Sunteți pe pagina 1din 35

Mamare Touno

LE ROI DEMON ET LE HEROS

Tome 1 : « Sois mien, Héros ! », « Je refuse ! »


Chapitre 2 : Faites de nous des humains !

Traduit du japonais par NanoDesu


Traduit de l’anglais par la Mugetsu no Fansub
CHAPITRE 2 : « FAITES DE NOUS DES HUMAINS ! »

Royaume de l’Hiver, village de l’Hivernage

LE HÉROS : Il fait froid.


LE ROI DÉMON : C’est parce que l’hiver approche.
LE HÉROS : Tu vas bien toi, Roi Démon ?
LE ROI DÉMON : Ça va… J’aimerai dire que tout va bien, mais en vérité, je suis fatiguée
d’avoir marché. Pourquoi suis-je si épuisée ?
LE HÉROS : C’est comme ça avec la neige. Et puis, tu n’as pas beaucoup d’endurance.
LE ROI DÉMON : Je suis un Roi Démon intellectuel.
LE HÉROS : Est-ce normal de venir dans un lieu aussi reculé ?
LE ROI DÉMON : Reculé ?
LE HÉROS : Je veux dire… La nourriture du Continent Central est principalement composée
de grain.1 Dans ce cas, ne devrions-nous pas nous concentrer sur le grain ?
LE ROI DÉMON : Oui, c’est vrai.
LE HÉROS : Alors, ne serait-il pas mieux qu’on se dirige vers les grands pays producteurs de
blé, comme le pays du Lac ou le pays de l’Orme ?
LE ROI DÉMON : S’ils sont disposés à m’écouter.
LE HÉROS : Ah…
LE ROI DÉMON : Il serait également préférable que tu caches ton identité pour l’instant.
LE HÉROS : Quoi ?
LE ROI DÉMON : Oui. Tu as été envoyé pour me tuer, mais quelqu’un a sûrement manigancé
tout ça pour se débarrasser de toi.
LE HÉROS : Sûrement pas !
LE ROI DÉMON : De plus, si nous voulons révolutionner le monde, nous avons besoin
d’expériences réelles et d’informations si nous voulons être convaincants.
LE HÉROS : C’est juste.
LE ROI DÉMON : J’ai pris des dispositions pour cela dans ce village. Nous mènerons des
expériences sur le soutien agricole, et en particulier sur les céréales et autres cultures.
LE HÉROS : Vraiment ?
LE ROI DÉMON : J’ai déjà un agent infiltré.

1
Grain : En produit agricole, il y a toutes sortes de grain dont le blé, l’orge, l’avoine et le seigle. Bien que le blé
soit important et facile à manger, comme il doit être cultivé avec un moulin, il est difficile à faire pousser dans le
froid. Il est considéré comme un luxe dans l’Europe du Nord.

1
LE HÉROS : Tu es douée pour planifier les choses.
LE ROI DÉMON : C’est crucial si on veut arriver à quoi que ce soit.
LE HÉROS : Dans ce village alors ?
LE ROI DÉMON : Oui, n’est-ce pas un village des plus exceptionnels ?
LE HÉROS : Je connais beaucoup de villages comme celui-ci…
LE ROI DÉMON : C’est une implantation pionnière2 typique des zones frontalières des
royaumes du Sud. Elle est composée d’un réseau de petites fermes et artisans qui travaillent
dans une zone fermée.
LE HÉROS : Et qui croient qu’il y a toujours la guerre avec l’armée des démons qui fait rage…
LE ROI DÉMON : Quand bien même, ils s’accrocheraient encore à leur vie sur cette terre.
C’est un trait admirable de l’humanité.
LE HÉROS : Donc, qui est ton agent ?
LE ROI DÉMON : Je lui ai demandé de nous préparer un logement. Je me demande où elle est.
Je sais seulement qu’elle est quelque part dans le village.
LE HÉROS : Ah… Cela ne devrait pas être trop difficile à trouver, mais dépêchons. Le soleil
va bientôt se coucher et nous ne pourrons pas errer dans ce froid.
LE ROI DÉMON : Oui, tu as raison.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Roi Démon ! Roi Démon !
LE HÉROS : Qu’est-ce que…
LE ROI DÉMON : Oh, je reconnais cette voix !
LA SERVANTE-EN-CHEF : Roi Démon !
LE ROI DÉMON : Permets-moi de vous présenter tous les deux…
LE HÉROS : Quelle folle ! On est dans un village humain ! Ne hurle pas « Roi Démon » !
LE ROI DÉMON : C’est vrai. Fais attention à l’avenir.
LA SERVANTE-EN-CHEF : (tout en souriant) Oui, je comprends, Roi Démon !
LE ROI DÉMON : Bon, ce n’est rien. Ne sois pas en colère, Héros.
LE HÉROS : (silence furieux)
LA SERVANTE EN CHEF : Vous allez avoir des rides si vous continuez d’être énervé.
LE HÉROS : Et qui est-ce ?
LE ROI DÉMON : C’est ma subordonnée, ma Servante-en-Chef.

2
Implantation pionnière : Dans le but de créer des champs à partir de terres en friche, les villages devait être
fondés à partir de rien. Les villageois ont dû endurer de dures épreuves, retirer des pierres, dessoucher des
racines d’arbres et labourer les terres en friche. En retour, toutes les terres préparées sont devenues leur
propriété.

2
LA SERVANTE-EN-CHEF : Comme mon nom l’indique, je suis la chef des servantes. Je me
suis occupée du Roi Démon depuis qu’elle est toute petite. Après avoir veillé sur elle tout ce
temps, je me réjouis tellement du mariage entre le Héros et le Roi Démon que mon cœur bat la
chamade !
LE HÉROS : J’ai beaucoup de choses à dire sur ce sujet. Mais tout d’abord, nous ne sommes
pas mariés !
LA SERVANTE-EN-CHEF : Ah bon ?
LE HÉROS : Nous avons seulement un contrat d’appartenance mutuelle illimité.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Je vois. Mais n’est-ce pas là la définition du mariage ?
LE ROI DÉMON : C’est comme la différence entre un trifolium repens3 et un trèfle.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Et n’est-ce pas la même chose ?
LE ROI DÉMON : Ils ont des noms différents donc ils ont un charme différent.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Ah je comprends ! C’est comme la différence entre une bonne, un
serviteur, une servante et un coussin humain !
LE ROI DÉMON : Ont-ils aussi leur propre charme ?
LE HÉROS : Vous êtes sérieuses ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : Le charme, c’est très important ! Il n’est pas exagéré de dire que
le charme à lui tout seul fait 80% de la relation entre un homme et une femme.
LE ROI DÉMON : C’est bien vrai ! Mais est-ce qu’il n’y aurait pas des parties plus importantes
que d’autre ?
LA SERVANT- EN-CHEF : La beauté, c’est un tout !
LE HÉROS : Dites… Il fait froid, alors…
LA SERVANTE-EN-CHEF : Oh mince !
LE ROI DÉMON : Le Héros dit qu’il a froid ! Il n’y a rien que l’on puisse faire ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : Venez par ici, je vais vous montrer.
LE ROI DÉMON : Tu n’as pas eu trop de difficultés pour tout préparer ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : Ce n’est rien de très grand, mais j’ai remis à neuf une vieille
maison près du village.
LE ROI DÉMON : Très bien, montre-nous le chemin.

3
Trifolium repens : Communément appelé « Trèfle blanc » ou « Trèfle de Hollande ». Il s’agit du trèfle le plus
répandu. En légumineuse, il permet de fixer l’azote. Il fait de l’engrais en azote naturel qui enrichit le sol.
Autrement dit, le trèfle blanc est un excellent fourrage, résistant bien au piétinement et améliorant la qualité du
sol.

3
Le royaume de l’Hiver, village de l’Hivernage,
Nouvelle maison du Roi Démon

LE HÉROS : Dis donc, n’est-ce pas un peu trop grand ?


LA SERVANTE-EN-CHEF : Ce n’est rien. Ce n’est même pas 1% du château du Roi Démon.
LE HÉROS : Château, c’est vite dit… Ça ressemble davantage à un cachot. Ne les mets pas
dans la même catégorie.
LE ROI DÉMON : Mais j’y habite !
LE HÉROS : Ah, c’est vrai.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Venez par ici, s’il vous plaît. Je vais vous servir du thé dans un
instant.
LE ROI DÉMON : Merci.
LE HÉROS : Quelle sorte de relation entretiens-tu avec cette subordonnée au juste ?
LE ROI DÉMON : Eh bien, tu ne pouvais pas le savoir, mais la Servante-en-Chef appartient
aussi à mon clan.
LE HÉROS : Est-ce une érudite ? Comme le reste de ta race ?
LE ROI DÉMON : Oh… Je ne sais pas si on peut véritablement nous appeler des « érudits ».
Plus exactement, nous sommes « une race qui ne contrôle pas sa curiosité », et une race qui se
concentre sur un champ d’étude spécifique. La Servante-en-Chef a, pour sa part, adopté « la
voie des servantes ».
LE HÉROS : Hmm…
LA SERVANTE-EN-CHEF : C’est un peu comme vous, Monsieur, qui avez adopté « la voie de
la chevalerie » !
LE ROI DÉMON : C’était rapide.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Voici votre thé rouge. J’ai rajouté du miel.
LE ROI DÉMON : Eh bien, elle a toujours été à mes côtés. Parfois je la laissais même
commander nos armées de démons.
LE HÉROS : Euh… Est-ce vraiment une tâche que les servantes peuvent accomplir ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : Pouvoir répondre à n’importe quelle demande de mes maîtres,
c’est là, « la voie des servantes ».
LE ROI DÉMON : D’ailleurs, à qui appartient cette maison ?
LE HÉROS : Oui, j’aimerais bien le savoir aussi.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Selon mes sources, ce bâtiment devait appartenir à la noblesse de
ces terres. Mais l’héritier de la famille est mort pendant la guerre, et depuis, la maison est laissée
à l’abandon.
LE ROI DÉMON : J’espère que tu es passée par des sources sûres.

4
LA SERVANTE-EN-CHEF : Oui bien sûr. Même l’équipe d’ouvriers que nous avions employé
pour rénover l’endroit a été payé avec la monnaie locale.
LE ROI DÉMON : Bien.
LE HÉROS : C’est étonnamment raisonnable.
LE ROI DÉMON : Il faudra rester prudent au cas où on nous demande de prouver notre lignage.
Mais pour l’instant, nous devrions pouvoir résoudre les problèmes pacifiquement. Nous ne
devrions pas avoir recours à la force. Il serait problématique que nous soyons haïs.
LE HÉROS : Comment ça ?
LE ROI DÉMON : Rien, vraiment… Bon, très bien. Restons ici. Que faisons-nous pour nos
identités ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : J’ai déjà préparé le terrain avec le chef du village et d’autres
anciens. Je leur ai dit que vous étiez la fille d’un noble de haut rang et une intellectuelle de
renom au sein de l’université de la sainte capitale impériale.
LE ROI DÉMON : Est-ce que tout ira bien ?
LE HÉROS : Temps que cette comédie tiendra, oui.
LE ROI DÉMON : Est-ce que ce manteau en agneau et cette tenue feront l’affaire ?
LE HÉROS : Je ne pense pas.
LA SERVANTE EN CHEF : Non, non, et non !
LE ROI DÉMON : Mais c’est si confortable…
LE HÉROS : Les filles de nobles ne choisissent pas leurs vêtements selon leur confort.
LA SERVANTE-EN-CHEF : C’est juste. Vous devriez plutôt porter des vêtements qui attirent
l’attention et vous rendent affriolante.
LE ROI DÉMON : Es-tu en train de dire que je ne suis pas affriolante ?
LA SERVANTE EN CHEF : Ce n’est pas ce que j’ai dit. Cependant…
LE ROI DÉMON : Quoi ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : Veuillez me prêter l’oreille un moment.
Elles chuchotent puis le Roi Démon soupire.
LE ROI DÉMON : Héros, Héros.
LE HÉROS : Oui ?
LE ROI DÉMON : Une viande qui n’est pas attirante est une viande inutile, n’est-ce pas ?
LE HÉROS : Mais qu’est-ce que tu me dis là ?
LE ROI DÉMON : Tu as très bien compris.
LE HÉROS : Ah…
LE ROI DÉMON : (effleurant ses courbes) Est-ce de la viande inutile ? Certainement pas !
LE HÉROS : Ah… C’est de ça…
5
LA SERVANTE-EN-CHEF : Voulez-vous une autre tasse de thé ?
LE ROI DÉMON : Est-ce que je te fais frissonner et trembler ?
LE HÉROS : Je ne ferai pas de commentaire.
LA SERVANTE-EN-CHEF : C’est surtout parce que tu ne fais pas beaucoup d’exercices en
hiver.
LE ROI DÉMON : Non !
LE HÉROS : C’est… Et si tu portais quelque chose de coloré de temps en temps ? Pour changer
un peu. Cela ferait ressortir le charme dont on parlait.
LA SERVANTE-EN-CHEF : N’est-ce pas, Roi Démon.
LE ROI DÉMON : Vraiment ?
LE HÉROS : Bien, et comment s’est passée la rencontre ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : Ah oui c’est vrai. Je leur ai expliqué que les chercheurs de
l’université s’intéressaient au village dans le but d’enseigner de nouvelles techniques agricoles.
LE ROI DÉMON : Cela nous économiserait beaucoup de travail.
LE HÉROS : C’est vrai. L’agriculture est un secteur assez fermé.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Roi Démon ?
LE ROI DÉMON : Oui ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : Que faisons-nous à propos de l’armée des démons ?
LE ROI DÉMON : Ah, c’est vrai…
LE HÉROS : Il s’est passé quelque chose ?
LE ROI DÉMON : Dis-leur que le Héros et moi-même avons eu une altercation dans le grand
hall du château. Répands la rumeur que nous avons été sévèrement blessés. Je suis actuellement
en train de récupérer de mes blessures dans mon château. Le destin du Héros est incertain, mais
certains disent qu’il a réussi à s’échapper.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Ce sera fait.
LE ROI DÉMON : Qu’en penses-tu ?
LE HÉROS : Oh, cela n’a pas d’importance pour moi. Je suis tiens après tout.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Ah là là...
LE ROI DÉMON : Ne rit pas. Cette rumeur devrait nous laisser un an de répit. La faction
agressive de l’armée des démons va croire que je prépare quelque chose et se tiendra à distance
de toute action pour le moment.
LE HÉROS : Un an...
LE ROI DÉMON : J’ai aussi d’autres plans. Si nous avons besoin de gagner du temps, nous
pouvons probablement tenir pendant trois ans. Passé ce délai, il y aura une guerre totale entre
les humains et les démons.
LE HÉROS : …

6
LE ROI DÉMON : Nous devons trouver « la fin idéale » avant cela.
LE HÉROS : Ne voulais-tu pas juste la voir ?
LE ROI DÉMON : Si je ne la trouve pas, je serai haïe par mon partenaire.
LE HÉROS : Ah… Oui. C’est vrai.
LE ROI DÉMON : Passons à autre chose pour l’instant.
LE HÉROS : Oui.
LE ROI DÉMON : Pour provoquer cette fin, il faut réformer l’agriculture.
LE HÉROS : L’agriculture ?
LE ROI DÉMON : La pratique de la culture.
LE HÉROS : La pratique de la culture ne constitue-t-elle pas seulement à semer des graines et
à moissonner ?
LE ROI DÉMON : Nous allons réformer tout cela.
LE HÉROS : C’est possible ?
LE ROI DÉMON : Savais-tu que la semence continue de graines sur la même parcelle de terre
abimait graduellement la qualité des sols ?
LE HÉROS : Ah, j’en ai entendu parler. Cela érode les bénédictions de la terre, n’est-ce pas ?
LE ROI DÉMON : Pour éviter cela, le système de rotation des cultures4 a été créé, où l’on
divise les champs en trois parcelles : la première est utilisée en hiver, la seconde en été et la
dernière est au repos. Ensuite, on alterne les parcelles, afin qu’il y ait toujours une parcelle
différente au repos. Cela permet aux ressources de la terre d’être préservées à tour de rôle.
LE HÉROS : Ça semble fatiguant. Pourquoi faire des rotations ? Pourquoi ne pas labourer un
nouveau champ ? Si on utilise un autre champ, alors il y aura suffisamment de ressources dans
la terre.
LE ROI DÉMON : Quelle bêtise, tu me dis là ? C’est une grave erreur de croire que tout le
monde à la même force monstrueuse et les pouvoirs magiques que toi.
LE HÉROS : Ah oui…

4
Système de rotation des cultures : appelé également « Rotation culturale ». Du moyen-âge à la révolution
agricole du XIXème siècle, deux grands types de rotations se rencontrent en Europe. Dans la moitié nord de
l’Europe, des rotations de trois ans (assolement triennal), faisant se succéder une culture d'hiver (céréale ou
légumineuse), une culture de printemps (céréale ou légumineuse) et une année de jachère. Dans la moitié sud
de l’Europe, des rotations de deux ans (assolement biennal), faisant suivre culture de printemps (céréale ou
légumineuse) et jachère. En France, la zone de rotation de deux ans correspondait approximativement au midi
de la France.

Dans ce système, l’intérêt de la période de jachère est de pouvoir lutter contre les mauvaises herbes par de
fréquents travaux du sol, de permettre l'enfouissement du fumier et de laisser libre des espaces de vaine pâture.
C'est donc un élément important de la gestion de la fertilité des sols et donc un atout pour l'augmentation des
rendements.

7
LE ROI DÉMON : La relocalisation prend beaucoup de temps et d’efforts. Et puis, quand on
augmente une zone agricole, on augmente aussi la distance qu’il faudra parcourir pour
moissonner et semer les graines. Cela augmente aussi l’aire qu’il faudra protéger des monstres
et des bêtes sauvages.
LE HÉROS : Maintenant que tu le dis…
LE ROI DÉMON : La rotation des champs est pratiquée ici, mais…
LE HÉROS : Oui ?
LE ROI DÉMON : J’ai pour objectif de réformer le système dans le but d’accroître les
rendements des cultures.
LE HÉROS : Je comprends tes ambitions, mais qu’est-ce que tu comptes faire exactement ?
LE ROI DÉMON : La rotation est une bonne idée. J’entends la réformer pour en faire une
rotation des cultures sur quatre champs5.
LE HÉROS : C’est-à-dire ?
LE ROI DÉMON : Je compte mettre en place un système des quatre champs : un champ pour
l’orge, un champ pour le trèfle, un champ pour le blé et un champ pour le navet. Ces quatre
champs seront en place pour une période de quatre ans.
LE HÉROS : Cela ne semble pas très différent de la rotation des trois champs.
LE ROI DÉMON : Une rotation des trois champs contient une période de repos total. La rotation
des quatre champs a une période de repos similaire, mais cette période consiste à faire pousser
des trèfles.
LE HÉROS : Est-ce une grande différence ?
LE ROI DÉMON : Le secret pour faire la différence, ce n’est pas seulement la graine, mais
aussi le navet.
LE HÉROS : C’est bien en ragoût, mais quel impact cela peut-il avoir sur le reste ?
LE ROI DÉMON : Bien sûr, les gens peuvent en manger aussi. Ce n’est pas sain de se nourrir
qu’avec des céréales. Mais ces navets pourront également être utilisés comme nourriture pour
le bétail, notamment pour les porcs.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Les porcs ?
LE ROI DÉMON : Vous vous en doutez, mais la viande est une source très importante de
nutriments dans les contrées pauvres et froides. En hiver, il est difficile d’avoir suffisamment
de fruits et de légumes, et la chasse peut être parfois difficile. En été, élever un porc ne demande
pas beaucoup d’effort car la nourriture est suffisante, mais en hiver, les gens commencent eux
aussi à manquer de nourriture…

5
Rotation des cultures sur quatre champs : Cette technique a été mise en place au XVIII ème siècle à Norfolk en
Angleterre. Les plantations suivaient alors l’ordre suivant : blé, navets, orge, trèfle. Cette rotation a l'avantage de
supprimer la jachère, de permettre le développement de l'élevage (grâce à la production de navets), d'améliorer
le contrôle des mauvaises herbes (désherbage entre les rangs du navet) et la reconstitution des ressources en
azote (grâce au trèfle) en fin de cycle. Connue étant comme la révolution agricole, c’est la raison principale de la
hausse de la population humaine.

8
LE HÉROS : Oui c’est vrai. C’est pourquoi avant l’hiver, les porcs sont abattus en faible
nombre. On en fait des saucisses, du bacon ou du jambon, puis on les stocke comme nourriture
pour l’hiver. C’est un scénario qui se répète chaque hiver partout dans les royaumes du Sud.
LE ROI DÉMON : Alors qu’ils existent plein d’autres moyens de faire pousser des cultures en
hiver… Bref, on a une saison où les récoltes sont insuffisantes et où en plus on continue à faire
pousser des cultures impropres à la saison. C’est inefficace, n’est-ce pas ? Et le pire, c’est qu’on
a une parcelle inutilisée qui ne peut même pas être utilisé pour nourrir les animaux d’élevage
et ainsi accroître le bétail.
LE HÉROS : Maintenant que tu le dis…
LE ROI DÉMON : C’est pourquoi il vaut mieux utiliser des trèfles et des navets. En été, le
trèfle peut servir de pré pour les cochons et les chèvres. Même sans bétail, ils peuvent être
utilisés comme fertilisants. Les navets sont très utiles en hiver pour nourrir les animaux.
LE HÉROS : Vraiment ?
LE ROI DÉMON : Oui. Cette technique remplit les trois idées qui sont « pas de repos pour les
champs », « pas de baisse des rendements », et « faire pousser les cultures à l’écart des produits
agricoles ».
LE HÉROS : Et c’est pourquoi on est dans ce village. Tu as pensé à tout, Roi Démon !
LA SERVANTE-EN-CHEF : Que voulez-vous dire ?
LE HÉROS : Un village comme celui-ci fait à la fois de l’agriculture et de l’élevage. Ce système
agricole est donc le plus adéquat, notamment pour les expériences visant à concevoir un
système auto-suffisant. Dans les zones plus proches des villes, seul le blé est cultivé en grande
quantité, et pour ce faire on le fait pousser dans des zones chaudes et riches, ce qui réduit
l’efficacité des expériences. Si on devait résumer l’idée, ça serait : « sauvons du froid les zones
pauvres ».
LA SERVANTE-EN-CHEF : D’accord !
LE ROI DÉMON : J’ai d’autres idées aussi, comme utiliser le poisson en engrais ou encore
réformer les outils agricoles.
LE HÉROS : Tu as beaucoup d’idées.
LE ROI DÉMON : Le moins difficile, c’est la réorganisation du village. Si nous voulons créer
des nouvelles cultures, il faut pouvoir contrôler le bétail comme les moutons. Et puis, on vit
une époque dangereuse. Un simple conflit pour « le droit au nouveaux champs » pourrait finir
en guerre totale.
LE HÉROS : C’est vrai. Ce n’est pas ce qu’on veut.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Mais comme vous l’avez dit plus tôt, les gens attachent une grande
valeur à leur terre. Pourrons-nous vraiment tout résoudre de cette manière ?
LE ROI DÉMON : C’est pourquoi nous aurons besoin des démons dans ces cas-là.
LE HÉROS : Hein ?
LE ROI DÉMON : S’ils n’acceptent pas les réformes, des démons apparaitront et attaqueront
les villages dissidents. Après tout, il n’y a pas de garnison dans ce genre de village, je me

9
trompe ? Nous aurons alors besoin d’un petit nombre de démons. Ils menaceront un peu les
villageois puis raserons ces villages modérément.
LE HÉROS : …
LE ROI DÉMON : Après la fuite des villageois, une escarmouche entre les hordes de démons
et l’armée de chevaliers débuterait et aboutirait au sauvetage des villageois et à la fuite des
démons. Quand les paysans reviendraient, ils tomberaient sous la protection du seigneur féodal
local. Dans une telle situation, ni la réorganisation agricole ni la collectivisation des villages ne
seraient un problème à régler.
LE HÉROS : …
LE ROI DÉMON : Es-tu déçu ?
LE HÉROS : Roi Démon…
LE ROI DÉMON : Bien sûr, on se retiendra ! Et ce plan implique de demander de l’aide
préalablement à une personne du royaume ou au moins d’avoir un chevalier infiltré ou qu’il
comprenne mon plan. Cependant, une telle stratégie fera des accidents. Il sera impossible
d’empêcher le sang de couler.
LE HÉROS : …
LE ROI DÉMON : Cependant, j’irai jusqu’au bout. Cette guerre d’usure peut encore faire rage
pendant un siècle, et je n’ai pas l’intention d’attendre la fin de cette impasse insoutenable. J’ai
envie de lire les « Légendes de la Fin ».
LE HÉROS : …
LE ROI DÉMON : As-tu des plaintes ? Est-ce que tu me détestes ? Mais… Mais tu ne peux
pas. Tu es mien après tout, et je ne te laisserai jamais partir.
LA SERVANTE-EN-CHEF : (regard inquisiteur)
LE ROI DÉMON : Je suppose que tu veux exterminer le Roi Démon après tout. Dans ce cas, il
n’y a rien à dire… Puisque je suis tienne, je ne peux pas éviter ton épée…
LE HÉROS : Tu es trop apeurée, Roi Démon !
LE ROI DÉMON : (étonnement)
LE HÉROS : Le peuple sera sauvé, n’est-ce pas ? Il y aura des tas de gens qui seront sauvés
lors de ces trois années d’interrègne. De plus, si ton système de rotation des quatre champs
réussit, des dizaines de milliers d’enfants affamés pourront passer l’hiver chaque année. Et
même si nous n’arrivons pas à mettre fin à cette guerre, c’est le peuple qui aura le plus bénéficié
de ces avancées, je me trompe ?
LE ROI DÉMON : C’est vrai.
LE HÉROS : Et puis, je suis tien, Roi Démon.
LA SERVANTE-EN-CHEF : (soulagement)
LE HÉROS : Mais même si tes intentions sont bonnes, je te prie d’essayer d’éviter des sacrifices
inutiles.
LE ROI DÉMON : D’accord…

10
LE HÉROS : Mais quel sera mon rôle dans tout ça ? Ah ! Je crois avoir ma petite idée.
LE ROI DÉMON : Tu as deviné. Tu devras représenter le « camp de la Justice » en repoussant
les démons et devenir le porte-drapeau des dirigeants des royaumes du Sud.
LE HÉROS : Quelle plaisanterie !
LE ROI DÉMON : Oui. Tu parles au Maître du Mal ! Tu dois t’attendre à une farce…
LE HÉROS : Tu es incorrigible ! On dirait que tu as pris des cours en enfer !
LE ROI DÉMON : (ironique) C’est bien que tu le saches !
LE HÉROS : Mais essayons de ne pas user de cette stratégie trop tôt.
LE ROI DÉMON : Oui, ce sera notre dernier recours. De toute façon, nous devons d’abord
essayer d’augmenter le rendement des cultures. Supprimer la malnutrition est notre priorité.

Royaume de l’Hiver, village de l’Hivernage,


sur le chemin de retour de la maison du Chef du Village

LE HÉROS : Bon sang !


LE ROI DÉMON : Ça sera plus difficile que je ne le pensais.
LE HÉROS : C’est juste ce…
LA SERVANTE-EN-CHEF : Je n’aurais pas cru qu’il fût si ignorant.
LE HÉROS : Il n’y a rien à faire. Cela doit nous servir d’expérience pour la suite, mais nous ne
pouvons pas abandonner. Pour un petit village comme celui-ci, une année d’échec pourrait
amener la famine.
LA SERVANTE-EN-CHEF : C’est vrai…
LE ROI DÉMON : En y repensant, ce serait sûrement plus facile dans le monde des démons.
LE HÉROS : Je ne peux pas vraiment te donner tort.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Monsieur le Héros, vous êtes-vous déjà rendu dans le monde des
démons ?
LE HÉROS : Oui. Bien plus que n’importe quel autre humain, je pense.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Mais avec un chef du village avec ce genre d’entêtement,
comment les réformes agricoles vont-elles pouvoir se faire ?
LE ROI DÉMON : Eh bien, ce n’était pas un rejet flagrant donc il doit y avoir un moyen de
négocier…
LE HÉROS : Et puis, si l’on regarde les choses du point de vue du chef du village, le Roi Démon
ressemble à une fille de noble. Il ne peut rien faire contre ton rang social.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Dans ce cas, devrions-nous…
LE ROI DÉMON : Certainement pas.

11
LA SERVANTE-EN-CHEF : Mais, votre Majesté, pour atteindre nos objectifs, nous devons
envisager de recourir à n’importe quelle méthode.
LE ROI DÉMON : Pour réussir la réforme agricole, nous devons impérativement exterminer
les querelles mesquines des seigneurs et propriétaires terrien. Cela est essentiel pour élever la
productivité. Mais si nous devons atteindre le niveau technologique requis pour une agriculture
de masse, nous ne pouvons exterminer les chefs locaux de notre objet expérimental. Cela nous
apporterait une centaine d’inconvénients et pas un seul avantage.
LE HÉROS : Absolument.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Quelle plaie…
LE ROI DÉMON : Hmm… Comme je le pensais, le niveau d’éducation va être un obstacle.
LE HÉROS : L’éducation ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
LE ROI DÉMON : Eh bien, il y a plusieurs raisons. Je me doutais que ça allait être important,
mais je ne pensais pas que j’allais devoir en faire une priorité. Si je ne m’y attèle pas tout de
suite, les choses ne bougeront pas.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Qu’est-ce que vous prévoyez de faire ?
LE ROI DÉMON : Déjà y réfléchir… Même si l’on accroît la productivité du village, si cela ne
parvient pas aux autres villages, nous ne pourrons pas mettre en place de réformes à grande
échelle. Mais nous ne pouvons pas aller enseigner dans toutes les coins du royaume. Ce serait
une perte de temps et d’énergie.
LE HÉROS : Sûrement…
LE ROI DÉMON : C’est pourquoi nous avons de besoin de personnes spécialisées qui
connaisse les nouvelles méthodes pour les diffuser aux autres pays.
LE HÉROS : Ce n’est pas faux…
LA SERVANTE-EN-CHEF : D’où l’éducation ?
LE ROI DÉMON : Soit dit en passant, comment procède-t-on à l’éducation dans le monde des
humains ?
LE HÉROS : À propos… C’est quoi « l’éducation » ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : Houlà…
LE ROI DÉMON : Euh...
LE HÉROS : Ah… Oubliez alors. Ça doit être trop difficile à expliquer.
LE ROI DÉMON : Pour faire court, c’est transmettre des informations aux enfants et aux
adolescents.
LE HÉROS : Ah mais, il fallait le dire dès le début ! C’est simple en fait ! Bien sûr que la société
humaine en dispose ! Déjà, pour commencer, les bébés apprennent à parler. Ensuite, leurs
grands-parents s’occupent d’eux et les élèvent. Puis, quand les parents sont occupés à la ferme
ou à la chasse, ce sont les grands frères qui aident et s’occupent des plus jeunes.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Très efficace… Même les personnes âgées peuvent travailler.

12
LE HÉROS : Malgré leur âge, ils peuvent toujours être utile pour l’agriculture. Alors oui, les
paysans ne connaissent pas les mots compliqués comme toi, mais les choses telles que quand
et quoi planter, prévoir la météo ou encore comment éviter les bêtes sauvages, viennent
naturellement passer cinq ans. Et puis, les hivers sont rudes, ici. La neige tombe abondamment
et les tempêtes surviennent souvent. Les villages reculés dans cette région passent la plupart de
l’hiver enfermés. Durant cette période, les paysans créent ou tricotent des vêtements en laine.
Les enfants écoutent aussi des bardes durant les longs hivers. Ils racontent des histoires comme
les légendes ou les exploits des rois et reines d’autrefois, et même quelques contes de fées. Ah,
et il y a aussi des contes de démons ! Les plus studieux ou les fils de chef de village apprennent
aussi à lire et à écrire.
LE ROI DÉMON : D’accord…
LE HÉROS : C’est différent en ville. L’enseignement est fait par des prêtres au sein de l’Église
ou par des gouvernants. Vous savez ce qu’est un gouvernant ? Ce sont… Ce sont des membres
du personnel qui enseignent les légendes, la lecture, l’écriture ou l’arithmétique. Les marchands
riches et les nobles engagent des gouvernants pour leurs enfants afin qu’ils apprennent ces
connaissances et ces techniques.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Et vous, Héros, vous y avez eu droit aussi ?
LE HÉROS : Eh bien, en quelque sorte… Mon grand-père était un gouvernant… Bref, dans
tous les cas, passons. Qu’en pensez-vous ? Est-ce que « l’éducation » ressemble à cela ?
LE ROI DÉMON : Oui, c’est tout à fait ça.
LE HÉROS : Alors, laissez-moi m’occuper des affaires de la société humaine !
LE ROI DÉMON : L’éducation humaine est très arriérée.
LE HÉROS : « Arriérées »… À ce point ?
LE ROI DÉMON : Disons qu’elle n’est pas très performante... Elle est complétement sous-
développée.
LE HÉROS : Ce n’est pas la même chose !
LE ROI DÉMON : Je plaisante ! Je plaisante !
LE HÉROS : (boudeur) Hmm…
LE ROI DÉMON : Mais c’est une éducation naturelle. C’est compréhensible. Toutefois, vu que
nous avons pour objectif un niveau de croissance non-naturel, nous aurons besoin d’un
environnement artificiel, comme une école… Il nous faudrait de l’argent.
LE HÉROS : De l’argent… Je suis un Héros. Laissez-moi faire. Si je vends mon équipement,
pourrons-nous rassembler assez d’argent ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : Hmm, si tu vends ton épée, ton bouclier et ton armure… On
pourrait en tirer environ 18 000 pièces d’or, non ?
LE HÉROS : Impressionnant, n’est-ce pas ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : De combien avons-nous besoin ?
LE ROI DÉMON : Voyons voir, en extrapolant les données statistiques de cette année, nous
aurons besoin au minimum de 2 600 000 pièces d’or.

13
LE HÉROS : Eh bien, eh bien… Un équipement… de Héros…
LA SERVANTE-EN-CHEF : Ne suffira pas, Monsieur le Héros.
La servante en chef se rapproche du Héros pour le consoler.
LE ROI DÉMON : Servante en Chef, le contact rapproché est prohibé.
LA SERVANTE EN CHEF : Oui, votre Majesté !
LE HÉROS : (à lui-même) Seigneur…
LA SERVANTE-EN-CHEF : Bon, l’hiver approche, donc peu importe nos problèmes avec le
chef du village. L’agriculture débute seulement en été. Nous devrions profiter de l’hiver pour
construire petit à petit nos préparatifs.
LE ROI DÉMON : Et ce n’est pas peu dire.
LE HÉROS : Nous sommes pressés par contre, nous n’avons que trois ans.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Bien, bien ! Pour aujourd’hui, ce sera du porc et de la purée de
pomme de terre.
LE ROI DÉMON : Ça a l’air délicieux.
LE HÉROS : Allons-y. S’inquiéter ne résoudra rien.

Royaume de l’Hiver, village de l’hivernage,


dans la pièce principale de la nouvelle maison du Roi Démon

LA SERVANTE-EN-CHEF : Bon eh bien, j’ai du travail qui m’attends. Je dois vous laisser. Le
dîner sera servi dans une heure. En attendant, vous pouvez vous installer près de la cheminée.
LE ROI DÉMON : D’accord. Je te laisse faire alors.
La servante en chef quitte la pièce en fermant la porte. Le Roi Démon s’assoit sur un fauteuil
près du feu.
LE HÉROS : Ah…
LE ROI DÉMON : Tu es fatigué, Héros ?
LE HÉROS : Oui. Je ne me sens pas particulièrement épuisé, mais j’ai dû réfléchir à des choses
auxquelles je n’ai pas l’habitude. Du coup, j’ai un peu mal à la tête.
LE ROI DÉMON : Je comprends. Dis-moi, Héros ?
LE HÉROS : Oui ?
LE ROI DÉMON : Il fait chaud près de la cheminée, tu ne trouves pas ?
LE HÉROS : Il fait chaud. Le froid y est plus supportable quand on s’installe devant.
LE ROI DÉMON : Dis, Héros ?
LE HÉROS : Oui ?

14
LE ROI DÉMON : Si cela te convient… Voudrais-tu venir près de moi ?
LE HÉROS : Pourquoi ?
LE ROI DÉMON : D’ici, la cheminée réchauffe plus et on se sent bien.
LE HÉROS : Vraiment ?
LE ROI DÉMON : Oui, vraiment. Regarde, il y a une place rien que pour toi.
LE HÉROS : C’est vrai... Il y en a une.
Le Héros s’assoit à côté du Roi Démon.
LE ROI DÉMON : Alors ?
LE HÉROS : Tu as l’air contente, Roi Démon.
LE ROI DÉMON : Eh bien… C’est la chaleur du feu qui fait ça…
Silence gêné entre les deux.
LE ROI DÉMON : Héros ?
LE HÉROS : Oui ?
LE ROI DÉMON : Puis-je te toucher ?
LE HÉROS : Ce n’est pas pour me déplaire mais… Pourquoi ?
LE ROI DÉMON : Il n’y a rien de malsain. Tes cheveux noirs sont assez rares alors je voulais
les toucher un peu… Allons, ne sois pas si sérieux !
LE HÉROS : Mes ancêtres étaient des Samouraï.
LE ROI DÉMON : Qu’étaient-ils ?
LE HÉROS : Des chevaliers de l’ouest. Ils pouvaient trancher des armures et des heaumes d’une
seule attaque.
LE ROI DÉMON : Je vois, de féroces guerriers.
LE HÉROS : Mes ancêtres descendent tous d’une lignée de guerriers.
LE ROI DÉMON : Ah oui ? Mais tu sais, tu as d’autres talents qui méritent l’admiration.
LE HÉROS : Si tu le dis…
LE ROI DÉMON : C’est vrai. Par exemple, tu ne montres aucuns signes de peur, alors que tu
es à côté du Roi Démon.
LE HÉROS : C’est parce que tu es bizarre… Et le fait que tu sois une femme joue aussi. En
plus, tu n’as pas l’air dangereuse.
LE ROI DÉMON : Mais je suis le Roi Démon !
LE HÉROS : Vraiment ?
LE ROI DÉMON : Oui, vraiment.
LE HÉROS : Tu es plutôt douce pourtant.

15
LE ROI DÉMON : C’est une stratégie… Bref, et si nous entamions les négociations !
LE HÉROS : (Surpris) A propos de quoi ?
LE ROI DÉMON : Si je te le disais, ce ne serait plus une négociation.
LE HÉROS : Comment pourrai-je comprendre si tu ne m’en parles pas ?
LE ROI DÉMON : C’est une question assez complexe. Je dois te l’expliquer correctement sans
créer de malentendus.
LE HÉROS : Alors fais-le.
LE ROI DÉMON : Alors… Il fait froid dehors, n’est-ce pas ? Le vent d’hiver souffle. Et ici, il
fait chaud et douillet. Et puisqu’on doit attendre que le dîner soit servi, tu ne voudrais pas passer
un peu de temps ici ? Bien sûr, il y a tout plein d’affaires que nous devons régler, et la tâche
gargantuesque qui est de les résoudre se dresse devant nous… Mais, puisque tu as mal à la tête,
nous ne pourrions rien faire de manière efficace…
LE HÉROS : Ah…
LE ROI DÉMON : Ah, mais, bien entendu, ce n’est que mon avis personnel ! Rien de plus
qu’une pensée complètement infondée ! Je prends juste en considération ton état présent de
fatigue ! Et puis il y a ce mythe, cette légende urbaine, cette croyance qu’on ne peut ignorer qui
prétend qu’un tel traitement est efficace… J’ai lu dans d’anciens textes que les guerriers
utilisaient souvent cet Eden pour ne plus se sentir fatigué. Mais je doute que tu sois enclin à ce
genre de remède.
LE HÉROS : Qu’est-ce que tu as l’intention faire ?
LE ROI DÉMON : Je voudrais que tu poses ta tête sur mes genoux !
LE HÉROS : D’accord.
Il pose sa tête sur les genoux du Roi Démon.
LE ROI DÉMON : Ah… Héros…
LE HÉROS : Je t’appartiens, Roi Démon. Pas besoin de te retenir.
LE ROI DÉMON : Héros ?
LE HÉROS : Hmm…
LE ROI DÉMON : Tes cheveux sont doux.
LE HÉROS : Ne joue pas avec.
LE ROI DÉMON : Je ne fais que les toucher.
LE HÉROS : Tu sens bon, aussi.
LE ROI DÉMON : Je prends mon bain tous les jours, c’est pour ça.
LE HÉROS : Pour de vrai ?
LE ROI DÉMON : Oui, pour de vrai. Depuis que j’ai quitté le monde des démons, la Servante-
en-Chef n’en démord pas. Pourtant par le passé, je pouvais garder les mêmes vêtements pendant
une semaine quand j’effectuais mes expériences.

16
LE HÉROS : Tes cuisses sont moelleuses aussi.
LE ROI DÉMON : Euh, ah bon ? Elles ne sont pas flasques ?
LE HÉROS : C’est très bien pour dormir.
LE ROI DÉMON : Ah oui… Tant mieux. Tu es un partenaire avec un grand cœur.
LE HÉROS : Hmm… Je suis un partenaire avec des intentions perverses.
LE ROI DÉMON : (surprise) Dis-moi, Héros.
LE HÉROS : Qu’est-ce que…
LE ROI DÉMON : Tout à l’heure, lorsque tu as dit que je n’avais pas besoin de me retenir.
LE HÉROS : Oui ?
LE ROI DÉMON : C’est vrai ?
LE HÉROS : Oui, c’est vrai.
LE ROI DÉMON : (prenant son courage à deux mains) Bien !
LE HÉROS : Qu’est-ce que tu fais ?
LE ROI DÉMON : Eh bien...
LE HÉROS : Parle, tu me fais peur.
LE ROI DÉMON : Je suis moi-même complètement terrifiée.
LE HÉROS : Hein ?
LE ROI DÉMON : Non, je ne peux pas fuir ! Rechercher l’inconnu, c’est le thème de ma vie !
LE HÉROS : Quoi ?
LE ROI DÉMON : C’est que, Héros…
LE HÉROS : C’est quoi ? Détends-toi et dis-moi.
Un bruit retentissant se fait entendre.
LE ROI DÉMON : Quel est ce bruit ?
LE HÉROS : Ça vient de derrière… Les écuries ?
Bruit d’hennissement. Le Héros se relève et sort de la pièce.
LE ROI DÉMON : Eh ! Mais attends-moi !

Royaume de l’Hiver, village de l’hivernage,


Maison du Roi Démon, les écuries

LE HÉROS : Ici !
LE ROI DÉMON : Il fait nuit noire !

17
Bruit de respiration.
LE HÉROS : Il y a quelqu’un ici ?
LE ROI DÉMON : Attends. Je vais chanter une incantation de lumière…
Deux femmes apparaissent. Blotties au fond des écuries, une sœur ainée et une sœur cadette
tremblent.
LE HÉROS : Quoi ? Ce sont des enfants.
LE ROI DÉMON : Que s’est-il passé ? Elles sont en guenilles.
La porte des écuries s’ouvre laissant entrer la servante en chef.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Eh bien, qui revoilà…
LE ROI DÉMON : Servante-en-Chef ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : Perdu et caché ici encore une fois.
LE ROI DÉMON : Qui sont-elles ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : Des esclaves en fuite. Cet endroit est à l’abandon depuis
longtemps. Bien qu’il soit vide, il n’est pas en ruine et les villages alentours ont des maîtres
différents. C’est une bonne cachette.
LE HÉROS : Des esclaves ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : Oui, en effet.
LE HÉROS : D’où proviendraient des esclaves par ici ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : De quelque part dans les environs, je présume. La plupart des
humains ne sont-ils pas esclaves par ici ?
LE HÉROS : Non ! Ce ne sont pas des esclaves !
LA SERVANTE-EN-CHEF : Oh, alors j’ai tort ?
LE HÉROS : L’esclavage est une pratique barbare. On ne le permettrait jamais !
LA SERVANTE-EN-CHEF : Vous dites ça mais...
LE ROI DÉMON : Ces personnes sont des serfs.6
LE HÉROS : Des serfs ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : Alors comme je le disais, ce sont bien des esclaves.
LE ROI DÉMON : Les serfs sont différents des esclaves.

6
Serf : Les serfs sont une classe de travailleurs agricoles. Ils doivent résider et travailler dans un endroit, et cultiver
la terre, propriété de leur seigneur, lequel peut être un noble, un dignitaire ecclésiastique ou une institution
religieuse comme un monastère. De ce fait, le serf est juridiquement considéré non pas comme un « bien meuble
» (comme les esclaves), mais comme une « personne », liée par un contrat à une autre personne. Les serfs
cultivent les terres de leur seigneur et doivent payer la taille, une taxe annuelle de terre. En contrepartie, ils ont
le droit d’avoir une famille, leur logement, leurs outils agricoles, et d’autres biens fixes. Ils sont également
autorisés à travailler un lopin de terre pour nourrir leur famille et subvenir à leurs besoins.

18
LE HÉROS : Vous voyez ! Les Royaumes du Sud n’ont pas d’esclaves !
LA SERVANTE-EN-CHEF : Ah oui ?
LE ROI DÉMON : La différence entre les serfs et les esclaves est que les serfs sont autorisés à
avoir leurs propres richesses. Ils possèdent leur propre maison, et même leurs ustensiles
agricoles leur appartiennent. Ils vivent ensemble avec leur famille aussi.
LE HÉROS : Tout à fait.
Les deux sœurs continuent de trembler.
LE ROI DÉMON : D’un autre côté, ils n’ont pas la liberté de choisir leur métier ou de quitter
le domaine.7 Et plus important, ils mènent une existence de travail dépourvue de choix, à
labourer les terres de leur seigneur.
LE HÉROS : (silence gêné)
LA SERVANTE-EN-CHEF : Très différent de l’esclavage, en effet…
LE HÉROS : (silence honteux)
LE ROI DÉMON : Servante-en-Chef, cela suffit… Même si l’esclavage est une chose tragique,
c’est un fait qui se comprend économiquement parlant.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Moralement parlant aussi ?
LE ROI DÉMON : Servante-en-Chef !
LA SERVANTE-EN-CHEF : Je suis allée trop loin. Je vous présente mes sincères excuses.
Silence général. La sœur cadette tremble toujours mais ce n’est plus le cas de la sœur ainée.
LA SOEUR AINEE : Excusez-moi… Nous partirons au matin. Nous… nous ne voulons vous
causer aucun problème… Seulement pour une nuit…
LA SERVANTE-EN-CHEF : (regard noir)
LE ROI DÉMON : Servante-en-Chef. Ce n’est pas la première fois, n’est-ce pas ? Comment
gères-tu ce genre d’affaires jusqu’à présent ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : Les esclaves en fuite… Je veux dire les serfs. C’est un crime très
grave. Ce n’est pas de bon augure pour nos relations futures avec les personnes de pouvoir dans
les environs. Nous en faisons part immédiatement et ils viennent les récupérer.
LE ROI DÉMON : Vraiment ?
LE HÉROS : …
LA SERVANTE-EN-CHEF : Monsieur le Héros, seriez-vous mal à l’aise avec cela ?
LE HÉROS : N’est-ce pas trop sévère ?

7
Domaine : Tous les villages et les terres agricoles sous le contrôle de seigneurs féodaux. A l’intérieur d’un
domaine, le seigneur féodal est le propriétaire, le maître et le juge, qui répond à un supérieur (un autre seigneur
féodal comme un roi ou plus). Dans un domaine, les productions des terres agricoles sous le contrôle direct du
seigneur féodal, la terre appartenant à des fermiers libres et la terre travaillée par des serfs, au même titre que
la taxe prélevée sur les serfs, sont les recettes du seigneur féodal.

19
LA SERVANTE-EN-CHEF : Un destin qu’on ne peut pas contrôler est tout simplement celui
d’un insecte. Je hais les insectes. Je ne supporte pas de les voir, eux et leurs ailes fermées.
LE ROI DÉMON : …
LE HÉROS : Eh !
LA SERVANTE-EN-CHEF : N’est-ce pas qu’un simple monticule parmi les montagnes ?
Contrarier les personnes influentes et voisines pour une chose aussi triviales ne serait en rien
profitable.
LE ROI DÉMON : C’est juste…
LE HÉROS : Roi Démon !
LA SERVANTE-EN-CHEF : Dans ce cas…
LE ROI DÉMON : Non, nous pouvons attendre demain matin pour les contacter. Va faire couler
un bain. Il nous reste bien des vêtements ? Ne discute pas. C’est ce que nous allons faire pour
l’instant. C’est ma décision.

Royaume de l’Hiver, village de l’hivernage,


maison du Roi Démon, une petite salle

LE ROI DÉMON : Est-ce que ça ira ?


LE HÉROS : Tu n’as pas l’air dans ton élément...
LE ROI DÉMON : Je suis économiste. Il y a tant de choses où je suis ignorante.
LA SOEUR AÎNÉE : Nous vous remercions pour votre générosité…
La sœur cadette se blottit contre sa sœur.
LE HÉROS : Ne vous en faîtes pas.
LA SOEUR AÎNÉE : Nous n'avons jamais porté de d'habits aussi ravissants.
La sœur cadette s'endort.
LE HÉROS : Ne t’en fait pas. Ce sont des vêtements qui ont été laissés dans cette maison par
le précédent propriétaire.
LE ROI DÉMON : Ah, vous avez faim ? Les lits sont-ils convenables ?
LA SOEUR AÎNÉE : Oui. La paille est propre et chaude et la chambre est très jolie.
LE HÉROS : (au Roi Démon) Même cette pièce minuscule et sale leur convient…
LE ROI DÉMON : (au Héros) C'est leur environnement.
LA SOEUR AÎNÉE : Vous nous ayez si bien traitées, mais… S’il vous plaît… Demain matin,
ne…
LE ROI DÉMON : « Ne… » ?
LE HÉROS : …

20
LA SOEUR AÎNÉE : Je vous en prie, ne leur dîtes rien. Je vous en conjure ! (La sœur cadette
pleurniche) Laissez-nous nous enfuir. Laissez-nous rien qu'un peu de temps. Je vous prie,
attendez jusqu'au lever du jour pour nous dénoncer.
LA SERVANTE-EN-CHEF : (entrant dans la pièce) Mais qu’est-ce que vous racontez ? Vous
n'avez même pas de chaussures correctes. Vos vêtements pourraient très bien être des ordures.
Vous n'avez ni argent ni ressources. Avez-vous l'intention de mendier et faire l'aumône sur la
route ?
La sœur cadette sanglote.
LE HÉROS : Ne… Ne pouvons-nous rien faire pour elles ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : Non. La vie d'esclave est horrible. Elles ne seront jamais libres.
Elles n’auront aucun espoir. Elles vont continuer à vivre en se disant : « Je suis coupable. Je
dois continuer à vivre ainsi ». Ce doit être l'enfer sur Terre. Mais…
LA SOEUR AÎNÉE : (désespérée)
LA SERVANTE-EN-CHEF : Ce qu'elles font n'est pas si différent de mon travail. Suivre la
volonté d'un maître. Prendre ses paroles comme un impérieux commandement. Faire don de sa
vie dans le seul but de réaliser les rêves de son maître. Je ne suis pas très différente d'une esclave
moi-même.
LE ROI DÉMON : Servante-en-Chef, je ne t'ai jamais considérée comme une esclave de toute
ma vie.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Oui. Je n'aurais d'ailleurs jamais pensé que votre Majesté me traite
d'une telle manière. Et c'est précisément pour cela que je ne peux pas tolérer ce dont je suis
témoin. Malgré le fait que je sois dans le même corps de métier, ces faibles ne sont pas capables
de prendre en main leur propre destin. Elles devraient être brûlées vive.
LA SOEUR CADETTE : Ce n'est pas vrai ! Pas du tout ! La femme aux lunettes est méchante !
Nous avons réussi à nous échapper. Ce n'est pas vrai ! Nous trouverons un moyen ! Nous irons
à la capitale, toutes les deux, et nous y vivrons ensemble !
LE HÉROS : C'est…
LA SERVANTE-EN-CHEF : Quel doux rêve !
LA SOEUR CADETTE : Mais on va le faire !
LA SERVANTE-EN-CHEF : Admettons. Mais la réalité est que vous vous êtes glissées dans la
maison de quelqu'un d'autre, en tirant profit de sa générosité. Enfin, vous menacez la position
de ceux qui vous ont offert le gîte et le couvert en vous enfuyant. Et vous pensez que c'est juste ?
Est-ce ainsi que vous, serfs, vous comportez ?
LA SOEUR CADETTE : Mais… Mais…
LA SERVANTE-EN-CHEF : Je vais le dire encore une fois. Ceux qui sont incapables de prendre
en main leur destin ne sont que des insectes. Je hais les insectes. Je méprise les insectes. Et si
ça convient à quelqu’un d’être un insecte, je refuse de le considérer comme un humain.
LA SOEUR AÎNÉE : (surprise) Hein ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : Est-ce que vous comprenez ?
LA SOEUR AÎNÉE : Oui…

21
LA SERVANTE-EN-CHEF : Excusez-vous.
Les deux sœurs se prosternent devant le Roi Démon et le Héros.
LA SOEUR AÎNÉE : Nous avons causé beaucoup d'ennuis aux honorables membres de cette
maison… Nous vous demandons pardon.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Bien.
Silence entrecoupé des sanglots de la sœur cadette.
LA SERVANTE-EN-CHEF : C'est tout ?
LA SOEUR CADETTE : Non… Nous devons rentrer, non… C'est effrayant…
LA SOEUR AÎNÉE : Sœurette, tais-toi !
LA SERVANTE-EN-CHEF : (attentive)
LA SOEUR AÎNÉE : Je vous en prie… Faites de nous des humains ! Je crois que le destin nous
a conduit jusqu’à vous.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Quand tu courbes la tête, ne rampe pas de cette manière. Saisis
légèrement ta robe entre tes doigts et présente le drapé8 en faisant gracieusement la révérence.
La sœur aînée fait une révérence.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Votre majesté. Cette maison n'est qu'un taudis comparé au palais
impérial, mais il m'est difficile de l'entretenir seule. Pourrions-nous engager quelques
servantes ?
LE HÉROS : Es-tu sûre, Servante-en-Chef ? Tu disais pourtant les détester. Tu ne leur en veux
plus ?
LA SERVANTE-EN-CHEF : Ce que je déteste, ce sont les insectes. Les servantes ne sont pas
des insectes mais des choses que j'apprécie. Il n'y a personne au monde qui déteste les servantes.
Aujourd’hui, c’est une renaissance pour ces filles.
LE ROI DÉMON : C'est d'accord. Forme ces filles.

Royaume de l’Hiver, village de l’Hivernage,


dans la forêt environnante

LA SERVANTE CADETTE : (chantonne) Monsieur le Héros ! Monsieur le Héros ! Où est


Monsieur le Héros ? J'ai apporté du pain délicieux ! ♪
LE HÉROS : Merci pour tout ce bouquant !
LA SERVANTE CADETTE : J’ai cru voir un gilet… Mais où étiez-vous passé ?

8
Drapé : Ensemble de plis souples obtenus dans le sens plus ou moins biaisé d'un tissu. Ces magnifiques plis
faisaient que les robes et jupes étaient bien plus chers qu'aujourd'hui en raison de la quantité de tissu que
requérait de telle pièce. Le drapé était donc un signe ostentatoire de richesse.

22
LE HÉROS : Je me suis téléporté. Ta voix a fait écho dans toute la forêt.
LA SERVANTE CADETTE : Eh, eh, eh ! ♪
LE HÉROS : Bon, cet endroit est sûr alors il n'y a pas lieu de s'inquiéter. Mais tu es vraiment
quelqu'un d'imprudente !
LA SERVANTE CADETTE : Monsieur le Héros, je vous ai apporté ceci.
LE HÉROS : Oh !
LA SERVANTE CADETTE : Le déjeuner ! Du pain à la crème, de la ciboule et une omelette
au bacon !
LE HÉROS : Ça a l'air délicieux.
LA SERVANTE CADETTE : C’est ma grande sœur qui a fait la cuisine !
LE HÉROS : Elle apprend vite, c'est bien !
LA SERVANTE CADETTE : C'est bon ?
LE HÉROS : C'est exquis ! Le thé rouge bien chaud est tellement bon que je pourrais en pleurer.
Tu as couru jusqu'ici ?
LA SERVANTE CADETTE : Oui !
LE HÉROS : Je l'ai bu d’une traite !
LA SERVANTE CADETTE : Génial !
LE HÉROS : On n’est qu’en début d’après-midi et j’ai déjà du mal à travailler... Je suis
démotivé maintenant…
LA SERVANTE CADETTE : Ah, au fait ! La dame qui s'occupe de la gestion a un message
pour vous.
LE HÉROS : Que dit-il ? Tu aurais dû commencer par ça.
LA SERVANTE CADETTE : Aujourd'hui vous devez attraper six sangliers. Vous pouvez sinon
les échanger par deux ours. Vous devez aussi aller en reconnaissance sur les cours supérieurs
de la rivière. Si vous trouvez des zones inondées, réparez ou détruisez-les avec la magie.
LE HÉROS : Elle sait bien comment utiliser les gens... Bien, et comment ça se passe en classe
?
LA SERVANTE CADETTE : Nous avons de l’entraînement physique cet après-midi.
LE HÉROS : Tu es capable d'en faire ?
LA SERVANTE CADETTE : Actuellement, il n'y a pas beaucoup de monde. Il n'y a pas
d'enfants de mon âge. Apporter le repas à Monsieur le Héros est mon activité physique de
l'après-midi.
LE HÉROS : Oh, tu sais dire « âge ».
LA SERVANTE CADETTE : La dame qui s'occupe de la gestion me l'a appris.
LE HÉROS : Elle est occupée, mais elle travaille toujours dur, ce Roi Démon.
LA SERVANTE CADETTE : Après, c'est arithmétique !

23
LE HÉROS : Arithmétique ?
LA SERVANTE CADETTE : Si j’apprends bien, je peux devenir riche !
LE HÉROS : C’est bien une économiste… Tout ce qu'elle vous apprend, c’est « comment
devenir riche ».
LA SERVANTE CADETTE : Elle écrit aussi sur le seuil de rentabilité.9
LE HÉROS : Mais qu’est-ce qu’elle vous apprend… Ces cours sont bien trop ciblés !
LA SERVANTE CADETTE : (rires) Monsieur le Héros, comment ça va avec votre travail ?
LE HÉROS : Il me faut un autre… Non, deux sangliers de plus.
LA SERVANTE CADETTE : Du ragoût !
LE HÉROS : Maintenant ?
LA SERVANTE CADETTE : Que diriez-vous d'un ragoût de sangliers ?
LE HÉROS : Oui, c'est délicieux, mais…
LA SERVANTE CADETTE : Préparons un ragoût de sangliers !
LE HÉROS : Tout ce qui t'importe, c'est la nourriture, c’est ça ?
LA SERVANTE CADETTE : Merci de nous rapporter à manger, Monsieur le Héros.
LE HÉROS : D’accord, d'accord…
LA SERVANTE CADETTE : Avoir le ventre plein me rend vraiment très heureuse.
LE HÉROS : Il n’y a que ça de vrai !
LA SERVANTE CADETTE : Et surtout, il n'y a pas de conflit. Il n'y a pas besoin de ramper
vers le fils du Chef du Village. Nous sommes au chaud tous les jours. Nous avons une maîtresse
chaleureuse et de beaux habits. Je peux être avec ma sœur chaque jour. C'est le bonheur.
LE HÉROS : …
LA SERVANTE CADETTE : Qu'y a-t-il ?
LE HÉROS : Rien, je viens de réaliser que les héros sont assez inutiles.
LA SERVANTE CADETTE : Comment cela ?
LE HÉROS : Je n'ai pas de connaissances, je n'ai pas de moyens financiers. Je ne sais pas tenir
une ferme, ni m'occuper d'animaux. Tout ce que je pourrais enseigner serait... peut-être le
maniement de l'épée. Je m'y connais très bien, mais… je ne sais pas si ça permettrait d'instaurer
la paix. Et puis qu’est-ce que la paix ? Comment faire pour qu'elle règne ? Je n'ai jamais réfléchi
à tout ça, ni à mon futur une fois la paix installée.
LA SERVANTE CADETTE : C'est difficile...

9
Seuil de rentabilité : niveau d'activité minimum à partir duquel l'activité d'une entreprise devient rentable. Soit
le moment à partir duquel les recettes obtenues couvrent l'ensemble des frais (fixes ou variables) exposés par
elle. Au-delà de ce seuil, l'entreprise est réputée accéder à la zone enviable du bénéfice. La valeur de ce seuil
peut être exprimée en volume produit, en chiffre d’affaires encaissé ou en périodes temporelles (en années, par
exemple).

24
LE HÉROS : En effet... Dis-moi, le bacon de sangliers est délicieux, n'est-ce pas ?
La servante cadette acquiesce.
LE HÉROS : Tu aimes ça ? (Elle sourit) Tu aimes ça, pas vrai ?
La servante cadette acquiesce.
LE HÉROS : Alors monsieur le Héros revient avec du sanglier dans un instant !

Royaume de l’Hiver, village de l’Hivernage,


Salon de la maison du Roi Démon, au beau milieu d'un cours

LE ROI DÉMON : Au-dessus, vous pouvoir voir les structures primaires de l'économie en
temps de guerre, dérivées du statut économique actuel des Royaumes du Sud.
Les élèves travaillent en silence. Il y a un élève noble, un élève marchand, un élève soldat et la
servante ainé.
LE ROI DÉMON : Je ne suis pas experte, mais le taux d'attrition10 nécessaire pour
l'anéantissement d'une armée est...
L’ÉLÈVE SOLDAT : Nous nous battrons jusqu'au tout dernier homme !
LE ROI DÉMON : Est environ de 30 %…11 Soit trois hommes sur dix. En conséquence, comme
les armées permanentes12 et les mercenaires trouvent qu'il est difficile de maintenir indéfiniment
une telle campagne, les escarmouches et les prises rapides de forteresses ont formé l'essentiel
de la guerre contre les armées du Roi Démon. Y a-t-il des questions ?
LA SERVANTE AINÉ : Et qu'en est-il des templiers ?
LE ROI DÉMON : Excellente remarque. C’est une exception. Que savez-vous des templiers ?
(Elle montre du doigt l’élève noble) Oui, vous là !

10
Taux d'attrition : Le pourcentage de victimes au sein d'une armée. Il inclut les morts, les blessés, les malades
et les déserteurs. Il y a de nombreuses méthodes pour calculer ce taux notamment en calculant notamment en
calculant le taux quotidien d'attrition ou le nombre de victimes par rapport à la force d'origine (c’est le cas en
l’espèce). Lors d'une guerre, une stratégie d'attrition est une stratégie dans laquelle l'objectif est d'user les forces
combattantes et les réserves ennemies, plutôt que la progression en terrain ennemi ou la destruction/occupation
d'objectifs ennemis.

11
Ce chiffre de 30% s’explique par les besoins en homme nécessaire au renvoi de corps et de blessés. De plus,
dans une armée, il peut y avoir un nombre important de non-combattant comme les unités de communications,
les unités d'approvisionnement, etc. Par conséquent, si une armée a plus de 30% de pertes, elle n’a plus d’unité
suffisante sur le champ de bataille.

12
Armée permanente : unités mobilisées à la fois en temps de guerre et de paix et capable de se déployer à tout
moment. Elle est composée exclusivement de professionnels et de volontaires entraînés. En France, le roi Charles
VII crée les Compagnies d'ordonnance le 26 mai 1445. Cette nouvelle formation militaire constitue la première
armée permanente à la disposition du roi de France. Auparavant pour faire la guerre, le roi faisait appel à ses
vassaux selon la coutume féodale du ban. Mais les vassaux n'étaient obligés de servir que pendant 40 jours. Le
roi devait alors recruter des mercenaires qui coûtaient cher et se révélaient souvent incontrôlables.

25
L’ÉLÈVE NOBLE : Ah, oui. Les templiers ont été formés par le Conseil de crise du Continent
Central en tant que corps expéditionnaire sacré. Leur but était d'exterminer la race malfaisante
des démons et de mettre fin à la guerre. Deux expéditions ont été menées ces quinze et seize
dernières années. Après avoir traversé la porte sur le Continent du Sud, ils ont réussi à raser
deux villes démons importantes avant que le maudit Roi Démon, au moyen d'une stratégie
lâche, perturbe les routes d'approvisionnement et force les templiers à battre en retraite.
LE ROI DÉMON : Ma foi. C'est presque un sans-faute. Former une croisade13 nécessitent
d'importantes ressources militaires. Tout d'abord, l’ensemble des peuples concernés doit avoir
le fervent désir de mettre fin à la guerre. Si une seule et grande expédition suffit à mettre fin à
la guerre, alors le peuple l'ayant vécu sera prêt à accepter de grands sacrifices. Les plus
fanatiques seront même prêts à gâcher leur vie.
L’ÉLÈVE SOLDAT : Les esprits de la vertu nous accorderont une grande victoire !
LE ROI DÉMON : En outre, cela nécessite également un fort soutien économique. J'ai soulevé
ce point plusieurs fois au cours de cette leçon. Sans argent, aucune entreprise sociale ou militaire
ne peut exister. Après tout, les humains doivent se nourrir pour survivre.
L’ÉLÈVE NOBLE : Il y a des choses plus importantes que l'argent et la nourriture.
L’ÉLÈVE SOLDAT : Professeure, ce n’est pas avec un boulier qu’on peut gagner une guerre !
L’ÉLÈVE MARCHAND : Tu crois ?
L’ÉLÈVE SOLDAT : La faim n'est qu'une excuse pour les faibles !
L’ÉLÈVE NOBLE : Et puis un seigneur prêt à soumettre ses sujets à la famine, cela n'existe
pas !
LA SERVANTE AINÉ : Ça se voit que vous n’avez jamais connu la faim...
Silence général.
LE ROI DÉMON : Alors... Ensuite, nous allons parler de l'océan Austral,14 c’est-à-dire l’océan
qui entoure les royaumes du Sud et le Continent Central. Cet océan est vital à la fois
militairement et économiquement. Actuellement, environ 25 % des batailles avec l'armée du
Roi Démon ont lieu sur cet océan...
Une cloche sonne la fin du cours.
LA SERVANTE-EN-CHEF : Madame, il est l'heure de terminer la leçon.
LE ROI DÉMON : C'est déjà l'heure ? Dans ce cas, nous nous arrêtons là pour aujourd’hui.
Nous ferons un résumé demain. L'épéiste arrivera demain pour vous donner des cours.

13
Croisade : expéditions militaires organisées par l'Église visant initialement à libérer les lieux saints. Le mot «
croisade » n'apparaît dans les textes occidentaux qu'après 1250. Pour leur part, les croisés et leurs contemporains
usaient d'expressions aussi diverses que « voyage de Jérusalem », « voyage vers la Terre sainte », « passage » ou
« voyage d'outre-mer ». Au sens strict sont qualifiés de croisades les pèlerinages en armes (de fait, des campagnes
militaires) organisés par l'Église afin de délivrer le tombeau du Christ à Jérusalem.

14
Océan Austral : océan qui entoure l’Antarctique. Bien que ne couvrant pas l'intégralité de la plaque antarctique,
il est parfois appelé océan Antarctique, du nom du continent qu'il entoure ou océan glacial Antarctique par
opposition à l'océan glacial Arctique. Dans ce LN, le terme est utilisé en tant qu’océan glacial qui sépare le
Continent du Sud du Continent Central.

26
L’ÉLÈVE SOLDAT : Je suis impatient de voir ça.
L’ÉLÈVE NOBLE : Demain, ce sera super !
LE ROI DÉMON : Oui, alors vous pouvez y aller. Je dois passer voir les anciens pour donner
un cours du soir sur l'agriculture.

Royaume de l’Hiver, village de l’Hivernage,


Maison du Roi Démon, dans les couloirs

LE HÉROS : Salut. Bon travail.


LE ROI DÉMON : Merci… Toi aussi.
LE HÉROS : Tu as l'air très fatiguée.
LE ROI DÉMON : Mais pourquoi ai-je mis l’éducation au premier plan ? Je ne pensais pas que
ce serait si épuisant d'avoir des enfants humains comme élèves. On dirait des animaux. On ne
peut ni les résonner ni leur parler. À aucun d'entre eux.
LE HÉROS : Ah…
LE ROI DÉMON : Mais pourquoi sont-ils si fiers ?
LE HÉROS : C'est parce qu'ils sont les fils de nobles, de soldats et de marchands, non ?
LE ROI DÉMON : Je ferai bien de les changer en grenouille.
LE HÉROS : Ne plaisante pas avec ça.
LE ROI DÉMON : Je ne plaisante pas.
LE HÉROS : Alors arrête.
LE ROI DÉMON : D’accord…
LE HÉROS : Tu te rends dans la maison du chef de village, n'est-ce pas ? Je t’accompagne.

Royaume de l’Hiver, village de l’Hivernage,


Du seuil de la maison vers le centre du village
Le vent souffle.
LE ROI DÉMON : Brrr. Il fait froid.
LE HÉROS : Il ne neige même pas.
LE ROI DÉMON : Mais il fait froid, Héros.
LE HÉROS : J'ai chassé le sanglier une journée entière dans ce froid, il me semble. Tu étais à
l'intérieur alors ne te plains pas.
LE ROI DÉMON : Si. Il fait froid.
LE HÉROS : (lève les yeux au ciel)
LE ROI DÉMON : Je ne peux même pas le dire ?

27
LE HÉROS : D'accord, viens là.
Le Héros prend le Roi Démon dans ses bras.
LE HÉROS : C'est assez chaud ?
LE ROI DÉMON : Oui, c'est chaud.
LE HÉROS : Tu es de bonne humeur.
LE ROI DÉMON : (à elle-même) Je suis toujours de bonne humeur quand je suis avec toi…
(Puis au Héros) Oui, ce n'est pas mal.
LE HÉROS : Tu as l'air en forme.
LE ROI DÉMON : Je suis vraiment heureuse de te posséder.
LE HÉROS : (se racle la gorge) Ah…
LE ROI DÉMON : Hmm ?
LE HÉROS : Moi aussi.
LE ROI DÉMON : Bon, j’ai déjà commencé les cours. C'est bizarre que je me plaigne d'eux
maintenant.
LE HÉROS : Oui, oui…
LE ROI DÉMON : C’est dommage que nous devions tant compter sur les pouvoirs politiques...
Il a suffi que j’enseigne à un fils d’un noble pour que l’on ait le prestige suffisant auprès des
fermiers. Sans ça, ils n’auraient jamais adhéré à nos nouvelles techniques agricoles. On va
pouvoir débuter ces expériences dès cet été.
LE HÉROS : Dans les royaumes du Sud, les rapports entre la noblesse et le peuple sont assez
proche. Comparé aux royaumes du Centre, les différences sociales sont plus réduites.
LE ROI DÉMON : Vraiment ? C’est vraiment considéré comme des « relations proches », ici ?
LE HÉROS : Oui… Mais ce sont les premiers pas. Ne sois pas hâtive. Il faudra encore quelques
années avant qu'il y ait des résultats.
LE ROI DÉMON : Non, il y aura des résultats l'année prochaine.
LE HÉROS : Est-ce que c'est faisable ?
LE ROI DÉMON : J'ai une arme secrète.
LE HÉROS : Et quelle est-elle donc ?
Le Roi Démon fouille autour d'elle.
LE ROI DÉMON : Ceci !
LE HÉROS : Quelle est cette chose ronde ?
LE ROI DÉMON : C'est une pomme de terre.15 C'est une nourriture facilement productible.

15
Pomme de terre : Tubercule originaire de la cordillère des Andes dans le sud-ouest de l’Amérique du Sud où
son utilisation remonte à environ 8 000 ans. Importée en Europe au XVIème siècle à la suite de la découverte de
l’Amérique par les conquistadors espagnols, elle a été utilisée comme nourriture depuis lors. Résistante au froid,

28
LE HÉROS : Hein ?
LE ROI DÉMON : Il s'agit d'une plante. Elle a cette apparence parce qu'elle a été déterrée, mais
normalement cette forme ronde est dans le sol.
LE HÉROS : Ah, d’accord !
LE ROI DÉMON : C'est une racine délicieuse et nutritive. La partie comestible est enterrée
dans le sol, où elle ne sera pas attaquée par les oiseaux. De plus, cela pousse même dans les
sols infertiles, gelés ou pauvres. Et en outre, le rendement agricole16 est trois fois supérieur à
celui du blé.
LE HÉROS : Pour de vrai ?
LE ROI DÉMON : Oui, et je suis très sérieuse.
LE HÉROS : C’est miraculeux !
LE ROI DÉMON : Tu peux voir ça comme ça, bien que cela vienne du Monde des démons.
LE HÉROS : Ah…
LE ROI DÉMON : C'est l’avantage des rencontres entre cultures et civilisations différentes.
Même si elles sont non-désirées, un contact reste un contact.
LE HÉROS : J'ai des sentiments très mitigés sur ce propos.
LE ROI DÉMON : Pour commencer, on ne peut pas dire que la pomme de terre est exempte de
défauts.
LE HÉROS : Comment ça ?
LE ROI DÉMON : D'une part, c'est toxique.17
LE HÉROS : Alors on ne peut pas en cultiver !
LE ROI DÉMON : Mais non ! Elle ne contient pas un poison très fort. Elle devient venimeuse
seulement si elle est exposée au soleil une fois germée. En étant récoltée et stockée dans de
bonnes conditions, il n'y a aucun problème. Si elle est entreposée dans un endroit sombre, elle
peut même être conservée pendant un an.
LE HÉROS : Hmm…

elle peut être planté à tout moment et quasi n’importe où. Adam Smith disait notamment qu’elle avait le triple
de rendement du blé.
16
Rendement agricole : En agriculture, on appelle habituellement rendement la quantité de produit récolté sur
une surface cultivée donnée. Le progrès technique (travail du sol, labour, utilisation d'engrais et de pesticides)
ainsi que la sélection des plantes a permis au cours des siècles une forte augmentation des rendements agricoles.
Aujourd’hui, un hectare peut donner quatre tonnes de blé, trente tonnes de pommes de terre ou cinq tonnes de
riz. Les pommes de terre ont un rendement huit fois plus important que celui du blé. Dans l’histoire, comme la
technologie doit encore progresser, le rendement est deux fois moindre.

17
Toxicité des pommes de terre : Les pommes de terre contiennent du poison produit par la solanine, qui est
particulièrement présent dans la peau et dans les pousses. En raison de sa nature venimeuse, sa forme étrange,
et le fait qu'elle ne soit pas mentionnée dans la Bible, on croyait à l'origine qu'il s'agissait d'une plante bannie par
les démons.

29
LE ROI DÉMON : Il y aura aussi quelques soucis pour la replantation. Mais si toutes les
exigences sont remplies, on peut planter de la pomme de terre trois fois par an.
LE HÉROS : Ça semble incroyable ! Comme on pouvait s'y attendre d'une plante du monde des
démons.
LE ROI DÉMON : Oui. Mais lors du processus, elle absorbe beaucoup de nutriments dans les
sols, autrement dit, les ressources de la terre finissent très appauvries. Comme elle retient
seulement les nutriments dont elle a besoin, si on plante toujours dans la même zone, la qualité
des rendements diminuera et des maladies peuvent apparaître.
LE HÉROS : Je vois.
LE ROI DÉMON : Encore une chose.
LE HÉROS : Quoi donc ?
LE ROI DÉMON : Serre-moi un peu plus. Il y a un espace entre nous… Je vais attraper froid.
LE HÉROS : Euh, oui... Mais ça prêterait à confusion si on se rapproche trop.
LE ROI DÉMON : (boudeuse) Est-ce que mon corps te dégoûte ?
LE HÉROS : Non, non, ce n'est pas ça…
Le Héros se rapproche davantage du Roi Démon.
LE ROI DÉMON : Bien ! De toute façon, j'avais déjà l'intention de cultiver cette nourriture
pour combattre la famine. Du moment que nous faisons attention au poison, nous ne devrions
pas avoir de soucis. Le vrai problème, ça va être de gérer la replantation.
LE HÉROS : Je commence à mieux comprendre, mais...
LE ROI DÉMON : Les ressources de la terre reviendront avec le temps, mais si nous ne faisons
pas le nécessaire, il y aura une limite aux niveaux que les rendements pourront atteindre.
LE HÉROS : Devrions-nous prier les esprits de la Terre ?
LE ROI DÉMON : Entre autres, on peut dire que c’est « une prière ».
LE HÉROS : N'es-tu pas athée18 ?
LE ROI DÉMON : Cela n'a pas d'importance que je sois athée ou non. Du moment que c'est
utile, en tant qu'économiste, je m'y emploierai sans relâche, sans pause et sans honte.
LE HÉROS : (ironique) Tu retrouves ta nature démoniaque !
LE ROI DÉMON : Oui, nous allons faire des « sacrifices » à la terre pour sceller notre pacte !
Plus sérieusement, on va mettre des fertilisants. Ça peut être de la nourriture, des cadavres
d’animaux, des excréments…
LE HÉROS : Hmm… Cela ne ressemble pas tellement à un sacrifice.
LE ROI DÉMON : Ce que je veux vraiment, ce sont les poissons de l'océan Austral !

18
Athéisme : absence ou refus de toute croyance en quelque divinité que ce soit. Le terme est à distinguer de
« l'agnosticisme » qui est l'absence de croyance en une quelconque religion organisée, mais ne rejette pas la
croyance en des dieux. L'athéisme va jusqu'au rejet total de toute croyance en l'existence de dieux.

30
LE HÉROS : Pourquoi ?
LE ROI DÉMON : Les harengs19 font de bons « sacrifices » !
LE HÉROS : Veux-tu en acheter ? Je peux nous y téléporter.
LE ROI DÉMON : Je te remercie mais, nous allons en avoir besoin en grande quantité. Plus
que nous pouvons en emporter. Il en faudrait cinquante pour un champ. Nous en aurons besoin
chaque année. Surpris ?
LE HÉROS : Oui, je le suis.
LE ROI DÉMON : Est-ce déraisonnable ?
LE HÉROS : Un peu.
LE ROI DÉMON : Mais il y a un plus grand problème.
LE HÉROS : De quel ordre ? Est-ce qu’il y a un rapport avec l'océan Austral ?
LE ROI DÉMON : Oui, deux. Le premier, comme tu dois le savoir, c'est le Général de Glace.
LE HÉROS : Ah, ce vieillard ?
LE ROI DÉMON : Oui, même pour un membre de la race des Fangs, c'est un dur. J'ai entendu
dire qu'il continuait de semer la violence malgré l’absence du Roi Démon. En tant que
commandant de la race des Requins d'Argent, des Poissons Volants et des Tortues de Métal, il
est une personne crainte dans le Monde des démons.
LE HÉROS : Je l'ai combattu quelques fois. Il est ridiculement grand et il sait bien manier son
harpon.
LE ROI DÉMON : Si nous voulons mener des opérations dans l'océan Austral, nous aurons
inévitablement une confrontation avec lui.
LE HÉROS : En effet…
LE ROI DÉMON : Et l'autre chose, c'est « la Ligue ».
LE HÉROS : La quoi ?
LE ROI DÉMON : J'avais l'intention de t’en parler plus tard mais... Te l’expliquer maintenant
est une bonne occasion.
LE HÉROS : D'accord.
LE ROI DÉMON : Son nom officiel est « la ligue économique des cités indépendantes du Sud
et des marchands libres ». Mais aujourd’hui, tout le monde l’appelle « la Ligue ».20
LE HÉROS : J'ai l'impression d'en avoir déjà entendu parler… Est-ce célèbre ?

19
Après avoir extrait l'huile de hareng, le corps peut être séché pour récupérer les écailles, qui font un excellent
engrais. A part l'engrais, on peut les utiliser pour la nourriture des poules.

20
Ligue : Au Moyen-Âge, une ligue est une association de villes-marchandes (c’est-à-dire des villes dont les droits
du commerce ont été racheté par les marchands) ayant assez de pouvoirs pour faire face aux autres pays. L’un
des exemples les plus remarquables est celui de la Ligue Hanséatique, plus communément appelé « La Hanse »
qui était l'association des villes marchandes de l'Europe du Nord autour de la mer du Nord et de la mer Baltique.

31
LE ROI DÉMON : Le nom est célèbre, mais il y a peu d'humains qui sachent exactement
comment elle marche. Elle n’a aucune importance pour les non-marchands.
LE HÉROS : En d'autres termes, c'est un regroupement de marchands ?
LE ROI DÉMON : Oui, c'est ça. Il y a environ cinquante ans, les cités libres productrices de
céréales le long de la côte se sont réunies pour former une organisation. Elle a été créée pour
protéger les privilèges commerciaux21 de ses membres.
LE HÉROS : Les privilèges commerciaux ?
LE ROI DÉMON : Je t’explique. Dans le but d'exporter des biens d'un endroit à un autre, tu as
besoin de permis, n'est-ce pas ?
LE HÉROS : En effet.
LE ROI DÉMON : Tous les marchands ont besoin d’obtenir ce « permis » pour pouvoir
commercer. Par conséquent, quand ils l'obtiennent, ils doivent le protéger car la présence ou
l'absence de permis décide de qui peut commercer ou non. C'est une question de vie ou de mort.
LE HÉROS : (acquiesce)
LE ROI DÉMON : Le temps faisant son œuvre, le système de taxe a été révisé. Les permis ont
eu des niveaux différents de taxation. De cette façon, la royauté et la noblesse ont pu réguler
l'économie à travers les taxes. Mais les marchands purent aussi entrer en contact avec des
personnes de haut rang et proposer leur service contre des avantages concurrentiels.
LE HÉROS : Ouah, c'est vraiment compliqué.
LE ROI DÉMON : La Ligue est la plus grande des organisations de marchands. L'étendue de
leurs opérations va au-delà de ce que tu peux imaginer.
LE HÉROS : Ah ? Combien sont-ils ? Environ un millier ?
LE ROI DÉMON : Dans leur cas, leur effectif importe peu.
LE HÉROS : Ah bon ?
LE ROI DÉMON : C'est une organisation économique. Ses meilleures armes sont le montant
des richesses qu’elle peut mobiliser et son habilité à influencer les flux économiques. Ce n’est
pas comme dans le secteur militaire où le nombre peut jouer sur la puissance.
LE HÉROS : Cela semble logique... Alors quelle est la portée de leur pouvoir ?
LE ROI DÉMON : Leur influence économique s'étend à la fois dans les royaumes au Sud que
dans les royaumes du Centre. Elle touche tout les territoires du Continent Central. Personne ne
connaît à combien s'étend leur portée économique, mais en extrapolant un peu, ça doit être un
chiffre astronomique.
LE HÉROS : …
LE ROI DÉMON : Même en faisant une estimation basse, ils pourraient acheter cinq fois les
Royaumes du Sud.

21
Privilèges économiques : Droits conférant un statut particulier à une personne ou un groupe sociale sur le
commerce d’importation et d’exportation. Cela peut aboutir à certains avantages lors des échanges
commerciaux : taxes plus basses, droits exclusifs à certains ports ou même l'expulsion de certains marchands
rivaux.

32
LE HÉROS : Quoi ?
LE ROI DÉMON : C’est ce genre d'organisation…
LE HÉROS : Comment est-ce possible ?
LE ROI DÉMON : De plus, rien que dans les royaumes du Sud, la Ligue gérerait environ 60%
de tout le blé qui circulent. Ils peuvent facilement remplacer un seigneur féodal ou même un
premier ministre.
LE HÉROS : Quels montres !
LE ROI DÉMON : Des monstres, incontestablement. Les vies des humains sont tenues par des
monstres !22
LE HÉROS : Je crois avoir déjà reçu des demandes de la Ligue pour des discours…
LE ROI DÉMON : Ah oui ?
LE HÉROS : Oui… Comme « Allons détruire le Roi Démon ! Hip hip hip ! Hourra ! ». Il y
avait aussi des femmes qui apparaissaient du haut de leur balcon qui chantaient et criaient des
mots d'encouragement.
LE ROI DÉMON : C’était de la propagande. Je suppose que tu as reçu mille pièces d'or pour
ça.
LE HÉROS : Environ quinze pièces d’or… C’est tout ce que j’ai eu en guise de remerciements...
Ce genre d'hommes est...
LE ROI DÉMON : Ne déprime pas, Héros.
LE HÉROS : J'ai été trompé par ces personnes...
LE ROI DÉMON : L'économie n'est pas ton fort. Cela n'a rien de surprenant.
LE HÉROS : Mais il y avait ces femmes avec leurs grands yeux remplis d’admiration et de
beauté ! Ils ont suffi à eux seuls à remplir mon cœur de fierté et ça a suffi pour que je me
précipite dans le monde des démons.
LE ROI DÉMON : (affligée)
LE HÉROS : Le jeune homme qui m’avait payé m'avait même dit : « J’attends ton retour pour
qu'on fête ta victoire », puis il m’avait donné un coup de coude en disant que j'étais très
populaire auprès des femmes... Maintenant que j'y repense, il devait être marchand lui aussi.
LE ROI DÉMON : Ah là là…
LE HÉROS : Ah, je suis un Héros raté…
LE ROI DÉMON : On dirait que tu as retenu la leçon...
LE HÉROS : Alors ces personnes ne sont pas l'ennemi ?

22
Référence au « Léviathan » de Thomas Hobbes qui compare les gouvernements à un monstre mythologique
appelée le Léviathan. Le peuple détenteur du pouvoir donne volontairement celui-ci aux mains de l'Etat en
échange de la protection de leurs droits, de leurs vies et de leurs biens. Les gouvernements, selon Hobbes,
découlent donc d'un contrat social entre le peuple qui abandonne son droit de se gouverner soi-même et le
souverain qui assure sa sécurité et ses droits.

33
LE ROI DÉMON : Ne dis pas des choses aussi véhémentes !
LE HÉROS : Bon alors s’ils sont l'ennemi, je vais faire usage de ma plus puissante magie pour
lancer un puissant éclair sur eux !
LE ROI DÉMON : N'utilise pas des sorts de siège avec tant de désinvolture !
LE HÉROS : Mais on m'a menti !
LE ROI DÉMON : Tu es un enfant ou quoi ? Pour commencer, la Ligue n'a aucune volonté
propre. Ce n’est qu'une association de marchands qui n'ont qu’un seul but : devenir plus riches.
Pour cela, ils unissent leurs savoir et font tout pour se protéger eux-mêmes et leurs intérêts. En
fin de compte, ils ne sont qu'une monstrueuse organisation dont le développement n'est relié
par aucune idéologie. Ils t'ont peut-être menti, mais ce n'était pas leur but, et prendre ta revanche
sur la Ligue ne touchera aucune des personnes qui t’ont utilisé.
LE HÉROS : C'est exaspérant…
LE ROI DÉMON : Ils ne sont ni nos amis ni nos ennemis. Ils sont plutôt des bêtes sauvages.
LE HÉROS : (souffle d’exaspération)
LE ROI DÉMON : (à elle-même) Mais, après tout, peut-être...
LE HÉROS : Ah là là... Il y a tant de choses dont je ne sais rien.
LE ROI DÉMON : Ne te plains pas.
LE HÉROS : D’accord… Mais quand il faudra se battre, j'ai la ferme intention d'être en
première ligne.
LE ROI DÉMON : Je serai toujours à tes côtés.
LE HÉROS : Moi aussi.
LE ROI DÉMON : Oh non…
LE HÉROS : Qu'y a-t-il ?
LE ROI DÉMON : Eh bien, on vient d’arriver devant la maison du chef du village. Aujourd'hui
je dois faire un exposé sur la façon d’exploiter les ressources de la terre en utilisant le trèfle.23
LE HÉROS : Vraiment ?
LE ROI DÉMON : Hmm...
LE HÉROS : Oui ?
LE ROI DÉMON : Je serai de retour dans quatre heures, alors...
LE HÉROS : Je comprends.
LE ROI DÉMON : À... À plus tard !
LE HÉROS : Oui ! À plus tard !

23
Les légumineuses telles que le trèfle contiennent une bactérie spéciale, connue sous le nom de rhizobium, dans
leurs racines. Celle-ci transforme l'azote contenu dans l'air en nitrates. Pour cette raison, les champs où poussent
d'abord des légumes de plantés deviennent riches en nitrates fertilisants.

34

S-ar putea să vă placă și