REVUE DES REVUES

Les Cahiers jungiens de psychanalyse | « Cahiers jungiens de psychanalyse »

2011/1 N° 133 | pages 167 à 170

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 revue des revues
The Journal of Analytical Psychology,
vol. 55, n° 5, novembre 2010.
Poursuivant sa politique d’encourage-
ment des débats d’idées sans craindre la
controverse avec sa formule à trois volets (un
article, une réponse et, pour conclure, une
réponse à la réponse par l’auteur de l’article),
ce numéro a courageusement présenté un
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sujet rarement abordé. Dans un article
intitulé : A survivor’s account of sexual exploi-
tation by a Jungian analyst (Le récit d’une
survivante, victime d’exploitation sexuelle
par un analyste jungien), l’auteur, écrivant
sous le pseudonyme de Susan Jones, expose
les conséquences de l’exploitation sexuelle
dans le cadre de l’analyse jungienne.
S’appuyant sur son vécu douloureux, Susan
Jones y affirme combien ces comportements
abusifs dans un cadre spécifiquement jungien
peuvent provoquer des dommages sévères,
profonds et durables. Empruntant le terme
soul murder (assassinat de l’âme) de Susan
Penfold, elle constate que « cette expérience
terrible continue à la vider de sa vie ». Finale-
ment, elle propose que les professionnels
jungiens renforcent et accroissent l’étendue
de leurs actions et fassent en sorte de
dissuader les collègues peu fiables d’exploiter
leurs analysants.
Comme dans un cas d’inceste, Susan
Jones considère qu’elle s’est laissé convaincre
par l’idée de l’amour interdit mais vrai. Elle
croyait qu’elle et son « abuseur » éprouvaient
des énergies archétypiques qu’ils auraient
ainsi intégrées et transformées lors de l’acte
sexuel.
Elle pose l’hypothèse que des vulnérabi-
lités historiques ont empêché les collègues
de son analyste d’agir. Parmi ces vulnérabi-
lités, elle cite la relation rendue mythique
entre Jung et Toni Wolff, l’emploi abusif de
l’argument de Jung que l’individuation peut
exiger des choix éthiques qui vont au-delà
de la moralité, le manque de préoccupation
de la dynamique transférentielle ainsi que le
manque de cadre chez certains jungiens.
Étonnamment, elle omet de mentionner
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l’usage du Rosarium par Jung pour décrire
la relation transférentielle.
Dans sa réponse, Jan Wiener, félicite le
Journal pour sa décision de publier l’article
de Susan Jones donnant ainsi aux analystes
l’occasion de réfléchir sur ces acting out qui
existent toujours dans nos sociétés, sur la
manière d’aider les collègues qui se trouvent
dans une telle situation sans les rejeter totale-
ment si possible, et de protéger les analy-
sants des analystes qui rompent le cadre.
Avouant qu’on peut mieux faire, elle répond
à Susan Jones que rien n’indique que les
jungiens soient plus enclins à de telles effrac-
tions que les analystes des autres écoles.
Cependant, elle propose davantage de
séminaires sur l’éthique et le transfert érotique
pour tous les membres et pas seulement pour
les membres en formation.
Á Jan Wiener remarquant que l’utilisa-
tion de certains termes, par exemple le mot
« abuseur » plutôt qu’« analyste » l’a mise mal
à l’aise car, selon elle, une telle utilisation
dépersonnalise l’analyste et le cantonne à une
position d’abuseur, Susan Jones répond que
le terme « analyste » ne décrit la fonction que
jusqu’au point du passage à l’acte et que
l’exploitation des vulnérabilités de l’analy-
sant détruit rétroactivement le travail analy-
tique. Elle rappelle que la situation diffère
qualitativement pour la victime et l’auteur
167
 de l’acte. En effet, la personnalité de la victime
est gravement atteinte par l’effraction du cadre
tandis que celle de l’abuseur ne l’est pas.
Jung Journal : Culture & Psyche, vol. 4,
n° 4, Fall 2010.
Le Jung Journal, publié par le C. G. Jung
Institute of San Francisco, présente, en avant-
première, la préface rédigée par Thomas B.
Kirsch, ancien président de l’AIPA, de la
correspondance, en préparation, entre Jung et
son père : The C. G. Jung-James Kirsch Letters,
éditée par Ann Lammers (Routledge, UK).
James Kirsch, qui fit partie de la première
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génération d’analystes jungiens, a joué un
rôle important dans le développement du
mouvement jungien. Juif allemand, analysé
par Jung puis par Toni Wolff, comme ce fut
souvent le cas pour les premiers analystes, il
eut un parcours mouvementé. Il fut membre
fondateur du C. G. Jung Gesellschaft für
Analytische Psychologie à Berlin, un des
fondateurs du premier groupe jungien à
Londres et co-fondateur du C. G. Jung Insti-
tute of Los Angeles. Il fut proche de Jung
durant une quarantaine d’années.
Toute la correspondance sera publiée sans
la moindre censure, ce qui est rare, donnant
ainsi un bon aperçu des deux hommes, sans
dissimulation côté ombre. Selon Thomas
Kirsch, les trois thèmes prédominants sont la
question juif / chrétien mettant ainsi en
lumière la complexité de la relation de Jung
au judaïsme, la relation de James Kirsch avec
son anima et ses patientes et l’hypothèse de
la synchronicité.
En fait, James Kirsch a eu tendance à
s’empêtrer dans des complications senti-
mentales et sexuelles avec ses patientes, y
compris avec Hilda Silber, qui sera sa seconde
épouse, analyste de Michael Fordham, et mère
de Thomas. Selon ce dernier, même si de tels
dérapages étaient relativement fréquents à
l’époque, ils le furent tout particulièrement
chez son père. Thomas considère que la
168
problématique de son père avec le féminin
l’a poussé à entreprendre une analyse. Déjà
dans les premières lettres, Jung le prévient
que son inconscience dans ce domaine
risquait d’avoir des conséquences graves. Plus
tard, Toni Wolff, sa deuxième analyste et
superviseur, le critiquera fortement pour son
comportement vis-à-vis de son anima et de
ses patientes. Même après la guerre, les diffi-
cultés permanentes de James avec ses patientes
ont été une source d’inquiétude pour Jung
et un nombre important de lettres font
allusion à ce problème. De plus, il semblerait
que James n’ait pas été complètement franc
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avec Jung à ce sujet, et les racines psycholo-
giques de son problème n’ont été révélées que
dans ses dernières lettres. Selon Thomas, une
des raisons des problèmes relationnels de son
père était une identification trop forte à Jung.
Il sera intéressant de lire la correspondance
pour mieux saisir comment Jung a répondu
à James dans un domaine où lui-même avait
tant de difficultés.
Joseph Shesko
Revista Venezolana de Psicologia de los
Arquetipos e Estudios Junguianos, n° 3, 2008.
Ce troisième numéro comporte six
grands articles très variés. Mais l’on s’arrê-
tera tout particulièrement sur trois d’entre
eux.
« La peur des femmes »… C’est sous ce
titre éloquent, direct et presque provocateur,
lorsqu’on est une femme, et à tout le moins,
qui retient d’emblée la curiosité du lecteur,
quel qu’en soit le sexe, qu’Axel Capriles,
s’empare, en homme et en jungien, d’une
question au fondement de la psyché
humaine.
Il cite nombre de mythes ou légendes à
travers les siècles, les cultures et le monde,
telle l’évocation du vagin denté de la grande
Kali hindoue, de Méduse et les Gorgones,
d’Astarté et Hathor, ou encore de la Femme
Serpent des Aztèques ou d’Ixchel la déesse
 Maya. Il évoque les différentes interpréta-
tions psychanalytiques. Celles qui considè-
rent que la peur de la femme représente
l’ambivalence du moi, la crainte d’être dévoré
par les émotions et les pulsions inconscientes.
Ou celles qui voient dans les mésaventures
des héros mythiques, confrontés aux divinités
féminines, les équivalents symboliques de
l’évolution de la conscience… Autant d’inter-
prétations qui utilisent les termes de masculin
et de féminin de manière relativement impré-
cise. Or d’un point de vue anthropologique,
le changement social ou le phénomène
culturel le plus significatif ayant marqué
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l’entrée dans le troisième millénaire touche,
remarque-t-il, à la « transformation abyssale
de la femme » au cours du XXe siècle. Tout
particulièrement dans la conscience qu’elle a
d’elle-même. La femme est l’être qui, plus
que tout autre, est en quête d’une nouvelle
identité, comme en « urgence de créativité ».
Ses nouveaux rôles n’ont pas remplacé les
précédents. Bien au contraire. Ils se sont
surajoutés sous forme d’un « manuel aux
entrées multiples, impossible à lire et à inter-
préter à moins de tomber dans la démesure ».
Et c’est là qu’Axel Capriles, dans la toute
dernière partie de son article, se fait plus
insistant. Il rappelle, certes, que le bon
développement de l’être humain dépend de
l’équilibre entre les figures maternelles et
paternelles et que, trop souvent encore, le
manque de la figure paternelle, pour quelque
raison que ce soit – trop pris par son travail
ou engagé dans une liaison amoureuse, par
exemple – laisse le moi seul face à la constel-
lation du féminin dévorant. Mais dans une
perspective proprement jungienne, il inter-
roge le féminin en l’homme, ou anima. Ce
féminin sous son aspect transformateur, dont
on fait l’expérience comme quelque chose
d’étrange et d’inconnu, qui vient de l’inté-
rieur de soi-même et qui pousse au change-
ment et force à un autre mode de conscience.
Or tout inconnu fait peur. Alors, avance-t-
il : « Il me semble évident que l’aspect symbo-
lique de l’anima en tant qu’élément de trans-
formation a trouvé sa contrepartie jumelle
dans le monde de la femme concrète
d’aujourd’hui », une femme qui a « tant
besoin de changements et d’autres approches
de vie afin de sentir d’autres choses ». Aussi,
selon Axel Capriles, la femme actuelle serait
la « manifestation empirique de l’aspect trans-
formateur du féminin ». Ne nous convie-t-
il pas ici à une nouvelle approche de la femme
et du féminin et qui mériterait que l’on s’y
penche davantage ?
Dans « Éthique de l’individuation, indivi-
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duation de l’éthique », Murray Stein envisage
l’individuation comme un chemin qui non
seulement nous aide à créer une forme d’har-
monie au plan personnel mais qui contribue
également à promouvoir un bien-être tant
pour la société que pour l’environnement
naturel.
Liliana Liviano Wahba dans « L’artiste :
vide et plénitude », rappelle que la créativité
a la force d’un instinct. Elle se développe
selon un processus de construction et de
destruction. Cet article très référencé cherche
à illustrer, en quelque sorte, combien la créati-
vité utilise le vide pour faire taire un esprit
agité, pour ouvrir sur de nouveaux espaces ou
faire l’expérience et vivre l’état de manque
qui pousse vers la quête de soi et du monde.
Un large débat « Sur la psychothérapie »
entre Rita H. de Capriles, Nilsa Fernandez
et Pablo Rayan, animé par Axel Capriles,
permet à chacun, « cent quinze ans après
Breuer, Freud et Jung », d’apprécier ce qu’il
en est de cette « cure par la parole ». Un
échange qui mériterait d’être retranscrit mot
à mot et dont on peut se contenter ici de
donner la conclusion proposée par Rita H.
Capriles : « La thérapie jungienne peut être
considérée comme une expérience créative
dans laquelle interviennent toutes les person-
nalités de l’analysant et de l’analyste ».
169
 Dans un bel hommage, la revue vénézué-
lienne rappelle que le livre de Rafael Lopez-
Pedraza, Hermès et ses enfants dans la
psychothérapie, fête ses trente ans. Dans cet
ouvrage, traduit en plusieurs langues (en
français, en 1980, chez Imago), l’auteur
montre comment et combien la mythologie
est une source d’images et d’intuitions néces-
saires à la psychothérapie.
Cadernos Jungianos, n° 5, 2009, revue
annuelle de l’Association jungienne du Brésil
(AJB).
Cette revue poursuit son but, celui
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d’ouvrir un espace pour que différents auteurs
se sentent attirés par « l’aventure de trans-
former leur propres idées en mots et de les
proposer à la discussion ».
Parmi les différents articles, on peut
relever : un article issu d’une thèse de doctorat
qui propose de penser la psychopathologie
à partir de nouveaux paramètres et de créer
d’autres outils, l’un d’entre eux étant – tel le
titre de l’article de Rosa Maria Carollo
Blanco –, « Le temps des ciseaux, le temps
du collage : une méthodologie ». Il s’agit
notamment d’accueillir chaque fragment,
d’écouter chaque symptôme comme un
langage de fiction qui raconte (de façon
personnifiée) les péripéties de la psyché et
de ses sous-personnalités.
Dans « Vinícius, le Poète de l’amour ;
Jung le Poète de l’âme », Dulce Helena
Rizzardo Briza, évoque l’amour et la poésie.
Pour parler de ce thème, elle a choisi le
poète – mais également diplomate, écrivain,
journaliste, dramaturge –, Vinícius de
170
Moraes. Elle se penche sur sa vie et son
œuvre. Et sur ce même thème, elle approche
Jung et cherche dans sa vie et son œuvre les
points de convergence avec Vinícius. Tous
deux dénonçaient les blessures de l’âme, et de
façon différente évoquaient le baume qui
pouvait les apaiser. Jung s’est ainsi penché
sur le « courageux processus d’individuation »
et le sien « nous a impressionnés ». Vinícius,
le « héros de l’amour passionné » a vécu sa
vie en cherchant l’amour et la passion…
« Courageusement ». Jung a « découvert »
l’anima ; Vinícius en fit son autel… Un
rapprochement qui peut honorer l’un et
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l’autre.
Dans son interview donnée par e-mail,
Patricia Berry qui fut l’une des figures de
proue d’un moment de renouvellement
intense dans la pensée jungienne, à l’Institut
Jung de Zurich, dans les années 1970, et qui
a inauguré avec James Hillman (dont elle
rappelle qu’elle fut la femme) et Rafael Lopez-
Pedraza ce que l’on connaît aujourd’hui sous
le nom de psychologie archétypique, revient
sur cette époque dont elle s’est dégagée. Puis
elle dit combien aujourd’hui dans sa clinique,
ce ne sont plus les essais intellectuels, mais les
films ou le théâtre qui vont l’aider, eux qui
rendent compte de toute l’immense subti-
lité des émotions et de la complexité des
images et des situations. Elle sait combien
l’analyste doit être attentif au processus en
cours, sans rester passif. Et lorsque cela
devient répétitif, elle réalise bien souvent que
c’est à elle de changer et de modifier son
attitude par rapport au patient.
Catherine de Lorgeril