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ALEXANDRE LE GRAND À LA LUMIÈRE

DES MANUSCRITS ET DES PREMIERS IMPRIMÉS


EN EUROPE (XIIe - XVIe SIÈCLE)
ALEXANDER REDIVIVUS

Collection dirigée par


Catherine Gaullier-Bougassas
Margaret Bridges
Corinne Jouanno
Jean-Yves Tilliette

© BREPOLS PUBLISHERS
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Alexandre le Grand à la
lumière des manuscrits et des
premiers imprimés en Europe
(XIIe - XVIe siècle)
Matérialité des textes, contextes et
paratextes : des lectures originales

Sous la direction de
Catherine Gaullier-Bougassas

F
Cet ouvrage a bénéficié d’une aide de l’Agence Nationale de la Recherche
portant la référence ANR-O9-BLANC-0307‑01 et s’inscrit à l’intérieur du
programme de recherches sur la création d’un mythe d’Alexandre le Grand
dans les littératures européennes que Catherine Gaullier-Bougassas, profes-
seur à l’Université de Lille 3 et membre de l’Institut universitaire de France,
dirige et qui est hébergé à la MESHS –Maison européenne des Sciences de
l’Homme et de la Société (CPER 2009‑2010, ANR 2009‑2014).

© 2015, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium.

All rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval
system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying,
recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher.

ISBN 978‑2-503‑55414‑3
D/2015/0095/104

Printed on acid-free paper

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Table des matières

Les livres d’Alexandre 5


par Catherine Gaullier-Bougassas
Université de Lille 3, Institut universitaire de France

Œuvres plurielles et livres singuliers, manuscrits et imprimés


Avatars du Roman d’Alexandre à l’époque tardo- et post-byzantine :
réflexions sur la recension ζ et la polymorphie de la tradition pseudo-
callisthénienne 33
par Corinne Jouanno
Université de Caen – CRAHAM
Les manuscrits italiens des Romans d’Alexandre français en vers et de
l’Histoire ancienne jusqu’à César (xiiie et xive siècles) : lectures
originales et créations inédites 49
par Catherine Gaullier-Bougassas
Université de Lille 3, Institut universitaire de France
À propos de l’Istoria di Alessandro Magno de Domenico Scolari et
d’un volgarizzamento enluminé de l’Historia de preliis J3 81
par Corrado Bologna
Università de Roma Tre
Notes sur la « matière d’Alexandre » en Italie et sur le manuscrit
d’une version en prose du Liber Allexandri (Florence, Biblioteca
Nazionale Centrale, II I 363) 101
par Giovanni Borriero
Università degli Studi di Padova
Les enseignements d’Aristote à Alexandre d’après le manuscrit 6545 de
la Biblioteca Nacional de España : un manuscrit pour la noblesse 117
par Hugo O. Bizzarri
Université de Fribourg
606 Table des matières

Paratexte : gloses, rubriques, prologue et épilogue


L’Alexandréide de Gautier de Châtillon dans son contexte : les
manuscrits et leur(s) usage(s) 135
par Jean-Yves Tilliette
Université de Genève
Quelques particularités inédites de la tradition manuscrite de l’Historia
de preliis J3 153
par Alexandru Cizek
Université de Münster
Un puer senex dans la famille des manuscrits des Vœux du Paon : le
manuscrit de Paris, BnF, fr. 12565 171
par Hélène Bellon-Méguelle
Université de Genève
For the Exercise of the Mind and the Pleasure of Reading: the 1550
Polish Translation of Historia de preliis in its Cultural Context 191
par Aleksandra Klęczar
Jagiellonian University, Krakow
Les légendes bilingues du Rrekontamiento del rrey Ališandere : vestiges
de miniatures issues d’un manuscrit arabe d’Occident ? 201
par Émilie Picherot
Université de Lille 3

Ateliers, copistes, peintres et mécènes : la lecture des images


La portée politique de l’illustration des manuscrits du Roman
d’Alexandre arménien 223
par Edda Vardanyan
Matenadaran-Erevan, UMR 8167, Orient et Méditerranée, Paris
Le manuscrit O du Libro de Alexandre dans son contexte littéraire et
artistique : l’activation d’un réseau de signes 251
par Amaia Arizaleta et Rosa María Rodríguez Porto
Université de Toulouse II , Universidade de Santiago de
Compostela

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 Table des matières 607

Les manuscrits du Roman d’Alexandre en vers français et leurs


contextes artistiques 269
par Alison Stones
University of Pittsburgh
Deux façons de raconter la même histoire : deux manuscrits jumeaux
du Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris (BnF, fr. 790 et 1590) 285
par Maud Pérez-Simon
Université Sorbonne-Nouvelle, Paris 3
Du livre-monde au héros-animal : enluminer le non humain dans un
manuscrit du Roman d’Alexandre (Oxford, Bodleian Library,
Bodley 264) 317
par Mark Cruse
Arizona State University
D’Isabelle de Portugal à Marguerite d’Autriche : les Faicts et Gestes
d’Alexandre le Grand de Vasque de Lucène à la cour de Bourgogne
– le manuscrit de Paris, BnF, fr. 6440 335
par Anne-Marie Legaré
Université de Lille 3
L’« atelier de 1418 », l’atelier alsacien de Diebold Lauber et les
manuscrits B et M de l’Alexander de Rudolf von Ems 361
par Christophe Thierry
Université Lumière Lyon 2
Texte et image dans la vie d’Alexandre de la Сhronique enluminée
d’Ivan le Terrible 389
par Elena Koroleva
Université de Lille 3

Alexandre à la conquête de nouveaux espaces textuels : relectures et


réinterprétations
Imagining Alexander the Great in Fifteenth-century Utrecht
History Bibles 411
par Klara H. Broekhuijsen
Universiteit van Amsterdam
608 Table des matières

La représentation d’Alexandre le Grand dans les manuscrits à peintures


de la Cité de Dieu, traduction de Raoul de Presles 431
par Valérie Ruf-Fraissinet
Université Paris Ouest-Nanterre-La Défense
Spaces for Alexander in Book I of the Fifteenth-century English
Polychronicon, British Library, Harley MS 2261 451
par Margaret Bridges
University of Bern
La mise en prose et en biographie des vers du Libro de Alexandre dans
les manuscrits du xve siècle du Victorial 475
par Rafael Beltrán
Université de València, Espagne
Alexandre parmi les Neuf Preux : portraits et vie en images 485
par Anne Salamon
Université Laval
Un poème et son manuscrit au xvie siècle : lecture d’un poème épique
sur Alexandre le Grand dans la Renaissance italienne 507
par Michele Campopiano
Université de York, Université d’Amsterdam
Planches en couleur 517
Index 549
Index des noms propres 549
Index des manuscrits 568
Index des imprimés 580
Index des scènes et épisodes 582

Table des illustrations 595


Table des matières 605

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Les enseignements d’Aristote à Alexandre d’après
le manuscrit 6545 de la Biblioteca Nacional de
España : un manuscrit pour la noblesse

Le xiiie siècle en Espagne fut la période de la plus grande éclosion de la


matière d’Alexandre1. Dès les premières décennies, la figure d’Alexandre le
Grand revêtit une importance beaucoup plus forte que celle de n’importe
quel autre héros de l’Antiquité. Le Libro de Alexandre n’est pas seulement
une biographie complète du héros macédonien, il est également une encyclo‑
pédie de savoirs qui inclut toutes les matières du trivium et du quadrivium2.
Lorsqu’elle narre la vie d’Alexandre, la General estoria d’Alphonse X dépasse
elle aussi le simple schéma biographique pour insérer le héros dans la suc‑
cession de royaumes. Dans cette étude, nous laisserons toutefois de côté ces
grands récits pour nous concentrer sur d’autres œuvres de moindre qualité
artistique et d’élaboration plus modeste, dans lesquelles l’histoire du héros
mythique joua néanmoins un rôle spécifique. Le manuscrit que nous nous
proposons d’aborder et dont nous examinerons la place dans les textes hispa‑
niques sur Alexandre, le manuscrit de Madrid, Biblioteca Nacional de España,
6545, est un codex bien connu de la critique3, mais du fait qu’il contient beau‑
coup de fautes, son étude a toujours été négligée.

1. A. Arizaleta a qualifié cette époque d’« âge alexandrin » (« Aetas alexandrina : les figures
d’Alexandre le Grand dans les textes hispaniques des xiie et xiiie siècles (avec un excursus sur
la datation du Libro de Alexandre) », dans Hommage à Francis Cerdan, éd. F. Cazal, Toulouse,
2008, p. 49‑65.
2. Pour les aspects encyclopédiques de cet ouvrage, je renvoie aux travaux de I. Michael, The
Treatment of Classical Material in the Libro de Alexandre, Manchester, 1970, A. Arizaleta, La
translation d’Alexandre : recherches sur les structures et significations du Libro de Alexandre, Paris,
1999 et I. Uría, Panorama crítico del mester de clerecía, Madrid, 2000, p. 175‑213.
3. Il est décrit dans Pseudo-Aristóteles, Poridat de las poridades, éd. Ll. A. Kasten, Madrid,
1957, p. 24‑25 ; Inventario general de manuscritos de la Biblioteca Nacional, Madrid, 1987, p. 211 ;
Bocados de oro, éd. M. Crombach, Bonn, 1971, p. xxvi ; H. O. Bizzarri, « Poridat de las poridades.
Secreto de los secretos », dans Diccionario filológico de la literatura medieval española. Textos y
transmisión, éd. C. Alvar et J. M. Lucía Megías, Madrid, 2002, p. 928 ; Pseudo-Aristóteles, Secreto
de los secretos. Poridat de las poridades. Versiones castellanas del Pseudo-Aristóteles Secretum secre-
torum, éd. H. O. Bizzarri, Valence, 2010, p. 38.

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118 Hugo O. BIZZARRI

Le milieu intellectuel du manuscrit

Dès le début du règne d’Alphonse le Sage (1252), le courant littéraire que


son père, Ferdinand III, avait commencé à développer prend de la vigueur :
la compilation et la traduction des recueils de proverbes4. On ne conserve
qu’une seule œuvre de cette époque, le Libro de los doze sabios, qui semble réu‑
nir des matériaux qui circulèrent probablement sous une forme dispersée. Une
série de proverbes, dont plusieurs proviennent de savants connus, sont insérés
dans le cadre narratif d’une convocation que le roi adresse à douze conseil‑
lers. Certains peuvent être attribués à Caton, d’autres à Aristote, Sénèque
ou simplement à une compilation anonyme. Il s’agit d’une œuvre qui révèle
déjà à cette période la diffusion en Castille d’un ensemble de sentences varié.
Qui plus est, on pourrait postuler qu’un tel écrit ne put avoir été conçu sans
la circulation préalable de compilations de proverbes, de sentences de savants
et de dicta et facta antérieurs5.
Cependant, cette littérature connut son apogée durant les premières
années du règne d’Alphonse X. Dès son accès au trône, le jeune monarque
réutilisa l’image de son père pour consolider son pouvoir. Par conséquent, il
n’hésita pas à reprendre cette œuvre que son père avait ordonné de compiler
afin de maintenir vivant son souvenir. Pour cela, il lui ajouta un chapitre final
dans lequel il lui rendit un juste hommage. Les douze savants qui l’avaient
conseillé se réunissent à nouveau pour exprimer des sentences autour de sa
tombe. Celles-ci vantent toujours la grandeur du roi au moment de la mort,
exprimant aussi que sa bonne renommée le rendra éternel. On remarque aisé‑
ment que cet épisode est inspiré de l’un des récits les plus célèbres du cycle de
la légende d’Alexandre le Grand : les dits que les savants prononcent devant
sa tombe6. Alphonse n’emprunta pas ce modèle ingénument. Il savait que

4. Cette tradition est étudiée par M. Haro Cortés, Los compendios de castigos del siglo xiii :
técnicas narrativas y contenido ético, Valence, 1995 ; M. Haro Cortés, Literatura de castigos en la
Edad Media : libros y colecciones de sentencias, Madrid, 2003 ; A. E. Ramadori, Literatura sapien-
cial hispánica del siglo xiii, Bahía Blanca, 2001 ; C. Alvar, Traducciones y traductores. Materiales
para una historia de la traducción en Castilla durante la Edad Media, Alcalá de Henares, 2010,
p. 83‑111.
5. Libro de los doze sabios o tractado de la nobleza y lealtad [ca. 1237]. Estudio y edición, éd.
J. K. Walsh, Madrid, 1975, p. 33-42 ; H. O. Bizzarri, « Le croisement de cultures dans le Libro
de los doze sabios », dans Didaktisches Erzählen. Formen literarischen Belehrung in Orient und
Okzident, éd. R. Forster et R. Günthart, Francfort-sur-le-Main, 2010, p. 234‑253.
6. Pour les sources de cet épisode, je renvoie à G. Cary, The Medieval Alexander, Cambridge,
1956, p. 98‑99 et 151 et F. Doufikar-Aerts, Alexander Magnus Arabicus. A Survey of the Alexander
Tradition through Seven Centuries : From Pseudo-Callisthenes to Sūrī, Louvain, 2010, p. 24‑25 et
 un manuscrit pour la noblesse EN ESPAGNE 119

ses contemporains sauraient lire entre les lignes et devineraient clairement le


message : le roi Ferdinand III était un nouvel Alexandre, qui avait bien gou‑
verné ses royaumes, agrandi le territoire espagnol en combattant les Arabes
et, surtout, il était un savant, car il avait été entouré de bons conseillers ; lui,
Alphonse, était son héritier naturel. Si le roi sage croyait en cette lecture,
c’était parce que les récits du héros macédonien constituaient une matière
bien connue par la noblesse castillane.
Alphonse X concentra tout son intérêt sur la traduction d’autres col‑
lections de sentences dans lesquelles Alexandre le Grand joue un rôle par‑
ticulier. On ignore encore les voies de la circulation en Espagne au xiii e
siècle de textes arabes dont certains émanaient des groupes nestoriens de
Bagdad. Tous ces recueils incluent la biographie et les dits de sages grecs.
Dans cette galerie de sages, Aristote et Alexandre apparaissent si souvent
qu’ils deviennent des figures incontournables. L’union avec Aristote, celle
d’un guerrier et d’un savant, modifiait la vision ambiguë du héros macédo‑
nien fournie par les biographies hispaniques du Libro de Alexandre et de
la General estoria, puisqu’elle le présentait avant tout, voire exclusivement,
comme un savant.
Le premier texte, le Libro de los buenos proverbios7, est une traduction
de l’œuvre du savant nestorien Hunayn ibn Ishaq, Kitab adab al-falasifa ou
Nawadir al-falasifa [Anecdotes de philosophes]. Il faut relever qu’elle concentre
son attention sur Aristote et Alexandre. F. Rodríguez Adrados a distingué
trois sections : i. Éducation et sagesse d’Aristote ; ii. Éducation et sagesse
d’Alexandre ; iii. Sentences et lettres de sagesse à la mort d’Alexandre. Le
philologue espagnol a aussi souligné que tous ces éléments sont très bien
assemblés dans un crescendo, ce qui lui fait penser qu’ils peuvent dériver d’un
roman antique composé en partie par des lettres, en partie par des sentences8.

123‑128 ; pour connaître sa diffusion en Espagne, voir M. R. Lida de Malkiel, « La leyenda de
Alejandro en la literatura medieval », dans eadem, La tradición clásica en España, Espluges de
Llobregat, 1975, p. 184 ; M. R. Lida de Malkiel, La idea de la fama en la Edad Media castellana,
Mexico, 1952, p. 173. Récemment M. J. Díez Garretas (« Los secretos que guardan las paredes :
dos nuevos poemas en romance castellano de principios del siglo xiv. Edición y estudio »,
Revista de literatura medieval, 24 (2012), p. 11‑37) évoque la découverte d’un poème du xive
siècle qui parle de la mort d’Alexandre.
7. Libro de los buenos proverbios. Estudio y edición crítica de las versiones castellana y árabe,
éd. C. Bandak, Saragosse, 2007 ; M. Haro Cortés, Los compendios de castigos, op. cit., p. 54‑56 ;
M. Haro Cortés, Literatura de castigos, op. cit., p. 16‑24 ; A. E. Ramadori, Literatura sapiencial,
op. cit., p. 95‑114 ; F. Rodríguez Adrados, Modelos griegos de la sabiduría castellana y europea.
Literatura sapiencial en Grecia y la Edad Media, Madrid, 2001, p. 264‑272.
8. F. Rodríguez Adrados, Modelos griegos, op. cit., p. 108 et 111.

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120 Hugo O. BIZZARRI

La section consacrée au héros macédonien comporte un chapitre général avec


les sentences d’Alexandre (ch. xix) et neuf autres chapitres qui reproduisent le
cycle de sa mort et les lettres consolatoires à sa mère (ch. xx-xxix). Hunayn
n’accorde aucune importance aux faits héroïques du protagoniste ; il s’inté‑
resse davantage à sa sagesse. Il le présente, par conséquent, comme un philo‑
sophe de la même catégorie qu’Aristote, Platon ou Socrate.
Le deuxième texte est Bocados de oro9, traduction de Mukhtâr al-hikam wa-
mahasin al-kalim [Choix de maximes et de dits sages] de l’Égyptien Mubaššir
ibn Fatik (xie siècle). Cette collection de vingt-quatre biographies avec les sen‑
tences de chaque savant s’inspire de l’œuvre de Hunayn ibn Ishaq, mais aussi
de celle de Diogène Laërce et d’autres collections anonymes. Tout comme le
Libro de los buenos proverbios, Bocados de oro situent la biographie d’Alexandre
à la suite de celle d’Aristote. De plus, le héros macédonien apparaît fréquem‑
ment dans les sentences de ce dernier, si bien qu’une sorte d’union s’établit
entre leurs récits biographiques.
Les biographies des Bocados de oro suivent toutes un même modèle : in‑
formations générales sur le personnage, son lignage, narration des faits les
plus remarquables de sa vie, puis de sa mort, et décompte de ses livres les
plus célèbres10. Cependant, la biographie d’Alexandre ne se conforme pas à ce
schéma, car elle se développe comme une narration chronologique. Après sa
naissance (la légende de Nectanabus est omise), sont donc relatées la mort de
son père, ses premières campagnes militaires, la vengeance de la mort de son
père, la poursuite de Darius, la campagne contre Porus, sa rencontre avec les
Brahmanes, des histoires diverses et sa mort. Elle ne coïncide avec les autres
biographies que pour le portrait du personnage, qui inclut sa description
physique :
E quando Alexandre regno avia diez e nueve años, e duro el su regnado diez
e siete años. E d’estos lidio los nueve años e estudo ocho asegurado, sin lid.
E vencio a veinte e dos gentes. E en los dos años andudo todo el mundo, de

9. G. Cary, The Medieval Alexander, op. cit., p. 23 ; M. Haro Cortés, Los compendios de casti-
gos, op. cit., p. 50‑54 ; M. Haro Cortés, Literatura de castigos, op. cit., p. 25‑38 ; A. E. Ramadori,
Literatura sapiencial, op. cit., p. 77‑114 ; F. Gómez Redondo, Historia de la prosa medieval cas-
tellana. I. La creación del discurso prosístico : el entramado cortesano, Madrid, 1998, p. 455‑470 ;
C. Alvar, Traducciones y traductores, op. cit., p. 86‑89.
10. H. Goldberg, « Moslem and Spanish Christian Literary Portraiture », Hispanci Review,
45 (1977), p. 311‑326 ; M. Haro Cortés, « Los esquemas biográficos en la prosa gnómica del siglo
xiii : el caso de los Bocados de oro », Quaderns de filologia. Estudis literaris, 1 (1995), p. 415‑432 ;
A. E. Ramadori, Literatura sapiencial, op. cit., p. 84‑95 ; F. Rodríguez Adrados, Modelos griegos,
op. cit., p. 183‑260.
 un manuscrit pour la noblesse EN ESPAGNE 121

oriente a ocidente. E fue la cuenta de la su cavallería trezientos e veinte mill


omes de armas, a menos de los escuderos e de los otros omes. E fino de trinta
e seis años.
Fue Alixandre pequeño de cuerpo, e ruvio e peco e delgado, e [avie] el un
ojo zarco e el otro prieto, e los dientes avie menudos e agudos. E el su rostro
semejaba al rostro del leon, e fue fuerte, e uso lides desde mancebia. (p. 132)
[Lorsqu’Alexandre commença à régner, il avait dix-neuf ans. Il resta à la
tête de son royaume dix-sept ans. Pendant neuf d’entre eux, il combat‑
tit  ; il demeura en paix durant les huit restants. Il vainquit vingt-deux
peuples. En deux ans, il parcourut tout le monde, de l’Orient à l’Occi‑
dent. Il disposa de trois cent vingt mille guerriers, sans compter écuyers
et autres hommes. Il mourut à l’âge de trente-six ans.
Alexandre fut petit, blond, criblé de taches de rousseur et maigre. Il avait
un œil bleu clair et un autre noir ; ses dents étaient petites et pointues.
Son visage ressemblait à celui d’un lion. Il possédait une grande force et
fut habitué à lutter dès son jeune âge.]
Le Sirr-al-’asrâr [Secret des secrets], composé au xe siècle, est la troisième
œuvre arabe sur Alexandre à avoir été traduite en Occident11. À son tour,
elle unit les figures d’Aristote et d’Alexandre. Elle transmet une épître dans
laquelle le premier révèle au second les secrets d’un bon gouvernement. Les
deux versions de la tradition de ce texte furent traduites en Castille : la version
courte directement de l’arabe – Poridat de las poridades, qui conservait une
grande partie de son contenu astrologique et magique – et la version longue –
Secreto de los secretos – par le biais de la traduction latine Secretum secretorum,
qui avait été utilisée dans les écoles et censurée par la cour papale.
Le grand impact dont jouirent ces œuvres tout au long du Moyen Âge
contribua à ce que cette relation entre héros et maître devînt paradigmatique
et fût reprise plusieurs fois pour exalter la figure d’un personnage historique.
Dans ce contexte, on comprend l’influence exercée par le passage consacré
aux conseils d’Aristote au héros macédonien dans le Libro de Alexandre. Dans
le poème, le jeune confesse à son maître que bien qu’il ait étudié le trivium
et le quadrivium, son âme ne trouvera pas la paix jusqu’à la libération de la
Grèce de l’oppression de Porus et Darius. Aristote conseille alors son disciple.
L’auteur esquisse brièvement une scène très fine :

11. G. Cary, The Medieval Alexander, op. cit., p. 21‑22 ; M. Haro Cortés, Los compendios
de castigos, op. cit., p. 57‑62 ; M. Haro Cortés, Literatura de castigos, op. cit., p. 12‑16 ; A. E.
Ramadori, Literatura sapiencial, op. cit., p. 116‑138 ; F. Rodríguez Adrados, Modelos griegos, op.
cit., p. 295‑308.

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122 Hugo O. BIZZARRI

Pagos’ don Aristotiles mucho de la razon :


entendio que non fuera en vano su mission. […]
El niño mano a mano tolliose la capiella ;
poso çerca ‘l maestro, a los pies de la siella ;
dava grandes sospiros, ca tenie grant maziella :
pareçies’la rencura del cuer en la maxiella12.
[Aristote se réjouit beaucoup de ce qu’il avait dit :
Il comprit que son enseignement n’avait pas été vain. […]
L’enfant se rapprocha et lui toucha le capuchon ;
il s’installa à côté de son maître, au pied de sa chaise ;
il poussait de grands soupirs, car il était angoissé :
la haine de son corps se devinait sur son visage.]
Cette scène se transforma en un modèle de relation entre maître et disciple
et renforça encore davantage la diffusion des conseils d’Aristote. Dans le plus
ancien récit chevaleresque hispanique, le Libro del caballero Zifar, après que
le chevalier a acquis son royaume, il exhorte ainsi ses enfants :
E otro dia en la mañana fueron con el rey Garfin e Roboan, e oyeron misa con
el. E quando fue dicha, mando el rey [a] todos los que y estauan que se fuesen,
porque auia mucho de librar en su casa de la su fazienda e pro del regno, e
entrose en su camara con Garfin e con Roboan sus fijos, [e asentose el rey en
su silla, e mando a ellos que se asentasen] antel, las caras tornadas contra el, e
bien asy commo maestro que quiere mostrar a escolares13.
[Un autre jour, Grafín et Roboán accompagnèrent tôt le roi et écoutèrent
la messe avec lui. À la fin de cette dernière, le roi pria tout le monde de
partir, car il devait résoudre beaucoup d’affaires chez lui pour le bien du
royaume. Il entra alors dans sa chambre avec ses enfants et il leur ordonna
de s’asseoir à côté de lui en le regardant, comme s’il s’agissait d’un maître
qui voulait former ses disciples.]
Cette narration fut composée dans les premières années du xive siècle, une
période durant laquelle les récits sur Alexandre et spécialement la relation
avec son maître étaient en vogue. De ce fait sont à ce moment réalisées une
copie du Libro de Alexandre (Biblioteca Nacional de España, Vit. 5‑10), une
autre du Poridat de las poridades (Biblioteca Nacional de España, 6545) et une

12. Libro de Alexandre, éd. J. Casas Rigall, Madrid, 2007, v. 48 et 50 ; G. Lalomia, « I consi‑
gli di Aristotile ad Alessandro : tradizione orientale e rilaborazione occidentale », Revista de
literatura medieval, 14/2 (2002), p. 31‑48.
13. Libro del cauallero Zifar (El Libro del cauallero de Dios), éd. C. P. Wagner, Ann Arbor,
1929, p. 254.
 un manuscrit pour la noblesse EN ESPAGNE 123

dernière des lettres consolatoires à sa mère14. Il s’agit là d’un moment où les


textes sur Alexandre abondent et s’entrecroisent.
La relation entre Aristote et Alexandre le Grand servit aussi à faire l’éloge
de monarques et de nobles plus ou moins importants. De cette manière, le
Poema de Alfonso XI, qui relate de près la vie de ce roi au point d’être considéré
comme une chronique rimée, crée une scène fictive qui est basée clairement
sur le Libro de Alexandre et dans laquelle le précepteur conseille son mo‑
narque15. Par ailleurs, le Victorial de Gutiérre Díaz de Gamez cite les conseils
du poème en quatrains d’alexandrins afin de louer un chevalier noble au rôle
plus modeste16. Sous une forme ou une autre, cette relation du maître et de
son disciple fut l’un des épisodes clés de la saga d’Alexandre en Castille. Par
conséquent, il n’est pas étonnant que des copistes des œuvres antérieures sur
Alexandre aient essayé de nouvelles configurations pour renouveler l’image de
cette relation et aient tissé d’autres liens entre les divers textes déjà existants.

Le manuscrit à la loupe

Le manuscrit 6545 de la Biblioteca Nacional de España est un codex qui


démontre la vitalité avec laquelle toutes ces traditions textuelles se diffusèrent
en Espagne et son texte débute au folio 1 r par les conseils d’Aristote. On
ignore totalement sa provenance. Lorsque M. Crombach effectua l’édition des
Bocados de oro dans les années 1970, elle souligna déjà que ce témoin mélan‑
geait des éléments étrangers au cycle Aristote-Alexandre le Grand. Elle ne
réussit toutefois pas à les identifier17. Le manuscrit ne possède aucun titre
originel. Au folio 1 r, on voit une inscription avec une écriture du xviie siècle,
« castigos y doctrinas mora[les] de muchos exemplos » (« conseils et doc‑
trines morales basés sur des exemples »). On trouve dans l’un des folios de

14. T. González Roldán, « Las cartas consolatorias de Alejandro Magno a su madre : Estudio
y edición de sus dos recensiones », dans Estudios ofrecidos al profesor José Jesús de Bustos Tovar,
éd. J. L. Girón Alconchel, S. Iglesias Recuero, F. J. Herrero Ruiz de Loizaga et A. Narbona,
Madrid, 2003, t. 2, p. 1117‑1133.
15. El Poema de Alfonso xi, éd. Y. T. Cate, Madrid, 1956, v. 100‑156 ; M. F. Nussbaum, Claves
del entorno ideológico del Poema de Alfonso xi, Lausanne, 2012, p. 66‑68.
16. Gutierre Díaz de Games, El Victorial, éd. R. Beltrán, Madrid, 1994 ; R. Beltrán, « Huellas
de Alejandro Magno y del Libro de Alexandre en la Castilla del siglo xv : un modelo para la
historia y la biografía », dans L’historiographie médiévale d’Alexandre le Grand, éd. C. Gaullier-
Bougassas, Turnhout, 2011, p. 155‑172.
17. M. Crombach, Bocados de oro, éd. cit., p. xxvi.

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124 Hugo O. BIZZARRI

garde une série d’annotations réalisées en tant que prueba calami où figurent
des détails d’un procès dans lequel Juan, moine de Saint-Jacques, représente
Fray Díaz de Zetino contre María de Aguirre, femme d’Alonso de la Fuente,
pâtissier. Le procès fut suivi par Juan de Villegas. Une date y figure, « a doce
diaz del mes de agosto de mill y seiscientos y quince años » (fol. 1 r, « le
12 août 1615 »). Rien n’est connu ni sur ces personnages, ni sur l’affaire. Nous
apprenons au mieux que le codex des Bocados de oro devait appartenir à des
laïcs au début du xviie siècle.
Aucun autre élément ne favorise une localisation plus précise du manuscrit.
Au xve siècle, les anciennes collections de proverbes étaient toujours en vogue.
En effet, presque tous leurs codices peuvent être datés entre la fin du xive et la
fin du xve siècle. Précisément, on conserve seize manuscrits des Bocados de oro,
un nombre inhabituel pour les textes hispaniques, et ils appartiennent tous
au xve siècle. Durant cette période, on ajoute à l’œuvre sept chapitres initiaux
qui racontent l’histoire d’un roi fictif : appelé Bonium, il est à la recherche
de la sagesse. Ces codices se divisent aussi en deux groupes : ceux qui insèrent
comme chapitre final l’Historia de la doncella Teodor, un récit issu des Mille
et une nuits qui retrace le débat érudit entre cette jeune femme et des savants
du roi jusqu’à la défaite totale de ces derniers18 ; ceux qui proposent à la fin
la Vida de Segundo, une biographie qui, réalisée peut-être dans des milieux
pythagoriques, relate le dialogue entre ce philosophe et l’empereur romain
Hadrien19. Tout cela permet de constater que la copie de l’œuvre demeura
inventive au xve siècle. Par conséquent, l’intention du manuscrit 6545 de la
Biblioteca Nacional de España de présenter la biographie d’Aristote sous une
nouvelle forme n’est pas si surprenante.
Vers le milieu du xiiie siècle, Alphonse X avait traduit ces collections pour
appuyer sa réforme juridique20. Une instruction morale de la royauté et de
la noblesse était requise afin d’accepter ce nouvel ordre juridique. Mais les
indications de possesseurs de certaines copies manuscrites du xve siècle des
Bocados de oro montrent un changement parmi les destinataires. Quelques-
unes mettent en évidence sa diffusion dans des milieux ecclésiastiques : le
codex de Madrid, Biblioteca Nacional de España, 6936, appartint jusqu’en
1524 au prêtre Ambrosio de los Ríos de l’Ordre de Saint Dominique ; celui

18. Manuscrits h, m, g, p, selon la nomenclature de Crombach, Bocados de oro, éd. cit.,


p. xxiii-xxv.
19. Manuscrits e, B, F, L, selon la nomenclature de Crombach, ibidem, p. xxvi-xxvii.
20. J’ai développé en détail ce sujet dans « Las colecciones sapienciales castellanas en el
proceso de reafirmación del poder monárquico (siglos xiii y xiv) », Cahiers de linguistique
hispanique médiévale, 20 (1998), p. 35‑73.
 un manuscrit pour la noblesse EN ESPAGNE 125

de Salamanque, Biblioteca universitaria, 1866, fut copié pour l’évêque Diego


de Anaya ; le manuscrit de Madrid, Biblioteca Nacional de España, 8405,
provient du couvent de Saint-Vincent-Ferrier à Plaisance et le manuscrit de
Salamanque, Biblioteca universitaria, 1763, du collège de l’archevêché de
Salamanque. D’autres copies témoignent de sa présence parmi la noblesse :
le manuscrit de Madrid, Biblioteca Nacional de España, 8204, appartint à la
bibliothèque bâtie par le comte de Haro à Medina del Pomar, le manuscrit de
Palma de Majorque, Fundación Bartolomé March, 20/4/1, à celle du duc de
Medinaceli et le manuscrit de Madrid, Biblioteca Nacional de España, 3378,
à celle du duc d’Úceda. Ceci démontre qu’au xve siècle, dès qu’elle ne fut
plus liée à une réforme juridique, cette œuvre s’ouvrit à des publics divers. Sa
double orientation religieuse et morale la rendit utile aussi bien pour les ordres
religieux que pour la noblesse en général. Il faut certes tenir compte du fait
que les nobles se consacraient très fréquemment à la religion et il est par consé‑
quent possible que la lecture leur en fût réservée. De ce fait, au xive siècle,
l’ordre de Santiago adapta une collection du milieu d’Alphonse X, Flores de
filosofía, afin qu’elle fût utilisée pour l’enseignement moral et religieux de ses
confrères : il s’agit des Dichos de sabios. Finalement, l’imprimerie rendit cette
littérature accessible à un nouveau public : les bourgeois, qui recherchaient
des œuvres de distraction, mais également des textes édifiants21.
La tradition du Poridat de las poridades revêtit également une importance
fondamentale, bien qu’elle soit plus pauvre que celle des Bocados de oro. En
fait, ce texte n’intéressa pas l’imprimerie et on ne conserve que cinq manus‑
crits. Dans son prologue, l’œuvre indique qu’elle contient huit chapitres :
El primer tractado es en maneras de parte de los reyes. El segundo es del esta‑
do del rrey e en su manera e commo deue fazer en si mismo e en su auer e en
sus ordenamientos. El tercero es de la manera de las iusticias. El quarto es de
los alguaziles e de los escriuanos e de los adelantados e de los caualeros e de
manera de armallos. El quinto es de los mandaderos del rrey. El sesto es del
ordenamiento de sos conbatedores. El septimo es del ordenamiento de las
batallas. El ochauo es de los saberes ascondidos e de propiedades de piedras e
de las plantas e de las animalias e de poridades estrannas de fisica22.

21. Il s’agit d’un domaine de recherche inexploité jusqu’à nos jours. J’ai essayé de donner
quelques précisions dans « La littérature parémiologique castillane durant l’imprimerie pri‑
mitive (1471‑1520) », dans Tradition des proverbes et des exempla dans l’Occident médiéval / Die
Tradition der Sprichwörter und exempla im Mittelalter, éd. H. O. Bizzarri et M. Rohde, Berlin,
2009, p. 299‑331.
22. Éd. H. O. Bizzarri, op. cit., p. 105.

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126 Hugo O. BIZZARRI

[Le premier traité aborde les manières des rois. Le deuxième traite de
la condition du roi, de ses manières et de comment il doit agir avec lui-
même, avec ses possessions et avec ses jugements. Le troisième traite de la
manière d’exécuter la justice. Le quatrième traite des huissiers, des écri‑
vains, des adelantados, ainsi que des chevaliers et de la façon de les armer.
Le cinquième traite des messagers du roi. Le sixième expose comment
disposer de l’armée. Le septième traite de la stratégie lors des batailles. Le
huitième traite des savoirs cachés, des propriétés des pierres, des plantes
et des animaux, ainsi que des secrets étranges de la physique.]
Mais ce plan bien détaillé fut altéré dans les manuscrits qui n’hésitèrent pas
à subdiviser de façon absurde les chapitres. Dans le même ordre d’idées, il
faut ajouter encore les expurgations, qui concernent spécialement les sections
destinées aux batailles et aux savoirs secrets, les plus controversés.
La transmission du Poridat de las poridades revêtit trois formes. Un manus‑
crit, le manuscrit L, transmet le texte en tant qu’œuvre indépendante23. Il s’agit
justement d’un codex de la fin du xiiie siècle, ce qui assure cette autonomie.
Plus fréquemment, dans les manuscrits M, N et S, l’œuvre fut associée à des
copies du Libro de los buenos proverbios : l’un de ces témoignages manus‑
crits date de la fin du xiiie siècle, ce qui dénote l’ancienneté de cette union ;
les autres diffusent Poridat de las poridades avec des œuvres du xve siècle.
Durant cette même période, un manuscrit tardif, le ms. O, l’assemble avec les
Bocados de oro. Dans cette association avec d’autres textes sapientiels, les écrits
s’unissent précisément grâce à la matière aristotélico-alexandrine. L’intention
est claire : réaliser un compendium des connaissances transmises sur Aristote et
Alexandre, qui se voient ainsi surévaluées par rapport aux autres qui figurent
dans ces collections24.
Revenons sur le manuscrit de Madrid, Biblioteca Nacional de España,
6545, et sa copie des Bocados de oro. L’œuvre originelle comprenait les bio‑
graphies de vingt-deux savants, un chapitre sur les « dichos de muchos sa‑
bios » (« dits de plusieurs savants ») et un dernier sur « los dichos que non
sopieron quien los dixo » (« les dits anonymes »). Ce codex n’inclut que
les chapitres des vingt-deux biographies, peut-être dans l’intention de bâtir
l’œuvre comme une galerie d’anciens savants. Son texte ne présente pas non
plus la série des philosophes dans leur ordre originel. Les biographies unies

23. Je donne les sigles des manuscrits : L (Lisbonne, Biblioteca Nacional, 46) ; M (El Escorial,
Biblioteca del real monasterio de San Lorenzo, L.iii.2), N (El Escorial, Biblioteca del real mo‑
nasterio de San Lorenzo, H.iii.1), S (Salamanque, Biblioteca universitaria, 1763) et O (Madrid,
Biblioteca Nacional de España, 6545).
24. Voir H. O. Bizzarri, éd. cit., Pseudo-Aristóteles, p. 41.
 un manuscrit pour la noblesse EN ESPAGNE 127

d’Aristote et d’Alexandre sont placées en tête, comme s’il s’agissait presque


d’un traité indépendant. Viennent ensuite la biographie et les dits de Socrate
et des philosophes qui le suivaient dans le texte originel. Les premières bio‑
graphies sont déplacées à la fin, à cause peut-être de la modification apportée
à l’ordre général et de l’antéposition de celles d’Aristote et d’Alexandre.
Certaines rubriques sont aussi plus longues que celles de l’œuvre originale.
C’est le cas, par exemple, de celle qui annonce les sages paroles d’Hermès :
« Estos son los dichos de Hermes el sabio profeta » (fol. 36 v, « Voici les dits
d’Hermès, le savant prophète ») remplace « Estos son sus dichos » (éd. cit.,
p. 6, « Voici ses dits »). Dans le texte original, il était dit qu’Hermès corres‑
pond au nom hébraïque d’Hénoch :
Naçio Hermes en Egipto. E Hermes en griego quiere tanto dezir como
menje, e dizen los hebraicos Enoch. E fue fijo de Xaret, fijo de Nabalet, fijo
de Quina, fijo de Enes, fijo de Sed, fijo de Adan. E fue ante del grant diluvio,
[el que desfizo el mundo, e este fue el primer diluvio. (éd. cit., p. 5)
[Hermès naquit en Égypte. Ce nom signifie en grec « médecin ». Il cor‑
respond au nom hébraïque d’Hénoch. Il fut le fils de Xaret, fils à son
tour de Nabalet, fils à son tour de Quina, fils à son tour d’Enes, fils à son
tour de Sed, fils à son tour d’Adam. Ceci eut lieu avant le grand déluge,
considéré comme le premier, qui détruisit le monde.]
Mais le manuscrit O ne contient pas cette biographie. Par conséquent, il est
probable que la rubrique provienne de la copie qu’il reproduit. Le chapitre
sur le savant Longinem est introduit de la manière suivante : « Capitulo de
los castigos de Loginem el muy sabio onbre & de buen seso & fue de ethiopia
& alli aprendio el saber » (fol. 25 r, « Chapitre sur les conseils du très savant
Loginem d’Éthiopie, où il apprit tout son savoir »). Évidemment, cette am‑
plification constitue une information que le copiste a prise de la biographie
même du sage : « Longuinem fue vn onbre negro & n[a]sçio en tierra de
ethiopia & fino en tierra de Listeus » (fol. 25 r, « Longinem était un noir
d’Éthiopie qui mourut à Listeus »). L’addition du savant Çagalquis est la
plus singulière : « Capitulo de los castigos de Sacalquis el sabio antiguo & este
fue disçipulo de Hermes » (fol. 41 v, « Chapitre sur les conseils de l’ancien
savant Çagalquis, disciple d’Hermès »). Ce personnage ne possédait aucune
biographie ; c’est pourquoi, afin d’indiquer plus précisément la descendance
d’Hermès, il est qualifié d’ancien pour signaler qu’il s’agit d’un des premiers
savants.
Les biographies d’Aristote et d’Alexandre le Grand sont les plus retra‑
vaillées, elles sont réunies au point de ne constituer à elles deux qu’une seule

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128 Hugo O. BIZZARRI

section. Celle-ci est composée de 14 parties, où se mélangent les matériaux


des Bocados de oro et du Poridat de las poridades. Elle commence directement
par les dits d’Aristote, en omettant ainsi sa biographie présente dans Bocados
de oro : « Estos son los dichos de Aristotiles & sus castigos » (fol. 1 r, « Voici
les dits et conseils d’Aristote »). Est-ce que cette lacune correspond à une
suppression mécanique, fruit de la transmission manuscrite, ou plutôt à une
élimination volontaire ? Le codex dispose d’un foliotage ancien qui commence
par le numéro 1, ce qui semble indiquer que la biographie ne figurait déjà
plus dans cette copie et que son omission pourrait répondre à une volonté du
compilateur, qui modifia la liste des savants.
Certaines sections correspondent ensuite à des erreurs de copistes peu
attentifs. L’un d’entre eux voulut rehausser la figure d’Alexandre : après la ru‑
brique « Castigo [a] Alixandre » (fol. 3 r, « Conseil à Alexandre »), il divise
la succession des conseils d’Aristote. Le chapitre présente à part le conseil n°
42 d’après l’édition de Crombach qui se réfère aux lettres d’Aristote envoyées
au héros macédonien : « E enbio dezir [a] Alixandre por la su carta. Por tres
cosas se honran los Reyes. Por poner fermosas letras & por conquerir buenas
conquistas & por poblar las tierras yermas » (fol. 3 r, « Il envoya une lettre
à Alexandre où il lui signala les trois façons pour un roi d’être honoré : la
rédaction de belles lettres ; les bonnes conquêtes ; le peuplement de régions
désertes »). Il s’agit peut-être d’une marginalia insérée dans le texte par un
copiste qui pensait que cela engendrait une nouvelle section. Le même pro‑
cédé se répète au folio 3 v, où la rubrique « Aristotiles [Aristote] » provoque
la présentation à part de la sentence n° 60 de l’édition de Crombach (p. 108).
Au folio 6 r surgit une nouvelle rubrique : « Capitulo de los castigos que
dio el sabio Aristotiles a Alixandre » (« Chapitre sur les conseils prodigués
par le savant Aristote à Alexandre »). Le prologue du Poridat de las poridades
est ici inséré et met en avant la relation maître-disciple qui lie Aristote et
Alexandre. La succession de sentences est donc interrompue afin de placer le
prologue du Poridat qui relate comment le roi demande de l’aide au philo‑
sophe et comment, face à l’impossibilité de se rendre auprès de lui, ce dernier
lui envoie une lettre qui se perd et qui est ensuite retrouvée dans un temple.
Dans la transcription du texte, il se produit des confusions. La version origi‑
nale commençait par dire que le prince Miramomelin ordonna à son émissaire
de retrouver le livre du Poridat de las poridades ; cependant, ici, cette recherche
est attribuée à Aristote, auteur également du livre :
Loado sea el nonbre de Dios & señor de todo el mundo. Yo, Aristotiles,
mando el mio señor que buscase el libro de la manera de ordenar el Reyno
 un manuscrit pour la noblesse EN ESPAGNE 129

que dize[n] Poridat de las poridades. El que fizo el filosofo leal Aristotiles.
(fol. 6 r)
[Loué soit le nom de Dieu, seigneur de tous. Mon seigneur m’ordonna à
moi, Aristote, de rechercher le livre appelé Poridat de las poridades, qui
traite des manières de gouverner le royaume et qui fut composé par le
fidèle philosophe Aristote.]
Il s’agit d’une erreur qui est le fruit de la manipulation du texte. Le fragment
est inséré entre les conseils d’Aristote ; par conséquent, on continue à attribuer
un rôle capital au philosophe, qui part à la recherche de son propre livre.
Une autre modification concerne le temple où est découvert le fameux
livre. Dans le texte original, il s’agissait d’un endroit construit par Hermès le
Grand. Ce dernier était considéré comme le père de l’alchimie. Une légende
indiquait que, avant le Déluge, il cacha ses écrits alchimiques dans un tunnel
où ils furent retrouvés par un philosophe appelé Balinus, qui les remit ensuite
à Aristote25. Ici, le récit est de nouveau corrompu et une modification sans
doute volontaire élimine les références à la science alchimique. Le texte relate
donc que le secrétaire de roi, appelé ici Jachiel, arrive au temple d’Abdexanis
« que fizo vno que era mayor por si » (« construit par un plus grand »).
La référence à Hermès est supprimée, d’où la reformulation de la phrase : le
temple fut bâti par un savant supérieur à tous les autres.
Le premier chapitre du Poridat, divisé ici en deux parties, s’intercale au
folio 7 r. Il contient des conseils politiques sur la manière dont un roi doit se
comporter vis-à-vis de son peuple. L’élément oriental est amoindri ; on ne
mentionne que les Indiens et les Perses dans le débat sur le meilleur des rois :
« E dixieron los de india que es escaso para si & para su pueblo faze derecho.
E dixieron los de persia contra ellos quel que es franco para si & para su pueblo
aquel faze derecho » (fol. 7 r, « Les Indiens estimèrent qu’il devait être avare
envers lui-même et droit envers son peuple ; les Perses répondirent qu’il devait
être généreux envers lui-même et droit envers son peuple »). Si Poridat ne se
concentre pas sur la réunion de savants grecs, l’élément oriental est toutefois
moins important : le lapidaire, la description physionomique et les éléments
magiques ont disparu.
Le copiste scinde également le chapitre 2 de Poridat en deux parties :
une première qui réunit des conseils de savants indiens ; une deuxième qui
blâme les secrétaires et conseille à Alexandre de faire attention aux poisons.

25. J.  Ruska, Tabula Smaragdina. Ein Beitrag zur Geschichte der hermetischen Literatur,
Heidelberg, 1926.

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130 Hugo O. BIZZARRI

On rappelle alors l’épisode de la femme nourrie avec du venin que le roi de


l’Inde lui envoya sous la forme d’un cadeau pour le tuer. Le récit évoque ce
monde alchimique où les métamorphoses sont possibles : une jeune femme
nourrie par sa mère depuis sa petite enfance avec du poison de serpents finit
par modifier sa propre nature. Le texte est présenté dans sa plus brève version,
avec l’omission de l’épisode final dans lequel un esclave est sacrifié afin de
tester le pouvoir meurtrier de la femme26 (fol. 9 v).
Après l’insertion du chapitre 3, qui a pour thème l’administration de la
justice, les emprunts à Poridat s’interrompent et le manuscrit en revient à la
biographie du héros macédonien telle qu’elle figurait dans Bocados de oro. Le
début de la vie d’Alexandre est négligé : le récit commence par la demande
de contribution de la part de Darius (fol. 11 v), suivie par la lettre du héros
lorsqu’il part combattre les païens (fol. 14 r) et, enfin, par l’évocation de sa
mort (fol. 16 r‑17 r). C’est alors seulement que le texte du Poridat est repris
à partir de son chapitre 4 (conseils sur les secrétaires et les fonctionnaires du
gouvernement). Le « capitulo de los castigos de Alixandre el sabio » (p. 133,
« chapitre sur les conseils d’Alexandre le savant »), extrait des Bocados de oro,
est introduit à la fin (fol. 19 v). Les sections les plus particulières du Poridat
sont supprimées : les chapitres 5 à 8 consacrés à la numérologie magique, au
pouvoir magique des pierres, aux batailles, à l’astronomie. En d’autres termes,
on omet tout ce qui aurait représenté le plus grand intérêt pour Alphonse X,
c’est-à-dire le monde exotique et magique fréquenté par Alexandre.

Conclusion

Le manuscrit de Madrid, Biblioteca Nacional de España, 6545, n’est pas


important pour la tradition textuelle des Bocados de oro ni pour celle du
Poridat de las poridades. Il comporte beaucoup d’erreurs de transmission, mais
il reflète aussi le désir, un peu maladroit, de fournir une biographie originale
du héros macédonien. Il reflète l’une des nombreuses expurgations subies par
l’œuvre pseudo-aristotélicienne, le Sirr-al-’asrâr27. S’il intègre Poridat dans

26. Sur les diverses versions de ce récit, voir mon étude « Le Secretum secretorum en Espagne :
de traité médical à miroir de prince », dans Trajectoires européennes du Secretum secretorum
du Pseudo-Aristote, éd. C. Gaullier-Bougassas, M. Bridges et J.-Y. Tilliette, Turnhout, 2015,
p. 187-213.
27. H. O. Bizzarri, « El Secretum secretorum en Castilla : una consecuencia de la censura
parisina », dans Studia Hispanica Medievalia III. IV Jornadas Internacionales de Literatura
Española Medieval, éd. R- E. Penna et M. A. Rosarossa, Buenos Aires, 1993, p. 9‑14.
 un manuscrit pour la noblesse EN ESPAGNE 131

le texte des Bocados de oro, c’est en supprimant de nombreuses sections sur


les sciences occultes, pour offrir une image orthodoxe du savoir d’Aristote et
Alexandre. Les monarchies du xve siècle n’avaient pas besoin de présenter
l’idéal d’un souverain instruit en savoirs exotiques ; au contraire, les rois et les
nobles devaient être formés à l’orthodoxie chrétienne et, par conséquent, la
relation entre Aristote et Alexandre le Grand devait s’orienter dans ce sens. Ce
codex est l’un de ceux qui établit l’image christianisée d’Aristote et Alexandre
que reflètent aussi des auteurs comme Gutierre Díez de Games, le marquis de
Santillana, Juan de Mena et d’autres intellectuels de la Castille du xve siècle.
C’est cette constante adaptation de l’image d’Alexandre aux idéaux politiques
du temps de l’écriture qui permit à son souvenir de perdurer tout au long du
Moyen Âge.

Hugo O. Bizzarri
Université de Fribourg

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