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PRÉSENTATION
CULTURE DES ÉLÈVES, CULTURE DE L’ÉCOLE :
QUELLES RELATIONS ?
Anissa BELHADJIN
Université de Cergy-Pontoise
INSPÉ de Versailles
Laboratoire ÉMA (ÉA 4507)
Marie-France BISHOP
Université de Cergy-Pontoise
INSPÉ de Versailles
Laboratoire ÉMA (ÉA 4507)
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Culture et école
La question de la définition de la culture au sens large parait consub-
stantielle de l’école. Pour J.-C. Forquin, « incontestablement, il existe entre
éducation et culture une relation intime, organique. [...] Reconnaissons
cependant la part d’arbitraire qu’implique un tel emploi du mot “cultureˮ
et la nécessité d’une clarification lexicale » (1996 : 8-9). En sociologie, la
question de la culture a été déjà largement arpentée. A. Mattelart et E. Neveu
notent ainsi que :
La notion de culture est de celles qui ont suscité en sciences sociales les
travaux les plus abondants, les plus contradictoires aussi. Le terme peut
tantôt désigner un panthéon de grandes œuvres « légitimes », tantôt prendre
un sens plus anthropologique, pour englober les manières de vivre, sentir
et penser propres à un groupe social (Cuche 1996). La Joconde et la
sociabilité qui se greffe sur l’assistance à un match de football illustreraient
ces deux pôles. L’idée d’une culture « légitime » implique aussi une seconde
opposition, cette fois entre les œuvres consacrées et celles de ce qu’on
a nommé « culture de masse », produite par les « industries culturelles ».
Proust contre Mary Higgins Clark, Chostakovitch contre les chansons de
Michael Jackson. (2008 : 3)
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
une acception de fait dévalorisante pour la culture scolaire, qui est également
la culture produite par l’école.
À l’aune des bouleversements de la société française de la seconde moitié
du XXe siècle, A. Barrère et F. Jacquet-Francillon constatent, eux, non des
oppositions, mais des confrontations : la culture de l’école « est aujourd’hui
confrontée à des formes culturelles qui ne lui sont ni favorables ni hostiles,
mais tout simplement indifférentes. Elle est désormais en lutte, larvaire ou
déclarée, contre des formes culturelles qui l’ignorent » (2008).
Dans ce contexte très mouvant, où les questions changent en même
temps que la société, ce numéro veut s’interroger sur la place occupée par la
culture des jeunes dans le cours de français ; plus précisément, il s’agit de se
demander comment la culture juvénile peut être sollicitée, intégrée, prise en
compte, dans le cadre de la discipline. Un numéro de la Revue française de
pédagogie (2008) s’interroge ainsi : « comment la culture des jeunes facilite-
elle ou, au contraire, fait-elle obstacle aux acquisitions scolaires ? Quelles
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dispositions ou compétences sociocognitives construit-elle ? »
Cette question, reprise de l’introduction de La Culture des élèves : enjeux
et questions (Barrère et Jacquet-Francillon, ibid.), nous aimerions, dans ce
numéro, la reprendre à notre compte tout en l’orientant d’un point de vue
didactique. En effet, la question des relations entre la culture des jeunes
et la discipline français est assez peu abordée, comme si c’était un allant
de soi que de relation, il n’y en point. Est-ce alors à dire qu’une ligne de
faille sépare les savoirs, connaissances, compétences apportés par l’école et
ceux qui appartiennent spécifiquement à la culture juvénile, ou aux cultures
juvéniles, selon que l’on considère qu’elle varie selon l’âge ou le milieu
social ? Ou bien, au contraire, que les relations entre culture juvénile et
culture scolaire sont si évidentes qu’il n’y a rien à en dire ?
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français. Retour sur la question, l’introduction de J.-M. Rosier semble faire
écho à celle de Pratiques vingt ans plus tôt en soulignant le chemin parcouru
et une préoccupation constante à l’école pour désormais intégrer ces écrits
peu légitimes : « aujourd’hui, travailler en classe les mauvais genres ne relève
pas d’une pratique innovante à l’exception des écrits d’internet absents
naguère du capital scolaire exploitable [...]. L’histoire de la discipline montre
en effet que l’école peut transformer bien des objets culturels en savoirs
d’apprentissage et en montrer l’intérêt pédagogique. »
La revue Le français aujourd’hui n’a, quant à elle, réfléchi aux mauvais
genres dans un dossier que dans un numéro sur « Les risques du polar »
(2002), sans se poser encore la question des cultures juvéniles et de leur place
en didactique hormis un article de P. Bruno, paru dans la chronique « Culture
Jeunes » en 2006. C’est d’autant plus notable que la liste des numéros parus
depuis le début des années 1970 fait apparaitre une préoccupation constante
de la revue d’inscrire l’enseignement du français dans le contexte mouvant
d’une société en pleine évolution. Égrenons ainsi, presque au hasard :
Propositions pour une rénovation de l’enseignement du français (1970) ; Le
français dans le technique (1972) ; Les langues des français (1976) ; Fenêtres
sur la presse (1979) ; Les enjeux sociaux de l’enseignement du français (1982) ;
Le français au carrefour des disciplines (1986) ; et très récemment les deux
numéros sur les écritures numériques (2017 et 2018).
Aujourd’hui, la question des « mauvais genres », qui met l’accent sur la
question du genre dans une acception trop axiologique, peut être élargie
pour scruter « l’univers culturel » (Donnat 1994) des élèves, qui consacre
l’importance, certes, des « mauvais » genres romanesques mais aussi de
formes et de médias comme les genres graphiques, tels que la BD, le manga ;
ou visuels, comme les films, les séries, voire les jeux vidéo ; la musique
comme le slam ou le rap ; les diverses formes de l’expression numérique
comme les blogs, les réseaux sociaux, les tutoriels...
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
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nouvelles technologies. Elle évoque une « techno-culture » qui produit de
nouveaux savoirs, lesquels ne sont pas valorisés par l’institution, alors qu’ils
pourraient constituer une voie d’accès vers des apprentissages.
Se situant également dans le domaine de la sociologie, Sylvain Aquatias
analyse les modes de socialisation et d’acculturation des jeunes en soulignant
le clivage entre deux influences divergentes, celle de l’école et celle des
loisirs et des pairs. L’analyse des pratiques de lecture menée à partir de deux
enquêtes rend compte de la diversité des profils de lecteurs qui dépendent
des comportements genrés, des origines sociales, mais aussi de l’accès aux
médias et des relations avec les pairs. À partir du constat de la diversité des
influences s’invite une réflexion sur d’autres modalités de lecture susceptibles
de redonner le gout de lire à tous les lycéens.
C’est en observant le processus de scolarisation des œuvres littéraires d’un
point de vue didactique que Nathalie Denizot aborde le problème de la place
des cultures juvéniles à l’école. Son premier constat est que l’école absorbe
continuellement des œuvres jugées au départ peu légitimes (paralittérature,
littérature de jeunesse, francophones, contemporaines, etc.) dans son offre
de lecture. Ce processus de renouvèlement constant dissimule le véritable
enjeu qui est celui de la permanence des pratiques et des conceptions peu
évolutives sur la littérature. Transformer la culture scolaire ne peut se faire
par la seule introduction de nouveaux corpus mais par une modification des
modalités de lecture et de travail autour de ces corpus.
C’est autour de cette question que s’organise la deuxième partie du dossier
intitulée « Nouveaux objets, nouvelles pratiques ». Les auteurs y présentent
des pratiques de lecture et d’écriture autour de corpus appartenant à la
culture juvénile.
Dominique Bomans et Anne-Marie Dionne rapportent une expérience
menée dans deux classes du secondaire au Québec dans lesquelles a été
proposé aux élèves d’écrire des textes de slam, dans le but de revitaliser la
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échanges de livres hors des séances de classe. La pratique scolaire a eu des
incidences sur les lectures extrascolaires.
Violeta Mitrovic propose de revisiter un genre canonique au lycée,
l’autobiographie, en utilisant des romans graphiques autobiographiques
dans lesquels les images contribuent pleinement à l’interprétation du texte.
Les capacités inférentielles sont stimulées par l’hybridation du texte et de
l’image dont la double lecture rend visible et perceptible pour les élèves le
travail d’élaboration du lecteur. Le roman graphique qui répond aux gouts
des jeunes lecteurs permet d’affiner les modalités de lecture.
La troisième partie reprend cette problématique de la lecture des corpus
appartenant à la culture juvénile, sous le titre « Compétences de lecteurs ».
Les auteurs y développent la question de la littérarité de ces nouveaux corpus
et définissent des compétences de lecteurs qu’ils permettent de développer.
Bounthavy Suvilay et Édith Taddei analysent une série de Mangas, Naruto,
pour en dégager les aspects littéraires susceptibles de développer des expertises
en lecture chez des élèves de collège. Les compétences des jeunes lecteurs sont
développées grâce à une approche du personnage et de son élaboration dans
le récit. Mais aussi en observant les phénomènes de stéréotypie, et les ancrages
culturels différents que la traduction souligne. La lecture proposée aux élèves
devient plurielle, alliant des démarches comparatistes et transmédiatiques.
Poursuivant la même intention, Natacha Levet s’attache à caractériser
les compétences de lecture spécifiques qui peuvent être développées grâce
à un corpus relevant de la culture des jeunes. L’idée défendue ici est que
la diversité des expériences peut devenir un objet de réflexion facilitant la
reconnaissance des effets littéraires. Les œuvres jouant sur l’immersion des
lecteurs peuvent devenir un moyen d’enrichir le répertoire des élèves. Les
mécanismes d’implication, les jeux sur les stéréotypes vont contribuer à
mieux comprendre comment l’intrigue est mise en tension tout au long des
récits.
Prenant la suite de cette argumentation, Isabelle Olivier s’interroge sur les
possibilités de lecture littéraire offertes par les œuvres relevant de la Fantasy.
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
Références bibliographiques
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• BARRÈRE, A. & JACQUET-FRANCILLON, F. (2008). La culture des élèves :
enjeux et questions. Revue française de pédagogie, 163, 5-13.
• BISHOP, M.-F. & BELHADJIN, A. (dir.) (2015). Les Patrimoines littéraires à
l’école : tensions et débats actuels. Paris : Honoré Champion.
• BRUNO, P. (2006). Pratiques culturelles et « classes » sociales : les sociologies des
pratiques culturelles juvéniles. Le français aujourd’hui, 153, 93-98.
• CHERVEL, A. (1998). La Culture scolaire. Paris : Belin.
• DENIZOT, N. (2018). La Culture scolaire : perspectives didactiques. Thèse
d’habilitation à diriger des recherches. Université de Lille.
• DONNAT, O. (1994). Les Français face à la culture : de l’exclusion à l’éclectisme.
Paris : La Découverte.
• FORQUIN, J.-C. ([1989] 1996). École et culture : le point de vue des sociologues
britanniques. Bruxelles : De Boeck.
• FORQUIN, J.-C. (1996). École et culture : le point de vue des sociologues britanniques.
Bruxelles : De Boeck.
• HOUDART-MÉROT, V. (1998). La Culture littéraire au lycée depuis 1880.
Rennes : Presses universitaires de Rennes.
• JEY, M. (1996). La Littérature au lycée, l’invention d’une discipline, 1880-1925.
Metz : Centre d’études linguistiques des textes et des discours, coll. « Recherches
textuelles ».
• LE FRANÇAIS AUJOURD’HUI (2002). « Les Risques du polar », 138. Paris :
AFEF.
• LOUICHON, B. (2015). Le patrimoine littéraire : du passé dans le présent. Dans
M.-F. Bishop & A. Belhadjin (dir.), Les Patrimoines littéraires à l’école : tensions et
débats actuels (pp. 93-106). Paris : Honoré Champion.
• MATTELART, A. & NEVEU, E. (2008). Introduction. Introduction aux cultural
studies. Paris : La Découverte.
• PRATIQUES (1986). « Les Paralittératures », 50. Metz : CRESEF.
• PRATIQUES (1987). « Les Mauvais genres », 54. Metz : CRESEF.
• ROSIER, J.-M. (dir.) (2007). Les Mauvais genres en classe de français ? Retour sur
la question. Namur : Diptyque n° 9.
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CULTURES JUVÉNILES,
Nathalie DENIZOT
Sylvain AQUATIAS
CULTURES SCOLAIRES
Sylvie OCTOBRE
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Sylvie Octobre - Les pratiques culturelles des jeunes suivent les mutations
technologiques numériques et qui bouleversent nos manières d’écouter, de
regarder, de lire. Elles sont aussi influencées par les mutations des relations
sociales qui leur sont liées, avec la montée en puissance des réseaux et des
valeurs de collaboration.
Un premier invariant est que les jeunes ont toujours figuré parmi les
moteurs de diffusion des technologies, puisqu’ils sont toujours les mieux
équipés et les plus utilisateurs des nouveautés technologiques successives.
Et cette « technophilie » s’accélère avec une convergence médiatique et
numérique vers le smartphone devenu le premier terminal culturel des jeunes.
Cette technophilie des jeunes tient à leur appétence pour la nouveauté mais
doit également aux stratégies éducatives des familles, qui attribuent aux
outils technologiques deux significations : une signification distractive (c’est
le cas des équipements en télévision personnelle ou en matériel électro-
acoustique qui façonnent une culture de la chambre) et une signification
éducative, certains équipements étant considérés comme des outils d’entrée
dans la modernité (l’ordinateur notamment). Reste que cet attrait pour les
technologies n’est, dans la plupart des cas, pas « technicienne » : il s’agit
d’une technophilie d’usage qui permet que se développent non pas des
compétences informatiques mais des life skills (faire une play list, poster sur
un réseau social, etc.) dont rien ne dit qu’elles sont réinvestissables dans les
champs scolaires puis professionnels.
Deuxième invariant : la place de l’expressivité. Celle-ci porte le gout de la
musique, mais aussi des pratiques numériques. La musique, parce qu’elle
engage le corps (le sien et celui de l’autre) et tout un système de dispositifs
(codes vestimentaires, groupes affinitaires, langages spécifiques, etc.) est
depuis les années 1960 un vecteur d’identification et d’expression fort dans
les jeunes générations et, depuis cette période, la « musicalisation » de la vie
quotidienne va croissant. De même, l’ordinateur et l’internet sont des outils
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vecteur de collaboration, de contribution ou de partage.
Au-delà des invariants, l’ère numérique fait naitre de nouveaux rapports à
la culture. Elle met d’abord en place de nouveaux équilibres dans les agendas
culturels des jeunes et une redistribution des « valeurs » culturelles qui
affectent tous les « anciens » médias, selon des intensités variables : moins de
lecture papier, plus d’images et d’écrans. Au-delà de cette réorganisation des
agendas, le numérique provoque des mutations profondes des mondes de
la culture en affectant tout à la fois les perceptions des temps culturels,
des espaces culturels, des produits culturels et des chaines de valeurs
culturelles. Il favorise également une individuation, une démultiplication et
une déprogrammation des temps culturels. Il promeut enfin une hybridation
des catégories culturelles qui s’accompagne d’un passage à l’éclectisme et
d’une porosité croissante des catégories culturelles (entre divertissement et
culture, entre narration de soi, fiction et réalité). C’est dans ce contexte
que l’on observe une mutation des modes de production et de labellisation
culturelles : le fonctionnement en réseau favorise l’apparition de nouveaux
acteurs et systèmes de labellisation (webmasters...), en marge des institutions
traditionnelles de transmission que sont, principalement, les équipements
culturels et l’école. Le numérique, par essence global, accentue également la
transformation des références culturelles des jeunes générations, en ouvrant,
potentiellement, à un cosmopolitisme culturel ou esthétique qui prend
évidemment sa source dans les industries culturelles et les réseaux sociaux.
Ainsi, la part de la VO croît dans les consommations de séries télévisées, et
pas seulement d’origine anglosaxonne, comme le succès des drama coréens
l’atteste. De même, les pratiques de lecture sont transformées par le succès
du manga puis du manhwa, désormais disponibles en webtoons. Par ailleurs,
le numérique (et son omniprésence) favorise une « culturalisation » des
rapports au monde des jeunes, qu’il s’agisse d’augmentation des durées
de consommations, d’inscription dans les pratiques amateurs ou de sorties
(car les consommations numériques nourrissent – sans qu’il s’agisse là d’un
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évoquez une disjonction entre culture scolaire et culture juvénile. Selon
vous, l’école devrait-elle davantage prendre en compte cette dernière ?
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mesure où certains milieux maitrisent les tenants et aboutissants (et donc en
doteront leurs enfants), quand d’autres milieux continuent de croire en la
puissance du curriculum visible (faute, le plus souvent, d’avoir conscience
de l’existence d’un curriculum caché).
De la même manière, il existe une éducation cachée, dont les jeunes sont
dotés dans leurs milieux familiaux, mais aussi dans leurs consommations
médiatiques, qui pourrait potentiellement être utilisée en classe mais ne
fait en général l’objet que de peu de discussions au sein des institutions
d’éducation (si ce n’est sous une forme souvent à priori critique, voire
dénégative).
Cette éducation cachée est faite de compétences, de « savoirs minuscules »
(Pasquier 20024 ). Issus de schémas narratifs et fictionnels (musique, séries,
film, etc.) mais aussi de l’usage des technologies culturelles, ces savoirs
minuscules sont de plusieurs ordres : interprétatifs, cognitifs et émotion-
nels, pratiques, technologiques, relationnels, voire éthiques ; ils mêlent
savoir-faire d’usager, savoir-être de (co)contributeur et de faire-savoir de
diffuseur/médiateur. Tout ceci invite à interroger les modes d’apprentissages
propres aux technocultures juvéniles, dans lesquelles les mécanismes d’auto-
didaxie sont d’autant plus développés que le niveau de formation augmente
de génération en génération, sans être pourtant uniformément répandu. Ces
modes d’apprentissage fonctionnent principalement sur un principe électif
et non plus sélectif comme l’école (sélection par le diplôme, c’est-à-dire
sélection à priori par le savoir) et édictent des règles internes qui articulent
utilisation de l’expertise des uns et des autres au sein d’une communauté
d’amateurs – parfois transversalement aux groupes d’âge, sociaux, de sexe –
et circulation d’informations progressivement convergentes, dont le chemi-
nement oriente l’activité collective. L’apprentissage s’y fait par socialisation
4. « Les « savoirs minuscules ». Le rôle des médias dans l’exploration des identités de sexe,
Éducation et sociétés, 2, pp. 35-44, 2002.
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(écriture, rythme, etc.) quand on veut travailler sur les types de narration
n’est pas non plus sans intérêt. Savoir aussi que la vague de l’hallyu6 est
en train de se déverser sur la France, avec sa kyrielle de codes culturels,
linguistiques et narratifs, et permet de reconsidérer non seulement une
supposée américanisation des cultures juvéniles mais également tous les
discours sur l’impérialisme culturel et ses formes, ainsi que sur la place
réservée au soft power culturel. Tout cela suppose de prendre au sérieux les
cultures juvéniles, c’est-à-dire, aussi, de consommer certains des produits qui
la composent pour les comprendre, les analyser et tisser alors des liens entre
cette culture et la culture « légitime » qui est au cœur de l’enseignement7 .
Car les liens existent et sont nombreux. Twilight est un Roméo et Juliette à
la sauce vampire, 50 nuances de gris une forme de bovarisme post-libération
sexuelle...
5. C. Détrez et O. Vanhée, Les Mangados, lire des mangas à l’adolescence, Paris, Centre
Georges Pompidou, 2012.
6. Vague de produits coréens.
7. C’est ce qu’un ouvrage américain, au titre provocateur, invite, avec beaucoup de justesse,
à faire : S. Johnson, Everything is Bad for You : How Today’s Popular Culture is Actually
Making us Smarter, New York, Penguin, 2005.
8. O. Donnat, Les Français face à la culture, de l’exclusion à l’éclectisme, Paris, La Découverte,
1994 ; Les Pratiques culturelles des Français à l’ère du numérique, Paris, La Découverte, 2009.
9. S. Octobre, Les Loisirs culturels des 6-14 ans, Paris, MC, 2004.
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technocultures).
Puis, je me suis intéressée aux effets de la globalisation de la culture,
accélérée par le numérique et les flots de contenus qui y étaient accessibles,
en provenance de diverses régions du monde13 . Cette mosaïque culturelle
d’une ampleur inégalée produit-elle des effets sur les valeurs, représentations,
appétences des jeunes à l’égard de la culture et du monde, et si oui, lesquels ?
À l’heure où le monde est agité de crispations politiques majeures, et où
resurgit le spectre de tous les racismes, il s’agissait de mieux comprendre les
imaginaires juvéniles, comment ces derniers les mobilisent pour se situer
dans le monde et à l’égard du monde.
Actuellement, je travaille à un vaste chantier d’enquêtes concernant
l’éducation artistique et culturelle, en situation scolaire, péri- et extrascolaire,
en collaboration avec le ministère de l’Éducation nationale : c’est une
manière de revenir sur la gestation des inégalités culturelles en travaillant
de nouveau sur la socialisation culturelle précoce, en y replaçant cette fois,
plus nettement que dans mes travaux précédents, le rôle des dispositifs
institutionnels.
Sylvie OCTOBRE
10. S. Octobre, C. Détrez, P. Mercklé et N. Berthomier, L’Enfance des loisirs, Paris, MC,
2010.
11. S. Octobre, Deux Pouces et des neurones, Paris, MC, 2014.
12. S. Octobre, Les Technocultures juvéniles : du culturel au politique, Paris, L’Harmattan,
2018.
13. V. Cicchelli & S. Octobre, L’Amateur cosmopolite, Paris, MC & Presses de Sciences,
2017.
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CULTURES JUVÉNILES,
LECTURE ET LECTEURS
Sylvain AQUATIAS
Université de Limoges
INSPÉ de l’académie de Limoges
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social précis, liant d’une part la culture légitime aux classes supérieures et
d’autre part les produits des industries culturelles et des médias de masse
aux classes populaires (Bourdieu 1979). Le gout culturel était alors conçu
comme un moyen de différenciation, permettant aux individus de se classer
entre eux.
Cette théorie est désormais moins explicative du fait que les consomma-
tions culturelles des classes supérieures sont désormais moins dirigées vers la
culture légitime (Coulangeon 2011). Si certains expliquent ce phénomène
par une redistribution des critères du classement social (aux classes supé-
rieures, un éclectisme permettant d’apprécier des œuvres multiples ; aux
classes populaires un « univorisme » limitant l’accès aux cultures savantes),
d’autres remettent en cause la hiérarchisation des gouts et leur pouvoir
classant, au nom d’un éclectisme culturel et d’une tolérance plus importants
(Glévarec 2013).
Les cultures juvéniles viennent logiquement s’intégrer à ce débat. Depuis
les années 1960, une relative autonomisation des gouts culturels des jeunes
s’est affirmée. L’émergence de nouveaux rapports entre parents et enfants,
basés sur le dialogue et un moindre formalisme des relations (Fize 1990)
a amené à une construction identitaire des enfants liée aux modèles du
développement de soi, où les gouts individuels apparaissent précocement
(De Singly 2006). En parallèle, l’augmentation des équipements audiovisuel
et informatique des foyers français et le développement d’un marché culturel
consacré aux enfants et aux adolescents ont permis l’émergence d’intérêts
bien spécifiques :
Les adolescents [...] présentent, à l’échelle de la population française, une
configuration particulière de compétences, comportements et préférences
culturelles qui constituent un ensemble de traits suffisamment stables et
cohérents pour les distinguer du reste de la population. (Donnat 2003 :
15-16)
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
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non-formelles). Si l’on peut trouver des tendances générales (l’utilisation
des écrans et le temps d’écoute musicale, par exemple, décroissent dans
les générations supérieures), dès que l’on descend au niveau des gouts
individuels, de multiples configurations d’intérêts apparaissent que le regard
des adultes peine parfois à percevoir1 (Aquatias 2019).
Enfin, B. Lahire, dans le traitement secondaire de l’enquête de 2003
sur les pratiques culturelles des Français, insiste sur le fait que les étu-
diants et les élèves se caractérisent par une surreprésentation des profils
dissonants2 : « Temps où se conjuguent à la fois l’obligation scolaire et
l’amusement, l’adolescence et la post-adolescence de la jeunesse scolarisée
prêtent tout particulièrement à la variété des pratiques et des préférences
(des plus "sérieuses", "studieuses" et "instructives" aux plus "divertissantes"
et "légères" » (2004 : 196). On note là la confrontation de deux influences,
deux modes de socialisation, pourrait-on dire, d’une part celle de l’école,
d’autre part celle des loisirs, des médias et des pairs. Ces deux influences sont
souvent vues comme contraires : « socialisatrice au sens large, la sociabilité
juvénile est vue aujourd’hui, du point de vue de l’école, comme déstabilisant
une institution qui a eu du mal à l’intégrer, en particulier pédagogiquement.
C’est dire que c’est largement à l’extérieur de l’école, si ce n’est contre elle,
qu’elle s’épanouit pleinement » (Barrère 2011 : 25).
Dans ce cadre, la lecture est un domaine culturel permettant d’examiner
la confrontation entre les volontés de transmission de la commission des
programmes ou des enseignants qui ont en charge de les appliquer et les gouts
des élèves. Si on observe une baisse de la lecture chez les élèves3 , quels en sont
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L’enquête de 2009 portait sur un échantillon d’élèves de Cinquième, de
Troisième et de Première ou de seconde année professionnelle et montrait
de nettes différences en fonction de l’orientation. Les élèves de lycée
professionnel étaient les plus nombreux à ne pas posséder de livres ; ils
empruntaient moins d’ouvrages et en avaient moins acheté que les élèves
de lycée général et technologique. Au contraire, les élèves de lycée général
et technologique étaient plus nombreux à avoir lu un livre dans le dernier
mois (76 % d’entre eux) et les élèves de lycée professionnel à n’en avoir lu
aucun (58 % d’entre eux). On observait aussi une plus grande hétérogénéité
dans le choix des livres lus dans le dernier mois à partir de 16-17 ans et
d’abord chez les élèves de Première générale et technologique. Ces derniers
étaient les plus nombreux à lire de la littérature issue des programmes5 .
lecture prescrite comme en lecture de loisirs. L’enquête de 2019 sur la lecture des Français
semble montrer une augmentation de la lecture chez les 15-24 ans. Mais, portant sur un
échantillon de population générale, elle est bien moins précise que celle de 2016 (Vincent-
Gérard 2016, 2019). Ces deux enquêtes, aussi intéressantes qu’elles soient, donnent peu
d’indications sur la formation du gout pour la lecture, ce à quoi nos deux enquêtes – et plus
encore la seconde – se sont attachées.
4. En 2009, l’échantillon était de 5 % de la population d’élèves du Limousin, soit 1114
élèves. Les questionnaires ont été passés par classes (51), au sein d’établissements répartis
dans les départements. En 2016, l’échantillon était de 9 % de la population d’élèves de
Troisième du Limousin, soit 624 élèves. Les questionnaires ont été passés par classes (28),
au sein d’établissements sélectionnés en fonction du type de territoire : urbain, périurbain,
périphéries urbaines défavorisées, rural. Les deux enquêtes ont été conçues en complément
l’une de l’autre. La première donne un paysage global des usages culturels, la seconde
accentuait les questions sur l’acquisition des gouts culturels à l’âge qui semblait le plus
propice. Les questionnaires ont été conçus pour permettre le comparaison des données.
5. Le curriculum spécifique des filières professionnelles peut être en cause ici. Mais on voit
nettement que les choix de lecture varient aussi en fonction de l’appétence pour la lecture et
que, dès le collège, des profils se dessinent où se cumulent faible attrait de la lecture et gout
pour des lectures moins légitimes.
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
Enfin, les livres clairement définis comme des œuvres légitimes, plus
susceptibles de subir l’influence scolaire (littérature d’origine scolaire6 ,
littérature contemporaine, livres historiques, biographies, essais politiques,
philosophie et poésie) avaient été séparés de ceux qui étaient liés aux intérêts
juvéniles (fantasy, bit lit, policiers, littératures de jeunesse, science-fiction,
etc.). 46 % des élèves de Première générale et technologique lisaient des
ouvrages légitimes au regard de la culture scolaire et 18 % seulement des
élèves de lycée professionnel. À l’inverse, 73 % de ces derniers lisaient les
livres dirigés vers la jeunesse (littérature de jeunesse et littératures de genre –
littératures de l’imaginaire, policier et thriller, littérature sentimentale, bit
lit et chick lit), alors que leurs condisciples de lycée général et technologique
n’étaient que 47 % à en lire.
Tous ces éléments indiquent que les choix de lecture des élèves de
Première générale et technologique sont plus marqués par leur scolarité.
Cette influence est antérieure à la classe de Première : les élèves qui lisent
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le plus (les filles en premier lieu et les élèves de Première générale et
technologique) se laissent davantage conseiller par leurs amis dans leurs choix
de lecture. Leurs gouts se sont donc formés auparavant, puis autonomisés,
s’associant davantage aux sociabilités juvéniles. Au contraire, les élèves qui
lisent peu dans le cadre de leurs loisirs, surtout des garçons, se laissent
davantage conseiller par les enseignants.
Passons à l’enquête de 2016. Les mêmes tendances apparaissent : un peu
moins du tiers des élèves de Troisième déclarent lire souvent et 71 % des
élèves lisent rarement ou peu souvent. Mais ce sont 38 % des filles qui disent
lire très souvent ; ce sont 80 % des garçons qui disent lire rarement.
Le niveau de lecture est lié aux résultats scolaires. Les réponses des élèves,
bien que déclaratives, sont assez précises pour rendre compte de ce lien :
83 % des élèves déclarant lire souvent ou tout le temps – que la lecture soit
scolaire ou privée – disent aussi avoir des résultats scolaires très bons ou
assez bons ; ce ne sont que 65 % de ceux déclarant lire rarement ou peu
souvent. C’est encore aux garçons faibles lecteurs que l’école arrive à mieux
faire apprécier la littérature d’origine scolaire (12 % d’entre eux contre 5 %
de filles).
6. La question posée portait sur les derniers livres lus et aimés dont les élèves devaient
donner les titres. Ils étaient ensuite regroupés dans les catégories présentées ici. Afin de
mieux percevoir l’influence des cours de Français sur les gouts littéraires des élèves, nous
avons groupé les ouvrages cités, quand leur lecture avait initiée en classe (ils sont inscrits
aux programmes et une proportion conséquente d’élèves d’une même classe les ont cités).
Ce sont ces ouvrages que l’on nommera ici « littérature d’origine scolaire ». Ces ouvrages ne
sont pas tous des ouvrages de culture légitime, c’est le cas, on le verra, de certains ouvrages
de littérature de jeunesse.
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représentent 15,5 % des ouvrages cités. Certains de ces ouvrages peuvent
avoir été conseillés par des enseignants. En effet, les élèves citent le plus
souvent ces derniers quand on leur demande qui les conseille en matière de
lecture (28 %, bien devant les amis – 17 % – ou les parents et les médias,
tous deux à 14,5 %).
Que pensent alors les élèves des livres proposés à l’école ? Les avis sont
assez tranchés : 27 % trouvent les livres proposés intéressants, 45 % ne les
trouvent pas intéressants et 28 % déclarent ne pas aimer lire, quel que soit
le livre proposé. Pour autant, ces jugements reflètent aussi une véritable
partition sexuée, les filles étant très majoritaires à déclarer que les livres
étudiés en classe ne sont pas intéressants (51 % d’entre elles contre 38 %
des garçons). On retrouve bien là, chez les filles, une tendance à ne pas
apprécier les livres lus en classe, lorsque leurs gouts se sont déjà autonomisés
(ce sont 24 % des filles, soit près du quart de la sous-population des filles,
qui déclarent à la fois lire souvent ou tout le temps et ne pas apprécier la
littérature proposée à l’école)7 .
7. L’autonomisation des gouts féminins se voit dans les titres des ouvrages choisis. La
littérature d’origine scolaire est alors peu présente, les littératures de genre le sont beaucoup
plus. De fait, les filles lisant généralement plus, on peut imaginer que leurs gouts sont plus
affirmés et que l’obligation de lecture leur pèse davantage.
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(PCS) des familles. Les transmissions familiales jouent donc encore un rôle
important.
Enfin, le fait de disposer d’une télévision dans sa chambre agit sur la
propension à la lecture. 37,5 % des élèves déclarant lire peu souvent disposent
d’une télévision pour eux seuls ; 74,7 % des élèves dont la télévision est
destinée à toute la famille disent lire souvent. Mais les enfants disposant
d’un poste personnel sont moins nombreux chez les cadres et les professions
libérales (22 %) et beaucoup plus nombreux dans la classe moyenne (43 %)9 .
Le rôle d’internet apparait aussi clairement. Le fait d’avoir un accès faible
à internet renforce la lecture, mais une minorité d’élèves (5 %) est dans ce
cas. Les activités liées à la lecture sur internet (lire des articles, s’informer,
faire ses devoirs) concernent un nombre faible d’élèves (6 %) ; les usages les
plus fréquents d’internet étant « regarder des vidéos, des films ou des séries »
(33 %), « écouter de la musique » (31 %) ou « communiquer » (27 %).
Les deux premiers usages ne favorisent probablement pas la lecture, mais
on pourrait penser que certaines formes de communication y sont liées.
Cependant, quand on considère la population des élèves qui se connectent
tous les jours à Facebook (70 % de ceux qui ont un compte Facebook10 ),
c’est 53 % d’entre eux qui lisent rarement ou jamais des livres contre 45 %
de ceux qui se connectent trois à quatre fois par semaine et 34,5 % de ceux
qui se connectent rarement. Autrement dit, le fait d’être très présent sur
Facebook dessert la lecture d’ouvrages.
8. L’influence des pères sur la lecture apparait bien moindre, ce qui s’explique par le fait
que les mères sont plus présentes dans l’éducation et le suivi scolaire des enfants.
9. Le fait que celle-ci arrive devant la classe défavorisée (36,6 %) est probablement dû aux
revenus des ménages.
10. 64 % des élèves ont une page Facebook, 57 % un compte Instagram ou Tumblr, 37 %
un compte Snapchat.
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proposés (18 %, dont 68 % de filles) ;
- ceux qui lisent souvent et trouvent les livres étudiés intéressants (11 %,
dont 68 % de filles).
Si l’on vérifie les différentes classes dans lesquelles les questionnaires ont
été passés, on s’aperçoit que sur les vingt-huit classes concernées, seules
cinq d’entre elles comportent une proportion d’élèves disant lire souvent,
approchant ou dépassant la moitié des effectifs (entre 46 et 53 %) : cinq
autres regroupent des élèves disant majoritairement lire rarement ou peu
souvent (entre 88 et 94 %). Autrement dit, les élèves de 64 % des classes
interrogées ont des profils de lecture assez variés.
La question qui se pose alors est bien celle des supports qui permettront
de redonner le gout de la lecture aux élèves11 . Faut-il se servir uniquement
d’ouvrages ou aller vers d’autres médias, probablement moins légitimes,
mais plus propices à poser des passerelles vers les œuvres écrites ? 82 % des
élèves regardent la télévision tous les jours ou presque, 79,5 % accèdent
à internet, 75 % jouent aux jeux vidéos, 48 % vont au cinéma au moins
une fois par mois, 44 % accèdent à Facebook tous les jours. Les cultures
juvéniles offrent de multiples univers dont le caractère transmédiatique
permet d’aborder de mêmes univers dans différents médias ce qui peut, à
terme, favoriser le passage à la lecture12 .
11. On se doit de noter ici que la bande dessinée, souvent utilisée dans ce cadre, ne propose
pas de véritable recours pour les populations les plus éloignées de la lecture : ce sont 63 %
des élèves disant lire rarement ou peu souvent qui n’ont lu et aimé aucune bande dessinée
récemment. Ce sont les élèves disant lire souvent ou tout le temps qui lisent de la bande
dessinée (54 % d’entre eux).
12. Le caractère transmédiatique des œuvres n’est pas spécifique aux cultures juvéniles, mais
la multiplicité des supports en favorise l’extension : la lecture de bandes dessinées et les jeux
vidéos, notamment, sont statistiquement plus présents en-dessous de 16 ans.
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diminuer le recours aux œuvres des programmes peut aussi limiter les
chances de faire découvrir aux élèves les récits qui sauront les séduire.
Non seulement la lecture adolescente est encore largement soumise aux
origines sociales, mais elle subit aussi une concurrence forte de nouvelles
activités soutenues par les sociabilités adolescentes. Dans cette configuration
d’influences diversifiées mais souvent convergentes, notamment pour les
classes populaires, la socialisation qu’opère l’école en faveur des œuvres plus
légitimes produit de la diversification. Elle permet que les élèves disposent
d’une ouverture au-delà des seules cultures juvéniles.
Sylvain AQUATIAS
Références bibliographiques
• AQUATIAS, S. (2010). Cultures juvéniles : diversité des références ou confor-
misme. Dans les actes en ligne du colloque international Enfance & Cultures :
regards des sciences humaines et sociales. Paris : ministère de la Culture et de la
Communication, Association internationale des sociologues de langue française,
Université Paris Descartes.
• AQUATIAS, S. (dir.) (2010). Les Cultures juvéniles : constances et transformations.
Rapport de recherche. Gresco, Université de Limoges.
• AQUATIAS, S. (2013). Se différencier ou se conformer : enjeux de la recherche
en sociologie sur les cultures juvéniles, enjeux des cultures juvéniles... Nouvelles
perspectives en sciences sociales, 8(1), 83-117.
• AQUATIAS, S. (2014). La lecture adolescente, une lecture tout support. La Revue
des livres pour enfants, 277, 147-151.
• AQUATIAS, S. (2019, à paraitre). Le gout musical des élèves : diversité des
influences, ségrégation et configurations relationnelles. Dans F. Marchand & C.
Ben Ayed (dir.), Regards croisés sur la socialisation. Limoges : Presses universitaires
de Limoges.
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• LAHIRE, B. (2004). La Culture des individus. Paris : La Découverte.
• LAHIRE, B. (2008). La Raison scolaire, écoles et pratiques d’écriture, entre savoir et
pouvoir. Rennes : Presses universitaires de Rennes.
• PASQUIER, P. (2005). Cultures lycéennes, la tyrannie de la majorité. Paris :
Autrement.
• VINCENT-GÉRARD, A. (2016). Les Jeunes et la lecture. IPSOS Connect &
Centre national du livre, <https://www.centrenationaldulivre.fr/fichier/p_ressource/
13788/ressource_fichier_fr_les.jeunes.et.la.lecture.etude.2016.06.27.ok.pdf>.
• VINCENT-GÉRARD, A. (2019). Les Français et la lecture. IPSOS Connect &
Centre national du livre, <https://www.centrenationaldulivre.fr/fichier/p_ressource/
17648/ressource_fichier_fr_les.frana.ais.et.la.lecture.2019.03.11.ok.pdf>.
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souvent, on définit donc la culture scolaire comme une culture de l’école
(ou dans l’école), qu’on oppose à une culture « hors école », qui serait le
propre d’une catégorie d’âge (la « culture juvénile ») ou d’une autre sphère
sociale (la famille), voire d’une classe sociale (le « peuple »). Ces oppositions
véhiculent par ailleurs des jugements axiologiques implicites : parler de
« culture extrascolaire » des élèves, ce peut être aussi opposer ce qui relèverait
de la « vraie vie » à ce qui relève de l’école ; parler de culture populaire, c’est
faire de la culture scolaire une culture « bourgeoise » ; quant à la culture
« juvénile », elle semble reléguer la culture scolaire du côté des vieilleries
et d’une « culture adulte » dont l’homogénéité est tout aussi discutable
que l’homogénéité d’une culture « jeune ». Dans tous les cas, la notion de
culture scolaire est porteuse de connotations plutôt négatives, qui font de
l’adjectif scolaire un adjectif qualificatif avec « une valeur évaluative proche
de “besogneux”, “appliqué”, “méthodique” » (Maingueneau 2016 : 8).
Je me propose donc, dans cet article, de revenir tout d’abord sur la
manière dont la notion de « culture scolaire » a été disqualifiée dans les
années 1970-1990, puis de montrer comment la volonté de réformer cette
culture littéraire scolaire a conduit à une ouverture vers les paralittératures.
Pour finir, je discuterai le postulat qui conduit à penser que l’introduc-
tion d’objets venus de la « culture juvénile » puisse suffire à transformer
l’enseignement de la littérature1 .
rticle on line
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
effet, comme le souligne A.-M. Chartier, les plus touchés par les prises de
conscience – autour de 1968 – des pièges de la démocratisation de l’école
sont les enseignants de lettres
qu’ils soient de droite ou de gauche, anticléricaux ou chrétiens, laïques ou
communistes. Comment continuer à enseigner la langue et la littérature,
source de leur formation humaniste, si cette source est empoisonnée ? Ce
qui a été le levier de leur émancipation se révèle creuser les inégalités qu’ils
voulaient abolir. (2003 : 201)
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en 1975 et 1976, imprimèrent leur marque sur les débats relatifs à
l’enseignement du français. En ce domaine, ce sont sans doute moins
les théories mêmes de ces auteurs que la doxa qu’elles inspirèrent, qu’il faut
prendre en considération. (Ibid. : 141)
Quant à la revue Pratiques, née en 1974, elle appelle, dès son premier
numéro, à rompre avec « l’idéologie » de la « classe dominante » : l’éditorial,
constatant que « l’enseignement de la littérature passe par la méconnaissance
de son objet et se réduit à être une transmission des valeurs morales
et esthétiques de la classe dominante », invite à une critique radicale de
l’idéologie dominante dans l’enseignement du français, et à reconstruire
scientifiquement cet enseignement. Dans cette perspective althussérienne,
où l’école est un « appareil idéologique d’état », la culture scolaire est
justement « un des lieux d’élection de l’idéologie dominante », et doit
donc être clairement combattue, dénoncée, remplacée par quelque chose
qui relève non plus de l’idéologie mais de la science. Cette volonté d’une
reconstruction scientifique de l’enseignement du français est partagée par
les collectifs qui animent l’Institut national de la recherche pédagogique
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(Baudelot et Establet 1971). Les critiques portées à la culture scolaire
dans les années 1970/1980 reposent encore sur cette assimilation de la
culture à une culture humaniste, vue dans une acception déjà datée, mais
qui a imprégné durablement les représentations de la culture. Des liens
particuliers ont en effet uni pendant plusieurs siècles culture scolaire et
humanités, puis culture scolaire et littérature, lorsque l’enseignement de
la littérature est venu se substituer au paradigme des humanités3 , et la
contestation des humanités s’est accompagnée depuis le XIXe siècle d’une
volonté permanente de les « refonder » en de nouvelles humanités (modernes,
scientifiques, numériques, etc.) (Denizot 2015). Cette idée d’humanités
scientifiques et techniques est une invention relativement moderne, qui
montre bien, par l’usage même de ce terme humanités, la volonté de légitimer
des domaines qui peuvent justement sembler en être éloignés : les humanités
scientifiques instaurent une nouvelle « conception du monde fondée sur la
connaissance des lois de la matière » (Chervel et Compère 1997 : 31) et, en
réalité, un nouveau rapport aux textes, à la langue, à la morale.
La critique sociologique a ainsi conforté l’idée qu’il fallait avant tout
réformer la culture scolaire : c’est à cette rénovation que s’attacheront
principalement, dans les années 1980-1990, les recherches didactiques dans
le champ de la didactique du français.
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la littérature de jeunesse et aux paralittératures. L’argument de la proximité
des « mauvais genres »6 avec l’univers de l’élève est souvent avancé, même si
certains en soulignent les limites, les élèves pouvant considérer comme inutile
l’étude d’un texte purement distrayant (Picquenot 1975). La conception qui
s’impose est celle que résume cette formule de M.-C. Vinson : « Les mauvais
genres [sont] un outil facilitateur dans l’apprentissage » (1987 : 64) : ils
permettent en effet d’initier les élèves à la connaissance du champ littéraire,
de développer les compétences de lecture et d’écriture en favorisant la lisibilité
et en servant de modèles moins angoissants pour produire et détourner
(Reuter 1986). Ce sont des médiateurs pour apprendre à lire la littérature,
comme le souligne par exemple B. Duhamel à propos de la science-fiction :
On peut faire le pari que la science-fiction est un terrain particulièrement
utile pour apprendre à lire la littérature : non qu’elle réponde forcément
aux préoccupations des élèves ou qu’elle soit particulièrement facile, on le
verra, mais dans la mesure où elle pose avec une force particulière, au départ
de la lecture, le problème de l’écart (et aussi des relations) entre monde
empirique, monde connu par l’élève-lecteur, et monde posé par le texte.
(Masseron, Duhamel, Garcia et Leclaire 1982 : 23)
4. Je choisis ce terme par défaut, et sans vouloir rouvrir un débat déjà ancien et qui a
suscité de nombreux travaux. Mais il est clair que les paralittératures constituent un champ
mouvant aux frontières poreuses, dont la liste des genres qui le constituent a varié selon
les époques et les configurations du champ littéraire : roman policier, polar, science-fiction,
fantastique, roman sentimental, roman pornographique, roman d’épouvante, d’espionnage,
western romanesque, etc. Cette hétérogénéité des appellations n’est d’ailleurs pas innocente,
comme le souligne M.-A. Paveau (2007), pour qui le dénominateur commun de ces genres
tient justement dans la nature non-discursive ou non textuelle de leurs appellations.
5. Double injonction en réalité, puisqu’il faut non seulement lire, mais aimer lire. Comme
le souligne N. Robine, on voit ainsi apparaitre « le discours vénéneux sur le plaisir de lire,
norme scolaire déguisée » (1996 : 41).
6. Pour reprendre le titre du numéro 54 de Pratiques, en 1987.
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scolaire a intégré ces dernières décennies des genres paralittéraires ; mais
cette légitimation s’est faite au risque d’une réduction du corpus des mauvais
genres à de « bons » mauvais genres, voire à une « classicisation » de ces
genres : depuis l’introduction des paralittératures dans les années 1970,
on voit se constituer dans les manuels un petit noyau de « classiques »
paralittéraires (Verne, Poe, Maupassant, Gautier pour le fantastique ;
Bradbury, Leblanc et Brown pour le policier et la science-fiction, par
exemple). Cette constitution de « classiques » paralittéraires participe de ce
fait à la littérarisation de la paralittérature, en inscrivant les textes dans la
tradition scolaire des « auteurs », voire des « grands auteurs ». Empruntant
à la critique cinématographique sa distinction entre « films d’auteur » et
« films de genre », M.-A. Paveau montre qu’elle fonctionne comme un
outil pour « trier » la littérature dans les suppléments littéraires des grands
quotidiens français, et que tel ouvrage y est perçu ou non comme « de
la littérature » « selon qu’il est associé à une typologie relevant du cinéma
d’auteur ou du cinéma de genre, commercial » (2007 : 33). Qu’il y ait dans les
manuels une sorte de « paralittérature d’auteurs » témoigne suffisamment du
fonctionnement de la scolarisation des textes. La scolarisation des mauvais
genres donne ainsi à voir la manière dont l’école essaie de résoudre les
tensions entre culture des élèves et culture scolaire, culture dominée et
culture dominante, etc. Mais, à l’heure des pratiques culturelles en évolution
et des « dissonances culturelles » (Donnat 2009 ; Lahire 2004), elle le fait
de manière très traditionnelle, par le biais d’une légitimation culturelle
qui semble conforter l’idée que l’introduction de la paralittérature dans
les programmes et les manuels a en réalité servi d’alibi pour masquer la
persistance du primat de la « vraie » littérature.
En effet, les « mauvais genres » présents dans les manuels ne sont guère
« mauvais » et l’école, pas plus aujourd’hui qu’hier, ne semble accorder de
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contemporaine, francophone, de jeunesse, etc.) est même si prégnante que
la culture littéraire scolaire semble sans cesse remise en question et être sans
cesse en expansion, au point que ce pourrait être l’une de ses caractéristiques
premières, que cette perpétuelle volonté d’« ouverture » à de nouveaux
corpus. D’autant qu’il ne faut pas minorer la volonté des enseignants
eux-mêmes – toujours partagés eux aussi entre volonté de transmettre une
culture commune (et donc des classiques, des œuvres « patrimoniales », etc.)
et désir de faire découvrir de nouveaux auteurs, de nouvelles œuvres, voire de
nouvelles littératures (paralittérature, littératures francophones, étrangères,
etc.) – de ne pas se cantonner aux œuvres et aux auteurs attendus.
Ouvrir et renouveler les corpus littéraires scolaires... Ces deux termes plutôt
valorisants semblent donc indiquer une voie à suivre. Mais ces connotations
sont trompeuses, et le renouvèlement n’est pas automatiquement synonyme
de mieux. Y. Reuter soulignait dès 1981 combien « changer les textes sans
changer les méthodes d’approche9 s’avère d’une efficacité très limitée » (ibid. :
9). Comme je le rappelais supra, l’analyse de la scolarisation des « mauvais
genres » entre les années 1970 et 2015 témoigne exemplairement de ces
ambigüités de l’école concernant le renouvèlement des corpus scolaires.
L’introduction de nouveaux textes peut être en réalité comme l’arbre qui
cache la forêt, et masquer non seulement la pérennité des pratiques mais
également la pérennité des représentations mêmes de la littérature.
Le renouvèlement des corpus sert deux objectifs qui témoignent des
tensions de l’enseignement de la littérature, notamment dans l’enseignement
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secondaire, à savoir ajuster les corpus à des finalités disciplinaires qui évoluent,
et cantonner le renouvèlement à cette question des corpus (Denizot 2014).
Autrement dit, les processus de renouvèlement peuvent être analysés à
la fois comme les indices des nécessaires ajustements des corpus à de
nouvelles finalités scolaires, mais aussi comme la condition même de la
pérennité de l’enseignement de la littérature : changer les corpus permet
aussi de ne pas renouveler – ou à la marge – les pratiques « littéraires » de
lecture qui, au moins au lycée, restent très contraintes par les exercices du
baccalauréat. L’ouverture des corpus peut ainsi être considérée comme l’une
des conditions mêmes de la pérennité de l’enseignement de la littérature,
sous une forme qui – en France et dans l’enseignement secondaire – reste
fondamentalement traditionnelle, non seulement en ce qui concerne le choix
des textes et des auteurs, mais aussi en ce qui concerne les modalités de travail
autour de la littérature : quelles que soient l’inventivité des enseignants et
leurs tentatives pour renouveler les approches des textes littéraires, c’est
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encore le commentaire, l’explication de texte10 et la dissertation qui valident
l’enseignement de la littérature au lycée.
En réalité, si l’on suit les historiens de l’éducation (notamment
Chervel 1998, 2005) et que l’on entend la « culture scolaire » non plus tant
comme la culture de l’école (au sens de la partie de la culture transmise et
acquise à l’école) mais comme la culture produite par l’école (au sens d’une
culture propre à l’école et originale), la culture scolaire ne relève pas tant de
l’avoir que du faire, pas tant donc des objets eux-mêmes que du rapport à
ces objets. Comme l’écrit A.-M. Chartier : « la culture n’est pas dans des
produits (les livres) mais dans des gestes et des actions (lire et parler de ses
lectures avec d’autres), [...] elle est un “faire” porteur de sens » (2003 : 210).
Les processus de scolarisation (re)transformant tous les objets de travail en
classe en objets de la « culture scolaire » (entendue ici comme l’ensemble
des contenus, des pratiques, des valeurs, des représentations, etc., ainsi que
du rapport construit par l’école et ses acteurs à cet ensemble (Denizot
2018)). La vraie question n’est donc pas tant celle de l’introduction dans les
classes d’une culture « extrascolaire » (qu’il s’agisse de « culture des élèves »,
de « culture juvénile », etc.), mais celle des modalités de travail autour de
ces objets disciplinaires.
Nathalie DENIZOT
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
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NOUVEAUX OBJETS,
NOUVELLES PRATIQUES
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Dominique BOMANS &
Anne-Marie DIONNE
Sonia CASTAGNET-CAIGNEC
Violeta MITROVIC
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Anne-Marie DIONNE
Université d’Ottawa
Ce dont il sera question ici, c’est de slam, mais déjà rien qu’en disant
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cela, nous savons que l’un des premiers éléments sur lequel il faudra nous
pencher, c’est de savoir ce qu’est le slam justement. Dans un premier temps
cependant, il est important d’en établir les liens avec la culture juvénile. Ces
derniers peuvent, de prime abord, sembler évidents lorsque l’on considère
le slam comme un mouvement culturel assimilé au rap, comme un genre
musical s’adressant tout particulièrement aux jeunes générations et faisant
donc partie inhérente de leur culture. Certaines recherches ont d’ailleurs
établi ces liens avant nous (Tyszler 2009 ; Boultif 2012). Pourtant, force
est de constater que ce ne sont pas là les relations suffisantes que nous
cherchons.
Si le rap et le slam ont permis à la langue française de connaitre un regain
de popularité auprès des jeunes, c’est peut-être en effet parce que ces deux
« genres » ont déjà acquis, en dehors de tout contexte scolaire, une certaine
renommée auprès de cette même population. Cela étant dit, si la question
de la popularité du rap n’est pas à remettre en cause – bien que les références
au monde du rap soient souvent anglophones – celle du slam nous semble
beaucoup plus incertaine. En effet, contextualisé au Québec ou de façon
plus générale au Canada, le slam n’a certainement pas connu le même
engouement auprès des jeunes Canadiens que le slam français auprès des
jeunes Français, porté par une célébrité française, Grand corps malade, et
largement médiatisé. Il n’est donc pas absolument certain que ce soit sur la
base de sa grande notoriété que le slam attire les jeunes.
Partant de ce postulat, si nous lions aujourd’hui le slam à la culture
juvénile, ce n’est pas en le regardant comme un facteur homogénéisant
capable de rassembler des foules hétérogènes de jeunes. Ce n’est pas non
plus comme l’élément d’une culture de masse, médiatisé auprès des jeunes
et par les jeunes, ne leur laissant alors que l’illusion d’un choix. Même si
ce l’était davantage, ce n’est finalement pas plus comme un phénomène de
contre-culture né d’une opposition avec la culture dominante et légitime.
rticle on line
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
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et les spectateurs, instantanéité et effet de surprise, effet cathartique aussi,
intentions éducatives sont autant d’éléments constitutifs du mouvement
slam, devenu aujourd’hui un phénomène d’ampleur internationale avec,
pour principe de base, un paradoxe bien établi : si tout le monde peut faire
du slam, peu de gens semblent savoir de quoi il s’agit.
Étymologiquement, si l’origine du vocable n’est pas nébuleuse, elle reste
pourtant incessamment discutée. Le mot slam désignerait en argot américain
(en slang) la « claque », faisant ici référence à l’effet causé par le « texte de
slam » qui émeut, ébranle, secoue ou choque, mais tente toujours de frapper
juste les auditeurs. Si cette explication est l’une des plus répandues, ce n’est
pourtant pas celle de l’initiateur de ce mouvement, M. Kelly Smith, qui
explique avoir choisi ce terme pour son sens sportif et ludique de schlem,
vocabulaire emprunté au bridge et au whist, et utilisé lorsqu’un camp
remporte toutes les levées.
D’autres explications sont parfois fournies, mais n’ont pas atteint le niveau
de notoriété de celles qui précèdent. Au basketball, par exemple, le slam
dunk est un smash spectaculaire ; au baseball, on fait un slam lorsqu’on
projette la balle hors des limites du terrain ; lors de certains concerts, faire un
slam consiste à monter sur la scène pour ensuite se jeter dans le public. Nous
aimons la proposition du Collectif 129H, un des tout premiers collectifs
de slam français, qui, partant de l’ensemble de ces définitions, nous offre
celle-ci : « monter sur scène pour projeter des mots qui claquent » (2013 :
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28) et qui, finalement, atterrissent dans les bras du public (nous ajoutons).
Au même titre que « each slam follows its own rules, rituals, and regulations »3
(Kelly Smith 2009 : 26), chaque personne, selon sa propre expérience du
slam, semble ainsi s’octroyer le droit de réinventer l’origine même de ce
mot.
De fait, le slam est avant tout un fait vécu. Pour le comprendre et pour
mieux le cerner, il faut d’abord le vivre, mais pas n’importe comment.
« Stumble into any bar or coffee shop during a slam, and you’ll witness poets
singing words Out Loud! to win the adulation of an animated audience and the
high scores randomly selected judges. You might think that’s all there is to it, but
if you stick around and listen long and hard you’ll discover that a poetry slam
isn’t just a high-energy one hundred-plus decibel reading or a heated head-on
competition »4 (Kelly Smith 2009 : 9). Ainsi, M. Kelly Smith nous exhorte à
aller plus loin ; il parsème ses propos de nombreux avertissements destinés
à celui qui croit avoir fait le tour du slam en une soirée et lui propose de
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s’incruster, de vivre l’expérience. C’est aussi le défi que nous nous sommes
donnés : rendre à l’expérience sa juste valeur qu’instinctivement nous lui
reconnaissons, respecter cette expérience et le savoir qui en découle, tout en
reconnaissant, à l’instar de Kelly Smith, le droit de chaque individu de la
vivre à sa façon.
Tout comme le Collectif 129H, nous avons fréquemment constaté la
difficulté à définir le slam, « un mot qui voyage dans les bouches, mais dont
les racines sont le plus souvent méconnues. L’engouement actuel brouille
parfois la compréhension de cette expression poétique, qui englobe autant
les fonctions d’un art à part entière que celles d’un outil pédagogique »
(Collectif 129H 2013 : 9). Art populaire, outil pédagogique, instrument
de création, genre littéraire ou paralittéraire, contexte de prise de parole,
outil de construction identitaire, instrument d’émancipation et de résistance,
tribune de libre expression, mouvement littéraire, politique, social, le slam
ne se laisse définitivement pas saisir comme une seule et même réalité.
« Art de la représentation qui exprime toute sa force dans l’instant de la
déclamation » (Collectif 129H 2013 : 20), nous postulons finalement que
le slam ne se découvre pour ce qu’il est qu’au seul et unique moment où
il se déclame. Répété mille fois, il pourrait bien changer radicalement de
vocation. En ce sens, le slam a tout d’un art de la scène, d’un « art vivant »5 .
3. [Notre traduction] « Chaque slam suit ses propres règles et rituels et établit ses propres
règlements ».
4. [Notre traduction] « Entrez par hasard dans n’importe quel bar ou café lors d’une soirée
slam et vous entendrez les poètes déclamer leurs mots pour gagner les faveurs d’un public
enthousiaste et les plus hauts scores des juges sélectionnés. Vous penserez peut-être qu’il n’y
a que cela, mais si vous décidez de rester et que vous écoutez longuement et attentivement,
vous découvrirez que la poésie slam n’est pas juste une lecture énergique et forte qui arrache
les oreilles ou une compétition enflammée ».
5. Expression communément utilisée pour faire référence aux arts de la scène.
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(plus élitiste aussi, selon M. Kelly Smith) ;
- Le slam, c’est compétitif. Mais la compétition n’est pas la finalité du slam.
C’en est un des ingrédients. Toutefois, ce n’est pas l’élite bien-pensante qui
tranchera, mais les spectateurs eux-mêmes, armés de leurs critères tout à fait
subjectifs ;
- Le slam, c’est interactif. Il suppose la participation d’un public actif
soumettant, instantanément, ses rétroactions, réactions et émotions, au
slameur ;
- Le slam, c’est une communauté, une famille (même si elle est parfois
dysfonctionnelle) : « an international family of people who love to participate
in and celebrate both poetry and the performance of it »6 (2009 : 6) ;
- Le slam, ce n’est pas seulement un texte sur une page ;
- Le slam, ce n’est pas une séance formelle de lectures de poèmes au terme
de chacune desquelles un public passif applaudit à tous coups, sans égard
pour ce qu’il pense ou ressent vraiment ;
- Le slam, ce n’est pas une forme artistique pour laquelle seul un petit
nombre d’initiés pourrait juger de ce qui a de la valeur ou non ;
- Le slam, ce n’est pas un spectacle de variétés ;
- Le slam ne détermine pas avec sérieux qui est le plus grand des poètes. Une
compétition de slam n’est qu’un dispositif théâtral dont le but est d’attirer
l’attention d’un auditoire sur une forme d’art : la « poésie performée ».
Bref, pour M. Kelly Smith, « slam is an experience that’s artistic, enter-
taining, educational, spiritual, reflective, and above all life-changing »7
(nous soulignons) (2009 : 6). En effet, c’est parce qu’il s’agit d’abord et
avant tout d’une expérience, bouleversante qui plus est, que nous croyons
6. [Notre traduction] « une famille internationale de gens qui aiment participer et célébrer
à la fois la poésie et sa prestation ».
7. [Notre traduction] « Le slam est une expérience artistique, divertissante, éducative,
spirituelle, réflexive et, par-dessus tout, profondément bouleversante ».
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Même si c’est de l’expérience qu’est né notre désir d’entamer un projet
de recherche sur le slam, ce n’est pas en tant que chercheuse que nous la
racontons, mais bien en tant que praticienne et partie prenante, l’expérience
ayant précédé notre réflexion et la guidant encore aujourd’hui.
C’est quasiment instinctivement, nous fiant davantage à notre connais-
sance du slam hors des murs de l’école, que nous avons élaboré une séquence
didactique s’étalant sur plusieurs mois et culminant, au mois de mars, par
un évènement célébrant la journée de la francophonie. Par ce projet qui,
modestement, a pris place dans deux classes de quatrième et une classe de
cinquième années du secondaire9 , dans une école située dans la région du
Pontiac au Québec, nous comptions rejoindre l’un des objectifs de notre
établissement, à savoir revitaliser la langue française à travers la culture
francophone et, ainsi, favoriser la construction identitaire francophone de
nos élèves, au sein de l’école et en dehors, en vue notamment d’augmenter
leurs taux de réussite en français. Il était important, dans le cadre de ce
projet scolaire, de saisir toute la portée du contexte « pontissois » dans lequel
celui-ci avait lieu. Le Pontiac était finalement le premier milieu francophone
au Québec où nous enseignions et nous nous attendions, après avoir exercé
dans des milieux d’immersion française en Ontario, à renouer avec le français
langue maternelle.
Toutefois, située dans un milieu particulièrement anglicisé, l’école où
nous œuvrons est la seule école secondaire francophone d’une région très
vaste où cohabitent, tant bien que mal, anglophones et francophones.
Dans le Pontiac, l’anglais n’est pas une langue seconde au même titre que
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
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représente trop souvent, pour eux, l’objectif inatteignable auquel il leur est
difficile d’accéder.
En matière de langue donc, les blocages psychologiques sévissent au fur et
à mesure que l’insécurité linguistique s’installe et les défis sont grands. Sans
chercher à dénigrer l’anglais ni à renier l’identité « pontissoise », le français
pourrait s’avérer porteur d’un langage plus universel pour ces élèves qui,
s’ils parvenaient à le valoriser et à le maitriser, leur ouvrirait les portes d’un
parcours plus équitable. Dans un tel contexte, le projet slam devenait la
réponse, une réponse originale et créative, à un besoin fondamental.
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d’envoi d’une activité qui devait s’étaler sur plusieurs mois et prendre ainsi
une ampleur que nous n’avions certes pas imaginée.
Nous pensions que la liberté d’un dispositif didactique, tel que l’atelier
d’écriture, nous permettrait d’aborder le slam. Toutefois, nous avons très vite
constaté que l’atelier d’écriture slam était davantage un atelier d’expression,
sa finalité étant la performance orale de textes écrits. Nous avons, dès lors,
beaucoup mieux compris la fonction poétique et performative du slam qui
permettait ainsi de donner vie au texte. Nous comprendrions, plus tard, à
quel point cet élément est également crucial pour donner un sens au texte
de chaque élève.
Concrètement, nous avions parlé avec les élèves des ateliers d’expression
slam, depuis quelques mois déjà, leur demandant d’être particulièrement
sensibles, et à l’écoute de ce qui se passait autour d’eux afin qu’ils puissent
choisir un sujet pour leurs futurs textes de slam et qu’ils arrivent, au moment
du passage à l’écriture, avec des idées à exploiter plus précisément. Il nous
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semblait ainsi amorcer chez eux l’envie d’écrire.
Poursuivant sur cette lancée, nous avons offert aux élèves d’écouter de
nombreux textes de slam d’auteurs divers : Grand corps malade, Ivy, Queen
K, Marjolaine Beauchamp, etc. Visant une finalité essentiellement orale, il
nous semblait qu’écouter les textes prenait davantage de sens que de les lire.
Les élèves pouvaient ainsi mieux appréhender, par les exemples, ce qu’était
le slam et commencer à se faire une idée plus précise de ce qui était attendu
d’eux.
Finalement, à travers le visionnement du concours de slam « Brave New
Voices » aux États-Unis et le reportage « Le bruit des mots » diffusé sur
Radio Canada, ce furent les textes de slam d’autres jeunes qui ont davantage
provoqué l’inspiration et déclenché la mise en écriture de nos élèves,
essentiellement stimulée par le fait et le droit de se dire. Alors que nous
prévoyions de susciter l’écriture par le recours à une image, ce stratagème
n’aura été nécessaire pour aucun des adolescents qui se trouvaient en face
de nous, tous ayant d’ores et déjà épousé la volonté de se révéler à travers le
sujet qu’ils avaient choisi.
Les deux extraits suivants tirés du corpus de nos élèves illustrent parfai-
tement cette conscience qu’ils avaient, dès le début, du public auquel il
devrait faire face11 . Partagés entre le fait de vouloir se livrer et le fait de le
pouvoir, les deux élèves ont choisi de raconter leur histoire, malgré la colère
de la première, le désarroi du second et les hésitations des deux12 .
11. Pourtant, dès le début, également, nous avions veillé à ce que chacun d’eux sache
qu’il n’y avait aucune obligation de présenter leurs textes au public. C’est à croire que cette
condition même qui les gênait est aussi celle qui les stimulait.
12. La première ira, de son plein gré et sans aucune condition, le présenter en « spectacle »
devant la communauté à qui elle avait de toute évidence un message à faire passer ; le second,
par peur de trop se révéler, choisira de ne présenter son texte qu’à nous, mais son besoin de
s’exprimer, même s’il n’avait pas été rendu public, avait été entendu.
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
(1er extrait) Assise au bureau, mine au papier, prête à écrire, rien ne sort /
Pourquoi ? Pourquoi voudrais-je écrire ce que je ressens sur un morceau
de papier ? Quand cela ne me donne... rien / [...] / Pourquoi voudrais-
je m’exposer au public quand cela me rend... vulnérable ? / Pourquoi
voudrais-je m’ouvrir au public quand je ne peux pas m’ouvrir à moi-même ?
(2ème extrait) Je suis là perdu comme un con / J’ai une idée mais je ne veux
pas en parler / Je suis gêné d’étaler devant la communauté / tout ce qui fait
ma vie privée.
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expérience de la réalité, sa compréhension des évènements, sa relation à
l’univers » (2004 : 239).
À partir de l’instant où l’écriture semblait satisfaire ce besoin viscéral que
les élèves ressentaient de se dire, les choses se sont mises en place d’elles-
mêmes ; il a seulement fallu organiser leur aménagement. Il s’agissait donc,
essentiellement, pour nous, d’accompagner l’écriture de nos élèves, chacun à
leur rythme. Il nous a fallu gérer plusieurs modes de travail différents, certains
plongeant dans l’écriture à un rythme effréné, d’autres attendant encore
l’inspiration, avec, en plus, de nombreux allers-retours entre les périodes
d’écriture productive et les périodes de blocage ou périodes d’incubation,
– car, selon nous, le blocage fait partie inhérente de l’acte d’écrire ou de se
dire –, tout cela constituant une phase instable de « gestation créatrice » au
cours de laquelle certains élèves pouvaient ressentir un malaise qu’il était
alors important de reconnaitre et d’aider à surmonter.
C’est bien sûr durant cette phase qu’a eu lieu l’écriture de leurs textes. C’est
aussi, durant cette phase, que le partage s’est organisé de façon informelle,
les élèves échangeant spontanément entre eux autour de l’écriture de leur
texte, cherchant les idées qui permettraient de le continuer ou les moyens
stylistiques qui pourraient l’améliorer et, de façon plus formelle également,
ces derniers recherchant auprès de nous, en tant qu’enseignante, la validation
nécessaire pour poursuivre leur travail. Se posant comme « experts » au même
titre que nous-mêmes qui n’étions plus, dès lors, la seule connaisseuse en la
matière, les jeunes développaient ainsi leurs propres compétences scripturales
et créatives et affinaient leur assurance en même temps que leur jugement.
Grosse vache / Tu passes ton temps à ruminer / Pas étonnant que tu ne
fasses qu’engraisser
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que cet élève avait entendues, plus subtiles mais tout aussi blessantes, qu’elle
annoncerait par la suite.
Si je disais ça / Tout l’monde me dirait d’arrêter là / Et c’est vrai que
personne ne devrait accepter ça.
Cette idée de présenter quelque chose qui choque dès le début du texte
n’est pas venue de nous, mais d’une autre élève présente lors de l’échange ;
cette dernière aura donc persuadé sa camarade du bien-fondé de ce procédé,
alors que nous n’avons eu qu’à confirmer la possibilité de l’utiliser.
Au cœur de l’atelier d’expression slam, l’enseignant est appelé à redéfinir
son rôle. Il ne s’agit pas, pour lui, de transmettre de façon magistrale un
savoir lié à l’écriture, mais de devenir un animateur d’atelier, à la fois
facilitateur et modèle, régulateur des relations afin de créer un climat
propice à l’apprentissage, à l’écriture et aux échanges. « Il lui reviendra de
maximiser les liens que l’élève peut faire avec ses connaissances sur le monde
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et ses stratégies d’écriture dans un contexte de coopération » (Vanasse et
Gaudreault 2004 : 246).
En classe de français, peu d’occasions permettent à l’enseignant de servir
de modèle d’écriture créative pour l’élève. Il s’agit alors de trouver le bon
dosage entre l’enseignant qui écrit et l’enseignant qui guide l’écriture des
autres. On pourrait sans doute penser que ce second rôle obligerait le premier
à s’abstenir, mais l’enseignant qui écrit prend un risque et, ce faisant, non
seulement il rassure l’élève sur ses propres capacités de scripteur, mais il
acquiert une certaine crédibilité pour tous les autres rôles que lui confère
automatiquement la mise en place d’un atelier d’expression slam. Tout est
donc une question d’équilibre ; il faut que l’enseignant soit capable de faire
émerger les capacités de ses élèves, sans pour autant substituer ses mots, ses
idées aux leurs.
Nous rejoignions ainsi les objectifs formulés par A. Boultif (2012 : 160)
lors de la mise en place de ses propres ateliers d’écriture slam : permettant
aux élèves de se libérer des contraintes de la langue, nous leur permettions
également de se désinhiber, de prendre confiance en leurs capacités en tant
que scripteurs-orateurs, en plus de former leur capacité de se démarquer
d’un modèle donné et de produire un texte original et nouveau. Ainsi qu’en
témoigne l’extrait suivant, nous avons dû accepter de nous effacer pour
laisser à notre élève la liberté de prendre la parole, même si celle-ci, tant
du point de vue des mots que du sujet, pouvait nous paraitre hors-normes
(scolaires).
Tu m’as dit : « M’en vas à Ottawa » / BULLSHIT ! J’t’ai vu sur l’coin de la
rue / Tu te roulais un joint / Toi pis tes chums avant qu’tu partes au loin //
Gros blunt à yeule / ça c’est pas un turn on / Pendant que moe chu t’seule /
Wha man ! Faut qu’je move on
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
Travaillant ainsi leurs textes, les élèves ont pris conscience des différences
entre les codes de la langue orale et de la langue écrite13 . Ils ont pu
s’exprimer, comme l’exemple l’illustre, dans un style oralisé dépassant l’acte
involontaire et construit spécifiquement pour les besoins de l’expression14 .
D’autres étaient davantage portés à corriger leurs textes, comme si le
statut de « créations littéraires » à présenter dans un contexte authentique
leur conférait une importance plus grande que les productions écrites,
plus traditionnelles de la classe de français. Au cours de cette expérience
d’enseignement du slam, si l’accent n’était pas directement mis sur la
maitrise de l’orthographe et de la grammaire, les élèves semblaient toutefois
leur accorder une valeur importante, au même titre que d’autres éléments
d’écriture, pouvant améliorer globalement la qualité de leurs textes.
Finalement, la diffusion du texte de slam est, selon nous, ce qui constitue
la phase la plus significative d’un atelier d’expression slam et probable-
ment ce qui le différencie d’activités d’écriture créative du même genre.
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Concrètement, dans le cadre de notre propre expérience, cette phase a
commencé par une étape de préparation à la diffusion. Aussi importante que
le travail enclenché menant à l’écriture du texte, cette étape devait mener à
l’oralisation du texte ; et, à travers cette oralisation, à la mise en valeur de
son message. C’est d’ailleurs souvent par appréhension de cette phase que
les enseignants hésitent à enseigner le slam, ne se sentant pas suffisamment
outillés pour aborder un texte dans son oralité, ne sachant pas comment
préparer leurs élèves à livrer leur message, se demandant encore comment
évaluer cette prestation orale, ils se cantonnent souvent à en évaluer les
traces écrites.
Dans notre cas, cette étape a eu lieu à l’auditorium de notre école, une
salle de spectacle récemment réaménagée avec une scène, des coulisses, un
système d’éclairage et de sons intéressant et des fauteuils rabattables, – rien
de tel que pour se mettre dans l’ambiance de la performance slam –, et a
permis aux élèves de s’entrainer à dire leurs textes dans le même contexte que
celui d’une représentation, soit sur une scène, avec un micro, un support
pour le micro, un lutrin pour poser leur texte et un jeu de lumières et de
sons reproduisant les conditions mêmes de la performance.
À chaque lecture ou récitation de texte, les autres élèves pouvaient partager
leurs commentaires concernant la prestation, commentaires que nous nous
efforcions alors de compléter de la même façon que nous le faisions lors de
la « lecture des écrits », se concentrant cependant sur d’autres points : le ton
utilisé, les pauses dramatiques, le volume de la voix, le débit de la parole,
la posture, etc., autant d’éléments prosodiques qui s’ajoutaient au texte
13. Si tant est que l’on puisse aussi clairement les différencier.
14. « Le style oralisé se définit par un double écart, écart par rapport à la langue écrite et
écart par rapport à la langue parlée. Il s’agit donc d’une fiction de langue. Tous les écrivains
qui ont pratiqué cette forme d’écriture ont souligné à quel point le style oralisé n’est pas un
produit naturel mais le résultat d’un travail » (Durrer 2019 : 65).
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écrit pour lui donner un sens nouveau. Il s’agissait en fait pour les élèves
d’apprivoiser, par la parole, l’émotion contenue dans les mots, de mieux la
contrôler afin de la mettre en valeur dans une restitution/résurrection orale
de leur texte.
Si toutes les phases sont d’égale importance au cœur d’un atelier d’expres-
sion slam, chacune d’elle étant essentielle à l’autre, c’est tout de même durant
la phase de diffusion (et de préparation à la diffusion) que s’est ressenti l’effet
le plus fort de la catharsis, autant parmi les « spectateurs » qui offraient une
qualité d’écoute aux textes supérieure à la qualité d’écoute habituelle, que
par le locuteur qui semblait soudainement prendre conscience du contenu
émotionnel de son texte, les deux vibrant, en communion, au diapason
d’une même émotion.
Ces moments d’authenticité étant extrêmement rares au sein d’une classe
de français, nous postulons que c’est au cours de ces derniers que le scripteur
prend physiquement conscience des effets de son texte et de la portée du
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message, non seulement sur et à travers lui-même, mais également sur et à
travers les autres. À partir de cette expression orale et de l’émotion qu’elle
suscite, autant chez le spectateur que chez le locuteur, et dans ce moment
de communion qui la caractérise, le texte revêt sa signification originelle,
de même que les multiples autres significations qu’il peut revêtir au gré des
multiples réceptions et interprétations qu’il provoque. À l’instant même de
sa déclamation, le texte qui prend alors vie(s) aux yeux de tous devient un
acte de création individuel et collectif à la fois.
« Dans la plupart des cas, enseigner la langue, c’est apprendre à manier
un outil pour être capable ensuite de l’utiliser efficacement dans diverses
situations de communication. » Or, « ce qui doit être au centre de l’ensei-
gnement du français et de la littérature, c’est le langage. Mais le langage
vivant, non le langage figé ou mort comme cela se passe généralement. Le
langage figé est déconnecté de l’existence de chacun. Il n’est pas un lieu
qu’on habite, mais un outil dont on se sert » (J.-N. Pontbriand, cité dans
Tran 2000 : 41). Les ateliers d’expression slam sont, pour nous, l’espace
même d’un langage qui prend vie.
L’expérience pédagogique et didactique a dépassé de loin nos attentes. Du
cadre limité de la classe, elle est devenue un spectacle auquel la communauté
« pontissoise » a été conviée. Elle nous a même permis de remporter le
Prix Robert Bourassa qui récompense des projets originaux, novateurs et
rassembleurs qui font rayonner la langue française, délivré conjointement
par le ministère de la Culture et des Communications et le ministère de
l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec. Mais surtout, elle
nous a permis de poursuivre notre enseignement du slam, encore plus
convaincue du fait que le slam est bien plus qu’un simple objet à enseigner.
Au-delà d’une culture juvénile exclusivement réservée à l’usage des jeunes –
les marginalisant parfois davantage qu’elle ne les prend en compte –, le slam
révèle la parole des jeunes et leur accorde ainsi un nouveau statut. Ils ne sont
plus les consommateurs passifs d’une culture monolithique récupérée pour
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individuel et collectif, un changement sociétal dont les jeunes pourraient
bien devenir les instigateurs.
Références bibliographiques
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en sociologie sur les cultures juvéniles, enjeux des cultures juvéniles... Nouvelles
perspectives en sciences sociales, 8(1), 83-117.
• BOULTIF, A. (2012). L’intégration de littératies populaires de type slam et rap
dans un cours de français : apports et perspectives. Dans M. Lebrun, N. Lacelle &
J.-F. Boutin (dir.), La Littératie multimodale : de nouvelles approches en lecture-écriture
à l’école et hors de l’école (pp. 157-168). Québec : Presses de l’université du Québec.
• COLLECTIF 129H (2013). Petit guide méthodologique pour l’animation d’ateliers
slam.
• DUBET, F. (2014). Cultures juvéniles et régulation sociale. L’Information
psychiatrique, 90, 21-27.
• DURRER, S. (2019). Style oralisé et fuite du sens. Réflexions autour de La grande
peur dans la montagne de Ramuz. Versants - Revue suisse des littératures romanes, 30,
63-82.
• MAIGRET, É. (2009). « Médiacultures » et coming out des cultural studies en
France. Cahiers de recherche sociologique, 47, 11-21.
• SMITH, M.K. & KRAYNAK, J. (2009). Take the Mic : The Art of Performance
Poetry, Slam, and the Spoken Word. Naperville : Sourcebooks Mediafusion.
• TRAN, É. (2000). Dans la lumière du langage : entrevue avec Jean-Noël
Pontbriand. Québec français, 117, 40-42.
• VANASSE, G.-G. & GAUDREAULT, M.-N. (2004). Écriture créative et plaisir
d’apprendre. Didactica, Lengua y Literatura, 16, 235-250.
• VORGER, C. (2011). Poétique du Slam : de la scène à l’école. Néologie, néostyles
et créativité lexicale. Thèse de doctorat, Université Stendhal, Grenoble, France,
<https://archivesic.ccsd.cnrs.fr/LIDILEM/tel-00746972v1>.
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Pour la définir très rapidement, il s’agit de l’adaptation livresque d’un
discours audiovisuel (film, série, jeu vidéo). En ce sens, la novélisation
est déclassée en tant que produit dérivé d’une œuvre qui serait première
– et par là supérieure : le film. En outre, la novélisation est aujourd’hui
grandement liée à des supports audiovisuels qui rompent avec les canons
de la culture classique, patrimoniale ou scolaire. Les séries télévisées, les
dessins animés, les films grand public et les blockbusters sont les sources
privilégiées des novélisations à destination de la jeunesse, notamment dans les
collections « Bibliothèque Rose » et « Verte » chez Hachette. Ces supports
n’ont évidemment pas la légitimité culturelle que l’institution scolaire
accorde au cinéma d’auteur ou aux films du patrimoine, préconisés dans
des listes de titres telles qu’École et cinéma, Collège ou Lycée et apprentis au
cinéma.
Travailler la novélisation avec les élèves a forcément conduit à inscrire au
cœur des séquences d’enseignement-apprentissage des objets de la culture
juvénile qui jouent de la polyexploitation médiatique d’univers fictionnels.
Ce processus contemporain d’« intermédialité » (Müller 2006), c’est-à-dire
la coprésence d’œuvres sur des supports différents, est un phénomène qui
appartient autant à la culture juvénile qu’à la « pop culture ». Les objets qui
s’y rapportent (livre novélisé en série, dessin animé et film mais aussi BD
et albums) sont des symboles des fictions transfuges (Saint-Gelais 2011)
qu’affectionnent les jeunes. Ces objets sont principalement des produits
1. À la suite des travaux désormais menés depuis des décennies, nous entendons par mauvais
genre, tout objet de la paralittérature qui n’a pas encore acquis sa légitimité institutionnelle.
Ce fut le cas du polar, du roman sentimental et de la science-fiction, traités dès 1987 dans
un numéro de Pratiques, justement intitulé « Les mauvais genres ». La question des mauvais
genres à l’école et de leur utilité dans la classe a été soulevée à plusieurs reprises, notamment
par L. Rosier et M.-C. Pollet (dir., 2007). Certains mauvais genres sont désormais bien
établis dans les classes et leur vertu démontrée, ce qui n’est pas le cas des objets (para)culturels
dont il va être question ici.
rticle on line
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Nous analyserons ainsi comment l’introduction d’une diversité culturelle
quasi transgressive peut faciliter l’entrée des élèves dans des apprentissages
exigeants : le développement des capacités d’analyse et d’interprétation et la
progression des habiletés en l’écriture.
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Dans les travaux réalisés, nous avons sélectionné uniquement les sup-
ports appartenant proprement à la culture juvénile. Ils sont principalement
constitués de deux fictions ayant subi des opérations multiples de transmé-
diatisation : le film familial La Nouvelle guerre des boutons (Barratier 2011),
remake du film d’Yves Robert de 1961, et l’épisode 1 de la série animée
Le Ranch, tous deux accompagnés de leur adaptation écrite2 . La tâche a
consisté à rédiger le récit écrit des extraits filmiques visionnés, à la manière
d’un écrivain. Plusieurs essais ont émaillé les séquences d’apprentissage, la
progression visée s’appuyant sur l’accumulation de ces essais mais également
sur une analyse de plus en plus approfondie des supports filmiques et sur la
confrontation aux extraits novélisés experts.
Le choix des deux supports filmiques, piliers des séquences didactiques,
a d’abord été ordonné par la disponibilité de leur novélisation et leur
accessibilité pour de jeunes élèves. En effet, sur le niveau scolaire ciblé, des
novélisations moins commerciales que celles sélectionnées chez Hachette
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– dont le cahier des charges est strict – ne peuvent donner lieu à une
exploitation du récit écrit en regard du film. En effet, la complexité soit
du film soit de la novélisation, ou des deux, ne peut servir d’ancrage à
un dispositif didactique de fin d’élémentaire3 . Il en est autrement sur des
niveaux d’enseignement supérieurs. Aussi, le renouveau du genre novélisation
dans l’édition jeunesse de grande consommation offre l’opportunité d’une
confrontation fructueuse entre le film et le livre issu du film, afin de travailler
avec les élèves sur l’intermédialité et les processus de transsémiotisation,
c’est-à-dire le passage d’un système sémiotique à un autre, ici de l’écran à
l’écrit, à condition évidemment d’accepter de partir d’ouvrages ou de films
sans renommée particulière et même frappés du sceau de l’indignité, tout
au moins scolaire et institutionnelle.
Un premier constat s’impose : celui de l’implication et du gout que les
élèves ont démontrés pour ce type d’écriture qui correspond à des pratiques
de lectures personnelles. Il n’a jamais été compliqué d’exiger d’eux le passage
au récit écrit bien que la première classe soit peu entrainée et habituée à
l’écriture : le cahier-journal de la classe fait état de quelques « rédactions »
réalisées en séances autonomes sur le cahier du jour mais nulle trace de
projet d’écriture sur l’année. En ce qui concerne la classe de 2016, les
deux productions supplémentaires émanent de la demande des élèves de
renouveler l’expérience, et ce, à postériori soit deux mois après la séquence.
Par ailleurs, un décompte du volume d’écriture entre les premières
tentatives en début de séquence et le dernier écrit témoigne d’une évolution
2. Nicolas Jaillet, La Nouvelle guerre des boutons : un film de Christophe Barratier, Paris,
Hachette, 2011, 174 p. ; Le Ranch, l’étalon sauvage, La Bibliothèque rose, Paris, Hachette,
2012, 96 p. (Novélisation : Cristelle Chatel, est-il précisé en fin de page intérieure).
3. Lors de la séquence, le film Les Vacances de Monsieur Hulot de Jacques Tati a ainsi été
proposé mais sa novélisation de 1958 par Jean-Claude Carrière et Pierre Étaix ne convenait
pas à un travail de lecture et de compréhension avec les élèves d’élémentaire, bien que
l’ouvrage fût réédité en édition jeunesse en 1985, à l’École des loisirs.
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
Importer dans la classe les lectures privées : abolir les frontières entre
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pratiques culturelles extrascolaires et culture scolaire
Par ailleurs, dans la classe de 2016, en parallèle de la séquence
d’enseignement-apprentissage, les élèves se sont échangés des titres per-
sonnels d’ouvrages novélisés pour la jeunesse de séries ou de films : d’autres
tomes de la série Le Ranch, Scooby-Doo, Star Wars Rebels, Belle et Sébastien,
Violetta ont circulé et ont été lus indépendamment des séances en classe.
Ainsi, la lecture personnelle hors du cadre scolaire sert ici les enjeux du
projet d’écriture puisque les élèves ont pris connaissance de textes experts
non prévus initialement dans la séquence. De leur propre initiative, les élèves
ont donc multiplié les rencontres avec le genre de discours correspondant à
la séquence d’enseignement-apprentissage et ont ainsi augmenté le vivier de
ressources à leur disposition. Le dispositif didactique quelque peu modifié
et amendé par rapport à 2015 explique en partie l’entrain des élèves de
la classe. Pour autant, on assiste là à une mise en œuvre naturelle du lien
lecture-écriture qui part réellement de la motivation des élèves à lire et qui
n’est pas seulement mis en scène ou construit par l’ingénierie didactique,
notamment via des banques de textes minutieusement réfléchies en amont
des projets d’écriture. Grâce à l’usage d’ouvrages issus de la culture des
enfants et relevant de leur pratique privée de lecture, ce sont les élèves
eux-mêmes qui alimentent les références pour enrichir le projet d’écriture.
Cette posture qui permet à l’élève d’être force de proposition déconstruit
l’idée d’une culture savante descendante du maitre. La représentation d’une
école qui bannirait des lectures « faciles » est également ébranlée : l’enfant se
trouve réhabilité dans son statut de lecteur, il peut revendiquer sa pratique
de lecture extrascolaire comme une pratique à part entière, non plus une
pratique au rabais, dévalorisée par rapport aux lectures scolaires. Ainsi, les
élèves de la classe de 2016 ont-ils fait part de leur surprise – et plaisir – à
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que l’enseignement ne peut ignorer.
4. Pour ne donner qu’un exemple, la maison d’édition Fleuve Noir a distribué 5 320 000
exemplaires de livres issus de la série Buffy contre les vampires (source : Hélène Marzolf, Séries :
pourquoi en faire un roman ? publié le 01/11/2015, mis à jour le 01/02/2018, disponible
à l’adresse suivante <http://www.telerama.fr/series-tv/series-pourquoi-en-faire-un-roman,
133303.php>).
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d’analyse filmique pour comprendre et interpréter l’extrait afin de mieux le
traduire et le fixer dans leur récit écrit, enjeu et objectif du projet de séquence.
96 grilles ont été récupérées qui constituent des traces de l’observation des
paramètres filmiques par les élèves et la manière dont l’intrication de
ces paramètres construit le discours filmique pour susciter une émotion
particulière chez le spectateur. Ce travail d’analyse sert évidemment leur
interprétation du film mais aussi leur projet d’écriture afin de dépasser le
stade de la description d’images.
Ainsi Adèle (CM2, cinquième primaire, 2016) se montre attentive aux
variations musicales qui accompagnent la scène 3 et qui traduisent plusieurs
positionnements face au combat et à son issue :
Quand il sont en pleinne bagarre c’est une musique de combat entrenentes.
Lebrac a peur de perdre. La bande de Lebrac crie tous le temps « aller Lebrac
aller aller Lebrac ... » La bande de l’Aztec crie « aller l’Aztec aller l’Aztec ».
[...] Quand l’Aztec et par terre il n’y a plus de bruits c’est le silences même
le groupes de Lebrac a peur qu’il fassent une choses effrayantes [...] A la fin
la musique est plutôt moyen car il so ont gagner. Mais que l’A le groupe de
l’Aztec a perdu.
Les notes d’Adèle sont explicitées en séance plénière. Les élèves élucident
l’ardeur au combat en début d’affrontement que la musique entrenentes
accompagne. Le silences soudain de la bande-son souligne et intensifie la choses
effrayantes à laquelle Lebrac renonce finalement (blesser à mort son ennemi) :
la rupture dans la bande-son est un élément facilement remarquable pour
les élèves mais il est surtout intéressant pour ce qu’il signifie. L’attention
d’Adèle à la bande-son est ici attirée pour mieux interpréter les intentions
implicites du personnage. Quant à la musique plutôt moyen, Adèle signifie
avec l’opposition en mais, que s’il y a bien un vainqueur, la défaite de l’autre
camp n’est pas forcément une réjouissance car la guerre reste un contexte
effroyable (doublé par le conflit de la seconde guerre mondiale en toile de
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fond du film mais qui n’a pas été expressément abordé dans la séquence, car
cette dimension est quasiment absente des extraits choisis).
Au cours des différents visionnages de l’extrait 2, Anaïs (CM2, cinquième
primaire, 2015) inscrit dans sa grille de lecture-analyse du film :
Les velrans arrachent les boutons de Grand et Petit Gibus
Drapeaux blanc (non guerre)
LEBRAC sotte sur les velrans pour délivrer petit et Grand Gibus
Lebrac se laisse faire
[...]
LEBRAC triste pour les Gibus
Gibus tromatiser (quand il se fait prendre)
Les Gibus tristent pour LEBRAC
Lebrac à la haine et il reste fort. Il contient sa colère
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de l’image (mention du drapeau blanc) à l’analyse psychologique des
personnages. Cette dernière progresse aussi : Anaïs évoque d’abord la tristesse,
vocable général qu’elle convoque deux fois pour recouvrir une variété de
sentiments, puis elle conclut plus précisément sur l’humiliation de Lebrac,
en détaillant davantage ce qu’elle interprète de ses pensées intérieures. Pour
le même passage et au même stade de visionnage, Carla (CM2, cinquième
primaire, 2015) transcrit que Lebrac pense à quelque chose dans sa tête, elle se
contente alors de transposer les images sans développer autant sa posture de
« spectature » qui introspecte les personnages.
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comme la figure du héros fier, digne et courageux sans que les extraits
n’aient encore pleinement campé le personnage. Les élèves se sont aidés
des caractéristiques stéréotypiques de fictions similaires qu’ils côtoient au
quotidien et les ont appliquées et transférées à bon escient au support étudié.
Ainsi, dans une production collective (Angèle, Léandre, Manon, Jade,
CM1-CM2, quatrième-cinquième primaire, 2015), on trouve :
Le garçon court vers la forêt pour sauver les Gibus. [...] Soudain, Lebrac
interrompt le massacre en sautant d’un talu, héroïque. Il pousse un cri
énorme et libère ses amis, qui s’enfuient. Lebrac se fait à son tour attacher et
enlever les boutons. L’Aztec proffite de ce moment pour lui caresser la jou
avec un couteau ; l’atmosphère est dur. Le chef des Velrans Longevernes
regarde le ciel, implorant.
Par contre, le dernier plan de l’extrait sur Lebrac, le regard dans le vide,
levant les yeux au ciel est interprété diversement. Là où le groupe y voit
une imprécation silencieuse, la plupart des autres élèves ont retenu une
colère intérieure. La dernière image de l’extrait, en caméra subjective, est
une prise de vue du ciel en contreplongée dont Grégoire a seulement suivi
le mouvement. Cet élément est progressivement mieux investi et analysé
lors du travail en groupe ou dans le protocole de 2016 :
- LeBrac leuva les yeux au ciel d’un air plein de rage ! (Camille, Noah, Léa,
CM2, 2015)
- Et il lui coupe les bouton. Lebrac est enèrvé. (Hugo, Ylana, Lucas, CM1-
CM2, 2015)
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- Les Gibus sont triste pour Lebrac. Lebrac à la haine contre les Velrans.
L’aztec le chef des Velrans fait durer le plaisir pour lui faire peur. (Yanis,
Anaïs, Constant, CM1-CM2, 2015)
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Petit Gibus pleure et ils avec son frère regarde L’Aztec retirer tous les boutons
du chef des Longevernes. Il se décourage un peu. et se dit qu Mais ce dit
que ce n’est pas fini...
Progresser en écriture
Ainsi, le recours aux stéréotypes qui constitue un argument pour les
tenants d’une dévalorisation des objets de la culture juvénile ici sélectionnés
se mue en qualité didactique. En effet, selon B. Marin et J. Crinon (2014),
les genres stéréotypés fonctionnent comme des leviers dans le cadre de la
production d’écrit. Aussi utiliser en parallèle, la série animée Le Ranch et
sa novélisation jeunesse a bénéficié aux compétences des élèves concernant
leur rapport au texte et la représentation de leur récit. L’analyse de la
construction de ces deux objets et de leur fonctionnement a permis aux
élèves de mieux appréhender le récit filmique et, ensuite, de mieux structurer
leur écriture personnelle. Dans un texte de commande tel que celui du
Ranch, les impératifs de la transsémiotisation impriment au récit écrit une
certaine stéréotypification des situations, des relations et des formulations
pour traduire les états psychologiques des personnages. Les élèves ont pu
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
s’appuyer sur ces éléments pour étoffer et améliorer leur propre récit en
comprenant l’intérêt de l’ajout d’éléments qui apportent clarté et effet de
vraisemblance à leur récit.
Nous proposons la comparaison de deux récits de Jade (CM1, quatrième
primaire, 2015) : l’un avant la séance consacrée à l’étude du début de
l’épisode du Ranch et l’autre après.
Production à partir de l’extrait 2 du film retranscrite en intégralité :
Petit Gibus arrive avec ses son amis Camus et son frère Grangibus en train
de porter un drapeau blanc. Quand les Velrans arrive (les Gibus et Camus
sont des Longerverne) Petit Gibus lis une lettre de Lebrac (le chef des
Longeverne) qui annonce
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que lui le double et le pousse en arrière vers ses alliés qui l’attrape et Laztec
(le chef des Velrans) lui tire les cheveux, apeuré, Bacaillé fond en larmes.
Les Velrans le maltraite pour savoir où était la cabane des Longevernes. A la
fin, Bacaillé avout la cachette des Longevernes. Du côté des Longevernes,
c’est plutôt la sèrénité, les Gibus ont une lettre de leurs père prisonnier en
Allemagne. Petit Gibus la lit. Pendant ce temps, les Velrans font couler de
l’essence sur des feuilles sèches, lancent une allumette sur les feuilles pleine
d’essence, ce qui fait un grand feu.
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d’écriture.
À titre d’exemple, nous fournissons les productions de deux élèves qui ont
eu à adapter un même extrait filmique (un film patrimonial, Les Vacances
de Monsieur Hulot). Les élèves sont toutes deux issues d’une classe double
niveau CM1-CM2, à la composition sensiblement identique, et sous la
responsabilité du même enseignant, dans la même école, mais à trois ans
d’intervalle. Selon l’enseignant, les profils des élèves seraient similaires, à la
différence que Garance (CM2, 2012) n’a pas subi le protocole avec les objets
de la culture juvénile alors que Camille (CM2, 2015) en a bénéficié. Les
conditions de passation concernant cet extrait en particulier sont identiques
(une seule projection et la même consigne d’écriture).
Garance (texte : 253 mots, non reproduit en intégralité) :
Les vacances de Monsieur Hulot
Monsieur hulot à désidé de faire de l’équitation avec une amie il se prépare
et va dans son appartement une dame lui ouvre et lui dit « assiers vous »
il va donc s’assoir tranquillement avec sa cravache a la main son chapeau,
et sa pipe il se lève et vois que un cadre est mi est penché alors il le remèt
en place mes avec le bou de sa cravache il mes un autre cadre a lenverre et
marche sur le tapis en tête de renard et a cause de ses éprons la gueule du
renard s’accroche et le suis i ne sens aperçoit même pas a se moment son
ami arrive bien coiffé et la il recule et sapperçoit qu’il traine le tapis d’un
coup il sursaute et l’enlève la deux anes les attende seller
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
- « Vous pouvez vous asseoir » en designant le salon ; vaste pièce dans laquel
reposer des tableaux. Monsieur Hulot regarde avec attenssion chacun d’entre
eux mais Monsieur Hulot avec la cravache en main commence à taper d’un
dans un tableau puis d’un dans un autre et essaye de les replacer mais en
vains. Monsieur Hulot voulu regarder de plus loin un tableau mais en
reculent sont éperon entra dans la gueule du renard qui servaient de tapis,
et remarcha avec son autre bote sur le dos du renard qui referma alors a
gueule sur l’éperons de Monsieur Hulot. Il se ravanca pour faire un instant
après un tour de la pièce.
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par des éléments descriptifs sur le salon, sur les personnages pour qui elle
invente même un prénom (Irène). Surtout, elle fournit plus d’explications
sur les enchainements qui provoquent les gags. Une attention à la cohérence
du récit écrit semble plus animer la production de Camille. Elle prend
d’ailleurs le soin de re-titrer le passage en orientant ainsi le contenu de son
texte. On peut vraisemblablement y lire les effets d’une meilleure entrée
dans l’analyse de l’extrait filmique, préparée par l’habitude prise à partir de
La Nouvelle guerre des boutons. En effet, aucune des deux élèves n’a eu le
loisir de renseigner une grille de lecture de l’extrait filmique de Tati, tout
s’est joué dans leur mémoire de la séquence.
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la transfictionnalité recèle. Les passages d’une même fiction d’un support
à l’autre – pléthoriques dans la culture populaire, à fortiori dans la culture
juvénile – nourrissent un imaginaire dense chez les élèves et stimulent des
points de vue et des interprétations multiples.
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
Sonia CASTAGNET-CAIGNEC
Références bibliographiques
• CHEVALLARD, Y. (1985/1991). La Transposition didactique. Du savoir savant
au savoir enseigné. Grenoble : La Pensée sauvage.
• ECO, U. (1993). De Superman au surhomme. Paris : Grasset.
• JENKINS, H. (2013). La Culture de la convergence, des médias aux transmédias.
Paris : Armand Colin.
• LEBRUN, M., LACELLE, N. & BOUTIN, J.-F. (dir.) (2012). La Littératie
médiatique multimodale : de nouvelles approches en lecture-écriture à l’école et hors de
l’école. Québec : Presses de l’université du Québec.
• LETOURNEUX, M. (2017). Fictions à la chaine. Littérature sérielle et culture
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médiatique. Paris : Seuil.
• MARIN, B. & CRINON, J. (2014). Stéréotypes et contraintes de genres : quelles
ressources pour la production de textes explicatifs et de fiction à l’école élémentaire ?
Éducation & didactique, 8(2), 39-58.
• MÜLLER, J.E. (2006). Vers l’intermédialité. Histoires, positions et options d’un
axe de pertinence. MédiaMorphoses, 16, <http://documents.irevues.inist.fr/handle/
2042/23499>.
• PENLOUP, M.-C. (dir.) (2007). Les Connaissances ignorées : Approche pluridisci-
plinaire de ce que savent les élèves. Lyon : INRP.
• PENLOUP, M.-C. (2018). Peut-on mobiliser les pratiques hors école de l’écriture
numérique ? Conférence de consensus : « Écrire et rédiger : comment accompagner
les élèves dans leurs apprentissages ? », <http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/
2018/04/CCEcrits_note_Penloup.pdf>.
• PRATIQUES (1987). Les Mauvais genres, 54. Metz : CRESEF.
• ROSIER, J.-M. (2010). Mauvais genres, mauvaises lectures, mauvaises gens. Mons :
Éditions du Cerisier.
• ROSIER, L. & POLLET, M.-C. (dir.) (2007). Les Mauvais genres en classe
de français ? Retour sur la question : échos de la journée d’étude du 7 décembre
2005, université libre de Bruxelles. Namur : Presses universitaires de Namur, coll.
« Diptyque », n° 9.
• ROUVIÈRE, N. & RAUX, H. (2019). Quelles perspectives pour
une didactique de la BD en classe de littérature ? Tréma, 51,
<http://journals.openedition.org/trema/5209 ; DOI : 10.4000/trema.5209>.
• SAINT-GELAIS, R. (2011). Fictions transfuges. La transfictionnalité et ses enjeux.
Paris : Seuil.
• SCHNEUWLY, B. & DOLZ-MESTRE, J. (1997). Les genres scolaires, des
pratiques langagières aux objets d’enseignement. Repères, 15, 27-40.
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SE RAPPROCHER DE LA CULTURE
JUVÉNILE PAR L’USAGE
DU ROMAN GRAPHIQUE
AUTOBIOGRAPHIQUE AU LYCÉE
Violeta MITROVIC
Haute école pédagogique Vaud
Lausanne
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et culturelles des jeunes est nécessaire (Chartier et Hébrard 2000) – l’en-
seignement en question pouvant avoir « un effet dissuasif sur le gout de
lire » des adolescent.e.s (Petit 2002 : 125) – la recherche en didactique
du français favorise une approche de la littérature à partir du lecteur réel
(Rouxel 1996 ; Rouxel et Langlade 2004). Les gouts des jeunes, notamment,
entrent progressivement dans la classe, ouvrant ainsi le patrimoine scolaire
à des formes de « paralittérature » plus populaires, telles que le fantastique,
la science-fiction, le roman policier, ou la bande dessinée, objet qui nous
intéresse plus particulièrement. Pourtant, malgré cet élan de décloison-
nement des corpus, le cas du lycée reste particulier, dans le sens où la
volonté de léguer un « capital culturel » légitimé (Bourdieu et Passeron
1970) l’emporte sur celle de rechercher des liens pertinents entre littérature
et réalité socioculturelle des élèves. L’enseignement du français est de fait
habité par une contradiction : entre l’ambition de l’École de transmettre
un ensemble de références communes héritées du passé (Fraisse 2011) et
les difficultés d’appropriation et d’immersion rencontrées par les élèves
à la lecture d’œuvres littéraires du canon. Dans un monde converti aux
technologies, « la culture numérique [est devenue] porteuse de nouveaux
paradigmes du savoir et de l’identité » (Doueihi 2008 : 29), ce qui engendre
un décalage notable entre les pratiques plurisémiotiques de la génération Z1
et les genres traditionnellement abordés en classe de littérature.
Le manque d’implication dans les lectures proposées au lycée n’est pourtant
pas tant la conséquence d’un désaveu à l’égard de la lecture, que le symptôme
d’une inadéquation souvent dommageable entre les corpus scolaires et les
gouts des adolescent.e.s en matière de loisirs et de lecture. L’étude du Centre
1. Individus nés entre le milieu des années 1990 et la fin des années 2000, qui ont grandi
avec les technologies de l’information et de la communication (TIC), soit avec le numérique
et les réseaux sociaux (digital natives). Ils suivent la génération Y, les millenials, nés entre
1980 et 1999 et ayant vécu l’introduction massive du numérique.
rticle on line
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où elle souligne au sein de la communauté adolescente l’importance d’une
forme d’esthétisation du vécu par l’image et l’écriture. Aussi, elle met en
avant l’évolution des adolescent.e.s dans un univers multimodal (Lebrun,
Lacelle et Boutin 2012, 2017), où les codes visuels et textuels s’imbriquent
entre eux pour créer du sens.
Partant de ces constats, nous souhaitons porter une réflexion sur les
manières de didactiser le roman graphique autobiographique, support
multimodal et contemporain qui se situe à la lisière de la littérature et au
croisement entre la lecture plaisir et la lecture savante. L’intérêt du roman
graphique nous semble double. D’une part, cette production contemporaine
et plurisémiotique aborde l’intime ainsi que des préoccupations sociales
actuelles. En outre, ses dimensions langagières et visuelles permettent de
confronter les pratiques de mise en scène de soi, fortement présentes chez
les adolescent.e.s, à leur pendant littéraire, qui esthétise le vécu pour le
sublimer. D’autre part, par sa nature hybride, le roman graphique a le
potentiel de développer les capacités interprétatives des élèves, propres
à « l’utilisation conjointe » des codes, textuel et visuel (Lebrun, Lacelle
et Boutin 2012, 2017). Proposant une approche à partir d’un genre
« canonique » habituellement abordé au lycée – l’autobiographie – nous
souhaitons réfléchir à la manière d’enrichir le bagage analytique et culturel
des élèves, leur permettant de développer des compétences littéraires et
multimodales transférables à leur réalité socioculturelle.
2. Fonction grâce à laquelle on peut publier une série de photos ou de vidéos représentatives
de la journée de l’utilisateur.trice (historique/histoire de la journée). Ces productions
apparaissent dans le fil d’actualité des utilisateurs.trices autorisé.e.s (amis) et ont comme
particularité de disparaitre après vingt-quatre heures, à moins qu’on les sauvegarde dans
MyStory comme moment marquant appelé à durer sur le profil de la personne.
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graphiques autobiographiques, dont on tâchera de montrer les potentialités
pour l’enseignement du français au lycée : Fun Home (Bechdel 2006) et
Pilules bleues (Peeters 2001). Tous deux respectent le pacte autobiographique
(Lejeune 1996), créé par une identification explicite entre l’auteur.trice, le.la
narrateur.trice auto- et homodiégétique (Genette 1972) et le personnage.
Ces œuvres ont également comme particularité importante celle de l’au-
toreprésentation visuelle, puisque les deux auteurs.trices s’autodessinent à
différents moments de leur vie, dans une esthétique « noir et blanc ». En
tant que lecteur.trice, nous sommes en présence d’un.e narrateur.trice que
G. Groensteen nomme « actorialisé[e] » (2011), puisque l’usage de récitatifs
(ou phylactères) confère au « je » à la fois un rôle d’énonciateur.trice et d’ac-
teur.trice du récit. En sus, s’agissant de deux récits « focalisés » (Baroni 2017 :
101), les écritures sont élaborées dans une dynamique de partage maximal
entre le « je » et le lecteur.trice, ce qui permet entre autres de questionner
les processus d’identification et d’immersion des élèves. De plus, l’espace
du roman graphique a pour caractéristique d’être multimodal (Lebrun,
Lacelle et Boutin 2012, 2017). Il mêle ainsi aux dimensions « classiques »
de l’autobiographie le support graphique, qui est composé d’images fixes
imbriquées dans le système de la planche. Il s’agit donc d’une narration
séquentielle dont le sens est à construire dans les interactions entre le texte,
les cases, le cadrage, le plan, la planche, etc.3 . Enfin, ces deux œuvres
abordent des thématiques intimes, en l’occurrence l’identité, la famille,
l’amour et la maladie. Elles permettent en ce sens d’entamer une réflexion
sur des thématiques contemporaines importantes, ainsi que de traiter de
problématiques humaines face auxquelles, en tant que jeunes adultes, les
adolescent.e.s sont amenés à se positionner.
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atteinte par la maladie du sida. Au fil des planches, le lecteur.trice suit
le développement de leur relation amoureuse. La thématique centrale de
l’œuvre est la gestion complexe de la maladie au sein du couple, le titre
faisant d’ailleurs spécifiquement référence à la trithérapie. L’arrivée de la
maladie dans le quotidien des deux protagonistes est vécue comme un
véritable bouleversement par le narrateur, qui fait part de ses doutes et
questionnements, ainsi que de ses sentiments les plus intimes.
La case illustrant notre propos intervient au cœur de Pilules bleues, alors
que le narrateur et Cati ont décidé de rester ensemble en dépit de la maladie.
Cependant, au moment d’un de leurs rapports sexuels protégés, où le
préservatif se brise, la peur du sida ressurgit. Cet épisode traumatisant est
suivi d’une visite médicale ayant pour but de renseigner sur la possible
contamination du narrateur. Les explications rassurantes du médecin se
concluent avec l’affirmation : « Vous avez autant de chances d’attraper le
sida que de croiser un rhinocéros blanc en sortant d’ici... » (Peeters 2001 :
119). Le réconfort (pour les protagonistes comme pour le/la lecteur.trice)
est pourtant de courte durée puisqu’en tournant la page, le/la lecteur.trice
découvre la case suivante :
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Figure 1. ©Peeters, F. (2001). Pilules bleues. Genève : Atrabile, p. 120.
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d’une vie avec le sida. Dans l’album de F. Peeters, le récit visuel et textuel de
soi dépasse donc toute ambition exhibitionniste pour proposer une vision
intimiste et authentique de la maladie, à l’image de celle du rhinocéros
blanc.
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Figure 2. ©Bechdel, A. ([2006] 2013). Fun Home : une tragicomédie
familiale. Paris : Denoël Graphic, p. 104-105.
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privée » se nourrissent simultanément pour suggérer le secret du père, sans
que celui-ci soit verbalement explicité à ce moment du récit.
Autour de cette même thématique, un autre moment clé du roman
graphique surgit à la fin du récit, à un moment où, ensemble dans la voiture,
le père fait l’aveu de son homosexualité à la jeune narratrice. L’importance
de cet épisode est une nouvelle fois signalée par les choix graphiques,
puisque cette double planche sort du rythme visuel de Fun Home (cases de
dimensions différentes).
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Figure 3. ©Bechdel, A. ([2006] 2013). Fun Home : une tragicomédie
familiale. Paris : Denoël Graphic, p. 224-225.
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
Plus généralement, Fun home est également l’occasion pour les jeunes,
habitués aux images, de réfléchir à l’univers multimodal qui les entoure et
à leur usage personnel de l’hybridation entre texte et images. En analysant
la manière dont ce récit autobiographique crée du sens par l’utilisation
simultanée de deux modes sémiotiques, l’élève a le potentiel de développer
à la fois des compétences en interprétation de texte et en interprétation
d’images. L’appui sur un univers visuel, particulièrement familier aux
adolescent.e.s, a en outre l’avantage de faciliter l’acquisition de compétences
en analyse et interprétation « littéraires ». En ce sens, la convocation de cet
avatar du roman et de la bande dessinée au lycée permet de développer une
certaine littératie, potentiellement transférable aux œuvres du patrimoine,
plus complexes et exigeantes.
Conclusion
Loin d’être exhaustif, notre parcours avait pour but de montrer la richesse
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du roman graphique en termes de développement de compétences d’analyse
et interprétation, illustré à partir de quelques exemples de planches. Les
deux œuvres choisies, en raison de leur grande qualité littéraire et esthétique,
nous paraissent des voies d’entrée privilégiées à l’approche de thématiques
contemporaines et complexes, sur lesquelles les jeunes adultes peuvent
porter une réflexion enrichissante. En ce sens, nous avions pour vocation
d’encourager les enseignant.e.s de lycée à introduire le roman graphique en
classe de français, en mettant en avant le fait que cette « paralittérature »
n’empiète en aucun cas sur les finalités de l’enseignement de la littérature.
Au contraire, le roman graphique, par sa nature multimodale, a le potentiel
d’impliquer les élèves dans la lecture, de faciliter leur appropriation de
la littérature contemporaine, ainsi que de développer leur esprit critique
face à l’envahissement de l’image dans leur quotidien. Nous avons donc
cherché à mettre en lumière des œuvres qui fassent sens pour les adolescent.e.s
d’aujourd’hui et qui les encouragent à devenir des lecteur.trice.s et interprètes
singuliers de littérature.
Violeta MITROVIC
Références bibliographiques
• BARONI, R. (2017). Les Rouages de l’intrigue : les outils de la narratologie
postclassique pour l’analyse des textes littéraires. Genève : Slatkine Érudition.
• BECHDEL, A. (2013 [2006]). Fun Home : une tragicomédie familiale. Paris :
Denoël Graphic.
• BOMEL-RAINELLI, B. & DEMARCO, A. (2011). La BD au collège depuis
1995 : entre instrumentalisation et reconnaissance d’un art. Le français aujourd’hui,
172, 81-92.
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• LEBRUN, M., LACELLE, N, & BOUTIN, J.-F. (dir.). (2012). La littératie
médiatique multimodale : de nouvelles approches en lecture-écriture à l’école et hors de
l’école. Québec : Presses de l’Université du Québec.
• LACELLE, N., BOUTIN, J.-F. & LEBRUN, M. (2017). La Littératie médiatique
multimodale appliquée en contexte numérique, LMM@ : outils conceptuels et didactiques.
Québec : Presses de l’université du Québec.
• LEJEUNE, P. (1996). Le Pacte autobiographique. Paris : Seuil, coll. « Points-
Essais ».
• MISSIOU, M. (2012). Un médium à la croisée des théories éducatives : bande
dessinée et enjeux d’enseignement. Dans N. Rouvière (dir.), Bande dessinée et
enseignement des humanités (pp. 79-98). Grenoble : UGA Éditions.
• PALTANI-SARGOLOGOS, F. (2011). Le Roman graphique, une bande
dessinée prescriptrice de légitimation culturelle, <http://www.enssib.fr/bibliotheque-
numerique/documents/56772-le-roman-graphique-une-bande-dessinee-
prescriptrice-de-legitimation-culturelle.pdf>.
• PEETERS, F. (2001). Pilules bleues. Genève : Atrabile.
• PETIT, M. (2002). Éloge de la lecture. La construction de soi. Paris : Belin.
• ROUXEL, A. (1996). Enseigner la lecture littéraire. Rennes : Presses universitaires
de Rennes, coll. « Didact. Français ».
• ROUXEL, A. & LANGLADE, G. (dir.) (2004). Le Sujet lecteur. Lecture subjective
et enseignement de la littérature. Rennes : Presses universitaires de Rennes.
• TISSERON, S. (2001). L’Intimité surexposée. Paris : Hachette « Littérature ».
• TISSERON, S. (2008). Virtuel, mon amour : penser, aimer, souffrir à l’ère des
nouvelles technologies. Paris : Albin Michel.
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Natacha LEVET
COMPÉTENCES DE LECTEURS
Isabelle OLIVIER
Bounthavy SUVILAY &
Édith TADDEI
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Édith TADDEI
Université de Cergy-Pontoise
INSPÉ de l’académie de Versailles
Laboratoire ÉMA (ÉA 4507)
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La quarantaine de titres de BD des référentiels de lecture des cycles 2 et
3, maintenue aux Programmes nationaux 2016, les fiches pédagogiques
proposées par le site <education.gouv.fr> en lien avec le concours À l’école
de la BD de l’année scolaire 2018-2019, des ouvrages tels que S’initier à la
BD en primaire (Hérard et al. 2009), la sélection du site l@BD du CNDP1 ,
La mangathèque idéale du CDI2 sont autant de marqueurs externes de
littérarité de ce vaste territoire que constituent la bande dessinée et, depuis
la fin des années 1990, les mangas3 . Tout porte à croire que ceux-ci ne
sont plus classés comme appartenant à un « mauvais genre » et que manuels
et enseignants ont pu s’emparer de ces fictions appartenant au genre de
l’iconotexte.
Il reviendrait aux enseignants, s’adossant au référentiel, de déterminer
des objectifs de lecture-compréhension constituant le manga en objet
d’apprentissage d’ordre littéraire. Or, d’une part, les titres de mangas
préconisés reposent sur un malentendu et, d’autre part, les enseignants
tendent le plus souvent à utiliser la bande dessinée comme une simple
ressource iconographique (Rouvière 2012) ou à considérer le manga comme
un genre monolithique (Raux et Suvilay 2018). Aussi choisissons-nous de
dégager trois pistes d’étude reconductibles à partir d’une des lectures privées
d’élèves à l’école primaire, Naruto, dont le héros, la trame narrative, les
valeurs sont emblématiques du manga d’apprentissage. Il s’agit d’analyser
1. <http://9990045v.esidoc.fr>.
2. <https://www.scoop.it/t/la-mangatheque-ideale-pour-mon-cdi>.
3. Le terme manga désigne la bande dessinée japonaise. Les bandes dessinées s’inspirant des
mangas et créées par des auteurs français sont désignées par le terme manfra.
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se distinguent des acheteurs de BD patrimoniale ou franco-belge par leur
âge qui opposerait la tranche 15-29 ans à celle des 50 ans et plus. En outre,
tout public confondu, la plupart des bestsellers en France sont des shônen
comme Naruto, One Piece ou Dragon Ball, c’est-à-dire des récits destinés
aux jeunes garçons5 .
Appartenant à la littérature de jeunesse aussi bien au niveau des pratiques
éditoriales que des lectures réelles, le manga est de plus en plus utilisé dans
les séquences pédagogiques et les manuels scolaires, ce qui témoigne de
son intégration progressive au sein de l’école. Celle-ci est entérinée par son
apparition dans les propositions de lecture complémentaires d’Éduscol6 ,
les sites pédagogiques7 , les manuels scolaires8 , les revues pédagogiques9 .
Cependant ce mouvement d’ouverture de l’école au manga se fait selon
deux critères qui soulignent l’écart notable entre les pratiques scolaires et les
lectures privées des élèves.
4. <https://www.actualitte.com/article/monde-edition/france-qui-sont-les-lecteurs-de-bd-
mangas-et-comics/85374>.
5. En effet, au Japon, les éditeurs séparent les magazines destinés aux jeunes garçons (shônen),
jeunes filles (shôjo), enfants (kodomo) de ceux qui sont destinés à des publics plus âgés (seinen,
josei). Si initialement le terme shônen correspond à des enfants allant à l’école primaire, le
lectorat réel peut différer en genre et être plus âgé.
6. Par exemple en 2016, L’Enfant aux trois yeux d’Osamu Tezuka est conseillé au cycle 3 pour
le thème « Le monstre, aux limites de l’humain », <eduscol.education.fr/ressources-2016>.
7. François Mouttapa, « Hugo en manga. Mettre les lecteurs en position d’experts »,
<https://www.ac-paris.fr>, rubrique « Lettres ».
8. Voir par exemple le dossier sur Nausicäa de Miyazaki dans le manuel destiné au cycle 4 :
Magnard 5 ème Jardin des Lettres, Magnard, 2016, pp. 234-236.
9. Voir par exemple les deux articles consacrés au manga dans les Cahiers pédagogiques
en 2013 : A. Demarco, 2013, Taniguchi ou le « proche » orient, Cahiers pédagogiques,
506, pp. 22-23 ; A. Vignard, 2013, Des mangas et des contes, Cahiers pédagogiques, 506,
pp. 41-43.
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d’autres formes de récit appartenant aux textes patrimoniaux, en quoi elles
déploient des stratégies narratives similaires et spécifiques et sont porteuses
de valeurs positives. Pour ce faire, l’analyse littéraire d’une œuvre spécifique
et non d’une catégorie de bandes dessinées permet de faire ressortir les
éléments d’attrait pour le jeune lectorat et de l’amener à s’interroger sur le
récit lui-même.
Se saisir d’un manga bestseller dont le titre éponyme, Naruto ici, annonce
un récit centré sur un jeune garçon, c’est, d’une part, s’assurer un effet
de surprise chez les élèves et leur offrir une entrée dans la compréhension
littéraire par l’étude du personnage et, d’autre part, combiner les différentes
thématiques abordées au sein du cycle 3 afin de favoriser la continuité des
apprentissages entre le primaire et le secondaire10 , voire faire l’objet d’un
projet interdegrés.
Par exemple, l’identité du héros est sujette à des dévoilements progressifs
tout au long du premier tome. Il est à la fois un élève facétieux, indiscipliné
et irrespectueux dans une école de ninjas, qui rate ses examens pour la
troisième fois et qui pourtant rêve de devenir le chef du village ; un orphelin
dans lequel a été emprisonné l’esprit du renard, un être par conséquent
solitaire et dont l’origine est un sujet tabou. Pourtant son professeur Iruka
voit en ce garçon grotesque11 un de ses meilleurs élèves par sa persévérance
et « son expérience de toutes les afflictions dont peut souffrir un cœur
humain » (Kishimoto 2002, t1 : 48). Enfant terrible et orphelin, mal aimé
et exclu, aventurier dans l’âme et ambitieux, il est l’héritier d’une longue
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pour décrire la situation d’un village sauvé par l’emprisonnement de ce
démon-renard en Naruto, au moment de sa naissance, conduisent les lecteurs
à sans cesse modifier leur jugement en une quarantaine de pages : n’est-
ce pas un dispositif iconotextuel adapté aux séances de lecture continuée
quand l’enseignant veut rendre visible l’activité du lecteur qui ajuste sa
compréhension, modifie sa représentation mentale, convoque son propre
univers au fur et à mesure de sa lecture ?
Si les pleurs de Naruto traduits par son visage déformé entendant le
plaidoyer du professeur Iruka (p.49), si ses pensées intimes dévoilent sa
sensibilité et le pathos du manga qui n’a pas son équivalent dans la BD
occidentale traditionnelle où prédomine l’uniformisation des plans avec un
point de vue externe, les encadrés où apparait le grand maitre de l’école,
souriant aux aventures de Naruto apportent un contrepoint humoristique
et ironique sur les exploits, ratés et réussis, du jeune écolier. Un oubli : il
aime les nouilles, trait distinctif qu’il a inscrit sur son certificat de ninja, en
toute bonne foi, parce qu’il ne comprend rien à cela, affirme-t-il.
Aussi le manga comble progressivement les blancs du récit tout en
densifiant ce personnage hybride, ridicule et sympathique à la manière
de Okilélé de C. Ponti : « Un héros doit fuir la perfection, et montrer à
l’enfant qu’il a droit à l’erreur »13 .
Qu’apprend Naruto ? Dès le tome 1, ce garçon solitaire apprend à
distinguer ses amis des ennemis, apprentissage emblématisé par le duel entre
ses deux professeurs, puis, une fois certifié ninja, avec deux autres élèves, il
doit récupérer un objet en usant de ses pouvoirs. Le premier tome se clôt
par le verdict inattendu de leur professeur : l’objet est entre leurs mains,
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transgression de la parole du maitre qui a interdit au trio de partager le
repas de nouilles avec Naruto. Une deuxième étape s’arrêterait sur la double
page « Félicitations vous êtes reçus ! ». Sans doute un jeune lecteur japonais
se référant aux valeurs de son pays interprèterait-il la situation avec plus
de pertinence qu’un jeune lecteur français. Cet épisode met en scène un
système de valeurs lié à une société dont l’individu fait l’apprentissage
et que le lecteur comprend ou confronte à son propre héritage. De fait,
l’expertise interculturelle du lecteur français se mesure par la compréhension
des ressorts moraux de l’univers japonais auxquels il se familiarise dans les
mangas. Il s’agit bien de compétence interculturelle à mettre en valeur par
le biais d’une étude du manga en tant qu’œuvre traduite.
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Par exemple, les onomatopées, très nombreuses dans les mangas, sont
traduites différemment selon les éditions (pour une même série) et selon
les éditeurs (pour un même son dans différentes séries). Là encore la
comparaison fait ressortir les partis pris des traducteurs selon les éditions et
donne l’occasion aux élèves de prendre conscience de l’arbitraire du code
linguistique puisque la même action n’a pas le même « son » dans différentes
langues. Le choix des « onomatopées authentiques » (type cocorico, tic-tac)
est « déjà en quelque mesure arbitraire, puisqu’elles ne sont que l’imitation
approximative et déjà à demi conventionnelle de certains bruits » (Saussure
(de) 1916 : 102). Il ne s’agit donc pas seulement de montrer les onomatopées
comme un élément caractéristique de la bande dessinée, mais de révéler le
code linguistique et ses multiples incarnations (graphique et verbal), ainsi
que son insertion dans un flux visuel correspondant au sens de la lecture.
Par ailleurs, ce type de dossier pourrait souligner les différences de format
entre les bandes dessinées de différents pays. Le séquençage propre à la
ligne claire se prête à la lecture chronologique des actions et à la découverte
de l’ellipse temporelle, tandis que la succession des images dans le manga
s’applique souvent à décomposer une action, une description ou une réflexion
intime, et leur juxtaposition visent à suspendre le temps et l’action ou à opérer
une centration sur le personnage. Comparer des actions similaires en manga,
en comic et en bande dessinée franco-belge soulignerait les conventions
de représentation propres à chaque pays. En ce sens, la reconstitution
de la chronologie avec des vignettes de BD est un « cliché » pédagogique
peu pertinent pour l’étude du séquençage dans le manga. En revanche,
l’étude d’une planche de Naruto mettrait en évidence comment une série de
vignettes crée une atmosphère contemplative, comment l’enchainement des
images de « point de vue à point de vue » (McCloud 1993 : 79) dramatise
la description et la narration. La mise en image et la disposition dans la page
sont des marqueurs spécifiques du format manga que les (jeunes) lecteurs
réorganisent pour élaborer une représentation cohérente et complète de
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donc d’apprendre à comprendre les stratégies de traduction et les trans-
formations qu’elles induisent sur le texte, à reconnaitre les différences de
représentation selon les formats et les conventions adoptées dans un contexte
culturel donné, à recontextualiser un texte et souligner les effets d’inter-
textualité. Cette démarche permet de souligner la diversité culturelle et en
même temps les valeurs et les préoccupations partagées par les personnages
et les lecteurs. Le lecteur met en œuvre une compétence complexe, la mise
en relation de deux niveaux de connaissance : l’univers de référence japonais
et son lexique qui servent d’arrière-plan au manga, l’univers quotidien du
lecteur français avec l’iconotexte lu.
Ce travail de comparaison peut être réalisé pour les diverses incarnations
d’un même récit sur des supports différents. Il s’agit alors d’étudier l’œuvre
en tant qu’objet transmédiatique14 .
14. À la suite de M. Letourneux, nous utilisons le terme transmédiatique pour désigner les
adaptations sur des médias différents (Letourneux 2017).
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
Dans une certaine mesure, l’étude des OSS peut être rapprochée de
celles des adaptations. Le système de production des industries culturelles
contemporaines favorise la déclinaison d’un univers fictionnel sur de
multiples supports. Comme le montre M. Letourneux (2011) à propos
des fictions dans la culture pour la jeunesse, la production est désormais
transmédiatique dès son origine. Même si les mécanismes de production
diffèrent, dans le cas des œuvres patrimoniales comme dans celui de celles
des cultures juvéniles, une esthétique de la prolifération est au cœur des
objets médiatiques.
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Soulignons que le développement du manga est historiquement lié à celui
du dessin animé et du marketing. Cette convergence médiatique est mise
en place, dès 1963, avec la production de l’adaptation télévisée du manga
Tetsuwan Atom (Steinberg 2012). Concernant la réception de manga en
France, ces déclinaisons transmédiatiques sont d’autant plus importantes que
les adaptations sont souvent vues, lues, expérimentées de manière ludique
avant la lecture de l’œuvre originale (quand celle-ci a lieu). Par exemple,
Dragon Ball a été diffusé à partir de 1988 alors que la bande dessinée n’a
été commercialisée qu’à partir de 1993. L’horizon d’attente des joueurs de
cartes ou des téléspectateurs diffère alors de celui d’un lecteur néophyte
découvrant l’univers fictionnel avec la lecture du manga.
L’adaptation est un processus qui fait appel à des compétences essentielles :
la compréhension littérale et symbolique, la capacité à restituer ce qui est
compris sous une autre forme. Nous postulons qu’adapter constitue une
forme de rétroaction élaborée qui manifeste un processus herméneutique.
En étudiant le manga comme une œuvre transmédiatique, c’est-à-dire
en confrontant le récit imprimé aux autres versions disponibles, il s’agit
de s’interroger sur les spécificités de la narration selon les modes de
représentation et de souligner les différences entre une bande dessinée,
un dessin animé et un texte.
Or l’écriture proliférante du manga favorise l’implication de chaque élève,
en charge d’une micro-production qui s’insère dans un projet commun,
voire dans un projet interdegrés : transposer le manga en texte narratif. Pour
reprendre les quelques modalités d’écriture exposées ci-dessus à propos du
tome 1 de Naruto, leur plasticité et leur variété doivent alors être adaptées à
la linéarité du texte narratif tandis qu’il s’agit de maintenir la dynamique et la
polyphonie des « scènes » exposant un cadre spatiotemporel, les personnages,
leurs motivations dans la rédaction d’une situation initiale canonique, de
dialogues et de textes descriptifs.
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dans tous les médias, se prêtent également à la constitution d’un schéma
actanciel où adjuvants et opposants sont désignés par les élèves pour vérifier
leurs compétences à évaluer la valeur programmatique des attributs visuels
prêtés aux protagonistes d’un manga et à produire un écrit.
Les produits dérivés peuvent également motiver une description écrite
du caractère du personnage : l’image sur un cahier ou un vêtement est elle-
même une interprétation marketing du manga ; les élèves vont comparer
ce que donne à lire cette image et ce que donne à lire le manga lui-même,
la multiplicité éventuelle des interprétations donne lieu à débat. L’un des
enjeux de l’apprentissage de la lecture littéraire – la participation du lecteur
au processus créatif sur lequel les auteurs se confient à l’intérieur des mangas,
l’élaboration du sens – est pleinement investi dans ce type d’activité.
L’entrée dans la lecture et en littérature par les personnages a favorisé,
dès la maternelle, des dispositifs ambitieux conduisant les élèves à adopter
un regard de « comparatistes » : l’analyse des représentations de l’ogre, du
loup, de la sorcière, ou de la princesse – pour ne mentionner que les plus
fréquentes – montre ainsi le jeu des auteurs avec la stéréotypie et les sources
ou le déplacement opéré par les seconds rôles tels que l’ogre, devenu héros
éponyme d’un bon nombre d’ouvrages. La lecture du manga prolonge la
réflexion sur les références intertextuelles, mais au sein d’une autre culture et,
en ce sens, met en évidence un processus créatif partagé. Pourquoi ne pas aller
plus loin encore : passer de la lecture privée à la création collective et dans
le cadre d’un projet ambitieux, transmédiatique, transdisciplinaire, voire
interdegrés, permette au groupe de faire œuvre avec ces micro-productions
(texte, case, cartes et produits dérivés...) ?
Conclusion
À travers les trois pistes de lecture abordées ici, nous ne cherchons pas à
délivrer une clé de lecture universelle du manga. Mais nous espérons avoir
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
montré, d’une part, que les modalités d’écriture et de diffusion d’un manga
apprécié des jeunes lecteurs exigent des procédures de lecture complexes
et renvoient à des problématiques communes à la littérature de jeunesse,
et, d’autre part, que celles-ci incitent à étudier chaque manga comme
une œuvre spécifique. Ces trois approches – œuvre littéraire de jeunesse,
œuvre traduite, œuvre transmédiatique – peuvent servir de supports à un
apprentissage explicite de la compréhension et de l’interprétation littéraires
tel qu’il est pratiqué au cycle 315 et susciter un transfert d’expertises entre
lectures privées et lectures plus patrimoniales. Bon nombre de mangas,
bien des titres dédiés à la jeunesse, à l’image de Naruto, conjuguent textes
et images pour créer un récit d’apprentissage centré sur un personnage
grotesque inscrit dans un espace mental légendaire, et méritent une lecture
attentive du professeur pour en dégager le ton16 et le style.
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Références bibliographiques
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col.education.fr/forensactes>.
• DIAMENT, N., GIBELLO, C. & KIEFE, L. (dir.) (2008). Traduire les livres
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• EVANS, C. (2015). Profils de lecteurs, profils de lectures. Dans B. Berthou (dir.),
La Bande dessinée : quelle lecture, quelle culture ? Paris : Éditions de la Bibliothèque
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et approximations. Comicalités, <http://journals.openedition.org/comicalites/733>.
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145, 65-71.
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• KISHIMOTO, M. (2002). Naruto, tomes 1-2. Paris : Kana.
15. Nous suivons plus précisément les directives disponibles sur le site
Éduscol <https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Culture_litteraire_/02/0/8RA16_C3_
FRA_5_heros_heroines_591020.pdf>.
16. Les problèmes de traduction sont souvent commentés dans les éditions françaises,
notamment ceux posés par le caractère comique du manga et par les jeux de mots, « face
cachée de la version originale », Naruto, « Présentation », tome 1.
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Grenoble : ELLUG.
• SMADJA, I. (2015). Harry Potter et la traduction interdite. Dans V. Douglas
(dir.), États des lieux de la traduction pour la jeunesse. Mont-Saint-Aignan : Presses
universitaires de Rouen et du Havre.
• STEINBERG, M. (2012). Anime’s media mix : franchising toys and characters in
Japan. Minneapolis : University of Minnesota Press.
• SAUSSURE (DE), F. (1906). Cours de linguistique générale (texte établi par C.
Bailly, A. Sechehaye, A. Riedlinger). Paris : Payot.
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J.-M. Rosier l’avait noté dès 2010, l’institution scolaire est désormais
accueillante envers des corpus moins patrimoniaux que par le passé. Si
la lecture à visée éducative d’œuvres issues de corpus légitimés reste
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prédominante, les lectures de plaisir sont admises et encouragées. Par ailleurs,
faisant suite à la fois aux reproches de technicisme dont se serait rendue
coupable la discipline du français dans son approche des textes et au désamour
des élèves pour la littérature enseignée, l’institution rappelle l’importance
de la littérature dans la construction de soi et prône un changement dans
le rapport aux textes, afin de faire place au sujet lecteur en classe et à la
dimension émotionnelle des œuvres. Les travaux de D. Bucheton (1999) ou
de J.-L. Dufays (2014) sur le lecteur et la didactique de la lecture nourrissent
cette conception d’une lecture investie, impliquée. Pourtant, l’écart reste
grand entre les corpus littéraires abordés à l’école et les gouts des adolescents,
et les exercices canoniques restent bien vivaces, favorisant l’émergence
du « texte objet » évoqué par D. Bucheton et, partant, la « pratique sans
croyance » évoquée par les sociologues1 . Mais alors, comment mettre en
œuvre la lecture impliquée que l’institution appelle désormais de ses vœux ?
Faut-il faire des œuvres relevant des cultures juvéniles des supports de lecture
à l’égal des œuvres patrimoniales ? Faut-il changer les modalités de lecture
de ces dernières pour qu’elles soient le support d’un rapport plus subjectif
aux textes ? Si la lecture distanciée reste l’horizon des pratiques scolaires
de lectures, il est possible de prendre en compte la capacité immersive des
textes en acceptant, à la suite de T. Pavel (1988), de faire de la lecture une
expérience émotionnelle, favorisée par un ensemble de stratégies textuelles.
Il ne s’agit donc plus de rejeter la dominante participative et empathique des
œuvres, mais bien de voir comment elle fonctionne sur les plans sémantique
et narratologique, aussi bien dans des œuvres issues des cultures juvéniles
que dans les classiques littéraires.
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pas de côté. Ainsi, l’un des genres évoqués par les adolescents dans l’étude du
CNL, le roman d’aventures est certes présent dans les programmes du cycle 3,
pour la classe de Sixième. Mais sous la rubrique « Récits d’aventures » sont
proposés, comme corpus possible, « un classique du roman d’aventures » et
« des extraits de différents classiques du roman d’aventures, d’époques variées
et relevant de différentes catégories ». Les manuels scolaires ne s’y trompent
pas et composent des corpus où domine la littérature patrimoniale ; les
œuvres moins légitimes peuvent être présentes2 , comme elles le sont dans
les listes d’œuvres proposées par le ministère, mais elles ne reflètent en
aucun cas la réalité des pratiques culturelles juvéniles. Rien d’étonnant, dans
ces conditions, à ce que le collège soit le moment de la rupture avec la
lecture conçue comme plaisir, rupture consacrée au lycée. Le rapport IPSOS
mentionne une baisse significative de la lecture à l’entrée en Seconde, en
particulier chez les garçons. Comme le dit L. Jenny, cet effondrement de
la lecture « a quelque chose de programmé par la discipline Français elle-
même » (2010 : 182). C’est que l’institution scolaire promeut toujours ce
qu’A. Vaillant nomme la « littérature nationalisée », qui incarne les valeurs
de la République et constitue un canon littéraire propre à imposer une
culture et une langue à une population scolaire de plus en plus hétérogène.
L’introduction dans la loi d’orientation et de programme de 2005 du premier
Socle commun de connaissances et de compétences, suivi en 2016 du Socle
commun de connaissances, de compétences et de culture, ainsi que les débats
réactivés sur le vivre-ensemble et les valeurs communes depuis le milieu des
années 2010, ont renforcé cette approche patrimoniale et à certains égards,
civique, de la littérature telle qu’elle s’enseigne. Les œuvres sont retenues
pour leur dimension humaniste et il s’agit, par leur fréquentation en classe,
2. Ce sont notamment des œuvres de littérature de jeunesse, telles que Le Jour des baleines
de M. Morpurgo dans le manuel Fleurs d’encre 6 e , Paris, Hachette Éducation, 2016.
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J. David, « la valeur des textes littéraires a été assimilée, pour l’essentiel,
à leur réflexivité critique – à la façon dont ils déconstruisent les autres
discours, aux ruses linguistiques par lesquelles ils déjouent les normes de la
langue, à leur statut de palimpseste intertextuel » (2014 : 24). Si le collège se
montre magnanime envers de tels corpus, le lycée consomme la rupture. Les
exigences de l’épreuve anticipée de français amènent enseignants et élèves
à reléguer les textes issus de l’horreur industrielle des romans à succès et
des littératures de genre dans un Enfer dont il ne saurait être question. La
lecture littéraire en classe, comme le soulignait, en 1993, B. Gervais, « fait de
la densité du sens son territoire de prédilection » (cité par Dufays, Gemenne
et Ledur 2005 : 88), et les romans à succès et autres littératures de genres,
censés répéter à l’envi des codes usés, n’auraient pas cette épaisseur.
À cet écart entre corpus scolaire et gouts juvéniles s’ajoute celui entre
pratiques de lecture scolaires et pratiques de lecture personnelles. La lecture
au collège comme au lycée est une lecture distanciée, au second degré,
dont l’enjeu est de faire connaitre et maitriser des outils, comme le note
T. Todorov : « Lire des poèmes et des romans ne conduit pas à réfléchir sur
la condition humaine, sur l’individu et la société, l’amour et la haine, la joie
et le désespoir, mais sur des notions critiques, traditionnelles ou modernes.
À l’école, on n’apprend pas de quoi parlent les œuvres mais de quoi parlent
les critiques. » (2007 : 19).
Autrement dit, qu’elle s’applique à des corpus patrimoniaux ou non,
la lecture littéraire scolaire est aujourd’hui encore une lecture d’expert,
qui favorise une posture analytique pour l’acquisition de savoirs (histoire
littéraire et culturelle) et de compétences expressives ou argumentatives. Elle
s’oppose à une forme de lecture première, jugée naïve, qui relève de la sphère
privée. Celle-ci se caractériserait par la priorité donnée à l’histoire racontée
et aux sentiments, par une identification sans réserve aux personnages et
par une adhésion aux valeurs politiques et morales de l’œuvre. On retrouve
ici des reproches adressés au XIXe siècle aux lecteurs de romans populaires
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« des connaissances culturelles et littéraires nombreuses et pertinentes », à
manifester des « capacités d’analyse, d’appréciation et de jugement ». Même
au collège, l’intellection reste primordiale, et le texte d’A. Vibert (2013)
sur le sujet-lecteur reste peu connu des enseignants, si nous en jugeons par
notre expérience auprès du public de formation continue.
Ainsi, à l’approche patrimoniale qui préside au choix de la majorité des
textes étudiés en classe se superpose une approche externe qui va faire du texte
le support d’acquisitions diverses, d’ordre narratologique, argumentatif ou
discursif. Parmi les trois visées de la lecture telle qu’elle s’enseigne, dégagées
par J.-L. Dufays (2014) : la visée patrimoniale (construire une culture
commune par des textes patrimoniaux porteurs de valeurs partagées ou
à partager) et la visée intellective (posture de lecture critique et réflexive)
l’emporteraient sur la visée éducative, qui entend développer la personnalité
globale et favoriser l’équilibre psycho-affectif de l’élève. Cela induit de
choisir un corpus de textes patrimoniaux avant tout et d’activer une
lecture distanciée de second degré. Pourtant, ces objectifs s’assortissent
désormais de la volonté de voir les élèves s’investir émotionnellement,
personnellement dans les textes. Comme le faisait observer L. Jenny en
2010, il y a une contradiction fondamentale entre l’injonction de trouver
« un accès personnel aux univers fictionnels pour se sentir concerné par
les débats éthiques qui s’y proposent » et la façon d’aborder les textes en
classe, par la voie du morcèlement (la pratique de l’extrait pédagogique)
et par ce qu’il nomme « l’usage exemplatif » (Jenny 2010 : 182, pour les
deux citations) et distancié des textes, qui se trouvent débarrassés de toute
portée émotionnelle, éthique ou même référentielle. Mais alors, faudrait-il
distinguer deux types de corpus scolaires, l’un permettant l’acquisition
d’outils et de savoirs dans une pratique distanciée, l’autre ouvrant la voie à
la lecture impliquée ? À ces oppositions nous préférons la notion de lecture
du premier degré, défendue par J. David, et une didactique de la lecture
immersive, quel que soit le corpus envisagé.
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l’enfance ne s’est jamais située en dehors de la littérature que lisent les
adultes », en même temps qu’était défendu son rôle d’accès à la littérature,
car « elle fait la courte échelle aux plus jeunes pour les introduire à l’univers
infini des lectures à venir »3 . Somme toute, la littérature de jeunesse n’était
qu’une propédeutique à la Littérature. Une telle conception est d’usage au
collège, par l’invitation à des liens entre des œuvres de la culture médiatique
contemporaine et des monuments de l’histoire littéraire. Au cycle 4, pour la
classe de Cinquième, le volet « Héros/héroïnes et héroïsmes », qui permet
l’étude de l’épopée et du roman de l’Antiquité au XXIe siècle, ouvre la voie
à l’étude de la figure du chevalier, par exemple avec une confrontation de
la figure du chevalier au Moyen-Âge à son incarnation plus moderne dans
l’univers cinématographique de Star Wars. Dans le même cadre, on peut
travailler sur les résurgences épiques de la trilogie Hunger Games (romans
de S. Collins et/ou adaptations filmiques) en étudiant l’héroïne et ses liens
avec les figures d’Artémis ou de Thésée. Une telle conception a le mérite de
prendre en compte, comme point de départ ou en guise de prolongement,
des éléments de l’encyclopédie culturelle des élèves, afin de leur montrer
quels sont les fondements culturels de ces univers et, par là même, de
leur rendre intelligibles des textes du passé, à la lueur d’univers textuels et
médiatiques qui s’en inspirent aujourd’hui.
Une autre approche consiste à faire des textes et documents issus des
cultures juvéniles des objets d’étude à part entière. Au lieu de distinguer le
bon grain de l’ivraie en établissant des hiérarchies entre œuvres commerciales
et littérature, on peut mener avec les élèves un travail sur les stéréotypes pour
montrer que leur usage, même non distancié, est conscient chez l’auteur,
tout comme il peut l’être chez le lecteur. L’œuvre saturée de stéréotypes
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
qu’est Fascination de S. Meyer permet de travailler sur les usages des codes
et stéréotypes du récit vampirique. La scène de sauvetage de l’héroïne sur
le parking du lycée, au début du roman, par E. Cullen, renvoie aussi bien
aux codes de la teen fiction : vie au lycée, groupes de pairs, inconfort de la
nouvelle venue, qu’à ceux de la fiction vampirique et du récit superhéroïque.
En effet, faisant preuve d’une rapidité et d’une force hors normes, le jeune
homme sauve Bella du véhicule hors de contrôle qui menace de l’écraser en
faisant un rempart de son corps. On peut sourire de cette reprise de motifs
éculés : demoiselle en détresse sauvée par le beau héros viril, rapidité hors
norme du vampire, force surhumaine du héros doté de (super)pouvoirs.
Ou l’on peut choisir de travailler, précisément, sur ces stéréotypes en tant
qu’ils sont assumés et réinvestis. La figure du vampire est reconfigurée dans
le genre de la romance, dans l’univers superhéroïque (et épique) et dans
celui des teen fictions qui mettent en scène des adolescents dans leur vie
quotidienne.
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Cependant, cette démarche n’est pas sans limites : elle court le risque
d’être toujours en retard par rapport aux pratiques culturelles adolescentes,
volatiles et par ailleurs peu homogènes. L’exemple même que nous venons
d’évoquer est en large part obsolète dans les références juvéniles. Aux fictions
vampiriques ont succédé des dystopies et des récits post-apocalyptiques. Par
ailleurs, rappelons, à la suite de l’anthropologue M. Petit (2002), qu’il est
difficile de transmettre le désir de littérature à l’école ou d’intégrer les corpus
désirés par les jeunes lecteurs dans des pratiques scolaires. La lecture est aussi
une activité de transgression et la part libératrice des lectures hors école n’est
pas négligeable. Aussi s’interroge-t-elle : « N’est-on pas tout autant en train
de déposséder l’adolescent de son espace quand on tente de le rattraper par la
manche en lui proposant des textes supposés lui ressembler ? » (Petit 2002 :
55). Pire encore, en tentant de récupérer à son usage ces corpus relevant des
pratiques de lecture adolescentes, « l’école ne s’arroge-t-elle pas là une sorte
de droit de regard sur un domaine éminemment intime ? » (Petit 2002 :
163). Reste qu’à la suite de L. Jenny, on plaidera ici pour une prise en
compte de corpus issus des cultures juvéniles ou dans l’orbite de ces cultures,
avec une extension médiatique, afin de proposer aux élèves une lecture
distanciée sur ces corpus. Mais il semble plus important encore, sur des
corpus de tout type, de pratiquer une lecture immersive et de plaider pour
la lecture de « premier degré ».
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également A. Compagnon, « le texte littéraire me parle de moi et des autres ;
il provoque ma compassion ; lorsque je lis, je m’identifie aux autres et je suis
affecté par leur destin : leurs bonheurs sont momentanément les miens »
(2018 : 63). Le texte met en place des stratégies pour que le lecteur délègue
un moi fictif qui expérimente l’action, qui se met éventuellement à la place
des personnages. Ainsi, il ne s’agit plus seulement de se demander comment
s’organise le contenu littéraire mais de se saisir « du quoi et du pourquoi
de la fiction » (Pavel 2003). C’est pourquoi la lecture au « premier degré »
n’est pas une lecture naïve mais une expérience d’immersion et d’altérité.
J. David dit ainsi que le lecteur « s’expose à une pensée autre, à des affects
insoupçonnés » (2014 : 25). Il rejoint T. Pavel ou M. Macé dans cette
réhabilitation du bovarysme qui a « lui aussi sa part inventive et surtout son
universalité ; il se trouve alors défini comme un pouvoir qu’a le lecteur de
“se concevoir autre qu’il n’estˮ » (2011 : 187).
Mais comment prendre cela en compte dans la pratique scolaire ? Il s’agit de
sensibiliser les élèves à la manière dont les œuvres ou plus largement certains
genres littéraires cherchent à impliquer leurs lecteurs, par des processus
d’identification (par la voix narrative, par exemple), par la catharsis et le
pathos (étude du lexique, de la syntaxe). Pour cela, à l’image de L. Jenny, nous
préférons l’étude d’œuvres intégrales, y compris en traduction, à l’analyse
d’extraits : on réservera ces derniers à l’acquisition de cette grammaire
littéraire qui sera à mobiliser pour la lecture immersive. Ainsi, il n’est pas
question de liquider l’approche externe des œuvres, issue des méthodes
structuralistes. En revanche, elle n’est plus envisagée per sui, mais comme
tremplin pour une approche interne, qui analyse comment ces procédés
sont mis en œuvre pour que le lecteur s’engage dans la fiction aux côtés
des personnages et s’intéresse aux raisons des actions représentées dans le
système des valeurs de ce monde fictif. C’est à ce prix que l’analyse des
œuvres de fiction pourra enrichir l’expérience individuelle et participer à la
construction de l’individu par la littérature que l’institution scolaire appelle
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aux personnages. En effet, l’immersion est favorisée par l’incomplétude du
texte, par les effets d’attente qui en résultent. Nous proposons ainsi, dès lors,
d’utiliser la tension narrative telle qu’abordée par R. Baroni (2017) pour
étudier les textes, pour réhabiliter le fonctionnement de l’intrigue comme
porteuse d’enjeux liés à l’interprétation, et non comme simple préalable.
Par sa dynamique et son évolution constante, l’intrigue crée une attente et
une anticipation chez le lecteur, qui littéralement l’intriguent, le poussent à
poursuivre sa lecture et donnent du sens au récit. Il est possible d’analyser
avec les élèves ce que R. Baroni nomme « les rouages de l’intrigue », dans
une articulation entre nœud et dénouement : « Le dénouement répond ainsi
aux incertitudes introduites par le nœud, qui apparait pour sa part comme
un inducteur de tension encourageant la participation active du lecteur à
l’élaboration du sens du texte » (2017 : 65). Il distingue entre deux effets de
la tension narrative : suspense et curiosité. La curiosité est liée à la rétention
d’informations dans le récit, qui pousse le lecteur à élaborer des hypothèses
à partir des indices présents dans le texte. Le suspense est lié aux incertitudes
créées par certaines péripéties et qui poussent le lecteur à faire des pronostics :
on ne dissimule pas des informations, on en retarde l’exposition. Si une telle
approche concerne avant tout la littérature narrative, on peut en revanche
l’utiliser aussi bien pour étudier La Modification de M. Butor que La Grande
Môme de J. Leroy ou 13 Reasons Why de J. Asher.
« La connaissance de la littérature n’est pas une fin en soi, mais une des
voies royales conduisant à l’accomplissement de chacun » (Todorov 2014 :
25). Ces propos de T. Todorov, qui font écho à ceux d’A. Compagnon
ou de M. Macé, semblent avoir été entendus par l’institution scolaire qui
met désormais en avant la dimension affective autant qu’intellective de
la lecture. Les pratiques, telles qu’elles se reflètent dans des évaluations
certificatives ou dans les appareils pédagogiques des manuels, peinent encore
à trouver les moyens de l’aborder. Depuis vingt ans pourtant, l’approche
critique de la littérature et de la lecture s’empare de cette dimension, après
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Natacha LEVET
Références bibliographiques
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• BAUDELOT, C., CARTIER, M. & DETREZ, C. (1999). Et pourtant ils
lisent...Paris : Seuil.
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alors ? Lecteurs d’un mauvais genre, des lecteurs en danger ? Belphégor, 9/1,
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Massol (dir.) Lecture privée et lecture scolaire. Grenoble : CRDP de Grenoble.
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• DAVID, J. (2014). Chloroforme et signification : pourquoi la littérature est-elle
si soporifique à l’école ? Études de lettres, I /, 19-32.
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dispositif didactique pour (ré)concilier les lectures du premier et du second degrés.
Études de lettres, I /, 133-150.
• DUFAYS, J.-L., GEMENNE, L. & LEDUR, D. (2015). Pour une lecture littéraire.
Histoire, théories, pistes pour la classe. Bruxelles : De Boeck.
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livre, <https://www.centrenationaldulivre.fr/fr/ressources/etudes_rapports_et_chiffres/
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Genève : Université de Genève,
<http://www.unige.ch/litteratures2010/contributions_files/Jenny%202010.pdf>.
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<http/eduscol.education.fr>.
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ou mauvais genres (roman policier, science-fiction, roman sentimental...)
en classe de français, en termes de développement de l’appétence pour la
lecture et l’écriture, et celui des compétences y afférentes. Or les genres de
l’imaginaire – et notamment celui de la fantasy –, qui investissent la fiction
écrite comme les écrans (cinéma, jeux vidéo) sont en essor constant depuis
une vingtaine d’années, au point de symboliser la culture de masse et les
cultures juvéniles. En nous penchant tout particulièrement sur la fantasy,
nous nous proposerons ici d’interroger le potentiel didactique de ce genre
en classe de littérature, notamment au regard des compétences de lecture
littéraire1 qu’il parait susceptible de développer chez des élèves de collège
comme de lycée.
1. Telles que les définit A. Rouxel, s’appuyant sur les travaux d’Umberto Eco.
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des anneaux, sans le souffle et la richesse initiaux, ce qui conduit à l’édition
de récits très stéréotypés, mêlant de manière assez figée les sous-genres les
plus fameux de la fantasy : « l’heroic fantasy de Howard et l’epic fantasy de
Tolkien, avec guerriers, elfes, nains, glaives et magiciens, quêtes et forces du
mal... » (Besson 2013 : 271). Par la suite, cet imaginaire « se diffuse auprès
des plus jeunes via un vecteur influent des années 1980, le livre-jeu » puis
par « “les livres dont vous êtes le hérosˮ, du nom de la plus célèbre collection
dédiée chez Folio Junior » (Besson 2013 : 271).
Le « phénomène Harry Potter » constitue ensuite le bouleversement que
l’on connait, ne serait-ce que sur le plan éditorial, entérinant le format du
cycle, révélant la porosité des frontières générationnelles dans le domaine des
littératures de genre, auxquelles il donne une nouvelle visibilité, et marquant
l’avènement du développement multi-support des œuvres à grand succès.
Mais ce que nous trouvons intéressant de souligner est la reconnaissance
rapide dont a bénéficié cette œuvre, peut-être par l’exploit qui consiste à avoir
donné le gout de lire à une génération réputée de plus en plus réfractaire,
et même à la faire écrire, via les fanfictions générées par l’engouement pour
le jeune sorcier et son univers. Cette reconnaissance a été marquée par
l’apparition de nombreux travaux soulignant sa richesse, que ce soit sur le
plan philosophique, imaginaire ou sociologique, le récit interrogeant à de
nombreux égards notre société. Dès 2008 un colloque à l’IUFM de Nice
interrogeait cet effet-miroir, tout en faisant valoir l’intérêt de l’œuvre en
termes d’éducation à la complexité (Biagioli, Bomel-Rainelli et Lozel, dir.,
2015)2 .
Or le récit de J.K. Rowling a permis de créer un appel d’air dans l’édition
française pour la jeunesse qui a donné l’opportunité à plusieurs auteurs
2. C’est dans la même académie que la chercheuse en didactique des lettres M. Brunel et
des enseignantes proposent une « mallette pédagogique numérique pour faire de la fanfiction
en classe de français » : <https://www.pedagogie.ac-nice.fr/fanfictionalecole/>.
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développement de la posture de sujet-lecteur chez les élèves en laissant plus
de place à la subjectivité dans la réception des œuvres, l’accent a été mis
sur l’importance de donner à lire aux élèves des œuvres susceptibles de
susciter leur adhésion immédiate, du moins en lecture cursive. C’est dans
cet esprit que, au nom d’une « sacralisation excessive de la littérature » jugée
contreproductive, P. Laudet, inspecteur général, évoquait significativement
la fantasy comme passerelle possible entre paralittérature et littérature
légitimée, juste après la mise en place des programmes de collège de 2008 :
Nos élèves lisent parfois plus qu’on imagine, d’Harry Potter à toutes les
productions mêmes douteuses de l’Heroïc Fantasy. Sans céder à la démagogie
ou à la facilité, il peut être stratégique et intéressant de partir des lectures
privées des élèves, et de forger leur jugement en les conduisant vers des
œuvres plus exigeantes. (Laudet 2009 : 5)
La lecture d’œuvres de fantasy et de science-fiction en particulier a été
favorisée par l’organisation des programmes de français pour le cycle 4 en
2015 en quatre grandes entrées pour tout le cycle, dont « Se chercher, se
construire »3 et « Regarder le monde, inventer des mondes »4 en classe de
Cinquième. Par ailleurs, les questionnements complémentaires en classe
de Quatrième (« La ville, lieu de tous les possibles ») et en Troisième
(« Rêves et progrès scientifiques ») ouvrent la possibilité explicite de lire
des romans policiers, des romans d’anticipation, des romans ou nouvelles
de science-fiction. En parallèle, la création des enseignements pratiques
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narratif et sociologique lui confèrent malgré tout une certaine légitimation.
5. Voir notamment les EPI « Sur les traces de Harry Potter » (français-anglais, académie
de Bordeaux) : <https://www.reseau-canope.fr/notice/un-epi-sur-le-theme-de-harry-potter.
html> et « À la découverte du musée virtuel Harry Potter » (académie d’Amiens) :
<https://edubase.eduscol.education.fr/fiche/16212>.
6. L’objet d’études « Roman et récit » peut par exemple permettre d’interroger par le biais
de la fantasy le registre du romanesque en Seconde et de donner à voir, en Première, des
réécritures de la légende arthurienne.
7. Voir par exemple sur Éduscol, Le Rendez-vous des lettres, 2015, thème 1 (« Renouveler
l’étude et l’usage des récits »), partie 1 : « Game of thrones en lycée professionnel » :
<https://eduscol.education.fr/cid89756/rendez-vous-des-lettres-2015.html>. Voir à ce pro-
pos A. Belhadjin (2010).
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Pinocchio, tandis que le voyage au pays des morts qu’accomplissent Lyra et
Will est directement inspiré de la mythologie grécoromaine10 . L’univers de
La Passe-Miroir de C. Dabos, composé d’Arches flottantes dont la Citacielle,
évoque en particulier la Belle Époque, les intrigues de cour du Versailles
du XVIIe siècle, mais aussi, entre autres, le monde oriental pour l’Arche
de Babel. On notera aussi la complexité des personnages ou leur caractère
très atypique dans les deux œuvres : les parents de Lyra et notamment sa
mère, à priori d’une noirceur absolue se révèle contre tout attente une mère
aimante ; parallèlement, Ophélie, l’héroïne de C. Dabos, est à rebours des
super héroïnes guerrières et pulpeuses qui peuplent d’autres romans ou films
de fantasy, mais elle est dotée d’une grande sagesse et d’une persévérance à
toute épreuve.
Les deux récits se présentent donc comme très atypiques par rapport à
certaines stéréotypies de la fantasy, comme les univers médiévalisants et les
personnages-types se répartissant de manière assez tranchée les rôles de bons
et méchants dans d’autres œuvres, notamment dans le domaine de l’epic
fantasy plus connue des élèves ; cela pourrait donner l’occasion d’un travail
8. On notera aussi dans les ressources Éduscol, pour l’entrée « Progrès et rêves scientifiques »
(Troisième), la présentation d’un panel de lecture très riche, dont une rubrique est consacrée
au steampunk où entrent aussi des romans graphiques, des BD, des mangas (on y trouve
d’ailleurs La Passe-Miroir de Christelle Dabos évoqué plus loin), <http://eduscol.education.
fr/cid99197/ressources-francais-c4-questionnements-complementaires.html#lien3>.
9. « His Dark Materials » est l’extrait d’un vers du Livre II de Milton.
10. Tome 3, chap. 21-23 ; chap. 26. Dans la Nouvelle revue pédagogique, n° 8 de mars
2008 consacré à l’« heroic fantasy », on remarquera l’excellent dossier de J.-M. Bourguignon
(pp. 9-15), puis la très riche séquence sur l’univers de la fantasy (pp. 16-26), qui donne
justement à voir l’intertexte grec antique en ce qui concerne les daemons, animaux liés pour
la vie à des êtres humains dans la trilogie.
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d’analyse d’image, de se pencher, d’une part, sur les codes visuels de la fantasy,
particulièrement de l’epic fantasy, très identifiables, et d’observer comment
ils se déclinent selon les médias (illustrations, cinémas, jeux vidéo) ; d’autre
part, les élèves, parallèlement à l’étude d’une œuvre, peuvent être amenés
à s’intéresser à l’univers graphique qui lui est associé, à la fois de manière
diachronique et synchronique, afin de voir de quelle manière différents
artistes, selon leurs objectifs, se la réapproprient, selon leur sensibilité et leur
objectif.
Ajoutons que la comparaison entre le récit d’origine et son adaptation
ou l’une de ses adaptations cinématographique(s), si elle est intéressante au
plan narratif, afin d’interroger ce qui a été gardé, supprimé ou accentué
au sein du fil narratif de l’intrigue, permet aussi d’entrer dans les coulisses
de la fabrication de cet univers visuel ; de ce point de vue, la collaboration
des deux illustrateurs les plus reconnus de l’œuvre de Tolkien, John Howe
et Alan Lee pour l’élaboration des décors, des objets lors de l’adaptation
cinématographique du Seigneur des anneaux à la fin des années 1990 par le
réalisateur Peter Jackson peut être intéressante à étudier à partir de quelques
exemples, comme Hobbitebourg, inspiré du site de Matama à partir d’une
photographie (Falconer et Jackson 2018 : 18). P. Jackson déclare par ailleurs
avoir choisi comme cadre de tournage son pays, la Nouvelle-Zélande, parce
qu’il lui trouvait des points communs avec la Comté de Tolkien, endroit
isolé, verdoyant et vierge de toute empreinte industrielle.
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qu’il se fait sur le livre, puis son itinéraire au sein du Pays fantastique12 ,
qui lui permet d’être un autre, de devenir un héros, de vivre des aventures
extraordinaires, à tel point qu’il finit par se laisser atteindre par l’hybris qui
le mène à l’égoïsme et à la tyrannie13 , puis le retour de la lucidité qui se
traduit par un parcours initiatique marqué par un regressus ad uterum14 avant
le cérémonial ultime qui lui permet de revenir à sa vie, mais transformé.
Ce parcours montre par l’exemple de quelle manière s’élabore le texte du
lecteur (Mazauric, Fourtanier et Langlade, dir., 2011), ce à quoi répond la
déclaration de M. Koreander à la fin du livre : « Chaque véritable histoire
est une Histoire sans Fin » ; on pourra également faire remarquer aux élèves
que le nom de l’auteur, qui veut dire « fin » en allemand, aboutit en ce
qui concerne le titre original de l’œuvre à dire aussi que c’est une histoire
sans auteur – ce qui n’est peut-être pas que pure coïncidence, justement
parce qu’elle est celle de son lecteur... Les élèves pourraient être invités à
confronter par ailleurs certains extraits de L’Acte de lecture de W. Iser paru
en Allemagne en 1976 avec des passages du récit qui leur semblent y faire
écho ; en effet, cet essai envisageant la lecture comme processus dynamique a
justement représenté un jalon fondamental dans l’avènement des théories de
la réception. Ils pourraient par ailleurs être invités à raconter, par écrit, des
expériences de lecture et ce qui a constitué pour eux un véritable évènement
de lecture.
Cette « métalecture » pourrait se prolonger par la lecture de quelques
extraits ou par l’évocation de la trilogie Cœur d’encre, qui a remporté un
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grand succès éditorial et que la plupart des élèves connaissent sans doute. Le
dénouement de la trilogie est particulièrement intéressant dans la mesure où
il semble prendre le contrepied de L’Histoire sans fin, en ce sens que Meggie
et ses parents prennent la décision de rester, du moins pour un temps, dans
le monde de la fiction où ils avaient basculé ; cependant le petit dernier,
qui n’a connu que le monde fictionnel, manifeste un grand attrait pour le
monde « réel » qui lui parait plus insolite... Les questions de l’escapisme
(particulièrement reproché au genre de la fantasy) et des dangers de certaines
lectures ayant été beaucoup posées par la fiction elle-même, à commencer
par Don Quichotte 15 , il peut être tout à fait intéressant que les élèves soient
amenés à débattre du choix de l’auteure16 .
Nous souhaiterions, pour terminer, juste donner à lire un extrait de la
trilogie Aerkaos de Jean-Michel Payet (2007), dans laquelle l’imagination
créatrice apparait comme une activité génératrice de nouveaux mondes :
Cela commence par un rêve, peut-être, et peut-être par un désir. Surement
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un désir. Lorsque quelqu’un, quelque part, imagine une histoire, un poème,
un chant, lorsqu’il crée un personnage, qu’il conçoit un décor, noue une
intrigue, déjà, il enclenche le processus. C’est à ce moment précis qu’un
monde se crée. (Payet 2007, t. 3 : 225-226).
Précisons que certaines œuvres interrogent un autre mode d’immersion
fictionnelle qui est celui du jeu vidéo17 , que nous ne pourrons malheu-
reusement développer ici, mais il pourrait être intéressant de voir à cette
occasion avec des élèves de quelle manière se pose la question de l’immersion
fictionnelle selon le média ou le support ; par ailleurs, les récits de fantasy
étant de plus en plus transmedia il pourrait être intéressant, pour un même
récit, de comparer ses déclinaisons sur différents supports et ce que cela
induit en termes de choix narratifs et esthétiques selon le média.
Nous terminerons en soulignant par ailleurs que la fantasy comme la
science-fiction, qui intègrent de plus en plus des problématiques écologiques,
des réflexions sur l’usage des sciences et des technologies, sur celui du pouvoir,
permettent aussi un enseignement de la littérature (et la lecture littéraire)
par les valeurs. On peut penser – et c’est ce que nous souhaitions monter –
que le genre comme l’ensemble des littératures de l’imaginaire, qui semblent
trouver leur place au collège, puisse davantage encore côtoyer l’étude des
textes plus classiques ou des textes patrimoniaux au lycée18 . Nous sommes
15. Voir par exemple la réaction violente du père de Julien Sorel trouvant son fils en train
de lire dans Le Rouge et le noir de Stendhal.
16. P. Pullman a fait le choix inverse et extrême pour ses personnages qui doivent revenir
dans leur monde respectif au prix d’une douloureuse séparation, car « les fenêtres [des
mondes fictionnels] doivent se refermer », afin que les lecteurs, enrichis par leur expérience
fictionnelle, puissent vivre leur vie.
17. Voir par exemple L’Attrape-Mondes de Jean Molla, Paris, Gallimard, 2003.
18. Nous rappelons l’existence de l’exposition BNF dédiée à Tolkien qui, pour le coup, a
fait la passerelle, par ses récits, entre la littérature épique médiévale et la fantasy.
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persuadées en effet que les deux pourraient tout à fait faire bon ménage,
pour le plus grand profit des élèves.
Isabelle OLIVIER
Références bibliographiques
• BELHADJIN, A. (2010). La place de la littérature de genre dans l’enseignement
du français en LP. Dans B. Louichon & A. Rouxel (dir.), Du Corpus scolaire à la
bibliothèque intérieure (pp. 251-260). Rennes : Presses universitaires de Rennes.
• BESSON, A. (2013). À nouveau public, nouveau genre ? Le cas de la fantasy
contemporaine. Dans P. Clermont, L. Bazin & D. Henky (dir.), Esthétiques de
la distinction : gender et mauvais genres en littérature de jeunesse (pp. 269-283).
Bruxelles : Peter Lang.
• BIAGIOLI, N., BOMEL-RAINELLI, B. & LOZEL, R. (dir.) (2015). Harry
Potter : la crise dans le miroir. Réflexivité, conflits et éducation à la complexité
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dans l’œuvre de J.K. Rowling dans ses prolongements par le jeu, la lecture et la
réécriture scolaires et privées. Université de Nice-Sophia Antipolis & ÉSPÉ, édition
électronique.
• BLANC, W. (2018). Illustration. Dictionnaire de la fantasy (pp. 183-189). Paris :
Vendémiaire.
• DAVOUST, L. & RIVERA, J.-L. (2018). Steampunk. Dictionnaire de la fantasy
(pp. 368-371). Paris : Vendémiaire.
• FALCONER, D. & JACKSON, P. (2018). La Terre du Milieu : des romans à
l‘écran. Paris : Huginn & Muninn.
• LAUDET, P. (2009). Place et enjeux de la littérature dans les nouveaux pro-
grammes du collège. Site Éduscol, « Les Nouveaux programmes de français au collège ».
Paris : ministère de l’Éducation nationale, <http://cache.media.eduscol.education.
fr/file/actes/72/5/actes_francais_au_college_124725.pdf>.
• MAZAURIC, C., FOURTANIER, M.-J. & LANGLADE, G. (dir.) (2011). Le
Texte du lecteur. Bruxelles : Peter Lang, coll. « Théo Crit », vol. 2.
• PAYET, J.-M. (2007). Aerkaos, tome 3. Paris : Panama.
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Pierre BRUNO
POSTFACE
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POSTFACE
Pierre BRUNO
Institut universitaire
de technologie de Dijon
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appropriations, ni leur évolution. La question se trouve en effet à la croisée
de deux dynamiques. Celle, tout d’abord, de sa reconnaissance progressive
corrélée à la reconnaissance de son objet, les cultures ou pratiques culturelles
de la jeunesse. Celle, ensuite, de l’évolution des conditions extérieures de
son expression : « valeurs » dominantes, orientations politiques, dynamique
du champ universitaire...
Ainsi les positions du Français aujourd’hui depuis ses origines, comme dans
ses numéros plus récents, se démarquent des visions, trop évidentes, trop
simplistes, selon lesquelles la reconnaissance des nouveaux corpus, de par leur
proximité avec les nouveaux publics scolaires, suffirait à réduire les fractures
éducatives. Cette continuité ne doit pas dissimuler, plus globalement, la
diversité des perspectives liées, pour beaucoup, au caractère tardif de nos
connaissances sur les pratiques culturelles des jeunes. Au début de cette
décennie, dans un même numéro des Cahiers pédagogiques1 , selon les articles,
existait une ou plusieurs, voire aucune culture juvénile. Selon ces articles
encore, ce terme pouvait recouper l’ensemble des pratiques d’une classe
d’âge, la contre-culture d’une jeunesse populaire ou une pratique émergente
(TIC...). De fait ces divergences pouvaient apparaitre comme subsidiaires
dans la mesure où la question fondamentale portait sur l’articulation entre
« la » culture centrale de l’école et « des » cultures dites « jeunes » qu’il n’était
pas indispensable de définir plus précisément, contrairement aux modalités
de travail autour de ces objets disciplinaires.
S’il est possible de dégager des tendances – au risque de généralisations
abusives –, nous pourrions observer sur la durée un recul de l’illusion
essentialiste qui ferait des « jeunes », des « ados », des « collégiens »... des
populations homogènes ou qui, sous couvert de parler de la globalité de
1. « Culture de l’école, cultures des jeunes », Cahiers pédagogiques, coord. Nicole Priou, n° 486,
janv. 2011, pp. 9-60.
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
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sur la qualité littéraire des productions culturelles ni sur la spécificité
des compétences mobilisées pour leur lecture, mais avant tout sur leur
inscription dans le quotidien des nouveaux publics. Les premiers articles
sur la littérature pour la jeunesse seront très critiques sur la valeur de ces
textes, tout particulièrement sur leur idéologie alors que progressivement
la reconnaissance d’une « bonne » littérature jeunesse sera justifiée par leur
valeur littéraire proche sinon égale à celle des textes patrimoniaux3 . Comme
nous l’avions déjà évoqué dans des numéros précédents du FA4 , la continuité
apparente des revendications ne doit pas dissimuler l’évolution profonde
de leur fondement depuis les motivations de la fraction progressiste des
enseignants de français jusqu’à leur mise en œuvre institutionnelle, dans les
décennies suivantes. Sans doute pourra-t-on y voir de manière évidente –
trop sans doute – l’influence des gouvernements ayant opéré des révisions
politiques par choix ou contraintes. Mais, comme nous le rappelle P.
Coulangeon5 , il ne faut pas négliger le poids des classes ascendantes et
2. Voir par exemple sur cette question : Un quart des jeunes vivent dans des territoires
distants des services favorisant leur insertion sociale et professionnelle, de P.-S. Lèbre & R.
Bordet-Gaudin, Insee - Analyses Bourgogne-Franche-Comté, n° 27, paru le 20/02/2018
(disponible en ligne).
3. Évolution dénoncée par certains acteurs de la littérature jeunesse comme Thierry Lenain :
« Il y a quelques années, les choses étaient simples. Il y avait d’un côté LA littérature, et de
l’autre, carrément à l’opposé, les livres pour les enfants. Et ceux qui aimaient les livres pour
enfants protestaient : “Eh ! Oh ! Ici aussi c’est de la littérature !!!ˮ. Ils protestèrent si fort
qu’on finit par s’intéresser à cette création qu’ils défendaient avec tant d’ardeur. Mais j’ai
comme l’impression qu’on est venu là avec les mêmes certitudes et mauvaises pratiques : on a
daigné se pencher sur les livres pour enfants, mais pour y opérer le même tri, avec les mêmes
pincettes, pour y effectuer la même dichotomie – mais à l’intérieur de la place. Ça c’est de la
littérature, ça ça n’en est pas... En se fichant pas mal des enfants, d’ailleurs. »
4. M.-F. Bishop, P. Bruno & V. Youx (dir.), « Enseigner, militer... Crise et mutations du
métier », Le français aujourd’hui, n° 171, 2010.
5. P. Coulangeon, Les Métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France
d’aujourd’hui, Paris, Grasset, 2011.
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Postface
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sensibiliser à la lecture littéraire ou pour d’autres, promouvoir une autre
lecture dite de « premier degré ».
Par ailleurs, un consensus semble émerger sur la capacité de ces nou-
veaux objets à permettre le croisement et l’élargissement des perspectives
didactiques (comme les mangas permettant une diversité des entrées et
des approches critiques en tant que littérature jeunesse, œuvre traduite et
œuvre transmédiatique). Ainsi, les déclinaisons multimédias de certains
titres permettront de croiser une approche littéraire et une analyse filmique,
et le slam permettra, lui, un travail sur l’écriture poétique mais aussi sur la
prise de parole.
Ce croisement des approches autour d’un même objet est d’autant plus
important que l’introduction de ces corpus se voit prêter une grande
diversité de fonction : modifier les pratiques culturelles (donner le gout de
lire) ; développer des compétences (lecture critique ou progrès en écriture) ;
contribuer à la formation citoyenne du lecteur par la transmission de valeurs
(écologie, respect de l’environnement par le biais de la fantasy) ; voire peser
plus précisément sur les logiques sociales inégalitaires ou discriminatoires
(par un travail sur l’oral).
Sans doute peut-on supposer que la diversité des appropriations de ce
corpus, comme celle des fonctions qui peuvent lui être prêtées, explique,
pour une large part, son audience. Pour autant on ne peut négliger la
nécessaire clarification de la question des inégalités et plus précisément du
rôle des inégalités culturelles dans le maintien ou la remise en cause des
inégalités sociales (diplômes, salaire, espérance de vie...). Cette question
est à replacer aussi dans le cadre de la mondialisation de l’enseignement
supérieur et du poids croissant des normes anglosaxonnes. On observe,
sur la durée des évolutions notables, de nouveaux concepts (pop culture)
ou de nouvelles influences (cultural studies, gender studies, black studies...),
dont le succès tient à la fois de la nécessaire prise en compte de formes de
domination longtemps sous-estimées mais aussi de la mondialisation des
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
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contraire, en réduire le champ.
Pierre BRUNO
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CHRONIQUES
Yann MIRALLES
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CHRONIQUE « POÉSIE »
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mais surtout avide d’inventions formelles, lexicales, rythmiques2 , aux
mots des autres (que ces autres soient des auteurs reconnus « montés »
lors de spectacles, des enseignants en formation, de jeunes élèves croisés
lors de diverses interventions... et bien d’autres personnes dont les
textes ont pu faire l’objet de mises en voix et d’enregistrements3 ). Dans
l’une ou l’autre des « formes » (puisqu’on parle de poète polymorphe)
ou positions qu’il peut adopter, dans toutes les situations de lecture-
écriture dont il peut être l’initiateur ou le témoin, se dit en tout cas ce
que lui-même nomme « fulgurance » ou « explosion », et qui est tout
simplement « une énergie qui résulte de la rencontre entre le corps et le
langage », « une rencontre à chaque fois renouvelée avec cette matière
vivante et pétrissable que sont les mots »4 . P. Berthaut peut donc bien
se nommer « stylite » de ce « champ de lave »5 ; l’homme n’en est pas
moins avide de rencontres et de croisements d’expériences, et puisqu’il
vient d’une terre où le rugby est roi, nous dirons que tout prouve au
contraire qu’il sait jouer collectif !
1. Erès, 2005.
2. Philippe Berthaut a publié une quinzaine de titres. J’en signale quelques-uns : Le Chant
flipper, Tribu, 1981 ; Récits du pays jonglé, La Diagonale d’Espalion à Lavaur, L’Éther
vague - Patrice Thierry, 1995 ; les plus récents Cahier de désécriture, Publie.net, 2015
et Puits que de dire, Trames, 2019. Les différentes publications sont consultables sur
<http://www.lachaufferiedelangue.net/HTM/philippeberthaut.htm>.
3. La discographie de P. Berthaut est composée de mises en musique de poèmes de Reverdy,
Juarroz, Guillevic, Thierry Metz, etc., d’enregistrements dans des classes de collèges et lycées,
et du projet « Histoires chantées », treize cassettes et deux CD édités entre 1990 et 2002.
4. Ces mots sont extraits de la belle préface à Motager de poèmes, Ou comment jardiner le
langage pour faire pousser des poèmes, Toulouse-action-chanson, 2005, livre à priori pour les
enfants, mais dont l’auteur dit bien que la préface est « À l’attention des grands... ». Manière
de souligner sans doute que le poème est pour tous, ici comme ailleurs !
5. « Le stylite du champ de lave » est le titre de la première section du Champ de lave,
éditions Nouvelles Loubetières, 2008.
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
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YM : Les titres de plusieurs de tes livres (Le Chant flipper, Récits du
pays jonglé, Le Pays jonglé), le lien constant que tu tisses entre l’écriture
du poème et sa profération, tout comme (je crois savoir) tes débuts
en poésie6 , semblent faire émerger, te concernant, la figure du poète
comme saltimbanque, voire troubadour (et pas vraiment « stylite »,
malgré ce que tu en dis dans un ouvrage !) : celui qui joue et chante
pour, par, avec les autres. Acceptes-tu cette appellation pour tenter de
définir ton parcours ?
PB : Bien difficile de définir clairement son parcours. Mon enfance
fut espalionnaise (Aveyron) géographiquement et historiquement.
Géographiquement, il y eut la beauté du paysage qui construisit mon
imaginaire, historiquement parce que la vie dans les années 1950 et 60
n’était pas encombrée d’images, de sons. On était au monde dans un
certain dénuement. Dans un rapport physique à la nature qui n’existe plus.
Cette enfance ne m’était pourtant pas heureuse et j’ai commencé assez tôt
à fuir dans l’écriture (je rêvais de « Re-nativité », mot que j’avais inventé,
influencé certainement par un catholicisme qui imprégnait très fortement
le quotidien des corps et des âmes). Nous étions aussi apparentés (parait-il)
à un poète local (Henri Combes) qui écrivait des poèmes on ne peut plus
classiques à la gloire du lieu. Bien loin de Rimbaud qui ne m’a pas parlé
tout de suite. Il y avait dans mon premier rapport à l’écriture de l’évitement
du réel pénible et un salut possible. Ensuite j’ai quitté Espalion pour une
école militaire à Aix-en-Provence (celle de Charles Juliet dans L’Année
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Poésie
de l’éveil, à presque vingt ans d’écart). Et je m’y suis épanoui. Non pas
pour une carrière militaire mais étonnamment pour un avenir poétique.
C’était en 1968 et les écoles militaires s’ouvraient un peu. C’est là que j’ai
commencé à créer mes premières chansons et à mettre en musique mes
premiers poètes (Rilke, Éluard, Apollinaire) que je chante encore avec
plaisir. Ensuite Toulouse, la fac de lettres et les premiers spectacles à la
Cave-Poésie du merveilleux René Gouzenne. Ma relation profonde au lieu
s’était déplacée à Toulouse, que j’ai alors chantée dans des chants-trajets
puis dans un chant-flipper (construit comme une partie de flipper) qui
fit resurgir le pays d’enfance et l’Aubrac. Ce chant-flipper est devenu un
film FR3 Midi-Pyrénées en 1984 où j’ai eu l’étrange plaisir d’être filmé
dans ce pays d’enfance (en face/enfance), errant dans les rues espalionnaises.
C’est à partir de ces années-là que j’ai décidé désormais de nommer tout ce
que j’écrivais sous le terme générique de « Pays Jonglé ». En hommage à
Sainte Foy de Conques, que les troubadours nommaient « La joglaresse »
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(jongleuse en occitan) parce qu’elle était parfois facétieuse et jouait des
tours. Un jour que les moines avaient refusé aux pèlerins de passer la nuit
dans l’église au motif qu’ils chantaient des chansons paillardes, Sainte-Foy
rouvrit les portes. Elle apparaissait aussi avec Saint-Michel et Saint-Gabriel
dans les rêves des riches aveyronnaises pour leur soutirer de l’argent. Avec
ce « pays jonglé » je réunissais le réel et l’inventé, le chant et l’écrit, mon
écriture et celles des autres.
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
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chance a été de n’avoir pas subi les ateliers d’écriture comme une obligation
d’action culturelle mais comme un territoire d’écriture neuf où l’invention
des « dispositifs » est un vrai bonheur.
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Poésie
poèmes souvent proposées dans les ateliers d’écriture, pour opter plutôt
pour des « dispositifs » qui permettent un tressage entre une attention
fine portée aux signifiants et un souci de la force de subjectivation
propre aux poèmes – ce que tu appelles la « lave » comme synonyme
à la fois de « langue, désir, sève » (il faut, dis-tu en conclusion de ce
livre, « déplier en nous les pliures anciennes par lesquelles chemine
cette lave, et préparer les sentiers neufs de son écriture »). Peux-tu tracer
brièvement les contours de la méthode-Berthaut ?
PB : J’ai construit ma méthode sur un trajet menant de la lettre au livre.
La relation à la lettre alphabétique est notre première aventure d’écriture.
Certains en gardent souvenir d’autres non. Mais cette expérience intime a dû
profondément changer notre rapport au monde et aux autres. Il s’agit d’abord
de réveiller en nous une conscience enfouie de notre rapport à la lettre et
d’aiguiser un regard plus attentif à la mécanique combinatoire des lettres.
Libérer cette combinatoire de son usage habituel (de son figement ?), ne pas
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faire fi de cette évidence que changer une seule lettre dans l’ordonnancement
du mot bouscule le sens. Jusqu’à aller creuser dans ses nom et prénom pour
y trouver un lexique neuf s’il s’agit de parler de soi. Cette attention insistante
à la lettre est aussi pour moi une entrée royale dans le poème. Lisez « L’eau
dort », poème de Pierre Reverdy, admirez la combinatoire des lettres et
des sons bien loin de la simple rime ou assonance. Le poème est le plus
merveilleux des outils pour écrire en atelier mais aussi pour le partage de
la lecture. Autre chose importante pour moi en atelier, c’est de travailler
collectivement avec les mêmes éléments, les mêmes mots, les mêmes phrases.
Ce « même » est fondamental pour faire surgir « l’autre » que chacun porte
en son écriture : la capacité de chacun de combiner à sa façon. Et comme
on reconnait dans le texte de l’autre les éléments communs, l’écoute est
plus riche. Trop d’altérité dans les textes rend la lecture plus ingrate. Je
construis ces dispositifs pour prendre conscience des relations entre les mots,
des relations entre les phrases, des relations entre blocs de phrases jusqu’à la
construction d’un « livre », c’est-à-dire d’un ensemble qui pourra être jugé
abouti. Les dispositifs servent à canaliser le flux d’écriture. Cette « lave » que
tu as relevée. J’aime bien aussi l’image plus quiète du jardin : on prépare la
terre avant de semer et d’irriguer. Ma méthode est assez simple, nourrie par
l’expérience, elle veut faire comprendre que la relation au langage est autant
physique qu’intellectuelle. Se pencher longuement sur les mots démembrés,
les pétrir sans cesse, constamment les bouger jusqu’à ce qu’ils rejoignent en
nous le sens que nous désirons.
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
PB :
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Cela se passait sous les branches du rosier
Et tu as attrapé au vol le mot de bronchage
Pour dire quelque chose à ton corps.
(Cahier de désécriture)
(Cahier de désécriture)
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Poésie
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un champ (un chant !) de forces ?
PB :
J’ai écrit ce recueil (que j’ai par la suite mis en mélodie et enregistré et
que je considère comme mon travail le plus abouti) alors que j’habitais un
presbytère dans le Volvestre (Haute-Garonne) face aux Pyrénées. J’y retrouve
ce renversement que le langage opère en nous lorsque le poème s’écrit mais
aussi le sentiment profond que nous ne saurons jamais proférer qu’une partie
du poème que nous écrivons. L’autre moitié (les « autres moitiés ») habite
l’écriture de l’autre. Une des choses qui m’ont le plus fasciné dans les ateliers
d’écriture c’est que, quelle que soit la qualité du texte que j’ai écrit (à partir
des dispositifs proposés et donc communs à tous), il manquera toujours ce
que les autres auront écrit. Quant à l’écriture numérique, j’y voyais plusieurs
intérêts. D’abord permettre une diffusion plus importante des recueils de
poésie, trop souvent difficiles à trouver. Un prix très abordable. Pour les
personnes qui n’aiment pas lire sur ordinateur ou tablette ou e.book il me
semblait que la lisibilité des poèmes généralement assez courts et respirant
bien sur l’écran autoriserait là aussi une plus grande diffusion. Publie.net m’a
accueilli pour trois recueils, mais hélas les lecteurs n’ont pas suivi. L’autre
intérêt pour moi résidait dans les possibilités de visualiser les mouvements
de combinatoires que la seule dimension de la page ne permet pas. J’ai tenté
l’expérience avec les « routes captives » mais je me suis heurté à des difficultés
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
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Des évidences, des portraits, des seuils d’incohérence
Et le bruit de l’avion dans la fenêtre sale.
Les mains écrivent silencieuses, ouatées,
Ce qui n’arrive pas, arrive, se détruit
Des avalanches d’heures et le temps échoué
Sur la page d’hiver.
Répit. Récit. Écrit dans l’argile, dans la poterie cuite
Au four du corps.
À la poterne un mot vif cherche à s’échapper
Dans la couleur des prés.
Des pluies. Ailleurs. Pour jointer. La joie. La liane.
Des élans d’eau partout où se joue le reflet
Ecrire balbutie dans les veines fermées, fait sortir,
Fait quitter la page abandonnée à sa friche de neige.
Dehors le roulement de la langue en faillite
Un tapis dans l’oreille, eau lâchée, poulie grinçante
La forme atténuée d’un souci impérieux
Dans la navigation première d’écrire attablé à soi
Puis le silence intervient et raidit l’espace.
30/01/2013 (Poème inédit)
Philippe BERTHAUT
avec la complicité de
Yann MIRALLES
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NOTES DE LECTURE
OUVRAGES
Cet ouvrage, préfacé par Yves Reuter et postfacé par Philippe Meirieu, présente toutes les
étapes de réalisation d’un projet pédagogique complet : de sa genèse à sa mise en œuvre, sans
oublier l’étude d’impact. Il se situe conjointement dans le champ de la recherche-action,
de la pédagogie de projet et de la formation initiale et continue des enseignants. Marlène
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Lebrun, enseignante-chercheure à la Haute école pédagogique (HEP Béjune, Suisse), a fédéré
un groupe d’enseignant.e.s et de formateurs et formatrices du primaire (Michel Boil, Gaëlle
Flury, Enrique Lenglet, Justine Rérat-Kaiser, Françoise Villars-Kneubühler), pour élaborer
ce qui est à la fois – et c’est son originalité et son intérêt – un compte-rendu d’expérience,
la présentation d’une recherche-action et un modus operandi que chaque pédagogue et
didacticien peut s’approprier pour son compte. Le collectif présente le travail collaboratif
engagé autour d’un projet d’établissement, La Nuit du loup, mené dans une école primaire
du Jura suisse, et qui a occupé pendant une année entière quatre-cent-cinquante élèves de
4 à 12 ans, quarante enseignant.e.s, et s’est finalisé sous la forme d’une soirée présentant
plus de vingt projets, ouverte aux parents et largement suivie par les médias locaux. L’accent
est surtout mis sur le work in progress qui a permis la réussite du projet : la dynamique
d’engagement et de mobilisation d’un groupe d’enseignants, de formateurs et de chercheurs,
autour d’un séminaire de recherche d’abord, puis d’une équipe enseignante, enfin d’un
établissement scolaire tout entier – élèves compris – dans le respect des rythmes et des degrés
d’implication de chacun.
Cette synergie de tous les acteurs ouvre sur un total décloisonnement des classes
et des disciplines, avec pour maitres-mots : coopération et collaboration, au service du
développement des compétences et des apprentissages des élèves, dans et par la pédagogie
active chère à Philippe Perrenoud. L’approche est résolument pratique, sans aucune intention
modélisante, ce qui en fait toute la reproductibilité, quel que soit le contexte : le projet s’est
construit et fédéré non en fonctionnement bureaucratique, mais en bricolage, là encore cher
à P. Perrenoud, qui en fait le modèle du travail de l’enseignant, à la suite de C. Lévi-Strauss
qui, dans La Pensée sauvage, oppose le bricoleur à l’ingénieur :
Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de l’ingénieur, il
ne subordonne pas chacune d’entre elles à l’obtention de matières premières et d’outils, conçus et procurés à
la mesure de son projet : son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est de toujours s’arranger avec
les "moyens du bord", c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au
surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs
avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées
de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec le résidus de constructions et de destructions
antérieures [...]. (1962 : 27)
Cet ouvrage est ainsi destiné à tous les chercheurs, enseignants, étudiants, formateurs...
bricoleurs et ne dédaignant pas de changer de casquette. Néanmoins le bricoleur, s’il sait
s’adapter, ne perd pas de vue son cadre ni ses fondamentaux : La Nuit du loup est ainsi un
projet très solidement étayé, et ancré tant dans les prescriptions institutionnelles que dans
les avancées de la recherche ; les enjeux de (dé)construction des stéréotypes littéraires et leur
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
articulation avec la construction du sujet lecteur, l’appropriation des schèmes culturels par
les élèves dans un processus d’interculturation, sont également précisément explorés.
La première partie pose les fondamentaux. Le premier chapitre est ainsi tout entier consacré
à l’analyse des textes officiels cadrant les projets d’établissement et leurs enjeux didactiques
et pédagogiques ; le suivant ouvre alors sur la genèse de La Nuit du loup et sur la dynamique
d’implication des acteurs. La seconde partie est consacrée à des exemples variés – et très
précisément explicités – de projets collaboratifs interdisciplinaires mis en œuvre dans les
classes, selon le cadre précédemment posé. Les derniers chapitres apportent, quant à eux,
une dimension réflexive, tant du point de vue des apprentissages et des savoirs mobilisés que
des enjeux interculturels : compte-rendu d’une recherche menée en aval par des étudiants,
via des questionnaires autour de la construction du personnage « loup » chez les élèves, et
permettant de mesurer l’impact du projet un an après ; focus sur les tribulations du loup
dans le Petit Chaperon rouge ici et ailleurs, des origines à nos jours, pointant l’actualité d’un
personnage qui permet aussi bien de penser l’angoisse de dévoration, le passage à l’âge adulte,
que la question de l’égalité des sexes.
Parce qu’il répond à des questions vives, le projet de La Nuit du loup est donc également
articulé à des enjeux sociétaux forts, et rappelle par conséquent la nécessité de dé-sanctuariser
l’école : l’ouvrir aux médias, aux parents, est aussi reconnaitre son ancrage dans la cité et son
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rôle dans la formation de futurs citoyens qui auront reçu une éducation à la collaboration et
à la coopération.
Cette « aventure didactique et pédagogique », résolument optimiste, est donc à la fois
unique et universelle : elle intéressera tout didacticien et pédagogue bricoleur, puisqu’elle ne
livre pas de recette, plutôt les ingrédients nécessaires à la réussite d’un projet de ce type. In
fine c’est une belle invitation à s’approprier la démarche et à la transposer à la spécificité de
chaque contexte d’enseignement-apprentissage et/ou de formation.
Magali JEANNIN
Cet ouvrage, extrêmement clair dans son déroulement et sa structuration, pose d’emblée
la problématique sous-tendue par le titre : pourquoi le narratif nous attire-t-il ? Quel est le
pouvoir de la fiction, littéraire et visuelle, dans les romans, films et séries ? L’auteur, Vincent
Jouve, annonce que son analyse ne sera pas culturelle (analyse de l’époque, du milieu...),
mais anthropologique, elle traitera de « l’attirance de l’être humain pour les récits ». Elle
s’appuiera sur les ressorts de la séduction narrative : intérêt, émotion, sentiment esthétique,
auxquels il faut ajouter une gratification après coup, ce qu’elle nous apporte ; et le récit de
fiction sera abordé sous trois angles : comme texte narratif, comme fiction et comme objet
artistique.
Traitant d’abord de l’intérêt, V. Jouve fait remarquer que l’on ne doit pas confondre
l’intéressant et l’émouvant : si l’émotion renvoie à l’affectif, l’intérêt désigne plutôt une
relation cognitive. C’est pourquoi l’auteur traite d’abord, séparément, cette question de
l’intérêt. L’intérêt narratif repose sur l’inattendu, et si le récit de fiction impose l’effet de réel,
les conventions de genre, la présomption d’intérêt, il s’appuie aussi sur un inattendu diégétique
et énonciatif qui remet en cause nos habitudes et éveille notre curiosité : l’inattendu diégétique
dérange les prototypes auxquels se réfère le monde de l’histoire, l’inattendu énonciatif décale
le fonctionnement du récit. Quant à l’intérêt herméneutique, il repose sur la complexité,
car le texte narratif résiste à la modélisation. Le récit consiste en une représentation par les
faits d’où émerge le sens (et non par le discours du narrateur), l’interprétation n’est jamais
certaine et est constamment renouvelée par chaque nouvelle lecture.
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Notes de lecture
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percevoir des dimensions qui avaient échappé à l’émotion première.
Le sentiment esthétique réside, selon l’auteur, dans l’art du récit. Plaisir esthétique et
plaisir fictionnel sont intimement liés : le plaisir fictionnel impose que le lecteur croie à la
fiction contenue dans l’œuvre ; le langage, la qualité stylistique participent à l’immersion
dans le monde représenté, mais ne doivent pas l’empêcher. La fiction ne peut pas se passer
de la référentialité, quels que soient les choix langagiers. La littérarité de la fiction impose
que la fonction poétique n’efface pas la fonction référentielle. La fiction doit nous plaire
pour nous faire croire au monde représenté. Mais les ressorts du plaisir peuvent être une
lecture participative (s’abandonner à l’illusion) ou une lecture distanciée (recul critique).
Elles peuvent se confondre dans la lecture mais sont pourtant deux expériences distinctes.
Contrairement au documentaire qui fait surtout appel aux émotions situationnelles, la fiction
suscite aussi des émotions esthétiques produites par l’écriture. Mais la difficulté à dissocier
les deux durant la lecture engage à travailler sur la forme, car la littérature n’est pas qu’une
question de contenu, mais de valeurs transmises grâce à la distanciation.
Comment le récit de fiction nous influence-t-il, quel impact a-t-il sur nos vies, comment
nous aide-t-il à vivre ? Quelles sont les vertus de la fiction ? La fiction est une compensation,
le récit de fiction aide à compenser la réalité comme texte fictionnel et narratif. La fiction
est anthropologique, elle aide à la construction de l’humanité en lui présentant un monde
supportable, désirable, meilleur. Elle permet de prendre de la distance par rapport aux
espoirs et déceptions de la réalité en situant leurs perspectives dans l’imaginaire. Le récit
a, en soi, une valeur consolatrice, sa dialectique perturbation/résolution apaise, même si
la fin n’est pas heureuse. Il donne du sens, par la cohérence qu’il pose. Il transcende les
époques dans un sentiment de perpétuité. Il nous fait voyager dans l’espace et dans le
temps, dans l’inconnu et le connu qui, associés, nous permettent d’échapper au chaos de
l’illisible, de l’incompréhensible. C’est toute la force du texte littéraire de se référer à différents
modèles anthropologiques, culturels, esthétiques, nous permettant de partager des « mondes
mentaux » et de communiquer.
Le récit de fiction est aussi une autre façon d’apprendre. Selon J.-M. Scheaffer, les univers
fictionnels et réels ne se rapprochent pas par l’homologie (le même), mais par l’analogie
(le comme si). Chaque lecteur revit personnellement et analogiquement un récit identique
pour tous, et apprend à sa manière par son exploration. Les récits littéraires fournissent des
expériences de pensée ; ils nous confrontent à des modèles qui nous n’imaginions pas ; ils
intensifient la vie réelle à la différence d’un documentaire. Si l’historien analyse la réalité,
le romancier se préoccupe de l’existence, dont la fiction développe les différents possibles.
L’immersion fictionnelle se situe hors des jugements éthiques et moralisants, elle permet
d’éprouver une expérience même douloureuse sans danger majeur. Le savoir que procure
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
la fiction n’est pas quantifiable, mais il ne peut pas passer par d’autres canaux. Le récit de
fiction nous informe et nous forme ; il forme notre expérience de lecteurs et il permet un
retour critique, une prise de distance en nous immergeant dans une situation sans nous
forcer à nous y engloutir totalement. Chaque lecteur se construit son modèle à partir d’un
modèle commun, son immersion réceptrice répond à l’immersion créatrice de l’auteur. Le
récit ne permet pas seulement de mieux se connaitre, mais aussi d’effectuer un retour réflexif
sur son vécu. Les fictions nous permettent d’apprendre à modéliser les situations.
Les fictions nous servent aussi à apprendre à interpréter, à discriminer. L’interprétation
donne au lecteur une liberté dans la construction et la résolution des problèmes, car rien n’est
donné comme réponse objective, contrairement au champ scientifique. L’interprétation,
relative, est « une école d’humilité », elle ouvre au débat et est libératrice en permettant
une prise de distance. Les possibilités interprétatives, nettement plus importantes dans une
œuvre d’art que dans un objet culturel, constituent un apport considérable en termes de
développement cognitif.
Avant de conclure en rappelant les différents éléments qui participent des pouvoirs de la
fiction, Vincent Jouve applique sa démarche à deux œuvres, un extrait de La Fortune des
Rougon, de Zola et l’incipit d’Albertine disparue, de Proust.
Cet ouvrage, très didactique dans son approche et sa structuration représente un apport
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indéniable à la réflexion sur les intérêts et ressorts de la littérature de fiction.
Viviane YOUX
L’intention des auteurs, dans cet ouvrage, est d’éclairer par l’examen la question controversée,
voire idéologique, de l’écriture inclusive, en documentant précisément, sans technicisme, la
capacité prêtée à la langue française d’« exclure » l’Autre féminin, et d’observer comment
les questions du genre et de l’écriture inclusive sont traitées dans d’autres pays et d’autres
langues.
L’ouvrage s’organise en trois parties intitulées « Questions préalables », « Ce que l’histoire
de la langue nous apprend », « Que se passe-t-il dans d’autres langues ? ». À la partie 1, dans
l’article « L’écriture inclusive : question d’usage ou question d’autorité ? », Gilles Siouffi
rappelle que les autorités compétentes concernant la langue en France n’ont pas toujours
joué le rôle prescriptif qu’on imagine et que nombre de leurs instances, dotées d’une
capacité législative, peinent aujourd’hui à construire de nouvelles normes dans les usages (la
féminisation des noms de métiers, les recommandations concernant l’orthographe de 1990).
La difficulté de construire et de faire appliquer des règles pour la langue française s’explique
également par des phénomènes d’ordre socioculturel comme l’apparition de nouvelle normes
communautaires, substituant à l’usage, à la langue comme bien commun, des manières de
faire soucieuses de visibilité, et dont l’écriture inclusive serait une manifestation. Dans « La
langue à tous ses niveaux face à l’écriture inclusive », Danièle Manesse distingue clairement
les discours sur la langue de la langue, qui ne peut être à l’image du monde et qui sert à
le dire. Le masculin de la langue n’est ainsi pas celui du monde sensible, et c’est sur cet
amalgame que repose en partie l’argumentaire des partisans de l’écriture inclusive. De même,
en imposant dans la langue écrite des traits qui n’ont pas leur origine dans la langue orale, ils
ignorent le caractère d’abord oral de la langue avant d’être représentée à l’écrit. La relation
oral/écrit se trouve ainsi perturbée sur le plan de la ponctuation, sur celui de la linéarité de
l’écrit, et la mobilisation de signes inconstants sur le plan formel en malmène le caractère
fixe, complique son apprentissage.
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Notes de lecture
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et de revirement concernant ce type d’accord et montre que l’usage est souvent passé outre
l’avis des grammairiens. Dans « L’école au front ou l’école face à l’écriture inclusive », Danièle
Manesse replace la question de l’écriture inclusive dans l’espace scolaire, face à la complexité
de notre système d’écriture et aux difficultés inhérentes à l’apprentissage de la lecture et de
l’écriture de la langue écrite.
À la partie 3, dans « Anglais et langue inclusive : multiplication des marques ou neutrali-
sation ? », Élise Mignot revient sur le caractère masculin du lexique anglais dont man et le
pronom he qui, dans des lois diverses depuis 1850, référent aussi bien aux hommes qu’aux
femmes. Sur le plan de l’usage, une multiplication des marques de genre a été envisagée puis
oubliée en faveur d’une stratégie de neutralisation, par le biais de néologismes ou bien en
mobilisant l’existant dans la langue comme le pronom they.
Dans « La question du genre en Allemagne », Peter Eisenberg restitue les termes de
l’important débat politique et linguistique que génère, en Allemagne, cette question et
rappelle la possibilité qu’a la langue allemande, à travers le masculin générique, de désigner
les personnes sans les discriminer. Dans « Le genre en langue arabe », Leda Mansour montre
comment le sens du féminin et du masculin est marqué de façon instable en arabe : la marque
du féminin n’est pas toujours présente et peut s’appliquer à des mots masculins naturels ou
à des référents de sexe masculin. De même, des mots féminins peuvent recouvrir la forme
du masculin et ne disposer d’aucune marque spécifique. Enfin, bien que, selon l’auteure, le
genre ne soit pas une catégorie grammaticale en coréen, Joung Eun Rim explique, dans
« Dire le genre en langue coréenne », le rôle communicationnel des désinences flexionnelles
en coréen puis montre comment, concernant les noms de métiers ainsi que certains verbes
d’action et de description, l’usage marque le genre biologique.
Marina KRYLYSCHIN
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
Chantal LAPEYRE
REVUES
Si la mission première du lycée professionnel est bien évidemment la préparation des jeunes
à un métier et à leur insertion professionnelle, elle ne se limite pas à cette finalité. Sinon
pourquoi donner une formation scientifique à de futurs vendeurs ? Pourquoi proposer à tous
une culture littéraire, artistique ? Pourquoi leur offrir des activités physiques et sportives ?
C’est dire que le lycée professionnel est là pour former aussi l’homme et le citoyen ! Cette
tension entre ces différentes finalités, la plupart des disciplines d’enseignement la vivent. Le
PLP lettres (lettres-histoire ou langue vivante-lettres) est-il un professeur de communication
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préparant à la vie, à l’insertion professionnelle ou un professeur de culture initiant aux
œuvres, en particulier littéraires ? Comment ces professeurs concilient-ils finalités culturelles
et finalités plus fonctionnelles ? Comment naviguent-ils entre les œuvres et les textes affichés
dans les programmes et les pratiques sociales des élèves et de leurs familles ? Entre les
ambitions des programmes et les leurs, parfois divergentes ? Entre la culture de l’école et
celle de l’entreprise ?
Ce numéro aborde ces questions après s’être interrogé sur ce que l’on met derrière le
mot « culture ». Au sommaire : « Vous avez dit culture(s) ? » par Françoise Bollengier et
Françoise Girod ; « Culture et apprentissage des métiers au lycée professionnel » par Maryse
Lopez ; « Culture, représentations croisées : élèves et professeurs stagiaires » par Florence
Guittard ; « La génération Z et “la cultureˮ » par Alain Clech et Stéphane Prouteau ; « Les
nouvelles pratiques culturelles des Français : enquête » par Françoise Bollengier ; « Lire les
grands classiques au lycée professionnel » par Bruno Girard ; « Culture et entreprise : une
relation contrariée ? » par Christine Eschenbrenner ; « “Écrire le travailˮ : un premier prix au
concours ! » par Kevin Zanotti ; « La Shoah : quand les élèves partent à la recherche de traces
et témoignages » par Clément Bouchereau ; « Le théâtre des Amandiers : projet découverte
avec les élèves » par Audrey Garcia ; « “Zique à l’écoleˮ vient au lycée professionnel » par
Laurence Mengelle ; « Construire un musée imaginaire en chaque élève » par Javier Garcia ;
« Chiche ! On saute des lignes et on lit Maupassant » par Pierre Brunet ; « Quelle lectrice,
quel lecteur je suis ? », témoignages de professeurs.
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Notes de lecture
adaptation en nouvelle “A Jury of her Peersˮ » par Marie-Pierre Maechling ; « Oral représenté
et narration en ancien français. Spécificités syntaxiques dans trois textes de genres distincts »
par Nicolas Mazziotta & Julie Glikman ; « Genre et classification automatique en TAL : le
cas de genres journalistiques » par Amalia Todirascu ; « Le genre du conte et la temporalité :
le cas du connecteur and dans les contes de Joseph Jacobs » par Héloïse Perbet ; « Jeux de
mots, jeux de langue(s) et genres discursifs – “Nos chers disparusˮ » par Albert Hamm.
Ce numéro comporte un dossier original de qualité, avec nombre d’auteurs connus des
lecteurs de notre revue. Ce dossier a pour ambition de monter qu’écrire pour un jeune
public pose un certain nombre de questions qui intéressent le généticien. Tout d’abord,
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parce que l’analyse des documents de genèse permet de mettre au jour la place et le statut
du lectorat dans le processus créatif : à quel moment l’auteur se soucie-t-il de son jeune
lecteur ? Le parcours de l’œuvre en est-il infléchi ? Ensuite, parce que les brouillons d’écrivains
pour la jeunesse interrogent le généticien sur les rapports qui se tissent entre les différents
partenaires : auteur, illustrateur (les deux pouvant n’être qu’une seule et même personne ou
être le fruit d’une collaboration), éditeur, médiateur en charge de la valorisation des archives.
Enfin, les documents de genèse d’œuvres célèbres de la littérature pour la jeunesse sont
un médium remarquable en didactique de la lecture et de l’écriture, en langue maternelle
comme en langues étrangères, pour développer une posture d’auteur chez les apprenants, car
cette littérature a pour avantage de proposer des brouillons abordables par des enseignants
débutants.
Après la présentation, « Pour une génétique de la littérature d’enfance et de jeunesse »,
composée par les deux coordinatrices, Christine Collière-Whiteside et Karine Meshoub-
Manière, le volume comprend plusieurs parties et les articles correspondants. Dans la
partie « Enjeux » : « Épigenèse et littérature pour enfants. À propos des contes des frères
Grimm » par Vanessa Joosen, Vincent Neyt et Dirk Van Hulle ; « La Comtesse de Ségur ou
l’universel du dialogue » par Catherine Boré. Dans la partie « Études » : « Transformations
poétiques dans Les Mots secrets de Louise Dupré » par Annie Tanguay ; « Roald Dahl auteur-
illustrateur : de l’image au texte, les débuts de la genèse de Fantastic Mr Fox » par Christine
Collière-Whiteside ; « Genèse du récit maghrébin pour enfants. Le cas de Mohammed
Dib » par Guy Dugas ; « Sur les traces de Liberté, Égalité, Fraternité d’Agnès Rosenstiehl »
par Karine Meshoub-Manière. Dans les « Entretiens » : « Jean-Pierre Robert, De Maryam,
fille de Djibouti à Amina la migrante : des réécritures en action pour le français langue
étrangère » par Evelyn Rosen ; « Rachel White, La valorisation des archives du Roald Dahl
Museum and Story Centre : de la conservation à l’exploitation didactique » par Christine
Collière-Whiteside. Dans les « Inédits » : « Dans l’atelier d’Yvan Pommaux - Quand texte
et image construisent l’album » par Solène Audebert-Poulet ; « Christian Voltz, Heu-reux »
par Karine Meshoub-Manière. Dans les « Chroniques » : « Archives génétiques de littérature
pour la jeunesse » par Christine Collière-Whiteside ; « La Kerlan Collection à l’Université du
Minnesota » par Lisa Von Drasek ; « Brouillons d’illustrateurs au Centre de l’illustration de la
médiathèque André Malraux » par Élise Canaple ; « Seven Stories, le Centre national du livre
pour enfants, Royaume-Uni » par Kristopher McKie et Lucy Pearson. Et enfin, en « Varia » :
« “À utiliser selon l’humeurˮ. Images littéraires et recyclage dans les manuscrits d’Andersen »
par Ane Grum-Schwensen ; « Pour une génétique de l’improvisation musicale. Seconde
partie : Éléments méthodologiques et typologie de cas d’études » par Clément Canonne
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
et Martin Guerpin. Le volume se clôt sur les « Chroniques », les « Comptes rendus » et la
« Bibliographie génétique de janvier-décembre 2018 ».
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la société : langue et intégration » par Anne-Christel Zeiter. La deuxième section « Politiques
linguistiques en contexte » comprend trois autres articles : « Séjour mobilité et lingua franca »
par Antonia Veillon ; « Nationalisme linguistique et représentations sociolinguistiques en
débat - La sociolinguistique catalane face à la perspective indépendantiste » par Henri
Boyer ; « Montrons cette langue que nous ne parlons pas ! » par Bénédicte Pivot. Le troisième
ensemble, sur la question du « Bilinguisme vécu, perception des langues en contact », s’articule
en quatre études : « Quand les images changent... (Dis)continuités dans la pratique et la
transmission du suisse allemand en Suisse romande » par Sara Cotelli-Kureth et Liliane Meyer-
Piton ; « S’afficher ou non dans une autre langue nationale - Variabilité des discours dans deux
traditions de migration interne en Suisse » par Simone Marty et Marina Zimmermann ; « Des
idéologies concurrence : le chiac entre repoussoir et emblème » par Annette Boudreau. Enfin,
la quatrième partie repose sur « La variation au cœur des représentations » et organise quatre
autres articles : « “Pas d’place pour les fote d’orthoˮ : la réparation en # et l’accomplissement
situé des représentations langagières dans la communication par WhatsApp » par Etienne
Morel ; « Représentations ordinaires de l’orthographe du français » par Clara Motamet ;
« Pour “être intelligible en français langue étrangère, doit-on s’exprimer “sans accentˮ ? » par
Marion Didelot et Isabelle Racine ; « Comment un collectif militant d’éducation populaire
évoque-t-il la « langue de boisˮ ? À propos des représentations sur la langue et sur la variation »
par Alice Krieg-Planque.
Ce numéro de Pratiques a été pensé en fonction d’une double logique, à la fois historique
et synchronique. Historique, car depuis la création de Pratiques en 1974, des théorisations
narratives diverses ont été défendues, il était donc important de porter sur elles un regard
rétrospectif. Synchronique, car elle correspond au fait que le présent numéro s’inscrit dans
le programme de recherche du Centre de recherche sur les médiations (CREM) intitulé
« Narrations de la société/sociétés de la narration », tel qu’il est consacré au récit et aux
différentes formes de narration sociale. Dès lors, l’enjeu est de faire interagir des recherches
qui mettent l’accent sur la description et la classification avec d’autres plus spéculatives et
interprétatives.
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Notes de lecture
Le numéro a été conçu en trois parties et présenté par A. Petitjean « Le récit en questions :
introduction ». Dans la première (« Les théories du récit en débat »), les auteurs confrontent
certains paradigmes du récit. C’est ainsi que sont mis en débat ou en question la linguistique
textuelle et discursive, la sémiotique narrative, l’ethnocritique, les approches cognitivistes ainsi
que la narratologie non naturelle. On y lira avec intérêt les études suivantes : « Linguistique –
récits – narratologie » par Jean-Michel Adam ; « Récit et mobilité empathique » par Alain
Rabatel ; « De la narratologie à la narrativité, et retour. Bilan et perspectives de la théorie
greimassienne » par Denis Bertrand ; « Comment penser la narrativité dans l’image fixe ? La
“composition cinétiqueˮ chez Paul Klee » par Marion Colas-Blaise ; « Pour une relecture et
un emploi cognitifs des schémas narratifs structuralistes » par Aurora Fragonara ; « Je compris
que vous conjecturiez... Ethnocritique d’un récit de Borges » par Jean-Marie Privat ; « Récits
non naturels, narratologie non naturelle : apports, problèmes et perspectives » par Sylvie
Patron ; « La passion du non-naturel. Entretien avec Brian Richardson » par Sylvie Patron ;
« Les récits produits en psychothérapie : un défi pour la narratologie » par Françoise Revaz.
La seconde partie (« Fictions et non fictions contemporaines ») rend compte du statut
du récit dans les productions actuelles, qu’elles aient la forme de romans, de pièces
de théâtre, de « narrations documentaires », de séries télévisées ou de jeux vidéo. Cette
partie comprend les recherches suivantes « Un tournant animal dans la fiction française
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contemporaine ? par Sophie Milcent-Lawson ; « Théâtre et récit : l’exemple des pièces
monologuées contemporaines » par André Petitjean ; « Ne pas (se) raconter d’histoires. La
littérature française après le XXe siècle » par Charlotte Lacoste ; « Récits sériels exploratoires »
par Marta Boni et Camille Martinez ; « Récits interactifs et expérience de liberté » par
Dario Compagno.
La troisième partie (« Les récits en situation scolaire ») interroge la place des récits au sein
de la discipline français (lecture et écriture) et dans d’autres disciplines, tels qu’ils dépendent,
pour une part, des configurations disciplinaires. On y lira : « Des récits et des élèves » par
Yves Reuter ; « La trace écrite scolaire : un récit ? Le journal d’apprentissage au cycle 3 : une
forme de récit scolaire ? » par Aurore Promonet ; « Narrations d’hier et d’aujourd’hui sur des
forums et des blogs d’apprentis lecteurs. Quels usages des récits pour quels apprentissages ? »
par Pierre Moinard.
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
discours littéraire » par Stéphane Bikialo et Julien Rault Julien ; « Le charme discret des
blancs. La ponctuation “blancheˮ entre histoire et style dans la littérature italienne moderne et
contemporaine » par Elisa Tonani ; « Blancs d’attente vs blancs d’interruption : propositions
pour une description des blancs de l’écriture manuscrite » par Pierre-Yves Testenoire ; « Le
blanc comme outil de démarcation discursive et énonciative : quelques observations dans des
écrits d’élèves » par Claire Doquet ; « La transcription sémio-diplomatique des manuscrits
de linguistes » par Marc Arabyan.
LECTURE JEUNE, « Derrière les écrans des ados », n° 171, septembre 2019
(130 p., 14 euros)
Au-delà des fantasmes, quelles sont les pratiques numériques réelles des jeunes ? Le numérique
est-il vraiment inné chez le digital native ? Comment éduquer, former et sensibiliser la jeune
génération au fonctionnement du web ? À travers des pratiques qui peuvent sembler opaques,
comment y voir un lien avec la lecture et l’écriture ? L’éditorial rédigé par Sonia de Leusse-
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Le Guillou, directrice de Lecture Jeunesse, contextualise le dossier thématique et introduit
les articles et entretiens qui suivent : « Les pratiques invisibles des ados » entretien avec
Anne Cordier ; Focus sur « Les jeunes et leurs écrans, quelques chiffres clés » par Christelle
Gombert ; « Encore sur ton portable ! La vie familiale à l’épreuve des écrans » entretien avec
Nathalie Dupin ; « Addictifs, les écrans ? Une question de contexte » entretien avec Michael
Stora ; puis un autre « Focus » comprenant trois outils pour l’éducation au numérique :
« Se raconter sur internet » entretien avec Ariane Mayer ; « Facebook, Game of thrones et les
histoires sans fin » par Ariane Mayer ; « Écrire avec Netflix. Entre contraintes et créativité ;
entretien avec Gwenda Bond et Cécile Pournin. Suit un troisième « Focus » : « YouTube en
librairie » par Christelle Gombert ; « Dans les coulisses de YouTube » entretien avec Vincent
Manilève ; « YouTubeuses et jeune public : influence ou émancipation ? » par Béatrice
Guillier. Suivent in fine les chroniques : « Booktube », « Jeux vidéo », « Écriture en ligne »...
et pour en savoir plus : <http://www.lecturejeunesse.org/livre/derriere-les-ecrans-des-ados-
n171-septembre-2019/>.
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HOMMAGE
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RAYMOND LE LOCH
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Notre ami Raymond Le Loch est décédé le 31 mai dernier. Sa mort nous
a à la fois peinés et surpris, tant elle fut soudaine. Je l’avais retrouvé, avec
toujours autant de plaisir, lors du Cinquantième anniversaire de l’association
et de la revue, en décembre 2018. J’ai pu apprécier ses interventions, vives
et pertinentes, notamment lorsqu’il rappelait avec force argumentation son
engagement pour un enseignement qui conjugue les approches théoriques
cohérentes et les pratiques scolaires novatrices.
Rappelons que Raymond Le Loch est l’un de ceux qui participe de
près à la fondation de l’Association française des professeurs de français,
en 1968, avec Gérald Antoine et Pierre Barbéris. En 1969, il contribue
tout aussi activement aux journées qui débouchent sur le Manifeste de
Charbonnières. Alors professeur de lettres en Bretagne puis au lycée de
Pontoise, il joue un rôle décisif dans l’organisation de tous les congrès
de l’AFEF qui accueillent notamment Roland Barthes, Pierre Bourdieu,
Antoine Prost. En 1982, il entre au secrétariat national collégial de l’AFEF
où il s’investit avec conviction. Ce secrétariat s’étoffe et se restructure en
1988, au congrès de Poitiers, et Raymond devient alors responsable de la
commission « 1er degré ». Il reste membre de ce secrétariat jusqu’en 1992,
pour ensuite se consacrer à d’autres fonctions et responsabilités militantes.
En effet, la même année, il est élu président de la Fédération internationale
des professeurs de français (FIPF), et ce jusqu’en 1996. À cette fonction, il
œuvre à l’annualisation des congrès internationaux de la Fédération et, en
1994, assure la célébration des 25 ans de l’existence de cette dernière. Au-delà
de ces mandats, Raymond reste un militant actif dans ces deux associations,
et assure notamment la gestion du Fonds mondial pour l’enseignement du
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Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »
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Nos pensées amicales et solidaires vont en premier lieu à sa famille, mais
aussi à tous les adhérents, lecteurs, militants qui ont croisé sa route et su
apprécier l’envergure et la générosité intellectuelles de Raymond.
Jacques DAVID
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