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Ana-Maria Rizzuto
2002/1 no 78 | pages 65 à 86
ISSN 0040-9375
ISBN 2913062938
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-topique-2002-1-page-65.htm
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Ana-Maria Rizzuto**
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Freud, influencé par le positivisme de son temps, n’a pas élaboré de théorie
du sujet (Moran, 1993). Lacan a été le premier psychanalyste à conceptualiser
le sujet, dans le contexte de sa théorisation de l’inconscient structuré comme un
langage. Le sujet de Lacan ne requiert pas l’expérience subjective de soi-même
dont je parle. Pour lui le sujet « n’est pas simplement équivalent au sentiment
conscient d’être en train d’accomplir quelque chose, ce qui serait une pure illusion
produite par le moi (ego)... Le « sujet » de Lacan est le sujet de l’inconscient. »
(Evans, 1997, p. 195) Pour lui « le sujet est un effet de langage » ... « en vertu de
son assujetion au champ de l’Autre ». Les affirmations de Lacan restent de l’ordre
de la construction théorique, aussi vaste soit-elle.
Ce dont nous avons besoin c’est d’une théorie psychanalytique qui nous
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Pour Winnicott il n’y a pas de bébé sans mère ni de mère sans bébé. La mère
en tant qu’environnement qui procure le holding pour le bébé, ainsi que sa réponse
à ses besoins, à ses gestes spontanés et la manière dont elle s’offre comme miroir
de lui-même, tout cela dispense ce qui est essentiel pour que l’infans se constitue
en self. Winnicott (1971) a insisté sur le rôle visuel du visage en tant que miroir
qui organise le sentiment de soi du bébé.
Il faut élargir cette conception de Winnicott afin d’y ajouter la voix mater-
nelle avec son pouvoir de toucher le bébé émotionnellement tandis qu’elle se rend
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UNE TRANSFORMATION DU SUJET PAR LA PAROLE
compte des états affectifs de l’enfant et qu’elle y répond par des actions et des
mots. Je paraphrase Winnicott (1971) : Qu’est-ce que le bébé entend lorsqu’il
entend la voix de sa mère ? S’agissant du bébé qui contemple le visage mater-
nel Winnicott répond : « Le bébé se voit ou la voit ». Lorsque la mère répond au
geste spontané du bébé en nommant le besoin et en s’adressant à lui avec un ton
de voix chargé d’une coloration émotionnelle spécifique, puis satisfait le besoin,
elle a donné au bébé, avant qu’il ne comprenne le langage, une interprétation
verbale et en action de l’expérience subjective qui lui apporte une satisfaction
agréable. Ce que le bébé entend, ressent, perçoit dans l’affect de la voix mater-
nelle c’est lui-même compris comme un self dont le monde intérieur a été reconnu
et rencontré par la voix maternelle. Pour paraphraser à nouveau Winnicott (1962)
le bébé pourrait dire à la mère : « Je ressens que tu me connais de l’intérieur
parce que ta voix me touche dedans puis tu me procures une satisfaction. »1
Il faut remarquer que si le visage reflète l’enfant tout entier il ne possède pas
le pouvoir somatique pénétrant et affectif de la voix qui touche l’enfant viscé-
ralement. Les recherches de Wolff (1963) montrent que les enfants sourient
d’abord à la voix maternelle et plus tard au visage maternel ce qui laisse suppo-
ser que l’effet de miroir de la voix précède celui du visage. À partir de ces
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Depuis le début de la vie les enfants sont englobés dans une matrice de parole.
Le fœtus répond aux sons dès le cinquième mois. Les bébés préfèrent la voix de
la mère après la naissance à toute autre (Kolata, 1984) et après le quatrième mois
ils préfèrent les mots à tout autre son (Butterfield and Siperstein, 1974). Ces
découvertes suggèrent que les composantes prosodiques du langage parlé ont
un effet profond sur le plaisir que trouve le bébé dans la parole et la voix mater-
nelles qui n’est pas relié à la satisfaction des besoins. Les mères comprennent le
plaisir que le bébé trouve dans la voix et la parole maternelles car elles plongent
leurs enfants dans un « bain de son » (Mowrer, 1952). La prosodie de la voix
humaine semble être l’internalisation la plus précoce de la mère. Elle ne présente
1. De toute évidence, Winnicott ni moi-même ne mettons rien d’autre dans ces phrases que le
bon visage et la bonne voix de la mère qui reconnaissent l’enfant. L’échec à établir un contact avec
le bébé dans les deux registres a toujours des effets délétères sur le développement de l’enfant.
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pas de valeur linguistique mais elle porte un message affectif puissant qui signifie
l’intention maternelle d’engager un lien émotionnel avec le bébé (Fernald, 1996,
p. 83). Les composantes affectives de la relation présentes dans la voix humaine
demeurent une clé essentielle pour entendre et interpréter les composantes
affectives des communications verbales. Les analystes s’efforcent de parler à
leurs analysants avec des voix calmes et égales comme pour leur adresser le
message prosodique qu’ils veulent les écouter. L’analysant à son tour écoute le
message affectif prosodique dans la voix de l’analyste pour s’assurer des
intentions de l’analyste.(Rizzuto, 2000)
Les mères prennent l’initiative de constituer leurs enfants, qui ne sont pas
encore capables d’utiliser le langage, en interlocuteurs bien avant que l’enfant
ne soit capable de devenir un sujet parlant. Elle pallient l’incompétence de l’infans
en se servant d’une action de l’enfant comme d’une sorte de réponse en dialogue
(Snow, 1977) verbalisée par la mère en tant que réponse dans ce dialogue. Elles
s’adressent à l’enfant en lui disant « tu », le pronom qui le constitue pragmati-
quement comme le partenaire d’une interlocution (Benveniste, 1971) tout en
s’efforçant par tous les moyens d’engager l’enfant émotionnellement dans une
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L’analyse est la deuxième occasion dans une vie où une personne essaye de
façon renouvelée de confirmer les expériences internes et les besoins d’un sujet
en les nommant, en les décrivant et en les interprétant par sa parole. La différence
c’est que l’analyste ne satisfait que le besoin de trouver sens à soi-même et à ses
propres souffrances tout en acceptant les fantasmes de satisfaction directe du
désir. Cependant dans les deux cas le sujet est trouvé, dans son expérience et dans
ses besoins, par la mère-objet ou l’analyste qui trouve d’abord, par le biais de
ses propres sensations et perceptions, les mots qui donneront sens à l’expérience
subjective (charges ?) du patient.
Freud (1915, 1940) a décrit les tensions somatiques internes comme étant à la
source de l’exigence faite au psychisme de constituer un « représentant psychique »
(Psychische repräsentanz) de la pulsion (besoin). Cependant comme A. Green
(1987) le fait remarquer « il n’y a pas de relation analogique entre l’excitation
somatique interne et le représentant psychique de la pulsion. ». L’exigence de
l’excitation physiologique requiert sa transformation en représentation psychique
en tant que pulsion (un besoin psychique) qui à son tour élabore le processus de
satisfaction en vie psychique. Il semble peu probable que le représentant pulsionnel
puisse précéder la première expérience de satisfaction corporelle si l’on comprend
la pulsion comme un « stimulus (interne) appliqué à l’esprit » (Freud, 1915) qui
2. Il faut porter au crédit de Lacan d’avoir souligné l’importance de ce terme chez Freud.
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Dès le troisième mois, mère et enfant commencent à établir des formes inten-
tionnelles de communication qui font partie de la satisfaction des besoins et accom-
pagnent des moments d’investissement ludique. Ces formes deviennent un
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dialogue des corps au cours duquel chacun des partenaires de la dyade contribue
alternativement à la construction de rituels et de jeux (Sander, 1964). Un dialogue
source de plaisir s’établit lorsque les messages entre la mère et l’enfant sont
complémentaires et l’expression de leur affect suffisamment proche (Rizzuto,
1988, 1991) : invitation-acceptation, salutation-salutation, rire-rire. Lorsque l’affect
de la mère n’est pas suffisamment semblable ou bien lorsque son message n’est
pas complémentaire, l’enfant fait l’expérience du rejet et du déplaisir. Lorsque
l’enfant sent que l’adulte a l’intention de communiquer avec lui en tant que tel
alors se développe en lui un désir de communiquer avec et d’être investi par la
mère et d’autres personnes. Toutes ces expériences de communication sont
contenues dans la parole maternelle qui s’adresse à l’enfant (Rizzuto, 2000) même
lorsqu’il est trop petit pour participer.
Je pense que l’affirmation de Freud (1891) : percevoir c’est associer, est vraie.
Si tel est le cas, lorsque l’enfant apprend des mots de sa mère, la représentation
de chose correspondante qu’il forge, constituée d’éléments sensoriels visuels,
tactiles, auditifs et autres (Freud, 1891), doit également venir s’associer à la
perception de la satisfaction du besoin et au moment de communication entre la
mère et l’enfant. Je pense que ce processus associatif inconscient entre les
représentations de chose et l’expérience de satisfaction ou son échec constitue
le lien essentiel avec les mots qui leur donne le pouvoir d’avoir accès à l’expé-
rience subjective. Si tel n’était pas le cas, nous ne pourrions parler que des objets
externes ou bien de nous-mêmes comme des objets perçus. C’est la connexion
entre représentation de chose et expérience subjective qui rend la psychanalyse
possible comme cure de parole. C’est au travers de telles associations que les mots
trouvent leurs liens complexes avec les processus primaires ce qui a pour effet
de réveiller l’expérience subjective. Nous devons considérer que la fantasmati-
sation consciente et inconsciente fait partie de l’expérience subjective elle-même.
Le pouvoir que possède le langage de toucher l’individu intérieurement,
viscéralement, provient de cette association entre représentation de chose (qui
prend son origine dans la périphérie du corps) et les expériences de satisfaction
somatiques et viscérales associées tandis que les mots maternels enveloppaient
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UNE TRANSFORMATION DU SUJET PAR LA PAROLE
Les pronoms personnels apparaissent après que l’enfant ait acquis entre
118 et 272 mots pour désigner les choses et les actions (Gesell, 1940). Dans un
premier temps ils indiquent seulement que l’enfant s’est approprié sur le mode
parlé la notion de tour de parole dans le discours. Les pronoms de première et
de deuxième personne apparaissent à 24 mois et les pronoms de troisième
personne à 30 mois. À ce stade le pronom de première personne semble se
rapporter au sentiment qu’a l’enfant d’être lui-même (Sharpless, 1985), i.e à sa
capacité de perception subjective. À partir de ce moment les pronoms person-
nels « Je » et « tu » vont remplir deux fonctions essentielles. Tout d’abord,
linguistiquement, les pronoms sont des mots indispensables pour établir un
dialogue entre différents partenaires. Il faut utiliser un pronom personnel pour
s’adresser à un autre. Comme Benveniste le fait remarquer : « La forme du Je n’a
pas d’existence linguistique excepté dans l’acte de parole qui le prononce. » Cela
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Lorsqu’un enfant franchit cette étape il a développé les capacités de base qui
vont lui permettre de participer à un processus psychanalytique et à ce qu’il exige
dans le registre de la parole et du langage. La principale défense contre l’expé-
rience de mentalisation est le refoulement (Fonagy, 1991), qui fait en sorte
d’écarter de la perception consciente les actes de fantasmatisation ou de
perception qui sont intolérables au sujet conscient. Les processus pré-verbaux
et de pré-mentalisation requièrent des défenses plus primitives. Arrivé à ce degré
de développement psychique et langagier l’enfant devient capable d’une vie
psychique conscient et inconsciente à part entière. Un processus d’auto-narration
commence dans lequel l’enfant s’adresse à lui-même comme à un objet dans un
discours intérieur : « Je me suis dit » (Bollas, 1982).
À partir de ce moment l’enfant construit des scènes fantasmées qui impliquent
le self et l’autre qui sont fondées sur des expériences passées et présentes et il
utilise le langage rétroactivement (nachträglich) pour donner une signification
affective à des expériences plus précoces. Ainsi de ce garçon de trois ans qui avait
appris qu’une graine avait été plantée dans le ventre de sa maman pour qu’elle
soit enceinte d’une petite sœur. Il demanda si sa maman l’avait aimé lorsqu’il
était petit comme une graine, et, une fois rassuré sur ce point, il s’exclama :
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1. La situation analytique
En enjoignant au patient de lui dire tout ce qui vient à l’esprit, l’analyste lui
demande de se servir du langage comme il ne l’a jamais fait auparavant. C’est
la première fois de sa vie qu’on lui demande d’utiliser son paysage intime et ses
expériences subjectives comme objet exclusif de son attention et de sa commu-
nication. Ce paysage va devenir le sujet même de toute l’entreprise analytique
et l’objet de l’écoute analytique de l’analyste. Un changement aussi radical dans
l’usage de la parole « structure toute la relation analytique » (Laplanche et
Pontalis, 1973), et crée les conditions pour transformer le moi inconnu du patient
en un Je subjectif. L’analyste écoute, mais il laisse également le patient dans sa
totalité par ses gestes, ses mouvements corporels, ses affects, ses réactions, lui
transmettre les messages non-verbaux que le self de l’analysant adresse en tant
qu’il est acteur de ses processus conscients et inconscients. Le patient n’a jamais
fait l’expérience depuis la petite enfance qu’un adulte, dont l’être tout entier se
règle sur ses expériences, s’occupe de lui, avec une sorte de préoccupation mater-
nelle, afin de s’informer de ses expériences subjectives. Cette attention exquise
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médiatisée par la voix de l’analyste sans support visuel crée les conditions
propices à l’attachement affective du patient à l’analyste en tant qu’objet réel
et pour le transfert sur lui de sentiments et de fantasmes concernant les objets
premiers.
La motivation du patient à parler provient de la pression dynamique des
dérivés inconscients des mentalisations passées qui ont été refoulées, par la
poussée d’obscures expériences pré-verbales, et par le besoin impérieux de
symbolisation primaire (Green, 1977) en lutte active avec les défenses précoces
ou plus tardives qui le préviennent du risque affectif qu’il y aurait à exprimer tout
cela, même sous une forme dérivée. La tension qui existe dans le langage du
patient et dans d’autres manifestations non-verbales trouve sa source dans le
conflit entre d’une part la poussée dynamique qui cherche à trouver une expres-
sion et une satisfaction différées de besoins corporels et psychiques obscurs et
inarticulés, de désirs mentalisés et d’autre part les fantasmes inconscients et les
peurs et les terreurs originaires qui ont empêché la mentalisation ou bien qui ont
plus tard refoulé les représentations mentalisées. Ces tensions interfèrent main-
tenant avec ses associations libres. La tâche de l’analyste est de trouver dans les
verbalisations du patient des indicateurs et des guides qui vont permettre aux deux
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2. Le processus analytique
a. La symbolisation primaire
Si le patient se débat avec des symbolisations primaires obscures, la technique
de l’analyste doit se préoccuper de chaque dérivé qui pourrait aider le patient à
les transformer en représentations mentalisées. Le travail requiert alors un
processus prolongé et attentif qui consiste à aider l’analysant à décrire ce qu’il
ressent, certains éclats de souvenirs, d’actions, de perceptions, de métaphores
jusqu’à ce qu’il soit possible de trouver une manière suffisamment convaincante
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UNE TRANSFORMATION DU SUJET PAR LA PAROLE
de décrire une expérience psychique qui n’a jamais été représentée. L’analyste
doit faire preuve de l’attention également suspendue d’une mère qui manifeste
son intention de comprendre les états corporels et de désir de son enfant jusqu’au
pont où il peuvent se graver dans son propre psychisme sous forme de ses propres
sensations, d’actions fantasmées, d’imagerie nouvelle ou évoquée, de souvenirs
de sa propre enfance, de métaphores ou de pensées qui l’amènent à forger une
construction de l’état d’esprit du patient. L’analyste ne doit pas utiliser la
construction comme un outil pour l’interprétation mais il devrait aider le patient
à mieux articuler ce qui est en train d’émerger entre eux. Ce n’est qu’à partir du
moment où s’effectue une convergence évidente d’imagerie et de ressentis
(feelings) entre les deux protagonistes que l’analyste, si le patient ne l’a déjà fait
lui-même, peut se permettre de décrire et de nommer l’expérience. La réponse
du patient est le seul indicateur qui permet de savoir si l’analysant a réussi à
créer, après ce long processus, une représentation affectivement supportable de
l’expérience. Les communications de l’analyste doivent toutes passer par la porte
étroite du pronom « tu ». L’affect de l’analyste lorsqu’il utilise le « tu » (fonction
spécularisante de la voix) est l’élément déterminant qui réussira ou échouera à
convaincre le patient de trois faits indispensables : que l’intention de l’analyste
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avoir un effet de diversion ou bien être captivants, pleins de détails pour garder
l’analyste en haleine. Ils peuvent par ailleurs se trouver pris dans des affects très
intenses (cf. Valenstein (1962) l’ « affectualisation ») ou bien ils peuvent être des
mots et des narrations concrets qui ne rendent pas compte de l’expérience inté-
rieure. Le but défensif essentiel de ces formes de verbalisation est d’éviter la
communication avec un objet dont le patient suppose qu’il ne souhaite pas com-
muniquer avec lui ou bien risque d’utiliser ses communications pour l’abandon-
ner ou pour le détruire émotionnellement. Cette hypothèse suggère que l’analy-
sant ne trouve pas ou n’a pas trouvé dans sa communication verbale avec des objets
l’aide dont il a besoin pour se trouver lui-même dans ses expériences (Myerson,
1991). La perlaboration de cette difficulté s’accomplit essentiellement en prêtant
la plus grande attention aux convictions du patient concernant la question de savoir
qui il est en tant qu’interlocuteur pour l’analyste dans l’analyse. La technique de
l’analyste consiste à se préoccuper non pas tant du contenu des associations du
patient mais surtout de la manière dont le patient s’adresse à lui en tant qu’objet
relationnel. Nous sommes là au cœur des enjeux tansférentiels présents dans toute
analyse parce que chez tous les patients la parole comme outil de communication
apparaît seulement lorsque les figures élémentaires de la relation ont pu être éta-
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Lorsque l’analysant commence à sentir qu’il est entre les mains d’un objet
suffisamment sûr qui peut pleinement prendre en compte et contenir ses ressen-
tis (feelings), il peut alors se permettre de s’approcher d’expériences préverbales
pathogènes jamais nommées. Elles peuvent à présent prendre sens, non pas
comme souvenir du passé mais comme expérience vivante et vécue (Erlebniss)
dans la situation transférentielle elle-même. Dans ce revécu, lorsque l’analyste
dit « tu » (« vous ») le patient ressent qu’il s’agit de lui faisant l’expérience de lui-
même avec l’analyste engagés ensemble dans leur manière de verbaliser les
événements de l’expérience.
que les patients choisissent pour décrire leurs expériences (Sharpe, 1950 ; Rizzuto,
2001). Septièmement il y a du drame, c’est-à-dire, de l’affect liant le sujet au corps
et à l’intrigue, de l’intentionnalité, un point de vue affectif, et l’essentiel « grain
de vérité » qui se trouve réveillé dès qu’un dérivé de représentation devient pré-
conscient. Le drame concerne le désir insatisfait, et le désir que l’on croit
impossible à satisfaire du fait des défenses puissamment établies. C’est ce drame
qui pousse continuellement le self-acteur inconscient à ne jamais cesser d’essayer
de trouver une possibilité de communication3 et une satisfaction acceptables
pour le surmoi et le moi idéal. Lorsque ces tentatives échouent, le self-acteur,
c’est-à-dire le patient, éprouve de l’angoisse, agit ou fabrique des symptômes qui
lui font s’exclamer : « Je sais que quelque chose ne va pas avec moi. »
La tâche de l’analyse est de trouver ce « moi » caché et cependant présent
dans la complexité représentationnelle des associations du patient. La décou-
verte progressive de ce «moi» se produit pour la première fois en présence de
l’analyste en tant que cet autre parlé et transférentiel qui emploie le « vous »
(« tu ») dans sa dimension diachronique pour ce qui est du vécu qui va de l’enfance
jusqu’au moment présent, et dans sa dimension synchronique pour ce qui est de
l’affect dialogique et transférentiel. Mon hypothèse consiste en ceci : l’analyse
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«“Jusqu’à vôtre nième année vous vous êtes considéré comme le possesseur
unique et absolu de vôtre mère ; à ce moment là un deuxième enfant est arrivé
et avec lui une forte déception. Vôtre mère vous a quitté pendant quelque temps
et, même après, elle ne s’est plus consacrée à vous exclusivement. Vos sentiments
envers elle sont devenus ambivalents, vôtre père a acquis une nouvelle signifi-
cation pour vous”, et ainsi de suite. » (Freud, Constructions dans l’analyse, 1937)
3. Je relie le terme communication à l’affirmation de Freud (1891) selon laquelle toutes les
incitations à parler spontanément se trouvent dans la région des représentations d’objet, conçues
par lui comme représentations de chose.
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UNE TRANSFORMATION DU SUJET PAR LA PAROLE
Ana-Maria RIZZUTO
75 Gardner Road
Brookline, MA 02445-4523
USA
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