Sunteți pe pagina 1din 16

PRATIQUE DE LA STRUCTURE : LE DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL SELON

L'ENSEIGNEMENT DE JACQUES LACAN

Silvia Lippi

ERES | « Cliniques méditerranéennes »

2014/2 n° 90 | pages 201 à 216


ISSN 0762-7491
ISBN 9782749241838
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2014-2-page-201.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour ERES.


Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES


© ERES. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


Cliniques méditerranéennes, 90-2014

Silvia Lippi

Pratique de la structure :
le diagnostic différentiel
selon l’enseignement de Jacques Lacan

La clinique psychanalytique n’est ni descriptive ni phénoménologique,


mais structurale. Le concept de structure a évolué en psychanalyse, depuis
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES


les premières indications freudiennes jusqu’à la pratique lacanienne. La
structure n’est pas un modèle théorique, c’est une sorte de machine originale
qui met en scène le sujet dans le champ de l’expérience 1.
En 1967, Lacan affirme que la pratique du psychanalyste doit « s’égaler
à la structure 2 ». En premier lieu, parce que la question du diagnostic en
psychanalyse est fondée sur la notion de « structure clinique ». Ensuite parce
que la structure, comme nous le verrons, détient un rapport tout à fait spécial
avec le signifiant, qui, depuis Freud, marque la spécificité du travail analy-
tique. La structure ordonne l’ensemble des effets produits par le langage :
elle se montre, écrit Lacan, dans « les effets que la combinatoire pure et
simple du signifiant détermine dans la réalité où elle se produit 3 ».

Silvia Lippi, docteur en psychologie, chercheur associé au crpms (ea 3522), université Denis Diderot
– Paris VII, psychologue hospitalière titulaire (établissement public de santé Barthélémy-Durand),
psychanalyste, 113 boulevard Voltaire, F-75011 Paris – slippi@club-internet.fr
1. Pour Deleuze, « le structuralisme a raison de rappeler que forme et matière n’ont de portée
que dans les structures originales et irréductibles où elles s’organisent ». G. Deleuze, Logique du
sens, Paris, Les Éditions de Minuit, 1969, p. 113.
2. J. Lacan, « La méprise du sujet supposé savoir » (1967), dans Autres écrits, Paris, Le Seuil,
2001, p. 338.
3. J. Lacan, « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache » (1960), dans Écrits, Paris, Le Seuil,
1966, p. 649.

Cliniques méd. 90.indd 201 03/10/14 13:44


202 Cliniques méditerranéennes 90-2014

La question du diagnostic 4 en psychanalyse rélève d’« un effet du


transfert 5 ». Un diagnostic structural n’est pas différent du travail normal
de la cure, c’est-à-dire de sa direction. Diriger une cure en tenant compte de
la structure du sujet veut dire savoir ce qui se passe dans le transfert, savoir
reconnaître la position dans laquelle le dire de l’analysant met l’analyste.
Cela n’est pas que, depuis un lieu tiers, l’analyste contemple le phénomène
du transfert agencé par la parole du sujet : nous sommes loin de l’observation
des troubles du patient telle que la pratique la psychiatrie 6, loin de l’analyse
du comportement d’une certaine psychologie, et de la technique empathique
de la psychothérapie relationnelle. Dans l’appoche structurale, l’analyste
est inclus dans la structure déployée par le dire de l’analysant. Comme
l’écrivent Roland Gori et Marie-José Del Volgo, « [La] valeur et [la] fonction
[du symptôme en psychanalyse] ne prennent tout leur sens qu’au sein d’une
situation clinique dont le praticien ne s’exclut pas et qui l’implique jusques
et y compris dans “l’observation”. Il y prend doublement sa part en tant
qu’interlocuteur auquel le discours s’adresse et en tant qu’“auditeur” limité
dans son écoute par les effets que le discours du patient produit sur lui 7 ».
Lacan, à partir de la linguistique et de l’anthropologie structurales, a su
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES


donner à la notion de structure une spécificité qui la distinguera de toute
autre conception, ce qui lui permettra aussi de séparer la clinique psycha-
nalytique des autres pratiques de soins. Nous verrons les différentes étapes
de cette évolution, en examinant les successives approches de Lacan, tout au
long de son enseignement.

De la structure du cristal à la structure du langage

En 1954, dans son séminaire Les psychoses, Lacan montre à quel point il
importe, pour toute démarche qui vise à la rigueur scientifique, de se déta-
cher du phénomène, pour appréhender, au-delà de celui-ci, les constantes
structurales décelées au cours de la prise en compte de la parole du sujet.
Il écrit : « L’enseignement freudien, en cela tout à fait conforme à ce qui se
produit dans le reste du domaine scientifique […] fait intervenir des ressorts
qui sont au-delà de l’expérience immédiate, et ne peuvent nullement être

4. Ou du « diagnose », selon le terme utilisé par François Perrier. R. Gori et M.-J. Del Volgo, La
santé totalitaire. Essai sur la médicalisation de l’existence, Paris, Denoël, 2005, p. 229. Roland Gori et
Marie-José Del Volgo expliquent que François Perrier voulait distinguer radicalement le champ
psychanalytique du champ médical.
5. Ibid.
6. Ibid., p. 228. R. Gori et M.-J. Del Volgo précisent : « […] quand la cure est installée, l’analyste
se trouve inclus dans le scénario de la souffrance de l’analysant, de ses discours, au sein
d’un dialogue où il passe de la position de témoin à celle de partie prenante. Exit la position
d’observateur psychiatrique. »
7. Ibid., p. 228.

Cliniques méd. 90.indd 202 03/10/14 13:44


Pratique de la structure 203

saisis d’une façon sensible. Là, comme en physique, ce n’est pas la couleur
que nous retenons, dans son caractère senti et différencié par l’expérience
directe, c’est quelque chose qui est derrière, et qui la conditionne 8. »
Freud, en 1938, parle d’une différence « d’ordre topique ou structural »
entre la névrose et la psychose 9, mais il utilise la notion de structure déjà
en 1933, dans sa métaphore du cristal : « Si nous jetons un cristal par terre,
il se brise (Zerlegung), mais pas n’importe comment, il se casse suivant ses
directions de clivage en des morceaux dont la délimitation, bien qu’invi-
sible, était cependant déterminée à l’avance par la structure du cristal. Des
structures fêlées et fissurées de ce genre, c’est aussi ce que sont les malades
mentaux 10. » La structure est à l’origine de la cassure – « clivage » dit Freud
– dans le cristal : l’analogie est vite faite entre le cristal et le sujet.
Zerlegung équivaut à « structure brisée » : il y a un ordre en même temps
qu’une brisure interne qui la constitue ; ainsi le cristal se brise-t-il selon les
lignes des failles qui le structurent 11.
Rappelons qu’une certaine approche de la structure avait déjà été envi-
sagée par les phénoménologues et certains représentants de la psychiatrie
classique. Selon Sérieux et Capgras, « on ne saurait plus s’appuyer, pour
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES


établir l’autonomie d’une psychose, sur la seule couleur des idées délirantes ;
il faut étudier le groupement spécial des symptômes et l’évolution tout
entière des troubles morbides ; enfin, autant qu’il est possible en l’état actuel
des connaissances psychiatriques, il faut tenir compte de leurs causes et de
leur genèse 12 ». Et Binswanger, représentant de la phénoménologie psychia-
trique, soutient que « la mise en évidence de la similarité des traits particu-
liers structurels à partir du renvoi à l’articulation de la structure d’ensemble,
c’est tout autre chose que l’explication d’un symptôme à partir d’un autre, ou
sa reconduction théorétique à un ensemble scientifico-théorétique, comme
par exemple celui de syndrome psychopathologique 13 ».
Toutefois, l’approche de Binswanger ne se situe pas sur le même plan
que celle de Lacan. Binswanger vise à la compréhension 14 de la structure

8. J. Lacan, Le séminaire, Livre III, Les psychoses (1955-1956), Paris, Le Seuil, 1981, p. 16.
9. S. Freud, Abrégé de psychanalyse (1938), Paris, Puf, 1985, p. 80.
10. S. Freud, « XXXe Conférence. La décomposition de la personnalité psychique » (1933), dans
Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, coll. « nrf », 1984, p. 82-83.
11. Un exemple de « structure brisée » en architecture : le palais des Diamants à Ferrare.
12. P. Sérieux et J. Capgras, Analectes, Les folies raisonnantes, Paris, Félix Alcan, 1909, p. 6.
13. L. Binswanger, Sur la fuite des idées (1933), Grenoble, Million, coll. « Krisis », 2000, p. 47.
Souligné par nous.
14. J. Lacan, Les psychoses, op. cit., p. 163. Il écrira encore en 1956 : « Gardez-vous de
comprendre ! » J. Lacan, « Situation de la psychanalyse et formation du psychanalyste en 1956 »
(1956), dans Écrits, op. cit., p. 471. Et il affirmera en 1967 : « [La psychanalyse s’oriente] dans le
répérage de la non-compréhension », et c’est davantage, souligne-t-il, sur « le terrain de la fausse
compréhension que quelque chose peut se produire qui soit avantageux dans l’expérience

Cliniques méd. 90.indd 203 03/10/14 13:44


204 Cliniques méditerranéennes 90-2014

d’ensemble, tandis que Lacan se concentre sur l’énonciation, qui fera la spéci-
ficité du sujet.
Dans Les psychoses, Lacan définit la structure comme « un groupe d’élé-
ments formant un ensemble covariant 15 ». Il précise qu’un ensemble n’est
pas une totalité, à moins qu’on ne se réfère à une totalité fermée : « La notion
de totalité n’intervient que si nous avons affaire à une relation close avec un
correspondant, dont la structure est solidaire 16. » Mais dans cette relation
close, il peut y avoir « une relation ouverte, que nous appellerons de supplé-
mentarité 17 ». L’ensemble s’ouvre ou se ferme, continue Lacan : « Dans
l’analyse structurale, nous trouvons, comme dans l’analyse du rapport du
signifiant et du signifié, des relations de groupes fondées sur des ensembles,
ouverts ou fermés, mais comportant essentiellement des références réci-
proques 18. » D’après Michel Bousseyroux, il ne s’agit pas « de distinguer le
tout limité du tout illimité », mais de « distinguer les ensembles fermés, qui
incluent leurs limites, des ensembles ouverts, qui excluent leurs limites 19 ».
La structure est donc un ensemble fermé qui inclut sa limite et qui admet une
supplémentarité, c’est-à-dire une relation ouverte. Par exemple, l’usage de
l’équivoque, dans la cure – explique B. Toboul – « est susceptible de produire
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES


[…] de l’ouvert propre au recouvrement du parasite phallique 20 ».
« La structure, c’est le réel 21 », dira Lacan en 1968, au sens qu’il y a, dans
la structure, une « convergence vers une impossibilité 22 ». La structure bute
sur un impossible : l’impossible comme jouissance interdite, l’impossible du
rapport sexuel. Cet impossible est la cause du discours : « Ce que je dis pose
la structure parce que ça vise, comme je l’ai dit la dernière fois, la cause du
discours lui-même 23 », continue Lacan. Le savoir inconscient tourne autour

analytique ». J. Lacan, « La psychanalyse et la formation du psychiatre » (1957), Conférence au


Cercle d’études psychiatriques à Sainte-Anne, le 10 novembre 1957, inédit.
15. J. Lacan, Les psychoses, op. cit., p. 207. En théorie des probabilités et en statistique, la
covariance est un nombre permettant d’évaluer le sens de variation de deux variables et ainsi
de qualifier l’indépendance de ces variables.
16. Ibid.
17. Ibid., p. 207-208.
18. Ibid., p. 208.
19. M. Bousseyroux, Au risque de la topologie et de la poésie. Élargir la psychanalyse, Toulouse,
érès, coll. « Point Hors Ligne », 2011, p. 52. M. Bousseyroux commente les passages de Lacan
dans Encore, sur le « tout-phallique », ensemble fini qui, à partir de sa limite, s’ouvre sur le
« pas-tout » de la jouissance féminine. J. Lacan, Le séminaire, Livre XX, Encore (1972-1973), Paris,
Le Seuil, 1975, p. 15.
20. B. Toboul, « Le principe de jouissance », dans Collectif, Le langage, l’inconscient, le réel, Paris,
Césures, Éd. du Champ lacanien, 2012, p. 35.
21. J. Lacan, Le séminaire, Livre XVI, D’un Autre à l’autre (1968-1969), Paris, Le Seuil, 2006, p. 30.
Il dira en 1972 dans « L’étourdit » : « La structure, c’est le réel qui se fait jour dans le langage. »
J. Lacan, « L’étourdit » (1972), dans Autres écrits, op. cit., p. 33.
22. J. Lacan, D’un Autre à l’autre, op. cit., p. 30.
23. Ibid.

Cliniques méd. 90.indd 204 03/10/14 13:44


Pratique de la structure 205

de cette jouissance impossible qui est la cause du discours. Autrement dit,


autour de la chose refoulée. Et ce refoulement implique un sujet, sujet comme
manque, soumis à la castration, et qui n’existe que représenté 24.
Dans la rencontre avec l’impossible, discours et structure se lient indis-
solublement, ce qui avait déjà été souligné en 1955 par Lacan 25, à propos
du rapport entre structure et signifiant. Lacan montre comment, suivant la
conception structurale, on se détache de la prise en compte de la singularité
de l’élément – comme s’il était un système en soi, un tout à part –, pour s’atta-
cher aux relations qui existent entre les différents éléments des ensembles 26.
Les ensembles impliquent toujours des références réciproques, de même
qu’un signifiant va toujours en couple avec un autre 27 ; c’est aussi en ce sens
que la notion de structure et celle de signifiant sont inséparables 28.
L’inconscient est « structure » en tant qu’« effet du langage », et donc
lié au « postulat du signifiant », dira encore Lacan en 1974 : « […] la repré-
sentation, spécialement refoulée, ce n’est rien de moins que la structure et
précisément en tant que liée au postulat du signifiant 29. » La représentation
inconsciente de Freud, que Lacan appelle « structure », est le signifiant qui
inscrit, au niveau inconscient, le point de collision entre le langage et le réel,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES


le langage et le corps. Écriture de l’inconscient qui se manifeste à travers
ses formations : le rêve, le symptôme, dont la structure se condense dans le
fantasme, le mot d’esprit (Witz), le lapsus, l’oubli, l’acte manqué.

24. Rappelons que Lacan, dans son séminaire Problèmes cruciaux pour la psychanalyse (1964-1965),
définissait le sujet comme « suture d’une manque » : « Le sujet se refend d’être à la fois effet
de la marque et support de son manque. De là on aperçoit que l’être du sujet est la suture d’un
manque, […] mais en ceci ne le supporte que d'être ce qui manque au signifiant pour être l'Un
du sujet. » Lacan continue : « Soit ce terme que nous avons appelé dans un autre contexte le
trait unaire, la marque d'une identification primaire qui fonctionnera comme idéal. » J. Lacan,
Problèmes cruciaux pour la psychanalyse (1964-1965), séminaire inédit, version dactylographiée,
annexe 1 (résumé établi par Lacan et publié dans l’annuaire de l’École pratique des hautes
études, Problèmes cruciaux pour la psychanalyse). Pour tout approfondissement du concept de
« suture », voir J.-A. Miller, « La suture (éléments de la logique du signifiant) », Cahiers pour
l’analyse, Cercle d’épistémologie de l’École normale supérieure, vol. 1-2, janvier-février et mars-
avril 1966.
25. Lacan s’inspire de la linguistique de Jakobson.
26. D’après Foucault, « le structuralisme […] c'est l'effort pour établir, entre des éléments qui
peuvent avoir été répartis à travers le temps, un ensemble de relations qui les fait apparaître
comme juxtaposés, opposés, impliqués l'un par l'autre, bref, qui les fait apparaître comme une
sorte de configuration ». M. Foucault, « Des espaces autres », dans Architecture, mouvement,
continuité, n° 5, 1984.
27. Cela est en contradiction avec la classification du dsm établie à partir de l’isolement du
trouble.
28. J. Lacan, Les psychoses, op. cit., p. 208.
29. J. Lacan, Télévision (1973), Paris, Le Seuil, 1974, p. 38 (Lacan reprend la Lettre 52 de Freud à
Fliess). Lacan avait dit encore plus précisément dans « L’étourdit », en parlant du rapport entre
inconscient et langage, que « le langage […] n’y fait effet de rien d’autre que de la structure dont
se motive cette incidence du réel ». J. Lacan, « L’étourdit », op. cit., p. 490.

Cliniques méd. 90.indd 205 03/10/14 13:44


206 Cliniques méditerranéennes 90-2014

Le sujet est l’effet de la logique structurale signifiante. Cependant, c’est


grâce à cette prise du sujet dans la structure que celle-ci « s’active ». Autre-
ment dit, les notions de sujet et de structure sont indissociables : le sujet est,
d’un côté, déterminé par sa structure, tout en étant, de l’autre, responsable
de l’effet qu’il est 30. Si ce n’était pas le cas, une analyse ne pourrait en rien
changer, voire subvertir, le sujet. Comme nous le verrons par la suite, la
structure « bouge » – le sujet peut changer de position face à son fantasme –,
bien qu’elle ne puisse pas se modifier dans sa constitution.

La structure clinique

Covariance, limite, fermeture de l’ensemble, « ouverture » de la struc-


ture. Cela ne veut pas dire que la limite de chaque structure est labile, impré-
cise, ou, au contraire, que la structure implique un partage radical des types
cliniques. L’ensemble se ferme grâce à un élément qui lui échappe mais qui
lui fait limite, comme le montre la structure clinique : un sujet de structure
psychotique peut manifester des traits appartenant à d’autres structures
(phobie, masochisme, exhibitionnisme, etc.), structures avec lesquelles il
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES


entre en relation – comme un signifiant se lie avec un autre signifiant –
sans pour autant perdre l’appartenance à la structure d’origine (caractère
« ouvert » de la structure à partir de l’ensemble fermé).
Névrose, psychose et perversion sont les structures cliniques, selon
Lacan. Chaque structure a des mécanismes de défense et d’organisation
propres : refoulement pour la névrose, forclusion 31 pour la psychose et
déni 32 (ou désaveu) pour la perversion. Ces mécanismes déterminent la
structure du sujet, qui ne se déduit qu’a posteriori.
L’appartenance d’un élément à une structure dépend de son insertion
dans l’ensemble à partir de sa relation avec les autres éléments de l’ensemble.
Par exemple, le même symptôme peut apparaître dans des structures diffé-
rentes. Il ne suffit pas qu’un sujet délire pour qu’on le considère comme
psychotique ; le délire doit être mis en relation avec d’autres phénomènes
(hallucinations, troubles du langage, troubles dissociatifs, discordance, réti-
cence…), présents ou non dans la structure. Inversement, on ne peut pas

30. Pour paraphraser Freud, il choisit sa névrose, ou alors, comme l’écrivait Lacan sur les murs
de la salle de garde de l’hôpital Sainte-Anne, n’est pas fou qui le veut.
31. J. Lacan, « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose » (1957),
dans Écrits, op. cit., p. 558. Le terme « forclusion » est la traduction proposée par Lacan du
terme freudien Verwerfung, utilisé par Freud dans son texte sur Schreber : « Il n’était pas juste
de dire que le sentiment réprimé au-dedans fût projeté au-dehors ; on devrait plutôt dire,
nous le voyons à présent, que ce qui a été aboli (Verwerfung) au-dedans revient du dehors. »
S. Freud, « Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa (Le Président
Schreber) » (1911), dans Cinq psychanalyses, Paris, Puf, 1954, p. 315.
32. À ne pas confondre avec la dénégation, variante du refoulement névrotique.

Cliniques méd. 90.indd 206 03/10/14 13:44


Pratique de la structure 207

exclure un diagnostic de psychose lorsque celle-ci n’est pas avérée par un


déclenchement évident, ou lorsque le sujet ne présente pas les symptômes
classiques de cette structure.
Il est important de considérer la genèse du problème avant d’établir
un diagnostic, et surtout, il faut en saisir la fonction pour le sujet, qui sera
différente selon la structure d’appartenance de celui-ci. Par exemple, dans
l’hystérie, c’est le retour du refoulé qui peut provoquer un délire, alors que
le délire, dans la paranoïa, est une construction à partir du fantasme du
sujet, qui peut devenir, lorsqu’il se structure, une forme de guérison pour ce
dernier.
« Structure » n’est pas synonyme de « catégorie », ni de « système »,
ni de « syndrome 33 », ni de « classification », ni de « nosographie » : la
sémiologie psychiatrique, ainsi que le Manuel diagnostique et statistique des
troubles mentaux (dsm) 34, à la différence de la structure clinique, ne prennent
pas en considération la simultanéité psychique de l’inconscient, autrement
dit, la contradiction qui existe au niveau du fantasme, et qui divise le sujet
($). Les dernières éditions du dsm optent pour une conception déficitaire
du symptôme 35 ; en négligeant la dynamique conflictuelle du sujet, elles
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES


s’en tiennent à la simple classification des comportements. Par exemple,
le délire est classé par rapport à son contenu, en tant qu’« idée délirante »,
notion indéfinissable établie à partir de la présumée véridicité ou fausseté
du propos du sujet.
Pour visualiser la structure, Jean Clavreul utilise la bande de Mœbius
(figure 1). Il est facile de visualiser la bande de Mœbius dans l’espace, en
faisant subir une torsion d’un demi-tour à une bande de papier, puis en
collant les deux extrémités.

33. Groupement de symptômes et de signes liés à un état pathologique déterminé.


34. Il y a une différence substantielle, d’un point de vue épistémologique, entre le dsm et la
nosographie classique. Celle-ci est basée sur le principe de classification des sciences naturelles
des Lumières, en revanche, le dsm, qui peut être considéré comme une dégradation de la
nosographie classique, est une classification où le positivisme est poussé à l’extrême, et qui
se fonde exclusivement sur l’observation directe du trouble (desease), dans l’absence de toute
analyse du contexte extérieur, des causes, de la genèse et de l’évolution du trouble. D’après
Roland Gori et Marie-José Del Volgo, « les dsm […] tendent à faire de la souffrance psychique
un désordre (disorder), un trouble mental ». Pour tout approfondissement sur la question du
dsm voir R. Gori et M.-J. Del Volgo, La santé totalitaire. Essai sur la médicalisation de l’existence, op.
cit., p. 229-239.
35. Ibid., p. 227.

Cliniques méd. 90.indd 207 03/10/14 13:44


208 Cliniques méditerranéennes 90-2014

Figure 1. La bande de Mœbius

Pour Jean Clavreul, « les structures font plus que coexister. Elles s’inter-
pénètrent et se conditionnent les unes les autres, de telle sorte qu’un glis-
sement continu peut faire qu’on passe de l’une à l’autre comme en donne
l’image de la bande de Mœbius où l’envers et l’endroit peuvent aussi bien
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES


représenter la névrose que la perversion 36 ». La bande de Mœbius montre
la contradiction que l’espace est capable de soutenir. Les termes opposés
sont dans une continuité, car ils peuvent aussi s’identifier l’un à l’autre. La
contradiction prend ainsi un nouveau sens. Topologiquement, la contradic-
tion – et ainsi la structure – est un espace à trois dimensions, et non à deux 37 :
la torsion de la bande, en tant qu’espace de l’antinomie, de la rencontre des
opposés, constitue le troisième espace qui vient s’ajouter aux deux autres
surfaces en opposition entre elles.

Un exemple clinique : à propos du diagnostic structural


et de l’hystérie

Examinons un cas pour en exposer ses éléments cliniques à partir de


l’approche structurale. Il s’agit d’un sujet affecté d’une forme grave d’hys-
térie qui, en raison de sa symptomatologie particulière, avait été méconnue
par l’institution psychiatrique 38. Les violentes crises et somatisations hysté-

36. J. Clavreul, « Pourquoi parlons-nous de structure au sujet de la perversion ? », dans Le désir


et la loi, Paris, Denoël, 1987, p. 228.
37. Ce qui fera dire à Lacan que « structure » et « forme » ne sont pas la même chose. J. Lacan,
« Propos sur l’hystérie » (1977), Quarto, n° 2 (Supplément belge à La lettre mensuelle de l’École de
la cause freudienne), 1981.
38. La patiente avait été internée à l’hôpital psychiatrique pendant huit mois. C’était à sa sortie
qu’elle avait commencé à me voir au centre médico-psychologique.

Cliniques méd. 90.indd 208 03/10/14 13:44


Pratique de la structure 209

riques, avec allure délirante, sont souvent considérées comme des signes de
psychose. Les centres de soins (hôpitaux psychiatriques, centres de crises,
cliniques) accueillent aujourd’hui un grand nombre de sujets hystériques
pour des hospitalisations à répétition. Sommes-nous revenus à l’époque de
Bleuler, où l’hystérie, à partir de l’observation de ses signes extérieurs plus
éclatants, ne se distinguait pas de la schizophrénie ?
Bleuler rangeait certaines formes graves d’hystérie dans la catégorie de
la « schizophrénie 39 » (cette confusion est encouragée aujourd’hui par la
notion intermédiaire et aberrante de « psychose hystérique »). Une clinique
structurale permet d’éviter cette erreur, car elle ne se fonde pas sur le signe de
la pathologie pris dans sa singularité, ni sur une échelle de valeurs établie à
partir de la gravité du trouble. Le diagnostic structural s’établit, nous l’avons
vu, à travers la mise en relation des éléments cliniques, et selon la fonction
que les symptômes ont pour le sujet, suivant le mécanisme de défense qu’il
met en acte (refoulement, forclusion, déni).
Une femme d’une quarantaine d’années avait été hospitalisée à la suite
d’une crise identitaire qui avait pris une forme assez spectaculaire. Elle habi-
tait alors avec son frère, qui avait commencé à se montrer de plus en plus
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES


possessif, en particulier depuis qu’il allait parfois dormir chez sa copine,
laissant seule sa sœur la nuit. Quand il revenait, il lui arrivait parfois d’em-
brasser sa sœur sur la bouche, chose qu’il n’avait jamais faite auparavant.
Pour la patiente, la relation amoureuse de son frère et ses absences avaient
été une vraie libération : elle pouvait enfin respirer.
Allons avec ordre. La patiente avait déclenché une maladie neuromus-
culaire, une myasthénie auto-immune, lorsqu’elle avait quinze ans, après
avoir quitté le domicile paternel pour aller vivre dans un pensionnat : le
père, comme le frère par la suite, l’asphyxiaient. La myasthénie lui causait de
graves problèmes de respiration : la métaphore se fait symptôme somatique,
la parole du sujet se déplace sur le corps et l’affecte.
Cette patiente souffre de problèmes d’élocution et aux cordes vocales 40 :
le symptôme somatique se présente à la fois comme métaphore – de la parole
tue – et comme représentant du sujet, qui ex-siste 41 à travers son symptôme.

39. E. Bleuler, Dementia Praecox ou groupe des schizophrénies (1911), Paris, epel-grec, 1993.
40. Elle souffre aussi de faiblesse musculaire, de diplopie (vision double), de ptôsis (chute d’une
paupière), de dysarthrie et de différentes formes d’anomalie dans l’élocution, de troubles de la
déglutition et de botulisme. Ce sont les symptômes classiques de la myasthénie. Néanmoins, sa
maladie a toujours eu une allure un peu délirante : selon la patiente, il s’agit d’une myasthénie
atypique, car les symptômes décrits apparaissent et disparaissent, de façon inexplicable d’un
point de vue médical. Jusqu’à aujourd’hui, les médecins ne savent pas avec certitude s’il s’agit
d’une vraie myasthénie ou d’une maladie hypocondriaque avec des conséquences somatiques
importantes.
41. Le « dire » ex-siste au « dit » pour Lacan, autrement dit, l’énoncé occulte la vérité du désir,
mais le sujet de l’énonciation ex-siste à l’énoncé. Lacan affirme en 1972 : « Le dire de Freud

Cliniques méd. 90.indd 209 03/10/14 13:44


210 Cliniques méditerranéennes 90-2014

Cette femme disait aussi que, adolescente, elle avait subi des attouche-
ments de la part de son père, et qu’elle n’en avait jamais parlé à personne.
Elle avait pu s’en souvenir seulement lorsqu’une amie lui avait raconté un
viol qu’elle avait elle-même subi : on peut faire l’hypothèse qu’il s’agit, pour
notre patiente, de ce que Freud appelle une « contagion hystérique », forme
d’identification typique de la structure hystérique 42.
Un soir, son frère était revenu dormir à l’appartement et lui avait dit
quelque chose qui lui avait déplu. C’est alors que tout avait commencé. Une
fois le frère sorti de la maison, elle avait descendu tous les meubles sur le
trottoir et jeté les autres objets par la fenêtre. Parmi ceux-ci, il y avait ses
papiers d’identité : « Je voulais me libérer de moi-même – me dit-elle –, de
cette identité 43 voulue par ma famille, et qui m’opprime ! »
Elle s’était ensuite étendue sur son lit et avait commencé à percevoir des
animaux qui tentaient de lui manger un bras : elle avait d’emblée senti son
bras partir sans qu’elle le veuille, comme s’il était commandé par une force
extérieure. La patiente était en train de vivre une « dissociation » du corps,
elle s’éprouvait comme coupée en deux, et en même temps se sentait habitée
par plusieurs personnalités.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES


Comme le note Lacan, « certains voient dans les phénomènes de la
dépersonnalisation des signes prémonitoires de désintégration, alors qu’il
n’est nullement nécessaire d’être prédisposé à la psychose pour avoir mille
fois éprouvé des sentiments semblables, dont le ressort est dans la relation
du symbolique à l’imaginaire 44 ». Dans l’hystérie, on rencontre des formes
de dissociation et de dépersonnalisation qui dépendent de la chute de
l’image spéculaire, soutien de l’identité du sujet. Certaines somatisations
importantes, qui peuvent parfois prendre des formes délirantes, sont suscep-
tibles de faire perdre les repères identitaires au sujet. Les crises hystériques
marquent un échec du refoulement, qui n’arrive plus à masquer le conflit
intrapsychique qui oppose le désir inconscient à l’image moïque.
Pendant cette crise, la patiente avait eu aussi des hallucinations
visuelles : elle avait vu par la fenêtre une femme coupée, ainsi que des
serpents qui tentaient de la mordre, des animaux monstrueux, et d’autres
images cauchemardesques. Elle se sentait emprisonnée, la porte de la maison
était comme une grille de prison… en effet, elle était en prison, elle venait

s’infère de la logique qui prend de source le dit de l’inconscient. C’est en tant que Freud a
découvert ce dit qu’il ex-siste. » J. Lacan, « L’étourdit », op. cit., p. 454.
42. S. Freud, « Psychologie des foules, analyse du moi » (1921), dans Essais de psychanalyse,
Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque », 1981, p. 190.
43. La patiente avait aussi changé de prénom quatre fois. Dans le service, elle utilisait des
prénoms différents dans chaque structure, avec les soignants et les patients.
44. J. Lacan, Le séminaire, Livre II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique psychanalytique
(1954-1955), Paris, Le Seuil, 1978, p. 310.

Cliniques méd. 90.indd 210 03/10/14 13:44


Pratique de la structure 211

d’en prendre conscience. Derrière le hublot, elle voyait une « femme liée à
un bâton et pendue comme une chèvre », prête à être sacrifiée, comme dans
les rites vaudous. Cette femme était sa belle-sœur, dont elle avait toujours
été admirative en raison de son indépendance. Mais sous l’apparence de
sa belle-sœur, en réalité c’était elle-même : d’un côté femme sacrifiée et
de l’autre femme indépendante. C’était le sentiment qu’elle ressentait à ce
moment-là, elle se vivait comme coupée en deux, sacrifiée et indépendante,
les deux à la fois.
Les phénomènes hallucinatoires, dans l’hystérie, sont de l’ordre du
retour du refoulé, ce n’est pas le symbolique qui fait retour dans le réel 45,
comme dans la psychose. Les hallucinations ont une fonction métaphorique
– de même que les symptômes –, et elles ne sont pas vécues comme des
phénomènes forcés. L’hystérique ne se sent pas dominé ou envahi, il peut se
défendre, les combattre, et même les vaincre. C’est en effet le cas pour cette
patiente : ces images cauchemardesques qu’elle doit affronter lui donnent de
la force, elle ne se laisse pas faire, elle n’en a pas peur.
Le délire hystérique se forme à partir d’une vacillation du fantasme et il
veut toujours dire quelque chose : une bribe de la construction fantasmatique
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES


qui le soutient est délivrable. Par exemple, pour la patiente en question, la
position de soumission à l’Autre familial et le fantasme de séduction, qui met
en cause le père et le frère, sont souvent présents dans son délire.
Notre exemple montre que la question de l’hystérie est encore d’actua-
lité, et que ses formes extrêmes ne se sont pas beaucoup atténuées, comme
on le croit trop souvent. La structure de l’hystérie a encore sa place dans la
clinique, et méconnaître son existence ne peut que favoriser la confusion
entre les structures, avec le risque, comme dit plus haut, d’une homogénéi-
sation entre les formes graves d’hystérie et la schizophrénie. Cela peut causer
des dégâts irréversibles du point de vue de la direction de la cure, aussi bien
que de la prise en charge institutionnelle, où souvent l’hystérique « psychia-
trisé » ne peut plus sortir de la boucle infernale des hospitalisations et des
lourds traitements médicamenteux.

Pour conclure : mouvement, fermeture et ouverture de la structure

Lacan n’abandonnera jamais la notion de structure, d’autant moins


quand il introduira la topologie des nœuds dans son approche théorico-
clinique. Il dira en 1972 : « […] je crois démontrer la stricte équivalence de

45. J. Lacan, « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la “Verneinung” de Freud »


(1954), dans Écrits, op. cit., p. 392. Le symbolique fait retour dans le réel à cause de la forclusion
du Nom-du-Père.

Cliniques méd. 90.indd 211 03/10/14 13:44


212 Cliniques méditerranéennes 90-2014

topologie et structure 46 », et en 1977 : « Mes nœuds me servent comme ce que


j’ai trouvé de plus près de la structure 47. »
En soulignant le caractère d’incomplétude de la structure 48, Lacan
montre que la pratique psychanalytique s’oriente à partir de la faille, « faille
de l’inaccessibilité 49 » dira-t-il en 1974.
Lacan donne une définition de la structure qui n’est pas structuraliste,
en impliquant le sujet dans le système 50, et en considérant la structure
comme un ensemble fermé, incomplet – dans ce sens ouvert –, et fondé sur
une exclusion : dans la structure est absent ce qui fonde son fonctionnement.
N’oublions pas le refoulement originaire.
Lacan, en apportant ces variantes, se détache à la fois du modèle struc-
turaliste proposé par Jakobson et Lévi-Strauss, et du sujet existentiel, d’em-
preinte sartrienne et heideggérienne. Comme l’explique Bernard Toboul, « là
où l’ancien voisinage existentiel et la leçon freudienne du refoulement origi-
naire convergent en un effet commun, c’est à imposer une ouverture dans
la considération de la structure : la question de la non clôture d’un système
signifiant, autrement dit, freudiennement, du manque constitutif au monde
de nos représentations 51 ».
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES


L’ensemble est fermé et incomplet, la structure « ouverte 52 » : le système
ne se clôt pas. Les éléments de l’ensemble sont mobiles, leur enchaînement,
la façon dont ils s’associent entre eux est variable – et souvent contradictoire
– à l’intérieur de la même structure. C’est à partir de la mobilité de chaque
élément de l’ensemble qu’une structure se détermine. L’unité de la structure

46. J. Lacan, Encore, op. cit., p. 14.


47. J. Lacan, « Propos sur l’hystérie », op. cit. Lacan avait précédemment dit dans le même texte :
« Je ne poursuis cette notion de structure que dans l’espoir d’échapper à l’escroquerie. »
48. Lacan s’inspire des théorèmes d’incomplétude de Gödel. Le premier théorème dit qu’une
théorie suffisante pour faire de l’arithmétique est nécessairement incomplète, au sens où il
existe, dans cette théorie, des énoncés qui ne sont pas démontrables, et dont la négation n’est
pas non plus démontrable.
49. J. Lacan, …ou pire (1971-1972), version dactylographiée, séminaire du 10 mai 1972.
Aujourd’hui le séminaire est publié : J. Lacan, Le séminaire, Livre XIX, …ou pire (1971-1972),
Paris, Le Seuil, 2011.
50. « Cette décision de principe d’impliquer le sujet se réalise comme “lecture transgressive”,
en regard d’un structuralisme considéré comme restant “au niveau de l’énoncé”, “en épelant la
surface”. » B. Toboul, « Le sujet et la différence », dans M. Drach et B. Toboul (sous la direction
de), L’anthropologie de Lévi-Strauss et la psychanalyse. D’une structure l’autre, Paris, La Découverte,
2008, p. 305. Rappelons ce que Lacan avait écrit dans « L’étourdit » à propos de la structure et
du sujet : « […] la structure c’est l’asphérique recélé dans l’articulation langagière en tant qu’un
effet de sujet s’en saisit. » J. Lacan, « L’étourdit », op. cit., p. 40.
51. B. Toboul, « Le sujet et la différence », op. cit., p. 294.
52. « Ce terme est, à manier, dans la psychanalyse, à l’instar de celui de liberté, en se gardant
du pathos inhérent à son usage, tout particulièrement par la lecture de Rilke par Heidegger »
(B. Toboul, « Le principe de jouissance », op. cit., p. 36).

Cliniques méd. 90.indd 212 03/10/14 13:44


Pratique de la structure 213

est possible grâce à la différence, à la pluralité des éléments qui s’associent


de façon multiple, contradictoire, et souvent inattendue.
L’opposition est partie intégrante de la structure : le fait que la structure
est fermée et incomplète permet son ouverture. C’est le rapport entre mouve-
ment, fermeture et ouverture, sous la contrainte de la contingence, qui fonde
la structure et son système. Le sujet est effet de la chaîne signifiante mais il
est aussi suspendu aux points de discontinuité – interruptions contingentes
– qui habitent et orientent le déploiement de la structure. Pensons au « signi-
fiant dans le réel », référence qui brise la chaîne signifiante.
Les déterminismes inconscients (automaton) sont à l’origine de toute
formation, mais le contingent leur fait prendre une autre forme. Le nécessaire
se répète autrement dans les rêves, mots d’esprit, lapsus, symptômes, etc. Le
nécessaire bouleverse la structure à travers le hasard, l’inattendu, l’imprévi-
sible qui se manifeste dans le dire du sujet. Comme cette autre analysante
qui, en racontant son rêve en séance, n’arrêtait pas de faire des lapsus : la
signification qu’elle tentait de donner aux images du rêve se perd dans une
boursouflure de sens, contresens et nouveaux sens qui la séparent finale-
ment des signifiants – déterminés et aliénants – pris dans la répétition. Le
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES


manque dans le langage 53 concernant la nouvelle réalité psychique du sujet
ne s’exprime désormais qu’avec des métaphores, perdant toute référence à la
logique du sens du discours.
Ouverture sur le contingent à partir du nécessaire (tuché), c’est ce que
nous montre la clinique du sujet aux prises avec sa structure : on passe de
l’aliénation à la libre nécessité, pour le dire à la manière de Spinoza.

Bibliographie

Binswanger, L. 1933. Sur la fuite des idées, Grenoble, Million, coll. « Krisis », 2000.
Bleuler, E. 1911. Dementia Praecox ou groupe des schizophrénies, Paris, epel-grec,
1993.
Bousseyroux, M. 2011. Au risque de la topologie et de la poésie. Élargir la psychanalyse,
Toulouse, érès, coll. « Point Hors Ligne ».
Clavreul, J. 1987. « Pourquoi parlons-nous de structure au sujet de la perversion ? »,
dans Le désir et la loi, Paris, Denoël.
Deleuze, G. 1969. Logique du sens, Paris, Les Éditions de Minuit.
Foucault, M. 1984. « Des espaces autres », dans Architecture, mouvement, continuité,
n° 5.
Freud, S. 1938. Abrégé de psychanalyse, Paris, Puf, 1985.

53. Roland Gori donne l’exemple de la « catachrèse », figure de style qu’il définit en ces termes :
« La catachrèse comme figure du langage provient d’un manque dans la langue, de son
incomplétude à un moment donné pour désigner une réalité nouvelle. » R. Gori, La fabrique des
imposteurs, Éditions Les Liens qui Libèrent, 2013, p. 275.

Cliniques méd. 90.indd 213 03/10/14 13:44


214 Cliniques méditerranéennes 90-2014

Freud, S. 1933. « XXXe conférence. La décomposition de la personnalité psychique »,


dans Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, coll.
« nrf », 1984.
Freud, S. 1921. « Psychologie des foules, analyse du moi », dans Essais de psychanalyse,
Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque », 1981.
Freud, S. 1911. « Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de
paranoïa (Le Président Schreber) », dans Cinq psychanalyses, Paris, Puf, 1954.
Gori, R. 2013. La fabrique des imposteurs, Éditions Les Liens qui Libèrent.
Gori, R. ; Del Volgo, M.-J. 2005. La santé totalitaire. Essai sur la médicalisation de
l’existence, Paris, Denoël.
Lacan, J. 1954-55. Le séminaire, Livre II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la
technique psychanalytique, Paris, Le Seuil, 1978.
Lacan, J. 1955-1956. Le séminaire, Livre III, Les psychoses, Paris, Le Seuil, 1981.
Lacan, J. 1968-1969. Le séminaire, Livre XVI, D’un Autre à l’autre, Paris, Le Seuil,
2006.
Lacan, J. 1971-1972. Le séminaire, Livre XIX, …ou pire, Paris, Le Seuil, 2011.
Lacan, J. 1972-1973. Le séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Le Seuil, 1975.
Lacan, J. 1971-1972. …ou pire, version dactylographiée.
Lacan, J. 1964-1965. Problèmes cruciaux pour la psychanalyse, séminaire inédit.
Lacan, J. 1972. « L’étourdit », dans Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES


Lacan, J. 1967. « La méprise du sujet supposé savoir », dans Autres écrits, Paris, Le
Seuil, 2001.
Lacan, J. 1977. « Propos sur l’hystérie », Quarto, n° 2 (Supplément belge à La lettre
mensuelle de l’École de la cause freudienne), 1981.
Lacan, J. 1967. « La psychanalyse et la formation du psychiatre », Conférence au
Cercle d’études psychiatriques à Sainte-Anne, le 10 novembre 1957, inédit.
Lacan, J. 1957. « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la
psychose », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966.
Lacan, J. 1960. « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache », dans Écrits, Paris,
Le Seuil, 1966.
Lacan, J. 1954. « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la “Verneinung” de
Freud », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966.
Lacan, J. 1956. « Situation de la psychanalyse et formation du psychanalyste en
1956 », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966.
Lacan, J. 1973. Télévision, Paris, Le Seuil, 1974.
Miller, J.-A. 1966. « La suture (éléments de la logique du signifiant) », Cahiers pour
l’analyse, Cercle d’épistémologie de l’École normale supérieure, vol. 1-2, janvier-
février et mars-avril 1966.
Sérieux, P. ; Capgras, J. 1909. Analectes, Les folies raisonnantes, Paris, Félix Alcan.
Toboul, B. 2012. « Le principe de jouissance », dans Collectif, Le langage, l’inconscient,
le réel, Paris, Césures, Éd. du Champ lacanien.
Toboul, B. 2008. « Le sujet et la différence », dans M. Drach et B. Toboul (sous la
direction de), L’anthropologie de Lévi-Strauss et la psychanalyse. D’une structure
l’autre, Paris, La Découverte.

Cliniques méd. 90.indd 214 03/10/14 13:44


Pratique de la structure 215

Résumé
Nous analyserons l’évolution du concept de structure en psychanalyse et ses
différentes approches, en montrant son importance et sa spécificité dans la clinique
psychanalytique. La structure permet un abord particulier du diagnostic, « structure »
à ne pas confondre avec les notions de « système », « catégorie » et « nosographie ». Un
diagnostic structural n’est pas différent du travail normal de la cure, c’est-à-dire de sa
direction. En ce sens, le concept de structure et celui de signifiant sont inséparables,
comme le montrent la linguistique et l’anthropologie structurales, point de départ
de la théorie de la structure chez Lacan. Lacan se détachera du structuralisme, en
considérant la structure comme un ensemble fermé qui inclut sa limite et qui, à partir
de sa limite, s’ouvre, et dont le sujet est partie intégrante.

Mots-clés
Clinique, diagnostic, hystérie, signifiant, structure, sujet, symptôme.

The practice of structure : the differential diagnosis according


to the teaching of Jacques Lacan

Summary
We shall analyze the evolution of the concept of structure in psychoanalysis and its
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 59.168.17.241 - 06/04/2020 08:49 - © ERES


various approaches, by showing its importance and its specificity in psychoanalytical
clinic. The structure allows a particular access of the diagnosis, « structure » that has
not to be confused with the notions of « system », « category », and « nosography ».
A structural diagnosis is not different from the normal work of the cure, that is, from
its direction. This way, the concept of structure and that of signifier are inseparable,
as shown in structural linguistic and anthropology, the starting point of the theory of
the structure in Lacan. Lacan will detach himself from structuralism, considering the
structure as a closed ensemble including its limit and which, from its limit, opens, and
where the subject is integrating part of the system.

Keywords
Clinic, diagnosis, hysteria, signifier, structure, subject, symptom.

Cliniques méd. 90.indd 215 03/10/14 13:44

S-ar putea să vă placă și