens de diagnostic, au dépistage plus précoce des enfants dits « à problèmes » mais surtout à la large médiatisation qu'a connu le concept d'ADHD (pour attentionnal deficit and hyperactivity disorder/trouble d'hyperactivité avec déficit attentionnel), du fait de la vive polémique qui a rapidement divisé les spécialistes sur son origine. En effet, cette pathologie a su cristalliser, peut-être plus que toute autre, la séparation entre les défenseurs de la cause du « tout- psychologique » face à ceux du « tout-organique ». Pour les premiers, l'hyperactivité ne serait qu'une des multiples facettes comportementales à laquelle un enfant peut avoir recours pour exprimer un conflit affectif - intérieur ou avec son entourage - et se défendre vis-à-vis de lui. Considérée comme un symptôme, l'hyperactivité ne pourrait alors se comprendre que de manière dynamique et globale, en référence à l'organisation psychique de l'enfant et à l'évolution de ses modalités relationnelles avec son entourage. Pour les seconds, au contraire, l'hyperactivité doit être considérée comme une maladie à part entière, c'est-à-dire comme un syndrome autonome et spécifique, dépendant essentiellement de perturbations neurobiologiques sous-jacentes. Ces profondes divergences de points de vue n'empêchent pas toutefois, sur le plan descriptif, une certaine ressemblance des manifestations cliniques mais impliquent en pratique des approches diagnostiques et thérapeutiques nécessairement distinctes. Ceci étant, à quel niveau se situe aujourd'hui le débat étiologique sur l'hyperactivité infantile ? Force est de constater qu'en dépit de l'important effort de recherche mis en place, les mécanismes à l'origine de ce trouble restent encore, et pour une bonne part, obscurs. Ce que l'on peut néanmoins assurer au vu des travaux scientifiques disponibles, c'est qu'il n'est désormais plus possible de limiter la compréhension de l'hyperactivité à la faveur d'un modèle - psychoaffectif ou organique - à l'exclusion de l'autre, tant l'intrication et les interactions entre déterminants internes ou externes à l'enfant semblent importantes et complexes. Face à ce constat, de plus en plus d'auteurs s'accordent au contraire pour reconnaître aujourd'hui l'intérêt d'appréhender l'hyperactivité à travers cette double perspective. L'avantage de ce nouveau point de vue est qu'il paraît bien plus conforme à la réalité clinique du trouble, et permet surtout une vision plus globale, moins réductrice du fonctionnement de l'enfant instable. Il offre, de plus, la possibilité de mieux rendre compte de l'évolution, aussi bien des troubles liés à l'incontinence motrice (impulsivité et déficit attentionnel) que des manifestations fréquemment associées (troubles anxieux et de l'humeur ; troubles des apprentissages ; troubles oppositionnels et/ou des conduites). Dès lors, il semblerait plus judicieux de situer l'hyperactivité sur un continuum s'étendant entre deux extrémités : l'une correspondant aux formes dites « secondaires » apparaissant en réaction à un conflit affectif de l'enfant, le plus souvent avec son entourage ; l'autre correspondant aux formes dites « primaires » et admettant dans leur genèse des facteurs de nature principalement neurobiologique (voir l'encadré p. 37). D'aucuns pourraient être tentés de voir, néanmoins, dans ce rapprochement, au mieux une sorte de conciliation facile, tendant à diluer plus qu'à dépasser les oppositions anciennes, au pire la construction d'un éclectisme factice, et somme toute, édulcoré. Sauf à rester figer dans nos préjugés, nous ne le pensons pas. Pathologie de l'agir et du corps, l'hyperactivité entrave aussi le sujet dans son désir d'accomplissement, tout comme elle atteint l'autre en attaquant perpétuellement les liens qui les unissent. En cela, elle est à la fois une pathologie de l'adaptation et de la relation, dont on ne peut minimiser la dimension affective. En même temps, comment ne pas tenir compte de l'analogie frappante entre les troubles comportementaux présentés par ces enfants et ceux observés chez d'autres, victimes de lésions cérébrales du lobe frontal (à l'avant du cerveau), de même que du formidable corpus empirique apporté par les neurosciences à la connaissance des relations cerveau-esprit ? Par l'étendue des questions que suscite la rencontre avec ces enfants, par les enjeux diagnostiques et thérapeutiques qu'elle soulève, l'hyperactivité défie et brouille les cadres habituels de lecture « psy » tout autant que « médicaux ». En cela, elle nous oblige à la nécessité de faire évoluer les différentes approches des faits cliniques et à rechercher les zones de complémentarité entre leurs champs d'application respectifs, tout en reconnaissant à chacune ses limites.
Le rôle des psychostimulants
La meilleure illustration de ce propos est, sans nul doute, représentée par le dialogue qui s'est instauré depuis peu entre les cliniciens soucieux de décoder, avant tout, la logique des désordres apparents du comportement de l'enfant et par conséquent d'en révéler le sens, et les chercheurs cognitivistes (voir l'encadré ci-contre), dont l'ambition est d'expliquer les conditions de production des multiples troubles présentés par l'enfant hyperactif. Si nous pouvons attendre de ce rapprochement une vision plus claire de l'hyperactivité dans ses diverses dimensions, il serait également louable de pouvoir disposer, à terme, de retombées pratiques tant sur le plan du repérage diagnostique que des prises en charge individuelles. Pour l'heure et à défaut, la formidable hétérogénéité des situations cliniques sur lesquelles débouche l'hyperactivité infantile devrait au moins nous inviter à pratiquer chez ces enfants une analyse complète et pluridisciplinaire de leurs difficultés. La situation en France est cependant loin d'être aussi uniforme, comme l'ont très bien montré M.C. Saiag et A.S. Poisson-Salomon dans une étude réalisée en 1995 sur cinq services de psychiatrique infanto-juvénile de l'Assistance publique de Paris. Plus que la persistance des divergences d'opinion théorique, ce travail a mis en avant la disparité d'accès aux soins spécifiques auxquels l'enfant hyperactif peut prétendre, en particulier pour ce qui est du traitement amphétaminique par Ritaline en cas de trouble primaire avéré. En effet, si les instabilités d'origine psychoaffective justifient - par nature - un soin psychologique, le syndrome ADHD impose une prise en charge globale de l'enfant, associant selon une hiérarchisation personnalisée, des mesures d'ordre psychologique, éducatif, pédagogique mais aussi et souvent chimiothérapeutique. Pour ce qui est de l'aide médicamenteuse, qu'il s'agisse d'un psychostimulant ou plus généralement de tout autre psychotrope, la question du soin chimique a toujours suscité - elle aussi - de vives polémiques, en raison de préjugés négatifs et tenaces. Ceux-ci sont essentiellement liés à la crainte de l'instauration rapide, mais jusqu'ici non démontrée, d'une dépendance au produit consommé. Là encore, la place de la prescription dans la pratique quotidienne varie énormément en fonction de la spécialité du prescripteur (pédiatre, neuropédiatre, pédopsychiatre) et de ses options idéologiques ou éthiques. Cela dit, et s'il s'avère fondamental de garder à l'esprit que toute prescription de psychotropes chez l'enfant est loin d'être un acte anodin et dénué de conséquences - surtout lorsqu'il s'agit d'un psychostimulant comme ici, pour la Ritaline -, il n'en reste pas moins important de reconnaître aussi leurs actions positives. Cette vision plus nuancée permet d'envisager leur utilisation à bon escient et d'éviter de priver un enfant de leurs possibles effets bénéfiques, en terme de confort d'adaptation.
Aménagements et accompagnements scolaires
En dépit du procès qui lui est fait, la Ritaline a indéniablement apporté la preuve de son efficacité dans l'amélioration des troubles comportementaux de l'enfant hyperactif, en rapport avec l'impulsivité et les difficultés liées à l'attention. Si cette aide médicamenteuse - aux conditions de délivrance strictes et contrôlées - constitue un point d'appui important, elle ne saurait représenter la solution miraculeuse et unique à tous les problèmes de l'enfant hyperactif. Encore une fois, celle-ci n'a d'intérêt qu'en renforçant l'impact des autres mesures thérapeutiques à mettre en oeuvre, notamment pour ce qui est des aménagements scolaires auxquels ces enfants devraient légitimement avoir droit. Dans ce domaine, eu égard à l'augmentation croissante des besoins et malgré la bonne volonté de la plupart des enseignants et des Réseaux d'aide spécialisés pour l'enfance en difficulté (Rased), on ne peut que déplorer le peu de moyens mis à disposition par l'Education nationale. En effet, si l'on tient compte de l'ensemble des enfants à besoin spécifique - qu'il s'agisse d'enfants souffrant de trouble dyslexique, dysphasique, attentionnel ou plus paradoxalement d'enfants précoces (1) -, on arrive à un taux de prévalence avoisinant 17 % ! Rapporté à un effectif moyen d'environ 25 élèves par classe de primaire, cela fait plus de 4 élèves par classe susceptibles d'être concernés par ces difficultés, tant au niveau des apprentissages que celui de l'insertion relationnelle et socioprofessionnelle. Dans une logique de dépistage et de prise en charge, cela représente un coût non négligeable (estimé aux Etats-Unis à plus de 30 000 F par enfant souffrant d'ADHD) dont notre système politique actuel ne peut plus faire décemment l'économie. On comprend mieux dès lors l'urgence à ce que l'enfant souffrant d'hyperactivité pathologique en particulier, ou plus généralement d'autres troubles spécifiques des fonctions instrumentales, soit reconnu comme une véritable préoccupation de santé publique, à l'instar de nos voisins européens et de la majorité des pays anglo-saxons. Bien que la prise de conscience du ministère de l'Education nationale et du secrétariat d'Etat à la Santé puisse être considérée comme tardive, il faut néanmoins souligner la réflexion qui a été engagée par ces deux administrations autour des troubles spécifiques de développement du langage oral, laquelle a débouché au mois de mars dernier sur un plan d'action dont nous pouvons espérer qu'il améliorera le sort de ces enfants. De là, à souhaiter que cette reconnaissance, consentie aux enfants dyslexiques ou dysphasiques, puisse toucher également à terme l'enfant hyperactif, il n'y a qu'un pas... que plusieurs experts voudraient voir franchir.